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Les défis du terrorisme au Sahel. Aqmi,une menace stratégique?

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par Rodrigue NANA NGASSAM
Université de Douala - Cameroun - Master II en science politique- option : études internationales 2013
  

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CHAPITRE I : AL-QAIDA AU MAGHREB ISLAMIQUE ET LES FRAGILITES DU SAHEL

Le sahel est devenu depuis le millénaire, une aire d'intérêt pour les mouvements terroristes. Dans une zone géographique soumise aux grands trafics, le surgissement, ces dernières années, d'AQMI a introduit une menace supplémentaire, à la fois violente et idéologique. Cette menace n'est pas localisée : tous les lieux et tous les pays sont exposés à la violence94(*). Ce qui inquiète les pays de cet espace géopolitique : Algérie, Mali, Niger, Tchad, Soudan, Mauritanie, Burkina Faso car, l'insécurité générée par ce mouvement terroriste n'est pas sans répercussion sur la sous-région déjà confrontée à d'interminables problèmes.

Par ailleurs, cette région est composée d'Etats en faillite95(*) incapable de contrôler leur territoire de manière efficace et d'en assurer la sécurité. Ce qui fait de la région sahélienne, une zone vulnérable. Pour la plupart, les éléments caractéristiques de cette fragilité n'ont rien de nouveau. De l'Algérie au Nigéria, en passant par la Guinée Bissau et la Libye, plusieurs facteurs ont contribué à la vulnérabilité de la région. Tout d'abord, la plupart des pays de la région sont incapables d'assurer leurs prérogatives régaliennes de manière solide, en mettant à profit des relais locaux. Ce qui mine les populations qui souffrent sans commune mesure d'une part de la corruption ; et d'autre part, d'une pauvreté criante. A cela viennent s'ajouter d'autres facteurs comme le trafic de drogues, d'armes, d'êtres humains, de la contrebande et le terrorisme qui font du sahel, une zone en danger et en proie à l'insécurité (Section I).

L'absence de l'Etat dans cette zone est une aubaine pour AQMI car, elle favorise son implantation dans la région au risque de déstabiliser les Etats du champ. L'ensemble des activités d'AQMI (attaques armées et trafics en tout genre) ont engendré une détérioration de la situation sécuritaire dans la région et ont également des conséquences désastreuses sur le quotidien des populations locales96(*). Ces actes criminels sont connectés avec le terrorisme international qui offre des services de protection au crime organisé en contre partie des sommes colossales d'argent qui sert de financement aux groupes terroristes. Au fait, ces groupes terroristes utilisent aussi les pays du sahel pour le développement de leurs capacités opérationnelles soit en développant leur entrainement, en s'armant, en recrutant, et pour entreprendre des actes terroristes contre ces Etats, leurs institutions et leurs citoyens mais aussi contre des pays voisins et des ressortissants étrangers en contre partie de paiement de rançon pour la libération d'otages. Il en résulte qu'AQMI profite de ce désordre au sahel pour criminaliser la région (Section II).

SECTION I : LE SAHEL, UNE REGION CONFLICTUEL ET EN PROIE A L'INSECURITE

Selon l'indice des Etats en déliquescence, douze des vingt Etats qui courent le plus grand risque d'effondrement se trouvent en Afrique97(*). C'est dans ces Etats fragiles et faillis que se situe une grande partie des conflits, de l'instabilité et des grandes catastrophes humanitaires98(*). La déliquescence de ces Etats est source d'insécurité humaine, d'anarchie et de conflit armé. Le sahel s'inscrit dans cette logique de région fragile en tant que zone grise où l'Etat brille par son absence (Paragraphe I). Et La présence d'AQMI constitue une menace supplémentaire (Paragraphe II) pour ce coin isolé et appel les Etats à la prendre au sérieux pour l'avenir de la région.

Paragraphe I : Une région vulnérable et instable

La région du sahel est durement touchée par des problèmes persistants et des catastrophes brutales99(*). La situation dans cette zone n'a cessé de se détériorer ces dernières années du fait de la sécheresse, de la pauvreté, de la fragilisation des régimes politiques, des trafics et de l'expansion des groupes terroristes tels qu'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). En bref, la région est en proie à une situation proche du chaos qui ne s'est pas améliorée avec la crise malienne. Autant de facteurs d'insécurité et d'instabilité (B) qui font cumulés à la région sahélienne un grand nombre d'handicap qui influent non seulement sur la capacité des Etats à lutter contre les périls sécuritaires mais aussi et avant tout sur leur développement économique et social (A).

A - Des Etats fragiles vecteurs de menaces protéiformes

Les Etats les plus faibles de la planète sont un danger mortel, pour eux-mêmes et pour les autres. La fragilité des Etats de la région du sahel dépourvus d'un appareil d'Etat efficace et sûr constitue un terrain éventuellement fertile pour les groupes terroristes et les trafiquants qui pullulent le sahel. Bien évidemment, la faiblesse de ces Etats s'explique par plusieurs raisons : les investissements et les conditions économiques favorables au développement sont quasi absents dans cette région (1) et en plus, la démographie représente un autre handicap pour l'émergence de la région sahélienne (2).

1) Des indices de développement parmi les plus faibles

Les pays au coeur du terrain d'action d'AQMI sont aujourd'hui parmi les plus pauvres du monde. Et trois de ces Etats connaissent une pauvreté chronique qui, sans doute, permet aux mouvements terroristes et aux différents acteurs profitant du désordre, de prendre le devant de la scène. Sur l'indice de développement mondial, la Mauritanie occupe le 159ème rang, le Mali le 175ème rang, et le Niger le 186ème rang100(*). Ces pays réunissent non seulement tous les trois, les critères pour figurer dans la catégorie des pays les moins avancés (PMA), mais ils génèrent aussi chacun des indices de développement inférieur à la moyenne constatée dans les pays d'Afrique subsaharienne, région dans laquelle figurent 33 des 48 PMA recensés. Tandis que l'indice de développement moyen mondial, tous critères confondus, est en 2011 de 0,682 et celui de l'Afrique Sub-saharienne de 0,463, ceux des trois pays sahéliens considérés sont respectivement de 0,359 pour le Mali, de 0,453 pour la Mauritanie et de 0,295, seulement pour le Niger, pays le plus pauvre des trois101(*).

Ce secteur géographique se caractérise par l'absence quasi-totale d'autorité étatique. La Mauritanie, le Mali, et le Niger en sont les Etats juridiquement responsables mais ne contrôlent pas toujours les longs pans de leur territoire. Ces Etats dont les populations et les ressources économiques sont concentrées à l'Ouest (Mauritanie) et au Sud (Mali et Niger) doivent faire face depuis plusieurs générations à une pauvreté chronique, à un sous développement persistant, et à des crises alimentaires récurrentes dans des conditions géographiques hostiles. Les distances entre les régions principales de ces pays et les régions du sahel sont importantes, et le manque de gouvernance qui y est constaté est généralement perçu par les principaux Etats sahéliens comme un désagrément plutôt que comme une menace sérieuse pour leurs centres politico-économiques. De plus, ces Etats manquent de ressources matérielles et parfois même de motivation pour faire la différence dans cette région malgré le lancement d'ambitieux programmes, à initier une réelle dynamique vertueuse de développement des régions Nord. Ce qui constitue un facteur structurel favorable à l'enracinement du terrorisme et de la criminalité organisée102(*). Les perspectives de développement ne s'annoncent pas des plus meilleurs face à la forte pression démographique que connaît la région.

2) Des perspectives de développement structurellement compromise par la démographie

Comme l'a souligné en 2004 le groupe de hautes personnalités103(*) chargé par le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies (ONU) de réfléchir sur les défis sécuritaires de l'humanité, « le développement doit être la pierre angulaire du nouveau système de sécurité collective et que si l'extrême pauvreté et les maladies infectieuses sont en soi des menaces, elles constituent aussi le terreau d'où surgissent d'autres menaces, dont les guerres civiles. Pour mieux garantir la sécurité de nos citoyens, nous devons impérativement accorder toute l'attention voulue et allouer les ressources nécessaires à la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement ». Aussi, pour toute stratégie de développement, la prise en compte de cette dialectique est indispensable pour garantir les chances de succès. Or, aujourd'hui, la remarque qui en est faite de la zone sahélienne est qu'elle est une zone déshéritée qui subie une forte croissance démographique. Le sahel devrait doubler sa population d'ici 30 ans, et comptera vraisemblablement plus de 150 millions d'habitants en 2040104(*). Les estimations du taux de croissance dans cette région indiquent que le nombre d'enfants par femme est très élevé105(*). Il s'agit du taux de fécondité le plus élevé au monde, nettement supérieur au taux de fécondité africain moyen de 5,5, sachant aussi que le respect du scénario selon lequel l'Afrique sera peuplée de 1,8 milliard d'habitants en 2050 suppose un taux de natalité de deux enfants par femme à cette échéance. Si l'Afrique doit affronter un défi démographique majeur, phénomène sans équivalent dans l'histoire de l'humanité106(*), celui qui est posé au sahel est aigu. Les répercussions de cette poussée démographique ont et auront un impact négatif sur les capacités des Etats à réaliser les reformes nécessaires sur la sécurité humaine, et notamment alimentaire de la région. Une croissance non régulée de la population va se répercuter sur les fragiles équilibres internes : un risque géopolitique.

A ces remarques pourraient s'ajouter d'autres aspects liés à l'exode rural, à l'augmentation des mouvements migratoires, à la croissance exponentielle des villes, aux services sociaux à développer, à la rareté des ressources naturelles, à l'accès à l'eau, à l'environnement, aux conditions d'éducation et d'emploi d'une jeunesse innombrable. Il s'ensuit que la croissance démographique à provoquer une énorme pression sur les ressources naturelles. Celle-ci se manifeste notamment par les défrichements pour les besoins agricoles, le déboisement pour l'obtention du bois de chauffe, et l'absence de périodes de jachères assez longues. A cela, il faut aussi ajouter les changements climatiques, et notamment les phénomènes de sécheresse aigu comme en a connu le sahel107(*). Cette région est en effet celle qui, au cours des dernières décennies, a souffert de la sécheresse qui a parfois affecté les structures sociales, comme en Mauritanie où la perte des cheptels a bouleversé le pays, sédentarisant des populations nomades. Cette sécheresse n'est pas sans incidence sur la malnutrition de la région. Dans nombre de régions rurales, le sahel reste figer sur une économie familiale d'autosubsistance, par nature très vulnérable aux aléas. En conséquence, les techniques agricoles sont inadaptées aux variations climatiques. Le résultat qui en découle prouve que les conditions ne sont pas encore remplies, loin s'en faut, pour que la stabilité garantissant un développement économique et social pérenne soit acquise. D'autant plus d'autres facteurs d'instabilités alourdissent encore l'essor de la région.

* 94 Khadija MOHSEN-FINAN, « Les défis sécuritaires au Maghreb », IFRI, Programme Maghreb, juin 2008, P.2.

* 95 Selon la Foreign Policy Failed States Index-FSI.

* 96 Mehdi MEKDOUR, chercheur au GRIP, « Al-Qaïda au Maghreb islamique : une menace multidimensionnelle », Note d'analyse du GRIP, 26 août 2011, p. 1.

* 97 Zachary DELVIN-FOLTZ, co-auteur avec Binnur OZKECECI-TANER, the «State Collapse and Islamist Extremism: Re-evaluating the link». Contemporary Security Policy, 31 (1), avril, 2010.

* 98 Zachary DELVIN-FOLTZ, « Les Etats fragiles de l'Afrique : vecteurs de l'extrémisme, exportateurs du terrorisme », Bulletin de la sécurité africaine, une publication du Centre d'Etudes Stratégiques de l'Afrique, n° 6, Août 2010, p. 1.

* 99 Dr Luis SIMON, Dr Alexander MATTELAER, Dr Marc-Antoine Morin, Dr Amelia HADFIELD, Institute for European Studies, Vrije Universiteit Brussel, Belgique, Parlement Européen, Direction des politiques externes de l'union, direction B, « Une Stratégie Cohérente de l'UE pour le sahel », mai 2012, p. 5. Disponible sur internet à l'adresse url http://www.europarl.europa.eu/activities/commitees/studies.do?langauge=EN .

* 100Henri PLAGNOL et François LONCLE, « La situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne », Rapport d'information, Assemblée Nationale (France), le 6 mars 2012, p. 10.

* 101 Source : PNUD : http://hdrstats.undp.org/fr/indicateurs/103106.html.

* 102 Mehdi TAJE, « La réalité de la menace d'AQMI à l'aune des révolutions démocratiques au Maghreb », Géostratégie n° 32. 3e Trimestre 2011, p. 292.

* 103 Le groupe de personnalités de haut niveau mis en place par le Secrétaire Général pour dresser un état des lieux complet sur les menaces, les défis et le changement était présidé par Anand PANYARACHUN, ancien Premier Ministre de la Thaïlande et comprenait : Ribert BADINTER (France), Joao BAENA SOARES (Brésil), Gro Harlem Brundtland (Norvège), Mary CHINERY HESSE (Ghana), Gareth Evans (Australie), David HANNAY (Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord), Enrique IGLESIAS (Uruguay), Amr MOUSSA (Egypte), Satish NAMBIAR (Inde), Sadako OGOTA (Japon), Yevgeny PRIMAKOV (Fédération de Russie), Qian QIQIAN (Chine), Salim SALIM (République-Unie de Tanzanie), Nafis SADIK (Pakistan) et Brent Scowcroft (Etats-Unis d'Amérique).

* 104 Mehdi TAJE, « Vulnérabilité et facteurs d'insécurités au sahel », in enjeux-ouest africains, note publiée par le Secrétariat du club du sahel et de l'Afrique de l'ouest (CSAO/OCDE), n° 1 août 2010, p. 3.

* 105 La moyenne du nombre d'enfant par femme au Niger est de 7,2, le Mali avec un taux de fécondité de 6,4 arrive au 2e rang, la Mauritanie étant mieux placée, avec un taux de 4,6. http://donnés.banquemondiale.org/indicateur/SP.DYN.TFRT.IN/Countries?display=default consulté le 10 janvier 2012 à 00h30.

* 106 Jean Michel SEVERINO et Olivier RAY,  Le temps de l'Afrique, Odile Jacob, mars 2010, p. 22.

* 107 Raphaël BEAUJEAU et autres, op. cit, p. 77.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus