B- LA PERCEPTION DE LA NOTION D'ANGLOPHONE AU CAMEROUN :
Selon le dictionnaire Larousse illustré de 2007, le
monde anglo-saxon est l'ensemble des pays dont l'organisation
socio-économique et la culture ont été fortement
influencées par la colonisation britannique et dont l'anglais est la
langue principale. Une personne Anglophone est celle-là qui parle
anglais. Cette définition ne correspond pas exactement à la
perception que les Camerounais ont de la notion d'anglophone. Pour l'homme de
la rue interrogé dans le cadre de notre recherche scientifique, un
anglophone au Cameroun est différent d'un francophone. Un anglophone au
sens camerounais du terme est une personne qui « cause » l'anglais.
Ici les personnes interrogées voient une différence entre «
causer » et parler l'anglais. Pour eux, l'anglophone « cause »
l'anglais comme son dialecte, au même titre que le « Bakweri
»34. Pour d'autres, un anglophone c'est une personne qui a
« la culture anglo-saxonne » des Régions du Nord-ouest et du
Sud-ouest du pays. Le profane camerounais estime que la culture de ces deux
Régions citées est différente de celle des autres
Régions du pays. Les anglophones seraient plus respectueux, plus soumis,
plus à cheval sur la discipline que les francophones. Les exemples
cités sont : ceux des écoles anglophones où les jeunes
filles ont les cheveux rasés comme les garçons et ceux des villes
anglophones où il y a moins d'immondices et de papiers qui trainent.
Nous pouvons ainsi établir une corrélation entre le
problème anglophone et la question juive au sens de Jean-Paul
Sartre35 cité plus haut qui estime que la haine des juifs
vise à valoriser la médiocrité et à créer
l'élite des médiocres. Pour un antisémite
(anti-anglophone), le juif (l'anglophone) est intelligent, il le méprise
donc
32Guardian Post, du Mardi 19 juillet 2016.
33 La Nouvelle Expression, N°4329, du
Mardi 11 octobre 2016 34Tribu du Sud-ouest Cameroun.
35 Nathan Weinstock, Le Sionisme contre
Israël, p. 19
30
La médiatisation de la « question anglophone
» dans les journaux camerounais pendant la célébration du
cinquantenaire de la réunification du Cameroun.
ainsi que toutes ses autres vertus. La personne qui
déteste les juifs (ou les anglophones) est de ce fait un homme qui a
peur, non pas des juifs (ou des anglophones), mais de sa conscience, de sa
liberté, de ses instincts, de ses responsabilités, de la
solitude, du changement, de la société et du monde, de tout sauf
des juifs (ou des anglophones) : C'est un lâche. Maître Nico Halle
dans une interview accordée au journal The Post 36
ira même plus loin en ces termes : « The average Francophone
respects the Anglophone and doesn?t want to use the word fear; respects the
Anglophone for his honesty, for his intelligence, for his image...
»37 Tout cela est bien flatteur à l'égard des anglophones,
sauf que les personnes interrogées dans la rue ajoutent que « les
anglophones sont toujours à gauche », terme péjoratif qui
voudrait dire que les anglophones ont une manière qui leur est
particulière de voir les choses. Anicet Ekane, homme politique, nous
confiera au cours d'un entretien réalisé au siège du
MANIDEM, qu'un anglophone pour lui est « un camerounais qui a vécu
dans la zone anglophone ». Si cet homme politique sous-entend par le verbe
« a vécu », conjugué au passé composé, le
fait d'y avoir vécu dans le passé, les anglophones nés
récemment dans la zone anglophone ne sont-ils pas anglophones ? S'il
entend par là le fait de vivre dans la zone anglophone, ne seraient pas
anglophones ceux qui vivent en zone francophone ? Pour Louis Marie
Nkoum-Me-Ntseny « ...De toute évidence l'identité anglophone
est largement tributaire de la langue anglaise. Si la partition du Kamerun
allemand en 1916 entre la France et la Grande-Bretagne peut être
considérée comme l'élément fondateur de la
distinction anglophone/francophone, la colonisation britannique apparaît
par conséquent comme le vecteur de l'identité anglophone eu
égard à la dynamique d'identification et d'individualisation
qu'elle recelait. Elle est en effet à l'origine de l'inscription
historique, culturelle, linguistique, spatiale et même politique de
l'identité anglophone dans la géopolitique nationale. La question
essentielle demeure cependant celle du contenu de l'héritage culturel
anglophone, c'est-à-dire de la quintessence culturelle du camerounais
anglophone. Qu'est-ce qui a pu identifier l'anglophone de manière
spécifique et singulière comme Anglophone depuis la colonisation
britannique? Sa manière d'être, de vivre, de se comporter, de
parler, d'agir. Cela est-il le reflet évident de l'héritage
culturel britannique ? ». Anthony Ndi, dans Southern West Cameroon
Revisited, 1950-1972: « Unveiling Ineascapable Traps » ne
s'éloignera pas vraiment de ce postulat : il est d'avis que la «
marginalisation des
36 The Post, N°01506, du 21
février 2014
37 Traduction : « La majorité des
francophones a un profond respect pour l'anglophone pour ne pas utiliser terme
avoir peur. Elle le respecte pour son honnêteté, son intelligence
et son image ».
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La médiatisation de la « question anglophone
» dans les journaux camerounais pendant la célébration du
cinquantenaire de la réunification du Cameroun.
anglophones » de nos jours provient de la mauvaise foi
des francophones ou du moins du Président Ahidjo qui entendait
régner en véritable potentat sur le Cameroun, comme le faisaient
les puissances occidentales. Michel Olinga pense pour sa part que « les
termes francophone et anglophone ont, en sus du sens courant et standard qui
renvoie à l'usage de l'anglais, pour les Anglophones, et du
français, pour les Francophones, des acceptions qui relèvent
parfois plus de l'ethnique, de l'historique ou même du politique. Aussi,
n'est-il surprenant de rencontrer au Cameroun des personnes
présentées comme anglophones, mais ne s'exprimant pas
nécessairement en anglais ? ». En effet, pour ne pas revenir
à l'exemple des Professeurs Ngoh et Njeumah, il n'est pas rare de
rencontrer des anglophones naissant dans des familles francophones et vice
versa. Ce mixage est dû à la très forte
pénétration par les francophones du système
éducatif anglo-saxon au Cameroun dès le primaire ou le
collège ; ou encore leur fréquentation assidue des écoles
« bilingues », même si l'intellectuel anglophone Francis
Nyamnjoh qualifie le bilinguisme officiel camerounais de « bilinguisme
cosmétique38 ». Les anglophones quant à eux se
retrouvent très souvent,- certains diront par manque d'autres
alternatives, entrain de poursuivre leurs études dans les
universités francophones camerounaises. Deux universitaires au Cameroun
sont considérés et s'identifient eux même comme anglophones
: les professeurs Victor Ngoh et Njeumah. Pourtant le premier est « Eton
»39 et le second est « Bassa »40. Mono
Dzana a estimé lors d'un entretien que nous devons produire des Etats
qui s'inspirent de nos réalités. Lorsque la réalité
est aussi abstraite et difficile à cerner que la détermination de
la notion de « l'anglophone » au Cameroun, il devient compliquer de
s'en inspirer. Thomas Bissonhong met en exergue la logique de la refondation.
Pour lui nos références doivent dépasser le temps.
D'ailleurs au Cameroun, francophones et anglophones ont tous une tribu et un
dialecte qui leurs sont propres. D'où vient-il qu'on les identifie en
fonction de la langue officielle parlée ? La langue ne constitue donc
pas le noeud du problème. Anicet Ekane dira à ce sujet que pour
lui la question anglophone « est un problème vicié par
l'approche qui privilégie les cultures occidentales ». Se
reconnaitre anglophone au Cameroun apparait dans l'espace politique comme une
tentative de repli identitaire, de surenchère ou de chantage politique
basé sur l'appartenance à un
38Cameroon Post, Du 20 mai 1991
39 Tribu que l'on retrouve principalement dans la
Région du Centre-Cameroun dans les villes d'Obala, Saa,
Monatélé, Okola et qui appartient au grand groupe Fang
Béti.
40 Tribu autochtone de la ville de Douala que l'on
retrouve principalement dans les provinces du Centre et du Littoral et dont
l'un des cantons se retrouve dans le Ngondo Sawa.
32
La médiatisation de la « question anglophone
» dans les journaux camerounais pendant la célébration du
cinquantenaire de la réunification du Cameroun.
groupe idéologique dans le but de
bénéficier de certaines pré bandes et d'un quelconque
positionnement politique au regard de l'équilibre tacite qui existe dans
le pays entre francophones et anglophones. De manière
générale, lorsque le Président de la République est
francophone, son Premier Ministre Chef du Gouvernement est anglophone. Dans les
entreprises parapubliques, la nomination d'un Directeur Général
francophone entraine fatalement celle d'un Directeur Général
Adjoint ou d'un PCA anglophone. Et Luc Sindjoun pense que « la
démarcation identitaire anglophone va conduire à la
déconstruction des mythes fondateurs de l'Etat unitaire tels que la
fête nationale du 20 Mai, l'unique étoile dorée du drapeau
national, etc. Même la dénomination de l'Etat
"République du Cameroun" est remise en cause parce que ne
traduisant pas l'existence de deux segments francophone et anglophone ayant
accepté de s'unir »41.
En clair, pour une certaine opinion au Cameroun, la question
anglophone au sens politique du terme résulte d'un ensemble de
frustrations qui émanent d'une frange de la population qui s'estime
lésée dans le partage du « gâteau national ».
Pourtant le problème selon certains chercheurs est ailleurs. Il s'agit
d'un problème ethnolinguistique, d'un problème historique, d'un
problème de construction de l'identité national, d'un
problème de relecture des textes fondateurs du mariage entre les deux
Cameroun de l'époque.
II- LES TERMES EN LESQUELS SE POSE LA « QUESTION
ANGLOPHONE » AU CAMEROUN:
Aboya Manassé Endong pense que « plus que jamais,
les anglophones de l'ancien condominium franco-anglais se considèrent
comme des citoyens de seconde zone, même si aucun texte officiel ne
consacre cette marginalisation...la « question anglophone » demeure
une épine dans un système politique verrouillé... ».
Pour Michel Olinga « la question anglophone...au Cameroun est aussi
d'ordre politique et institutionnelle ». Pour Louis-Marie Nkoum-Me-Ntseny
«... le message identitaire anglophone semble s'articuler autour de
l'auto-identification et du positionnement dans l'arène politique ou en
dehors de celle-ci... ». La « question anglophone » selon ces
auteurs se pose en termes de revendications politiques ou de repli
identitaire.
41 Sindjoun L, «
Identité nationale et révision constitutionnelle du 18
janvier 1996 : comment constitutionnalise-t-on le nous au Cameroun dans l?Etat
post-unitaire ? »Page 6
33
La médiatisation de la « question anglophone
» dans les journaux camerounais pendant la célébration du
cinquantenaire de la réunification du Cameroun.
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