0. INTRODUCTION GENERALE
0.1. CONTEXTE, PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
0.1.1. CONTEXTE
Notre sujet de recherche porte sur « Les fonctions
sociales de la littérature dans l'oeuvre de Simplice ILUNGA
MONGA ».
Nous partons du postulat selon lequel un texte
littéraire est souvent taillé sur mesure pour répondre aux
attentes et exigences du lecteur. Il est donc une réponse à la
demande explicite ou implicite de sa société. A ce
titre-là, il joue nécessairement un rôle ou, mieux, il
remplit une fonction sociale.
Pendant que l' « agent social »
Simplice ILUNGA MONGA prend conscience des maux qui déciment sa
société, cette dernière formule de manière
implicite quelques voeux (l'horizon d'attente) : fais-moi chanter,
fais-moi rêver, fais-moi pleurer, fais-moi jouer, éduque-moi, etc.
C'est de ce prisme auteur-lecteur que découlent les questions de notre
problématique.
0.1.2. PROBLEMATIQUE
Dans le cadre de ce travail, notre
questionnement tourne autour de trois questions suivantes :
- Quelles sont les fonctions sociales reprises dans l'oeuvre
de SimpliceILUNGA MONGA ?
- Comment fonctionnent-elles dans l'oeuvre de SimpliceILUNGA
MONGA ?
- En quoi l'articulation de ces fonctions sociales dans
l'oeuvre de SimpliceILUNGA MONGA trahit le positionnement de l'auteur dans
divers champs ?
0.1.3. HYPOTHESES
En guise d'hypothèses, nous pensons que :
- Simplice ILUNGA MONGA développeprincipalement,dans
ses oeuvres,les fonctions ci-après :
ü la fonction magico-religieuse
ü la fonction critique
ü la fonction pédagogique
ü la fonction idéologique
ü la fonction fantasmatique
- Ces différentes fonctions sociales forment une sorte
d'écriture d'interpellation et d'éveil de conscience de la
population dans une société congolaise décadente
où lesvices sont devenus quasimentdes vertus.
- Sa profession de professeur d'Université, son poste
de Secrétaire Général académique, sa foi
chrétienne, ses fonctions de Député national ;
fondent l'habitus, c'est-à-dire l'environnement social qui a fait
prendre conscience à Simplice ILUNGA MONGA des vices vécus dans
sa société. Sa prise de parole n'étant plus gratuite, elle
devient alors l'expression figurée de son positionnement à
l'intérieur de chaque champ.
0.2. Etat de la question
Les fonctions sociales de la littérature ont
déjà fait objet de plusieurs études dont le
mémoire d'études supérieures d'AchukaniOkaboportant
sur : « Les fonctions sociales de l'écrivain
africain ». (1994). Dans ce travail ;
AchukaniOkaboposeclairement un postulat théorique sur le statut de
l'écrivain noir, en général, et africain en particulier.
Il complète sa réflexion dans sa thèse en 1966, en
insistant sur la valeur et l'estime accordées aux écrivains
africains et insista sur le statut privilégié de
l'écrivain noir dans le contexte Africain considéré comme
porte-parole de la société. Il fait aussi une analyse
panoramique des différents prix littéraires accordés aux
écrivains noirs Américains et Africains .L'écrivain est
donc, selon AchukaniOkabo, le panneau de signalisation pour orienter et avertir
la population devant les embuches éventuelles de la vie.
Nous pouvons aussi évoquer Nicholas Schengeta dans son
travail intitulé « Analyse sémantique de 5 grandes
fonctions de l'écriture »(1990) dans lequelil démontre
qu'au-delà dela fonction divertissante de la
littérature, elle remplit naturellement d'autres fonctions telles
que : la fonction esthétique(qui renvoie au style et
à l'écart d'écriture propre à chaque
écrivain), la fonction critique(qui donne une sorte de
réglementation de la société, se rabattant logiquement sur
l'idéologie communautaire appelée la doxa),la fonction
didactique(qui prône pour une dimension pédagogique et
enseignante ld, ; dans les écrits) et, enfin,la fonction
sociale (qui relève des dimensions morales de vie associative dans
les écrits en faisant un lien entre la micro et la macro
société).
Dans sa thèse portant sur « Fonction
enseignante de la littérature »(2004),Milrs Mirebeau tente
d'élaborer une grille de lecture des textes littéraires en
priorisant les effets que le lecteur subit après la consommation d'une
oeuvre littéraire. Ces effets sont des fonctions liées à
l'interprétation d'une oeuvre littéraire.
Enfin, Emile Debourgognondans J'écris pour
agir : Etude critique des fonctions de la littérature, survole
de manière théorique toutes les fonctions de la
littérature tout en les subdivisant en deux parties qui sont :
- Le côté de la production : c'est
l'instance de conception et de confection du message. Le texte
littéraire, fruit de l'imagination de l'écrivain, remplit
plusieurs rôles selon différents contextes. Etant témoin de
sa société, il prend la parole pour répondre au besoin de
la société inspiratrice. En ce moment-là, l'acte
d'écriture s'accompagne naturellement d'une mission
précise.Ainsi, y a-t-il lieu de détecter certaines fonctions qui
correspondent à la vision de l'auteur.
- Le coté de la réception : Il
insiste sur les dispositions préalables pour bien recevoir une oeuvre
littéraire enévoquant le fait que le lecteur est maitre de
l'oeuvre parce qu'il la consomme selon son appréhension. Mais le
lecteur subit des transformations par la force d'attraction de
l'écriture qu'il consomme. Donc la consommation ou mieux,
l'interprétation des oeuvres littéraires appelle naturellement
d'autres genres des fonctions littéraires.
Eu égard aux études précédentes,
nous pensons apporter une démarcation en présentant la trilogie
écrivain (création), lecteur (réception) et texte
(médiation) avec des notions corolaires telles que la notion
d'éthos, la théorie des champs comme soubassement
théorique de l'interprétatibilité des fonctions sociales
dans l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA.
0.3. METHODES ET TECHNIQUES
Pour cette recherche qui vise essentiellement à
décrypter les fonctions sociales de la littérature dans l'oeuvre
de SimpliceILUNGA MONGA, nous avons choisi d'utiliser les approches
sociologique et structuraliste.
L'écrivain, la création renvoient à la
sociologie de la création.Le lecteur renvoie quant à lui à
la sociologie de la réception.La sociologie de la création comme
la sociologie de la réception font partie intégrante de la
sociologie de la littérature. A cela s'ajoutent les notions connexes
comme celles d'ethos, particulièrement l'ethos extralinguistique
constitué en réponse au pathos ; la théorie des
champs et du capital qui sont aussi des éléments
extérieurs au texte mobilisés pour éclairer sa
compréhension. D'où, la nécessité de l'approche
sociologique.
Elément médiateur entre l'écrivain et le
lecteur, le texte est considéré ici comme un tout, une structure
autonome. D'où la nécessité de l'approche structuraliste.
Présentées ici à titre indicatif, feront
l'objet d'un développement au premier chapitre.
0.4. DIVISION DU TRAVAIL
Hormis l'introduction et la conclusion
générales, ce travail comporte trois chapitres :
Le chapitre premier intitulé Cadre théorique
et méthodologique se chargera de définir essentiellement les
termes clefs de notre analyse à savoir
« fonction » et
« littérature ».Commençant
par la littérature, il sera question de survoler plusieurs
définitions en rapport avec celle-ci ainsi que les termes connexes y
afférents, ses tendances et ses écoles. Ce chapitre va aussi
exploiter la trilogie littéraire susmentionnée et sera
bouclé par la présentation du volet méthodologique dans
lequel nous brosserons succinctement les approches sociologique et structurale
utilisées dans le cadre de ce travail.
Le deuxième chapitre intitulé :
Analyse fonctionnelle des récitss'attèlera
àrelever lesdifférentes fonctions figurées dans l'oeuvre
de Simplice ILUNGA MONGA au moyen du
schémaactantielcomplété par les triangles actantiels
d'Anne Ubersfeldafin de ressortir les différentes forces sociales en
conflits.
Le troisième chapitre qui s'intitule
L'interprétation des fonctions de la
littératureconsistera à conférer la portée
significative des fonctions sociales repérées et analysées
dans l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA.
0.5. PRESENTATION DE L'AUTEUR ET DU CORPUS
0.5.1. PRESENTATION DE L'AUTEUR
SimpliceILUNGA MONGA est né à Kamina le 07
septembre 1971.Marié, père de famille et agrégé de
l'enseignement moyen du degré Supérieur, Simplice ILUNGA MONGA
est Docteur en Lettres et Civilisations Africaines à
l'Université de Lubumbashi. Professeur des universités et
chercheur en Linguistique, Pragmatique, Communication et Sciences du langage,
il est auteur de plusieurs publications (articles scientifiques et ouvrages).
SimpliceILUNGA MONGA est Secrétaire
Généralacadémique honoraire de l'Université de
Likasi. Il est aussi, depuis 2011,député national.
0.5.2. PRESENTATION DU CORPUS
Publiéà Lubumbashi aux éditions GRAMS
sous le dépôt légal 08/20.2010.136, L'odeur de la
malédiction est un recueil de 104 pages construit sur cinq
nouvelles:Lelo, Premier mari, Deuxième mari,
Troisième mari, Quatrième mari.
Lelo est l'histoire d'un quadragénaire plein d'ambition
qui va se marier à une belle femme du nom de Bella. De leur union
naitront trois « jolies » filles. L'ainée se nommait
Cobella, tout le monde vantait sa beauté. Pour la protéger contre
les regards envieux et voraces, son père avait restreint sa
liberté de mobilité. Après plusieurs mois de
réflexion, elle se décida d'effacer son père. Elle
l'attaqua par derrière. Violemment, elle l'assomma. Sans avoir vue son
agresseur, le père tomba et mourut quelques minutes plus tard. Des
funérailles à la taille du défunt furent
organisées. Quelque temps après, elle chassa ses oncles paternels
de la maison et Cobella s'était autoproclamée
héritière des biens de son père.
Deuxième nouvelle, Premier maripoursuit le
motif de la première nouvelle. En effet, riche héritière
de son père,Cobella épouse en deuxièmes noces un
prêtre défroqué nommé Kabu. Ensemble, ils
mènent une vie paisible. Jaloux, les oncles paternels de Cobella
piègent le mari et finissent par le tuer brutalement après
l'avoir opposé à son jeune frère.
Après le décès de son mari, Cobella
épouse,Deuxième mari,un homme réputé pour
son sens d'organisation et qui a permis à la famille de Cobella de
prospérer dans leurs activités commerciales. Possessif et trop
autoritaire, Tumo n'accordait pas la moindre liberté à son
épouse. Celle-ci a fini par demander et obtenir le divorce pendant que
son conjoint était soufrant d'une grave maladie, donc sans aucune
défense.
Kabu est le Troisième maride Cobella qui
tente, en vain, del'arraisonner sur la nécessité de faire la paix
avec sa famille.L'héroïne finit par rompre leurs relations.
Kakas est le Quatrième mariqui, fin
stratège :Le dernier mari du nom de KAKAS opta pour le règlement
par voie diplomatique pour mettre fin aux conflits. Pendant des heures, ils
discutèrent sur la proportion de la part. Enfin de compte, ils
s'accordèrent et un pacte de paix fut signé. Chacune des quatre
parties reçut sa portion. A la grande surprise de tout le monde et
à la grande déception des paternels, la guerre fut
éradiquée et la paix reprit sa place dans la maison de
Cobella.
Publié aux éditions GRAMS sous le
dépôt légal 05.20.02010.111, IIème
trimestre à Lubumbashi, L'Imposteur Pasteur
comprend trois nouvelles posées sur 64 pages qui
sont :Retrouvailles, Manipulations, Viol
sacré.
Retrouvailles s'ouvre sur une rencontre de deux
vieux amis d'enfance :Mwempo et Iluzi qui ont passé l'école
primaire ensemble et que le destin a séparés. L'un fut
orienté vers la section mécanique et son ami vers la section
littéraire.
Pasteur, Mwempoest à l'origine de la rupture des
relations deIluzidans Manipulations. En effet, le Pasteur va
manipuler le couple de Iluzi à sa guise en utilisantleurs biens à
son profit.Intendant et gérant de ce couple,le Pasteur finit par prendre
la femme de Iluzi comme concubine.
Le zèle du Pasteur monta en puissance,dans Viol
sacré,au point qu'il monta même un groupe de prière.
Il profita de la souffrance d'un couple dévastéepar la disette et
le désespoir pour violer la dame en prétendant la
délivrer du mauvais sort. La femme qui attendait
qu'un« serpent » soit extirpé de ses entrailles
comme annoncé par le Pasteurva plutôt constater qu'une autre
forme de « serpent » entrait. Le Pasteur fut amené
en justice pour motif du viol et le juge le condamna à quelques
années de prison. La famille de Iluzifutalors délivrée.
Imprimé et publié à Lubumbashi aux
éditions GRAMS sous le dépôt légal 08/20.2010.135,
IIIème trimestre, L'Université à la
dérive est aussi un recueil de nouvelles comprenant trois
titres ci-après :Parle-moi de l'université, Monsieur le
professeur, Silence, on délibère.
Dans Parle-moi de l'Université, un professeur
du nom de Talanga engage une vive discussion avec sa fille qui venait de
décrocher son diplôme d'état et qui s'apprêtait
à entamer ses études universitaires. Juliette tente de convaincre
son père sur les vices qui ternissent l'image de l'université et
qui ont atteint le seuil de l'intolérable. Méditatif, pensif et
écartelé entre la défense de son métier et la
pertinence des arguments de sa fille, le Professeur Talanga opère une
digression et perd sa fille dabs les firmaments de son savoir sans pour autant
réussir à contrer les arguments de sa fille.
Monsieur le professeur voit le professeur Talanga en
plein exercice de son métier d'enseignant. Fondé sur le plagiat,
son enseignement est se résume en des séances de marketing de son
« syllabus » dont ses assistants sont des percepteurs. Avec
l'argent issu de la vente de son « syllabus », le
professeur écume les bistrots, tronquent ta toge et troque son savoir
contre les charmes de ses étudiantes.
Dans Silence, on délibère, le
Professeur décroche une nomination dans le bureau d'un jury et verse
dans une corruption multiforme. Il finit par se faire surprendre, main dans le
sac méritant ainsi la sanction du Recteur.
PREMIER CHAPITRE : CADRE THEORIQUE ET
METHODOLOGIQUE
I.0. INTRODUCTION
Dans ce chapitre consacré au Cadre théorique
et méthodologique, nous définirons essentiellement
les termes clefs de notre analyse à savoir
« fonction » et
« littérature ».
Commençant par la littérature, il sera question de survoler
plusieurs définitions en rapport avec celle-ci ainsi que les termes
connexes y afférents. Nous transiterons, ensuite, par la trilogie
auteur-texte-lecteur et ses corollaires. Ce chapitre sera bouclé par la
présentation du volet méthodologique dans lequel nous brosserons
succinctement les approches sociologique et structurale utilisées dans
le cadre de ce travail.
I.1. CADRE THEORIQUE
I.1.1. DEFINITION DES CONCEPTS CLES
I.1.1.1. LA LITTERATURE
I.1.1.1.1. « LITTERATURE » ET EVOLUTION
DU SENS
Avouons qu'il est très embarrassant de définir
avec exactitude la littérature, étant donné la
complexité du terme qui, à la limite, verse dans le
générique. Le mot littérature, provient du latin
« littera » signifiant
« lettre », ou « ce qui est
écrit ». Le Dictionnaire encyclopédique des belles
lettres(1979 :210) stipule que le terme
« littérature » apparaît au début
du XIIe siècle avec un sens technique de
« chose écrite »,puis évolue à la fin
du Moyen-âge vers le sens de « savoir tiré des
livres » avant d'atteindre aux
XVIIe?-?XVIIIe siècles son sens actuel :
ensemble des oeuvres écrites ou orales comportant une dimension
esthétique.
Le
Dictionnaire
Gaffiot (1966 : 321) repère plutôt une
évolution de sens du mot « littérature » qui
désigne d'abord, un ensemble de lettres constituant le fait
d'écrire ou un ensemble de lettres constituées en
alphabet.Ensuite, le sens s'élargit en renvoyant à celui de
grammaire, de philologie, c'est-à-dire, à l'étude
technique et érudite des textes écrits. Il aboutit enfin au
sens de savoir, d'érudition dans le domaine des textes écrits.
Philippe Caron, quant à lui, soutient que « le mot est
attesté au début du XIIe siècle avec le
sens premier du latin de « chose écrite ». Le
mot littérature ne retrouve son sens plein qu'un peu
plus tard en déformant la conception latine pour signifier
« le savoir acquis par les livres »(Précis de
psycholinguistique :1989).
A ce sujet, Philippe Caron soutient encore dans La
bestiaire(1994 :56) quela stratification de la littérature
s'élargitau XXe siècle à toutes les
productions écrites. Il parle aussi bien du contenu (sentimentalisme
des romans de gare, pornographie et érotisme) que de la forme (roman
sans ponctuation, vers libre, écriture automatique). La
définition de Philippe Caron s'adapte donc à des
catégories affinées telles que le roman historique, la
littérature de science-fiction ou paralittérature, sans faire
disparaître les désaccords sur la qualification littéraire
de certains types d'oeuvres comme le roman de gare, le roman-photo ou la bande
dessinée. Il prétend que « La littérature se
définit, comme un aspect particulier de la communication verbale, orale
ou écrite. La littérature développe une exploitation des
ressources de la langue pour augmenter les effets sur le destinataire, qu'il
soit lecteur, auditeur ou interprétant.
Bien que les frontières de la littérature soient
floues et variables selon les appréciations personnelles, cependant
elles ne se caractérisent donc pas seulement, par ses supports et ses
genres, mais aussi par sa dimension esthétique. La mise en forme du
message l'emporte sur le contenu, dépassant ainsi la communication
utilitaire limitée à la transmission d'informations même
complexes.
Aujourd'hui la littérature est associée à
la civilisation des livres par lesquels nous parlent à distance les
auteurs, mais elle concerne aussi les formes diverses de l'expression orale.
Nous avons, en occurrence, le conte et aussi la poésie traditionnelle
des peuples sans écriture. Le cas échéant et celui
de la chanson qui, dans une certaine mesure, renferme une dimension
littéraire. Lethéâtre aussi est destiné à
être reçu à travers la voix et le corps des
comédiens. Il convient de faire remarquer que la technologie
numérique est en train de transformer le support traditionnel de la
littérature et sa nature.
Le concept de littérature a été
revisité plusieurs fois par différentes tendances,
différents écrivains et théoriciens. Par
conséquent, plusieurs définitions apparaissent au point de
prêter même à confusion. Prenons principalement quatre
définitions génériquesproposées par le
Dictionnaire encyclopédique des belles lettres dans sa version
revisitée de 2007 :
· ensemble des oeuvres écrites ou orales,
considérées du point de vue de la forme et de
l'expression ;
· ensemble des oeuvres écrites concernant un
domaine précis ;
· activité de l'homme de lettres;
· ce qui est décrit dans les oeuvres
littéraires, comparé à la
réalité.
Par extension, la littérature peut aussi
signifier :
· ensemble des oeuvres écrites auxquelles on
reconnaît une finalité esthétique. Ces oeuvres sont
considérées du point de vue du pays, de l'époque, du
milieu où elles s'inscrivent, du genre auquel elles appartiennent :
exemple, la littérature française du
XVIIe siècle qui renvoie à la littérature
avec une période précise ;
· ensemble des connaissances et des études qui se
rapportent aux oeuvres et à leurs auteurs : exemple,Cours de
littérature ;
· activité, métier de l'écrivain, de
l'homme de lettres ;
· Ensemble des ouvrages, des articles de journaux, etc.,
consacrés à quelqu'un, à un sujet.
J. H. Fragonard dans la,« La
lisseuse »(1769 : 311) pense à son tour que «La
littérature est d'abord, la rencontre entre celui qui, par ses mots,
représente son monde, et celui qui reçoit et partage ce
dévoilement. La littérature apparaît donc comme une
profération nécessaire, une mise en mots où se
perçoit l'exigence profonde de l'auteur qui le conduit à dire et
se redire ».
Il est évident qu'aux XVIème et XVIIème
siècles, la littérature était considérée
comme une branche de la Sociologie et comme tout autre objet social. C'est
ainsi que R. Escarpit dans son ouvrage intitulé Le
littéraire et le social (1976), pense que la société
est indéfectible à la littérature et argumente en ces
termes : « La sociologie s'occupe de la littérature
comme son objet social, c'est une prise de conscience de sa dimension sociale
ou la littérature se considère comme un phénomène
social ».(93) Il poursuit en prétendant que la
littérature s'est constituée d'abord autour du pouvoir
monarchique et ensuite son ascension arrive avec la révolution
technique et précisément avec l'avènement de l'imprimerie
qui amène le phénomène de multiplication.
R. Bernard (1999 :39) stipule que « Les
écrits qui jadis étaient des faits de la cour, deviennent
publics et à la portée de tout le monde. La première
partie du XVIIIème siècle étant dominée
par le dogmatisme et l'absolutisme, la deuxième moitié est
plutôt une époque de la raison, de la logique ou les élites
réclament une explication à tout. Ils soulèvent
plusieurs inquiétudes autour du terme
« Littérature » qui se manifeste par les questions
ci-après : la littérature est-elle enfant de la
sociologie ? La littérature est-elle une discipline autonome ?
Quel rapport existe-t-il entre texte et société ».
Toutes ces questions qui rencontrent les pensées et
préoccupations des Lumières du 18ème
siècle sont formalisées par Madame de Staël quitente de
diachroniser temporellement le parcours de la littérature et ressortir
son rôle exact.
Vers 1800, la littérature acquiert le sens
moderne et désigne les textes auxquels on accorde une qualité
esthétique indiscutable. La distinction entre littérature et
grammaire arrive un peu tard au milieu du
XIXème siècle avec le grammairien B. Jullien
dans son article tiré de la collection Que
sais-je ?où il pense que « la pointe ultime de la
haute grammaire dépasse depuis l'Antiquité, la description
des mécanismes de la langue pour aborder les critères du beau
dans l'aspect formel et stylistique des textes. La littérature qui
classe et étudie les ouvrages (présentant un
intérêt de style) va au-delà : elle prend en
charge l'étude et le questionnement sur le fond et sur le contenu des
oeuvres » (2001 :58).
I.1.1.1.2. CONCEPTION DE LA
« LITTERATURE » SELON JEAN-PAUL
SARTRE
Jean-Paul Sartre livre sa conception de la littérature
dans on essaie intitulé Qu'est-ce que la littérature
?(1948).
Cet essai est une manifestation de la conception sartrienne
de la
littérature
engagée, conception qu'il défend contre ses critiques.
Jean-Paul Sartre répond aux trois questions suivantes : Qu'est-ce
qu'écrire ?, Pourquoi écrire ?, Pour qui
écrit-on ?
A. Qu'est-ce qu'écrire ?
La première question posée par Sartre concerne
la définition de l'acte d'écrire et est formulée de la
manière suivante : « Qu'est-ce
qu'écrire ? ». L'auteur va tout d'abord esquisser une
réponse en considérant ce qu'écrire n'est pas :
écrire n'est pas peindre, écrire n'est pas composer de la
musique. En effet, contrairement au peintre ou au musicien qui se contentent de
présenter les choses et de laisser le spectateur y voir ce qu'il veut,
l'écrivain, lui, peut guider son lecteur. La chose
présentée n'est plus alors seulement chose, mais elle devient
alors signe.
Une fois que l'écriture a été
distinguée des autres formes d'art, Sartre peut passer à
l'étape suivante, c'est-à-dire à la distinction, au sein
même de l'écriture, de la prose et de la poésie, un point
capital dans sa réflexion. On peut résumer la distinction par la
formule suivante bien connue : « La prose se sert des mots, la
poésie sert les mots » . La poésie considère le
mot comme un matériau, tout comme le peintre sa couleur et le musicien
les sons. La démarche du prosateur est complètement
différente. Pour lui, les mots ne sont pas des objets, mais
désignent des objets. Le prosateur est un parleur et « parler,
c'est agir ». En effet, en parlant, on dévoile, et,
dernière étape du raisonnement, « dévoiler,
c'est changer ».
Par cette distinction entre prose et poésie, Sartre a
répondu à la question fondamentale du chapitre :
écrire, c'est révéler. Révéler, c'est faire
en sorte que personne ne puisse ignorer le monde et, dernier pas, si on
connaît le monde, on ne saurait s'en dire innocent- c'est exactement la
même situation que nous avons avec la loi, que chacun doit
connaître afin de répondre ensuite de ses actes.
Après avoir parlé du fond qui définit ce
que c'est qu'écrire, Sartre en vient à la forme. Le style,
insiste-t-il, s'ajoute au fond et ne doit jamais le précéder. Ce
sont les circonstances et le sujet que l'on désire traiter qui vont
pousser l'écrivain à chercher de nouveaux moyens d'expression,
une langue neuve, et non l'inverse.
A la fin du chapitre, Sartre revient sur l'idée
d'engagement, idée sur laquelle il avait commencé son ouvrage en
expliquant qu'on ne peut demander ni au peintre, ni au musicien de s'engager.
L'auteur conclut que l'écrivain, lui, doit s'engager tout entier dans
ses ouvrages. L'écriture doit être à la fois une
volonté et un choix. Mais alors, si l'écriture est le fruit d'une
décision, il faut à présent se demander pourquoi on
écrit. Ce sera l'objet du chapitre suivant.
B. Pourquoi écrire ?
Pour Sartre, la littérature est, comme il l'a
démontré dans son premier chapitre, un moyen de communication. Il
s'agit maintenant de savoir ce que l'on veut communiquer, ce que résume
la question posée en tête du chapitre : « Pourquoi
écrire ? ».
Sartre commence par remonter à l'origine de
l'écriture. « Un des principaux motifs de la création
artistique est certainement le besoin de nous sentir essentiels par rapport au
monde » explique l'écrivain. On peut prendre pour exemple une
situation toute simple : un homme regarde un paysage. Par ce geste, il le
« dévoile » et il s'établit une relation qui
n'existerait pas si l'homme n'était pas là. Mais l'homme est en
même temps profondément conscient du fait qu'il est inessentiel
par rapport à cette chose dévoilée. Il ne fait que la
percevoir sans prendre part au processus de création.
L'homme est aussi capable de créer. Mais alors, il va
perdre cette fonction de « révélateur ».
L'objet produit répond à des règles que lui-même a
mises en place et est par là entièrement subjectif; il sera par
exemple impossible à l'écrivain de lire ce qu'il a écrit
avec un regard extérieur. La situation est inversée par rapport
à celle que nous avions avec le paysage : le créateur
devient essentiel car sans lui, l'objet n'existerait pas, mais ce dernier est
maintenant inessentiel. Nous avons certes gagné la création, qui
n'était pas présente lors de la contemplation d'un paysage, mais
nous avons perdu la perception.
La clé du problème se trouve dans la lecture,
laquelle va réaliser la synthèse entre perception et
création. Pour que l'objet littéraire surgisse dans toute sa
puissance, il faut qu'il soit lu : « c'est l'effort
conjugué de l'auteur et du lecteur qui fera surgir cet objet concret et
imaginaire qu'est l'ouvrage de l'esprit. Il n'y a d'art que pour et par
autrui » . Dans la lecture, l'objet est essentiel car il impose ses
structures propres, tout comme le faisait le paysage, et le sujet est essentiel
car il est requis non plus seulement pour dévoiler l'objet, mais pour
que cet objet soit absolument. L'objet littéraire, précise
Sartre, n'est pas donné dans le langage, mais à travers le
langage. Il mérite, pour être parachevé, d'être lu,
d'être par làdévoilé et finalement
créé. L'activité du lecteur est créatrice. Nous
atteignons alors un cas unique : l'objet créé est
donné comme objet à son créateur et le créateur a
la jouissance de ce qu'il a créé.
Après avoir expliqué en quoi consistait
l'opération d'écriture et de lecture, qui se complètent
l'une l'autre, Sartre va maintenant s'attarder sur la relation
particulière qui se développe entre l'auteur et son lecteur. Le
premier ayant besoin du second afin que s'accomplisse ce qu'il a
commencé, tout ouvrage littéraire est défini par Sartre
comme un appel et plus particulièrement un appel à la
liberté du lecteur, afin qu'il collabore à la production de
l'ouvrage - sans lecteur, pas d'oeuvre littéraire, nous l'avons compris.
Au centre de la relation entre auteur et lecteur, Sartre a ici placé le
mot de « liberté ». Un pacte est scellé entre
l'auteur et son lecteur : chacun reconnaît la liberté de
l'autre. Le lecteur présuppose que l'écrivain a écrit en
usant de la liberté dont est investi tout être humain (sinon
l'oeuvre entrerait dans la chaîne du déterminisme et ne serait pas
intéressante), et l'auteur reconnaît à son lecteur sa
liberté, laquelle est essentielle, comme nous l'avons vu, pour le
parachèvement de l'oeuvre. Voilà pourquoi la lecture peut
être définie comme un exercice de générosité,
chacun se donnant à l'autre dans toute sa
liberté et exigeant de l'autre autant qu'il exige de lui-même. Si
l'on résume le processus, on peut dire que l'écrivain a fait un
premier mouvement qui est celui de la récupération du monde, le
donnant à voir tel qu'il est, mais cette fois comme s'il avait sa source
dans la liberté humaine et non plus dans le pur hasard des choses. Le
lecteur, lui, récupère et intériorise ce non-moi en le
transformant en impératif que l'on peut résumer ainsi :
« Le monde est ma tâche ». C'est ce processus
d'intériorisation qui va provoquer chez le lecteur ce que Sartre appelle
« une joie esthétique ». C'est
précisément lorsque cette joie paraît que l'oeuvre
s'accomplit. Chacun est gagnant et récompensé pour sa peine.
Mais on ne saurait s'arrêter là. Ce
« dévoilement - création » doit
également être un engagement, tout d'abord imaginaire, dans
l'action. Et Sartre critique le réalisme dont la posture est celle de la
contemplation - ce mot s'opposant clairement à l'action. Si
l'écrivain, en nommant l'injustice, la crée aussi en quelque
sorte, il doit vouloir en même temps la dépasser et il invite son
lecteur à effectuer la même démarche. D'un
côté l'écrivain, de l'autre le lecteur : nous
voilà en présence des deux responsables de l'univers.
Après l'évocation de la responsabilité,
Sartre revient à la fin de son chapitre sur son idée centrale,
celle de la liberté. « L'écrivain, homme libre
s'adressant à des hommes libres, n'a qu'un seul sujet : la
liberté » affirme-t-il. Par-là, il montre qu'il a
répondu à la question « Pourquoi
écrire ? » en proclamant que l'art de l'écriture
est profondément lié à la liberté et par
conséquent, s'aventurant sur le champ politique, à la
démocratie. « Ecrire, insiste Sartre, c'est une certaine
façon de vouloir la liberté ; si vous avez commencé,
de gré ou de force vous êtes engagé » . Le mot
est lâché : engagé. La question est maintenant de
connaître son public afin de savoir où et comment s'engager.
D'où la question du chapitre suivant : pour qui
écrit-on ?
C. Pour qui écrit-on ?
Le troisième chapitre va développer la relation
fondamentale que constitue celle de l'écrivain et de son public, mais
cette fois sous une perspective historique.
Sartre esquisse une première réponse à la
question posée en tête du chapitre : « À
première vue, cela ne fait pas de doute : on écrit pour le
lecteur universel ; et nous avons vu, en effet, que l'exigence de
l'écrivain s'adresse en principe à tous les hommes ».
Toutefois, une restriction est immédiatement introduite. Certes,
l'écrivain a souvent pour ambition d'atteindre par l'écriture une
sorte d'immortalité car il aurait transcendé le moment historique
dans lequel il vit en s'élevant à un niveau plus
élevé. Cependant, insiste Sartre, l'écrivain se doit
d'abord de parler à ses contemporains et à ceux qui vivent dans
la même culture que lui. Il y a en effet entre eux une complicité
et des valeurs partagées qui permettent une communication tout à
fait particulière.
C'est un contact historique, en tant qu'il fait partie de
l'histoire et qu'il est inscrit dans l'histoire. L'écrivain joue alors
un rôle de médiateur. Non seulement il est homme, mais en plus, il
est écrivain, une position qu'il a choisie - alors qu'on ne choisit pas
d'être juif, par exemple. La liberté, terme clé encore une
fois, est à l'origine du geste. Mais une fois ce choix fait, la
société va investir sur l'écrivain et lui poser des
frontières, des exigences.
D'où l'intérêt de la question de la
relation entre l'écrivain et son public. Sartre prend pour point de
départ un exemple, celui de Richard Wright, écrivain noir des
États-Unis qui avait pour ambition de défendre les droits de ses
compatriotes opprimés. Deux points sont particulièrement
intéressants. Wright s'adressait certes en premier lieu aux noirs
cultivés, mais, à travers eux, il s'adressait en fait à
tous les hommes. C'est bien en s'inscrivant dans l'histoire que
l'écrivain va parvenir à faire ce saut tant désiré
dans l'infini. Le deuxième point à relever chez Wright concerne
la déchirure qui caractérisait son public : les noirs d'un
côté, les blancs de l'autre. Ainsi, de chaque mot se dégage
un double sens : il renverra à certains concepts pour le Noir,
à d'autres pour le Blanc.
A partir de cet exemple, Sartre va développer sa
réflexion sur les relations entre l'écrivain et son public. Comme
nous l'avons déjà vu, l'écrivain dévoile la
société et celle-ci, se voyant et surtout se voyant vue, est
placée devant un choix impératif : s'assumer ou bien
changer. Voilà pourquoi on peut dire que l'écrivain a une
fonction de parasite : il va à l'encontre de ceux qui le font vivre
en attirant leur attention sur des situations face auxquelles ils
préféreraient fermer les yeux. Ce conflit, à la base de la
position de l'écrivain, peut être exprimé de la
manière suivante : nous avons d'une part les forces conservatrices,
ou public réel de l'écrivain, et les forces progressistes, ou
public virtuel. La distinction entre public réel et public virtuel
étant posée, Sartre va pouvoir esquisser une brève
histoire des relations entre ces deux forces.
Notre auteur commence par le Moyen-Age. À cette
époque, seuls les clercs savaient lire et écrire. Ces deux
activités étaient considérées comme des techniques,
tout comme celles de n'importe quel artisan. Le public de l'écrivain -
si on ose l'appeler ainsi - est terriblement restreint : les clercs
écrivent pour les clercs. Le but n'est pas de changer, mais de maintenir
l'ordre.
Le XVIIe siècle voit intervenir la
laïcisation de l'écrivain, ce qui ne signifie pas, souligne Sartre,
universalisation, puisque le public reste très limité. Celui-ci
est actif : on lit parce qu'on sait écrire et on juge selon une
table de valeurs précises. On a toujours une idéologie religieuse
dominante, gardée par les clercs, laquelle s'est doublée d'une
idéologie politique qui a aussi, comme Sartre les appelle, ses
« chiens de garde ». Une troisième catégorie
se dégage pourtant, les écrivains qui acceptent ces
données religieuses et politiques parce qu'elles font partie du
contexte, sans que l'on puisse dire qu'ils y soient complètement
à leur service.
Naturellement, ils ne se posent pas de questions sur leur
mission, celle-ci est déjà tracée - contrairement à
l'écrivain d'aujourd'hui, sur lequel on reviendra plus tard. Ce sont des
classiques, c'est-à-dire qu'ils évoluent dans un monde stable
où il ne s'agit pas de découvrir, mais de mettre en forme ce que
l'on sait déjà. La société, ou plutôt
devrait-on dire l'élite, car il n'y a qu'elle qui lit, demande qu'on lui
reflète non pas ce qu'elle est, mais ce qu'elle croit être. L'art
doit être moralisateur. Sartre souligne toutefois que l'on peut
déjà détecter un pouvoir libérateur dans l'oeuvre
puisque celle-ci doit avoir pour effet, à l'intérieur de la
classe, de libérer l'homme de ses passions.
Le XVIIIe siècle marque un tournant dans
l'histoire. Pour la première fois, l'écrivain va refuser
l'idéologie des classes dirigeantes. Il faut dire que cette
idéologie chancelle. La bourgeoisie montante, qui revendique ses propres
valeurs, commence à faire dangereusement concurrence. Or, cette
bourgeoisie, pour accomplir sa révolution, a besoin de l'écrivain
pour prendre conscience d'elle-même. En cette époque
troublée, la conscience de l'écrivain, tout comme son public, est
déchirée : on lui a appris qu'il lui fallait être
reconnu par les grands de ce monde, les monarques, et il les voit en pleine
décadence. Mais c'est justement grâce à ce conflit que
l'écrivain va alors prendre conscience de sa position
particulière au sein de la société et va s'identifier
à l'Esprit, c'est-à-dire au pouvoir permanent de former et de
critiquer des idées.
L'écrivain et la bourgeoisie sont alors alliés
pour revendiquer la liberté. Il est alors évident que la
littérature fait acte (libérateur) : Sartre s'indigne qu'il
faille aujourd'hui à
Blaise Cendrars
prouver qu'un roman peut être aussi un acte". L'appel lancé par
l'écrivain à la bourgeoisie est un appel à la
révolte. Son public est à nouveau double comme pour Richard
Wright : d'une part il "témoigne" face à la noblesse,
d'autre part il "invite ses frères roturiers à prendre conscience
d'eux-mêmes".
Malheureusement, cette situation favorable ne va pas durer
longtemps. Une fois que la bourgeoisie a atteint ses objectifs, elle veut qu'on
l'aide à construire son idéologie, exactement comme le
réclamait autrefois la noblesse. Comme au XVIIe
siècle, la littérature est à nouveau réduite
à la psychologie. On ne croit pas, ou plus, à la liberté.
C'est le déterminisme qui prend le pas sur celle-ci. Mais
l'écrivain n'accepte pas si facilement de retrouver sa situation servile
d'antan. C'est alors dans ces années-là, après 1850, qu'un
public virtuel commence à se dessiner. La littérature se veut
abstraite et refuse de s'historiciser, d'appartenir à une classe.
Pourtant, ironise Sartre, dans les faits, le seul public de l'écrivain,
c'est cette bourgeoisie qu'il se plait tant à critiquer. S'il avait
été conséquent avec lui-même, l'écrivain
aurait alors pu commencer à s'intéresser au prolétariat,
mais il refuse ce qu'il ressent comme un déclassement.
La deuxième partie du XIXe siècle
voit s'imposer une idéologie littéraire qui est celle de la
destruction. Tout est à jeter à terre, y compris sa propre vie -
on connaît l'usage que font les poètes de l'alcool et de la
drogue.... On dit trouver la perfection dans l'inutile, on refuse de moraliser
et on aspire à une création absolue.
Cette période de destruction va culminer avec
l'avènement du mouvement surréaliste. Après avoir tout
contesté, il ne restait à la littérature qu'à se
contester elle-même et c'est bien ce qu'entreprennent les
surréalistes qui se placent dans la Négation absolue, au-dessus
de toutes les responsabilités et échappant par là au
jugement. Voilà de quoi s'accommode très bien la bourgeoisie. Si
la littérature est gratuite, c'est qu'elle est inoffensive. De plus, la
bourgeoisie sait bien que l'écrivain a besoin d'elle, ne serait-ce que
pour se nourrir et pour avoir quelque chose à détruire.
La littérature est alors à une période de
son existence où elle est aliénée, c'est-à-dire
qu'elle n'est pas parvenue à sa propre autonomie et qu'elle reste moyen
et non fin, et est également abstraite, parce qu'elle tient le sujet de
l'oeuvre comme indifférent. Si l'on retrace en quelques mots son
parcours, on peut dire que la littérature était
déjà aliénée et abstraite au XIIe
siècle, lorsque les clercs écrivaient pour les clercs. La
littérature est devenue ensuite concrète et
aliénée, s'est libérée par la
négativité mais est retombée dans l'abstraction pour
devenir négativité abstraite puis enfin négativité
absolue. La littérature a donc tranché tous ses liens avec la
société.
Sartre résume en trois points la situation actuelle de
l'écrivain :
1. Il est dégoûté du signe,
préfère le désordre à la composition et par
conséquent la poésie à la prose ;
2. Il considère la littérature comme une
expression parmi d'autres dans la vie et n'est pas prêt à
sacrifier sa vie à la littérature ;
3. Il est traversé par une crise de conscience morale
car il n'arrive plus à cerner son rôle.
Que doit faire l'écrivain maintenant, afin de
créer une situation d'équilibre dans laquelle le lecteur et
l'auteur seraient chacun à leur place ? La réponse est
claire : l'écrivain doit s'ancrer dans l'histoire, ce qui ne veut
pas dire qu'il renonce à la survie. C'est en effet en agissant qu'il
survivra.
Sartre trace le portrait d'une société
idéale, qui serait une société sans classe où le
public virtuel correspondrait pleinement au public réel.
L'écrivain pourrait ainsi parler à tous ses contemporains,
exprimer leurs joies et leurs colères. La littérature
renfermerait la totalité de la condition humaine et deviendrait
anthropologique.
La littérature pourrait alors s'accomplir dans cette
société qui serait en révolution permanente et qui
donnerait aux gens la possibilité de changer perpétuellement. La
littérature serait Fête et générosité. Cette
utopie, car c'en est une, Sartre l'admet, permet de voir la littérature
réalisée dans toute sa pureté.
L'utopie est utile pour l'exemple, certes, mais elle a ses
limites puisqu'elle ne représente aucunement ce qui se passe dans les
années où Sartre écrit. Après avoir traité
de la littérature de manière plutôt générale,
Sartre se doit maintenant de devenir plus concret en s'attachant à
décrire la situation présente de l'écrivain en 1947.
Sartre, toujours intéressé par l'histoire, tient
à faire comprendre la situation actuelle en regardant un peu en
arrière et notamment en distinguant les trois dernières
générations d'écrivains français - car c'est
à eux qu'il s'intéresse - qui se sont succédé
depuis le début du siècle.
La première génération est
composée d'auteurs qui ont commencé à produire avant la
guerre de 1914 et qui ont achevé leur carrière aujourd'hui. Ce
sont les premiers qui ont tenté une réconciliation entre la
littérature et le public bourgeois. Eux-mêmes étaient
bourgeois et ne tiraient pas leurs revenus de la littérature, mais
plutôt de leurs biens (terres, commerce...). Ces écrivains
étaient des hommes du monde, ils avaient des obligations
professionnelles, des obligations envers l'état, ils participaient
à la société en consommant et en produisant.
La deuxième génération est celle qui
commence à publier après 1918. C'est l'âge du
surréalisme, comme on l'a déjà dit. Le mouvement est
accompli en deux temps : l'objectivité est d'abord détruite,
puisque la réalité est disqualifiée, mais ensuite la
subjectivité va être anéantie à son tour, notamment
par la technique de l'écriture automatique, pour atteindre une sorte
d'objectivité mystérieuse.
Sartre tient à souligner que la destruction reste
complètement virtuelle. Lorsque les surréalistes se rallient aux
communistes, lesquels prônent également une idéologie de la
destruction, ils ne voient pas que pour les communistes, il s'agit d'un moyen
pour la prise du pouvoir, alors que pour les membres du mouvement
littéraire, la destruction est une fin en soi et le prolétariat
n'a pas de sens à leurs yeux, puisqu'ils aspirent à sauter hors
de la condition humaine.
On en vient maintenant à la troisième
génération, « la nôtre » dit Sartre.
L'auteur tient à montrer dans quel contexte historique celle-ci est
arrivée à l'âge d'homme. Le tournant s'est fait dans les
années 1930 lorsque les hommes, soudainement, ont pris conscience de
leur historicité. Quand la menace de la guerre est bien réelle et
promet des années terribles, les hommes se rendent compte de
l'importance du monde matériel. Les écrivains ne peuvent plus se
permettre d'écrire à des âmes vacantes qui s'amusent de
jeux littéraires abstraits, il faut maintenant parler de ce qui attend
les hommes de cette époque, la guerre et la mort. Le mal prend ses
allures les plus concrètes, par exemple avec la pratique de la
torture.
Sartre s'attarde sur l'expérience des hommes
français pendant la guerre et notamment pendant l'occupation allemande.
Sous la torture (une menace permanente pour le résistant de ces
années-là), l'homme est mis face à un dilemme : soit
il se tait, et alors il est un héros, soit il parle, et alors il est un
lâche. C'est lorsque le résistant choisit le premier extrême
que l'homme naît en lui. Comment parler de cette expérience ?
Il faut créer une nouvelle littérature qui réconcilie
l'absolu métaphysique et la relativité du fait historique. Ou
bien, autrement dit, la littérature doit se poser la question
suivante : comment peut-on se faire homme dans, par, et pour
l'histoire ? L'homme a perdu ses points de repère. Celui qui lutte
dans la résistance ne sait pas ce qui l'attend le lendemain, il est dans
le doute, dans l'attente, dans l'inachevé. Voilà ce qui va
pousser les hommes à écrire une littérature de situation
qui rende compte de l'inquiétude du présent.
La fin de la Deuxième Guerre mondiale ne ressemble pas
à celle de 1918 qui s'était terminée dans un esprit festif
après la victoire et qui voyait sous ses yeux une fantastique reprise
économique. En 1945, la littérature a décidé de
refuser de lier son destin à la société de consommation,
dont l'équilibre est trop précaire. Avec la guerre, l'homme a
appris qu'écrire, c'est « exercer un métier, un
métier qui exige un apprentissage, un travail soutenu, de la conscience
professionnelle et le sens des responsabilités » . Si la
guerre de 14 avait provoqué une crise du langage, la guerre de 1940 le
revalorise. Lorsque chaque mot peut coûter une vie, explique Sartre, on
les économise, on va au plus pressé. Le langage retrouve une
fonction utilitaire.
Après le tracé historique, Sartre tente de
cerner la situation de l'écrivain au sortir d'une guerre qui laisse
comme conséquence un monde déchiré entre capitalisme et
communisme : jamais l'homme n'a été aussi conscient du fait
qu'il faisait l'histoire et paradoxalement, jamais il ne s'est senti aussi
impuissant devant l'histoire. Pour répondre à ce paradoxe, il
faut s'interroger sur l'interaction entre être et faire.
« Est-ce qu'on fait ? se demande Sartre, est-ce qu'on se
fait ? ». Ces questions tourmentent l'écrivain comme le
lecteur. La réponse de notre auteur est que le faire est
révélateur de l'être. L'écrivain ne va plus donner
à voir le monde, comme les impressionnistes le faisaient, par exemple,
mais à le changer. C'est par là qu'on accédera à la
connaissance la plus intime de notre monde. Autrement dit : abandonnons la
littérature de l'exis, définie comme état passif de la
contemplation, pour celle de la praxis, définie comme action dans
l'histoire et sur l'histoire. Toutefois, à long terme, il faut viser une
synthèse entre praxis et exis, entre négativité et
construction afin d'atteindre la littérature totale.
Après avoir expliqué ce que doit être
l'écriture aujourd'hui, il faut maintenant voir plus
précisément à qui l'on s'adresse. « Au moment
même où nous découvrons l'importance de la praxis, au
moment où nous entrevoyons ce que pourrait être une
littérature totale, notre public s'effondre et disparaît, nous ne
savons plus, à la lettre, pour qui écrire » explique
Sartre. Le public n'est plus celui d'autrefois, il peut s'élargir et,
étonnamment, les écrivains sont aujourd'hui plus connus qu'ils ne
sont lus, cela notamment en raison des nouveaux moyens de communication, les
mass media que sont la radio et le cinéma.
Si l'on s'attache à décrire la situation
concrète, on voit que l'écrivain a face à lui une
bourgeoisie en pleine décadence. Ses valeurs de travail et de
propriété se sont effondrées et elle est entrée
dans ce que Sartre appelle « la conscience malheureuse ».
Ce sont eux, pourtant, qui aujourd'hui forment le principal, si ce n'est le
seul public de l'écrivain. Mais que peut faire l'écrivain pour
cette classe, si ce n'est refléter cette « conscience
malheureuse » ? Il doit plutôt profiter du pouvoir
d'élargissement de son public qui lui est proposé. L'ouvrier de
1947, souligne Sartre, n'est pas celui d'il y a un siècle en
arrière, il lit les journaux et écoute la radio. Il est donc
possible pour l'écrivain de l'atteindre, de lui parler, de
refléter ses colères et ses revendications. Sartre apporte encore
une précision importante en soulignant que l'écrivain ne doit pas
offrir ses services au parti communiste. Son oeuvre risquerait de devenir moyen
et non plus fin et d'entrer ainsi dans une chaîne où ses principes
lui viendraient de l'extérieur.
I.1.1.1.3. LA LITTERATURE SELON ROLAND BARTHES
Les écrits de Roland Barthes font partie des
référents habituels quand on veut définir le concept
« littérature ». Son premier souci, c'est, en effet,
le texte littéraire ; l'opposé des écrits culturels que
lisent la plupart des gens qui fréquentent des romans, cette
littérature de masse que Barthes range dans la catégorie des
textes "poisseux".
Ce qui peut nous questionner, c'est la façon
particulière qu'a Barthes d'aborder le rapport
lecture/littérature. Nous savons que la société et ses
institutions, notamment l'école, entretiennent la confusion entre
lecture et littérature au détriment des écrits sociaux ;
que, dès le primaire, la pratique de la lecture et son évaluation
sont trop souvent l'évaluation de la familiarité de
l'élève avec l'écrit littéraire, donc la mise en
oeuvre d'un processus inavoué de sélection autour de pratiques
culturelles « légitimes » et excluantes.
De même, avec les manuels, l'école secondaire
continue d'éliminer les « vrais textes » sociaux
pour leur substituer des extraits, voire de « faux textes »
pseudo-littéraires qui n'existent qu'à l'école.
Or, le lecteur d'aujourd'hui est obligé de
développer des stratégies multiformes adaptées à la
diversité des textes qu'il interroge ou rencontre.La lecture du texte
littéraire n'est certes pas la lecture, mais une certaine lecture d'un
certain type d'écrit, et le lecteur de romans met en jeu des
stratégies et (peut-être surtout) des attitudes face à
l'écrit très différentes de celles qui conviennent, par
exemple, à la lecture d'écrits utilitaires.
C'est de la rencontre entre le lecteur et son texte que
Barthes nous entretient. C'est là qu'il nous intéresse en
renversant l'ordre établi dans l'approche de l'écrit
littéraire.
C'est d'abord un renversement de l'opposition statique entre
"forme" et « contenu » au profit d'une dynamique où
la structuration du récit, elle-même productrice de sens, agit sur
le sens dénoté du texte par le jeu des connotations. Ce sont ces
connotations du sens, dans le récit, qui permettent une « lecture
plurielle, polysémique », donc variable selon les lecteurs.
Ensuite, et cela me paraît le plus important, Barthes
opère un renversement de l'ordre hiérarchique lecteur-auteur au
profit du lecteur, détenteur du véritable pouvoir sur le texte :
Mais l'aptitude à construire le sens ou, mieux, les sens, n'est-elle pas
une aptitude de lecteur indissolublement liée à la
capacité de parcourir l'espace texte avec le maximum de libre arbitre ?
Cette possibilité est interdite au déchiffreur prisonnier d'une
subvocalisation attentatoire à la perception du sens. Il est mis dans
l'incapacité de vivre le champ des possibles offert par la langue.
Le déchiffreur est d'abord coincé par la lenteur
et la rigidité de son entreprise d'oralisation. Mais il est tout autant
la victime d'un statut d'infériorisation sociale qui lui enjoint de
répondre à la sempiternelle question : « Que dit, qu'a
dit, que veut dire l'auteur ? »
Comme si le système scolaire s'était
évertué, de Bled à Lagarde et Michard, à
réduire au maximum ces potentialités de l'apprenti lecteur
à créer, imaginer, fantasmer lors de sa rencontre avec le texte
littéraire. Devenir lecteur, c'est donc aussi accéder à
une pluralité du sens qui ne peut pas s'accommoder de la domination
symbolique de l'auteur sur le lecteur.
I.1.1.1.4. QUE RETENIR ?
A la fin de ce survol, nous pouvons retenir, à la suite
de Maurice AmuriMpala-Lutebele1(*), que la littérature est la transformation
du fait social en fait littéraire. Cette définition courte
et claire résumé une conception de la littérature prenant
en compte la trilogie écrivain-texte-lecteur. La prise en compte de
cette trilogie débouche sur les prescriptions suivantes
résumées par Sartre dans son essaie susmentionné :
1. D'abord recenser les lecteurs virtuels,
c'est-à-dire les catégories sociales qui ne nous lisent pas mais
qui peuvent lire.
2. Après avoir cerné un public possible, il faut
se demander comment faire de lui des lecteurs en puissance, c'est-à-dire
de vrais lecteurs, caractérisés par leur liberté, et qui
s'engageraient comme l'écrivain le fait. Le but serait d'arriver
à un point où le public ait besoin de lire et où
l'écrivain serait alors indispensable. « Alors
l'écrivain se lancera dans l'inconnu » : il va parler à
des gens à qui il n'a jamais parlé et refléter leur
souci ;
3. Une fois que l'écrivain aura regagné un
public, c'est-à-dire une unité organique de lecteurs, d'auditeurs
et de spectateurs, il faut passer à l'étape suivante,
c'est-à-dire à celle de transformation des hommes et du monde.
Les lecteurs ont aujourd'hui une connaissance de l'être humain comme
exemplaires singuliers de l'humanité, ils doivent accéder
à un « pressentiment de leur présence charnelle au
milieu de ce monde-ci ». Les lecteurs ont ce que l'on peut appeler
une bonne volonté abstraite, ils doivent la concrétiser afin que
celle-ci s'historialise et se transforme en revendications
matérielles.
Le public est double : le premier épuise sa bonne
volonté dans des rapports de personne à personne sans
visée globale ; le deuxième, parce qu'il appartient aux
classes opprimées, tente d'obtenir par tous les moyens une
amélioration matérielle de son sort. L'enseignement n'est pas le
même pour les deux : aux premiers, il faut apprendre que le
règne des fins ne peut se réaliser sans Révolution et aux
autres que la révolution n'est concevable que si elle prépare le
règne des fins.
C'est à partir de cette tension que se réalisera
l'unité du public. Car si la bourgeoisie ne se préoccupe pas du
prolétariat, l'écrivain, lui, est pleinement conscient de son
appartenance à la condition humaine et donc à ces deux groupes.
Certes, l'écrivain pourrait tendre à une littérature pure,
mais alors, il s'éloignerait du prolétariat et reviendrait
à une littérature entièrement bourgeoise. Inversement, il
pourrait également renier ses valeurs bourgeoises, mais alors son projet
d'écrire serait entièrement discrédité. Il n'a
d'autre choix que de surmonter l'opposition et la littérature dit que
c'est possible, puisque la littérature est liberté totale, une
liberté qui doit se manifester chaque jour.
Après avoir indiqué la route à suivre
pour tout écrivain de son époque, Sartre précise encore
les deux aspects sous lesquels doit se présenter un ouvrage
littéraire : celui de la négativité et celui de la
construction. La négativité, tout d'abord, implique une analyse
approfondie de chaque notion afin de distinguer ce qui lui revient en propre et
ce qui a été ajouté par l'oppresseur. Dans ce domaine,
c'est surtout un travail sur le langage qu'il faut entreprendre. « La
fonction de l'écrivain est d'appeler un chat un chat. Si les mots sont
malades, c'est à nous de les guérir » . C'est une
opération critique qui demande l'engagement de l'homme tout entier.
Cependant, la critique ne suffit pas. On ne se bat plus contre une seule
idéologie, comme c'était le cas en 1750, mais on est pris entre
de multiples idéologies.
Voilà pourquoi il faut ajouter l'idée de la
construction, ce qui ne veut pas dire, précise Sartre, qu'il faille
créer une nouvelle idéologie. En effet, à chaque
époque, c'est la littérature tout entière qui est
l'idéologie et cela parce qu'elle constitue la totalité
synthétique et souvent contradictoire de tout ce que l'époque a
pu produire. Le temps n'est plus à la narration ou à
l'explication, mais à une perception qui soit en même temps action
puisqu'elle révèle aux gens ce qu'est le monde et le pousse
à le changer, comme nous l'avons vu au premier chapitre :
« L'homme est à inventer chaque jour ».
En résumé, nous dit Sartre, la
littérature d'aujourd'hui doit être problématique et morale
- morale, souligne notre auteur, non pas moralisatrice. La littérature
doit montrer que l'homme est valeur et que les questions qu'il se pose sont
toujours morales. Et Sartre de conclure : « Bien sûr, le
monde peut se passer de la littérature. Mais il peut se passer de
l'homme encore mieux ».
En somme, il se construit volontairement ou non, directement
ou non, consciemment ou non une relation entre un écrivain et son
lecteur via le texte. Une fois que l'écrivain appris conscience de son
rôle et du rapport le liant au lecteur, ses stratégies narratives
ne sont plus le fait du hasard et les attentes légitimes du public
découlant de ce rapport peuvent alors s'appréhender comme le
pathos d'un groupe hétérogène criant à
l'écrivain :
· Consolez-moi;
· Amusez-moi;
· Attristez-moi;
· Attendrissez-moi;
· Faites-moi rêver;
· Faites-moi rire;
· Faites-moi frémir;
· Faites-moi pleurer;
· Faites-moi penser.
Seuls, quelques esprits d'élite demandent à
l'artiste: Faites-moi quelque chose de beau, dans la forme qui vous conviendra
le mieux, suivant votre tempérament. L'artiste essaie, réussit ou
échoue. GuyDe Maupassant sous son pseudonyme de
Chaudrons-du-diable, qu'il utilisa pour signer en 1880 la chronique Etretat
dans la revue Gil Blas, évoque les différentes
revendications du lecteur mais surtout, le pacte implicite tissé entre
ce dernier et l'écrivain: « Quelle fonction l'un et
l'autre attribuent-ils à l'oeuvre ?Quels sont les enjeux de
l'écriture, mais aussi de la lecture ? Se demander si
« la littérature a pour rôle de faire
réfléchir le lecteur sur les problèmes moraux, politiques
ou sociaux ,c'est s'interroger sur la fonction de la littérature,
c'est considérer non seulement les objectifs de l'écrivain mais
encore la place du lecteur » (1880 : 98).
I.1.1.2. Les fonctions sociales de la
littérature
Fonction est un mot féminin que l'on
retrouve dans plusieurs domaines.En
mathématiques,
une
fonction relie
deux grandeurs (a priori numériques) de telle façon
que la connaissance de la première permet de déterminer la
deuxième. En
chimie
organique, une
fonction (aussi
appelée
groupe
fonctionnel) est un groupe d'
atomes liés, ayant
des propriétés particulières au sein d'une
molécule. Une
fonction chimique est l'ensemble des propriétés communes à
une catégorie des substances chimiques. Il existe en Chimie plusieurs
catégories de fonctions, mais nous pouvons citer :
- La fonction Acide : HR = H hydrogène et R
radical
Exemple : H2S04 ou
H2S03
HCL0 ou
HCL04
- La fonction Base : M0H= M métal et 0H Radical
Hydroxyde
Na0H= Cu(cH)
Cu(0H)= K0h
- La fonction Sel = Acide +Base Hcl+Na0H qui implique que
Nacl+H20
Exemple : Nacl(1)
Ca S04
En
informatique,
une
fonction est
une portion de code qui effectue une tâche ou un calcul relativement
indépendant du reste du programme. En programmation impérative,
une fonction comporte une séquence d'instructions réalisant un
calcul ou une tâche. En programmation fonctionnelle, la fonction est
l'artifice qui permet de découper le problème global en
élément plus simples. Le terme de routine est aussi
utilisé pour les fonctions de bas niveau des systèmes
d'exploitation. Une fonction informatique comporte : un nom, des
paramètres explicites et implicites.
Exemple : Int max (int a, int b)
Return a >b = b : a
Comme tout texte littéraire est appelé à
jouer un rôle donné dans la société et c'est en
cela, exactement que réside la notion des fonctions de la
littérature. Greimas parle, Sémantique
structurale (1966) de la littérature et de ses effets qu'il
nomme « fonctions ». Alphonse MbuyambaKakonlongo(2001) axe
ses réflexions autour de l'interrogation suivante : l'écrivain
a-t-il un rôle déterminé dans la société ? En
guise de réponse, l'auteur pense que le « rôle existe et peut
se résumer en quatre points : En premier lieu, les écrivains
tiennent lieu de mémoire collective. Ils constituent cette
bibliothèque de la culture qui conserve le patrimoine commun. Le second
point, c'est que l'écrivain assure des fonctions de Virgile. Pour
éviter les écoutas et les abus, il observe la
société et indique dans quel sens il faut améliorer telle
ou telle chose. Troisième point : l'écrivain est le miroir de la
société. C'est par lui que celle-ci se regarde. Enfin,
l'écrivain est un voyageur d'avenir. Il perçoit le sens dans
lequel la société va évoluer. Nous retenons que
l'écrivain est un miroir social en ce sens qu'il doit poser les
problèmes de la société et amener les gens à
prendre leurs responsabilités, pour résoudre un problème
».
Il est, en sa qualité de Virgile, une sorte d'alerte
constante des consciences, alerte de tout ce qui doit tiquer et que les gens ne
remarquent pas. Alphonse MbuyambaKankolongo(2008). poursuit en qualifiant
l'écrivain africain de mobilisateur de conscience. En effet, «
l'écrivain africain doit être un mobilisateur de
conscience ». Quant à ses sources d'inspiration, cela peut
aller d'un événement particulier, la vie courante, les
problèmes politiques, les préoccupations personnelles.
L'écrivain est un réceptacle et pour cette raison, il devrait
pouvoir travailler comme un filtre de différentes réalités
sociales dans un langage propre à la littérature. En principe,
tout doit pouvoir frapper l'écrivain. Le plus important et il faut y
insister, c'est la manière propre aux écrivains de dire les
choses. L'inspiration des écrivains africains doit être
prioritairement et éminemment social. C'est pourquoi Alphonse
MbuyambaKankolongopense que, aujourd'hui, la littérature apparaît
comme un recueil de contestation »
De ce qui précède, nous pouvons retenir trois
rôles majeurs de l'écrivain qui sont :
· l'écrivain comme gardien de la
tradition ;
· l'écrivain comme guide du peuple ;
· l'écrivain comme transformateur de la
société.
L'écrivain est une mémoire vive qui garde les
souvenirs et les grands événements qui ont marqué une
société. Par les écrits, chaque écrivain tente de
conserver les valeurs du passé en vue d'orienter la
société pour les jours à venir. Benoît Peeters,
auteur de Valéry, une vie d'écrivain, reprend les propos de P.
Valery s'adressant à Bossuet en ces termes : « cher maitre, tes
écrits ont incarné la tradition française, les valeurs et
mérites du passé » (1957, 11).
L'écrivain oriente sa population par les écrits
et devient un panneau de signalisation pour avertir la population devant les
embuches et les dangers qui guettent la population. Ici l'écrivain est
une référence qui oriente la population. L'écrivain est un
visionnaire qui sait lire l'avenir, qui sait comprendre le mystère du
monde. L'artiste crée ainsi le lien entre le réel et quelque
chose d'imperceptible au commun des mortels, que seul lui peut comprendre et
transmettre à travers ses oeuvres.
L'écrivain possède un pouvoir très fort
au point qu'il est capable d'apporter des transformations dans la
société. Etant donné que toute oeuvre est destinée
à sa société, elle apporte impérativement une
solution à un problème de société. Le texte est
à la fois fait social et construction.
R. Escarpit, dans La Révolution du livre dit
que « la phase de construction doit nécessairement être
prise en compte dans l'interprétation du fait social transformé
en texte littéraire»(1976, 111).
Pour P. Valery, « L'écrivain est le symbole de la
nation, il est le miroir de la société. Il n'est pas
encadré comme un médecin ou un ingénieur, mais il
naît avec ce don. Les sociétés savantes sont celles qui
savent le découvrir dès sa plus tendre enfance. Elles l'assistent
jusqu'à ce qu'il devienne écrivain et qu'il relève leurs
gloires. Il y a lieu de mesurer aussi la grandeur d'un peuple en fonction du
nombre d'écrivains et de la place qu'ils se taillent dans la
société » (1933 :312).
L'écrivain devient artiste par le fait qu'il attribue
au texte une dimension artistique teintée de son
ingéniosité. Grâce à ses oeuvres, l'artiste-
écrivain conserve pour les générations futures tout ce qui
a marqué son histoire et son passé, pour ainsi permettre le bon
déroulement du futur. Grâce à la composition d'une oeuvre,
l'artiste peut espérer des changements de la société et
des mentalités qui l'entourent. L'artiste a, en effet, le talent
d'émouvoir celui qui l'écoute facilement grâce à des
procédés de langues.
L. Goldman, fait la mise au point
suivante :« La littérature se définit en effet
comme un aspect particulier de la communication verbale orale ou écrite
qui met en jeu une exploitation des ressources de la langue pour multiplier les
effets sur le destinataire, qu'il soit lecteur ou auditeur. La
littérature dont les frontières sont nécessairement floues
et variables selon les appréciations personnelles se caractérise
donc, non par ses supports et ses genres, mais par ses fonctions
esthétiques : la mise en forme du message l'emporte sur le contenu,
dépassant ainsi la communication utilitaire limitée à la
transmission d'informations même complexes. » (1964 :21).
Evoquons à ce sujet MauriceAmuriMpala-Lutebele qui dit
que : « La littérature est langage, porteuse de
l'imaginaire collectif d'un groupe social. Aussi est-elle appelée
à engendrer des mutations sociales. Elle donc une fonction sociale
à remplir » (2005). Pour insister sur le rôle
prépondérant de la littérature dans la
société,MauriceAmuriMpala-Lutebele évoque dans le
même article Paul Ricoeur en reprenant les propos ci-après :
« C'est par la lecture que le texte se fait oeuvre, s'accomplit, sort
de la virtualité pour devenir chez son lecteur source d'action(...)la
littérature est reçue quand elle engendre des mutations
sociales ». Nous pouvons donc dire que la littérature remplit
forcement une fonction sociale.
En faisant un parcours synthétique des travaux
consacrés aux fonctions de la littérature, il ressort plusieurs
fonctions. Parmi celles-ci, nous pouvons citer la fonction ludique
(divertissement et de détente), la fonction pédagogique,
la fonction politique ou idéologique, la fonction
initiatique, et pour terminer, la fonction fantasmatique. Toutes
ces fonctions proviennent soit de l'objectif de l'écrivain qui prend la
parole pour répondre à un problème précis
posé dans la société soit aux attentes changeantes du
lecteur qui veut que le texte rencontre ses phantasmes, ses désirs et
ses aspirations. Le texte étant au centre d'un mariage entre
l'écrivain et le lecteur, il est porteur ou instigateur des fonctions
sociales de la littérature qui répond plus ou moins au
schéma ci-après :
Thèmes
Fonctions
Fonction ludique
Amusement
Fonction pédagogique
Enseignement
Fonction idéologique
Politique
Fonction initiatique
Texte
Initiation
Fonction fantasmatique
Rêve
Fonction esthétique
Esthétique
Fonction critique
Critique/jugement
Fonction magico-religieuse
Croyance/spiritualité
A. La fonction ludique
Du latin Ludusqui signifie jeu, le
ludisme renvoie au comportement d'une personne qui cherche à jouer
dans toutes les circonstances. La fonction ludique en littérature peut
alors designer, le ludo-éducatif, c'est-à-dire qui permet
d'instruire en s'amusant. Le texte va renfermer des dimensions de jeu ou des
dimensions comiques tout en visant l'instruction de la société.
Par la fonction ludique, littérature peut aussi incarner une dimension
de loisir. Elle châtie donc les moeurs par la voie du
rire.
La fonction ludique imprègne une bonne partie des
textes traditionnels. C'est ainsi que les devinettes, les contes, les chants,
les épopées et récits mythologiques ont pour fonction de
satisfaire les besoins de la communauté qui désire se
« délecter » des histoires à travers les
veillées nocturnes. Généralement, dans les villages
africains, le soir, autour d'un feu, des vieux, des jeunes, des femmes et des
enfants se retrouvant pour partager le plaisir de la parole. Cependant, ce
plaisir de raconter est consubstantiel à d'autres fonctions notamment la
fonction pédagogique.
B. La fonction
pédagogique
La pédagogie étant l'art d'enseigner ou les
méthodes d'enseignement propres à une discipline, à une
matière, à un ordre d'enseignement, à une philosophie
d'enseignement. Etymologiquement, le terme pédagogie signifie,
science qui a pour objet l'instruction ou l'éducation. Venant du grec
ancien, le terme pédagogie signifie conduire. La fonction
pédagogique se rapporte donc à l'aspect didactionnel et au
caractère instructionnel de la littérature. Le texte est
considéré comme un canal de transmission des connaissances et
comme une branche d'enseignement. La littérature est
considérée comme outil de dispense du savoir. Cette fonction
reconnait à la littérature le caractère enseignant.
La fonction pédagogique des textes sert donc
essentiellement à initier les jeunes générations aux
valeurs cardinales de la société. Une édification morale
est assignée au message de l'écrivain qui prend le soin de
baliser les bonnes conduites aux jeunes afin de contribuer à leur plein
épanouissement. Pour ce faire, il est demandé, sinon
prôné, l'obéissance aux coutumes, aux valeurs, aux
idéaux. C'est ainsi que les contes mettent en scène une
organisation sociale et économique forte, basée sur la
hiérarchie et les strates sociales dans l'univers des fables. C'est le
procédé de l'anthropomorphisme qui permet par métaphore,
de critiquer et de stigmatiser les individus dans la société. Il
y a donc à travers la fonction pédagogique, une puissante
référence aux idéaux dont le socle est essentiellement
assuré par la gérontocratie.
Il y a aussi un besoin impérieux de créer des
liens étroits entre les morts et les vivants à cause d'une dette
de sang qui lie les seconds aux premiers. Comme le note bien J. Chevrier, la
fonction pédagogique de la littérature « permet de
concilier les forces du bien et d'exorciser les forces du mal. On comprend donc
toute l'importance qui est attachée à la parole bien dite ; car
à certains moments la parole a véritablement valeur
d'acte » (1999, 9).
Ainsi dans les textes, il y a toujours une pédagogie
subreptice comme dans le cas de l'anthropomorphisme que nous avons
évoqué, destinée aux jeunes et parfois aux adultes. On
remarque aussi que les textes de la littérature orale sont souvent
construits autour du récit d'un conflit, ou d'un méfait assorti
d'un dénouement. Selon J.Chevrier « Ces textes
s'inscrivent dans la veine de la morale sociale en vigueur au sein de la
société ; il y a comme une sanction infligée à
toute infraction à la norme admise. C'est un procédé qui
répond aussi au souci politique et idéologique du maintien de
l'ordre. A ce niveau, les gouvernés et les gouvernants ne sont pas
épargnés. Les chefs et les roturiers d'une part ; les
responsables politiques comme le peuple d'autre part ne sont pas au-dessus de
la loi et se doivent de respecter la coutume. Nous pouvons dire que la plupart
des contes africains sont bâtis sur cette philosophie de la
morale ». (1999, 44)
Il renchérit que Chez les Moose, qui sont en partie
régis par le système de l'oralité, c'est plutôt
à travers la parole que s'effectue une part importante de
l'éducation, notamment la transmission des valeurs et savoirs. La
pédagogie moose joue surtout la carte de l'émotion, de la
stimulation, du fantastique (ou fantasmagorique) qui représentent pour
elle, les moyens psychologiques les mieux appropriées, ainsi que les
meilleures conditions pour éveiller et entretenir au maximum la
réceptivité des enfants.
Cette réceptivité, en tant que conditionnement
mental préparerait une bonne assimilation des choses enseignées
en sollicitant entre autres choses, toute l'attention et l'intérêt
des plus jeunes. L'usage à des fins pédagogiques de
« l'épouvantail », l'appel
répété au surnaturel et au sublime, à l'imaginaire
ou la « crainte inconsciente » de voir mourir un être
cher, de par la faute de l'enfant... participent de cette volonté
posée ici comme principe de « pédagogie ».
Les moyens pour réaliser un tel contexte mental et intellectuel,
paraissent assez variés dans le patrimoine éducatif moose, de
même le conte y tient une place de premier choix.
C. La fonction idéologique ou
politique.
Une idéologie est un système
prédéfini d'idées appelées aussi catégories
par lesquelles la réalité est analysée, par opposition
à une connaissance intuitive de la réalité sensible
perçue. Dans Idéologie et luttes des classes (2006, 67),
Isabello Garo pense que « l'idéologie comporte en elle des
dimensions dogmatiques et des croyances profondes ». Du Grec,
l'idéologie signifie, d'une part idéa :
idée et logos science. Le Dictionnaire en ligne
Wikipédia consulté le 09 avril 2015, stipule que
« l'idéologie est donc, un discours sur les idées ou
mieux la logique des idées. » La politique, quant à
elle, concerne donc la structure et le fonctionnement méthodologique,
théorique et pratique d'une société.
Cette fonction politique et idéologique s'adresse alors
beaucoup plus aux adultes qu'aux enfants. Ainsi la mise en scène des
problèmes vitaux a pour souci, d'une part, de juguler les tensions
découlant des inégalités, des injustices sociales, d'autre
part, de créer la cohésion sociale du groupe. C'est ainsi que
nous avons des types de discours qui existent entre les groupes sociaux,
basés sur la parenté à plaisanterie, jouant le rôle
cathartique de régulateur de tensions sociales.
La fonction politique ou idéologique de la
littérature orale est axée sur les grandes orientations choisies
par la société en vue d'éviter son éclatement,sa
déchéance. Elle consiste à faire en sorte que la
littérature aide la société à demeurer gouvernable,
que les grandes idées des autorités continuent à
être acceptées par tous.
D. La fonction initiatique.
L'initiation renvoie à l'ensemble des rites,
exercices, et enseignement qui permettent à l'apprenti de devenir membre
effectif d'une corporation humaine consacrée. La fonction initiatique de
la littérature orale se manifeste essentiellement à travers un
langage métaphorique. L'initié a accès à certains
codes secrets pour entrer dans le monde des adultes. A cet effet, à
l'occasion de la circoncision et de l'excision, certains chants ou textes
secrets sont enseignés aux candidats afin de les préparer
psychologiquement à accepter la douleur et la souffrance, qui feront
plus tard d'eux des hommes et des femmes mûrs.
Certains textes ésotériques sont
également appris aux candidats. La fonction initiatique de la
littérature orale permet de franchir l'étape de la mort
symbolique (la réclusion dans le bois sacré) pour renaître
dans un monde nouveau : l'intégration dans la vie adulte au sein du
monde social. On apprend aux circoncis pendant tout ce temps, certains secrets
propres au groupe : les interdits, la genèse du clan, le secret des
plantes, etc. Par ailleurs, dans les « Contes en
miroir » de Denis Paulme, on retrouve la structure du récit
initiatique. Ainsi,avons-nous deux héros au départ : le
premier entreprend une quête en surmontant une série
d'épreuves tout en évitant les pièges. Puis il revient
gratifié de sa quête. Le second héros, jaloux du
succès du premier, se lance aussi à la quête, mais il
surmonte mal les épreuves et commet une série de bévues ;
il est ensuite puni et mis à mort sous plusieurs chefs d'inculpation.
Nous pensons notamment au célèbre conte de Bernard Dadié,
Le Pagne noir, qui répond bien à la structure du conte
en miroir.
E. La fonction fantasmatique
Le fantasme désigne une représentation
imaginaire traduisant des désirs plus ou moins conscients. Disons alors
quele fantasme en littérature renvoie à la
représentation imaginaire des désirs traduisant des relations
controversées. C'est aussi des réalisations artistiques
orientées vers la rêverie.
La fonction fantasmatique de la littérature
orale résulte de la mise en scène des tensions et des
affrontements de la vie familiale. Il y a dans ce cadre, opposition de la
parenté de sang à la parenté d'alliance ; les hommes aux
femmes, la vie à la mort. Nous pouvons noter, à ce propos, les
récits de Denise Paulme sur la mère dévorante qui
présentent de façon métaphorique la peur que les hommes
ont de la femme, simultanément objet de désir et de possession.
Cela peut se traduire par Le récit de la courgequi avale tout
sur son passage pour, en définitive, être fendu en deux par un
coup de corne d'un bélier.
L'évocation du symbole phallique est évidente
à travers les cornes tandis que le réceptacle féminin est
connoté par la courge. Certains contes mettent davantage en
scène des personnages qui consomment des quantités énormes
de nourriture. Ce procédé que nous retrouvons dans certains
contes moose est proche des prouesses alimentaires du personnage Gargantua de
Rabelais qui, en fait, semble un reflet du procédé fantasmatique
du crève-la-faim qui permet, par exemple, en temps de famine,
ou de disette, d'exorciser le spectre de la faim.
F. Fonction esthétique :
L'esthétique est une discipline philosophique,
ayant pour objet les perceptions, les sens, le beau dans le contexte artistique
ou dans un contexte naturel. L'esthétique peut aussi signifier tout ce
qui se rapporte au beau. C'est une notion désignant l'ensemble des
caractéristiques qui déterminent l'apparence d'une chose. La
littérature entretient un rapport au sentiment, à la perception
du beau. Ensemble des principes à la base d'une expression artistique
visant à rendre la littérature conforme à un idéal
de beauté. Hormis l'aspect sémantique de la littérature,
l'aspect formel est aussi indispensable. La considération de la
littérature comme fruit d'un travail detissage.
Sa fonction esthétique implique une mise en forme
du message qui l'emporte sur le contenu dépassant ainsi la
communication utilitaire limitée à la transmission d'informations
même complexes. F. Grégoire (2001)nous apprend qu'
«Aujourd'hui la littérature est associée à la
civilisation des livres par lesquels nous parlent à distance
les auteurs, mais elle concerne aussi les formes diverses de l'expression orale
comme le conte (en plein renouveau depuis une trentaine d'années
dans les pays occidentaux), la poésie traditionnelle des
peuples sans écriture dont nos chansons sont les lointaines cousines ou
le théâtre, destiné à être reçu
à travers la voix et le corps des comédiens. La technologie
numérique est cependant peut-être en train de transformer le
support traditionnel de la littérature et sa nature. - La fonction
esthétique chaque oeuvre littéraire est produite dans le but de
plaire. On la façonne donc suivant une forme bien
déterminée correspondant au message. Ce souci du beau
confère à la littérature sa fonction esthétique
La littérature est un art esthétique, un art du beau. Elle permet
l'évasion du lecteur ».
G. Fonction critique de la
littérature
La critique littéraire est l'art de juger les oeuvres
de l'esprit, artistiques ou littéraires. Il existe ainsi plusieurs
assertions définissant des personnes dites des critiques : le
critique littéraire, le critique dramatique, le critique musical, le
critique gastronomique, etc.
La littérature remplit la fonction
d'appréciation de l'authenticité des valeurs sociales
transposées dans l'oeuvre littéraire. Le critique entant
qu'individu renvoie à une personne dont le métier consiste
à juger les oeuvres littéraires ou artistiques. Nous savons qu'il
est difficile d'éloigner la société du texte. Le discours
de la micro et de la macro société semble être
révolu parce qu'on suppose que, d'une manière ou d'une autre, le
texte garde des empreintes de la société inspiratrice. Partant de
cette conception, il y a lieu de comprendre que la littérature peut
avoir la fonction de censurer la société. La littérature
va porter des critiques sur les aspects de la vie et de la
société.
H. Fonction magico-religieuse :
La magie est une pratique fondée sur la
croyance en l'existence d'êtres ou des pouvoirs surnaturels et des lois
naturelles occultes permettant d'agir sur le monde matériel par le biais
des rituels spécifiques. C'est un mot qui provient du latin,
magiasignifiantla religion des magesperses.
La religion signifie plutôt, un système de pratiques et de
croyances pour un groupe ou une communauté. A la manière de
Cicéron, nous pouvons définir la religion comme le fait de
s'occuper d'une nature supérieure et divine en lui rendant hommage.
Cette fonction magico-religieuse en
littérature prône les rites et les incantations spirituelles avec
souvent un rôle initiatique. C'est de la catégorie du merveilleux
qui passe d'un sens propre à un sens figuré de plus en plus
envahissant. Dans une littérature de galanterie, la magie devient une
sensibilité contraignante. La fonction initiatique se manifeste
essentiellement à travers un langage métaphorique.
Nous pouvons le constater dans des rites d'initiation en
Afrique avec des chansons appropriées relevant de la littérature
orale. Cette fonction note une puissante référence aux
ancêtres dont le socle est assuré par la gérontocratie. En
Afrique, cette fonction dénote d'un grand besoin d'établissement
d'un lien entre les vivants et les morts. J. Coquet(1984) nous signale que
cette fonction permet de concilier les forces des biens et exorciser les forces
du mal.
L'acte d'écriture possède un pouvoir magique. Il
peut faire un recours au coutumier ou au sacré qui possèdent un
pouvoir magique incontestable. C'est le cas des incantations des
guérisseurs, des maléfices des sorciers, les sortilèges
des magiciens et les cérémonies pastorales ou de tous les termes
et expression tabou susceptibles d'exercer une action directe sur le monde
matériel ou sur les événements. Cette fonction peut se
laisser voir quand il y a une calamité et qu'il y a des incantations
dans le sens d'éradiquer les maux qui troublent la
société.
Pour déceler et interpréter les fonctions
sociales de la littérature dans l'oeuvre de SimpliceILUNGA MONGA,nous
recourons à l'approche sociologique et à l'analyse structurale
sous son aspect fonctionnel qu'il nous faut à présent
présenter.
I.2. CADRE METHODOLOGIQUE
I.2.1. LA SOCIOLOGIE DE LA LITTERATURE
Etudiant le fait littérairecomme
fait social,
la sociologie de la littérature s'interroge doublement sur la
littérature comme phénomène social avec plusieurs acteurs
(institutions, individus producteurs, consommateurs ou critiques) mais aussi
sur l'inscription des représentations d'une époque et des enjeux
sociaux en leur sein.Ce double questionnement, sur le plan
méthodologique, une tension entre analyse externe et analyse interne des
textes, tension qui traverse la sociologie de la littérature depuis ses
origines.
L'étude de la littérature comme
phénomène social remonte à Montesquieu avec Esprit des
lois (1748) et à Madame de Staël avec De la
littérature considérée dans son prisme avec les
institutions sociales (1800). Hyppolite Taine en a mis en oeuvre le programme
dans son Histoire de la littérature anglaise (1885).
Notons que, dans les années 1950, les études
littéraires ont connu un renouvellement épistémologique
profond sous la double impulsion du New Criticismet de structuralisme.
Ainsi, l'histoire littéraire est opposée aux méthodes
d'analyse interne du texte, mais un texte proclamé autonome.
En 1958, Robert Escarpit publie Que
sais-je ?surla Sociologie de la littérature,fonde en
1960 le Centre de sociologie des faits littéraires à
l'Université de Bordeaux et met en place des enquêtes
quantitatives sur les processus de production et de consommation du livre pris
dans leur dimension économique. Dans la foulée, on observe un
certain « âge d'or » des approches sociologiques des
phénomènes littéraires qui s'intéressent aux
conditions sociales de production.
Cette approche positiviste ne permet cependant pas de rendre
compte de la spécificité de la littérature comme
activité sociale. Elle est représentative de l'analyse externe,
qui tend à réduire les oeuvres à leurs conditions
matérielles de production2(*) et de réception3(*), qu'il s'agisse de la biographie, de la sociologie et
de l'histoire, au mépris des logiques propres aux univers de production
symbolique.
L'analyse interne, représentée par le New
Criticism et le Structuralisme, se focalise de son côté sur le
déchiffrement, plutôt que sur l'acte créateur. Elle
rapporte la structure des oeuvres soit à des catégories de
perception universelles, qui constituent la « langue » ou la «
structure profonde » à la façon des modèles
linguistiques de Ferdinand de Saussure ou de Noam Chomsky, soit à une
histoire des genres ou des formes symboliques, mais c'est une histoire
désincarnée, dont les producteurs sont absents. Alors que
l'analyse interne s'intéresse à la structure des oeuvres,
l'analyse externe insiste plutôt sur leur fonction sociale.
La signification d'une oeuvre n'est pas réductible
à l'intention de l'auteur. Elle résulte en partie de sa position
même dans un espace des possibles et dans un espace réel et
objectivement structuré de productions symboliques, ainsi que des
appropriations (R. Escarpit : 1958) qui en sont faites, du sens qui lui
est donné, et des tentatives d'annexion dont elle est l'objet.
I.2.1.1. LA SOCIOLOGIE DE LA CREATION
I.2.1.1.1. LA MATERIALISATION DU DISCOURS
D'ARISTOTE
Il est raisonnable de parler de la sociologie de la
création pour cerner le travail de l'écrivain. Le langage
écrit constitue une communication. Il met donc en participation deux
individus avec une certaine matière dont le support est le langage.
Disons d'entrée de jeu qu'au lendemain de
l'indépendance politique des plusieurs peuples à travers le
monde, les études littéraires connaissent un réajustement
profond.
L'enchainement des étapes dans la création
littéraire se résume plus ou moins à la proposition
aristotélicienne sur la matérialisation du discours dont P.
Benichou se fait chantre (1966) : « Il s'agit de
l'inventioou recherche des arguments. Ici, l'auteur regarde
dans son environnement pour puiser les éléments pertinents qui
doivent alimenter son discours. Si ces éléments ne sont pas
teintés de la dimension sociale, ils sont fragiles parce que
considérés comme fictionnels. La
dispositio est une disposition logique selon des lois
esthétiques d'abord mais aussi psychologiques et sociologiques. Un ordre
esthétique se colle aussi à la doxa.
L'élocutio est la mise en forme verbale du discours.
L'actiorenvoie à la performance même du message
devant un public. Donc, c'est le public (société) en
dernière instance qui évalue la pertinence du texte. Un orateur
selon Aristote est un harangueur de la foule qui a les moeurs oratoires mais
c'est aussi la possibilité de lire le feed-back ».
Par conséquent l'idéologie Bakhtinienne,
présente dans une oeuvre littéraire un protagonisme
idéologique et une opposition entre différentes forces
sociolectales.
Convoquons à présent la théorie des
champs de P. Bourdieu et la notion d'ethos dans que développe R. Amossy
pour éclairer la genèse des stratégies narratives de
l'acte d'écriture.
I.2.1.1.2. LA THEORIE DES CHAMPS
Pour Pierre Bourdieu, l'écrivain est lui-même, un
membre de la société. Il vit un certain nombre
d'expériences qu'il va d'abord intérioriser et en plus
extérioriser sous forme d'un discours social. Le processus
d'écriture devient alors un dialogue entre l'intérieur et
l'extérieur d'où la consécration du dialogisme
littéraire de M. Bakhtine.
P. Bourdieu pense qu'« Il existe donc de
manière permanente des conflits des valeurs appelés ;
tension sociale. Ces tensions sont tranchées par le positionnement de
l'auteur. Puisque un écrivain est aussi un agent social qui subit un
certain nombre d'influences sociales qui le contraignent à prendre la
parole. Sa décision d'écrire devient alors une réponse qui
lui permet de se positionner dans un champ » (2001, 45)
A ce sujet, A. Viala dans sa sociopoétique
s'inspirant de P. Bourdieu parle de la posture de l'auteur. Il
considère l'auteur comme fruit de l'environnement
socio-économique qui l'oriente dans son écriture. « La
plume pour écrire n'est qu'un positionnement ».(A. Viala,
1963 :83) Il considère la sociologie comme une discipline la plus
forte pour comprendre la socialisation de l'auteur renvoyant à
l'habitus qui le socialise. L'écriture ne trouve sa fonction
sociale que quand elle répond à un positionnement. Nous pouvons
alors dire que l'acte d'écrire est une manifestation publique de la
posture interne de l'auteur. Cette extériorisation et
révélation de son positionnement face à un problème
social est appelé par M. Bakhtine,
l'exotopie (1995 :44).
La théorie des champs de P. Bourdieu soutient que la
société est partagée en classes sociales ou strates
sociales, appelées Champs. Il exige donc d'établir le rapport
« Dominant-Dominé »entre agents sociaux en lutte
permanente de leadership. Dans ce combat de leadership, seuls les agents
sociaux disposant d'un capital prestigieux peuvent l'emporter sur les autres.
Le capital selon P. Bourdieu, c'est l'atout nécessaire
permettant à un agent social de s'imposer dans un champ (1966, p157).
I.2.1.1.2. LA NOTION D'ETHOS
Si le pathos, selon L-V. Thomas(1963), renvoie aux
attentes du peuple et bien l'éthos quant à lui fait
allusion au discours comme réponse aux attentes. Pour un écrivain
contraindre le lecteur, c'est le pousser à adhérer à son
positionnement, face à tel ou tel autre problème de la
société ». Cela est conditionné par l'image que
l'écrivain véhicule qui peut être de deux ordres,
soit :
1) Ethos extralinguistique : le protocole environnant,
soigné par l'image du personnage. L'écrivain qui se substitue en
mandataire de la société doit par conséquent inspirer
confiance. Cela va influer sur la légitimation de son discours.
2) Ethos linguistique : qui est le discours même
qui porte son message. Il est impérieux également de le soigner
avec des formes esthétiques soutenues. Il est évident qu'une
oeuvre littéraire présente un protagonisme idéologique et
une opposition entre différentes forces sociolectales » mais
c'est par là qu'on peut dégager la position de l'auteur.
I.2.1.2. LA SOCIOLOGIE DU TEXTE
La sociologie du texte développée par Pierre V.
Zima, en 1985, est au point de départ de notre exercice et
apparaît la voie d'analyse toute désignée pour aborder le
discours idéologique dans sa perspective critique.
Présentée dans sonManuel desociocritique(1985)comme une
technique systématique d'analyse, elle offre une synthèse
méthodologique des plus utiles pour étudier ce discours selon une
approche sémantique et syntaxique. Mais en exploitant les
théories et les méthodes dialectiques qui relèvent du
modèle théorique du signe, elle peut permettre également
d'accéder à la systématisation d'un modèle
sémiotique à lafois critique et social. Là se trouve
l'intérêt de cette méthode dont il convient derappeler les
fondements et les principales étapes.
Disons au départ que la méthode, inspirée
de travaux antérieurs sur la «sociologie des
textes»,s'appuiesur la sociologie de la littérature et repose
essentiellement sur la linguistique structurale (structures discursives) et sur
des composantes de la grammaire sémiotique (lexicologie,
sémantique et syntaxe).
Cherchant à dépasser les limites du discours
esthétique ou philosophique, elle retientenpriorité le langage et
l'intertextualité comme catégorie sociologique. Un peu à
la manière de la sociocritique de Claude Duchet, elle vise d'abord le
texte et la «socialite» du texteet se donne pour objet
d'étudier «le statut du social» dans le texte, tout en
s'intéressant à la question de savoir comment des
problèmes sociaux et des intérêts de groupe sont
articulés sur les plans sémantique, syntaxique et narratif. Il
s'agit bien de représenter ces différents niveaux du texte
«comme structures à la fois linguistiques et sociales» et
d'utiliser certains concepts sémiologiques existants dans leur dimension
sociologique.
Il s'agit aussi de considérer l'univers social comme un
«ensemble de langages collectifs» absorbés et
transformés par les textes,sansjamais isoler ces langages du contexte
culturel et discursif dans lequel ils s'inscrivent. En évaluant sous cet
angle du langage les valeurs sociales, il est possible d'étudier le
discours idéologique«dialogique» lié au pouvoir
politique et de décrire les idéologies à l'oeuvre.
Ces fondements théoriques de la méthode, qui
privilégient l'oeuvre commeproduction de la
société et comme lecture-interprétation de
celle-ci, impliquent une démarche en deux moments principaux:
l'établissement de la situation sociolinguistique et
l'analyse textuelle proprement dite mise en corrélation avec le
contexte social. Ces étapes accordent la première importance
à la notion de «langages collectifs», aussi appelés
«sociolectes», «reconnaissables, dit Greimas, par les variations
sémiotiques qui les opposent les uns aux autres (c'est leur plan de
l'expression) et par les connotations sociales qui les accompagnent (c'est leur
plan du contenu)».
Ces sous-langages, constitués en taxinomies
socialessous-jacentes aux discours sociaux, permettent d'établir des
rapports étroits entre le texte et la société, tout en
représentant des intérêts et des problèmes
collectifs au niveau du langage. De tels sociolectes, inscrits dans les textes,
retrouvent leur dimension réelle dans la situation sociolinguistique.
Rechercher cette situation sociale du langage vécue par
l'auteur du texte étudié et par les écrivains de son
temps, constitue la première étape d'analyse. Le fait de retracer
ce type de langage, de faire ressortir les différents sociolectes
idéologiques des années de production et même de mettre en
relief les types de discours sur la langue conduit habituellement à
découvrir la genèse d'une structure littéraire ou
dramatique. Ce même langage acquiert cependant une nouvelle dimension
lorsqu'il est reformulé dans une perspective sémiotique et
selaisse découvrir à travers les structures narrative et
discursive des oeuvres et à divers niveaux textuels.
L'étude de ces niveaux correspond à
l'étape centrale de l'étude qui, rendantcompte des textes dans un
contexte dialogique, consiste à décrire les sociolectessur les
plans lexical, sémantique et syntaxique (narratif). Ces niveaux
textuels, considérés dans leurs fonctions linguistiques et
sociales, font voir comment s'articulent des intérêts collectifs
dans le langage. Au stade de l'examen lexical, il importe de repérer un
sociolecte général de l'oeuvre formé d'une dichotomie de
lexèmes émanant d'une taxinomie de mots-clés. Cette
unité sociolectale de base relevant du contenu de l'oeuvre
établit une structure lexicale à lier avec la situation
sociolinguistique.
Il faut toutefois aller plus loin pour découvrir
l'univers sémantique de l'oeuvre et la structure de cet univers par la
recherche de dichotomies de sèmes. Zima parle des sociolectes comme de
codes que les membresd'unecollectivité ont en commun et qui sont
régis par des oppositions valorisantes. Leur fonction estd'unirla
structure du récit à la situation sociolinguistique.
Les catégories d'oppositions sémantiques
relevées conduisent à dégager un sociolecte
sémantique qui résume le sens de l'oeuvre et qui se traduit
à travers les comportements de sujets collectifs ou individuels. Cette
base sémantique des textes détermine leur structure narrative
selon des groupements antagonistes. Elle fait aussi apparaître le
sociolecte comme le résultat d'un processus de classification ou d'un
«faire taxinomique». Elle doit dépasser cependant le stade des
simples oppositions de sèmes et tenir compte des isotopies de
classèmes et même des oppositions d'isotopies
sémantiques.
La classification de telles distinctions, codifiées
selon une pertinence collective particulière, établit le
fondement sémantique du texte et le lieu où se manifestent
clairement les problèmes ou les intérêts sociaux.
A la troisième étape de l'analyse, ces
intérêts sont aussi à questionner sur le plan syntaxique ou
narratif des textes, de manière à mettre les sociolectes en
discours et à penser l'idéologie en tant que structure
discursive. L'explication de la structure narrative aux niveaux de
l'énoncé et de renonciation permet de les déceler en tant
que discours théorique ou discours critique. Il importe d'abord de
ressortir et d'expliquer la structure de l'oeuvre à l'aide de l'analyse
actantielle(schéma greimassien) et ensuite de mettre les sociolectes en
discours pour qu'apparaisse le discours idéologique issu aussi bien du
programme narratif des sujets d'énonciation que de leurs attitudes
critiques et réflexives envers leurs propres activités ou celles
des autres.
Dans le cas où les modèles actantiels
résistent mal à l'application de différents
schémas, il faut alors recourir aux concepts fondamentaux d'actant
collectif et d'isotopiesémantiqueou aux procédés
rhétoriques de la métaphore et de la métonymie afin de
définir le discours idéologique des sujets d'énonciation
(narrateurs et personnages).
Cette étape d'analyse syntaxique ne peut suffire
à vérifier la validité de ce discours,puisqu'elle se
contente de rendre compte du texte dans un contexte dialogique par rapport aux
formes discursives auxquelles il a réagi.
Une dernière analyse consiste à relier tout le
processus intertextuelà la situation sociolinguistique
précédemment étudiée et, plus largement, au
contexte social des époques concernées. Cette mise en
corrélation du texte au contexte, de la structure syntaxique à la
structure sociale ou du discours idéologique du texte à celui du
groupe social s'avère une opération d'intertextualité
(externe) nécessaireà la vérification de la valeur
empirique des concepts et à l'évaluation de la
réelleinsertion des instances d'énonciation (auteurs, metteurs en
scène) dans le processus de création.
Dans le domaine de la lecture, la sociologie du texte se
propose «de mettre en rapport la structure textuelle et ses conditions de
production avec les différents métatextes des lecteurs»
(Pierre V. Zima, 1985 : 10). En cela, ce type de sociologie recoupe la
définition de lasociocritique donnée par Claude Duchet et
Françoise Gaillard (1976).
I.2.1.3. LA SOCIOLOGIE DE LA RECEPTION
Claude Duchet pense que « La signification d'une
oeuvre n'est pas réductible à l'intention de l'auteur. Elle
résulte en partie de sa position même dans un espace des possibles
et dans un espace réel et objectivement structuré de productions
symboliques, ainsi que des appropriations qui en sont faites, du sens qui lui
est donné, et des tentatives d'annexion dont elle est
l'objet » (1979).
Contre l'herméneutique anhistorique d'un
côté, mais aussi contre l'histoire littéraire positiviste
et la théorie du reflet marxiste de l'autre, Hans-Robert
Jauss a
prôné une histoire littéraire antipositiviste fondée
sur une approche de la réception conçue comme, l'histoire des
effets produits par les oeuvres. Le concept clé est celui
d'« horizon d'attente » que Jauss emprunte à
Husserl, Mannheim et à Popper pour l'appliquer aux
phénomènes littéraires(1967).
Depuis le milieu des
années
1970,les théories de la
réception et
de la
lecture acceptent
l'ambivalence dutexte et du lecteur, comme
caractéristique de la réalisation et de l'actualisation des
textes littéraires. Les travaux de
Hans Robert
Jauss et de
Wolfgang Iser ,
répondent à cette insuffisance. Dans cette optique, l'Ecole de
Constance (dont Iser et Jauss sont les principaux tenants) tente de renouveler,
d'absolutiser l'histoire de la littérature. Cette approche consiste
à placer le lecteur au centre de la littérature.
Bien que Jauss et Iser fassent du récepteur une
instance nécessaire à l'expérience littéraire, le
texte demeure au centre de leur étude. Il devient une entité
portant en elle-même les conditions (structures et systèmes) de
son actualisation. Le lecteur, en tant qu'agent de récréation
littéraire, il est responsable des mises en marche de la
sémiosis. Iser et Jauss sont de pionniers de la révolution
formelle du texte littéraire.
Pour D. Fermier.: « Iser et Jauss sont
les terroristes de la méthode formelle : terroristes puisqu'ils
désamorcent, avec une grande méthodologie, l'entité
textuelle en y faisant entrer un intrus, le lecteur, indispensable à
l'expérience littéraire. Toutefois, le public de Jauss et le
lecteur d'Iser ne sont pas réels. Ce sont des représentations
modélisées de l'instance réceptrice de la communication et
elles ne peuvent en aucun cas servir à représenter tout
lecteur » (2001:33).
Pour R. Barthes « La lecture, c'est la
rencontre de deux pôles : l'un, artistique et propre au texte,
l'autre esthétique et propre au lecteur. Donc, le texte, portant en
lui-même les conditions de sa réalisation, parle au lecteur, le
guide afin qu'il réalise ce qui y est implicite. Ce qui est implicite au
texte, c'est d'abord la situation qui sert d'arrière-plan à sa
réalisation. D'une part, sa situation qui entoure l'auteur,
appuyé de sa position sur la Terre et dans l'
Histoire,
appuyé de sa
culture, de ses
valeurs, ses expériences, ses connaissances et capable d'articuler un
lien artistique logique (le texte) entre tout ceci.Donc, il écrit un
texte, lui aussi normalisé par des structures et des conventions qui
sont à la fois textuelles et extra-textuelles.
D'autre part, ce texte nécessite un lecteur,
appuyé de sa position sur la Terre et dans l'Histoire, appuyé de
sa société, de son éducation, son enfance, sa
sensibilité et habile à établir un lien logique (la
lecture) entre tout ça, entre toutes ces conventions.Pour que la
communication s'accomplisse, il doit s'établir un rapport entre texte et
lecteur » (R. Barthes, : 1985).
Toute littérature est une histoire racontée par
l'écrivain et qui doit répondre à un certain nombre des
préoccupations et exigences du lecteur. Cela est développé
dans la notion de l'horizon de l'attente en confirmant que l'écart
esthétique permet de mesurer l'historicité d'un texte.
G. Genette reprend le concept d'horizon d'attente de
Gadamer et Heidegger et l'adapte, pour la première fois, à
l'histoire de la littérature, qui constitue un système de
référence objectivement formulable à l'acte de lecture. Ce
système résulte de trois facteurs :
· l'expérience préalable que le public a du
genre dont l'oeuvre relève ;
· la forme et la thématique d'oeuvres
antérieures dont (l'oeuvre) présuppose la connaissance
· l'opposition entre langage poétique et langage
pratique, monde imaginaire et réalité quotidienne.
C'est-à-dire que l'oeuvre est reçue et jugée par rapport
à l'arrière-plan de l'expérience de la vie quotidienne du
lecteur.
L'aisthesis désigne la dimension réceptrice de
l'expérience esthétique où un tiers état, le
lecteur, extérieur à la sémiose, prend plaisir au sens et
sa valeur.
Dernier aspect de la Poétique d'Aristote
repris par Jauss, « la catharsisinterpelle le lecteur et suscite son
adhésion » (G.Genette, 1982).
I.2.1. L'APPROCHE STRUCTURALE
I.2.1.1. ORIGINES ET DEVELOPPEMENT
Le Cours de Linguistique
générale de Ferdinand de Saussure de 1916 envisageant
d'étudier la langue comme un ensemble avec des éléments
qui entretiennent des liaisons d'équivalence ou d'opposition crée
implicitement le structuralisme. En effet, vers 1950 l'homme est
considéré comme un être pensant, être communicant,
être social avec ses semblables. Selon Lévi-Strauss, un homme
devient un objet de science, basé sur un système de
parenté.
Disons que pour C. Lévi-Strauss, « la
structure possède une organisation logique mais implicite, un fondement
objectif en deca de la conscience et de la pensée (structure
inconsciente). Par conséquent, le structuralisme vise à mettre en
évidence ses structures inconscientes ». Vider l'action
humaine de son individualité et la déconsidération de
l'aspect historique de la langue reste l'objectif du structuralisme.
Les penseurs structuralistes disent que les processus
sociaux sont tirés des structures fondamentales qui demeurent, le plus
souvent, inconscientes. Ainsi l'organisation sociale produit naturellement
certaines pratiques et certaines croyances propres aux individus.
C'est donc un mouvement idéologique qui est en
même temps une théorie est une méthode littéraire.
Le structuralisme est considéré, dans une certaine mesure, comme
une innovation du positivisme tendant à s'émanciper de la
philosophie.
Le texte littéraire dans la vision structuraliste est
défini comme une manifestation de la langue : on l'étudie
à l'aide de structures appelées réseaux, servant
à l'analyse linguistique qu'elles soient d'ordre grammatical,
syntaxique, rhétorique ou phonétique. En ce moment-là, le
texte cesse d'être une entité unique mais devient plutôt
comme un point de convergence de tous les réseaux de signification.
Signalons aussi que M.Riffatere a introduit dans la pensée
structuraliste une étude linguistique des effets du message,
c'est-à-dire une prise en compte des effets du texte sur le lecteur.
Ce dernier a un rôle à jouer : « il doit
interpréter l'oeuvre et l'intérioriser pour sa
vie »(1979 :68).
I.2.1.2. LE STRUCTURALISMELITTERAIRE
Le structuralisme littéraire a connu en France,
à partir des années 60, le statut d'un mouvement unifié en
dépit des caractéristiques particulières à chaque
auteur.Roland Barthes, Gérard Genette, Claude Bremond,Paul Larivaille,
Tzvetan Todorov, etc. sont les principaux représentants de ce courant
structuraliste. Selon Jean-Marie Schaeffer, les sources du structuralisme se
situent à la confluence de nombreuses traditions littéraires,
telles que le formalisme russe, le cercle linguistique de Prague, etc.
L'approche structuraliste littéraire n'est jamais hostile ni à
l'examen des faits de l'histoire chronologique, ni à l'étude
sociologique des faits littéraires. Cette approche cherche plutôt
à remplacer l'histoire événementielle des acteurs et des
oeuvres par une histoire des formes, des thèmes, des institutions pour
ressortir les structures signifiantes.
Karcevesky et Troubeskoi présument que la linguistique
est une méthode propre de manière à permettre de
découvrir les lois structurelles de systèmes linguistiques.
Influencé par la linguistique de F. de Saussure, aussi par la
phénomologie de Hussel et enfin la sémantique de Gestaltisme, le
structuralisme linguistique de l'Ecole de Prague se divise en trois
périodes :
· 1èrepériode(1926-1934) :
c'est la période de la fondation et de la structuration de ce groupe.
Elle s'oriente vers les enquêtes structuralistes. Concernant les oeuvres
poétiques, cette approche privilégie la composante
phonétique. Roman Jakobson et Jean Mukarovisky sont les ténors de
ce groupe.
· 2èmepériode (1934-1938):
le groupe dévie de son orientation parce que la conception
sémiologique de l'oeuvre littéraire transforme celle-ci en fait
social et permet aux structurations de rattacher l'évolution
littéraire aux autres aspects de la culture.
· 3èmepériode (1938-1948):
nous citons Bogatyrev, Jakobson et René Wellek qui plonge le groupe
dans un déclin.
Quant au structuralisme génétique, L.Goldman
soutient que « C'est une démarche littéraire qui
vise à éclairer la genèse des structures textuelles»
(1964 :51). Le pionnier est Lucien Goldman qui ambitionne par le
va-et-vient entre les parties et le tout pour porter au jour des homologies
entre les structures significatives du texte qui mènent vers la
conscience du groupe social
L'écrivain acquiert des forces créatrices dans
son groupe social, avec lequel il partage les structures mentales, les faits de
conscience, les structures socio-économiques, etc. Pour Lucien Goldman,
c'est un phénomène naturel que le caractère collectif de
la création littéraire provient du fait que les structures, de
l'univers de l'oeuvre sont homogènes aux structures mentales de certains
groupes sociaux ou en relations intelligibles avec elles.
De plus, le structuralisme génétique Goldmannien
a légué à la sociocritique les concepts de
« sujet transindividuel » (la collectivité, le sujet
collectif, la microsociété).
I.2.1.3. LE MODELE ACTANTIEL
Le schéma actantiel d'A.J. Greimas (1966) comporte un
destinateur (émetteur), un objet (objectif), un destinataire
(récepteur) ainsi qu'un adjuvant (aidant) et un opposant (adversaire).
Ce schéma inclut parfois aussi la quête, selon qu'on la
considère ou non comme un actant. Le schéma actantiel (ou
modèle actantiel) rassemble l'ensemble des rôles (les actants) et
des relations qui ont pour fonction la narration d'un récit, par
acte.
Un personnage, le héros, poursuit la quête d'un
objet. Les personnages, événements, ou objets positifs qui
l'aident dans sa quête sont nommés
adjuvants. Les personnages,
événements ou objets négatifs qui cherchent à
empêcher sa quête sont nommés
opposants. La quête
est commanditée par un émetteur (ou destinateur, ou
énonciateur) au bénéfice d'un destinataire.
D'une façon générale, tous les
personnages qui tirent profit de la quête sont les
bénéficiaires. Schématiquement, la matrice actantielle se
présente comme suit :
Destinateur
Adjuvant
Objet
Destinataire
Sujet
Opposant
Pour bien comprendre le schéma actantiel, il ne faut
pas oublier que les rôles actantiels, c'est-à-dire, à
proprement parler, les « actants », ne doivent en aucun cas
être confondus avec des « acteurs ». Les actants sont
des positions au sein d'une structure ; ils se définissent par
leurs relations. Les acteurs d'une histoire, d'un conte, d'un roman... se
déplacent d'une position à l'autre et voyagent au sein de cette
structure. De plus, les actants sont situés par Greimas sur 3 axes qui
les relient de manière significative :
· le sujet et l'objet sont
situés sur l'axe du désir (ou de la
quête) ;
· le destinateur et le destinataire
sont situés sur l'axe de la communication ;
· les adjuvants et les opposants sont
situés sur l'axe du pouvoir (pouvoir positif dans le cas des
adjuvants, négatif dans le cas des opposants).
En ce qui concerne le rôle du destinateur, le plus
souvent, cet actant constitue la ou les valeurs au nom de laquelle (ou
desquelles) agit le sujet ; en effet, le sujet fait ou agit, tandis que le
destinateur fait faire ou fait agir le sujet. En fin de récit, c'est
aussi le destinateur qui « sanctionne » la réussite
ou l'échec de la quête du sujet, c'est-à-dire l'obtention
ou non de l'objet convoité.
Plusieurs rôles peuvent être cumulés par un
personnage, un objet ou un événement ; ou ils peuvent
être répartis entre plusieurs personnages, objets ou
événements. Il peut y avoir plusieurs schémas actantiels
dans un même récit, pour son ensemble -deux quêtes ou plus
sont menées conjointement par un ou plusieurs héros- ou au cours
du récit, le héros devant réaliser plusieurs quêtes
successives (récits où le héros subit plusieurs
épreuves) ou une quête incidente prenant place dans l'histoire
(récits enchâssés).
Pour approfondir l'analyse des relations entre les actants
d'un récit, Anne Ubersfeld propose de percevoir le schéma
actantiel de Greimas en triangles actantiels selon les rapports
spécifiques entre les actants.
Voici en quelques lignes comment se présente la
configuration des triangles actantiels proposés par cette
dernière :
A. Le triangle actif ou conflictuel
Le triangle actif ou conflictuel permet de saisir la
pertinence de la quête. Il nous permet également de
découvrir le niveau d'effort fourni par le sujet dans le cas de tel ou
tel type d'opposition.
Par rapport à l'opposant il y a deux
possibilités :
1) L'opposant s'oppose directement au sujet,
c'est-à-dire que la quête du sujet présente beaucoup de
risque dans la mesure où elle s'arrête et que le sujet est
éliminé. C'est l'existence du sujet qui est visée.
Objet
SujetOpposant
2) L'opposant est opposant au désir du sujet et par
rapport à l'objet. La quête du sujet présente moins de
risque car ce n'est pas l'existence du sujet qui est visée par
l'opposant.
Objet
Sujet
Opposant
B. Le triangle psychologique
Le triangle psychologique nous permet donc de découvrir
la source, l'origine, la motivation même de la quête. C'est
à partir de ce triangle que nous saurons si la motivation est
individuelle ou collective.
Les motivations de la quête se révèlent de
manière détaillée : individuelles, collectives,
etc.
Destinateur Objet
Sujet
C. Le triangle idéologique
Ce triangle nous permet donc découvrir, si l'intention
de la quête sera au profit d'un bénéficiaire individuel ou
collectif.L'action du sujet se réalise à l'intention d'un
bénéficiaire individuel ou collectif.
Objet Destinataire
Sujet
CONCLUSION PARTIELLE
Dans ce chapitre consacré au Cadre théorique
et méthodologique, nous avons défini
essentiellement les termes clefs de notre analyse à savoir
« fonction » et
« littérature ». Nous
avons survolé plusieurs définitions du concept
littératureainsi que les fonctions sociales de
littérature avant de terminer par la présentation approches
sociologique et structurale utilisées dans le cadre de ce travail.
Pour conclure, nous retiendrons avec Maurice
AmuriMpala-Lutebele que la littérature est un une transformation du fait
social en fait littéraire. Une transformation qui s'opère par le
biais d'un travail de tissage, c'est-à-dire un travail de mise en texte
qu'opère l'artiste-écrivain pour figurer son message. Dès
lors, la lecture devient, comme le dit R. Barthesune « rencontre de
deux pôles : l'un, artistique et propre au texte, l'autre
esthétique et propre au lecteur. Donc, le texte, portant en
lui-même les conditions de sa réalisation, parle au lecteur, le
guide afin qu'il réalise ce qui y est implicite ».
DEUXIEME CHAPITRE : L'ANALYSE DES
RECITS
II.0. INTRODUCTION
Dans ce chapitre pratique consacré à l'analyse
des récits, il sera question de démêler les intrigues pour
relever les structures signifiantes de l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA.
Pour ce faire, le modèle actantiel de Greimas nous
servira d'outil d'analyse littéraire pour passer du fond syntaxique au
niveau sémantique. Enfin les triangles actantiels d'Anne Ubersfeld vont
nous aider à décrire les forces sociales en conflit pour en
déduire les différentes fonctions sociales de la
littérature dans l'oeuvre de SimpliceILUNGA MONGA.
Pour chaque recueil de nouvelles, nous procéderons
d'abord à une analyse de la matrice actantielle centrale suivi d'un
commentaire y afférent. Cette analyse de la matrice actantielle centrale
sera suivie de l'analyse du récit en triangles actantiels. Un
commentaire suivra chaque analyse en triangle.
2.1.ANALYSE DES NOUVELLES
2.1.1. L'IMPOSTEUR PASTEUR
2.1.1.1. La matrice actantielle
D1
Adj.
O
D2
S
Op.
(La pauvreté)(Bonheur) (Pasteur)
(Lotti, Iluzi, la naïveté,
(Pasteur) (Le juge, la mère de Lotti)
letéléphone,les biensmatériels)
Le schéma actantiel ci-dessus peut se traduire de la
manière suivante :
Destinateur (D1) :
L'élément déclencheur de l'action estla pauvreté.
En effet, le Pasteur MWEMPOqui vit dans unepauvreté indescriptible
cherche,par tous les moyens,une possibilité de donner une nouvelle
impulsion à sa vie. Alors que tout était noir dans sa vie et que
rien ne lui réussissait, à ses côtés, son ami Iluzi
vivait dans une aisance matérielle et une stabilité sociale. Il
se déguise en « Pasteur » pour tenter d'escroquer
son ami et ainsi changer le cours de sa vie.
Le Héros(Sujet) : Le Pasteur
MWEMPOest l'acteur principal de la trame événementielle. Il est
au centre de l'action.
Les adjuvants qui accompagnent
le Pasteur dans sa quête sontle Chauffeur, les enfants, Lotti
etIluzi.Chacun des personnages précités contribue à
l'action du sujet de manière implicite ou explicite.
Le Chauffeur, de manière inconsciente, livre les
informations qui alimentent les prophéties du Pasteur. Première
personne trouvée par le Pasteur à son arrivée, le
Chauffeur lui fournit tous détails de la maison de Iluzi. Les enfants
sont aussi des adjuvants parce que lors l'échange des cadeaux, ils
délient leurs langues et dévoilent certains secrets de la
maison.
Femme du Docteur Iluzi, Lotti remet le pouvoir au Pasteur en
cestermes : «Insiste encore, Pasteur. Tu n'as à craindre
personne ! Annonce tête haute la bonne nouvelle, parle-nous de la
part de l'Eternel, notre Dieu qui nous aime tant et qui a offert son fils
unique en sacrifice pour nous sauver ».p35
Pour accompagner l'action du Pasteur, elle s'adresse de
manière violente à sa mère la chassant même de la
maison en ces termes : « Hééé !
Maman, arrête de délirer ! Ne m'appelle plus ta fille. Tu
m'as déçue ! Je ne veux plus te voir dans cette maison.
Puisque tu veux savoir qui est la personne en face de toi ! Tiens !
C'est un oint de Dieu. Un oint de Dieu dis-je. Maintenant disparais de ma face,
inutile de te défendre. Tires-toi. Que ton sang tombe sur
toi-même ».p38
Iluzi participe à l'action du Pasteur en
disponibilisant le moyen de transport du Pasteur, le logement. Sur
recommandation du Pasteur, il fait partir ses amis de la maison.
Objet : L'intégration au
coeur de la famille de Iluzi symbolisait, pour le Pasteur,le bonheur
suprême.
Destinataire(D2) :
Sans gêne ni scrupule, le Pasteur
Mwempos'était établi à la fois intendant de la maison et
gérant des biens du médecin qui ne disposait pas de temps
suffisant. On le voyait rouler carrosse, s'arrêter de manière
ostentatoire à chaque coin de la rue pour saluer le besoin. Ses
appareils de communication « souffraient de l'abondance des
unités »p.45.
Les opposants : La mère
de Lotti, la jeune femme et son mari ainsi que le juge s'opposent à
l'objet de la quête. En effet, la mère de Lotti s'oppose au
Pasteur qui vient interrompre l'harmonie familiale.D'un ton furieux, elle
s'insurge contre le ton sur lequel le Pasteur ose lui parler de sa fille lui
rappelant, au passage, les douleurs d'enfantement endurées lors de la
naissance de Lotti.
Le même Pasteur abuse du charme d'une jeune femme
au« corps affaibli » par le joug de la maladie et la viole
sans coup férir. Envoûtée par les prêches du Pasteur,
la jeune se laisse faire et permet ainsi au Pasteur d'assouvir ses instincts.
Pour mettre le Pasteur hors d'état de nuire, le juge
prononce une sentence qui le condamne à 15 ans de prison ferme et
à des dommages et intérêts. Toute la ville lâche un
ouf de soulagement.
2.1.1.2. L'analyse en triangles actantiels
a) Le triangle actif ou conflictuel
Le Bonheur
Le Pasteur La mère de
Lotti, le juge
Dans ce triangle, les deux opposants ne s'opposent pas
directement à l'objet de la quête mais bien au sujet. En effet,
pour la mère de Lotti, le Pasteur est un
« imposteur », un intrus venu dans la famille de sa fille
pour briser l'harmonie familiale. Elle ne lui accorde aucun répit et
tente de barrer la route à son projet macabre. Le juge, quant à
lui, reste le dernier rempart pour sanctionner et recadrer le Pasteur.
Après la scène du viol, le réquisitoire comme le verdict
sont sans appel. Si, pour ce Pasteur sans scrupules, le bonheur doit être
obtenu au mépris de toutes les règles morales, religieuses, il a,
pour la mère de Lotti et le juge, une autre connotation dans la mesure
où il ne peut aucunement être obtenu en foulant au pied les
règles de bienséance.
b) Le triangle psychologique
La pauvretéLe Bonheur
Pasteur
Ce triangle montre que la source de la quête est la
pauvreté. A l'état initial de la nouvelle, le Pasteur vit une
pauvreté indescriptible. Il ne sait que faire de sa vie et tous ses
projets de relance n'avancent guère. Sa seule
« chance » qui lui reste est de faire comme ses autres
amis, pauvres hier comme lui et, du jour au lendemain, deviennent riches
grâce à leur reconversion dans les « affaires de
Dieu ». On peut ainsi remarquer que la réalisation de la
quête se fera au bénéfice individuel du Pasteur.
c) Le triangle idéologique
Le bonheurLe Pasteur
Le Pasteur
Ce triangle montre clairement que le bonheur se fait au
bénéfice individuel du Pasteur.
2.1.2. L'ODEUR DE LA MALEDICTION
2.1.2.1. L'analyse en matrice actantielle
D1
Adj.
O
D2
S
Op.
(L'impatience)(L'héritage du patrimoine familial)
(Cobella et les oncles)
(Kalad,Tumo,Kakas et Kabu) (Cobella)
(Les oncles paternels)
Destinateur : D1. Impatiente et
pressée d'hériter du patrimoine familial, Cobella harponne son
propre père et le tue.
Objet :Aussitôt le deuil
levé, Cobella s'autoproclame héritière de son père
chasse ses oncles paternels de la maison.
Sujet : Cobella planifie la mort de son
père pour recouvrer ses droits d'héritière du patrimoine
familial.
Adjuvants :Les adjuvants sont
Kalad,Tumo,Kakas et Kabu. Tous les trois premiers maris de Cobella n'ont pas
réussi à changer sa position et ont fini par épouser aussi
ses opinions. Seul Kabu parvient à la persuader d'aller vers une
solution pacifique :« Pour plus de paix dont la famille de
Cobella avait besoin, il organisa une très grande fête familiale.
Elle réunit les familles des paternels, les familles respectives de
trois précédents maris de Cobella et nombreux amis et
connaissances de la famille. L'opportunité créée permit
d'harmoniser les vues sur la majorité des points.la
réconciliation fut presque une réussite »p102.
Les opposants : les paternels s'engagent
dans une lutte acharnée contre Cobella désignée comme
assassin de leur frère et usurpatrice des biens familiaux. Ils mettent,
par conséquent, en marche plusieurs stratagèmes de
déstabilisation en s'opposant ainsi à tous les projets de
paix.
Le destinataire (D2) : Cobella et les
oncles finissent par signer un pacte de paix en se partageant les
richesses.« Pendant des heures, ils discutèrent sur la
proportion de la part. Enfin de compte, ils s'accordèrent et un pacte de
paix fut signé. Chacune des quatre parties reçut sa portion. A la
grande surprise de tout le monde, la guerre fut
éradiquée »p101
2.1.2.2.L'analyse en triangles actantiels
a)le triangle actif ou conflictuel
L'héritage du patrimoine familial
Cobella Les oncles paternels de
Cobella
Du vivant de leur frère, les oncles paternels de
Cobella vivaient tous chez lui et n'étaient pas insensible à
l'idée d'hériter des biens de leur frère après sa
mort. Voilà pourquoi, dès que la mort de leur frère a
été confirmée, ils se classent parmi les héritiers
et s'opposent, non pas à l'objet de la quête, mais plutôt la
prétendante légale et naturelle à
l'héritage,Cobella.
b) Le triangle psychologique
L'impatience L'héritage du
patrimoine familial
Cobella
Ce triangle montre que la source de la quête est
l'impatience. A l'état initial de la nouvelle, Cobella est
pressée par le temps et veut, vite, précipiter la succession de
son père. Ne tarissant pas de projets d'investissement, celui-ci donne
à sa fille une éducation très conformiste et presque
liberticide. Le seul moyen qui reste à Cobella pour parvenir à
ses fins est le parricide. Entre la réalisation de ses ambitions
personnelles et la vie de son père, son coeur balance, le choix à
faire étant cornélien. Elle n'y réfléchit pas deux
fois. L'envie de réaliser ses ambitions est plus forte. Elle finit par
tuer son père pour précipiter son destin.
c) Le triangle idéologique
L'héritage du patrimoine familial
Cobella et ses oncles paternels
Cobella
Ce triangle montre que l'héritage du patrimoine
familialconçu en secret au bénéfice individuel de Cobella
finit, au nom de la paix, parprofiter aussi à ses oncles paternels.On
peut ici remarquer qu'au départ de l'action, l'objectif final de la
quête relève du secret personnel de Cobella. Elle trame son
complot pour son propre bénéfice ne se doutant pas de la
possibilité de voir ses oncles paternels lui contester son statut
d'héritière. Au départ individuel, l'objet de la
quête finit par devenir collectif.
2.1.3.L'UNIVERSITE A LA DERIVE
2.1.3.1. L'analyse en matrice actantielle
D1
Adj.
O
D2
S
Op.
(Lalibido et l'avarice) (Le plaisir sexuel et
l'argent) (Le Professeur)
(Les assistants) (Le Professeur)
(Le Recteur et le Ministre)
Destinateur(D1) : La nouvelle nous
brosse au départ de l'action un éminent Professeur
d'université peu scrupuleux qui n'a d'yeux que pour l'argent et les
« cuisses de ses étudiantes ». Toute sa
carrière enseignante, tous ses faits se réduisent au montage
savant des stratagèmes visant à « vider les
proches » de ses étudiants et à s'adjuger les charmes
de ses étudiantes.
L'objet : La libido mal
gérée du Professeur et son avarice le plongent dans des
agissements irresponsables et non réfléchis. Il se proclame, en
effet, le « distributeur exclusif des notes sexuellement
transmissibles ».
Son avarice le contraint à rançonner
systématiquement ses étudiants faisant fi de tous les textes
réglementaires de l'université qui l'emploie. Il marchande ses
notes de cours, aidé en cela par ses Assistants. Comme des collecteurs
d'impôt, ses Assistants montent les enchères, terrorisent les
étudiants, recouvrent tous les frais et rendent compte à leur
maitre. Avec l'argent et le sexe, le Professeur se flatte de vivre le
« paradis sur terre ».
Adjuvants : Les Assistantsdu Professeur
accompagnent leur maitre son marchandage sexuel et pécuniaire du savoir.
Opposants : En apprenant ses
déviations le Recteur décharge le Professeur de tous ses
enseignements et le met à la disposition du Ministèrequi finit
par le suspendre avec privation de salaire.
Destinataire(D2) : Le Professeur
lui-même est également bénéficiaire des
retombées de son action. En effet, l'argent issu de la vente des notes
de cours lui permet de payer la bière, les plats dans les restaurants
ainsi que ses séjours galants dans les hôtels.
2.1.3.2.L'analyse en triangles actantiels
a) Le triangle actif ou conflictuel
Le sexe et l'argent
Le Professeur Le Recteur, le Ministre
Ce triangle montre que, en derniers remparts des valeurs
académiques, le Recteur et le Ministre s'opposent directement au sujet
qu'ils mettent hors d'état de nuire en le mettant à la
disposition du Ministère et en le suspendant pendant quelques
années avec privation de salaire. Leur opposition va donc jusqu'à
l'anéantissement du héros/sujet.
b) Le triangle psychologique
La libido, l'avarice Le plaisir sexuel, l'argent
Le Professeur
Ce triangle montre que les motivations du Professeur (la
libido et l'avarice) ne sont pas nobles. Il trahit aussi le détournement
du Professeur de la noble mission de son noble et beau métier. Formateur
de la jeunesse, le Professeur qui devrait incarner une certaine
exemplarité devient pratiquement la risée de tout le monde. Ses
étudiantes deviennent ses « femmes », ses
étudiants des « vaches à lait » et ses
Assistants des recouvreurs d'argent.
c) Le triangle idéologique
Le plaisir sexuel, l'argent Le
Professeur et ses Assistants
Le Professeur
Ce triangle montre bien que la quête de l'objet se fait
principalement au bénéfice du Professeur et, à titre
secondaire, de ses Assistants (à qui ils donnent des miettes issues de
la vente des « syllabus »).
2.1.4. Présentation de la matrice
générale
2.1.4.1. Matrice générale
D1
Adj.
O
D2
S
Op.
(Une société à la dérive(Gain
facile)(Les citoyens peu scrupuleux)
et sans repères)
(Une Majorité des citoyens) (Les citoyens
(Une poignée des citoyens)
peu ou pas vertueux peu scrupuleux)
vertueux)
2.1.4.2. Triangles actantiels de la matrice
générale
a) Le triangle actif ou conflictuel
Gain facile
Les citoyens peu scrupuleux Une
poignée de citoyens vertueux
Ce triangle montre que, dans une société
à la dérive, les « aventuriers » ou les
citoyens peu scrupuleux se livrent à la recherche du gain facile en se
passant de toutes les règles éthiques, religieuses, culturelles
et sociales. Cependant, ils retrouvent parfois sur leur chemin quelques rares
citoyens encore vertueux qui s'opposent à l'objet de leur quête.
Leur opposition peut aller parfois jusqu'à l'anéantissement du
héros/sujet ou alors à l'atténuation de l'ampleur de
l'atteinte de la quête.
b) Le triangle psychologique
Une société à la dérive et sans
repères Le gain facile
Les citoyens peu scrupuleux
Ce triangle montre que, dans une société
à la dérive, les citoyens peu scrupuleux et tous les autres
aventuriers se livrent à coeur joie à la recherche du gain
facile. Pour y parvenir, tous les moyens sont bons. Ils sont en mesure de se
passer de toutes les barrières morales, religieuses, culturelles et
sociales.
c) Le triangle idéologique
Le gain facileLes citoyens peu scrupuleux
Les citoyens peu scrupuleux
Ce triangle montre bien que le gain recherché dans ces
sociétés à la dérive et sans repères par les
citoyens peu scrupuleux ne contribue pas au bonheur collectif mais bien au
bonheur individuel de ces mêmes « aventuriers ».
CONCLUSION PARTIELLE
Dans ce chapitre pratique consacré à l'analyse
des récits, nous avons tenté de démêler les
intrigues pour relever les structures signifiantes de l'oeuvre de Simplice
ILUNGA MONGA.
Nous avons recouru au modèle actantiel de Greimas pour
passer du fond syntaxique au niveau sémantique. Les triangles actantiels
d'Anne Ubersfeld nous ont permis de décrire les forces sociales en
conflit en révélant du même coup les différentes
fonctions sociales de la littérature dans l'oeuvre de SimpliceILUNGA
MONGA.
Pour chaque recueil de nouvelles, nous avons
présenté d'abord une analyse de la matrice actantielle centrale
suivie d'un commentaire y afférent. Cette analyse de la matrice
actantielle centrale a été suivie de l'analyse du récit en
triangles actantiels ponctuée par un commentaire.
A la fin de l'analyse de trois recueils de nouvelles de notre
corpus, une matrice générale assortie d'une analyse en tringles
actantiels en a découlée.
Au regard de nos analyses, l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA
développe les fonctions magico-religieuse, critique, pédagogique,
fantasmatique et idéologique.
CHAP. III. LES FONCTIONS SOCIALES DE LA
LITTERATURE
DANS L'OEUVRE DE SIMPLICE ILUNGA MONGA
III.0. Introduction
Comme dit plus haut, l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA
développe essentiellement quatre fonctions sociales à savoir les
fonctions magico-religieuse, critiques, pédagogiques, fantasmatiques et
idéologiques.
Nous nous proposons, dans ce chapitre, de présenter ces
fonctions ainsi que tous les implicites qu'elles déploient au sens
bourdieusien du mot, c'est-à-dire comme positionnement de l'auteur
à intérieur de différents champs.
En effet, il sera question de montrer ici les problèmes
sociaux à partir desquels l'agent social Simplice ILUNGA MONGA
mène sa réflexion, problèmes sociaux entendus ici au sens
de pathos à partir duquel on peut saisir la pertinence de l'éthos
simplicien.
III.1. La fonction magico-religieuse
La fonction magico-religieuse est beaucoup exploitée
dans L'imposteur pasteur. Dans cette nouvelle, le Pasteur
procède par une sorte d'endoctrinement, une sorte d'envoûtement de
la famille du Docteur Iluzi. Ce Pasteur revêt pratiquement les
qualités reconnues aux gourous et, grâce à sa maitrise des
textes sacrés, en l'occurrence, la Bible, il réussit à
acquérir un ascendant moral, religieux sur ses victimes.
Trop croyants et presque devenus fanatiques, Iluzi et son
épouse Lotti acceptent, de fait, l'autorité morale et religieuse
du Pasteur. Tout ce qui vient du Pasteur relève de la volonté de
Dieu. S'y opposer, c'est refuser de vivre et de marcher selon la parole de
Dieu.
Le couple du Docteur Iluzi est une famille atypique de toutes
les autres familles qui, du jour au lendemain, se retrouvent volontairement ou
pas pris dans un tourbillon mené par une autre forme de religion de la
libération en vogue en Amérique latine.
En effet, durant l'été 1968, naissait sous la
plume de l'aumônier des étudiants péruviens, Gustavo
Guttierez, l'expression « théologie de la
libération ». Un mois plus tard, la deuxième
conférence du Celam (Conseil épiscopal latino-américain)
se réunissait à Medellin (Colombie) pour réfléchir
sur le thème : «L'Église dans la transformation de
l'Amérique latine, à la lueur de Vatican II.» Dans leur
texte final, les évêques proclamaient : «Nous sommes au
seuil d'une époque nouvelle de l'histoire de notre continent,
époque clé du désir ardent d'émancipation totale,
de la libération de toutes espèces de servitude.»
Ce vaste courant de pensée théologique emportera
toute l'Église d'Amérique Latine dans son sillage, suscitant de
très vives réactions dans le monde catholique, obligeant le
Vatican à se prononcer à deux reprises sur le
bien-fondé de cette théologie.
Prenant sa source dans une expérience de contemplation,
de compassion, d'indignation et d'engagement aux côtés des plus
pauvres, la théologie de la libération offre une
réponse spécifique à toutes les communautés
opprimées : «La théologie de la libération dit
aux pauvres que la situation qu'ils vivent actuellement n'est pas voulue par
Dieu», dira Gustavo Gutiérrez.
Elle repose sur la prise de conscience que les pauvres
attendent un libération réelle et qu'il est vain de parler du
Christ et du salut qu'il apporte si ce salut n'est pas immédiat. Le
critère le plus précis de l'authenticité
évangélique est donc la lutte contre la pauvreté.
"La création d'une société juste et fraternelle est le
salut des êtres humains, si par salut nous entendons le passage du moins
humain au plus humain. On ne peut pas être chrétien aujourd'hui
sans un engagement de libération" Gustavo Gutierrez
Son impact s'explique par le fait que, face à l'immense
écart entre riches et pauvres, elle plaçait l'homme au centre de
sa réflexion, non pas un homme abstrait mais un homme engagé dans
sa propre histoire et acteur de sa libération. Et aussi parce que les
dictatures des années 1970 ne pouvaient que faire surgir une
réaction vive et forte de l'ensemble du clergé.
Théologie neuve, authentiquement chrétienne par
son oecuménisme et son enracinement biblique, la théologie de la
libération a été l'objet d'innombrables publications. Son
audience a dépassé le seul domaine de sa
spécialité. Un très grand nombre de prêtres,
religieux et religieuses travaillant auprès des populations les plus
pauvres, l'ont adoptée avec enthousiasme. Grâce à
elle, la théologie en Amérique latine est entrée dans les
familles, à l'université, au risque parfois de voir son message
déformé.
Les communautés ecclésiales de base (CEB),
petites communautés populaires permettant une appropriation de
l'Évangile et une lutte contre la pauvreté, sont issues de la
théologie de la libération. Noyaux ecclésiaux, les CEB se
sont multipliées au Brésil, en Bolivie, Colombie, au Paraguay,
Salvador... Dirigées par des laïcs, homme et femmes, elles
permettent encore aujourd'hui de faire vivre l'Église dans les
régions les plus reculées et les plus isolées de ce
continent.
On a beaucoup évoqué en parlant de la
théologie de la libération de «perversion de la
chrétienté» et de «théologie des rues».
Elle a été également accusée de dérive
idéologique, d'une forte connotation marxiste dans le discours, et du
recours à la lutte des classes comme grille de lecture des conflits
sociopolitiques. Le fait que beaucoup de membres du clergé se soit
impliqué dans les luttes politiques (allant jusqu'à prendre
les armes dans certains pays) a accru la méfiance des pouvoirs en place
et du Vatican.
En Afrique et, particulièrement, en République
Démocratique du Congo, cette théologie de la libération a
enfilé le tablier de réveil spirituel au sein des Eglises
pentecôtistes. Les abus avérés ou pas des Pasteurs sont
devenus, pour tout objecteur de conscience un sujet d'interpellation.
D'ailleurs, la postface de Imposteur
Pasteursignéepar le PasteurEzéchiasKumwamban'est pas
anodine. En effet, pour le Pasteur Ezéchias Kumwamba, « Ce
roman, écrit, non par un athée ou un incrédule mais par un
serviteur de Dieu, dans un style vivant et bien assis dans les
réalités vécues par les chrétiens de son pays et un
avertissement divin (un appel à la repentance à tous ses
ministres)et un travail de dévoilement qui nous montre clairement ce qui
se passe derrière les murs des églises. (Il) souhaite que ce
roman apparemment amusant, pousse tous les élus du Seigneur à
combattre pour garder la foi apostolique par le message de l'évangile,
en barrant la route à ces ouvriers de Satan déguisés en
oint de Dieu ».
En République Démocratique du Congo, la
naissance des Eglises de réveil remonte aux années 1980. Lorsque
le régime du Président Mobutu s'essouffle, les contestations
montent de partout sous l'impulsion de l'Eglise catholique. Pour contrer le
poids inquiétant de l'Eglise catholique,le Gouvernement encouragea
légalement et même financièrement l'émergence de
nouvelles églises.
Mais vite, ces églises sont verser dans le
clientélisme faisant ainsi de du Christianisme un véritable
business. Pour Toussaint Muyombi, « Il n'y a pas de business plus
lucratif, à Kinshasa, que les "Églises de réveil". Leurs
guides vendent au prix fort leur bénédiction aux fidèles
congolais... et leur influence aux hommes politiques. Quand un homme a faim,
mieux vaut lui apprendre à prêcher. Créer une Église
est devenu une sorte de "débouché sur le marché du
travail" ». (2009 : 77)
La prolifération de ces églises et le
détournement de leur vocation font que ces églises ne sont plus
des temples de prière mais plutôt des guichets de perception
d'argent.Le pasteur occupe une place prépondérante dans la vie
du fidèle : c'est lui qui sauve, et non plus les sacrements. La grogne
sociale est à son comble, le peuple a perdu toute confiance en
l'État et se tourne vers la religion.
Dans un pays à fort taux de chômage, créer
une Église est vite devenu une sorte de "débouché" sur le
marché du travail pour certains jeunes diplômés en
quête d'emploi. Dans cette recrudescence du phénomène
religieux, le christianisme s'est enrichi d'un nouvel espace de circulation
d'un discours religieux assez particulier et aux enjeux bien
précis : le salut de l'âme, la santé du corps, la
protection contre les mauvais esprits, le bien-être matériel et
social des conducteurs et de leurs adeptes.
Ce discours assume ainsi des fonctions messianique,
prophétique et thérapeutique au sein de la société
en crise. L'euphorie religieuse suscitée par ces sectes
chrétiennes, a profondément marqué les pratiques
langagières des Congolais. Les mutations culturelles qu'elles ont
introduites dans leur communauté de langage ont une incidence
sociolinguistique certaine sur l'ensemble du christianisme; elles ont
même marqué les pratiques langagières des Congolais qui
attendent du ciel la nourriture quotidienne, un emploi
rémunérateur, une protection contre les mauvais esprits, des
bénédictions... Les Eglises de réveil détiennent
donc tout un capital culturel qui impose son style langagier.
SimpliceILUNGA MONGA en fait échos dans son oeuvre.
L'Imposteur Pasteur exproprieses adeptes en prétendant que
c'est des éléments du rituel de délivrance imposés
par le Saint Esprit. Il finit par devenir plus riche que ses adeptes en roulant
des véhicules de luxe et en étant compté les mieux
habillés de la ville. Ils montent en « grade »
presque tous les dix jours (Intercesseur, Diacre, Evangéliste,
Sacrificateur, Pasteur, Visionnaire, Bishop, Archibishop, Mandataire
international...) et ne tarissent pas de surnoms (Le Général,
Moto na Mopanga, Fire, La réserve de l'Eternel...).
Aux yeux de leurs adeptes, ils sont des « demi
dieux » et se considèrent comme tels. Ils s'autoproclament
abusivement prophète, visionnaire, apôtre,
évangéliste, pasteur, guide, maître (...) Ces
sacrificateurs des églises, ministères, assemblées du
réveil spirituel sont prêts à tout pour attirer des
adeptes. Mais, sous la parure d'« homme de Dieu », se cachent des
« malins » déterminés à s'enrichir sur le dos
des « naïfs » en quête de la manne céleste. Ces
êtres faibles, enivrés et désillusionnés par les
réalités quotidiennes de la vie, sont des proies faciles pour
certains initiateurs des églises du réveil. Ces sacrificateurs
leur promettent des recettes miracles, allant des séances de
désenvoûtement aux guérisons miraculeuses en passant par
les promesses les plus folles dont ils seraient les seuls à
détenir le secret.
Pour Simplice ILUNGA MONGA, les sacrificateurs prendraient
l'apparence de bergers, alors qu'ils sont devenus en réalité des
loups acharnés contre les troupeaux de Dieu. Ils sont comme
l'étoile du matin qui se lève avant l'aube et qui parait
brillante et radieuse, mais qui égare les voyageurs de la cité de
Dieu et les conduits sur les chemins de la perdition.
III.2. LA FONCTION PEDAGOGIQUE
0. Introduction
L'enseignement supérieur et universitaire (E.S.U.) au
Congo n'est pas en crise. Il est en voie de disparition. La formation
dispensée, dans ses instituts et dans ses facultés, est
tombée en dessous du seuil qui permet de prétendre à une
qualification professionnelle de niveau supérieur.
Au contraire, sa décomposition s'amplifie,
d'année en année, au point de ronger même ses dimensions
les plus essentielles que sont la pédagogie, la bibliothèque, la
formation...
La pédagogie, on le sait, est un domaine très
vaste et parfois ambigu. Elle a été considérée,
à divers moments de son cheminement historique, tantôt comme un
art, tantôt comme une science, tantôt encore comme une
théorie pratique de l'action éducative. Cependant, comme
l'affirment Georgette Pastiaux et Jean Pastiaux (1986, 4) aujourd'hui, on ne
débat plus pour savoir si la pédagogie est un art ou une science,
mais on reconnaît sa nature praxéologique et sa double
visée : améliorer une situation réelle et comprendre les
déterminants (psychologiques, historiques, sociaux, etc.) et les
principes générateurs de l'action éducative. Pourtant, le
domaine ne demeure pas moins vaste. Mais, avant de revenir à l'oeuvre de
Simplice ILUNGA MONGA, retraçons brièvement la genèse de
l'E.S.U. en R.D.C.
Les deux premiers établissements d'enseignement
universitaire congolais ont été créés
respectivement en 1954 et 1956, soit 6 ans et 4 ans avant l'accession du pays
à l'indépendance. Le profil d'homme à former traduit dans
la conception du programme d'alors répondait essentiellement aux besoins
de développement politique, économique, social et culturel de
l'époque. Depuis l'indépendance, les quelques réformes du
programme de formation universitaire n'ont pas suivi les profondes mutations
que la société congolaise à l'instar de tous les autres
pays a connues -et en train de connaitre.
Pendant que les entreprises, l'administration publique, les
Organisations non gouvernementales, ... peinent à trouver de la main
d'oeuvre qualifiée, le taux de chômage explose parmi les jeunes
diplômés de l'Université. Il devient clair que les
Universités ne répondent plus aux besoins des entreprises et de
la société congolaise. Le système d'enseignement congolais
vit en total déphasage avec son environnement économique alors
qu'il devrait être en interaction avec ce dernier. Ce n'est guère
étonnant si les grandes entreprises minières installées au
Katanga font appel à la main d'oeuvre étrangère pour
répondre à des impératifs économiques.
De manière particulière, l'augmentation rapide
et continue des effectifs à l'Université a, paradoxalement,
entrainé une faible attractivité de certaines filières.La
libéralisation de l'offre d'enseignement supérieur a
généré des formes inédites de compétition
entre les formations et les établissements privés et publics qui
proposent désormais des filières répondant au mieux aux
besoins du marché. La dimension marchande de l'éducation
supérieure, dans laquelle les savoirs deviennent de simples biens
commerciaux, détermine la nature même de ces savoirs scientifiques
mais également leurs conditions de production et de transmission.
Le programme universitaire conçu dans les années
1950 a connu quelques réformes (1971 ,1981 et de 2004) qui n'ont
pas permis au système éducatif universitaire congolais de
s'adapter aux transformations majeures et aux besoins fondamentaux de la
société.
L'enseignement supérieur et universitaire au Congo
doit encore relever le défi de la qualité de son enseignement,
dont les performances sont jugées parmi les plus faibles de la
planète. Ce pays qui comptait l'un des taux les plus
élevés d'universitaires et qui a formé la plupart des
« élites » d'Afrique, vit actuellement des heures sombres de
son histoire dans le secteur éducatif. La belle époque a pris fin
dans les années 1974. Plusieurs raisons sont à l'origine de cette
situation catastrophique en occurrence le faible budget alloué à
ce secteur, pauvreté des parents, non-paiement des enseignants, le
clientélisme, le favoritisme, le tribalisme etc. Qualitativement
l'enseignement congolais est à plaindre.
En observant la pratique pédagogique au niveau de
l'enseignement supérieur et universitaire en R.D.C., on ne peut manquer
de constater qu'une méthode de communication s'est imposée au fil
des années : la méthode «dictée». Par
cette méthode, s'il est toutefois permis de l'appeler ainsi, la
communication pédagogique revient pratiquement à dicter
le contenu du cours aux apprenants et, éventuellement, à
expliquer le texte dicté. Certains enseignants, soucieux de la
compréhension de la matière par les étudiants, ajoutent
une troisième phase à la méthode, les réponses aux
questions des étudiants.
De manipulation facile, ce qui justifie son extension, la
méthode «dictée», préconisée par aucun
didacticien, requiert un moindre effort dans la
préparation de la communication pédagogique. Il
suffit de savoir lire pour savoir dicter. De même, la
préparation de la prestation pédagogique ne va pas au-delà
de la préparation et de la compréhension du texte à
dicter. Point n'est donc besoin de suivre un séminaire de
pédagogie universitaire pour savoir exploiter cette procédure
d'enseignement.
De facilité éprouvée, la méthode
«dictée» est pourtant éprouvante tant pour l'enseignant
que pour l'enseigné. Il n'est pas aisé, loin s'en faut, de
procéder à une dictée dans une classe nombreuse. Terminer
une page de dictée est une épreuve qui pourrait être
retenue comme une Méthode «dictée». Et cette
« méthode » se décline en trois phases
suivantes :
Phase I
Dictée de la matière
Phase II
Explication de la matière
Phase III
Questions de compréhension
Il faut, en effet, répéter la phrase, si pas
autant de fois qu'on a d'étudiants, mais certainement plusieurs fois.
Ainsi, outre le fait que l'enseignant et l'enseigné sortent d'une telle
séance physiquement abattus, les opportunités d'apprentissage, la
réflexion, le raisonnement, la curiosité scientifique, la
créativité, la recherche se voient fortement
étouffés dans un contexte de communication pédagogique
marquée par cette méthode. De manière particulière,
les interventions des étudiants, dans ce contexte, se ramènent
à peu près à ceci : « Je n'ai pas saisi la phrase, je
manque le mot, je n'ai pas terminé la phrase... ».
Si même l'enseignant a le souci d'explication de la
matière dictée, il prêchera littéralement dans le
désert, les étudiants étant plutôt
préoccupés par les notes à compléter. Ceci ne
pourrait-il pas amener les étudiants à avoir une mauvaise estime
des enseignants ? Les apprenants ne seraient-ils pas de ce fait conduits
à formuler à l'égard des enseignants des institutions de
l'E.S.U. en R.D.C. le reproche ci-après mis en évidence par la
recherche de Mucchielli (1998, http://[...]/pedagogie.htm) menée
auprès de quelques étudiants d'une université parisienne ?
« Vous nous considérez comme des machines à prendre des
notes, à mémoriser et à réciter non comme des
individus qui veulent comprendre et trouver du sens à ce qu'ils
apprennent. Nous ne sommes pas des machines, mais des individus en quête
de sens. »
Devenu objet et non sujet de sa formation
dans le contexte d'une communication pédagogique par la méthode
«dictée», l'étudiant ne peut nullement
développer l'apprendre à apprendre, aptitude aujourd'hui
plus qu'indispensable dans le processus d'apprentissage. Si la communication
pédagogique à l'E.S.U. laisse à désirer,
l'évaluation n'est pas en reste. Des notions élémentaires
de formulation des questions ne semblent pas être connues par beaucoup
d'enseignants. En plus, le moment d'évaluation s'apparente
plus à un moment de règlement de compte pour certains enseignants
et de véritable trauma pour beaucoup d'étudiants.
« L'ethos de l'évaluateur semble recouvert par cet obscur objet du
désir : le pouvoir [...] la relation entre l'évaluateur et
l'évalué semble régie d'un côté par un
rapport de force, de l'autre côté par le soupçon ou la peur
d'être fustigé, voire disqualifié » (Jorro, 2006, p.
68).
N'est-ce pas cela qui justifie toutes les pratiques
éthiquement négatives constatées pendant les sessions
d'examen et dénoncées par Simplice ILUNGA MONGA : la corruption,
le trafic d'influence, le favoritisme ? Tout compte fait, l'évaluation
est loin d'être partie intégrante du processus
enseignement-apprentissage. L'évaluation formative, en particulier,
représentée par des interrogations et des travaux pratiques, est
fortement négligée dans certains établissements au profit
de l'évaluation sommative.
Sur le plan de l'évaluation, l'on peut aussi
stigmatiser le non-respect de certains principes essentiels :
l'objectivité, la validité de contenu de l'évaluation, la
cohérence entre l'évaluation et le contenu de la matière
dispensée, entre l'évaluation et les objectifs du cours....
Lorsqu'on passe en revue quelques échantillons de
questions d'examens ou d'interrogations, force est de constater qu'elles
sollicitent plus les connaissances déclaratives que les
connaissances procédurales et conditionnelles. Les
questions sont ainsi plus du type quoi, qu'entendez-vous par, quels sont,
définissez, citez-moi, et moins du type comment et
pourquoi. Peut-il en être autrement lorsque la communication
pédagogique, par la méthode «dictée» ou par
d'autres méthodes qui ne mettent pas l'apprenant au centre de sa
formation, n'insiste pas elle-même sur les connaissances
procédurales et conditionnelles ?
La corruption est devenue presque la deuxième
identité de l'université congolaise. Toute la
crédibilité est perdue à cause de l'exagération de
la corruption au point que les diplômes qu'elle décerne n'ont
aucune valeur sur l'échiquier mondial.
Pour obliger les étudiants à donner de l'argent,
certains enseignants se cachent derrière la vente des
« syllabus » et un paiement conditionnel avant de passer
des travaux pratiques ou les frais d'enrôlement avant de passer une
interrogation. La corruption pécuniaire change parfois pour se
convertir en « NST » c'est-à-dire « Notes
Sexuellement Transmissible ». Les étudiantes font
régulièrement l'objet du harcèlement sexuel de la part de
certains enseignants.
Ces derniers vont parfois jusqu'à menacer de faire
échouer celles qui résisteraient à leurs sollicitations.
Beaucoup de filles sont parfois recalées à cause de leur
refus de céder aux avances des enseignants. Il faut aussi signaler,avec
Simplice ILUNGA MONGA que « des bureaux des certains enseignants
sont devenus des chambres d'hôtel, plus question de se soucier de
l'absence du lit car leurs tables jouent déjà ce
rôle ».
Les relations humaines/sociales comme la parenté,
l'amitié, l'appartenance tribale ou ethnique sont aussi
exploitées par les étudiants qui, parfois, font intervenir leurs
proches pour plaider leurs cas auprès des enseignants. On voit passer
des mains en mains, plus spécialement pendant et après les
différents examens, d'innombrables lettres de recommandation des
enseignants demandant à leurs collègues d'être favorables
aux leurs. Cette pratique enfreint donc l'égalité des
chances dont doit bénéficier chaque étudiant sans
discrimination. « Les autorités politico-administratives,
les Conseillers de différents cabinets politiques, les Honorables, les
officiers de la police et de l'armée, les directeurs d'entreprises, les
pasteurs, les beaux frères, tous au mépris du règlement
académique appelaient pour changer le rouge en bleu quelques part.
Facilement, le zéro devenait six, le trois huit, le deux en douze. Il y
avait de quoi estomaquer un fou.(...) Monsieur le président !le
principe dont je parle n'est écrit nulle part, mais il est marqué
dans la tête de chacun de nous. Il s'agit du principe nos enfants
d'abord. »p90 -91
Pour l'auteur, le non-respect des principes
d'évaluation nuit aujourd'hui effectivement à la formation des
étudiants. A court, moyen ou long terme, le recours à la
corruption nuira de façon très significative à la
bonne marche du pays.
Les corrupteurs d'aujourd'hui sont appelés à
être les cadres de demain. Que peut-on attendre d'eux une fois aux
commandes du pays? Ils prendront sans aucun doute la place des corrompus
d'hier. Si le pays est géré par des individus de ce genre,
peut-on vraiment espérer quelque chose de bon ?
Aux yeux de Simplice ILUNGA MONGA, les enseignants ne sont pas
les seuls à accuser. Parfois les étudiants encouragent
cette situation. Il faudra dire que ce sont là les habitudes apprises
très tôt, car même à l'école maternelle
certains parents n'acceptent que leurs enfants reprennent de classe. Une fois
au niveau de l'enseignement supérieur, ces enfants ne peuvent que
poursuivre ce chemin de corruption.
Souvent ce sont ces étudiants qui vont frapper, porte
après porte, aux bureaux des enseignants pour demander une mesure
de grâce en cas d'échec dans un cours donné. Certains
enseignants ne peuvent que céder à la tentation.
III.3. LA FONCTION FANTASMATIQUE
La fonction fantasmatique est transversale à
toute l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA. En effet, Dans Imposteur
Pasteur, il s'observe des conflits entre personnages ayant des liens de
sang ou alors ceux ayant une parenté par alliance.
En effet, premier d'entre tous, le Pasteur est en conflit
avec la mère de Lotti, épouse de Iluzi et le juge. La mère
de Lotti et le juge sont en quelque sorte les derniers « gardiens du
temple ». Ils défendent avec bec et ongles un idéal
social et moral auquel, hélas, le Pasteur ne croit plus. Au nom de la
loi, le juge ne peut pas fermer les yeux devant le viol que commet le Pasteur.
Au nom d'une certaine idée de modèle social, la mère de
Lotti n'est pas disposée à laisser le Pasteur réaliser son
projet. Elle n'est pas non plus en odeur de sainteté avec sa fille Lotti
victime d'un endoctrinement déplorable de la part du Pasteur. Le Pasteur
lui-même est en conflit avec les valeurs éthiques et
déontologiques qu'impose son « métier ».
Dans L'odeur de la malédiction, le conflit
entre personnages ayant les liens de sang oppose d'abord Cobella à son
père, puis à ses oncles paternels et enfin à ses
frères.
Dans l'Université à la dérive, le
Professeur Talanga ne partage pas la même opinion avec sa fille. Le
Recteur et le Ministre finissent, en gardien des valeurs universitaires, par
mettre le véreux Professeur hors d'état de nuire.
III.4. LES FONCTION IDEOLOGIQUE
Par ces fonctions, Simplice ILUNGA MONGA nous plonge dans une
société à la dérive et sans repère moral,
une société dans laquelle les vices prennent la place des vertus.
On le sait, la perte des valeurs morales ne date pas
d'aujourd'hui. En effet, ce thème a fait florès en tout
temps : que ce soit sous l'Empire romain, qui vit certains auteurs
déplorer le déclin des valeurs d'ordre, de justice et
d'humanité (Cicéron), ou au contraire la montée en
puissance des valeurs de renoncement, de charité et de pauvreté
affirmées par la religion chrétienne naissante (Flavius
Josèphe) ; que ce soit au siècle des Lumières, qui
vit nombre d'aristocrates ironiser sur les valeurs d'épargne, de travail
et d'effort (l'«esprit de calcul») ainsi que sur les valeurs de
liberté et d'égalité en droit promues par la bourgeoisie
montante ; que ce soit sous et après la Révolution,
époques qui virent les «possédants» et/ou les
conservateurs de toute sorte vitupérer contre les aspirations à
davantage d'égalité réelle exprimées par certains
(Thiers, Tocqueville) ou contre les valeurs d'une société
préférant se placer sous l'égide de la Nation plutôt
que sous celle de Dieu (Burke, de Maistre...) ; que ce soit après
la défaite de 1871, époque qui vit des penseurs convaincus que
cette dernière était imputable à une
dégénérescence des valeurs traditionnelles en appeler
à une «réforme intellectuelle et morale»
(Renan) ; ou que ce soit encore dans l'entre-deux-guerres, qui vit un
certain nombre de penseurs conservateurs dénoncer la France du Front
populaire (la «France du pastis»), coupable, à leurs yeux,
d'apprécier davantage les congés payés, le repos et le
plaisir que l'effort, le travail et le sacrifice.
Par ailleurs, ce thème a fait - et fait aujourd'hui -
également florès en tous lieux : sans qu'il soit besoin
d'insister longuement, il est plus que probable que les aspirations à
davantage de liberté, d'autonomie, d'égalité et de
démocratie ressenties par une partie (variable) des populations vivant
dans les sociétés du Proche et du Moyen-Orient voire du Sud-Est
asiatique sont perçues, par tous ceux qui ne les partagent pas, comme le
symptôme d'une réelle « crise des
valeurs »...
Faut-il s'en étonner ? À l'évidence,
non. La raison en est simple : c'est qu'il existe, pour Simplice ILUNGA
MONGA, entre crise des valeurs et fonctionnement social, une relation
dialectique en quelque sorte inévitable, chacune de ces deux instances
agissant et réagissant l'une sur l'autre. De là cependant
à en déduire que cette relation dialectique ne peut ni ne doit
être régulée ou maîtrisée, il y a bien
évidemment un pas qu'il faut se garder de franchir.
Si l'on part de l'idée que le concept de valeur renvoie
à ce qui est vrai, beau ou bien, « selon un jugement
personnel plus ou moins en accord avec celui de la société de
l'époque » (Petit Robert), nul doute que la
« crise des valeurs» censée affecter la
société française contemporaine ne saurait être
dissociée de la manière dont fonctionne et évolue cette
dernière : non pas seulement parce que cette crise ne fait que
refléter, finalement, l'évolution qui affecte la
société ; mais aussi parce qu'elle ne manque pas d'agir, en
retour, sur cette même évolution.
Que la « crise des valeurs » soit tout
d'abord le reflet de l'évolution qui affecte la société ne
saurait faire ici aucun doute. La plupart des vecteurs grâce auxquels
l'intégration des valeurs de citoyenneté et de cohésion
sociale par l'ensemble de la population s'effectuait sont aujourd'hui en panne
ou en déclin : qu'il s'agisse de l'école, laquelle a du mal
à remplir sa mission traditionnelle de structuration culturelle et/ou
sociétale de ses usagers ; qu'il s'agisse du service national qui,
compte tenu de son coût financier et des mutations opérées
en matière de défense stratégique, a été
supprimé et ne joue donc plus son rôle de ciment de la
Nation ; qu'il s'agisse des partis politiques, dont la perte d'audience
(on pense en particulier au rôle de mobilisation autrefois joué
par le Mouvement Populaire de la Révolution) a laissé en
déshérence (provisoire ?) une fraction importante des
personnes qu'ils parvenaient, jadis, à regrouper autour de valeurs
communes fortes ; qu'il s'agisse des syndicats, dont le déclin
sensible bien que relatif est concomitant de celui des partis ; ou qu'il
s'agisse encore de l'Église, dont la force d'attraction n'a
cessé, au fil du siècle dernier, de régresser (en
témoigne la baisse de la pratique voire de la foi), entraînant un
étiolement là aussi relatif mais palpable des valeurs
attachées à son message.
Par ailleurs, la société se trouve
confrontée, compte tenu notamment de la mondialisation et de la
globalisation de l'économie, de l'amplification des échanges et
de l'accélération des communications qui en résultent (le
« village-monde ») et aussi, on doit le souligner, de notre
système politico-social, à de redoutables défis :
exacerbation des règles de la concurrence, qui pèse sur la
capacité et/ou sur la volonté des employeurs de ménager le
capital humain ; nécessité d'intégrer (au sens de ne
pas exclure) des populations issues de vagues plus ou moins récentes
d'immigration d'origines culturelles et/ou religieuses fortement
différenciées ; tendance d'une partie (certes marginale mais
non négligeable) de ces populations à se replier sur des valeurs
communautaires pas toujours en harmonie (c'est le moins que l'on puisse dire)
avec les principes d'universalité ; insuffisance voire absence de
sanctions à l'égard d'un grand nombre de ceux (de toutes origines
et de toutes conditions) qui enfreignent la loi (situation
délétère qui conduit certains à penser que tout ou
presque est permis : échapper à l'impôt, soit par la
fraude, soit par la délocalisation, compte tenu du niveau
« insupportable » atteint par celui-ci ; se livrer
à des incivilités croissantes eu égard à la fois au
rejet dont on s'estime victime et au sentiment de relative impunité que
l'on nourrit)...
Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que
les valeurs anciennes sur lesquelles s'appuyait jusqu'alors notre
société soient considérées par certains comme en
crise : qu'il s'agisse des valeurs de laïcité et de
neutralité (voir le débat sur le « foulard
islamique » à l'école) ; des valeurs de
tolérance et de respect de l'autre (ceux qui se retranchent
derrière des valeurs identitaires et/ou communautaires reprochant aux
autres de déroger à leurs valeurs de tolérance, ces
derniers reprochant, à l'inverse, aux premiers de nier les valeurs de
fraternité et de solidarité (que devient le rêve de la
solidarité organisatrice et égalitariste exprimé en 1945
lorsque le mouvement du monde et la force supposée des choses la
contraignent à n'être plus que réparatrice et
« équitariste » ?) ; des valeurs de
liberté, d'égalité et de responsabilité (quelle
valeur peut avoir la liberté pour celui qui est sans emploi et sans
logement ? l'égalité pour celui qui est victime de la panne
de «l'ascenseur social» ? la responsabilité pour celui
qui éprouve, à tort ou à raison, un sentiment de relative
impunité, pour celui qui, mû par ses seuls intérêts
personnels, n'hésite pas à transférer ses avoirs et/ou sa
résidence à l'étranger pour échapper à
l'impôt, ou, à l'inverse, pour celui qui, cherchant surtout
à tirer profit de l'État-providence de manière soit
passive soit active - voir la thématique anglo-saxonne du
« passager clandestin » - en arrive parfois à
compter non pas tant sur lui-même que sur les autres pour
améliorer son sort ?).
Mais si la « crise des valeurs » doit, de
toute évidence, se saisir comme le reflet ou le produit de
l'évolution que connaît notre société, elle ne
manque pas d'influer et de réagir, en retour, sur cette même
évolution. Ainsi n'est-il guère contestable, par exemple, que
c'est la croyance moins forte d'une partie des élites aux valeurs de
solidarité qui a permis - via une résurgence de la
valeur « responsabilité individuelle » et une
priorité donnée aux valeurs de liberté voire
d'équité (donner à ceux qui en ont le plus besoin, les
autres se débrouillant par eux-mêmes) de préférence
à celle d'égalité - un affaiblissement relatif bien que
sensible de l'État-providence. Et ce, même s'il n'est pas
davantage contestable, à l'inverse, que c'est l'attachement d'une grande
partie de la population aux valeurs de solidarité sociale et de
responsabilité collective qui, jusqu'à présent en tout
cas, a permis de freiner une évolution rapide de la
société congolaise vers une dislocation certaine.
De même n'est-il guère douteux, dans un ordre
d'idées similaire, que si les attaques portées (au nom des
valeurs d'efficacité, de responsabilité ou
d'équité) à l'État-providence n'ont pas peu
contribué à mettre un terme à l'expansion quasi continue
dont celui-ci avait bénéficié depuis des lustres, le
relatif repli qu'il a connu depuis une trentaine d'années a
généré, en retour, une résurgence des valeurs de
solidarité personnelle et intergénérationnelle d'entraide
familiale, de fraternité via des engagements associatifs de
plus en plus nombreux : constat qui tend clairement à montrer que
le combat pour les valeurs doit se saisir autant comme un agent de
structuration de la société que comme sa résultante...
On peut même aller plus loin : en l'occurrence,
soutenir que si le fonctionnement de la société est bel et bien
à l'origine de la crise des valeurs, les valeurs (anciennes ou
nouvelles) qui tendent à prévaloir à un moment
donné sont bel et bien à l'origine, à leur tour, de la
crise de la société. Ainsi, et pour ne s'en tenir qu'à ce
seul exemple : qui pourrait penser que le déclin des valeurs
d'égalité, de justice, de solidarité (avec son
corollaire : la résurgence des valeurs du « chacun pour
soi », d'irresponsabilité, de liberté personnelle
poussée à l'excès voire d'adhésion sans
réserve aux communautés) qui touche aussi bien certains membres
des élites (voir les rémunérations faramineuses que
s'octroient certains dirigeants de sociétés) que certains membres
des classes dites « défavorisées » (voir la
multiplication des actes de petite délinquance, les incivilités
croissantes, l'importance du groupe ou du clan, etc.) n'est pour rien dans la
crise latente et dans la morosité ambiante qui affectent aujourd'hui
notre société ? Comment inciter les uns à faire des
sacrifices en termes de rémunérations et de revendications
lorsque les autres s'estiment dispensés d'y consentir ? Comment
sanctionner de manière cohérente les auteurs de petits
délits (qui, en « pourrissant » la vie de ceux qui
en sont victimes, les poussent parfois dans les bras des partis
extrémistes) lorsque les auteurs - puissants et connus - d'autres
délits (fraude fiscale, corruption, etc.) parviennent à passer
entre les mailles du filet ?
Entre la « crise des valeurs » et le
fonctionnement social, il existe donc bien, on le voit, une relation
dialectique à la fois forte et inévitable. Ce qui ne saurait
signifier, bien évidemment, que cette relation ne puisse - ou ne doive -
connaître certaines limites.
Pour étayer le propos, on partira ici de
l'hypothèse selon laquelle toute société organisée
repose nécessairement sur des valeurs, c'est-à-dire sur une
représentation de ce qui, à l'intérieur du groupe, est
considéré majoritairement comme bon, bien ou juste ; valeurs
dont il est certes possible de récuser aussi bien l'universalité
que l'intemporalité mais dont il n'est guère pensable, en
revanche, de nier l'existence.
Évoquer la « crise des valeurs » ne
saurait avoir de sens, dans cette perspective, que pour autant que l'on postule
que les valeurs en crise ne sont pas n'importe lesquelles : ce sont
celles-là même qui sont en vigueur dans une société
donnée à un moment donné. Autrement dit, celles qui
peuvent se réclamer d'une certaine tradition et qui ont réuni, de
manière plus ou moins durable, un minimum de consensus.
Parmi elles, certaines sont plus particulièrement
marquées au coin de la contingence (même si cette dernière
peut se révéler relativement durable dans le temps et assez
répandue dans l'espace...) car liées, pour l'essentiel, aux
moeurs, aux coutumes et usages, et, plus largement, au fonctionnement de la
société civile : ainsi, par exemple, des valeurs
liées à la sexualité (liberté sexuelle,
avortement...), au couple (place du mariage, unions hors mariage, unions entre
personnes du même sexe...), au statut de la famille (familles
recomposées, place de l'enfant adultérin...), etc.
L'évolution qui les affecte pourra donner lieu à
une appréciation très différenciée selon les
convictions de chacun : elle pourra être considérée
comme une crise par les uns et comme une évolution positive voire
salutaire par les autres. Autant dire que la crise, ici, ne revêt pas
(quel que soit le jugement que l'on peut porter sur elle) une importance
fondamentale pour le devenir de la société : celle-ci pourra
se pérenniser sans problème majeur sans être remise
fondamentalement en cause dans son être ou dans sa forme politique
(république, etc.) d'organisation.
Il en va différemment, en revanche, pour d'autres
valeurs dont le déclin, l'oubli voire le non-respect se
révèlent beaucoup plus dangereux pour la pérennité
de la communauté nationale. Tel est le cas, tout d'abord, des valeurs
qui, étroitement liées au fonctionnement même de la
société politique, sont de nature à porter atteinte, si on
les ignore ou les récuse, aux idées mêmes de
démocratie et de république.
Pour ces valeurs, en effet, les choses sont claires. Toute
remise en cause substantielle de leur existence ne saurait que menacer sinon le
devenir même de la société (à moins qu'elle ne se
disloque, celle-ci pourra perdurer indépendamment du régime
politique qui est le sien), du moins la pérennité de ce
modèle particulier d'organisation politico-sociale.
Sans doute, d'aucuns pourraient faire valoir qu'il en va de
cette république et de ses valeurs comme il en va de toute
société : elle a vocation à évoluer en
même temps qu'évolue cette dernière. Qu'y a-t-il en effet
de comparable entre la traduction donnée en 1960 à la valeur de
l'authenticité, celle qui lui a été donnée en 1970
et celle qui lui est donnée en 1997 par les responsables de l'Alliances
des Forces Démocratique pour la Libération du Congo ?
Tel est le cas, également, des valeurs liées aux
règles élémentaires de la sociabilité telles que le
respect des biens et des personnes, le respect de l'autre et de ses opinions,
le rejet de l'intolérance et des incivilités, etc. À
l'évidence, on touche là à des valeurs encore plus
fondamentales que les précédentes car consubstantielles
(indépendamment de la forme du régime politique) au principe
même de toute vie en société : raison de plus pour que
les pouvoirs publics dans leur ensemble conjuguent leurs efforts afin de
combattre cette « crise » spécifique des valeurs.
Crise aux conséquences mortifères car susceptible de
déboucher sinon forcément sur ces deux formes de négation
du droit que constituent la dictature ou l'anarchie, du moins sur la
négation de ce qui spécifie toute société
organisée et a fortiori toute société
fondée sur le respect des Droits de l'homme.
III.5. FONCTION CRITIQUE
Transversale également à toute l'oeuvre de
Simplice ILUNGA MONGA, la fonction critique est toujours exploitée par
ricochet. En effet, derrière le Pasteur Mwempo, c'est une
sévère diatribe de l'auteur contre le détournement de
l'Eglise et de sa mission première qui se cache. Le Professeur Talanga
est tout sauf un modèle pour la communauté universitaire et
scientifique. Mieux, il est une honte pour ce « corps ».
Cobella comme ses oncles paternels sont également loin d'être une
enfant ou alors des frères modèles. Ils lorgnent nuit et jour sur
la richesse de Iluzi et rêvent en secret de le voir mort pour jouir de
ses biens.
Derrière chaque figuration se cache un regard critique
trahissant le discours social de l'auteur et son positionnement dans
différents champs.
CONCLUSION PARTIELLE
Ce chapitre a présenté, au sens bourdieusien du
mot, c'est-à-dire comme positionnement de l'auteur à
intérieur de différents champs, les cinq fonctions sociales
développées dans l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA.
En effet, il a été question de montrer les
problèmes sociaux à partir desquels l'agent social Simplice
ILUNGA MONGA mène sa réflexion, problèmes sociaux entendus
ici au sens de pathos à partir duquel nous avons tenté de saisir
la pertinence de l'éthos simplicien.
CONCLUSION GENERALE
Notre travail a porté sur « Les fonctions
sociales de la littérature dans l'oeuvre de Simplice ILUNGA
MONGA ».Nous sommes parti du postulat selon lequel un texte
littéraire est souvent taillé sur mesure pour répondre aux
attentes et exigences du lecteur. Il est donc une réponse à la
demande explicite ou implicite de sa société. A ce
titre-là, il joue nécessairement un rôle ou, mieux, il
remplit une fonction sociale.
La problématique de ce travail
cherchait à répondre aux questions suivantes :
- Quelles sont les fonctions sociales reprises dans l'oeuvre
de SimpliceILUNGA MONGA ?
- Comment fonctionnent-elles dans l'oeuvre de SimpliceILUNGA
MONGA ?
- En quoi l'articulation de ces fonctions sociales dans
l'oeuvre de SimpliceILUNGA MONGA trahit le positionnement de l'auteur dans
divers champs ?
En guise d'hypothèses, nous pensions que :
- Simplice ILUNGA MONGA développeprincipalement, dans
ses oeuvres, les fonctions ci-après :
ü la fonction magico-religieuse
ü la fonction critique
ü la fonction fantasmatique
ü la fonction pédagogique
ü la fonction idéologique
- Ces différentes fonctions sociales forment une sorte
d'écriture d'interpellation et d'éveil de conscience de la
population dans une société congolaise décadente
où les vices sont devenus quasiment des vertus.
- Sa profession de professeur d'Université, son poste
de Secrétaire Général académique, sa foi
chrétienne, ses fonctions de Député national ;
fondent l'habitus, c'est-à-dire l'environnement social qui a fait
prendre conscience à Simplice ILUNGA MONGA des vices vécus dans
sa société. Sa prise de parole n'étant plus gratuite, elle
devient alors l'expression figurée de son positionnement à
l'intérieur de chaque champ.
Pour cette recherche qui visait essentiellement à
décrypter les fonctions sociales de la littérature dans l'oeuvre
de SimpliceILUNGA MONGA, nous avons choisi d'utiliser les approches
sociologique et structuraliste.
Eu égard aux études précédentes,
la démarcation de notre approche a présenté la trilogie
« écrivain » (création),
« lecteur » (réception) et
« texte » (médiation) avec des notions corolaires
telles que la notion d'éthos, la théorie des champs comme
soubassement théorique de l'interprétatibilité des
fonctions sociales dans l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA.
Conscient que les fonctions sociales de la littérature
pouvaient également être étudiées en se focalisant
sur le lecteur, nous avons orienté notre travail vers la création
à partir de laquelle se définissent les stratégies
narratives. D'où le recours aux notions d'éthos et de champ.
Hormis l'introduction et la conclusion
générales, ce travail comporte trois chapitres :
Le chapitre premier intitulé Cadre
théorique et méthodologique s'est chargé de
définir essentiellement les termes clefs de notre analyse à
savoir « fonction » et
« littérature ».
Commençant par la littérature,ce chapitre a survolé
plusieurs définitions en rapport avec celle-ci ainsi que les termes
connexes y afférents, ses tendances et ses écoles. Il a aussi
exploité la trilogie littéraire susmentionnée et a
été bouclé par la présentation du volet
méthodologique dans lequel nous avons brossé succinctement les
approches sociologique et structurale utilisées dans le cadre de ce
travail.
Le deuxième chapitre intitulé :
Analyse fonctionnelle des récitss'est attelé à
relever les différentes fonctions figurées dans l'oeuvre de
Simplice ILUNGA MONGA au moyen du schéma actantiel
complété par les triangles actantiels d'Anne Ubersfeldafin de
ressortir les différentes forces sociales en conflits.
Le troisième chapitre qui s'intitule Les
fonctions sociales de la littératuredans l'oeuvre de Simplice ILUNGA
MONGAa consistéà conférer la portée
significative des fonctions sociales repérées et analysées
dans notre corpus.
A ce stade de notre recherche, face aux pressions venant d'une
partie de la société en vue de modifier certaines de nos valeurs
essentielles, gouvernants et citoyens doivent sans cesse remettre l'ouvrage sur
le métier. D'abord, en faisant savoir et en faisant valoir qu'il y a des
valeurs à ce point importantes qu'il ne saurait ici être question,
tant du moins qu'elles sont partagées par une majorité de la
population, de donner lieu à transaction. Ensuite, en faisant oeuvre
résolument éducative, c'est-à-dire en rappelant et en
expliquant sans relâche l'origine, le contenu, les conséquences et
le bien-fondé de ces valeurs : en un mot, en se livrant à
une véritable propédeutique de la citoyenneté. Enfin - et
peut-être surtout - en s'efforçant de proposer à tous les
membres du corps social un dessein ambitieux autour duquel chacun pourra se
réunir, s'épanouir et se retrouver, individuellement et
collectivement.
Pour Simplice ILUNGA MONGA, si tous vont dans cette direction,
nul doute que, loin de constituer le signe annonciateur d'un délitement
inévitable de la société, la « crise des
valeurs » constituerait l'un des symptômes les plus
incontestables de sa vitalité, puisqu'elle ne ferait que rappeler - dans
la mesure notamment où la démocratie n'a d'autre ressort, ainsi
que le vit en son temps Montesquieu, que la vertu - que le combat pour les
valeurs a la même nature que le combat pour la république :
celle du mouvement perpétuel.
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* 2 Sociologie de la
création qui se fonde sur la théorie de la vision du monde
(1913-1970) prônant la réflexion au type de rapport entre l'oeuvre
littéraire et le contexte socio-économique qui a
présidé à sa création (Bonald, Chateaubriand,
Madame de Staël, Goldmann). P. Barbéris parle de la sociologie du
littéraire qui concerne l'amont, les conditions de production de
l'écrit. (Georges Lukacs, Mikhaël Bakhtine, Michel Crouzet).
* 3 Sociologie du texte(1970)
qui cherche àrendre compte non seulement de la genèse du
texte, mais aussi de ses lectures, de sa structure
polysémique: l'oeuvre est constituée de faits
littéraires (R. Escarpit). Le texte est à la fois fait social
et construction (P.V. Zima). L'interprétation doit partir de la
structure à l'idée.
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