CONCLUSION
Parmi ses différentes missions, la justice reste et
demeure l'une des dettes les plus nobles de l'État. Fonction
régalienne, elle se doit d'être exercée en toute
impartialité et équité. Quand dans une
société les institutions se révèlent faibles, les
citoyens ont recours à leurs propres méthodes qui, parfois, ne
traduisent pas vraiment l'idée de justice. C'est d'ailleurs, l'une des
raisons pour lesquelles l'homme est passé de l'état de nature,
à celui de la société. Il voulait corriger le fait que,
dans l'état de nature, chacun était juge de sa propre cause.
C'est-a-dire, chacun pouvait se faire justice, faire prévaloir ses
droits aux dépens de celui qui les a violés.
En effet, nous avons constaté que la Police Nationale
d'Haïti heurte, par son action de publier l'image et l'identité des
suspects à travers les medias, le principe de la présomption
d'innocence et le droit à la défense. Cette violation concerne
des articles de la Convention Américaine des Droits de l'Homme (CADH),
de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH), de la
Constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée et du
Code de l'Instruction Criminelle (C.I.C). A ce propos, on se
réfère aux dispositions des paragraphes c, d, et g du
2ème alinéa de l'article 8 de la CADH, relatif aux
Garanties judiciaires, premier alinéa de la DUDH de l'article 11, les
articles 25 et 25-1 de la Constitution de la République d'Haïti de
1987 amendée relatif aux droits de la défense, aussi bien que le
C.I.C. en ses articles 8 et 9 relatifs à la détermination des
rôles de poursuite et de jugement.
Pendant un certain temps le problème a
été ralenti, peut-être, par les diverses
dénonciations des organismes de défenses des droits humains. Mais
étant donné sa résurgence, nous avons estimé urgent
de poser la question dans une dimension plus étendue, d'en expliquer
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l'écart, afin que les victimes aussi bien que la
société soient conscientes des causes et des conséquences
qui peuvent en découler. On a eu raison de penser que cette pratique
pourrait perdurer telle qu'elle est au sein de notre société,
pourvu que les autorités policières l'aient estimée
adéquate au problème d'insécurité auquel la
société est confrontée. Nous avions voulu montrer que
l'État reste et demeure, comme a dit Jean Jacques ROUSSEAU, une fiction
créée par la volonté de ses propres membres, ce, dans
l'objectif de protéger leurs droits fondamentaux.
Ainsi, en Haïti, l'absence d'un système de gestion
des affaires uniforme et simplifié pose des difficultés
supplémentaires pour le fonctionnement de la Justice. L'International
Crisis Group nous rapporte que ni les forces de l'ordre ni la population en
général ne considèrent le procès comme un
mécanisme capable d'assurer que les auteurs de crimes graves
répondent de leurs actes. Par conséquent, cela encourage les
exécutions extrajudiciaires par la PNH ainsi que la justice populaire
par le phénomène de lynchage.
En effet, c'est dans cette perspective que nous avions
considéré l'émission« allo la police »
comme l'un de ces actes qui s'exécutent en dehors de la procédure
tracée par la constitution et par les lois haïtiennes,
conformément aux articles 17, 18, 19 et 20 de la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme. Nous venons de le prouver, les
conséquences découlant de cette émission sont nombreuses.
Mise à part la violation du principe de la présomption
d'innocence et du droit à la défense, il existe tant d'autres
implications sur le système.
Néanmoins, l'émission
télévisée constitue une remise en question des efforts
jusque là consentis vers l'instauration d'un État de Droit en
Haïti. Cette démarche de la PNH fait passer le suspect pour
coupable sans que celui-ci n'ait été préalablement
présenté devant son juge naturel, comme le veut la loi. En plus,
on a constaté que le suspecta été forcé non
seulement de répondre à des questions en absence de son avocat,
mais également de témoigner contre lui-même.
Nous avions démontré que cela aurait eu comme
origine, non seulement le souci d'exposer aux yeux de la population les efforts
de la PNH en matière de combat contre l'insécurité, mais
également, une influence des procédures du système
«Common Law» sur le système pénal haïtien. En
effet, les conséquences qui en découlent sont multiples, il
convient de considérer l'affaiblissement du système judiciaire
haïtien, en sens qu'elle la pousse à outrepasser
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certains principes fondamentaux. Ceci expose le pays aux
sanctions internationales qui pourraient émanées des plaintes
éventuelles des victimes du préjudice réduisant ainsi les
chances que celle-ci soit disculpée des accusations portées
contre lui.
Dans le cadre de ce travail, nous avions choisi d'analyser une
de ces violations. Le constat à ce sujet s'est
révélé accablant, en sens que notre cas d'étude,
l'affaire Stanley LAFLEUR, nous a fait voir de nombreuses violations tant au
regard de la victime que sur l'appareil judiciaire lui-même. Les suspects
ont été interrogé seuls, en absence de leur avocat, les
juges sont pris d'assaut dans leurs travaux d'instruction et de jugement.
Tandis que le point « g » de l'article 8 de la DUDH et l'article 25-1
de la Constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée
en disent le contraire. Agissant ainsi, l'État s'est montré
contradictoire en lui-même par rapport aux grands débats de
philosophie politique relatifs au respect des droits humains et ses propres
engagements juridiques internationaux en la matière. Il fallait
comprendre quel devait être la priorité de l'État en ce qui
a trait au moyen d'aborder les intérêts de la
société. Sur le plan de la philosophie politique, doit-il
respecter la liberté individuelle, tendance du monde actuel et condition
sine qua non pour parler de l'État de Droit. Ou encore, devrait-il
établir une certaine limite dans les actions individuelles, exigence du
monde moderne face aux divers paradigmes de protection de la
société en proie à une jouissance excessive d'un
libéralisme socio-économique et du phénomène
terroriste, théorie utilitariste.
Vers la compréhension de la philosophie à
adopter par l'État, il convenait de faire la part des choses en
considérant certains éléments de références
en matière philosophique. Ce parallélisme nous a permis de mieux
classer les différents engagements de l'État haïtien en
matière de respect des droits humains, plus particulièrement, les
conventions et traités ratifiés par Haïti et les
mécanismes de protection les accompagnant par rapport à la
philosophie qui les guide.
Nous avons montré l'effectivité de la violation
de l'État haïtien par l'institution policière et les
différentes implications que cet acte a sur le système
pénal haïtien. Bref, la preuve que la publication de l'image des
suspects constitue non seulement une violation des principes de la
présomption d'innocence, mais également d'autres principes de la
procédure pénale.
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En comparant les textes et la réalité du
terrain, ce travail nous a permis de mettre en exergue la difficile
interprétation des rôles entre les autorités
policières et les autorités judiciaires. Les premières qui
s'efforcent d'exhiber leurs efforts aux yeux de la population et les secondes,
auxquelles incombent l'obligation juridico-morale de jongler entre
l'intérêt de l'accusé « obligation de ne pas punir
un innocent » et celle de sauvegarder l'intérêt de la
société « obligation d'efficacité, d'apaiser et
de rassurer la société ».
En revanche, nous avions pensé qu'il est
impératif d'éviter cette faille dans le système
pénal haïtien. Nous avions pour ainsi mis en évidence :
d'une part, la nécessité que le Code Pénal puisse non
seulement incriminer la publication hâtive de l'image et de
l'identité d'un suspect, mais également, que le Code de
Procédure Pénale en cours de préparation puisse tenir
compte d'une meilleure conciliation de la mixité des pratiques
policières et des règles de procédure en matière
criminelle. D'autre part ; que les victimes puissent savoir qu'elles peuvent
exiger réparation de l'État en cas de violation de leurs droits.
Car, sur le plan philosophique, l'État [l'ordre public] a
été conçu et perçu comme garant des droits de ces
ressortissants, et non comme structure qui les viole systématiquement.
Par ailleurs, en dehors des retombées négatives qu'emporte
l'émission, nous reconnaissons sa valeur dissuasive dans une conjoncture
si difficile dans laquelle nous nous trouvons en Haïti actuellement.
Néanmoins, l'absence d'un texte de loi incriminant le
fait, nous empêche de parler d'infraction commise par la PNH, encore
moins de peine affligée au suspect. Car, la loi pénale
étant d'application stricte et l'adage en matière pénale
n'en demeure pas confus quant à affirmer : « nullum crimen, nulla
poena, sine lege ».On se garde également de parler de peine
infamante, même si l'acte emporte certaines conséquences de ce
genre. En effet, nous pouvons seulement déduire que l'émission
est une violation systématique de la procédure pénale en
Haïti, elle trahit du coup les efforts liés à l'instauration
d'un État de droit. Car, cet idéal de gouvernance suppose la
soumission de toute entité, y compris l'État lui-même, sous
l'égide de la loi. Or, la PNH étant une institution de
l'État, ne peut en aucun cas marchander sa soumission aux lois du
pays.
Nous reconnaissons cependant la situation difficile que
confrontent les États pour rester dans le strict respect de leur propre
cadre juridique interne. Dans la logique de globalisation du monde actuel, les
frontières socioéconomiques et culturelles entre les États
tendent de plus en
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plus à s'écarter. Il est institué
dorénavant des institutions dont les sphères de
compétences vont au-delà des frontières respectives des
États. Donc, les habitudes, les coutumes, les moeurs et les valeurs
s'entremêlent autant que les populations des États
s'échangent et se mélangent. Cela engendre comme
conséquence une nécessité d'harmonisation des
comportements et des rapports entre les individus, la refonte des lois
régissant ces rapports aussi bien que la combinaison de politiques
tendant à un partage de responsabilité entre les États en
vue de combattre des problèmes communs en matière de Droit et de
sécurité.
Dans la pratique des relations internationales, les sujets de
droit internationaux s'engagent souvent par la signature des accords, des
conventions ou des traités. Ces instruments juridiques internationaux,
une fois signés et ratifiés, entrent dans le corpus juridique de
l'État signataire, partie à la convention. Ainsi, notre pays
Haïti s'est engagé maintes fois avec d'autres pays à
respecter des engagements pris lors des grands sommets. L'exigence d'incorporer
les textes dans la législation interne, aussi bien que celle commandant
les États la stricte application de ces traités constituent,
à notre sens, une démarche à double importance.
En tout premier lieu, elle prend en compte le respect d'un
principe fondamental visant à protéger le consensus
préalable et fondateur de la société, celui du contrat
social dont parle Jean Jacques Rousseau et qui est évoqué plus
haut. Des êtres libres ont consenti de créer une structure afin de
pouvoir contrôler l'exercice des droits individuels reconnus à
chacun, pour empêcher l'arbitraire. En second lieu, cette harmonisation
des traitements qui sont accordés aux individus tend également
à garantir la protection des droits des étrangers. En somme, les
coutumes, moeurs et croyances sont considérées comme
thèmes de référence aux comportements humains, le
fondement des valeurs, aussi bien qu'un élément de mesure du
niveau d'éthique de leurs actions. Il arrive fort souvent que les
systèmes de valeur diffère d'une région à l'autre,
cela rend de plus en plus difficile le respect des droits humains, s'agissant
des individus qui n'ont pas été soumis aux systèmes en
question et, sont donc plus enclin à violer ces droits en croyant agir
dans le bon sens. Ainsi, l'harmonie que veulent jouir les États se
traduit par des engagements qu'ils contractent en signant des traités
qu'ils se promettent mutuellement de respecter. Parmi ces nombreux instruments
juridiques signés et ratifiés par les États, nous tenons
à rappeler que ceux relatifs aux respects des droits humains
revêtent un caractère d'ordre public international et universel.
Ce caractère renforce leur nature et les place au dessus de tout
prétexte politique des
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États. En ce qui a trait à l'adhésion
à ces Conventions, les États peuvent consentir non seulement
à conclure un traité par une simple signature, mais
également sont obligés dans certains cas à leur
ratification, parfois sans émettre de réserves, selon les
procédures de la législation interne exigée en la
matière. Pour ce qui est du Pacte relatif aux droits civils et
politiques nous avions vu qu'il est d'application directe dans l'ordre
juridique interne, par conséquent, capable de mobiliser tout le
système au profit du bénéficiaire des prérogatives
qui en résultent.
Ainsi, en tant que chef de l'État, le président
Jocelerme PRIVERT a fait mention de la nécessaire collaboration qui doit
exister entre les différentes institutions républicaines, il a
dit dans son discours d'investiture : « La police ne peut
être prédatrice des droits et libertés
». La question qui se pose maintenant est de savoir comment
se tenir entre les réclamations grandissantes en matière de
libertés individuelles, appuyées par la communauté
internationale, d'une part. D'autre part, le souci constant de protéger
les intérêts de la société, de sauvegarder
l'harmonie au sein de la société, logique même de
l'idée du contrat social. Il convient alors de ne pas perdre de vue dans
nos réflexions, la mission originelle de l'État. Pourquoi des
êtres libres, évoluant à l'état de nature ont-ils
éprouvé le besoin de se joindre, d'agréger leurs
intérêts et de conjuguer leurs efforts pour créer une
structure qui soit au dessus des intérêts individuels, tout en
voulant les protéger du même coup ? Quel devrait-être le
comportement de cette structure dont la mission serait de répondre aux
aspirations plurielles de ses membres ? Toutes les actions de l'État se
doivent d'être empruntées, non seulement de la
légalité, mais également et surtout de la
légitimité. Cette caractéristique qui se veut le fondement
sociopolitique des actions étatiques donne l'idée de justice et
conforte les membres de la société dans leur rapport avec leur
semblable. Espérons que dans notre cas, l'État trouve un moyen de
concilier le respect strict et scrupuleux des libertés individuelles et
l'efficacité dans ses efforts à administrer la justice et
à garantir la sécurité publique. Car, comme dit Emmanuel
KANT : « Le droit doit être tenu pour sacré à
l'homme, quelque grands sacrifices que cela puisse coûter à la
puissance qui gouverne. » Nous pensons que c'est à ce prix que
la société sera juste et harmonieuse.
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