UNIVERSITÊ D'ÊTAT D'HAITI
(UEH)
Faculté de Droit, des Sciences Economiques et de
Gestion du
Cap-haitien (FDSEG/CH)
La Police Nationale d'Haïti, entre l'efficacité et
le respect du Droit de la défense Considération faite de
l'émissionallô lapolice : 2005-2015
Presenté par : Emmanuel TILIAS Sous
la direction du professeur : Jacquelin PIERRE En vue de
l'obtention du grade de Licencié en DROIT Promotion Louis
Julien NOISIN 2011-2015 Mai 2016
UNIVERSITÊ D'ÊTAT D'HAITI
(UEH)
Faculté de Droit, des Sciences Economiques et de
Gestion du
Cap-haitien (FDSEG/CH)
La Police Nationale d'Haïti, entre l'efficacité et
le respect du Droit de la défense Considération faite de
l'émission allô la police : 2005-2015
Presenté par : Emmanuel TILIAS Sous
la direction du professeur : Jacquelin PIERRE En vue de
l'obtention du grade de Licencié en DROIT Promotion Louis
Julien NOISIN 2011-2015 Mai 2016
i
Sujet de mémoire
La Police Nationale d'Haïti, entre l'efficacité et le
respect du Droit de la défense Considération faite de
l'émission allô la police, 2005-2015
ii
« L'ignorance, l'oubli ou le mépris des
droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la
corruption des gouvernements »
Préambule de la Déclaration
Française des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) du
26
aout 1789
iii
«Each person possesses an inviolability
founded on justice that even the welfare of the society as a whole cannot
override... the rights secured by justice are not subject to political
bargaining or to the calculus of social interests.»
John RAWLS (Theory of justice)
« Chaque personne possède des droits
inviolables fondés sur la justice que même le bien-être de
la société ne peut outrepasser... les droits garantis par la
justice ne doivent être soumis à aucune transaction basée
sur le calcul des intérêts sociaux ».
John RAWLS (Théorie de
Justice)
iv
SOMMAIRE
LISTE DES SIGLES VII
DEDICACES VIII
REMERCIEMENTS IX
AVANT-PRPOPOS X
INTRODUCTION GÉNÉRALE 1
PREMIÈRE PARTIE- CONSIDÉRATION
PHILOSOPHIQUE, LÉGALE ET ÉTAT DES
LIEUX EN HAÏTI 13 CHAPITRE I-
CONSIDÉRATIONS PHILOSOPHIQUES ET ENGAGEMENTS DE
L'ÉTAT HAÏTIEN PAR RAPPORT AUX DROITS DE
L'HOMME 14 SECTION 1- DROITS DE L'HOMME ET POLICE,
CONSIDÉRATIONS PHILOSOPHIQUES
ET IDÉOLOGIQUES 15 1.1.1.1.- Sous-section 1-
Considérations philosophiques et idéologiques du rapport
Citoyen-
État 15
1.1.1.1.1.- Courants philosophiques hostiles aux droits de
l'homme 15
1.1.1.1.1.1.- L'utilitarisme, fondement philosophique des
interventions d'un État 15
1.1.1.1.1.2.- Le Nationalisme, fondement philosophique des
interventions de l'État 16
1.1.1.1.2.- Courants philosophiques favorables aux droits de
l'homme 17
1.1.1.1.2.1.- Le Libéralisme politique, fondement
philosophique des interventions de
l'État 17
1.1.1.1.2.2.- L'Individualisme, courant philosophique de
l'intervention de l'État 17
1.1.1.2.- Sous-section 2- Les concepts Droits de l'homme et
Police 18
1.1.1.2.1.- Droits de l'homme : Précision conceptuelle,
historicité et caractéristiques 18
1.1.1.2.1.1.- Historicité des droits de l'homme 19
1.1.1.2.1.2.- Évolution des droits de l'homme 19
1.1.1.2.2.- Police : définition, historicité et
caractéristiques 20
1.1.1.2.2.1.- Définition 20
1.1.1.2.2.2.- Historicité 21
1.1.1.2.2.3.- Caractéristiques 24
SECTION 2- ENGAGEMENTS DE L'ÉTAT HAÏTIEN EN
MATIÈRE DE RESPECT DES
DROITS HUMAINS 26
1.1.2.1.- Sous-section I- Quelques conventions et traités
ratifiés par Haïti 26
1.1.2.1.1.- La Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme (DUDH) 26
1.1.2.1.2.- La Convention Américaine des Droits de l'Homme
(CADH) 27
1.1.2.2.- Sous-section II- Les mécanismes de protection
des droits humains 27
1.1.2.2.1.- Organismes interétatiques de protection des
droits humains 28
1.1.2.2.2.- Organismes intra étatique de protection des
droits humains 29
1.1.2.2.2.1.- De la Société Civile : Organismes
internes de défense des droits humains 29
1.1.2.2.2.2.- Des Institutions Étatiques de défense
des droits humains 30
v
CHAPITRE II- PRÉSENTATION CAUSES DE
L'ÉMISSION ALLO LA POLICE 33
SECTION 1- PRÉSENTATION DE L'ÉMISSION ALLO LA
POLICE 34
1.2.1.1.- Sous-section I- Historicité de la
présentation des suspects aux médias 34
1.2.1.1.1.- Origine de l'émission allô la police
34
1.2.1.1.2.- Évolution 34
1.2.1.1.3.- Pratique en Haïti 35
1.2.1.2.- Sous-section II- Présentation du cas Stanley
LAFLEUR 38
1.2.1.2.1. Culpabilisation prématurée des suspects
38
1.2.1.2.2. Interrogatoire informel des suspects 38
1.2.1.2.3. Témoignages abusifs des suspects 39
SECTION 2- QUELQUES CAUSES FONDAMENTALES DE L'EMISSION
ALLO LA
POLICE 41
1.2.2.1.- Sous-section I- Faiblesse du système de
répression en Haïti 41
1.2.2.1.1.- Situation de la Police Nationale d'Haïti 42
1.2.2.1.2. Souci de justification des efforts de la Police
Nationale d'Haïti 43
1.2.2.1.3. Influence du Common Law sur les pratiques
policières en Haïti 44
1.2.2.2.- Sous-section II- Rapport de la Police Nationale
d'Haïti et les pouvoirs publics 47
1.2.2.2.1. Présentation de la Police nationale
d'Haïti 47
1.2.2.2.2. Coopérations diverses avec des organisations
internationales 49
1.2.2.2.3. La Police Nationale entant qu'auxiliaire de la Justice
49
1.2.2.2.4. La Police Nationale, service déconcentré
du Ministère de la Justice et de la
Sécurité Publique 50
DEUXIÈME PARTIE-CONSÉQUENCES ET RECOURS
52
CHAPITRE III- ALLO LA POLICE CONSÉQUENCES SUR LE
SYSTÈME PÉNAL
HAÏTIEN 53 SECTION 1- VIOLATION DU
PRINCIPE DE LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE ET DU
DROIT À LA DÉFENSE 54
2.3.1.1.- Sous-section I- La violation du principe de la
présomption d'innocence par l'émission
allo la police 54
2.3.1.1.1. Présentation du principe de la
présomption d'innocence 55
2.3.1.1.2. Le principe de la présomption d'innocence au
regard de la législation haïtienne 56
2.3.1.2.- Sous-section II- Violation du droit à la
défense par l'émission allo la police 59
2.3.1.2.1. Présentation du droit à la
défense 59
2.3.1.2.2. Caractéristique du droit à la
défense 60
2.3.1.2.3. Fondement philosophique du droit à la
défense 61
2.3.1.2.4. Fondement juridique du droit à la
défense 62
SECTION 2- IMPLICATION DE L'EMISSION ALLO LA POLICE SUR
LE SYSTEME
PENAL HAÏTIEN 63
2.3.2.1.- Sous-section I- Impact de l'émission sur les
Officiers de la Police Judiciaire (OPJ) 63
2.3.2.1.1. Impact sur la situation des agents de la police
Nationale d'Haïti 64
vi
2.3.2.1.2. Sur le juge de paix en tant qu'Officier de la Police
Judiciaire 64
2.3.2.1.3. Le juge d'Instruction en tant qu'Officier de la Police
Judiciaire 65
2.3.2.1.4. Le Commissaire du gouvernement entant qu'officier
de la Police Judiciaire (OPJ) 66
2.3.2.1.5. Impact de l'émission sur le Tribunal saisi
67 2.3.2.2.- Sous-section II- Risque de sanctions de la Cour
Interaméricaine des Droits de
l'Homme (CrIDH) 69
CHAPITRE IV- VOIES DE RECOURS ET RECOMMANDATIONS
71
SECTION 1- MESURES A PRENDRE SUR LE PLAN ADMINISTRATIF POUR
PALLIER
CETTE NÉGLIGENCE DE PROCÉDURE 72
2.4.1.1.- Sous-section I- De la protection de l'image du suspect
72
2.4.1.1.1.- Importance juridique 72
2.4.1.2.- Sous-section II- De la reforme juridique et
Contrôle de procédure 73
2.4.1.2.1.- Adaptation des lois à la réalité
73
2.4.1.2.2.- Contrôle de la procédure 74
SECTION 2- RECOURS À EXERCER PAR LES VICTIMES
CONTRE CETTE FAILLE DE
PROCÉDURE 74
2.4.2.1.- Sous-section I- Recours par devant les instances
nationales 75
2.4.2.1.1.- Action civile en réparation de dommages
causés 75
2.4.2.1.2.- Recours à l'Office de Protection du Citoyen
(OPC) 76
2.4.2.1.2.1.- Attributions de l'Office de Protection du Citoyen
(OPC) 76
2.4.2.1.2.2.- Procédure devant l'Office de Protection du
Citoyen (OPC) 77
2.4.2.1.3.- Recours en Habeas Corpus par devant le Tribunal de
Première Instance (TPI) 77
2.4.2.2.- Sous-section II- Recours par devant les instances
internationales 79
CONCLUSION 81
RÉFÉRENCES 88
vii
LISTE DES SIGLES
APJ : Agent de la Police Judiciaire
C.I.C : Code d'Instruction Criminelle
CADH : Convention Américaine des Droits de l'Homme
CCH : Code Civil Haïtien
CEDH : Convention Européenne des Droits de l'Homme
CIDH : Commission Interaméricaine des Droits de
l'Homme
CrIDH : Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme
DUDH : Déclaration Universelle des Droits de l'Homme
INDH : Institution Nationale de Défense des droits
Humains
MINUSTHA : Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en
Haïti
NCHR: National Coalition for Haitian Refugees
OEA : Organisation des États Américains
OPC : Office de Protection du Citoyen
OPJ : Officiers de la Police Judiciaire
PIDCP - Pacte international relatif aux droits civils et
politiques
PNH : Police Nationale d'Haïti
PNUD : Programme des Nations-Unies pour le
Développement
POHDH : Plateforme des Organisations Haïtiennes de
Défense des Droits Humains
P.U.F. : Presses Universitaires de France
RNDDH : Réseau National de Défense des Droits
Humains
SIDH : Système Interaméricain des Droits de
l'Homme
TP : Tribunal de Paix
TPI : Tribunal de Première Instance
UNPOL : Police de Nations-Unies
viii
DEDICACES
Ce mémoire est dédié à :
? Notre chère maman Mme Saintvilia SAINT-FLEUR TILIAS,
et notre infatigable papa Musset Isaac TILIAS
? Notre mentor frère Hermane TILIAS, nos adorables
soeurs : Wislène, Miche-Love, Esther et Carrelle. Notre cousin et
allié Me Bendjy TILIAS
? Nos amis : Marc-Allen DORSINVILLE, Patrick BASTIEN, Henrico
EDMOND, Stevenson LAMOUR, Eudinial JEAN-LOUIS, Renel PRESUME et John
GRAVEUS.
? Aux étudiants de la Faculté de Droit, des
Sciences Économiques et de Gestion du Cap-Haitien
? Enfin à toute la jeunesse estudiantine du grand Nord,
d'Haïti et de la Caraïbe francophone
ix
REMERCIEMENTS
Bien que ce mémoire soit le fruit de nos efforts, nous
sommes particulièrement redevables à :
Dieu qui, dans son amour infini, nous a permis de
concrétiser ce grand rêve ;
Nos père et mère, qui nous ont
préparé la voie de l'université. Ils ont fidèlement
et conjointement, dans une complicité extraordinaire, accompli la
tâche que Dieu leur a confiée : élever l'enfant selon la
voie qu'il doit suivre ;
Nos professeurs qui se sont sacrifiés pour notre formation
juridique ;
Me Jacquelin PIERRE, notre Directeur de mémoire,
professeur dévoué et infatigable dont le rayonnement
chrétien, la profonde sensibilité et les idées novatrices
nous ont été très précieux par ses fameuses
suggestions que lui ont inspirées ses compétences
d'éducateur. Il a accepté avec bonté de coeur de mettre
ses connaissances et ses expériences à notre disposition pour la
réalisation de cette oeuvre ;
Me Jean Claude THEOGÈNE, juge à la Cour d'Appel
du Cap-Haitien, pour son assistance méthodologique ;
Me Jean Ralph PREVAUT, Juge d'Instruction près le
Tribunal de Première Instance (TPI) du Cap-Haitien, pour les
séances d'interview, son appui technique ;
Me Hérode CHARNEL, Secrétaire de
l'Université Libre d'Haïti (ULH), pour son appui technique ;
Nos amis : Gary DELMOUR, Milton SAINT-FLEUR, Sandra METELLUS
et Judith DURAND, qui, par leurs documents et leurs propos de réconfort,
nous ont vivement soutenu ;
Nous arriverons certainement à oublier la contribution
des uns et des autres à la réalisation de ce travail, soit par un
mot d'encouragement ou une incitation à produire, soit par un apport
dans la documentation ou à la réflexion. On nous pardonnera de
notre ingratitude pour n'avoir pas mis certains noms que nous ne devrions pas
oublier. Nous souhaiterions que chacun, sans être nommément
cité soit remercié.
x
AVANT-PRPOPOS
Tout travail d'apprentissage exige au moins deux moments. Un
premier qui est basé sur l'acquisition des notions théoriques.
À ce stade, l'étudiant accumule les notions, les assimile pour
pouvoir comprendre une réalité ou guider ses pas dans les
exercices futurs. Un deuxième qui consiste en la pratique que ce dernier
doit faire en rapport avec les notions qu'il a apprises et les
réalités vécues dans la pratique.
Ainsi, dans l'objectif de combiner théorie et
réalité, nous avons évalué la
légalité de la présentation des suspects dans les medias
lors de quelques enquêtes judiciaires impliquant la Police Nationale
d'Haïti. Nous avons choisi le sujet qui suit : « La Police Nationale
d'Haïti, entre l'efficacité et le respect du Droit de la
défense. Considération faite de l'émission allô
la police : 2005-2015 ». Ce choix a été effectué
parce que la question du respect des droits de l'homme est devenue une
problématique d'actualité et concerne toutes les
sociétés, indépendamment du niveau de leur richesse.
Avec cette pratique, nous avons compris l'inquiétude de
la PNH d'adresser le problème de l'insécurité qui
sévit dans le pays. Elle a fait des publications qui se
révèlent être en violation du principe de la
présomption d'innocence et du droit à la défense. Il y a
lieu de considérer plus spécifiquement certains articles de la
Convention Américaine des Droits de l'Homme (CADH), de la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH), de la Constitution
de la République d'Haïti de 1987 amendée et du Code de
l'Instruction Criminelle (C.I.C).
L'analyse de textes relatifs au respect des droits humains,
des interviews avec des cadres du pouvoir judiciaire nous ont permis de mieux
élucider la question. Cependant, toute la dimension du sujet n'a pas
été cernée dans le cadre de ce travail. De nombreuses
difficultés rencontrées au cours de la recherche sur le terrain
nous ont empêchées de recueillir toutes les informations
nécessaires, notamment, en ce qui a trait à la date du
début de l'émission et du nombre de personne ayant
déjà fait l'objet d'une telle publication. Mais, nous avions
compris que la question de violation de droits humains ne peut pas faire
l'objet d'une approche quantitative, mais plutôt, du respect scrupuleux
de la procédure. Voilà ce qui est traité en deux parties,
quatre chapitres et huit sections et seize sous-sections que comporte ce
travail.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
La mission première de l'État est de garantir
l'ensemble des droits de ses citoyens. Ramenée à la dimension
nationale, celle-ci se traduit par l'article 24 de la Constitution de la
République d'Haïti de 1987 amendée, disposant que : «
La liberté individuelle est garantie et protégée par
l'État ». Plus loin, ce même document de
référence avance dans son article 24-1 que : « Nul ne
peut être poursuivi, arrêté ou détenu
que dans les cas déterminés par la loi et selon
les formes qu'elle prescrit ». Cette structure
[État], résultante d'intérêts divergents, trouve son
essence et sa naissance de la volonté des individus de se
prémunir de la liberté individuelle que chacun peut revendiquer
comme composante de ses droits naturels. On peut alors comprendre que, de
l'état de nature à l'état de société, ce
processus a été réalisé en vertu de l'urgente
nécessité qu'ont ressentie les hommes primitifs de
contrôler l'exercice de ces droits naturels détenus par chacun.
Des droits qui sont aussi dits fondamentaux [1], en sens qu'ils
constituent des prérogatives que l'individu avait avant même
d'entrer en société. Ils sont constitués du droit :
à la vie, à la liberté et à la
propriété, (Locke, 1690). Insérés dans les
législations modernes, on les retrouve dans les constitutions des
États, notamment celle d'Haïti de 1987 en son article
19[2].
1-Les droits fondamentaux ou
libertés fondamentales sont l'ensemble des droits subjectifs primordiaux
de l'individu, assurés dans un État et une Démocratie.
C'est une notion abstraite dont il n'existe pas de définition faisant
l'unanimité. Site consulté le 5 mai 2015, 10 h 03.
2 -Article 19 de la constitution de 1987
amendée : L'État a l'impérieuse obligation de garantir le
droit à la vie, à la santé, au respect de la personne
humaine, à tous les citoyens sans distinction, conformément
à la déclaration universelle des droits de l'homme.
3
La réalisation de la mission de l'État passe par
l'Administration publique qui, au terme de l'Article 234 de la constitution de
la République d'Haïti de 1987 amendée, est
désignée comme étant l'instrument par lequel l'État
concrétise ses missions et ses objectifs. Pour y parvenir, elle doit
être gérée avec efficacité. Cependant, cet objectif
d'efficacité ne doit pas compromettre l'essence de la mission de
l'État. C'est pourquoi, il est indispensable que les actions de
l'administration publique soient fondées sur des principes
philosophiques en étroit lien avec l'histoire et la coutume des
peuples.
C'est d'ailleurs dans ce sens que le philosophe Montesquieu,
dans son fameux ouvrage « De l'Esprit des Lois», eut à faire
tout un plaidoyer contre l'application de plano des lois importées. Dans
ses écrits, le philosophe plaide pour une adaptation des principes dits
universels à des contextes sociaux et géographiques bien
spécifiques. En dehors de ces considérations, on risque de faire
face à l'inapplicabilité des principes qui vraisemblablement,
paraissent les mieux appropriés pour harmoniser une
société.
Contrairement à cette impérieuse mission, qui
est celle de la protection de droits, on trouve des États qui s'enlisent
dans des actes de violation des droits de leurs propres citoyens. Pour se
justifier, certains prétextent la garantie de la sécurité
du plus grand nombre, argument utilitariste, quand d'autres clament la
sauvegarde des coutumes et des croyances religieuses, se référant
ainsi au nationalisme.
Dans le cas qui nous concerne, depuis quelques années,
on constate une pratique qui se dessine au sein de l'administration publique
haïtienne, notamment, chez la Police Nationale d'Haïti (PNH) qui
aurait l'air d'une violation des principes fondamentaux du Droit Pénal.
Cette institution hiérarchisée, créée par la
constitution de 1987 en son article 271[3], relève du
Ministère de la Justice (Règlements généraux de la
police nationale, article 2). Armée et apolitique, elle a pour devise :
Servir et Protéger. Sa mission consiste à garantir l'ordre et la
paix publics, la sécurité des vies et des biens à
l'intérieur du pays (article 3, du Règlement
précité). Paradoxalement aux prérogatives ci-dessus
mentionnées, la PNH semble vouloir empiéter sur la mission de la
justice, seule capable de dire le mot du droit. Elle publie dans son
émission « Allo La Police » l'image et l'identité des
suspects. Cette action de la PNH, comme nous allons le
3 -Gérard DALVIUS, Justice et Police, un
défi en Haïti, Port-au-Prince, Éditions Choucoune,
1996, p.117.
4
prouver plus tard, tend à violer certains principes du
droit pénal en général et des règles de la
procédure pénale haïtienne en particulier.
Néanmoins, il est dit à l'article 27 de la
constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée que
:
Toutes violations des dispositions relatives à la
liberté individuelle sont des actes arbitraires. Les personnes
lésées peuvent, sans autorisation préalable, se
référer aux tribunaux compétents pour poursuivre les
auteurs et les exécuteurs de ces actes arbitraires, quelles que soient
leurs qualités et à quelque corps qu'ils appartiennent.
A la lumière de cet article, il est compris que toute
violation de droits par un sujet de droit, qu'elle soit physique ou morale,
privée ou publique, engage, sur le plan juridique, sa
responsabilité. Ainsi, le refus d'accorder, avant n'importe quelle
action qui aurait l'aspect d'une peine, le droit à un procès
digne et équitable à une personne interpellée dans le
cadre d'une enquête judiciaire, fut-ce-t-elle délinquante
récidivée, ne constitue-t-elle pas une violation flagrante aux
droits garantis par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme
(DUDH), en son article 10[4], dûment ratifiée par
Haïti ? La réponse à cette question n'a pas seulement
interpellé l'attention des étudiants en Droit, mais, d'autres
secteurs se sont eux aussi élevés la voix contre
l'émission allo la police.
A ce propos, nous allons considérer les critiques de
deux organisations dans le secteur de défense des droits humains : le
Réseau National de Défense des Droits Humains RNDDH et la
Plateforme des Organisations Haïtiennes de défense de Droits
Humains POHDH. Également, une institution étatique, l'Office de
Protection du Citoyen (OPC) dont le rôle essentiel est de veiller au
respect de ces droits. En effet, en réaction à l'émission,
les propos de l'OPC ont été rapportés, dans un article
paru dans le journal électronique « Haïti Libre5
», comme suit :
En tant que courroie de transmission des préoccupations
de la Société Civile, notamment des organisations de
défense des droits humains, l'OPC exprime sa profonde
désapprobation sur l'émission intitulée « Alô
Lapolis » [sic] instaurée depuis plus d'une décennie, par la
Police Nationale d'Haïti (PNH), au cours de laquelle sont diffusées
les images de personnes arrêtées, qui dans certains cas, sont
contraints de faire des aveux.
4-Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme, l'article 10 stipule : Toute personne a droit, en pleine
égalité, à ce que sa cause soit entendue
équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et
impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du
bien-fondé de toute accusation en matière pénale
dirigée contre elle.
5 -L'OPC désapprouve l'émission de la
PNH « alô lapolis »,
www.haitilibre.com,
05/05/2014, 12 :32 :44
5
Cette prise de position de la protectrice du citoyen,
témoigne à clair l'inquiétude des autres acteurs de la vie
nationale sur la problématique du respect des droits de l'homme en
Haïti. Toutefois, l'OPC n'est pas la seule organisation à nous
avoir soumis ses préoccupations concernant l'agissement de la Police
Nationale.
Pour sa part, la Plateforme des Organisations Haïtiennes
de Défense des Droits Humains (POHDH) a été plus radicale
en ce qui a trait à la tenue de cette émission qu'elle qualifie
d'ailleurs d'accroc à la dignité humaine. Dans une note
publiée sur le journal électronique, Haïti
Libre6, la POHDH se demande :
A quand, donc la cessation de cette émission `'allo la
Police» qui porte atteinte à la dignité humaine et aux
droits fondamentaux de la personne humaine et dont l'effet n'est pas du tout
déterminant dans le cadre de la lutte contre l'insécurité
contrairement à ce que des autorités policières veulent
faire croire, croit le secrétaire général de POHDH.
L'organisation estime que ce programme est une "pure
démagogie" pour cacher l'incapacité réelle de la police de
combattre l'insécurité qui ne cesse de prendre des proportions
très alarmantes à la veille des fêtes de fin
d'année, commente le journal Haïti Libre.
Dans un article paru dans les colonnes du réseau de
publication électronique Alter Presse le 24 octobre 2012 intitulé
: « Clifford Brandt sous les verrous pour kidnapping
présumé, rien à voir avec le secteur des affaires en
Haïti», le Réseau National de Défense des Droits
Humains (RNDDH) a lui aussi fixé sa position par rapport à
l'émission.
Tout en exprimant son désaccord avec la pratique de la
police de diffuser les images de personnes n'ayant pas été
condamnées par décision de justice à son programme
télévisé « Allo La Police », le RNDDH a quand
même souligné que ce traitement médiatique ne peut
être uniquement réservé aux gens « moins
aisés.
La position plus ou moins modérée du RNDDH ne
constitue pas pour autant un acquiescement à l'émission.
L'effectivité d'une telle pratique de l'administration publique
haïtienne, via la Police Nationale, violerait le principe de la
présomption d'innocence et le droit à la défense,
prérogatives reconnues au suspect. Cela crée par
conséquent une brèche pour la justice haïtienne. Toutes ces
considérations d'ordre philosophique et juridique nous amènent
à
6-A l'occasion du 63ème
anniversaire de l'adoption de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme, une organisation de défense des droits humains demande la fin
du programme présenté par la PNH qui diffuse des images de
personnes arrêtées sans qu'elles soient reconnues coupables par la
justice, POHDH estime aussi que la situation est inquiétante en
matière des droits humains en Haïti., in
www.Haitilibre.com, site
consulté le 13 février 2016, 06 heures AM.
6
creuser plus profondément la question pour essayer de
comprendre les différentes causes constituant le fondement de l'action,
ainsi que les conséquences que cette démarche de la PNH peut
engendrer sur le système judiciaire haïtien en
général, sinon le suspect en particulier.
PROBLÉMATIQUE
Dans un livre intitulé « Recherche sociale. De
la problématique à la collecte des données »,
une équipe d'auteures et d'auteurs dirigée par Benoit Gauthier
(1986) avancent que la problématique de recherche constitue :
L'ensemble des éléments formant le
problème, à la structure d'informations dont la mise en relation
engendre chez un chercheur un écart se traduisant par un effet de
surprise ou de questionnement assez stimulant pour le motiver à faire
une recherche. On peut donc retrouver dans la problématique de recherche
ce qui a poussé le chercheur à poser la question
générale, en plus de la prise en considération des faits,
des observations, des connaissances théoriques, des résultats
d'autres recherches et d'autres questions se rapportant à la question
générale7.
Le fait qui est étudié ici, on se le rappelle,
concerne la publication jugée hâtive de l'image et de
l'identité des personnes suspectées dans le cadre d'une
enquête judiciaire. Cette publication, telle qu'elle est faite par la
PNH, violerait le principe de la présomption d'innocence et le droit du
suspect de se défendre. A partir de cette définition de la
problématique, et ayant constaté cet écart entre la
procédure tracée dans les articles 10[8],
11[9] et 12[10] du Code d'Instruction Criminelle (C.I.C.)
et cette pratique de la police, nous allons essayer de comprendre le fait,
cerner les causes de son existence afin d'explorer les différentes
conséquences qui peuvent découler du non respect de certaines
règles de procédures.
Pour élucider notre approche, nous avons choisi, parmi
tant d'autres, cette vidéo de 10 minutes et 25 secondes, titrée
«ALLO LA POLICE ATTENTION FAUX KIDNAPPINGS - PNH ARRESTATION
KIDNAPEURS11, affaire de Stanley LAFLEUR» qui constitue
l'oeuvre de la PNH. Celle-ci présente l'identité et l'image des
personnes suspectées dans le cas d'une infraction qui est
qualifiée dans la vidéo de kidnapping. La PNH, par cette action,
fait une fuite, violant non seulement le principe de la présomption
d'innocence et le droit à la défense, mais également,
7 - Benoit GAUTHIER, Recherche sociale : de la
problématique à la collecte des données,
Québec, QC : Presses de
l'Université du Québec, 1986, p.23.
8-Article 10 Code d'Instruction Criminel annoté
par Menan Pierre Louis.
9-Article 11 Décret-loi du 19 mai
1937, Idem.,
10-Article 12, Idem.,
11 -
https://www.youtube.com/watchtv=VIPCcykTS44,
site consulté 7 novembre 2015, 16 h 21.
b. Que peuvent faire les victimes qui souhaiteraient obtenir
réparation de cet acte qui viole leurs droits ?
7
laquelle fuite est susceptible de brouiller les pistes du juge
d'Instruction dans son travail de recherche d'information.
Nous voulons, de la manière ci-après de poser le
problème, expliquer d'une part, les causes de cet écart, d'autre
part, les conséquences qui en découlent. Cependant, au cours de
notre approche, nous allons mettre plus d'accent sur les différentes
conséquences qu'il emporte que les causes qui le provoquent. Fort de ce
choix méthodologique, il nous est devenu nécessaire de poser la
question de la manière suivante.
Questions de recherche
L'émission télévisée «
allô la police » en affichant publiquement l'image des personnes
interpellées dans le cadre d'une enquête judiciaire ne
constitue-t-elle pas un élément d'affaiblissement du
système judiciaire haïtien, en portant atteinte
spécifiquement au principe de la présomption d'innocence et au
droit à la défense ?
I. En quoi cette démarche de la Police Nationale
d'Haïti constitue-t-elle une
violation du principe de la présomption d'innocence et du
droit à la défense ?
a. Qu'est-ce qui peut être à la base de cette
faille dans la procédure constatée dans les pratiques de la PNH
dans l'émission «Allô La Police » ?
b. Quels sont les différents impacts que cette
pratique peut-elle avoir sur le système judiciaire haïtien ?
II. Quelles sont les actions nécessaires, d'une part,
pour les autorités judiciaires et
policières de pallier cette faille dans la
procédure, d'autre part, pour les personnes victimes d'obtenir
réparation de cette erreur de procédure ?
a. Comment les autorités policières
peuvent-elles s'y prendre pour utiliser ces méthodes d'intimidations
sans avoir à heurter des principes fondamentaux du Droit pénal et
violer le droit de l'accusé de se défendre ?
8
Objectifs
A travers cette démarche, nous voulons montrer la
nécessité de concilier les exigences de la procédure
pénale et les pratiques d'opération de la police nationale
d'Haïti. Mettre en exergue la difficile harmonisation du système
Common Law, appliqué par les pays Nord-américains, priorisant la
procédure accusatoire, et la législation pénale
haïtienne basée sur le système romano-germanique, priorisant
une procédure mixte de conduite des affaires criminelles,
également, contribuer à pallier cette négligence dans le
système pénal haïtien, en mettant en évidence la
nécessité d'une correction formelle par le Code Pénal en
cours de préparation. Il s'agira aussi de faire savoir aux victimes
qu'elles peuvent exiger réparation de l'État en cas de violation
de leur droit à un procès équitable. Vers l'atteinte de
ces objectifs, nous allons avancer des réponses de manière
anticipée qui vont être vérifiées tout au long de
notre travail.
Hypothèses de travail
La publication dans l'émission
télévisée « allô la police » de l'image et
de l'identité d'un suspect arrêté dans le cadre d'une
enquête judiciaire constitue une violation du principe de la
présomption d'innocence et du droit à la défense.
I. La démarche de la PNH fait passer le suspect pour
coupable sans que celui-ci n'ait été préalablement
présenté devant son juge naturel comme le veut la loi, et
également, ce dernier est obligé de répondre à des
questions en absence de son avocat et à témoigner contre
lui-même.
a. Le souci d'exposer et de justifier aux yeux de la
population ses efforts quant à l'éradication de
l'insécurité, la faiblesse technique et d'effectif et l'influence
des procédures du système « Common Law » sur le
système pénal haïtien, héritage du système
romano-germanique, sont des causes qui sont à la base de cette
action.
b. L'émission affaiblie le système judiciaire
haïtien en sens qu'elle pousse les acteurs à outrepasser certains
principes fondamentaux, exposant ainsi le pays à des sanctions
internationales qui pourraient émaner des plaintes éventuelles
des victimes. Quant au suspect, elle lui cause un préjudice infamant
(dû à cette forme de lynchage médiatique) réduisant
ainsi les chances que celui-ci soit disculpé des accusations
portées contre lui.
9
II. Les actions nécessaires pour pallier cette faille dans
la procédure sont d'ordres administratif
et juridictionnel :
a. Prendre des dispositions pour protéger l'image du
suspect après son arrestation, contrôler toutes communications
susceptibles d'affecter la procédure et l'identité de ce dernier
et sécuriser l'aire du crime ou de la perquisition.
b. Intenter une action pendant ou après contre la PNH
pour procédure abusive en vertu de l'article 1168 du Code Civil
Haïtien, également, exercer un recours devant l'OPC contre l'Etat
pour abus de l'Administration Publique12et, à défaut
de satisfaction, saisir les instances internationales.
Intérêt de la recherche
Nous avons un double intérêt à aborder ce
problème. En tout premier lieu, parce que cela rentre dans le cadre
d'une exigence académique. Car, tout travail d'apprentissage exige au
moins deux moments. Un premier qui est basé sur l'acquisition des
notions théoriques. À ce stade, l'étudiant accumule les
notions, les assimile pour pouvoir comprendre une réalité ou
guider ses pas dans les exercices futurs. Un deuxième qui consiste en
l'application que ce dernier doit faire des notions qu'il a apprises. Ce
deuxième moment est nécessaire, du fait qu'il existe parfois tout
un monde de différence entre ce qui est appris en classe et
l'application de ces théories sur le terrain. Néanmoins, toute
théorie est assortie d'une observation ou d'un constat qui peut, dans
une certaine mesure, se révéler expression de la
réalité d'un milieu quelconque et donc, emprunte d'une certaine
singularité. Donc, tenter de la généraliser risque souvent
de provoquer des écarts qui sont dus parfois : à l'environnement,
à l'histoire, à la culture et aux vécus de la population
en question. Il en est de même pour les notions et théories
enseignées. Certaines d'entre elles découlent des études
et des observations sur des populations bien particulières, qui ne sont
pas forcément applicables à d'autres réalités, ou
du moins, exigent certaines modifications avant leur application.
En second lieu, la question de respect de droits humains est
devenue une problématique si importante et actuelle que certains se
trompent à croire qu'elle serait l'apanage des grandes
sociétés. Donc, il devient évident que
l'université, dont le rôle est d'orienter les décisions
prises
12- Article 3, 4 et 5 de la loi
portant Organisation et Fonctionnement de l'Office de la Protection du
Citoyen.
10
au sein d'une société, puisse accompagner les
mutations sociales et les tendances politiques actuelles.
Méthodologie du travail
Hérold TOUSSAINT nous définit la
méthodologie comme l'art de la recherche de la vérité ou
l'art enseignant l'emploi des procédés adaptés à un
travail déterminé. Elle est une étude des méthodes
scientifiques et techniques, des procédés utilisés dans
une discipline déterminée.13 En effet, le travail
scientifique nécessite la prise en compte des méthodes,
techniques de recherche et de collecte des données le guidant en une
bonne fin. La méthode étant une marche rationnelle de l'esprit
vers la vérité.
Pour André Lalande, méthode est « le
programme réglant d'avance une suite d'opérations à
accomplir et signalant certaines erreurs à éviter, en vue
d'atteindre un résultat déterminé14
». Ainsi pour la réalisation de ce travail, nous avons
utilisé la méthode juridique qui consiste à
interpréter l'économie générale de la loi, la
position jurisprudentielle et doctrinale dans la compréhension des
textes de loi. Il y a aussi la méthode exégétique
consistant au recours du texte en vue d'établir son sens à
travers son esprit et sa lettre ; c'est-à-dire de dégager les
textes en tenant compte de l'intention du législateur, chercher sa
volonté. Nous avions également utilisé la méthode
sociologique qui consiste à établir le texte grâce au
contexte sociologique dans lequel il est né et les
réalités sociales de son application, suivie de la méthode
historique qui consiste à voir l'évolution de la pratique dans le
temps et dans l'espace.
Les techniques d'observation qui consistent à regarder
un événement avec attention afin d'en tirer une certaine
connaissance. Elles permettent d'analyser et de constater les différents
impacts de l'émission sur le système pénal haïtien.
La technique d'interview, étant une technique d'investigation en
situation d'interaction essentiellement verbale, mettant en contact deux
personnes poursuivant un objectif préalablement fixé ; nous a
permis d'entrer en contact avec certains cadres de la justice, notamment :
juges, commissaires et avocats sur des questions en la matière. On a
aussi utilisé la technique documentaire consistant en la lecture des
ouvrages, codes et lois constituant la législation pénale
haïtienne.
13-Hérold TOUSSAINT, Le métier de
l'étudiant, guide méthodologique du travail intellectuel,
Port-au-Prince, Éditions Presses Nationales d'Haïti, 2011, p.62.
14 - André LALANDE, Vocabulaire technique
et critique de la philosophie, Paris, P.U.F., 2002, p.624.
11
Ainsi, la recherche documentaire constitue le coeur de la
méthodologie de ce travail, dans la mesure où nous allons devoir
puiser dans les documents de rapport des Organisations de Défenses des
Droits Humains pour asseoir nos thèses. Les données recueillies
au cours de ces recherches vont être analysées et comparées
afin de comprendre la philosophie qui se cache derrière la pratique et
aussi d'évaluer le bien fondé des arguments qui ont
été avancés pour justifier cette intervention.
Limites du travail
D'emblée, nous voulons préciser que nous nous
limiterons aux seules exigences relatives au respect du principe de la
présomption d'innocence, du droit à la défense et la
nécessité d'harmoniser les interventions au sein de
l'État. Ce faisant, nous nous passerons d'une problématique
générale sur laquelle ont planché beaucoup de critiques du
système pénal haïtien, à savoir : la lutte contre
la lenteur en matière de justice pénale, en d'autres termes, la
détention préventive prolongée15.
L'importance de cette délimitation thématique nous permettra de
traiter de manière directe et plus ou moins profonde les
différentes causes et conséquences de l'émission allo la
police. Cette problématique est évidente. Car il s'agira pour
nous, d'une part, de veiller à ce que les personnes
présumées innocentes ne fassent plus l'objet
d'éléments de dissuasion avant d'être jugées.
D'autre part, pour la victime ou ses ayant-cause, d'être
réparé dans les délais, du préjudice subi. Dans de
pareils cas, la société dont la cohésion a
été mise à mal, sa tranquillité troublée, sa
sécurité éprouvée verra l'auteur de ces
méfaits identifié, jugé et condamné dans le strict
respect des règles procédurales. C'est à ce prix que la
paix sociale pourra être rétablie, pour paraphraser le Dr. Louis
NKOPIPIE DEUMENI16.
Division du travail
Ce travail est divisé en deux parties. Dans la
première, nous allons comparer les agissements de l'État par
rapport aux grands débats de philosophie politique relatifs au
respect
15 - A cet effet,
l'Office de Protection du Citoyen (OPC) dans un rapport publié sur la
situation des droits humains en Haïti 2009-2012 a fait remarquer : La
détention arbitraire et illégale se veut donc bien souvent la
règle et non l'exception dans les lieux de détention. Les
chiffres recueillis sont à ce sujet, éloquents : près de
80 pour cent des détenus sont dans l'attente d'une décision
judiciaire qui pourra prendre des mois, voire même des années
avant d'être prononcée. Sur les 8,625 personnes
emprisonnées en Haïti au mois de novembre 2012, 6,093
étaient en détention préventive, le taux de
détention préventive allant jusqu'à 85,4 pour cent dans la
région de Port-au-Prince (soit les prisons de Port-au-Prince,
Pétion-Ville, Carrefour, Arcahaie, Croix des Bouquets et CERMICOL).
16-Dr. Louis NKOPIPIE DEUMENI, Le
fonctionnement de la justice pénale et les exigences du droit des droits
de l`homme : l'exigence de célérité,
Projet/Justice/PNUD, Hôtel El Rancho, Mai 2001, p.1.
12
des droits humains. Celle-ci est divisée en deux
chapitres. Le premier chapitre apporte une précision conceptuelle et
traite des théories philosophiques relatives aux interventions de
l'État, également, de l'engagement de l'État haïtien
par rapport au respect des droits humains. Le deuxième chapitre fait une
présentation de l'émission allo la police avec quelques-unes de
ses causes.
La deuxième partie du travail va se porter sur les
conséquences qu'engendre l'émission et les divers moyens auxquels
peuvent recourir les individus victimes de cette publication hâtive de
l'image et de l'identité des personnes interpellées dans le cadre
d'une enquête judiciaire. Les conséquences sont analysées
dans le troisième chapitre. Nous traitons des provisions légales
qui existent pour pallier cette violation dans le quatrième chapitre.
Celles-ci résident dans les conventions internationales que le pays a
signées, d'autres textes constituant les lois insérées
dans les codes civil et pénal, le code de procédure civile et
celui de l'instruction criminelle, aussi bien que des dispositifs de la
Constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée.
Le problème qui est posé ici a
été, pendant un certain temps, ralenti par les diverses
dénonciations des organismes de défenses des droits humains. Mais
étant donné sa résurgence, nous estimons qu'il est urgent
de poser la question dans une dimension plus étendue, d'expliquer en
partie l'écart, afin que les victimes aussi bien que la
société soient conscientes des causes et des conséquences
qui peuvent en découler.
PREMIÈRE PARTIE- CONSIDÉRATION
PHILOSOPHIQUE, LÉGALE ET ÉTAT DES LIEUX EN HAÏTI
CHAPITRE I- CONSIDÉRATIONS PHILOSOPHIQUES ET
ENGAGEMENTS DE L'ÉTAT HAÏTIEN PAR RAPPORT AUX DROITS DE L'HOMME
17-Jeremy BENTHAM, Official Aptitude Maximized,
Expense Minimized, Oxford, Oxford University Press, 1993, p.346.
15
SECTION 1- DROITS DE L'HOMME ET POLICE,
CONSIDÉRATIONS PHILOSOPHIQUES ET IDÉOLOGIQUES
Ordinairement, les actions d'un État sont soumises
à de grands principes constituant le fondement de ses interventions.
Car, en tant que fiction combinant à la fois coutumes et valeurs, il
demeure incontestable que ses décisions revêtent une certaine
légitimité. Les sous-sections suivantes nous présentent,
d'une part, les courants philosophiques antagoniques relatifs au rapport de
l'État avec ses membres. D'autre part, apporte une clarification et une
mise en contexte des concepts droit de l'homme et police.
1.1.1.1.- Sous-section 1- Considérations
philosophiques et idéologiques du rapport
Citoyen-État
En effet, il existe des principes qui priorisent le
bien-être collectif aux dépens de celui de l'individu
considéré comme un, versus la collectivité. Ces courants
sont nombreux et dits hostiles aux droits humains. Nous allons
considérer deux d'entre eux : le Nationalisme et l'Utilitarisme.
1.1.1.1.1.- Courants philosophiques hostiles aux
droits de l'homme
1.1.1.1.1.1.- L'utilitarisme, fondement philosophique
des interventions d'un État
Pour ce qui est du courant Utilitariste, il consiste en une
théorie inspirée du philosophe de l'antiquité
Épicure, développée par la suite par Jeremy Bentham et
John Stuart Mills. Elle se base sur l'hédonisme qui, du grec
hêdonê, signifie plaisir. Elle est une éthique qui pose le
plaisir comme le bien moral suprême. On peut qualifier l'éthique
utilitariste d'être de conséquence téléologique, par
opposition à l'éthique kantienne, qui est non basée sur
les conséquences, donc déontologique. Bentham affirme que la
référence au contrat social dans la philosophie morale et
politique constitue une période particulière de l'histoire des
idées, qui s'achève avec l'avènement du principe
d'utilité17. Pour lui, l'utilitarisme est le « principe
qui approuve ou désapprouve toute
16
action, quelle qu'elle soit, selon la tendance qu'elle semble
avoir à augmenter ou à diminuer le bonheur de la partie dont
l'intérêt est en jeu18.
Pour sa part, Mills déclare au sujet de ce courant que
« [...] les actions sont bonnes ou mauvaises dans la mesure où
elles tendent à accroître le bonheur ou à produire le
contraire, le malheur ». Ainsi, les penseurs utilitaristes entendent
fonder l'éthique sur l'idée que la valeur morale d'une action se
détermine par sa contribution à augmenter ou à diminuer le
bien-être de la communauté dont les intérêts sont en
jeu [19]. Il n'y a pas que le courant utilitariste qui a
prôné l'importance des intérêts collectifs aux
dépens de l'intérêt individuel, d'autres courants de penser
ont également abondé dans le même sens. Ainsi, à
coté de l'utilitarisme, nous abordons le courant du nationalisme qui,
pour sa part, prône l'intérêt de la collectivité
locale par rapport à tout autre intérêt qui se trouverait
aux antipodes de ce dernier.
1.1.1.1.1.2.- Le Nationalisme, fondement philosophique
des interventions de l'État
Selon Larousse, le Nationalisme [20] désigne
premièrement le mouvement politique d'individus qui prennent conscience
de former une communauté nationale en raison des liens (langue, culture)
qui les unissent et qui peuvent vouloir se doter d'un État souverain.
Une deuxième acception du concept nous renvoie à le
considérer comme étant une théorie politique qui affirme
la prédominance de l'intérêt national par rapport aux
intérêts des classes et des groupes qui constituent la nation ou
par rapport aux autres nations de la communauté internationale.
Du point de vue idéologique, le nationalisme est vu
comme une sacralisation de la nation. Ceux qui le soutiennent donnent un
contenu politique à la nation qui devient vite dangereux, puisqu'il
s'affirme au détriment des autres. Il est souvent utilisé par les
États-nations pour justifier le protectionnisme. Ils sont divers les
prétextes qui sont évoqués pour défendre les
intérêts économiques, sociaux ou culturels de la nation.
Dans cet ordre d'idées, il est question de la suprématie du
collectif sur l'individuel, au nom de la souveraineté nationale. La
nation est
18-Id, An Introduction to the Principles of
Morals and Legislation [1789], Oxford, Oxford University Press,
1996, p.11.
19 - Bozzo-Rey MALIK et Émilie DARDENNE,
Deux siècles d'utilitarisme, Presses universitaires de Rennes,
2012,
www.pur-editions.fr
20-
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/nationalisme/53867,
consulté le 4 septembre 2015, 14 h 13
17
devenue alors le prétexte d'une réduction des
libertés individuelles et d'une atteinte aux droits de
propriété.
1.1.1.1.2.- Courants philosophiques favorables aux
droits de l'homme
Il existe en outre d'autres courants qui sont plutôt
favorables au respect de l'individu en tant qu'être libre,
indépendamment d'un calcul mathématique d'intérêt de
la collectivité par rapport à celui du citoyen. Ce sont entre
autres : les courants et philosophes politiques tels : L'individualisme, le
Libéralisme, la théorie de John Rawls et celle de Emmanuel
Kant.
1.1.1.1.2.1.- Le Libéralisme politique, fondement
philosophique des interventions de l'État
Le libéralisme politique pour sa part considère
qu'un régime politique de contraintes collectives ne peut être
moralement acceptable que s'il respecte le principe suivant : l'État
doit être au service des individus et non l'inverse. Car, la fonction
fondamentale de l'État est de protéger les droits des individus
contre tout ce qui tend à les violer. Il prône un comportement de
l'État qui priorise le respect des droits de l'individu entant
qu'être libre, détenteur d'un ensemble de prérogatives dits
droits fondamentaux en sens que celui-ci les détient dès la
genèse de la société. Etant libre, l'individu
décide de s'associer avec d'autres individus, eux aussi,
détenteurs de ces mêmes droits fondamentaux [vie, liberté
et propriété], pour former l'État. Du point de vue
sociologique, le Libéralisme voit l'individu comme l'unité de
base, l'atome constitutif de la vie sociale, d'où l'expression «
atomisme21 » accolée à ce type de
conception d'inspiration libérale.
1.1.1.1.2.2.- L'Individualisme, courant philosophique de
l'intervention de l'État
Au sens doctrinal, le courant individualiste considère
l'individu comme une valeur fondamentale, supérieure aux valeurs
collectives du groupe, de la société22. Cette
conception théorique de l'individu se traduit sur le plan politique par
une reconnaissance d'un ensemble de droits pour l'individu de pouvoir mener des
revendications contre l'emprise de l'État. C'est pourquoi voit-on, que
ce courant semble être étroitement associé au
libéralisme, indépendamment de la forme considérée
: politique, économique ou culturel.
21- Michel MÉTAYER, La philosophie éthique,
enjeux et débats actuels, Édition du Renouveau
Pédagogique Inc., Québec, 2008, p.143.
22- Claude-Danièle ECHAUDEMAISON, et al,
Dictionnaire d'Economie et de Sciences Sociales, Paris,
Éditions Nathan, 1989, p.214.
18
1.1.1.2.- Sous-section 2- Les concepts Droits de l'homme
et Police
Qu'est-ce qu'on entend par Droits de l'homme ? Quelles sont
leurs caractéristiques ? Sur quelles valeurs et idées se
fondent-ils ? D'où sont-ils venus ? Quelle a été leur
trajectoire ? Quel rapport les lie au rôle de contrôle social que
doit jouer l'État via ses organes de répression ? Dans cette
sous-section, nous allons tenter d'apporter des éléments de
réponse à ces questions, dans le but de préciser les
concepts Droit de l'homme et Police. Une question préalable se pose
alors. Elle serait plutôt d'ordre terminologique, allons-nous parler de
Droits de l'homme ou de Droits humains ? Ce détail qui nous permettra de
mieux nous situer dans l'étendue de la question, va donner une assise
solide à notre travail.
1.1.1.2.1.- Droits de l'homme : Précision
conceptuelle, historicité et caractéristiques
Les droits de l'homme sont les droits inaliénables de
tous les êtres humains, quels que soient leur nationalité, lieu de
résidence, sexe, origine ethnique ou nationale, couleur, religion,
langue ou toute autre situation23. En français, on entend
souvent les deux terminologies : droits humains et droits de l'homme. Cette
différence ne se pose plus pour autant dans les autres langues. En
anglais aujourd'hui, on est passé, depuis la déclaration
universelle des droits de l'homme, de la terminologie rights of man
à celle de humans rights qui est devenu la terminologie
dominante. Ce changement a été délibéré, il
visait à préciser que les droits de l'homme ne sont pas l'apanage
du genre masculin, mais des privilèges reconnus à tous les
êtres humains. De même que l'anglais, la terminologie «
droits de l'homme » reste officielle en français. Nos
réflexions se porteront sur les droits, privilèges et valeurs
reconnus à tous les êtres humains, indépendamment de leur
sexe.
Alors, les droits de l'homme sont des droits subjectifs
garantis par le droit international, visant à protéger les
intérêts les plus fondamentaux de la personne humaine et
subsidiaires par rapport aux garanties nationales. Ils permettent au titulaire
du droit d'exiger quelque chose du destinataire de ce droit. Ces
prérogatives impliquent toujours une relation entre deux parties : d'une
part, le sujet du droit, le titulaire, le bénéficiaire du droit.
D'autre part, le destinataire, la personne qui est tenu au respect du droit. En
effet, les titulaires peuvent être des personnes
23-Elisa Peter Coordinatrice par intérim du
Service de liaison des Nations Unies avec les organisations non
gouvernementales (SLNG), Les droits de l'homme et le système des
Nations Unies: Des clés pour agir, Palais des Nations, 1211
Genève 10, Suisse, août 2008.
19
physiques, aussi bien que des personnes morales. Pour ce qui
est du destinataire, les droits de l'homme se dirigent principalement contre
l'État24, donc, tous les organes et entités qui, de
facto ou de jure, agissent en son nom. Cependant, même si l'État
constitue l'entité qui est tenue au respect des prérogatives
reconnues aux titulaires, d'autres entités juridiques, telles les
entreprises multinationales ne sont pas exclues dans la liste des destinataires
des droits de l'homme. Il est aussi important de mentionner que les droits de
l'homme revêtent une certaine restriction en ce qui a trait aux domaines
de sa matière. Ce ne sont pas toutes les violations de droits et
privilèges qui peuvent être taxées de violation de droits
humains. Donc, l'idée derrière les droits de l'homme ce n'est pas
de garantir une liberté générale d'action, mais ils se
concentrent dans les domaines où il y a un risque avéré de
violations.
En outre, les droits de l'homme revêtent diverses
caractéristiques. On peut citer entre
autres : l'universalité, l'égalité,
l'inaliénabilité, l'indissociabilité,
l'imprescriptibilité, l'interdépendance et l'inhérence.
En plus de ça, ils sont des droits moraux et des droits légaux.
Ces deux caractéristiques ensemble font la force particulière des
droits de l'homme.
1.1.1.2.1.1.- Historicité des droits de
l'homme
La notion de droits de l'homme s'est développée
au fil d'un long processus qui est toujours en cours. Elle a ses racines dans
la philosophie de la Grèce antique et dans la religion : tous les
êtres humains sont égaux devant la divinité. Avec la
tradition du droit naturel séculaire, selon lequel les droits de l'homme
trouvent leur fondement dans la nature de l'être humain et dans la
dignité qui le caractérise, la notion de droits de l'homme s'est
épanouie et a traversé les âges. Du droit pour quelques-uns
à une responsabilité Mondiale25.
1.1.1.2.1.2.- Évolution des droits de
l'homme
Cette notion a évolué sur le plan politique
à travers sa mise en oeuvre dans les Constitutions des Etats : au
départ, celles-ci reconnaissaient des droits à leurs citoyens
uniquement (généralement de sexe masculin) ; ce n'est
qu'après, avec la Déclaration française
24- Quand on parle de l'État, on voit les
organes qui agissent, de facto ou de jure, en son nom. On voit dans cette
catégorie : l'Administration, les tribunaux, le pouvoir
législatif et, dans les démocraties directes, le peuple.
25-Confédération Suisse, ABC des droits de
l'homme, Département fédéral des Affaires
étrangères (DFAE) 3003, Berne, 2008, p.6.
20
des droits de l'homme et du citoyen de 1789, que des embryons
de droits pour tous les êtres humains ont fait leur
apparition26. Les Constitutions nationales et les catalogues des
droits de l'homme des temps modernes ont d'abord été axés
sur les libertés civiques et politiques : ce sont les droits de l'homme
classiques, ceux de la première génération.
Les conditions de vie et de travail pitoyable de larges pans
de la population ont conduit, dans le courant du
19èmesiècle, à formuler des revendications
sociales prudentes qui ont débouché sur une deuxième
génération de droits de l'homme, les droits économiques,
sociaux et culturels. Ce n'est qu'à un troisième stade que les
droits de l'homme ont prétendu à l'universalité sur le
plan international, avec l'avènement des conventions de droit
international relatives aux droits de l'homme adoptées notamment dans
l'enceinte de l'Organisation des Nations Unies (ONU).
La création de l'ONU en 1945 a vu la naissance de la
première organisation politique d'envergure mondiale orientée, en
vertu de la Charte du 26 juin 1945, sur les libertés fondamentales des
individus et sur la dignité et la valeur de la personne humaine. Il
fallait que les États ne puissent plus invoquer leur souveraineté
et le principe de la non-ingérence dans leurs affaires
intérieures pour traiter leurs habitants comme bon leur semble. Le
totalitarisme et les crimes du national-socialisme ainsi que les horreurs de la
seconde guerre mondiale avaient changé les mentalités et fait
comprendre qu'il était nécessaire d'imposer certaines limites
à la souveraineté étatique afin de protéger les
individus et la communauté des États dans son ensemble.
1.1.1.2.2.- Police : définition,
historicité et caractéristiques
1.1.1.2.2.1.- Définition
Police du grec « polis » = cité,
ville, société, politique. Lato sensu, le mot désigne
l'ensemble des règles qui permettent l'organisation rationnelle de
l'ordre public dans une société. Mais stricto sensu, il fait
référence à l'organe qui assure les différentes
mesures liées à la tranquillité, la sécurité
et la salubrité, nous rapporte Vincent JEAN27. Le mot «
police » fait appel
26- Ibid., p.7.
27- Jean VINCENT, al, la justice et ses institutions,
édition Dalloz, Tome 2, Paris, 1985, p.269.
21
à quelques précisions terminologiques. Il vient
du latin politia qui, lui-même, trouve son origine dans le grec
politeia (art de gouverner la cité), lequel dérive du
mot polis (cité, ville)28.
1.1.1.2.2.2.- Historicité
La fonction policière tire son origine de
l'antiquité. A l'époque de la préhistoire, chaque famille
s'occupait de sa propre sécurité et la défense du
territoire qu'elle occupe. Pour bien le situer dans le temps, il faudra faire
quelques précisions terminologiques. Le mot police vient du latin
politia qui, lui-même, trouve son origine dans le grec politeia (art de
gouverner la cité), lequel dérive du mot polis (cité,
ville)29.
A la chute de l'empire romain, les édiles
chargés de la police disparaissent. Le pouvoir est atomisé entre
une multitude de seigneurs féodaux. Maitres de leurs fiefs, ils y
exercent tous les pouvoirs, y compris celui de justice. En 1340 Av. J-C,
l'empereur Hur Mahob de l'Égyte a constitué une division de
police pour combattre la piraterie et surveiller les activités le long
du Nil. Ramsès fit de même en 1198 et 1166 Av. J-C, mais cette
fois-ci pour surveiller les tombeaux des riches pharaons. L'origine des
constables30 remonte en Grèce entre 800 et 600 Av. J-C.
l'origine des enquêteurs remonte en 450
Av. J-C. et ils étaient
spécialisés dans les enquêtes aux homicides31.
Il fallait ainsi attendre l'an 27 Av. J-C. jusqu'à l'an 14 de notre
ère pour avoir un véritable système policier qui va
être établi par Auguste et comportera 4 unités
administratives :
1. Les Cura tores Urbis, qui sont connus aujourd'hui comme
surintendant de police
2. La garde prétorienne, garde du corps
3. Les miles stationnaires, qui ont le pouvoir d'arrestation et
constitue la police militaire
4. Les vigiles, connus comme le corps des sapeurs pompiers
aujourd'hui
On ne saurait faire l'historicité de la police sans
tenir compte des grands noms dans la politique française, de laquelle
Haïti tient l'essence et la forme de son administration. Ainsi, il nous
convient de considérer les travaux de Louis IX (Saint Louis) qui, en
1254, transforme le Guet Royal en police (ou milice bourgeoise)32.
Cette milice était dirigée par le chevalier du guet,
assisté de vingt sergents à cheval et de vingt-six à pied.
Ce corps de sécurité avait pour charge d'assurer la
sécurité à Paris pendant la nuit. Après Louis IX,
on considère également les travaux
28-www.police-nationale.interieur.gouv.fr,
site consulté le 29 juillet 2016, 8 hr 45 am
29-www.police-nationale.interieur.gouv.fr,
site consulté le 29 juillet 2016, 8 hr 45 am 30- Ce mot
désigne policier en Angleterre
31-Net/policev/service_police/indexhistoire.htm
32-https//.fr.wikipedia.org/police_nationale_France
22
effectués sur le règne de Philippe Le Bel en
1306. Ce nom a vraiment marqué son temps, en sens qu'il a fait beaucoup
d'interventions dans l'administration française de l'époque.
Celui-ci créa, en plus des reformes dans la structure de la police, les
commissaires examinateurs au Chatelet, qui jouaient également le
rôle de magistrats, portant une longue robe, symbole du plein pouvoir
judiciaire, ils étaient pour ainsi chargés de lutter contre la
criminalité dans Paris. En 796, des commissaires de police sont
instaurés dans toutes les villes de plus de 5 000 habitants. En 1799, et
ce, jusqu'à 1815, la police impériale de Napoléon est
garante de la sécurité civile.
Une bonne prise en charge de cette fonction va être
opérée en 1829 en Angleterre. Ce sera avec le fils d'un fabricant
de coton, le Sir Robert Peel33, que va être établi une
loi sur le maintien de l'ordre moteur que l'on retrouve encore aujourd'hui, cet
ordre se traduit en neuf (9) principes et trois (3) fonctions :
1. La prévention du crime
2. La protection de la vie et de la
propriété
3. L'arrestation des suspects
Les efforts du Sir Robert PEEL ne s'étaient pas
limités à définir les fonctions de la police, il a aussi
émis des principes directeurs devant mener la gouvernance de cette
institution. Ainsi, on repère les neuf principes de Sir Robert Peel
stipulés comme suit :
1. La mission de base pour laquelle la police existe :
prévenir le crime et le désordre
2. La capacité de la police pour accomplir ses
taches dépend de l'approbation du public et des actions de la
police
3. La police doit assurer la bonne coopération du
public dans le respect volontaire de la loi pour être en mesure d'assurer
et de maintenir le respect du public
4. Le degré de coopération du public qui
peut être garanti diminue proportionnellement la nécessité
d'utiliser la force physique , ·
5. La police demande et préserve les faveurs du
public non pas en répondant à l'opinion publique, mais par la
démonstration constante absolue de service
désintéressé à la loi , ·
6. La police utilise la force physique dans la mesure
nécessaire pour assurer le respect de la loi ou pour rétablir
l'ordre lorsque l'exercice de la persuasion, de conseils et d'alerte est
jugée insuffisant , ·
7. La police, en tout temps, doit entretenir une relation
avec le public qui donne la réalité à la tradition voulant
que la police est le public et le public, la police. La police étant
seule,
33- Sir Robert PEEL, né le 5 février
1788 et mourut le 2 juillet 1850, était un homme d'État
britannique qui a été pendant secrétaire d'État
(1822-1827, 1828-1830) et deux fois premier ministre, (1834-1835, 1841-1846).
Il était membre du parti
conservateur.
www.historic-uk.com
23
les membres du public sont payés pour donner toute
leur attention à des fonctions qui
incombent à tout citoyen dans l'intérêt
du bien-être communautaire et l'existence
8. la police doit toujours diriger leur action
strictement à l''egard de ses fonctions et ne ressemble jamais usurper
les pouvoirs de la magistrature , ·
9. le critère de l'efficacité de la police
est l'absence de criminalité et de désordre, et non le signe de
l'action policière dans le traitement avec elle.
Comme dans tout autre pays, le système de protection
policière en Haïti date depuis la
genèse de l'État. Il a été
adapté en fonction des régimes et des besoins des occupants de
l'espace territorial. Après l'indépendance, l'empereur Jean
Jacques DESSALINES a pris des mesures visant à organiser les forces
armées qui avaient, outre des fonctions militaires, des fonctions
administratives. A sa mort, le pays était scindé en deux,
à l'Ouest, la République avec Pétion, au Nord, le Royaume
de Christophe. Dans le Nord, le roi Henry Christophe a crée un corps de
police dénommé « Royals Dahomets34». Cette
force de police avait pour but de garantir l'ordre et la discipline dans les
plantations du royaume et d'accompagner les habitants planteurs. De son
côté, le président Pétion dans l'Ouest a prit des
dispositions légales prévoyant trois (3) corps de
police35, ce sont :
1. La gendarmerie, placée sous le commandement du
commandant d'arrondissement et auxiliaire de la justice, était
chargée des attributions de police dans les campagnes
, ·
2. L'armée a eu pour rôle d'assurer la
défense du territoire de l'État de l'Ouest , ·
3. La Police proprement dite opérait dans les
villes ou s'installent les tribunaux, elle a eu pour rôle d'aider les
juges et les commissaires de gouvernement à bien remplir leur
mission.
Même si l'on peut douter de son effectivité,
mais, les efforts pour avoir une force de police ont pu être
remarqués dans plusieurs de nos constitutions. La constitution de 1889
en faisait mention dans son article 177 qui stipulait : l'organisation et
les attributions de la police de ville et la campagne feront l'objet d'une loi
». Avec l'arrivée des américains en 1915, on avait
encore une force publique à trois branches :
1. La garde nationale, composée de citoyens libres de
tous services militaires âgés de 18 ans à 50 ans
, ·
34- Prosper AVRIL, l'armée d'Haïti, victime ou
bourreau, le Natal S.A., Port-au-Prince, 1997, p. 17.
35- Barthelemy GERARD, État de droit et
décentralisation, Imprimeur II, 1996, p.24.
24
2. La police, qui se trouvait dans les grandes villes et
qui jouait une fonction administrative en protégeant vies et biens d'une
part. Et d'autre part, une fonction de police judiciaire et répressive
;
3. L'armée, qui avait une fonction de
défense du territoire36.
La décision de converger toute la force publique entre
les mains d'une seule entité va être prise par les
américains. Arrivé en Haïti le 28 juillet 1915, les marines
ont procédé à l'occupation militaire et politique du pays,
il y va sans dire que de cette situation de fait va découler des
décisions qui vont influencer la structure administrative du pays.
Ainsi, le 16 septembre 191537, ils ont crée une force unique,
combinant la police rurale et urbaine, dénommée gendarmerie. En
1923, un corps de police rurale a été créée avec un
effectif de 151 agents repartis dans les campagnes à raison de un par
section rurale38. Mais, il faut tout de même mentionner que
tous ces agents étaient des membres de la Force Armée
d'Haïti, ce, Jusqu'à 1991. Ainsi, Prédestin SEM39
nous rapporte que la création d'une force de police40 civile
professionnelle en Haïti était soulignée lors des accords
pour résoudre la crise engendrée par le coup d'État qui a
renversé le président J.B. Aristide en septembre 1991, tel
l'accord de « Governor Island's » du 3 juillet 1993. Dès son
retour en Haïti le 15 octobre 1994, des discussions ont eu lieu entre
l'organisation des Nations-Unies, le gouvernement des Etats-Unis et les autres
parties intéressées au sujet de la formation de la police
haïtienne et de l'établissement dans cette attente d'une force de
police intérimaire. Donc, malgré toutes les lois faisant appel
à la création d'une force de police à part entière,
notamment, la constitution de 1987 amendée en ses articles 263 à
274, ce n'est qu'en 1994 que ce voeu va être réalisé, par
le traité Gorvenor's Island.
1.1.1.2.2.3.- Caractéristiques
En effet, il y a lieu de distinguer la police administrative
de la police judiciaire. Du point de vue fonctionnel, la police administrative
constitue l'activité administrative qui vise à prévenir
les troubles à l'ordre public. Elle est distincte de la police
judiciaire. Cette distinction
36-Avril PROSPER, op.cit., p. 45
37-Article 4 du traité du 16 septembre 1915
: la gendarmerie sera considérée comme unique force militaire
et de police de la République d'Haïti.
38-Emile DARIUS, La nouvelle force de police et le
système judiciaire haïtien, mémoire de sortie,
Faculté de Droit, des Sciences Economique, Port-au-Prince, 1996, p.35
39-Prédestin SEM, La police et les droits
de l'homme en Haïti de 1991 à 1997, mémoire
présenté en vue de l'obtention du grade de licencié en
Droit, promotion 1993-1997, Université d'État d'Haïti,
registre 2016 de la Bibliothèque de la Faculté de Droit, des
Sciences Économiques et de Gestion du Cap-Haitien, document # 14, p.19.
40- La nouvelle force de police haïtienne a été
créée par la loi organique du 23 novembre 1994.
25
fonctionnelle, répondant à la séparation
qui est faite entre prévention des crimes et des délits et
répression de ces derniers, est néanmoins mise à mal dans
de nombreux cas. Ainsi, la police nationale a des missions à la fois de
police administrative (prévention) et de police judiciaire
(répression). Maurice André FLAMME définit la police
administrative comme : « l'ensemble des pouvoirs accordés en vertu
de la loi aux autorités administratives et qui permettent à
celles-ci d'imposer en vue d'assurer l'ordre public des limitations aux droits
et libertés individuelles41 ». Donc, la police
administrative a pour but de prévenir, de maintenir l'ordre public et de
sureté générale, elle est placée sous la direction
des autorités policières42.
Pour sa part, la police judiciaire est chargée de
constater une infraction déterminée ou d'en rechercher ou
arrêter les auteurs. Elle a donc un but répressif qui s'oppose au
but préventif de la police administrative. La distinction entre les deux
fonctions est essentielle pour la compétence contentieuse qui
relèvera tantôt de la juridiction administrative, tantôt du
judiciaire, ainsi que pour la responsabilité qui est plus facilement
engagée pour les activités de la police administrative. Les
agents de la police judiciaire dépendent sur le plan organique de la
direction de la police et sont soumis sur le plan fonctionnel à
l'autorité du parquet et du juge d'instruction43. La
distinction entre les deux est parfois délicate. Car, les deux fonctions
sont souvent exercées par les mêmes agents. Ainsi, une
opération de police administrative, nous rapporte Dubellay
JASMIN44, peut se transformer en opération de police
judiciaire.
Dans le cadre de ce travail, notre attention se portera sur la
première branche ou du moins sur le travail de la police administrative.
Nous croyons comprendre que l'arrestation d'un individu rentre normalement dans
la catégorie des tâches de la police judiciaire. Car, cette action
ressemble beaucoup plus à un acte de répression que celui de
prévention. Néanmoins, le suivi qui est fait de cette
arrestation, dans bien des cas, doit être une action de la police
administrative. Il s'agit alors de la présentation des suspects
interpellés dans le cadre d'une enquête judiciaire pour intimider
les éventuels délinquants, également, protéger
celui-ci jusqu'à sa comparution par devant le juge compétent, la
gestion de l'individu, constitue un acte d'administration, en un sens,
41- Maurice André FLAMME,
Droit Administratif, Tome II, collection de la Faculté de Droit
de l'Université libre de Bruxelles, Bruylant, 1989, p.1103.
42-MINUSTHA, L'officier de la police
judiciaire, Documents à l'usage des officiers et agents de police
judiciaire, 2ème édition, juillet 2010, p.16.
43- Ibid., p.16.
44- Dubellay JASMIN, Momento de Droit Administratif,
vol. I, COMPLEXE S.A. Imprimerie, Cap-Haïtien, 2012, p.100.
26
de prévention. Donc, dans le cas qui va être
traité consistera cette phase de gestion qui est faite par la police
nationale d'Haïti du suspect appréhendé dans le cadre d'une
enquête judiciaire. Pour mieux cerner la dimension du débat en
question, nous allons analyser les engagements de l'État haïtien en
ce qui a trait au comportement à adopter, le traitement à donner
aux individus soumis à une procédure criminelle en Haïti.
SECTION 2- ENGAGEMENTS DE L'ÉTAT HAÏTIEN EN
MATIÈRE DE RESPECT DES DROITS HUMAINS
Parler d'État, en Droit International, suppose la
reconnaissance internationale aussi bien que la jouissance de certains droits
reconnus aux autres nations faisant partie de la communauté
internationale. Ainsi, nous allons voir un ensemble de traités
[45] et conventions signés et ratifiés par Haïti
qui sont relatifs aux droits humains. Certains de ces accords ont une
portée générale. D'autres, par contre, présentent
une portée plus ou moins régionale desservant un nombre
réduit de pays se trouvant dans une région géographique
rapprochée déterminée. Qu'ils soient à
portée générale ou régionale, ces instruments
juridiques internationaux sont retrouvés partout et concernent divers
aspects de la vie internationale, tout en influençant également
la législation interne des États parties.
1.1.2.1.- Sous-section I- Quelques conventions et
traités ratifiés par Haïti 1.1.2.1.1.- La
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH)
La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme,
adoptée le 10 décembre 1948 à Paris par l'Assemblée
Générale des Nations Unies, est un instrument à
portée générale. Bien qu'elle ne présente pas
à priori de caractère contraignant, elle est pourtant
considérée comme une référence internationale
fondamentale dans le domaine des droits de l'Homme. Sa force normative tient
notamment au fait qu'en 1966, l'Assemblée Générale a
adopté deux traités qui en reprennent le contenu : le Pacte
des droits civils et politiques et le Pacte des droits économiques,
sociaux et culturels. Dans le cadre de ce travail, nous allons
plutôt nous accentuer sur des clauses relatées
45 -La convention de Vienne défini en son
article 2, a : accord international conclu par écrit entre États
et régi par le droit international, qu'il soit consigné dans un
instrument unique ou dans deux ou plusieurs instruments connexes, et quelle que
soit sa dénomination particulière.
Ce rappel nous permet de présenter quelques organismes
de surveillance ou de défenses de l'application des traités
signés et ratifiés par Haïti. Nous allons les
considérer en deux grands
27
dans le premier pacte, celui relatif aux droits civils et
politiques, du plus ancien instrument juridique international, sinon le seul
à portée générale.
1.1.2.1.2.- La Convention Américaine des
Droits de l'Homme (CADH)
Une seconde catégorie d'instruments juridiques
internationaux constitue celles ayant une application beaucoup plus restreinte
par rapport à celle ci-dessus mentionnée. Cette catégorie
comporte des instruments qui ont une portée régionale, notamment,
la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH), la Charte
Africaine des Droits de l'Homme et la Convention Américaine des Droits
de l'Homme (CADH) de 1969. Cette convention, qui renferme le Pacte de San Jose,
Costa Rica, a été signée en 1969, ratifiée par
Haïti et publiée dans Le Moniteur No.77 du 1er octobre
1979, fera l'objet de notre étude.
1.1.2.2.- Sous-section II- Les mécanismes de
protection des droits humains
Ordinairement, tout système juridique comporte deux
éléments fondamentaux, les instruments juridiques :
traités, conventions, accords et lois d'une part. Les organes
d'application : Cours, Commissions, Comités et Tribunaux d'autre part.
Dans la réalité du droit international, autrement dit, le
système juridique international se singularise en sens que pour chaque
instrument juridique international, il est prévu un organisme de mise en
oeuvre spécifique. Ou encore, chaque convention ou traité
prévoit son propre mécanisme d'application. Cette
particularité simplifie l'exercice des actions auprès de ces
organismes et facilite du coup, l'application des conventions et traités
signés par les États parties. On doit se le rappeler, les normes
sont toujours inspirées d'un ensemble de valeur sur lesquelles se fonde
l'action des États. C'est dans cette perspective que nous trouvons des
États qui se penchent beaucoup plus vers une tendance utilitariste,
pendant que d'autres optent de préférence pour une tendance
libérale, plutôt favorable à la protection des droits
individuels. Cependant, pour harmoniser et donner une plus grande
légitimité à leurs actions, les États,
indépendamment de leur tendance, ont accepté de se lier en
signant certains accords internationaux, créant ainsi une assise
juridique internationale aux décisions qu'ils vont prendre.
L'étude de la portée et du contenu de ces instruments nous permet
de voir les marges de manoeuvre des États parties.
46-Manuel de cours sur le Droit International des
Droits humains, dans le cadre du Cours de Droit de l'Homme, Me Hérode
CHARNEL, aout 2015.
28
groupes, d'une part, des organismes dont le pouvoir de
contrôle dépasse les frontières des États, ce que
nous appelons, dans le cadre de ce travail, organismes interétatiques de
protection des droits humains. D'autre part, ceux dont le rôle de
surveillance se limite sur le champ national, d'où le nom : organismes
intra étatiques de protection des droits humains.
1.1.2.2.1.- Organismes interétatiques de
protection des droits humains
Comme mentionné plus haut, tout traité
prévoit son propre mécanisme d'application. Ainsi, pour le
continent américain, il est prévu une commission
dénommée Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme
(CIDH), elle a été créée en 1959. La commission a
une double nature : d'une part, organe statutaire de l'OEA pour la promotion
des droits de l'homme, en particulier de ceux énoncés dans la
Déclaration, et, d'autre part, organe de contrôle de l'application
de la Convention, pour autant que l'État concerné l'ait
ratifiée. Dans ses attributions, la CIDH peut seulement donner des avis
consultatifs sur des questions susceptibles de faire l'objet de violation de
droits humains.
En appui à la Commission, il est aussi placé un
autre organe dénommé « Cour Interaméricaine des
Droits de l'Homme (CrIDH) » qui a été créée en
1979, dont le siège se trouve à San José en Costa Rica. La
mission de la Cour consiste à veiller à la stricte application
des conventions durement signées et ratifiées par les
États. Établie par la Convention, sa compétence, qui peut
être consultative ou contentieuse, s'étend uniquement aux droits
garantis par celle-ci, ou à des droits consacrés par d'autres
instruments du système, dans la mesure où ces derniers le
prévoient46. En effet, pour que la Cour puisse juger une
affaire individuelle, il ne suffit pas seulement que le pays ait ratifié
la Convention, il est crucial que celui-ci ait accepté cette
compétence en faveur de la Cour.
Ainsi, toute personne ou groupe de personnes a le droit de
soumettre une communication à la Commission portant sur le non-respect
d'un droit reconnu dans la Déclaration ou, si l'État l'a
ratifié, dans la Convention. Après une analyse
préliminaire de la requête par le secrétariat, si elle
remplit à priori les conditions de recevabilité, la Commission
transmet la plainte à l'État et lui demande de présenter
ses commentaires. Ceux-ci sont à leur tour remis au plaignant qui
aura
29
le devoir de les analyser puis les contester, le cas
échéant. En outre, c'est seulement à ce stade que la
Commission décidera définitivement sur la recevabilité de
la communication.
1.1.2.2.2.- Organismes intra étatique de
protection des droits humains
Mise à part les organismes interétatiques de
protection des droits humains, qui ont une juridiction plus ou moins
étendue, dépassant ainsi les frontières territoriales, il
existe d'autres organismes qui reflètent la lutte au niveau interne, qui
sont dites Institutions Nationales de Promotion et de Protection des Droits
Humains (INDH). Elles sont constituées, d'une part, des organismes de la
société civile, d'autre part, des institutions étatiques
qui assurent ou qui peuvent également veiller à la protection des
droits humains.
1.1.2.2.2.1.- De la Société Civile :
Organismes internes de défense des droits humains
Dans la société civile, plusieurs organisations
jouent le rôle d'avant-gardiste des droits de l'homme en Haïti.
Comme nous l'avions vu au début, elles s'accordent souvent pour
dénoncer les abus de pouvoir, le mauvais traitement
perpétré par les agents publics à l'encontre des citoyens,
aussi bien que le fonctionnement de l'institution policière. A partir de
là, nous allons présenter brièvement à quel niveau
chacune de ses organisations a contribué dans la lutte pour le respect
des droits humains en Haïti.
1.1.2.2.2.1.1.- Réseau National de Défense des
Droits Humains (RNDDH)
En effet, le Réseau National de Défense des
Droits Humains (RNDDH) est un organisme qui a pris naissance à New York
en 1982 sous le label de National Coalition for Haitian Refugees (NCHR).Il
s'agissait alors de combattre les violations des droits humains qui
constituaient l'une des causes fondamentales du départ massif de nos
compatriotes pour les Etats Unis. Consciente de la réalité qui
existait encore en Haïti après le départ de Jean Claude
Duvalier, l'organisation a décidé en 1992, pour attaquer le mal
à la racine, d'ouvrir une filiale en Haïti. La diversité de
ses actions l'amène à partir de 1995 à opérer sous
la dénomination de National Coalition for Haitian Rights
(NCHR-Haïti).Depuis 1996, elle développe ses programmes et
activités de manière autonome, assure ses propres fonds, sans
appui aucun de la part de NCHR-NY. Au fur et à mesure que la
NCHR-Haïti a continué à se développer, certains
30
changements ont dû être apportés, comme
l'adoption d'un leadership et d'une direction haïtienne ainsi qu'un nom
haïtien : Réseau National de Défense des Droits
Humains(RNDDH).
Dans le contexte actuel de violation systématique des
droits de l'homme, le RNDDH ne reste pas indifférent. Il publie
plusieurs rapports dans lesquels il dénonce soit les abus faits aux
citoyens, soit le mauvais fonctionnement de certaines institutions, ou du moins
les mauvais traitements que subissent les officiers de la PNH. De là, on
peut voir que le RNDDH s'efforce de faire un travail transversal, touchant de
nombreux secteurs de la vie nationale.
1.1.2.2.2.1.2.- Plateforme des Organisations
Haïtiennes de Défense des Droits Humains (POHDH)
La POHDH pour sa part constitue une autre organisation
très active dans la lutte pour le respect des droits humains en
Haïti. Comme son nom l'indique, c'est une plateforme regroupant sept (7)
organisations qui sont conscientes de la réalité haïtienne
en ce qui a trait au respect des droits des citoyens par l'État ou
encore par d'autres citoyens ou entités. Nous rappelons que la POHDH
fait partie des organisations de la société civile reconnues par
le ministère des affaires sociales, ce qui lui confère
déjà la qualité reconnue par l'article 44 de la convention
américaine des droits de l'homme. Reconnue pour ses nombreuses luttes
contre la corruption et l'impunité en Haïti, la POHDH s'est fait
une bonne réputation en ce qui a trait à la défense des
droits humains.
1.1.2.2.2.2.- Des Institutions Étatiques de
défense des droits humains
D'autres institutions comme le parlement,
quoiqu'implicitement, peut également veiller au respect des droits
fondamentaux par les organes du pouvoir exécutif. A celui-ci, faut-il
bien ajouter l'Office de Protection du Citoyen, à laquelle la
constitution confie cette noble obligation.
1.1.2.2.2.2.1- Le Parlement haïtien
En ce qui a trait au parlement, sa part de
responsabilité peut déjà être identifiée
depuis sa mission qui est essentiellement de surveiller l'exécutif dans
ses actions. L'article 24 de la constitution de la République
d'Haïti de 1987 amendée a réaffirmé que la
liberté individuelle est garantie et protégée par
l'État, avant que les constituants n'exigent aux parlementaires de
faire
31
un serment d'allégeance à l'article 9. Ledit
article est ainsi libellé : avant de prendre officiellement fonction,
les membres de chaque chambre prêtent le serment suivant : « Je
jure de m'acquitter de ma tâche, de maintenir et de sauvegarder les
droits du peuple et d'être fidèle à la constitution
». Ce serment confère indirectement aux honorables
parlementaires la responsabilité de veiller au respect des droits de
chaque individu et de contraindre toute institution qui oserait agir autrement.
Cette responsabilité conférée tacitement au parlement,
fait de lui l'une des institutions protectrices des droits humains en
Haïti. A cela peut-on également ajouter le fait que le parlement
doit sanctionner tous les traités et conventions signés par
Haïti, ce, conformément aux articles 276, 276-1 et 276-2 de la
constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée.
Ainsi, celui-ci, tant qu'il existe, a l'impérieuse obligation de
contrôler l'exécution des conduites qu'il a préalablement
autorisées au pouvoir exécutif.
1.1.2.2.2.2.2.- Office National de Protection du Citoyen
(OPC)
L'Office National de Protection du Citoyen constitue la
seconde institution étatique que nous allons voir dans le cadre de ce
travail. En effet, elle fait partie des institutions créées par
la constitution de la république d'Haïti de 1987 et reprise par la
version amendée. Notamment à l'article 207 on peut lire ceci : Il
est créé un office dénommé «Office de la
Protection du Citoyen» dont le but est de protéger l'individu
contre toutes les formes d'abus de l'administration publique. En effet, il
n'existe pas seulement la constitution comme référence juridique
à cette institution. La loi portant sur le fonctionnement de l'OPC
décrit également la mission de cette institution par rapport au
respect des droits humains. L'article 3 de ladite loi reprend ce rôle
dans les mêmes termes que l'article précédent, au
3ème alinéa : la mission de l'OPC est de
protéger tout individu contre toutes les formes d'abus de
l'Administration publique.
En effet, bien que les marges de manoeuvre de l'institution
soient limitées, en sens que ses décisions ne sont pas
contraignantes par rapport à l'État. Cependant, elle dispose tout
de même d'un pouvoir d'influence, car les rapports qu'elle aura à
produire seront pris en compte dans l'évaluation des efforts consentis
par les pouvoirs publics pour le respect des droits humains en Haïti. A
cela faut-il ajouter, la capacité que possède l'institution de
porter plainte par devant la commission interaméricaine des droits de
l'homme. Car, la Convention Américaine des Droits de l'Homme permet
à chaque État contractant ou toute entité juridiquement
reconnue d'un Etat
32
partie d'exercer cette action quand bien même ses
ressortissants ne seraient pas inquiétés47. Ainsi, il
est stipulé à l'article 44 de ladite convention que : «
Toute personne ou groupe de personnes, toute entité non
gouvernementale et légalement reconnue dans un ou plusieurs Etats
membres de l'Organisation peuvent soumettre à la Commission des
pétitions contenant des dénonciations ou plaintes relatives
à une violation de la présente Convention par un Etat partie
».
Cette disposition de la convention confère clairement
à l'OPC, entant qu'entité de l'État juridiquement
reconnue, l'aptitude de soulever des questions auprès de la CIDH et
éventuellement, de saisir la CrIDH contre Haïti. Cet article nous
laisse entrevoir également que les stipulations de la Convention sont
d'ordre public international.
En effet, nous avions vu comment les courants philosophiques
peuvent nous livrer un éclairage sur les grandes idées qui
guident les actions d'un État. La légitimité des actions
que posent les gouvernants sont assujettis à ces courants de penser qui
ont plus ou moins une portée universelle. Cette démarche nous a
permis de comprendre, sinon, d'interpréter le niveau d'acceptation des
décisions par les membres de la population. Nous avions également
touché certains engagements de l'État en matière du
respect des droits de l'homme en Haïti, aussi bien que les
mécanismes de mise en oeuvre des traités et conventions
signés à ce propos. A travers le chapitre suivant, nous allons
présenter l'émission : son origine, son évolution dans le
temps et dans l'espace. Ainsi, nous allons faire ressortir les
éléments de violation avant de les comparer aux lois en vigueur.
Ceci nous aidera à mieux situer le débat dans un contexte
juridico-politique, s'agissant de comprendre dans quelle mesure
l'émission Allô La Police a affecté les efforts
consentis pour le respect des droits humains en Haïti.
47 . Egalement, art. 24 de la Convention
Européenne des Droits de l'Homme, art. 49 de la Charte Africaine des
Droits de l'Homme et des Peuples.
CHAPITRE II- PRÉSENTATION CAUSES DE
L'ÉMISSION ALLO LA POLICE
34
SECTION 1- PRÉSENTATION DE L'ÉMISSION ALLO LA
POLICE
L'émission intitulée « Allô La Police
», instaurée depuis plus d'une décennie par la Police
Nationale d'Haïti (PNH), est une émission
télévisée au cours de laquelle sont diffusées
l'identité et l'image des personnes arrêtées, dans le cadre
des enquêtes judiciaires. Elle concerne les suspects
appréhendés pour des causes, qualifiées par la PNH, de
kidnapping, viol, vol, des infractions que la PNH elle-même juge plus
grave par rapport à d'autres. Car elle les traite différemment.
La présentation de l'émission nous permettra de mieux placer
l'activité dans son contexte politico-juridique, de prendre en compte la
dimension de son implication sur le système pénal haïtien,
également, les propositions éventuelles de la réaliser
sans que cela ne pose problème à la procédure criminelle
en Haïti.
1.2.1.1.- Sous-section I- Historicité de la
présentation des suspects aux médias
1.2.1.1.1.- Origine de l'émission
allô la police
L'origine de la publication de l'image des suspects
appréhendés remonte vers les années 60, en France. Il a
été révélé l'existence, dans le temps, d'une
émission télévisée titrée «
Allô Police ». Celle-ci fut une
série télévisée française, de 36 histoires
hebdomadaires, dont 26 furent diffusées en feuilleton de 5 fois 13
minutes, les 10 autres sous forme d'un 52 minutes, créée sur une
idée de Raymond Caillava et réalisée par divers
réalisateurs, principalement par Robert Guez et Pierre
Goutas48.
1.2.1.1.2.- Évolution
La pratique de médiatisation des activités de la
police n'est pas singulière à Haïti. Dans beaucoup d'autres
pays, les autorités policières présentent également
l'image des suspects dans les medias. Cependant, cette opération se fait
dans la protection scrupuleuse des droits et du respect des
éléments sensibles aux besoins de l'enquête. Nous pouvons
citer en exemple les moyens utilisés en France, aux États Unis
pour l'application d'une telle pratique. Dans ces pays, ils ont compris la
nécessité de mettre la population en confiance par rapport aux
efforts consentis pour éradiquer l'insécurité. Cependant,
ils ont su bien se prendre pour que leur démarche ne soit pas en
violation des exigences qu'ils ont de se courber sous les règles de la
procédure. Tout en
48-http : //
www.fr.m.wikipedia.org, site
consulté le 16 juin 2016, 8hr 20 am.
35
présentant le suspect aux medias, ils veillent à
ce que l'image et l'identité de la personne en question ne soient pas
dévoilées.
1.2.1.1.3.- Pratique en
Haïti
La présentation des personnes
appréhendées dans les medias a été rapatriée
comme pratique en Haïti depuis plus d'une décennie. Cependant, son
application en Haïti se diffère de la manière dont cela se
passe dans les autres pays. Stratégies des sociétés nord
américaines, dont les États-Unis d'Amérique,
l'émission allo la police consiste, nous rapporte l'Office de Protection
du Citoyen49, en une émission télévisée,
varié entre 5 à 15 minutes, au cours de laquelle sont
diffusées les images de personnes arrêtées, qui dans
certains cas, sont contraints de faire des aveux. Cette pratique semble
répondre à un besoin de mettre la population en confiance du
travail des autorités policières pour assurer leur
sécurité. On prétend un souci de transparence, cependant,
il y a des déclarations, sinon, des commentaires qui accompagnent
toujours les interventions des autorités policières qui nous
empêchent de le croire ainsi. Ces dernières ont souvent l'habitude
de dire que : « pour sa part la police a fait son travail, il revient
maintenant à la justice de faire la sienne». Cette phrase
d'évitement laisse entrevoir une situation de méfiance entre les
autorités policières et celle de la justice. Par ce geste, la PNH
semble se dédouaner de toute issue éventuelle d'une affaire
criminelle. Par contre, elle accule la justice dont le travail consistera
à être convaincu de la culpabilité d'une personne dont la
présomption d'innocence est encore l'un de ses droits les plus
incontestables.
Le rapport de Crisis Group de 2006 nous rapporte la
déclaration d'un haut responsable de la police judiciaire à ce
sujet : « Les policiers se disent frustrés qu'après
avoir renvoyé une affaire criminelle devant les autorités
judiciaires, celles-ci ne les sollicitent jamais pour participer aux poursuites
criminelles subséquentes et prétendent que les accusés
sont le plus souvent relâchés50.»
Donc, à bien analyser cette déclaration,
[celles-ci ne les sollicitent jamais pour participer aux poursuites
criminelles subséquentes et prétendent que les accusés
sont le plus souvent
49-www.HaïtiLibre.org,
Haïti - Justice : L'OPC désapprouve l'émission de
télévision de la PNH «Alô Lapolis»,
1erparagraphe 05/05/2014 12:32:44
50-Entretien de Crisis Group avec un responsable de
la police judiciaire, Port-au-Prince, novembre 2006. La frustration des
policiers découle en partie du rôle limité que leur
attribue le Code d'instruction criminelle, qui prévoit que seuls les
juges peuvent enquêter dans les cas graves. Certains officiers n'arrivent
pas à comprendre ce Code.
36
relâchés], on peut croire que le recours
à la publication de l'image et de l'identité des suspects dans
les medias témoigne bien évidemment d'une volonté de
mettre la justice devant un fait accompli. Ainsi, la PNH se dédouane de
toute critique en ce qui a trait à la relaxation éventuelle du
suspect. Dans la société civile, les organisations de
défense des droits humains ont élevé la voix pour
dénoncer la pratique, bien des jours se sont écoulés sans
une séance de l'émission allo la police. On pouvait comprendre
que les demandes en faveur de sa suppression ont eu enfin une réponse.
Par contre, en réaction au moment de silence qu'on a observé de
l'émission allo la police, le directeur général de la PNH,
Godson ORÉLUS, a confié au journal le parisien51 ce
qui suit :
Suite à la destruction par le feu du studio
d'enregistrement et de montage de Allolapolice d'Haïti [sic] et d'autres
problèmes personnels à l'équipe de travail,
l'émission est de retour sur les ondes pour vous informer durant la
période électorale. Pendant ce temps, la Police Nationale
d'Haïti, elle-même n'a pas chômé.
Une fois de plus, on peut constater une certaine
indifférence du coté des autorités de la police par
rapport aux critiques de l'émission, ainsi que la manière dont
cette pratique est menée en Haïti. La déclaration ci-dessus
mentionnée nous livre, du coup, l'information que les enregistrements de
l'émission, quoiqu'illégales, sont faits dans un studio de
l'institution, aménagé à ce dessein. Comparativement
à la méthode de présentation des suspects dans les autres
pays, où c'est la presse locale ou nationale qui, dans le cadre des
rubriques d'informations ordinaires, ont présenté des suspects
appréhendés par la police, tout en ayant soins de masquer leur
identité et leur visage. La pratique est ramenée en Haïti
sans tenir compte de la nécessité de protéger l'image de
ce dernier. Ainsi, Allo la police se révèle une expression
manifeste de la PNH de mépris des droits des personnes
bénéficiant de la présomption d'innocence. On pourrait
même l'assimiler à une forme de lynchage médiatique.
En effet, le concept lynchage est paru pour la première
fois en 1837 avec la création de la « loi de
Lynch52 ». Il est défini comme une exécution
sommaire commise par un groupe de personnes, voire une foule, sans
procès régulier et notamment sans laisser à
l'accusé (de crimes
51-www.radioteleparisienne.com,
site consulté le 18 février 2016, 14h 38.
52-Charles Lynch, patriote de l'État de
Virginie avait en effet décidé de réformer la justice en
instaurant des procès expéditifs. Bien entendu en ces temps de
régime colonial, les noirs furent rapidement poursuivis et
condamnés, généralement à tort. Cette loi s'est
vite répandu et a permis l'essor de « comités de
vigilance » (comme le célèbre Ku Klux Klan),
censés matérialiser les suspicions et veiller à l'ordre.
L'hostilité du gouvernement judiciaire légitima de ce fait des
actes de ségrégations et d'exécutions en dépit des
lois en vigueur. C'est de cette loi que le terme « lynchage »
a vu le jour. Le mouvement des droits civiques a heureusement
stoppé ces lynchages sanguinaires. Après la fin de ces actes
barbares, le terme a perduré, mais son sens a évolué.
37
réels ou imaginaires) la possibilité de se
défendre53. Comme le rappelle Renan Hédouville,
Secrétaire général du Comité des avocats pour le
respect des libertés individuelles (CARLI), le lynchage est un acte qui
est considéré comme une violation des droits de l'homme et de la
présomption d'innocence, ainsi qu'une violation du droit à un
procès équitable, juste et impartial. Le lynchage va à
l'encontre des droits de l'homme, particulièrement du droit à la
vie, garanti par la Déclaration universelle des droits de l'homme en son
article 3, explique le juriste.
De l'avis de maitre Osner H. Fevry, l'anthropo-criminologue,
le lynchage est un phénomène ancré dans les pratiques et
les moeurs des Haïtiens : « C'est surtout parce que dans notre
histoire, nous avons souvent eu à nous révolter face à des
actes qui blessent notre humeur, notre personnalité et même la
conscience collective », estime-t- il, faisant allusion notamment aux
périodes dites de «déchoukage» ou purges populaires
à chaque transition politique. A cet effet, la branche des
enquêteurs des Nations Unies en Haïti (UNPOL) avance que le
phénomène du lynchage est généralisé sur
l'ensemble du territoire haïtien et le nombre de cas connus est
passé de 90 en 2009 à 121 en 2012[54].
De nos jours, on extrapole le concept pour parler de lynchage
médiatique55.En effet, celui-ci désigne le traitement
des dossiers concernant des personnes qui sont faits à travers les
medias. La pratique suit son cours d'évolution, on commence même
à parler de « Procès médiatique »,
notamment en France, pour désigner une couverture médiatique qui
a un impact négatif sur la réputation d'une personne
accusée, indépendamment du verdict rendu par la
justice56. Nous allons à présent analyser un cas
particulier, afin d'étayer nos thèses sur les différents
éléments de violation contenu dans une séance de
l'émission Allô La Police. Ceci nous permettra de mettre en
évidence l'irrespect du droit du suspect.
53 -
http://fr.wikipedia.org/wiki/Lynchage,
site consulté le 05 février 2015, 13h 53.
54-ONU, Phénomène de lynchages : Une
« justice populaire » qui mine la société
haïtienne, février 2013, p.3. 55-Aujourd'hui, le
lynchage n'évoque plus nécessairement les heures sombres de
l'histoire, mais désigne populairement un système
collectif d'auto justice visant à accabler une même
cible. Un jeu collectif bête et méchant où l'on se
délecte des mésaventures d'autrui pour se divertir, quitte
à le trainer dans la boue par la même occasion. Même si le
terme lynchage peut paraître exagéré, il est pourtant
rentré dans le langage populaire tant les lynchages
médiatiques sont devenus monnaie courante.
56-Guy Coq et Charles Conte, Le Lynchage
médiatique, Editions Revue Panoramiques, 1998, ISBN
978-2-85480920-6
38
1.2.1.2.- Sous-section II- Présentation du cas
Stanley LAFLEUR
Pour étayer nos thèses, nous avions choisi,
parmi les nombreuses épisodes fournies par la PNH, cette vidéo de
10 minutes et 25 secondes, titrée « ALLO LA POLICE ATTENTION FAUX
KIDNAPPINGS - PNH ARRESTATION KIDNAPEURS57. Cette affaire concerne
le cas du présumé kidnappeur58 Stanley LAFLEUR. En
l'analysant, nous allons faire ressortir les différents indices de
violation du principe de la présomption d'innocence et du droit à
la défense. Nous allons montrer également d'autres implications
de cette publication, jugée hâtive, sur le fonctionnement du
système pénal haïtien. Cette démarche nous aidera
à confirmer ou infirmer les hypothèses que nous avions
préalablement avancées.
1.2.1.2.1. Culpabilisation
prématurée des suspects
La Convention Américaine des Droits de
l'Homme59, signée et ratifiée par Haïti, est on
ne peut plus explicite sur la manière de traiter une personne dont la
culpabilité n'a pas été encore prouvée. Le Code
d'Instruction Criminelle également trace la procédure
d'inculpation, d'accusation avant d'arriver au jugement du suspect. Cet
ensemble de règles sanctionnant la manière de s'y prendre en
matière d'application de la loi pénale sont impératives et
certaines d'entre elles, d'ordre public et auto exécutoires. Ceci
étant dit, le non respect de ces règles aura pour
conséquence l'illégalité de l'acte qui en résultera
et est susceptible de perturber la procédure. A bien observer les
séances de l'émission Allo la police, on pourra repérer
sur certaines d'entre elles plusieurs éléments de violation du
droit des suspects. Ce sont entre autres : l'interrogatoire informel, des
témoignages abusifs, des intimidations et des accusations abusives.
Alors, la publicité que l'on fait de l'implication des suspects des
causes qui leur sont reprochées les faire passer aux yeux du public
comme coupable. D'où notre hypothèse de culpabilisation
prématurée.
1.2.1.2.2. Interrogatoire informel des
suspects
Alors que les interrogatoires des suspects sont soumis
à certaines formalités procédurales, ceux observés
dans cette vidéo de l'émission allo la police sont menés
en dehors de toutes considérations des normes régissant la
matière. On doit se le rappeler que malgré l'arrestation du
57-
https://www.youtube.com/watch?v=VIPCcykTS44,
site consulté 7 novembre 2015, 16 h 21.
58- Présumé kidnappeur lors du montage de la
vidéo.
59- Article 8 de la Convention Américaine des Droits
de l'Homme, Garanties judiciaires, 2ème paragraphe : «
Toute personne accusée d'un délit est présumée
innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été
légalement établie. »
39
suspect, ce dernier jouit encore de la présomption
d'innocence. Cependant, à bien observer la vidéo de l'affaire
Stanley, on voit qu'ils sont forcés de répondre à des
questions qui peuvent leur être préjudiciables dans le cours de
leur procès.
Ces questions qui lui sont posées par des agents de la
PNH, notamment des agents de la Brigade de Recherches et d'Intervention(BRI)
sont tout bonnement en dehors du cadre de la procédure criminelle et de
la CADH60. Malheureusement, dans de pareilles situations,
l'inculpé aura du mal à faire valoir son droit de silence, car,
logiquement, il pense qu'une coopération avec les agents de la police
peuvent se révéler bénéfique pour lui.
Néanmoins, les révélations qui sont faites dans ces
conditions par le suspect ne serviront qu'à manipuler l'opinion publique
et à brouiller les pistes du juge d'instruction dans son travail
d'enquête. On peut clairement observer une séance d'interrogation
qui se fait en absence de l'avocat du suspect ou encore moins un témoin
de son choix comme le veut l'article 25-1 de la Constitution en vigueur et
l'article 8 de la Convention Américaine des Droits de l'Homme, traitant
des garanties judiciaires.
1.2.1.2.3. Témoignages abusifs des
suspects
Dans cette affaire qualifiée de tentative de kidnapping
par l'institution policière, les autorités ont
considéré l'émission comme une « décision
importante, apportant de la nouveauté dans le
système61 ». Ceci traduit le confort
qu'elles éprouvent à avancer avec cette pratique, même si
des voix sont élevées en signe de dénonciation.
Comparativement au point[g] de l'article 8 de la CADH, les suspects sont
contraints physiquement et psychologiquement de prononcer des paroles qui sont
susceptibles de les incriminer. Dans le cas Stanley Lafleur, on observe :
1. Stanley, le suspect principal, donnant des informations sur
la rançon demandée en précisant que les cents mille
dollars (100 000 $ US) étaient en devise
américaine, témoignant également son regret d'avoir
été l'auteur d'un tel acte, tout en louant le professionnalisme
de la PNH ;
60-Point (g) de l'article 8 de ladite
convention : droit pour l'accusé de ne pas être obligé
à témoigner contre lui-même ou à se déclarer
coupable;
61 -
https://www.youtube.com/watch?v=VIPCcykTS44,
intervalle [10ème minutes et 9ème secondes
- 10ème minutes et 20ème secondes]
40
2. Patricia Day, la copine de Stanley, la prétendue
victime, présentant des excuses à ses proches, forcée de
dénoncer les autres personnes présumées coupables de
l'acte et se disant prête à écoper sa peine, tout en
félicitant le travail de la PNH ;
3. Jean Renel, complice de Stanley
4. Luxon Exalus alias « Sony », ami du suspect
principal, celui qui a amené Patricia à se cacher dans une maison
se trouvant à Blue Hills ;
5. Odelin Fanfan, alias « le pluro » apportant des
précisions sur le montant, cent mille dollars (100
000$), contredisant sur le coup Stanley quant à la
précision de la devise, tout en ajoutant le lieu du dépôt
de la rançon exigée62. Ce dernier a été
appréhendé par les agents de la DCPJ le 11 janvier 2014, alors
qu'il se rendait dans une négociation avec Patricia aux environs de
Vertières ;
6. Rameaux Normille, directeur départemental de la
PNH, chef d'orchestre de l'opération du BRI.
L'analyse de la vidéo nous a permis de déceler
un ensemble d'éléments corroborant les hypothèses de
violation que nous avions avancées. Elle nous dévoile des
allégations qui ne constituent qu'un raccourci extrême dans un
dossier sensible et qui sont susceptibles de réaliser un effet de
diversion par rapport à d'autres coupables éventuels que les
enquêtes judiciaires pourraient révéler. Car, le cabinet
d'instruction étant saisi in rem, peut tout de même étendre
ces enquêtes sur toute une multitude de personnes, s'agissant de faire
jaillir la lumière sur l'infraction qui a été commise.
Cette prérogative reconnue au juge d'instruction consacre en effet le
principe de liberté, lequel lui rendant maitre et seigneur de
l'information. Ainsi, ce dernier pourra conduire en toute indépendance
l'affaire en question et n'a d'ordre à recevoir de personne, pas
même du ministère public qui n'est, devant elle, qu'une partie au
procès pénal, a fait remarquer Jude Baptiste63. Cette
décision de la PNH tient le Cabinet d'Instruction en état, quant
au souci de protéger l'image de la juridiction et le respect scrupuleux
de l'article 115 du C.I.C. En effet, ledit article stipule : « Si le
juge d'instruction est d'avis que le fait ne présente ni crime, ni
délit, ni contravention ou qu'il n'existe aucune charge contre
l'inculpé, il déclarera qu'il n'y a pas lieu à poursuivre
et, si l'inculpé avait été arrêté, il sera
mis en liberté. »
62- Cette partie se situe à l'intervalle
5ème et 6ème minute, ALLO LA POLICE
ATTENTION FAUX KIDNAPPINGS - PNH ARRESTATION KIDNAPEURS,
https://www.youtube.com/watch?v=VIPCcykTS44,
site consulté 7 novembre 2015, 16 h 21.
63- Jude BAPTISTE, le procès pénal,
centre de recherche et d'information juridique, Port-au-Prince, 2003,
p.49.
41
Face à ce constat, il y a lieu de considérer la
PNH comme institution de l'Administration Publique, branche du pouvoir
exécutif, agissant pour le compte du commissaire du gouvernement, ce
dernier chef de la poursuite, d'une part. D'autre part, le cabinet
d'instruction, juridiction pénale d'instruction
bénéficiaire des principes de séparation, de
liberté et de neutralité, auquel il incombe les
prérogatives d'instruire et d'informer au sujet des affaires
criminelles. Cette problématique rend nécessaire une analyse des
causes qui ont engendrées cette pratique de la PNH, les
éléments susceptibles de perturber ce rapport institutionnel. La
section qui suit nous permettra de mieux nous situer dans le débat, en
apportant certaines informations concernant la perception que chacune de ces
institutions se fait du travail de l'autre.
SECTION 2- QUELQUES CAUSES FONDAMENTALES DE L'EMISSION ALLO
LA POLICE
Pour comprendre la dimension de l'action que pose la PNH,
à savoir la publication hâtive de l'image et de l'identité
des personnes interpellées dans le cadre d'une enquête judiciaire,
il faudra analyser les fondements de cette action. Les causes qui sont à
la base de ce choix. On les classe en deux grandes catégories : d'une
part, celles résultant d'une action positive de la PNH, en sens que
celle-ci agit, prend des initiatives et s'y tient. D'autre part, l'influence du
système Common Law découlant des rapports de coopération
entre la PNH et des organisations non gouvernementales à tendance nord
américaine. Cette catégorie suppose également le rapport
entre la PNH et les pouvoirs publics, s'agissant de prouver les efforts du
Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique et
celui d'accompagner la Justice, comme cela se définit à l'article
10 du C.I.C.
1.2.2.1.- Sous-section I- Faiblesse du système
de répression en Haïti
L'exemple ci-dessus mentionné laisse voir clairement la
violation du principe de la présomption d'innocence et du droit à
la défense des personnes interpellées. Néanmoins, il
importe de déceler les causes qui peuvent être à la base de
ce comportement de la PNH. Nous avions pensé que les raisons de ce
comportement pourraient être diverses. A ce sujet, il convient d'ajouter
: la situation difficile de la PNH, en plus des deux causes
précédemment citées. En effet, cette démarche nous
permettra de mieux saisir l'esprit de ce choix de la PNH et nous facilitera de
faire des propositions de solutions beaucoup plus adaptées.
42
1.2.2.1.1.- Situation de la Police Nationale
d'Haïti
Nous tenons à le rappeler, la PNH évolue dans
des conditions extrêmement difficiles. Ils sont divers les obstacles que
les agents de la police ont à surmonter, tant sur le plan administratif
que politique. Sur le plan administratif, on pourrait considérer ces
difficultés comme étant communes au système, même
s'il y a certaines d'entre elles qui se révèlent
particulières à l'institution. Entre autre : problème
d'effectif, manque de matériels, faible accompagnement de l'État
et le rapport tant controversé existant entre elle et la justice.
En ce qui a trait au problème d'effectif des policiers
en service, nous tenons à souligner qu'à l'heure actuelle, avril
2016, le nombre environne les dix mille (10 000) pour une population de 10 911
819 [64] million d'habitants, soit un ratio de un (1) policier pour
mille quatre vingt onze (1091) habitants. Malgré cette augmentation
importante par rapport aux cinq (5) années précédentes,
cet effectif reste insuffisant par rapport aux besoins. A cet effet, nous
partageons les réflexions de la MINUSTHA mentionnant que : « A
terme, l'objectif du gouvernement est de doubler, au minimum, les effectifs
actuels qui atteignent actuellement [sic] 10.000 agents ; des policiers
capables de protéger leurs citoyens et leurs frontières des
menaces intérieures et de la criminalité
transnationale65». En effet, ces efforts, tendant à
consolider l'institution policière afin de répondre aux besoins
de la population qui sont multiples et, lesquels ont été
consentis en vue de créer un climat de sécurité, sont
importants à prendre en compte. A ce sujet, le rapport du 16 avril 2005
de la mission du conseil de sécurité de l'ONU en Haïti, en
avait fait la prédiction :
Presque tous les interlocuteurs ont souligné
l'importance de la professionnalisation de la Police Nationale d'Haïti qui
est l'autorité responsable d'assurer la sécurité,
l'application de la loi et l'ordre en Haïti. Cependant, la mission a pris
connaissance que les policiers de leur propre chef ne peuvent pas remplir leur
fonctions adéquatement et exercer leur rôle de
sécurité publique dans tout le pays, à cause du nombre
insuffisant de policiers (bien que leur nombre exact ne peut être
établi), du manque de formation adéquate et d'équipement,
d'un budget limité, et de la corruption. La mission a exprimé le
voeu que la police soit réformée
immédiatement66.
Vu ce panorama, il est évident que la PNH cherche
à utiliser ses propres astuces afin de compenser certaines faiblesses.
C'est l'une des raisons pour lesquelles on persiste à croire que ce
recours à la publication hâtive dans les medias de l'image et de
l'identité des suspects dans le
64-Institut Haïtien de Statistique et
d'Informatique (IHSI), Direction des Statistiques Démographiques et
Sociales (DSDS), population totale, population de 18 ans et plus
ménages et densités estimés en 2015, Mars 2015, p.21.
65-
http://minustah.unmissions.org/Developpement-de-la-police-nationale-dhaiti-cap-sur-2016,
site consulté le 8 mars 2016, 8 hrs 25 AM.
66-Rapport du Secrétaire
Général de l'ONU sur la Mission du Conseil de
Sécurité en Haïti (13-16 avril 2005), paragraphe 22.
67-Voir le briefing de International Crisis Group
Amérique Latine/Caraïbes N°14, Haïti : réforme
de la justice et crise de la sécurité, 31 janvier 2007, p.
3.
43
cadre d'une enquête judiciaire constitue l'une parmi les
actions de l'institution tendant vers la dissuasion. Donc, comme causes
fondamentales probables, nous venons de voir que la situation difficile dans
laquelle se trouve la PNH, peut bien en faire partie.
1.2.2.1.2. Souci de justification des efforts de
la Police Nationale d'Haïti
Bien qu'auxiliaire de la Justice, la PNH tente à tout
moment de se démarquer de celle-ci pour pouvoir mettre en
évidence les efforts qu'elle fait pour réduire le taux de
criminalité. De cette démarche va surgir des tensions entre la
PNH, soucieuse d'exhiber le fruit de ses activités aux yeux de la
population en vue de la rassurer et de dissuader les délinquants et, le
pouvoir judiciaire qui se garde de violer des règles fondamentales de
droits humains. A ce sujet, le RNDDH a mentionné que les relations
toujours problématiques entre police et justice, qui s'accusent
mutuellement d'être corrompues, sont plus tendues que jamais.
Dans le cadre de leur enquête, les ambassadeurs de
Crisis Group se sont entretenus avec un commissaire du gouvernement qui les a
confié que les dossiers montés par les agents de la police ne
répondent pas à une certaine technicité leur permettant
[les professionnels de la justice] de bien faire les suivis nécessaires.
Ils avancent que : « Les juges et les procureurs [Sic] admettent
fréquemment prononcer des acquittements et la libération des
accusés mais en attribuent la raison à la mauvaise qualité
des dossiers. Selon un procureur, les dossiers contiennent de longues
descriptions mais trop souvent, « il n'y a rien dedans67.
»
Ces rapports déséquilibrés entre les
agents de la PNH et les autorités judiciaires laissent augurer de
mauvais sentiments d'une collaboration qui serait au bénéfice
d'une justice saine et efficace. Nous pensons que cette fuite en avant que fait
la PNH avec l'émission allo la police constitue une manière pour
l'institution de se dédouaner de toute responsabilité en ce qui
concerne la prévalence du phénomène de
l'insécurité dans le pays, aussi bien que la rétention ou
non des détenus. Donc, ces deux causes ci-dessus mentionnées nous
laisse entrevoir que l'action de la PNH serait motivée et que les
conséquences qui en découleraient seraient connues et voulues par
l'institution. Cependant, il y a lieu de considérer une cause
extérieure à la volonté des autorités de
l'institution, il s'agit de l'influence qu'exerce le système Common Law,
système d'influence, sur le germano romain, système adopté
par l'administration haïtienne, en raison des programmes de
coopération qu'entretiennent mutuellement des institutions qui les
pratiquent.
68-André SIEGFRIED, Les
États-Unis d'aujourd'hui, avec 8 cartes et figurent, Librairie
Armand Colin, Paris, 1927, p.212.
44
1.2.2.1.3. Influence du Common Law sur les pratiques
policières en Haïti
Le problème de violation qui est posé par
l'émission allô la police peut également s'expliquer par le
processus de l'américanisation de la pratique du système
pénal haïtien. C'est-a-dire, le fait que le système
pénal haïtien éprouve du mal à concilier le model
Common Law d'application du droit pénal, sur lequel se fonde certaines
pratiques policières dues aux multiples programme de coopération
dans les domaines justice et police et, le mode romano-germanique d'application
du droit pénal, base juridique et théorique du système
pénal haïtien hérité de la France, l'ancienne
métropole. Notre hypothèse en ce concernant trouve l'approbation
du professeur André SIEGFRIED qui émettait également des
idées sur ce processus en France dans son livre : « un monde qui
s'américanise68 » cité par Jean CEDRAS,
Professeur à l'Université de La Rochelle dans son texte «
L'hypothèse de l'américanisation du droit pénal
français ».
Nous tenons à présenter, avec quelques
commentaires, les approches du professeur SIEGFRIED concernant le processus de
l'américanisation du droit français, pourvu que nous estimions
que le notre puisse être dans une situation similaire à celui des
français. Le pénaliste doit-il en déduire que ces auteurs
prophétisaient la marche du procès pénal français,
à l'origine inquisitoire, vers l'accusatoire ? Voici comment le
professeur André Siegfried réagi à cette interrogation
:
Précisément, cette répression accrue de
la marginalisation sociale et de l'insécurité est
prônée par les tenants de la globalisation et de la
flexibilité, car le discours corollaire de la « tolérance
zéro», est intéressant : idéologie quasi mystique de
la libre concurrence, qui sous-tend la minimisation des lois sociales, qui
réclame l'application de la loi du marché dans le plus grand
nombre possible de domaines, et pourquoi pas ? La patrimonialisation de
l'action publique. À suivre ce discours, l'État devrait se
retirer du champ économique (moins d'État dans le jeu du
capital), se retirer du champ social (promotion de la flexibilité des
emplois et des horaires) pour se renforcer dans le domaine pénal et
pourquoi ? Pour contenir les conséquences de la
dérégulation et de la flexibilité en termes de
marginalisation sociale. Tout se tient !
Ainsi, conceptions économiques et sociales
néolibérales d'une part et thèses surrépressives
d'autre part vont-elles de pair. Si l'on dépénalise
l'économie, et c'est le but recherché, alors il faut adopter la
tolérance zéro ou bien le système social explose. L'esprit
messianique et le discours sont soutenus par une logistique.
L'auteur nous montre ici le fondement du durcissement des
mesures répressives prises dans les sociétés modernes. Il
a fait remarquer la corrélation qui existe entre les mutations
économiques et le dérèglement de la société
que le système pénal est appelé à freiner. Il
s'attèle également à montrer le mécanisme
utilisé pour influencer le droit pénal français vers
les
45
pratiques du droit pénal américain, celui-ci,
basé sur le système Common Law. Très tôt, il a fait
ressortir l'influence du droit pénal américain sur le droit
pénal français, en faisant remarquer que ce processus
d'américanisation passe par les divers programmes de coopération
entre les pays dans le cadre de la Police des Nations Unies (UNPOL). Ainsi, il
nous livre les réflexions suivantes :
Missions parlementaires, visites académiques, formation
continue des magistrats et des policiers étrangers aux
États-Unis, bourses d'études, de recherches, de séjour :
voilà une grande hospitalité généreuse et
chaleureuse, dont probablement bon nombre de juristes français ont
profité comme moi69 et qui reste pour toujours un merveilleux
souvenir. Cette hospitalité permet la diffusion de toutes les
idées mentionnées précédemment dans le public
savant. Mais le grand public n'est pas oublié : le cinéma, la
littérature policière et les romans judiciaires, les
séries télévisées policières et judiciaires
(rigoureusement exactes sur le plan juridique, contrairement à leurs
homologues françaises), séries vendues pour rien et
diffusées dans le monde entier, tout cela installe dans l'inconscient
collectif l'image exclusive et flatteuse du droit pénal américain
de fond et de forme. Ainsi le droit pénal américain devient-il
peu à peu le seul point de comparaison, sinon la
référence. François Gény a montré
l'influence des facteurs culturels, au sens américain
précisément (« social ways of life »), dans
l'élaboration du droit positif. Tout cela produit des résultats
à l'échelle mondiale.
A ce niveau, le professeur a montré que la tendance
à l'adoption du droit pénal américain comme système
de référence ne se limite pas seulement à la France. Il a
voulu faire remarquer que le mécanisme qui a été mis en
branle à ce dessein touche l'opinion mondiale via des séries
télévisées qui enseignent, de manière sournoise, la
conduite des affaires criminelles. Ainsi il a continué sa
réflexion en disant :
Je ne sais pas si l'on doit traiter de l'hypothèse
discutable de l'américanisation du droit pénal français ou
du phénomène avéré de la mondialisation du droit
américain. En effet 70 % des terres civilisées sont soumises au
droit de Common Law en matière pénale ; pour des exemples
récents et surprenants de conversion à l'accusatoire : le Japon
en 1945, l'Italie en 1989, la Pologne en 1990, le Venezuela en 1998. [...]. Ces
pays avaient vécu sous un régime de droit socialiste empruntant
et détournant les concepts pénaux romano-germaniques. Lors de
leur libération, ils étaient en quête de modèles et,
tant par l'incapacité de l'Europe continentale de leur en proposer un
que grâce à la logistique supérieure des Américains
(bourses, stages, universités judiciaires sur place et clés en
mains), ont choisi le Common Law70.
Il continue, cette fois-ci, pour montrer les
conséquences du système accusatoire au dépend du
système inquisitoire. Il a tout de même signalé le danger
que courent les systèmes juridiques qui s'approchent du Common Law,
notamment celui de la France. Nous pensons également que cet
avertissement pourra aussi bien être extrapolé sur le processus
haïtien de transformation de la procédure pénale, sinon,
cette transition en matière pénale qui aurait le
69 -André SIEGFRIED, Ibid., p.213.
70 -André SIEGFRIED, Ibid., p.153.
46
parfum du système Common Law. Car, certaines pratiques
de la police, comme nous sommes entrain de le traiter, montre à clair ce
mélange de système. Ceci va en quelque sorte être
officialisé avec la publication prochaine du Code de Procédure
Pénale.
Pour sa part, le professeur Jean CEDRAS, dans son texte «
L'hypothèse de l'américanisation du droit pénal
français », nous met en garde contre certains risques que l'on
court dans une telle entreprise. Il a fait remarquer à ce sujet, un
double danger, dit-il, de la marche vers l'accusatoire à
l'américaine :
1° Une logique dangereuse.
« Dans sa logique, le système inquisitoire
garantit l'efficacité de l'enquête, le respect des libertés
et l'égalité des justiciables : l'instruction par le juge
d'instruction, juge indépendant et libre ou par la police judiciaire,
sous le contrôle d'un parquet déjà débarrassé
en fait des instructions individuelles, est aussi bien menée à
charge ou à décharge, que l'on soit puissant ou misérable.
Dans sa logique, le système accusatoire, au contraire, accentue les
différences sociales, culturelles et économiques en permettant au
puissant de rémunérer des avocats excellents, lesquels sont
à même de faire des enquêtes poussées et pas
forcément objectives, à même de proposer à la
victime des transactions (pleabargaining) irrésistibles, à
même d'éteindre l'accusation en offrant de payer de
généreuses amendes. Sait-on que la négociation sur
l'action publique résout 90 % des affaires pénales, même
les plus graves, qu'elle est vigoureusement encouragée par les pressions
institutionnelles du système de Common Law, qu'elle supprime totalement
les droits de la défense, et qu'elle patrimonialise [sic] la
répression ? «Nation de boutiquiers» disait Napoléon de
l'Angleterre. «Peuples marchands» disent des Anglo-Saxons mes
illustres collègues George Pugh de Louisiana State University et
François Terré, de l'Université Paris
Panthéon-Assas. Dans le système accusatoire, s'agissant
d'infractions économiques (pour un exemple pris au hasard), presque tout
peut se vendre et s'acheter.
2° Une greffe dangereuse.
Dans leur complexité, leur équilibre d'ensemble,
les systèmes procéduraux sont des mécanismes d'horlogerie
fragiles. Greffer sur l'un une institution tirée de l'autre, surtout
quand on n'a de l'autre qu'une connaissance approximative, c'est certainement
courir à l'échec.
Ces considérations faites par le professeur Jean CEDRAS
nous permettent de mieux nous situer par rapport aux fondements de la pratique
de l'émission et la philosophie qui semble la supporter. Cependant, nous
resterons attentifs à l'étude de la première cause, qui
est celle témoignant le souci de la PNH d'exhiber ses efforts par
rapport à la lutte contre l'insécurité. Si pour la
situation difficile de la PNH et l'influence du système Common Law sur
la conduite des affaires pénales en Haïti, notamment par la PNH,
agent de la Police Judiciaire, on note une attitude de passivité, en
sens que l'institution semble subir une force qui lui soit extérieure.
Mais pour la deuxième hypothèse, à savoir, exhiber ses
efforts aux yeux de la population, on pourra comprendre que c'est une action
sciemment commandité et voulue par les autorités
policières.
47
En ce qui a trait à la dissuasion des éventuels
criminels, on reconnait les retombées positives que cela puisse avoir.
Cependant, le caractère objectif des principes relatifs au respect des
droits humains nous commande de reléguer en arrière plan tout
calcul basé sur l'augmentation du bien-être de la
société au sacrifice des droits fondamentaux de l'individu,
membre du corps social. A ce niveau, on endosse le point de vue du philosophe
américain John Rawls qui disait dans son livre Théorie de la
justice : « Chaque personne possède des droits inviolables
fondés sur la justice que même le bien-être de la
société ne peut outrepasser [...] les droits garantis par la
justice ne doivent être soumises à aucune transaction basée
sur le calcul des intérêts sociaux ». Donc, il est
inconcevable que l'Administration publique, via la PNH, trafique les
procédures en matière criminelle pour atteindre ses objectifs.
1.2.2.2.- Sous-section II- Rapport de la Police
Nationale d'Haïti et les pouvoirs publics
Comme autre élément susceptible d'influencer le
choix des autorités policières à présenter les
suspects dans les medias, la mauvaise compréhension du rôle de la
PNH, institution collaborant avec deux pouvoirs distincts de l'État,
nous retient grandement l'attention. Comprenant cette dynamique, nous pourrons
désormais relever l'intérêt de la PNH de persister,
arrêter, ou tout bonnement, modifier, sous l'influence des voix qui se
sont déjà élevées, cette publication qui
dérange. Pour cela, il importe de faire une présentation
spécifique de l'institution afin de mieux contextualiser notre
approche.
1.2.2.2.1. Présentation de la Police
nationale d'Haïti
La Police Nationale d'Haïti (PNH) constitue la
deuxième branche des forces armées reconnues par la constitution
haïtienne. On doit mentionner que la volonté de mobiliser une autre
force aux cotés de l'Armée ne date pas d'aujourd'hui.
Gérard Dalvius, dans son ouvrage titré Justice et
Police, un défi en Haïti71, nous livre
quelques informations sur l'histoire de la Police Nationale, il nous dit :
« l'intention d'avoir un corps de police séparé de
l'Armée haïtienne a toujours hanté les constitutionnalistes
en Haïti. D'ailleurs dans plusieurs constitution, la notion de police
occupe une place de choix ». En guise d'argument, il a fait mention
de l'article 178 de la constitution haïtienne de 1957, stipulant que :
les fonctions de Police sont séparées de celles des Forces
Armées d'Haïti et confiées à des agents
spéciaux soumis à la responsabilité civile et
71- Gérard DALVIUS, Op. Cit., p.85.
72-Loi du 29 novembre 1994 portant création,
organisation et fonctionnement de la police nationale le moniteur n° 103, 28
décembre 1994
48
pénale dans les formes et conditions
légales. Ledit article a été également repris
dans les mêmes thèmes par l'article 185 de la constitution
haïtienne de 1964 a-t-il fait remarquer.
La constitution haïtienne de 1987 amendée a
épousé l'idée de garder les forces armées
d'Haïti avec ses deux branches, dans son article 263 on reprend pour
confirmer l'existence de la police en stipulant que : La force publique se
compose de deux (2) corps distincts : l'Armée et la Police. Cette
différenciation répond à notre avis, à un besoin de
sécurité des vies et des biens afin de laisser l'Armée
d'Haïti dans sa fonction de défense du territoire. Plus loin, nous
allons considérer certaines des missions conférées
à cette entité en scrutant les articles mentionnés dans la
loi portant sur sa création et régissant son fonctionnement. En y
arrivant, nous tenons à faire cette précision tant importante
à l'article 1er de ladite loi, qui témoigne le
caractère hiérarchique et l'unicité de la source de
décision de la PNH. C'est-à-dire, les directions
départementales ne peuvent pas être tenues pour responsable
directes de la tenue de l'émission. Ledit article stipule qu'Il est
créé une force de police dénommée la Police
Nationale d'Haïti. Son siège central est à
Port-au-Prince.72 En ce qui a trait à la
définition de la mission de l'institution, elle est non seulement
citée dans l'article 269-1 de la constitution de 1987 amendée,
[Elle est créée pour la garantie de l'ordre public et la
protection de la vie et des biens des citoyens. Son organisation et son mode de
fonctionnement sont réglés par la loi] mais
également, dans la loi portant sur sa création.
La constitution aussi bien que les lois qui vont suivre ne se
sont pas limitées à créer l'institution policière,
elles se sont également évertuées à fixer ses
limites et ses champs d'action. Ainsi la constitution donne les attributions de
celle-ci à l'article 273 :La police en tant
qu'auxiliaire de la Justice, recherche les contraventions, les délits et
crimes commis en vue de la découverte et de l'arrestation de leurs
auteurs. Cette attribution commence à situer la police dans son
travail d'aide à la justice. Elle limite les interventions de celle-ci
au niveau de la recherche des infractions et d'arrestation. En ce qui a trait
à sa mission, elle précise le travail de celle-ci comme
institution de support au pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire.
L'article 7 de la loi du 29 novembre 1994 portant création, Organisation
et fonctionnement de la police
49
Nationale73 stipule : La Police nationale est
instituée en auxiliaire des pouvoirs publics en vue de maintenir l'ordre
en général et de prêter force à l'exécution
de la loi et des règlements.
Parmi les nombreuses prérogatives que la loi
confère à l'institution policière, constituant sa mission,
nous tenons à présenter quelques-unes :
1. Assurer la protection et le respect des
libertés des personnes, des vies et des biens , ·
2. Garantir la sûreté des institutions de
l'État , ·
4. Prévenir les infractions et rechercher
activement les auteurs pour les traduire devant les juridictions
compétentes dans le délai fixé par la loi
, ·
7. Prévenir, constater et combattre les infractions
à la législation sociale , ·
11. Fournir aux fonctionnaires du pouvoir judiciaire les
moyens nécessaires pour atteindre leurs objectifs , ·
12. Fournir au protecteur du citoyen, pour la
défense des droits humains, l'appui nécessaire dans
l'accomplissement de sa fonction , ·
15. Exécuter toutes autres actions ou activités
prévues par la loi.
1.2.2.2.2. Coopérations diverses avec des
organisations internationales
Une assistance internationale substantielle en matière
de justice et de sécurité a débuté en 1993 ; elle
s'est concentrée durant le premier mandat du président
Préval et s'est limitée à une coopération
restreinte entre 2001 et 2004. Jusqu'à 2001, les donateurs ont
consacré 43 millions de dollars au Secteur Justice, dont 27 millions
provenaient du programme américain d'administration de la justice (AOJ).
Sur la même période, plus de 65 millions de dollars ont
été consacrés à la réforme de la police. La
majeure partie de cette assistance à la justice a consisté en un
soutien logistique et à la formation, à l'aide technique et aux
services juridiques.74
1.2.2.2.3. La Police Nationale entant qu'auxiliaire
de la Justice
En tant qu'auxiliaire de la justice, la police est là
pour prêter la main forte à cette dernière pour qu'elle
puisse remplir à bien sa mission. Ainsi, le rôle que doit jouer la
police dans une
73-Le moniteur n° 103, 28 décembre 1994.
74-U.S. Government Accounting Office, Any
Further Aid to Haitian Justice System should be Linked to Performance-Related
Conditions», octobre 2000, p.23.
50
enquête judiciaire est clairement défini par la
loi. L'article 10 du Code d'Instruction Criminel dispose :
Les agents de la police rurale et urbaine sont chargés
de rechercher les crimes, les délits et les contraventions qui auront
porté atteinte aux personnes, ou aux propriétés. Ils
feront leur rapport au juge de paix de la commune sur la nature, les
circonstances, le temps et le lieu des crimes, des délits et des
contraventions, ainsi que sur les preuves et les indices qu'ils auront pu en
recueillir. Ils suivront les choses enlevées, dans les lieux ou elles
auront été transportées, et les mettront en
séquestre. Ils arrêteront et conduiront devant le juge de paix
tout individu qu'ils auront surpris en flagrant délit, ou qui sera
dénoncé par la clameur publique.
L'assignation de ce rôle d'accompagnement à la
Police n'est pas seulement faite dans le Code d'Instruction Criminel. Il est
également mentionné dans la loi portant création de la
Police Nationale d'Haïti, on se le rappelle dans l'article 7, plus
précisément le point 4 est ainsi libellé :
Prévenir les infractions et rechercher activement les auteurs pour
les traduire devant les juridictions compétentes dans le délai
fixé par la loi. Le respect scrupuleux de ce rôle ne semble
pas conforter les autorités policières qui estiment que les
suivis faits par les autorités judiciaires de certains dossiers ne sont
pas corrects. Ainsi, elles ne cessent de se plaindre des décisions de
justice qu'ils estiment être entachées de corruption.
1.2.2.2.4. La Police Nationale, service
déconcentré du Ministère de la Justice et de la
Sécurité Publique
Dans le point précédent, nous avions vu la PNH
en tant qu'auxiliaire de la Justice. Ce rôle lui confère une
mission de second plan dans les affaires criminelles. Elle doit agir sous les
ordres des organes du pouvoir judiciaire, ses actions sont pour ainsi dire,
tributaires des procédures suivies par celui-ci. Néanmoins, le
pouvoir judiciaire n'est pas le seul pouvoir de l'État de qui sont
émanés les ordres que doit suivre la Police Nationale
d'Haïti. Elle détient un rapport étroit avec le pouvoir
exécutif, lequel se révèle parfois intriguant pour le
respect des droits humains. L'article 4 de la loi portant sur sa
création consacre sa mise sous la tutelle du Ministère de la
Justice. Il stipule : La Police nationale, distincte et
séparée des forces armées, relève du
Ministère de la Justice et est placée sous l'autorité du
titulaire de ce Ministère. Les membres de la Police nationale ont le
statut civil. Il est compris que seul le pouvoir exécutif, à
travers la vision du président de la république, a le monopole de
la politique de la nation. Ceci étant dit, tous les autres pouvoirs se
joindre à celui-ci pour faire atterrir ses objectifs, des promesses
faites à la nation. L'article 14 de la loi sur la création et le
fonctionnement de la PNH stipule que le Conseil Supérieur de la Police
Nationale (CSPN) est composé comme suit :
51
1. Le Premier Ministre, chef du gouvernement,
président ;
2. Le Ministre de la Justice, premier vice-président
;
3. Le Ministre de l'Intérieur, deuxième
vice-président ;
4. Le Commandant en chef des forces de police (le
directeur général de la police nationale), secrétaire
exécutif ;
5. L'Inspecteur général en chef de la
Police nationale, secrétaire exécutif adjoint.
Cette chaine de commandement laisse voir un certain
contrôle par les plus hautes autorités du pouvoir exécutif
de tout ce qui se fait au sein de l'institution. Par souci de résultat,
il est évident que les autorités du pouvoir exécutif vont
prioriser la politique au détriment du respect de certaines
procédures. Car, faut-il bien que l'on souligne, ce qui importe le plus
pour le politique, c'est de pouvoir faire des choses qui épatent les
gens, même si cela outrepasse certains droits. Ainsi, face à toute
voix qui s'élève en dénonciation de certaines pratiques,
la réaction sera toujours une tentative de justifier le bien
fondé de l'action, même si parfois on donne l'impression de
prendre des mesures pour arrêter. Maintenant qu'on ait fini de voir
quelques causes qui expliquent la raison de la tenue de l'émission
malgré les critiques, il importe d'analyser les conséquences qui
peuvent découler de la pratique sans une adaptation nécessaire,
sinon une harmonisation des règles de procédures, axées
sur le système romano-germanique, et les pratiques d'opérations
policières basées, en partie, sur le système Common
Law.
DEUXIÈME PARTIE-CONSÉQUENCES ET
RECOURS
CHAPITRE III- ALLO LA POLICE CONSÉQUENCES SUR LE
SYSTÈME PÉNAL
HAÏTIEN
54
SECTION 1- VIOLATION DU PRINCIPE DE LA PRÉSOMPTION
D'INNOCENCE ET DU DROIT À LA DÉFENSE
Nous venons de le montrer dans le chapitre
précédent que la situation difficile de fonctionnement de la PNH,
le souci d'exposer les efforts réalisés, le processus
d'américanisation du système pénal haïtien et la
compréhension des rapports interinstitutionnels constituent les causes
majeures de l'émission allo la police. Il revient pour le moment
d'analyser les conséquences de cette pratique. Dans nos approches, nous
allons regarder ces impacts sur deux angles. D'une part, la violation du
principe de la présomption d'innocence et du droit à la
défense. D'autre part, l'influence négative que cela provoque sur
le travail des différents acteurs qui entrent en action quand une
infraction de nature criminelle est commise. A ce titre, il conviendra de
considérer les officiers de la police judiciaire, aussi bien que le
comportement du tribunal appelé à entendre l'affaire. En effet la
violation la plus flagrante constitue celle du principe de la
présomption d'innocence. Pour la prouver, il importe d'abord de
connaitre ce que c'est le principe de la présomption d'innocence.
Ensuite, qu'est ce que cela implique d'être présumé
innocent au regard de la législation pénale haïtienne. Pour
enfin déterminer l'évidence de sa violation par l'émission
allô la police.
2.3.1.1.- Sous-section I- La violation du principe de
la présomption d'innocence par l'émission allo la
police
L'une des conséquences immédiates que provoque
la publication hâtive de l'image et de l'identité des personnes
interpellées, c'est de faire passer un suspect pour coupable.
Démarche qui incrimine de façon prématurée le
suspect sans que celui-ci n'ait été préalablement
présenté devant son juge naturel, comme le veut la loi. Car, la
présentation de ce dernier dans les medias influencera l'opinion
publique, plus enclin à croire en sa culpabilité que de lui
donner le bénéfice du doute. Or, à ce stade, doit-on se le
rappeler, le suspect est protégé contre tout ce qui aurait l'air
d'une peine. Etant donné son statut, toute action d'une institution
quelconque ou d'un individu à son encontre ne sera
considérée comme rien d'autre qu'un préjudice porté
à l'égard de ce dernier. Ceci étant dit, il convient de
faire appel à la notion de responsabilité. Mais avant d'entrer
dans ce débat, il faudra tout de même préciser la notion de
présomption d'innocence dans ce présent contexte. Que veut dire
exactement être présumé innocent d'une infraction
reprochée à un suspect ? Qu'implique ce statut ? Qu'advient-t-il
au regard de la législation
75- Wando SAINT-VILLIER, Magistrat
Président de l'Association professionnelle des magistrats Juge au
Tribunal de première instance de la Croix-des-Bouquet.
55
haïtienne ? Les réponses à ces questions
nous permettront de mieux appréhender la dimension du problème
traité afin d'y adapter nos propositions.
2.3.1.1.1. Présentation du principe de la
présomption d'innocence
Le principe de la présomption d'innocence signifie que
toute personne soupçonnée d'avoir commis une infraction doit
être vue au départ comme innocente tant qu'elle n'a pas
été reconnue coupable par un tribunal. À ce titre, il est
interdit de parler d'une personne soupçonnée d'avoir commis un
meurtre en l'appelant « le meurtrier » avant qu'il ait
été jugé coupable. De la garde à vue (pendant
l'enquête) au verdict (lors du procès) la personne
interpellée est considérée comme innocente, commente Wando
SAINT VILLIER75. Le premier paragraphe de l'article 11 de la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) a initié la
protection de la personne interpellée en stipulant que : Toute
personne accusée d'un acte délictueux est présumée
innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été
légalement établie au cours d'un procès public où
toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront
été assurées.
Dans la Convention Américaine des Droits de l'Homme de
1969, plus précisément l'article 8 qui traite des Garanties
judiciaires reconnues aux personnes soupçonnées d'avoir commis
une infraction, le deuxième (2) alinéa renchérit :
Toute personne accusée d'un délit est présumée
innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été
légalement établie. Pendant l'instance, elle a droit, en pleine
égalité, au moins aux garanties suivantes :
a. Droit de l'accusé d'être assisté
gratuitement d'un traducteur ou d'un interprète s'il ne comprend pas ou
ne parle pas la langue employée à l'audience ou au tribunal
, ·
b. notification préalable et
détaillée à l'accusé des charges portées
contre lui , ·
c. octroi à l'accusé du temps et des moyens
nécessaires pour préparer sa défense , ·
d. droit pour l'accusé de se défendre
lui-même ou d'être assisté d'un défenseur de son
choix et de communiquer avec celui-ci librement et sans témoin
, ·
e. droit d'être assisté d'un
défenseur procuré par l'Etat rémunéré ou non
selon la législation interne, si l'accusé ne se défend pas
lui-même ou ne nomme pas un défenseur dans le délai
prévu par la loi, ce droit ne peut faire l'objet d'aucune renonciation
, ·
76- Jean SALOMON, Droit des
Gens, Tome I, 19ème édition, Presses
Universitaires de Bruxelles, Bruxelles, 2003, p.226.
56
f. droit pour la défense d'interroger les
témoins comparaissant à l'audience et d'obtenir la comparution,
comme témoins ou experts, d'autres personnes qui peuvent faire la
lumière sur les faits de la cause , ·
g. droit pour l'accusé de ne pas être
obligé à témoigner contre lui-même ou à se
déclarer coupable , ·
h. droit d'interjeter appel du jugement devant un
tribunal supérieur.
En effet, ces deux articles issus de deux instruments
juridiques différents et acceptés par la législation
nationale nous amène à considérer l'intérêt
partagé des nations du monde moderne de conférer une certaine
protection aux suspects. Néanmoins, certains traités ou
conventions bénéficient d'une application directe dans l'ordre
juridique interne des États parties, alors que d'autres
nécessitent de l'appui d'un autre texte juridique de nature à
préciser son application dans un contexte bien précis, une
procédure de réception plus complexe.
Ainsi, l'étude du rapport entre le droit international
et le droit interne a été longtemps dominée par une
querelle doctrinale entre les dualistes et les monistes76. Pour les
premiers, droit international et droit interne sont deux ordres juridiques
distincts, totalement séparés l'un de l'autre. Pour être
valable en droit interne, une règle de droit international doit
être transformée en droit interne par la procédure de
Réception. Pour les seconds, le droit international et le droit
interne forment un seul système juridique (Chron. Caflish, RSDIE, 1998,
p.636). Par conséquent, une disposition juridique internationale n'aura
besoin de l'aide d'aucune loi pour son application dans l'ordre juridique
interne.
Dans le cas d'Haïti, nous pensons que le courant qui
prédomine est la doctrine moniste, car l'article 276 de la constitution
élimine tout conflit éventuel. Cette considération nous
amène à étudier la situation des articles 11, de la DUDH
et 8 de la CADH consacrant une protection au suspect afin d'évaluer leur
degré d'application dans l'ordre juridique interne.
2.3.1.1.2. Le principe de la présomption
d'innocence au regard de la législation haïtienne
Comprendre la présomption d'innocence au regard de la
législation haïtienne, nous renvoie directement à
l'étude de la réception et l'application des instruments
juridiques internationaux signés et ratifiés par Haïti par
rapport au droit interne haïtien. Ainsi, le Dr. Louis
57
NKOPIPIE DEUMENI, intervenant sur le sujet : «
Le fonctionnement de la justice pénale et les exigences du
droit des droits de l'homme : l'exigence de célérité
» à l'Hôtel El Rancho en mai 2011 a fait
remarquer :
Parce que les instruments internationaux relatifs aux droits
de l'homme trouvent leur source dans le droit international conventionnel, et
parce que les droits qu'ils proclament ont pour destinataire l'individu,
citoyen, étranger ou apatride résidant sur le territoire d'un
État, il paraît utile d'envisager l'étude de la
réception de ces instruments dans l'ordre juridique haïtien.
L'une des questions à laquelle il a voulu
répondre en faisant cette considération, concernait l'application
directe ou non des instruments juridiques internationaux dans l'ordre juridique
haïtien. A cette question, on a pu récupérer du Dr. NKOPIPIE
DEUMENI l'assertion suivante :
Une analyse combinée du droit international et du droit
interne permet d'affirmer que les dispositions des instruments conventionnels
relatifs aux droits de l'homme, notamment celles contenues dans le Pacte Civil
et Politique [sic] octroyant à l'Homme en procès le droit
à la célérité de la procédure
enclenchée contre lui sont directement applicables dans l'ordre
juridique haïtien, mieux, qu'elles revêtent un caractère
d'ordre public77.
Par cette assertion, l'auteur met en évidence le
caractère auto exécutoire [...sont directement
applicables...] de certaines dispositions stipulées dans les
conventions. Il convient de faire remarquer que grâce à cette
particularité, les traités ou conventions signés et
ratifiés par Haïti peuvent être appliqués
automatiquement dans l'ordre juridique interne, c'est-a-dire, qu'ils sont auto
exécutoires ou self executing. L'intérêt
d'évaluer l'applicabilité directe des dispositions
stipulées dans les instruments juridiques internationaux nous permet de
voir leur caractère contraignant dans l'ordre juridique interne. Il
s'agit de regarder si ces instruments ont besoin de l'accompagnement d'un autre
texte juridique national pour les rendre effectifs dans la législation
haïtienne.
En effet, Le terme self executing trouve son origine
dans le droit constitutionnel des États Unis
d'Amérique78. Selon Max SORENSEN79, une
disposition d'un traité serait self executing, c'est à
dire auto exécutoire :
77-Dr. Louis NKOPIPIE DEUMENI, Loc. Cit.,
p.3.
78- Dans l'affaire Forster et Elain Enlilson, le
Chief Justice Marshall affirmait « Our Constitution declares a treaty to
be the law of the land. It is, consequently, to be regarded in Courts of
justice as equivalent to an act of the legislature, whenever it operates of
itself without the aid of any legislative provision. But when the terms of the
stipulation import a contract, when either of the parties engages to perform a
particular act, the treaty addresses itself to the political, not to the
judicial department; and the legislature must execute the contract before it
can become a rule for the Court». Cité par ERADES ET GOULD,
«The relation between international law and municipal law in the
Netherland and in the United States», Leyde, 1961.
58
Si elle est conçue en des termes qui permettent de la
considérer comme s'adressant non seulement aux États
contractants, mais aussi, sans modification de texte, aux sujets de droit
interne. Elle se prêterait alors à une application
immédiate par les tribunaux internes. Par contre, ne revêtirait
pas ce caractère la ou (les) disposition (s) d'un traité qui
serait (seraient) rédigée (s) en des termes qui s'adressent aux
Etats contractants comme sujets de droit international et exigent de leur part
que des mesures législatives ou réglementaires soient prises en
vue de son application effective sur le plan du droit interne. Il s'ensuit que
l'applicabilité directe d'un traité, c'est-à-dire son
caractère self executing, peut être totale si toutes ses
dispositions obéissent à la qualité tantôt
définie, ou partielle, s'il n'en est ainsi de quelques unes de ses
dispositions.
Donc, en analysant l'article 14 du pacte relatif aux droits
civils et politiques, nous pouvons extrapoler les arguments du Dr. NKOPIPIE
DEUMENI sur l'applicabilité directe des dispositions des alinéas
2 et 3 dudit pacte. Car, le 2ème alinéa de l'article
qui est ainsi libellé-Toute personne accusée d'une infraction
pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa
culpabilité ait été légalement établie ;
emprunte également le caractère auto exécutoire. Car,
la référence au terme célérité
auquel le Docteur fait allusion [point c du 3ème
alinéa] se trouve inséré dans le même article
(14) du pacte relatif aux droits civils et politiques que l'énonciation
du principe de la présomption d'innocence ci-dessus cité. Ainsi,
l'évidence que le point c du 3ème alinéa soit auto
exécutoire est aussi bien applicable pour toutes les autres dispositions
dudit pacte en général, sinon, celles de l'article 14 en
particulier. Donc, étant donné l'applicabilité directe, au
moins, des dispositions de l'article 14 du pacte relatif aux droits civils et
politiques, il convient seulement d'évaluer leur
réceptibilité dans l'ordre juridique haïtien pour mieux
cerner leur importance. Alors, ceci nous amène à
considérer les articles 276 et 276-2 de la constitution de la
République d'Haïti de 1987 amendée pour mesurer cette
réceptibilité.
L'article 276 de la constitution stipule :
L'Assemblée Nationale ne peut ratifier aucun Traité,
Convention ou Accord Internationaux comportant des clauses contraires à
la présente Constitution. Au regard de cet article, toutes les
conventions, tous les traités signés et ratifiés par
l'assemblée nationale haïtiennes ont considérées
comme étant conformes aux prescrits constitutionnels. Or, le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques adopté à
New-York par l'Assemblée générale de l'Organisation des
Nations unies dans sa résolution 2200A (XXI) du 16 décembre 1966
a été ratifié par le parlement haïtien le 06
février 1991. La convention américaine relative aux droits de
l'homme adoptée à San José le 22 novembre 1969, à
la Conférence spécialisée interaméricaine sur les
droits de l'homme de l'Organisation des États
79- Max SORENSEN, « Obligations d'un Etat
partie à un traité sur le plan de son droit interne »,
2ème Colloque international sur la Convention
européenne des droits de l'homme (18-20 octobre 1965), les droits de
l'homme en droit interne et en droit international, P.U.F., Bruxelles, 1968,
p.60.
59
américains, a été elle aussi
ratifiée par Haïti le 18 août 1979. Ainsi, l'article 276-2,
stipulant que : « Les Traités ou Accord Internationaux, une
fois sanctionnés et ratifiés dans les formes prévues par
la Constitution, font partie de la Législation du Pays et abrogent
toutes les Lois qui leur sont contraires. », nous donne le plein
droit d'affirmer, l'applicabilité directe des dispositions de ces
instruments juridiques internationaux. En plus de cela, ledit article nous
donne la latitude de nous approprier du respect de la présomption
d'innocence comme, désormais, l'une des règles sanctionnant la
procédure pénale en Haïti et le place, suivant la
hiérarchie des normes en vigueur, dans la catégorie de Loi, en
rappelle à la conclusion de l'article 276-2 [font partie de la
Législation du Pays et abrogent toutes les Lois qui
leur sont contraires].
2.3.1.2.- Sous-section II- Violation du droit à
la défense par l'émission allo la police
Comme nous venons de le voir, l'émission allo la police
a une première conséquence, celle de la violation de la
règle de procédure pénale «présomption
d'innocence ». Nous affirmons à ce sujet que la présomption
d'innocence constitue la garantie primordiale faite au suspect d'un traitement
bienveillant de la société par rapport à la cause qui lui
est reprochée. Cette garantie principale, une fois violée, il
n'en demeure pas moins de celles qui lui sont corollaires. Ainsi, le suspect
est forcé de répondre à des questions en absence de son
avocat et de témoigner contre lui-même, d'où notre
hypothèse de la violation du droit à la défense. En effet,
la constitution haïtienne amendée donne le ton dans son article 24
: « La liberté individuelle est garantie et
protégée par l'État. » In limine litis, cette
précision constitutionnelle confère à l'État la
responsabilité de veiller au respect des droits et libertés
individuels. Cependant, il arrive quelques fois que cette structure garante de
ces droits et libertés constitue l'entité même qui les
viole. En quoi consiste donc ce droit reconnu au suspect de se défendre
? Quel est son fondement philosophique et quelle est sa portée juridique
? Comment la législation haïtienne aborde-t-elle cette
problématique ? À qui est-il opposable ? Autant de questions qui
rendent nécessaire une étude approfondie du concept droit
à la défense.
2.3.1.2.1. Présentation du droit à
la défense
Comme dit un vieil adage : « la défense est un
droit sacré ». Il constitue la deuxième violation faite
dans le cadre de la publication de l'image et de l'identité d'un suspect
dans l'émission allo la police. Étroitement lié au
principe de la présomption d'innocence, duquel il constitue
l'accessoire, sa violation résulte du non respect du principal, donc, le
principe de la
60
présomption d'innocence. Le droit pénal touche
aux libertés fondamentales. En effet, pour réparer une
infraction, une personne peut être privée de liberté.
Cependant, pour éviter les abus et garantir à l'individu un droit
pénal impartial et une procédure juste, certains principes
fondamentaux ont été érigés. Alors, le droit
à la défense constitue cette garantie accordée à
une personne interpellée dans le cadre d'une enquête judiciaire de
pouvoir s'expliquer sur une infraction qui lui aurait été
reproché. Donc, si la défense de l'intérêt de la
société réclame la poursuite et la sanction des coupables
d'infractions pénales, celle de l'intérêt des individus
commande la prudence, la possibilité de se défendre et le respect
de certaines formalités procédurales.
2.3.1.2.2. Caractéristique du droit
à la défense
Le droit à la défense est corollaire au principe
de la présomption d'innocence. Il met en évidence la preuve de
l'acceptation du suspect à répondre du fait à lui
reproché. Dans notre cas d'étude, il est évident que le
non respect du principe de la présomption d'innocence entraine ipso
facto la violation du droit pour l'accusé de s'expliquer et de
présenter ses arguments par devant une instance compétente de
jugement. Ainsi, le droit à la défense se résume dans
l'article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de
1948, référence internationale fondamentale dans le domaine des
droits de l'Homme, citée explicitement au point 1 du préambule de
la constitution haïtienne de 1987 amendée. Il est
précisé que : « Toute personne a droit, en pleine
égalité, à ce que sa cause soit entendue
équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et
impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du
bien-fondé de toute accusation en matière pénale
dirigée contre elle. »
On note dans cet article l'exigence d'impartialité qui
est faite à la structure appelée à entendre l'accusation
et la défense et également, la reconnaissance des droits de
l'accusé. En effet, en développement de cette prérogative,
le Code de l'Instruction Criminel haïtien renchérit en son article
200.- : « L'accusé sera interpellé de déclarer le
choix qu'il aura fait d'un conseil pour l'aider dans sa défense ; sinon
le juge lui en désignera un sur le champ, à peine de
nullité de tout ce qui suivra. Cette désignation sera comme non
avenue, et la nullité ne sera pas prononcée, si l'accusé
choisit un conseil».
L'esprit de ces deux articles laisse entrevoir trois
caractéristiques de l'exercice du droit à la défense : le
droit à un procès équitable, le principe de
légalité des peines qui en découlera et le droit de se
faire représenter par un avocat ou un fondé de procuration.
Alors, le droit pour le
61
suspect de se défendre est clairement défini
dans la législation haïtienne et exige d'être appliqué
autant que présente une situation le rendant applicable. Il constitue
entre autre :
a. Le droit à un procès
équitable ; c'est le droit d'être jugé par un
juge indépendant et impartial dans le cadre d'un procès
équitable c'est-à-dire juste, neutre et dans un délai
raisonnable. Ce principe a pour but d'empêcher des procédures
arbitraires (injustes). Cette prérogative reconnue au suspect a
été également consacrée par la constitution de la
République d'Haïti de 1987 amendée en son article 24-1 ;
b. Le principe de légalité des
peines ; implique que le juge ne peut appliquer que des sanctions
prévues par la loi, c'est-à-dire, celles prévues par le
Code pénal. Cela correspond à l'un des grands principes qui
dominent le fonctionnement des Tribunaux des diverses juridictions, notamment,
le deuxième principe qui fait interdiction au juge de se prononcer par
voie de disposition générale et réglementaire sur les
causes qui lui sont soumises (art 8, Code Civil Haïtien) ;
c. Le droit à un avocat ;
tout accusé a le droit de se faire accompagné pendant son
procès. Cela se traduit par le droit de se défendre pendant la
procédure que ce soit seul ou bien assisté par un avocat. Ce
dernier peut être présent dès le début de la
procédure (pendant la garde à vue). Ce droit est aussi garanti
par la constitution en son article 25-1 qui stipule : « Nul ne peut
être interrogé en absence de son avocat ou d'un témoin de
son choix. »
2.3.1.2.3. Fondement philosophique du droit
à la défense
Le fondement philosophique du droit à la défense
suppose que l'infraction qui est commise ne reste pas impunie, mais surtout,
que la punition qui y est réservée soit imputée à
son auteur effectif. Par cette précaution, la société veut
se montrer très prudente quant à infliger les sanctions. Elle
veut s'assurer de ne pas, par inadvertance, condamner un innocent à la
place de l'auteur de l'infraction. Il est un principe qui stipule : «
mieux vaut libérer mille coupable que de condamner un innocent
».
Le choix des gouvernants haïtiens d'adhérer aux
principaux instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits
de l'homme, témoignent de leur volonté de faire leurs les valeurs
qu'ils stipulent. Ces instruments et la jurisprudence
générée par leur application, posent certains principes
qui ne sont pas sans conséquence sur la définition de la
politique criminelle des Etats Parties. Ainsi, le droit de punir, droit
régalien et exclusif de l'État, est de plus en plus
62
limité par le droit international des droits de
l'homme. L'État moderne doit, plus que par le passé,
raisonner la raison d'État et tenir compte des valeurs
précédemment évoquées dans l'élaboration de
sa politique criminelle. Ces valeurs, du reste, ne sont pas en contradiction
avec le projet politique des gouvernants d'instaurer un véritable
État de droit. Donc, punir les délinquants reste l'une des
prérogatives exclusives de l'État. Cependant, nombreuses sont les
approches qui ont été faites concernant le but qui devait
être visé par la peine. Certains théoriciens croient que la
punition devait être une rétribution, quand d'autre voient son
caractère utilitariste.
Ainsi Pudendorf soutient que : « j'entends par le mot
peine, un mal que l'on souffre à cause du mal que l'on
a fait volontairement » et «le but des peines [...] est de
détourner les hommes du crime par la crainte de ses
suites80». Néanmoins, les théoriciens
associent fréquemment une motivation utilitariste avec une motivation
rétributive de la punition. Une analyse attentive suggère que
Montesquieu a combiné les deux approches, utilitariste et
rétributive, dans L'Esprit des lois. [...]. Il soutient que : «
Pour être justifiable, tout système de punition doit permettre
la plus grande extension possible de liberté : en ne criminalisant que
les actions qui portent atteinte à la paix et à l'ordre public,
en protégeant les droits des accusés, en modérant les
peines, [sic] de façon à ce qu'elles s'accordent au degré
correspondant de gravité du crime81».
Le dosage de la peine en fonction du degré de
l'infraction commise laisse comprendre que la société n'entend
pas agir au même niveau que le délinquant. Par cette prudence,
elle veut se montrer plus sensible à l'égard de ce dernier,
pourvu qu'il reste encore, malgré son forfait, un membre du corps
social. Elle se montre consciente de la faiblesse de ce dernier qui subit
parfois des pressions psychologiques susceptibles de le pousser à
commettre une infraction. Donc, ce n'est nullement un hasard quand la
société se ménage autant avant de punir un de ses
membres.
2.3.1.2.4. Fondement juridique du droit à la
défense
Le fondement juridique du droit à la défense
constitue les garanties judiciaires reconnues à toute personne qui se
trouve engagée par devant la justice. L'article 8de la Convention
80-Voir Samuel Von Pudendorf, Les Devoirs de
l'homme et du citoyen (trad. Barbeyrac, 1707), livre II, chapitre XIII,
reprint Caen, 1984, 2 vol. , II, p.128-129.
81-David.W., CARRITHERS, La philosophie
pénale de Montesquieu, University of Tennesse at Chattanooga,
p.14.
63
Américaine des Droits de l'Homme traite des garanties
judiciaires, dans son premier alinéa, il consacre le privilège
pour l'accusé de pouvoir porter sa cause par devant une instance
judiciaire. A savoir :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
avec les garanties voulues, dans un délai raisonnable, par un juge ou un
tribunal compétent, indépendant et impartial, établi
antérieurement par la loi, qui décidera du bien-fondé de
toute accusation dirigée contre elle en matière pénale, ou
déterminera ses droits et obligations en matière civile ainsi que
dans les domaines du travail, de la fiscalité, ou dans tout autre
domaine.
Les précisions de cet article touchent à la fois
les exigences de célérité, d'impartialité et de
légalité. Il fait obligation au tribunal saisi de vérifier
sa compétence et également la légalité de la
détention avant même de statuer sur le fait qui est
reproché à l'accusé. Cette notion trouve également
son fondement dans la constitution haïtienne en ses articles 25-1 et 46,
nonobstant les autres points de l'article ci-dessus mentionné. En effet,
nous pouvons aussi considérer que les règles de procédure
sont d'application stricte. C'est-a-dire, le non respect de celles-ci
entrainera un vice de procédure susceptible d'emporter de graves
conséquences sur la conduite du procès. Ainsi, le processus du
recours en habeas corpus trouvera les conditionnalités de son
application.
SECTION 2- IMPLICATION DE L'EMISSION ALLO LA POLICE SUR LE
SYSTEME
PENAL HAÏTIEN
L'émission allo la police n'est pas sans
conséquence sur le système pénal haïtien. Si pour le
suspect la violation emporte des impacts directs et visibles, il n'en demeure
pas moins pour les acteurs évoluant dans le système. Même
si ces conséquences sont moins visibles que les
précédentes, cependant, elles ont autant d'importance que les
dernières. Nous allons évaluer le degré d'impact de
l'émission sur les Officiers de la Police Judiciaire (OPJ), notamment,
le juge d'instruction, le commissaire du gouvernement et le juge de paix, sans
oublier la situation des agents de la PNH participant à l'acte. A
ceux-là, faudra-t-il ajouter, l'impact probable de l'émission sur
le tribunal qui est appelé à entendre l'affaire.
2.3.2.1.- Sous-section I- Impact de l'émission
sur les Officiers de la Police Judiciaire (OPJ)
La publication hâtive de l'image et de l'identité
du suspect dans la presse, comme nous venons de le prouver, viole non seulement
le principe de la présomption d'innocence et du droit à la
défense, mais également, affecte d'autres éléments
du système pénal haïtien. L'opportunité de cette
démarche consiste à mettre en exergue les difficultés dans
lesquelles se trouvent les
64
agents de la police judiciaire quant à recueillir des
éléments nécessaires et fiables favorables à la
décision finale.
2.3.2.1.1. Impact sur la situation des agents de
la police Nationale d'Haïti
L'une des conséquences immédiates de
l'émission sur les agents de la police judiciaire est l'exposition de
ces derniers à des poursuites judiciaires82. Ceci fait appel
directement à la notion de responsabilité qui s'entend, du point
de vue du Droit civil, de l'obligation de réparer le préjudice
causé. La responsabilité peut résulter soit de
l'inexécution d'un contrat (responsabilité contractuelle) soit de
la violation du devoir général de ne causer aucun dommage
à autrui par son fait personnel, ou du fait des choses dont on a la
garde, ou encore du fait des personnes dont on répond
(responsabilité du fait d'autrui) ; lorsque la responsabilité
n'est pas contractuelle, elle est dite délictuelle ou quasi
délictuelle. Du point de vue du Droit administratif, il peut être
question d'engager la responsabilité d'un agent public. En effet,
celui-ci est pécuniairement responsable des dommages qu'il a
causés aux administrés ou à l'Administration en cas de
faute personnelle, il ne l'est pas s'il a commis une faute de service. En
raison de ces contraintes juridiques, les policiers impliqués dans cet
acte de violation peuvent se voir poursuivis, conformément à
l'article 27-1 de la constitution de la République d'Haïti de 1987
amendée.
2.3.2.1.2. Sur le juge de paix en tant qu'Officier
de la Police Judiciaire
Le juge de paix remplit en même temps la fonction du
Ministère public et la fonction de juge, il a donc un caractère
hybride de fonction dite de double casquette. C'est ce qu'on appelle le
dédoublement fonctionnel. Le juge de paix statue seul assisté de
son greffier dans toutes les affaires tant pénales que civiles. Il est
le seul dans la phase inquisitoriale dite pré juridictionnelle,
étape dans laquelle il revêt la casquette du MP afin de
procéder aux enquêtes préliminaires (Art 11 du C.I.C.). Il
a un pouvoir discrétionnaire dans cette phase en accomplissant toutes
les attributions qui reviennent au MP. Au besoin, il se fait accompagner de la
force publique pour rechercher le suspect (art. 39 du C.I.C). En effet,
l'émission n'a pas trop d'impact sur son travail de juge en tant
qu'officier de la police judiciaire. Ordinairement, ce sont des cas qui ne
suivent pas le cours normal de la procédure qui sont soumis à
cette pratique de la PNH.
82-Article 27 : Toutes violations des dispositions
relatives à la liberté individuelle sont des actes arbitraires.
Les personnes lésées peuvent, sans autorisation préalable,
se référer aux tribunaux compétents pour poursuivre les
auteurs et les exécuteurs de ces actes arbitraires, quelles que soient
leurs qualités et à quelque Corps qu'ils appartiennent.
Constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée.
65
2.3.2.1.3. Le juge d'Instruction en tant
qu'Officier de la Police Judiciaire
Pour ce qui est du juge d'instruction, l'émission
affecte son travail sur trois aspects. Il faut se le rappeler, le cabinet
d'instruction est le seul détenteur du pouvoir d'information dans le
cadre d'une affaire criminelle. De là, il est important d'affirmer
l'exclusivité qu'il détient de la gestion des indices, des
pistes, des témoins et tout ce qui peut se révéler crucial
à l'instruction. Nou savons que les principes régissant
l'instruction sont au nombre de trois, ce sont entre autre : séparation,
liberté et neutralité83. Cette action de la police
nationale viole les principes fondamentaux de liberté et de
neutralité du cabinet d'instruction, en sens qu'elle semble le tenir en
état d'admettre certains indices liés à l'infraction. En
effet, suivant ce principe, l'article 115 du C.I.C. stipule que (Loi du 29
mars 1928).- Si le juge d'instruction est d'avis que le fait ne présente
ni crime, ni délit, ni contravention ou qu'il n'existe aucune charge
contre l'inculpé, il déclarera qu'il n'y a pas lieu à
poursuivre et, si l'inculpé avait été arrêté,
il sera mis en liberté. Cependant, le degré de
publicité d'une affaire peut mettre un juge d'instruction dans une
situation difficile l'obligeant à choisir entre satisfaire l'attente
populaire, forgée à partir de la propagande de l'émission,
et rendre une ordonnance selon les exigences de son instruction (Jude
Baptiste, 2003, p.49).
En sus du risque de violation des principes de liberté
et de neutralité que peut subir le cabinet d'instruction, nous
constatons également qu'il confrontera à une
réalité difficile sur le terrain dans le cadre de ses
enquêtes. Cette situation que nous décrivons comme un «
effet de diversion » est compris comme étant un facteur
susceptible de détourner l'attention des acteurs des auteurs
réels d'une infraction. L'effet de diversion s'exprime en sens que la
publication fait déjà apparaitre un soit disant auteur de
l'infraction, tendant ainsi à dévier tout effort en vue de
remonter à la source. En effet, avec les aveux du suspect, il y a risque
qu'ils soient considérés par les enquêteurs en cas de
difficulté de retracer les vraies pistes. Cette situation aura
également une énorme répercussion sur les gens qui sont
appelés à coopérer avec les autorités judiciaires
entant que témoins.
Le troisième aspect de cette affectation résulte
au fait, qu'évidemment, il existe un fort risque de manipulation de
l'opinion publique. Quand celui qui doit participer à l'enquête
menée par le juge d'instruction, a été victime de loin ou
de près d'un acte de banditisme, et maintenant
83- Jude BAPTISTE, Op.cit., p.49.
66
qu'il trouve une occasion d'aider à l'inculpation d'un
accusé hautement médiatisé. Celui-ci sera enclin à
se pencher vers les ressentiments qu'il a de son agresseur et aux rumeurs de
l'opinion publique sur une personne jusqu'alors présumée
innocente de l'acte à lui reprocher. Néanmoins, cette
manipulation de l'opinion ne concerne pas seulement ceux qui vont participer
directement dans le procès à titre de témoins, elle est
également susceptible d'influencer l'appréciation du grand public
sur la réception de la décision qui va être rendue. Fort de
cette hypothèse, il est devenu évident de se demander en quoi
l'émission allo la police est-elle susceptible d'influencer
l'appréciation du public assoiffé de justice par rapport au
jugement rendu par un tribunal ?
2.3.2.1.4. Le Commissaire du gouvernement entant
qu'officier de la Police Judiciaire (OPJ)
Chargé de la recherche et de la poursuite des crimes et
délits relevant du Tribunal Civil, le commissaire du gouvernement est le
chef du parquet. Il est le garant de l'ordre public, également le seul
et le principal demandeur au procès pénal84, celui-ci
peut-être saisi par : plainte, dénonciation85 et/ou
rapport. Le commissaire du gouvernement joue un double rôle : un
rôle de surveillance, à ce titre, il est tenu d'informer le
ministre de la justice de toutes les irrégularités judiciaires
issues de sa juridiction. Également, un rôle de défenseur,
lui donnant ainsi la responsabilité de défendre la
société. Il apporte sa pierre à l'instauration de la
politique criminelle, vu qu'il est aussi appelé à défendre
les causes intéressant l'État.86 Le commissaire du
gouvernement exerce aussi un rôle de surveillance sur tous les officiers,
sauf le juge d'instruction. L'article 198 du C.I.C. (Loi du 12 juillet
1920).- dispose que :
Tous les officiers de police judiciaire, excepté les
juges d'instruction, sont soumis à la surveillance du commissaire du
gouvernement. [...] En cas de négligence de leur part, le commissaire du
gouvernement leur donnera un premier avertissement dont il sera gardé
copie ; en cas de récidive, il les dénoncera au Secrétaire
d'État de la Justice.
Sont aussi soumis à cette même surveillance, les
agents de la police judiciaire procédant comme auxiliaire du commissaire
du gouvernement87.
84 -Jude BAPTISTE, Op.cit., p.32.
85-La dénonciation est le fait de porter
à la connaissance de la police judiciaire, des faits ou des actes
matériels considérés comme éléments
constitutifs d'une infraction. Elle peut-être OFFICIELLE, article 19 du
C.I.C. (mis à jour par Jean VANDAL) ou CIVILE, comme prévue
à l'article 20 du C.I.C., L'officier de Police Judiciaire, documents
à l'usage des officiers et agents de la police judiciaire,
2ème édition 2010, p.27.
86-Prédestin SEM, «
la police et les droits de l'homme en Haïti, 1991 à 1997
», Faculté de Droit, des Sciences Économiques et de
Gestion, Cap-Haïtien, p.34.
87-Références : articles 30 et 31 de la
loi du 29 novembre 1994 portant sur l'organisation de la PNH.
67
En effet, il existe une corrélation entre le travail du
juge d'instruction et celui du commissaire du gouvernement. Le premier devra
fournir par ordonnance les informations utiles à la poursuite du dossier
par devant le tribunal légalement saisi. Il en ressort que le travail du
commissaire du gouvernement dépend en grande partie de la nature de
l'ordonnance qui lui sera signifiée par le juge d'instruction. Dans sa
plaidoirie, le Ministère Public aura à avancer les preuves
recueillies par le juge d'instruction. L'impact sera que la qualité et
la véracité de ses arguments, dépendent en grande partie
de l'enquête qui a été menée dans les conditions
difficiles que nous venons de relater, même si ce dernier peut se
libérer, développer ses propres arguments.
2.3.2.1.5. Impact de l'émission sur le
Tribunal saisi
Selon la logique de la séparation des fonctions, la
poursuite, l'enquête et le jugement sont confiées à des
entités différentes. De l'avis de Jude BAPTISTE :
La raison d'être essentielle de cette séparation
réside sans doute dans le souci de garantir les justiciables contre les
abus qui ne manqueraient pas de se produire si se trouveraient réunis
entre les mains d'une seule autorité le pouvoir de poursuivre
(c'est-a-dire d'accuser), celui d'instruire
(rassembler les preuves) et celui de
juger88.
Le tribunal saisi est appelé à franchir la
dernière étape du procès. Cependant, celui-ci n'est pas
exempt des conséquences qui découlent de la publication
hâtive de l'image et de l'identité d'un suspect. Cette action de
la police risque de discréditer la décision finale du tribunal
saisi et risque d'affecter l'image du juge qui a rendu la décision.
On considère à ce propos, la méfiance des
citoyens par rapport à la justice haïtienne qui reste bien
évidente. Ces derniers le seront encore plus, tenant compte de leur
niveau d'éducation politique, les empêchant ainsi de prendre un
recul pour analyser une problématique avant de tirer une conclusion. A
cet effet, les résultats d'une enquête sur la
«Gouvernance et Corruption en Haïti»,
commanditée par l'Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC) en
2007 ont révélé que : 84% des responsables d'entreprises
interrogés estiment que la justice n'est pas fiable, arguant que des
juges reçoivent des pots-de-vin. L'ancien ministre de la Justice, Paul
Denis, qui s'exprimait à l'Ecole de la Magistrature a même
jugé «prioritaire la lutte contre la corruption dans le
système judiciaire». De là peut-on voir que l'appareil
judiciaire ne bénéficie pas d'une grande
crédibilité aux yeux de certaines franges de la
société. D'où la nécessité de
protéger l'image de l'institution nous parait évidente.
88- Jude BAPTISTE, Op.cit., p.28.
68
Ainsi, ceci nous porte à considérer la
corrélation qui existe entre une population confiante de
l'efficacité de la justice et la criminalité axée sur la
vengeance personnelle ou encore le phénomène du lynchage. Pour ce
qui est du juge, nous pouvons miser sur sa capacité de pouvoir entendre
au-delà des rumeurs et de décider indépendamment de toute
influence médiatique. Cependant, nous ne pouvons pas dire autant pour
les membres qui sont appelés à accompagner le juge dans la
décision à être rendue, les membres du jury. Nous croyons
qu'il est plus qu'évident que les autorités cherchent par tous
les moyens de rassurer la population sans pour autant fragiliser le
système par des violations de droits et libertés individuels.
Une autre réalité à considérer sur
le tribunal saisi, concerne le comportement que la loi exige au juge,
s'agissant de tolérer la violation des dispositions qui sont d'ordre
public. En effet, une disposition est dite d'ordre public, quand les
règles de la procédure permettent à ce que cette
disposition puisse être évoquée à n'importe quel
stade d'un procès et par l'une ou l'autre des parties ou encore d'office
par le juge. En conséquence, le juge doit appliquer ces types de
dispositions d'office quand bien même le requérant ou son Conseil
ne les aurait pas évoqué au soutien de leur argumentaire. A ce
sujet, nous citons encore le Dr. Louis NKOPIPIE DEUMENI dans sa
conférence à l'Hôtel El Rancho, mai 2011 qui disait :
On peut retenir que les dispositions des instruments
internationaux relatifs aux droits de l'homme, du moins celles accordant des
droits à l'homme en procès, sont applicables directement dans
l'ordre interne haïtien parce que auto-exécutoires. Par ailleurs,
ils revêtent un caractère d'ordre public, ce qui emporte des
conséquences tant au niveau de la jouissance des droits (exclusion de la
condition de réciprocité) qu'à celui de leur exercice
(institution d'une véritable action publique internationale). Sur le
plan national, le juge peut relever d'office la violation des dispositions de
ces instruments.
Ceci étant dit, à défaut de l'application
d'office d'une décision sanctionnant une démarche qui viole l'une
des dispositions relatives aux droits de l'homme, reconnues pour la plupart
d'ordre public, le juge en question se fait complice de violation du droit du
suspect, passe outre des exigences qui lui sont faites et se montre donc
impartial.
En revanche, il se révèle aussi que cet acte de
la PNH libère le juge de l'un des principes fondamentaux
régissant le fonctionnement de la justice en Haïti, celui lui
faisant « obligation de juger ».
Comme a dit Maitre François LATORTUE dans son livre Cours de Droit
Civil, p.28 : La Justice est l'une des dettes principales de la
souveraineté ; elle doit être rendue à qui elle est due. Le
juge régulièrement saisi d'une affaire ne peut se dérober
à cette obligation sans s'exposer à des sanctions.
69
Se référant à l'article 9 du code civil
haïtien, le juge qui sous prétexte du silence, de
l'obscurité de la loi ou de l'insuffisance de la loi refusera de juger
pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice.
Néanmoins, l'émission allo la police donne une carte blanche
au juge de refuser tout bonnement de juger une affaire qui a été
l'objet d'un épisode de l'émission. Et la partie
lésée dans pareil cas ne pourra pas poursuivre le juge par une
procédure de prise à partie pour refus de juger. Voilà
tant de conséquences qu'emporte l'émission allo la police sur le
système judiciaire haïtien.
2.3.2.2.- Sous-section II- Risque de sanctions de la
Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme (CrIDH)
Mises à part les conséquences
précédemment citées, qui sont surtout d'ordre interne,
agissant sur le système, il y a lieu de considérer d'autres qui
relèvent plutôt du respect des engagements internationaux pris par
un État. Le caractère universel du droit international des droits
de l'homme confère aux dispositions prises dans ledit cadre un ordre
public international. C'est-a-dire, toute violation de l'une de ces
dispositions par un État partie aux dites conventions intéresse
non seulement les personnes et organisations de l'État violateur, mais
également, d'autres États parties ou organisations
évoluant dans le domaine des droits humains. Comme argument, le point
A du 1er paragraphe de l'article 41 du Pacte relatif aux
droits Civils et Politiques stipule : « Si un État Partie au
présent Pacte estime qu'un autre État également partie
à ce pacte n'en applique pas les dispositions, il peut appeler, par
communication écrite, l'attention de cet État sur la question.
[.... J ». Plusieurs cas ont été déjà
portés par devant les instances internationales, nous avons pour exemple
l'affaire Fleury89 contre l'état haïtien.
Pour ce qui est de l'émission allo la police, nous
avions montré que la publication hâtive de l'image et de
l'identité des suspects viole leur droit de présomption
d'innocence. Il est évident que cette action n'a aucun fondement
juridique. Le 2ème paragraphe de l'article 293-8 de la
loi portant sur l'enlèvement, la séquestration la prise
d'otage des personnes90 ne peut tenir la route
comme argument juridique justifiant la légalité de
l'émission. Car, il est si clairement mentionné dans ledit
article : « Il sera donné au jugement de condamnation une large
publicité
89 -Cour
Interaméricaine des Droits de l'Homme, affaire Fleury et al. c.
Haïti, résumé officiel émis par la cour
interaméricaine, arrêt du 23 novembre 2011, (fond et
réparations)
90 -Moniteur No 26, Vendredi 20 mars 2009,
164ème Année de l'Indépendance.
70
par voie de presse écrite, radiodiffusée et
télévisé. Avis, sous forme d'extrait dûment
certifié du jugement de condamnation, sera donné à toutes
les institutions publiques concernées. »
En effet, à bien analyser l'article, la mention est
surtout faite pour le jugement de condamnation. Or pour arriver à ce
stade, il faudra absolument franchir un ensemble d'étapes
considérées comme obligatoires pour la procédure
pénale. Par contre, là où nous en sommes, on est encore au
stade préliminaire de l'enquête, le suspect n'est même pas
encore inculpé, voire condamné. A la lumière de cet
article, nous pouvons dire que la publicité de l'image et de
l'identité des individus est permissible dans la mesure où la
procédure a été respectée, donc après une
éventuelle condamnation. Donc, de même que l'État
haïtien a été contraint par la CrIDH de prendre des mesures
de correction et de réparation dans le cas de monsieur Fleury, il est
tout aussi probable que, en cas de plainte portée par ces victimes par
devant les instances internationales, le pays se voit encore obligé
à des réparations aussi bien que des sanctions.
CHAPITRE IV- VOIES DE RECOURS ET RECOMMANDATIONS
72
SECTION 1- MESURES A PRENDRE SUR LE PLAN ADMINISTRATIF POUR
PALLIER CETTE NÉGLIGENCE DE PROCÉDURE
2.4.1.1.- Sous-section I- De la protection de l'image
du suspect
Nous venons de le voir, l'émission Allô La Police
viole les droits du suspect aussi bien qu'elle crée une situation
difficile pour les acteurs évoluant dans le système judiciaire
haïtien. Cela fait apparaitre une faille dans les procédures qui
est susceptible de fragiliser encore plus le système. Ainsi, les actions
nécessaires pour pallier cette faille dans la procédure sont
à la fois d'ordre administratif et juridictionnel.
Sur le plan administratif, il faudra prendre des dispositifs
afin de protéger l'image du suspect, contrôler toutes
communications susceptibles d'affecter la procédure et l'identité
de ce dernier et sécuriser l'aire du crime ou de la perquisition.
D'autres mesures administratives qui sont nécessaires à prendre
concernent :
1. La dotation de la PNH des moyens suffisants et d'un
effectif adéquat pour ses opérations ;
2. une meilleure approche dans l'application des pratiques
policières basées sur le Common Law avec la procédure
criminelle haïtienne.
Sur le plan juridictionnel, plusieurs possibilités sont
offertes à la victime :
1. Elle peut choisir d'intenter une action, pendant
l'instance criminelle, contre la Police Nationale d'Haïti (PNH) pour
procédure abusive en vertu des articles 27-1 de la constitution de la
République d'Haïti de 1987 amendée et 1168 du Code Civil
Haïtien ;
2. Désormais victime, le suspect peut également
exercer un recours devant l'Office de la Protection du Citoyen (OPC) contre
l'État pour abus de l'Administration Publique91 ;
3. Exercer un recours en Habeas Corpus par devant le Doyen du
Tribunal de Première Instance pour l'irrégularité de la
détention ;
4. A défaut de satisfaction, elle peut se recourir par
devant la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme (CIDH) pour
porter plaine pour violation de ses droits.
2.4.1.1.1.- Importance juridique
Protéger l'image du suspect revêt une importance
capitale, non seulement pour ce dernier, mais aussi pour la
société dont la cohésion a été mise à
mal, sa tranquillité troublée, sa sécurité
91 - Article 3, 4 et 5 de la loi portant Organisation
et Fonctionnement de l'Office de la Protection du Citoyen.
73
éprouvée. Elle s'impatiente de voir l'auteur de
l'infraction identifié, jugé et condamné, tout en
évitant de punir un innocent. Malgré les rigueurs de la
procédure, on doit se soucier de préserver le droit qu'a le
suspect d'être jusque là présumé innocent et de
recevoir le traitement approprié à son statut. Car, le principe
de la présomption d'innocence, désormais connu comme une
règle de procédure à part entière en matière
criminelle en Haïti, concerne la liberté individuelle, est donc
revêtue du caractère d'ordre public. Ainsi, la protection de
l'image du suspect empêchera la PNH de violer cette règle et de
mieux accompagner la justice, quant au respect du caractère
inquisitorial des étapes préliminaires de la procédure. Il
serait pour cela recommander aux agents de la police de barrer le visage du
suspect avec une bande informatique noire, comme cela se fait en Europe et aux
Etats-Unis.
2.4.1.2.- Sous-section II- De la reforme juridique et
Contrôle de procédure
2.4.1.2.1.- Adaptation des lois à la
réalité
Malgré son caractère illégal, certains
critiques reconnaissent pourtant l'importance que peut avoir une méthode
de dissuasion contre les criminels. Le taux d'insécurité, les
faiblesses techniques de la PNH, les dérives sociales et la situation de
pauvreté sont autant de facteurs qui ont tendance à influencer
une croissance de la criminalité, par conséquent, rendent
nécessaire l'application de mesures adéquates. L'impératif
pour que toutes les actions de l'État soient légitimes et
légales nous fait penser à une proposition d'ajustement du Code
pénal à certaines réalités actuelles. Vieux de 184
ans92, le Code pénal haïtien n'est
plus en mesure d'accompagner de façon efficace la société
haïtienne dans les différentes mutations sociales. Ces dispositions
étant obsolètes, ne peuvent plus cerner, dans toute leur
dimension, les nouvelles exigences du fonctionnement de la
société. Il est plus qu'urgent que nos lois s'approchent du
vécu quotidien de la population. Dans le rapport de 2007 de ladite
organisation, nous pouvions déjà lire des critiques qui vont dans
le sens d'un éventuel ajustement du droit pénal haïtien,
basé sur le système romano-germanique, vers le système
Common Law Britannique. Ainsi, ont-ils écrits :
Le Code d'instruction criminelle ne prévoit pas la
négociation de peine. Ceci présente un défi pour les
systèmes de droit civil partout dans le monde puisque cette tradition
juridique ne conçoit pas que la justice soit rendue selon des
mécanismes de procédure négociés entre les parties.
Traditionnellement, la reconnaissance de culpabilité (le plaider
coupable) n'existe pas étant donné
92-International Crisis Group, Garantir la
sécurité en Haïti : reformer la justice, Update
Briefing Amérique latine/caraïbes N027,
Port-au-Prince/Bogota/Bruxelles, 27 octobre 2011. Nous pensons qu'il faut
ajouter cinq (5) sur le nombre d'année du code pénal pour
déterminer son âge en 2016. Car, les 184 concernent l'année
2011.
93-Id.,, Haïti : réforme de la
justice et crise de la sécurité, Briefing Amérique
latine/Caraïbes N°14, 31 janvier 2007, p.5.
74
que ce sont les juges qui déterminent la
culpabilité ou l'innocence de l'accusé, indépendamment de
la position des parties. Néanmoins, presque tous les systèmes de
droit civil ont dû imaginer des moyens d'admettre la négociation
de peine afin de s'adapter aux réalités modernes d'une
criminalité croissante et de faire face aux retards accumulés
dans les tribunaux93.
Ainsi, avons-nous jugé nécessaire de proposer
que le Code de Procédure Pénal en cours de préparation
puisse prendre en compte certaines réalités dans les rapports
sociaux dans l'Haïti du 21ème siècle. Il est
important de cerner les évolutions existant dans les modes de
procéder des délinquants aussi bien que ceux des forces de
l'ordre.
2.4.1.2.2.- Contrôle de la
procédure
Le contrôle des informations liées à une
enquête judiciaire traduit en grande partie le caractère secret de
l'instruction. On se rappelle que la procédure pénale a
l'obligation juridico-morale de jongler entre l'intérêt de
l'accusé « obligation de ne pas punir un innocent
» et celle de sauvegarder l'intérêt de la
société « obligation d'efficacité, d'apaiser
la société ».C'est ainsi que le système a
adopté une procédure mixte, conciliant du coup les
procédures accusatoire et inquisitoire. Pour cela, il importe de
s'assurer d'abord d'une possible culpabilité d'une personne avant de
l'infliger un traitement qui aurait l'air d'une peine en rétribution. De
ce fait, il importe que les autorités policières prennent des
mesures adéquates pour maintenir sous contrôle les sites
d'interventions. De faire en sorte qu'aucune information qui pourrait
être préjudiciable à l'enquête ne soit rendue
publique de manière hâtive. Ainsi, on désignera un
responsable qui aura à informer le grand public via les organes de
presse.
SECTION 2- RECOURS À EXERCER PAR LES VICTIMES CONTRE
CETTE FAILLE DE PROCÉDURE
En effet, la violation du principe de la présomption
d'innocence et du droit à la défense, ayant été
légalement établie à la lumière des instruments
juridiques nationaux et internationaux, font désormais partie de la
procédure pénale haïtienne. Il importe maintenant d'analyser
les voies de recours disponibles aux victimes de l'émission
conformément à l'article 25 de la CADH relatif à la
protection judiciaire. Parmi les nombreux recours qui sont disponibles aux
victimes de ces actes de violation, nous allons considérer dans le cadre
de ce travail quelques unes qui
94-Article 4.- La Police
nationale, distincte et séparée des forces armées,
relève du Ministère de la Justice et est placée sous
l'autorité du titulaire de ce Ministère. Les membres de la Police
nationale ont le statut civil.
75
répondent au mieux à la problématique
traitée. Il s'agira entre autre des procédures par devant les
instances nationales et des procédures par devant les instances
internationales.
2.4.2.1.- Sous-section I- Recours par devant les
instances nationales
2.4.2.1.1.- Action civile en réparation de
dommages causés
Considérant que le droit du suspect d'être
présumé innocent et de bénéficier le traitement
correspondant à son statut ait été violé, cela lui
a causé des préjudices ouvrant ainsi la voie à une action
en justice. A cet effet, la constitution de la République d'Haïti
de 1987 amendée affirme le bien fondé d'une éventuelle
démarche en son article 27, elle avance : « Toutes violations
des dispositions relatives à la liberté individuelle sont des
actes arbitraires. Les personnes lésées peuvent, sans
autorisation préalable, se référer aux tribunaux
compétents pour poursuivre les auteurs et les exécuteurs de ces
actes arbitraires, quelles que soient leurs qualités et à quelque
corps qu'ils appartiennent ».
En termes d'éclaircissement, l'article 1168 du Code
Civil Haïtien (CCH) précise que : « Tout fait quelconque
de l'homme causant préjudice à autrui, oblige celui par la faute
duquel il est arrivé à le réparer». De ce point
de vue, nous pouvons sciemment évoquer la responsabilité de
l'État qui agit via le pouvoir exécutif. Nous faisons cette
considération pourvu que la Police Nationale d'Haïti soit une
institution qui relève du ministère de la Justice,
conformément à l'article 494 de la loi portant
création de la PNH.
Nous l'avions vu précédemment, l'acte que pose
la PNH peut être imputé à l'institution aussi bien qu'aux
agents qui y sont impliqués. Toujours dans ce même ordre
d'idée la constitution, en son article 27-1 renchérit en ces
termes : « Les fonctionnaires et les employés de l'État
sont directement responsables selon les lois pénales, civiles et
administratives des actes accomplis en violations de droits ». Dans ce
cas, la responsabilité s'étend aussi à l'État.
Sur ce point, la Protectrice du Citoyen Florence Élie avance elle
aussi ses inquiétudes par rapport aux retombées de
l'émission. Le journal Haïti Libre rapporte ses conseils en ces
termes :
Dans le souci d'éviter aux agents de la fonction
publique d'éventuelles poursuites, elle croit opportun de rappeler que,
« lorsqu'un prévenu fait des aveux publics, officiellement à
la télévision, lors d'une arrestation par la Police dans le cadre
d'une enquête ou d'une instruction, des actions en réparation des
dommages subis, peuvent être engagées contre les personnes
76
physiques ou morales impliquées, aux termes des
articles 27 et 27-1 de la Constitution de 1987[95]».
Donc, dans une logique d'État de Droit, nul n'est au
dessus de la loi. Par conséquent, le suspect est en droit d'intenter une
action en justice en réparation des préjudices subis pour
violation de son droit d'être présumé innocent et
d'être traité comme tel.
2.4.2.1.2.- Recours à l'Office de Protection
du Citoyen (OPC)
L'Office de Protection du Citoyen est une institution de
l'État placée exclusivement pour veiller au respect des droits
des citoyens. Cette mission se précise à l'article 3 de la Loi
portant organisation et fonctionnement de ladite institution, il est
mentionné que :
1.- L'OPC est une institution nationale de Promotion et
de Protection des droits humains tels qu'entendu par les principes de
Paris.
2.- Il a pour mission de veiller au respect par
l'État de ses engagements en matière de droits humains, notamment
ceux contractés au niveau régional et international.
3.- Il protège tout individu contre toutes les
formes d'abus de l'Administration publique.
2.4.2.1.2.1.- Attributions de l'Office de Protection du
Citoyen (OPC)
Les attributions de l'OPC sont multiples, nous tenons à
présenter ici, conformément à l'article 6 de ladite Loi,
trois d'entre elles que nous estimons se rapportant le plus à la
problématique traitée dans le cadre de notre travail :
a.- la protection des individus lésés par les
actions de l'Administration publique ;
b.- intervenir de sa propre initiative ou à la
demande de tout individu ou groupe d'individus, chaque fois qu'il a des motifs
de croire qu'un individu ou groupe d'individus a été
lésé ou peut vraisemblablement l'être, par un acte, une
omission ou ne négligence de l'Administration publique ou
cautionné par celle-ci
c.- enquêter sur tout abus, notamment les
violations des droits humains, commis ou susceptible d'être commis par
l'Administration publique ou cautionné par celle-ci.
95-www.haitilibre.com,
05/05/2014, 12 :32 :44, Loc. Cit.
77
2.4.2.1.2.2.- Procédure devant l'Office de
Protection du Citoyen (OPC)
Cet organisme étatique d'accompagnement des citoyens
présente une certaine accessibilité s'agissant de sa
mobilisation. L'article 28 de la présente Loi trace la procédure
de la saisine de l'OPC. Elle peut se faire par plainte :
1.- Sous réserve de l'article 30 ci-après,
tout individu ou groupe d'individus qui s'estime lésé par un abus
peut saisir d'une plainte l'OPC.
2.- La plainte est personnelle, elle peut
néanmoins être effectuée par un membre de la famille, un
ayant droit ou tout individu ou organisme mandaté à cet effet ou
ayant autorité pour ce faire. Cependant, les mandataires
rémunérés ne sont pas autorisés.
L'article 31 de son côté traite de l'auto-saisine de
l'OPC.
1.- L'OPC a le droit d'intervenir d'office et de sa
propre initiative lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire qu'un individu
ou un groupe d'individus a été lésé ou peut
l'être vraisemblablement par un acte, une omission ou une
négligence de l'Administration publique ou cautionné par
celle-ci.
2.- Lorsqu'il se saisit lui-même d'une question se
rapportant à un abus de l'Administration publique à
l'égard d'un individu ou d'un groupe d'individus, l'OPC mène une
enquête et, le cas échéant, formule des recommandations
appropriées à l'Administration.
2.4.2.1.3.- Recours en Habeas Corpus par devant le
Tribunal de Première Instance (TPI)
En réponse à cette violation, le suspect victime
peut également recourir à une procédure visant à
vérifier la légalité de son arrestation. Le recours en
Habeas corpus a été initié dans des instruments juridiques
internationaux, notamment, la Convention Américaine des Droits de
l'Homme, paragraphe 6 de l'article 7 : « Toute personne privée
de sa liberté a le droit d'introduire un recours devant un juge ou un
tribunal compétent pour voir celui-ci statuer sans délai sur la
légalité de son arrestation ou de sa détention
et ordonner sa libération si l'arrestation ou la
détention est illégale.»
Étymologiquement, l'expression « Habeas corpus
» a le sens : « que tu aies ton corps » ; sous-entendu : ad
subjiciendum et recipiendum pour le produire devant le tribunal. Elle
énonce une liberté fondamentale, celle de ne pas être
emprisonné sans jugement. En vertu de ce principe,
Le premier texte ratifié par Haïti le 06
février 1991, reconnait dans son article 9 paragraphe 4 le droit pour
toute personne qui se trouve privée de liberté par arrestation
ou
78
toute personne arrêtée a le droit de savoir
pourquoi elle est arrêtée et de quoi elle est accusée.
Ainsi, Wando SAINT-VILLIER dans un article paru dans le nouvelliste en date du
21 avril 2015 argumente en ces termes :
Dans les États démocratiques où se
prévaut la prééminence du droit, la liberté
individuelle est protégée contre l'arbitraire des
autorités étatiques. Les personnes qui s'estiment victimes
d'arrestation ou de détention illégale se voient reconnaitre le
droit de saisir une juridiction compétente, pour lui demander de se
prononcer sur la conformité (ou non) de l'arrestation (ou de la
détention) à la législation en vigueur. Cette
procédure de protection est connue sous le nom de « recours en
habeas corpus ». Un recours remplissant la même fonction existe dans
plusieurs pays sous des appellations différentes : exhibition
personnelle, amparo, habeas data, segurança.
Dans la législation haïtienne, le recours en
Habeas corpus trouve son fondement juridique non seulement dans la constitution
de la République d'Haïti de 1987 amendée, articles 26, 26.1
et 26.2, mais également dans des instruments juridiques internationaux
signés et ratifiés par Haïti. Nous citons à titre
d'exemple :
a. Le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques adopté à New-York par l'Assemblée
générale de l'Organisation des Nations unies dans sa
résolution 2200A (XXI) du 16 décembre 1966, ratifié par le
parlement haïtien le 06 février 1991
b. La convention américaine relative aux droits de
l'homme adoptée à San José, le 22 novembre 1969, à
la Conférence spécialisée interaméricaine sur les
droits de l'homme de l'Organisation des États américains,
ratifiée par Haïti le 18 août 1979.
En développant de manière séparée
les deux groupes de textes, nous allons voir qu'il n'y a pas vraiment une
grande différence entre eux. Pour ce qui est de la constitution,
l'article est libellé comme suit : « Nul ne peut être
maintenu en détention s'il n'a comparu dans les quarante-huit (48)
heures qui suivent son arrestation par-devant un juge appelé à
statuer sur la légalité de l'arrestation, et si ce juge n'a
confirmé la détention par décision motivée.
»
Pour mieux cerner l'application de cet article dans le
présent contexte, nous allons le faire à la lumière de
deux autres textes. Celui de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme, notamment celui s'inscrivant dans le Pacte international relatif aux
droits civils et politiques et La convention américaine relative aux
droits de l'homme adoptée à San José, le 22 novembre
1969.
Les recours aux instances internationales sont faits
respectivement à la Commission Interaméricaine des Droits de
l'Homme CIDH et à la Cour Interaméricaine des Droits de
79
détention d'introduire un recours devant un tribunal,
afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa
détention et ordonne sa libération, si la détention est
illégale. Dans notre cas d'étude, il est déjà
prouvé que la publication hâtive de l'image et de
l'identité du suspect constitue une violation du principe de la
présomption d'innocence qui, normalement devait jouer en faveur de ce
dernier, l'habilitant ainsi à se défendre conformément aux
garanties stipulées au 2ème paragraphe de l'article 8 de la
Convention Américaine des Droits de l'Homme.
Le second texte est relatif à ladite convention
adoptée à San José le 22 novembre 1969 à la
Conférence spécialisée interaméricaine sur les
droits de l'homme de l'Organisation des États américains.
Celui-ci a été ratifiée par Haïti le 18 août
1979, prévoit en son article 7 paragraphe 6 que : « Toute
personne privée de sa liberté a le droit d'introduire un recours
devant un juge ou un tribunal compétent pour voir celui-ci statuer sans
délai sur la légalité de son arrestation ou de sa
détention et ordonner sa libération si l'arrestation ou la
détention est illégale f...]».
A la lumière de ces deux textes, nous avions vu que le
suspect détient le plein droit d'exiger que la légalité de
son arrestation et/ou de sa détention soit analysée par devant un
tribunal, avant même de statuer sur le fond du fait à lui
reproché.
2.4.2.2.- Sous-section II- Recours par devant les
instances internationales
Mise à part les instances nationales, il existe
également assez de provisions légales dans les instruments
juridiques internationaux au profit des victimes qui voudraient intenter une
action contre l'État, pour violation de leurs droits. Car, le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, article 2 paragraphe 3
au point(a) il est stipulé : [...] garantir que toute personne dont
les droits et libertés reconnus dans le présent Pacte auront
été violés disposera d'un recours utile. Ainsi
l'article 44 de la Convention Américaine des Droits de l'Homme stipule
que : « Toute personne ou groupe de personnes, toute entité non
gouvernementale et légalement reconnue dans un ou plusieurs Etats
membres de l'Organisation peuvent soumettre à la Commission des
pétitions contenant des dénonciations ou plaintes relatives
à une violation de la présente Convention par un Etat
partie.»
80
l'Homme (CrIDH). En effet, Créée en 1959 par
l'OEA, la CIDH siège96 à Washington. Elle constitue,
avec la Cour Interaméricaine des Droits de l'Homme (CrIDH), le
Système Interaméricain des Droits de l'Homme (SIDH). Elle se
compose de sept (7) membres, ne pas représenter leur pays d'origine dans
une instance engageant ledit État, la Commission promet une certaine
impartialité dans ses décisions. La CIDH réalise ses
taches en s'appuyant sur trois axes de travail : le système de
pétition individuelle, le suivi de la situation des droits de la
personne dans les États membres et l'attention portée aux lignes
thématiques prioritaires.
Depuis sa première réunion en
1960[97], elle compte à son actif plus de 92 visites dans 23
pays membres. En décembre 2011, la commission avait reçu
plusieurs dizaines de milliers de pétitions, qui ont données lieu
à 19 423[98] affaires traitées et en cours de
traitement. La procédure de recours par devant la CIDH peut se faire par
deux façons : par pétition et par enquête moyennant que
toutes les voies de recours internes aient été dûment
épuisées ; que la pétition soit introduite dans les six
mois de la date de la violation ; que l'objet de la pétition ne soit pas
en étude devant une autre instance internationale conformément
aux articles 44 à 51 de la CADH. Son travail est pourtant
préalable à celui de la CrIDH. Pour sa part, la Cour
Interaméricaine des Droits de l'Homme (CrIDH), deuxième organe du
SIDH, a été créée en 1979. Ses deux fonctions
principales sont donc d'arbitrage et de conseils. Elle comporte
également sept (7) juges qui, contrairement à la CIDH, peuvent
être représentant de leur État d'origine dans une affaire
le concernant (alinéa 1er, 2 et 3 de l'art. 55 de la
CADH).
Donc, face à la possibilité de passer outre des
engagements pris, il importe de mettre à la disposition des parties des
moyens de recours pour pallier les torts que peut causer le non respect de ces
engagements. A ce titre, l'article 2, paragraphe 1 du Pacte relatif aux Droits
Civils et Politiques : Les États parties au présent Pacte
s'engagent à respecter et à garantir à tous les individus
se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les
droits reconnus dans le présent Pacte f...], est une garantie
extrêmement intéressante faite aux personnes victimes de violation
de leurs droits.
96- Commission
Interaméricaine des Droits de l'Homme, 1889 F ST., N.W., Washington,
D.C., États-Unis 20006, courriel : cidhoea@
oas.org, Téléphone :
(202) 370-9000, Télécopie : (202) 458-3992
97-www.oas.org/ bref historique du système
interaméricain des droits de la personne, site consulté, 30 mars
2016, 9h 25
98 - Idem.
CONCLUSION
Parmi ses différentes missions, la justice reste et
demeure l'une des dettes les plus nobles de l'État. Fonction
régalienne, elle se doit d'être exercée en toute
impartialité et équité. Quand dans une
société les institutions se révèlent faibles, les
citoyens ont recours à leurs propres méthodes qui, parfois, ne
traduisent pas vraiment l'idée de justice. C'est d'ailleurs, l'une des
raisons pour lesquelles l'homme est passé de l'état de nature,
à celui de la société. Il voulait corriger le fait que,
dans l'état de nature, chacun était juge de sa propre cause.
C'est-a-dire, chacun pouvait se faire justice, faire prévaloir ses
droits aux dépens de celui qui les a violés.
En effet, nous avons constaté que la Police Nationale
d'Haïti heurte, par son action de publier l'image et l'identité des
suspects à travers les medias, le principe de la présomption
d'innocence et le droit à la défense. Cette violation concerne
des articles de la Convention Américaine des Droits de l'Homme (CADH),
de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH), de la
Constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée et du
Code de l'Instruction Criminelle (C.I.C). A ce propos, on se
réfère aux dispositions des paragraphes c, d, et g du
2ème alinéa de l'article 8 de la CADH, relatif aux
Garanties judiciaires, premier alinéa de la DUDH de l'article 11, les
articles 25 et 25-1 de la Constitution de la République d'Haïti de
1987 amendée relatif aux droits de la défense, aussi bien que le
C.I.C. en ses articles 8 et 9 relatifs à la détermination des
rôles de poursuite et de jugement.
Pendant un certain temps le problème a
été ralenti, peut-être, par les diverses
dénonciations des organismes de défenses des droits humains. Mais
étant donné sa résurgence, nous avons estimé urgent
de poser la question dans une dimension plus étendue, d'en expliquer
83
l'écart, afin que les victimes aussi bien que la
société soient conscientes des causes et des conséquences
qui peuvent en découler. On a eu raison de penser que cette pratique
pourrait perdurer telle qu'elle est au sein de notre société,
pourvu que les autorités policières l'aient estimée
adéquate au problème d'insécurité auquel la
société est confrontée. Nous avions voulu montrer que
l'État reste et demeure, comme a dit Jean Jacques ROUSSEAU, une fiction
créée par la volonté de ses propres membres, ce, dans
l'objectif de protéger leurs droits fondamentaux.
Ainsi, en Haïti, l'absence d'un système de gestion
des affaires uniforme et simplifié pose des difficultés
supplémentaires pour le fonctionnement de la Justice. L'International
Crisis Group nous rapporte que ni les forces de l'ordre ni la population en
général ne considèrent le procès comme un
mécanisme capable d'assurer que les auteurs de crimes graves
répondent de leurs actes. Par conséquent, cela encourage les
exécutions extrajudiciaires par la PNH ainsi que la justice populaire
par le phénomène de lynchage.
En effet, c'est dans cette perspective que nous avions
considéré l'émission« allo la police »
comme l'un de ces actes qui s'exécutent en dehors de la procédure
tracée par la constitution et par les lois haïtiennes,
conformément aux articles 17, 18, 19 et 20 de la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme. Nous venons de le prouver, les
conséquences découlant de cette émission sont nombreuses.
Mise à part la violation du principe de la présomption
d'innocence et du droit à la défense, il existe tant d'autres
implications sur le système.
Néanmoins, l'émission
télévisée constitue une remise en question des efforts
jusque là consentis vers l'instauration d'un État de Droit en
Haïti. Cette démarche de la PNH fait passer le suspect pour
coupable sans que celui-ci n'ait été préalablement
présenté devant son juge naturel, comme le veut la loi. En plus,
on a constaté que le suspecta été forcé non
seulement de répondre à des questions en absence de son avocat,
mais également de témoigner contre lui-même.
Nous avions démontré que cela aurait eu comme
origine, non seulement le souci d'exposer aux yeux de la population les efforts
de la PNH en matière de combat contre l'insécurité, mais
également, une influence des procédures du système
«Common Law» sur le système pénal haïtien. En
effet, les conséquences qui en découlent sont multiples, il
convient de considérer l'affaiblissement du système judiciaire
haïtien, en sens qu'elle la pousse à outrepasser
84
certains principes fondamentaux. Ceci expose le pays aux
sanctions internationales qui pourraient émanées des plaintes
éventuelles des victimes du préjudice réduisant ainsi les
chances que celle-ci soit disculpée des accusations portées
contre lui.
Dans le cadre de ce travail, nous avions choisi d'analyser une
de ces violations. Le constat à ce sujet s'est
révélé accablant, en sens que notre cas d'étude,
l'affaire Stanley LAFLEUR, nous a fait voir de nombreuses violations tant au
regard de la victime que sur l'appareil judiciaire lui-même. Les suspects
ont été interrogé seuls, en absence de leur avocat, les
juges sont pris d'assaut dans leurs travaux d'instruction et de jugement.
Tandis que le point « g » de l'article 8 de la DUDH et l'article 25-1
de la Constitution de la République d'Haïti de 1987 amendée
en disent le contraire. Agissant ainsi, l'État s'est montré
contradictoire en lui-même par rapport aux grands débats de
philosophie politique relatifs au respect des droits humains et ses propres
engagements juridiques internationaux en la matière. Il fallait
comprendre quel devait être la priorité de l'État en ce qui
a trait au moyen d'aborder les intérêts de la
société. Sur le plan de la philosophie politique, doit-il
respecter la liberté individuelle, tendance du monde actuel et condition
sine qua non pour parler de l'État de Droit. Ou encore, devrait-il
établir une certaine limite dans les actions individuelles, exigence du
monde moderne face aux divers paradigmes de protection de la
société en proie à une jouissance excessive d'un
libéralisme socio-économique et du phénomène
terroriste, théorie utilitariste.
Vers la compréhension de la philosophie à
adopter par l'État, il convenait de faire la part des choses en
considérant certains éléments de références
en matière philosophique. Ce parallélisme nous a permis de mieux
classer les différents engagements de l'État haïtien en
matière de respect des droits humains, plus particulièrement, les
conventions et traités ratifiés par Haïti et les
mécanismes de protection les accompagnant par rapport à la
philosophie qui les guide.
Nous avons montré l'effectivité de la violation
de l'État haïtien par l'institution policière et les
différentes implications que cet acte a sur le système
pénal haïtien. Bref, la preuve que la publication de l'image des
suspects constitue non seulement une violation des principes de la
présomption d'innocence, mais également d'autres principes de la
procédure pénale.
85
En comparant les textes et la réalité du
terrain, ce travail nous a permis de mettre en exergue la difficile
interprétation des rôles entre les autorités
policières et les autorités judiciaires. Les premières qui
s'efforcent d'exhiber leurs efforts aux yeux de la population et les secondes,
auxquelles incombent l'obligation juridico-morale de jongler entre
l'intérêt de l'accusé « obligation de ne pas punir
un innocent » et celle de sauvegarder l'intérêt de la
société « obligation d'efficacité, d'apaiser et
de rassurer la société ».
En revanche, nous avions pensé qu'il est
impératif d'éviter cette faille dans le système
pénal haïtien. Nous avions pour ainsi mis en évidence :
d'une part, la nécessité que le Code Pénal puisse non
seulement incriminer la publication hâtive de l'image et de
l'identité d'un suspect, mais également, que le Code de
Procédure Pénale en cours de préparation puisse tenir
compte d'une meilleure conciliation de la mixité des pratiques
policières et des règles de procédure en matière
criminelle. D'autre part ; que les victimes puissent savoir qu'elles peuvent
exiger réparation de l'État en cas de violation de leurs droits.
Car, sur le plan philosophique, l'État [l'ordre public] a
été conçu et perçu comme garant des droits de ces
ressortissants, et non comme structure qui les viole systématiquement.
Par ailleurs, en dehors des retombées négatives qu'emporte
l'émission, nous reconnaissons sa valeur dissuasive dans une conjoncture
si difficile dans laquelle nous nous trouvons en Haïti actuellement.
Néanmoins, l'absence d'un texte de loi incriminant le
fait, nous empêche de parler d'infraction commise par la PNH, encore
moins de peine affligée au suspect. Car, la loi pénale
étant d'application stricte et l'adage en matière pénale
n'en demeure pas confus quant à affirmer : « nullum crimen, nulla
poena, sine lege ».On se garde également de parler de peine
infamante, même si l'acte emporte certaines conséquences de ce
genre. En effet, nous pouvons seulement déduire que l'émission
est une violation systématique de la procédure pénale en
Haïti, elle trahit du coup les efforts liés à l'instauration
d'un État de droit. Car, cet idéal de gouvernance suppose la
soumission de toute entité, y compris l'État lui-même, sous
l'égide de la loi. Or, la PNH étant une institution de
l'État, ne peut en aucun cas marchander sa soumission aux lois du
pays.
Nous reconnaissons cependant la situation difficile que
confrontent les États pour rester dans le strict respect de leur propre
cadre juridique interne. Dans la logique de globalisation du monde actuel, les
frontières socioéconomiques et culturelles entre les États
tendent de plus en
86
plus à s'écarter. Il est institué
dorénavant des institutions dont les sphères de
compétences vont au-delà des frontières respectives des
États. Donc, les habitudes, les coutumes, les moeurs et les valeurs
s'entremêlent autant que les populations des États
s'échangent et se mélangent. Cela engendre comme
conséquence une nécessité d'harmonisation des
comportements et des rapports entre les individus, la refonte des lois
régissant ces rapports aussi bien que la combinaison de politiques
tendant à un partage de responsabilité entre les États en
vue de combattre des problèmes communs en matière de Droit et de
sécurité.
Dans la pratique des relations internationales, les sujets de
droit internationaux s'engagent souvent par la signature des accords, des
conventions ou des traités. Ces instruments juridiques internationaux,
une fois signés et ratifiés, entrent dans le corpus juridique de
l'État signataire, partie à la convention. Ainsi, notre pays
Haïti s'est engagé maintes fois avec d'autres pays à
respecter des engagements pris lors des grands sommets. L'exigence d'incorporer
les textes dans la législation interne, aussi bien que celle commandant
les États la stricte application de ces traités constituent,
à notre sens, une démarche à double importance.
En tout premier lieu, elle prend en compte le respect d'un
principe fondamental visant à protéger le consensus
préalable et fondateur de la société, celui du contrat
social dont parle Jean Jacques Rousseau et qui est évoqué plus
haut. Des êtres libres ont consenti de créer une structure afin de
pouvoir contrôler l'exercice des droits individuels reconnus à
chacun, pour empêcher l'arbitraire. En second lieu, cette harmonisation
des traitements qui sont accordés aux individus tend également
à garantir la protection des droits des étrangers. En somme, les
coutumes, moeurs et croyances sont considérées comme
thèmes de référence aux comportements humains, le
fondement des valeurs, aussi bien qu'un élément de mesure du
niveau d'éthique de leurs actions. Il arrive fort souvent que les
systèmes de valeur diffère d'une région à l'autre,
cela rend de plus en plus difficile le respect des droits humains, s'agissant
des individus qui n'ont pas été soumis aux systèmes en
question et, sont donc plus enclin à violer ces droits en croyant agir
dans le bon sens. Ainsi, l'harmonie que veulent jouir les États se
traduit par des engagements qu'ils contractent en signant des traités
qu'ils se promettent mutuellement de respecter. Parmi ces nombreux instruments
juridiques signés et ratifiés par les États, nous tenons
à rappeler que ceux relatifs aux respects des droits humains
revêtent un caractère d'ordre public international et universel.
Ce caractère renforce leur nature et les place au dessus de tout
prétexte politique des
87
États. En ce qui a trait à l'adhésion
à ces Conventions, les États peuvent consentir non seulement
à conclure un traité par une simple signature, mais
également sont obligés dans certains cas à leur
ratification, parfois sans émettre de réserves, selon les
procédures de la législation interne exigée en la
matière. Pour ce qui est du Pacte relatif aux droits civils et
politiques nous avions vu qu'il est d'application directe dans l'ordre
juridique interne, par conséquent, capable de mobiliser tout le
système au profit du bénéficiaire des prérogatives
qui en résultent.
Ainsi, en tant que chef de l'État, le président
Jocelerme PRIVERT a fait mention de la nécessaire collaboration qui doit
exister entre les différentes institutions républicaines, il a
dit dans son discours d'investiture : « La police ne peut
être prédatrice des droits et libertés
». La question qui se pose maintenant est de savoir comment
se tenir entre les réclamations grandissantes en matière de
libertés individuelles, appuyées par la communauté
internationale, d'une part. D'autre part, le souci constant de protéger
les intérêts de la société, de sauvegarder
l'harmonie au sein de la société, logique même de
l'idée du contrat social. Il convient alors de ne pas perdre de vue dans
nos réflexions, la mission originelle de l'État. Pourquoi des
êtres libres, évoluant à l'état de nature ont-ils
éprouvé le besoin de se joindre, d'agréger leurs
intérêts et de conjuguer leurs efforts pour créer une
structure qui soit au dessus des intérêts individuels, tout en
voulant les protéger du même coup ? Quel devrait-être le
comportement de cette structure dont la mission serait de répondre aux
aspirations plurielles de ses membres ? Toutes les actions de l'État se
doivent d'être empruntées, non seulement de la
légalité, mais également et surtout de la
légitimité. Cette caractéristique qui se veut le fondement
sociopolitique des actions étatiques donne l'idée de justice et
conforte les membres de la société dans leur rapport avec leur
semblable. Espérons que dans notre cas, l'État trouve un moyen de
concilier le respect strict et scrupuleux des libertés individuelles et
l'efficacité dans ses efforts à administrer la justice et
à garantir la sécurité publique. Car, comme dit Emmanuel
KANT : « Le droit doit être tenu pour sacré à
l'homme, quelque grands sacrifices que cela puisse coûter à la
puissance qui gouverne. » Nous pensons que c'est à ce prix que
la société sera juste et harmonieuse.
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