UNIVERSITÉ DE PARIS 8 - VINCENNES-SAINT DENIS
UFR Textes et sociétés
Département de Littérature Française et
Francophone
Mémoire de MASTER 1
Littérature Française et Francophone
LE PARADOXE DE L'ERRANCE DANS « ETOILE ERRANTE
»
DE JMG LE CLÉZIO
Présenté par: MUELAS HURTADO Martha Isabel N°
Étudiant : 264168
Sous la direction de : Mme Françoise Simasotchi
Bronès
1
Année universitaire 2012-2013
2
TABLE DES MATIÈRES
Introduction .. 3
PREMIERE PARTIE
Représentation de l'errance comme
thématique littéraire dans Etoile errante
Déambulations 16
Les non-lieux : la route et le camp 18
Le camp de Nour Chams 20
Eléments de l'errance 22
Esther et Nejma : figures métaphores 24
DEUXIEME PARTIE
Quelques modalités de l'écriture de
l'errance chez Le Clézio
Discours paratopiques 32
Récit 35
Le Mythe de l'origine ..37
Fragmentation et subjectivité 40
TROISIEME PARTIE
Etoile errante : perspectives postcoloniales
de l'errance leclézienne
Une écriture de l'altérité : Le conflit
judéo-palestinien . 44
La question identitaire 49
L'errance et les enjeux de l'interculturalité 57
Une poétique de la Relation ? 64
Conclusion 66
Bibliographie . 70
3
INTRODUCTION
Jean Marie Gustave Le Clézio, prix Nobel de
Littérature 2008, avec une production littéraire remarquable, a
consacré une grande partie de son oeuvre au développement d'une
écriture contemporaine. Une oeuvre marquée par une tendance qui
ne peut pas s'inclure dans le Nouveau Roman, mais qui prend quelques traits des
différents mouvements littéraires du XX siècle. Le
procès-verbal, Désert, Le Déluge,
La quarantaine, Etoile errante parmi d'autres illustrent
très bien cette rupture d'une classification de ses ouvrages. Ainsi,
l'écrivain devient un auteur « déroutant » qui ne se
laisse pas classifier et qui lui-même préfère être
inclassable tout en soulignant que « l'équilibre est facile
à détruire 1». L'attribution du prix Nobel de
littérature en 2008 a été l'occasion pour Le Clézio
d'exprimer dans son discours de Stockholm les réflexions qui
élucident sa création littéraire et qui sont
profondément marquées par les paradoxes. L'écrivain
intitule son texte d'allocution : La forêt des paradoxes, titre
qui nous renvoie à Stig Dagerman selon lequel le geste scriptural
s'inscrit dans une série de paradoxes qu'il nomme « forêt
» et qui expliquent le rôle de l'écrivain pour impulser la
parole littéraire au sein du champ social et politique. Dans ces termes,
Le Clézio met en perspective une articulation entre éthique et
esthétique propres à l'écriture qu'il prône «
écrire pour ceux qui ont faim » et qui pose la question de
l'ambigüité entre le monde romanesque et le réel. La «
foret des paradoxes » devient sa trace concrète sur le papier pour
démontrer cette possible confrontation entre le discours romanesque et
le monde extérieur, une trace qui cherche à «
récréer » pour ne pas « fuir » ce monde qui semble
se déchirer entre guerres, faim et ignorance.
Jean-Marie Gustave Le Clézio, plus connu sous la
signature J. M. G. Le Clézio, est né le 13 avril 1940 à
Nice, est un écrivain de langue française de nationalités
française et mauricienne. Le Clézio est né au sein d'une
famille européenne installée à l'Ile Maurice et
baignée par le climat de la guerre d'Algérie et de la Seconde
Guerre mondiale. Cette dichotomie entre sa terre natale et la France l'a
toujours accompagné pendant sa vie et fera de lui « un
créole jusque dans son esprit de révolte, son indignation devant
l'exploitation coloniale, son rejet de la barbarie industrielle, mais aussi
dans son attrait pour la mer, la lumière et les espaces toujours du
rêve2 ». Le Clézio a commencé à
écrire ses premiers récits
1 Voir Amar, Ruth, L'évolution thématique
leclézienne : paradoxes ou mutations ? Dans Thibaut, B et Moser
Keith, (sous la dir), JMG Le Clézio. Dans la forêt des
paradoxes, L'Harmattan : Paris, 2012, p : 203
2 Jean, Onimus, Pour lire Le Clézio, Presses
Universitaire Françaises : Paris, 1994, P : 12
4
à l'âge de sept ans. Cependant, grâce aux
voyages et à sa formation en littérature, il se consacrera
à l'écriture durant toute sa vie. Sa vision de la
société de son époque et la richesse de sa narration
offrent une lecture pleine de symboles et de significations profondément
marquée par sa conception de « l'écriture à
l'état brut 3». Au milieu des années 1980, Le
Clézio commence à aborder au sein de ses oeuvres des
thèmes plus personnels, en particulier à travers
l'évocation de la famille. Ses intrigues et personnages s'inspirent de
ses proches. Alexis, le narrateur du Chercheur d'or (1985), est ainsi
inspiré à l'auteur par son grand-père Léon, auquel
le roman est dédié, et qui habite également le
récit Voyage à Rodrigues. Cette tendance se renforce
avec Onitsha, (1991) hommage à l'Afrique de l'enfance de Le
Clézio. Puis, son grand-père est de nouveau au centre d'un
ouvrage avec La Quarantaine (1995). Le penchant autobiographique est
ensuite clairement assumé dans Révolutions, en 2003.
Puis, c'est au tour de la figure du père d'être
célébré dans L'Africain en 2004, avant que Le
Clézio ne s'inspire de sa mère pour le personnage d'Ethel Brun,
dans Ritournelle de la faim. Dans son roman Etoile errante,
il évoque l'exil vécu par les Juifs de Saint
Martin-Vésubie, endroit où il a habité et vécu les
évènements de la Seconde Guerre Mondiale et l'exil Juif.
Dans Etoile errante, roman qui nous intéresse,
Le Clézio récrée une fiction documentée qui cherche
à montrer une représentation du réel à travers une
toile de fond comme l'est la problématique très ancienne du
conflit entre les Juifs et les Palestiniens. Dans ce contexte hostile Esther et
Nejma, les deux personnages principaux de l'histoire, font un bilan de leurs
vies qui servent à montrer les conflits de deux femmes appartenant
à des cultures opposées, qui ressentent les mêmes
angoisses. La société les a mises dans un milieu hostile et
indifférent dont elles doivent se sortir, dans laquelle elles doivent
combattre une errance sans but et sans fin qui leur a été
assignée historiquement. Ce roman le clézien est marqué
pour une profonde conception de l'errance qui se manifeste dans la construction
de ses personnages et l'organisation narrative, errance géographique des
deux femmes mais aussi errance existentielle qui est propre à tout
être humain. Etoile errante est sans doute le récit le
plus historique de Le Clézio. L'auteur choisit d'écrire la
version du point de vue des victimes (les vaincus) il adopte le plan d'ensemble
pour présenter le départ des fugitifs Juifs après la
défaite des Italiens. L'auteur crée une fiction à partir
de l'histoire évènementielle de cette époque pour
recréer l'errance des deux peuples qui sont exclus de la
société et qui cherchent leur territoire pour s'établir et
trouver leur identité. Le cas spécifique du conflit
judéo-
3 Valéry , Paul, , Cahiers, Gallimard,
Pléiade, tome I: Paris, 1973, p. 1016
palestinien permet à l'écrivain de montrer,
dès un second plan, comment le retour des Juifs en Israël
représente l'espoir après la Shoah, mais déclenche
l'exclusion des Palestiniens. Ainsi, d'une manière symbolique, Le
Clézio intitulera son roman Etoile errante en donnant aux
protagonistes ce nom dans leur langue respective : Esther en hébreu et
Nejma en arabe. L'ouvrage d'Etoile errante fait partie d'une dyptique
avec Onitsha, ouvrage qui raconte aussi le long voyage de Fintan, le
protagoniste et où le personnage d'Esther revient dans ce récit.
Esther apparaît aussi comme personnage important et comme
représentante d'une errance physique et mentale en tant que personnage
secondaire. Cependant, l'écrivain la met en relief à travers un
récit et une histoire propres qui lui donnent une
notoriété et une relevance à partir de son cas
particulier, ainsi en lui donnant une vie fictive ce personnage pourrait nous
donner un portrait de l'errance.
Le conflit judéo-palestinien débute
officiellement le 14 mai 1948, jour de la création de l'État
d'Israël, il prolonge le conflit qui opposait depuis les
événements de Nabi Moussa de 1920 les communautés Arabe et
Juive de la région de Palestine, réalité autour de
laquelle l'auteur recrée une histoire fictionnelle qui pose la question
de l'errance géographique de deux peuples. Dans ce sens, la construction
d'une poétique de l'errance qui part d'une question politique nous
semble valable pour cette analyse, de cette manière, on pourrait
réconcilier le propos de Le Clézio entre éthique et
esthétique. Le traitement que donne l'écrivain à la
question politique qui sert de contexte à cette histoire nous permet de
voir sa position avec le réel et de comprendre son projet
d'écriture, Le Clézio est un écrivain de la « non
activité » cela veut dire qu'il ne peut qu'observer, contempler et
rêver car les obstacles qui lui paraissent infranchissables lui
interdisent tout engagement. Cependant, comme lui-même dit : «le
remède à l'instinct de « fuite » ou à la «
guerre » c'est donc d'écrire. Au lieu de fuir, on va recréer
4 » ainsi, l'écrivain arrive à agir d'une certaine
manière pour prendre une position de rejet contre cette
réalité qui est injuste et trompeuse, c'est pourquoi en
créant un monde par l'écriture et l'art, on se réconcilie
avec le réel « plutôt que de se suicider, eh bien, il faut
écrire 5 ». De ce point de vue, l'errance est une
situation qui est profondément attachée à
l'écrivain due à son sentiment d'exil et sa rancune contre cette
société capitaliste qui a obligé son grand-père
à devenir errant, « À cause de ce bannissement, la famille
de mon grand-père perd ses attaches, elle devient errante, sans
terre[...] l'exil loin de la maison natale
4 JMG, Le Clézio. L'Extase matérielle,
Gallimard, « Le Chemin » : Paris, 1967, P : 25
5 Pierre. Lhoste, Conversations avec Le Clézio,
Seghers , 1971
5
6
est[...] le commencement de l'instabilité 6 » .
Cette expérience témoigne en elle-même de l'esprit errant
et nomade de l'écrivain et de la relation de sa vie personnelle et
littéraire. Ainsi, nous remarquons que l'errance le clézienne est
surtout marquée par le départ, mais pas nécessairement par
l'arrivée. Pour lui, partir est exaltant mais arriver est
décevant, d'où cette conviction, peut-être, secrète
qu'on n'arrivera jamais. Pour Le Clézio, c'est qui compte est de partir
et nous amener au-delà de ce que nous croyons voir et ainsi nous faire
errer dans une poétique de l'errance que nous allons traiter dans ce
mémoire.
Le choix d'analyser et interpréter Etoile errante
m'est venu grâce à l'immense intérêt du conflit
judéo-palestinien développé différemment dans ce
récit et pour l'intérêt personnel que j'ai d'analyser cette
thématique si polémique dernièrement. Dans ce
mémoire, nous nous intéresserons à l'exploration d'une
poétique de l'errance dans Etoile errante (1992) de
Jean-Marie-Gustave Le Clézio. Dans le cadre limité de ce
mémoire et sur un sujet aussi complexe, il ne saurait être
question de passer en revue l'ensemble de ces bouleversements et
répercussions. Il ne saurait d'avantage être question de traiter
du problème de l'errance poétique dans le récit le
clézien, il s'agira seulement à partir d'un exemple concret celui
du récit d'Etoile errante d'apporter notre contribution
à un débat qui est loin d'être terminé. La question
alors que nous aborderons pour essayer de trouver une poétique de
l'errance dans ce roman le clézien sera : Comment se construit la
thématique de l'errance dans ce récit le clézien ? Quelles
sont quelques modalités d'écriture de l'errance chez Le
Clézio ? en quoi son
écriture relève-t-elle du postcolonial? Il sera
question de montrer que l'errance que développe Le Clézio rend
compte de ces deux côtés du terme et ce qui nous intéresse
de cette tentative est le champ de re-présentation qu'il crée
pour montrer cette image-figure qui est subjacente aux problématiques
sociales. Onimus a remarqué dans son ouvrage Pour lire Le
Clézio, paru en 1994 que l'errance le clézienne se
caractérise pour ce double fonctionnement du voyage, dont la
première notion négative était récurrente,
où « il s'agissait d'une errance sans but et sans fin, d'une marche
d'aveugle dans des labyrinthes », mais que ce n'était pas la seule
errance que Le Clézio travaillait. En fait, l'écrivain visait
aussi à une errance guidée, « orientée » qui est
attirée vers un but ou généralement vers un
accomplissement rêvé qui « trop souvent n'aboutira pas
». Tout cela avec l'intention de garder l'espoir de celui qui part et que
pour le fait de ne pas trouver aura toujours la conviction de partir à
nouveau « vaut-il mieux ne pas arriver en gardant, à travers
l'échec l'espoir d'un nouveau départ.» Il est important
de
6 Jean, Onimus, Pour lire Le Clézio, Presses
Universitaire Françaises : Paris, 1994, P : 12
7
dire que tous les romans de Le Clézio commencent par un
départ et cela fait écho à cette idée de Propp que
tous les contes commencent par un départ. Cependant, même si
l'aventure paraît commencer avec le départ, la question de l'exode
chez Le Clézio sera présente car ces voyages seront toujours des
voyages graves, dont on ne sait pas vraiment s'il y aura un retour ou qu'en
eux-mêmes ils représentent un retour ou une quête. En
attribuant le prix Nobel de littérature à J-M-G,
l'académie suédoise a souhaité distinguer « un
écrivain de la rupture, de l'aventure poétique et de l'extase
sensuelle » mais aussi « l'explorateur de l'humanité,
au-delà et en-dessous de la civilisation régnante7
» Le Clézio est un écrivain potentiellement «
interculturel » situé entre quatre sphères culturelles comme
le sont le Français, l'Anglais, l'Espagnol, le Créole et les
langues amérindiennes. En ce sens, l'écrivain estime que toute
civilisation a été creusée et travaillée par
l'altérité. La vision de l'écrivain postcolonial cherche
à étendre ce paysage réducteur de la colonisation, en mots
de Sultan « pour exister, ils(les écrivains) doivent se
décentrer, s'affranchir de la domination du centre ou au moins s'opposer
la plus vive résistance, et donc assumer dans leur travail
d'écriture leur part de l'héritage colonial8 ».
Ces deux côtés qui opposent l'oeuvre et l'engagement de
manière paradoxale nous aideront à comprendre le mode d'emploi de
l'écrivain pour parvenir à notre objectif : d'examiner ces
questions et interroger son écriture.
Pour saisir un peu mieux ce motif de l'errance nous allons
parcourir l'origine et l'évolution du terme. Errer possède une
double étymologie, dans une première définition le mot
vient du latin « errare » qui signifie « aller de
côté et d'autre, au hasard, à l'aventure » ; c'est ce
verbe qui, au figuré, signifie s'égarer ; référence
à la pensée qui ne se fixe pas, qui vagabonde. On peut dire
qu'errer signifie alors laisser en toute liberté. Cependant, ce verbe
signifie aussi se tromper, avoir une opinion fausse, s'écarter de la
vérité. Ainsi, dans le passé, l'errant était celui
qui errait contre la foi, c'était le mendiant, l'infidèle, le
pécheur, le vagabond. Ici, l'errance conduit à l'erreur. Le
Littré donne d'ailleurs comme définition d'erreur : « Action
d'errer çà et là. Action d'errer moralement ou
intellectuellement ; état d'esprit qui se trompe ». On parlera
aussi d'errements. Mais ce verbe errer possède aussi une seconde
définition qui se trouve dans l'ancien français et qui signifie
aller, voyager, cheminer, verbe qui était très employé
sous cette forme, venant du bas-latin « iterare »et qui a disparu
avant le XVI siècle,
7 Kéchichian, Patrick, Le Clézio, Nobel de
« la rupture », Le Monde, 11 octobre 2008, p.22
8 Sultan, Patrick, La scène littéraire
postcoloniale, Paris, Éditions Le Manuscrit, collection «
L'esprit des lettres » : 2011, p : 55
8
qui renvoie au chevalier errant, au Juif errant, personnages
que l'on suppose condamnés à voyager incessamment jusqu'à
la fin des temps. Selon Berthet :
L'errance peut s'envisager au moins sous deux aspects.
D'ordinaire, elle est associée au mouvement, souvent à la marche,
à l'idée d'égarement, à l'absence de but. On la
décrit comme une obligation à laquelle on succombe sans trop
savoir pourquoi, qui nous jette hors de nous-même et qui ne mène
nulle part. Elle est échec pour ne pas dire danger. L'errance, toujours
vue sous cet angle, s'accompagne d'incertitude9
Ainsi, la peur d'errer aura toujours un rapport à cette
conception négative d'un comportement déviant qui doit être
guéri. Cependant, Berthet nous dit aussi que «L'errance est la
quête incessante d'un ailleurs ». Du fait de cette quête,
généralement, il n'est pas envisagé de retour en
arrière, c'est-à-dire de retour à l'endroit d'où on
a senti le besoin de partir. Car l'errance relève de la
nécessité intérieure, nécessité de partir,
de porter ses pas plus loin et son existence ailleurs. C'est ainsi, que l'on
parviendra à trouver le meilleur de soi dans l'éloge de
l'imprévu ou à vagabonder dans le pire des cas dû à
« la perte de soi ». Dans les deux sens de l'errance, la
littérature trouvera des vraies sources d'inspiration dans l'histoire,
la mythologie, et la philosophie. Ainsi, sa signification et son imaginaire
seront construits à partir des portraits et descriptions
littéraires du Moyen Age. D'un point de vue historique, Le fils de
Caïn, de Bronislaw Geremek (1991) propose de passer en revue les processus
historiques et les changements idéologiques d'une vaste production
littéraire concernant l'image des pauvres et des vagabonds dans la
littérature européenne du XV au XVII siècle ; ici l'image
des vagabonds se construit d'un présupposé où on
conçoit que la « condition de l'homme est celle même du
vagabond ». L'historien, un des premiers à avoir fait des pauvres
et des marginaux un objet d'histoire, reprendra les motifs de la
marginalité et le vagabondage mis en relation avec l'errance et le mythe
de Caïn. D'un point de vue littéraire, le motif de l'errance a eu
plusieurs légendes fondatrices qui l'ont façonnée et lui
ont donné une dimension symbolique. Or, que sa perception soit en
rapport avec « errare » ou « iterare » il faudra toujours
distinguer l'errance fructueuse de l'errance superficielle dirigée vers
le vide. Lorsqu'on parle d'errance, il vient souvent à nos esprits les
grandes figures qui ont marqués ce motif dans l'histoire de
l'humanité. Pour essayer de comprendre ce sujet et son influence dans la
littérature nous allons découvrir les figures fondatrices de
l'errance : Caïn, le juif Abraham, le Juif errant, le grec Ulysse et le
9 Berthet, Dominique, Figures de l'errance, Paris :
Editions Harmattan, 2007
chevalier errant Don Quichotte. Le mythe de
Caïn, rapporté au quatrième chapitre de la Genèse a
exercé une véritable fascination pour les écrivains des
différentes générations depuis le Moyen Age. Au chapitre
IV de la Genèse : Caïn, le laboureur, tue son frère Abel, le
berger. Voici l'extrait où Caïn est condamné à errer.
Dans le passage, Caïn est interpellé par Dieu pour la mort de son
frère Abel, cependant Caïn nie son crime. Dieu lui apprend qu'il
est maudit par le sol qui a recueilli le sang versé. Ainsi il ne pourra
plus récolter, et il est condamné à errer sur la terre.
Caïn gagne la Terre de Nod, à l'est d'Éden pour s'exiler et
faire quelque chose de sa vie. « Nod » en grec (ãåð)
est la racine hébraïque du verbe « errer »
(ãåãðì). Nous voyons ainsi que l'idée
d'errance est née comme le châtiment d'un crime. Ce lieu qui nous
renvoie à un « pays de l'errance », un faux lieu sans
signifiance, ce non-lieu est une utopie qui, nous constate selon les
biblicistes qu'Abel est près du troupeau, du sédentarisme et
Caïn est près de la terre, près du maudit, condamné
à partir. Thomas Nashe (2007) dans son livre The Unfortunate
Traveller10 nous confirme : « le premier vagabond a
été l'agriculteur Caïn, ce fils d'Adam qui, exclut du
paradis, est parti au hasard « errant et fugitif sur la terre »avant
de pouvoir s'établir au Nod, à l'est de l'Eden ». Mythe
d'origine et de création, Caïn est l'un des figures fondatrices de
l'errance ainsi que de l'imaginaire occidental de l'histoire humaine car
Caïn, le meurtrier, dans sa fuite, est désigné par le texte
génésiaque comme le fondateur de la première ville et se
place donc à l'origine de la civilisation. Ce récit fondateur
encore, puisque premier fratricide et en ce qu'il vise à raconter,
« pour mieux la déplorer, l'universalité du mal, et son
caractère mystérieux : à vues humaines, il est
incompréhensible et pourtant omniprésent. 11 ».
Par extension, le récit de Caïn et Abel symbolise aussi toute
l'humanité où s'opposent victimes et bourreaux. Cependant,
d'autres lectures insistent sur la notion de responsabilité, mise en
relief par le récit. La faute de Caïn, selon ces lectures, a
été de négliger son frère, de ne pas le regarder
face à face ; car c'est justement ce face à face, ce visage de
l'autre, dirait Levinas, « qui nous interdit de tuer »12.
L'histoire d'Abraham commence avec son errance à travers le
désert. Son départ est le début d'une quête pour le
pays de Canaan. Sur l'ordre du Seigneur, il quitte son pays pour une terre
étrangère et une destinée unique : « [...] Va-
10 Cité par M. Cataluccio, « avant -propos »
dans Geremek, Bronislaw, Le fils de Caïn: l'image des pauvres et des
vagabonds dans la littérature européenne du XVe au XVIII
siècle, Paris : Flammarion, 1991, p.14
11 Hussherr, Cécile, L'Ange et la Bête,
Caïn et Abel dans la littérature, Paris : Cerf, 2005, p.13
12 Lévinas, E. Ethique et Infini, Paris :
Arthème Fayard, 1984, p. 97
9
10
t'en de ton pays, de ta patrie [...] je ferai de toi une
grande nation ; je rendrai ton nom grand [...] je bénirai ceux qui te
béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront ; et toutes les familles
de la terre seront bénies en toi » (Genèse : 12 : 1-3).
L'errance d'Abraham décrit le long cheminement à la recherche de
la terre promise. La promesse d'une descendance y occupe la place essentielle,
conjuguée avec les thèmes de la terre et de la
bénédiction. Le passage de la Bible qui ouvre l'histoire se
trouve dans le chapitre « Les ancêtres du peuple d'Israël
depuis Abraham jusqu'à Joseph » (Ouverture Abraham quitte sa terre
: Genèse : 12,1-9 ; Le cheminement en Canaan et en Égypte :
Genèse : 12,10-23,20). Dans l'histoire biblique d'Abraham se trouve
l'explication biblique qui explicite le conflit entre le peuple arabe et le
peuple juif. Les Arabes sont descendants du fils d'Abraham, Ismaël.
Ismaël étant le fils d'une esclave égyptienne (Genèse
16:1-16) et Isaac étant le fils promis qui devait hériter des
promesses de Dieu à Abraham (Genèse 21:1-3), il est
évident qu'il y avait de l'animosité entre les deux fils.
Puisqu'Ismaël s'est moqué d'Isaac (Genèse 21:9), Sarah, la
femme d'Abraham l' a convaincu de renvoyer Agar et Ismaël. L'histoire de
la descendance joue un rôle capital dans ce passage car sans elle les
histoires de terre et bénédiction perdraient leurs
significations. Cela dit, la descendance d'Isaac, le fils unique d'Abraham sera
l'actuel peuple juif sur la terre d'Israël et la descendance
d'Ismaël, le fils d'Agar et Abraham sera l'actuel peuple palestinien. Dans
l'actualité, la religion de l'Islam, à laquelle adhère une
majorité d'Arabes a rendu cette hostilité plus profonde car Le
Coran contient des instructions quelque peu contradictoires aux Musulmans
envers les Juifs. Dans certains passages, il donne instruction aux Musulmans de
traiter les Juifs comme des frères, dans d'autres, il commande aux
Musulmans de s'en prendre aux Juifs qui refusent de se convertir à
l'Islam. Le Coran met aussi en doute l'identité du fils de la promesse.
Les Ecritures hébraïques disent que c'était Isaac. Le Coran
dit que c'est Ismaël. Il enseigne qu'Abraham emmena Ismaël au
sacrifice et non Isaac (en contradiction avec la Genèse : 22). Ce
débat pour savoir qui est le fils de la promesse contribue à
l'hostilité d'aujourd'hui. La raison du conflit a une racine biblique,
mais ce n'est pas la seule raison de cette hostilité entre les deux
peuples. L'origine de ce conflit a une origine contemporaine. Peu après
la Seconde Guerre Mondiale, quand les Nations Unies ont donné une
portion de la terre d'Israël au peuple juif, cette région
était principalement habitée par des Arabes (les Palestiniens).
La plupart des arabes ont protesté avec véhémence contre
l'occupation de leur territoire par la nation d'Israël. Les nations arabes
se sont unies et ont attaqué Israël
pour tenter de chasser la nation d'Israël de cette terre,
mais elles ont été battues. La légende du Juif errant
prend une grande ampleur au Moyen Âge. Ce personnage légendaire
devient errant à cause de son refus d'aider le Christ, un cordonnier qui
prendra le nom d'Ahasvérus et qui sera condamné à la
sentence cruelle de l'errance éternelle, synonyme de mise au ban de
toute communauté humaine. Ainsi, il devra parcourir les continents en
quête d'un salut que son manque de pitié, son mépris et sa
lâcheté lui ont fait perdre à jamais. Le rapport de ce
châtiment de l'errance pour les Juifs prendra une dimension
littéraire importante qui ne passera pas inaperçue et qui donnera
suite à une série de reprises de cette légende dans
diverses cultures. Selon Gaston Paris, « La popularité du Juif
Errant est restreinte à quelques contrées du nord-ouest de
l'Europe, l'Allemagne, la Scandinavie, les Pays-Bas et la France ; elle y est
de date récente, et elle s'y est propagée, non par la tradition
orale, mais par une voie toute littéraire 13 ». De cette
manière, « le premier juif errant a été Caïn. Il
se met en route après son crime, « vagabond et fugitif sur la terre
», et il porte sur le front un signe qui le préserve au moins de la
mort violente, s'il ne le soustrait pas à la mort naturelle.14
». Ainsi, la légende de Juif errant trouvera dans des
légendes anciennes un rapport certain ou probable qui nous aidera
à comprendre que ce personnage a eu bien des analogues. Dans les
légendes arabes recueillies dans le Coran où Samiri, celui qui
avait fabriqué le veau d'or, fut maudit par Moïse ; il
s'éloigna aussitôt des tentes d'Israël. « Depuis ce
temps il erre, comme une bête sauvage, d'un bout du monde à
l'autre.
15 »
Le mythe d'Ulysse, d'origine grecque se fait connaitre
grâce au poète Homère et l'histoire de l'Odyssée.
Ulysse est le roi d'Ithaque, fils de Laërte et d'Anticlée, il est
marié à Pénélope dont il a un fils,
Télémaque. Selon le Petit Larousse des mythologies
l'étymologie du mot « odyssée » est rattache au verbe
?äýóóïìáé /
odússomai qui veut dire « être irrité », «
se fâcher »). Ce personnage est aussi connu car il est l'inventeur
du cheval de Troie qui a permis à l'armée grecque de
pénétrer dans le royaume de Troie et piller toute la ville ; les
Grecs ressortiront victorieux du combat et Mélénas peut repartir
dans son royaume de
13 Paris, Gaston, Légendes du Moyen Âge :
Roncevaux ; le paradis de la reine Sybille ; la légende du
Tannhäuser ; le Juif errant ; le lai de l'Oiselet, Paris, La
Hachette, 1903, En ligne sur :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63245f/f7.image
14 Ibid., p. 5
15 Schoebel, La légende du Juif Errant, Paris :
Maisonneuve et Cie, 1877, p. 57
11
12
Sparte avec son épouse Hélène. Quant
à Ulysse, il prend la route pour Ithaque afin de retrouver son
trône, sa femme Pénélope et son fils
Télémaque. Le mythe de l'errance d'Ulysse sera dû au
châtiment des Dieux qui, en colère contre les Grecs pour avoir
assassiné des innocents et ravagé le pays de Troie, seront
à l'origine du ralentissement du retour d'Ulysse à Ithaque.
Ainsi, cette errance durera vingt ans pendant lesquelles ce personnage devra
faire preuve de courage, patience et intelligence pour parvenir à se
sauver. Ulysse devra surpasser une infinité de péripéties
et pièges déchaînés par les dieux afin de ralentir
au maximum son retour à sa ville natale. Le Chevalier errant
évoque un personnage dont le parcours d'une quête d'un ailleurs
vue dès l'idée d' « iterare », voyager, cheminer est
présente. Dans L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche
le protagoniste se prend un beau jour pour le chevalier errant Don
Quichotte, dont la mission est de parcourir l'Espagne pour combattre le mal et
protéger les opprimés. Il prend la route et son errance devient
aussi une errance mentale qui l'amène à la folie. Ce voyage
d'Alonso Quijano est une errance volontaire qu'il fait à cause de son
obsession pour les livres de chevalerie et qui le rendent fou, ce mythe du
chevalier errant en perpétuelle découverte du monde qui s'offre
à lui et qui fera de lui un héros, un rêveur, un
idéaliste et un absurde. Le récit d'errance qui demeure
reconnaissable avec le mythe de Don Quichotte c'est celui
caractérisé par ses départs, ses rencontres, ses retours,
ses défis, entre autres. Son errance volontaire se voit croisée
par les deux racines étymologiques d'errance « errare » et
« iterare » dans son but de « cheminer » dans ce monde fou
qui était encadré à l'époque d'une manière
absurde, il trouve la raison de cette folie d'errer physique et mentale car les
pérégrinations du personnage seraient seulement ridicules si le
monde qu'il parcourt était exempt lui-même de folie. La figure de
Don quichotte nous renvoie à une errance qui n'est pas pour autant sans
but. Quand il décide de partir dans la Manche faire justice et trouver
son salut, il porte aussi un idéal de justice auquel il reste
fidèle tout au long de l'histoire. Ces deux quêtes principales se
croisent pour démontrer la valeur et l'importance de sa mission : la
quête de la justice et la quête de sa bienaimée,
Dulcinée, cette double quête du héros sera
l'accomplissement de son errance dont la mission politique et la recherche d'un
bonheur privé sont la métaphore. Dans L'Ingénieux
Hidalgo Don Quichotte de la Manche, la route apparaît aussi
régulièrement comme espace de rencontre pour le chevalier errant.
Cependant, ces rencontres sont toujours périlleuses et le mettent en
danger, dans un lieu où la criminalité est présente, c'est
sur la route qu'il
13
trouvera les galériens, les escrocs, les bandits. Le
choix de Don quichotte pour la route comme lieu de transit pourrait être
lié au fait de défier les hommes comme un « gué
périlleux ». Don Quichotte comme personnage, dans sa figure de
chevalier errant donnera forme à tous ces conflits à travers le
langage et le traitement de l'espace. L'errance qui a envahi Alonso Quijano est
celle d'un homme qui a comme idéal majeure la vie dans un monde meilleur
pour tous les hommes, où les idées d'égalité soient
reçues pour leur valeur fondamentale, le respect et la connaissance de
l'autre. En conséquence, Le personnage de Don Quichotte fait sa
traversée dans un milieu ou l'espace devient renfermé dans un
labyrinthe, la trajectoire devient une quête cyclique à la
recherche de soi.
En ce qui concerne la littérature dite de l'errance,
nous pourrions dire que nous avons trouvé deux moments clés pour
son émergence. Un premier moment fera son apparition au XVI
siècle avec le vagabondage et la marginalité et un
deuxième moment sera issu du milieu postcolonial. Au XVI siècle
l'errance sera mise en rapport avec des représentations où ses
principales figures seront celles qui relèvent de la marginalité.
De cette manière, la lutte contre les individus et ces groupes peut
être l'instrument d'un renforcement de la cohésion interne du
pouvoir ou de son envie de dominer la société. Par
conséquence, l'errance deviendra l'une de préoccupations des
états pour affirmer sa propre influence sur la vie sociale. Selon
Geremek, « le XVI siècle connaît un intérêt
très fort pour les personnages errants et vagabonds profondément
rattachés à la marginalité qui développera dans les
siècles postérieurs des tendances réformatrices et
idéologiques ainsi que la crise sociale.16 ». Le
post-colonialisme, de son côté, s'intéressera souvent aux
problématiques de l'identité et de la migration, celles-ci seront
la source principale pour le développement d'une écriture dite
« errante ». En conséquence, cette sorte d'errance en tant
qu'exil, sera comprise toujours comme une forme de déracinement qui
n'est pas vécue de la même façon selon les époques
et elle varie selon les choix du pays d'accueil, les circonstances et le
sentiment qu'elle suscite dans la population. Ainsi, Christiane Albert dans son
étude sur L'immigration dans le roman francophone contemporain
(2005) distingue trois périodes distinctes qui déterminent
des configurations narratives différentes dans ce qu'on appelle la
littérature de l'immigration et nous donne des pistes pour rapprocher
celle-ci de la littérature de l'errance. Une première pendant la
colonisation qui s'achève dans les années soixante, une seconde
période qui se déclenche avec
16 Geremek, Bronislaw, Les Fils de Caïn : l'image des
pauvres et des vagabonds dans la littérature européenne du XVe au
XVIII siècle, Paris : Gallimard, 1991. P.21
14
les Indépendances et une troisième qui fera
émerger la figure de l'exilé dans les années
quatre-vingts, elle nous explique :
Pendant la première période l'immigration est
essentiellement représentée par des romans qui mettent en
scène des travailleurs immigrés, soit par des autobiographies
d'intellectuels venus en France pour visiter le pays ou poursuivre leurs
études. Pendant la seconde période, on peut observer une sorte de
fléchissement du thème .Ainsi, on verra disparaitre cette figure
de jeune étudiant de la littérature francophone et pendant la
troisième période l'immigration acquiert une grande
visibilité et fera émerger la figure de
l'exilé17.
Néanmoins, la littérature de l'errance verra
détourner un peu son imaginaire avec les parutions des nouvelles
esthétiques romanesques qui donneront à ce thème un nouvel
air. C'est le cas, de la « beat génération » en
Amérique du Nord où le sens premier fait référence
à une génération perdue. Le mot beat désignait
depuis le XIXe siècle un vagabond du rail voyageant clandestinement
à bord des wagons de marchandises. Peu à peu ce mot a pris le
sens que lui ont donné les jazzmen noirs : beat vient à signifier
une manière de traverser la vie. Être beat est devenu «
être foutu, à bout de souffle, exténué ». Le
« beat », qui signifie pulsation, est aussi le « rythme »
en musique (jazz). Pour Kerouac, d'origine franco-canadienne, la
sonorité du mot est aussi à rapprocher du terme français
« béat » : « It's a be-at, le beat à garder, le
beat du coeur », puis il ajoute : « C'est un être à, le
tempo à garder, le battement du coeur18 ». En ce sens,
la beat génération deviendra un mouvement littéraire et
artistique qui façonnera la pensée des années cinquante
aux Etats Unis et dans la littérature mondial. Pour ce mouvement, la
quête identitaire prendra forme et viendra se réapproprier d'une
manière symbolique le territoire. Le cas de l'écrivain Jack
Kerouac est intéressant dans son roman Sur la route il
crée une représentation de l'errance comme une « faillite
collective », il est le symbole même d'une marginalisation qui
cherche une nouvelle identité, le roman le plus connu de Kerouac, «
est une ode aux grands espaces, à l'épopée vers l'ouest,
à la découverte de mondes nouveaux19 ».
L'écrivain immortalise tout un imaginaire de l'errance et du voyage
à la fin des années quarante, qui rejoint avec « la beat
génération » une littérature de la rue, de l'errance.
Ainsi,
17 Albert, Christiane, L'immigration dans le roman
francophone contemporain, Paris : Karthala, 2005, p.27
18 Alain Dister, La Beat Génération. La
révolution hallucinée, Paris : Gallimard, » coll :
Découvertes », 1998, p. 51.
19 Elisabeth Guigou, La beat génération et
son influence sur la société américaine, dans La
revue des Anciens Élèves de l'Ecole Nationale d'Administration,
numéro hors-série, "politique et littérature",
décembre 2003. En ligne :
http://www.karimbitar.org/elizabethguigou.
Consulté le 5 mai 2013
15
on s'aperçoit que même avec les parutions des
configurations narratives différentes, l'errance sera toujours
très liée au sujet de la quête identitaire et de la
problématique des origines. Nous allons donc consacrer une
première partie de notre étude à tenter de repérer
la manière dont l'écrivain franco-mauricien construit la
représentation de l'errance comme thématique littéraire ;
dans une seconde partie nous aborderons quelques modalités
d'écriture de l'errance propres à Le Clézio et finalement
dans une troisième partie nous regarderons la perspective postcoloniale
de l'écriture de l'errance dans cet ouvrage.
16
PREMIÈRE PARTIE
REPRESENTATION DE L'ERRANCE
COMME THEMATIQUE LITTERAIRE DANS ETOILE ERRANTE
Composée d'une cinquantaine d'ouvrages, l'imposante
oeuvre de Le Clézio peut sembler d'entrée, difficile
d'accès dû à la variété des sujets qu'il
aborde et les thématiques déployées. La tâche
à laquelle nous nous adonnons dans cette première partie vise
à déterminer une élaboration précise de la
construction d'une poétique de l'errance afin de saisir ce motif dans
cet ouvrage : Etoile errante. Ce que nous avons réalisé
en lisant ce texte, ce que bien plus que le fait de la lecture, ce sont
plutôt les mots du roman dans leur ensemble qui nous avaient
amèné à errer. En lisant une histoire si complexe nous
nous sommes aperçus que la relation entre l'écrit et la
déambulation géographique est marquée et marquante. Nous
nous intéresserons au fonctionnement du texte car le livre met en
scène des personnages, des lieux, une temporalité et un
imaginaire spécifique à l'errance que nous permet de comprendre
le livre mis au service d'une même fonction, la création
littéraire.
Déambulations
Le roman commence sur cette idée de mouvement.
Derrière le motif de l'errance se profile une question de
l'aléatoire, de mobilité, d'instabilité, quelque chose qui
ne peut pas se fixer. Le narrateur nous introduit dans histoire en
évoquant le plus ancien souvenir d'enfance d'Esther : «
c'était peut-être ce bruit son plus ancien souvenir... [] Elle
marchait20 entre son père et sa mère »
(Le Clézio : 1994 :15). Ainsi, ce personnage déjà dans une
dynamique du déplacement nous emmène avec lui dans un voyage,
dans une errance. Cependant, lorsqu'Esther évoque sa vie passée,
on s'aperçoit que sa vie n'a pas toujours été ainsi. Son
enfance semble être heureuse avec sa famille à Nice jusqu'au
moment où ils ont dû se réfugier à Saint-Martin de
Vésubie pour se protéger des Allemands, mais sous une occupation
italienne. La marche, le déplacement seront présents tout au long
de son récit pour nous
20 Souligné par nous.
rappeler le parcours de cette errance. Ainsi, nous trouvons le
besoin de se déplacer tout le temps, de marcher, de tourner, d'aller, de
retourner, de passer, de venir, d'arriver, de partir. Toutes ces actions font
partie d'un grand réseau lexical que l'écrivain utilise souvent
dans le texte et qui nous font constater qu'on se déplace beaucoup,
mouvement qui apparaît de manière réitérative
pendant toute l'histoire : « Esther aimait partir avec les enfants »
( 1992 : 16), « Esther revenait dès qu'elle pouvait » (1992 :
23), « Elle avait couru » (1992 :37), « elle a marché
jusqu'à la porte » ( 1992 :81), « les gens commençaient
à partir » ( 1992 :88), « la troupe traversait le haut du
village »(1992 :91), « les fugitifs partaient les uns après
les autres » (1992 : 115), « où est ce que nous allons,
où est- ce qu'on nous emmène ? (1992 :130), « les
réfugiés passaient lentement » (1992 :218). Les personnages
sont pris dans la dimension d'un mouvement géographique qui les
emmène d'un lieu à l'autre, de Nice à Saint-Martin de
Vésubie, à Festiona, puis Nice, puis Orléans, puis Paris,
Marseille, Tel-Aviv, Jérusalem, le Canada et finalement Nice. Cela nous
fait penser à un mouvement en spirale, qui se manifeste pour la
répétition sans fin des mêmes actes, par le passage
périodique dans les mêmes lieux symboliques ou au contraire vides
de toute signification, effectuant ainsi une sorte de rituel sans foi. Les
personnages principaux de ce roman sont ceux qui illustrent le mieux cette
errance, Esther, bien sûr, l'héroïne d'Etoile errante
et Nejma, qui protagoniste aussi, semble être le miroir d'Esther
dans l'histoire. Esther passe d'un continent à l'autre dans la
même errance, la même recherche éperdue d'un sens, et ses
parcours interminables en France illustrent la
répétitivité circulaire du non-sens :
Ici, nous sommes arrivés ici dans la pénombre de
l'aube, après avoir marché dans la nuit, sous la pluie,... []
Nous avons marché en écoutant le bruit... [] Sans parler à
l'aveuglette... [] Cela faisait battre notre coeur, comme si nous étions
en train de marcher dans un pays inconnu (1994 :144-145)
Les deux premiers chapitres consacrés à Esther,
sa vie en Europe et son exil vers Jérusalem laissent ainsi
apparaître une succession d'actions ou de moments qui ponctuent un
parcours aléatoire, livré au hasard des rencontres, d'où
se dégage une certaine angoisse. L'errance des personnages sans attaches
et sans but est marquée par le gérondif qui suspend les moments
évoqués au pluriel, pour montrer leur répétition,
dans un passage atemporel, qui ne semble pas s'arrêter. C'est la spirale
malheureuse de l'errance d'Esther, le cycle du déplacement qui comme un
rituel nous illustre la fatalité dans des labyrinthes du
désert:
17
18
« Maintenant, ils restaient autour de huttes, assis
à l'ombre dans la poussière, faméliques et semblables
à des chiens, se déplaçant avec le mouvement du soleil
» (1994 : 231).
De son coté, Nejma aussi erre dans son pays d'où
elle a été chassée par les Juifs. Elle a été
obligée de partir de Palestine et les soldats l'ont emmenée vers
le Camps de Nour Chams avec l'aide de Nations unies. Son récit,
témoignage intentionnel de ce qu'elle a vécu dans ce non-lieu
nous illustre aussi cette fatalité que la rapproche d'Esther :
Le camp de Nour Chams est en train de sombrer peu à peu
dans la malheur. Quand nous sommes arrivés dans le camion
bâché des Nations unies, nous ne savions pas que cet endroit
allait être notre nouvelle vie. Nous pensions tous que c'était
pour un jour ou deux, avant de reprendre la route » (1994 : 226)
Ce passage exprime ce même parcours aléatoire,
sans but, livré au hasard de rencontres avec le même sentiment
d'angoisse que nous avons remarqué pour celui d'Esther
précédemment. Cette même spirale malheureuse qui vise les
deux filles et qui semble leur donner une errance, un transport qui s'attache
au corps, au physique, au géographique. Cette déambulation qui
unit, en effet, la Juive et la Palestinienne illustrent bien cette errance qui
nous renvoie aux non lieux.
Les Non-lieux : la route et le camp
Nous allons nous concentrer sur ces lieux, ces espaces
géographiques de l'errance, ou la possibilité de faire
l'expérience de l'ailleurs nous est donnée. Le terme de non-lieu,
nous le prendrons dans le sens de Marc Augé21, ces lieux de
passage que nous annonce l'errance.
Ainsi, derrière le voyage, il y a cette idée
d'exploration d'un ailleurs qui nous attire et qui nous parait une motivation
importante pour aller à la rencontre de l'altérité,
l'idée ici c'est celle de l'errance comme la perte d'un lieu, ou la
« déspatialisation » qui nous introduit dans le paysage et
dans les parcours cheminés par les protagonistes dû à leur
déplacement physique.
Nous pourrions dire avec l'anthropologue Marc Augé que
« le dispositif spatial est à la fois ce qui exprime
l'identité du groupe » et avec Starobinski (cité par
Augé 1992 : 60) que
21 Augé, Marc, Les Non-lieux, introduction à
une anthropologie de la modernité, Editions du Seuil, Paris, 1992,
p. 60
19
l'essence de la modernité se trouve dans la
réconciliation entre passé et présent : «
présence du passé au présent qui le déborde et le
revendique ». Ainsi, le créateur du concept de « non-lieux
» illustre le fait que « si un lieu peut se définir comme
identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir
ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira
un non-lieu » (1994 :61). Etoile errante récrée
deux espaces intéressants pour cette question du non lieux : la route et
le camp de Nour Chams ; ce roman est avant tout l'histoire d'une
traversée spatiale d'un continent à l'autre, d'une Europe
exclusive à une Afrique rêvée. L'histoire de ces deux
filles issues de l'errance de leurs peuples entraîne une réflexion
sur la notion de route, de chemin qui montre leur évolution personnelle
et qui ne semble se vivre que dans le déplacement géographique
:
De les voir maintenant, au soleil , sur cette route
de pierres courbés en avant, marchant lentement avec leurs grands
manteaux qui les encombraient, Esther sentait son coeur battre plus fort, comme
si quelque chose de douloureux et d'inéluctable était en train
d'arriver comme si c'était le monde entier qui marchait sur cette
route, vers l'inconnu » ( 1992 : 91) ; « Ensemble, ils ont
commencé à marcher sur la route d'Amman, ils ont mis
leurs pas sur les traces de ceux qui les précédaient. Le soleil
brillait haut dans le ciel, il brillait pour tous. La
route22 n'avait pas de fin (1992 : 292).
Dans ce passage « la route » se répète
quatre fois, une succession des mots qui semble nous rappeler que nous n'avons
pas de fin, que la spirale commence dans « la route » mais que ce
lieu n'a pas de terminus. Cette impossibilité à parvenir à
sortir de cette route se manifeste dans les allitérations du son «
r » qui présente dans les deux mots « errance » et «
route » lie cette impression au lieu de déplacement pour en faire
un effet de spirale. Dans tout le roman, la réitération de ce mot
fera apparition accompagné des actions de déplacement, ces
mouvements ponctuent l'effet de marcher, de partir, de s'en aller. Cette
mythologie de la « route » nous renvoie à la traversée
de l'espace, mais aussi dessine une sorte de quête, d'un goût pour
la liberté. C'est bien ainsi que l'idée d'une stabilité ne
se conçoit pas dans cet imaginaire de la route, qui conduit à
nulle part, il semblerait que les personnages se laissent contaminer par le
rythme de cette route, avec le but de chercher une liberté qui ne leur a
pas été donnée.
Le camp de Nour Chams
22 Souligné par nous.
Nejma, la narratrice décide de nous raconter l'histoire
de ce non-lieu à travers son journal intime. A ce propos, la description
du camp de Nour Chams qu'elle dépeint nous permet une lecture sociale
d'un espace d'aliénation profondément marqué par
l'exclusion, la faim et la maladie d'une collectivité. Nejma
écrit dans son journal « le soleil ne brille pas pour tous ?
J'entends cette interrogation à chaque instant » (1992 :223) pour
évoquer cette question qui nous poursuit : la terre n'est pas à
tous ? Une réflexion complexe qui trouve sa réponse d'un point de
vue politique et marqué par la violence des religions.
La perspective narrative retenue dans la description du camp
de Nour chams présente l'exode des Palestiniens en 1948 avec la
création de l'état d'Israël, ce nouvel État a
donné la légitimité au peuple juif pour reprendre son pays
et l'habiter après la meurtrière Shoah. Il faut remarquer que
dans la tradition juive, chrétienne et musulmane ce territoire est la
région où s'établit le peuple juif. C'est ce discours
politique qui a donné suite à la chasse du peuple palestinien du
territoire de Jérusalem. Cette perspective fait pénétrer
le lecteur dans la souffrance de Palestiniens qui chassés de leur terre
sont envoyés dans les camps de L'ONU pour réfugiés pendant
la guerre, obligeant la population à quitter ses maisons, ses
métiers et fuir la guerre. Dans la narration de Nejma, la «
mémoire » de Nour Chams s'ouvre avec l'évocation de la mort
de Nas, le vieux qui « a été enterré au sommet de la
colline » (1992 : 223), cette atmosphère morbide renvoie à
l'hôtel de la Solitude dans le cas d'Esther. Nejma commence son
récit en décrivant comment le vieux décédé
avait été enterré et avec un sentiment de honte qu'on
ressent quand elle l'évoque nous pensons à l'indignité de
ne pas avoir un endroit digne pour mourir :
Ce sont ses enfants qui ont ouvert la terre à coups de
bêche, rejetant les cailloux en deux tas égaux de chaque
côté, puis ils l'ont descendu, enveloppé dans un vieux drap
qu'ils ont cousu eux-mêmes, mais qui était trop court, et
c'était étrange le corps du vieillard raidi dans ce drap
d'où sortaient ses deux pieds nus, en train de descendre dans la tombe.
Ses fils ont repoussé la terre avec leurs bêches, et les enfants
plus jeunes ont aidé avec leurs pieds. Puis ils l'ont placé
pardessus les pierres les plus grosses, pour que les chiens errants ne puissent
pas rouvrir la tombe » (1992 : 223)
Cette scène met l'accent sur l'oubli dans lequel
vivaient les habitants de ce camp pour qui la mort devenait la seule
manière de se sauver. Le personnage de Nejma explique, en
20
racontant ses jours au camp, tous les malheurs qui constituent
pour elle et son peuple le fait d'être arrivé là, la
narration de l'héroïne crée un champ lexical où les
sujets qui reviennent tout le temps sont en rapport avec la mort : « loups
affamés », « histoires terrifiantes », « revenants
», « chagrin », « des voix des gens qui se
désespèrent », « une plante qui se dessèche
», « les malades de fièvre », « arbustes
desséchés », « leur visage noirci », « le
malheur ». (1992 : 223- 225), « les enfants morts » (1992 :
253). Les verbes qui résonnent tout au long du récit renvoient
à la tristesse, à l'accablement, à la fatigue, à la
mort, à la destruction, les images des corps meurtris, accablés,
souillés, épuisés par les réalités d'un
quotidien brutal sont les annonces d'un camp où personne ne survivra
comme l'illustre ce passage :
[...] Au-dessous de moi, il y a les allées rectilignes du
camp. [...] jour après jour, c'est devenu notre prison et qui sait si ce
ne sera pas notre cimetière ? [...] Le camp de Nour Chams fait une
grande tache sombre, couleur de rouille et de boue, à laquelle aboutit
une route de poussière [...] les soldats arabes en haillons, la
tête ensanglantée, les jambes enveloppées de chiffons en
guise de pansements, désarmés, le visage creusé par la
faim et par la soif, certains encore enfants mais transformés en homme
par la fatigue et par la guerre. (1992 : 227).
Malgré toute cette atmosphère morbide du camp,
Nejma préserve également une part d'humanité dans le camp,
à travers la sensibilité de l'héroïne, l'auteur
insiste sur la solidarité des victimes, les valeurs de l'amitié,
l'importance des souvenirs, le respect du sacré et l'espoir des enfants.
Dans ce passage, nous remarquons ces idées très présentes
dans le roman :
Roumiya est venue au camp de Nour Chams à la fin de
l'été. Quand elle est venue, elle était déjà
enceinte de plus de six mois [...] [elle] avait gardé quelque chose
d'enfantin [...] Aamma Houriya l'avait prise tout de suite sous sa protection
» (1992 :247) ; « La vie avait changé, maintenant qu'il y
avait le bébé dans notre maison. Malgré le manque de
nourriture et d'eau, il y avait un nouvel espoir pour nous. [...] les voisins
venaient devant notre porte, ils apportaient un présent, du sucre, des
linges propres, un peu de lait en poudre qu'ils avaient pris sur leurs
rations» (1992 : 270).
De cette manière, à travers les
expériences personnelles de minorités mises à
l'écart et en reliant les injustices décriées aux
tragédies mythiques du passé, Le Clézio regrette
l'échec d'Israël à maintenir deux peuples religieux en paix.
Les échos de ce genre abondent dans les
21
22
scènes d'Etoile errante où une
focalisation soutenue par certains procédés de
l'écriture
filmique, induit le lecteur dans un jugement péjoratif
sur toutes les formes de déshumanisation liées à la
guerre, mais aussi introduit un jugement mélioratif par rapport aux
liens et aux valeurs de l'amitié, la famille et la solidarité.
Dans l'extrait suivant ce procédé de l'écriture filmique
souligne ces jugements :
Sur le pont, les femmes, les enfants commençaient
à traverser. Les fugitifs marchaient sur la route, vers le levant, vers
Salt, vers les camps d'Amman, de Wadi al Sirr, de Madaba, de Djebel Hussein. La
poussière sous leurs pieds faisait un nuage gris qui tourbillonnait dans
le vent. De temps en temps, les camions bâchés des soldats
passaient sur la route, leurs phares allumés. Saadi a attaché la
corde de la chèvre à son poignet, et il a mis son bras droit
autour des épaules de sa femme. Ensemble, ils ont commencé
à marcher sur la route d'Amman, ils ont mis leurs pas sur les traces de
ceux qui les précédaient. Le soleil braillait haut dans le ciel,
il brillait pour tous. La route n'avait pas de fin » (1992 :292)
Ce passage nous montre comme une caméra une
scène où les personnages souffrent et marchent à la
recherche d'un lieu d'origine. La « route » aussi plusieurs fois
évoqué, nous rappelle que la quête ne s'est pas encore
terminée. La traversée continue et donne un mouvement ondulatoire
entre la route et le non-lieu qui dessine le trajet d'une recherche de sens,
d'une quête humaine, d'une réponse à l'errance. Dans le
roman, deux éléments annonciateurs nous illustrent l'errance
comme des métaphores : le désert et la mer.
Éléments de l'errance
Le désert et la mer sont les deux
éléments par excellence de l'errance. Nous pouvons évoquer
les deux figures qui mieux l'incarnent, le Juif Abraham et le grec Ulysse. Les
deux personnages mythiques font preuve de courage et décident de
traverser les éléments du sable et de l'eau qui semblaient
devenir des remèdes à leur errance physique. Ces
éléments deviennent des métaphores annonciatrices de
l'errance vécue par les personnages d'Etoile errante, Esther et
Nejma sont imprégnées de ces deux éléments dans
leurs vies, l'une grâce à la traversée en bateau de
l'Europe vers l'Afrique, l'autre à cause de l'exil de chez-elle, au bord
de la mer, au camp de Nour Chams, au milieu du désert.
23
L'eau apparait dans l'histoire de manière
réitérative, elle fait partie du paysage, des scènes que
Le Clézio nous dépeint et nous font penser que cet
élément a une importance remarquable dans les récits de
ses personnages. Ainsi, dès la première ligne du roman l'eau
s'annonce comme révélateur de nouveauté « Elle savait
que l'hiver était fini quand elle entendait le bruit de l'eau »
(1994 :15) et l'eau représente pour Esther « son plus ancien
souvenir ». Au fur et à mesure que la narration avance l'eau
deviendra presque un lieu porteur de sens, ainsi elle apparaît comme cure
à tout ce qui peut faire souffrir, angoisser, attrister et tuer. L'eau
garde un rapport intéressant avec le changement, on s'aperçoit
que dans les changements de vie qui subissent les deux protagonistes de
l'errance que la présence de l'eau et de la mer sont presque
obligatoires comme source de renouveau. La traversée en bateau de la
France vers Jérusalem incarne une épreuve marquante pour Esther
qui entourait de l'eau soit par les tempêtes, soit par les vagues, soit
par la mer la hantera comme figure révélatrice des changements
que sa vie aura « le rivage est si proche que je n'aurais aucun mal
à l'atteindre à la nage » ( 1994 : 172) comme si elle nous
montrait le renouveau que l'eau lui procure. Ainsi, l'élément de
l'eau nous renvoie à cette idée de l'infini, à une espace
sans limite et sans frontières. De cette manière, le récit
d'Esther fortement accompagné de l'eau nous renvoie à un
sentiment de tranquillité, d'apaisement « Ce sont de mots qui vont
avec le mouvement de la mer, des mots qui grondent et qui roulent, des mots
doux et puissants, des mots d'espoir et de mort, des mots plus grand que le
monde, plus forts que la mort » (1994 : 175). L'eau devient la
métaphore révélatrice des décisions, des
résolutions qui vont survenir. En ce qui concerne Nejma, l'eau et la mer
seront présentes à travers ses souvenirs. Elle verra dans cet
élément une chance de vie, d'améliorer, de changer «
C'était comme autrefois, à Akka, sous les remparts, quand elle
regardait la mer, et qu'il n'y avait pas besoin d'avenir » (1994 : 290).
L'eau est chargée d'une polyvalence que Le Clézio nous fait
percevoir à travers son roman, soit comme élément
purificateur ou comme élément de mort dû au manque de
celle-ci, l'eau est chargée de toute une symbolique collective et
individuelle. Par sa nature mouvante et changeante, souvent
imprévisible, elle apparaît bien comme l'image du temps,
impossible à appréhender dans sa totalité, l'eau
s'écoule de façon irrégulière comme la vie, et dans
l'errance, la question de la vie y est présente.
En ce qui concerne le désert, Le Clézio est
l'écrivain par excellence du désert comme toute forme de
nomadisme. Etoile errante nous montre le désert à
travers la marche de ses personnages, à travers les déplacements,
les mouvements sans fin, les autres éléments qui
24
l'accompagnent comme le sable et la poussière.
Paradoxalement, le désert est un lieu où l'errance se montre
particulièrement hostile car il n'y pas de l'eau pour survivre.
L'évocation de son nom à elle seule produit des sensations
froides chez ceux qui lui ont donné ce nom : la peur, la soif, la
solitude, la mort. Mais elle produit le contraire chez ceux qui y vivent ; ceux
qu'il a adoptés et dont il a forgé le physique et le
tempérament de l'existence. Le désert apparait dans le roman
comme lieu de l'errance sans fin, de l'inhospitalité, des affres de la
marche, de la crainte d'y perdre la vie. C'est précisément sur
cette symbolique si forte que le désert se manifeste comme un espace
dure et dépourvu d'espoir. Le désert faisant un lien entre les
personnages de l'histoire nous illustre cette quête existentielle dont il
est question dans l'errance, l'aridité du sable nous laisser voir cette
épreuve qui doit survenir aux personnages pour parvenir à leur
rencontre d'eux-mêmes. Cette rencontre marqué par l'autre mais
aussi marque par nous- mêmes. Le désert est le lieu de la survie
humaine, ses conditions sont difficiles, cet espace ou la
déshydratation, la soif et la chaleur constante sont ses
caractéristiques nous rappellent l'épreuve de la survie humaine
dans un environnement pareil.
Ceci- dit nous fait penser à Mauriac et sa phrase
« chacun de nous est un désert, une oeuvre est toujours un cri dans
le désert 23» pour nous rappeler que nous sommes le
monde et c'est pour nous que le poète écrit, le désert
comme le monde à parcourir, comme le monde à conquérir. En
ce sens, L'errance ne doit pas être vécue comme le signe d'un
destin tragique et obscur mais comme la chance même de l'homme, la
matrice des possibilités de son existence, enfin comme le nom secret de
sa liberté.
Esther et Nejma : figures métaphores
Esther et Nejma sont les deux figures de l'errance dans
Etoile errante. Esther est la fille juive qui doit fuir la France pour
se sauver de l'occupation Nazi. À cause de cette exclusion, sa famille
deviendra errante et marginale. Elle sera obligée de quitter l'Europe
pour aller à la rencontre de ses origines en Israël et comprendre
sa destinée. De son côté Nejma est la fille palestinienne
obligée à quitter sa ville natale après le retour des
Juifs en Israël, devra errer pour trouver un lieu où recommencer sa
vie. Le roman présente deux récits qui évoluent
parallèlement celui de Hélène-Esther et celui de Nejma,
chacun de leur côté. La souffrance de l'une renvoie à
l'autre dans plusieurs passages « on nous a tous enfermés dans
cette grande
23 Mauriac, François, Le désert de
l'amour, Editions Grasset : Paris, 1925.
salle vide, au bout des ateliers de l'Arsenal, sans doute...
on a pris tous nos papiers, l'argent, et tout ce qui pouvait être un arme
» (Esther : 178), « les soldats quand ils ont fouillé nos
bagages, ont enlevé tout ce qui pouvait servir d'arme » (Nejma :
237) ; leur plaisir de la lecture et des histoires racontées se
manifeste aussi comme leur seule évasion de la réalité :
« Qu'est-ce que je vais raconter ce soir ? » je répondais
aussitôt : « une histoire de la vieille Aïcha, l'immortelle
». J'oubliais qui j'étais, où j'étais, j'oubliais les
trois puits à sec, les baraques misérables...les enfants
affamés... les plaies qui couvraient les corps des enfants les morsures
de poux, des puces » (Nejma : 241-242), « Quand j'ai envie de pleurer
ou de rire, ou de penser à autre chose, il suffit que je prenne un de
ceux- là, que j'ouvre au hasard, et tout de suite je trouve le passage
qu'il me faut »( Esther :145). À travers la lecture de ces
extraits, on ressent la présence de l'écrivain qui nous rappelle
que la lecture est aussi une manière de fuir la guerre, les
difficultés du présent qui nous échappe à tous.
Dans ce sens, ses idéaux de voyage, de la rencontre, de paradis, de
mythe, de multiplicité, d'écologisme nous amènent à
prendre position par rapport au monde et ses vrais problèmes : la faim
et l'ignorance.
C'est le personnage d'Esther qui semble le plus
emblématique de cette errance, de temps et du sens. Tout au long du
roman sa vie se retrace tandis que pour celle de Nejma seulement le chapitre
trois lui est consacrée. D'abord, exilé avec sa famille à
Saint- Martin de Vésubie après avoir quitté Nice, à
cause de l'occupation allemande en France. Ensuite, après la
défaite des Italiens, obligée à quitter la
frontière italienne pour Paris, puis Marseille d»où elle
partira vers l'Israël, la terre de ses ancêtres dans le bateau
« Sette Fratelli ». Cette traversée lui fera perdre son
père qui sera assassiné par les allemands, elle devra attendre
quatre ans avant de pouvoir partir vers la « terre promise » et la
fera errer dans une quête de sens pendant trois ans avant d'arriver au
kibboutz de Ramat Yohanan. Dans le passage de la rencontre entre Esther et
Nejma, l'un des moments les plus émouvants et le plus symboliques de
l'histoire, nous allons repérer l'élaboration de
l'écrivain dans deux moments par rapport à sa démarche
littéraire. Nous sommes en 1948 ; dans le désert, un convoi de
camions qui emmène Esther et une centaine de personnes vers
Jérusalem croise un groupe de gens qui arrivent à pied, en sens
inverse, dans ce premier moment, ce passage nous illustre:
Les camions étaient arrêtés et les
réfugiés passaient lentement, avec leurs visages
détournés au regard absent. Il y avait un silence pesant, un
silence mortel sur ces visages pareils à des masques de poussière
et de pierre. Seuls les enfants regardaient, avec la peur dans leurs yeux.
Esther est descendue, elle s'est approchée, elle cherchait à
comprendre. Les femmes se
25
26
détournaient certaines lui criaient des mots durs dans
leur langue. Soudain, de la troupe se détacha une très jeune
fille. Elle marcha vers Esther. Son visage était pâle et
fatigué, sa robe pleine de poussière, elle portait un grand
foulard sur ses cheveux. Esther vit que les lanières de ses sandales
étaient cassées. La jeune fille s'approcha d'elle jusqu'à
la toucher. Ses yeux brillaient d'une lueur étrange, mais elle ne
parlait pas, elle ne demandait rien. Un long moment, elle resta immobile avec
sa main posée sur le bras d'Esther, comme si elle allait dire quelque
chose. (1994 : 218-219)
Tout de suite nous remarquons une date : 1948, la date de la
création de l'état d'Israël ne passe pas inaperçue
dans le contexte du conflit judéo-palestinien que nous allons analyser.
Cet extrait de la nouvelle suscite plusieurs questions : qui sont les
réfugiés ? Comment sont-ils décrits ? Que veut transmettre
l'auteur ? Comment l'auteur configure-t-il son récit ? Comment l'auteur
traduit-il les deux chemins opposés des deux jeunes filles ? Quelles
conséquences pour Esther ? Pourquoi le titre Etoile errante
n'est - t- il pas au pluriel ?
Pour commencer, nous repérons que les
réfugiés sont des Palestiniens, ce peuple qui est obligé
de quitter Jérusalem pour laisser la place au peuple juif. Ils sont
décrits avec une démarche lente, leurs visages sont
détournés, (ils ne veulent pas voir les gens qu'ils croisent) ;
ils ont le « regard absent » vide. Le mot « silence » se
répète deux fois, d'abord qualifié de « pesant »
puis de « mortel «. On remarque une gradation entre les adjectifs :
de lourd, difficile à supporter, on passe à la connotation de la
mort, soulignée par la comparaison « pareils à des masques
de poussière et de pierre ». Ces personnages ressemblent à
des mort vivants : la poussière du désert s'est incrustée
dans leur visage, leur fatigue et leur désespoir sont si grands qu'ils
ne peuvent plus rien exprimer (masques de pierre). Nous constatons que Le
Clézio veut nous transmettre cette souffrance, cet accablement, cette
immense fatigue qui déshumanisent les personnes, les rendent absentes
à elles-mêmes. Nous pouvons remarquer ici que Le Clézio
recrée cinq mouvements pour décrire la démarche des deux
filles : un premier où Esther descend du camion et s'approche des femmes
; un deuxième mouvement introduit par l'adverbe et mot de liaison «
soudain » : une très jeune fille se détache de la troupe et
marche vers Esther ; un troisième qui commence par le mot « puis
» : la jeune fille sort un cahier de sa poche ; le quatrième
marqué par « enfin » : la jeune fille retourne vers la troupe
de réfugiés et le cinquième, introduit par le mot «
mais » : Esther repense à ce qui vient de se passer. Elle tente de
comprendre qui sont les gens que croise la caravane. Ces cinq mouvements
configurent la démarche d'écriture de Le Clézio qui fait
mouvoir ses
27
personnages et son récit constamment. L'écrivain
utilise une marque de rapidité « soudain » suivi d'une
notation de provenance « de la troupe » pour introduire le
personnage, ensuite il décrit le sujet « une très jeune
fille » est rejeté en fin de phrase produisant un effet de
focalisation.
Nous remarquerons ici la tendance de Le Clézio pour
nous faire penser avec ses récits à une caméra qui suit
les personnages. Ce personnage est une jeune fille palestinienne, son visage
est « pâle et fatigué », sa robe « pleine de
poussière », « elle porte un grand foulard sur ses cheveux
». Ses chaussures sont abimées par la marche : « les
lanières de ses sandales étaient cassées ». La jeune
fille s'approche d'Esther pose sa main sur son bras, mais elle ne lui parle
pas, elle ne demande rien. Le geste est une ébauche de lien, de deux
êtres humains que tout sépare à l' instant de l'histoire/
Histoire. Le silence entre les deux filles nous fait penser à la grande
barrière linguistique, il nous évoque la situation dans laquelle
vivent les réfugiés face à laquelle les paroles sont
vaines, l'accablement de la fille, sa fierté, qui lui interdit de
demander quoi que ce soit à ceux qui la chassent de sa terre. Dans un
deuxième moment, nous continuons avec le troisième mouvement du
passage introduit par le mot « puis » :
Puis, de la poche de sa veste elle sortit un cahier vierge,
à la couverture de carton noir, et sur la première page, en haut
à droite, elle écrivit son nom, comme ceci, en lettres majuscules
: NEJMA. Elle tendit le cahier et le crayon à Esther pour qu'elle marque
aussi son nom. Elle resta un instant encore, le cahier noir serré contre
sa poitrine, comme si c'était la chose la plus importante du monde.
Enfin, sans dire un mot, elle retourna vers le groupe de réfugiés
qui s'éloignait. Esther fit un pas vers elle, pour l'appeler, pour la
retenir, mais c'était trop tard. Elle dut remonter dans le camion. Le
convoi se remit à rouler au milieu du nuage de poussière. Mais
Esther ne parvenait pas à effacer de son esprit le visage de Nejma, son
regard, sa main posée sur son bras, la lenteur solennelle de ses gestes
tandis qu'elle tendait le cahier où elle avait marqué son nom
» (1992 : 218-219)
Ici, l'écrivain joue avec la typographie pour attirer
l'attention du lecteur, les majuscules brisent la régularité du
texte et attirent notre attention, nous faisons déjà un premier
repère sur le nom Nejma et un possible rapport avec le titre de la
nouvelle Etoile errante. Dans ce
28
troisième mouvement introduit par le mot « puis
» elle sort un cahier vierge de sa poche, écrit son nom en
majuscules NEJMA sur la première page, en haut, à droite, comme
le dicte l'écriture arabe, elle tend le cahier à Esther pour
« qu'elle marque aussi son nom ». Cette situation est hautement
symbolique dans ce contexte, en 1948, au milieu du désert, quand les
deux peuples se croisent l'un arrivant à la « terre promise »
et l'autre condamné à l'exode, la situation nous parait
invraisemblable. Sur un page d'un cahier, les noms des jeunes filles, l'une
Palestinienne et l'autre Juive seront réunis dans le même espace.
Rappelons que les deux peuples sont gens du Livre et de l'Écriture,
c'est sur un livre que les noms de la Juive et la Palestinienne seront
écrits. Cet instant est utopique, un échange en un don des
cahiers, où chacune consignera son journal intime configure une
écriture où le don d'un livre est un partage de sens pour Le
Clézio, ces deux jeunes filles scellent le lien, l'espoir de
réconciliation, de compréhension, d'amitié, d'une possible
vie ensemble à l'avenir. Ensuite, Nejma « retourna vers le groupe
des refugiés qui s'éloignait » et « Esther dut remonter
dans le camion » ; « le convoi se remit à rouler » les
deux prépositions vers /dans traduisent des chemins opposés.
Esther fait un pas vers Nejma, pour l'appeler, pour la retenir. Elle veut sans
doute, lui parler, essayer de comprendre. Dans le cinquième mouvement,
Esther ne peut pas oublier ce qui vient de se passer, elle ne peut pas effacer
« le visage de Nejma, son regard, sa main posée sur son bras, la
lenteur solennelle de ses gestes tandis qu'elle tendait le cahier où
elle avait marqué son nom » Pour elle, quelque chose
d'irrémédiable vient d'advenir : l'autre a un visage, l'autre est
un humain. Les sentiments partagés par les deux filles nous rappellent
que l'écriture est devenue un lien double. Nous pourrions ici noter que
le choix entre « je » et « l'autre » sous-tend une
idéologie meurtrière qui a marqué le XX siècle, le
« je est un autre » célèbre dicton de Rimbaud est plus
porteur de sens dans le sens de la rencontre de l'Altérité.
La réflexion que suscite Le Clézio à
propos de ces deux chemins opposés nous rappelle l'immense pouvoir de
l'écrivain de créer des possibles. Le fait d'avoir donné
le même prénom décliné en deux langues
différentes, référant à deux peuples et à
deux histoires souvent antagonistes, à deux jeunes filles, nous rappelle
les deux parties d'une même entité : la lumière,
l'étoile qui brille et qui guide. Cette étoile, ces vies,
resteront errantes, et liées dans leur errance sans lieu sûr,
aussi longtemps que les prénoms de Nejma et Esther ne seront que des
traces sur une feuille de papier ; ces deux jeunes filles ont le même
destin. Ce passage nous fait penser à ce processus dynamique de l'auteur
qui permet de construire le sujet dans la
29
contrariété. En écrivant, Le
Clézio crée un lieu où le lien identitaire et
d'appartenance nouent un lien avec l'autre. L'ouvrage affiche aussi une
structure en miroir avec deux parties : l'errance des deux personnages et ses
peuples respectifs ; deux lieux : l'Europe (l'exil et l'errance) et Israël
(la terre promise), deux jeunes filles héroïnes : Nejma et Esther.
Cette construction de la composition incite à la comparaison. De fait
les échos son nombreux entre la vie d'Esther et celle de Nejma : les
deux sont filles qui sont obligées d'errer pour la condition de leur
peuples, l'une représente l'espoir après la Shoah, l'autre
l'exclusion des Palestiniens après la fondation de l'état
d'Israël ; les deux personnages ont été chassés de
leur territoire et elles sont devenues des marginales. D'autres échos,
Le vieux Nas rappelle Le viel Henri Ferne qui, abattus par leur condition,
meurent sans espoir et sans dignité « pareils à des
mendiants » (1992 :225) ; la tante Aamma Houriya rappelle le père
d'Esther, leur rôle comme passeurs d'histoires, des mythes et des
imaginaires possibles permettant aux deux filles de s'en servir pour surmonter
leur vie d'errance ; le personnage de Saadi Abou Talib rappelle à
Jacques le Berger qui représentent les initiateurs pour les deux filles
et finalement Michel qui rappelle Loula, les enfants des jeunes filles qui font
appel à l'espoir et à l'apaisement dans l'ouvrage.
L'écrivain persiste et signe sous la même bannière d'une
même souffrance et d'un rêve de paix par l'évocation des
deux poètes l'un juif et l'autre palestinien dans les récits des
deux jeunes filles : Hayyim Nahman Bialik et Mahmoud Darwish.
Dans le récit de Nejma, une autre métaphore
apparaît souvent comme référence, c'est celle des chiens
errants qui se réitère dix fois au long du chapitre et peu
à peu elle devient la figure des habitants qui met en évidence
cette atmosphère morbide du camp, les réfugiés sont
devenus des chiens errants « Ils font tant de bruit que les vieux les
maudissent et que tous les chiens errants se mettent à aboyer » (EE
: 224) ; « Dans le regard des enfants, tapis dans l'ombre des huttes,
immobiles, pareils aux chiens errants dont personne ne se soucie, j'ai vu ma
propre vieillesse, ma propre fin » « EE : 237) ; « les soirs
où la lune est ronde, les chiens errants aboient », (EE :253) ;
Quand je me suis approchée, il m'a regardée et j'ai vu la couleur
de ses yeux, pareille à celle des chiens errants » ( EE : 254),
« mais nous étions semblables à eux, moi , la fille de la
ville de la mer, et lui, le Badawwi, plus rien ne nous distinguait, nous avions
le même regard de chien errant » ( EE :256). Ces multiples
répétitions aux « chiens errants » nous renvoient
à cette image de l'humanité et son rapport avec les animaux,
comme si cette métaphore nous annonçait une destinée
commune, le devenir de
30
l'homme, cette relation entre l'homme et le chien, Le
Clézio nous fait penser au rapport de l'homme comme un chien errant qui
devient à la marge du monde, de la société pour fixer
cette image de la perte de l'humanité. Cette déambulation
géographique des personnages principaux se voit refléter dans le
destin des chiens qui nous accompagnent et qui nous rappellent les
conséquences de la guerre et de la mort. Ainsi, le regard sur le destin
de l'homme vu à travers les animaux qui nous sont chers nous montre que
le chien est l'homme et par extension, l'homme est l'écrivain qui vit
toujours en marge de la société. Dans ce rapport au monde, on se
pose la question de comment est traité l'écrivain, qui a besoin
de cette société pour vivre et se nourrir intellectuellement, le
chien errant est finalement l'homme errant qui traine d'un lieu à
l'autre pour chercher sa liberté.
L'histoire d'Esther s'écoule dans une période de
quarante ans, Etoile errante raconte l'histoire de sa vie, de ses
tristesses et de son errance existentielle tout au long d'une Histoire qu'elle
n'a jamais comprise. Une histoire de persécutions, d'exclusion sociale,
de racisme, de marginalité, d'errance, une quête pour se
rencontrer avec elle-même et finir par comprendre le mystère qui
entourait sa vie et celle de ses proches. Dans ce sens, les cas décrits
par les récits d'Esther et de Nejma montrent deux minorités
déplacées où la question de l'espace d'origine devient
capitale, à ce propos, Salles nous dit « L'une des constantes des
guerres est la destruction des sites, des lieux de vie 24»,
question qui illustre que pour ces peuples il s'agit d'un saccage de leurs
lieux relationnels, historiques et identitaires qui, détruits par la
guerre, amène à la négation d'une identité
individuelle et particulière. Dans un premier temps, ces peuples
espèrent un jour retourner. Pourtant, l'origine ne se précise pas
dans la mesure de leurs racines mais dans la dimension d'un manque, elle est
l'espace d'une absence à combler. C'est pourquoi, le rêve d'une
terre promise pour les Juifs et d'un possible retour pour les Palestiniens
chassés de Jérusalem prend tout son sens car c'est la seule
manière dont les personnages pourraient trouver leur identité, le
rêve d'un territoire où ils pourraient habiter. Esther
après avoir erré entre l'Europe et l'Orient, retournera vers son
lieu d'origine qu'elle n'a jamais connu et habitera dans un kibboutz :
Esther se souvenait, que son père disait cela, qu'il
fallait tout recommencer depuis le commencement. La terre
dévastée, les ruines, les prisons, les champs maudits où
les hommes
24 Salles, Marina, Le Clézio, notre contemporain,
Presses Universitaires de Rennes, coll. : « Interférences »,
Rennes : 2006, p. 59
31
étaient morts, tout était lavé par la
lumière... elle se souvenait aussi des mots du Livre du Commencement
[...] elle se souvenait des flammes des bougies dans l'église de
Festiona » (1992 :305)
Ce qu'Esther découvre n'est pas le lieu
rêvé qu'elle avait idéalisé d'une appartenance lui
permettant un lien d'identité mais un lieu d'attachement. L'appartenance
implique cette idée d'un lien très étroit, une idée
de possession entre deux entités. Le fait d'appartenir à un lieu
définirait un rapport de soumission qui relierait l'identité
à ce dernier. L'attachement par contre défi un rapprochement qui
nous unit à un espace selon des critères affectifs, mais
acceptant le rapport de décalage qu'il peut y avoir. C'est pourquoi Le
Clézio retrace cet attachement comme un lieu où l'identité
se déplace, elle n'est jamais fixe. Pour Esther et Nejma leurs lieux
d'identité restent leurs espaces rattachés à leurs
histoires mais leur permettant être différentes et ouvertes au
divers. Dans ce sens, l'origine comme le lieu d'une absence représente
chez les personnages d'Esther et Nejma le fil conducteur de leurs récits
d'existence. Le principe du déplacement marque l'origine et ne le fixe
pas. Ainsi, Le Clézio nous invite à repenser le lieu d'origine
comme espace d'une parole qui cherche à être partagée et
pourtant appartient à la dimension du mouvement. Dans ce discours de la
marginalité, Le Clézio crée dans son récit un lieu
d'une identité qui se déplace et qui trouve à travers
l'écriture le moyen idéal pour donner une visibilité
à ceux qui en font partie.
Dans ce premier partie nous avons repéré comment
Le Clézio met en scène tout un dispositif narratif que nous a
permis de voir le fonctionnement du texte , les personnages mobiles , les
non-lieux , les métaphores révélatrices, une
temporalité et un imaginaire spécifique à l'errance que
nous a permis de comprendre le roman et sa fonction.
32
DEUXIEME PARTIE
QUELQUES MODALITÉS DE L'ECRITURE DE L'ERRANCE
CHEZ LE CLEZIO
Discours paratopique
Les romans de Le Clézio font preuve de ce que
Maingueneau a théorisé comme la paratopie littéraire. Ce
concept désigne une « localité paradoxale [...] qui n'est
pas l'absence de tout lieu, mais une difficile négociation entre le lieu
et le non-lieu, une localisation parasitaire, qui vit de l'impossibilité
même de se stabiliser25 » Nous constatons que la
paratopie n'est pas seulement littéraire chez l'écrivain, mais
aussi identitaire. Ce concept nous fournit une grille de lecture
intéressante pour passer au crible, d'une part, les rapports de Le
Clézio à la littérature, son oeuvre littéraire et,
d'autre part, ceux qu'elle entretient avec son engagement pour une
littérature interculturel en nous donnant des éléments
pour sa compression de sa pensée de l'errance.
Le roman de Le Clézio Etoile errante prend
l'ancrage dans la réalité du conflit israélo-palestinien
et dénonce l'exclusion des Palestiniens à l'égard de
l'armée israélienne à travers la présentation des
deux personnages féminins représentants des deux peuples. Esther,
personnage juif qui fuit l'Europe avec sa mère et part à la
rencontre de son territoire d'origine : la terre promise ; et Nejma, fille
palestinienne, exclue et refugiée dans le Camp de Nour chams. Ainsi, Le
Clézio inscrit l'Histoire des deux peuples avec une intention
particulière, le roman relate « une histoire en miroir ou les
persécutés deviennent à son tour
25 Maingueneau, Dominique, « Le Discours
littéraire. Paratopie et scène d'énonciation », Paris
: Armand Colin, 2004. p. 52-53
33
des persécuteurs 26». À ce
propos, Edgar Morin, Sami Nair et Danièle Sallenave ont écrit
« Le cancer israélo-palestinien 27» article paru
dans Le Monde en 2002 où les trois chercheurs
développent l'idée que ce cancer israélo-palestinien
« s'est formé d'une part en se nourrissant de l'angoisse historique
d'un peuple persécuté dans le passé et de son
insécurité géographique, d'autre part du malheur d'un
peuple persécuté dans son présent et privé de droit
politique ». Ils critiquent « l'unilatéralisme » que
porte la vision israélienne des choses. Pour eux, « c'est la
conscience d'avoir été victime qui permet à Israël de
devenir oppresseur du peuple palestinien. Le terme Shoah qui singularise le
destin victimaire juif et banalise tous les autres (ceux du Goulag, des
Tsiganes, des esclaves, des Indiens d'Amériques) devient la
légitimation d'un colonialisme, d'un apartheid et d'une
ghettoïsation pour les Palestiniens. » Ils ajouteront que « les
juifs d'Israël, descendants des victimes d'un apartheid nommé
ghetto, ghettoïsent les Palestiniens. Les juifs qui furent
humiliés, méprisés, persécutés, humilient,
méprisent et persécutent les Palestiniens. Les juifs qui furent
victimes d'un ordre impitoyable imposent leur ordre impitoyable aux
Palestiniens. Les juifs victimes de l'inhumanité montrent une terrible
inhumanité28 ».
Après la rencontre entre Esther et Nejma, celle-ci
devient l'étoile errante du récit. Par conséquent, les
conditions socio-historiques de la création du roman sont fondamentales,
et le texte ne peut pas être compris sans le contexte. Néanmoins,
le contexte n'est pas seulement la représentation de la
réalité, c'est aussi « le lieu commun »
c'est-à-dire ce lieu qui appartient à tous ou dans lequel, tout
au moins, tous s'inscrivent, le conflit israélo-palestinien, que Le
Clézio dénonce comme écrivain « équitable et
humaniste » s'inscrivant dans un courant postcolonial, mais qui
énoncent ses personnages dans le roman. La problématique tourne
autour de la position paradoxale de l'écrivain, qui adopte ce «
lieu commun » dans une attitude qui peut être
appréhendé dans ce que Maingueneau définit comme une
appartenance difficile et paradoxale :
Toute paratopie, minimalement, dit l'appartenance et la
non-appartenance, l'impossible
26 Millat, Anne, Etoile errante, une histoire dans
l'Histoire, dans « les français dans tous ses états
» Revue du réseau CNDP pour les enseignants de
français, en ligne :
http://www.crdp-montpellier.fr/ressources/frdtse/frdtse35c.html.
Consulte le 20 mai 2013.
27 Morin, Edgar et al, Le cancer israélo-palestinien,
dans « le Monde », Paris, 3 juin 2002. En
ligne sur :
http://www.monde-solidaire.org/spip/IMG/pdf/Israel.pdf
28 Ibid., p. 3
inclusion dans une « topie ». Qu'elle prenne le visage
de celui qui n'est pas à sa place là où il est, de celui
qui va de place en place sans vouloir se fixer, de celui qui ne trouve pas de
place, la paratopie écarte d'un groupe (paratopie d'identité),
d'un lieu (paratopie spatiale)
ou d'un moment (paratopie temporelle). Distinctions au
demeurant superficielles: comme l'indique le mot même, toute paratopie
peut se ramener à un paradoxe d'ordre spatial.
(MAINGUENEAU, 2004 : 86)
La paratopie se met en oeuvre grâce à des
personnages et des lieux symboliques que Maingueneau appelle les «
embrayages ». Elle permet ainsi un espace de désaccord autour
duquel s'établira une négociation. Dans Etoile errante,
le personnage d'Esther représente l'étoile errante au
début du roman et son histoire revendique le peuple juif après la
shoah. Ce personnage revendique son peuple en nous montrant que les Juifs ne
sont pas des simples colons, des envahisseurs ou des conquérants, mais
des survivants, sur lesquels pèse encore la douleur de la Shoah. La
paradoxe se trouve quand Esther comprends le sort qui est réservé
à Nejma et aux siens avec la naissance de l'état d'Israël,
cette réflexion lui fera comprendre la souffrance des Palestiniens vue
de sa propre expérience de l'exil par la menace de mort qu'elle a aussi
connu. Esther pose l'appartenance au peuple dominant de manière
problématique en sachant que les Palestiniens s'inscrivent dans ce
« lieu commun » que son peuple veut reprendre : Jérusalem et
le pays d'Israël.
Esther deviendra, au fur et à mesure, qu'elle est
consciente de son sort en Israël, une espèce de revendicatrice du
sort de sa « soeur » Nejma. Le Clézio refuse de prendre parti
pour un ou pour autre, cependant, il met en valeur la rencontre décisive
de deux victimes innocentes, deux vies brisées et arrachées
à leur sol et à leur passé sacré pour leur
créer un espace de « l'entre deux ». L'écrivain
revendique ces deux peuples par le moyen littéraire et poétique
en leur donnant cet espace géographique décrit (le désert)
dans le livre où les frontières n'existent pas et ou l'espoir
trouve son « lieu commun » dans le « lieu de fusion »
Les personnages d'Esther et Nejma sont des personnages
paratopiques dans la mesure où, « ils se trouvent toujours sur une
frontière et une limite, et peuvent passer insensiblement d'une
situation maximale à une situation minimale ou inversement (MAINGUENEAU,
2004 : 95-96). Ceci dit nous renvoie à ces mises en scènes
lecléziennes ou la marginalité, la faim, l'exclusion font preuve
d'un changement pour les deux peuples qui étaient des peuples
travailleurs, stables et qui vivaient dans des situations sociales maximales.
Ces personnages et ces lieux conduisent à problématiser
l'injustice de la guerre et la défense d'un nationalisme
34
dominant dont fait preuve le conflit
israélo-palestinien. De cette manière, à travers ses
personnages et la thématique qu'elle met en jeu Le Clézio
arrive-t-il à créer un espace de dissension face au conflit. Il
remet en question, la pensée d'une nation avec un seul peuple, donnant
lieu par-là à une négociation entre les deux espaces.
Morin écrit « Le cas français est significatif. En
dépit de la guerre d'Algérie et de ses séquelles, en
dépit de la guerre d'Irak, et en dépit des cancers
israélo-palestiniens, juifs et musulmans coexistent en paix en France (
2002 :3 »
La paratopie littéraire et la paratopie identitaire se
superposent dans le roman, D'un côté Le Clézio
renégocie son « attachement » à une culture de l'entre
deux, et d'un autre part Etoile errante s'inscrit dans la
littérature, mais n'en présente pas moins pour autant des
éléments qui remettent en question ce statut littéraire.
La fonction principale de ce roman est de donner des exemples parlant des
situations des victimes du conflit en Israël. Le roman close dans les
années 1982, moment des massacres de Sabra et Chatila, un camp de
réfugiés. Tout laisse donc à penser que, par le biais de
ce roman l'auteur tente d'apporter un nouvel élément de
réflexion du conflit qui permet de penser à la paix comme la
seule solution qui convient.
Le roman est construit sur une documentation et sur une
expérience personnelle vécue par l'écrivain dans son
enfance qui donnerait un intérêt qui résiderait
plutôt dans un aspect documentaire. Cependant, les personnages du roman
dans sa dimension paratopiques, contribue à donner une profondeur
certaine à ce roman, le ramenant ainsi indéniablement vers la
littérature. Ainsi, L'émergence d'une littérature de la
pluralité où les modalités sont issues de la culture, de
ses savoirs, et du rapport avec le dialogue des civilisations montre pourquoi
cette notion se conçoit dans le relativisme et la diversité. Elle
valorise la richesse de chaque culture, et élabore une relation complexe
avec les autres au nom de la multiplicité. Ainsi, les enjeux de la
littérature et de ses mises en scène nous montrent le rôle
qui joue l'écrivain comme passeur et créateur des imaginaires. La
paratopie littéraire offre une vision du monde fondée sur le
respect de la différence et de la pluralité. Elle propose une
coexistence dans une dynamique de la Relation, de vivre le fait culturel humain
selon leurs sensibilités dans un esprit de dialogue, de reconnaissance
du divers. Ainsi, la rencontre nous permet de vivre « le chaos » au
sens de Glissant, dans un consensus divers entre l'homme et son semblable.
35
Récit
36
En termes de récit, le Clézio anime la
reconfiguration du dispositif identitaire. Depuis quelque temps, le personnage
de l'errant configure un imaginaire directement lié à
l'altérité, à la figure d'étranger dont la
représentation crée un enjeu littéraire assez riche et
révolutionnaire par rapport aux anciennes pratiques. Déjà
Le Clézio le manifestait dans un entretien à Gérard de
Cortanze « Je cherche celui, celle dont le regard me
révèlera à moi-même ». C'est pourquoi l'ouvrage
Etoile errante met en orbite ces deux protagonistes Esther et Nejma
animées par leur diaspora respective qui prend forme en un « je
» qui erre dans l'espace. Cette forme de récit personnel
écrit à la première personne devient une identité
narrative fictive qui libère l'écrivain de ce « pacte
autobiographique29 » que définit Lejeune et qui lui
permet de créer une identité du personnage errant à
travers son écriture.
Après les années 1980, l'auteur semble choisir
la voie de l'écriture intime donnant la place à des histoires et
des personnages inspirés de sa vie familiale et de ses
expériences vécues. Ses souvenirs d'enfance pour écrire
Onitsha, Etoile errante et Révolutions, prendront l'ancrage
d'une littérature liée aux traits autobiographiques, qui nous
révèle une intention très marquée de l'auteur
d'explorer l'écriture de soi. Dans Etoile errante, la structure
du récit se fait linéaire, ainsi le récit s'ouvre en en
1942 et se close en 1982, mais l'auteur fait des analepses qui nous
éclairent les passé des personnages et nous justifient leur
psychologie. Le Clézio ralenti le récit entre l'enfance et la
jeunesse d'Esther, période qui dure quatre ans (1942-1947) où
dans un premier temps, le narrateur est omniscient, nous connaissons tout sur
Esther et les siens, récit dominé par la troisième
personne. Dans un deuxième temps, le narrateur devient interne, c'est la
narratrice qui nous raconte son errance à travers l'Europe. Cette
période nous donne toutes les informations de la vie d'Esther et sa
famille, la mort de son père, son exil et son retour à
Jérusalem. Ainsi, le cadre du roman est fait par la narration de la
jeune fille juive et encadrera le récit de la fille palestinienne Nejma.
La manière comme l'histoire est racontée est intime, à la
manière d'un journal. Les deux récits marquent des ruptures dans
la narration qui nous donnent des pistes pour les prendre en tant que cahiers
de vie. Selon Thibaut, les journaux intimes d'Esther et Nejma « sont des
cahiers noirs, « des cahiers de doléances » qui
témoignent à « l'autre » les maux et les abus subis
30». Ainsi, nous
29 Lejeune, Philipe, Le pacte autobiographique, Paris :
Seuil, 1975.
30 Thibault, Bruno, J.M.G. Le Clézio Et la
Métaphore Exotique, Paris : Rodopi, coll : « Monographique en
littérature française contemporaine », 2009, p. 172
37
verrons que le journal de Nejma est le plus court des deux, il
comporte une soixantaine des pages par rapport à celui d'Esther qui
l'encadre. Cependant, le « journal » de la Palestinienne occupe une
place centrale dans le roman qui lui donne son importance et établi un
équilibre entre les deux.
A partir des années 1950, Le Clézio fera avancer
le récit grâce à des ellipses narratives de certaines
périodes de la vie des personnages. Du moment où Esther et sa
mère arrivent en Israël et elle rencontrera Nejma à
Siloé, certains épisodes seront évoqués très
rapidement dans une période de trente-deux ans. Ces trois chapitres
concerneront l'exil d'Esther au Canada, la naissance de son enfant et la mort
de sa mère à Nice. Thibaut a montré que Le Clézio
« met l'accent à travers la rencontre d'Esther et Nejma sur la
nécessité de dépasser la violence autour du mystère
de Dieu et de désamorcer la haîne et le
fanatisme31 ». En conséquence, le
récit chez Le Clézio débuche sur une conception
d'identité relayé à l'intertextuel comme une
manière de dialoguer avec l'autre, de s'ouvrir à l'ailleurs dans
l'expérience de « la pensée de l'errance ».
Le Mythe de l'origine
L'origine est une notion que chez Le Clézio est une
idée qui est en mouvement. La mise en place du dispositif identitaire
comme attachement à un lieu et non pas comme appartenance à un
lieu joue de manière assez forte dans l'imaginaire de la construction de
l'identité qui n'est pas lié à un retour à des
racines, ni au nationalisme radical, mais plutôt comme processus de
« détachement et dépassement ». Le grand enjeu de ce
roman, et d'autres romans de Le Clézio qui interrogent la pensée
nomade, est celui de remettre en question les fondements des origines comme le
seul ancrage de l'individu ; cette idée largement partagé depuis
longtemps d'une appartenance à un territoire est complétement
déconstruite dans le roman de l'auteur du Désert, qui
voit se dévoiler dans ses personnages la naissance des récit
hérités qui vivent et expérimentent les protagonistes et
en même temps, de s'en écarter. Ainsi, ce collectif de
connaissances et des expériences partagées par une
communauté soit la Juive ou la Palestinienne nous amène à
réfléchir sur la pertinence de cette mentalité d'une seul
origine qui ne tient plus dans notre société actuelle, une
société largement métissé culturellement. Cette
disjonction qui sépare ces deux peuples est aussi une « divergence
» qui nous ramène à
31 Op, Cit., p.173
38
repousser une idéologie dominante, une seule et unique
pratique de l'universel. La question des origines dans Etoile errante
montre l'écart qui existe entre le fantasme culturel fondamental et
la réalité, Esther est obligée à comprendre que son
identité ne se construit pas dans ce monde rêvé qu'elle a
imaginé mais dans ce monde réel qu'elle a traversé, un
monde où Nejma a aussi sa place.
À partir de la théorisation de Deleuze et
Guattari sur le concept de rhizome Glissant construit sa poétique de la
Relation, et ses pensées d'identité-relation, créolisation
et pensée de l'errance pour parvenir à une pensée de
Tout-Monde. En tant que modalité la pensée de l'errance met en
oeuvre la Relation elle-même, par une présence disponible et
ouverte, un parcours du monde qui ne répond à aucun
itinéraire préconçu, et qui demeure perméable aux
imprévus. La notion est, on le comprendra aisément quant à
l'évolution de la pensée de l'écrivain, mobilisée
très fortement avec le tournant des années quatre-vingt-dix et
ses grands repères de Poétique de la Relation et du Traité
du Tout-monde. Cette Présence poétique aux choses, donnée
comme horizon d'ouverture, pour tout un chacun :
« Par la pensée de l'errance nous refusons les
racines uniques et qui tuent autour d'elles : la pensée de l'errance est
celle des enracinements solidaires et des racines en rhizome. Contre les
maladies de l'identité racine unique, elle est et reste le conducteur
infini de l'identité en relation. L'errance est le lieu de la
répétition, quand celle-ci aménage les infimes (infinies)
variations qui chaque fois distinguent cette même
répétition comme un moment de la connaissance. Les poètes
et les conteurs se donnent instinctivement à cet art délicat du
listage (par variations accumulées), qui nous fait voir que la
répétition n'est pas un inutile doublement 32»
La connexion entre Le Clézio et ses contemporains qui
ont conceptualisé cette pensée de l'errance et de l'hybridation
nous montre la dimension conceptuelle de son écriture et de son
imaginaire littéraire. Pour Le Clézio, la mise en relation de
toutes ces identités -rhizomes, de tous ces lieux qui se traversent sans
s'altérer démontre que le monde se décloisonne sous
l'effet de la poétique de la Relation. En conséquence,
l'idée de cultures isolées, closes sur elles-mêmes et fixes
se révèle sans consistance. Les cultures et les identités
ont toujours été en mouvement, elles se transforment sans pour
autant disparaitre. Glissant et Le Clézio nous invitent à opposer
l'identité- rhizome à l'identité racine, le lieu au
territoire. Ainsi, dans le fait
32 Glissant, Edouard, Philosophie de la Relation, Paris
: Gallimard, 2009. P. 61
39
de créer une Relation avec l'autre nous créons
aussi un espace de rencontre, des réseaux qui se forment et
s'enrichissent des autres. Un monde où le rhizome et le lieu
créent l'identité-relation.
Le Clézio exprime dans l'entretien avec Chando, «
la langue française est mon véritable pays33 » et
dans son « éloge de la langue française » il exprime :
« C'était la langue française. Ma langue. Ma personne, mon
nom, en quelque sorte34 ». De cette manière,
l'écrivain se fait aussi porteur de l'imaginaire de sa propre langue
sans exclure les autres qui font partie du monde. Cette position de Glissant
qui rappelle qu' « on ne sauvera pas une langue dans un pays en laissant
périr les autres » remet en cause l'importance de la
solidarité des toutes les langues comme une manière
d'établir un lien avec l'Autre. La question de la langue pour ces deux
écrivains souligne la question de la déterritorialisation au sens
de Deleuze et Guattari, qui voit dans ce phénomène une
manière de décentrer la langue d'un territoire spécifique
monolingue pour lui donner un imaginaire. Dans le cas de la langue
française, l'imaginaire opère plutôt dans la
déconstruction de la langue, dans les passages de l'oralité
à l'écriture, du mythe, de certains nombre de structures
d'oeuvres, etc.
L'oeuvre de Glissant et de Le Clézio se
caractérise aussi par la pensée de la trace. Glissant
écrit dans sa Philosophie de la Relation (2009) « la
pensée de la trace, au bord des champs désolés du
souvenir, laquelle sollicite les mémoires conjointes des composantes du
Tout-Monde. La pensée de langues et langages, où se décide
le jeu des imaginaires des humanités 35». Le
Clézio trouve sa source même dans une période
privilégié, celle de son enfance. Grace à cette
pensée de la trace l'écrivain relate ses visions en Afrique, en
Europe, au Mexique, au Panamá, en Moyen Orient, en Asie, etc. Les
imaginaires des langues sont traversées et engendrées par le
langage qui tisse des poétiques de chaque culture et nous montre ce qui
appartient à tous : les imaginaires. Pour Le Clézio,
au-delà de ses souvenirs d'enfance en tant qu'individu ce qui
l'intéresse est la mémoire collective qui se réveille dans
chaque histoire, dans chaque récit à raconter. C'est le cas avec
Etoile errante, histoire issue de
33 Thirtanjhar, Chando, JMG Le Clézio : Ma langue
est mon véritable pays, « Le Magazine littéraire »
No 404, décembre 2001
34 Aller-voir :
http://veille-education.org/2010/05/25/eloge-de-la-langue-francaise-par-jm-le-clezio/
35 Op. Cit., p. 80
40
son enfance au milieu de la guerre, de l'exclusion de Juifs et
des Palestiniens, du froid et de la faim. Une histoire qui interroge la
question des origines, du lieu, de l'exil et de la rencontre de l'Autre en tant
que quête de soi. La dette entre mémoire et Histoire comme la
conçoit Le Clézio nous conduit à penser dans le même
sens que Ricoeur36 qui donne une importance maximale à la
lecture comme évènement personnel et comme
évènement collectif. La construction d'une oeuvre
littéraire comme travail subjectif de mémoire essaie de donner
une légitimité aux diverses formes de témoignages pour que
les peuples en questions puissent s'en souvenir tout en pardonnant.
Fragmentation et subjectivité
Raconter l'histoire de la Shoah et du conflit
israélo-palestinien du point de vue d'une refugiée et d'une
exilée n'est pas nouveau, cette focalisation interne fait partie des
pratiques d'écritures qui cherchent à revendiquer les
communautés exclues. La nouveauté de Le Clézio est de
choisir deux personnages qui sont opposés par l'Histoire, rarement
évoqués dans la littérature. L'intérêt de ce
choix pourrait se mesurer dans l'idée que les faits historiques nous
présentent deux communautés en conflit depuis un siècle,
mais ne nous montrent un point de rencontre entre les deux. L'écrivain
évoque les évènements de la Deuxième Guerre
Mondiale en choisissant les enfants. Cette focalisation interne donne au texte
un jugement très subjective de la guerre et de ses conséquences :
la faim, le froid, la peur. Les enfants ne comprennent pas les formes de
discrimination et d'exclusion que la guerre porte en elle-même : En
parlant du maquis Esther n'arrivait pas à faire la différence
entre le clan de son père, qui aidait à passer les juifs de
l'autre côté, et celui de Gasparini qui se referait à la
résistance ; elle ne comprenait pas non plus le problème
d'être juif mais elle savait qu'elle devait le nier « Mon
père, il dit que si les allemands viennent ici, ils tueront tous les
Juifs » ( 1994 : 36) dit Gasparini à Esther. D'un autre
côté, Tristan avait honte aussi d'Esther sans comprendre pourquoi
elle et les siens « devaient faire la queue devant l'hôtel, pour
faire enregistrer leur présence et contrôler leurs cartes de
rationnement » (1994 : 18). Au fur et à mesure que la narration
avance, nous voyons ces enfants se transformer. Ils passent d'être dans
un état d'esprit des enfants vivants, joyeux, innocents pour devenir des
enfants attristés, lourds, fatigués. Le recours de Le
Clézio à la description filmique qui met en scène des
plans de grossissement et rapprochement pour donner un regard plus
détaillé et plus proche de
36 Gefen, Alexandre, Paul Ricoeur ou les livres
intérieurs, « Le Magazine Littéraire » No 532,
juin 2013, p.8
41
l'évènement rapproche le lecteur du personnage
et de son récit. L'écrivain présente la petite histoire
dans la Grande Histoire grâce à sa vision fragmenté des
faits qui arrivent dans les deux récits. Les scènes sont
montrées à travers du récit rétrospectif ou
(flashback en cinéma) où il montre l'occupation Italienne ensuite
l'occupation Nazi, les actions de la Gestapo, l'exode de Juifs à travers
les montagnes, et les images que nous font vivre tout l'exil juif
jusqu'à Jérusalem en quatre ans.
Vers la fin du récit d'Esther, quand elle revient
à Nice trente-cinq après son exil, elle entend encore tout ce
qu'elle a vécu le jour même qu'elle est partie « courez !
Fuyez ! [...] Une rafale de mitraillettes les a fauchés, et ils sont
tombés les uns sur les autres, les hommes, les femmes, les vieillards,
les jeunes enfants » (1994 :341) pour rappeler la mort de son père
et le retour de sa mère à Nice, « la terre où son
mari était mort ». Ces retours en arrière des protagonistes
nous montrent le témoignage d'une époque d'un point de vue des
survivants.
À la fin de l'initiation d'Esther, Le Clézio
livre une image symbolique, figurant la découverte du secret de la
filiation et le rôle que cette découverte va lui assigner en tant
qu'écrivant. La scène est celle de la rencontre des deux filles
au mont Siloé, cette rencontre est énigmatique, les descendants
de Sarah et d'Agar37 ensemble pour la première fois sans
s'entretuer et en s'offrant un livre comme preuve de leur souffrances et
fraternité. On apprend au fil de pages que Nejma est comme Esther issue
de la diaspora du peuple palestinien. Elles sont de ce fait les
représentantes dans le récit des peuples errants et de la
mythologie des peuples d'Abraham, deux peuples frères unis par
l'écriture « Esther a commencé écrire une lettre.
Elle ne savait pas très bien à qui elle était
destinée [...] peut être qu'elle l'écrivait pour Nejma, sur
le même cahier noir [...] où elles avaient écrit leurs noms
» (1994 : 306).
L'initiation au mythe et l'engagement à travers
l'écriture de l'écrivain se fait évident dans son roman et
dans son oeuvre. Le Clézio choisit de s'engager à travers son
scène d'enonciation qui legitimise sa défense des pays
démunies et populations en guerre. À ce propos la
conceptualisation de Maingueneau sur les trois scènes
complémentaires nous éclaire par rapport à ce choix :
« la scène englobante, la scène générique et
la scénographie38 ». La scène englobante
correspond au type de discours, la scène générique est
rattachée au genre de discours. La scénographie est en revanche
celle qui prime dans le discours littéraire sur les
37 Les mères d'Isaac et Ismaël dans la Bible.
38 Maingueneau, Dominique, Le Discours Littéraire.
Paratopie et scène d'enonciation, Paris : Armand colin, 2004, p.
191
42
autres scènes d'enonciation, parce que l'on peut
énoncer un texte romanesque selon plusieurs modalités comme dans
notre cas, « un journal intime ». De cette manière, le lecteur
reçoit le texte à travers sa scénographie qui
délimite le cadre dans lequel se fait l'enonciation. En
présentant son récit sous forme d'un cahier noir entre les deux
filles Le Clézio occupe la place de la fille chargée d'une
mission messianique, l'écrivain instaure une scénographie
épistolaire qui relègue au deuxième plan la scène
générique. En présentant ainsi le discours, l'auteur
persuade le lecteur car celui-ci reçoit une lettre supposé de
l'ordre de la correspondance privée et non pas un simple compte rendu
d'une quelconque aventure. Ceci- dit rend le récit et le discours
fragmenté et subjectif pour le lecteur qui se sent identifié
à l'histoire. Maan Alsahouni souligne dans son analyse sur Onitsha et
Révolutions « Le Clézio adopte dans son discours la posture
de l'homme qui a été aussi victime de l'esprit de
supériorité ethnique et sociale qui caractérise l'Occident
moderne. De cette situation initiale découle un parti pris pour l'autre
et l'engagement tiers-mondiste39 ». Suivant cette même
pensée, nous comprenons que Le Clézio essaye surtout de se
débarrasser d'un seul et unique héritage culturel et historique
occidental pour entrer dans une « poétique de la relation »
dans laquelle l'acte de raconter se positionne sur une place éthique qui
vise à préserver la mémoire des vaincus, à tenir
une promesse vis- à- vis les ancêtres de l'humanité et
l'engament pour une utopie de l'écriture.
Dans cette deuxième partie nous avons exploré
quelques modalités d'écriture chez Le Clézio, la
construction d'un discours et un récit particulier qui inclut une
écriture des scénographies, le mythe de l'origine comme fil
conducteur de sa narration, son style subjectif et fragmenté qui donne
un point de vue spécifique sur la lecture que nous nous faisons du
monde.
39 Alsahoui, Maan, Engagement et identité narrative
dans Onitsha et Révolutions, dans « Les Cahier de Le
Clézio : Migrations et métissages », Paris :
Complicités, 2011, p. 117
TROISIEME PARTIE
ETOILE ERRANTE : PERSPECTIVES POSTCOLONIALES
DE L'ERRANCE LECLEZIENNE
Une écriture de l'altérité : Le
conflit judéo-palestinien
Pour ce qui est de la présence de la politique dans une
oeuvre littéraire, la phrase de Stendhal selon laquelle « la
politique dans une oeuvre littéraire, c'est un coup de pistolet au
milieu d'un concert40 » a fait long feu. Mais on sait, au moins
depuis que Sartre l'a théorisé dans Qu'est-ce que la
littérature 41?, que toute oeuvre est politique dans la
mesure où elle est le reflet de son temps, « elle est
elle-même idéologie ». Nous pourrions ainsi résoudre
la question en disant que si la politique n'est pas toujours présente en
littérature, la littérature relève toujours du politique.
A cet effet, Le Clézio s'interroge sur la réalité
israélienne en mettant en scène des personnages, victimes d'un
conflit qui les a poussés à devenir, déracinés,
errants, déterritorialisés et exilés. L'errance n'est pas
seulement un thème littéraire, mais un discours qui produit ses
propres modalités d'écriture qui prend tout son sens dans le
monde contemporain dans un contexte historique et social précis qui
apparaît directement lié aux immigrés et aux peuples
nomades. Dans Etoile errante Le Clézio recrée une
histoire qui montre à travers les deux protagonistes leurs errances et
leurs souffrances qui deviennent plus que deux individus, deux
communautés, deux collectifs, deux peuples : la Juive et la
Palestinienne dans une logique d'exclusion en Israël. Ainsi, Le
Clézio émet un cri dans son
40 Stendhal, Le Rouge et le Noir, Paris : Editions
Hatier, 2004, livre second, chap. 22.
41 J.P. Sartre, Qu'est-ce que la littérature ?,
Paris : Gallimard, 1948, p. 128.
43
44
écriture au nom de ceux qui ont été mis
à l'écart dans la société pour leur donner une voix
et une revendication sociale. De cette façon, l'écrivain partage
avec Deleuze et Guattari le fait de considérer la littérature
« moins l'affaire de l'histoire littéraire que l'affaire du
peuple42 » car chaque énoncé individuel est
imprégné de la culture collective du groupe qui reconnait en lui
un acte politique qui pousse la communauté vers d'autres espaces
permettant le décentrage et provoquant des intensités et
ouvertures. Le Clézio avoue le rôle que pour lui joue le fait de
raconter des histoires vraies, des histoires qui circulent dans une
collectivité plutôt que d'inventer. Le conflit
israélo-palestinien est la toile de fond de ce roman, les personnages
Esther et Nejma représentent deux victimes, deux individus
obligés à s'exiler pour des raisons politiques, pour les deux, la
guerre, la faim et la recherche d'un territoire sont leur signe de
fraternité. Ces deux filles d'Abraham sont à la recherche d'un
Jérusalem qui puisse jouir de repos.
Etoile errante illustre des enjeux politiques et
historiques fortement présents dans les récits de ses personnages
ou l'enonciation oscille du « je » intime d'Esther ou Nejma, les
personnages narrateurs, à un « nous » qui dans l'esprit de la
Histoire de leurs communautés, étend l'observation et l'analyse
des collectifs unis par une même expérience de guerre. Le
Clézio, se place dans une perspective du réalisme subjectif
privilégiant ainsi le point de vue des personnages-acteurs ou
témoins de la situation. Les effets de distance et d'absurdité
qui sont issus du décalage entre le côté social et le
côté psychologique des personnages qui observent et narrent
l'évènement et les enjeux du conflit se trouvent amplifiés
par une style d'écriture très proche du filmique qui rend le
lecteur plus sensible, plus sensoriel et moins cohérent aux
catégories de causalité. De cette manière, le roman donne
une importance à une vision discontinue et subjective de l'Histoire en
détriment de la quête de sens de l'historien.
Dans Etoile errante les mouvements de l'Histoire sont
illustrés grâce à la temporalité du récit, le
roman s'achève dans une période de quarante ans dont la
profondeur temporelle fait apparaitre les évènements du conflit
entre 1942 et 1982. Ainsi, le retour des Juifs en Israël comme preuve d'un
espoir après la Shoah, l'exclusion des Palestiniens à cause de la
création de l'état d'Israël, la première Intifada et
l'évocation de Beyrouth en flammes et les massacres de Sabra et Chatila
en 1982 montrent parmi d'autres les évènements qui ont subi les
personnages. De cette façon, Le Clézio nous apporte une vision
propre de la littérature par rapport aux faits « [elle] permet de
reprendre l'histoire et de lui donner une vérité qu'elle n'a
42 Deleuze et Guattari, « Kafka, pour une littérature
mineure? », Paris : Editions de Minuit, coll. « critique »,
1975, p. 32
45
pas autrement 43», elle doit permettre de
montrer la vérité des évènements non pas d'un point
de vue des militants ou des puissants, mais la vérité de ceux qui
restent anonymes, qui subissent et qui souffrent sans comprendre le conflit.
C'est pourquoi l'écrivain mêle subtilement distance et
implication, il opte pour l'histoire qui se vit au quotidien, pour le choc des
émotions qui suscitent les évènements, pour un choix de
représentation filmique qui donne à entendre la voix de ceux qui
n'ont pas de voix « la bouche des malheurs qui n'ont point de
bouche44 ». De cette manière, le roman nous donne une
vision fragmentée et subjective des faits et corrige la froideur que
l'analyse historique porte.
Dans ce sens, Etoile errante fait écho
à son discours d'allocution du Prix Nobel en 2008, où « lui
[l'écrivain] qui ne voulait écrire que pour ceux qui ont faim
découvre que ceux qui ont assez à manger ont loisir de
s'apercevoir de son existence45 ». Envisagée dans
l'optique de Dagerman, Le Clézio commence par la question « pour
qui écrit-on ? », et il se donne comme réponse les paradoxes
de l'écriture : la position de l'écrivain comme celui qui parle
pour ces voix anonymes, exclues et opprimées, le choix d'écriture
que cela implique et la question de la réception de l'oeuvre. Cependant,
son discours évoquera sa première grande circonstance qui lui a
amené à écrire : celle de la guerre « Non, la guerre
pour moi, c'est celle que vivaient les civils, et surtout les enfants
très jeunes. Pas un instant elle ne m'a paru un moment historique. Nous
avions faim, nous avions peur, nous avions froid, c'est tout46
» À partir de là, le discours de Stockholm
réaffirmera l'engagement éthique de l'écrivain
auprès des plus fragiles. Ces peuples oubliés de l'Histoire, les
Palestiniens et les Juifs, persécutés, affamés,
ruinés, exilés sont très liés à sa propre
expérience personnelle qui a rendu « sa famille
déracinée [...] qui lui fait se présenter lui-même
comme un immigré de la seconde génération
47».
En conséquence, la narration des personnages
submergés dans le conflit israélo-palestinien nous fait noter que
l'écrivain crée un système des lieux qui ne s'organise pas
selon un mode binaire qui montrerait un côté positif et un
côté négatif, mais qui présente les espaces
43 Fellous, Collete, Carnet nomade, France- Culture, 25
avril 2003.
44 Césaire, Aimé, Cahier d'un retour au pays
natal, Paris: Présence Africaine poésie, 2011. P. 22
45 Le Clézio, JMG, Dans la forêt de
paradoxes, Discours de réception du Prix Nobel de
Littérature, Bretagne. Conférence Nobel. Fondation Nobel. 2008,
p.3
46 Op.cit ., p.1
47 Salles, Marina, Ecrire pour la gloire des vaincus :
défis et paradoxes, dans « JMG Le Clézio. La foret des
paradoxes », Thibaut B et Moser K (sous la dir.) Paris : L'Harmattan,
2012, p. 127
46
avec leur part d'ombre et de lumière. L'environnement
d'Esther à travers son errance est à la fois son refuge contre la
violence qui lui inflige le nazisme, l'espoir de la terre promise et le lieu de
la quête identitaire. Pour Nejma le milieu du camp de Nour chams est
à la fois son refuge de la mort et son lieu de désespoir. L'exil
à cause du conflit représentera le pire de la guerre, mais aussi
le meilleur de chaque être humain pour en résister. Le
Clézio interroge la société et ses faits à travers
son roman, il essaye de mettre en lumière la dignité et la force
de ces personnages profondément humiliés et opprimés
à cause d'un fatalisme social et historique que nous questionne, que
nous hante pour nous demander si ce déterminisme que nous vivons
actuellement répond vraiment à une cause. La découverte
d'un pays natal qui se crée en 1948, l'état d'Israël et la
guerre entre Juifs et Palestiniens font de ce récit un miroir de notre
société actuelle.
La scénographie et la symétrie du texte
justifient son caractère historique et mettent en évidence
certaines données moins connues qui donnent au projet romanesque une
configuration qui s'inscrit dans la construction du sujet. Le Clézio
opte pour le récit de petites histoires de vie de communautés
démunies et exclues avec en arrière-plan la Deuxième
Guerre Mondiale dont la marginalité et l'exclusion sociale deviennent
des motifs d'analyse dans l'histoire. D'ailleurs, le projet scriptural de
l'écrivain vise à faire réfléchir la population
à travers ses mises en scènes de ce conflit
judéo-palestinien, projet qui n'a pas toujours été bien
saisi par les Israéliens. Salles souligne dans son ouvrage Le
Clézio, notre contemporain que lors de sa réception en
Israël l'ouvrage Etoile errante a été
soupçonné « d'antisioniste », elle explique :
La parution d'un extrait du roman dans La Revue D'étude
palestinienne a suscité des réactions si passionnelles et si
vindicatives que Le Clézio a dû anticiper la publication du livre,
qu'il avait retardée par crainte d'une confusion entre la
littérature et l'actualité au moment de l'Intifada. Accusé
de « soutien à l'OLP » par Guy Scarpetta, et d' «
antisioniste » par Bernard- Henry Lévy, l'auteur s'est senti
à juste titre ulcéré d'une réception qui ne tenait
pas compte de son propos en privilégiant une cause ou un clan, en
occultant la portée symbolique du livre au profit de la seule
actualité politique [...] 48
48 Salles, Marina « Le Clézio, notre contemporain
» Presses Universitaires de Rennes, coll. : « Interférences
», Rennes, 2006.p. 121
47
Paradoxalement, plusieurs années après, Le
Clézio qui venait de se voir attribuer le prix Nobel de
littérature 2008, était de passage au Québec à
titre de membre du Jury international du Prix littéraire des cinq
continents de la Francophonie pour remettre le prix littéraire de la
Francophonie à l'écrivain Juif sépharade, natif de
Tunisie, Hubert Haddad, pour son roman Palestine. Dans un entretien
dans le « The Canadien Jewish News » Le Clézio manifeste :
Palestine est un livre très fort qui touche à un
drame contemporain qui concerne et interpelle tout le monde: le conflit
israélo-palestinien. Ce qui est formidable dans le livre d'Hubert
Haddad, c'est qu'il ne tranche pas. Ce livre ne donne pas une seule version des
faits, mais fait vivre de l'intérieur les complications et les
complexités de ce drame. Je ne vais pas vous raconter l'histoire de ce
roman. Je vous dirais seulement que c'est le récit d'une substitution de
personne, de quelqu'un qui prend la place d'un autre. Donc, il y a du
fantastique dans ce roman49.
Ainsi, Le Clézio partage cette vision encourageante que
la littérature nous permet d'attendre quelque chose de positif par
rapport au conflit politique qui tisse des enjeux assez catastrophiques pour la
population depuis un siècle. Son opinion sur le conflit nous laisse
entrevoir un écrivain engagé, qui conçoit la
littérature comme moyen de compréhension et d'ouverture vers les
autres :
C'est une question qui est très grave parce qu'elle
coûte de nombreux morts dans les deux camps. Tant du côté
palestinien que du côté israélien beaucoup d'horreurs et de
cruautés ont été commises. Nous ne trouverons pas une
solution acceptable ici, ce soir. Mais, à mon avis, le roman d'Hubert
Haddad apporte un espoir. C'est pour cette raison que j'ai beaucoup aimé
ce livre magnifiquement écrit. Ce récit très poignant
apporte l'espoir que cet échange d'identité suscite. Le fait de
changer de personne, de se mettre à la place de l'autre, c'est
peut-être un début de solution, non politique, mais simplement
humaine et philosophique. 50 »
Cette même vision est partagée par
l'écrivain israélien Amos Oz, qui dans un entretien avec la
chaine de télévision franco-allemande ARTE exprime avec optimisme
:
49 Levy, Elias « J.M.G. Le Clézio, la Palestine et
Israël » paru dans « The Canadien Jewish News »
Québec, 2008. En ligne :
http://www.cjnews.com/node/82070
consulté le 15 mars 2013.
50 Ibid.
[...] Moi, je me souviens très bien, moi je suis
déjà vieux, je me souviens du temps où les Palestiniens ne
voulaient pas dire le mot « Israël »... ils pensent
qu'Israël est comme une éruption cutanée qui pourra
disparaître. Les Israéliens ne voulaient pas dire Palestiniens,
ils disaient « les Arabes locaux » pour ne pas dire le peuple
palestinien. Je vois un grand pas en avant maintenant, même les
Palestiniens savent que les Israéliens ne vont pas aller ailleurs, et
les Israéliens savent que les Palestiniens ne quitteront pas le lieu, le
pas comminutif a été déjà franchi, ce qui nous
manque est une direction politique courageuse des deux côtes en
même temps... il doit y avoir un leader politique courageux 51
[...]
Cette même idée a toujours été
partage par Eduard Saïd, qui a été l'intellectuel
Palestinien le plus militant de la cause de son pays d'où il
était exilé. Dans son article Israël-Palestine, une
nouvelle voie, l'intellectuel s'exprime ainsi :
Le combat que nous menons est un combat pour la
démocratie et l'égalité des droits, pour un Etat ou une
République laïque dont tous les membres sont citoyens égaux,
et non pas un faux combat inspiré d'un passé mythologique et
lointain, qu'il soit chrétien, juif ou musulman. Le génie de la
civilisation arabe trouve son apogée dans l'Andalousie
pluriculturelle, plurireligieuse et pluriethnique52.
Voilà un idéal à suivre en lieu et place d'un processus
d'Oslo moribond et d'une attitude malsaine de rejet négationniste. La
lettre tue, mais l'esprit donne vie, comme il est dit dans la
Bible.53
Ces trois écrivains sont dans la voie de la
réconciliation, dans une poétique de l'enracinement, puis
d'ouverture au monde. La pensée de la relation revienne dans ce domaine
où les affrontements se font destructeurs de toute culture et de toute
ouverture à l'Autre « la pensée de la Relation, ne confond
pas des identiques [...], elle distingue entre les différends, pour
mieux les accorder », avait l'habitude de répéter Glissant
pour nous expliquer que le monde est un lieu de rencontre des imaginaires.
Cette pensée de la Relation Glissant l'a réfléchi en
termes de complexité, qui vient de complexus, et que signifie
ce qui est tissé ensemble. Ainsi nous pouvons rappeler cette phrase de
Bourdieu « Le réel est relationnel »
51 Feist, Herade, Rencontre avec Amos Oz, dans le
reportage diffusé sur ARTE, le samedi 16 février 2013. En ligne :
http://videos.arte.tv/fr/videos/litterature-rencontre-avec-amos-oz--7331252.html
consulté le 18 mars 2013.
52 Souligné par nous.
53 Saïd, Edward, Israël-Palestine, une nouvelle
voie, dans « Le Monde Diplomatique » Paris, Août, 1998
48
pour répondre aux préoccupations des
écrivains contemporains comme Le Clézio sur les identités
-relation, la mondialité et le Tout Monde.
La question identitaire
Etoile errante met en scène deux personnages
féminins jeunes qui représentent deux communautés
identitaires. Le Clézio fait vivre à travers ces récits
pas seulement deux individus, mais aussi deux communautés qui
s'identifient et se sentent concernées. À travers la figure de la
femme, la lutte pour l'égalité, pour l'inclusion prend une valeur
plus significative en tenant compte que l'auteur manifeste à Cortanze
« être assez imprégné par les femmes qui sont en
situation transitoire entre deux mondes54 ». Cette symbolique
l'amène à mettre en l'avant des portraits de femmes exclues et
marginalisées par la société. Ces personnages
féminins sont confrontés aux situations de barbarie, de guerre,
de solitude, d'angoisse ; dépourvus d'aide sociale, abandonnés,
en recherche d'un lieu où habiter :
Esther
« J'ai dix-sept ans. Je sais que je vais quitter ce pays,
pour toujours. Je ne sais pas si j'arriverais là-bas, mais nous allons
bientôt partir... nous sommes enveloppées dans la couverture
militaire que nous a donnée l'oncle Simon Ruben avant notre
départ.... Apres la guerre, quand nous sommes venues à Paris,
sans mon père, Simon Ruben nous a recueillies » (1992 : 143)
|
Nejma
« Quand nous sommes arrivés dans le camion
bâché de Nations unies, nous ne savions pas que cet endroit allait
être notre nouvelle vie. Nous pensions que c'était pour un jour ou
deux, avant de reprendre la route. Le temps que cessent les bombardements et
les combats dans le villes ... » (1992 :226)
|
49
Ces deux passages nous montrent le caractère exclusif
de la persécution et de la guerre des deux jeunes filles qui,
obligées de quitter leur territoire d'origine, passent leur errance dans
des lieux de passage, l'une dans un garage en attendant que la guerre finisse
pour pouvoir sortir, l'autre dans un camp de réfugiés en
attendant que les Nations unies leur donnent un endroit pour s'installer.
Ainsi, la narration d'Esther nous permet de voir l'évolution des
personnages dans le récit, son peuple qui est devenu l'image de cette
errance. Au fur et à mesure que leur récits avancent, la
gradation de l'individuel en collectif recrée une atmosphère
morbide qui caractérise l'errance. La narratrice nous décrit ce
qu'ils sont devenus en marchant : « les hommes marchaient en tête,
suivis par les femmes, les vieillards et les enfants. Cela faisait une longue
troupe noire et grise, sous le soleil ardent, dans le genre d'un
54 Cortanze, Gérard, JMG Le Clézio, le nomade
immobile, Paris : Gallimard, 2009, P. 240
50
enterrement » (1992 :89). En termes de « longue
troupe noire et grise » elle décrit sa communauté juive.
Dans un autre fragment, les descriptions de la jeune fille nous confirment une
exclusion sociale : « C'étaient les Juifs les plus pauvres, ceux
qui étaient venus d'Allemagne, de Pologne, de Russie, qui avaient tout
perdu dans la guerre » (1992 :91). Dans ce passage, la description des
Juifs renvoie à ceux qui sont venus d'Europe, la représentation
qui émerge ici c'est celle des Juifs persécutés par le
Nazis , mais aussi celle d'un personnage collectif « les Juifs les plus
pauvres » qui fait allusion à une Europe décevante et
exclusive qui a chassé ce peuple et qui les a obligés à
fuir pour se sauver. Pour Esther, l'observation des enfants qui erraient aussi
entre les adultes était une grande douleur, cette marche sans fin qui
les amènerait à Jérusalem était le signe d'une
grande souffrance intérieure marquée par la carence physique et
le manque d'espoir. Ceux, qui comme elle, cherchaient une seconde
opportunité de rétablir leur vie étaient condamnées
à l'oubli et à la mort ; la perte de leurs noms semble un signe
important de cette perte d'identité:
Esther cherchait leurs noms dans sa mémoire,
Cécile Grinberg, Meyerl, Gelibter, Sarah et Michel Lubliner, Léa,
Amélie Sprecher, Fizas, Jacques, Mann, Lazare, Rivkelé, Robert
David, Yachet [...] Mais elle ne retrouvait leurs noms qu'avec peine, parce que
ce n'étaient plus déjà les garçons et les filles
qu'elle connaissait, ceux qu'elle voyait à l'école, qui couraient
et criaient dans les rues du village, ceux qui se baignaient nus dans les
torrents, et qui jouaient à la guerre dans les fourrés.
Maintenant, vêtus d'habits trop grands, trop lourds, chaussés de
leurs chaussures d'hiver, les filles avec leurs cheveux cachés par les
foulards, les garçons coiffés de bérets ou de chapeaux,
ils ne couraient plus aussi vite, ils ne se parlaient plus. Ils semblaient des
orphelins en promenade, déjà tristes, fatigués, ne
regardant rien ni personne (1992 :92)
Ainsi, cette perte d'identité est devenue porteuse de
sens pour le personnage, c'est pourquoi l'étrangeté de sa
condition et sa quête identitaire se sont manifestées : «
c'était la première fois, elle comprenait qu'elle était
devenue une autre » (1992 :93). Cette pensée
d'étrangeté du protagoniste nous fait penser à ce dicton
que nous a laissé Térence et qui pourrait nous expliquer la
position de Le Clézio par rapport à la littérature «
Je suis un homme, et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est
étranger ». L'écrivain perçoit la littérature
comme un moyen qui nous permettrait non seulement de voir autrui, de prendre
acte de son visage et « d'être le gardien de son frère »
comme nous y invitait la philosophie de Levinas qui a tant marqué la
littérature de notre siècle, mais aussi de devenir
temporairement
autrui. En donnant voix au personnage d'Esther, Le
Clézio veut briser ce paradigme de la centralisation : « c'est dans
la lecture que j'ai trouvé d'abord la preuve de l'altérité
55 ». Ainsi, L'écrivain nous donne une image d'un
personnage décentré, en quête d'un lieu identitaire, un
lieu d'attachement, Esther noue un lien avec son peuple, avec d'autres qui
laissent leurs traces, avec elle-même.
À ce propos, Levinas nous a laissé des grandes
réflexions à faire passer par rapport à l'autre. Si bien
après la guerre l'idée de religion et de Dieu nous interpelle
à changer par rapport à l'humanité qui souffre, c'est
grâce à ce philosophe qui a travaillé à
déployer une éthique qui envisage la souffrance dans une
perspective interhumaine, c'est-à-dire dans une non-indifférence
des uns envers les autres. De cette manière, Levinas donne à
l'éthique un statut premier par rapport à
l'altérité. Pour Levinas, l'éthique n'est pas une
recherche de perfectionnement ou d'accomplissement personnel mais la
responsabilité à l'égard d'autrui à laquelle le moi
ne peut échapper et qui est le secret de son unicité : personne
ne peut me remplacer dans l'exercice de cette responsabilité. Mais de
quoi parle-t-on ici quand on parle d'autrui ? Selon Levinas, il n'est ni
l'élément d'une espèce, ni un concept ou une substance et
ne se définit pas par son caractère, sa situation sociale ou sa
place dans l'histoire. Autrui n'est pas objet de connaissance, de
représentation, de compréhension, pas même l'objet d'une
description. Levinas nous dit qu'Autrui est d'abord un visage : « Le
conatus essendi naturel d'un Moi souverain est mis en question devant le visage
d'autrui 56 » Mais le visage n'est pas ce masque qu'on pourrait regarder
comme on regarde un objet quelconque. Le visage est expression, discours ;
visage est parole, demande, supplication, commandement, enseignement. Lorsque
je regarde une personne, je ne vois pas ses yeux mais je suis transporté
dans un au-delà qui me révèle l'idée d'infini, une
idée que je ne peux trouver qu'en moi-même. Rien n'est plus
étrange, ni plus étranger que l'autre. Il est l'inconnu. La
compréhension d'autrui est inséparable de son invocation, qui
tient comme source le fait qu'autrui me regarde. Le visage exige
réponse, commande, oblige, aide, interroge. La responsabilité
à l'égard d'autrui est impliquée par le visage. Chez
Levinas, le visage me rappelle et me convoque à la
responsabilité. En conséquence, la rencontre avec l'autre me
conditionne en tant que sujet en me faisant ainsi investir dans ma
liberté. Ce n'est pas pour rien que Le Clézio intensifie les
descriptions du visage des personnages dans le roman. Les
55 Cite par Isabel Roussel-Gillet, JMG Le Clézio,
écrivain de l'incertitude, Paris : Ellipses, 2011, p.143
56 Levinas, Emmanuel, Altérité et
transcendance, LGF, 2006, p.27
51
yeux et le regard sont les deux mots que Le Clézio
utilise le plus pour décrire les visages des personnages, il multiplie
les procédés d'écriture propres à
l'énumération du réel qui nous permettent de saisir les
émotions du personnage en nous identifiant à lui. Ainsi,
l'écrivain nous révèle la souffrance des deux peuples en
guerre, ses émotions, ses gestes, ses pensées, ses
manières de procéder pour caractériser une époque
qui continue à faire débat dans l'actualité et qui passe
par la révélation des bribes des histoires personnelles.
Dans la grille qui suit nous illustrons les procèdes de
description que l'auteur utilise, nous soulignons quelques extraits pour faire
remarquer l'effet chez le lecteur :
Visages de l'errance
Positif
|
Négatif
|
« C'est son visage que j'ai aimé d'abord, quand
elle
|
« Dans les yeux des hommes, il y a une sorte de
|
s'est dévoilée dans la hutte. Sa peau était
couleur de
|
fumée, un nuage. Cela éteint leur regard, le rend
léger,
|
cuivre, sombre, et ses yeux pers brillaient
|
étranger. Il n'y a plus la haine, la colère, il n'y
a plus
|
étrangement, comme s'ils avaient une lumière
|
les larmes, ni le désir, ni l'inquiétude.
Peut-être est-ce
|
particulière, quand elle me regardait, quelque chose de
|
que l'eau manque tellement, l'eau, la douceur. Alors il
|
paisible et de troublant à la fois. Peut-être
qu'elle
|
y a cette taie, comme sur le regard de la chienne
|
savait voir au-delà des choses et des gens, comme font
|
blanche quand elle avait commencé à mourir
»
|
certains aveugles. » (1992 : 238)
|
(1992 : 257)
|
« c'était une femme très jeune presque une
jeune fille,
|
« son visage était desséché et noirci.
Il a regardé
|
avec un visage très blanc, marqué par la fatigue,
mais
|
Nejma, et Loula qui geignait la bouche collée au voile
|
qui avait gardé quelque chose d'enfantin,
|
pour chercher un sein à sucer « jamais nous
|
qu'accentuaient sa chevelure blonde coiffée en deux
|
n'arriverons à al-Moujib. Nous ne reverrons jamais le
|
nattes régulières, et ses yeux couleur d'eau, qui
vous
|
palais des Djenoune. Peut-être qu'ils sont partis, eux
|
regardaient avec une sorte d'innocence peureuse, à la
|
aussi » Il a dit cela avec sa voix tranquille, mais les
|
manière de certains animaux. » (1992 : 247)
|
larmes coulaient de ses yeux, traçaient des lignes sur
ses joues et mouillaient le bord de son
voile poussiéreux » (1992 : 292)
|
D'un point de vue intertextuel, nous constatons un signe du
dialogue entre les mémoires collectives et individuelles du personnage
d'Esther qui lit la Bible, les histoires de Mr Pickwick, les Mille et une nuits
et les poèmes de Hayyim Nahman Bialik. Toutes ces
références nous renvoient aux imaginaires profondément
marqués par l'errance, le voyage et l'exil nous rappellent que
l'altérité ne peut se définir en termes de
représentation de l'autre car elle est insaisissable, c'est ce qui se
constitue toute sa complexité et sa richesse comme concept et comme
expérience. En ce qui concerne le personnage de Nejma, la Palestinienne,
nous regarderons sa perception par rapport à son peuple et
l'altérité. Dans le début de son journal, elle manifeste
sa décision de rédiger les mémoires d'un non-lieu, de Nour
Chams :
52
Ceci est la mémoire des jours que nous avons
vécus au camp de Nour Chams, telle que j'ai décidé de
l'écrire, moi, Nejma, en souvenir de Saadi Abou Talib, le Badawwi, et de
notre tante Aamma Houriya. En souvenir aussi de ma mère, Fatma, que je
n'ai pas connue, et de mon père, Ahmad » (1992 : 223)
Dans ce premier paragraphe la charge émotive est
grande, Nejma décide d'écrire ses mémoires en fonction
d'un non-lieu qui lui évoque les pires moments de sa vie mais qui lui
permet aussi de trouver dans l'écriture ce lieu identitaire collectif
que lui a été volé. Pour ne pas permettre à son
peuple d'oublier ce qu'ils ont vécu dans cet endroit, elle
matérialise dans son journal sa vie et son expérience. Sa vision
de son peuple avant et après leur errance nous permet de comprendre sa
douleur et sa souffrance en tant que Palestinienne par rapport au pays natal
:
Les fils du vieux Nas avaient une ferme, à Tulkarm. Ils
ont tout laissé, les bêtes, les outils, et même les
réserves de grain, d'huile, et leur linge, parce qu'ils croyaient eux
que les affaires s'arrangent. Au berger voisin qui ne faisait pas partie du
convoi des gens qu'on déplaçait, le fils de Nas avait
recommandé de surveiller la maison pendant leur absence,
d'empêcher qu'on ne vole les poules et de donner à boire aux
chèvres et aux vaches. Pour le dédommager, ils lui avaient
donné la plus vieille chèvre du troupeau, celle qui était
stérile et dont les pis avaient séché. Quand ils
étaient montés, dans le camion, le vieux berger bédouin
les avait regardés partir, ses yeux étroits comme deux fentes sur
son visage, avec la vieille chèvre qui cherchait à brouter un
journal sur la route. C'était la dernière image qu'ils avaient
emportée de leur maison natale, puis le camion en roulant avait tout
caché dans un nuage de poussière » (1992 :226)
Ainsi, nous voyons que l'espace originel est donc un lieu
réel, mais intangible, en ce sens qu'il existe, mais est aussi
éloigné du personnage errant. De cette manière, Nejma la
Palestinienne devient aussi une « juive errante » dans la mesure
où elle a aussi perdu son paradis, sa terre natale un lieu mythique et
imaginaire, le Paradis Perdu dans la culture judéo-chrétienne. Le
mythe du Juif errant vient de la légende d'un cordonnier condamné
à errer par le Christ, sur lequel il aurait craché pendant la
montée au Golgotha. Ainsi, le peuple condamné à l''exil
par sa trahison sera destinée à errer dans le monde. Cependant,
ce mythe fondateur de l'errance Juive a deux valeurs fondamentales : d'un
côté une valeur historique que doit se mettre en relation avec la
chute du royaume d'Israël et d'un autre, la symbolique de la faute commise
par les Juifs. Actuellement, le mythe du Juif errant nous fait
réfléchir par rapport à cette errance géographique
vers la « terre promise » qui permet au peuple Juif devenir la seule
communauté errante avec un but « atteindre son territoire ».
Cependant, il se trouve que pour ceux qui veulent que les Juifs disparaissent,
la meilleure manière de les détruire c'est à travers
53
54
de la punition de l'errance puisque l'identité est la
terre, donc si il n'y pas de terre, il n'y a pas d'identité. Ainsi,
cette situation nous interroge pourquoi les juifs sont-ils survécus ? La
réponse sera alors celle qui nous renvoie à leur errance : c'est
parce que son identité est autant dans l'errance que dans la possession
d'une terre. À ce propos, Jacques Lacan a fait un jeu de mots pour
comprendre cette errance. Il faut nous souvenir que le peuple juif nous a
apporté l'idée d'un unique Dieu et grâce à cela nous
ne voulons pas d'eux dû à leur ingratitude générale.
Ainsi, « le nom du père, en l'occurrence Dieu, peut s'écrire
« le non-dupe erre ».
Cela signifie que celui qui n'est pas dupe de l'idée de
Dieu doit affronter l'errance. Le peuple juif possède le nom du
père, il peut se permettre donc d'errer. De cette manière, La loi
et la terre se conjuguent et quand le peuple juif perd l'une, il a l'autre;
quand il perd l'autre, il a l'une, métaphore de l'errance et de leur
identité. Dans Etoile errante, Le Clézio dépeint
l'errance à travers ses personnages et il développe d'une
certaine manière un stéréotype de l'errant
profondément lié à la misère, au
déplacement, à la quête identitaire. Le Clézio veut
nous montrer l'image de l'errance d'un peuple en réutilisant le motif du
« juif errant ». Ses nombreuses notations proxémiques dans
l'ouvrage recourent à l'image du déplacement, de la
marginalité, de l'instabilité qui sont à mettre en
relation avec la question de la place. Le narrateur évoque plusieurs
fois le voyage d'Esther à Jérusalem en ces termes :
Esther s'apercevait qu'elle n'était pas comme le gens du
village. Eux, ils pouvaient rester chez eux, dans leurs maisons, ils pouvaient
continuer à vivre dans cette vallée, sous ce ciel [...] elle
devait marcher avec ceux qui comme elle, n'avaient plus de maison, n'avaient
plus droit au même ciel, à la même eau. Sa gorge se serrait
de colère et d'inquiétude [...] (1992 : 92)
L'espace apparait instable, toujours en questionnement pour
les personnages qui l'occupent. De manière comparable Nejma
évoque son camp de réfugiés comme une prison. « Il y
a si longtemps que nous sommes prisonniers de ce camp [...] » (1992 : 252)
; Son sentiment d'exil est si profond qu'elle se sent abandonnée, «
dessouchée » pour reprendre le terme de Glissant.
La légèreté également
évoquée comme caractéristique du personnage d'Esther par
Le Clézio nous rappelle ce rapport à la place, « [...] par
instants, fuyait la silhouette légère de la jeune fille. Elle
bondissait de roche en roche, reparaissait plus loin, disparaissait dans les
creux [...] » (1992 : 70). En effet, les personnages n'ont aucune
légitimité sur leurs territoires qui puisse justifier leur
présence.
55
Pourtant, malgré ce déplacement forcé
vécu par les deux héroïnes, elles parviennent à
prendre racine et à se construire, cette construction identitaire
s'opère dans le mouvement même qui devient une modalité
positive. Cela semble être l'expérience d'Esther dans sa
pérégrination vers Jérusalem, ce déplacement
à l'issue de ce voyage initiatique vers sa terre perdue devient un
rêve d'un espace où l'on pourrait échapper au pouvoir de
définition des autres. Quand le déplacement, l'errance n'est plus
une douleur, une souffrance, elle permet une perception plus positive de
l'espace et du temps, cette quête identitaire s'achève grâce
à une appropriation d'un espace en mouvement par les personnages comme
mode de relation ; c'est ce mode opératoire qui caractérise
l'écriture de Le Clézio et son regard critique porté sur
notre société contemporaine. Cette dénonciation du statut
d'errant dans un récit manifeste donc, de la part de l'écrivain,
une stratégie qui révèle un profond engagement pour ceux
qui sont « opprimés et exclus ». La traversée d'Esther
passe par la France, l'Italie entre autres.
Après, le passage d'Esther en Italie, son
itinérance continuera dans une traversée entre Paris, port d'Alon
et Marseille pour commencer son retour à Jérusalem en bateau.
Cette traversée durera quatre ans et se verra inondée des
vicissitudes et d'attente pour partir à la recherche de la terre perdue
: l'Israël. Pendant ce parcours, Le Clézio configure une
scénographie très marquée par la symbolique de la mer, du
bateau et du désert qui deviennent des métaphores dans le
récit d'Etoile errante. Le rêve d'un pays natal et d'une
origine sont présents tout au long des récits d'Esther qui porte
une vision de Jérusalem mythique, issue de la Bible et
idéalisée par son père et son peuple Juif. Ici, la
quête identitaire est marquée par ce mythe du retour qui implique
la fin de l'errance et le retour au pays d'origine où elle est
destinée à revenir. De cette manière, les paysages d'un
Jérusalem mythique animent cette symbolique renforcée dans le
récit. La focalisation interne nous permet d'entrer dans le personnage
et nous identifier d'une certaine manière à Esther et à sa
quête identitaire. Le Clézio dessine cet imaginaire mythique de
l'errance du peuple juif et nous tisse un monde où les mirages sont
possibles :
[...] cette ville comme un nuage, avec des dômes et des
clochers et des minarets [...] et des collines tout autour plantés
d'orangers et d'oliviers, une ville qui flottait au-dessus du désert
comme un mirage, une ville où il n'y avait rien de banal, rien de sale,
rien de dangereux. Une ville où on passait son temps à prier et
à rêver » (1992 :155)
56
Ce double mouvement d'idéalisation et déception
vécus par les personnages qui se cherchent dans une quête des
lieux d'attachement semblerait propre à l'écriture contemporaine.
Le Clézio propose une possible réconciliation entre un
passé mythique et un présent effrayant qui pourraient donner une
espérance à un peuple et leur légende. Etoile errante
est l'histoire d'une désillusion : la terre promise n'existe plus.
Esther et Nejma sont condamnées à errer dans un monde où
les guerres contemporaines incarnent le déplacement de la population
civile et parfois son extermination. Cette structure en miroir telle que l'a
conçue l'écrivain nous montre sa profonde inquiétude pour
ces deux peuples qui sont guidés sous un même signe, celui de
l'étoile, comme symboliquement la montre le drapeau de l'Israël. Le
deux peuples vivent deux moments à égalité : la fuite et
le passage dans des non-lieux, pour Esther et son peuple la fuite de la France
et le passage en Italie, pendant leur attente pour partir en Israël ; pour
Nejma la fuite de Jérusalem et le passage dans les camps de Nour Chams
avant de partir volontairement à la recherche d'un lieu où
recommencer sa vie.
L'errance comme question d'une quête identitaire
témoigne d'une profonde réflexion par rapport à
l'altérité, à la terre comme lieu identitaire et au
déplacement comme mouvement de la rencontre avec les autres et avec
soi-même. C'est pourquoi, Le Clézio nous fait ressentir ce
sentiment du paradoxe dans son récit. Ses personnages qui sont
dépeints dans les deux sens, positif et négatif, mettent en
relief l'exploration fréquente des plans qui captent la
réalité du moment et la font devenir un tableau
d'espérance. Ces personnages qui sont exposés aux plus dures
épreuves de la vie, deviennent aussi des personnages héros
capables de résister, d'émouvoir, d'espérer quelque chose
de bon. L'imaginaire collectif Juif, met en évidence le fait que
l'identité est liée à un territoire et à l'errance
même. Actuellement, cette idée d'identité est
opposée au lieu. Par conséquence, l'imaginaire autour de
l'errance peut défendre cette idée selon laquelle le nomadisme
nous permet de développer une identité- relation marquée
par la volonté de connaitre et de voir plus.
L'errance et les enjeux de
l'interculturalité
L'émergence d'une littérature de l'errance
depuis le Moyen Age et de son évolution dans le roman contemporain nous
permet de comprendre la manière dont les écrivains de l'errance
élaborent un certain nombre de configurations discursives qui imposent
la figure de l'errant comme un personnage à la croisée de
plusieurs langues et cultures et qui témoigne
57
d'un phénomène de Tout-Monde
caractéristique de notre époque. Aussi, l'errant est-il un
personnage problématique qui met en scène ce qui se joue dans la
relation avec L'autre et ouvre ainsi une véritable réflexion sur
l'Altérité en même temps qu'il pose la question des
origines et de la perte des origines.
Si bien, depuis le Moyen Age l'errance a été
perçue comme l'étiquette d'une punition ou d'un état
marginal pour ceux qui la choisissent ou au contraire pour ceux qui la
subissent, il faut souligner que les personnages de cette écriture
marginale ont fait preuve d'une condition humaine qui les hante partout. Au
point d'être nommés les « Fils de Caïn » les
personnages qui appartiennent à cette littérature sont
voués à errer. C'est le cas pour Le Clézio qui choisit de
recréer les marginalités dans ses ouvrages pour se mettre du
côté de ceux qui semblent exclus de notre modernité. Nous y
découvrons de nombreuses voix marginales qui offrent multiples formes de
décalages par rapport à cette idée d'identité
collective stéréotypée que notre société
prône.
De cette manière, l'écriture de Le Clézio
crée une identité culturelle comme identité
mêlée, issue du métissage qu'il a vécue grâce
au croisement d'un héritage franco-mauricien qui l'a marqué et
qui constitue sa richesse la plus précieuse au niveau littéraire
et personnel. Ses récits profondément marqués par «
le hors lieux » s'y structurent autour du concept de l'entre-deux de
toutes sortes : entre les générations (Esther et Le vieux Henri
Ferne), entre les pays (la France, l'Italie, l'Allemagne, l'Israël, le
Canada) ; entre altérités (Esther et Nejma), entre les espaces
d'errance (la mer et le désert), entre les frontières
(franco-italienne) etc.
Par conséquence, l'écrivain construit une
topographie de l'ouverture qui peut se voir possible ou menacée et que
recréent ses choix romanesques en scénographies qui nous
évoquent le monde dans son ensemble. Dans le cas, d' Etoile errante
l'errance des deux peuples nous montre une topographie composée par
l'Europe, l'Orient proche et le Canada. Ces paysages de la France exclusive aux
lisières entre l'Italie et l'Allemagne sont évoqués tout
au long du roman. Cependant, une grande partie du récit se joue aussi du
côté de la terre Sainte, L'Israël. Bien que la terre promise
se manifeste soit dans la rêverie ou dans l'action immédiate du
personnage, la scénographie est porteuse du sens pour l'ensemble de
l'histoire. De la même manière, cette errance et cette topographie
sont porteuses d'un discours qui se caractérisent pour la
réitération des termes qui évoquent l'exclusion, l'exil,
l'immigration, le
58
marginal, le territoire, la violence, la guerre, la diaspora,
le nomade. Jean Xavier Ridon dans son article Ecrire les
marginalités (1998) souligne :
Le Clézio redonne une visibilité à cet
espace d'exclusion auquel il confère une proximité à ses
lecteurs. Ce n'est plus le déplacement spatial qui importe mais la forme
d'un écart par rapport au discours juridico-policier qui cherche
à définir les limites de l'illégalité. Le parti
pris par Le Clézio pour ces exclus est par conséquent un choix
politique, il veut dénoncer des situations humainement inacceptables et
instituer un dialogue par rapport au silence où on les cantonne
57
Le Clézio investit cette part d'ombre de notre
époque où les identités minoritaires sont amenées
à se taire. L'écrivain conscient de son rôle qui implique
un certain engagement avec ceux qui n'ont pas été invités
au partage, « les vaincus », ressent le besoin de raconter de
manière multiple les expériences d'une société qui
trouve dans le divers une réponse à sa propre
étrangeté. Dans l'ouvrage les scènes qui nous renvoient
à ce partage où personne n'est exclu, nous montrent le
désir de l'écrivain d'observer la relation avec
l'étranger, l'autre, l'immigré, l'errant : « Esther aimait
partir avec les enfants chaque matin, dans cette troupe
hétéroclite où étaient mêlés filles et
garçons, enfants juifs et enfants du village, tous bruyants,
dépenaillés, la classe de M Seligman » (1992 :16).
Ainsi, bien que l'errance soit évoquée dans la
littérature de langue française, elle ne l'est pas de la
même manière chez tous les écrivains. Dans le cas de Le
Clézio, le sujet de l'errance profite de diverses sources qui font
d'elle un voyage initiatique en boucle ouvert qui dessine une spirale infinie.
L'errance chez Le Clézio reprend une vision négative de ce
phénomène, la malchance qu'elle peut apporter pour la faire
devenir un charme, la chose la plus humaine que nous avons en nous-mêmes.
Ceci dit nous amène à penser que l'errance chez l'écrivain
franco-mauricien fait partie d'un espace où l'on crée et
où l'on se crée, ce que Hommi Bhabha appelle « l'espace
d'intervention émergeant dans les interstices culturels58
» L'hypothèse de Bhabha est que, du point de vue des
minorités, la différence culturelle est un désir
d'autoriser des « hybridités sociales émergeant dans les
moments de transformations
57 Ridon, Jean X, « Ecrire les marginalités
», Revue Le Magazine littéraire No 362,
février 1998, p. 41
58 Bhabha, Homi k. Les lieux de la culture. Une
théorie postcoloniale, Paris : Payot, 2007 (trad. de The Location
of Culture), 1994, p.40
59
historiques 59» Cette
différence correspond à l'émergence d'une
communauté vue comme projet qui ouvre à une hybridité
culturelle, ou si l'on préfère, il s'agit de l'émergence
d'autres voix dissonantes comme les femmes, les anciens colonisés,
groupes minoritaires, etc.
Buata Malela nous explique à propos de la pensée
de Bhabha que « le discours colonial est marqué par la
fixité dans la construction idéologique de
l'altérité comme signe de différence culturelle,
historique et raciale. Cette fixité connote la rigidité, le
désordre, la répétition dans le discours du colonialisme
»60. Ce dernier est caractérisé par l'ambivalence
qui s'exprime à travers une stratégie discursive fondée
sur le stéréotype dont la force vient de cette ambivalence qui en
assure la répétition, nous dit-il. L'ambivalence met en cause les
positions dogmatiques et moralistes sur le sens de l'oppression et de la
discrimination. Dans ce sens, une écriture hybride qui donne naissance
et mémoire aux deux peuples victimes d'exil et exclusion semble
être une réponse à cette fixation que remet en question
Bhabha.
L'errance porte aussi le sentiment d'un exil intérieur
né des différentes tensions entre les espaces culturels et
linguistiques divers et l'enracinement identitaire qui déploie
l'imaginaire occidental. D'ailleurs, la question des Indépendances a
provoqué dans certains pays l'émergence de régimes
dictatoriaux qui ont amené les écrivains à se sentir
exilés dans leur propres pays natals. De cette manière, ce
contexte d'écriture induit d'une certaine façon un certain nombre
de procédés d'écriture que Le Clézio partage avec
les écrivains postcoloniaux, dans la mesure où l'écriture
de l'errance est une écriture du « hors lieu » qui se situe
dans les espaces intermédiaires entre l'Occident et ses anciennes
colonies et donne naissance à une écriture qui privilégie
« l'interstice culturel ». Lui-même est le représentant
de ce métissage qui se fait évident partout et qui inclut tout le
monde. Thibaut utilise le mot « transfuge » cher à Salman
Rushdie qui selon lui, définit mieux sa position : « Le
Clézio appartient à ce groupe d'écrivains contemporains
qui ont choisi de s'expatrier, au moins un temps, loin de leur culture
61 ». Ainsi, Le Clézio est un écrivain
potentiellement « interculturel » situé entre quatre
sphères culturelles comme le sont le Français, l'Anglais,
l'Espagnol, le Créole et les langues amérindiennes. En ce sens,
l'écrivain estime que toute civilisation a été
59 Ibíd., p.31
60 Ibid., p. 121
61 Thibaut, B, Roussel, I, «avant-propos» in
Les Cahiers de Le Clézio : Migrations et Métissages,
Paris : complicités, 2011, p. 22
60
creusée et travaillée par
l'altérité. La vision de l'écrivain postcolonial cherche
à étendre ce paysage réducteur de la colonisation, en mots
de Sultan « pour exister, ils(les écrivains) doivent se
décentrer, s'affranchir de la domination du centre ou au moins s'opposer
la plus vive résistance, et donc assumer dans leur travail
d'écriture leur part de l'héritage colonial 62
».
Cependant, bien que l'écriture de Le Clézio soit
représentative des écritures postcoloniales, on peut se demander
si elle ne marque pas une rupture avec sa génération
précédente, c'est-à-dire, avec une écriture qui
défend la littérature-nation et ses enjeux politiques. C'est
grâce à cette rupture que l'écriture leclézienne
parvient à revendiquer le dépassement de l'écriture
nationaliste et encourage un positionnement de l'errance
préconisé par Glissant qui implique une présence de la
diversité du monde et une participation consciente à
l'esthétique du divers qui caractérisent notre
société actuelle. Lohka remarque que « Le Clézio
retrace incessamment le départ et souligne le deuil de l'espace natal
dans ses romans63 ».
Dans le cas de Le Clézio nous verrons émerger
une littérature de l'errance profondément marquée par le
roman interculturel. Dans celui-ci l'influence de la théorie du rhizome,
chère à Deleuze et Guattari, est très présente, on
perd la notion d'origine et du point d'arrivée au bénéfice
des extensions et des prolongements. Chez Le Clézio, le concept de la
déterritorialisation culturelle est fortement marqué par ses
écrits et avec lui la culture nomade, terme proche de l'errance mais qui
diffère de celle-ci dans le fait d'avoir un but, une fin. Deleuze et
Guattari postulent dans son ouvrage « Mille plateaux » une pratique
spatiale et mentale autour de l'esprit de la culture qui semble inclure une
grande partie des personnages lecléziens. Pour lui, il n'y a pas de
frontières qu'on puisse tracer dans la logique des exclusions et
inclusions ; la culture invite au partage d'éléments divers dans
un même espace. Celui -ci pourrait être le grand message
d'Etoile errante, ouvrage où se tissent deux errances pareilles
entre une juive et une palestinienne qui appartiennent à un même
territoire mais qui font partie d'une logique d'exclusion. Suivant les traces
du mythe du Juif Abraham, nous trouvons que ces deux peuples sont des peuples
frères car les fils d'Abraham Isaac est le père
62 Sultan, Patrick. La scène littéraire
postcoloniale, Paris : Éditions Le Manuscrit, coll. « L'esprit
des lettres », 2011. P : 55
63 Lohka, Eileen, Pour une poétique de
l'emigr-errance, dans « Les cahiers Le Clézio. Migrations et
métissages » Paris, Editions complicités, p.133
61
du peuple juif et le père du peuple Palestinien est
Ismaël, frère d'Isaac. Les deux peuples sont
prédestinés à se joindre dans la construction d'un lieu de
mémoire.
Dans ce sens, la littérature de l'errance semble
être la meilleure réponse à cette rupture de
l'écrivain franco-mauricien avec les anciennes pratiques de
littératures nationalistes et les problématiques de
l'identité et d'appartenance nationale. Le Clézio lui-même
témoigne d'une vie d'errant, de nomade qui lui permet non seulement
d'appartenir plutôt à la « périphérie »
mais aussi à la littérature-monde. Dans ce sens, la
littérature de l'errance comme une littérature d'émergence
des voix dissonantes, est aussi une littérature mineure qui accomplit
les trois caractéristiques que proposent Deleuze et Guattari dans leur
oeuvre « Mille plateaux » (1975) :
1. Une littérature mineure n'est pas celle d'une
langue mineure, plutôt celle qu'une minorité fait dans une langue
majeure (Deleuze et Guattari 1975 :29)
2. Le second caractère des littératures
mineures, c'est que tout y est politique (Deleuze 1975 :30)
3. le troisième caractère, c'est que tout prend
une valeur collective
Ainsi, en ce qui concerne la langue, elle contient un «
fort coefficient de déterritorialisation » (1975 :30) notent les
deux auteurs. Dans le cas Etoile errante Le Clézio
recrée cette histoire qui montre à travers les deux protagonistes
leurs errances et leurs souffrances devenues collectives. C'est pourquoi, Le
Clézio émet un cri dans son écriture au nom de ceux qui
ont été mis à l'écart dans la société
pour leur donner une voix et une revendication sociales partageant avec Deleuze
et Guattari le fait de considérer la littérature « moins
l'affaire de l'histoire littéraire que l'affaire du peuple » (1975
:32) car chaque énoncé individuel est imprégné de
la culture collective du groupe qui reconnait en lui un acte politique qui
pousse la communauté vers d'autres espaces permettant le
décentrage et provoquant des intensités et ouvertures. Le
Clézio s'inspire des « utopies contemporaines de la
diversité culturelle et de la mondialisation 64» pour
qui l'écriture devienne « le lieu de la culture » que la
poétique de la Relation et la pensée de Tout-Monde qu'a
théorisé Glissant dépasse les barrières et les
clivages entre les imaginaires des langues.
À travers l'expérience personnelle des petites
gens et en reliant les atrocités décrites aux tragédies
mythiques du passé, Le Clézio revendique la littérature de
l'errance comme une
64 Op, cit. P. 22
littérature mineure qui compte pour lui et son
imaginaire littéraire. Son profond respect du sacré et du mythe
comme formes de la pensée humaine nous offre une possibilité des
rencontres riches en expériences comme par exemple celle du peuple juif
et son errance :
D'ailleurs, il n'accepterait pas de laisser là sa
famille, d'abandonner son peuple aux mains des ennemis qui nous retenaient
prisonniers. Il fallait partir tous, les vieux, les enfants, les femmes, tous
ceux qui étaient prisonniers, parce qu'eux aussi ils méritaient
d'arriver à Jérusalem. D'ailleurs Moïse lui-même
n'aurait pas abandonné les autres pour se sauver tout seul vers Eretz
Israël. C'était bien ça qui était si difficile (1992
: 187)
Dans la pensée de l'errance, il s'agit d'explorer
toutes les implications et tous les prolongements des personnages qui
nomadisent et vagabondent dans un monde qui paraît les exclure, les
marginaliser. Cependant, la proposition d'ouverture qu' ose Le Clézio
parmi beaucoup d'autres auteurs, c'est de faire de ses personnages et ses
thématiques une problématique qui cherche le plus souvent un
espace intermédiaire, aux lisières de l'être humain
où ce qui compte est l'espace parcouru entre deux pôles bien plus
que les points de départ et d'arrivée. L'errance d'Esther pour
atteindre « la terre promise » met ce personnage en contact avec la
réalité de son peuple et celui de Nejma au cours de son
voyage.
La transformation essentielle d'Esther trouve son écho
dans la deuxième génération, celle de son fils Michel,
« l'enfant du soleil » cette image nous permet de parler d'un
apaisement dans l'ouvrage vers une harmonie, vers une forme de
spiritualité rencontrée vers la venue d'un enfant nouveau. Dans
ce cas, Esther comprend ce que représente ce parcours initiatique
qu'elle a vécu issu de son errance tout au long du roman et que lui
permettra de comprendre celle de Nejma aussi. Cette errance leur a permis de se
réunir dans un instant que les a marquées et que les a
séparées mais qui leur permet de se rendre compte à quel
point les deux peuples, les deux filles, les deux étoiles, le
passé et le présent sont complémentaires ; et les
composantes religieuses et ethniques des personnages indiquent que, pour
l'écrivain, cet espace de renaissance se trouve dans un entre-deux, dans
un interstice où se développent de nouveaux modes
d'énonciation, de nouveaux discours envers l'autre. Ces interstices
culturels sont complexes dans l'écriture leclézienne, ils sont
dans un mouvement continu qui ne nous laisse pas fixer dans une seule origine
mais qui nous met dans un monde hétérogène qui nous
renvoie au fondement même des sociétés migrantes. Ainsi, Le
Clézio retrace le départ de ces
62
63
deux peuples et souligne le deuil du pays natal pour nous
montrer cette errance qui devient une itinérance, la force du
déplacement, un imaginaire de la route et une quête identitaire.
Ce mouvement narratif fera des personnages les protagonistes d'une
réussite d'un espace d'ouverture, d'interstice culturel qui doit passer
forcement par une traversée.
Le Clézio fait de l'errance, un parcours qui passe
forcément par le métissage culturel et la rencontre d'autrui.
Eileen Lohka nous dit « le métissage leclézien est
indissociable de l'itinérance. [...] l'écrivain semble souscrire
à l'idée que « toujours en mouvement, le métissage
est désormais une pensée du mouvement, il se situerait
constamment dans un entre -deux, à l'interstice des mots et des choses
65 » La littérature de l'errance répond d'une certaine
manière à la recherche d'un lieu de rencontre, d'un espace
où la question du nomadisme soit linguistiquement posée. Ceux qui
sont attirés par l'errance soit comme mode de vie choisie ou comme mode
de vie imposée sont aussi en quête de se trouver eux-mêmes.
Cette littérature nous rappelle à travers ses héros une
fascination par l'Europe, la civilisation occidentale et les valeurs qu'elle
véhicule. Cependant, une fois partis loin de chez eux, ces hommes et ces
femmes recherchent leur retour mais le retour n'est jamais euphorique comme le
souhaite l'errant. Une fois chez lui, l'appel de l'ailleurs le tance et il ne
pense qu'à repartir. C'est ainsi que l'errance devient un paradoxe
difficile à résoudre, qui laisse la trace d'une racine quelque
part mais non pas celle d'un retour obligé.
Nos deux personnages Esther et Nejma vont à la
rencontre de l'altérité à travers une errance que leur
permet de s'ouvrir au monde. Esther devra passer toutes ces épreuves
pour comprendre qu'elle était « devenue une autre » et que
l'échange symbolique d'un cahier serait la preuve qui dessinerait les
destins des protagonistes de cette errance. Dans le dernier chapitre du roman
« Elizabeth » le protagoniste nous parle de la mort de sa
mère, et tout à la fin elle nous renvoie à cette image de
la mer en dispersant ses cendres. La mer est ce lieu de la
réconciliation du moi, où Esther pourra finalement se
défaire de son passé douloureux et parvenir à la
lumière et à l'harmonie que son avenir en mouvement lui donneront
« elle venait les larmes venir comme si c'était la mer qui
remontait jusqu'à ses yeux » (1992 : 350)
65 Op.cit, p. 134
64
Le Clézio souligne dans son discours de Stockholm, le
fait que la littérature n'est-elle pas « ce merveilleux moyen de se
connaitre soi-même, de découvrir l'autre, d'étendre dans
toute la richesse de ses thèmes et de ses modulations le concert de
l'humanité ? » Le Clézio ne se limite pas à la
littérature française et francophone dans son appel, il fait en
effet une oeuvre basée et constituée sur les
références plurielles du Tout- Monde, appelant à des
lectures hors frontières. Son souffle poétique entre en communion
avec celui d'autres écrivains et philosophes contemporains, tels les
martiniquais Glissant, Césaire, le français Levinas, Ricoeur,
Morin, Kristeva, Todorov, Laplantine, Lévi-Strauss, entre autres qui
nous constate que sa voie de la poétique de la transversalité est
celle de la poétique de la Relation.
Poétique de la relation
« La relation relie, relaie, relate » écrit
Glissant dans Philosophie de la Relation (2009). La relation est,
avant tout, un principe de la narration, ce qui est relaté est ce qui
est raconté, ce qui est dit. Dans le même sens, celui qui relie
d'une personne à l'autre, crée un réseau narratif qui
forme des « relations ». La langue reliée est une
stratégie de la diversité qu'opère dans le discours, elle
fait résistance à une seule manière de dire les choses,
à une seule autorité du texte monologue pour donner lieu à
un texte diffèrent issue des plusieurs voix et des diverses
contributions qui permettent de créer un texte interculturel. Cette
stratégie fait aussi écho à la résistance d'une
seule et unique identité, origine qui se voit mélangé et
modifié par le fait d'inclure l'Autre. L'influence de la pensée
de Glissant nous parait évident dans l'écriture
leclézienne qui suit cette perspective de la Relation dans son oeuvre.
Cette redéfinition de la Relation par rapport au langage se traduit par
des nouveaux réflexes méthodologiques, c'est-à dire, par
une nouvelle manière d'écrire sur l'Autre et avec l'Autre, dans
une approche du décloisonnement qui privilégie un
décentrement des point de vues. Le Clézio participe activement
dans cette façon de viser le monde comme un « Tout-Monde »
décloisonné et ouvert à l'altérité. Sa
volonté certaine de renouveler les visions du monde à travers
« les imaginaires de langues » se constate dans ses romans et ses
textes comme une position et un engagement pour la réalité d'un
monde du mélange, de l'hybridité, du métissage. Etoile
errante est l'histoire d'un affrontement qui dure depuis plus d'un
siècle et qui nous représente un monde qui se déchire
entre guerre des religions qu'à nos jours paraissent ne plus avoir de
sens mais qui sont présentes pour nous rappeler l'impuissance de
l'homme en face de sa propre destruction. L'acte symbolique de
mettre ensemble deux peuples en guerre et de leur donner à travers la
parole écrite une réconciliation montre la puissance du langage
et des mots. Cette idée de la Relation, du Tout-Monde, du Chaos-monde
qui a tant conceptualiser Glissant prend une ampleur dans ce types de
récits qui cherche à nous faire comprendre que la mise en
Relation de toutes ces identités rhizomes, de tous ces lieux qui se
traversent les uns les autres sans s'altérer, changent au contact les
uns des autres tout en restant irréductibles : « [...] J'appelle
Poétique de la Relation ce possible de l'imaginaire qui nous porte
à concevoir la globalité insaisissable d'un tel Chaos-monde , en
même temps qu'il nous permet d'en relever quelque détail, et en
particulier de chanter notre lieu, insondable et
irréversible66 ».
Ainsi, la notion glissantiennes de la poétique de la
Relation se traduise dans le constat de la dissolution des frontières
temporelles et spatiales, non dans le sens de la globalisation comme telle mais
dans le sens d'une acceptation de l'Autre, une vision du monde
libérée des logiques d'affrontement. De la même
manière que Glissant a constaté que le monde se créolise,
Le Clézio suit cette intuition qui devienne une réalité
qu'il faut relater et défendre : « agis dans ton lieu, pense avec
le monde 67 ».
66 Glissant, Edouard, Traité du Tout-Monde, Paris
: Gallimard, 1997, p. 22
67 Glissant, Edouard, Philosophie de la Relation, Paris
: Gallimard, 2009, p. 87
65
66
CONCLUSION
L'errance dans Étoile errante nous a
menés dans une traversée des sens et significations de vie. Nous
pouvons conclure qu'il existe bien un discours littéraire de l'errance.
Celle-ci est à la fois une thématique et une poétique que
génèrent ses propres modalités d'écriture en
permettant de montrer une nouvelle catégorie littéraire : celle
de la route et du hors lieu. Cependant, il nous faut dire aussi que cette
configuration pose certaines questions problématiques par rapport aux
littératures nationalistes qui marquent cette appartenance à la
nation d'origine.
Cette nouvelle manière de concevoir l'errance comme
problématique littéraire nous interroge sur le rôle des
différents discours directement liés à celle-ci comme le
sont le discours politique, juridique, sociologique, anthropologique et
psychanalytique qui renvoie à un symptôme social de la
société actuelle. L'errance est en effet le résultat d'un
monde qui ne sait pas distribuer ses territoires et qui crée des
inégalités sociales directement liées à un
système économique capitaliste qui privilégie le
sédentarisme sur de l'errance. Ainsi la problématique
d'Israël nous permet de réfléchir à propos des
politiques de distribution de la terre qui mènent les populations en
question à se déterritorialiser et à errer sans point fixe
d'arrivée, ce questionnement nous dévoile aussi un immense
problème politique qui ne trouve pas de solutions pour distribuer ses
espaces de façon équitable à ses citoyens.
Le Clézio fait preuve d'engagement avec la question de
l'errance Juive et Palestinienne, en nous donnant à travers les
témoignages des exclus, le meilleur exemple d'un monde marqué par
son exclusion sociale. L'écrivain envisage la nouvelle construction de
l'identité non comme un retour aux origines mais comme un partage des
cultures et des idées socialement reconnues dans un même espace.
Il défend une vision de l'identité où tout le monde puisse
se reconnaître comme issue d'appartenances multiples dans un territoire
socialement partagé et où la mystification des racines ne peut
pas être la consigne à suivre dans une société
reconnue métisse. C'est pourquoi dans ce mémoire nous avons
retracé le
67
parcours de nos personnages et celui de l'écriture
leclézienne comme point de départ pour comprendre le nouveau
modus operandis du discours que l'écrivain nous invite à
suivre.
Dans la première partie nous avons étudié
comment l'auteur configure tout un dispositif narratif qui démontre sa
construction de la thématique de l'errance dans son ouvrage Etoile
errante. Nos points d'analyse ont été centrés sur la
déambulation géographique des personnages, les non-lieux des
récits, les éléments de l'errance tels que l'eau et le
désert et les deux métaphores de cette errance : Esther et
Nejma.
Dans la deuxième partie de notre mémoire, nous
avons analysé quelques modalités d'écriture de l'errance
chez Le Clézio. Le discours paratopiques, le récit, le mythe de
l'origine, sa vision fragmentée et subjective de l'Histoire, Dans ce
sens, nous avons trouvé les mécanismes que l'auteur emploie pour
dévoiler à partir de ses personnages une réalité
sociale. Grace à la vision porteuse de sens par rapport à la
quête identitaire que construit l'écrivain dans la mesure
où l'altérité et le croisement de cultures, langues et
mémoires renvoient aux interstices culturels, le lecteur comprend les
enjeux qui se tissent dans l'écriture du hors lieu.
Dans la troisième partie nous avons mis en
lumière les approches postcoloniales de l'écriture de l'errance
chez Le Clézio dans cet ouvrage à travers le développement
de quatre points de réflexions : Une écriture de
l'Altérité : le conflit judéo-palestinien ; la question
identitaire ; l'errance et les enjeux de l'interculturalité et
l'élaboration d'une poétique de la Relation
théorisé par Glissant. Dans cet chapitre nous avons
étudié que l'écrivain dénonce un système et
des politiques fixées en Israël où les Palestiniens sont
devenus étrangers sur leur propre terre et démunis d'une
identité qui puisse lutter contre celle de Juifs. L'auteur configure la
figure de l'exil toujours en fonction de la question de l'origine, il explore
avec ces personnages ce décalage issu du temps et de l'espace : d'une
part un passé mythifié et un présent exclusif et d'autre
part une errance qui va des lieux aux non lieux pour les deux peuples
frères.
Les scénographies travaillées par l'auteur nous
renvoient à une Europe en guerre et dépourvue de toute
significations pour ceux qui y sont. Après l'occupation allemande,
l'exil des Juifs nous amènera à une scénographie orientale
qui ne sera pas loin de nous décevoir aussi. En nous montrant ces
personnages abimés et oubliés, l'auteur nous questionne sur le
68
rôle des politiques pour ces populations qui sont au
milieu du conflit. En nous proposant ces itinéraires, l'écrivain
nous dévoile un monde mal distribué qui cherche
désespérément trouver des lieux pour tous. L'errance que
les deux peuples devront vivre sans en savoir la raison manifeste un
symptôme social très ancien que notre monde contemporain avec
toutes ses avances n'a pas pu résoudre et qui reste fixe sur une vision
économique des pays. L'écrivain nous invite à penser
l'errance comme moyen de décentralisation du système mais aussi
comme un choix personnel et libre que ne doit pas être imposé
à certains peuples démunis.
La vision optimiste de Le Clézio nous laisse envisager
un possible monde où les différences culturelles devraient nous
pousser à aller de l'avant et non pas à nous faire reculer dans
nos perceptions de l'autre. Dans ce sens, la grande innovation de Le
Clézio a été d'aller vers toutes ces «
minorités » et de les convoquer au « partage » de la
connaissance et de l'activité réparatrice sans cesse
recommencées pour aller à la retrouvaille de ce passé, de
ces histoires, de ces mythes, « de ces voix » qui cherchent à
être inclus et entendus dans le patrimoine littéraire mondial pour
construire un Tout Monde habité par la poétique de la Relation et
la pensée de l'errance selon Glissant.
Cela nous permet de dire que cette recherche d'une explication
de l'errance nous amène toujours à la multiplicité. Jean
Marc Moura (2000) a même parlé de « roman géographique
» car les voyages proposés par Le Clézio nous font voyager
à travers les cinq continents de monde, dans tous les
déplacements des personnages lecléziens on découvre une
autre culture avec fascination. A travers la traversée de continents et
des imaginaires des langues, ce concert de l'humanité dont il parle se
voit concrétisé dans la littérature.
La quête d'un langage compréhensible pour tous
trouve sa place dans le roman comme élément « métis
», un outil de partage où la narration est le meilleur moyen de
réussir à inclure tous ceux qui n'ont pas été
là auparavant, mais réunis à un même niveau,
égaux. L'écriture recherchée est celle de l'oralité
qui attire, qui chante et que Le Clézio essaye de sauver avec ses
phrases, ses histoires et ses mises en abyme. Une écriture hybride qui
donne une place commune à la mémoire des peuples historiquement
opposés et confrontés, un interstice culturel qui émerge
pluriculturelle, plurireligieuse et pluriethnique.
69
Le sens de l'utopie légitimise l'écrivain
malgré les critiques qui le considèrent comme « naïf
» ou « exotique ». Ainsi, en multipliant les voix de ses
personnages et en leur donnant le droit d'être entendus, en nous donnant
l'occasion de croire que nous avons besoin d'un prolongement
géographique et humain, en nous montrant que le monde peut devenir
meilleur en dépit de lui-même, la littérature fait de
l'écrivain, « un poète qui n'a pas d'identité et qui
s'empare donc du corps d'autrui68 »
68 Gefen, Alexandre, « Ce que la littérature sait de
l'autre », Revue Le Magazine littéraire No 526
décembre 2012. P. 37
70
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