4.1. 2. Conception locale de la biodiversité
Le Premier constat : sur les cinquante personnes
interrogées ; dix-neuf ne connaissent pas le terme de
biodiversité et sept n'y font pas du tout référence dans
l'entretien. « Je ne sais pas ce que c'est la biodiversité.
(...) Ce n'est pas un mot qui me parle du tout, la biodiversité. »
Personne 22, infirmier - Juillet 2015.
38%
14%
48%
Entendus parler et en savent quelque chose
Ne connaissent pas grande chose du terme
Ceux qui n'en savent rien du tout
Figure 33. Proportion des personnes ayant
entendu parler ou pas de biodiversité
On peut ajouter que les enquêtes ne montrent pas de
réel effet d'âge ou de catégorie-socioprofessionnelle dans
cette non-connaissance ou méconnaissance du terme. Toutefois, les
personnes dont l'activité dépend étroitement des
ressources biologiques (agriculteurs, éleveurs, chasseurs,
commerçant des produits forestiers ligneux et fauniques), ajouté
à ceux-ci les gestionnaires de l'environnement, apparaissent comme un
groupe d'acteurs plus concerné par le sujet. En effet, en raison de leur
activité socioprofessionnelle, ils sont plus aptes à donner un
sens au terme: sur les six agriculteurs interrogés, seul l'un d'entre
eux concède ne pas savoir à quoi fait référence la
biodiversité.
Dynamique et perception de la biodiversité
dans la ville de Ngaoundéré 100
Par conséquent, les enquêtés ne donnent
pas de réponses qui soient réellement des définitions.
Nous verrons que la notion de biodiversité chez les habitants renvoie
plutôt à la nature au sens large, avec des interprétations
qui s'articulent autour de deux thématiques associées : la faune
et la flore en elles-mêmes, ou encore des portraits de paysages
variés.
Un premier groupe d'habitants associe en effet la
biodiversité à la diversité de la faune et la flore.
« C'est-à-dire la diversité des plantes et d'animaux ».
Par ailleurs, la diversité de la flore est le plus souvent
regroupée en deux catégories, notamment : les ligneux (arbres) et
les herbacés (herbes) ; c'est aussi le cas lorsque l'individu fait
référence à la diversité de la faune
représentée le plus souvent par les mammifères et oiseaux.
Pour ce faire, des noms génériques sont le plus souvent employer
en langue vernaculaire pour représenter cette biodiversité
(Tableau ?).
Tableau 20. Noms vernaculaires employés
par les acteurs locaux pour représenter la biodiversité
Langues Dii
|
Noms des arbres La'h
|
Noms des herbes Hot
|
Noms des animaux Gpok
|
Noms des oiseaux Nokwa'h
|
Mafa
|
Wouf
|
Koussa
|
Skuvara
|
Liakvara
|
Toupouri
|
Ko'ri
|
Fii
|
Naï
|
Doui
|
Moundang
|
Koura
|
Nfah
|
Nyitouki
|
Djoura
|
Guiziga
|
Widiser
|
Guizin
|
Usser
|
Ndiway
|
Gbaya
|
Té
|
Zo'oh
|
Gpo'o
|
Nouï
|
Mboum
|
Dii
|
Ka'a
|
Naï
|
Njoiy
|
Foulfouldé
|
Léddé
|
Guéné
|
Dabadji laddé
|
Tsolli
|
Source : enquêtes de terrain
Par conséquent, si nous revenons à
l'étymologie du terme « biodiversité », les
interprétations des habitants recoupent les deux parties qui composent
le mot lui-même : « bio » et « diversité ». Le
préfixe « bio » renvoie à la notion du vivant,
conjugué ici à sa « diversité ». Ainsi les
différentes définitions énoncées par les habitants
se rattachent de près ou de loin à ces deux composantes du mot.
C'est plus particulièrement la notion de « bio » ou de
référent au monde vivant qui en fait basculer le sens. Car «
biodiversité » est en fait un néologisme (apparu en 1985
dans Le Petit Robert), constitué sous forme de contraction et
d'association de deux mots pour dire « diversité biologique »
(Aubertin et al., 1998). Ces enquêtes montrent
Dynamique et perception de la biodiversité
dans la ville de Ngaoundéré 101
que c'est bien le qualificatif « biologique » qui
est déterminant dans les diverses interprétations, en se
rapportant au vivant.
? Des composantes de la biodiversité difficile
à caractériser
Depuis le Sommet de la terre de Rio (1992) et la
conférence de Johannesbourg (2002), le suivi de la biodiversité
est reconnu comme urgent et nécessaire. Mais il pose des
problèmes d'une grande complexité, du fait de la grande
viversité d'espèces biologiques. Il est humainement et
techniquement impossible d'appréhender et suivre la biodiversité
dans son ensemble ; pour le seul domaine des espèces, seule 1,4 million
d'espèce ont été identifiées sur un potentiel de 15
à 100 millions, et parmi celles qui sont décrites, seules
quelques milliers sont relativement bien suivies (UINC 2010). On cherche donc
à avoir une idée réaliste de la situation via les savoirs
locaux.
Les résultats de entretiens menés avec les
populations dans la ville de Ngaoundéré, montre que la
définition relativement approximative que les habitants donnent de la
biodiversité coïncide avec une connaissance de prime abord
limitée de leur milieu naturel. Afin d'aller plus loin dans le
degré de signification sociale ou « vécue » de la
notion de biodiversité, nous avons interrogés les habitants sur
leur connaissance de la faune et de la flore locales (Freelist), les
composantes des systèmes écologiques qu'ils ont esquissés
comme évocatrices de la biodiversité. Il s'avère que la
caractérisation des espèces végétales et animales
est également loin d'être précise, à l'image des
listes d'espèces (4 à 10, voire Annexe 4), souvent très
limitées données par les enquêtés lors de l'exercice
consistant à lister tous les noms d'arbres et d'animaux connus par la
personne. Selon Mammifères. Selon le Cinquième Rapport du
Cameroun à la Convention sur la Diversité Biologique (2010),
Près de 303 espèces de Mammifères ont été
inventoriées au Cameroun et 968 oiseaux locaux ou migratoires ont
été observés au Cameroun jusqu'en 2013. Comparé au
données recueillies lors des entretient, seulement 140 espèces de
Mammifères ont été listées contre 303
recensées au Cameroun, soit prêt de 44% d'espèces connues.
Par ailleurs 105 oiseaux seulement sur 968 sont recensés lors des
entretiens avec les populations.
Espèces de Mammaifères recencées dans les
Enquêtes de terrain (Savoir
local)
32%
Espèces de
Mammaifères recencées dans le Rapport du
Cameroun à la CDB 2010 68%
Dynamique et perception de la biodiversité
dans la ville de Ngaoundéré 102
Figure 34. Espèces mammifères
recensées dans les freelist et données du rapport du Cameroun
à la CDB
Nommer les animaux ou végétaux que ce soit en
langue vernaculaire ou en langue nationale (Français et Anglais) semble
difficile : nombreux sont les enquêtés à ne pas savoir
répondre. Deux hypothèses peuvent être émises pour
expliquer cette difficulté de caractérisation des espèces
végétales et animales. La première serait liée
à la méconnaissance des milieux naturels par les habitants.
Ainsi, nous rejoignons l'analyse de Hawken, aux Etats-Unis, qui met en
lumière que « la plupart des Américains peuvent
identifier une centaine de logos commerciaux alors qu'ils arrivent à
peine à reconnaître une dizaine d'espèces de plantes
communes » (Hawken, 1993). Ici, les habitants ont cité en
moyenne 6,5 plantes, et 5,7 animaux différents par personne. Une seconde
hypothèse complémentaire de la première peut être
formulée. La non-caractérisation peut également être
l'expression d'un manque d'intérêt pour la nature locale,
perçue par les habitants comme ordinaire. En effet, plusieurs
enquêtés mettent en avant, pour justifier leur difficulté
à nommer la faune et flore, l'absence de plantes ou d'animaux
exceptionnels dans leur environnement local, ceci dû à des
changements de plus en plus marquant de l'environnement qui sont à
l'origine de cette régression de la nature.
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