Université de Montpellier
Centre du Droit de l'Entreprise
Année : 2016
Mémoire soutenu par M. Édouard BRUC
Titre :
Opportunité et stratégie du
règlement consensuel des
litiges au regard des actions
collectives en droit européen de
la concurrence
Directeurs de mémoire :
Guillaume ZAMBRANO
Maître de conférences en Droit privé
Marie-Pierre DUMONT-LEFRAND
Professeur à la Faculté de Droit de
Montpellier
2
« La Faculté de Droit et de Science Politique
n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises
dans ce mémoire ; ces opinions doivent être
considérées comme propres à leur auteur »
3
« Une armée est victorieuse si elle cherche
à vaincre avant de combattre ; elle est vaincue si elle cherche à
combattre avant de vaincre. »
SUN TZU in L'art de la guerre, chapitre IV
1
1
même si la paternité de l'ouvrage à Sun
Tzu (ou Sun Wu) reste sujette à caution (voir pp.23-41 dans Sun Tzu,
L'art de la guerre, traduction de l'anglais Samuel B. Griffith par Francis
Wang, édition Champs classiques)
4
RÉSUMÉ
L'opportunité du règlement consensuel des
actions collectives (ou class action) demande de regarder dans un
premier temps son sujet qui est l'action collective. L'action collective
pourrait se décrire comme l'action holiste faite de l'agrégation
d'actions individuelles. L'existence d'une action collective en droit de la
concurrence est le produit en Europe d'un éclatement du droit en droits
subjectifs par l'arrêt Courage de la Cour de justice. En effet,
en donnant un droit d'agir à tout justiciable en cas de préjudice
découlant d'une infraction au droit de la concurrence, le juge a
donné une assise à l'hypothèse même d'une
collectivisation des préjudices. Malgré la volonté du juge
européen, reste l'incapacité du législateur à
créer un régime harmonisé d'actions collectives au niveau
européen. Cette incapacité frappe les victimes que ce soit les
entreprises ou les consommateurs qui subissent une insécurité
juridique et une inégalité de traitement face à une action
collective selon les droits internes applicables. Ainsi, un risque de forum
shopping apparaît au regard des lois contemporaines de droit
international privé.
La directive n°2014/104 vient en partie
révolutionner le paysage juridique des actions en dommages et
intérêts qui sont regardées comme un complément du
travail des autorités publiques. Ce travail, le public
enforcement se caractérise par la sanction, l'amende donnée
aux entreprises contrevenantes. Elle frappe l'auteur parfois comme un coup de
tonnerre du fait de l'importance de son montant. L'action individuelle en
dommages et intérêts pour le surcoût payé par la
victime, du fait de son caractère sporadique, s'apparente plus à
une pluie agrégée de petites gouttes correspondant au
préjudice personnel de chacun.
Face à ces deux facettes du droit de la concurrence, la
directive propose d'accroitre leur coordination tout en respectant le droit
à la réparation intégrale du préjudice. Pour cela,
elle facilite la production de preuves, affirme l'autorité des
décisions des autorités de concurrence ou protège
l'intérêt du programme de clémence. Ce renforcement des
modalités du contentieux privé touche directement les actions
collectives qui n'en sont qu'une modalité procédurale.
Par ailleurs, reste que le risque des actions collectives doit
être nuancé au regard de l'apathie rationnelle du consommateur et
des difficultés propres au contentieux concurrentiel notamment sur le
terrain de la caractérisation du préjudice et de sa
répartition. Le législateur européen face à ces
difficultés voit dans le règlement consensuel une
opportunité de règlement rapide et efficace du contentieux. Il
chercher à promouvoir ce type de règlement amiable quitte
à créer une course au règlement extra-judiciaire pour les
entreprises.
Le règlement consensuel a aussi d'autres
qualités qui sont notamment la disparition de l'aléa de la
sanction. Aléa qui peut en outre être réduit par des
procédures de compliance qui pourront au demeurant être
utilement utilisées lors du contentieux judiciaire ou
extra-judiciaire.
Enfin, l'ouverture légalisée par la directive
d'un marché européen de la cession de créance indemnitaire
peut être un risque pour l'entreprise du fait de l'établissement
de marchands de procès mais cela peut aussi être cyniquement une
opportunité dans sa recherche de la baisse du coût
infractionnel.
5
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier toutes les personnes qui m'ont
aidé dans la rédaction de ce mémoire.
Tout d'abord, mes directeurs de mémoire : M. le
maître de conférence Guillaume Zambrano pour sa vision approfondie
du sujet et son aide jusqu'au dernier instant et Mme. le professeur
Marie-Pierre Dumont-Lefrand pour ses encouragements.
Mme. le professeur Carine Jallamion qui a toujours
été bienveillante et d'un soutien indéfectible.
Je voudrais adresser aussi un mot particulier à mon ami
Pierre Nicolas avec qui j'ai toujours pu partager des réflexions
juridiques enrichissantes.
Mais aussi, mes voisines, Vérène et Mélanie
qui m'ont soutenu et ont apporté de la lumière dans mon
quotidien.
Mes amis qui m'ont chaleureusement entouré et immuablement
supporté pendant tant de temps : Clément, Léonor,
Lo
·c, Julie, Joan, Marie, Ivan, Romain, Stivian.
Ma grand mère qui me souhaite toujours le meilleur.
Mon frère et mes soeurs, pour leurs présences.
Mes parents qui m'ont inlassablement soutenu depuis mon premier
cri. Enfin, mon grand père à qui je dédie ce
mémoire.
6
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PARTIE 1 - RISQUE DES ACTIONS COLLECTIVES EN DROIT DE
LA CONCURRENCE
Titre 1 - Risque actuel
Chapitre 1: Risque éthéré des actions
collectives découlant du droit européen Chapitre 2: Risque
inégal des actions collectives découlant des droits internes
Titre 2 - Risque potentiel
Chapitre 1 - Potentiel accru des actions collectives au
travers de la directive sur les actions en dommages et intérêts
Chapitre 2 - Obstacles pratiques à
l'efficacité des actions collectives
PARTIE 2 - GESTION DU RISQUE PAR LE BIAIS DU
RÈGLEMENT EXTRA-JUDICIAIRE
Titre 1 - Opportunité des modes de
règlements consensuels
Chapitre 1 - Les différents modes de
règlement consensuel
Chapitre 2 - Les modalités concrètes d'utilisation
des règlements consensuels
Titre 2 - Stratégie des modes de
règlements consensuels face aux actions collectives
Chapitre 1 - Gestion opportune de l'action collective par le
règlement extra-judiciaire Chapitre 2 - Gestion intensive par
l'entreprise de l'action collective et de son règlement consensuel
BIBLIOGRAPHIE
TABLES DES MATIÈRES
7
ABREVIATIONS
ADR : Alternative Dispute Resolution (modes alternatifs de
résolution des conflits)
ANC : Autorité nationale de la concurrence
C. com : Code de commerce
C. cons. : Code de la consommation
C. civ : Code civil
CE : Conseil européen
CEDH : Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés
fondamentales ou Convention européenne des droits de
l'homme
Cour EDH : Cour européenne des droits de l'homme
CJCE : Cour de justice des Communautés
européennes
CJUE : Cour de justice de l'Union européenne
DG comp.. : Direction générale de la concurrence
de la Commission européenne
EEE : Espace économique européen
Ibidem : même endroit
i.e. : c'est-à-dire
Infra : ci-dessous
MARC: modes alternatifs de résolution des conflits
PE : Parlement européen
PME: petites et moyennes entreprises
Supra : ci-dessus
REC : Réseau européen de concurrence
TFUE : Traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne
TUE : Traité instituant l'Union européenne
UE : Union européenne
8
INTRODUCTION
1. Une opportunité stratégique.
« Y croire sans y croire, ne rien faire pour tout faire,
se
donner, sous les ordres de la Dame-Fortune, les moyens et le temps
d'agir, en ne sachant pas ce que l'action deviendra et en considérant
qu'une bonne intention peut dégénérer de façon
perverse ou qu'à quelque chose malheur est bon. Le machiavélisme,
dans sa partie descriptive, est un grand traité de stratégie, une
science rationnelle de l'efficacité qui débouche presque sur la
théorie des jeux. La politique n'est plus une fin en soi. Elle devient
une panoplie de moyen, un art du réalisme, de l'ajustement permanent, de
la négociation » pointe Michel Bergès.
2
Ainsi, homme aux mille visages, le Prince s'évertue au
travers de la virtù à faire sien la Fortuna,
3
combat démesuré entre la volonté d'un
seul et une destinée commune, une mécanique imprévisible.
Lutte individuelle contre la collectivité ou révolte collective
contre le souverain, pour le Prince il faut faire preuve d'allocentrisme en se
figurant tous les points de vue. Vision instable du Prince qui doit se mettre
en abîme, se démultiplier en autant de point de vue que
d'acteurs.
Multiplicité donc mais surtout métamorphose,
mutation animalière du Prince qui se transforme au gré des
événements. Le bestiaire princier c'est avant tout un
prolongement politique de sa stratégie. Dès lors, penser une
stratégie en s'adaptant à toutes les circonstances, faire face
à l'imprévisible, c'est prendre l'opportunité. Penser
l'opportunité, c'est porter, rapporter quelque chose aisément,
c'est in fine prendre une position avantageuse. Il est donc à
la fois question d'action par l'usage de la stratégie qui par sa nature
même s'inscrit dans le mouvement: l'acte ; là où
l'opportunité
4
caractérise un fait. Fait et acte ainsi se font face
mais cette subdivision n'a de sens que si elle s'inscrit, s'incarne au travers
d'un acteur à qui elle se propose.
2. La stratégie dans l'opportunité.
Penser l'opportunité comme un fait extérieur peut a
priori
être juste, ce qui est opportun c'est
nécessairement ce qui est l'intériorisation5 d'une
extériorité, d'une possibilité qui se présente.
Mais l'opportunité ne peut s'étaler à la vue que d'un
acteur qui la perçoit, tout comme la stratégie pour la saisir.
Par conséquent, il s'agit de caractériser face à une
opportunité la pluralité de perceptions possible de celle-ci, qui
pourront ainsi en devenir les acteurs.
2 BERGéS, Michel in Machiavel, un penseur masqué ?,
édité en 2000, Editions Complexe, p.297
3 MACHIAVEL, Nicolas in Le Prince paru en 1532
4 celle-ci se définissant comme une : « Partie
de l'art militaire qui consiste à préparer, à diriger
l'ensemble des opérations de la guerre. [É] Il s'emploie aussi
figurément et désigne l'Art de manoeuvrer. » in
Dictionnaire de l'Académie Française, 8ème édition
(1932-1935)
5 en effet, intérioriser c'est bel et bien le «
processus psychanalytique qui consiste à transporter à
l'intérieur de soi les conflits auxquels un sujet est confronté
dans le monde extérieur » (Larousse) or pas
d'opportunité sans subjectivité et un extérieur à
soi-même.
9
Opportunité au pluriel et stratégie multiple,
car la stratégie incarnée par un acteur s'inscrit dans sa
volonté, elle est ainsi un ensemble de manière d'organiser, de
structurer un travail, de coordonner une série d'actions, un ensemble de
conduites en fonction d'un résultat 6 .
Celle-ci peut s'inscrire dans l'action ou l'inaction, comme le
rappelle d'ailleurs la distinction du Code civil de 1804. Mais reste à
l'horizon la question substantielle de l'objectif, du résultat voulu.
3. Stratégie et concurrence. En
l'occurence, la question du résultat après ce préambule
pour
saisir l'enjeu ne s'écarte pas tant de l'oeuvre de Nicolas
Machiavel. Cette oeuvre politique trouve aussi un écho au travers de la
notion de Politikè, ou de l'art politique c'est-à-dire
la pratique du pouvoir, celle-ci s'inscrivant dans une lutte. La concurrence
est donc aussi un art de la politique.
Art de la politique et politique de la concurrence se
présente donc en un miroir et son reflet face à un même
acteur. En ce qui concerne la concurrence comme miroir, i.e.
siège darwinien d'une lutte intestine entre des acteurs pour le
pouvoir. Elle s'inscrit dans un paradigme au travers d'acteurs choisis dans un
univers qu'il est nécessaire de qualifier de capitaliste7.
Dès lors, la concurrence est une lutte qui dans ce paradigme est
fatalement économique. Elle se reflète au travers d'acteurs qui
ne peuvent être choisis qu'au regard de la norme, de la politique de la
concurrence.
En ce qui concerne la concurrence comme politique, ce reflet
d'une perception de la réalité se traduit par un
intentionnalisme. En conséquence, cette lutte économique peut
prendre place comme reflet au travers de deux types de surface, de cadre qui
techniquement, idéologiquement s'opposent diamétralement.
Modèle économique dit classique (voir néo-classique) ou
modèle marxiste ; liberté dite « absolue » ou
planification de l'économie se proposent comme une méthodologie
d'appréhension économique. Prosaïquement, le modèle
européen de concurrence s'éloigne pour partie du «
laissez-faire, laissez-passer8 » mais s'écarte
largement du dirigisme économique.
4. Domination du droit européen.
Partant du postulat d'une correction du marché, il
s'agit
dans un premier temps d'asseoir le marché unique comme
défini dans l'article 3 du Traité sur le fonctionnement de
l'Union européenne . Dans un second temps, il s'agit
véritablement au-delà
9
d'uniformiser ce marché de créer des instances
supra-étatiques correctrices du marché et établissant au
passage sa suprématie. Ce quasi-monopole du droit européen de la
concurrence sur les droits internes est aujourd'hui factuel (voir infra
point 26).
6 Centre national de ressources textuelles et lexicales,
définition de « stratégie »
7 il apparaît nécessaire de partir du postulat
que les acteurs (ici économique) s'inscrivent dans une concurrence au
travers d'un « système de production dont les fondements sont
l'entreprise privée et la liberté du marché »
(définition du capitalisme du dictionnaire Larousse)
8 aphorisme apparu au XVIIIème siècle
attribué à Vincent DE GOURNAY (1712-1759)
9 Au titre du préambule : « reconnaissant que
l'élimination des obstacles existants appelle une
action concertée en vue de garantir la stabilité dans
l'expansion, l'équilibre dans les échanges et la loyauté
dans la concurrence » mais aussi à divers articles, dont
l'article 3 « b) l'établissement des règles de
concurrence nécessaires au fonctionnement du marché
intérieur; »
5.
10
Politique de la concurrence. La règle
juridique comme expression du politique en droit
européen n'est donc
que le reflet d'une idéologie qu'il sera nécessaire de saisir
pour en comprendre la forme et la transformation tant passées que
futures.
Plus concrètement, la loi régule des acteurs,
acteurs économiques qui seront définis comme : le consommateur,
l'entreprise et l'Etat. En outre, ils agissent sur un marché
défini par une offre et une demande. Schématiquement, le droit
européen s'inscrit dans ce marché et part du postulat que
celui-ci est faussé par l'abus. Sans son intervention apparaît
ainsi une asymétrie entre les acteurs, asymétrie structurelle
qu'elle essaye conjoncturellement de corriger. Dès lors, « la
concurrence apparaît de plus en plus comme une forme d'organisation et
non plus comme un état naturel, spontané, normal ». Il
n'y a pas de « invisible hand » ou une théorie
hayékienne de l'ordre auto-
10 11
organisé du marché (« spontaneous order
») au yeux du législateur européen. Bien au contraire,
il
12
s'agit de « faire concurrence » et non pas de
« laisser-faire concurrence ». Dès lors, le législateur
met en place un cadre juridique qui se veut prescriptif, prohibitif mais
surtout dissuasif.
6. Appréciation économique du droit
européen. Derrière ce cadre se dévoile ainsi une
norme
propre au droit de la concurrence qui est fluctuante au gré de
l'appréciation plus ou moins libérale ou interventionniste faite
du « marché » tant par le législateur au travers des
textes de loi et des lignes directrices que par les juges eux-mêmes.
Apparaît ainsi la question sous-jacente de toute étude
contextuelle de l'idéologie majoritaire (ou même de la
dogma) interne aux racines du
13
raisonnement tant du législateur que des institutions
ou des juges. À partir de ce constat, il apparait incohérent et
abscons de ne pas se pencher sur la vision économique, car celle-ci est
le fondement idéologique de la politique tant législative que
jurisprudentielle des institutions en charge de créer ce droit de la
concurrence.
En effet, la compréhension de l'approche
économique prise par les institutions européennes
nécessite de regarder cette analyse par le prisme de trois écoles
de pensée et de courants modernes plus diffus : Harvard, Chicago,
Fribourg et « théorie contemporaine des jeux non coopératifs
» et modèle de Porter.
7. Ecole d'Harvard. Pour l'école
structuraliste d'Harvard, la structure détermine les
comportements,
il faut intervenir pour règlementer la structure. Ainsi, après
avoir déterminé juridiquement la nature d'un accord, il faut
définir le marché pertinent avant d'analyser la structure dudit
marché. Plus concrètement, la thèse structuraliste se
traduit par le « modèle SCP » d'Edward Mason14. Ce
paradigme s'articule autour de trois séries de critères
interdépendants : la structure (S)
10 FARIAT, Gérard in Pour un droit économique, PUF,
Paris, 1994 p.45
11
|
SMITH, Adam in The Wealth of Nations, paru en 1776, Livre IV,
Chapitre II, paragraphe IX
|
12 VON HAYEK, Friedrich August in Law, Legislation and
Liberty, a new statement of the liberal principles of justice and political
economy, Volume I, Rules and Order, The University Chicago Press, p.36
13 au-delà de l'aspect virtuel de penser pouvoir saisir
une « courant de pensée » uniformisé à un
instant précis
14 MASON, Edward S., in Price and Production Policies of
Large-Scale Enterprise, American Economic Review, paru en mars 1939, vol.29,
no 1
11
du marché (caractérisée par la
présence ou l'absence de barrières à l'entrée et la
mauvaise ou bonne information des entreprises), les comportements (C) des
agents économiques (soit une rivalité intense exercée
entre les différents concurrents et une absence de discrimination
déraisonnable, soit une collusion tacite ou expresse entre les acteurs
de marché) et la performance (P) du marché (en tenant en compte
du niveau des prix, de la production et de l'innovation).
En vertu de ce paradigme, la structure du marché
conditionne la concurrence qui y règne. La relation entre la structure
du marché et le pouvoir de marché dépend essentiellement
des conditions d'entrée sur le marché, à savoir
l'existence de barrières à l'entrée, qui sont
définies par Joe Bain comme:
« The extent to which, in the long run, established
firms can elevate their selling prices above minimal average costs of
production and distribution without including potential entrants to enter the
industry ».
15
In fine se pose deux questions majeurs : le
degré de concentration au sein du marché pertinent16
mais aussi les barrières à l'entrée, la croissance de ces
indicateurs augmentant le risque de comportement anticoncurrentiel. Ce
paradigme impose donc aux autorités en charge de la concurrence de
répondre par une politique appréhendée au travers de ces
deux paramètres.
8. Ecole de Chicago. Pour l'école de
Chicago prend pied tout d'abord dans « l'école de
l'offre », critiquant le modèle SCP qui est, selon
ce courant, trop basé sur le modèle de concurrence pure et
parfaite des Classiques . Le théoricien phare contemporain est Richard
Posner (par
17 18
ailleurs juriste), il a une approche dynamique de la
concurrence, envisagée comme un processus de sélection des
entreprises les plus efficaces. En outre, il faut inverser le modèle
SCP.
En effet, ce sont les comportements des entreprises et les
performances qui déterminent la concentration industrielle. Ainsi,
l'entreprise qui propose un produit de meilleure qualité que ses
concurrents acquiert une nouvelle clientèle et pourra, ainsi,
détenir une position dominante. La concentration du marché est
alors due aux différences de performance entre entreprises, l'entreprise
en position dominante étant simplement meilleure que ses concurrentes.
Il est donc surtout question d'efficience sur un marché, la
concentration pouvant simplement en être le résultat.
Qui plus est, les barrières à l'entrée,
or l'exception de barrière légale, ne sont que l'effet de cette
efficience. Par exemple l'existence d'un monopole peut être
justifiée car d'autres entreprises peuvent, si elles le souhaitent, y
entrer ; le postulat est donc que ce monopole existe parce que l'entreprise
monopolistique est la seule capable de satisfaire la demande aux conditions
requises.
15 BAIN, Joe in Industrial Organization, paru en 1968, John Wiley
and Sons, New York, p. 252
16 « small is beautiful » pour reprendre
l'expression de David Encaoua et Roger Guesnerie
17 KNIGHT, Frank in Risk, Uncertainty and Profit, paru en 1921
où la concurrence pure et parfaite est définie par une structure
de marché parfaite avec une : atomicité de l'offre et de la
demande, homogénéité du produit, liberté d'entrer
et de sortir du marché, information parfaite des acteurs sur le
marché, mobilité parfaite des facteurs de production
18 POSNER, Richard Allen in The Chicago School of Antitrust
Analysis, University of Pennsylvania Law Review, paru en 1979, Vol.127, no.4,
pp. 925-948
12
Par ailleurs, à la fin des années soixante-dix
émerge la théorie dite des « contestable markets
».
19
Cette théorie met l'accent sur le rôle de la
concurrence potentielle comme contrainte pesant sur le pouvoir de marché
des entreprises actives dans un secteur d'activité. Il y a deux moteurs
à celle-ci : l'absence de barrières à l'entrée et
à la sortie du marché (sans coût). Ainsi, les entreprises
en place maintiennent leurs prix au niveau concurrentiel en raison de la menace
constante représentée par les entrants potentiels (en cas de prix
trop élevés notamment). Ce paradigme impose donc une intervention
plus fluette des autorités, se limitant à éliminer les
barrières légales à l'entrée et à la sortie,
mais oblige à se pencher plus amplement sur les gains d'une structure ou
un comportement qui pourraient paraître anticoncurrentielles .
20
La défense de la concurrence dans la loi allemande est
garante de la liberté économique des acteurs qu'elle
préserve des abus de pouvoir exercé par les entreprises
dominantes : la concurrence est un objet de droit qu'il convient de
protéger en soi. L'objectif diffère ainsi de celui qui a fini par
prévaloir aux États-Unis en la matière, à savoir la
promotion de l'efficacité économique. Selon Posner (2001, p. 29)
:
« l'efficacité est l'objectif ultime de
l'antitrust, mais la concurrence est un objectif intermédiaire qui est
souvent suffisamment proche de l'objectif ultime pour éviter aux
tribunaux de pousser plus loin leurs investigations ».
9. Ecole de Fribourg. Courant de pensée
libéral européen dit d'« ordolibéralisme
» selon
lequel la mission économique de l'État est de
créer et maintenir un cadre normatif permettant la concurrence libre et
non faussée entre les entreprises. Pour les ordolibéraux, il
s'agit par là de créer une économie sociale de
marché, qui assume l'idée que le libre-marché est
naturellement social. Pour Walter Eucken l'ordre de la concurrence n'est pas un
ordre naturel, il faut intervenir pour le corriger. Ainsi, l'État
intervient donc dans la vie économique de deux façons : en fixant
des règles et en les faisant appliquer et respecter. Il s'agit de
valoriser l'ordre (en référence à la théorie
augustinienne de l'ordre) et de réguler par le biais de l'État
(Etat-ordonnateur) ; l'ordolibéralisme se distingue du
libéralisme classique basé sur la dérégulation et
le « laissez-faire ».
Idéologie normative, il est nécessaire de
trouver une véritable constitution permettant une efficience
concurrentielle , l'ordre concurrentiel en découlant est justifié
par l'aspect démocratique de la
21
société. S'inspirant des travaux de Heinrich von
Stackelberg , il s'agit que l'ordre économique
22
réalise une concurrence parfaite dont les points clefs
sont la libre formation des prix et des marchés atomistiques, ce qui
suppose une abolition de l'imposition des prix et une législation sur
les cartels.
19 BAUMOL, William, PANZAR, John, WILLIG, Robert in
Contestable Markets and the Theory of Industry Structure, Harcourt Brace
Jovanovich, Revised edition 1988.
20 Richard Posner précisant ainsi que « that
the design of antitrust rules should take into account the costs and
benefits of individualized assessment of challenged practices relative
to the costs and benefits of the rule of thumb prohibitions, notably the per se
rules of antitrust illegality » (in Antitrust Law, Second Edition,
University of Chicago Press, édition de 2009, Préface, ix)
21 COMMUN, Patricia in L'ordolibéralisme allemand, aux
sources de l'économie sociale de marché, paru en 2003,
CIRAC/CICC, édition Broché, pp.95-100
22 modèle d'analyse de duopole complétant les
travaux d'Antoine Courront et Joseph Bertrand
13
Courant aujourd'hui consacré au moins textuellement au
travers de l'article 3 du Traité de l'Union
23
européenne qui use directement d' «
économie sociale de marché » mais aussi
économiquement (au travers de la politique de stabilité
monétaire de la Banque centrale européenne).
10. Théorie des jeux non coopératifs et
modèle de Porter. Émergent deux courants dominants
basés sur les concepts de « théorie des
jeux » et de « forces de Porter ».
En ce qui concerne la théorie des jeux non
coopératifs (en dehors d'une position d'entente), elle incarne un retour
de balancier post-Chicago. La théorie des jeux s'intéresse
à des situations où des « joueurs » ou « agents
» prennent des décisions, chacun prenant en compte que les gains
dépendent de sa propre décision que de celle des autres «
joueurs ». Plus précisément, le théorie des jeux
« non coopératifs » s'inscrit dans une modélisation des
interactions stratégiques entre différents joueurs qui ne
cherchent pas à se coordonner. Elle s'accompagne aussi d'une prise en
compte explicite des asymétries d'information qui peuvent exister entre
les acteurs et du postulat d'une rationalité de chacun des joueurs
(recherche d'un optimum propre). Tout d'abord, cette théorie
réhabilite l'équilibre de Cournot. Celui-ci s'inscrivant dans le
cadre d'un duopole où chaque firme considère la production de son
concurrent comme une donnée. Chaque entreprise choisit
simultanément ce qu'elle va produire en considérant le niveau de
production de l'autre comme acquis, ce qui conduit à un équilibre
de Nash (i.e. une situation dans laquelle aucun joueur n'a
intérêt à changer de
24
stratégie). L'anticipation est donc essentielle
à l'équilibre de Nash et la théorie des jeux non
coopératifs recentre le débat sur : d'une part, les prix
(notamment : prix limite, le prix de prédation, les compressions de
marge, les remises de prix et les baisses sélectives de prix) mais
aussi, sur d'autres facteurs extérieurs au prix : les informations
transmises aux autres acteurs, les signaux fournis par les acteurs, ou encore
les ventes liées, les clauses d'exclusivité et les refus de
vente.
À partir de ces données, chaque acteur agit en
conséquence et doit chercher la position la plus avantageuse au regard
notamment des informations qu'il a sur le marché pertinent en question
et du prix et autres barrières sur le marché. Il y a donc une
prise en compte explicite des asymétries d'information qui peuvent
exister entre les acteurs.
En ce qui concerne le modèle des « cinq forces
de Porter », élaboré en 1979 par le professeur
25
Michael Porter, la notion de concurrence est élargie et
désigne toute acteur économique capable de réduire la
capacité potentiel des entreprises à créer du profit.
Selon Michael Porter, la structure
23 et même idéologiquement comme en atteste
l'ancien commissaire à la concurrence Karel Van Miert, dans son discours
à l'occasion de la réception du prix Ludwig Erhard en 1998 :
« Si l'on a fait dès le départ des règles de la
concurrence l'un des piliers de base du Traité CEE, c'est en grande
partie à l'influence de l'Allemagne où ce thème occupait
à l'époque le devant de la scène. C'est donc avant tout
à l'Allemagne que l'on doit le fait que la concurrence se soit vue
accorder dès le début une importance si grande et qu'elle ait
presque joué le rôle de fondement du Traité CEE. Depuis
lors, les politiciens allemands et les juristes allemands
spécialisés dans le droit des ententes ont toujours joué
un rôle phare lors de l'élaboration et du développement des
règles de concurrence européennes. » ENCAOUA,
David et GUESNERIE, Roger in Politiques de la concurrence, paru en 2006,
Rapport La Documentation Francaise, pp. 62-63
24 NASH, John in Equilibrium Points in N-person Games,
publié dans Proceedings of the National Academy Sciences, paru en
1950
25 PORTER, Michael in The Five Competitive Forces That Shape
Strategy, Harvard Business Review, janvier 2008, p. 78-93
14
concurrentielle d'une industrie (de biens ou de services) est
déterminée par cinq forces : le pouvoir de négociation des
clients, le pouvoir de négociation des fournisseurs, la menace des
produits ou services de substitution, la menace d'entrants potentiels sur le
marché, l'intensité de la rivalité entre les concurrents.
La distinction se fait donc dans la maîtrise par chaque acteur des
éléments en présence caractérisant ainsi un
avantage/faiblesse concurrentiel de cet acteur sur le marché
d'espèce. La question de l'intégration des pouvoirs publics comme
« force » reste sujette à caution, Porter refusant une telle
qualification préférant y voir une modalité des cinq
autres forces (notamment comme une barrière à
l'entrée).
Pour conclure, ces modèles sont aujourd'hui souvent
utilisés par les économistes (tant au service de la Commission
que des entreprises) dans leurs analyses concurrentiels d'un marché ou
sur des questions de prix de transfert, notamment par le biais de
l'économétrie .
26
11. Analyses structurelles et protectrice du
consommateur. L'analyse contemporaine
s'inspire au moins partiellement de tous ses modèles
économiques quant à leurs approches systémiques des
interactions des acteurs et le modèle de marché servant de
paradigme. Néanmoins, il apparaît clairement comme dit supra
que la vision n'est pas hayékienne, il ne s'agit pas de pencher
vers une auto-régulation du marché par un désengagement
total des autorités publiques permettant une forme d'épuration et
d'épanouissement de celui-ci.
Dès lors, il semble au regard de la recherche du «
bien-être » du consommateur (notamment au
27
travers du 101§3 du TFUE, le progrès
économique pouvant étant englobé dans le bien être
du consommateur, ou encore, des lignes directrices du Règlement 330/2010
ou les accords horizontaux) comme critère d'exemption possible, que le
législateur européen soit dans une approche interventionniste
justifiée par une analyse in concreto du marché
pertinent en question. L'analyse rejoignant la conception moderne de «
workable competition » ou « effective competition
» telle que définie par John Maurice Clark28. Les
études d'impacts sont ainsi typiquement utilisées par les
autorités avant l'édition de toute norme concurrentielle avec les
options à envisager et leurs effets permettant ainsi de contextualiser
les hypothèses normatives.
En outre, les autorités européennes se
dégagent de l'idéal de concurrence pure et parfaite et
présente une analyse où :
« An industry may be judged to be workably
competitive when, after the structural characteristics of its market and the
dynamic forces that shaped them have been
26 FEGATILLI, Ermano et PETIT, Nicolas in
Économétrie du droit de la concurrence, un essai de
conceptualisation, The Global Competition Law Centre Working Paper Series,
Collège d'Europe, GCLC Working Paper 03/08
27 notion standard tant en droit européen
qu'américain, d'ailleurs le Conseil du commerce et du
développement (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le
développement) a précisé à Genève en 2012
que : « l'objectif principal du droit et de la politique de la
concurrence est de maintenir et de promouvoir la concurrence comme moyen
[É] la maximisation de l'intérêt des
consommateurs devient une préoccupation principale
».
28 CLARK, John Maurice in Toward a Concept of Workable
Competition, paru en 1940, American Economic Review, pp. 241-256
15
thoroughly examined, there is no clearly indicated change
than can be effected through public policy measures that would result in
greater social gains than social losses29».
En dehors de la seule structure de concurrence effective, il y
a donc une extension dans l'analyse concurrentielle des institutions
européennes vers la notion plus subjective de « bien-être
» de l'utilisateur (vocable large englobant le consommateur). Celle-ci
peut être comprise étroitement comme le « surplus »
économisé par le consommateur (argent économisé du
fait du fonctionnement non tronqué du marché, le «
consumer welfare » tel que défini par l'école de
Chicago) ou encore plus largement comme les avantages subjectifs pour celui-ci
(accès à un service nouveau, qualité de la prestation,
etc.). Comme le pointe Neelie Kroes, membre de la Commission chargée de
la concurrence : « des règles claires protégeant les
consommateurs et promouvant l'innovation sont de la plus haute importance
». Se profile donc un mouvement cherchant à rapprocher le
droit de la concurrence et le droit de la consommation, en ce que la protection
de la structure du marché aboutit de manière
générale au bien-être du consommateur. Ainsi, le
législateur et le autorités européennes tendent
aujourd'hui à entendre le champ d'application d'un droit
régulateur, d'un « droit du marché ».
12. Politique contemporaine des institutions de
concurrence. Base légale d'un droit du
marché européen de la concurrence qui ne cesse
de revendiquer une volonté d'efficience face à
30
des acteurs mondiaux qui font au-delà d'un «
tax shopping » un « competition shopping »,
cherchant bon an mal an à se protéger d'une sanction par des
stratégies juridiques qui s'affranchissent des simples frontières
nationales ou européennes.
Mais ici se pose le premier degré de réflexion,
car penser une politique législative de concurrence n'a
intérêt que par son efficience, penser une soumission des acteurs
et notamment des entreprises n'a de réalité qu'au travers des
vertus d'une sanction efficace voir efficiente. Dès lors se pose dans un
deuxième temps, la question de la qualification de sanction efficiente ;
qu'est-ce qu'une sanction efficiente ? Sous quel prisme faut-il déformer
la notion pour parvenir au résultat voulu ? Quel est le résultat
voulu ?
Comme il sera vu plus bas, la notion centrale est celle du
bien-être économique et notamment du surplus pour le consommateur,
dès lors l'usage de bilan concurrentiel est affiné par une
analyse plus économique des effets réels ou potentiels d'un
accord potentiellement prohibé. Mais face à cet objectif se
dévoile un échec de la politique anticoncurrentielle, en effet,
comme il sera vu, la règle de droit n'est efficiente que si elle est
dissuasive voire punitive ; car elle s'impose alors non pas comme une norme
donnée traductrice d'un devoir-être mais comme une coercition, une
force entrant ontologiquement dans une logique économique de coût.
Elle ne peut être un coût dans une logique économique que si
l'agent économique a une espérance de perte plus importante que
de bénéfice.
29 MARKHAM, Jesse in An Alternative Approach to the Concept of
Workable Competition, paru en 1950 dans The American Review, p.361
30 qui contrairement à l'efficacité sous-entend une
optimisation des moyens mis en oeuvre pour parvenir à un
résultat
16
Ici, l'espérance des acteurs se dévoile au
travers de multiples agrégats, le coût se fait par une
indemnisation ou une amende qui doit être plus importante que le
bénéfice, une probabilité procédurale d'être
sanctionné et enfin une probabilité de caractériser tant
factuellement que sur le plan probatoire la pratique déviante
(caractériser au travers des ententes, abus de position dominante ou
concentration illicites). Autant de facteurs qui transforment la sanction en
une probabilité qui nécessite de dépasser la simple
logique de « la politique du bâton » pour se pencher
aussi vers « la carotte ». Il ne s'agit pas pour autant pas
que les agents soient récompensés pour des comportements «
non-anticoncurrentielles », mais d'une politique plus souple ou
même une coopération entre les autorités internes ou
européennes et les entreprises .
31
13. Dualité de l'action publique/privée.
L'efficience de ce droit européen va conditionner
l'objet de cette étude, appréhender
l'opportunité et la stratégie d'un acteur se fera avant tout face
à la norme. Parmi les agrégats en cause, passé le
problème de caractérisation de l'atteinte reste la question du
montant de l'indemnité à payer qui dépend du
préjudice causé. Préjudice qui prend place dans la
gravité de l'atteinte et donc du nombre de personnes juridiques
touchées (essentiellement les clients souvent « consommateur »
ou encore les concurrents).
Cependant un préjudice peut exister, encore faut-il que
la partie lésée agisse en justice pour réclamer son
dû. Dynamique procédurale qui prend forme au travers d'une
dualité d'actions offertes. En effet, existe une dichotomie entre «
public enforcement », c'est-à-dire action publique des
autorités de la concurrence pour réparer l'atteinte au
marché (au travers d'une amende) et « private enforcement
», action civile du fait d'une atteinte pour réparer un
préjudice seulement personnel. Mais la notion de droit de la concurrence
d' « enforcement » reste d'origine anglo-saxonne, subsiste
dans sa traduction une barrière linguistique entre le mot et son sens,
entre le contenant et le contenu. Le terme « action » ne recouvre
qu'une partie de la notion. L'enforcement renvoie in fine à une
notion de force, de mouvement en avant ou plus subtilement pour donner une
image simple de capacité à passer une barrière, passer une
porte. Dès lors, prosaïquement en droit de la concurrence :
« l'expression private enforcement désigne
[É] les effets privés du droit communautaire de la
concurrence, c'est-à-dire la faculté reconnue aux victimes d'agir
en justice, pour obtenir la sanction civile d'une infraction, par
réparation, restitution, nullité ou
injonction32».
De l' « enforcement » dépend
substantiellement l'efficience du droit de la concurrence tant interne
qu'européen. Plus spécifiquement, l'efficacité du
private enforcement (ou dans un traduction
31 la transaction et la politique de clémence ou la
diminution des amendes selon le comportement des entreprises en étant
des manifestations contemporaines
32 ZAMBRANO, Guillaume in L'inefficacité de l'action
civile en réparation des infractions en droit de la concurrence,
étude du contentieux français devant le Tribunal de Commerce de
Paris (2000-2012), thèse de l'Université de Montpellier, 2012, p.
5
17
francophone, le contentieux « privé » ou
« subjectif») est soumise à l'aléa de l'action des
victimes
33
que les autorités en charge ne peuvent dépasser
sauf à demander elle-même la réparation du préjudice
personnel des victimes et donc agir par procureur.
14. Inefficience du private enforcement.
L'inefficacité du private enforcement ou plutôt son
inefficience est avant-tout factuel, l'inaction des victimes
étant le point névralgique de cet échec pour les
autorités concurrentielles.
Mais au-delà de l'inaction des victimes, le droit de la
concurrence d'espèce s'inscrit avant tout dans un cadre politique et
idéologique européen, choix politique fort d'un mécanisme
européen d'intégration unique. Intégration unique qui
explique aussi cette volonté de fonder comme pilier central du
marché unique un public enforcement sous la houlette de la
Commission qui s'impose ainsi comme un rouage européen d'harmonisation
verticale. Verticalité du droit européen de la concurrence qui
prend pied dans la nature même du marché unique constitué
ab initio d'agrégats de marchés nationaux qu'il faut
dans un premier temps réguler et uniformiser.
Toutefois cette autorité européenne laisse une
place aux autorités nationales, mais elle reste en toute
hypothèse une autorité référentielle et
compétente (donc « supérieure ») dès lors que
cela touche mutatis mutandis substantiellement au marché
européen.
Partant de ce postulat de volonté d'harmonisation par
le haut, cela explique l'attraction du droit de la concurrence vers le
public enforcement, premier pas d'une harmonisation nécessaire
et d'un équilibre dans l'action de l'autorité (censée
notamment être en dehors des rouages politiques de protectionnisme
nationale propre aux juridictions internes).
Subséquemment, les Traités avaient
organisé de manière lacunaire le private enforcement
.
34
Mais le temps ayant fait son ouvrage, la consolidation du
droit européen de la concurrence a nécessité un
déploiement plus efficient du private enforcement. Les premiers
éléments déclencheurs furent notamment les arrêts
Manfredi35et Courage36 de la Cour de
justice (étudiés plus en profondeur infra points 31 et
32). Ces arrêts fondateurs affirment que les actions
indemnitaires participent à l'« effet utile » des
règles de concurrence européenne ainsi dotées de l'effet
direct.
Ainsi « toute personne est en droit » de
demander la réparation du préjudice qui lui est causé par
la violation desdites règles de concurrence. Et ceux, même en
l'absence de réglementation européenne, il appartient aux
États membres de faire en sorte que leur réglementation
garantisse ce droit sur la base des principes d'« effectivité
» et d'« équivalence ». Alors il n'est pas
étonnant d'entendre déjà en 2004 l'ancien commissaire
européen Mario Monti dire que :
« The Commission has one
particular project in the pipeline which, I hope will have a far reaching
impact on the way in which the competition rules are enforced in the
Union.
33 AMARO, Rafael in Le contentieux privé des pratiques
anticoncurrentielles, avant-propos G. Canivet, préf. M.
Béhar-Touchais, Bruylant, 2014, n° 10
34 SAINT-ESTEBEN, Robert in L'impact de la future directive
sur les actions en dommages et intérêts relatives aux pratiques
anticoncurrentielles, paru dans AJ Contrats d'affaires - Concurrence -
Distribution 2014, p.258
35 CJCE, arrêt du 13 juill. 2006, n° C-295/04,
Manfredi, RTD eur. 2008. 313
36 CJCE, arrêt du 20 sept. 2001, n° C-453/99, Courage
Ltd, RTD com. 2002. 398
18
We are looking at ways to encourage actions before courts
by private parties to punish breach of the competition rules [...]
Private actions before courts are a central feature of the modernisation of
our competition rules. We want to encourage private parties actively to seek
compensation for harm caused to them by anticompetitive
behavior37».
La même année, les rédacteurs du rapport
« Ashurst » constataient l'état de « total
sous-développement » des actions en réparation des victimes
de pratiques anticoncurrentielles . Par la
38
suite apparaît un Livre Vert dès 2005 et un Livre
Blanc en 2008 avec le même constat cuisant d'un
39
sous-développement du private enforcement ,
constat cinglant surtout quand selon les estimations
40
présentées par la Commission accompagnant le
Livre Blanc, le dommage direct des « hardcore cartels » au
sein de l'UE oscillerait chaque année entre 25 et 69 milliards
d'euros41. Le montant perdu par son ampleur suffit pour parler d'un
échec caractérisant l'état larvaire de cette voie
d'action.
15. Opportunité des actions collectives.
Face à ce problème d'inefficience potentielle du
« contentieux privé » tant par
l'inactivité des victimes que par l'incapacité des institutions
à déployer cette voie d'action, il pourrait s'agir d'encourager
ce contentieux par le biais d'action collective regroupant une masse de
victimes. En outre, l'action collective s'inscrit comme un outils coercitif du
fait de l'agrégation créée permettant ainsi d'exhumer un
dommage collectif d'une certaine dimension. Elle se déploie dans la
lignée de l'activité des autorités de concurrence
(follow-on) ou de manière autonome (stand-alone),
élargissant ainsi parfois le champ d'application du droit de la
concurrence en dehors de l'activité simple des autorités de
concurrence.
Ainsi, l'action collective est une agrégation d'action
individuelle, mais que se cache-t-il derrière le vocable d' «
action collective42 » ?
37 disponible en ligne :
http://ec.europa.eu/competition/publications/cpn/interview_monti.pdf
38WAELBROECK, D., SLATER, D. et EVEN-SHOSHAN, G. in
Study on the conditions of claims for damages in case of infringement of EC
competition rules, août 2004, disp. sur le site de la Commission
européenne
39 Livre Vert, du 19 décembre 2005, intitulé :
Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante [COM(2005)
672 final: Non publié au Journal officiel] ; Trouvé le 2
août 2016 : hhttp://
eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Al26120
40 Commission Européenne, Livre Blanc sur les actions
en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avril
2008, COM(2008) 165 final. p. 3. : « dans la pratique, les victimes
d'infractions aux règles de concurrence communautaires n'obtiennent,
à ce jour, que rarement réparation des dommages subis. [...] Le
meilleur moyen de lutter contre l'inefficacité actuelle des actions en
dommages et intérêts pour infraction aux règles de
concurrence consiste à combiner des mesures tant au niveau communautaire
qu'au niveau national, en vue de garantir, dans chaque État
membre, une protection minimale effective du droit des victimes à
obtenir des dommages et intérêts, en application des
articles 81 et 82, ainsi que des conditions plus équitables pour tous et
une sécurité juridique accrue dans l'ensemble de l'UE
».
41 COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d'avantages
pour le règlement consensuel des litiges ou la négociation
plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44,
juillet-septembre 2015, p. 97
42 terme d'ailleurs utilisé par PIETRINI, Silvia in
L'action collective en droit des pratiques anticoncurrentielles, Bruylant,
août 2012
19
Se dévoile prosaïquement la traduction de
l'idée de « class action », dérivée du droit
américain ,
43
les Etats-Unis faut-il le rappeler restant le pays fondateur
en matière d'antitrust.
Dès lors, « class » peut se traduire en
français par une classe, soit un ensemble de personne ayant des
caractères communs. En ce qui concerne le mot « action », il
est la traduction de la capacité d'ester en justice. Ainsi, par «
class action », il s'agit pour un ensemble de personnes ayant des
caractères communs de s'ester en justice ensemble, ce qui a pu ainsi
être traduit par une action collective. Plus précisément,
d'un point de vue processuel, la doctrine a pu définir l'action
collective comme l'action qui : « consiste à réunir dans
une seule instance, donnant lieu à un seul jugement, la
réparation de préjudices individuels multiples ayant une origine
commune ».
44
En ce qui concerne le préjudice, il existe deux
typologies de dommages possibles : un « dommage sériel »,
c'est-à-dire un même dommage causant différent
préjudice selon la victime ou un « dommage collectif »,
dommage unique affligé à l'intérêt
général.
Réunir dans une seule instance une multiplicité
de victimes d'un cartel pour se voir réparer par une seule
décision un dommage pluriel (de l'ensemble des consommateurs, de
certains consommateurs ayant une préjudice propre) apparaît comme
un moyen de concentration, facteur d'efficience pour le droit de la concurrence
par le truchement du private enforcement. À titre
d'exemple45, aux Etats-Unis, cinq industriels du tabac se sont faits
poursuivre par les victimes du tabac dans l'Etat de Floride (par le biais d'une
class action) donnant lieu en 2000 au versement de 145 milliards de dollars de
dommages et intérêts .
46
16. Collectivité de demandeurs. L'action
individuelle ou collective n'est que la traduction d'un
pouvoir coercitif, d'une menace qui pèse sur des
acteurs hors-la-loi. Le fait d'agir en justice n'est qu'un mécanisme
parmi d'autres pour que s'exerce le monopole de la « violence
légitime » telle que définie par le législateur. La
coercition s'exerce avant tout par la persuasion plus que par la sanction,
même si le premier n'a de raison d'être que parce que le second
existe de manière effective. Ainsi, au-delà de ce qui
relève de la puissance publique et de la souveraineté
étatique, apparaît que les citoyens (dans le cadre légal)
peuvent de manière logique appréhender leurs droits en une
multitude de pouvoirs. En effet, par le procès privé s'oppose
deux parties, deux poids qui se jaugent et où le juge apparaît
comme un tiers pesant la véracité des arguments
avancés.
Subséquemment, le fait d'agir en justice apparaît
de manière générale comme une menace pour le
défendeur (même si le droit d'agir en justice prend aussi pour le
défendeur la forme de demande reconventionnelle) et c'est ici que les
actions collectives du fait de l'agrégation joue un rôle central
de coercition. Concentrer les demandes contrebalance l'iniquité de fait
du procès entre d'une part
43 plus précisément, la procédure de
« class action » a été introduite en 1938 aux
Etats-Unis (règle 23 de la procédure civile
fédérale) avec la possibilité de dommages et
intérêts et d'une injonction. Sous l'impulsion de Ralph Nader, le
texte a par la suite été modifié en 1966, laissant place
au modèle contemporain de class action.
44 CALAY-AULOY, Jean in Pour mieux réparer les
préjudices collectifs, une class action à la française ?,
La Gazette du Palais, 28:29 septembre 2001, p. 13.
45 exemple à nuancer du fait du treble damages
propre au droit antitrust américain
46 Engle c/ R.J. Reynolds Tobacco Co., arrêt du 6
Novembre 2000, No. 94:08273 CA:22, 2000 WL 33534572 (Fla. Cir. Ct. Nov. 6,
2000).
20
un consommateur profane et une entreprise experte, mais
surtout un acteur ayant certains moyens financiers propre à soutenir un
procès et des avocats qualifiés. De facto, le choix du
contentieux pour un consommateur qui a peut être été
lésé de quelques euros ou même centimes apparaît
improbable si ce n'est inopportun. Cette opportunité s'évapore et
les entreprises sont promptes à enfreindre la loi sans
probabilité de sanction possible efficiente (au regard du «
contentieux privé »). Mais la « collectivité » des
demandeurs, elle, peut avoir un intérêt à agir, du fait de
l'agrégation des préjudices et des moyens. À partir de ce
constat de capacité à agir, il est nécessaire de regarder
la manière dont va être mise en oeuvre ce pouvoir d'agir. En
effet, il existe deux voies possibles : la voie judiciaire et la voie
extrajudiciaire. Deux voies distinctes mais pas inconciliables, l'une pouvant
être les prémices d'une autre, l'une pouvant se mêler
à l'autre, l'une pouvant influencer la manière dont s'exerce
l'autre.
Par conséquent, séparer les deux voies semblent
totalement abscons, la mise en place d'une stratégie du règlement
des actions collectives pour les entreprises ou les consommateurs demandeurs
à l'action nécessite la prise en compte dans le contentieux de
ces deux modalités de voie d'action.
17. Règlement consensuel des actions
collectives. L'action collective suppose un litige qui va
prendre forme au travers de la voie judiciaire ou
extrajudiciaire.
La voie judiciaire est typiquement connue, elle
présuppose la saisine d'une juridiction et s'empreigne
véritablement du système juridique auquel elle est soumise (par
exemple, au niveau procédural tant au niveau interne qu'européen
apparait de larges différences selon les cultures juridiques propres
à chaque État). La voie extrajudiciaire, elle, se démarque
par son consensualisme, voie ouverte par le seul consentement des deux parties
engagées. Ainsi, qu'un accord existe a priori ou a
posteriori les parties s'accordent pour se dégager du
système judiciaire classique. Le règlement consensuel est donc
avant tout le règlement extra-judiciaire d'un litige, sa
définition peut comprendre ou non l'arbitrage, car celui-ci est une
solution imposées aux parties (le consensualisme ne reposant que sur la
délégation à un tiers de la mission de juger les parties).
En toute hypothèse, le règlement consensuel peut prendre place au
travers de la médiation, la conciliation ou encore la transaction. C'est
ce dernier type de mode de règlement alternatif des litiges qui est
aujourd'hui le plus usuel en droit de la concurrence. En effet, l'étude
du règlement consensuel des actions collectives ne peut pas se faire
sans regarder outre-Atlantique avec le succès relatif que connaît
la transaction qui représente 95% du traitement du private
enforcement . L'état
47
larvaire du contentieux privé en Europe explique peut
être la volonté des institutions européennes de promouvoir
les modes de règlement alternatif, même s'il est vrai que ce
mouvement est plus large et s'inscrit dans une politique globale48
commencée depuis le Conseil de Tampere de 1999.
47 COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d'avantages
pour le règlement consensuel des litiges ou la négociation
plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44,
juillet-septembre 2015, p. 98 (4ème paragraphe)
48 Regulation (EU) No 524/2013 of the European Parliament and
of the Council of 21 May 2013 on online dispute resolution for consumer
disputes and amending Regulation (EC) No 2006/2004 and Directive 2009/22/EC
(Regulation on consumer ODR)
21
La question au travers du règlement consensuel est
avant tout pour les parties à l'action de comprendre les
modalités des actions collectives, que ce soit au travers de leur
fondement, de leur efficacité ou tout simplement de questions pratiques
sur le droit international privé applicable. Le règlement
consensuel s'impose dans un second temps comme un mode de traitement curatif du
risque des actions collectives en droit européen car il présente
des avantages que n'offre pas le traitement contentieux, notamment en terme de
coût et de rapidité.
18. Révolution de la directive
n°2014/104. La directive n°2014/104 (qui doit être
transposée
d'ici décembre 2016) vient en partie
révolutionner le paysage juridique des actions en dommages et
intérêts qui sont regardées comme un complément du
travail des autorités publiques. Face à ces deux facettes du
droit de la concurrence, la directive propose d'accroître leur
coordination tout en respectant le droit à la réparation
intégrale du préjudice. Pour cela, elle facilite la production de
preuves, affirme l'autorité des décisions des autorités de
concurrence ou protège l'intérêt du programme de
clémence. Par ailleurs, elle crée un chapitre entier sur le
règlement consensuel et offre à cette voie extra-judiciaire des
caractéristiques attractives en terme économique (notamment par
une possible réduction de l'amende des autorités nationales de
concurrence). Au demeurant, la directive sur les actions en dommages et
intérêts pour violation du droit de la concurrence européen
est aussi le moment d'une consécration de principes jurisprudentiels
acquis depuis longtemps. Elle est surtout un moyen d'harmoniser les
procédures des Etats membres de manière horizontale
évitant les inégalités de traitement et
l'insécurité juridique qui prévalaient jusque
là.
19. Opportunité et stratégie.
La révolution juridique engendrée impose de repenser
le
positionnement tant des entreprises que des consommateurs face aux
actions collectives telles qu'elles se présentent aujourd'hui au travers
des différents systèmes juridiques au sein de l'Union
européenne. A priori, pour les entreprises s'impose un nouveau
défi de gestion de ce type de contentieux, un risque nouveau. Pour les
consommateurs (ou plus globalement les victimes) se propose une
opportunité qu'il faudra gérer de manière efficiente.
Néanmoins, penser une opportunité et/ou une
stratégie n'a de sens qu'en ce qu'elle s'inscrit dans une perspective,
un point de vue propre à un acteur. À titre liminaire, en ce qui
concerne le point de vue, l'objet de notre étude sera faite au regard
des entreprises, néanmoins sera traité tout autant le
positionnement du consommateur comme un miroir à chaque situation
analysée en l'espèce et comme un risque et ou une
opportunité à prendre en compte. Se présente donc à
cet acteur un risque nouveau qu'il faudra analyser pour ensuite s'interroger
sur sa possible gestion. En outre, comme un médecin il faudra d'abord
cerner les tenants et aboutissants du risque avant de proposer un traitement
palliatif.
À ce titre, la gestion de ce changement de
circonstance, de cette opportunité, nécessite tout d'abord
d'analyser l'environnement juridique et le risque actuel et potentiel des
actions collectives (Partie 1). Par la suite, il conviendra de
se pencher sur la gestion de ce risque par le règlement extrajudiciaire
des actions collectives (Partie 2).
22
« Lorsque le coup de tonnerre éclate, il est trop
tard pour se boucher les oreilles. » SUN TZU in L'art de la guerre,
chapitre I, Champs classiques, page 127
23
PARTIE 1 - RISQUE DES ACTIONS COLLECTIVES EN DROIT DE
LA CONCURRENCE
20. Risque actuel et risque potentiel. L'analyse
d'une opportunité et d'une stratégie du
règlement consensuel des litiges au regard des actions
collectives en droit européen de la concurrence nécessite un
préalable de détermination du risque en question constitué
par les actions collectives. Risque, c'est-à-dire possibilité,
probabilité d'un fait, d'un événement
considéré comme un mal ou un dommage qui s'incarne ici par
l'action collective.
Il ne sera pas nié qu'une « action collective
» ne puisse être qualifiée ontologiquement de risque, mais
comme il a été dit supra penser une stratégie
nécessite bel et bien d'adopter téléologiquement un point
de vue. Dès lors, le choix est fait de penser ce renforcement voulu
du private enforcement comme un risque pour les entreprises (du fait
d'une possible meilleure efficience de celui-ci par le biais des actions
collectives).
Ce risque, certes, n'est pas indépendant des faits de
l'entreprise (au sens large) subissant une action en justice, le demandeur
démontrant bel et bien un intérêt à agir contre
cette entreprise, néanmoins il s'agit ici non pas de caractériser
les comportements fautifs ou non, mais de gérer les demandes suite
à ces comportements. Dès lors, ce risque des actions collectives
en droit de la concurrence, nécessitera dans un premier temps de faire
un état des lieux du risque actuel (Titre 1), pour
ensuite, appréhender de manière spéculative le risque
potentiel encouru (Titre 2).
24
Titre 1 - Risque actuel
21. Droit de la concurrence européen et droits
internes de la concurrence. Derrière la
question des actions de groupe en droit de la concurrence se
pose indubitablement le droit de la concurrence applicable et son champ
d'application. En effet, « quel droit de la concurrence » pour les
actions collectives et « quelle action collective » ?
Quel droit de la concurrence ? La question semble
déjà laisser présager la réponse : le droit de la
concurrence européen. Néanmoins, faut-il rappeler qu'aucun
règlement ne régit les actions collectives en droit
européen et qu'en l'état actuel seule une directive qui sera
étudiée infra (cf. Titre 2) donne un
régime juridique concernant uniquement les actions en dommages et
intérêts, permettant une certaine harmonisation sur ce point.
Quelle action collective ? Les modalités juridiques des
actions collectives sont souvent dépendantes des traditions juridiques
de chaque État. Par exemple, il suffit de penser notamment aux dommages
punitifs toujours refusés dans la tradition juridique française
(se limitant à la réparation intégrale
49
du préjudice) alors qu'ils sont ancrés dans la
tradition du Common Law, ou encore à la procédure de
discovery ou au mareva injuction totalement inconnues en
droit latin. Se dégage ainsi au sein de
50 51
l'Union européenne une « diversité d'action
collective » qu'il sera nécessaire de regarder plus en profondeur
(tout de même dans un souci de clarté et de concision, tous les
systèmes juridiques ne seront pas regardés, l'Europe étant
constituée de plus de 28 pays et donc d'autant de systèmes
juridiques).
À ce titre, il semble opportun, en ce qui concerne le
risque actuel des actions collectives, d'éclaircir dans un premier
temps, les racines juridiques de cette modalité d'agir en droit de la
concurrence européen (Chapitre 1), pour ensuite se
pencher sur l'inégalité des droits substantiels et
procéduraux des actions collectives en concurrence dans les États
membres (Chapitre 2).
49 défini dans le Black's Law Dictionary comme : «
la sanction financière prononcée à l'encontre de la
partie succombante afin de sanctionner son comportement »
50 se caractérisant comme une modalité
procédurale employée par une partie lors d'une action au civil ou
au pénal, avant un procès, pour requérir de la partie
adverse de divulguer des informations qui sont essentielles pour la demande et
que seule l'autre partie connaît ou possède.
51 qui peut être défini comme : «
temporary injunction that freezes the assets of a party pending further
order or final resolution by the Court, so named after the case which allowed
the remedy », la sanction qui est le « contempt of court
» en fait la spécificité, celle-ci pouvant parfois
prendre la forme d'une sanction pénale (c.f. Mareva Compania
Naviera SA v. International Bulkcarriers SA, [1975] 2 Lloyd's Rep 509 (C.A. 23
June 1975). , [1980] 1 All ER 213)
25
Chapitre 1 - Risque éthéré des actions
collectives découlant du droit européen
22. Être et devoir-être.
Nonobstant la nécessité certaine du développement
du private
enforcement par le biais des actions collectives est de
l'essence même du droit européen qui a vocation à saisir ce
contentieux (Section 1) et l'action majeure du droit
prétorien venue pallier la carence textuelle (Section
2), le droit européen reste aujourd'hui incapable d'offrir un
cadre légal efficient aux actions collectives comme cela peut être
statiquement le cas notamment aux États-Unis52.
Section 1 - Une vocation limitée du droit
européen à promouvoir les actions collectives
23. Droit substantiel et champ d'application.
Pour saisir l'applicabilité du droit européen
aux
actions collectives en droit de la concurrence, il faut d'abord saisir
le droit de la concurrence objet de ces actions collectives. Or, pour s'en
saisir il apparaît impérieux d'une part, d'en peindre le champ
d'application (1) et d'autre part, de pointer le droit substantiel qui en est
l'objet (2).
§1) Champ d'application matériel du droit
européen concurrentiel
24. Union européen et droit de la concurrence.
Avant de plonger plus en avant dans le champ
d'application
ratione loci de ce droit concurrentiel, source de l'action collective,
il faut regarder en quoi le droit de l'Union européenne a vocation
à s'appliquer à cette hypothèse. L'Europe en tant que
construction économique d'un « marché unique » a
utilisé le droit de la concurrence comme un outil régulateur, en
ce qu'il est normatif et dérégulateur, en ce qu'il permet de
mettre à mal le protectionisme et les barrières nationales. Le
droit de la concurrence européen est donc un outil essentiel à
l'uniformisation européenne. Derrière cette uniformisation se
transcrit une vision économique du marché économique tel
qu'il devrait être. Ce que l'on a ainsi dénommé «
l'économie sociale de marché » (Marktwirtschaft),
qui s'organisera ainsi autour d'une forme d'ordre économique,
appuyée sur des règles spécifiques. Suivant la tradition
ordo-libérale, l'État, garant de la liberté individuelle
dans la sphère économique, doit notamment empêcher que la
concurrence ne soit entravée par le comportement des agents dominants,
que ceux-ci soient privés ou publics.
Ainsi, textuellement, l'article 3.3 du Traité de
l'Union Européenne précise bien que:
« l'Union établit un marché
intérieur. Elle oeuvre pour le développement durable de l'Europe
fondé sur une croissance économique équilibrée et
sur la stabilité des prix, une économie sociale de
marché hautement compétitive ».
52 représentant environ 90% du volume contentieux total
selon Kathleen Maguire in Antitrust cases filed in U.S. District Courts, by
type of case 1975-2010 dans Sourcebook of Criminal Justice Statistics.
University at Albany, Hindelang Criminal Justice Research Center, (Table
5.41.2010).
26
Mouvement d'une prééminence du droit
européen qui a conduit à élargir son champ de
compétence au fur et à mesure du temps pour un intégration
renforcée. Ainsi, en décembre 1989, soit plus de trente ans
après la signature du Traité instituant la Communauté
économique européenne et deux ans seulement avant la date butoir
de 1992 assignée à l'achèvement du marché unique,
les pays membres sont parvenus à un accord, qui a
délégué à la Commission le pouvoir exclusif de
contrôler les opérations de concentration de dimension
communautaire. Par la suite, les diverses directives comme celle sur l'action
en dommages-et-intérêts ou notamment les règlements
concernant les accords de franchise , la procédure , les accords
verticaux constituant des ententes confirment
53 54 55
cette tendance (comme aujourd'hui concernant la proposition sur
le geo-blocking ).
56
La construction européenne a donc dès le
départ posé le droit de la concurrence en pierre angulaire de sa
fondation et son renforcement comme moteur à sa fortification.
25. Champ d'application. Il apparaît
nécessaire de regarder l'assise territoriale du droit
européen de la concurrence.
En premier lieu, conformément à l'article 52 du
TUE qui dispose que le droit de la concurrence s'applique là ou le droit
de l'Union s'applique, le droit européen de la concurrence régit
les entreprises présentes sur le territoire de l'espace
économique européen57(l'Union européenne,
l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège).
En deuxième lieu, il faut ajouter une extension
jurisprudentielle par le biais de la doctrine de l'effet. Selon cette
théorie, les règles de concurrence nationale sont applicables aux
entreprises étrangères, mais aussi aux entreprises nationales
établies en dehors du territoire national, lorsque leurs comportements
ou leurs opérations produisent un « effet » à
l'intérieur de ce territoire.
La nationalité des entreprises est dénuée
de pertinence en termes d'application des règles en matière
d'ententes, la théorie des effets vaut pour toutes les entreprises
quelle que soit leur nationalité.
La Cour de justice a appliqué cette théorie pour
une entente58 au travers plus spécifiquement de l'idée
de « mise en oeuvre » au sein de l'espace économique
européen par les entreprises, restreignant l'applicabilité au
seul « effet » au sein dudit espace. Par la suite, en ce qui
concerne les
53 Règlement (CEE) n°4087/88 de la Commission du
30 novembre 1988 concernant l'application de l'article 85 paragraphe 3 du
traité à des catégories d'accords de franchise
54 Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16
décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (Texte
présentant de l'intérêt pour l'EEE)
55 Règlement (UE) n°33/2010 de la Commission du 20
avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du
traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des
catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées.
56 Proposal for a Regulation of the European Parliament and of
the Council on addressing geo-blocking and other forms of discrimination based
on customers' nationality, place of residence or place of establishment within
the internal market and amending Regulation (EC) No 2006/2004 and Directive
2009/22/EC
57 suivant l'article 3 du traité sur l'Union
européenne
58 notamment CJCE, arrêt du 27 septembre 1988,
Ahlström Osakeyhtiö e.a. contre Commission (« Pâtes de
bois »), affaires jointes 89, 104, 114, 116, 117 et 125 à 129 /
85
27
concentrations, le Tribunal de première instance a pu user
de cette théorie dans l'arrêt Gencor en
59
concluant que :
« lorsqu'il est prévisible qu'une
opération de concentration projetée par des entreprises
établies à l'extérieur de la Communauté
produise un effet immédiat et substantiel dans la
Communauté, l'application du règlement n° 4064/89
[règlement sur les concentrations] est justifiée au regard du
droit international public ».
En troisième lieu, il faut ajouter la théorie de
l'unité économique qui peut servir à imputer des
agissements de filiales à leurs sociétés-mères
établies en dehors de l'Union européenne, notamment l'arrêt
du 14 juillet 1972 de la Cour de justice de la Communauté
européenne (Imperial Chemical Industries Ltd. contre Commission des
Communautés européennes, affaire 48-69 qui précise au
point 139) :
« Qu'à défaut d'indications contraires,
il convient de penser qu'à l'occasion des hausses de 1965 et de 1967 la
requérante n'a pas agi autrement dans ses rapports avec ses filiales
établies dans le marché commun; Que, dans ces conditions,
la séparation formelle entres ces
sociétés, résultant de leur personnalité juridique
distincte, ne pourrait s'opposer à l'unité de leur
comportement sur le marché aux fins de l'application des règles
de concurrence; Qu'ainsi, c'est bien la requérante qui a
réalisé la pratique concertée à l'intérieur
du marché commun; Qu'il n'y a donc lieu de déclarer que le moyen
d'incompétence soulevé par la requérante n'est pas
fondé; ».
Plus spécifiquement, les articles 101, 102 du TFUE sur
les ententes et abus de position dominante (cf. infra) s'appliquent
aux situations « susceptibles d'affecter le commerce entre
États membres ».
60
La notion de « commerce » n'est pas limitée
aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de services,
mais a une portée plus large qui recouvre toute activité
économique internationale, y compris l'établissement. Cette
interprétation concorde avec l'objectif fondamental du traité
consistant à favoriser la libre circulation des biens, des services, des
personnes et des capitaux.
La condition de l'existence d'une affectation du commerce
« entre pays de l'Union européenne » suppose qu'il doit y
avoir une incidence sur les activités économiques
transfrontalières impliquant au moins deux pays de l'UE ; La notion
« susceptible d'affecter » met en exergue que l'accord en cause doit,
sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de
fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité
suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou
potentielle, sur les courants d'échanges entre pays de l'Union
européenne. De plus, il faut que cela affecte « de
manière sensible » le commerce (règle de
minimis61), par exemple, dans sa communication concernant les
accords d'importance mineure, la Commission déclare que les accords
entre petites et moyennes entreprises sont rarement en mesure d'affecter
sensiblement le
59 Tribunal de première instance (TPI), arrêt du 25
mars 1999, Gencor contre Commission, affaire n° T-102/96
60 Communication de la Commission - Lignes directrices
relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81
et 82 du traité [Journal officiel n° C 101 du 27.4.2004].
61 avec notamment des indications utiles comme le seuil de 40
millions de chiffre d'affaires hors taxe et du seuil de 5% de part de
marché
28
commerce entre pays de l'Union. Le lieu d'établissement
de l'entreprise ou de conclusion de l'accord est en toute état de cause
irrelevant . De ces deux textes, combinés avec l'article 106 du
62
TFUE (pour les entreprises publiques) apparaît l'essence
même du private enforcement (en dehors du droit des aides d'Etat
ou des concentrations) mais reste la question de leurs articulations avec les
juridictions et droits internes.
26. Prééminence du droit
européen. Comme le pointait déjà l'Avocat
général Warner : « le
droit communautaire et le droit
national opèrent en combinaison, le dernier occupant le terrain lorsque
le premier le quitte ». D'un point de vue du partage de
compétence, après la réforme du
63
règlement 17/62 , il y a la mise en place d'un
système décentralisé d'application du droit
64
européen ; par le biais notamment d'une zone de
sécurité offerte par la mise en place d'exception légale
(exemption légale). Tout de même, la compétence de la
Commission reste exclusive de celle des juridictions ou autorités
administratives des Etats membres nommés sous le vocable
d'autorité nationale de concurrence (ANC)65, les Etats
membres ont donc une compétence subsidiaire.
Néanmoins, reste que les ANC doivent appliquer le
droit de la concurrence européen si les autorités
européennes ne l'appliquent pas et qu'il est applicable (traduisant la
décentralisation du contentieux concurrentiel), et ceci, en sus de
l'application du droit national de la concurrence (qui en tout état de
cause ne peut être contraire en droit européen). Le droit
européen s'impose donc comme un standard à suivre, une base
minimale du droit concurrentiel qui peut même servir de grille de lecture
au droit interne. Ainsi, existe une complémentarité du droit
interne et du droit européen même si celle-ci n'est que le
reliquat du la prééminence du droit européen.
§2) Droit substantiel de la concurrence comme
assise à l'action individuelle
27. Entente/abus de position dominante et
préjudice individuel. Concrètement en ce qui
concerne
le droit « substantiel » (en ce qu'il se distingue de la
procédure), il convient de regarder les abus au droit de la concurrence
au travers des abus de position dominante et les ententes.
En effet, c'est bien ces situations qui engendrent un
surcoût direct pour le consommateur et pourraient fonder son droit d'agir
en justice en se fondant sur le droit européen de la concurrence. Par
ces normes c'est le fondement même du droit européen de la
concurrence comme norme invocable par le citoyen qui est en jeu et donc
subsidiairement une possible action collective sur ce fondement. En outre, les
aides d'Etat relèvent d'un contentieux propre n'incluant pas la
possibilité
62 Lignes directrices relatives à la notion
d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité
(Communication de la Commission) au considérant 100: « Les
articles 81 et 82 s'appliquent aux accords et pratiques susceptibles d'affecter
le commerce entre États membres, même si une ou plusieurs des
parties sont établies à l'extérieur de la
Communauté (78). Les articles 81 et 82 s'appliquent quel que
soit le lieu d'établissement des entreprises ou le lieu de conclusion de
l'accord, à condition que l'accord ou la pratique soit mis en
oeuvre (79) ou ait des effets (80) à l'intérieur de la
Communauté »
63 CJCE, arrêt du 16 décembre 1976, Rewe, aff.
33/76, Rec. 1989, et Comet, aff. 45/76, Rec. 2043, conclusions Warner.
64 CEE Conseil: Règlement n° 17: Premier
règlement d'application des articles 85 et 86 du traité
65 Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16
décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (Texte
présentant de l'intérêt pour l'EEE)
29
directe pour un consommateur de s'ester en justice, celui-ci
n'étant pas la victime de la « rupture »
d'égalité concurrentielle. En ce qui concerne le contrôle
des concentrations, il s'agit d'un contrôle anticoncurrentiel a
priori, en toute hypothèse le contentieux relève de l'action
des ANC et de la Commission qui à défaut de notification peuvent
notamment ordonner des injonctions et des amendes subséquentes. Au
demeurant, de manière complémentaire, la sanction des
concentrations peut a posteriori s'effectuer au travers du droit des
ententes et des abus de position dominante. Ces deux hypothèses ne
seront donc peu ou prou pas développées, l'étude du risque
se faisant au travers du droit des pratiques comportementales de la concurrence
(et non structurelles).
En ce qui concerne, les ententes le professeur Dubouis les
définit comme : « les accords ou pratiques concertés
entre entreprises qui ont pour objet ou pour effet de restreindre la
concurrence, donc d'une manière certaine de cloisonner le marché
».
66
Autrement dit, il s'agit de tout partage de marché,
fixation de quota de production ou accord sur les prix entre entreprises pour
les maintenir artificiellement élevés. Ces différents
comportements faussent le marché, au détriment des consommateurs
et des autres producteurs victimes de ces pratiques, qui paient leurs biens de
consommation à un prix plus élevé ou sont
évincés.
L'article 101 § 1 et § 2 TFUE (remplacement
l'article 81 du Traité instituant la Communauté
européenne67) dispose ainsi que :
« 1. Sont incompatibles avec le marché
intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes
décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques
concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre
États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de
restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur
du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent
à:
a) fixer de façon directe ou indirecte les prix
d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction,
b) limiter ou contrôler la production, les
débouchés, le développement technique ou les
investissements,
c) répartir les marchés ou les sources
d'approvisionnement,
d) appliquer, à l'égard de partenaires
commerciaux, des conditions inégales à des prestations
équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la
concurrence,
e) subordonner la conclusion de contrats à
l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui,
par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet
de ces contrats.
2. Les accords ou décisions interdits en vertu du
présent article sont nuls de plein droit. »
Cet article fonde le principe de la nullité de plein
droit des accords ou décisions interdites avec un effet direct.
Dès lors, il appartient aux juridictions nationales de constater la
nullité des dispositions concernées et d'en déterminer les
effets. De plus, cette nullité a un caractère absolue, ce qui
rend
66 DUBOUIS, Louis et BLUMANN, Claude in Droit matériel
de l'Union Européenne, 6ème Edition Domat droit public
Montchrestien, année 2012
67 en outre, lors de l'entrée en vigueur du
traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, les articles
81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne
sont devenus les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de
l'Union européenne restant identiques en substance
30
l'accord imposable aux tiers , et a, en principe, un
caractère rétroactif . Qui plus est, des sanctions
68 69
pécuniaires peuvent être infligées par la
Commission à l'entreprise contrevenante dans le cadre du public
enforcement.
En ce qui concerne les abus de position dominante, il s'agit
de la situation de puissance économique détenue par une
entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une
concurrence effective sur un marché, en lui fournissant la
possibilité de comportements indépendants vis-à-vis de ses
concurrents. En outre, cette domination est appréciée in
concreto. Le fait qu'elle existe n'est pas en soi sanctionnable car
uniquement l'abus de position dominante est sanctionné (sans regarder
son caractère intentionnel ou non d'ailleurs ).
70
L'article 102 TFUE dispose quant à lui que :
« Est incompatible avec le marché
intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre
États membres est susceptible d'en être affecté, le fait
pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une
position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie
substantielle de celui-ci.
Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à
:
a) imposer de façon directe ou indirecte des prix
d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non
équitables,
b) limiter la production, les débouchés ou le
développement technique au préjudice des consommateurs,
c) appliquer à l'égard de partenaires
commerciaux des conditions inégales à des prestations
équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans
la concurrence,
d) subordonner la conclusion de contrats à
l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui,
par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet
de ces contrats. »
En outre, la sanction est prévue aux articles 5 et 7 du
règlement n°1/2003 prévoyant notamment que la Commission ou
les autorités nationales de concurrence (ANC) peuvent imposer des
sanctions pécuniaires en cas d'infraction.
La philosophie de ces textes s'inscrit dans un logique de
public enforcement ou « contentieux objectif », en effet, il
s'agit ontologiquement de fournir à la Commission les moyens juridiques
de
71
sanctionner un cloisonnement du marché mais pas de nourrir
le « contentieux subjectif ».
Cela apparaît par exemple au regard des sanctions qui
sont essentiellement la nullité et des amendes permettant uniquement de
rétablir l'ordre public économique.
68 CJCE, arrêt du 25 novembre 1971, Béquelin, 22/71
Rec. 549.
69 CJCE, arrêt du 6 février 1973, Brasserie de
Haecht, 48/72, Rec.77.
70 CJCE, arrêt du 13 février 1979. Hoffmann-La Roche
& Co. AG contre Commission des Communautés européennes.
71 en ce que le préjudice causé
s'apprécie de manière objective et non subjective,
c'est-à-dire au regard d'un acteur en particulier
28.
31
Harmonisation de la politique européenne de
concurrence Le droit substantiel étudié ne
peut
être efficient que s'il est appliqué de manière
homogène.
En outre, les directives successives et règlements
(notamment le règlement n°1/2003 sur la procédure) assurent
une harmonie législative certaine, renforcée par les lignes
directrices de la Commission qui servent de grille de lecture72 et
sont utilisées tant par les juridictions européennes qu'internes.
De plus, dans tous ces textes, le droit européen est fondé sur
des définitions propres, des notions « autonomes » qui sont
souvent différentes que celles des droits nationaux, la
définition donnée soit par les textes ou lignes directrices ou
par le juge européen permet une homogénéité
d'interprétation ; sans oublier que la plupart des dispositions sont
d'effet direct. Cette interprétation uniforme est surtout permise par
les questions préjudicielles, où une juridiction nationale
interroge la Cour de justice de l'Union européenne sur le droit de
l'Union européenne. Qui plus est, celle-ci est aussi assurée par
le Réseau européen de la concurrence (REC), structure informelle,
facilitant la coordination entre les autorités chargées de la
concurrence. Au demeurant, ce réseau est aussi essentiel en tant
qu'outil permettant une certaine homogénéité dans
l'application du droit de la concurrence européen par chaque Etat
membre.
Cette harmonisation permet une sécurité
juridique. En outre, l'étude de l'analyse économique de cette
norme (hard ou soft law) entre dans la nécessaire
gestion par l'acteur soumis à celle-ci (l'entreprise essentiellement) du
cadre analytique et de la grille de lecture à prendre en compte, au
delà même d'une opportunité, il s'agit d'une
nécessité. Dès lors, la stratégie ne pouvant se
déployer vis-à-vis de ces institutions, au-delà d'une
« stratégie de rupture », que par une communication dans la
même langue, le même dialecte et la règle doit mutatis
mutandis suivre une logique compréhensive, pour les sujets
de droit, sur un marché unique.
29. Rapport entre les articles 101 et 102 TFUE et
le private enforcement. Malgré ces textes
normatifs
(articles 101 et 102 TFUE) prévoyant des normes concurrentielles,
apparaît le constat qu'avant la directive n°2014/104 aucun texte
européen n'avait prévu des modalités techniques de
possibles actions collectives pour violation desdits textes. Pire encore, aucun
texte ne prévoyait les modalités du private enforcement,
c'est-à-dire qu'aucun texte européen ne donnait un droit à
agir au consommateur lésé du fait d'une entente ou d'un abus de
position dominante. Il y avait donc un vide juridique sidéral dans
l'efficience même du droit antitrust européen.
Ainsi, le préjudice des entreprises victimes et des
consommateurs était laissé au seul droit interne des Etats
membres de l'Union européenne. Mais comment expliquer cette
incapacité à légiférer sur ce point crucial ? Ce
néant juridique pouvait s'expliquer en particulier par la volonté
d'établir en priorité l'efficience du marché unique par le
public enforcement et les quatre piliers : libre circulation des
biens, libre circulation des capitaux, libre circulation des services, libre
circulation des personnes (ceci au détriment du private
enforcement dont l'application est délocalisée dans les
ANC).
72 comme précisé par le Conseil Constitutionnel
français (Décision n° 00-D-82 du 26 février 2001) :
« règlement précité, sans être applicable
à une affaire dans laquelle seul le droit national a été
invoqué, peut constituer un guide d'analyse utile ».
32
Face à ce constat et à l'inaction du
législateur européen, le juge intervient donc pour
développer le contentieux subjectif . Pour cela, le juge communautaire a
fait preuve d'ingéniosité pour combler
73
le vide juridique et a créé de manière
prétorienne des droits subjectifs aux particuliers, victime d'une
violation de l'ordre public économique.
Section 2 - Un accroissement prétorien du droit
d'agir des victimes limité
30. Action prétorienne et reconnaissance de
droit. Comme souvent les juges européens ont
joué un
rôle central pour combler le droit de la concurrence, ainsi ils ont
cherché à étendre son application par le biais de la
reconnaissance de la qualité à agir en cas de faute
concurrentielle (1) mais aussi, par une analyse plus profonde du
préjudice économique (2).
§1) Extension de la qualité à
agir
31. Qualité à agir et
intérêt à agir. La qualité à agir
est le « titre juridique en vertu duquel
on
agit74», c'est donc au niveau processuel la forme
que prend l'usage d'un droit substantiel.
Par principe, la démonstration de
l'intérêt à agir suffit pour agir en justice sauf si le
législateur a créé des actions attitrés où
une certaine qualité à agir est demandée (traduisant ainsi
une certaine politique juridique).
32. Extension prétorienne du droit à
réparation. Un coup de tonnerre éclate dans le ciel
du
temple concurrentiel quand résonne le 20 septembre 2001
l'arrêt Courage qui affirme, malgré le vide textuel, que
le droit à réparation75 des infractions au droit de la
concurrence tire son fondement des principes du droit communautaire et qu'il
s'applique dans certaines conditions à tous, du particulier à
l'entreprise contrevenante. En outre, les juges pointent que le droit
substantiel et son effectivité signifient pour les justiciables
l'existence nécessaire d'un droit subjectif d'action. Plus
précisément, celui-ci découle de l'effet direct horizontal
des articles 101 et 102 TFUE qui
73 ALBORS-LLORENS, Albertina in Courage v. Crehan: Judicial
activism or consistent approach ?, Cambridge Law Journal, vol. 61 issue 1 march
2002, p. 38 : « the judgment can be construed as an endorsement from
the Court of [...] the Commission's competition policy. [...]
it implicitly favours the achievement of the main objective pursued by the
recent proposals for the reform of the current system of enforcement of the EC
competition rules, namely the fully decentralised application of
article 81 EC ».
74 VOGEL, Louis in Les actions civiles de concurrence. Union
européenne, France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Suisse,
États-Unis, p. 36.
75 il faut noter que ce droit à réparation a une
assise constitutionnelle en droit français (cf. Conseil
constitutionnel, décision n°2010-2 QPC du 11 juin 2010, Mme Viviane
L., considérant 11 : « Considérant qu'aux termes de
l'article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté
consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »
; qu'il résulte de ces dispositions qu'en principe, tout fait quelconque
de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute
duquel il est arrivé à le réparer ; que la
faculté d'agir en responsabilité met en oeuvre cette
exigence constitutionnelle ; que, toutefois, cette dernière ne
fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un
motif d'intérêt général, les conditions dans
lesquelles la responsabilité peut être engagée ; qu'il peut
ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des
limitations à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte
disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs ainsi qu'au
droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de
l'article 16 de la Déclaration de 1789 »)
33
« produisent des effets directs dans les relations
entre les particuliers et engendrent des droits dans le chef des justiciables
».
76
L'arrêt se contente ici de reprendre la formule de
principe utilisée par les arrêts Van Gend &
Loos77, Francovitch78 ou
Delimitis79, qui concernaient eux la
responsabilité des Etats, selon laquelle les sujets de l'ordre juridique
communautaire :
« sont non seulement les
Etats membres, mais également leurs ressortissants et que, de même
qu'il crée des charges dans le chef des particuliers, le droit
communautaire est aussi destiné à engendrer des droits qui
entrent dans leur patrimoine juridique; ceux-ci naissent non seulement
lorsqu'une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi
en raison d'obligations que le traité impose d' une manière bien
définie tant aux particuliers qu'aux Etats membres et aux institutions
communautaires ».
Cette qualité à agir en réparation du
préjudice a une autre justification théorique qui ressort, par
ailleurs de la nature même de la sanction qui est une nullité
« absolue » c'est-à-dire invocable par quiconque. Comme le
souligne les Conclusions de l'Avocat général M. Jean Mischo
présentées le 22 mars 2001 :
« 22. Comme la nullité de plein droit
constitue, ainsi que la Commission l'a rappelé à juste titre, la
sanction fondamentale prévue par l'article 81, paragraphe 2, CE en ce
qui concerne les contrats interdits en vertu du paragraphe 1 du même
article, tout obstacle opposé à cette sanction, en
l'espèce par une interdiction pour le cocontractant de l'invoquer,
priverait partiellement cette dis- position d'effet. »
L'arrêt étonne aussi par l'extension du droit
à réparation à une partie membre d'un accord
anticoncurrentiel et de l'utilisation du concept d' « effet utile
» pour asseoir le droit à réparation ; en effet
l'arrêt dit bien que :
« 26. La pleine efficacité de
l'article 85 du traité et, en particulier, l'effet utile
de l'interdiction énoncée à son paragraphe 1
seraient mis en cause si toute personne ne pouvait demander réparation
du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement
susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence.
27. Un tel droit renforce, en effet, le caractère
opérationnel des règles communautaires de concurrence et est de
nature à décourager les accords ou pratiques, souvent
dissimulés, susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la
concurrence. Dans cette perspective, les actions en
dommages-intérêts devant les juridictions nationales sont
susceptibles de contribuer substantiellement au maintien d'une concurrence
effective dans la Communauté. »
76 CJCE, arrêt du 20 septembre 2001, aff. C-453/99, Courage
Ltd c. Bernard Crehan, §23
77 CJCE, arrêt du 5 février 1963, aff. 26-62, NV
Algemene Transport- en Expeditie Onderneming van Gend & Loos contre
Administration fiscale néerlandaise, Rec. p. 3, pt. 23
78 CJCE, arrêt du 19 novembre 1991, aff. C-6/90 et
C-9/90, Andrea Francovich et Danila Bonifaci et a. contre République
italienne, Rec. p. I-5357, pt. 31
79 CJCE, arrêt du 28 février 1991, Aff. C-234/89,
Delimitis, Rec. p. I-935.
34
En outre, comme le pointe David Bosco : « une partie
à un accord prohibé par l'article 81 CE doit pouvoir
réclamer une indemnisation à son cocontractant s'il ne porte pas
une responsabilité significative dans la distorsion de
concurrence80».
M. l'Avocat général Mischo argumentait sur ce
sens en vertu du : « 39. [É] principe de droit selon
lequel une partie ne peut profiter de sa propre turpitude ». Il
aurait pu être rétorqué (suivant d'ailleurs le raisonnement
de la jurisprudence anglaise sur ce point) que le contrat est la «
chose des parties », le consentement mutuel est la traduction
juridique d'une volonté commune d'atteindre un objectif partagé
qui se traduit par le contrat. Ainsi, l'action en réparation du
contractant a pour objet de profiter d'une situation juridique que le
cocontractant a lui même façonné et ainsi se
prévaloir de sa propre turpitude.
De jure, le raisonnement susmentionné semble
juste, mais de facto, cela serait faire fi de la réalité
économique qui entoure le contrat. Le déséquilibre dans la
négociation contractuelle s'impose parfois comme une condition
même du contrat pour une partie faible (face à la puissance de
négocier de la partie économiquement forte). C'est cette solution
pragmatique que les juges européens ont choisi en demandant de
rechercher la responsabilité dans la distorsion de concurrence. Ce qui
demande aux juges dans leurs appréciations souveraines de regarder par
exemple le contexte économique et juridique, le pouvoir de
négociation de chacun pour savoir si le demandeur a été le
véritable instigateur de l'entente illicite ou si celle-ci lui a
plutôt été imposée par son partenaire ; l'action
étant refusée si la partie demanderesse a «
responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence
». Le Cour de justice pose tout de même une garde-fou qui est
que la protection offerte par le droit communautaire : «
n'entraîne pas un enrichissement sans cause des ayants
droit81 ».
Toutefois, consciente de l'absence d'harmonisation
européenne, la Cour de justice mentionne la nécessité
d'avoir recours aux droits nationaux concernant les modalités
procédurales capables d'assurer les droits que les justiciables tirent
de l' « effet direct » du droit
communautaire82.
Elle renvoie ainsi au principe de l'autonomie
procédurale des États membres. Autonomie bornée par les
principes d'équivalence et d'effectivité. En outre, les
modalités en question ne doivent en effet pas être moins
favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne, et
ne doivent pas non plus rendre pratiquement impossible ou excessivement
difficile l'exercice des droits conférés.
Néanmoins, comme le soulève Guillaume Zambrano,
en utilisant le critère de responsabilité « significative
» comme critère préalable à la responsabilité
de la partie adverse, la Cour de justice de manière prétorienne
introduit un nouveau élément au droit substantiel de la
responsabilité
80 BOSCO, David in Note sous CJCE, 20 septembre 2001, Courage
Ltd et Bernard Creham, aff. C-453/99 Droit 21, 2001, Chr., AJ 462
81 point 30 et voir, notamment en ce sens : CJCE, arrêt
du 4 octobre 1979, Ireks-Arkady/Conseil et Commission, 238/78, Rec. p. 2955,
point 14
82 le droit anglais, la jurisprudence italienne et le
législateur allemand ont dû étendre ainsi le droit d'agir
à « toute personne »
35
(formant un élément conditionnel substantiel
d'un droit communautaire de la responsabilité concurrentielle au niveau
européen), en outre :
« la notion de responsabilité significative
dans la distorsion marque la communautarisation du fait
générateur de responsabilité civile en cas d'infraction au
droit de la concurrence. Une communautarisation de fond et non seulement de
procédure. Saisie d'une question préjudicielle en matière
de procédure civile, la Cour rend en réalité un
arrêt touchant à la substance même de la faute ouvrant droit
à réparation en cas d'infraction au droit communautaire de la
concurrence83».
33. Arrêt Manfredi. Par la suite,
cette approche pragmatique de la juridiction suprême
européenne
a pu être confirmée et précisée par l'arrêt
Manfredi, dans lequel la Cour vient réaffirmer l' « effet direct
horizontal » de l'article 101 TFUE, salvateur de droits subjectifs :
« En l'absence de dispositions communautaires en ce
domaine, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État
membre de fixer les critères permettant de déterminer
l'étendue de la réparation du préjudice causé par
une entente ou une pratique interdite par l'article 81 CE, pour autant que les
principes de l'équivalence et d'effectivité soient
respectés.
Dès lors, d'une part, conformément au
principe de l'équivalence, si des dommages-intérêts
particuliers, tels que des dommages-intérêts exemplaires ou
punitifs, peuvent être alloués dans le cadre d'actions nationales
semblables aux actions fondées sur les règles communautaires de
concurrence, ils doivent également pouvoir l'être dans le cadre de
ces dernières actions. Toutefois, le droit communautaire ne fait pas
obstacle à ce que les juridictions nationales veillent à ce que
la protection des droits garantis par l'ordre juridique communautaire
n'entraîne pas un enrichissement sans cause des ayants droit.
D'autre part, il résulte du principe
d'effectivité et du droit du particulier de demander réparation
du dommage causé par un contrat ou un comportement susceptible de
restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence que les personnes ayant subi
un préjudice doivent pouvoir demander réparation non seulement du
dommage réel (damnum emergens), mais également du manque à
gagner (lucrum cessans) ainsi que le paiement d'intérêts.
»
34. Extension de la qualité à agir
à l'Union. L'extension du droit d'agir s'est même faite
à
l'Union européenne elle-même lorsque, en tant
qu'opérateur économique, elle a été victime
d'une
84
pratique anticoncurrentielle. Le droit d'action de la Commission
pour agir en réparation au nom de
83 ZAMBRANO, Guillaume in L'inefficacité de l'action
civile en réparation des infractions en droit de la concurrence,
étude du contentieux français devant le Tribunal de Commerce de
Paris (2000-2012), thèse de l'Université de Montpellier, 2012,
p.43
84 CJUE, arrêt du 6 nov. 2012, Europese Gemeenschap v Otis
NV and Others, aff. C-199/11
36
l'Union lorsqu'elle subit un dommage concurrentiel a ainsi
été assis . C'est la suite logique de
85
l'arrêt Courage avec l'ouverture du droit
à réparation à toute victime mais cela pointe aussi le
rôle modèle que veut jouer la Commission dans le
développement du private enforcement.
§2) Extension du préjudice
35. Extension de la capacité à agir et
effet parapluie. La Cour de justice a par la suite
consacré le droit à réparation du
concurrent victime d'une entente en ce qu'il a été contraint
d'augmenter ses prix. Ainsi, les juges ont aussi étendu la
capacité à agir des victimes en reconnaissant un nouveau
préjudice. En effet, la question préalable, au-delà de
l'exercice de l'action, est la caractérisation de la pratique et du
montant du préjudice. Un arrêt de la CJUE du 5 juin 2014 dit
KONE AG est éclairant sur ce point. En effet, en ce qui
concerne le préjudice, dans
86
une appréciation économique de la situation, les
juges reconnaissent pour la première fois, le préjudice issu de
l'« umbrella pricing » ou « effet parapluie
» (ou encore « effet de prix de protection »). En
outre, l'effet d'ombrelle sur le prix apparaît lorsque des entreprises
non parties à une entente profitent du prix rehaussé du fait de
celle-ci pour se mettre dans le sillon de l'entente et mettent leur propre prix
à un niveau plus élevé (prix de protection) que celui
résultant de conditions de concurrence non faussés. En
l'espèce, les défendeurs étaient des
sociétés spécialisées dans la vente, l'installation
et l'entretien d'ascenseurs et d'escaliers mécaniques qui
s'étaient entendu pour se répartir plus de la moitié du
marché autrichien. L'autorité autrichienne de la concurrence les
a par la suite condamnés et la société OBB-Infrastruktur
AG, exploitante de réseau ferré vient dès lors demander
réparation de son préjudice aux parties à l'entente.
Préjudice du fait du supplément de prix payé aux
défendeurs mais aussi pour 1.8 millions d'euros un supplément
payé aux entreprises tierces à l'entente (arguant de l'effet
parapluie). Deux problèmes majeurs semblaient s'opposer à la
reconnaissance de ce préjudice. D'une part, d'un point de vue
probatoire, il s'agit de caractériser le préjudice et sa
réalité. D'autre part, il s'agit de saisir les conditions de la
responsabilité civile du pays, la lex causae ; en
l'espèce le lien de causalité faisant semble-t-il
défaut.
Néanmoins, l'exploitante du réseau ferré
(victime) établit un surcoût direct découlant de l'effet
d'ombrelle par une étude économique mais aussi des données
rassemblées par l'autorité de concurrence autrichienne. La
décision de la CJUE est claire et suit la logique des arrêts
Courage ou Manfredi. En outre, l'effet direct du droit de
l'Union ordonne, selon la Cour, le respect du principe d'équivalence
(l'effet direct du droit de l'Union ne doit pas être moins favorable que
les règles de recours interne) et d'effectivité (cela ne doit pas
rendre l'action impossible ou excessivement difficile) que le recours
fondé sur l'umbrella pricing soit possible. Néanmoins,
la Cour précise bien pour la quantification qu'il faut analyser le
marché en cause et voir le préjudice prévisible par les
85 ainsi : « Le droit de l'Union doit être
interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que
celles en cause au principal, il ne s'oppose pas à ce que la Commission
européenne représente l'Union européenne devant une
juridiction nationale saisie d'une action civile en réparation du
préjudice causé à l'Union par une entente ou une pratique
interdites par les articles 81 CE et 101 TFUE, susceptibles d'avoir
affecté certains marchés publics passés par
différentes institutions et différents organes de l'Union, sans
qu'il soit nécessaire que la Commission dispose d'un mandat à cet
effet de la part de ces derniers. » (arrêt cité
supra)
86 CJUE, arrêt du 5 juin 2014, Kone c/ OBB- Infrastruktur,
aff. C-557/12.
37
parties à l'entente, celui-ci étant
corrélativement plus élevé si la part de marché de
l'entente est importante (point 34 et conclusion de l'Avocat
général). La Cour ouvre donc la voie à une analyse globale
du préjudice, ajoutant comme le disait l'Avocat général
Kokott : « une pierre à l'édifice ».
Toutefois, la décision de la Cour interroge ; pas un mot sur le
passing-on87 probable sur le consommateur, cela pourrait
s'expliquer par le fait que l'arrêt est antérieur à la
directive n°2014/104 (étudiée infra)
prévoyant une telle analyse.
36. Une extension intrinsèquement
limitée. Les arrêts suscités sont aussi pertinents
en ce
qu'ils pointent l'évolution du droit de manière
générale.
Un mouvement de « pulvérisation du droit en
droits subjectifs » traduit la nature individualiste de
88
la société et la patrimonialisation de ceux-ci,
son essence capitaliste. La situation des individus au sein du système
juridique est ainsi désormais déterminée à travers
l'allocation et la mise en oeuvre de droits subjectifs. Certes, cela va de
l'essence même du droit de la concurrence de nature économique,
mais la reconnaissance subjective du préjudice individuel traduit qu'au
delà du préjudice fait à l'intérêt
général au travers de l'ordre public économique, existe un
préjudice individuel propre. Ce mouvement du préjudice
général au préjudice individuel montre in fine
l'amélioration dans la recherche d'efficacité du droit de la
concurrence européen, en effet après, dans un premier temps, la
recherche de la réparation du préjudice global sanctionné
par le biais d'une amende (et d'une nullité comme seule sanction civile)
apparaît, dans un second temps, une recherche d'indemnisation des
victimes directes (cocontractants, concurrents) et « indirects »
(consommateurs). C'est ici la limite même de l'extension de droit d'agir
car par la pulvérisation du préjudice apparaît aussi la
limite de la capacité d'efficience du private enforcement. En
outre, la reconnaissance de ce préjudice individuel ne s'accompagne pas
automatiquement d'une action individuelle. Les actions en stand alone
ou même en follow-on étant en toute hypothèse
soumises à l'aléa de la volonté et de la capacité
(au sens large) d'agir de la victime. La réussite du private enforcement
est laissée à l'aléa de « la vigilance des
particuliers à la sauvegarde de leurs droits » pour reprendre
la formule de la Cour de justice à propos de l'effectivité du
droit européen.
89
Ainsi, la responsabilisation du justiciable peut, à
défaut d'action de celui-ci, se traduire comme un échec du
private enforcement, posant la question de la délégation de
ces préjudices subjectifs (essentiellement du consommateur ou même
des concurrents) aux autorités concurrentielles.
Mais une deuxième voie reste possible, c'est la
collectivisation de ces préjudices individuels qui permet au moins de
renforcer l'efficience et la probabilité des actions individuelles.
87 la répercussion du surcoût c'est-à-dire
le transfert économique du coût causé par le biais de la
chaîne de contrat (propre au contrat de revente) au maillon
postérieur de la chaîne.
88 CARBONNIER, Jean in Droit et passion du droit sous la
Vème République, Flammarion, 1996, p. 121
89 CJCE, arrêt du 5 février 1963, aff. 26/62, Van
Gend en Loos,
préc. pt 25
38
37. Conclusion. Cette extension de la
qualité à agir à « tous » et d'un
préjudice propre (voir
section 2) est nécessaire à la
possibilité même de l'action individuelle et par là,
à l'hypothèse même d'une action collective.
En effet, avant même de penser une agrégation
d'action individuelle faut-il encore que celle-ci existe (voir section
2§1). D'autre part, l'action individuelle ne peut prospérer sans
assise, le droit de l'Union qui a vocation à régir ses situations
s'est doté d'un arsenal législatif qui sert de base à
l'action en qualité de droit substantiel (voir section1§2). Ce
droit substantiel est donc le fondement même de l'action collective qui,
elle, doit en toute état de cause être dans le champ d'application
de ce même droit (voir section 1§1). C'est ce que met en exergue
l'arrêt Courage, en rappelant que l'effectivité
même de ce droit substantiel : « seraient mis en cause si toute
personne ne pouvait demander réparation du dommage qui lui aurait
causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de
fausser le jeu de la concurrence ». Ainsi, en donnant un droit
substantiel invocable directement par tous, le juge vient combler les lacunes
textuelles sans pour autant pouvoir palier l'inefficience factuelle du private
enforcement.
Ainsi, le bilan d'un risque éthéré
apparaît, car au-delà de la reconnaissance d'un droit à
agir n'existe aucun fondement à une « action collective
européenne » (voir infra). Bon gré mal gré,
l'action individuelle dépend du droit processuel propre à chaque
Etat membre (dans la limite du principe d'équivalence et
d'effectivité), tout comme l'action collective qui, elle, n'est
dépendante que du bon vouloir des Etats membres. Dès lors, la
menace actuelle d'une action collective dérivant du droit
européen est à géométrie variable en fonction du
droit processuel interne de chaque Etat membre.
Il s'incarne qu'au travers du droit interne et des
modalités techniques de celui-ci dans la limite du respect en droit
prospectif de la directive n°2014/104. Par conséquent, le risque
actuel d'une action collective est donc par là inégal et prend
place de manière hétérogène selon les
systèmes juridiques internes.
39
Chapitre 2 - Source du risque des actions collectives
découlant des droits internes
38. Diversité et inégalité du
risque. La source du risque des actions collectives
est
nécessairement hétérogène et se traduit donc
par des régimes épars d'actions collectives dans les
systèmes juridiques (Section 2). Néanmoins,
penser ces régimes nécessite une certaine mise en perspective et
permet de souligner le caractère bien souvent transnational de
l'infraction. Cette extranéité généralement propre
au droit de la concurrence interroge quant aux conflits de juridiction et de
lois suscités (Section 2).
Section 1 - Des régimes épars d'actions
collectives dans les systèmes juridiques
39. Diversité et efficience. Les
régimes épars des actions collectives traduisent
l'incapacité du
législateur européen à
créer de manière verticale un régime règlementaire
d'action collective de droit européen, faute de mieux, celui-ci agit par
le truchement du soft law (1). De plus, les régimes traduisent
intrinsèquement une diversité d'actions collectives dans les
droits des Etats membres de l'Union européenne (2).
§1) Recommandation européenne sur les
recours collectifs
40. Risque inégal et absence d'action
collective européenne. L'existence d'une
multiplicité
d'actions collectives est un aveu. C'est l'aveu d'une
distorsion des droits des requérants selon la facilité d'action
des droits nationaux (ou pire encore la possible inexistence en droit national
d'une action collective), ce qui oblige à un constat : le
législateur européen a failli à mettre en place une action
collective européenne en droit de la concurrence.
La faillite législative n'est pourtant pas faute de
débat sur le sujet ainsi dans le Livre Blanc :
90
« la Commission estime qu'il existe un besoin
évident de mécanismes permettant le regroupement des demandes
d'indemnisation individuelles de victimes d'infractions aux
règles de concurrence. Les consommateurs individuels, mais aussi les
petites entreprises, en particulier celles qui ont subi de manière
sporadique des dommages de faible valeur91 ».
Une consultation a même été lancée
le 4 février 2011 par la Commission aux autorités nationales de
concurrence. Par exemple, l'Autorité de la concurrence française
faisant suite à son avis du 21 septembre 2006 relatif à
l'introduction de l'action de groupe en matière de pratiques
anticoncurrentielles, a affirmé la nécessité d'une telle
action collective et a pointé que : « l'absence
90 certains y voyant un risque du fait de la complexité
du litige concurrentiel : voir Green Paper on Consumer Collective Redress,
COM(2008) 794 final (27 novembre 2008) au paragraphe 5
91 in Livre Blanc (sur les actions en dommages et
intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les
ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final (2 avril 2008)
aux pages 4-5).Voir aussi George Parker et al, « Business Warns EU Against
Class Action Suits », Financial Times (14 mars 2007)
40
de standards européens est à l'origine d'une
inégalité au détriment des consommateurs et PME
résidant dans les Etats qui ne disposent pas de procédures
d'action collective ».
Plus encore, de manière spéculative, une base
théorique juridique existerait à une « action collective
européenne », cela pourrait être l'article 6 du Traité
sur l'Union européenne, qui opère un renvoi à la Charte
des droits fondamentaux de l'Union européenne qui garantit un recours
effectif à toute personne « dont les droits et libertés
garantis par le droit de l'Union ont été violés
» (article 47).
Or depuis l'arrêt Courage le droit au recours
effectif s'applique inconditionnellement aux articles 101 et 102 TFUE. Ainsi,
l'absence d'un recours collectif pour les victimes des atteintes à la
concurrence revient souvent à les priver de facto de leur droit
à un recours effectif (du fait d'une multitude de facteurs : de leur
caractère sporadique, des coûts, de la complexité du
litige, de son inégalité, etc.). Face à cette
argumentation juridique apparaît une réalité pratique ;
c'est en outre que l'action collective n'existe pas dans tous les Etats membres
et que même lorsqu'elle existe, elle s'inscrit dans un cadre
différencié selon les cultures juridiques (notamment
modèle de droit romain et modèle de droit anglo-saxon),
empêchant l'Union d'imposer une règlementation impérative
sur un terrain aussi éclaté et glissant 92.
41. Soft law et hard law.
L'incapacité à passer par le biais de la règlementation a
obligé les
autorités européennes à agir par le biais
du soft law. Ainsi, après les consultations a été
formulé une recommandation de la Commission en date du 11 juin 2013
relative à des principes communs applicables aux mécanismes de
recours collectif en cessation et en réparation dans les États
membres en cas de violation de droits conférés par le droit de
l'Union (par ailleurs, le concept de « recours collectif » englobe
bien plus que l'action de groupe ).
93
Au préalable, il faut rappeler qu'une recommandation
aux termes de l'article 288 TFUE, alinéa 5, ne lie pas. Les
recommandations sont dénuées de caractère normatif, le
caractère impératif d'une règle constituant une condition
de la normativité. D'ailleurs la Cour de justice leur dénie tout
effet direct, les juges nationaux étant seulement tenus de les prendre
« en considération94 ».
Cette recommandation traduit l'idée qu'actuellement
en hard law, l'idée d'une class action
95
européenne reste lettre morte. En effet, les
autorités européennes ont préféré
opérer par le biais d'une harmonisation horizontale au travers de la
directive n°2014/104 permettant d'assurer un recours effectif des actions
en dommages et intérêts sans pour autant instaurer l'obligation
de
92 NEUMANN, Karl-Alexander et WADE MAGNUSSON, Landon in Pour
une action collective européenne dans le droit de la concurrence, 24.2
(2011) Revue québécoise de droit international, p. 166.
93 ainsi dans les définitions des termes de la
recommandation : « recours collectif», i) un mécanisme
juridique garantissant la possibilité, pour plusieurs personnes
physiques ou morales ou pour une entité ayant
qualité pour agir en représentation, de demander collectivement
la cessation d'un comportement illicite (recours collectif en
cessation); ou ii) un mécanisme juridique garantissant la
possibilité, pour plusieurs personnes physiques ou morales qui
prétendent avoir subi un préjudice dans le cadre d'un
préjudice de masse ou pour une entité ayant qualité pour
agir en représentation, de demander collectivement
réparation (recours collectif en réparation)
».
94 CJCE, arrêt du 13 décembre 1989, Grimaldi,
C-322/88, Rec. p. 4407, pt 19.
95 Néanmoins, le point 26 de la recommandation
précise que : « Dans un délai de quatre ans
après la publication de la présente recommandation, la
Commission devrait évaluer la nécessité d'autres mesures,
y compris de mesures législatives, afin de garantir que les objectifs de
la présente recommandation sont pleinement atteints ».
96 c'est-à-dire subir un préjudice à
l'origine d'une perte en raison d'une même activité illicite
menée par une ou plusieurs personnes physiques ou morales.
41
création d'une action collective interne ou
européenne (qui par ailleurs serait prise nécessairement par la
voie règlementaire).
En ce qui concerne le soft law, comme
précisé au point 10 dans la recommandation suscitée :
« L'objectif de la présente recommandation est
de faciliter l'accès à la justice en cas de violation de droits
conférés par le droit de l'Union; à cette fin, il est
recommandé que tous les États membres disposent de
mécanismes nationaux de recours collectif reposant sur des principes
fondamentaux identiques dans toute l'Union, compte tenu des traditions
juridiques propres aux États membres et de la nécessité de
prévenir les abus. »
En outre, la recommandation prévoit notamment des
actions en représentation par une entité agréée
à but non lucratif ou une autorité publique pour le compte et au
nom de plusieurs ayant subi un préjudice dans le cadre d'un «
préjudice de masse96».
Elle préconise l'opt-in (le consentement
express des personnes représentées), ce qui est contraire
à la proposition faite par le Livre Blanc d'instaurer une action
représentative en faveur de victimes identifiables. Il y a donc eu une
inflexion sur le sujet qui pourrait s'expliquer par l'existence en fait d'une
majorité de systèmes juridiques possédant un
mécanisme d'opt-in (voir point 49).
Pour adhérer à l'action, la recommandation
prévoit la possible diffusion au public de l'information
nécessaire. Sur le plan déontologique, le texte plaide en faveur
de la condamnation au dépens de la partie perdante, de la
définition d'un cadre de financement des actions collectives (conflits
d'intérêts, influence exercée, etc.) et d'une limitation de
la rémunération des avocats pour éviter les recours
abusifs. Elle affirme la nécessité de proposer un
règlement consensuel des actions collectives (avec une interruption de
la prescription et une vérification de la légalité de la
transaction) et interdit l'allocation de dommages et intérêts
punitifs. Enfin, elle soulève l'obligation de surseoir à statuer
pour le juge en cas d'action par les autorités publiques de concurrence
postérieur à sa saisine pour une action collective.
La Commission a par ailleurs donné une date «
butoir » pour satisfaire à la recommandation, en outre il est
précisé que :
« (24). Les États membres devraient prendre
les mesures nécessaires pour que les principes énoncés
dans la présente recommandation soient mis en oeuvre deux ans au
plus tard après sa publication ».
Délai déjà dépassé et pour
autant tous les Etats membres n'ont pas suivi à la lettre les
doléances de la Commission, démontrant encore l'inadaptation
à long terme du soft law à ce type de
problème.
Au-delà de cet échec, l'existence même de
la directive n°2014/104 montre peut être, quant à elle, que
cet échec n'est que provisoire puisque cette directive a mis
indirectement en place un début de cadre processuel aux actions
collectives. En outre, la directive s'inscrit comme une première pierre
à un édifice car elle n'a de raison d'être pour le
consommateur ou les PMEs qu'au travers des
42
actions collectives lui permettant d'enfin renforcer
l'efficacité du private enforcement. Ce qui traduit
peut-être la malice du législateur européen qui agit en
posant discrètement les fondations d'un régime d'une class
action européenne.
§2) Hétérogénéité
des actions collectives
42. Des systèmes dissemblables. En
dehors de ce cadre européen mou, il est nécessaire de
regarder
chaque droit interne, comme le dit elle-même la Commission :
« Des procédures permettant d'engager une
action collective en réparation ont été introduites dans
certains États membres à des degrés divers. Toutefois, les
procédures existantes pour l'introduction de recours collectifs
diffèrent largement selon les États membres97
».
Tout d'abord, il faut relever que dans les systèmes
juridiques européens ont une action aux fins de réparation du
préjudice concurrentiel qui peut être engagée sur le
fondement de la responsabilité civile délictuelle ou quasi
délictuelle98. Sur 27 pays membres de l'Union
européenne, seulement 7 ne prévoit aucun « collective
redresse system », i.e. un système qui
prévient ou met fin à une
99
pratique illégale touchant une multitude de demandeurs
(consommateur ou PME) et/ou la compensation du préjudice causé
par de telles pratiques . Ainsi, il faut relever que certains pays
100
sont dotés d'un recours collectif comme notamment la
Bulgarie, l'Espagne, la Finlande, la Hongrie, l'Italie, les Pays-Bas, la
Roumanie ou encore la Pologne. Subséquemment, les risques sont divers et
sera fait le choix partial d'étudier le système d'action
collective propre à l'Allemagne, l'Espagne, la France, l'Italie, le
Portugal et le Royaume-Uni.
43. Allemagne. Se profile trois
modèles de recours : un pour les investissements financiers avec
la
loi dite KapMuG du 16 août 2005 ; un qui depuis 2008 permet
d'exercer des recours individuels par le biais par des sociétés
spécialisées, en leur nom propre, ayant acquis des droits
litigieux moyennant une rétrocession partielle des
dommages-intérêts en cas de succès de l'action ; un pour la
concurrence déloyale. En outre, au regard du droit de la concurrence
apparaît une « action de groupe sans action de groupe » en
droit allemand, en effet, celle-ci existe de facto par le recours
groupé d'actions en dommages et intérêts (même en
l'absence d'instruments particuliers de recours collectifs) Cette
opération se réalise par pacte de quota litis. En outre,
apparaît une entreprise qui
97 Recommandation de la Commission en date du 11 juin 2013
relative à des principes communs applicables aux mécanismes de
recours collectif en cessation et en réparation dans les États
membres en cas de violation de droits conférés par le droit de
l'Union (2013/396/UE), point 12.
98 RIFFAULT-SILK, J. in « Les actions privées en
droit de la concurrence : obstacles de procédure et de fond », RLC,
janv.-mars 2006, n°6., p. 88.
99 Directorate-General for Internal Policies, Policy
Department A, Study on legislative action in the area of Collective Redress in
the field of antitrust, page 22 ; accès en ligne:
http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/
2012/475120/IPOL-ECON_ET(2012)475120_EN.pdf
100 Ibid., page 15 :« may accomplish the termination
or prevention of unlawful business practices which affect a multitude of
claimants (consumers and/or SMEs) or the compensation for the harm caused by
such illegal practices »
43
rachète les créances délictuelles
probables appartenant aux acheteurs directs victimes. Ici, le prix d'achat des
créances en question est formé d'une part fixe versée au
moment de la cession et d'une part variable aléatoire
représentant une certaine fraction du montant des dommages et
intérêts obtenus à l'issue du procès ou de la
transaction (l'exemple typique est la société allemande
Cartel Damages Claims). Ainsi, le modèle allemand d'action
collective en droit de la concurrence se présente par une existence de
fait mais une inexistence juridique, l'action de groupe n'étant pas
intrinsèquement possible en droit de la concurrence.
44. Royaume-Uni. Contrairement au
modèle allemand, le modèle anglais prévoit lui une
telle
action collective dite « group litigation ». En
effet, le champ d'application de la procédure collective en Angleterre
est large, puisqu'il s'étend à toutes les actions civiles, c'est
donc en principe une loi de portée générale applicable
tant en matière contractuelle qu'extra-contractuelle. Néanmoins,
le Consumer Rights Act (CRA) 2015 for Competition Claims a
prévu une procédure spécifique au droit de la concurrence
basée tant sur le droit interne qu'européen. La nouveauté
essentielle est le possible passage du modèle de l'opt-in
à l'opt-out101. Il faut que le demandeur
représentant à l'action soit une personne demanderesse à
l'action et que l'action concerne au moins deux personnes. L'action collective
prend la forme d'un Collective Proceedings Order après
vérification de la recevabilité de la demande par le Competition
Appeal Tribunal. Ce Collective Proceedings Order choisit
lui-même si le système d'adhésion prend la forme de
l'opt-in ou de l'opt-out (ce qui est en contradiction
apparente avec la recommandation de la Commission ), deux critères dans
le
102
choix sont avancés : la force de la demande et
l'aspect pratique d'une procédure régie par le modèle de
l'opt-in. Enfin, ce nouveau régime propre au droit de la
concurrence exclut les exemplary damages.
Dans le cadre d'une consultation publique, l'autorité
anglaise de concurrence (Office of Fair Trading) a calculé que
les consommateurs ont profité à hauteur d'environ 965 millions
d'euros des décisions rendues en matière de concurrence durant la
période 2011-2012103 démontrant une
attractivité du système anglais (antérieurement
déjà aux réformes de 2015).
45. Espagne. Le dispositif législatif
s'article au travers de l'article 519 du Code de procédure
civile et
de la loi n°15/2007 sur la concurrence, l'action existe en droit espagnol
depuis une loi du 7 janvier 2001. La loi espagnole autorise les class
actions destinées à protéger les
intérêts des consommateurs. En revanche, sont exclues de son champ
d'application les entreprises victimes de pratiques anticoncurrentielles. Elle
prend deux formes soit elle s'adresse à un groupe de
101 L'option d'exclusion ou « opt-out » est le
mécanisme par lequel l'ensemble des membres d'un groupe défini
par un juge sur des critères objectifs sont considérés
comme partie à l'instance tant qu'ils ne se sont pas manifestés
pour se retirer de l'instance dans une période
prédéterminée.
102 la porte étant laissée ouverte, celle-ci
précisant qu'une exception à l'opt-in est possible :
« Toute exception à ce principe, édictée par la
loi ou ordonnée par une juridiction, devrait être dûment
justifiée par des motifs tenant à la bonne administration
de la justice ». Ainsi, les critères retenus
pourraient en effet répondre à cet impératif.
103 Voir la consultation publique : « Private action in
competition Law - A consultation on options for reform - government response
», janvier 2013.
44
consommateurs identifiés, soit à un groupe de
consommateurs « diffus ». Il n'y a pas besoin d'un
104
nombre minimum de personnes affectées, ni d'un nombre
minimum de demande. Néanmoins, lorsque un groupe est identifié,
il faut l'adhésion d'au moins 50% du reste du groupe en question (la
charge de la preuve du dépassement de ce ratio est sur le groupe
demandeur à l'action). D'autre part, lorsque les victimes ne sont pas
identifiées, une phase de publicité permet à celles-ci
d'avoir connaissance du procès et de se manifester. Les consommateurs
lésés pourront se joindre à la procédure via
un mécanisme d'opt-in. Par ailleurs, si la loi espagnole
n'autorise pas le financement de telles actions par des tiers, la pratique
de contingency fees et de pacte de quota litis est quant
à elle autorisée (suite notamment à une décision du
Tribunal Suprême du 4 novembre 2008 ).
105
Enfin, l'Espagne est en contradiction avec le droit prospectif
(directive n°2014/104) et ne laisse pour le moment qu'un an au plaintif
lorsqu'il est au courant du comportement fautif pour agir
106
(contrairement au cinq ans de principe), ce qui pourrait
d'ailleurs être contraire au droit européen en rendant «
pratiquement impossible » ou « excessivement difficile
» l'exercice des droits conférés aux
justiciables107.
46. Italie. La class action («
azione di classe ») en droit italien s'étend au droit de
la
concurrence108 et au droit de la consommation. Ce
régime propre d'action collective se concrétise par l'article 140
bis du Code de la consommation (créé par une loi est en vigueur
depuis le 1er janvier 2010). Elle ouvre le recours aux consommateurs victimes
d'une même entreprise, mais aussi aux consommateurs d'un produit, ou aux
personnes lésées par des pratiques commerciales déloyales
et des comportements anticoncurrentiels. Suite à une réforme de
2012, il y a une extension du champ d'application de l'action de groupe par le
remplacement du critère d'identification du groupe par un
préjudice à des « droits identiques » à
des « droits homogènes ». Le système est quant
à lui basé sur l'opt-in. Comme en Espagne ou en France,
l'action peut être confiée à une association. Mais, les
consommateurs peuvent aussi se regrouper en comité autonome, l'action
étant dispensée de ministère d'avocat. Les personnes qui
souhaitent s'associer à l'action doivent déposer, dans les 120
jours qui suivent l'ordonnance rendue sur la recevabilité de la demande
de constitution du groupe, un acte d'adhésion au greffe du tribunal en
précisant les éléments de fait constitutifs des droits
qu'elles invoquent. L'ordonnance sur la recevabilité peut, dans les
trente jours suivant sa notification, faire l'objet d'un appel non suspensif
devant la cour d'appel. Le juge détermine les critères auxquels
il convient de répondre pour demander à adhérer à
l'action de groupe. Par ailleurs, il faut noter que si une victime ne se joint
pas à l'action avant la date butoir pour opter, il ne pourra pas agir
par le biais d'une autre class action mais pourra tout de même
agir individuellement en justice. Par la suite, lors d'une première
audience, le tribunal rejette la demande : si elle est
104 ou plus exactement « acción para la
proteción de intereses difusos »
105 n°5837/2005
106 Ley 3/1991, de 10 de enero, de Competencia Desleal
107 CJCE 20 sept. 2001, n° C-453/99, Courage Ltd, RTD com.
2002.
108 Article 140-bis du Code de la consommation : « 2
[É] c) identical rights to payment of damages due to these
consumers and users and deriving from unfair commercial practices or
anti-competitive behaviour. »
45
manifestement infondée, s'il constate un conflit
d'intérêt, si les droits individuels invoqués pour recourir
à l'action de groupe ne sont pas identiques, ou si le demandeur n'est
pas capable de gérer de façon adéquate
l'intérêt du groupe. Enfin, la décision juridictionnelle
détermine notamment le cours de la procédure dans le respect du
principe du contradictoire et dans le cadre d'un procès
équitable, efficace et rapide.
Le bilan jurisprudentiel est plutôt à un constat
de l'inefficience du régime des actions collectives en droit italien
avec uniquement deux procédures ayant abouti en faveur du consommateur
en 2016 .
109
Certains avancent cet échec par le fait que le
financement par des tiers n'étant pas autorisé, ce sont les
demandeurs qui supportent les coûts (même si c'est l'association
mandatée qui a engagé la procédure ). Ainsi,
apparaît une répartition prohibitive des coûts pour les
demandeurs même
110
regroupés (un certain seuil de demandeurs devant
être atteint pour une allocation d'un coût mineur).
47. France. Déjà il y a maintenant
plus de trente ans, la Commission de refonte du droit de la
consommation, sous la direction de Jean Calay-Auloy, «
propose d'instituer une action nouvelle qui pourrait être
appelée action de groupe111».
Attendue comme l'Arlésienne, la mise en place d'une
action de groupe en droit français commence à être
véritablement discutée en 2005 avec la proposition du
Président Jacques Chirac. Par la suite, malgré le « rapport
Cerutti » du 16 décembre 2005 et une proposition de loi
déposée en 2006,
112
l'action collective reste un chantier inabouti .
113
Ce n'est que bien plus tard et suivant pour partie la
recommandation européenne sur le sujet que la loi du 17 mars 2014 dite
« loi Hamon » consacre en droit français le mécanisme
de l'action de groupe. C'est bien le code de la consommation qui abrite
l'ensemble du dispositif sur l'action de groupe par une sorte d'attraction du
« droit du marché ».
109 CAPONI, Remo in Italian 'Class Action' Suits in the Field
of Consumer Protection: 2016 Update, Université de Florence, 16 juin
2016
110 UTZSCHNEIDER, Yann et MUSSI, Costanza in L'action de
groupe en droit de la concurrence, une intention louable à la mise en
oeuvre complexe, - AJCA 2014. 222
111
|
CALAIS-AULOY, Jean [directeur] in Vers un nouveau droit de la
consommation. Rapport de la commission de
|
refonte du droit de la consommation, juin 1984, La Documentation
française, p. 91
112 CERUTTI, Guillaume et GUILLAUME, Marc in Rapport sur
l'action de groupe, Paris, 2005 ; disponible en ligne :
http://www.presse.justice.gouv.fr/art_pix/1_rappactiondegroupe.pdf
113 Seul un mécanisme mécanisme introduit dans
le Code de commerce en 1992 proposait une action qui pourrait ressembler
à une action collective : l'action en représentation conjointe.
Elle permet à une association d'agir au nom de plusieurs consommateurs,
en réparation de leur préjudice, par le biais d'un mandat
à agir. Malheureusement, ses conditions de mise en oeuvre et
l'impossibilité de faire de publicité, n'ont pas permis à
ce mécanisme de prospérer, son efficacité en pratique
étant très limitée.
46
Son champ d'application reste néanmoins limité
puisque seuls les dommages de nature matériels114
causés aux seuls consommateurs sont réparables et puisqu'il ne
vise que les dommages de
115
consommation et ceux découlant de pratiques
anticoncurrentielle (sans condition d'un préjudice minimum
toutefois).
Il faut noter qu'au niveau européen dans sa
recommandation la Commission ne vise pas seulement les consommateurs ; or la
loi Hamon vient limiter l'exercice de l'action, se trouvant ainsi en
contrariété avec le droit mou de l'Union.
Il faut ensuite relever que le projet de loi interdit à
un professionnel d'inclure dans ses conditions générales de vente
ou de fourniture une clause ne permettant pas à un consommateur de
participer à une action de groupe .
116
Le mécanisme repose par principe sur l'opt-in
sauf (article L. 623-14 du Code de la consommation):
« Lorsque l'identité et le nombre des
consommateurs lésés sont connus et
lorsque ces consommateurs ont subi un préjudice d'un
même montant, d'un montant identique par prestation
rendue ou d'un montant identique par référence à une
période ou à une durée, le juge, après avoir
statué sur la responsabilité du professionnel, peut condamner ce
dernier à les indemniser directement et individuellement, dans un
délai et selon des modalités qu'il fixe. »
Ainsi, une forme d'opt-out en demi-mesure ou
plutôt d'un opt-in fermé existe, l'accord des
consommateurs à se faire indemniser restant dans un deuxième
temps nécessaire.
Spécifiquement, en ce qui concerne l'action de groupe
en matière anticoncurrentielle, telle que prévue par l'article L.
623-32 du Code de la consommation, elle permet l'indemnisation de
préjudices subis par des consommateurs :
« lorsque ces préjudices résultent de
pratiques anticoncurrentielles au sens du titre II du Livre IV du Code de
commerce ou des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de
l'Union européenne ».
Le recours a un champ d'application extrêmement
limité. En effet, seuls les recours suite à une décision
définitive d'autorités en charge de l'application du droit de la
concurrence est possible. L'article L.623-14 du Code de la consommation dispose
ainsi que :
« Lorsque les manquements reprochés au
professionnel portent sur le respect des règles définies au titre
II du livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102 du traité
sur le fonctionnement de l'Union européenne, la responsabilité du
professionnel ne peut
114 Exposé des motifs, par P. Moscovici, du projet de
loi relatif à la consommation n°1015, enregistré à la
Présidence de l'Assemblée nationale, le 2 mai 2013 : «
Afin de garantir l'efficacité de cette nouvelle procédure,
les dommages corporels et les préjudices moraux sont exclus du champ de
l'action de groupe, compte tenu de leur caractère trop
personnalisé ».
115 est considérée comme un consommateur toute
personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de
son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale
116 article L. 623-32 du Code de la consommation
47
être prononcée dans le cadre de l'action
mentionnée à l'article L.423-1 que sur le fondement d'une
décision prononcée à l'encontre du professionnel
par les autorités ou juridictions nationales ou de l'Union
européenne compétentes, qui constate les manquements et
qui n'est plus susceptible de recours pour la partie relative
à l'établissement des manquements.
Dans ces cas, les manquements du professionnel sont
réputés établis de manière
irréfragable pour l'application de l'article L.423-3.
»
Le choix d'un modèle de follow-on (ou d'action
consécutive) traduit la peur du législateur face à un
procédé processuel qu'il connaît peu et dont les
dérives font peurs. Par ailleurs, apparaît un rôle de
l'association de consommateurs très limité qui va essentiellement
être dans l'établissement du préjudice des
consommateurs.
En ce qui concerne la procédure, celle-ci se
décompose en en trois phases.
Lors de la première phase, l'association intente
l'action pour le compte du groupe de consommateurs qui se trouvent dans une
situation identique ou similaire et qui subissent des préjudices
individuels du fait d'un même professionnel. Alors, le Tribunal de grande
instance vérifie les conditions de recevabilité de l'action et
statue sur la responsabilité du professionnel.
La deuxième phase correspond à la phase non
contentieuse qui prévoit des mesures de publicité afin de porter
l'existence de la décision à la connaissance des consommateurs,
ainsi est déterminé un délai pour que les consommateurs
adhèrent au groupe.
La troisième phase consiste en la liquidation du
préjudice.
Le bilan de l'action de groupe « à la
française » est mitigé. Son existence traduit une
volonté du législateur de prendre en compte les
spécificités du contentieux concurrentiel. Néanmoins, la
porte reste close aux entreprises, ce qui est préjudiciable. Seules les
actions en follow-on sont autorisées (et pas les actions en
stand-alone) ce qui est contraire à la recommandation de la
Commission qui précise uniquement que la juridiction saisie «
évite de statuer en contradiction avec la décision que
l'autorité publique envisage de prendre » (point 33).
Cette impossibilité d'agir collectivement vaut
également pour des décisions d'acceptation d'engagement ; or
même l'acceptation si elle a un effet curateur pour le futur, ne fait
pas
117
disparaitre le préjudice rétroactivement,
laissant ainsi les victimes incapables de récupérer
collectivement leurs préjudices. Le régime reste ainsi à
parfaire sur certains points.
48. Portugal. Les « actions populaires
» (« acço popular ») sont permises depuis une
loi de
1995 (loi n°83/1995) complétée en 2005, et
ne sont pas restreintes à certains domaines. Le droit de la concurrence
est donc inclus dans ce champ d'application général.
L'action est ouverte à tous et peut être
engagée par un particulier, une association (par exemple,
l'Associaço Portuguesa para a Defesa do Consumidor), une
fondation ou encore les autorités publiques. Contrairement à la
majorité des pays européens, le système portugais a
adopté une
117 Règlement (CE) n°1/2003, Conseil, 16
décembre 2002, article 9
48
procédure d'opt-out à l'action pour les
consommateurs ne souhaitant pas y être assimilés. Ce qui semble
contraire à la recommandation de la Commission européenne.
La loi ne précise pas le contenu de la demande relative
à l'exercice de l'action équivalente à l'action de groupe
(action populaire) qui peut revêtir toutes les formes prévues par
le code de procédure civile et les demandeurs étrangers peuvent
très bien s'agréger à l'action en justice.
Lorsque la demande est accueillie, aucun frais d'instance ne
pèsera sur le demandeur. En revanche, si la demande n'est pas
accueillie, les juges prendront en compte les raisons du rejet de la
requête pour fixer le montant des frais à la charge du demandeur.
Enfin, le financement par des tiers n'est pas interdit, mais les
contingency fees et conditional fees sont prohibés.
49. Régimes inégaux. Du constat
des seuls droits étudiés apparaît une grande
hétérogénéité des
actions collectives tant d'abord dans l'existence d'un
régime propre d'action collective au droit de la concurrence qu'au
travers de ses modalités techniques.
Déjà, il faut relever qu'une grande
majorité des pays possédant un système d'action de groupe
ont choisi le système de l'opt-in (sauf notamment le Portugal
et le Royaume-Uni sous certaines conditions). Cette supériorité
numérique de l'opt-in pourrait expliquer le choix dans la
recommandation de ce système d'adhésion aux recours collectifs.
En effet, tant les juges que le législateur européen font souvent
référence aux traditions juridiques des Etats membres comme
limite à l'harmonisation. A contrario,
l'homogénéité des régimes internes apparaît
donc comme un facteur d'harmonisation verticale utile, c'est d'ailleurs ce que
pointe la recommandation en son point 4 :
« [É] Le Parlement européen soulignait
également la nécessité de tenir dûment
compte des traditions du droit et des ordres juridiques des différents
États membres et de renforcer la coordination et
l'échange des bonnes pratiques entre États membres
».
D'autres points techniques semblent posséder un
régime similaire, c'est le cas dans la majorité des pays en ce
qui concerne le délai de prescription de l'action majoritairement
fixé à 5 ans118. En ce qui concerne le financement de
l'action collective il faut remarquer que grosso modo le tiers des
pays admettent des contingengy fees, au contraire le financement
privé à nature commerciale n'est admis que dans une
minorité de pays .
119
Enfin, tous les pays prévoient des « Alternative
Dispute Resolution mechanisms » et la grande
120
majorité ordonne une tentative obligatoire de conciliation
des parties.
Quel bilan tirer au travers de la multiplicité des
mécanismes prévus ? Tout d'abord, il apparaît que le risque
actuel des actions collectives est inégal, il n'existe pas « une
» action collective européenne mais uniquement « des »
actions collectives. L'exemple allemand peut par exemple
118 voir Directorate-General for Internal Policies, Policy
Department A, Study on legislative action in the area of Collective Redress in
the field of antitrust
120 Ibid. défini page 7 comme : « a term used
for a wide variety of mechanisms aimed at resolving conflicts without the
(direct) intervention of a court. »
p. 145
49
interroger, ce pays moteur au sein de l'Union
européenne n'a toujours pas mis en place un système de recours
collectif généralisé. La France, comme l'Angleterre, quant
à elle apparaît comme décidée à intensifier
ce moyen d'action et à le généraliser121.
Enfin, un certain nombre de législations n'ouvrent pas
l'action collective aux petites et moyennes entreprises (par exemple la France)
se contentant du préjudice du consommateur, ainsi l'ouverture aux PME
seraient aussi nécessaire et bienvenue (conformément à la
recommandation).
De l'ensemble du dispositif législatif permettant une
indemnisation collective du préjudice concurrentiel apparaît avant
tout une insécurité et une inégalité pour les
consommateurs européens qui se trouvent selon le système
juridique saisi dans des régimes procéduraux à
l'efficience variable.
50. Hétérogénéité
protéiforme et uniformisation. Pourquoi l'intensification du
cadre normatif
de manière verticale sur le sujet serait
nécessaire ? Tout d'abord, parce que contrairement à l'avis d'une
certaine partie de la doctrine122 et l'avis même des
institutions européennes, la tradition juridique des Etats membres
n'empêche pas de mettre en place d'une action collective
européenne. Les différences entre Common Law et
tradition de droit romain sont aujourd'hui quant aux droits substantiels de la
concurrence quasiment gommées et l'harmonisation par les directives et
les règlements européens en droit de la consommation tendent
à uniformiser le cadre législatif. L'essence même d'une
action collective (ou action de groupe) au niveau européen serait
possible tant dans la définition de sa substance que dans ses
modalités techniques.
Les différences dans les modalités techniques
processuels pourraient en toute hypothèse être gommées par
le principe d'effectivité du droit européen qui pourrait
être soulevé par un justiciable lors d'un litige si les
modalités procédurales n'offrent pas le standard minimum
nécessaire tel qu'il serait érigé au travers d'un
règlement (ou même mutatis mutandis d'une
directive123).
Alors le standard européen poserait le problème
de l'adaptation du texte en contemplation des considérations
culturelles, philosophiques, historiques des pays membres selon certains
auteurs124. Mais que les modalités processuelles soient
laissées aux Etats membres pour qu'elles l'adaptent aux
formalités de leur procédure civile propre ne semble poser aucun
problème ; mais penser que notamment la question de l'opt-in ou
de l'opt-out, du financement des actions collectives, du risques de
conflits d'intérêts et de la rémunération des
acteurs devraient être laissés aux Etats
121 Projet de loi de modernisation de la justice du XXIème
siècle, n° 796, 2015- 2016
122
GUINCHARD, Serge in Propos conclusifs, in Les recours
collectifs : étude comparée, 2006, éd.
Société de législation comparée, p. 145 et
TERRÉ, François in Rapport de synthèse, in MAGNIER [dir.],
L'opportunité d'une action de groupe en droit des
sociétés, 2004, PUF, p. 158
123 même s'il est vrai qu'une directive ne peut pas par
elle-même créer d'obligations dans le chef d'un particulier et ne
peut donc pas être invoquée en tant que telle à son
encontre, cette jurisprudence ne s'applique pas dans une situation, où
le non-respect par un État membre d'un article de la directive, qui
constitue un vice de procédure substantiel, entraîne
l'inapplicabilité de la règle technique (CJCE, arrêt du 26
septembre 2000, Unilever Italia SpA contre Central Food SpA., aff.
C-443/98).
124
GUINCHARD, Serge in Propos conclusifs, in Les recours
collectifs : étude comparée, 2006, éd.
Société de législation comparée,
50
membres est une erreur considérable par
l'inégalité de traitement engendrée pour les
différents justiciables européens.
Au demeurant, la question de l'opt-out ou de
l'opt-in comme interrogation sur la tradition juridique des Etats
membres tout comme la question du principe « nul ne plaide par procureur
» n'a que peu de sens en réalité. La question semble plus
doctrinale que factuelle. Au-delà des traditions juridiques,
apparaît plutôt la nécessité d'une étude
statistique et économétrique de la diversité des
comportements des justiciables dans l'espace européen. La
réalité ? Le consommateur ne va pas en justice , il ne plaide pas
du tout, à défaut de plaider par procureur ; dans un monde
capitaliste, une
125
PME ou le consommateur va-t-il se plaindre de l'atteinte aux
valeurs fondamentales de sa tradition juridique lorsque lui sera proposé
une indemnisation (d'un préjudice économique) qu'il n'aurait pu
ne jamais recevoir ?
Ainsi, un droit substantiel encadré par des
modalités processuelles propres semble nécessaire pour
créer une action collective européenne. Le droit substantiel
n'est pas là mais la directive n°2014/104 (voir point 41) pourrait
déjà servir de point d'ancrage aux aspects procéduraux des
actions collectives propres au private enforcement et peut être
présager la mise en place d'un véritable régime des
actions de groupe au niveau européen, ce qui, au-delà
d'être un bien en ce qui concerne la lisibilité du droit et la
sécurité juridique des entreprises, est un risque accru face au
« contentieux subjectif ».
Section 2 - L'extranéité des litiges et
l'action collective
51. Droit international privé. Le
caractère transnational des infractions aux droits de la
concurrence
interroge car il crée des conflits, tout d'abord, un conflit de
compétence (1) puis ensuite, un conflit de lois (2).
§1) Risque du forum shopping : conflits de
compétence
52. Caractère transnational de l'infraction.
La tentation est grande pour le justiciable,
notamment en droit des
affaires dont le contentieux revêt souvent un caractère
international, de vouloir introduire son action devant une juridiction qui
applique un système juridique et des règles qui lui seront plus
favorables. Ce choix potentiellement abusif, qualifié de «
forum shopping »,
126
est limité par le fait que les juridictions internes
n'admettent pas facilement la recevabilité de telles actions. Mais, la
question sous-jacente du droit applicable et de la juridiction
compétente est aujourd'hui renforcée par le développement
du libre-échange, l'internationalisation des échanges
économiques et la mondialisation, facteur de rattachement pluri-national
du contentieux.
Le caractère transnational de l'infraction en droit de
la concurrence et particulièrement en private enforcement
s'explique logiquement par le marché unique et la liberté de
circulation qu'il entraîne
125 CHAGNY, Murielle et DEFFAINS, Bruno in Réparation des
dommages concurrentiels, essai, septembre 2015, p.30
126 LEMEUR-BRAUDY, Véronique in Faut-il des
règles spécifiques en matière de compétence
juridictionnelle internationale ? Éloge de la simplicité, in
colloque du Mans, préc., Concurrences no 2-2007.
51
mais surtout par le cadre économique d'échange
renforcé propre à l'Europe (impliquant des échanges
transfrontaliers). Par ailleurs, la taille des entreprises saisies par le droit
de la concurrence explique aussi ce caractère transfrontalier de
l'infraction.
C'est d'ailleurs ce que relève la directive
n°2014/104 aux motifs numéro 9 :
« Sachant que les infractions à grande
échelle au droit de la concurrence présentent souvent un
élément transfrontalier, il est nécessaire de
veiller à ce que les entreprises exerçant leurs activités
dans le marché intérieur bénéficient de conditions
plus équitables et à ce que les consommateurs puissent exercer
les droits que leur confère le marché intérieur dans de
meilleures conditions ».
Dès lors, ce caractère transfrontalier introduit
un élément d'extranéité dans le litige
concurrentiel et par là au sein de l'action collective, qui conduit
à interroger le droit international privé.
53. Compétence juridictionnelle et contentieux
subjectif. Le droit international privé en droit
civil « est constitué par l'ensemble des
principes, des usages ou des conventions qui gouvernent les relations
juridiques établies entre des personnes régies par des
législations d'États différents 127
». En outre, l'existence d'un ou plusieurs éléments
d'extranéité (qualité de ce qui est étranger) dans
la relation de droit privé, écarte l'application des
règles substantielles de droit interne au profit des règles de
droit international privé. Ce droit prévoit donc la
résolution des conflits de juridiction, grosso modo dans quel
pays le litige doit-être jugé. C'est donc cette question qui va
nous intéresser vis-à-vis des actions de groupe.
Ainsi, le choix de la juridiction pose problème comme
le relève le professeur Cadiet cela peut créer un «
désordre processuel128» pour les acteurs au
procès. Du côté des entreprises, cela peut être un
moyen dilatoire face au risque de l'action collective mais cela peut aussi
conduire à un éclatement du contentieux qui peut lui être
utile dans le cadre d'un règlement consensuel notamment («
bargaining power » ou pouvoir de négociation plus
important).
Tout d'abord, il faut partir du postulat que la saisine de la
juridiction avec la qualité pour agir s'applique à la juridiction
en charge de l'action collective (ou avec qui l'action collective sera
démarrée) et que l'agrégation de l'action individuelle
à la demande collective par le système de l'opt-in peut
notamment se faire par ce moyen. Ainsi, ce postulat large ne peut pas toujours
rencontrer les conditions substantielles de droit interne des diverses actions
collectives quant aux champs d'applications de l'action collective qui n'est
toujours pas ouvert dans tous les cas aux entreprises notamment.
Réconfortant cette analyse en ce qui concerne la
compétence juridictionnelle, la Communication de la Commission au
Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et
social européen et au Comité des régions («Vers un
cadre horizontal européen pour les recours collectifs»)
précise que :
127 BRAUDO, Serge in Dictionnaire du droit privé, 2014
128 CADIET, Loic in Ordre concurrentiel et justice, in L'ordre
concurrentiel, Mélanges en l'honneur de A.Pirovano, p. 109
52
« Les principes généraux de droit
international privé européen exigent qu'un litige collectif
comportant des éléments d'extranéité soit soumis
à une juridiction compétente en vertu des règles
européennes de compétence, y compris celles
prévoyant un choix de juridiction, en vue d'éviter le forum
shopping. Les règles relatives au droit européen de la
procédure civile et au droit applicable devraient fonctionner
efficacement dans la pratique afin d'assurer la bonne coordination des
procédures nationales de recours collectif dans les affaires
transfrontières. [É] A cet égard, la
Commission considère que les actuelles dispositions du règlement
(CE) n° 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la
reconnaissance et l'exécution des décisions en matière
civile et commerciale (le «règlement Bruxelles I»)[40]
devraient être pleinement exploitées. À
la lumière de l'expérience supplémentaire acquise dans le
cadre du contentieux transfrontière, la question de l'exécution
effective des décisions de justice dans les actions collectives
transfrontières devrait figurer dans le rapport prévu sur
l'application du règlement Bruxelles J ».
129
Specialia generalibus derogant, il faut donc se
pencher a priori sur le règlement européen n°1/2003
et ses modifications. Malheureusement, apparaît le constat que le
règlement est silencieux sur la compétence des autorités
de concurrence pour ce type de contentieux. Ce mutisme renvoie ainsi au
règlement n°1215/2012 (ancien règlement n°44/2001) dit
« Bruxelles I bis » en ce qu'il est
130
applicable aux actions intentées depuis le 10 janvier
2015.
Deux autres critères tiennent à l'application de
ce règlement, la pratique anticoncurrentielle présente un
élément d'extranéité avec plusieurs Etats membres
et le défendeur est domicilié sur le territoire de l'un d'entre
eux. Le règlement s'applique en matière civile et commerciale
quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s'applique notamment ni aux
matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la
responsabilité de l'Etat pour des actes ou omissions commis dans
l'exercice de la puissance publique et le recours collectif sur le fondement
des pratiques anticoncurrentielles ne rentrent dans aucune de ces
hypothèses.
La question de la nature civile et commerciale a
été précisée, tout d'abord, il s'agit d' «
une notion autonome » donc propre au droit européen. Qui
plus est, la jurisprudence est intervenue pour en préciser le contour de
manière négative, ainsi ne relève pas de la matière
civile et commerciale une personne publique qui agit dans le cadre de
prérogative de puissance publique131.
Dans l'hypothèse d'une action collective contre des
autorités publiques contrevenantes, une pratique anticoncurrentiel ne se
rattache en principe pas à l'exercice de prérogative de puissance
publique. De plus, existe le critère général du lien
direct de l'action avec la procédure ou le lien de droit visé,
par exemple une action en comblement de passif est en lien direct avec la
procédure d'insolvabilité qui ne relève pas du
règlement Bruxelles I bis. En l'espèce, pour les actions
collectives en dommages et intérêts il ne semble pas y avoir de
telles exceptions. Qui plus est, il est nécessaire de regarder les
compétences exclusives qui « sont seules compétentes les
juridictions ci-
129 Communication de la Commission au Parlement
européen, au Conseil, au Comité économique et social
européen et au Comité des régions «Vers un cadre
horizontal européen pour les recours collectifs» /COM/2013/0401
final
130 Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement
européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la
compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des
décisions en matière civile et commerciale (refonte)
131 CJCE, arrêt du 4 octobre 1976, LTU
Lufttransportunternehmen GmbH & Co. KG contre Eurocontrol, affaire 29-76
53
après d'un État membre, sans
considération de domicile des parties ». En l'espèce,
l'action collective ne rentre pas aussi dans ce cadre exclusif de
compétence (article 24 dudit règlement). Maintenant que les
conditions globales du régime du règlement Bruxelles I bis ont
été posées, il faut se tourner vers les
opportunités offertes aux demandeurs. En outre, ne règlement
laisse aux demandeurs à l'action une multitude de choix, ce qui a
conduit à parler de « forum shopping132 »
en matière concurrentielle.
54. For de le l'auteur, défendeur
à l'action de groupe. C'est en effet, le premier choix pour
le
demandeur et par extension, aux demandeurs à l'action
collective. Ici, le demandeur peut être une entreprise (PME notamment) ou
un consommateur. Les dispositions générales de l'article 4 dudit
règlement précise :
« 1. Sous réserve du présent
règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un
État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité,
devant les juridictions de cet État membre. »
Ainsi, le demandeur peut agir devant les juridictions du
domicile du défendeur et en respectant le principe de
spécialité s'il existe quant à la gestion de l'action
collective par une (ou des) juridiction(s) exclusive(s)
précisément définie(s). Subséquemment, il faut
analyser la notion de domicile.
Qui est défini à l'article 62 pour les personnes
physiques selon un droit interne (néanmoins lorsqu'une partie n'a pas de
domicile dans l'État membre dont les juridictions sont saisies, le juge,
pour déterminer si elle a un domicile dans un autre État membre,
applique la loi de cet État membre).
Qui est défini à l'article 63 pour les personnes
morales, selon des critères européens alternatifs : siège
social, administration centrale ou lieu d'immatriculation.
En droit de la concurrence, par l'extension de la notion
d'entreprise (notamment pour des filiales sur un même territoire),
certains juges nationaux ont pu étendre le chef de leur
compétence par le biais de l'article 4 comme dans l'affaire
Provimi133.
Ce choix peut être difficile pour la partie demanderesse
qui pourrait saisir un for étranger alors qu'elle ne
connaît pas le système juridique de celui-ci, sans compter la
complexification du fait de la langue et de la distance. Néanmoins, par
le biais de l'action collective ces difficultés s'estompent,
l'agrégation de moyens permettant pour partie de surmonter ce type de
problème.
Pour l'entreprise, le risque est ici moindre, elle
connaît son ordre juridique. Plus factuellement, le juge du
défendeur s'il partage la même nationalité pourrait
être plus enclin à protéger le défendeur (dans une
forme de protectionnisme « politique » moderne par le biais de
l'appréciation souveraine des faits par le juge notamment). Toutefois,
si son for offre un système d'action collective plus
132 DUMARÇAY, Marie in La situation de l'entreprise
victime dans les procédures de sanction des pratiques
anticoncurrentielles, étude des procédures française et
communautaire d'application du droit communautaire des pratiques
anticoncurrentielles, soutenue le 11 décembre 2008, Université de
Montpellier I, page 308
133 IDIOT, Laurent in Le droit de la concurrence in Les conflits
de lois et le système juridique communautaire, p. 255
134 Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 1
mars 1982, Syndicat des Expediteurs et Exportateurs en Legumes et Pommes de
Terre, Primeurs de la Région Malouine c. SIPEFEL, n° de pourvoi:
80-15834: Bull. n° 76
54
avantageux, le consommateur va pouvoir s'agréer
à l'action de ce for augmentant ainsi le montant du coût
de l'action.
55. Compétence spéciale. C'est
un choix offert aux demandeurs (entreprise ou consommateur)
qui peut s'orienter vers des règles de
compétence spéciale propre à la matière
contractuelle ou délictuelle, selon le terrain choisi par le
demandeur.
En outre, l'article 7 dudit règlement précise,
cette capacité d'option :
« Une personne domiciliée sur le territoire
d'un État membre peut être attraite dans un autre
État membre:
1) a) en matière contractuelle, devant la
juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base
à la demande; fÉ]
2) en matière délictuelle ou quasi
délictuelle, devant la juridiction du lieu où le
fait
dommageable s'est produit ou risque de se produire
».
Au préalable, se pose la question de cette
capacité à saisir le tribunal et l'existence (comme
déjà soulevée supra) de juridiction
spécialisée ayant une compétence exclusive en
matière d'action collective. Il semble de manière logique en
faisant jouer la ratio legis qu'au lieu de renvoyer à une
juridiction précise, il faudrait renvoyer à la seule ou aux
seules juridiction(s) compétente(s) sur le territoire de l'Etat membre
en question.
La nature de l'exercice de l'action en réparation des
dommages causés par les infractions de concurrence a longtemps
été source d'interrogation. Mais maintenant la réparation
selon le droit commun de la responsabilité délictuelle est
acquise. L'arrêt Courage affirme in fine la nature
délictuelle pour violation de la loi de la réparation du dommage
concurrentiel suivant par là l'arrêt antérieure Sipefel
de la Cour de Cassation rendu en 1982 est fondateur sur le sujet :
«Mais attendu que l'abrogation, par l'article 19 de
la loi du 17 juillet 1977, des dispositions de l'article 45, 2°
alinéa, de la loi du 27 décembre 1973, permet l'exercice, selon
le droit commun, de l'action civile en réparation des dommages
causés par les infractions visées à l'article 50 de
l'ordonnance du 30 juin 1945, que les autorités des États membres
de la communauté sont seules compétentes pour statuer sur les
responsabilités civiles encourues par les entreprises qui, en infraction
à l'article 85-2 du traite de Rome, pratiquent des ententes a
caractère monopolistique, qu'au plan civil de la responsabilité
tant l'article 50 de l'ordonnance précitée que l'article 85-2
dudit traite appellent une solution identique, étant indiffèrent
a cet égard que le motif critique ait employé la conjonction "ou
"; que loin de violer les textes vises au moyen, c'est à bon droit que
la cour d'appel a appliqué à la cause les principes
généraux de la responsabilité civile
134 ».
135 CJUE, arrêt du 21 mai 2015, Cartel Damage Claims
(CDC) Hydrogen Peroxide SA / Akzo Nobel NV e.a., affaire C-352/13
55
Par ailleurs, la Cour de justice précise dans un
arrêt de 2015 qu'une personne lésée par une
135
entente illicite a l'option alternative d'introduire son
action en réparation à l'encontre de plusieurs
sociétés ayant participé à l'infraction soit devant
le tribunal du lieu de la conclusion de l'entente ou d'un arrangement
particulier sous-tendant cette entente, soit devant le tribunal du lieu de la
matérialisation du dommage. Celui-ci doit être
déterminé pour chaque victime individuelle et se trouve, en
principe, au siège social de celle-ci.
Mais un autre chef de compétence est possible, c'est le
fondement contractuel avec l'action basée sur le dol. Le dol dans la
conclusion d'un contrat est défini par l'article 1109 du code civil qui
dispose qu'il : « [É] nÕy a point de consentement
valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou
s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol
».
Ainsi, l'acheteur victime d'une pratique anticoncurrentielle
peut en outre demander au juge des dommages et intérêts sur le
fondement du dol (i.e. une manoeuvre destinée à tromper
une personne et à l'amener à conclure un contrat à des
conditions désavantageuses).
Mais encore, et sur le modèle de la jurisprudence
administrative en la matière, les acheteurs directs pourraient
préférer la voie contractuelle de l'action en réduction du
prix pour dol, sur le fondement de l'article 1116 du Code Civil et de l'article
1137 dans l'Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant
réforme du droit des contrats, du régime général et
de la preuve des obligations qui précise que :
« Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le
consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges. Constitue
également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des
contractants d'une information dont il sait le caractère
déterminant pour l'autre partie. »
La pratique anticoncurrentielle constitue un dol puisque
l'entreprise contrevenante a trompé l'acheteur sur la
réalité de la concurrence, qui a conduit l'acheteur à
accepter le contrat à des conditions plus onéreuses. Il pourra
donc agir en réparation contre son cocontractant pour obtenir des
dommages et intérêts. Reste d'un point de vue théorique
qu'ici l'action collective ne serait pas du private enforcement pur
mais un dérivé subsidiaire de celui-ci.
Le régime est identique et permet une action en
réduction du prix de nature contractuelle comme affirmé plus en
détail dans la thèse de Guillaume Zambrano sur
l'inefficacité de l'action civile en réparation des infractions
en droit de la concurrence (page 235 et suivantes), ce qui permet d'user de
l'article 7.1.b) du règlement (« ouvrant » d'autres
possibilités de saisine selon la qualification en question).
Enfin lorsqu'il y a plusieurs défendeurs, un
défendeur peut aussi être attrait devant le tribunal du domicile
de l'un d'eux, à condition que les demandes soient étroitement
liées et qu'il y ait ainsi intérêt à les juger en
même temps pour éviter que des décisions divergentes et
inconciliables ne soient rendues dans différents États
membres.
56
56. Protection du consommateur. Enfin, si
les demandeurs sont des consommateurs, il y a la
possibilité de saisir la juridiction du for ou
celle de l'autre partie. En outre, l'action intentée par un consommateur
contre l'autre partie au contrat peut être portée soit devant les
juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est
domiciliée cette partie, soit, quel que soit le domicile de l'autre
partie, devant la juridiction du lieu où le consommateur est
domicilié.
Les cas pour entrer dans le champ d'application de cette
capacité à choisir est précisé à l'article
17 du Règlement :
« Compétence en matière de contrats
conclus par les consommateurs Article 17
1. En matière de contrat conclu par une personne,
le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme
étranger à son activité professionnelle, la
compétence est déterminée par la présente section,
sans préjudice de l'article 6 et de l'article 7, point 5):
a) lorsqu'il s'agit d'une vente à tempérament
d'objets mobiliers corporels;
b) lorsqu'il s'agit d'un prêt à
tempérament ou d'une autre opération de crédit liés
au financement d'une vente de tels objets; ou
c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a
été conclu avec une personne qui exerce
des activités
commerciales ou professionnelles dans l'État membre sur le
territoire
duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout
moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers
plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre
dans le cadre de ces activités.
2. Lorsque le cocontractant du consommateur n'est pas
domicilié sur le territoire d'un État membre mais possède
une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un
État membre, il est considéré pour les contestations
relatives à leur exploitation comme ayant son domicile sur le territoire
de cet État membre.
3. La présente section ne s'applique pas aux
contrats de transport autres que ceux qui, pour un prix forfaitaire, combinent
voyage et hébergement. »
57. Risque accru de sanction pour les entreprises.
Malgré la possible utilisation malicieuse
d'une « torpille italienne » (italian
torpedo) par l'entreprise, le demandeur à l'action collective
gardera en hypothèse une capacité à saisir une multitude
de juridiction constitutive d'une forme accentuée de forum
shopping.
Comme le met en exergue Antonio Capobianco, analyste de l'OCDE en
droit de la concurrence :
136
« There is a risk that a few jurisdictions
will become the forum of choice for antitrust litigation (as
seems to be the case of the UK) simply because they offer potential plaintiffs
the most favourable substantive and procedural framework for their antitrust
actions137».
Ce risque crée un danger majeur pour les entreprises
contrevenantes dans leur gestion des actions
138
collectives, déjà au niveau du coût
procédural dupliqué par la multiplicité des actions
collectives à
136 Organisation de coopération et de développement
économiques
137 CAPOBIANCO, Antonio in Private antitrust enforcement of EC
competition rules: recent developments, Competition Law Insight, 23 novembre
2004.
138 pour un exemple du contentieux pouvant en découler
: CJUE, arrêt du 21 mai 2015. Cartel Damage Claims ( CDC) Hydrogen
Peroxide SA contre Akzo Nobel NV (voir le communiqué :
http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/
application/pdf/2015-05/cp150058fr.pdf )
57
gérer, mais aussi du fait de l'efficacité
probable du private enforcement permettant de limiter la faute
lucrative, et encore à travers de l'efficience recherché par le
coût brut du préjudice demandé qui peut grossir
hypothétiquement (si la victime n'est pas apathique) du fait de
l'agrégation de nouveaux préjudices dans l'action. Ce qui
explique la nécessaire harmonisation des recours collectifs pour
éviter que l'asymétrie d'efficacité des actions
collectives dans les Etats membres avec l'attraction des victimes vers un
système juridique en particulier139.
§2) Insécurité juridique issue du
conflit de loi
58. Loi applicable et recours collectif. Sous
quel régime juridique le conflit doit-il se
dérouler ? La question interroge les règles
actuelles de conflit de lois de l'Union européenne.
En outre, il faut pointer qu'une juridiction saisie d'un
litige collectif dans une affaire impliquant des demandeurs originaires de
plusieurs États membres devrait parfois appliquer plusieurs lois
différentes au fond.
Au demeurant, s'agissant de la violation des règles de
concurrence européenne, toutes les juridictions de l'Union se
réfèrent aux articles 101 et/ou 102 TFUE afin d'établir
l'existence d'une faute ouvrant droit à réparation. La faute
étant démontrée, la question substantielle est ici celle
des règles générales relatives à
l'intérêt à agir et à la responsabilité
délictuelle, dont l'application est déterminée. Dès
lors, la question conformément à l'arrêt Courage
et à la directive n°2014/104 relève du règlement
sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit « Rome II
».
140
Tout d'abord, la règle générale en
matière délictuelle est que la loi applicable aux obligations
résultant d'un fait dommageable est la loi du pays dans lequel est
survenu le fait générateur du dommage, comme le précise
l'article 4 du règlement « Rome II » :
« 1. Sauf dispositions contraires du présent
règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle
résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le
dommage survient, quel que soit le pays où le fait
générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les
pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
»
Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité
est invoquée et la personne lésée ont leur
résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance
du dommage, la loi de ce pays s'applique. En cas de localisation du dommage
dans des endroits multiples, il faut appliquer la jurisprudence Fiona
Shevill de la Cour de justice, ainsi tous les lieux où les dommages
sont subis peuvent servir de chef de compétence (arrêt du 7 mars
1995):
« L' expression "lieu où le fait dommageable
s' est produit", utilisée à l' article 5, point 3, de la
convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et
l' exécution des décisions en matière civile et
commerciale, [É] doit, en cas de diffamation au moyen d' un article de
presse diffusé dans plusieurs États contractants,
être
139 LECLERC, Mélanie in Les class actions, du droit
américain au droit européen : Propos illustrés par le
droit de la concurrence, thèse soutenue en 2011, Université de
Paris-Dauphine, point 1021
140 Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement
Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux
obligations non contractuelles (Rome II)
Le paragraphe trois pose tout d'abord le critère
d'affectation du marché, critère pertinent sauf si le
marché d'un pays ne suffit pas à encadrer la restriction de
concurrence. Ainsi, le texte prévoit que le
58
interprétée en ce sens que la victime peut
intenter contre l' éditeur une action en réparation soit devant
les juridictions de l' État contractant du lieu d' établissement
de l' éditeur de la publication diffamatoire, compétentes pour
réparer l' intégralité des dommages résultant de la
diffamation, soit devant les juridictions de chaque État
contractant dans lequel la publication a été diffusée et
où la victime prétend avoir subi une atteinte à sa
réputation, compétentes pour connaître des seuls
dommages causés dans l' État de la juridiction saisie.
»
Enfin, s'il résulte de l'ensemble des circonstances que
le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits
avec un pays autre, la loi de cet autre pays s'applique. Ainsi, un lien
manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder,
notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un
contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en
question (ce qui pourrait être aisément soulevé la victime
ayant souvent contractée avec l'auteur de la faute au droit de la
concurrence).
59. Compétence spéciale. Face
à cette compétence générale s'articule une
compétence spéciale
et en vertu de l'adage specialia generalibus
derogant, ainsi sauf convention fixant la loi applicable, la
réponse à la loi applicable pour la réparation du
préjudice pour violation de la loi en matière de droit de la
concurrence est à l'article 6, paragraphe 3 du règlement (sur la
loi applicable aux obligations non contractuelles) :
« Concurrence déloyale et actes
restreignant la libre concurrence
1. La loi applicable à une obligation non
contractuelle résultant d'un acte de concurrence déloyale est
celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les
intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou
susceptibles de l'être.
2. Lorsqu'un acte de concurrence déloyale affecte
exclusivement les intérêts d'un concurrent
déterminé, l'article 4 est applicable.
3.
a) La loi applicable à une obligation non
contractuelle résultant d'un acte restreignant la concurrence
est celle du pays dans lequel le marché est affecté ou
susceptible de l'être.
b) Lorsque le marché est affecté ou
susceptible de l'être dans plus d'un pays, le demandeur
en réparation qui intente l'action devant la juridiction du domicile du
défendeur peut choisir de fonder sa demande sur la loi de la
juridiction saisie, pourvu que le marché de cet
État membre compte parmi ceux qui sont affectés
de manière directe et substantielle par la restriction du jeu
de la concurrence dont résulte l'obligation non contractuelle sur
laquelle la demande est fondée. Lorsque le demandeur,
conformément aux règles applicables en matière de
compétence judiciaire, cite plusieurs défendeurs devant cette
juridiction, il peut uniquement choisir de fonder sa demande sur la loi de
cette juridiction si l'acte restreignant la concurrence auquel se rapporte
l'action intentée contre chacun de ces défendeurs affecte
également de manière directe et substantielle le marché de
l'État membre de cette juridiction.
4. Il ne peut être dérogé à la
loi applicable en vertu du présent article par un accord tel que
mentionné à l'article 14. »
59
défendeur puisse choisir de fonder sa demande sur la
loi de la juridiction saisie, pourvu que le marché de cet État
membre compte parmi ceux qui sont affectés de manière directe et
substantielle par la restriction du jeu de la concurrence dont résulte
l'obligation non contractuelle sur laquelle la demande est fondée.
Par ailleurs, le domaine de la loi déterminée
par cette règle de conflit englobe également la cession de
créance de droits litigieux (selon l'article 15.e du règlement
qui prévoit son application à : « la
transmissibilité du droit à réparation »),
cession permettant comme par exemple en Allemagne (exemple de Cartel Damage
Claims Hydrogen Peroxide SA) d'agréger les demandes avant d'agir en
justice.
Enfin, il peut être soutenu que les articles 101 et 102
TFUE relèvent de la catégorie des lois de police. Dès
lors, ces dispositions sont applicables à toutes les situations relevant
de leur champ d'application territorial. Ce qui explique en partie
l'utilisation du critère d'affectation du marché et comme le
pointe Laurence Idot :
« En d'autres termes, si un cartel remplit des
conditions d'applicabilité de l'article 101, § 1, TFUE, soit la
localisation des effets dans l'Union européenne et l'affectation du
commerce entre États membres, le droit de l'Union a vocation à
s'appliquer quelle que soit la loi désignée par ailleurs par la
règle de con it. L'article 6, § 3, du règlement «Rome
II» n'a de sens que s'il est combiné avec l'article 16 du
même règlement sur le respect des dispositions
impératives141 ».
60. Conflits de lois et difficulté pratique.
Apparaît ainsi, qu'une multitude de lois sont
applicables devant un même tribunal, à ce sujet
la Communication de la Commission (intitulée « Vers un cadre
horizontal européen pour les recours collectifs ») n'y voit pas un
souci majeur, en outre :
« Cependant, la Commission n'est, jusqu'ici, pas
persuadée qu'il serait opportun d'édicter une règle
spéciale pour les actions collectives qui obligerait la juridiction
à appliquer une loi unique à une affaire. En effet, cela pourrait
faire naître des incertitudes lorsqu'il ne s'agit pas de la loi du pays
de la personne réclamant des dommages et intérêts.
»
Néanmoins, l'éclatement du droit applicable peut
poser des problèmes. Certes, cet éclatement se justifie par la
nécessité de protéger la partie demanderesse d'une loi
qu'il lui serait inconnue. Cependant, le critère du marché
affecté ou susceptible de l'être par l'acte anticoncurrentiel est
flou au regard de la multiplicité des dommages sur divers marchés
; le problème est aussi que l'alternative en cas de plusieurs
marchés affectés n'est qu'une option ouverte au demandeur
à l'action collective. Ainsi, il y a une versatilité des demandes
et du contentieux découlant de l'action collective qui se dégage.
Concrètement, la question du régime peut poser problème
car par exemple le droit anglo-saxon n'apprécie pas de la même
manière la responsabilité par la notion de «
tort
141 IDOT, Laurent in Choisir sa loi et son juge : Quelles
possibilités ?, Concurrences, Colloque, 13 mai 2014, p. 19
60
law » que le droit civil de tradition romaine.
Par exemple, les jurisprudences Albion Water et
142
Cardiff Bus devant le Competition Appeal Tribunal
établissent que des exemplary damages sont
exceptionnellement possibles lors d'action en private enforcement
(notamment dans l'objectif de sanctionner : « punish and deter
», ce qui ne peut jamais être le cas après une
décision d'une ANC 143), ce qui est contraire au principe de
réparation intégrale.
L'exception sur ce point est toutefois en sursis, la directive
n°2014/104 harmonisant cette différence.
En toute état de cause, ce conflit de lois est facteur
d'insécurité juridique pour les parties aux procès et
essentiellement pour le juge et l'entreprise contrevenante. Cette
insécurité juridique s'explique par l'incapacité à
saisir de manière aisée la règle de droit applicable mais
surtout de la complexité engendrée par l'éclatement du
droit applicable, facteur de lenteur mais aussi de coût dans la
procédure.
142 Competition Appeal Tribunal, 2 Travel Group plc (in
liquidation) v. Cardiff City Transport Services Ltd [2012] CAT 19 at
[448]-[598], esp. [496] and concluding in [593]-[598]; Competition Appeal
Tribunal, Albion Water Ltd v. Dr Cymru Cyfyngedig [2010] CAT 30.
143 référence à la règle ne
bis in idem : England and Wales High Court, Devenish Nutrition Ltd v.
Sanofi-Aventis SA [2007] EWHC 2394 at [48]
61
61. Conclusion. L'action collective, comme
risque actuel, frappe déjà par la dissymétrie «
des
actions collectives » au travers des différents
régimes des Etats membres.
Le Comité économique et social européen
pointe lui que l'absence de règles nationales qui gouvernent de
manière adéquate les actions en dommages et intérêts
ou, d'autre part, la disparité entre les législations nationales
« places not only victims, but also the perpetrators of competition
law infringements in a position of inequality144 ».
Malgré la volonté du législateur
d'harmonisation, le soft law apparaît comme un outil inefficient
et mal venu (voir section 1§1). Une harmonisation verticale est
nécessaire pour éviter une inégalité de traitement
entre les justiciables car le constat de
l'hétérogénéité des actions de groupe dans
l'Union européen (section1§2) a pour corollaire leur efficience
à géométrie variable. Ce qui par ailleurs constitue aussi
un risque ou un avantage comparatif pour les entreprises.
Mais cet avantage comparatif s'évanouit rapidement au
regard tant du forum shopping possible (section 2§1) que de
l'insécurité juridique créée par le conflit de loi
(section 2§2) propre au litige concurrentiel dans une
société mondialisée et consumériste avec une
globalisation des pratiques anticoncurrentielles.
Ainsi, l'entreprise dans sa stratégie doit donc en
prendre ce qui constitue l'état actuel du risque des actions collectives
en droit de la concurrence sur le fondement du droit européen. Or, ce
risque actuel est en mutation, la directive n°2014/104 établissant
un standard minimal commun horizontal des actions privées en dommages et
intérêts.
144 Opinion of the European Economic and Social Committee on
the Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on
certain rules governing actions for damages under national law for
infringements of the competition law provisions of the Member States and of the
European Union COM(2013) 404 final - 2013/0185 (COD) and on the Communication
from the Commission on quantifying harm in actions for damages based on
breaches of Article 101 or 102 of the Treaty on the Functioning of the European
Union C(2013) 3440, 16 Octobre 2013, point 1.1.1
62
Titre 2 - Risque potentiel
62. Entre volonté d'efficience et inefficience
factuelle. La directive européenne sur les actions
en dommages et intérêts en droit national pour
les infractions aux dispositions européennes de droit de la concurrence
est un risque potentiel. Potentiel qui existe en puissance, virtuellement.
Puisque, d'une part, son effectivité n'est qu'une probabilité, le
temps n'ayant pas fait son oeuvre, aucun recul sur son impact réel
(statistique notamment) est possible. D'autre part, car derechef cette
potentialité est liée au facteur temporel de sa transposition en
droit interne qui conformément à la directive en son article 21
doit être réalisée au plus tard le 27 décembre
2016.
Certaines entreprises contrevenantes y verront un cadeau
empoisonné étant donné que cette directive assure avant
tout un renforcement des droits des justiciables face au préjudice fait
à leur droit du fait de l'atteinte à la concurrence sur le
marché.
D'autres se féliciteront du renforcement
effectué de l'interactivité entre public et private
enforcement et de la mise en place d'un cadre juridique plus
homogène facteur de sécurité juridique et
d'égalité dans l'espace économique européen.
D'aucuns envisageront la réalité de ce risque
potentiel qui se traduit toujours et encore par son inefficience relative au
regard des actions collectives sur le terrain probatoire notamment.
Dès lors, l'analyse de ce risque potentiel demande
d'envisager, dans un premier temps, le potentiel accru des actions collectives
en droit européen au travers de la directive n°2014/104
(Chapitre 1), pour dans un deuxième temps, dresser le
bilan des obstacles persistants à l'efficacité de l'action en
dommages et intérêts au travers des actions collectives
(Chapitre 2).
63
Chapitre 1 - Potentiel accru des actions collectives au
travers de la directive sur les actions en dommages et intérêts
63. Renforcement intrinsèque et interaction
renforcée. La directive n°2014/104 n'est
pas
tombée du ciel et est le cheminement de plusieurs années
de réflexions sur le private enforcement. Elle traduit avant
tout un changement de paradigme comparativement au Livre vert , le
private
145
enforcement n'est plus regardé comme le coeur
du dispositif législatif mais plutôt comme un complément.
Ainsi, la directive s'articule plutôt vers les modalités
d'interaction du contentieux objectif et subjectif, dont l'objectif essentiel
est de ne pas nuire à l'effectivité de l'action des
autorités de concurrence tout en renforçant la facilité
d'agir en justice pour les victimes.
Ce renforcement intrinsèque par la directive fait
suite au dévoilement de l'ambition de la Commission sur le sujet le 11
juin 2013 avec le « paquet private enforcement
».
Ce paquet est composé de cinq documents : une
proposition de directive relative à « certaines règles
régissant les actions en dommages et intérêts en droit
interne », complétée par une communication sur la question
de la quantification du préjudice et un guide pratique (au
caractère
146
« purement informatif »).
Enfin, la Commission s'intéresse à la problématique des
actions
147
collectives par le biais d'une communication intitulée
« Vers un cadre européen pour les recours collectifs » et
d'une recommandation relative à des principes communs applicables aux
mécanismes de recours collectifs en cessation et en
réparation.
Ce paquet comprend donc des documents dont la valeur
normative est variable mais s'inscrit clairement dans l'objectif de
dépasser les principaux obstacles à l'action en réparation
afin de rendre effectif l'accès à la justice des victimes de
pratiques anticoncurrentielles. Ainsi, la directive oblige à regarder
les modalités endogènes du renforcement du private
enforcement (Section 1), pour ensuite se pencher sur la recherche
d'une interaction renforcée avec le public enforcement
(Section 2).
Section 1 - Les modalités intrinsèques
du private enforcement précisées
64. Un renforcement effectif. Il convient
avant de se pencher plus en profondeur sur les
modalités techniques
de rappeler en quoi cette directive est effective pour les actions collectives
et les justiciables.
En l'absence de dispositions dans le droit de l'Union, les
actions en dommages et intérêts sont régies par les
règles et procédures nationales des États membre.
Comme le rappelle la jurisprudence européenne, sur le
fondement de l'autonomie procédurale, il
145 Livre Vert, du 19 décembre 2005, intitulé :
Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante [COM(2005)
672 final: Non publié au Journal officiel] ; Trouvé le 2
août 2016 : hhttp://
eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Al26120
146 Communication de la commission relative à la
quantification du préjudice dans les actions en dommages et
intérêts fondées sur des infractions à l'article 101
ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
(Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) 2013/C 167/07
147
http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/quantification_guide_fr.pdf
148 CHAGNY, Murielle et DEFFAINS, Bruno in Réparation des
dommages concurrentiels, essai, septembre 2015, p.152
64
revient aux États membres de prévoir des
règles procédurales effectives à sa protection tout en
respectant les principes d'équivalence et d'effectivité (au
paragraphe 11 de la directive n°2014/104). Le changement imposé par
la directive se traduit dans un premier temps par une réduction :
« à due concurrence, dans son domaine
d'application, le principe d'autonomie procédurale des Etats membres qui
détiennent, via leurs juridictions le monopole des sanctions civiles et
auxquelles il appartient de fixer le régime de celles-ci tant qu'une
législation européenne n'est pas intervenue148
».
Actant les décisions jurisprudentielles, la force de
l'obligation qui pèse sur les Etats est rappelée par la directive
à l'article 4 qui précise que :
« Conformément au principe
d'effectivité, les États membres veillent à ce
que toutes les règles et procédures nationales ayant trait
à l'exercice du droit de demander des dommages et intérêts
soient conçues et appliquées de manière à
ne pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice du
droit, conféré par l'Union, à réparation
intégrale du préjudice causé par une infraction au droit
de la concurrence. Conformément au principe
d'équivalence, les règles et procédures
nationales relatives aux actions en dommages et intérêts
découlant d'infractions à l'article 101 ou 102 du traité
sur le fonctionnement de l'Union européenne ne sont pas moins
favorables aux parties prétendument lésées que celles
régissant les actions similaires en dommages et intérêts
découlant d'infractions au droit national ».
En outre, cette introduction du droit européen dans la
procédure civile des Etats membres pour les actions découlant du
droit européen devraient en toute état de cause contaminer le
contentieux interne de la concurrence. En effet, il n'y aurait aucune raison
opportune de ne pas uniformiser le régime procédural interne et
européen, ainsi le contentieux interne découlant du droit interne
devrait de manière identique développer le même
régime procédural.
65. Droit à une protection juridictionnelle
effective. Implicitement derrière la directive se
cache une volonté d'européanisation du droit de
la concurrence dans tous ses aspects, qui semble selon la Commission
nécessaire pour en assurer l'effectivité.
Ainsi, d'un point de vue juridique, la nécessité
de moyens de recours procéduraux effectifs découle au-delà
du droit à réparation du droit à une protection
juridictionnelle effective prévu à l'article 19, paragraphe 1,
deuxième alinéa, du traité sur l'Union européenne
qui stipule que :
« Les États membres établissent les
voies de recours nécessaires pour assurer une protection
juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l'Union
».
À ceci, il faut ajouter l'article 47, premier
alinéa, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne qui précise :
65
« Toute personne dont les droits et libertés
garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit
à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions
prévues au présent article ».
Dès lors, le droit à une réparation
intégrale étant garanti par le droit de l'Union depuis
l'arrêt Courage, la directive sur les actions en dommages et
intérêts peut à bon droit régir la procédure
concurrentielle pour les actions en dommages et intérêts.
66. Invocabilité du droit de l'Union.
De manière subsidiaire, se pose la question de la non-
transposition ou de la transposition non conforme à la
directive. Dans quelle mesure les acteurs aux procès et à
l'action collective pourront invoquer les normes érigées au
travers de la directive ? Tout d'abord, la Cour de justice permet d'accorder
aux particuliers, sous certaines conditions149, la
possibilité d'obtenir réparation concernant les directives mal
transposées ou transposées avec retard .
150
Ensuite, depuis l'arrêt Von Colson du 10 avril
1984, la Cour de justice a édicté que le particulier peut
invoquer une directive dépourvue d'effet direct devant le juge national
pour qu'il puisse interpréter le droit national à la
lumière de cette directive :
« Il appartient à la juridiction nationale de
donner à la loi prise pour l'application de la directive, dans toute la
mesure où une marge d'appréciation lui est accordée par
son droit national, une interprétation et une application conformes aux
exigences du droit communautaire ».
151
Ainsi, le juge européen impose à toutes les
autorités des Etats membres, y compris les tribunaux, dans les
matières ressortant de leur compétence, l'obligation d'adopter
toutes mesures pertinentes, générales ou particulières,
pour remplir leurs obligations nées du droit européen.
Par la suite, il y a eu une extension de cette
invocabilité au droit national préexistant au travers de
l'arrêt Marleasing :
149 Conformément à l'arrêt Francovich
: dans le cas d'un État membre qui méconnaît
l'obligation lui incombant, en vertu de l' article 189, troisième
alinéa, du traité, de prendre toutes les mesures
nécessaires pour atteindre le résultat prescrit par une
directive, la pleine efficacité de cette norme de droit communautaire
impose un droit à réparation dès lors que trois conditions
sont réunies, à savoir, en premier lieu, que le résultat
prescrit par la directive comporte l'attribution de droits au profit des
particuliers, en second lieu, que le contenu de ces droits puisse être
identifié sur la base des dispositions de la directive et, en
troisième lieu, qu'il existe un lien de causalité entre la
violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi
par les personnes lésées. En l'absence d'une
réglementation communautaire, c'est dans le cadre du droit national de
la responsabilité qu'il incombe à l'État de réparer
les conséquences du préjudice causé. Néanmoins, les
conditions de fond et de forme fixées par les différentes
législations nationales en la matière ne sauraient être
moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables
de nature interne et ne sauraient être aménagées de
manière à rendre excessivement difficile ou pratiquement
impossible l' obtention de la réparation (CJCE, arrêt du 19
novembre 1991, Francovich, affaires jointes C-6/90 et C-9/90).
150 En effet, l'obligation de réparation de
l'État a lieu indépendamment de l'effet direct de la directive:
même si les dispositions qui confèrent des droits aux particuliers
ne sont pas assez précises et inconditionnelles pour être
directement invoquées, le particulier est considéré comme
lésé par l'inexécution de l'État
(ibid.).
151 CJCE, arrêt du 10 avril 1984, Sabine von Colson et
Elisabeth Kamann contre Land Nordrhein-Westfalen, affaire 14/83
66
« Il s'ensuit qu'en appliquant le droit national,
qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou
postérieures à la directive, la juridiction nationale
appelée à l'interpréter est tenue de le faire dans toute
la mesure du possible à la lumière du texte et de la
finalité de la directive, pour atteindre le résultat visé
par celle-ci et se conformer ainsi à l'article 189,
troisième alinéa, du traité.
[É]
Le juge national qui est saisi d' un litige dans une
matière entrant dans le domaine d' application de la directive
68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les
rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les
États membres, des sociétés au sens de l' article 58,
deuxième alinéa, du traité CEE pour protéger les
intérêts tant des associés que des tiers, est tenu d'
interpréter son droit national à la lumière du texte et de
la finalité de cette directive, en vue d' empêcher la
déclaration de nullité d' une société anonyme pour
une cause autre que celles énumérées à son
article 11152».
Enfin, dans ce mouvement vertical d'uniformisation par le
haut, l'arrêt Pfeiffer de la Cour de justice est encore plus
tranchant, du fait qu'il a étendu ce principe au droit national en son
entier et non pas seulement aux normes adoptées pour transposer une
directive :
« Si le principe d'interprétation conforme du
droit national, ainsi imposé par le droit communautaire, concerne au
premier chef les dispositions internes introduites pour transposer la directive
en cause, il ne se limite pas, toutefois, à l'exégèse de
ces dispositions, mais requiert que la juridiction nationale prenne en
considération l'ensemble du droit national pour apprécier dans
quelle mesure celui-ci peut recevoir une application telle qu'il n'aboutit pas
à un résultat contraire à celui visé par la
directive ».
153
Ainsi, apparaît que l'obligation à la charge de
l'Etat d'assurer un droit à réparation effectif des victimes de
pratique anticoncurrentielle soit en réalité bien plus large que
les simples indications de la directive à la lecture de
l'arrêt Pfeiffer. Assurer une telle effectivité demande
aux juridictions nationales d'analyser in concreto la
réalité de l'effectivité du droit donné par la
directive au travers de son exercice en droit interne. Cette obligation de
conformité peut être un outil pour les acteurs aux procès
que ce soit l'entreprise et le consommateur, possible demandeur et
l'entreprise, défenderesse lors du recours collectif contre elle par le
truchement du droit interne.
De la sorte, les acteurs peuvent soulever des moyens de
non-conformité du droit interne pour soit rechercher à rendre
inefficient le recours collectif (recherche dilatoire essentiellement), soit
l'améliorer au regard de la directive (son applicabilité aux
recours collectifs n'étant pas discutable, voir infra).
67. Action collective et effectivité
procédurale du private enforcement. La directive est
claire
et elle précise au considérant 13 :
152 CJCE, arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing SA
contre La Comercial Internacional de Alimentacion SA. - affaire C-106/89
153 CJCE, arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer
Gro§handel GmbH contre Löwa Warenhandel GmbH, affaires jointes
C-397/01 à C-403/01
67
« La présente directive ne devrait pas exiger
des États membres qu'ils mettent en place des mécanismes de
recours collectif aux fins de la mise en oeuvre des articles 101 et 102 du
traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
».
Au premier regard, la directive ne semble pas avoir à
régir les actions collectives mais cela est trompeur. En outre,
l'intérêt de la directive n'existe qu'au travers des actions
collectives. En effet, les modalités procédurales
précisées n'ont de raison d'être au-delà du
contentieux entre concurrents que pour les recours collectifs, le bilan
étant à une inertie du recours individuel.
D'autre part, l'agrégation des justiciables ne
sauraient en aucune hypothèse les priver des droits comme garantis au
travers de la directive, si non à méconnaître l'essence
même de la directive et la jurisprudence européenne.
Enfin et de manière définitive, l'article 2 de
la directive concernant les définitions précise bien que par
action en dommages et intérêts, il faut entendre :
« une action introduite en vertu du droit national
par laquelle une juridiction nationale est saisie d'une demande de dommages et
intérêts par une partie prétendument lésée,
par une personne agissant au nom d'une ou de plusieurs parties
prétendument lésées, lorsque cette
possibilité est prévue par le droit de l'Union ou par le droit
national, ou par une personne physique ou morale qui a
succédé dans les droits de la partie prétendument
lésée, y compris la personne qui a racheté la demande
».
68. Facteurs endogènes d'amélioration.
Dès lors se pose la question du nouveau régime de la
directive n°2014/104 (affectant comme il a
été montré le régime des actions collectives), il
convient de regarder quatre facteurs d'amélioration extérieurs
à une meilleure interaction avec le contentieux objectif. Il s'agira
d'une part, de s'intéresser au champ d'application et à la
prescription (1), à la responsabilité solidaire mise en place
(2), mais aussi à la production de preuve facilitée (3) et enfin
à la cession du droit d'agir et au financement des actions collectives
(4).
§1) Champ d'application et prescription
69. Champ d'application. L'arrêt
Courage visait tout justiciable. Logiquement, la directive
offre un
régime du droit à réparation reconnu à toute
personne physique ou morale (article 1er). Indistinctement, que ce soit un
consommateur, une entreprises ou une autorité publique, une action est
possible. Et ceci indépendamment de l'existence d'une relation
contractuelle directe avec l'entreprise qui a commis l'infraction, et qu'il y
ait eu ou non constatation préalable d'une infraction par une
autorité de concurrence. En effet, la place dans la chaine contractuelle
au regard de la jurisprudence européenne semble sans importance, tout
comme la possible constatation de l'infraction préalable, le droit
européen donne un droit à réparation indistinct, sans
limite quant au degré de relation et à la forme de celle-ci avec
l'auteur de la faute.
70. Un obstacle procédural factuel.
Le socle de l'action holiste est bel et bien l'action
individuelle.
En outre, la prescription est la limitation dans le temps de la
recevabilité d'une action
68
en justice. Dès lors, les délais de prescription
ne doivent pas rendre l'exercice du droit à réparation
intégrale « pratiquement impossible ou excessivement difficile
». Ainsi, le déplacement dans le temps du point de
délai et/ou l'interruption de la prescription sont factuellement des
limites à l'action. Les autorités européennes ont
dressé ce bilan depuis le Livre Vert (page 12) et ont déjà
pointé à l'époque que :
« Le rôle de la suspension ou de la prorogation
des délais de prescription est important, dans la mesure
où ils permettent de garantir que les demandes d'indemnisation puissent
effectivement être introduites (particulièrement dans le
cas des «actions de suivi») ».
Dès lors, la directive a vocation à régir
la prescription et ses modalités. Comme précisé dans la
texte, le texte européen à vocation à déterminer le
moment à partir duquel le délai de prescription commence à
courir, la durée de ce délai et les circonstances dans lesquelles
il est interrompu ou suspendu.
Concrètement, l'action en justice passé le
délai pour agir sera irrecevable et l'entreprise contrevenante n'aura
pas à rembourser le préjudice. Par exemple, le Tribunal de grande
instance de Paris a ainsi pu refuser de faire droit à des demandes de
réparation soulevées près de quinze ans après la
découverte des faits susceptibles d'ouvrir un droit à
réparation154.
Du fait de son importance, les débats ont
été intense au regard des nombreuses modifications survenues
entre la proposition de directive de la Commission et la directive finale.
71. Un minimum de cinq ans. La directive
impose un minimum qui est de cinq ans. Ce qui
rend contraire les délais dans de nombreux pays
notamment en Espagne où le délai était parfois seulement
d'un an ou encore au Portugal avec un délai qui était de trois
ans . Ce délai standard
155 156
assure donc un égalité de traitement entre les
justiciables des Etats membres, tout comme le point de départ des
délais de prescription (article 10.2 de la directive) :
« 2. Les délais de prescription ne commencent
pas à courir avant que l'infraction au droit de la concurrence ait
cessé et que le demandeur ait pris connaissance ou puisse
raisonnablement être considéré comme ayant connaissance
:
a) du comportement et du fait qu'il constitue une
infraction au droit de la concurrence;
b) du fait que l'infraction au droit de la
concurrence lui a causé un préjudice; et
c) de l'identité de l'auteur de l'infraction
».
Ce triptyque de possibilité offerte avec le
critère pour le demandeur de la prise de connaissance raisonnable laisse
un aléa qui sera donc un enjeu préalable même du
contentieux.
Le déplacement du point de départ peut aussi
poser des problèmes de transposition, notamment en droit français
où l'article 2224 du Code civil prévoit que les actions
personnelles ou mobilières se
154 Tribunal de grande instance de Paris, jugement du 17
décembre 2013, n° 10-03480
155 articles 1968 et1902 du Code civil espagnol
156 article 498 du Code civil portugais
69
prescrivent par cinq ans : « à
compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû
connaître les faits lui permettant de l'exercer ». En effet, il
faudra comme le souligne le professeur Chagny157 reprendre les
éléments sur la connaissance réelle ou raisonnable pour
faire courir le délai ou encore sur le point de départ à
la fin de l'infraction.
72. Suspension ou interruption. Les
États membres veillent à ce qu'un délai de
prescription
soit suspendu ou, selon le droit national, interrompu par tout
acte d'une autorité de concurrence visant à l'instruction ou
à la poursuite d'une infraction au droit de la concurrence à
laquelle l'action en dommages et intérêts se rapporte.
Le texte européen précise que cette suspension
prend fin au plus tôt un an après la date à laquelle la
décision constatant une infraction est devenue définitive ou
à laquelle il a été mis un terme à la
procédure d'une autre manière. Ainsi, il s'agit d'encourager les
actions en follow-on dont l'exercice a par ailleurs été
facilité quant à la preuve de l'infraction.
§2) Responsabilité solidaire des auteurs de
l'infraction
73. Efficacité du droit à
réparation intégrale. En lisant la directive
apparaît clairement que le
droit à réparation
intégrale (right to full compensation) est le principe
orthogonal des dispositions en matière de réparation (celui-ci
est évoqué dès l'article 3 dans le premier chapitre
relatif à l'objet, au champ d'application et aux définitions).
De facto, par réparation intégrale, il faut entendre
l'octroi de dommages-intérêt, i.e. d'un point de vue
économique, la victime doit être replacée dans la situation
où elle aurait été si l'infraction au droit de la
concurrence n'avait pas été commise.
Pour ce faire, la réparation intégrale couvre
la réparation du dommage réel (damnum emergens) et du
manque à gagner (lucrum cessans), ainsi que le paiement
d'intérêts. En ce qui concerne le paiement
d'intérêts, il vise à réparer les dommages subis en
tenant compte de l'écoulement du temps, et il devrait être
dû depuis le moment où le préjudice est survenu
jusqu'à celui où les dommages et intérêts sont
versés (considérant 12 de la directive).
Plus encore, la directive règle la question de la
responsabilité solidaire. La Commission relève d'ailleurs sur le
sujet que : « depending on the existing legal framework in the Member
States, the introduction of joint and several liability for co-infringers will
entail low or no transposition costs ».
158
74. Responsabilité partagée.
De ce fait, la question se pose en cas de pluralité d'auteurs,
sur
cette possibilité le considérant 37 précise que
:
157 Ibid., p.180
158 Commission Staff Working Document Impact Assessment Report
: Damages actions for breach of the EU antitrust rules, Accompanying the
proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on
certain rules governing actions for damages under national law for
infringements of the competition law provisions of the Member States and of the
European Union (Text with EEA relevance), p. 64
70
« Lorsque plusieurs entreprises enfreignent
conjointement les règles de concurrence, par exemple dans le
cas d'une entente, il convient de prévoir que ces coauteurs de
l'infraction sont tenus solidairement pour responsables de
l'intégralité du préjudice causé par
l'infraction ».
Mais la réparation solidaire159 du
préjudice implique en matière de responsabilité, la
question du partage de celle-ci entre les auteurs de l'infraction, ainsi le
même considérant ajoute que :
« Si l'un des coauteurs de l'infraction a
contribué à la réparation dans une proportion plus
importante que celle qui lui incombe, il devrait être en
droit d'obtenir une contribution des autres coauteurs de l'infraction.
La détermination de cette part correspondant à la
responsabilité relative d'un auteur donné d'une infraction, de
même que la définition des critères pertinents tels que le
chiffre d'affaires, la part de marché ou le rôle joué dans
l'entente, relèvent du droit national applicable, dans le respect des
principes d'effectivité et d'équivalence ».
Ce raisonnement est dans la suite logique de la décision
Courage avec le critère de responsabilité
160
« significative » comme critère
préalable à la responsabilité de la partie adverse. En
effet, il s'agit bien d'une appréciation de la part de
responsabilité incombant à la partie demanderesse pourtant partie
à l'infraction ; même si dans cette hypothèse, il s'agit
plus d'une forme d'exonération partielle de responsabilité
ouvrant droit à l'action. Ainsi, pour éviter toute dérive
dans la réparation et pour que la victime obtienne intégralement
la réparation de son préjudice, la directive prévoit son
régime à l'article 11. Cet article prévoit qu'en cas de
comportement conjoint les opérateurs contrevenants soient solidairement
responsables du préjudice causé par l'infraction :
« 1. Les États membres veillent à ce
que les entreprises qui ont enfreint le droit de la concurrence par un
comportement conjoint soient solidairement responsables du
préjudice causé par l'infraction au droit de la concurrence; cela
a pour effet que chacune de ces entreprises est tenue d'indemniser le
préjudice dans son intégralité et que la partie
lésée a le droit d'exiger de chacune d'elles la réparation
intégrale de ce préjudice jusqu'à ce qu'elle ait
été totalement indemnisée ».
Comme rappelé dans le rapport d'étude d'impact,
tant le droit anglais , allemand que le droit
161 162
espagnol (« solidaridad propia ») ou
italien (l'article 2055, alinéa 1er du Code civil italien)
prévoient une responsabilité solidaire.
159 qui se différencie de l'obligation in
solidum, qui est utilisé en droit français notamment
160 par une lecture a contrario du dispositif qui
prévoit que le : « droit communautaire ne s'oppose pas à
une règle de droit national qui refuse à une partie à un
contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence de se
fonder sur ses propres actions illicites aux fins d'obtenir des dommages et
intérêts, dès lors qu'il est établi que cette partie
a une responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence
».
161 WAGNER-VON PAPP, Florian in Implementation of the Damages
Directive in England & Wales, in La transposition de la directive
2014/104/UE relative aux actions en dommages et intérêts pour
violation du droit des pratiques anticoncurrentielles, Concurrences,
n°2-2015, p. 33
162 aux paragraphes 830 et 840 BGB et l'arrêt ORWI de la
Cour fédérale de justice rendu en 2011
71
La question reste qu'en à la définition exacte
de « comportement conjoint » qui devra être
défini soit législativement ou jurisprudentiellement . Selon
Muriel Chagny, la notion de comportement
163
conjoint apparaît à même de comprendre
« outres les comportements collectifs stricto sensu, reposant sur une
concertation, d'autres comportements, dès lors qu'ils produisent ses
résultats indissociables pour leurs
victimes164».
Enfin, dès lors qu'un seul opérateur a
entièrement réparé la victime, celui-ci est en droit de
demander la contribution aux autres contrevenants dont le montant est
proportionnel à leur participation à l'infraction. Il s'agit ici
du principe des actions récursoires.
75. Aménagement pour les PME. Un
régime propre est mis en place en faveur des PME165 avec une
aménagement de la responsabilité des PME (sous certaines
conditions). Celui-ci joue sauf si l'entreprise a été
l'instigatrice de l'infraction ou a contraint d'autres entreprises à
participer à celle-ci ou si la PME a précédemment
été convaincue d'infraction.
Textuellement, l'article 11 prévoit que :
« 2. Par dérogation au paragraphe 1, les
États membres veillent à ce que, sans
préjudice du droit à réparation
intégrale prévu à l'article 3, lorsque l'auteur de
l'infraction est une petite ou moyenne entreprise (PME) au sens de la
recommandation 2003/361/CE de la Commission166, il n'est
responsable qu'à l'égard de ses propres acheteurs directs
et indirects lorsque :
167
a) sa part de marché sur le marché
concerné est inférieure à 5 % à quelque
moment que ce soit de la durée de l'infraction au droit de la
concurrence; et
b) l'application des règles habituelles de la
responsabilité solidaire compromettrait
irrémédiablement la viabilité économique de
l'entreprise concernée et ferait perdre toute valeur à
ses actifs.
3. La dérogation prévue au paragraphe 2
ne s'applique pas lorsque:
a) la PME a été l'instigatrice de
l'infraction au droit de la concurrence ou a contraint d'autres
entreprises à participer à celle-ci; ou
b) la PME a précédemment
été convaincue d'infraction au droit de la concurrence.
»
Cette restriction du champ d'application de la
solidarité des PME s'explique économiquement par la
volonté de ne pas affecter même provisoirement le coût du
préjudice (notamment d'un action collective) sur une entreprise au
ressource financière limitée.
163 CHAGNY, Murielle et DEFFAINS, Bruno in Réparation des
dommages concurrentiels, essai, septembre 2015, p.279
164 Ibid., p. 277
165 moins de 250 personnes et son chiffre d'affaires
n'excède pas 50 millions d'euros ou son bilan n'excède pas 43
millions d'euros
166 Recommandation 2003/361/CE de la Commission du 6 mai 2003
concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (JO
L 124 du 20.5.2003, p. 36).
167 art. 2 de la directive n°2014/104: «
acheteur indirect : une personne physique ou morale qui a acheté,
non pas directement auprès de l'auteur de l'in fraction, mais
auprès d'un acheteur direct ou d'un acheteur ultérieur, des
produits ou services ayant fait l'objet d'une infraction au droit de la
concurrence, ou des produits ou services les contenant ou dérivés
de ces derniers. »
72
168 LAINA, Flavio in Politique de clémence et lutte
contre les cartels (Forum de concurrence européen), septembre 2006,
Revue Concurrences N° 3-2006, art. n° 1557, pp. 73-84
76. Immunité et responsabilité
solidaire. Lorsqu'un participant à l'entente coopère
avec
l'autorité de concurrence dans le cadre de son
enquête en présentant spontanément des
éléments concernant sa connaissance de l'entente et le rôle
qu'il y joue, il peut jouir d'une immunité d'amendes pour sa
participation à l'entente ou de la réduction du montant de
l'amende.
Il est prévu qu'un bénéficiaire d'une
immunité d'amende accordée au titre d'un programme de
clémence ne soit pas solidairement responsable, mais que sa contribution
par rapport aux autres coauteurs de l'infraction n'excède pas le montant
du préjudice causé à ses propres acheteurs directs ou
indirects ou fournisseurs directs ou indirects. Néanmoins, une limite
est apportée dans l'hypothèse où le justiciable ne
pourrait pas recevoir une réparation intégrale de son
préjudice avec un retour au régime de droit commun
d'espèce. De plus, dans la mesure où l'infraction a causé
un préjudice à des parties autres que les clients ou les
fournisseurs des auteurs de l'infraction, sa contribution ne doit pas
excéder le montant correspondant à sa responsabilité
relative dans le préjudice causé par l'entente. La directive
dispose ainsi que :
« 4. Par dérogation au paragraphe 1, les
États membres veillent à ce que les
bénéficiaires d'une immunité
soient solidairement responsables du préjudice comme
suit:
a) à l'égard de leurs acheteurs ou
fournisseurs directs ou indirects; et
b) à l'égard d'autres parties
lésées uniquement lorsqu'une réparation intégrale
ne peut être obtenue auprès des autres entreprises
impliquées dans la même infraction au droit de la
concurrence.
Les États membres veillent à ce que tout
délai de prescription applicable aux cas visés au présent
paragraphe soit raisonnable et suffisant pour permettre aux parties
lésées d'introduire de telles actions.
5. Les États membres veillent à ce que
l'auteur d'une infraction puisse récupérer, auprès de tout
autre auteur de l'infraction, une contribution dont le montant est
déterminé eu égard à leur
responsabilité relative dans le préjudice causé
par l'infraction au droit de la concurrence. Le montant de la
contribution d'un auteur d'une infraction auquel une immunité
d'amendes a été accordée au titre d'un programme
de clémence n'excède pas le montant du préjudice
que cette infraction a causé à ses propres acheteurs ou
fournisseurs directs ou indirects.
6. Les États membres veillent à ce que,
dans la mesure où l'infraction au droit de la concurrence a causé
un préjudice à des parties lésées autres
que les acheteurs ou fournisseurs directs ou indirects des auteurs de
l'infraction, le montant de la contribution du bénéficiaire d'une
immunité aux autres auteurs de l'infraction soit déterminé
eu égard à sa responsabilité relative dans ce
préjudice. »
Ainsi, il s'agit au travers de régime
dérogatoire de garder l'attractivité du régime de
clémence actuel qui a connu un succès certain tout en assurant
à la victime la possibilité effective d'être
168
dédommagée.
73
§3) Production de preuve par le défendeur ou
un tiers
77. Discovery de droit américain.
Le succès au moins statistique du private enforcement
aux
Etats-Unis a conduit l'Europe à engager une réflexion sur
sa raison. Le débat a pu parfois se concentrer sur la procédure
de production de preuve. En effet, aux États-Unis, le législateur
a mis en place une procédure, connue sous le nom de discovery,
permettant d'ouvrir une phase d'enquête préalable au
procès, afin de rapporter la preuve du préjudice. Selon la
conception des Federal Rules of Civil Procedure le défendeur
est tenu de divulguer des informations au demandeur du seul fait que des doutes
existent quant à son comportement sur le marché. La
discovery se distingue en ce qu'elle permet la recherche de preuves de
manière très large, incluant, la recherche de preuve ayant
uniquement un potentiel de pertinence pour l'affaire. Y échappe
néanmoins le travail ayant été fait en préparation
de l'affaire en question mais aussi de toutes les communications entre l'avocat
et son client.
En outre, la procédure de discovery est
omniprésente lors d'une class action car elle présente
divers avantages comme confronter la réalité des faits et
allégations de son contradicteur, récolter une masse
considérable d'informations ou créer un coût dissuasif pour
l'adversaire. Ce coût peut être un risque pour le défendeur,
car plus la partie demanderesse est puissante, plus elle sera capable de son
côté de supporter le coût inhérent aux traitements
des données. Ainsi, l'agrégation des moyens rendue possible par
la class action permet de faire pression sur le défendeur quand
le nombre de plaignants est véritablement élevé .
169
Le droit européen semble regarder de manière
suspecte cette procédure comme attentatoire au droit de la
défense et totalement déséquilibrée entre le
contrôle du sérieux de la demande et les effets accordées
à la procédure. À défaut de garde-fou, il y a une
véritable crainte d'une judiciarisation outre limite de la vie des
entreprises170. C'est ainsi que la recommandation de la Commission
sur les recours collectifs pointe qu'il « convient, en règle
générale, d'éviter [É] les
procédures intrusives de communication de pièces
préalablement au procès (Ç pre-trial discovery
»)171 ».
78. Production de preuve et asymétrie
d'information. C'est dans ce cadre idéologique que
s'inscrit
la présente directive qui regarde le droit américain à la
fois en modèle et en contre-modèle. Ainsi, la proposition de
directive relève que la constatation d'une infraction aux règles
de concurrence, la quantification des dommages et intérêts
à la suite d'une entente ou d'un abus de position dominante et
l'établissement d'un lien de causalité entre l'infraction et le
préjudice subi, requièrent habituellement une analyse factuelle
et économique très complexe. Cette complexité
169ANDERSON, Brian et TRASK, Andrew in The Class
Action Playbook, Oxford, 2010, page 116
170 Commission Staff Working Document, Impact Assessment
Report : Damages actions for breach of the EU antitrust rules, 2013, p. 67 :
« The costs imposed on citizens and businesses are proportionate to
the stated objectives. A first step in this direction was already taken with
the White Paper by excluding more radical measures (for instance multiple
damages, opt-out class actions and wide discovery rules). »
171 Recommandation de la Commission en date du 11 juin 2013
relative à des principes communs applicables aux mécanismes de
recours collectif en cessation et en réparation dans les États
membres en cas de violation de droits conférés par le droit de
l'Union (2013/396/UE), point 15.
74
s'incarne en premier lieu pour la victime dans sa
capacité à étayer sa demande (comparativement notamment
aux droits américains ou anglais).
Le bilan est que les preuves pertinentes dont un demandeur a
besoin pour démontrer le bien-fondé de sa demande sont en grande
partie détenues par le défendeur ou des tiers et, la plupart du
temps, elles ne sont pas suffisamment connues du demandeur, qui n'y a pas
accès. Cette pierre d'achoppement du fait d'une « asymétrie
de l'information » est constatée de longue date par les
autorités européenne, ainsi le Livre Vert de 2005 à ce
titre a envisagé cinq possibilités pour remédier au
problème . La proposition de directive sur les actions en dommages et
intérêts
172 173
s'intéresse donc au sujet et relève d'ailleurs
qu'elle s'inspire sur le sujet de la directive relative au respect des droits
de propriété intellectuelle .
174
Quant à la directive, elle aborde la situation au travers
de son considérant 14 :
« Les actions en dommages et intérêts
pour infraction au droit de la concurrence de l'Union ou au droit national de
la concurrence requièrent habituellement une analyse factuelle
et économique complexe. Dans bien des cas, les preuves
nécessaires pour démontrer le bien-fondé d'une
demande de dommages et intérêts sont détenues
exclusivement par la partie adverse ou des tiers et ne sont pas suffisamment
connues du demandeur, ou celui-ci n'y a pas accès
».
Il est en effet, assez décourageant pour les demandeurs
de devoir prouver par exemple une entente horizontale à partir du moment
où elle est souvent tacite et qu'il n'y a jamais de documents
écrits pouvant l'établir (à la différence de sa
contractualisation écrite). Ainsi, il est largement admis que les
difficultés qu'éprouvent les demandeurs à obtenir tous les
éléments de preuve nécessaires constituent, dans de
nombreux États membres, un des principaux obstacles aux actions en
dommages et intérêts dans les affaires de concurrence.
C'est pourquoi la directive n°2014/104 distille un
régime à l'article 5 qui établit les conditions que doit
satisfaire le requérant pour que sa requête soit recevable, avant
que la directive ne s'intéresse spécifiquement à des
questions plus techniques.
79. Recevabilité de la demande. En ce
qui concerne la recevabilité de la demande, le texte
donne des critères d'appréciation au juge pour
décider si la demande de production de pièce par le
défendeur ou un tiers. Tout d'abord, la preuve s'entend dans la
directive (article 2) comme :
« tous les moyens de preuve admissibles devant la
juridiction nationale saisie, en particulier les documents et tous les autres
éléments contenant des informations, quel qu'en soit le support.
»
172 Livre Vert, du 19 décembre 2005, intitulé :
Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante [COM(2005)
672 final, page 5
173 Proposition de directive du Parlement européen et
du Conseil relative à certaines règles régissant les
actions en dommages et intérêts en droit interne pour les
infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États
membres et de l'Union européenne,Strasbourg, le 11.6.2013 COM(2013) 404
final, p. 16
174 Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du
Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de
propriété intellectuelle (JO L 157 du 30.4.2004, p. 45).
75
Sur le plan normatif, la preuve demandée semble
allégée et se limiter à la capacité du demandeur
à fournir la preuve exigée. Textuellement, il est ainsi
précisé à l'article 5 que :
« 1. Les États membres veillent à ce
que, dans les procédures relatives aux actions en dommages et
intérêts intentées dans l'Union à la requête
d'un demandeur qui a présenté une justification
motivée contenant des données factuelles
et des preuves raisonnablement disponibles suffisantes
pour étayer la plausibilité de sa demande de dommages et
intérêts, les juridictions nationales soient en mesure d'enjoindre
au défendeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes
qui se trouvent en leur possession, sous réserve des conditions
énoncées au présent chapitre. Les États membres
veillent à ce que les juridictions nationales puissent, à la
demande du défendeur, enjoindre au demandeur ou à un
tiers de produire des preuves pertinentes »
Si les requérants n'ont pas à désigner
expressément des preuves précises pour ne pas empêcher
l'exercice effectif du droit à réparation :
« Dans ces circonstances, des exigences juridiques
strictes faisant obligation aux demandeurs d'exposer précisément
tous les faits de l'affaire au début de l'instance et de
produire des éléments de preuve bien précis
à l'appui de leur demande peuvent indûment
empêcher l'exercice effectif du droit à réparation
garanti par le traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne ».
Reste qu'ils doivent motiver leur requête par «
des données factuelles et des preuves raisonnablement disponibles
suffisantes pour étayer la plausibilité » de leur
demande (article 5 alinéa 1). Il y a donc un contrôle de
pertinence des demandes par le juge.
La directive prévoit aussi la possibilité
d'ordonner la production de certains éléments de preuves ou de
catégories pertinentes de preuves. Ces éléments ou
catégories doivent être circonscrites de manière aussi
précise et étroite que possible, sur la base de données
factuelles raisonnablement disponibles dans la justification motivée. Ce
qui renvoie à la question du caractère insécable ou
indivisible de la chose saisie notamment, sujet d'un contentieux notamment en
ce qui concerne le privilège entre l'avocat et son client.
80. Proportionnalité et intérêt de
la partie défenderesse. Ensuite, apparaît à
l'alinéa 3 une
exigence de proportionnalité qui pèse sur
l'appréciation des juges lorsqu'ils examinent la demande, avec quelques
points essentiels à regarder aux yeux du législateur dont
notamment le caractère étayé de la demande, le coût
de production des preuves, le caractère confidentiel des documents
demandés ; ou plus précisément :
« 3. Les États membres veillent à ce
que les juridictions nationales limitent la production des preuves
à ce qui est proportionné. Lorsqu'elles
déterminent si une demande de production de preuves soumise par une
partie est proportionnée, les juridictions nationales tiennent compte
des intérêts légitimes de l'ensemble des parties et tiers
concernés. En particulier, elles prennent en
considération:
76
a) la mesure dans laquelle la demande ou la
défense sont étayées par des données factuelles et
des preuves disponibles justifiant la demande de production de
preuves;
b) l'étendue et le coût de la
production de preuves, en particulier pour les éventuels tiers
concernés, y compris afin d'éviter toute recherche non
spécifique d'informations dont il est peu probable qu'elles soient
pertinentes pour les parties à la procédure;
c) la possibilité que les preuves dont on
demande la production contiennent des informations confidentielles, en
particulier concernant d'éventuels tiers, et les modalités
existantes de protection de ces informations confidentielles.
»
À ce titre, un rapprochement peut être fait
vis-à-vis de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de
l'Homme à propos d'une affaire concernant des visites et saisies
réalisées par des enquêteurs de la Direction
générale de la concurrence, de la consommation et de la
répression des fraudes dans les locaux de deux sociétés.
La question d'espèce était la mise en balance des
intérêts relatifs, d'une part, à la recherche
légitime de preuves d'infractions en matière de droit de la
concurrence et, d'autre part, au respect du domicile, de la vie privée
et des correspondances, et notamment de la confidentialité entre un
avocat et son client. La Cour impose aussi sur ce point un contrôle
concret de proportionnalité :
175
« À cet effet, la Cour estime qu'il appartient
au juge, saisi d'allégations motivées selon lesquelles des
documents précisément identifiés ont
été appréhendés alors qu'ils étaient sans
lien avec l'enquête ou qu'ils relevaient de la confidentialité qui
s'attache aux relations entre un avocat et son client, de statuer sur
leur sort au terme d'un contrôle concret de
proportionnalité et d'ordonner, le cas échéant,
leur restitution. Or, la Cour constate qu'en l'espèce, si les
requérantes ont exercé le recours que la loi leur
ménageait devant le juge des libertés et de la détention,
ce dernier, tout en envisageant la présence d'une correspondance
émanant d'un avocat parmi les documents retenus par les
enquêteurs, s'est contenté d'apprécier la
régularité du cadre formel des saisies litigieuses, sans
procéder à l'examen concret qui
s'imposait.
En conséquence, la Cour juge que les saisies
effectuées aux domiciles des requérantes étaient, dans les
circonstances de l'espèce, disproportionnées par rapport au but
visé176 ».
Par ailleurs, il faut relever que les principes
généraux du droit communautaire protègent
l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs
secrets commerciaux ne soient pas divulgués . Ainsi,
177
l'injonction des juridictions est d'autant plus
nécessaire pour empêcher que le défendeur se retranchent
subtilement derrière le secret des affaires ou la confidentialité
des informations. Toutefois, les juridictions ne peuvent agir ainsi que si
elles l'estiment utile (article 5 alinéa 4) :
175 pour un exemple en droit français : Cour de
cassation, chambre criminelle, arrêt du 9 mars 2016, n° de pourvoi:
14-85325
176 CEDH, arrêt du 2 avril 2015, n° 63629/10 et
n° 60567/10, aff. Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services
c. France
177 SCHURMANS, Christine et TATON, Xavier in Questions
actuelles de procédure en droit de la concurrence. À la recherche
d'un système cohérent entre l'autorité de concurrence et
l'ordre judiciaire in dans Andrée Puttemans, dir, Actualité du
droit de la concurrence, Bruxelles, Bruylant, 2007, pages 79-80.
77
« Les États membres veillent à ce que
les juridictions nationales soient habilitées à ordonner
la production de preuves contenant des informations confidentielles
lorsqu'elles le jugent utile dans le cadre de l'action en dommages et
intérêts. Lorsque la production de telles informations est
ordonnée, les États membres veillent à ce que les
juridictions nationales disposent de mesures efficaces de protection de
ces informations. »
L'alinéa 6 précise que les États membres
veillent à ce que, lorsqu'elles ordonnent la production de preuves, les
juridictions nationales donnent plein effet au secret professionnel applicable
en vertu du droit de l'Union ou du droit national.
L'alinéa 5 rappelle que l'intérêt qu'ont
les entreprises à éviter des actions en dommages et
intérêts à la suite d'infractions au droit de la
concurrence n'est pas de nature à justifier une protection, c'est une
évidence mais qui peut avoir son utilité car elle met fin
à tout débat sur le sujet et lie les juges.
81. Garantie minimale du défendeur et sanction.
L'alinéa 7 donne une garantie procédurale
au défendeur ce qui s'inscrit dans le
nécessité du respect du droit au procès équitable.
Ainsi, les États membres veillent à ce que les personnes à
qui une demande de production de preuves est adressée aient la
possibilité d'être entendues avant qu'une juridiction nationale
n'ordonne la production d'informations en application du présent
article.
Les règles des alinéas 4 à 7 constituent
un minimum de règles en faveur de la partie défenderesse à
respecter. Néanmoins la directive en dehors de ces cas ne fait pas
obstacle au maintien ni à l'introduction, par les États membres,
de règles qui conduiraient à une production plus large de
preuves. En effet, l'objectif est de garantir que tous les États membres
accordent un accès effectif minimal aux éléments de preuve
dont les demandeurs et/ou les défendeurs ont besoin pour
démontrer le bien-fondé de leur demande de dommages et
intérêts pour infraction aux règles concernant les ententes
et les abus de position dominante et/ou pour étayer un moyen de
défense y afférent.
L'article 8 de la directive se penche sur les sanctions,
corollaire nécessaire pour rendre la règle efficace. Ainsi, il
faut mettre en place des sanctions effectives, proportionnées et
dissuasives. Le texte précise qu'en cas de comportement
non-coopératif, le juge doit avoir la faculté de tirer des
conclusions défavorables, par exemple en présumant que le fait
litigieux en question est avéré ou en rejetant, en tout ou en
partie, les demandes et moyens de défense, ainsi que la faculté
de prononcer une condamnation aux dépens. Enfin, est prévu une
liste de comportement nécessitant une sanction, c'est-à-dire : le
non-respect d'une injonction de production de preuves émanant d'une
juridiction nationale ou le refus de s'y conformer, la destruction de preuves
pertinentes, le non-respect des obligations imposées par une injonction
d'une juridiction nationale protégeant des informations confidentielles,
ou le refus de s'y conformer, ou encore la violation des restrictions
prévues dans la directive pour l'utilisation des preuves.
78
§4) Actions collectives et cession du droit à
agir
82.
|
Légalité de la cession du droit d'agir.
De l'aveu de l'Union européenne elle-même, les
|
|
citoyens et les entreprises, en particulier les PME, ne
devraient pas être « privés de l'accès à la
justice, faute de ressources financières suffisantes178
».
Il conviendrait, dès lors, d'examiner dans quelle
mesure il existe des mécanismes de financement appropriés aux
fins des recours collectifs.
Au-delà de l'action collective et de son financement
intrinsèque, existe un autre moyen de rassembler les demandes ou
plutôt les créances.
Comme déjà expliqué infra au
travers de la législation allemande, l'opération de collecte des
actions individuelles ou précisément des créances qu'elles
sous-entendent se réalise par pacte de quota litis. En outre,
apparaît une entreprise qui rachète les créances
délictuelles probables appartenant aux acheteurs directs victimes
(l'exemple typique est la société allemande Cartel Damages
Claims).
Ce commerce du préjudice délictuel, ce
marché du recyclage des indemnisations intrigue quant à sa
légalité juridique179. Ainsi, se pose la question de
la disposition de la créance née, ce qui signifie faire sortir un
bien, un droit ou une valeur, du patrimoine de celui ou de ceux qui en sont les
propriétaires, pour le transférer dans le patrimoine d'une ou
plusieurs autres personnes.
La question est donc l'aliénation de l'action
individuelle découlant du préjudice du fait d'une entente ou d'un
abus de position dominante. Or depuis l'arrêt Courage existe un
droit subjectif d'action qui fait naître ipso facto une
créance dans le patrimoine du justiciable, qui par principe doit pouvoir
être cessible par son transport. La directive n'est pas insensible au
sujet et prévoit au point 31 que :
« (31) Toute personne physique ou morale qui obtient
des preuves en accédant au dossier d'une autorité de concurrence
devrait pouvoir utiliser ces preuves aux fins d'une action en dommages et
intérêts à laquelle elle est partie. Une telle
utilisation devrait également être autorisée pour toute
personne physique ou morale qui lui a succédé dans ses droits et
obligations, notamment par le rachat de sa demande. Lorsque les
preuves ont été obtenues par une personne morale faisant partie
d'un groupe d'entreprises constituant une seule entreprise aux fins de
l'application des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de
l'Union européenne, d'autres personnes morales appartenant à la
même entreprise devraient également pouvoir utiliser ces preuves.
»
Possibilité d'accès confirmée dans le
texte brut à propos des limites à l'utilisation des preuves
obtenues uniquement grâce à l'accès au dossier d'une
autorité de concurrence :
178 Document de travail des services de la Commission :
consultation publique : Renforcer la cohérence de l'approche
européenne en matière de recours collectifs, Bruxelles, 4
février 2011 SEC(2011) 173 final, p. 14
179 pour un éclairage approfondi sur le sujet voir le
chapitre 5 de la thèse de Guillaume Zambrano qui relève au
passage une absence générale d'interdiction
(L'inefficacité de l'action civile en réparation des infractions
en droit de la concurrence, étude du contentieux français devant
le Tribunal de Commerce de Paris (2000-2012), thèse de
l'Université de Montpellier, 2012, p. 299 et s.).
79
« Article 7 : [É] 3. Les États
membres veillent à ce que les preuves obtenues par une personne physique
ou morale uniquement grâce à l'accès au dossier d'une
autorité de concurrence et qui ne relèvent pas du paragraphe 1 ou
2 ne puissent être utilisées dans le cadre d'une action en
dommages et intérêts que par cette personne ou par une personne
physique ou morale qui a succédé dans les droits de cette
personne, ce qui inclut la personne qui a racheté sa
demande. »
Cette incise a son importance, elle suit une logique civiliste
bien connue qui est que la cession de créance transfère au
cessionnaire les droits et actions appartenant au cédant attachés
à la créance cédée, ou dit plus simplement
accessorium sequitur principale. Application extensive du principe qui
vient toucher ici la preuve. Preuve qui en droit de la concurrence est souvent
difficile du fait du déséquilibre d'information et de leur
détention par l'opérateur contrevenant (le Livre Blanc relevant:
« l'inaccessibilité et la dissimulation fréquentes des
éléments de preuve déterminants dont disposent les
défendeurs180»).
Mais la directive va bien plus loin et explicite directement
la validité de la cession du droit d'agir. En outre, le texte
prévoit dans sa définition d' « action en dommages et
intérêts » (article 2) que cela comprend une personne
physique ou morale : « qui a succédé dans les droits de
la partie prétendument lésée, y compris la personne qui a
racheté la demande ».
181
Ensuite, la « demande de dommages et
intérêts » est définie comme « demande de
réparation pour le préjudice causé par une infraction au
droit de la concurrence ». Or, l'article 1 précise que
toute
182
personne ayant un tel préjudice : « puisse
exercer effectivement son droit de demander réparation intégrale
de ce préjudice à ladite entreprise ou à ladite
association [d'entreprise contrevenante] ». Cette phrase n'est donc
pas anecdotique et conforte l'idée que le rachat de la demande est
toléré. Il y a donc une possible cession du droit et une libre
disposition de celui-ci par le justiciable victime de pratique
anticoncurrentielle. Plus encore, il y a une obligation pour les Etats membres
de rendre concevable la cession de créance conformément aux
obligations à la charge des Etats d'effectuer une transposition
fidèle en droit interne des dispositions requises par la directive.
83.
|
Risque et opportunité de ce marché du
droit d'agir. Cette ouverture du commerce des
|
|
créances litigieuses apparaît a priori
comme un risque potentiel pour les entreprises contrevenantes, avec le
risque de se voir demander en justice avec une probabilité plus accrue
le préjudice causé aux acheteurs directs ou indirects.
Risque de voir émerger des acteurs centralisateurs du
contentieux qui pourront du fait de leur « institutionnalisation de fait
» comme acteur central du private enforcement, devenir des
contrepouvoirs, rééquilibrant l'échiquier en leur
défaveur.
180 Commission Européenne, Livre Blanc sur les actions
en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avril
2008, COM(2008) 165 final. p. 2
181 ce qui est un changement notable vis-à-vis de la
proposition de directive sur les actions en dommages et intérêts.
(citée supra).
182 article 2 de la directive n°2014/104
80
Se dévoile aussi une probable professionnalisation du
« demandeur » à l'action avec les corollaires classiques : de
réduction des coûts, rentabilité augmentée,
concentration et efficacité des moyens mises en oeuvre plus grande,
etc.
C'est aussi surtout à défaut d'un contrôle
de leur activité, la menace de voir émerger des acteurs
non-officiels183 et n'ayant démocratiquement à rendre
des comptes à personne. Ainsi, les marchands de procès en tant
qu'acteurs au procès peuvent assurer à défaut d'une
existence ou même d'une efficience des actions collectives stricto
sensu l'efficacité du droit de la concurrence en rendant
l'infraction plus coûteuse (dans la limite de la rentabilité de
l'opération d'achat).
Néanmoins, ce « marché des actions en
justice » est aussi une porte ouverte au marchandage pour
184
les entreprises auteurs d'infraction. En effet, cet ancrage
dans le milieu économique de nouveaux acteurs peut être une
opportunité. Une chance à saisir car ces acteurs
économiques pourraient chercher à échapper à
l'aléa du procès judiciaire avec tout ce qu'il implique en risque
et en coût, pour se tourner vers une voie médiane comme le sont
les règlements alternatifs des litiges (et notamment la transaction
comme aux Etats-Unis185).
Cette recherche de certitude peut transformer la relation
frontale d'affrontement (comme cela peut être le cas lors d'une action
collective gérée par une association à but non lucratif)
en une relation économique ou mieux d'affaires186 (avec la
prise en compte de l'aspect réputationnel de l'acteur « marchand de
procès » et sa propagation dans le milieu des affaires).
Section 2 - L'interaction renforcée entre public
et private enforcement
84. Coopération plutôt que concurrence.
Le découplage contentieux objectif (public
enforcement) et subjectif (private
enforcement) n'a d'utilité que par la dialectique qu'il apporte ;
en ce qu'il impose une structuration de la pensée via une
méthode de raisonnement permettant d'établir un cadre
intellectuel sur les modalités d'efficience du droit de la concurrence.
Opposer ou mettre en concurrence ces deux modalités définies
doctrinalement n'a qu'une vertu spéculative et n'apporte en rien
à sa finalité qui est l'efficacité de la «
concurrence » telle qu'elle est pensée par les autorités et
le législateur européen.
183 Murielle Chagny soulève la possibilité de
créer des fonds publics venant racheter ces créances ou avancer
les frais du procès permettant d'éviter toute dérive, avec
l'exemple de la proposition de loi prévoyant la création d'un
Fonds d'aide à la justice ou du système québécois
sur ce point (CHAGNY, Murielle et DEFFAINS, Bruno in Réparation des
dommages concurrentiels, essai, septembre 2015, p. 205)
184 DELPECH, Xavier in La cession de créance emporte
celle des actions en justice qui lui sont attachées, Recueil Dalloz,
2006, p. 365.
185 COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d'avantages
pour le règlement consensuel des litiges ou la négociation
plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44,
juillet-septembre 2015, p. 98 (4ème paragraphe)
186 Un exemple concret de ce risque (ou opportunité
pour les entreprises) est développé dans la thèse de
Guillaume Zambrano (citée supra) où l'entreprise
Cartel Damages Claims promet une « immunité civile
» aux entreprises « coopérant » avec elle, ce qui
aux yeux de l'auteur : « En filigrane de ce langage lénifiant,
la promesse de CDC est exactement de paralyser les poursuites civiles. La
contrepartie de cette immunité civile est couverte par la
confidentialité, mais on peut raisonnablement présumer de sa
nature pécuniaire à défaut de son montant. Le service
offert par CDC consiste à négocier - ou monnayer - collectivement
l'indemnisation, par voie de transaction » (p. 316-318).
81
Auparavant, cette efficacité avait été
pensée essentiellement au travers du Livre Blanc de 2008 autour du duo :
action individuel-recours collectif. Mais la directive n°2014/104 focalise
l'efficacité du contentieux subjectif par son accouplement avec le
contentieux objectif. Changement de paradigme qui selon Rafael
Amaro187 traduit une volonté : « l'optimisation de
l'interaction sphère publique, sphère privée ».
En outre, la Commission le confesse elle-même dans la proposition de
directive, il s'agit de :
« [Donner] les moyens de poursuivre une
politique forte de mise en oeuvre du droit de la concurrence,
tout en permettant aux victimes d'infractions au droit de le concurrence
d'obtenir réparation du préjudice qu'elles ont subi
188».
En témoigne par la suite, la directive elle-même qui
précise :
« (6) Pour garantir des actions de mise en oeuvre
effective sur l'initiative de la sphère privée en vertu du droit
civil et une mise en oeuvre effective par la sphère publique à
travers les autorités de concurrence, il est nécessaire que
ces deux outils interagissent afin d'assurer une efficacité
maximale des règles de concurrence. »
Efficacité maximale donc, qui du point de vue des
économistes en dehors même de la subdivision contentieux objectif
ou subjectif passe par des sanctions plus efficaces. Ainsi, la nature de ces
sanctions n'est pas l'essence même du problème (que ce soit des
amendes, des dommages et intérêts ou punitifs ou une peine
pénale importe peu). Le coeur du sujet est dans le bilan
économique négatif réel à enfreindre le droit de la
concurrence. Certes, comme le pointe le vice-président de
l'Autorité de la concurrence française et économiste
Emmanuel Combe, il faut « punir fortement ceux qui se font prendre,
mais aussi et surtout [il faut] dissuader les agents de s'engager dans
des actions illicites ».
189
85. Interaction des deux sphères. La
coopération des deux voies contentieuses formant le droit
de la concurrence va par son efficience se renforcer. Ainsi,
la directive n°2014/104 vient en préciser les modalités
techniques. Trois points du dispositif législatif mis en place seront
abordés : d'une part, la question de l'autorité de la chose des
décisions des autorités en charge du droit de la concurrence (1),
d'autre part, la production de la preuve par les autorités de
concurrence (2) et enfin, la compatibilité avec le programme de
clémence et la transaction (3).
187 AMARO, Rafael in Le contentieux privé des pratiques
anticoncurrentielles, avant-propos G. Canivet, préf. M.
Béhar-Touchais, Bruylant, 2014
188 Proposition de directive du Parlement européen et
du Conseil relative à certaines règles régissant les
actions en dommages et intérêts en droit interne pour les
infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États
membres et de l'Union européenne,Strasbourg, le 11.6.2013 COM(2013) 404
final, p. 4
189 COMBE, Emmanuel in A la recherche de la sanction optimale,
Concurrences, 2006, n° 4, p. 10 et s.
82
§1) Autorité des décisions des
autorités de concurrence
86. Constat de jure d'une autorité
relative. La question de la reconnaissance dans le
contentieux privés ou subjectifs des décisions
des autorités de concurrence se pose substantiellement dans le cadre
d'action en follow-on.
Cette question d'harmonisation des décisions est
prégnante aux contentieux concurrentiels du private
enforcement, ainsi rien d'étonnant que cette question soit
partiellement abordée en ce qui concerne, entre autres, les actions
collectives dans la recommandation de la Commission :
« 32. Les États membres devraient veiller
à ce que, lorsque, dans une matière juridique, une
autorité publique est habilitée à arrêter une
décision constatant une violation du droit de l'Union, les recours
collectifs ne soient, en règle générale, introduits par
des personnes privées qu'après que l'autorité publique a
définitivement clos la procédure qu'elle avait
préalablement engagée. Si la procédure est engagée
par l'autorité publique après l'introduction d'un recours
collectif, la juridiction saisie du recours devrait éviter de
statuer en contradiction avec la décision que l'autorité publique
envisage de prendre. À cette fin, la juridiction devrait
pouvoir surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité
publique clôture la procédure190 ».
Spécifiquement, il faut se pencher sur
l'autorité de la chose jugée qui se définit comme l'«
ensemble des effets attachés à la décision
juridictionnelle, telle la force de vérité
légale191» (même si le terme «
jugée » n'est pas approprié, une autorité nationale
de concurrence pouvant ne pas être une juridiction).
En ce qui concerne les décisions définitives ,
insusceptible de recours, la Commission
192
européenne, fait déjà peser une
présomption irréfragable de faute dans le contentieux
privé pour infraction aux règles de concurrence, en vertu d'une
application extensive de l'article 16 du règlement n°1/2003 du
Conseil du 16 décembre 2002 . Qui plus est, cette autorité de
chose jugée/
193
décidée s'étend aussi aux motifs . En ce qui
concerne les droits internes apparaît des régimes plus
194
ou moins contraignants.
190 Recommandation de la Commission en date du 11 juin 2013
relative à des principes communs applicables aux mécanismes de
recours collectif en cessation et en réparation dans les États
membres en cas de violation de droits conférés par le droit de
l'Union (2013/396/UE), point 32-33.
191 CORNU, Gérard [directeur] in Vocabulaire juridique,
Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française
192 la directive définissant une « décision
définitive constatant une infraction » comme une décision
constatant une infraction qui ne peut pas ou ne peut plus faire l'objet d'un
recours par les voies ordinaires
193 CJCE, arrêt du 14 décembre 2000, Masterfoods Ltd
c. HB Ice Cream Ltd, aff. C- 344/98
194 Ibid. considérant 34 : « L'effet de la
constatation ne devrait toutefois porter que sur la nature de l'infraction
ainsi que sur sa portée matérielle, personnelle, temporelle et
territoriale telle qu'elle a été déterminée par
l'autorité de la concurrence ou l'instance de recours dans l'exercice de
sa compétence ».
83
En outre, si en Allemagne ou en Angleterre , par exemple, a pu
être reconnue une autorité de
195 196
chose « décidée » aux décisions
définitives des autorités nationales de concurrence, il n'en est
pas ainsi pour tous les États membres, dont l'Italie197 ou
encore la France.
Par exemple, la Cour de cassation française a pu dire que
:
« Mais attendu, en premier lieu, qu'il appartient
à celui qui se prévaut de l'existence de pratiques
discriminatoires d'en établir la preuve ; qu'ayant retenu, par une
appréciation des éléments de preuve versés aux
débats y compris de la décision invoquée du
Conseil de la concurrence laquelle, [É], ne
lie pas le juge198 ».
Toutefois, pour la France, il faut nuancer le propos car il
existe une « présomption irréfragable » du
manquement, suite à une décision des autorités ou
juridictions nationales ou de l'Union européenne compétentes,
à l'article L623-24 alinéa 2 du Code de la consommation mais
uniquement pour les seules actions de groupe engagées par les
associations de consommateurs.
87. Autorité de facto.
Derrière cette asymétrie selon les systèmes
juridiques de la valeur
probatoire des décisions des autorités en charge
de la concurrence au niveau interne se cache un effet contraignant dans la
pratique décisionnelle des juridictions.
Cette autorité morale a autant de force probatoire que
l'autorité strictement juridique de la chose jugée ou
décidée. Ainsi, au regard du droit français, Marie
Dumarcay relève que :
« les juridictions nationales ne sont nullement
liées par les décisions rendues par l'autorité
française de concurrence, si bien qu'il existe un risque de
contradiction des décisions. Ce hiatus - avéré ou
auguré - ne doit cependant pas être exagéré, les
décisions de l'autorité de concurrence
bénéficie de l'autorité morale inhérente
à l'expertise du sachant 199».
Cet effet contraignant est appuyé d'un point de vue
empirique200. Logiquement, c'est bien l'autorité morale des
ANC qui entre en oeuvre, autorité de la parole de l'expert face au juge
civil. Par ailleurs, cette homogénéité semble
répondre subsidiairement à la préoccupation
d'éviter les incohérences que pourrait ressentir le
requérant en cas de décision contradictoire.
195 Paragraphe 33 al. 4, GWB, Act against Restraints of
Competition : « (4) Where damages are claimed for an infringement of a
provision of this Act or of Articles 101 or 102 of the Treaty on the
Functioning of the European Union, the court shall be bound by
a finding that an infringement has occurred, to the extent that such a finding
was made in a final and non-appealable decision by the competition authority,
the European Commission, or the competition authority Ð or court acting as
such Ð in another Member State of the European Union. The same applies to
such findings in final and non-appealable judgments on appeals against
decisions pursuant to sentence 1 ».
196 Competition Act 1998 s. 58A, introduced by Enterprise Act
2002 s. 20; Competition Act 1998 s. 47A(9)
197 Cour de cassation italienne, arrêt du 27 mars 2014,
Fondiaria - SAI c/ Nicola Perrini
198 Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 17
juillet 2001, n° de pourvoi: 99-17251
199 DUMARÇAY, Marie in La situation de l'entreprise
victime dans les procédures de sanction des pratiques
anticoncurrentielles. Etude des procédures française et
communautaire d'application du droit communautaire des pratiques
anticoncurrentielles, [Doctorat : Droit : Montpellier-I : 2008], 9 n°4
200 voir thèse citée supra Guillaume
Zambrano, p. 99
88.
84
Droit prospectif. La directive vient
renforcer l'autorité de la chose décidée des
décisions
des autorités en charge de la concurrence. En son
article 9, elle le fait avec une dualité de régime selon la
qualité de l'émetteur de la décision :
« 1. Les États membres veillent à ce
qu'une infraction au droit de la concurrence constatée
par une décision définitive d'une autorité nationale de
concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme
établie de manière irréfragable aux fins
d'une action en dommages et intérêts introduite devant leurs
juridictions nationales au titre de l'article 101 ou 102 du traité sur
le fonctionnement de l'Union européenne ou du droit national de la
concurrence.
2. Les États membres veillent à ce que,
lorsqu'une décision définitive visée au
paragraphe 1 est prise dans un autre État membre, cette
décision finale puisse, conformément au droit national,
être présentée devant leurs juridictions nationales au
moins en tant que preuve prima facie du fait qu'une infraction
au droit de la concurrence a été commise et, comme il convient,
puisse être examinée avec les autres éléments de
preuve apportés par les parties. »
Ainsi, les décisions définitives d'une
autorité nationale de concurrence ou d'une instance de recours
constituent une preuve irréfragable de l'infraction. Par contre, si une
décision définitive est précise dans un autre Etat membre
celle-ci ne constitue qu'une preuve prima facie . C'est-à-dire
une
201
preuve qui, à moins d'être
réfutée, suffirait à prouver une proposition
précise ou un fait (en l'espèce, une infraction).
89. Faute civile et faute concurrentielle.
Si les juridictions nationales saisies sont liées par
les
constatations d'une autorité nationale de concurrence, elles
doivent cependant décider si la violation du droit de la concurrence
constitue une faute civile. Se pose ici la question de l'équivalence des
fautes de la même manière que pour la faute pénale et la
faute civile. Ainsi, doit-il y avoir une assimilation ou une disjonction de la
faute dans ces deux domaines ? Existe-t-il une « unicité de la
faute » civile et concurrentielle ?
202
Au niveau européen, la Cour de justice a
considéré que si la Commission constatait une violation au droit
de la concurrence de l'Union européenne, la juridiction nationale saisie
ne devait pas rechercher le fait dommageable, mais seulement le dommage et le
lien de causalité203.
Comme souvent, le Livre Blanc204 remarque une
dissonance de régime au sein des Etats membres. Dans certains d'entre
eux, l'existence d'une faute n'est pas une condition de la réparation
des
201 ce qui constitue un changement par rapport à la
proposition de directive qui avait adopté le point de vue allemand qui
donnait un effet liant aux décisions étrangères
202 FASQUELLE, Daniel et MESË, Rodolphe in Livre vert de
la Commission sur les actions en dommages et intérêts pour
infraction aux règles communautaires sur les ententes et abus de
position dominante, Concurrences, 2006, p. 33-37
203 CJUE, arrêt du 6 novembre 2012, Europese Gemeenschap
c./ Otis NV et autres, aff. C- 199/11, paragraphes 65-66 : «
l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité directe
entre ce préjudice et l'entente ou la pratique en cause reste, en
revanche, soumise à l'appréciation du juge national
»
204 Commission Européenne, Livre Blanc sur les actions
en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avril
2008, COM(2008) 165 final. p. 7
85
dommages subis du fait d'une infraction aux règles de
concurrence, où la faute est présumée de
205
manière irréfragable (une fois que l'infraction
a été prouvée). Selon la Commission, il n'y a pas de
raison de principe de s'opposer à une telle approche, néanmoins
il n'y a aucune raison de décharger les auteurs d'infractions de leur
responsabilité au motif qu'ils n'ont pas commis de « faute »,
excepté dans le cas où l'auteur de l'infraction a commis une
« erreur excusable ». Dans le même Livre Blanc, une
erreur est considérée comme excusable dans le cas où une
« personne raisonnable » appliquant un «
degré élevé de diligence ne pouvait pas avoir
connaissance » du fait que le « comportement en cause
restreignait la concurrence ».
La limite de l'unicité de la faute civile et
concurrentielle est posée au considérant 34 de la directive
laissant une marge d'interprétation souveraine aux juges du fond :
206
« L'effet de la constatation ne devrait
toutefois porter que sur la nature de l'infraction ainsi que sur sa
portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale telle
qu'elle a été déterminée par l'autorité de
concurrence ou l'instance de recours dans l'exercice de sa compétence.
Lorsqu'une décision a conclu à une infraction aux
dispositions du droit national de la concurrence dans les cas où le
droit de la concurrence de l'Union et le droit national de la concurrence
s'appliquent en parallèle à la même affaire, ladite
infraction devrait également être considérée comme
établie de manière irréfragable. »
En toute hypothèse, la reconnaissance de l'effet liant
dans la reconnaissance de la faute améliore la situation des victimes et
augmente le risque de sanction pour les entreprises fautives. D'un point de vue
pratique, cela permet notamment de faciliter l'octroi de
provision207 ce qui améliore la situation financière
des demandeurs victimes à l'action collective.
§2) Production de preuve figurant dans le dossier
d'une autorité de concurrence
90. Accès aux preuves et coordination des
politiques d'enforcement. L'accès au dossier des
autorités nationales de concurrence soulève de
importantes interrogations et renvoie à la coopération entre les
autorités de concurrence et les juridictions nationales. Quoi qu'il en
soit, une
telle demande doit être proportionnée et ne pas
nuire à l'instruction du dossier par une autorité de la
concurrence208.
205 VOGEL, Louis in Les actions civiles de concurrence : Union
européenne, France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Suisse,
États-Unis, p. 54
206 ce qui semble encore flou tant la marge
d'interprétation de la notion de causalité étant
dépendante selon les Etats membre (pour une critique, voir LIANOS,
Ioannis in Causal Uncertainty and Damages Claims for Infringement of
Competition Law in Europe (January 24, 2015). CLES Working Paper No. 2/2015)
207 DUPUIS-TOUBOL, Frédérique in La
Réparation du préjudice causé par une pratique
anticoncurrentielle en France et à l'étranger : Bilan et
perspectives, 17 octobre 2005
208 considérant 23 de la directive n°2014/104
86
Tout d'abord, la directive apparaît comme un
complément au règlement sur l'accès du public aux
209
documents des institutions européennes. Dans la
directive, le régime est décomposé au travers de deux
articles : l'article 6 et l'article 7.
Specialia generalibus derogant, ainsi le texte
précise que les règles matérielles de l'article 5 n'ont
pas vocation à s'appliquer lorsque les règles de l'article 6 ont
vocation à s'appliquer. Ainsi, en ce qui concerne la
proportionnalité de la demande (voir supra au point 80), il est
prévu un cadre spécifique à l'injonction qui doit tenir en
compte notamment :
«a) la question de savoir si la demande a
été formulée de façon spécifique
quant à la nature, à l'objet ou au contenu des documents
soumis à une autorité de concurrence ou détenus dans le
dossier de celle-ci, ou s'il s'agit d'une demande non spécifique
concernant des documents soumis à une autorité de
concurrence;
b) la question de savoir si la partie qui demande la
production d'informations le fait dans le cadre d'une action en
dommages et intérêts introduite devant une juridiction
nationale; et
c) pour ce qui concerne les paragraphes 5 et 10, ou
à la demande d'une autorité de concurrence en application du
paragraphe 11, la nécessité de préserver
l'efficacité de la mise en oeuvre du droit de la concurrence par la
sphère publique210. »
Dans la même logique, le paragraphe 10 prévoit
que la production de preuves contenues dans le dossier d'une ANC n'est possible
que lorsqu'aucune des parties ou aucun tiers ne peut raisonnablement fournir
lesdites preuves. Enfin, le texte prévoit que si une autorité de
concurrence souhaite donner son avis sur la proportionnalité de demandes
de production de preuves, elle peut, de sa propre initiative, présenter
ses observations à la juridiction nationale devant laquelle la
production de preuves est demandée (article 6.11).
91. Protection des procédures devant les
ANC. Par ailleurs, dans certaines hypothèses
précisées, les juridictions ne peuvent ordonner
la production de preuves que lorsque l'autorité nationale de concurrence
a soit rendu sa décision, soit clos la procédure (article 6.5)
:
« a) les informations préparées par une
personne physique ou morale expressément aux fins d'une procédure
engagée par une autorité de concurrence;
b) les informations établies par l'autorité
de concurrence et envoyées aux parties au cours de sa procédure;
et
c) les propositions de transaction qui ont
été retirées. »
De surcroît, la directive exclut totalement la
production des documents internes des autorités nationales de
concurrence et leur correspondance (article 6.3).
Le paragraphe 6 traite de la clémence et de la
transaction qui sera étudiée infra et qui
bénéficie d'une quasi immunité vis-à-vis de la
procédure d'injonction de production de preuve. Néanmoins, il
faut noter que si seulement une des parties de preuves demandées sont
couvertes par le
209 Règlement (CE) n°1049/2001 du Parlement
européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l'accès du
public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la
Commission
210 article 6.4 de la directive n°2014/104
87
paragraphe 6, les autres parties de celles-ci, en fonction de la
catégorie dont elles relèvent, peuvent être produites.
A contrario des régimes exclusifs de production
de preuve, peut être ordonnée à tout moment la production
de preuves provenant du dossier d'une ANC, qui ne relèvent d'aucune des
catégories énumérées au sein de l'article 6 de la
directive.
92. Sanction. Toute preuve ainsi recueillie et
mobilisée devant une juridiction nationale sans
avoir respecté
ces conditions ne saurait être recevable (article 7). Quant aux
modalités des sanctions, le régime est identique à la
production de preuve comme expliqué supra (point 82).
§3) Clémence et transaction
93. Prime à la coopération.
Comme le soulevait il y a déjà plus de dix ans le Livre
Vert à
propos du public et private enforcement :
« une coordination optimale de ces deux
éléments est particulièrement importante pour la
coordination des demandes de clémence et des demandes
d'indemnisation. Les programmes de clémence et la
responsabilité civile contribuent, de par leurs effets, à la
réalisation du même objectif: dissuader plus efficacement les
entreprises de constituer des ententes. »
211
Trois ans plus tard, dans le Livre Blanc, la Commission donne
le même son de cloche et précise les modalités techniques
pour garder un programme de clémence attrayant :
« Il est important, pour l'application du droit de la
concurrence tant dans la sphère publique que dans la sphère
privée, de garantir l'attractivité des programmes de
clémence.
Il convient d'assurer une protection
adéquate aux déclarations effectuées par une entreprise
dans le cadre d'une demande de clémence contre la divulgation de ces
déclarations dans des actions privées en dommages et
intérêts, afin d'éviter de placer l'entreprise
à l'origine de cette demande dans une situation moins favorable que
celle des co-auteurs de l'infraction. Dans le cas contraire, la crainte de voir
ses aveux divulgués pourrait avoir une influence négative sur la
qualité des informations communiquées par l'entreprise demandant
à bénéficier des mesures de clémence, voire
même dissuader les auteurs d'infraction de solliciter de telles mesures
».
212
En outre, le « programme de clémence » est un
programme concernant l'application de l'article 101 du traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne ou d'une disposition correspondante
du droit national. En outre, un participant à une entente
secrète, indépendamment des autres entreprises participant
à l'entente, coopère avec l'autorité de concurrence dans
le cadre de son enquête en présentant spontanément des
éléments concernant sa connaissance de l'entente et le rôle
qu'il y joue,
211 Livre Vert, du 19 décembre 2005, page 10
212 Commission Européenne, Livre Blanc sur les actions
en dommages et intérêts pour infraction aux règles
communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avril
2008, COM(2008) 165 final. p. 11
88
en échange de quoi ce participant
bénéficie, en vertu d'une décision ou du fait de
l'arrêt de la procédure, d'une immunité d'amendes pour sa
participation à l'entente ou de la réduction de leur montant.
Cette crainte d'être dénoncé et cette prime à
divulguer l'infraction, n'est pas sans rappeler la « théorie des
jeux » qui s'intéresse à des situations où des «
joueurs » ou « agents » prennent des décisions, chacun
prenant en compte que les gains dépendent tant de sa propre
décision que de celle des autres « joueurs ». Plus
précisément, ici il conviendrait de parler de théorie des
jeux « non coopératifs » s'inscrivant dans une
modélisation des interactions stratégiques entre
différents joueurs qui ne cherchent pas à se coordonner, en
l'espèce cela correspondrait au bien connu modèle du «
dilemme du prisonnier ». En l'absence de coordination , il y a donc une
prime à la délation
213 214
ou à la coopération selon le point de vue, prime
plus ou moins grande selon l'apport fait à la procédure des
autorités de concurrence. Dès lors, les programmes de
clémence facilitent la détection des infractions aux
règles de la concurrence par les autorités compétente .
215
D'autre part, la coopération peut aussi se faire a
posteriori par le biais d'une « proposition de transaction». Qui
correspond en la présentation spontanée par une entreprise, ou en
son nom, à une autorité de concurrence d'une déclaration
reconnaissant sa participation à une infraction au droit de la
concurrence et sa responsabilité, ou renonçant à contester
une telle participation et la responsabilité qui en découle,
établie spécifiquement pour permettre à l'autorité
de concurrence d'appliquer une procédure simplifiée ou
accélérée de condamnation.
La question subséquente est notamment sa coordination
avec le droit à indemnisation des justiciables découlant de
l'arrêt Courage et aujourd'hui textuellement affirmé au
travers de la directive n°2014/104. Comment peut s'imbriquer l'objectif
d'encourager les parties à s'auto-incriminer et l'objectif d'indemniser
les préjudiciables du fait de pratique anticoncurrentielle ?
L'auto-incrimination étant a priori une situation de mise en
danger, de risque pour l'auteur s'il en découle une
responsabilité accrue au travers du private enforcement et pire
encore dans le cadre du recouvrement du préjudice globalisé par
une action de groupe ?
94. Arrêt Pfleiderer et Donau Chemie.
La question est prégnante surtout au travers de la
question de l'accès au dossier des autorités de
concurrence lors d'une action en follow-on qui en cas
d'auto-incrimination s'apparente plus à une exécution sommaire
qu'à un véritable procès.
Tout d'abord, avant la directive, la Cour de justice a reconnu
l'utilité et l'efficacité de la clémence dans son
arrêt Pfleiderer jugeant que les programmes de clémence
contribuent à l'application
216
effective des articles 101 et 102 du TFUE dès lors
qu'ils permettent de mettre fin à des violations des règles de la
concurrence. La juridiction européenne a porté un regard
bienveillant les programmes de clémence :
213 TUCKER, Albert W et KUHN, Harold W.(eds.) in Contributions
to the theory of games, Annals of Mathematical Studies, 1950
214 en l'absence de communication entre les deux joueurs,
chacun choisira de trahir l'autre si le jeu n'est joué qu'une fois.
Statistiquement la raison est que si l'un coopère et que l'autre trahit,
le coopérateur est fortement pénalisé.
215 MELIN, François in Les programmes de clémence
en droit de la concurrence, Paris, Joly, 2010 aux pp 29-34.
216 CJUE, arrêt du 14 juin 2011, Pfleiderer, aff. C-360/09,
AJDA 2011
89
« L'efficacité de ces programmes
pourrait, toutefois, être affectée par la communication des
documents relatifs à une procédure de clémence
aux personnes désirant intenter une action en dommages
et intérêts, même si les autorités nationales de
concurrence accordent au demandeur de clémence une exonération
totale ou partielle de l'amende qu'elles auraient pu imposer. »
Ainsi, la Cour relève de manière réaliste
:
« il paraît raisonnable de considérer
qu'une personne impliquée dans une violation du droit de la concurrence,
face à l'éventualité d'une telle communication,
serait dissuadée d'utiliser la possibilité offerte par de
tels programmes de clémence, notamment vu que les informations
volontairement fournies par cette personne peuvent faire l'objet
d'échanges entre la Commission et les autorités nationales de
concurrence ».
Ce qui s'explique plus juridiquement par une jurisprudence
classique en droit européen, qui reconnaît le droit d'une personne
à ne pas contribuer à sa propre incrimination . Toutefois, les
217
programmes de clémence ne protègent en rien
l'entreprise qui s'est auto-incriminée contre les actions en dommages et
intérêts des victimes ou concurrents du fait de sa participation
à une entente:
« Conformément à la pratique de la
Commission, le fait qu'une entreprise a coopéré avec elle pendant
la procédure administrative sera indiqué dans toute
décision, afin d'expliquer la raison de l'immunité d'amende ou la
réduction de son montant. Le fait qu'une entreprise
bénéficie d'une immunité d'amende ou d'une
réduction de son montant ne la protège pas des
conséquences en droit civil de sa participation à une infraction
à l'article 81 du traité CE218
».
Dès lors, la Cour constate à l'époque que
le droit de l'Union ne prévoit pas de règles communes quant au
droit d'accès aux documents relatifs à une procédure de
clémence volontairement communiqués à une autorité
nationale de concurrence, en application d'un programme national de
clémence. Il appartient donc aux Etats membres d'établir et
d'appliquer les règles nationales quant à ce droit
d'accès. Plus particulièrement, il appartient aux juridictions de
ces Etats membres de déterminer, sur la base de leur droit national, les
conditions dans lesquelles un tel accès doit être autorisé
ou refusé en respectant un certain équilibre entre les
intérêts en présence :
« [É] il est nécessaire de veiller
à ce que les règles nationales applicables ne soient pas moins
favorables que celles qui concernent les réclamations semblables de
nature interne et ne soient pas aménagées de
manière à rendre en pratique impossible ou excessivement
difficile l'obtention d'une telle réparation (voir, en ce sens,
arrêt Courage et Crehan, précité, point 29) et de
mettre en balance les intérêts justifiant la communication des
informations et la protection de celles-ci fournies volontairement par
le demandeur de clémence. »
217 CJCE , arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe c/
Commission, aff. C-155/79
218 Communication de la Commission sur l'immunité
d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur
des ententes (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE),
(2006/C 298/11), point 39
90
Deux ans plus tard, dans l'arrêt Donau Chemie, la Cour de
justice applique son raisonnement mais cette fois-ci de manière positive
:
« Le droit de l'Union, en particulier le principe
d'effectivité, s'oppose à une disposition du droit
national en vertu de laquelle l'accès aux documents figurant dans le
dossier afférent à une procédure nationale
relative à l'application de l'article 101 TFUE, y compris aux
documents communiqués dans le cadre d'un programme de clémence,
de tiers n'étant pas parties à cette procédure et
envisageant d'engager des recours en dommages et intérêts à
l'encontre de participants à une entente est subordonné
au seul consentement de toutes les parties à ladite procédure,
sans qu'aucune possibilité d'effectuer une mise en balance des
intérêts en présence soit laissée aux juridictions
nationales219 ».
Apparaît que la Cour de justice reste dans
l'incapacité de proposer un régime procédural
harmonisé pour les ANC et le Commission Staff Working Document
a conscience de ce problème et pointe :
219 CJUE, arrêt du 6 Juin 2013, C-536/11 Donau Chemie
95. Droit prospectif et uniformisation du
régime. Dans le Livre Vert , le législateur avait
224
même été jusqu'à envisager de
limiter la responsabilité civile des entreprises qui ont permis de
déceler le comportement anticoncurrentiel grâce à leur
collaboration. Finalement, le législateur n'est pas allé aussi
loin. En outre, la directive vient remplir le vide juridique et prévoit
un régime juridique spécifique au travers de l'article 6 :
« [É] persisting risk of diverging or
inconsistent court practice between different Member
States or even within the same Member State with regard to
disclosability of leniency related documents from the file of competition
authorities [É] whereas in Germany the first instance court
protected in Pfleiderer all leniency documents from disclosure , the
Düsseldorf Appeal Court , in a different case, was not ready to
protect
220 221
the information contained in leniency documents
[É] In the UK, the High Court222 in the
National Grid case found that partial disclosure of certain documents (such as
a reply to the Statement of Objections and replies to Requests for Information)
is justified and some parts of the confidential versions of the Commission
decision are to be disclosed, whereas documents specifically prepared for the
purpose of the Commission's leniency programme should not be
disclosed223 ».
220Amtsgericht Bonn (Local Court Bonn), decision of
18-January-2012, case No 51 Gs 53/09 (Pfleiderer).
221 Oberlandesgericht Düsseldorf (Düsseldorf Appeal
Court), decision of 22 August 2012, case No B-4 Kart 5/11 (OWi)
222 High Court of Justice (UK first instance court), judgment of
04 April 2012, case No HC08C03243
223 Commission Staff Working Document Impact Assessment Report
: Damages actions for breach of the EU antitrust rules, Accompanying the
proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on
certain rules governing actions for damages under national law for
infringements of the competition law provisions of the Member States and of the
European Union (Text with EEA relevance), p. 14
224 Livre Vert, préc., pt 2.8. p.10
91
« 6. Les États membres veillent à ce
que, pour les besoins d'une action en dommages et intérêts, les
juridictions nationales ne puissent à aucun moment enjoindre
à une partie ou à un tiers de produire les preuves relevant des
catégories suivantes:
a) les déclarations effectuées en vue
d'obtenir la clémence; et
b) les propositions de transaction.
7. Un demandeur peut présenter une demande
motivée visant à ce qu'une juridiction nationale accède
aux éléments de preuve visés au paragraphe 6, point a) ou
b), aux seules fins de s'assurer que leur contenu correspond aux
définitions données à l'article 2, points 16) et 18). Lors
de cette évaluation, les juridictions nationales ne peuvent demander
l'aide que de l'autorité de concurrence compétente. Les auteurs
des éléments de preuve en question peuvent également
être entendus. La juridiction nationale ne peut en aucun cas autoriser
l'accès à ces éléments de preuve à d'autres
parties ou à des tiers. »
Ainsi, la directive assure une protection maximale tant en
procédure de transaction que de clémence. Une porte reste
néanmoins ouverte au paragraphe 7 qui prévoit un contrôle
par l'autorité judiciaire de la réalité du rattachement
des documents « attribués » aux procédures de
clémence et de transaction. Pour terminer, la directive prévoit
une sanction effective, proportionnée et dissuasive en droit interne en
cas de violation des restrictions prévues pour l'utilisation des preuves
(article 8 de la directive).
92
96. Conclusion. La mise une place de la
directive 2014/104 est le résultat du « paquet private
enforcement » et d'un changement de paradigme par rapport
au proposition précédente avec la recherche d'une coordination
entre contentieux objectif et subjectif.
Malgré le mutisme du législateur, le texte a
vocation à régir les actions collectives, outil indispensable
au private enforcement au-delà du contentieux indemnitaire
entre concurrents.
Par conséquent, par-delà le texte brut, en
filigrane apparaît peut être une pierre posée dans la
construction du régime des actions collectives (malgré
l'échec relatif de la recommandation sur les recours collectifs). En
tout état de cause, le renforcement des modalités d'action du
contentieux subjectif est utile car il uniformise le droit applicable pour
permettre une égalité de traitement nécessaire. Traitement
égal tant sur la prescription (section 1§1), que le régime
de la responsabilité (section 1§2) ou encore sur la production de
preuve (section 1§3).
Ainsi, le droit européen tisse un régime
européen propre et cherche à échapper aux critiques qu'a
pu recevoir le modèle américain de private enforcement
(section 1§3). En outre, il répond de manière utile à
des enjeux pratiques et procéduraux majeurs, notamment par la mise en
place d'injonction à produire des preuves (section 1§3 et section
2§2) ou encore sur l'autorité des décisions de concurrence
(section 2§1). Tant de questions à harmoniser pour éviter
que les opérateurs profitent d'un forum shopping, mais surtout
propice à limiter les inégalités de traitements entre
opérateurs. Renforcement de la sécurité juridique aussi,
par le biais d'éclaircissements (section 2§3) concernant le droit
à obtenir une réparation intégrale du contentieux
subjectif vis-à-vis de la clémence et la transaction (propre au
contentieux objectif).
Enfin, la consécration de la cession de créance
avec le droit d'agir peut a priori être un instrument commode
pour le private enforcement (à défaut d'action
collective), il n'en reste pas moins qu'à défaut de
législation sur le sujet, cette cession peut devenir un outil dangereux
si ce n'est nocif (section 1§4).
93
Chapitre 2 - Obstacles pratiques à
l'efficacité des actions collectives
97. Pierres d'achoppement.
L'efficacité du duo private-public enforcement comme
présenté
dans la directive pourrait connaître quelques
contretemps. En effet, malgré les propositions, recommandations,
études d'impact, consultation publique sur le sujet des recours
collectif (comprenant notamment les actions collectives) aucun texte normatif
contraignant n'a réussi à sortir des institutions
européennes. Tout au plus, la montagne a accouché d'une souris,
la directive sur le private enforcement abordant de manière
indirecte le sujet. Pourtant, l'action collective face au préjudice de
masse créé par les atteintes à la concurrence dans la
société de consommation est un outil centralisateur utile.
Malgré le caractère épars des régimes
européens, apparaît tout de même des questions sur ses
modalités d'actions qui pourraient être des difficultés
factuelles à son efficacité.
D'un point de vue économique, il faut s'interroger sur
l'intérêt pour l'entreprise à être contrevenante au
droit de la concurrence, questionnement sur la « faute lucrative »
malgré le renforcement prospectif offert par la directive
n°2014/104 (Section 1). Enfin se pose la question, au
travers même de la directive, de la mise en jeu responsabilité des
entreprises tant au travers des difficultés liés au financement
des actions à leur encontre, que des conditions de mise en jeu de leur
responsabilité au travers de la question du surcoût
(Section 2).
Section 1 - Une prime économique à la
faute toujours présente
98. Modalité d'action et comportement passif
du consommateur. Se profile des
barrières
intrinsèques à l'efficience du private
enforcement qu'il faudra en outre regarder par le filtre de l'action
collective. Les obstacles sont psychologiques en ce qu'ils touchent à la
nature même du comportement des acteurs économiques à
l'action individuelle et interroge les modalités techniques à
mettre en place (1). Comportements des acteurs économiques qui
apparaissent pour les entreprises comme autant de facteur à prendre en
compte dans leur analyse du risque. Ce risque prend place dans un univers
capitaliste au-delà de l'aspect immoral à enfreindre la loi, dans
une analyse coût-avantage. La question est donc de l'analyse
économique du risque pour savoir si la faute peut devenir lucrative pour
l'entreprise contrevenante (2).
§1) Apathie rationnelle de la victime et
opt-in
99. Bilan claudicant. Alors que les
associations de consommateurs avaient déjà montré
leur
satisfaction au moment du Livre Blanc en constatant que les
consommateurs étaient enfin « les vrais
bénéficiaires de la politique communautaire de concurrence
». Apparaît néanmoins que, si
225
les consommateurs restent des bénéficiaires de
la politique européenne sur le sujet, il se pourrait que cet
enthousiasme passé ne soit plus autant partagé à l'heure
actuelle. En effet, le Livre Blanc de
225 Bureau européen des unions des consommateurs, BEUC
94
2008 peignait un tableau édifiant, auquel il proposait,
en outre, comme solution le recours aux actions de groupe (point 2.1, page 4)
:
« Les consommateurs individuels, mais aussi les
petites entreprises, en particulier celles qui ont subi de manière
sporadique des dommages de faible valeur, sont souvent dissuadés
d'engager des actions individuelles en dommages et intérêts en
raison des coûts, des délais, des incertitudes, des risques et des
contraintes que cela suppose. Il en résulte qu'à l'heure
actuelle, nombreuses sont les victimes qui ne sont pas indemnisées. Dans
les rares cas où une multitude d'actions individuelles sont
engagées pour une même infraction, il en résulte des
inefficacités procédurales, que ce soit pour les
requérants, pour les défendeurs ou pour le système
judiciaire lui-même.226 »
Par conséquent, le recours à l'action collective
se présentait comme la solution adéquate pour permettre aux
victimes au préjudice moindre d'agir en justice. Néanmoins, aucun
texte à l'heure actuelle tant en droit positif que prospectif ne
consacre pas un cadre uniformisé et liant en ce qui concerne les actions
collectives.
100. Risque contraventionnel. Peu importe,
le risque reste pour l'entreprise d'un recours collectif au travers des droits
internes (ou encore par le truchement de la cession de créance, qui elle
a été autorisée par la directive). La diversité des
régimes des droits des Etats membres et la forum shopping
possible font que le risque peut être grand. Risque concret de
remboursement du consommateur qui peut être montré au travers de
l'exemple du « dieselgate » (en droit de la consommation
essentiellement). En outre, la fraude Volkswagen sur la capacité
polluante de ses véhicules a donné lieu à un accord
transactionnel du l'autre côté de l'Atlantique. Celui-ci a
été soumis à l'homologation du juge californien Charles R.
Breyer et a été négocié entre les avocats des
victimes et de Volkswagen (il a été rendu public le 28 juin
2016). Cet accord transactionnel fait peser un coût total de 14,7
milliards de dollars sur l'entreprise allemande. En tout, 10.033 milliards de
dollars seront destinés aux diverses indemnisations, et 4,7 milliards
à la protection de l'environnement. Mais au-delà des chiffres,
cet accord servira avant-tout de référence aux class-actions
européennes qui s'organiseront contre le constructeur. Ainsi, le «
risque contraventionnel » explique pour partie la soumission des acteurs
aux règles édictées par le législateur. Mais
au-delà des règles reste la réalité du comportement
effectif des victimes, car la loi n'existe factuellement que par l'exercice des
droits, devoirs et prérogatives qu'elle ordonne.
101. Apathie du consommateur. Il faut donc
se pencher sur les facteurs de ce qui est qualifié d'apathie rationnelle
du consommateur. En outre, l'apathie désigne un état de fatigue
et de mollesse, accompagné d'une indifférence ou d'une absence
d'émotions et de désirs. Cet état est ici rationnel en ce
qu'il s'explique par un choix conforme à une logique. Logique apathique
du fait de ce qu'il convient de qualifier d'obstacles objectifs. Sans pouvoir
donner une liste exhaustive, plusieurs facteurs vont empêcher la victime
d'aller en justice que ce soit le consommateur ou l'entreprise.
226 Livre Vert, préc., pt 2.1. p. 4
95
En outre, essentiellement le « préjudice
sporadique » que la victime subit en ce qui concerne le surcoût
payé . Mais aussi, comme le pointe Pierre-Claude Lafond : les frais de
justice avec la
227 228
question des dépens, les honoraires des avocats, les
coûts des expertises qui sont plus que nécessaire en droit
économique, les déboursés, les coûts indirects
(pertes de salaires subies avec les frais de transport, d'hébergement,
de repas, temps préparé à la préparation de la
cause), la lenteur de la justice.
Existe aussi une barrière psychologique s'incarnant
dans la peur du litige , le caractère intimidant
229
de la justice, l'anxiété, l'angoisse du
prétoire. D'autres critères plus implicites apparaissent
derrière ce simple obstacle pointe le professeur Lafond, comme le
langage, l'insuffisance d'information, le déséquilibre des forces
en présence par le fait que les entreprises puissent être
habituées aux contentieux (théorie des « repeat player
») ou encore l'absence de propension au litige des
230
victimes. Autant d'obstacles qui expliquent l'inaction de la
victime dans le contentieux subjectif en droit de la concurrence, en sus de
ceux-ci le contentieux concurrentiel à ses barrières propres,
comme pointé dans le Commission Staff Working Document à
propos des actions en dommages et intérêts (page 18) :
« 45. [É] the fact that antitrust
cases, by nature, often require an unusually high level of very costly
factual and economic analysis and present specific difficulties for claimants
regarding access to crucial pieces of evidence that are often kept
secret in the hands of the defendants, deter many victims from bringing actions
as they consider the risk/reward balance to be negative23
1 »
Ainsi, apparaît le bilan nécessaire d'une apathie
rationnelle de la victime à moins que le préjudice subi
(dépassant ainsi un certain seuil pécuniaire) soit tel qu'il
contrebalance tous les effets susmentionnés justifiant l'inaction de la
victime. Cette inaction est un gain pour l'entreprise, en effet, à
défaut d'action, il n'y a pas de sortie du patrimoine de l'entreprise
contrevenante du surcoût engendré pour la victime.
102. Opt-in et inaction. Question
lancinante pour le législateur tant interne qu'européen, les
modalités procédurales d'agrégation des victimes sont en
lien direct avec l'effectivité des actions
227 Un exemple classique est celui d'un cartel de prix qui
suscite un préjudice de masse comme dans l'affaire de la
téléphonie mobile à la suite de l'action de l'association
UFC Que Choisir. Alors qu'il y avait en France plus de vingt millions de
détenteurs de téléphone portable, seulement 0,08 % des
victimes avaient agi.
228 LAFOND, Pierre-Claude in Le recours collectif comme voie
d'accès à la justice pour les consommateurs, thèse
soutenue le 5 mai 1995, Université de Montpellier I, p. 286 et s.
229 MOULTON, Beatrice in The Persecution and Intimidation of
the Low-Income Litigant as Performed by the Small Claims Court in California,
21 Stan. L. Review 1657
230 GALANTER, Marc in Why the «Haves» Come out
Ahead: Speculations on the Limits of Legal Change, 9 L. & SOC'Y REV. 95,
124 (1994).
231 Voir : the external Impact Study of 21 December 2007,
'Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and
potential scenarios' ('the Impact Study', disponible à :
http://ec.europa.eu/comm/competition/
antitrust/actionsdamages/files_white_paper/impact_study.pdf)
96
collectives de droit interne. Comme il a été vu
supra le système de l'opt-out, c'est-à-dire
l'option d'exclusion, est le mécanisme par lequel l'ensemble des membres
d'un groupe défini par un juge sur des critères objectifs sont
considérés comme partie à l'instance tant qu'ils ne se
sont pas manifestés pour se retirer de l'instance dans une
période prédéterminée. C'est la différence
essentielle à l'opt-in, qui lui demande le consentement
exprès des personnes représentées à l'action. Au
travers des divers textes et débats, apparaît que le Parlement
européen et la Commission européenne pensent que le
mécanisme opt-in (choisi par la majorité des Etats
membres232) est l'outil procédural le plus adéquat aux
actions collectives en ce qu'il permet d'éviter les actions abusives,
mais aussi d'être en accord avec de nombreuses constitutions
européennes qui interdisent les
233
actions collectives pour le compte de victimes inconnues .
234
Ainsi, il n'est pas étonnant dans la recommandation sur
les recours collectifs du 11 juin 2013 que le principe de constitution
s'effectue selon le principe du consentement exprès (point 21) :
« Il convient que la partie demanderesse se constitue
en tant que telle sur la base du consentement exprès des
personnes physiques ou morales qui prétendent avoir subi un
préjudice (Ç opt-in »). Toute exception à ce
principe, édictée par la loi ou ordonnée par une
juridiction, devrait être dûment justifiée par des motifs
tenant à la bonne administration de la justice. »
Le problème est que malgré le recours à
l'action collective, la stratégie du recours au consentement
exprès a ses limites. Limites plurielles qui prennent pied dans les
facteurs d'apathie du consommateur. Apathie certes affaiblie par les
facilités qu'offre l'action collective mais qui reste, du fait de
l'inaction du consommateur dans certaines hypothèses où le
bénéfice qu'il pourrait tirer de son consentement reste minime
(quelques euros par exemple). Sans oublier a posteriori le
problème probatoire des victimes à prouver leur propre
préjudice par le biais notamment d'une facture ou d'un ticket de caisse
(souvent jetés s'il n'y a pas un courant d'affaire entre les parties).
De plus, l'information du consommateur est une conséquence
inévitable du choix de l'opt-in, pas de consentement sans
proposition préalable. La recommandation suscitée prévoit
une telle information aux points 10 et 11 tout en cherchant à la
concilier avec le respect de certains droits garantis:
« 10. Les États membres devraient veiller
à ce qu'il soit possible, pour l'entité représentative ou
pour le groupe de demandeurs, de diffuser des informations sur une
violation alléguée de droits conférés par le droit
de l'Union et leur intention d'en
232 comme vu supra (dans la partie 1, titre 1,
chapitre 2, section 1) sauf notamment le Portugal ou l'Angleterre (qui a un
régime mixte).
233 à ce sujet une décision intéressante
du Conseil constitutionnel français (décision du 25 juillet 1989,
n° 89-257 DC, considérant 24) : « Considérant ainsi
que, s'il est loisible au législateur de permettre à des
organisations syndicales représentatives d'introduire une action en
justice à l'effet non seulement d'intervenir spontanément dans la
défense d'un salarié mais aussi de promouvoir à travers un
cas individuel, une action collective, c'est à la condition que
l'intéressé ait été mis à même de
donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il puisse
conserver la liberté de conduire personnellement la défense de
ses intérêts et de mettre un terme à cette action ;
»
234 aussi au regard du principe de l'égalité des
armes découlant du droit au procès équitable prévu
par la Convention européenne des droits de l'homme : rupture
d'égalité par le fait que le défendeur ne connaîtra
pas tous les demandeurs, alors que le représentant de l'action
collective connaîtra en tout état de cause le défendeur
97
demander la cessation, ou sur un cas de préjudice
de masse et leur intention d'engager une action en dommages et
intérêts sous la forme d'un recours collectif. L'entité
représentative, l'entité agréée au cas par cas,
l'autorité publique ou le groupe de demandeurs devraient jouir des
mêmes possibilités d'information en ce qui concerne les actions en
réparation pendantes.
11. Les méthodes de diffusion de l'information
devraient prendre en considération les circonstances propres au
préjudice de masse en cause, la liberté d'expression, le droit
à l'information et le droit à la protection de la
réputation ou de la valeur d'entreprise de la partie
défenderesse avant que sa responsabilité pour la violation ou le
préjudice
allégués ne soit établie par un jugement
définitif. »
Malgré l'information, il faut un acte positif du
consommateur ce qui sous-entend une « culture de la concurrence
». Se dévoile ainsi le constat que les freins à une
application optimale du private
235
enforcement par le biais de l'opt-in puisse
l'emporter du fait d'une apathie persistante du consommateur. Ainsi, le risque
que le préjudice économique ne soit pas intégralement
réparé reste élevé.
§2) Modèle contrefactuel et faute
lucrative
103. Apathie et faute lucrative. Le rapport
entre faute lucrative au droit de la concurrence et apathie du consommateur est
simple, si le consommateur n'agit pas il se pourrait bien que la faute
malgré le public enforcement reste bénéfique
économiquement. Car selon l'économiste Gary Becker, tout
contrevenant potentiel fait une analyse coût-bénéfice pour
ses actions prenant en compte non seulement le coût des sanctions mais
aussi la possibilité d'être découvert . À partir
de
236
ce constat, Vincent Rebeyrol relève le concept de faute
lucrative qui consiste :
« pour un acteur économique, à
méconnaître sciemment la règle de droit en faisant le
calcul qu'il en retirera un profit supérieur à celui qu'il
dégagerait en appliquant cette règle (par ex., en
méconnaissant des obligations contractuelles dont la violation n'a
qu'une implication financière très faible pour chaque
consommateur, lequel n'exercera aucune action, dissuadé par la lourdeur,
la longueur et le coût d'une procédure solitaire, alors que, pour
l'industriel, les profits cumulés seront colossaux) » .
237
Dès lors, la faute lucrative est
présentée par le professeur Geneviève Viney comme une
catégorie de « faute délibérée »
qui « exige une motivation spéciale238 »,
il s'agit en effet d'une faute, d'une défaillance
délibérée qui permet un profit (lucre). Se pose dès
lors, la question du calcul du coût pour l'entreprise qui va prendre
place : au travers de l'amende du public enforcement et de
l'indemnisation à verser aux victimes (private enforcement).
235 voir sur le sujet LASSERRE, Bruno in La culture de la
concurrence : La démonstration par la preuve, disponible en ligne :
http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/aquoi_sert_concurrence.pdf
236 BECKER, Gary in Crime and Punishment : An Economic
Approach, 1968, 76 Journal of Political Economy 169 pp 180-85.
237 REBEYROL, Vincent in La nouvelle action de groupe, D.
2014.
238 VINEY, Geneviève in De la responsabilité
civile, article 1340 à 1386, exposé des motifs. Avant-projet de
réforme du droit des obligations et de la prescription, préc., p.
148.
98
Ce sont généralement les tribunaux nationaux qui
statuent sur les actions en réparation intentées au civil. Dans
la mesure où il n'existe aucune réglementation de l'Union en la
matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque
État membre de définir des règles précises
concernant l'exercice du droit à réparation garanti. L'analyse
contrefactuelle (but-for analysis) permet d'établir ce
préjudice avec des critères objectifs et une analyse
économétrique donnant une certaine sécurité
juridique et une valeur probante devant les tribunaux aux allégations
des parties.
104. Modèle contrefactuel. Dès
lors, le calcul de la sanction et de la réparation doivent être
objectivés par la construction des scénarios contrefactuels
(counterfactual scenario), à savoir une reconstruction
hypothétique de l'état du marché si les pratiques
anticoncurrentielles n'avaient pas eu lieu (malgré l'incapacité
à arriver à un niveau de précision proche de la
certitude239) ; au demeurant reste aussi la possible comparaison de
l'évolution des prix sur des marchés non-affectés par une
infraction, similaires au marché pertinent affecté
(géographiquement et au regard de la substituabilité du produit).
Quoiqu'il en soit, il convient alors d'appréhender la différence
de prix entre le marché étalon et le marché
considéré, la différence étant alors imputable
à la pratique anticoncurrentielle. Du côté de l'entreprise
contrevenante, ce scénario est intéressant car il permet de
connaître l'intérêt qu'il a à enfreindre la loi et
profiter d'une faute lucrative. En outre, le comportement d'un agent
économique procède d'un arbitrage rationnel entre gain lié
à l'infraction et montant de la sanction. Si l'amende est égale
au gain, elle est confiscatoire. Dans cette hypothèse, il est rationnel
de commettre l'infraction, la faute pouvant être lucrative.
Lorsque l'amende est supérieure, elle est punitive ou
dissuasive, l'opérateur n'a pas intérêt à commettre
l'infraction. La question est donc la probabilité d'être
sanctionné (qui correspond aux probabilités d'être
découvert et condamné). Face à ce constat de possible
faute lucrative des entreprises se pose la question du calcul de l'amende. Or,
une communication sur la question de
240
la quantification du préjudice et un guide pratique (au
caractère « purement informatif ») ont
été
241
publiés par les autorités européennes en
2013. Tout d'abord, le guide pratique (au paragraphe 17) relève que la
quantification du préjudice dans les affaires de concurrence est, par
nature, soumise à :
« d'importantes limites quant au degré de
certitude et de précision que l'on peut en attendre. Il ne peut
être question de déterminer une seule « vraie » valeur
du préjudice subi, mais uniquement de produire des estimations les plus
précises possibles sur la base d'hypothèses et d'estimations
».
239 Rapport Oxera et al., Quantifying antitrust damages.
Towards non-binding guidance for courts Study prepared for the European
Commission, December 2009, Luxembourg, Publications Office of the European
Union, 2010 (dirigé par Assimakis Komninos)
240 Communication de la commission relative à la
quantification du préjudice dans les actions en dommages et
intérêts fondées sur des infractions à l'article 101
ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
(Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) 2013/C 167/07
241
http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/quantification_guide_fr.pdf
99
Néanmoins, dans le cadre du private
enforcement l'analyse du préjudice subi par le consommateur au
travers du surcoût payé lors de l'opération d'achat par
exemple peut être difficile d'autant plus qu'il n'y a pas une
harmonisation procédurale européenne sur ce point.
Cette apathie du consommateur conjuguée à la
difficulté d'établir le préjudice interroge sur
l'efficacité du private enforcement sachant que celui à
vocation uniquement à la réparation intégrale du
préjudice, en effet, la directive limite le montant à payer pour
l'entreprise contrevenante :
« La réparation intégrale du
préjudice consiste à replacer une personne ayant subi un tel
préjudice dans la situation où elle aurait été si
l'infraction au droit de la concurrence n'avait pas été commise.
Elle couvre dès lors le droit à une réparation du dommage
réel et du manque à gagner, ainsi que le paiement
d'intérêts. [É] La réparation intégrale au
sens de la présente directive n'entraîne pas de
réparation excessive, que ce soit au moyen de dommages et
intérêts punitifs ou multiples ou d'autres types de dommages et
intérêts. »
Ce paradigme de réparation intégrale est une
limite à l'efficacité du private enforcement car il faut
sanctionner et réparer pleinement le dommage pour rendre les infractions
non rentables. L'action collective a ici un rôle à jouer. En
outre, l'action collective abaisse le seuil où il devient profitable
d'agir en justice, elle permet la quiétude relative du consommateur qui
n'a pas à prendre en charge la gestion de l'affaire. Mais aussi, il y a
un changement de rapport de force avec l'amélioration la situation de la
victime par rapport à la question de l'inégalité de
représentation en justice (du fait des enjeux supérieurs pour
l'entreprise contrevenante). C'est aussi ici que la question de l'opt-in
ou de l'opt-out est essentielle car selon le modèle choisi
le risque de paiement pour l'entreprise est plus important. Il semble que le
mécanisme de l'opt-out bénéficie de plusieurs
avantages. Tout d'abord et non des moindres, son fort effet dissuasif, car il
contraint l'opérateur économique à indemniser toutes les
personnes ayant subi un dommage en lien avec sa pratique anticoncurrentielle.
Par ailleurs, le mécanisme opt-out évite les
difficultés de gestion pour le demandeur et pour le tribunal en
garantissant, comme le relève le Comité économique et
social européen, un réel accès des
intéressés à la justice ainsi qu'une réparation
juste et effective .
242
Dès lors, le problème de l'apathie rationnelle
disparaît permettant de limiter le caractère lucratif de la faute,
mais cela n'est pas pour le moment le choix politique du législateur
européen qui penchent vers un plus grand respect du principe du
consentement que de l'efficacité du contentieux subjectif. Le bilan
contemporain est qu'à défaut d'une capacité à
créer un système punitif ou dissuasif : « cartel
recidivism is still inevitable because cartelization is a crime that pays
».
243
105. Treble damages. Une porte de
sortie existe face au refus des autorités européennes d'un
système de représentation fondé sur l'opt-out.
C'est les treble damages. Exemple tiré du
système
242 CE, Avis du Comité économique et social
européen sur la « Définition du rôle et du
régime des actions de groupe dans le domaine du droit communautaire de
la consommation », [2008] JO, C 162/01 à la p 11, para 6.5 [Avis du
Comité économique et social]. p 14.
243 CONNOR, John M. in The Great Global Vitamins Conspiracy :
Sanctions and Deterrence, 2006
100
américain selon lequel la victime peut obtenir des
dommages et intérêts triples (treble damages)
244
qui correspondent au triple du montant du préjudice
subi (ce qui est punitif). La règle répond ainsi au double
objectif du droit de la concurrence américain : réparer le
préjudice de la victime et dissuader les potentiels auteurs de pratiques
anticoncurrentielles. Des réticences restent au sein de l'Europe
à admettre de tels dommages qui sont contraires aux principes de
réparation intégrale du préjudice (ni plus, ni moins). Le
document de travail des services de la Commission (« Renforcer la
cohérence de l'approche européenne en matière de recours
collectifs ») remarque que :
« De nombreuses parties prenantes ont exprimé
le souhait d'éviter certains abus qui ont été
constatés aux États-Unis avec le système des «class
actions» (actions de groupe). À cause de ses fortes incitations
économiques, ce système encourage en effet les parties à
saisir la justice même si le recours n'est pas nécessairement bien
fondé. Ces incitations sont le fruit d'une combinaison de facteurs,
notamment l'existence de dommages-intérêts punitifs
».
245
Certains parlent même de transformation néfaste
du système judiciaire. Les personnes privées devenant d'une
certaine manière des « procureurs privés », la victime
se substituant à l'autorité publique pour réguler l'ordre
public économique , devenant ainsi un auxiliaire de la justice en vue de
réprimer les agissements illicites des opérateurs sur le
marché. Enfin, il faut noter que si l'action fondée sur
l'opt-out assurerait un effet plus dissuasif sur les entreprises
contrevenantes, ce modèle d'action ne répond pas à la
question de la redistribution de l'indemnisation reçue.
106. Amende civile. A priori
malgré le principe de réparation intégrale,
l'avant-projet français de réforme de la responsabilité
civile souhaite instituer une amende civile (forme de dommages et
intérêts punitifs) à l'article 1266 :
« Lorsque l'auteur du dommage a
délibérément commis une faute lourde, notamment lorsque
celle-ci a généré un gain ou une économie pour son
auteur, le juge peut le condamner, par une décision spécialement
motivée, au paiement d'une amende civile. Cette amende est
proportionnée à la gravité de la faute commise, aux
facultés contributives de l'auteur ou aux profits qu'il en aura
retirés.
L'amende ne peut être supérieure à 2
millions d'euros. Toutefois, elle peut atteindre le décuple du montant
du profit ou de l'économie réalisés.
Si le responsable est une personne morale, l'amende peut
être portée à 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial
hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des
exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel
la faute a été commise.
Cette amende est affectée au financement d'un fonds
d'indemnisation en lien avec la nature du dommage subi ou, à
défaut, au Trésor public. ».
246
244 section 4 du Clayton Act :« Any person who shall
be injured in his business or property by reason of anything forbidden in the
antitrust laws may sue [É] and shall recover threefold the
damages by him sustained, and the cost of suit, including a reasonable
attorney's fee ».
245 Document de travail des services de la Commission :
consultation publique : Renforcer la cohérence de l'approche
européenne en matière de recours collectifs, Bruxelles, 4
février 2011 SEC(2011) 173 final, point 21, p. 11
246 Avant-Projet de loi sur la réforme de la
responsabilité civile, lancement de la consultation sur l'avant-projet
de loi par le garde des Sceaux, le vendredi 29 avril 2016, Direction des
Affaires Civiles et du Sceau
247 Document de travail des services de la Commission,
sus-cité, point 27, page 11
101
Néanmoins, cette innovation d'une fonction punitive
officielle cherchant à dissuader des comportements grave avec une forme
de rattachement de la « faute lourde » à la faute lucrative,
ne semble pas heurter le principe édicté par la directive
n°2014/104, celle-ci édictant que :
« La réparation intégrale au sens de la
présente directive n'entraîne pas de réparation
excessive, que ce soit au moyen de dommages et intérêts
punitifs ou multiples ou d'autres types de dommages et intérêts.
»
Le critère serait donc le caractère excessif de
la réparation qui pourrait se concilier avec l'amende civile telle que
définie dans le projet qui pose des plafonds à l'amende. Mais
surtout, il ne s'agira pas de donner le triple du dommage créé
aux victimes mais d'affecter l'amende à un fonds d'indemnisation
(rappelant les Cy pres fund de droit américain) ce qui n'est
pas contraire au principe de réparation intégrale des victimes,
qui percevront tout le préjudice, rien que le préjudice. Ce
mécanisme pourrait donc être un moyen de sanctionner des
opérateurs contrevenants et ainsi de dépasser le caractère
uniquement confiscatoire du concept de réparation intégrale du
préjudice (tel que dégagé dans la directive), rendant au
regard du private enforcement la sanction punitive.
Section 2 - Une mise en jeu de la responsabilité
ardue
107. Un chemin semé d'embûches.
Pour obtenir réparation de son préjudice, la route que
doit suivre la victime s'apparente parfois à un long chemin de croix
tant des embûches peuvent se présenter à elle. Dès
le début de l'instance avec la question du financement de l'action
collective (§1) mais aussi, lors même du contentieux avec la
question de la quantification du préjudice et du surcoût
(§2).
109. Manque de moyens. Le constat est que
les consommateurs et les PME peuvent ne pas avoir les moyens de se permettre un
contentieux concurrentiel qui par sa complexité à un coût
dissuasif et à défaut de pouvoir se payer un procès, le
préjudice reste dans les mains de l'entreprise contrevenante. La
Commission le dit de ses propres mots :
« Les citoyens et les entreprises, en
particulier les PME, ne devraient pas être privés de
l'accès à la justice, faute de ressources financières
suffisantes. Il conviendrait, dès lors, d'examiner
dans quelle mesure il existe des mécanismes de financement
appropriés aux fins des recours collectifs. Les
mécanismes de financement des recours collectifs devraient permettre de
financer les recours fondés, sans encourager l'introduction de
recours non fondés247. »
§1) Financement des actions collectives
102
109. Financement par un tiers. Face à
ce problème de moyens, la question du financement s'est posée.
Phénomène récent de développement du financement du
procès par un tiers qui date des années 1980 avec notamment
l'Australie (finalement consacré par la Cour suprême d'Australie
en 2006 ). Ce phénomène s'est ensuite étendu à
l'Angleterre, aux Etats-Unis mais aussi à la
248
France .
249
David Bosco pointe qu'en ce qui concerne le financement
plusieurs modes alternatifs sont envisageables :
La cession de créance comme moyen d'action au
procès ne sera pas abordée, celle-ci ayant fait lieu de
développement antérieur (il faudra juste relever que la cession
ne fait que décaler le problème du financement du cédant
vers le cessionnaire). A défaut d'un cadre européen normatif sur
le sujet, la recommandation sur les recours collectifs s'est
intéressée de manière approfondie au problème et
pose quelques limites à celui-ci, dont notamment un contrôle
dès l'introduction de l'instance de la légalité du
financement :
En effet, en matière de recours collectif, les
coûts habituellement supportés par les parties engagées
dans un contentieux civil pourraient être relativement
élevés, notamment lorsque les demandeurs sont nombreux.
« Le premier consiste à avoir recours au
système de l'assurance. Un autre consiste à convenir avec un
avocat qu'il supportera la charge des frais de justice, quitte à
partager ensuite le bénéfice obtenu en cas de
succès.Enfin, dans le dernier modèle qui fait l'objet de cette
contribution, c'est un tiers qui finance le procès directement.
L'expression third party founding s'est imposée dans le langage
juridique.250 »
« 14. La partie demanderesse devrait
être invitée à indiquer, dès l'ouverture de
la procédure, à la juridiction saisie l'origine des fonds
qu'elle compte utiliser pour financer l'action en justice.
15. La juridiction saisie devrait être
autorisée à surseoir à statuer si, en cas d'utilisation de
ressources financières fournies par une tierce partie,
a) il existe un conflit d'intérêts
entre la tierce partie et la partie demanderesse et ses
membres;
b) la tierce partie ne dispose pas des ressources
suffisantes pour satisfaire à ses engagements financiers
vis-à-vis de la partie demanderesse à la procédure de
recours collectif;
c) la partie demanderesse ne dispose pas des
ressources suffisantes pour supporter les dépens de la partie adverse en
cas d'échec de la procédure de recours collectif.
»
248 High Court of Australia, Campbells Cash and Carry Pty Ltd v.
Fostif Pty Ltd, [2006] HCA 41
249 avec notamment les sociétés AM International
Claims Collection et Alter Litigation
250 BOSCO, David in Le financement par les tiers de l'action
collective : l'exemple de l'Union européenne, bulletin de droit
économique, Université de Laval, page 3
103
Un cadre est prévu pour restreindre la logique
commerciale et les risques y afférents introduit par l'incorporation
d'un tiers spéculateur sur le devenir de l'action, notamment à
propos de la question des conflit d'intérêts dans les relations
entre le financier (le bailleur de fonds) et le bénéficiaire :
« 16. Les États membres devraient veiller
à ce que, lorsque le financement du recours collectif provient d'une
tierce partie privée, il soit interdit au bailleur de
fonds:
a) d'exercer une influence sur les décisions
de procédure, y compris en matière de transactions,
prises par la partie demanderesse;
b) de financer une action collective dans le cadre de
laquelle la partie défenderesse est un concurrent du bailleur
de fonds ou tient ce dernier en dépendance;
c) de percevoir des intérêts excessifs
sur les fonds mis à disposition. »
Il s'agit bien de cloisonner le risque et limiter les abus ;
dans le même sens à propos des intérêts perçus
par le bailleur de fonds :
« Les États membres devraient veiller à
ce que, outre le respect des principes généraux de financement,
dans le cas du financement d'un recours collectif en réparation par une
tierce partie privée, il soit interdit de calculer la
rémunération accordée au bailleur de fonds ou les
intérêts que celui-ci percevra sur le montant atteint dans le
cadre de la transaction ou sur la réparation accordée, à
moins que cet arrangement financier ne soit réglementé par une
autorité publique, afin de protéger les intérêts des
parties251 ».
110. Financement par l'avocat. Ce qui n'est
pas sans rappeler le problème des pactes quota litis plus ou
moins règlementés dans les Etats membres (voir à ce sujet
: partie 1, titre 1, chapitre 2, section 1, §2) ou encore, les
contingency fees de droit américain (avances des frais judiciaires
contre rémunération de la prise de risque) qui sont
regardés comme une dérive à éviter . À ce
sujet, la
252
recommandation prévoit que les États membres
devraient veiller à ce que la rémunération des avocats et
son mode de calcul ne créent aucune incitation à engager des
procédures judiciaires qui ne soient pas nécessaires dans
l'intérêt des parties. En outre, il faut éviter le
versement d'honoraires de résultat qui risquent de créer une
telle incitation. Les États qui autorisent des honoraires de
résultat devraient prendre en compte le droit des demandeurs d'obtenir
une réparation intégrale.
|
110. Soft law et régulation interne.
Comme déjà dit la recommandation reste du droit mou, les
Etats ne sont en rien liés et le cadre prévu n'est en rien
normatif. Dès lors, toujours et encore une asymétrie selon les
systèmes juridiques se profile, asymétrie d'autant plus grave
qu'ici se joue des questions graves de conflits d'intérêts et de
connivence. Plus encore, les modalités de rémunération des
acteurs tiers au procès peuvent priver les victimes de leur droit
à indemnisation et la recherche d'une rentabilité
économique peut entrainer des pressions sur les parties dans un sens
contraire à leurs intérêts, autant de risque qu'il faudrait
limiter par du droit « dur ».
251 Recommandation de la Commission en date du 11 juin 2013,
(2013/396/UE), sus-citée, point 32.
252 voir point 21 page 11 du Document de travail des services
de la Commission : Renforcer la cohérence de l'approche
européenne en matière de recours collectifs, suscité
253 COMBE, Emmanuel in Les cartels restent un cancer pour
l'économie, tribune parue dans Le Figaro du 2 mars 2010
104
§2) Préjudice : caractérisation et
répercussion du surcoût
112. Caractérisation du préjudice et du
lien causal. L'évaluation du préjudice est une
tâche extrêmement complexe car cela demande d'évaluer un
préjudice hypothétique sur la base de modèle
contrefactuel. En outre, il aurait été plus facile de
déterminer le montant du dommage en se référent au prix
avant l'accord anticoncurrentiel, mais c'est oublier que les ententes ont une
durée de vie entre 5 à 7 ans253.
Malgré les guides pratiques récents, face aux
allégations opposées des parties sur un terrain complexe et qui
peut être inconnu des juges, les juges font appel fréquemment
à des experts, notamment des économistes afin de se faire
assister sur le montant des dommages à allouer.
De plus, la démonstration du lien causal entre la
pratique anticoncurrentielle et le préjudice constitue un tracas pour le
demandeur. Le défendeur à l'action peut par exemple invoquer
l'argument selon lequel la hausse des prix ou la perte de clientèle
subie par le demandeur est le résultat logique du marché et non
d'une possible faute de celui-ci (argument d'autant plus recevable face
à une action en stand-alone).
Dès lors, la directive vient aider les victimes et
pose des présomptions d'existence de lien de causalité entre la
faute et le préjudice (article 17) :
« Les États membres veillent à ce que
ni la charge ni le niveau de la preuve requis pour la quantification du
préjudice ne rendent l'exercice du droit à des dommages et
intérêts pratiquement impossible ou excessivement difficile. Les
États membres veillent à ce que les juridictions nationales
soient habilitées, conformément aux procédures nationales,
à estimer le montant du préjudice, s'il est établi qu'un
demandeur a subi un préjudice, mais qu'il est pratiquement impossible ou
excessivement difficile de quantifier avec précision le préjudice
subi sur la base des éléments de preuve disponibles.
2. Il est présumé que les
infractions commises dans le cadre d'une entente causent un préjudice.
L'auteur de l'infraction a le droit de renverser cette
présomption. »
De plus, pour aider les juges dans leur recherche de
quantification, la directive prévoit que les États membres
veillent à ce qu'une autorité nationale de concurrence puisse,
à la demande d'une juridiction nationale, aider ladite juridiction
nationale en ce qui concerne la quantification du montant des dommages et
intérêt.
113. Répercussion du surcoût.
Le surcoût (créé par le comportement
anticoncurrentiel) est la différence entre le prix effectivement
payé et celui qui aurait prévalu en l'absence d'infraction au
droit de la concurrence
Il est supporté par l'acheteur direct de l'auteur de
l'infraction. Toutefois, il est tout à fait possible, s'il est un
maillon intermédiaire de la chaîne économique (producteur
ou distributeur), qu'il répercute ce surcoût sur ses propres
clients, c'est ce qui est dénommé la « répercussion
du surcoût » ou le « passing-on ». Si le client
direct de l'auteur d'une infraction a répercuté, en tout ou en
partie, les surcoûts illégaux sur ses propres clients (les
acheteurs indirects), se dévoile des questions
105
juridiques : si l'auteur de l'infraction invoque la
répercussion des surcoûts comme moyen de défense contre un
requérant ayant engagé une action en dommages et
intérêts, en faisant valoir que ce dernier n'a pas subi de perte
puisqu'il a répercuté l'augmentation des prix sur ses clients.
Il y a aussi le passing-on offensif,
c'est-à-dire la demande de réparation de la répercussion
formulée par l'acheteur indirect contre l'auteur.
Dans le Livre Vert, il y avait un exclusion catégorique
du moyen de défense tiré de la répercussion du
surcoût (dans les trois options envisagées). Puis par la suite, il
y a eu admission par le Livre Blanc de cette défense où : «
les acheteurs indirects puissent se fonder sur la présomption
réfragable que le surcoût illégal a été
répercuté sur eux dans sa totalité »
254
Outre-Atlantique, ce moyen de défense n'est pas reconnu
par la Cour suprême américaine au niveau fédéral.
Par exemple dans les affaires Illinois Brick et Hanover Shoe , les juges
suprêmes ont
255 256
refusé de reconnaître aux acheteurs indirects la
qualité pour agir notamment au motif de l'égalité entre le
défendeur et le demandeur : l'argument de la répercussion des
surcoûts ne pouvant être reçu en droit américain par
le défendeur, le demandeur ne doit pas pouvoir l'invoquer non plus.
114. Admission du passing-on. En
Europe, conformément au principe de réparation intégrale,
si la perte subie et le manque à gagner font l'objet d'une
réparation, les potentielles pertes répercutées par la
victime sur ses propres clients ne sauraient être prises en compte.
Dès lors, la directive dans son chapitre IV admet le passing-on :
« Afin de garantir la pleine efficacité du
droit à réparation intégrale prévu à
l'article 3, les États membres veillent à ce que,
conformément aux règles prévues dans le présent
chapitre, il soit possible à toute personne de demander
réparation du préjudice subi, que celle-ci soit ou non un
acheteur direct ou indirect d'un auteur de l'infraction, et à
ce que soient évitées toute réparation d'un
préjudice qui serait supérieure au préjudice causé
au demandeur par l'infraction au droit de la concurrence, ainsi que l'absence
de responsabilité de l'auteur de l'infraction. »
Le régime est distillé par la suite de
manière logique :
« 2. Afin d'éviter toute réparation
excessive, les États membres élaborent des règles
procédurales appropriées pour garantir que la
réparation du dommage réel à tout niveau de la
chaîne de distribution n'excède pas le préjudice du
surcoût subi à ce niveau.
3. Le présent chapitre s'entend sans
préjudice du droit d'une partie lésée à demander et
à obtenir réparation pour manque à gagner en raison de la
répercussion partielle ou totale du surcoût.
4. Les États membres veillent à ce que les
règles établies au présent chapitre s'appliquent en
conséquence lorsque l'infraction au droit de la concurrence porte sur la
fourniture de biens ou de services à l'auteur de l'infraction.
254 Livre Blanc, sus-cité, 2.6, page 9
255 Illinois Brick CO. c/ Illinois, 431 US 720 (1977)
256 Hanover Shoe, 392 US 481 (1968)
257 L'article 16 de la directive prévoit à ce
sujet que la « Commission délivre à l'intention des
juridictions nationales des orientations sur la façon d'estimer la part
du surcoût qui a été répercutée sur les
acheteurs indirects. »
106
5. Les États membres veillent à ce que les
juridictions nationales soient habilitées à
estimer, conformément aux procédures nationales,
la part de tout surcoût qui a été
répercutée. »
En outre, les acheteurs indirects sont définis à
l'article 2 qui précise que ce sont les personnes physiques ou morales
qui ont acheté, non pas directement auprès de l'auteur de
l'infraction, mais auprès d'un acheteur direct ou d'un acheteur
ultérieur, des produits ou services ayant fait l'objet d'une infraction
au droit de la concurrence, ou des produits ou services les contenant ou
dérivés de ces derniers.
Au niveau de la charge de la preuve, ils profitent d'un
régime allégé avec une « possible »
présomption légale. En effet, l'acheteur indirect est
réputé avoir apporté la preuve d'une répercussion
à son encontre lorsqu'il démontre que (article 14) :
« a) le défendeur a commis une infraction
au droit de la concurrence;
b) l'infraction au droit de la concurrence a
entraîné un surcoût pour l'acheteur direct
du défendeur; et
c) l'acheteur indirect a acheté les biens
ou services concernés par l'infraction au droit de la
concurrence, ou acheté des biens ou services dérivés de
ces derniers ou les contenant. »
Néanmoins, le texte européen prévoit un
moyen de défense pour le défendeur :
« Le présent paragraphe ne s'applique pas
lorsque le défendeur peut démontrer de
façon crédible, à la satisfaction de la juridiction, que
le surcoût n'a pas été répercuté sur
l'acheteur indirect, ou qu'il ne l'a pas été entièrement.
»
Le régime de droit commun part du postulat que les
augmentations de prix sont répercutées en bas de la chaîne
de distribution et que dès lors, la charge de la preuve repose sur le
demandeur :
« 1. Les États membres veillent à ce
que, lorsque, dans le cadre d'une action en dommages et intérêts,
l'existence d'une demande de dommages et intérêts ou le montant de
la réparation à accorder sont fonction de la
répercussion ou non du surcoût sur le demandeur ou de l'ampleur de
cette répercussion257, compte tenu de la pratique
commerciale selon laquelle les augmentations de prix sont
répercutées en aval de la chaîne de distribution, la charge
de la preuve concernant l'existence et l'ampleur de cette répercussion
incombe au demandeur, qui peut raisonnablement exiger la production
d'informations par le défendeur ou par des tiers. »
115. Multiplicité d'actions et
réparation intégrale. De plus, il est prévu que
les juridictions internes prennent en compte (dans la mesure du possible) les
actions entamées par différents opérateurs d'une
même chaîne de distribution afin d'éviter que les actions en
réparation ne donnent lieu à une responsabilité multiple
ou une absence de responsabilité de l'auteur de l'infraction (article
15) :
107
« 1. Pour éviter que des actions en
dommages et intérêts intentées par des demandeurs
situés à différents niveaux de la chaîne de
distribution ne donnent lieu à une responsabilité multiple ou
à une absence de responsabilité de l'auteur de
l'infraction, les États membres veillent à ce que,
lorsqu'elles évaluent s'il a été satisfait à la
charge de la preuve résultant de l'application des articles 13 et 14,
les juridictions nationales saisies d'une action en dommages et
intérêts puissent, en recourant aux moyens disponibles en droit de
l'Union ou en droit national, tenir dûment compte de l'un quelconque des
éléments suivants:
a) les actions en dommages et
intérêts portant sur la même infraction au droit de la
concurrence, mais intentées par des demandeurs situés à
d'autres niveaux de la chaîne de distribution;
b) les décisions de justice
prises à la suite d'actions en dommages et
intérêts visées au point a);
c) les informations pertinentes relevant du
domaine public qui découlent de la mise en oeuvre du droit de
la concurrence par la sphère publique.
2. Le présent article ne porte pas atteinte aux
droits et obligations des juridictions nationales découlant de l'article
30 du règlement (UE) n° 1215/2012 [Bruxelles I
bis]. »
116. Passing-on défensif.
Enfin, reste le moyen de défense de la répercussion du
surcoût qui apparaît comme une cause d'exonération de
responsabilité pour le défendeur à l'action. L'article 13
de la directive précise ainsi :
« Les États membres veillent à ce que
le défendeur dans une action en dommages et intérêts puisse
invoquer, comme moyen de défense contre une demande de dommages et
intérêts, le fait que le demandeur a répercuté, en
tout ou en partie, le surcoût résultant de l'infraction au droit
de la concurrence. La charge de la preuve de la répercussion du
surcoût incombe au défendeur, qui peut raisonnablement exiger la
production d'informations par le demandeur ou par des tiers.
»
La preuve étant ardue, il y a un renforcement de la
capacité de production de preuve, le défendeur peut exiger la
production d'informations par le demandeur ou par des tiers pour
démontrer la répercussion du surcoût par la victime.
108
117. Conclusion. L'action collective
s'inscrit dans le contentieux subjectif, elle constitue un risque pour les
entreprises contrevenantes qui voient leurs chances d'être
sanctionnées augmenter. Face à l'apathie rationnelle de la
victime, la solution de l'opt-in apparaît comme une demi-mesure
(section 1§1) empêchant une récupération optimale du
surplus gagné par l'entreprise. Toute au plus, à moins d'amendes
des autorités publiques fortes et efficaces ou de changement de
paradigme dans les modalités techniques des actions collectives
(opt-out, treble damages, amende civile), la faute
concurrentielle peut devenir une faute lucrative pour les entreprises (section
1§2).
Le financement des actions collectives s'il apparaît
comme une nécessité face à l'incapacité d'agir des
victimes peut poser des problèmes à défaut d'une
régulation européenne sur le sujet, notamment par rapport aux
intérêts des victimes (section 2§1).
Enfin, les mécanismes de mise en jeu de la
responsabilité des acteurs économiques ont été fort
heureusement simplifiés par la directive. Tant au regard du lien de
causalité que de la question de la répercussion du surcoût,
la directive prévoit un régime allégé pour les
consommateurs, notamment en cas d'action en follow-on (section
2§2).
Ainsi, le risque potentiel des actions collectives est en
demi-teinte, la directive apporte des outils procéduraux essentiels
à son exercice effectif, toutefois, le caractère diffus des
règlementations est facteur d'une insécurité juridique
pour les acteurs au procès privé.
109
« Et pourtant le droit gnomique enferme en ses replis
bien plus de possibilités qu'on n'en soupçonnerait en se
contentant du De minimisÉ habituel. Car, malgré les apparences,
il ne s'est jamais résigné sans remords à abandonner les
menus litiges aux ténèbres extérieurs, et il a
frayé les chemins sentimentaux ou idéologiques par où les
petits peuvent faire écouter leurs plaintes, voire combiner leurs
attaque »
CARBONNIER, Jean in De minimis non curat praetor, in
Mélanges dédiés à Jean Vincent, Dalloz, 1981, p.
29-37
110
PARTIE 2 - GESTION DU RISQUE PAR LE BIAIS DU
RÈGLEMENT
EXTRA-JUDICIAIRE
118. Opportunité des modes de règlement
consensuel et stratégie. Après avoir
étudié le risque actuel mais aussi potentiel des actions
collectives en droit européen de la concurrence, il convient de traiter
celui-ci de manière à en faire une opportunité pour les
entreprises. Face au risque, la stratégie ici, c'est-à-dire
l'ensemble d'actions coordonnées, d'opérations habiles, de
manoeuvres en vue d'atteindre un but précis, s'incarne par la recherche
de la réduction de la sanction économique. Malgré
l'efficacité relative des actions collectives du fait de leur
hétérogénéité, le législateur
européen souhaite ouvrir une deuxième voie à leur
traitement, la voie extrajudiciaire.
En effet, la directive n°2014/104 offre (suivant un
mouvement ancien des autorités européennes) une place toute
particulière au « règlement consensuel des litiges »
(au sein d'un chapitre dédié à cet effet). Cette porte
ouverte vers la résolution en dehors des tribunaux du contentieux
concurrentiel peut étonner. A priori le droit de la concurrence
relève de l'ordre public économique, mais cela serait
préjuger du caractère indemnitaire du private
enforcement. De plus, cette résolution offre de nombreux avantages
et une efficience en partie renforcée de ce même ordre public, ce
qui explique le regard bienveillant du législateur européen sur
le sujet.
Dès lors, l'analyse de l'intérêt du
règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives
nécessite de regarder, en premier lieu, l'opportunité des
différents modes de règlements (Titre 1) , pour
en second lieu, se pencher sur la stratégie à mettre en place
regard des actions collectives (Titre 2).
111
Titre 1 - Opportunité des modes de
règlements consensuels
119. Droit unique et règlements multiples.
L'examen de l'opportunité invite à questionner la
justesse de l'adaptation à la situation du moment. En outre, « la
situation du moment » en l'espèce c'est le risque d'une action
collective pour l'entreprise contrevenante. À ce titre, l'adaptation
face à ce risque s'incarne par la recherche d'un règlement
consensuel favorable comparativement au règlement judiciaire, ce qui
d'un point de vue pratique se traduit par une amoindrissement du coût
économique.
Néanmoins, l'analyse de l'utilité des
règlements consensuels pose déjà la question liminaire de
quel règlement consensuel ? En effet, se dégage une
diversité de modes règlements consensuels qu'il faudra regarder
(Chapitre 1). Puis, il faut s'interroger sur les
modalités concrètes de mise en application de ces modes de
règlements consensuels (Chapitre 2).
112
Chapitre 1 - Les différents modes de
règlements consensuels
120. Définition lacunaire.
D'après la directive du 26 novembre 2014, le règlement
consensuel des litiges se définit comme (article 2) : « tout
mécanisme permettant aux parties de parvenir à un
règlement extrajudiciaire d'un litige relatif à une demande de
dommages et intérêts ». Elle définit
également le « règlement » consensuel comme : «
un accord obtenu grâce à une procédure de
règlement consensuel du litige » (ce qui exclu ipso facto
l'arbitrage258).
Néanmoins, les définitions données par
la directive paraissent insuffisantes. Il faut se référer
plutôt à la recommandation de la Commission du 30 mars 1998 avec
une définition plus précise: « un règlement du
litige par l'intervention active d'une tierce personne qui propose ou impose
une solution ». De ces définitions ressort l'idée que
le règlement consensuel des litiges est avant-tout
259
un règlement alternatif, complémentaire aux
procédures judiciaires débouchant à un accord entre les
parties au litige qui est proposé ou imposé par une tierce
personne. Cependant, un des modes alternatifs de règlement des litiges
ne fait pas intervenir de tierce personne c'est le cas des transactions faisant
intervenir simplement les parties concernées au litige. Certains parlent
alors de procédures « de substitution ».
260
Au-delà des définitions qu'offrent les
autorités supra-nationales apparaît un engouement grandissant pour
ces modes de résolution en dehors des prétoires. En effet, la
volonté du législateur de promouvoir ces modes alternatifs de
règlement des conflits est à l'origine de l'essor
considérable qu'ils connaissent actuellement (Section
1). Un panel attractif et diversifié de ces modes de
règlement des litiges a été développé
permettant aux parties de choisir la modalité la plus adaptée
à leur situation (Section 2).
Section 1 - La volonté du législateur de
promouvoir les modes de règlements alternatifs des conflits
121. Volonté et attractivité.
Au travers de la directive du 26 novembre 2014, la volonté du
législateur de promouvoir les modes de règlement alternatif des
litiges est prégnante. Un chapitre IV est entièrement
consacré au règlement consensuel des litiges. Cependant, cet
objectif d'encourager le recours au règlement extrajudiciaire des
litiges ne date pas d'aujourd'hui (1). En
258 l'arbitrage ne résultant pas d'un accord mais d'une
décision imposée, néanmoins son étude est
nécessaire car dans son considérant 48 la directive dit bien que
: « Dès lors, les auteurs de l'infraction et les parties
lésées devraient être encouragés à se mettre
d'accord sur la réparation du préjudice causé par une
infraction au droit de la concurrence au moyen de mécanismes de
règlement consensuel des litiges, tels que les règlements
amiables (notamment ceux que le juge peut déclarer contraignants),
l'arbitrage, la médiation ou la conciliation. Ce
règlement consensuel des litiges devrait concerner le plus grand nombre
de parties lésées et d'auteurs d'infractions possible d'un point
de vue juridique. Les dispositions de la présente directive ayant trait
au règlement consensuel des litiges visent dès lors à
faciliter le recours à de tels mécanismes et à
accroître leur efficacité. »
259 98/257/CE: Recommandation de la Commission du 30 mars 1998
concernant les principes applicables aux organes responsables pour la
résolution extrajudiciaire des litiges de consommation (Texte
présentant de l'intérêt pour l'EEE), considérant
9
260 Conseil européen de Tampere de 1999
113
outre, l'attractivité de ces procédures est due
à des caractéristiques particulières procurant des
avantages considérables aux parties au litige (2).
§1) Une volonté ancienne du
législateur
121. Un long processus. La volonté du
législateur de promouvoir ces modes de règlements des conflits
n'est pas un mouvement nouveau. En effet, ils connaissent un
développement accéléré depuis quelques
années et entraînent une attention croissante du fait de la
multiplication des initiatives sur ce terrain.
Certaines sont anciennes, telle est le cas de la
création en 1994 d'un réseau appelé « Réseau
Européen d'Arbitrage et de Médiation » (ou «
European Network for Dispute Resolution »), sous forme de
groupement d'intérêt économique, regroupant des centres
d'arbitrage et de médiation commerciale établis en Italie, au
Royaume Uni, en France et en Espagne. Ce réseau a
bénéficié d'un soutien financier de la part de la
Commission européenne démontrant son engouement pour de telles
initiatives. En outre, cette volonté du législateur a
été surtout marquée au sein du droit de la consommation
avant de s'étendre à la matière civile et commerciale,
pour enfin s'intéresser au droit de la concurrence par la directive du
26 novembre 2014.
122. Plan d'action et mise en place. Tout
d'abord, le 14 février 1996, la Commission a mis en place un plan
d'action sur l'accès des consommateurs à la justice. Dans ce
dernier, elle prônait le
261
développement des procédures extra-judiciaire
afin de garantir l'effectivité de l'accès à la justice
pour les consommateurs et les entreprises. Ce plan d'action fait ressortir la
nécessité et l'urgence d'une action communautaire dans ce
domaine.
Par la suite, le 25 novembre 1996, les conclusions du Conseil
européen, approuvées par le Conseil de « Consommateur
», ont indiqué que :
« le souci de renforcer la confiance des
consommateurs dans le fonctionnement du marché intérieur et leur
capacité à tirer pleinement parti de possibilités que ce
dernier leur offre englobe la possibilité pour les consommateurs de
régler leurs litiges de manière efficace et
adéquate par la voie de procédure extrajudiciaires
».
262
« Efficace » pour sa rapidité et son moindre
coût et « adéquat » en remédiant à la
disproportion entre l'enjeu économique de l'affaire et le coût de
son règlement judiciaire.
Postérieurement, dans une communication de la
Commission du 30 mars 1998 est soulevé le problème de
l'accès des consommateurs individuels à la justice. Trois
solutions sont données : la
261 Plan d'action sur l'accès des consommateurs
à la justice et le règlement des litiges de consommation dans le
marché intérieur, COM(96) 13 final du 14.02.1996
262 Recommandation de la Commission du 30 mars 1998 :
concernant les principes applicables aux organes responsables pour la
résolution extrajudiciaire des litiges de consommation, 98/257/CE, 1er
considérant
114
simplification et l'amélioration des procédures
judiciaires, l'amélioration de la communication entre les consommateurs
et les professionnels et la mise en place de procédures extrajudiciaires
.
263
Au travers de cette communication, la Commission prône
le règlement amiable des conflits de consommation, dans une phase
initiale c'est à dire avant tout litige, afin d'éviter les
désagréments causés par l'ouverture d'une
procédure. Pour cela, la Commission propose une solution : la mise en
place d'un formulaire européen de réclamation pour le
consommateur visant à améliorer le dialogue entre consommateurs
et professionnels avant tout litige. Concomitamment, une recommandation de la
Commission datant du même jour relative à la résolution
extrajudiciaire des conflits de consommation exige l'établissement au
niveau européen de principes essentiels tel que l'indépendance,
la transparence, le contradictoire, l'efficacité, la
légalité et la liberté de représentation. La
Commission constate de l'expérience acquise par plusieurs États
membres que le règlement extrajudiciaire des litiges peut avoir un effet
positif pourvu que certains principes essentiels soit respectés.
123. Tampere. En toute hypothèse, la
clef de voûte de ce processus de promulgation a été le
Conseil européen de Tampere, du 15 et 16 octobre 1999 qui reprend
l'idée tirée des initiatives de la Commission concernant
l'accès à la justice. Ainsi, il souhaite faire de l'Union
Européenne un espace « de liberté, de
sécurité et de justice ». Pour y parvenir il est
demandé au Conseil de l'Europe sur les propositions de la Commission
d'établir des règles de procédures spéciales
communes à l'ensemble des États membres, afin de «
simplifier et d'accélérer le règlement des litiges
transfrontaliers » tant en matière civile que commerciale.
Dans le même temps, il est conseillé aux États membres de
mettre en place des procédures de substitution extrajudiciaires. Au
demeurant, lorsque le Conseil européen invite les États à
adopter ces procédures, il ne vise pas simplement la mise en place de
ces dernières en droit de la consommation mais en matière civile
et commerciale (ce qui est bien plus large).
Suite à cela, une recommandation de la Commission, le 4
avril 2001, relative aux principes applicables aux organes extrajudiciaires
chargés de la résolution consensuelle des litiges de
consommation, est intervenue. Au sein de cette dernière sont
tautologiquement repris les principes applicables aux organes chargés de
la résolution extrajudiciaire des litiges cités auparavant au
sein de la recommandation de 1998. Cependant, il est indiqué :
« Les principes fixés dans la présente
recommandation ne portent pas atteinte à ceux établis dans la
recommandation 98/257/CE de la Commission qui devraient être
respectés par les procédures extrajudiciaires264
».
La Commission vient reprendre et renforcer les principes
préalablement établis par la résolution de 1998 (ci-dessus
citées).
263 Communication de la Commission sur la résolution
extrajudiciaire des conflits de consommation, Com. 198 (198) final : JO L 115
du 17 avril 1998, p. 31
264 Recommandation de la Commission du 4 avril 2001 relatives
aux principes applicables aux organes extrajudiciaires chargés de la
résolution consensuelle des litiges de consommation. (2001/310:CE),
point 9.
115
124. Livre Vert. En date du 19 avril 2002, la
Commission a élaboré un Livre Vert sur les
265
modes alternatifs de règlement des conflits relevant du
droit civil et commercial. La Commission invite à débattre sur la
base de proposition qu'elle émet266 sur les «
conflits relevant du droit civil et commercial ». Dès
lors, le règlement consensuel des conflits dépasse la
sphère du droit de la consommation pour s'étendre à un
domaine beaucoup plus large, le phénomène prend donc de
l'ampleur. Dans sa synthèse la Commission donne trois raisons à
cette thématique abordée : l'accès à la justice des
citoyens s'en trouve « améliorer », les États
apportent beaucoup d'importance aux ADR ce qui se traduit par des travaux
d'ordre législatif et enfin les « ADR représentent une
priorité politique ». La Commission montre l'importance
grandissante que prennent les modes alternatifs de règlement des litiges
(RAL), et son souhait de promouvoir ces méthodes en les harmonisant au
niveau européen pour garantir leur efficacité. Elle estime que
pour réglementer ces procédures de substitution au niveau
européen, il faut prendre « appui sur les travaux
déjà engagés dans les Etats membres » mais
également, au niveau de l'Union Européenne sur « les
initiatives dans le domaine du droit de la consommation ».
Au demeurant, se pose la question de savoir si le droit de la
concurrence entre dans le champ d'application du Livre vert de la Commission
européenne, car celui-ci exclue :
« les questions liées aux droits dont les
titulaires n'ont pas la libre disposition et qui intéressent
l'ordre public, tels un certain nombre de dispositions du droit des
personnes et de la famille, du droit de la concurrence, du droit de la
consommation, lesquelles ne peuvent en effet pas faire l'objet d'un
ADR267».
Pour savoir si le droit de la concurrence entre dans le champ
du Livre Vert, il convient de se demander si la créance indemnitaire
contre l'auteur de l'infraction qui contient le droit d'agir, l'action
individuelle peut être aliénée librement. Ainsi, il faut
s'interroger sur la disposition de l'action individuelle découlant du
préjudice du fait d'une entente ou d'un abus de position dominante. La
vente d'un droit incorporel peut avoir pour objet soit une créance, soit
un droit ou une action en justice contre un tiers. La directive prévoit
dans sa définition d'action en dommages et intérêts
(article 2) que cela comprend une personne physique ou morale « qui a
succédé dans les droits de la partie prétendument
lésée, y compris la personne qui a racheté la demande
». Le rachat de la demande est donc possible et ceci avec cession du
droit et une libre disposition de celui-ci par le justiciable victime de
pratique anticoncurrentielle. Ce qui n'est pas cessible et ne donne pas droit
à un RAL c'est la faute même de la partie contrevenante (pour plus
de détails voir : partie 1, titre 1, section 1, §4).
Le Livre Vert et le Conseil de Tampere ont abouti à la
directive du 21 mai 2008 relative à certains aspects de la
médiation en matière civile et commerciale. Le Parlement
européen et le Conseil
265 Livre vert de la Commission européenne relatif aux
modes alternatifs de résolution des conflits en matière civile et
commerciale. COM(2002) 196 final
266 en effet, un Livre Vert est un document publié par
la Commission européenne dans le but de stimuler au niveau
européen une réflexion sur un sujet déterminé
267 Livre Vert du 19 avril 2002 sur les modes alternatifs de
résolution des conflits relevant du droit civil et commercial, page 6
116
veulent mettre en place des services de médiations et
encourager le recours à ce mode de règlement des conflits tant en
matière civile que commerciale, le champ d'application de cette
directive n'étant pas restreint simplement au droit de la consommation.
Pour cela, ils élaborent un « cadre juridique prévisible
» de la médiation concernant les litiges transfrontaliers, ce
cadre juridique pouvant être appliqué par les États en
droit interne. La directive dispose :
« La médiation ne devrait pas être
considérée comme une solution secondaire par rapport aux
procédures judiciaires au motif que le respect des accords issus de la
médiation dépendrait de la bonne volonté des parties.
Les États membres devraient donc veiller à ce que les
parties à un accord écrit issu de la médiation puissent
obtenir que son contenu soit rendu exécutoire ».
268
Le Parlement et le Conseil cherche à rendre la
médiation plus attractive en l'encadrant et en lui donnant un effet
exécutoire pour plus de sécurité et de stabilité
juridique. Ils vont même jusqu'à dire qu'elle ne doit pas
être considérée comme une solution secondaire.
125. Document de travail de 2011. Un
document de travail sur les recours collectif sort en 2011 et apparaît
comme un plaidoyer en faveur de règlement extra-judiciaire des actions
collectives :
« Les mécanismes de résolution
consensuelle collective des litiges complètent utilement les voies de
recours judiciaires et peuvent, bien souvent, permettre aux victimes de
régler plus rapidement et à un moindre coût leur
litige. Les parties doivent dès lors avoir la
possibilité de résoudre leur litige collectif par un
mécanisme extrajudiciaire, soit en faisant intervenir un tiers (par
exemple, au moyen d'un mécanisme de règlement alternatif des
litiges, tel que l'arbitrage ou la médiation), soit sans une telle
intervention (par exemple, règlement entre les parties
concernées). Il y aurait lieu d'explorer les moyens de faciliter
le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges en cas de
plaintes multiples. Il conviendrait également de se demander dans quelle
mesure et dans quels domaines un recours judiciaire collectif pourrait
être subordonné à une tentative préalable de
résolution consensuelle collective du litige. »
269
126. Communication et recommandation de 2013.
En 2013, La communication de la Commission intitulée «
Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs »
pose des recommandations à l'attention des États membres
notamment en ce qui concerne le « règlement consensuel
collectif des litiges » (au point 2.1). La Commission met tout
d'abord l'accent sur les avantages de ces modes alternatifs de règlement
qui peuvent fournir aux parties un moyen rapide, peu onéreux et simple
de résoudre les litiges.
Elle affirme la possibilité « d'une
résolution consensuelle collective des litiges », autrement
dit, la possibilité pour les parties à une action collective de
choisir un règlement amiable des litiges plutôt qu'un recours
contentieux. Enfin, elle recommande aux États membres de ne pas rendre
la
268 Directive n°2008/52/CE du Parlement européen
et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en
matière civile et commerciale, OJ L 136, 24.5.2008, point 19
269 Document de travail des services de la Commission :
consultation publique : Renforcer la cohérence de l'approche
européenne en matière de recours collectifs, Bruxelles, 4
février 2011 SEC(2011) 173 final, point 19
117
résolution collective consensuelle des conflits comme
une première étape obligatoire préalable à l'action
en justice (caractérisant selon elle une atteinte au droit
d'accès à la justice). Néanmoins, un contrôle de la
légalité de la solution a posteriori est
prôné (justifié par un rééquilibrage du
procès, en effet toute les parties au recours collectif n'auront peut
être pas la possibilité de participer au choix de la solution
amiable). De plus, elle recommande de se prononcer sur le caractère
exécutoire de la solution qui revêt une importance primordiale.
Enfin, la recommandation de 2013 sur les recours collectifs
précise au point 16 :
« Les modes alternatifs de règlement des conflits
peuvent constituer un moyen efficace d'obtenir gain de cause dans des cas de
préjudice de masse. Ils devraient toujours être
prévus en parallèle ou comme complément facultatif au
recours collectif judiciaire. »
Au travers de ces textes, la Commission montre bien son
penchant pour les procédures alternatives de règlement de conflit
et ce même dans le cadre des actions collectives s'inspirant par
là du modèle américain où ce type de
règlement représente 90% du traitement du private
enforcement.
270
127. Directive n°2014/104. Le 26
novembre 2014, la directive relative aux actions en réparation pour les
infractions au droit de la concurrence, tant attendu en droit de la
concurrence, a été publié au journal officiel. Cette
directive tend à harmoniser les législations des
différents États membres pour plus d'efficience et de
sécurité juridique dans l'accès à l'indemnisation
pour les victimes d'infractions en droit de la concurrence. Elle consacre un
chapitre entier au « règlement consensuel des litiges
», où elle y aborde essentiellement son effet sur les
procédures judiciaires et son articulation. Au travers de cette
articulation, l'Union européenne entend encourager le recours à
ces procédures. Dans ce but, elle prévoit un possible
allégement de la sanction et une suspension de la durée de
prescription pendant toute la durée de la procédure de
règlement consensuel . Elle
271
envisage également le fait que l'auteur d'une
infraction partie à un règlement consensuel qui a
été condamné à payer des dommages et
intérêts, soit déchargé de toute solidarité
dans la responsabilité de l'intégralité du
préjudice causé par l'infraction au droit de la concurrence si
une action en justice ultérieure a lieu. Autrement dit, la Commission
estime que l'auteur d'une infraction partie à un règlement
consensuel ne peut pas se retrouver dans une situation plus
désavantageuse du fait du recours à ce mode alternatif de
règlement des litiges (article 19).
Au travers de ces différentes initiatives, l'Union
Européenne s'efforce à promouvoir les modes alternatifs de
règlement des litiges et encourage les États membres à
développer et à perfectionner ces procédures dites de
substitution afin de poser un cadre juridique stable et créer «
un espace de liberté de sécurité et de justice
». Plusieurs raisons à cela, tout d'abord, les
difficultés d'accès à la justice qui s'expliquent par des
litiges qui se multiplient et des procédures qui s'allongent
entraînant un engorgement des tribunaux. De plus, la complexité
des textes législatifs et leur quantité rendent
270 COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d'avantages
pour le règlement consensuel des litiges ou la négociation
plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44,
juillet-septembre 2015, p. 98
271 article 18 de la directive
272 KROES, Neelie in Making consumers' right to damages a
reality: the case for collective redress mechanisms in antitrust claims, 2007.
Disponible en ligne :
http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-07-698_en.htm?locale=fr
118
l'accès à la justice plus difficile. Enfin, les
coûts de procédure sont élevés ce qui dissuade les
acteurs d'ester en justice.
Pour faire face à ces insuffisances, le
législateur a trouvé une solution : les modes de
règlements consensuels des litiges qui peuvent si certains principes
sont respectés combler les lacunes de la procédure judiciaire
et/ou venir en complément de cette dernière.
§2) Les caractéristiques essentielles des
modes alternatifs de règlement des litiges
128. Directive n°2014/14 et vide juridique.
La directive du 26 novembre 2014 vient combler un vide juridique
relatif aux modes alternatifs de règlement des litiges au niveau
européen pour les actions collectives et individuelles en droit de la
concurrence (malgré la recommandation qui reste du soft law).
Ainsi, au sein de son chapitre IV, consacré à ces
procédures dites de « substitution », elle relate
simplement leurs effets, leurs impacts sur les procédures judiciaires.
Qui plus est, ces procédures de règlement alternatif des litiges
ont des caractéristiques marquées qui les différencient
des procédures judiciaires.
129. Complément aux procédures
judiciaires. Les procédures consensuelles viennent
compléter l'insuffisance des procédures judiciaires dans un
objectif de simplification et d'amélioration de l'accès à
la justice. Elles jouent en effet un rôle complémentaire et sont
parfois plus adaptées à la nature des litiges. Les
procédures judiciaires sont complexes et notamment en droit de la
concurrence où les litiges sont souvent transfrontaliers. En effet, la
langue des parties, les règles de procédures difficilement
accessibles, la détermination du juge compétent et de la loi
applicable constituent des obstacles auxquels les parties sont souvent
confrontées. En outre, le coût d'une instance judiciaire est
élevé, or les procédures dites de « substitutions
» peuvent aboutir dans de très courts délais, et
l'accès à l'indemnisation y est assuré encore plus
facilement en cas d'actions collectives.
La menace contentieuse, le risque d'une sanction pour
l'auteur du préjudice subit par l'infraction aux règles du droit
de la concurrence va accroître le recours au règlement consensuel
des litiges. Ces procédures ne peuvent donc véritablement
fonctionner que si elles sont associées à une procédure
judiciaire et que la menace d'une sanction importante pèse sur l'auteur
de l'infraction. Comme le
272
pointe la commissaire à la concurrence Neelie Kroes :
« out-of-court settlement can only really work if they are coupled
with a realistic chance of effective court action », ainsi le
règlement consensuel apparaît uniquement comme une gestion
alternative d'un risque effectif.
130. Consensualisme et flexibilité.
La volonté des parties est le préalable nécessaire
à l'efficacité des modes alternatifs de règlement des
litiges. Aucune obligation ne pèse sur les parties au litige, elles sont
libres ou non de recourir au règlement consensuel. Par
conséquent, pour trouver un accord amiable, il faut une volonté
commune qui implique souvent des concessions réciproques.
119
C'est dans la volonté des parties que les modes
alternatifs de règlement puisent leurs légitimités. En
effet, le tiers sera investi de son pouvoir juridictionnel par la
volonté des parties. Ce qui peut être défini comme une
forme de « consensualisme judiciaire ». Consensualisme
judiciaire, car les parties vont s'entendre sur une procédure à
engager et choisiront la plus adaptée à leur situation. Mais
comme exposé précédemment il faut que les parties soient
stimulées par un gain, un enjeu important, c'est-à-dire que la
menace d'une sanction pèse sur l'auteur de l'infraction mais
également qu'il y ait un manque à gagner important pour la
victime. En effet, si le préjudice de la partie lésée ne
présente pas une somme importante pour l'auteur de l'infraction au droit
de la concurrence, celle-ci étant souvent une entreprise à
l'échelle internationale, cette dernière ne verra pas
l'intérêt d'engager une procédure amiable et d'aboutir
à un accord. Qui plus est, les modes alternatifs de règlement des
conflits présentent une certaine flexibilité. En effet, il existe
un panel de modes de règlement consensuel des litiges : la conciliation,
la médiation, l'arbitrage ou encore la transaction. Autant de modes
pouvant s'adapter à des situations concrètes. Les parties sont
donc libres de choisir le mode de règlement le plus adapté
à leur situation en fonction des relations qu'elles entretiennent entre
elles. Elles sont libres de déterminer la procédure à
suivre, quel tiers sera en charge du processus, de se faire représenter
ou préférer la participation personnelle à la
procédure. En outre, c'est elles qui vont déterminer l'issue de
la procédure. Les parties vont donc avoir un rôle actif dans le
déroulement du règlement consensuel des litiges contrairement aux
procédures judiciaires, c'est de leur volonté dont
dépendra l'issue de la procédure. En effet, les propositions
faites et les concessions réciproques détermineront l'accord
amiable.
131. Confidentialité. La
discrétion des modes alternatifs de règlement des litiges
s'avère cruciale en droit de la concurrence. Elle apparaît comme
un gage de succès de ces procédures dites de «
substitution ». En effet, l'entreprise défenderesse a tout
intérêt à préserver sa réputation, son image
de marque pour ne pas perdre la fidélité de ses clients ou de
clients potentiels. Une décision de justice allant à l'encontre
d'une entreprise peut entacher l'image de marque de l'entreprise et faire
perdre la confiance que ses clients avaient placé en elle. Comme disait
Montesquieu :
« Pour acquérir la réputation il ne faut
qu'un grand jour, et le hasard peut donner ce jour. Mais pour la conserver, il
faut payer de sa personne presque à tous les instants273
».
Pour préserver sa réputation, l'entreprise a
tout intérêt à ce que les litiges avec des partenaires
restent confidentiels. Le règlement consensuel des litiges permet de
conserver un équilibre entre droit de la défense et
confidentialité. Du côté du demandeur (ou des demandeurs en
cas d'action collective) il est probable qu'il ne veuille pas entacher ses
relations commerciales avec l'autre partie au litige (le constat étant
que le private enforcement est souvent un contentieux entre
concurrents ou anciens partenaires commerciaux) mais surtout avec ses autres
partenaires commerciaux. Qui plus est, la diffusion de l'information est un
risque de propagation du contentieux par d'autres acteurs. C'est pour cela que
dans la plupart des cas, les parties veulent que les informations
échangées et
273 MONTESQUIEU, Charles in Discours académiques,
prononcé le 24 janvier 1728
120
même l'issue de la procédure demeurent
confidentielles (la rédaction d'une clause de confidentialité
doublée d'une clause pénale en cas de règlement
extrajudiciaire d'une action de groupe peut donc être une
nécessité). Confidentialité qui s'impose aux parties mais
également au tiers en charge de la procédure. Cette
caractéristique favorise la sincérité des
déclarations faites. De plus, les informations échangées
au cours de la procédure de règlement consensuel des litiges ne
devraient pas formées un moyen de preuve recevable si une
procédure judiciaire ultérieure est engagée. Ces
procédures permettent donc un équilibre entre les droits de la
défense et la confidentialité.
Comme déjà dit, il existe deux types d'actions
en private enforcement : les actions en follow-on qui elles
font suite à une décision de l'autorité publique et les
actions en stand alone où la victime de l'infraction va agir de
sa propre initiative. Dans les premières, lorsque les parties
décident de passer par un mode alternatif de règlement des
conflits, l'intérêt de la confidentialité a
été en partie mise à mal, car en principe une
décision de l'autorité publique a été rendue et
donc publiée.
132. Un instrument au service de la paix sociale.
Ces procédures dites de substitutions permettent un dialogue
entre les parties au litige qui n'auraient, sans cela, pu être possible.
Le Livre Vert de la Commission du 14 avril 2002 parle même d' «
instrument au service de la paix sociale ». Un instrument de
« paix sociale » car ces procédures engagent un
processus de rapprochement des parties plutôt qu'un affrontement. Elles
instaurent un dialogue qui sans cela leur aurait été
difficilement possible. Lors de ce dialogue, les parties vont pouvoir choisir
le processus le mieux adapté et essayer de trouver une solution au
litige qui les oppose. Les parties jouent donc un rôle actif dans la
recherche d'une solution alors que dans une procédure judiciaire elles
exposent leurs observations mais jouent un rôle passif quant à la
résolution du litige. Typiquement, ce processus de rapprochement va
permettre par exemple de préserver le lien commercial que les parties
avaient avant le contentieux.
Section 2 - Les différentes opportunités
de règlements consensuels
133. Palais de justice à portes multiples.
Le système de règlement extrajudiciaire des litiges se
caractérise par une grande diversité quant aux modes alternatifs
proposés, à leur fonctionnement et à leur structure. Ce
qui offre aux parties une grande liberté de choix, elles vont pouvoir
adopter la procédure la plus adaptée au litige qui les oppose.
Cette diversité contribue à créer « espace de
liberté, de sécurité et de justice » et
améliore l'efficacité de la justice au sein de l'Union
Européenne. Certains auteurs parlent même de « multi-door
Courthouse » c'est-à-dire de « palais de justice
à
274
portes multiples ». Cependant pour trouver la
solution la plus adéquate, il faut différencier ces
procédures.
274 « Qu'est-ce que la justice du XIXième
siècle », site du Ministère de la justice (
http://www.justice.gouv.fr/la-justice-du-21e-siecle-12563/quest-ce-que-la-justice-du-21e-siecle-12580/).
Parmi les propositions, le gouvernement souhaite : « renforcer la
médiation et la conciliation sur l'ensemble du territoire
».
121
La Commission européenne classe ces modes alternatifs
de règlement des litiges dans différentes catégories . Les
règlements consensuels dans le cadre de procédure judiciaire
quand ils sont
275
assurés par le juge ou confiés par le juge
à un tiers et les MARC conventionnels, lorsque les parties y ont recours
en dehors de toute procédure judiciaire. Au sein des MARC
conventionnels, la commission admet une sous-distinction : lorsque le tiers
« impose » une solution aux parties et lorsque le tiers «
propose » une solution que les parties sont en droit ou non de suivre.
Cependant, il semblerait judicieux d'établir une autre distinction :
entre ceux faisant intervenir une tierce personne et les modes de
règlement faisant intervenir simplement les parties au litige. Par
exemple, dans la transaction, l'intervention d'une tierce personne n'est pas
envisagée. La conciliation également peut ou non faire intervenir
une tierce personne.
Subséquemment, afin d'étudier cette
diversité de modes alternatifs de règlement des litiges, il
semble judicieux d'établir une distinction entre les règlements
extra-judiciaires entraînant une solution proposée (1) et ceux
entraînant une solution imposée (2).
§1) Une solution proposée
134. Recommandation. Trois modes alternatifs
de règlement des litiges entraînent une solution proposée,
autrement dit une recommandation à l'égard des parties afin de
résoudre le litige : la conciliation, la médiation et la
transaction. Une recommandation n'a pas force exécutoire par
elle-même c'est-à-dire que les parties sont libres de l'appliquer.
Cependant dans certains MARC il est possible de rendre exécutoire cet
accord en le faisant homologuer a posteriori par le juge.
135. Conciliation. Au niveau européen
aucune définition de la conciliation n'est donnée, le droit
européen s'intéresse seulement à la médiation. Le
fait qu'il n'y ait aucune définition donnée à la
conciliation s'explique par le fait que c'est un mode consensuel de
règlement des litiges qui repose sur la volonté des parties. Cela
entraînant une grande liberté aux parties dans
l'élaboration de la procédure et l'issue de cette
dernière. Il est donc judicieux de se référer aux
différentes définitions données au sein des
différents droits internes.
En France, dans le langage courant la conciliation est
définie comme le fait de rapprocher des personnes que leur opinion et
leur intérêt divisent. En droit français, la conciliation
peut être définie de deux manières : c'est l'accord par
lequel deux personnes mettent fin au litige qui les oppose, mais c'est
également « la phase de la procédure au cours de
laquelle il est tenté de parvenir à un accord276
». Dans ce mode de règlement des litiges, les parties peuvent
parvenir à un accord par l'intervention d'une tierce personne
appelée conciliateur ou directement. Le rôle de conciliateur est
normalement assuré par le juge, c'est alors une conciliation judiciaire,
ou par un tiers ce sera la conciliation extrajudiciaire ou conventionnelle. Ce
qui relève du domaine des modes alternatifs de règlement du
litige est la conciliation conventionnelle.
275 Livre Vert du 19 avril 2002 sur les modes alternatifs de
résolution des conflits relevant du droit civil et commercial, point
trois page 6.
276 CORNU, Gérard in Vocabulaire juridique, 9ème
édition, PUF, 2011
122
En droit français la conciliation est une
procédure confidentielle et l'accord auquel elle donne lieu peut faire
l'objet a posteriori d'une homologation du juge afin de le rendre
exécutoire. Suite au décret du 20 janvier 2012 relatif à
la résolution amiable des différends, l'article 1530 du Code de
procédure civile, précise que la médiation et la
conciliation conventionnelles :
« s'entendent, de tout processus structuré,
par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en
dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution
amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers choisi par elles qui
accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence
».
Cette définition fait apparaître une assimilation
des deux procédés, la distinction entre les deux
procédés est donc floue.
En droit anglais, la conciliation a la même
définition qu'en France :
« The process of adjusting or settling disputes in a
friendly manner through extra judicial means. Conciliation means bringing two
opposing sides together to reach a compromise in an attempt to avoid taking a
case to trial.»
La distinction entre médiation et conciliation
paraît ardue en droit anglais.
En droit espagnol , la définition est toujours la
même qu'en France et en Angleterre, avec la même
277
distinction : conciliation judiciaire ou conciliation
conventionnelle. Les Etats membres sont donc en général
harmonisés sur leur définition de la conciliation.
136. Médiation. Elle est
définie, au niveau européen, par la directive du 21 mai 2008
relative à certains aspects de la médiation comme un :
« processus dans lesquels deux parties ou plus
à un litige transfrontalier tentent par elles-mêmes,
volontairement, de parvenir à un accord à l'amiable sur la
résolution de leur litige avec l'aide d'un médiateur
».
Cette directive s'applique aux matières civiles et
commerciales, sans pouvoir néanmoins s'appliquer aux droits et
obligations dont les parties ne peuvent disposer par elles-mêmes en vertu
de la législation pertinente applicable. Donc comme
développé préalablement pour le Livre Vert de 2002, cette
directive est applicable aux actions collectives en droit de la concurrence.
Qui plus est, la recommandation de la commission en date du 11
janvier 2013 relative à « des principes applicables aux
mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation
dans les États membres en cas de violation des droits
conférés par l'Union européenne » (2013/396/UE)
affirme que :
« Les États membres devraient veiller à
ce que les parties à un litige dans le cadre d'un
préjudice de masse soient incitées à
régler le conflit relatif à la réparation de façon
consensuelle ou extrajudiciaire, tant au cours de la phase
précontentieuse que durant le
277 Loi espagnole du 2 juillet 2015, article 139
123
procès civil, en tenant également
compte des exigences de la directive 2008/52/CE du Parlement
européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la
médiation en
matière civile et commerciale ».
Cela démontre bien que la directive de 2008 a vocation
à s'appliquer aux préjudices de masse et donc aux actions
collectives qui les traitent.
En son sein, la directive distingue médiation et
pourparlers contractuels, arbitrage et procédures quasi judiciaires
« telles que certaines procédures judiciaires de conciliation
». Or, la directive
278
vise ici la conciliation judiciaire et non la conciliation
conventionnelle.
Au demeurant, elle pose les contours de la procédure de
médiation qui se caractérise par la confidentialité. C'est
ce qui pourrait entraîner son essor en droit de la concurrence car
souvent l'entreprise auteur de l'infraction souhaitera préserver sa
réputation afin de ne pas compromettre son image de marque et conserver
ses clients.
De plus, elle aborde le sujet du caractère
exécutoire des accords issus de la médiation. L'accord qui
résulte de cette procédure n'est pas exécutoire de plein
droit, en effet, les parties sont libres de l'appliquer ou non c'est une simple
recommandation qui est faite par le tiers médiateur comme pour la
conciliation. En revanche, pour plus d'efficacité, si les parties
veulent rendre exécutoire leur décision, elles peuvent, ou l'une
d'entre elles avec le consentement exprès de l'autre, demander à
la juridiction ou une autorité compétente de rendre un jugement,
une décision ou un acte authentique a posteriori qui validerait
et donnerait force exécutoire à ce simple accord. Enfin, la
directive veille à ce que le fait pour les parties d'avoir recours
à la médiation ne les pénalisent pas sur le plan
judiciaire. En effet, elle sous-entend qu'elle souhaiterait que les
États membres instaurent une suspension du délai de prescription
de l'action durant la procédure de médiation, ce qui a
été fait au travers de la directive de 2014.
137. Confusion entre conciliation et
médiation. La frontière entre conciliation et
médiation n'est pas claire et pratiquement dans tous les ouvrages ces
MARC sont traités parallèlement. La législation de l'Union
européenne n'apporte rien à ce propos. En effet, elle ne donne
aucune définition de la conciliation mais en plus de cela elle donne une
définition très extensive de la notion de médiation :
« un processus structuré, quelle que soit la
manière dont il est nommé ou visé, dans lequel deux ou
plusieurs parties à un litige tentent par elles-mêmes,
volontairement, de parvenir à un accord sur la résolution de leur
litige avec l'aide d'un médiateur ».
Il ressort ici que la médiation engloberait tous les
procédés de résolution amiable « quelle que soit
leur dénomination ». Il semblerait que pour l'Union
européenne la conciliation et la médiation sont un seul et
même mode de règlement alternatif. En France par exemple,
plusieurs procédures correspondent à cette définition : la
conciliation par conciliateur de justice, la médiation proposée
par le juge, la conciliation en amont du procès, la médiation
proposée par le juge et la médiation
278 Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du
Conseil du 21 mai 2008, point 11.
124
initiée par les parties en dehors du procès.
Cependant, l'article 11 limite le champ d'application de cette
définition :
« la présente directive ne devrait pas
s'appliquer aux pourparlers précontractuels ni aux processus quasi
judiciaires tels que certaines procédures judiciaires de conciliation
».
Il apparaît donc que les phases de conciliation
obligatoire menées par le juge avant une instance ne rentre pas dans
cette définition. Mais le point 13 vient encore élargir cette
définition :
« La médiation prévue par la
présente directive devrait être un processus volontaire en ce sens
que les parties elles-mêmes sont responsables du processus et peuvent
l'organiser comme elles l'entendent et y mettre un terme à tout moment
».
Donc la médiation concerne tout processus volontaire et
organisé par les parties. Cette définition se
réfère autant à la médiation qu'elle soit
conventionnelle ou judiciaire qu'à la conciliation conventionnelle.
Certains auteurs estiment que la différence entre médiation et
conciliation réside dans l'attitude du tiers à résoudre le
conflit, ils pensent que le tiers est plus actif en conciliation qu'en
médiation. Mais cette distinction est très subtile. La question
qui se pose réellement est : est-ce qu'une distinction réelle
existe entre ces modes alternatifs de règlement des conflits ? Aucune
réponse n'a encore été donnée en droit de l'Union
européenne. C'est ce qui explique que lors de l'étude de la mise
en oeuvre des modes de règlement alternatif des conflits, la
médiation et la conciliation seront traités communément
pour mettre en perspective leurs différences et leurs points communs.
138. Transaction. La transaction est un
troisième type de mode alternatif des conflits qui entraîne une
solution proposée. La procédure de transaction ne connaît
pas de définition au sein de l'Union européenne. Cependant il
existe une procédure de transaction devant la Commission
européenne en cas d'entente anticoncurrentielle afin de diminuer
l'amende infligée à l'entreprise auteur de l'infraction.
Tout d'abord, il serait intéressant d'observer les
différentes définitions de la transaction conventionnelle dans
les pays de l'Union européenne avant de se focaliser sur la
procédure de transaction devant la Commission européenne. En
effet, comme précisé ci-dessus, l'Union européenne ne
donne pas de définition de la transaction conventionnelle rapprochant
deux parties, certainement car c'est un mode consensuel de règlement des
conflits et que ce qui fait sa force est la volonté des parties. Cela
démontre la liberté des parties dans ces procédures.
En France, la transaction est définie à
l'article 2044 du Code civil comme étant : « un contrat par
lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent
une contestation à naître ». Il en ressort qu'une
transaction peut intervenir pendant une instance juridictionnelle ou avant tout
litige. Elle entend des concessions réciproques de la part des deux
parties, les parties au litige doivent donc être dans une relation
d'obligations réciproques qui permettent à chacune de faire des
concessions. Le Code civil confère à l'accord l'autorité
de la chose jugée en dernier ressors, autrement dit, le litige est
définitivement réglé du fait de la transaction et il n'est
plus possible de
125
venir le contester devant un tribunal. De plus, il est
possible de donner force exécutoire à cet accord a posteriori
en homologuant cette dernière par le Président du Tribunal
de grande instance. La transaction est réglementée dans plusieurs
pays comme le droit belge279, mais également en droit
anglo-saxon et dans les pays du common law où la technique du «
settlement » dépend également du droit civil.
L'Union européenne connaît, cependant, la
procédure de transaction dans le cadre du public enforcement.
Cette procédure a été créée en juin 2008,
elle permet à la Commission de conclure une transaction avec des
sociétés impliquées dans des affaires d'entente selon une
procédure simplifiée. Lorsque la commission ouvre une
enquête à l'encontre de deux entreprises soupçonnées
d'une entente anticoncurrentielle, les parties qui ont pris connaissance des
éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission
peuvent décider de reconnaître leur participation à cette
entente. En effet, la Commission va avoir accès aux
éléments de preuve qui constate l'entente et entendre les
observations des parties. Les parties par la suite peuvent choisir de
reconnaître ou non l'entente. En échange de cette reconnaissance,
la Commission pourra faire bénéficier les parties d'une
réduction de 10% du montant de l'amende infligée280.
Par la mise en place de cette procédure, la Commission vise à
réduire l'ampleur des procédures judiciaires dans le domaine des
ententes, ce qui désengorgerait les tribunaux et permettrait à la
Commission de se consacrer à d'autres affaires. À la
différence de la transaction conventionnelle de droit privé, la
procédure de transaction devant la Commission impose une solution aux
parties malgré la réduction de l'amende.
Il existe tout de même des points communs entre ces deux
procédure, tout d'abord, le consensualisme car pour que cette
procédure soit efficace il faut que l'entreprise ait la volonté
de coopérer avec la Commission. Il ressort de cette procédure des
concessions réciproques de la part des deux parties : la Commission
accorde une réduction de l'amende et l'entreprise en contrepartie se
dénonce et s'engage à payer l'amende versée au titre de
l'entente. Mais cette procédure de transaction de la Commission ne peut
pas être considérée comme une procédure de
règlement consensuel des actions collectives en droit privé. En
effet, elle fait intervenir une autorité publique et relève du
public enforcement donc de l'ordre public.
139. Distinction
transaction/médiation. Il ressort des définitions
sus-citées que la différence entre transaction et
médiation est aisée. La transaction est un contrat et doit
être souvent constatée par un écrit, notamment en droit
français. De plus, il entraîne des concessions réciproques
et a autorité de la chose jugée en dernier ressort. Donc la
transaction est assimilée directement à l'accord qui
résulte d'un processus de règlement amiable et non pas au
processus préalable à l'accord. La médiation, elle, est un
processus de recherche d'un accord.
140. Distinction conciliation/transaction.
La conciliation se réfère aussi bien au processus
préalable à l'accord qu'à l'accord lui-même. La
distinction est que dans la transaction il faut
279 article 2044 du Code civil
280 Communication de la Commission relative aux
procédures de transaction engagées en vue de l'adoption de
décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) no
1/2003 du Conseil dans les affaires d'entente (Texte présentant de
l'intérêt pour l'EEE) (2008/C 167/01)
126
obligatoirement des concessions réciproques des deux
parties alors qu'au terme d'une procédure de conciliation une partie
peut renoncer à son droit sans forcément y trouver une
contrepartie.
Il ressort de cette étude des MARC, que les actions
collectives disposent d'un panel diversifié de modes de règlement
consensuels des litiges. Cependant la différence entre ces modes de
règlement est très subtile et parfois difficile à cerner.
En droit de la concurrence, le moyen le plus utilisé est la transaction
qui est l'outil le plus adapté du fait du caractère indemnitaire
du contentieux. Il représente aux Etats-Unis 90%281 des modes
de règlement extrajudiciaire en private enforcement. L'Union
européenne ne connaît pas de définition harmonisée
au niveau européen des notions de conciliation et de transaction car ce
sont des modes de règlement alternatif des conflit reposant uniquement
sur la volonté des parties, toutefois cette distinction juridique ne
pose concrètement pas de problème pratique (il s'agit
intrinsèquement de rechercher un accord).
En plus de ces modes de règlement alternatif des
conflits proposant des solutions aux parties, il existe un autre mode de
règlement des conflits faisant intervenir une tierce personne :
l'arbitrage.
§2) Une solution imposée
141. Arbitrage. À côté
des modes alternatifs de règlement des litiges aux solutions
proposées, c'est-à-dire que les parties sont libres ou non de
suivre, il existe un mode de règlement consensuel des litiges
débouchant sur une solution imposée : l'arbitrage.
142. Définition. L'arbitrage est un
processus par lequel les parties d'un commun accord soumettent leur litige
à des personnes qu'elles choisissent et auxquelles elles donnent pour
mission de rendre une décision appelée sentence arbitrale.
Sentence qui s'impose aux parties, l'application de cette sentence est
totalement déconnectée de l'acceptation des parties. Il va de soi
que cette différence a de grandes répercussions pratiques :
l'arbitrage apparaît comme plus effectif. L'arbitrage est l'exercice par
une personne privée du pouvoir de juger.
143. Nature. L'arbitrage fait partie des
modes alternatifs de règlement des conflits. Cependant, il a une nature
qu'on peut qualifier d'« hybride »: mi-juridictionnelle car les
décisions de l'arbitre s'imposent aux parties et mi-contractuelle car
les parties choisissent, non seulement de recourir à l'arbitrage mais
également, le ou les arbitres et la loi applicable. La question qui se
pose est de savoir si l'arbitrage est réellement un mode alternatif de
règlement des conflits. En effet, les ouvrages font souvent la
distinction entre MARC et arbitrage. Cependant tout est une question de
terminologie, si le mot « alternatif » s'entend comme alternatif
à une procédure juridictionnelle, dans ce cas ce n'est pas un
MARC (car la procédure est similaire aux procédures
juridictionnelles et la sentence s'impose aux parties). Par contre, si les MARC
sont dits alternatifs par rapport aux modes de règlement des conflits
étatiques, l'arbitrage est une mode alternatif.
281 statistique provenant de MAGUIRE, Kathleen in Antitrust
cases filed in U.S. District Courts, by type of case 1975-2010 in Sourcebook of
Criminal Justice Statistics. University at Albany, Hindelang Criminal Justice
Research Center, (Table 5.41.2010). En ligne:
http://www.albany.edu/sourcebook/pdf/t5412010.pdf.
127
144. Différents types d'arbitrage. Il
existe deux types d'arbitrage : l'arbitrage dit « ad hoc »
et l'arbitrage dit « institutionnel ». Le premier est
entièrement organisé par les parties, aucune aide
282
n'est reçue par les parties de la part d'une structure
externe. Ce qui a pour conséquence une plus grande liberté
d'organisation pour les parties (pas de soumission à un règlement
institutionnel). Dans le second, les parties peuvent choisir une juridiction
d'arbitrage qui peut être nationale, régionale ou internationale,
spécialisée ou généralisée comme par exemple
la Chambre de commerce internationale, la London Court of International
Arbitration, la Commission interaméricaine d'arbitrage commercial,
l'American Arbitration Association avec l'International Centre for
Dispute Resolution (ICDR) qui a même un règlement pour
l'arbitrage des actions collectives (Supplementary Rules for class
arbitration).
145. Sources de l'arbitrage. L'arbitrage
trouve ses sources en droit international au travers des conventions
internationales qui ont surtout pour objet de résoudre la question de
l'efficacité des sentences rendues par les arbitres, mais
également en droit interne. Tout d'abord, la Convention de New York du
10 juin 1958 a pour objet le régime et la reconnaissance des sentences
arbitrales étrangères283, mais pas seulement, elle
pose aussi des règles matérielles relatives à la
convention d'arbitrage. En effet, elle demande que les États
reconnaissent la licéité des conventions d'arbitrage, aussi bien
du compromis que de la clause compromissoire. De plus, elle affirme que la
validité des conventions d'arbitrages soit soumise à un
écrit (sauf application d'un droit plus favorable). En droit interne,
chaque pays a sa propre législation concernant l'arbitrage interne et
international, mais également, ses propres critères de
distinction. En France par exemple : le première critère
d'origine doctrinal est issu de la doctrine Matter, elle qualifie le
contrat « d'international » lorsqu'il existe
284
des flux et des reflux au-delà des frontières.
Cependant ce critère s'est vite révélé insuffisant
et le législateur est intervenu et utilise le concept de la : «
la mise en cause des intérêts du commerce
international285». Critère extrêmement flou,
mais la jurisprudence est peu exigeante, ainsi le doute profite à
l'internationalité selon une formule récurrente dans les
arrêts : « il suffit qu'elle ne se dénoue pas
économiquement dans un seul État ». Par opposition, le
droit Suisse, lui, plus précis a
286
choisi le critère du domicile.
Pour savoir quelles règles l'arbitre devra suivre afin
de résoudre le litige, il faudra suivre les règles du pays du
siège de l'arbitrage qui est désigné par les parties. Soit
ces règles imposent une liberté totale à l'arbitre, soit
il va devoir suivre le droit interne pour régler le litige.
146. Arbitrage et droit de la concurrence.
Le litige relevant du droit de la concurrence peut-il être tranché
par la voie de l'arbitrage ? En général, l'arbitrabilité
du litige dépend de la matière sur
282 KENFACK, Hugues in Mémento Dalloz, Droit du commerce
international, 2015
283 L'exequatur des sentences arbitrales n'est pas régie
par le Règlement Bruxelles I bis
284 doctrine Matter avec le critère du flux et
du reflux qui a été élaboré par l'Avocat
général P. Matter par référence au problème
de la nature du paiement international dans ses conclusions sous l'arrêt
Pelissier du Besset du 17 mai 1927.
285 article 1492 du Code de procédure civile
français
286 Cour de cassation, 1ère chambre civile, arrêt
n° 71 du 26 janvier 2011, n°09-10.198
128
laquelle il porte. En droit français par exemple, le
litige ne peut relever de l'arbitrage que s'il porte sur des droits dont les
parties ont la libre disposition. En droit de la concurrence, la Cour
suprême des États-Unis, dans un arrêt Mitsubishi le
2 juillet 1985, a reconnu l'arbitrabilité des litiges de droit
antitrust. En droit français, la Cour d'appel de Paris a rendu
un arrêt en date du 19 mai 1993, arrêt
Labinal287, où elle décide de
l'arbitrabilité des litiges de droit communautaire de la concurrence.
L'arbitre ne peut cependant pas prononcer de sanctions comme des amendes ou des
injonctions mais il peut :
« tirer les conséquences civiles d'un
comportement jugé illicite au regard des règles d'ordre public
pouvant être directement appliqué aux relations des parties en
cause ».
En droit comparé, le droit américain
conçoit l'idée de mettre un consommateur devant un tribunal
arbitral (inconcevable en arbitrage interne français par exemple, la
clause compromissoire étant abusive ; mais pas en arbitrage
international). Le juge américain est même allé plus loin
en combinant la class action avec l'arbitrage pour créer la
« class wide arbitration288 ». Procédure
dans laquelle un ou plusieurs requérants ayant subis de la part du
même défendeur un préjudice dont l'origine est commune
exercent au nom d'une catégorie de personnes un arbitrage (toutefois, en
droit américain, il faut « expressément » consentir
à l'arbitrage289). Enfin, la clause compromissoire (ou le
compromis) doit permettre un tel arbitrage, le principe de
compétence-compétence impose au tribunal arbitral d'en
décider (décision de « clause construction award
» qui peut en principe être
290
contestée ).
291
Face à ce risque existe un traitement ex-ante
dans les contrats avec des clauses interdisant un recours collectif dit
« class action waiver », moyen de défense contre
l'arbitrage collectif (consacré par la Cour Suprême
américaine dans American Express v. Italian Colors, 130 S. Ct.
2401, 2013 ).
292
La question reste au regard du droit européen mais il
semble que si la victime est un consommateur et que l'arbitrage est interne ou
international mais se déroule dans un pays membre de l'Union
287 Cour d'appel de Paris, 19 mai 1993, affaire
Société Labinal/Sociétés Mors et Westland
Aerospac
288 mouvement qui commence par une décision de la
California Supreme Court : Keating v. Superior Court, 645 P. 2d 1192 (Cal.
1982)
289 U.S. Supreme Court, 27 avril 2010, 130 S. Ct. 1758 (2010)
Stolt Nielsen S.A et v. Animalfeeds International Corp.
290 U.S. Supreme Court, arrêt Mitsubishi Motors Corp. v.
Soler Chrysler-Plymouth, Inc., 473 U.S. 614, 624-28 (1985)
291 tout dépend du droit applicable ou du
règlement institutionnel applicable (ici au regard du American
Arbitration Association).
292 Cour suprême estime que le Federal Arbitration
Act permet aux parties de prévoir une renonciation à tout
arbitrage collectif, ne laissant à celles-ci qu'un recours individuel,
quand bien même celui-ci implique de débourser des frais plus
élevés que les dommages et intérêts prévus
par la loi fédérale si la sentence arbitrale est en leur
faveur.
129
européenne, il y a un risque que la clause soit en
toute état de cause déclarée abusive notamment au regard
de la directive européenne sur les clauses abusives (article 3.3).
293
Pour conclure, l'arbitrage apparaît comme un outil utile
du fait de sa discrétion, néanmoins il n'est pas aussi rapide que
la transaction. D'autre part, l'utilité de l'arbitrage suite à
une action collective en follow-on peut paraître faible au
regard des présomptions posées par la directive sur les actions
en dommages et intérêts ; la véritable question
étant plus sur le montant que sur la responsabilité de l'auteur
(la « simulation » d'un procès perd ainsi de son
intérêt). Toutefois, le fait que l'arbitrage organise ce «
procès » arbitral permet une représentation juridique des
arguments (plutôt que factuelle) qui peut aller en faveur de l'entreprise
contrevenante au regard de la complexité du contentieux concurrentiel.
De plus, elle permet par hypothèse à des arbitres reconnus et
qualifiés en économie et droit de la concurrence de juger ce qui
est indéniablement un plus quant à la qualité de la
sentence.
293 Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993,
concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les
consommateurs précisant que peut être abusive une clause : «
q) de supprimer ou d'entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies
de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à
saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des
dispositions légales, en limitant indûment les moyens de preuves
à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une
charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement
à une autre partie au contrat » (rappelant la théorie
de l'unconscionablity).
130
147. Conclusion. Les différents modes
de règlement consensuel des litiges offrent une multiplicité de
possibilité de résolution amiable aux parties au contentieux. Le
législateur est favorable depuis très longtemps (section
1§1) à ce type de résolution extrajudiciaire. Ce qui
s'explique par ses qualités intrinsèques qui sont essentiellement
: la flexibilité, la confidentialité et la
complémentarité aux procédures judiciaires (section
1§2). Autant de qualités qui poussent les entreprises à se
tourner vers ce type de résolution. Deux voies s'offrent à elle,
une solution proposée qui s'apparente à une négociation
plus ou moins formalisée entre les parties (section 2§1), ou une
solution imposée lors d'un arbitrage (section 2§2).
131
Chapitre 2 - Les modalités concrètes
d'utilisation des règlements consensuels
148. Modalité concrète. La
question de l'utilisation d'un mode de règlement amiable doit pouvoir se
faire sans que cela soit rédhibitoire aux parties, de ce fait la
directive n°2014/104 a prévu d'harmoniser la question de le la
prescription au regard des règlements amiables (Section
1). Qui plus est, il est opportun de se focaliser sur un processus de
règlement amiable en particulier : la transaction qui semble la plus
adéquate face aux recours collectifs (Section 2).
Section 1 - La nécessaire suspension de la
prescription
149. Uniformisation. La directive
n°2014/104 prévoit un avantage processuel considérable
à la mise en oeuvre des MARC : la suspension du délai de
prescription pendant toute la durée de la procédure (article 18).
Les États membres ont des règles différentes par rapport
à la prescription de l'action lors de la mise en oeuvre des
règlements alternatifs des conflits (1) que la directive va harmoniser
lors de sa transposition en droit interne294(2).
Il est à noter que l'article 18 point 2 de la
directive 2014/104 dispose que :
« Sans préjudice des dispositions du droit
national en matière d'arbitrage, les États membres veillent
à ce que les juridictions nationales saisies d'une action en dommages et
intérêts puissent suspendre leur procédure pendant une
période allant jusqu'à deux ans lorsque les parties à
celle-ci participent à une procédure de règlement
consensuel du litige concernant la demande couverte par l'action en dommages et
intérêts ».
Cela signifie que la directive s'applique concernant la
suspension du délai de prescription à défaut de
disposition relevant du droit interne des États membres en
matière d'arbitrage contraire. Le droit européen n'a pas vocation
à s'appliquer à l'arbitrage, cependant il ne faut pas que le
droit interne soit contraire à l'ordre public européen. Il faudra
donc que les États prennent en compte cette directive en matière
d'arbitrage pour se conformer à l'ordre public européen.
§1) Une diversité de
régimes
150. Suspension et interruption. L'Union
européenne est marquée par une diversité de pays ayant
chacun leurs propres droits internes marqués par des règles
différentes. La directive met en place une suspension du délai de
prescription lors d'une procédure de règlement alternatif des
litiges. Il faut étudier les différents droits internes avant la
nécessaire transposition de la directive concernant les délais de
prescription en général (article 10 de la directive) et au regard
de l'article 18 de la directive de 2014. L'article 18 de la directive utilise
le mot « suspension » qui doit être
différenciée de l' « interruption ». La
suspension arrête temporairement le délai de prescription sans
effacer le délai déjà couru. L'interruption met un terme
au délai de prescription qui reprendra de
294 avec comme date limite le 27 décembre 2016
132
zéro après la survenance d'un certain
événement. Ainsi, l'article 18 prévoit une suspension du
délai de prescription qui reprendra lors de la fin de la
procédure de règlement consensuel des litiges.
151. Allemagne. En droit allemand, quelques
modifications devront être nécessaires notamment concernant la
durée du délai de prescription. Le paragraphe 199 du Code civil
allemand dispose que le délai de prescription d'une action en dommage et
intérêt est de 3 ans. Ce délai de prescription va devoir
être porté à 5 ans pour que le droit allemand soit conforme
à la directive. Le point de départ de ce délai est le
même que celui précisé au sein de la directive. Le droit
allemand paraît même plus libéral car le délai
commence à partir du moment où le demandeur ignorant son droit
à réparation devrait en avoir eu connaissance sans «
négligence grossière ». Contrairement à la
directive, il laisse courir le délai de prescription à partie de
la connaissance du droit alors que la directive le fait courir à partir
du moment où l'infraction au droit de la concurrence a cessé.
Ensuite, par rapport à l'article 18 de la directive
n°2014/104, une suspension du délai de prescription en cas de
négociation menées par les parties concernant le droit à
réparation existe déjà ( 203 BGB). Le droit allemand
institue même un délai de réflexion à l'issue de la
négociation de trois mois, durant lesquels le délai de
prescription sera toujours suspendu et recommencera à courir à
l'issue de ces trois mois.
152. Italie. En droit italien, la
transposition de la directive aura un impact car le droit italien
prévoit une prescription quinquennale sans suspension de la
prescription. La Cour de cassation italienne dans un arrêt du 2
février 2007 affirme le principe selon lequel le point de départ
du délai de prescription commence à courir à compter du
jour de l'extériorisation du dommage et non du jour où la
conduite dommageable cesse. Le point de départ du délai de
prescription va donc dans le même sens que celui de la directive mais
nécessitera des précisions pour être conforme.
153. France. En droit français, le
délai de prescription de l'action en dommage et intérêt est
de 5 ans :
295
« à compter du jour où le titulaire d'un
droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de
l'exercer ».
Donc le point du départ du délai commence
à courir à compter du moment où la victime a eu
connaissance de l'infraction ou aurait du en avoir connaissance. Aucun
changement substantiel du fond du droit applicable ne sera nécessaire
(mais uniquement des précisions textuelles).
Concernant l'article 18 et la suspension du délai de
prescription en cas d'utilisation de règlement alternatif des litiges et
notamment de médiation ou de conciliation, le droit français par
son article 2238 du code civil instaure une suspension du délai de
prescription pendant tout le temps de la procédure de règlement
amiable.
295 article 2224 du Code civil
133
154. Panorama. Les divers États
membres de l'Union européenne ont des règlementations
différentes en droit interne concernant les délais de
prescription des actions en dommage et intérêt, le point de
départ de ces délai et l'impact des procédures de
règlement alternatif des litiges sur ces délais.
§2) Une harmonisation européenne
155. Prescription et suspension. La
directive met en avant les modes consensuels de règlement des
différents et pour les rendre plus attractifs elle leur attribue un
avantage processuel non-négligeable dans son article 18 : la suspension
du délai de prescription. Avant cela au sein de son article 10 elle tend
à harmoniser les délais de prescription concernant les actions en
dommages et intérêts dans les différents États, sans
cela son article 18 n'aurait pas de sens. En effet, si chaque États
avaient des délais de prescription différents mais transposaient
tous l'article 18 concernant la suspension, certains régimes internes
seraient donc plus intéressants que d'autres et lors de litiges
transfrontaliers on se retrouveraient avec deux délais différents
se confrontant.
156. Article 10 et 18. L'article 10.4 de la
directive dispose que : « Les États membres veillent à
ce que les délais de prescription applicables aux actions en dommages et
intérêts soient de cinq ans au minimum ».
La directive commence tout d'abord par harmoniser les
délais de prescription des actions en dommages et intérêts
avec un délai de 5 ans ; ce qui engendrera comme vu
précédemment une modification des délais de prescription
pour ces actions en Italie et en Allemagne notamment. Ensuite, la directive
pose la règle concernant le point de départ du délai de
prescription :
«Les délais de prescription ne commencent pas
à courir avant que l'infraction au droit de la concurrence ait
cessé et que le demandeur ait pris connaissance ou puisse
raisonnablement être considéré comme ayant connaissance
:
a) du comportement et du fait qu'il constitue une infraction
au droit de la concurrence;
b) du fait que l'infraction au droit de la concurrence lui a
causé un préjudice; et
c) de l'identité de l'auteur de
l'infraction.»
La directive commence tout d'abord par une définition
négative du point de départ du délai de prescription. Le
point de départ de ce délai commence à courir une fois que
l'infraction au droit de la concurrence à cesser et non avant (ce qui
est intéressant pour les victimes en cas d'infraction continue). Elle
énumère ensuite trois faits qui font démarrer le
délai de prescription, la connaissance soit du comportement
entraînant une infraction au droit de la concurrence, du fait que cette
infraction lui ait causé un préjudice et de l'identité de
l'auteur de l'infraction. La directive précise « puisse
raisonnablement être considéré comme ayant connaissance
» ce qui permet de sanctionner tout de même une
négligence excessive de la part de la victime de l'infraction.
L'article 18 de la directive dispose que :
134
« Les États membres veillent à ce que
le délai de prescription fixé pour intenter une action en
dommages et intérêts soit suspendu pendant la durée de
toute procédure de règlement consensuel du litige. Cette
suspension ne s'applique qu'à l'égard des parties qui participent
ou ont participé à ladite procédure ou y ont
été représentées »
La directive par cette disposition instaure une suspension du
délai de prescription durant la procédure de règlement
amiable en droit de la concurrence, ce qui est un nécessaire pour un bon
déroulement de ces procédures, renforçant ainsi son
attractivité. En effet, il ne faudrait pas que les parties ayant recours
à un mode consensuel de règlement des litiges soient
pénalisées si elles n'arrivent pas à trouver un terrain
d'entente. En cas de non aboutissement de la procédure consensuelle, il
faut que la voie judiciaire puisse rester ouverte. Et c'est dans ce but que la
directive a mis en place une suspension du délai de prescription pour
permettre une efficacité de la justice et préserver le droit
à indemnisation de la victime d'une infraction au droit de la
concurrence.
Section 2 - Focus sur la transaction
157. Contre-modèle américain.
Par ailleurs penser l'opportunité des règlements
consensuels découlant des droits internes européens demande,
malgré le caractère paradoxal de la chose, d'étudier le
droit américain des actions collectives.
En effet, ce choix s'explique car le droit européen
des actions collectives s'est construit sur le modèle américain
ou du moins en « contre-modèle ». En effet aux
États-Unis ont une tradition
296
juridique ancienne sur le sujet, les premières
class actions furent consacrées en 1942, date à laquelle la
Cour américaine promulgua les règles fédérales
d'équité (aujourd'hui codifiée à l'article 23 des
Règles fédérales de procédure civile). Cette
tradition ancienne par la multiplicité des décisions et
l'affinement de son analyse par la doctrine, permet de donner de la «
matière » à une analyse de celui-ci, comparativement aux
balbutiements des class actions en Europe. Contre-modèle aussi,
car il inspire des critiques vives du fait de ses dérives et permet au
législateur d'imaginer des solutions à ses imperfections. Le
sujet est ici d'autant plus probant que comme déjà
expliqué 90% du contentieux privé se termine en transaction. Par
conséquent, il conviendra donc d'étudier en quoi la transaction
est le mode de règlement consensuel le plus adéquat (1) mais
aussi les risques inhérents à ce type de résolution
amiable (2).
§1) La transaction : un outil
adéquat
158. Exemple américain. Le
contentieux privé aux Etats-Unis se résout quasiment tout le
temps par des transactions. Comment expliquer cette statistique ? Comme le
relève le Livre Blanc à la page 10 :
296 Néanmoins, il faudra rappeler que la class
action a une origine anglaise et non américaine. En effet, les
juges anglais statuant en équité ont créé la
procédure du Bill of Peace au XVIIème siècle. Celle-ci
permet à de nombreux demandeurs ou défendeurs de faire juger une
question commune au cours d'une même instance (cf. YEAZELL,
Stephen C. in From Medieval Group litigation to the Modern Class Action,
1987).
135
« Il convient d'accorder une attention
particulière aux mécanismes favorisant un règlement rapide
des litiges, tels que les accords transactionnels. Ce type de
mécanisme pourrait réduire sensiblement voire supprimer les frais
liés au contentieux pour les parties ainsi que les coûts
supportés par le système judiciaire. »
159. Avantage de la transaction. Comme un
concurrent victime qui sera apte à saisir la juridiction « à
même de lui accorder une réparation satisfaisante », les
consommateurs ou les PME regroupés dans une action collective pourront
eux aussi prendre la voie judiciaire ou rechercher une indemnisation par le
biais de transactions .
298
Le succès de la transaction tient dans ses avantages
et le fait qu'elle correspond parfaitement aux demandes du contentieux
indemnitaire dans la plupart des hypothèses (notamment dans le cadre du
contentieux en follow-on). En effet, la transaction permet un
traitement amiable qui permet de limiter la durée et les coûts
liés à la procédure. Elle répond surtout à
l'essence même du contentieux si l'action collective est en
follow-on, en effet dans ce contexte, si la décision de
condamnation est définitive, apparaît par les articles de la
directive que la défense devienne très difficile. La question
n'est plus de savoir si l'entreprise est responsable mais dans quelle mesure ?
Mesure de la responsabilité qui peut prendre place autour d'un
débat économique sur l'importance de l'infraction et sa
répartition entre les coauteurs. Mesure qui va surtout se transformer en
une question de montant : combien ? Face à cette question, l'arbitrage
n'a peu ou prou pas d'intérêt car il s'apparente plus au
procès civile alors que la transaction, elle répond directement
par les concessions réciproques. Il s'agit d'abandonner un montant
réparant l'infraction en échange d'une renonciation à
l'action.
L'accord transactionnel a donc la faveur du
législateur européen qui doit en partie s'inspirer de
l'efficacité relative du private enforcement aux
Etats-Unis297.
160. Jeu. Renonciation qui prend la forme
d'une transaction donc, dont le véritable enjeu sera sur la
négociation du montant qui, elle, devra se faire en appuyant sur la
menace contentieuse. L'entreprise contrevenante peut ainsi par exemple pointer
sa capacité à retarder l'issue du litige, arguer du partage de
responsabilité avec des coauteurs ou encore jouer par le biais de
rapport d'expert. En rendant la décision plus aléatoire que
prévue elle fait ainsi baisser le montant à payer aux parties
à la transaction. Il s'agit d'un jeu de pressions réciproques des
parties qui vont toute à la fois faire jouer la menace contentieuse
toute en cherchant un accord extra-judiciaire pour chacune optimiser leur
chance de « gain ». Ainsi, apparaît l'utilité des
transactions qui connaissent un essor difficilement mesurable mais
sensible299.
297 l'efficacité du private enforcement
pouvant s'expliquer aussi par un public enforcement efficace mais
statistiquement moins important (du fait des actions en follow-on).
298 PRIETO, Catherine et BOSCO, David in Droit européen
de la concurrence. Ententes et abus de position dominante, 2013, p. 1423.
299 RODGER, B. J. in Private Enforcement of Competition Law,
The Hidden Story : Competition Litigation Settlements in the United Kingdom,
2000-2005 : ECLR, 2008, 29(2), p. 96 et s.
136
§2) La transaction : un outil dangereux
161. Transaction et équité. En
droit américain il y a un contrôle par le juge a posteriori
de l'accord transactionnel : « the judge must review and approve
any settlement as fair, reasonable, and adequate with respect to the class
». Cela s'explique comme le fait remarquer Adolf Wach :
« There must be norms ruling what parties are allowed to
do and what they aren't, as well
as norms ruling what they aren't allowed to do, although
they are mutually ready to allow it300 ».
Cette vision du risque inhérent aux transactions
apparaît aussi en droit européen, ou du moins en droit mou, au
travers de la recommandation de 2013 sur les recours collectif qui
précise que :
« 28. Il convient que la légalité des
solutions contraignantes issues de transactions collectives soit
vérifiée par une juridiction, compte tenu de la
protection qu'il est opportun d'accorder aux intérêts et aux
droits de toutes les parties concernées. »
162. Principal-agent et contingency
fees. Pourquoi une telle défiance au regard d'un accord
consensuel ? Tout d'abord, existe le risque de recours abusifs et
infondés par des avocats peu scrupuleux dans l'unique but de soutirer de
l'argent par le biais d'une transaction à des entreprises solvables
ayant une certaine réputation et qui craignent une mauvaise
publicité du fait d'une class action même infondée
(technique dite de l'ambulance chasing). Spécifiquement dans
les actions
301
collectives, c'est aussi le problème connu de la
relation entre un principal et son préposé (dit «
principal-agent »). En outre, plus les membres d'un groupe sont
nombreux, plus ils sont limités dans leur aptitude à
contrôler la conduite de leur représentant, décalage qui
peut exister entre les motivations des membres d'un groupe et celles de
l'avocat qui les représente.
Quel intérêt pour l'avocat ?
L'intérêt c'est des honoraires de résultat, ce qui laisse
supposer qu'ils pourraient prendre leurs décisions non pas dans
l'intérêt de leur client mais dans leur propre
intérêt302. Face à ce risque des honoraires de
résultat qui viendrait priver les victimes d'une représentation
en justice efficace, la recommandation sur les recours collectifs
prévoit de les limiter ou de les contrôler :
« 29. Les États membres devraient veiller
à ce que la rémunération des avocats et son mode de calcul
ne créent aucune incitation à engager des
procédures judiciaires qui ne soient pas nécessaires dans
l'intérêt des parties.
30. Les États membres ne devraient pas permettre le
versement d'honoraires de résultat qui risquent de créer une
telle incitation. Les États membres qui, à titre
exceptionnel,
300 WACH, Adolf in Vorträge über die
Reichs-Civilprocessordnung. Gehalten vor prakt. Juristen im Frühjahr 1879
(1896), p. 53
301 dérive comportementale qui peut être
sanctionnée, par exemple en droit américain sous la Rule 7.3 du
American Bar Association Model Rules of Professional Conduct.
302 GILLES, Myriam et FRIEDMAN, Gary B. in Exploding the Class
Action Agency Costs Myth : The Social Utility of Entrepreneurial Lawyers,
(2007) 155 U Pa L Rev 103, p. 104
137
autorisent des honoraires de résultat devraient
prévoir une réglementation nationale appropriée de ces
honoraires en cas de recours collectif, compte tenu notamment du droit des
membres d'un groupe constituant la partie demanderesse à obtenir une
réparation intégrale. »
163. Coupon. Les coupon settlements
sont logiquement un enjeu au regard des transactions. Ainsi, lors d'une action
collective et son règlement transactionnel au lieu de recevoir un
chèque, les victimes reçoivent un bon de réduction chez le
défendeur (entreprise contrevenante) tandis que les avocats obtiennent
des millions de dollars en honoraires :
« Par exemple, après que le Department of
Justice avait terminé sa poursuite contre la société
Microsoft pour des infractions aux règles de la concurrence en 2001,
plusieurs avocats ont commencé une action privée dans la
Californie au nom et pour le compte des consommateurs californiens. La
société Microsoft et ses avocats ont négocié un
accord à l'amiable évalué d'un montant de $1,1 milliards.
Selon le règlement, tous ceux qui avaient acheté des produits
Microsoft entre les années 1995 et 2001 pouvaient réclamer
à cette société un bon d'achat en remplissant un
formulaire. La majorité de ces bons ne valaient pas plus de $20. En
revanche, l'avocat qui avait mené l'action a demandé la somme de
$97 millions pour services rendus et $197 millions supplémentaires
ont été demandés par les trente-quatre autres
avocats ayant travaillé sur ce dossier. Ces honoraires ne
dépassaient pas vingt-sept pour cent de la somme accordée aux
consommateurs, mais puisque la totalité d'une telle transaction est
rarement distribuée, ce pourcentage était probablement plus
grand303 ».
Pour l'entreprise, l'avantage est triple : elle paye une
amende moindre, va a posteriori recevoir une partie de ce qu'elle a
payé et voit revenir ses anciens clients chez elle (baisse du coût
réputationnel).
303 NEUMANN, Karl-Alexander et WADE MAGNUSSON, Landon in Pour
une action collective européenne dans le droit de la concurrence, 24.2
(2011) Revue québécoise de droit international, page 160
138
164. Conclusion. Les modalités
concrètes de la mise en place de mode de règlement consensuel se
font au travers d'une suspension du délai de prescription
nécessaire pour éviter que ces modes de règlement ne
soient trop désavantageux (section 1§2) ; cela permet de corriger
le régime antérieur où
l'hétérogénéité des régimes pouvaient
être cause d'inégalité de traitement dans le cadre de cette
deuxième voie alternative aux tribunaux (section 1§1).
Le cadre procédural étant posé, il est
opportun de se pencher sur la transaction qui est le mode de règlement
le plus adéquat aux actions collectives (section 2§1). Ce mode de
règlement très développé dans le cadre du
private enforcement aux Etats-Unis n'est pas sans questionner certains
abus qui en découlent (section 2§2), comme les coupon
settlement ou les contingency fees.
139
Titre 2 - Stratégie des modes de
règlements consensuels face aux actions
collectives
165. Stratégie et économie.
Comme il a été dit précédemment les
actions collectives et leurs règlements consensuels forment un couple
qui semble indissociable tant les avantages sont nombreux pour les deux parties
aux litiges, notamment en coût et en temps.
L'entreprise contrevenante voit surtout par le biais
extra-judiciaire le meilleur moyen de négocier le montant de
l'indemnisation. Cela s'explique par le fait que le contentieux des actions
en private enforcement est surtout focalisé par les actions
en follow-on, en effet en matière : « d'actions
indépendantes, les succès sont ponctuels et peu significatifs. Au
contraire, s'agissant des actions de suivi, une étude empirique sur la
période 1999-2012 révèle une meilleure
efficacité304 ».
Qui plus est, la directive n°2014/104 donne un
régime très favorable aux victimes que ce soit les consommateurs
et les PME en cas de recours en indemnisation par notamment des jeux de
présomptions. Ainsi, face à ce risque accru de condamnation, le
règlement extra-judiciaire peut être une moyen d'action
intéressant pour les entreprises.
Quoiqu'il en soit, face à ce risque apparaît pour
l'entreprise deux modalités de gestion du contentieux collectif : une
gestion opportune lors du contentieux (Chapitre 1), une
gestion intensive pré-contentieux par l'entreprise (Chapitre
2).
304 ZAMBRANO, Guillaume in L'inefficacité de l'action
civile en réparation des infractions en droit de la concurrence,
étude du contentieux français devant le Tribunal de Commerce de
Paris (2000-2012), thèse de l'Université de Montpellier, 2012, p.
91
140
Chapitre 1 - Gestion opportune de l'action collective par
le règlement extrajudiciaire
166. Coût et stratégie. Le
contentieux étant né, la stratégie peut prendre place
autour d'un seul objectif la baisse du coût de « l'amende » au
sens large c'est-à-dire comme sanction imposée par l'Etat.
L'entreprise contrevenante veut baisser le risque économique qui
pèse sur elle.
Pour se faire apparaît que l'entreprise devrait
rechercher une réduction des multiples facettes du coût et du
risque infractionnel (Section 1), mais aussi de se
dépêcher de trouver un règlement consensuel : la directive
mettant en place une forme de course aux règlements consensuels qui
n'est pas sans rappeler le programme de clémence (Section
2)
Section 1 - La quête de la réduction du
coût infractionnel
167. Consensualisme et coût de la faute.
Le règlement consensuel apparaît comme l'outil le plus
adapté au litige concurrentiel essentiellement économique car il
permet de mettre fin à un contentieux uniquement pécuniaire.
L'entreprise contrevenante est dans deux situations : soit l'action en dommages
et intérêts fait suite à une condamnation des
autorités de concurrence ou de la Commission, soit elle se trouve face
à une action en stand-alone. Dans la première
hypothèse, le règlement consensuel est la voie la plus
adaptée, la faute étant en réalité
démontrée et la question du passing-on comme moyen de
défense est difficile au regard de la charge de la preuve
renversée. Il s'agirait tout au plus de diminuer sa
responsabilité par une répartition partielle du surcoût
avec l'acheteur direct. Dans la seconde hypothèse, à moins
d'action collective abusive, le jeu des présomptions va vers un retour
à l'égalité des armes entre les parties au procès
concurrentiel. Néanmoins si la faute concurrentielle est prouvée,
il vaut mieux encore recourir à un règlement amiable. En effet,
le règlement amiable permet de sauver la réputation de
l'entreprise et de garder secret cette faute aux yeux des tiers (notamment les
cocontractants et/ou les autorités en charge de la concurrence). Le
consensualisme par sa flexibilité est donc un outil utile pour les
parties.
À ce titre, le règlement amiable est un outil
indispensable en ce qu'il permet d'enterrer le risque (§1) mais aussi en
ce qu'il assure une diminution du coût de l'infraction (§2).
§1) Enterrement du risque
168. Aléa et jeu. C'est bien la
théorie des jeux qui entre en compte pour l'entreprise contrevenante.
C'est l'aléa de l'issue du procès qui implique la prise en compte
d'un risque composite dès lors qu'un seul des événements
dont dépend la solution est incertaine. L'aléa judiciaire
s'explique par le fait que l'issue de tout procès est par sa nature
même aléatoire. En outre, cet aléa désigne
l'incertitude qui entoure l'activité juridictionnelle. Dans quel sens le
juge tranchera-t-il ce litige ? La justice n'étant pas l'application
« automatique » d'une règle, aller ou se défendre en
justice implique toujours le risque de perdre son procès. Dans ce
domaine, plus peut-être que tout autre, la vérité
légale est difficile à mettre à jour. Aussi, ce qui
apparaît comme évident sur le plan
308 JOHNSTON,Chris in VW more than doubles emissions bill to
€16.2bn, 17 mai 2016, disponible en ligne :
http://
www.bbc.com/news/business-36112333
141
humain ne l'est pas forcément sur le plan juridique
faute d'une traduction de la réalité humaine en
réalité juridique (notamment en droit de la concurrence du fait
de la difficulté probatoire propre à la
matière305). Ainsi, dans le Tiers Livre de Rabelais, le juge
Bridoye utilise le tirage au sort afin de rendre les
décisions306. L'accord consensuel permet de mettre fin
à ce doute, ce risque qui est un coût réputationnel,
économique (à travers l'amende) mais aussi comptable au travers
des provisions à faire307 .
169. Accord consensuel et conflits. Il a
été vu que l'action collective entraine un forme de forum
shopping l'accord consensuel permet d'une part de mettre fin à
toute question de conflit de loi ou de juridiction (sauf en ce qui concerne
l'homologation de l'accord si la loi le prévoit). Cette fin aux
questions de droit international privé permet une économie de
moyens quant aux frais juridiques afférents aux procès et au
risque de forum shopping des demandeurs à l'action
collective.
170. Réputation de l'entreprise.
Comment ne pas penser à l'industrie du tabac, à Wal-Mart
ou encore aujourd'hui Volkswagen autant d'entreprises qui ont subi un
préjudice d'image important suite à une class-action. Le
préjudice réputationnel ne se limite pas à l'aura de
l'entreprise, il prend la forme d'une dévaluation boursière des
actifs de la société, cette dévaluation correspond le
mieux au préjudice d'image car elle est directement reliée au
marché financier et à l'évaluation du devenir de
l'entreprise. Qui plus est, cette dévaluation peut au-delà de
l'image, prendre en compte par exemple la perte de confiance du consommateur,
la baisse des ventes, la baisse du crédit donné à
l'entreprise, la méfiance des investisseurs ou même encore la
baisse de la capacité à recruter des salariés
qualifiés. Les conséquences sont incalculables d'autant plus
qu'à l'heure actuelle l'information dans une économie
globalisée circule à grande vitesse. L'accord consensuel permet
face à l'action collective soit ex-ante d'éviter cette
publicité néfaste (négociation avant la saisine du juge),
soit en cours de procès dans limiter l'impact.
171. Provision. L'impact est aussi comptable
pour les entreprises, l'aléa judiciaire existe bien dans le bilan
comptable d'une entreprise. C'est la provision pour litige destinée
à couvrir les risques pécuniaires encourus par l'entreprise
à propos de litiges qui l'opposent à des tiers. Le montant de la
provision est égal à la somme que l'entreprise risque de devoir
payer à l'issue du litige. Une évaluation des indemnités,
intérêts, dommages et intérêts, frais de justice,
etc. qui risquent d'être dus est dès lors à effectuer. Par
exemple, les comptes 2015 de Volkswagen ont intégré une charge de
16,2 milliards d'euros308 pour tenir compte du scandale du logiciel
truqueur installé dans 11 millions de ses moteurs Diesel. Les dirigeants
du constructeur allemand et les commissaires aux comptes se
305 MASMI-DAZI, Fayrouze in Le quantum du préjudice
deviendra - t - il le centre de gravité des actions en réparation
de dommages concurrentiels ? , RLC 2710, p. 104.
306 RABELAIS, Francois in Tiers livre des faits et dits
Héroïques du noble Pantagruel : composés par M.
François Rabelais, Docteur en Médecine, et Calloier des Iles
d'Hyeres, paru en 1546
307AMARO, Rafael in Le contentieux privé des
pratiques anticoncurrentielles, 2014, point 284
309 WILMAN, Folkert in Private Enforcement of EU Law Before
National Courts: The EU Legislative Framework, 2015, page 244
142
sont accordés sur ce montant et ont publié les
comptes 2015. Cette somme prend en compte : « les modifications
techniques et les mesures en lien avec les clients aussi bien que les risques
légaux » estimés par le groupe. Or, avec une telle
provision, les comptes de Volkswagen établissent une perte nette de 1,58
milliard d'euros pour 2015, après un bénéfice de 10,48
milliards en 2014. Le risque infractionnel a donc un impact direct sur la
comptabilité économique de l'entreprise.
172. Enterrer l'aléa. Ainsi, le
règlement consensuel apparaît comme un outil utile face à
l'aléa judiciaire, il permet de connaître le montant final du
coût de l'infraction et met fin aux doutes qui sont dans le monde
financier causent d'une dévaluation certaine de l'entreprise. La
directive sur les actions en dommages et intérêts n°2014/104
le pointe elle-même au considérant 48 :
« Il est souhaitable de parvenir à un
règlement « une fois pour toutes » pour les défendeurs,
afin de réduire l'incertitude pour les auteurs de l'infraction et les
parties lésées. Dès lors, les auteurs de
l'infraction et les parties lésées devraient être
encouragés à se mettre d'accord sur la réparation du
préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence au
moyen de mécanismes de règlement consensuel des litiges, tels que
les règlements amiables (notamment ceux que le juge peut déclarer
contraignants), l'arbitrage, la médiation ou la conciliation.
»
Ainsi, il semble que la faveur du législateur pour les
règlements consensuels et l'enterrement de l'aléa est l'aveu
même de l'incapacité des victimes à récupérer
de manière optimale leur préjudice, sinon pourquoi permettre aux
entreprises de profiter d'une diminution de le sanction, si ce n'est pour leur
permettre de profiter d'une faute lucrative (à moins d'une politique de
public enforcement réellement punitive).
§2) Diminution du coût de
l'infraction
173. Faveur au règlement consensuel.
La directive pointe ensuite qu'une autorité de concurrence
(article 18, paragraphe 3) :
« peut considérer la réparation
versée à la suite d'un règlement consensuel et avant
qu'elle n'ait adopté sa décision d'imposer une amende comme une
circonstance atténuante. »
Il faut noter que cette mesure n'était pas
prévue dans la proposition de directive de la Commission et a
été ajoutée à la demande du Parlement
européen . Le texte est une faveur faite au règlement
309
consensuel qui tout en respectant le principe d'autonomie
procédurale en la matière oblige les Etats membres de
prévoir la possibilité pour le juge de prendre en compte les
règlements consensuels comme une circonstance atténuante.
Malgré, le respect de la marge d'appréciation
dont dispose les ANC, il semble que l'aspect liant de la directive oblige au
moins les ANC à prévoir cette modulation indemnitaire ne serait
ce que
143
textuellement dans une communication où à
travers de la motivation de leurs décisions. Quant au montant de la
modulation de l'amende, la question reste en suspens pour le moment. Enfin, il
apparaît une forme de défiance face à cette nouvelle
disposition, ainsi pour certains cette disposition s'inscrit :
« néanmoins dans un
mouvement inverse de celui exposé tout au long de cette contribution, en
ce sens qu'ici et pour la première fois, l'aboutissement d'un
litige privé est susceptible d'avoir une incidence sur
l'appréciation portée par l'autorité de concurrence au
titre de la mise en oeuvre de l'action « publique ». Aussi,
plusieurs garde-fous sont nécessaires, parmi lesquels le fait de
circonscrire cette prise en compte aux hypothèses de règlement
consensuel et de ne pas en faire une obligation nouvelle dans le chef des
autorités de concurrence. »
310
Au demeurant, il semble logique qu'une entreprise qui a
accepté d'indemniser dans un contentieux privé une victime de
comportement concurrentiel soit enclin à reconnaître sa faute dans
le contentieux public (d'autant plus que la collaboration avec les
autorités de concurrence est un autre critère de réduction
de l'amende). Ce dispositif pourrait donc se cumuler avec la transaction ou la
non-contestation des griefs permettant une meilleure limitation du coût
de l'amende.
174. Clémence et règlement consensuel.
Quitte à chercher l'exonération autant cumuler les
modalités de réduction d'amende. Faut-il rappeler que la
politique de clémence récompense les entreprises qui
dénoncent des ententes auxquelles elles ont participé en leur
accordant une immunité totale ou une réduction des amendes qui
leur auraient autrement été infligées. La réduction
du fait du règlement consensuel s'inscrit uniquement pour l'entreprise
qui ne peut prétendre à une immunité totale (avec le
problème sous-jacent du système de marqueur). En effet, celle-ci
peut néanmoins demander à bénéficier d'une
réduction d'amende dans la mesure où elle fournit des
éléments de preuve qui apportent une valeur ajoutée
significative par rapport à ceux déjà en possession de la
Commission. La communication de la Commission sur le sujet précise que
sont
311
considérés comme ayant une valeur ajoutée
significative les éléments de preuve qui renforcent, par leur
nature et/ou leur degré de précision, la capacité de la
Commission à établir l'existence de l'entente.
Ainsi, en droit prospectif, il faudra prendre en compte cette
possible réduction de l'amende comme un argument en faveur du
règlement consensuel, néanmoins celle-ci semble pour le moment
trop incertaine quant à sa définition pour pouvoir
véritablement en quantifier l'opportunité. Peut-être il
serait possible de regarder la pratique espagnole sur le sujet qui
prévoit une réduction de l'amende en cas d'accord amiable
(néanmoins, il semble que cela soit très rarement utilisé
).
312
310 Autorité de la concurrence, La relation entre
action publique et action privée en droit de la concurrence, 11 juin
2015. Disponible en ligne :
http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/actionpub_pri.pdf
311 Communication de la Commission sur l'immunité
d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur
des ententes [Journal officiel C 298 du 08.12.2006]
312 HITCHINGS, Paul et LORAS, Luis et ANGEL MALO, Miguel in
Considerations concerning the implementation of the EU competition law damages
directive in Spain, Concurrences n°2-2015, page 28
144
Section 2 - La course au règlement
consensuel
175. Attraction renforcée. Le
directive prévoit un régime propre pour les règlements
consensuels et les actions en dommages et intérêts
postérieurs. En outre, l'article 19 tout en respectant le droit à
réparation intégrale intègre de facto une
dérogation au régime de droit commun de partage de la
responsabilité (1), créant ainsi une course forcée vers le
règlement consensuel (2).
§1) Reliquat de la demande et règlement
consensuel antérieur
176. Combinaison. L'article 18
prévoyant une possible réduction de l'amende du fait d'un
règlement consensuel peut se combiner parfaitement avec l'article 19 de
la directive n°2014/104 qui vient organiser la répartition du
surcoût entre des parties à une infraction lorsqu'une partie a
déjà régler de manière consensuelle un litige.
Il s'agit en effet de mettre l'entreprise dans une
stratégie passive de collaboration intensive avec les autorités,
cette stratégie peut être intéressante même en cas de
clémence l'article 19 ayant attrait uniquement au préjudice du au
regard du private enforcement. En outre, l'article 19 de la directive
prévoit que :
« 1. Les États membres veillent à ce
que, à la suite d'un règlement consensuel, le montant de
la demande de la partie lésée partie à ce règlement
soit diminué de la part du préjudice causé
à la partie lésée par l'infraction au droit de la
concurrence qui est imputable au coauteur de l'infraction partie
à ce règlement. »
Ainsi, suite à un règlement consensuel, le
montant de la demande de la victime partie à ce règlement est
diminué de la part du préjudice imputable au coauteur de la
violation du droit de la concurrence partie à ce règlement.
Ainsi, une entreprise contrevenante partie à un règlement
consensuel n'est pas dans une situation plus désavantageuse qu'elle ne
l'aurait été en l'absence de règlement consensuel (en
particulier si elle devait rester, même après le règlement
consensuel, solidairement responsable de l'intégralité du
préjudice causé par la violation).
177. La faveur du reliquat. Le
deuxième paragraphe prévoit alors une véritable faveur
à la partie ayant déjà réalisée un
règlement amiable (par rapport à des actions postérieures)
:
« 2. Tout reliquat de la demande de la partie
lésée partie au règlement consensuel ne peut être
réclamé qu'à l'encontre des coauteurs de l'infraction qui
ne sont pas parties à ce règlement. Les coauteurs de
l'infraction qui ne sont pas parties à ce règlement ne sont pas
autorisés à exiger du coauteur de l'infraction partie à ce
règlement une contribution au reliquat de la demande.
»
145
Ainsi, tout reliquat (différence entre ce qui a
été payé et ce qui correspond au préjudice
intégral) de la demande de la victime partie au règlement
consensuel ne peut être réclamé qu'à l'encontre des
coauteurs de l'infraction qui ne sont pas parties à ce règlement.
L'auteur d'une violation partie à un règlement consensuel est
alors en principe libéré de l'obligation de payer une
contribution aux coauteurs de la violation ne participant pas à ladite
procédure (lorsque ces derniers ont indemnisés la partie
lésée avec laquelle l'auteur de la violation premier cité
avait déjà trouvé un accord au moyen d'un règlement
consensuel).
Concrètement, toute action récursoire contre le
coauteur partie au règlement est donc exclue. C'est donc une
règle protectrice des entreprises qui versent des dommages et
intérêts à leurs victimes dans le cadre d'un
règlement consensuel des litiges. Le paragraphe 3 assure en toute
hypothèse le droit à réparation intégrale pour la
victime :
« 3. Les États membres veillent à ce
que, par dérogation au paragraphe 2, lorsque les coauteurs de
l'infraction qui ne sont pas parties au règlement consensuel ne peuvent
payer les dommages et intérêts correspondant au reliquat de la
demande de la partie lésée partie à ce règlement,
la partie lésée en question puisse réclamer le
reliquat de la demande à l'encontre du coauteur partie à ce
règlement.
La dérogation visée au premier
alinéa peut être exclue expressément par les termes du
règlement consensuel. »
Ainsi, par dérogation au paragraphe 2 et sauf clause
contraire dans l'accord visant le recours à un règlement
consensuel des litiges, lorsque les coauteurs de l'infraction qui ne sont pas
parties règlement consensuel ne peuvent payer les dommages et
intérêts correspondant au reliquat de la demande de la victime
partie à ce règlement, la victime peut le réclamer au
coauteur partie à ce règlement. Enfin, l'alinéa 4
prévoit la prise en compte dans la répartition de la dette des
règlements consensuels au regard de l'infraction :
« 4. Pour déterminer le montant de la
contribution qu'un coauteur peut récupérer auprès de tout
autre coauteur en fonction de leur responsabilité relative pour le
préjudice causé par l'infraction au droit de la concurrence,
les juridictions nationales tiennent dûment compte de tous les
dommages et intérêts versés dans le cadre d'un
règlement consensuel antérieur associant le coauteur
concerné de l'infraction. »
La directive prévoit ainsi les modalités
techniques de la charge de la dette entre co-auteur (responsabilité
à différencier : « du point de vue matériel,
temporel ou géographique313 ») et l'effet du
règlement consensuel sur cette répartition du
préjudice.
§2) Réduction du coût et course au
règlement consensuel
178. Rapidité et transaction. «
La promptitude est l'essence même de la guerre. Tirez parti du manque
de préparation de l'ennemi ; empruntez des itinéraires
imprévus et frappez-le là où il ne
313 directive n°2014/104, considérant 52
146
s'est pas prémuni » disait Sun Tzu dans
L'Art de la guerre. Or, comme le pointe Nicole Coutrelis,
314
l'article 19 combiné avec l'article 18 paragraphe 3 de
la directive risque de créer une course au règlement consensuel
lorsqu'il y a des coauteurs à une pratique anticoncurrentielle. En
effet, la partie qui sera la première parvenue à un
règlement consensuel n'aura pas à supporter en principe (sauf
incapacité des autres parties à l'infraction) la charge du
reliquat (qui est la somme à percevoir ou à payer en vertu du
principe de réparation intégral du préjudice tel
qu'édicté par la directive).
En effet, l'article 19 libère l'entreprise qui a
transigé (ou utilisé un autre moyen de règlement amiable)
la première de tout reliquat d'indemnisation qui pourrait par la suite
être demandé à d'autres coauteurs. Il faut bien remarquer
qu'existe du fait des concessions réciproques une différence
entre ce qui est donné à la victime par le biais d'une
transaction et le montant du préjudice que la personne qui a
transigé aurait du payée en vertu du principe de
réparation intégrale. Le reliquat reste ici à la charge
des coauteurs à l'infraction qui sont donc pénalisés par
rapport à la personne qui a su régler amiablement le litige.
179. Stratégie et reliquat. Il faut
donc pour les parties coauteurs d'une pratique anticoncurrentielle qui
cherchent stratégiquement à en diminuer le coût (dans une
logique passive de coopération) :
« concevoir, aussi vite que possible, une
véritable stratégie contentieuse et/ou consensuelle
à l'échelle de l'Europe ou même au-delà dans
l'hypothèse où la pratique en cause a revêtu une dimension
transfrontalière. Chaque entreprise contrevenante aux articles
101 et 102 du TFUE pourra ainsi tout mettre en oeuvre pour trouver
individuellement un accord global avec les victimes et tenter de minimiser
l'indemnisation due pour échapper aux risques de jugements plus
sévères à son encontre. L'éventuel
différentiel entre les deux sommes sera alors mis à la charge des
autres coauteurs de l'infraction [sauf exception du paragraphe 3 de l'article
19]. Un tel cas est d'autant plus susceptible de se produire si,
à ce stade du processus, la victime dispose de peu d'information et ne
peut donc pas pleinement mesurer ses chances de former un recours devant le
juge ni même d'obtenir réparation, et ne peut pas non plus
s'appuyer sur une décision préalable d'une autorité de
concurrence.315»
Cette diminution du préjudice est d'autant plus forte
en cas d'action collective du fait de l'agrégation des préjudices
individuels, le reliquat devenant potentiellement plus important. Ceci incite
véritablement à chercher à transiger rapidement, le gain
potentiel étant par ailleurs plus visible en cas d'une
multiplicité d'action collective (la reliquat de l'une pouvant
hypothétiquement se loger dans l'autre).
314 TZU, Sun in L'art de la guerre, chapitre 11, page 230
315 COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d'avantages
pour le règlement consensuel des litiges ou la négociation
plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44,
juillet-septembre 2015, p. 102
147
180. Conclusion. La stratégie à
prendre face au risque d'action collective peut être efficacement la voie
extrajudiciaire. En effet, l'aléa judiciaire a un coût pour
l'entreprise, face à celui-ci le règlement consensuel en mettant
fin « une fois pour toute316» au contentieux est
un outil utile (section 1§1). La diminution du coût de l'amende est
une possibilité offerte aux autorités par la directive mais en
réalité, elle s'inscrit dans une stratégie plus globale de
coopération avec les autorités en charge de la concurrence pour
être vraiment optimale (section 1§2).
De plus, en cas d'infraction impliquant plusieurs auteurs, il
semble que la directive est organisée un régime favorable aux
entreprises qui règlent hors des tribunaux leurs litiges notamment au
regard de la question du reliquat restant dû suite à un accord
(section 2§1). Cette question du reliquat pourrait devenir la raison d'une
forme de course entre les entreprises contrevenantes vers le règlement
consensuel (section 2§2). La Commission met ainsi en place un cadre
textuel favorable au règlement consensuel, elle le dit elle-même :
« it's about compensation, not litigation ».
317
316 considérant 48 de la directive n°2014/104
317 Competition Policy Brief : The Damages Directive -Towards
more effective enforcement of the EU competition rules, Issue 2015-1 | January
2015, page 3
318 The Commission, Compliance matters - What companies can do
better to respect EU competition rules, nov. 2011, <
http://ec.europa.eu/competition/antitrust/compliance/compliance_matters_en.pdf>
148
Chapitre 2 - Gestion intensive par l'entreprise de l'action
collective et de son règlement consensuel
181. Gestion intensive. La gestion est ici
intensive car elle se fait avec des moyens importants de manière
à donner des résultats plus sensibles. En effet, la gestion
opportune s'apparente uniquement à un comportement quasi passif de
l'entreprise contrevenante car elle ne s'intéresse qu'à
rechercher rapidement la baisse du coût probable de l'infraction au droit
de la concurrence au regard de l'action collective.
La gestion intensive demande donc un traitement
thérapeutique pour prévenir et même gérer plus
opportunément l'action collective. Ce traitement peut prendre place au
travers de deux modèles : la compliance, définie en
l'espèce comme la prévention du risque juridique (Section
1) et l'usage de certaines failles du cadre légal actuel
(Section 2).
Section 1 - Le traitement ex-ante : la compliance
182. Prévention. Les
expériences les plus anciennes des programmes de conformité au
droit de la concurrence remontent aux années 80 et se retrouvent aux
États-Unis et au Canada.
La compliance peut être définie comme
une action proactive qui vise à organiser et mettre en oeuvre les
procédures et moyens nécessaire au respect de la
réglementation par l'entreprise. Le rapport entre compliance et
action collective peut sembler distendu mais l'action collective reste
l'agrégation d'actions individuelles auxquelles il faut répondre
au regard du droit de la concurrence. Elle fait disparaitre le risque
même d'une faute et par là d'une action collective (1). Elle peut
aussi en cas de contentieux judiciaire ou extra-judiciaire permettre de
s'aménager « intelligemment » un possible contentieux (2),
avec par exemple des preuves qui serviront à anéantir les
prétentions des demandeurs à l'action collective.
§1) L'affaissement du risque
183. Risque et existence d'une faute. Les
programmes de conformité (ou compliance) sont des programmes
par lesquels des entreprises ou des organismes expriment leur attachement
à certaines règles et prennent un ensemble d'initiatives
concrètes destinées à leur permettre d'assurer le respect
de ces règles, de détecter de possibles manquements et de prendre
les mesures nécessaires pour y mettre fin (pour en tirer les
conséquences et pour en prévenir la réitération).
L'Europe regarde d'un bon oeil ce type de procédure . Pour les ANC, ces
programmes sont l'illustration « tangible de
318
stratégies volontaristes », par
lesquelles les acteurs économiques expriment leur «
détermination non seulement à assurer la conformité de
leur comportement avec les règles de droit, qui
149
s'imposent en tout état de cause à eux, mais
aussi à prévenir les risques » auxquels ils peuvent
319
être exposés en cas de non-respect de ces
règles et, dans le cas où ils découvrent une infraction
qui n'a pas pu être évitée, à y faire face sans
attendre. Il y a donc une forme de bienveillance des autorités envers ce
type d'initiative. L'Autorité de la concurrence française
à ce sujet pointe que :
« La création et l'entretien d'une culture de
respect des règles constitue une composante fondamentale des programmes
de conformité, sur laquelle la pratique décisionnelle de
l'Autorité a insisté de manière constante et
apporté de nombreux éclairages. Cet élément n'en
doit pas moins être complété par un ensemble de mesures
concrètes320 ».
Il faut donc créer au sein de l'entreprise des
modalités techniques pour empêcher les fautes constitutives de
coût pour l'entreprise par le biais d'une culture de la concurrence qui
passe
321
nécessairement par une information sur l'état du
droit.
184. Information et compliance.
Cette information et formation a un intérêt pour les grandes
entreprises dont les prises de décisions sont délocalisées
et décentralisées car elle permet d'éviter un risque
majeur : la faute qui peut se concrétiser par un mail d'un directeur des
ventes à un autre directeur des ventes d'une autre entreprise pour
s'accorder sur les prix. Il est nécessaire pour éviter cela de
notamment prévoir un document cadre sur le sujet avec des brochures, des
dispositifs d'alerte ou encore une formation continue. Il faut noter que les
procédures de production de preuve garanties par la directive renforcent
par ailleurs le risque à ce sujet.
Il faut donc au mieux expliquer et former les salariés
et cadres pour éviter le risque de faute au regard du droit de la
concurrence.
185. Coût. Il y a certes une
économie potentielle énorme, même si elle n'est jamais
palpable directement (peut être statistiquement), en évitant des
comportements fautifs mais il y a aussi un coût qui se profile. Ce
coût s'est bien souvent la prestation de service à payer aux
entreprises proposant des services de compliance (notamment les
cabinets d'avocat ), de plus les modalités
322
techniques peuvent être couteuses au niveau
organisationnel de l'entreprise (avec par exemple la mise en place d'une
personne en charge de la compliance : le compliance officer).
Dès lors, il faut déjà que le risque soit suffisant
(entreprise d'une certaine taille) pour que la compliance soit une
modalité de gestion du risque intéressante.
319 Autorité de la concurrence : projet :
Document-cadre du [
·] sur les programmes de conformité aux
règles de concurrence, page 3
320 Ibid., page 4
321 KOEHLER DE MONTBLANC, Marie in Exigence de conformité,
Lamyline, 2012
322 voir par exemple :
http://consultantitrust.eu/fr/index.php
150
§2) La gestion pré-contentieux du
contentieux
186. Preuves. La compliance permet
aussi avant tout litige de gérer avant le contentieux le contentieux
lui-même. Tout d'abord, la culture de la compliance c'est aussi
justifier les actions de l'entreprise de manière intelligente et ainsi
« créer des preuves utiles » qui pourraient dans certaine
hypothèse servir d'alibi pour l'entreprise contrevenante (cette solution
reste néanmoins dangereuse si la mauvaise foi est découverte). En
tout état de cause, les programmes de conformité offre la
possibilité aux entreprises de donner des lignes de conduite à
ses employés qui pourront par ailleurs témoigner de la culture
« pro-concurrentielle » de l'entreprise devant les tribunaux. Enfin,
le risque de contrôle par les autorités en charge du public
enforcement peut être moins grand, du fait de la réputation
de l'entreprise, ce qui est un facteur statistique d'abaissement du risque de
contentieux (au regard du contentieux subjectif en follow-on).
187. Amende. La gestion par la compliance
permet aussi bien souvent de pouvoir bénéficier d'une
réduction d'amende, celle-ci étant relevée comme une
circonstance atténuante par les autorités nationales de la
concurrence323. En effet, la compliance apparaît
comme un acte positif de l'entreprise dans le sens d'une culture de la
concurrence, par exemple aux Etats-Unis, le U.S. Department of Justice
prend en compte la pratique des entreprises , tout comme les tribunaux
.
324 325
Section 2 - L'utilisation de l'inefficience du droit
positif
188. Disparité de régime. Le
constat est qu'il existe un risque de forum shopping pour les
victimes, risque accru lors d'une action collective au regard des enjeux du
litige. La gestion intensive demande donc pour l'entreprise contrevenante de
penser de manière stratégique sa gestion du contentieux. Cette
gestion peut profiter des asymétries entre les régimes
juridiques, notamment le manque de législation sur les conflits
d'intérêt (1) et d'un point de vue économique, d'une
optimisation fiscale possible par le biais des prix de transfert (2).
§1) La désintégration de l'effet
holiste de l'action collective
189. Désintégration.
L'entreprise peut racheter les créances, cela permet
d'éviter le contrôle de légalité des transactions
(dans un premier temps, cf. infra) tel que prévu dans les
droits nationaux et par la recommandation sur les recours collectifs ou :
323 LEDOUX, Valérie et RODA, Jean-Christophe in Les
"compliance programs" en droit de la concurrence, Dalloz actualité 14
janvier 2008
324 Mémorandums : US Departement of Justice - Office of
the Deputy Attorney General, Memorandum, Subject : Principles of Federal
Prosecution of Business Organisations
325 US Sentencing Guidelines (Disponible à :
www.usse.gov/Guidelines/2011_Guidelines/Manual_PDF/Chapter_8.pdf)
151
« Il convient que la légalité des
solutions contraignantes issues de transactions collectives soit
vérifiée par une juridiction, compte tenu de la protection qu'il
est opportun d'accorder aux intérêts et aux droits de toutes les
parties concernées. »
L'action collective a un effet holiste, le rassemblement des
créances par une seule partie change les données, le risque pour
l'entreprise contrevenante. Le pouvoir de négociation («
bargaining power ») est plus grand au niveau de la transaction pour
la partie qui a collecté des préjudices. L'objectif pour
l'entreprise pourrait être de désagréger les demandes.
190. Filiale et rachat. Pour
désagréger les demandes et payer un montant moindre aux victimes.
Il pourrait être utile de créer une filiale dans un Etat membre
qui n'a pas de législation renforcée sur les conflits
d'intérêts ou dont l'application des textes légaux laissent
à désirer (forum shopping). Etant donné que la
directive prévoit la possibilité de cession de la créance
indemnitaire, la filiale créée pourra racheter les
créances. Pourquoi une filiale ? Parce que cela évite
déjà au cocontractant de connaitre l'identité de l'auteur
de l'infraction et que cela permet facilement de délocaliser le risque
de nullité de la société par son objet (même si cela
paraît peu probable le législateur ayant expressément
autorisé la cession de créance).
Ainsi, par le rachat d'un maximum de créance par la
filiale, qui va profiter de l'asymétrie d'information qu'elle
possède sur le cédant dans la négociation du prix, se
crée une économie de « coût ». La filiale pourra
au passage profiter du data et autres fichiers clients de la
mère pour connaître et identifier facilement les victimes.
Le rachat fait, les parties n'auront plus qu'à
transiger (si la fille ne faisait que garder les créances, à
défaut de caractère lucratif un risque de nullité pourrait
en toute hypothèse peser sur elle), la transaction devrait elle aussi
bénéficier du forum shopping pour qu'un contrôle
léger (ou aucun contrôle) ne soit effectué par le juge sur
le caractère équitable de celle-ci.
Ainsi, en sus de payer à moindre coût les
victimes, cette technique fait baisser l'effet holiste d'autres demandes
postérieures en dommages et intérêts en réduisant
l'assiette des victimes.
§2) L'optimisation fiscale
191. Optimisme fiscal. Il est possible
d'envisager un traitement fiscal du risque des actions collectives. Celui-ci
passerait par l'utilisation des prix de transfert. En outre, selon la
définition de l'Organisation de Coopération et de
Développement Economiques (OCDE), les prix de transfert sont : «
les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des
actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises
associées ». Ils se concrétisent par le prix des
transactions entre sociétés d'un même groupe et
résidentes d'États différents et supposent ainsi des
transactions intra-groupes avec le passage d'une frontière. Il s'agit
finalement d'une opération d'import-export au sein d'un même
groupe, ce qui exclut toute transaction à l'international avec des
sociétés indépendantes ainsi que toute transaction
intragroupe sans passage de frontière. Les entreprises sont
concernées non seulement pour les ventes de biens et de marchandises,
mais également pour toutes les prestations de services intra-groupes :
partage de certains frais communs entre plusieurs entreprises
152
du groupe (frais d'administration générale ou de
siège), mise à disposition de personnes ou de biens, redevances
de concession de brevets ou de marques, relations financières ou
services rendus par une entreprise du groupe aux autres entreprises. Les prix
de transfert permettent donc le déplacement de valeur vers d'autres
pays.
192. Fiscalité réduite et transfert.
Ce déplacement de valeur pour être d'un point de vue
fiscal optimal doit se faire vers un pays à fiscalité
réduite (Irlande par exemple). L'objectif est de créer une charge
dans un pays à forte fiscalité et un produit dans un pays
à fiscalité réduite. Ici, il est possible que la
compliance puisse être un outil de ce type de transfert d'un pays
vers un autre. Il faudrait ainsi qu'une filiale dans un pays à
fiscalité réduite s'occupe de la gestion de la compliance
pour le groupe. Celle-ci pourra facturer une multitude de services
correspondants et ainsi faire baisser l'assiette fiscale de la
société mère. La limite étant la
réalité de la prestation fournie, il faut que celle-ci est de la
substance. Cette optimisation par le biais d'un tax shopping est donc
le prolongement fiscal de la gestion du risque concurrentiel notamment au
regard des actions collectives.
153
193. Conclusion. Le traitement intensif du
risque peut être à la fois curatif et bénéfique dans
la gestion du risque des actions collectives. La compliance en sus
d'être une modalité permettant d'éviter la faute
vis-à-vis des normes en droit de la concurrence (section 1§1)
permet aussi a posteriori de gérer le contentieux de
manière favorable (section 1§2) tant sur le terrain probatoire
qu'au niveau de la sanction (qui pourrait être minorée).
Mais d'autres modalités éthiquement critiquables
sont possibles, cela peut passer discrètement par le rachat par l'acteur
fautif des créances indemnitaires à bas prix (section 2§1)
ou encore par l'optimisation fiscale de la compliance par le biais des
prix de transfert (section 2§2).
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26/62, Van Gend en Loos,
préc. pt 25
· CJCE, arrêt du 13 décembre 1989,
Grimaldi, C-322/88, Rec. p. 4407
· CJCE 20 sept. 2001, n° C-453/99, Courage Ltd, RTD
com. 2002
· Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du
1 mars 1982, Syndicat des Expéditeurs et Exportateurs en Légumes
et Pommes de Terre, Primeurs de la Région Malouine c. SIPEFEL, n°
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· CJUE, arrêt du 21 mai 2015, Cartel Damage Claims
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· CJCE, arrêt du 19 novembre 1991, Francovich,
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· CJCE, arrêt du 10 avril 1984, Sabine von Colson
et Elisabeth Kamann contre Land Nordrhein-Westfalen, affaire 14/83
· CJCE, arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing SA
contre La Comercial Internacional de Alimentacion SA. - affaire C-106/89
· CJCE, arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer
Gro§handel GmbH contre Löwa Warenhandel GmbH, affaires jointes
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· High Court of Australia, Campbells Cash and Carry Pty
Ltd v. Fostif Pty Ltd, [2006], HCA 41
· Tribunal de grande instance de Paris, jugement du 17
décembre 2013, n° 10-03480
·
162
Arrêt ORWI de la Cour fédérale de justice
rendu en 2011
· Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du
9 mars 2016, n° de pourvoi: 14-85325
· CEDH, arrêt du 2 avril 2015, n° 63629/10 et
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· CJCE, arrêt du 14 décembre 2000,
Masterfoods Ltd c. HB Ice Cream Ltd, aff. C- 344
· Cour de cassation italienne, arrêt du 27 mars
2014, Fondiaria - SAI c/ Nicola Perrini
· Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du
17 juillet 2001, n° de pourvoi: 99-17251
· CJUE, arrêt du 14 juin 2011, Pfleiderer, aff.
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· CJCE , arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe
c/ Commission, aff. C-155/79CJUE, arrêt du 6 novembre 2012, Europese
Gemeenschap c./ Otis NV et autres, aff. C- 199/11,
· CJUE, arrêt du 6 Juin 2013, C-536/11 Donau
Chemie
· Amtsgericht Bonn (Local Court Bonn), decision of
18-January-2012, case No 51 Gs 53/09 (Pfleiderer)
· California Supreme Court, Keating v. Superior Court,
645 P. 2d 1192 (Cal. 1982)
· Oberlandesgericht Düsseldorf (Düsseldorf
Appeal Court), decision of 22 August 2012, case No B-4 Kart 5/11 (OWi)
· High Court of Justice (UK first instance court),
judgment of 04 April 2012, case No HC08C03243
· U.S. Supreme Court, arrêt Mitsubishi Motors
Corp. v. Soler Chrysler-Plymouth, Inc., 473 U.S. 614, 624-28 (1985)
· U.S. Supreme Court, 27 avril 2010, 130 S. Ct. 1758
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· Conseil constitutionnel français
(décision du 25 juillet 1989, n° 89-257 DC, considérant
24
· England and Wales High Court, Devenish Nutrition Ltd
v. Sanofi-Aventis SA [2007] EWHC 2394 at [48]
· Competition Appeal Tribunal, 2 Travel Group plc (in
liquidation) v. Cardiff City Transport Services Ltd [2012] CAT 19 at
[448]-[598], esp. [496] and concluding in [593][598]
· Competition Appeal Tribunal, Albion Water Ltd v. Dr
Cymru Cyfyngedig [2010] CAT 30
163
4
5
6
7
8
TABLES DES MATIÈRES
RÉSUMÉ
|
.
|
REMERCIEMENTS SOMMAIRE ABREVIATIONS
.
INTRODUCTION
23
24
25
25
PARTIE 1 - RISQUE DES ACTIONS COLLECTIVES EN DROIT DE LA
CONCURRENCE
Titre 1 - Risque actuel
Chapitre 1: Risque éthéré des
actions collectives découlant du droit européen
Section 1 - Une vocation limitée du droit
européen à promouvoir les actions collectives.......
§1) Champ d'application matériel du droit
européen concurrentiel
§2)
32
Droit substantiel de la concurrence comme assise à
l'action individuelle Section 2 - Un accroissement prétorien de la
capacité d'agir des victimes limité............
§1) Extension du droit d'agir
§2) Extension du préjudice
39
39
Chapitre 2: Risque inégal des actions
collectives découlant des droits internes
Section 1 - Des régimes épars d'actions
collectives dans les systèmes juridiques.................
§1) Recommandation européenne sur les actions
collectives
§2) Hétérogénéité des
actions collectives
50
Section 2 - L'extranéité des litiges et
l'action collective..................................................
§1) Risque du forum shopping : conflit de
compétence
§2) Insécurité juridique issue du conflit de
loi
62
Titre 2 - Risque potentiel
63
63
Chapitre 1 - Potentiel accru des actions collectives au
travers de la directive sur les actions en dommages et
intérêts
Section 1 - Les modalités intrinsèques du
private enforcement précisées............................
§1) Champ d'application et prescription
§2) Responsabilité solidaire des auteurs de
l'infraction
§3) Production de preuve par le défendeur ou un
tiers
§4) Actions collectives et cession du droit à
agir
80
Section 2 - L'interaction renforcée entre public
et private enforcement..............................
§1) Autorité des décisions des
autorités de concurrence
§2) Production de preuve figurant dans le dossier d'une
autorité de concurrence
§3) Clémence et transaction
93
93
Chapitre 2 - Obstacles pratiques à
l'efficacité des actions
collectives.........................
Section 1 - Une prime économique à la
faute toujours présente........................................
§1) Apathie rationnelle de la victime et opt-in
§2) Modèle contrefactuel et faute lucrative
Section 2 - Une mise en jeu de la responsabilité
ardue....................................................
§1) Financement des actions collectives
§2) Préjudice : caractérisation et
répartition du surcoût
PARTIE 2 - GESTION DU RISQUE PAR LE BIAIS DU
RÈGLEMENT EXTRA-JUDICIAIRE
Titre 1 - Opportunité des modes de
règlements
consensuels
Chapitre 1 - Les différents modes de
règlement consensuel
Section 1 - La volonté du législateur de
promouvoir les modes de règlements alternatifs des
conflits
§1) Une volonté ancienne du législateur
§2) Les caractéristiques essentielles des modes
alternatifs de règlement des litiges Section 2 - Les
différentes opportunités de règlements
consensuels.................................
§1) Une solution proposée
§2) Une solution imposée
Chapitre 2 - Les modalités concrètes
d'utilisation des règlements consensuels
Section 1 - La nécessaire suspension de la
prescription
§1) Une diversité de régimes
§2) Une harmonisation européenne
Section 2 - Focus sur la transaction
§1) La transaction : un outil adéquat
§2) La transaction : un outil dangereux
Titre 2 - Stratégie des modes de règlements
consensuels face aux actions collectives....
Chapitre 1 - Gestion opportune de l'action collective par
le règlement extra-
judiciaire
Section 1 - La quête de la réduction du
coût
infractionnelÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
§1) Enterrement du risque
§2) Diminution du coût de l'infraction
Section 2 - La course au règlement consensuel
§1) Reliquat de la demande et règlement consensuel
antérieur
§2) Réduction du coût et course au
règlement consensuel
Chapitre 2 - Gestion intensive par l'entreprise de
l'action collective et de son règlement
consensuel
Section 1 - Le traitement ex-ante : la
compliance......................................................
§1) L'affaissement du risque
§2) La gestion pré-contentieux du contentieux
Section 2 -L'utilisation de l'inefficience du droit
positif.............................................
§1) La désintégration de l'effet holiste de
l'action collective
§2) L'optimisation fiscale
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BIBLIOGRAPHIE .
Ouvrages et notes
Textes normatifs
Rapports et documents officiels
Jurisprudences
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154 154 157 159 161
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TABLES DES MATIÈRES 163
166
« Mon maître n'a pas d'entrailles et ce
maître, c'est la nature des choses » Napoléon Bonaparte
à Joséphine le 3 décembre 1806 à Posen