DÉPARTEMENT : INSTITUT D'ÉTUDES
EUROPÉENNES
LA PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES ET DE LA
VIE PRIVÉE SUR LES MÉDIAS SOCIAUX DANS L'UNION
EUROPÉENNE
Comment l'Union européenne peut-elle réguler
les pratiques ?
MÉMOIRE
LANNOY Fanny
Directeur de mémoire: LAQUIEZE Alain
MASTER 1
Année Universitaire 2011-2012
2
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS 4
INTRODUCTION 5
CONCEPTUALISER LA VIE PRIVÉE
5
LES NOUVEAUX DÉFIS LIÉS AUX
ÉVOLUTIONS TECHNOLOGIQUES RAPIDES DE CES DIX DERNIÈRES
ANNÉES 7
L'EUROPE FACE À DES ENTREPRISES
D'ENVERGURE MONDIALE 10
I. LA LÉGISLATION EUROPÉENNE : UN MOYEN
SUFFISANT DE PROTECTION DES
DONNÉES PERSONNELLES ? 11
A) UNE LÉGISLATION ANCIENNE MAIS TOUJOURS
PERTINENTE 11
1. Des directives qui ne prennent pas en compte les
nouveaux services et pratiques en
ligne 11
2. Des principes toujours valables, faisant preuve
de neutralité technologique 14
3. L'apport du traité de Lisbonne : une
législation désormais contraignante 16
B) LA DÉFINITION DE NOUVEAUX OBJECTIFS
17
1. "Renforcer les droits des personnes"
17
2. "La dimension mondiale de la protection des
données" 19
3. "Renforcer le cadre institutionnel"
20
II. LA LÉGISLATION
EUROPÉENNE : UN MOYEN EFFICACE POUR PROTÉGER LES DONNÉES
ET LA VIE PRIVÉE DES UTILISATEURS SUR LES RÉSEAUX
SOCIAUX ? 23
A) LES AUTORITÉS CHARGÉES DE LA
PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES 23
1. Spécificité européenne par
rapport aux Etats-Unis 23
2. La CNIL . exemple d'une autorité
indépendante européenne 24
3. Le Groupe de travail Article 29 sur la protection
des données, ou G29 25
B) LA CHARTE DE CONFIDENTIALITÉ DE
FACEBOOK EST-ELLE CONFORME À LA
LÉGISLATION
EUROPÉENNE ' 26
1. Europe vs Facebook . comment un étudiant a
mis à jour les violations de la vie privée
perpétrées par le plus puissant des
réseaux sociaux 26
2. Facebook en flagrant délit de non-respect
de la législation européenne 28
3
3. Une réinterprétation de la charte
en fonction de la législation européenne guère
plus
satisfaisante 29
CONCLUSION 31
BIBLIOGRAPHIE 33
ANNEXES 38
5
Introduction
Conceptualiser la vie privée
"Si je décide de participer à un
réseau social, je vais être cristallisé, englué par
les informations que j'aurais confiées à l'âge de 21 ans.
Dans dix ans, on vous les ressortira. Vous êtes tracé car vous
perdez la possibilité d'évoluer. On a le droit, à 20 ans,
de dire une connerie, ce n'est pas pour autant qu'on doit vous la rapporter
toute votre vie"1. Cette citation du sénateur et ancien
président de la CNIL et du groupe Article 29 Alex Turk représente
bien les inquiétudes liées au succès que rencontrent les
réseaux sociaux depuis le début des années
2000.
Le besoin d'intimité remonte à des temps
extrêmement anciens. La plupart des sociétés, qu'elles
soient primitives ou modernes, ont développé des moyens pour se
protéger des regards extérieurs. Avant même que les
technologies apparaissent, les hommes ont placé entre eux des limites,
associées à des règles, des coutumes et des tabous,
créé une distinction entre ce qui relève du public et du
privé2. Le terme explicite de "vie privée"
apparaissait pour la première fois dans un article des juges de la Cour
Suprême Américaine Samuel Warren et Louis Brandeis, en
18903. Ils y définissaient le droit à la vie
privée comme le "droit d'être laissé seul".
Depuis, le droit à la vie privée a
été reconnu comme droit de l'Homme essentiel, et a pris sa place
dans des traités internationaux et les constitutions de nombreux Etats.
L'article 8, paragraphe 1 de la Convention Européenne des Droits de
l'Homme signée en 1950 entre les Etats membres du Conseil de l'Europe,
lui donne une importance fondamentale, en déclarant que "toute personne
a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de
sa correspondance"4. Pour la première fois, le droit à
la vie privée est reconnu comme droit fondamental de la personne
humaine.
1 TURK Alex, "Réseaux sociaux en ligne. Attention,
vous êtes tracés !", Le Télégramme, 20
Décembre 2008
2 DECEW J. Wagner, In Pursuit of Privacy:
Law, Ethics and the Rise of Technology, Ithaca, Cornell University
Press, 1997, 208 pages, p.12.
3 WARREN S.D and BRANDEIS L.D., The right
to privacy: the implicit made explicit, Cambridge Massachussets,
Harvard Law Review, 1890, 98 pages, 193Ð220.
4 Convention Européenne de Sauvegarde des
Droits de l'Homme, article 8 "droit au respect de la vie privée et
familiale", paragraphe 1
6
Cependant, il est intéressant de constater que
ce que l'on entend exactement par "vie privée", n'est toujours pas
clairement défini. Dès lors, comment savoir quand ce droit peut
être invoqué ? La vie privée n'est pas un concept fixe, et
ne saurait être considéré indépendamment d'un
certain contexte. Ainsi, selon Daniel Solove, il est impossible
d'établir une définition unique du concept de vie
privée5. Plutôt que d'essayer de conceptualiser la vie
privée, il faudrait adopter une approche pragmatique, et tenter de la
comprendre dans des situations bien précises, contextuelles : "mon
approche diverge des acceptations traditionnelles de la vie privée, qui
cherchent à la conceptualiser en des termes génériques,
comme une catégorie standard. En d'autres termes, je suggère une
approche qui conceptualise la vie privée par le bas, plutôt que
par le haut, depuis des contextes particuliers, plutôt qu'à partir
de quelque chose d'abstrait"6. Cette vision des choses permettrait
de concrétiser les discussions autour de la vie privée, et ainsi
mettre en place une politique de protection plus efficace.
Lorsqu'on étudie le droit au respect de la vie
privée dans différents contextes, on peut voir que celui-ci est
d'avantage un moyen plutôt qu'une fin. Bien que présenté
comme un droit fondamental, ce n'est pas que pour-soi que le droit à la
vie privée doit être protégé. Ainsi que
l'écrit la chercheur Antoinette Rouvroy dans un article au journal
Médiapart, "la vie privée n'est pas un droit fondamental parmi
d'autres, elle est la condition nécessaire à l'exercice des
autres droits et libertés fondamentaux"7. La liberté
d'opinion, de circulation et de réunion, les libertés politiques,
syndicales, ou encore de culte, ne pourraient être exercées sans
droit à la vie privée.
Dès lors, le concept de respect de la vie
privée ne semble être qu'une autre manière d'aborder un
même droit fondamental, celui de la liberté individuelle et du
respect de la personne humaine. Il est un pré-requis pour une
société démocratique, en ce qu'il est un droit
indissociable de la notion de liberté. L'Union Européenne doit
donc oeuvrer pour protéger ce droit fondamental, et harmoniser les
mesures prises pour cela dans les Etats Membres. Voilà pourquoi le droit
à la vie privée est désormais inscrit dans la Charte
Européenne des Droits Fondamentaux, au Titre II
5 SOLOVE Daniel J., "Conceptualizing privacy", California
Law Review, n°90, 2002, 70 pages, 1096
6 Traduction personnelle, originellement "My approach
diverges from traditional accounts of privacy that seek to conceptualize it in
general terms as an over-arching category with necessary and sufficient
conditions. In other words, I suggest an approach to conceptualize privacy from
bottom up rather than the top down, from particular contexts rather than in the
abstract", in SOLOVE Daniel J., "Conceptualizing privacy", California Law
Review, n°90, 2002, 70 pages, 1092
7 ROUVROY Antoinette, "repenser le sens du droit
à la protection de la vie privée dans la société de
surveillance : une urgence démocratique",
mediapart.fr,
octobre 2008,
http://blogs.mediapart.fr/edition/sciences-et-democratie/article/
141008/repenser-le-sens-du-droit-a-la-protection-de-la-v
7
"Libertés", Article 7 "Respect de la vie
privée et familiale" : "Toute personne a droit au respect de sa vie
privée et familiale, de son domicile et de ses
communications".
La vie privée comprend traditionnellement le
domicile, la vie familiale et la correspondance, comme le montrent les textes
officiels précédemment cités. À l'intérieur
de ces domaines, les individus sont libres de mener leur existence comme ils le
souhaitent. Lors des dernières décennies, la sphère
privée a peu à peu intégré les données
personnelles, définies par la CNIL comme "toute information relative
à une personne physique identifiée ou qui peut être
identifiée, directement ou indirectement, par référence
à un nom, un numéro d'identification ou à un ou plusieurs
éléments qui lui sont propres"8. Ces données
circulent aujourd'hui très facilement par le biais de l'informatique,
lors de nos activités quotidiennes : lorsque nous nous rendons à
la banque, chez le médecin, que nous réservons un billet d'avion,
et désormais, sur les réseaux sociaux. La question de la vie
privée aujourd'hui, ne saurait être considérée
indépendamment des données personnelles.
L'OCDE a dès 1980 dessiné de nouveaux
principes pour protéger les données personnelles des individus.
Le but n'était pas seulement de protéger la vie privée,
mais surtout de permettre que les disparités entre les lois nationales
n'interrompent pas la circulation de ces données entre les pays. Les
principes de l'OCDE ont formé la base de la directive sur la protection
des données personnelles 1995/46/CE, première mesure
adoptée dans la législation européenne pour
protéger les données des citoyens.
Les nouveaux défis liés aux
évolutions technologiques rapides de ces dix dernières
années
Durant les trente dernières années, le
développement d'Internet a ouvert de nouvelles opportunités pour
l'Europe et les Européens, tant d'un point de vue de l'activité
économique, que de l'information, des échanges sociaux, et de la
liberté d'expression. Mais c'est réellement depuis le
début des années 2000, date d'émergence des sites dits
"médias sociaux", qu'Internet pose de nouveaux enjeux en matière
de protection de la vie privée et des données
personnelles.
Le but premier de ces sites est de se constituer un
réseau de contacts. Après la création de son "profil",
l'internaute peut prendre contact avec d'autres utilisateurs du réseau,
qu'il connaît réellement ou non. Le premier réseau social
(l'une des formes de média social) était le site
8 Commission Nationale de l'Informatique et des
Libertés, Canevas législatif « Informatique et
libertés », Paris, 13 décembre 2006 :
http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/dossier/international/Francophonie/Canevas-legislatif.pdf
8
Friendster, fondé en 2002 par Jonathan Abrams.
Celui-ci était fondé sur le principe des cercles d'amis, et
permettait aux internautes de regrouper en un même endroit leurs
relations, échanger des messages avec ces personnes, ainsi que des
contenus multimédias (photos, vidéos, musique...).
Depuis, cette pratique a connu un fulgurant
développement, et les médias sociaux tiennent aujourd'hui une
place prépondérante dans l'utilisation d'Internet, et dans le
quotidien des utilisateurs : de multiples services se sont
développés, avec chacun leur spécificité : les
réseaux sociaux, tels que Facebook, LinkedIn, ou Myspace, permettent de
garder contact avec ses amis, et d'échanger du contenu avec eux. Les
blogs ou microblogs, tels que Blogger, Wordpress, Twitter ou Tumblr, permettent
de partager ses opinions, pensée du jour, photos, ou autres
intérêts. D'autres encore, tels que Flickr ou Youtube, sont
exclusivement destinés à mettre en ligne ses photos ou
vidéos. Mais tous ces sites se regroupent en un point : ils permettent
d'échanger, avec ses amis ou sa famille, et plus largement, avec
l'extérieur. En effet le succès de ces sites repose sur un esprit
de collaboration en ligne. Se créent alors de véritables
"communautés" autour d'intérêts communs. En ce sens, ces
nouveaux services révolutionnent les pratiques de
communication.
Ainsi que le constate Jean-Marc Manach dans son
ouvrage La vie privée, un problème de vieux cons ? "il
en résulte un changement radical : tout le monde échange avec
tout le monde ; courriers électroniques, blogs, microblogs,
réseaux sociaux assurent à tous un accès à tous. En
contrepartie tous se préparent à accueillir le regard de tous. Et
ce regard est de moins en moins perçu comme négativement, comme
une intrusion dans l'espace propre à l'individu. Bien au contraire,
chacun aspire à attirer le plus grand nombre de regards, car leur nombre
atteste de la réussite de celui qui les reçoit"9. Si
les utilisateurs semblent de plus en plus enclins à dévoiler leur
intimité sur Internet, et semblent peu gênés du regard des
autres utilisateurs sur ce qu'ils publient, on observe parallèlement que
le succès des médias sociaux amène de nouvelles
inquiétudes, ayant trait au traitement même de ces données.
Selon un sondage Eurobaromètre, la plupart des utilisateurs
européens d'Internet se méfient de la transmission de leurs
données personnelles via Internet : 82% des utilisateurs
considèrent que la transmission des données via le web "n'est pas
suffisamment sûre"10. 64% des répondants se disent
alors "soucieux quant au traitement approprié de leurs données
personnelles par les organismes qui les détiennent"11.
Pourtant ces inquiétudes
9 MANACH Jean-Marc, La vie privée, un
problème de vieux cons ? Paris FYP éditions, 2010, 224 pages,
p.39
10 Enquête Flash Eurobaromètre, "La
protection des données au sein de l'Union européenne, perceptions
des citoyens", Février 2008, Bruxelles, p.7
11 Ibidem, p. 6
9
n'empêchent pas les utilisateurs de continuer
à publier des contenus en ligne, ainsi que le montre le graphique "are
you in control of your personnal data ? "(annexe 2). Il est frappant de
constater que 75% des utilisateurs européens souhaiteraient avoir la
possibilité de supprimer définitivement leurs données
quand ils le souhaitent. Dès lors, ce que semblent craindre les
utilisateurs, ce n'est pas l'intrusion de ces nouveaux services dans leur vie
privée, puisqu'ils choisissent ce qu'ils y publient. Ce qui semble
gêner les utilisateurs, c'est la perte de contrôle sur leurs
données personnelles une fois que celles-ci sont publiées, et
l'utilisation qui en est faite par les organismes les
détenant.
Le succès de ces nouveaux services de
socialisation, associé au problème de la persistance des
informations publiées en ligne, pose donc un nouveau défi pour
l'Europe. Les enjeux sont extrêmement forts pour l'Union
européenne, qui considère le droit à la vie privée
et à la protection des données personnelles comme un droit
fondamental, et l'inscrivait dès 1950 dans la Convention
Européenne des Droits de l'Homme. Il semble y avoir aujourd'hui une
véritable nécessité de préciser l'application des
principes de la protection des données personnelles, définis dans
la Directive 95/46/CE, aux nouvelles technologies.
Ces réseaux reposent sur le principe du "cloud
computing", ou "informatique en nuage", qui consiste à déporter
les données et ressources sur des serveurs distants du système de
stockage physique de l'utilisateur. Dans son rapport "étude comparative
sur les différentes approches des nouveaux défis en
matière de protection de la vie privée, en particulier à
la lumière des évolutions technologiques", la Commission
Européenne définit cette pratique assez justement comme
étant "un type d'informatique dans lequel les données de
l'utilisateur ainsi que les applications qu'il utilise ne sont plus
installées sur l'ordinateur personnel (PC) de l'utilisateur mais
hébergées sur des serveurs et mises à sa disposition via
des navigateurs sur l'Internet"12. Cela a pour conséquence
que l'utilisateur ne connaît pas la localisation physique de ses
données, et ne peut y avoir un accès direct. De plus en plus de
services, y compris les réseaux sociaux, ont aujourd'hui recourt
à ce type de stockage. Dès lors, les utilisateurs ont une perte
de contrôle sur leurs informations et leurs données. Cela
crée de nouveaux défis pour la législation
européenne : comment protéger les internautes de l'utilisation
faite de leurs données, lorsqu'on n'y a qu'un accès limité
? La législation existante n'est pas à jour en la matière,
et semble là encore devoir évoluer pour s'adapter aux
évolutions technologiques.
12 Commission Européenne, Direction
Générale Justice, Liberté et Sécurité,
"étude comparative sur les différentes approches des nouveaux
défis en matière de protection de la vie privée, en
particulier à la lumière des évolutions technologiques",
Contrat N° JLS/2008/C4/011 - 30-CE-0219363/00-28, rapport final,
Bruxelles, Janvier 2010, 71 pages, p.5
10
L'Europe face à des entreprises d'envergure
mondiale
D'autre part, l'Europe se trouve dans son combat pour
la protection des données personnelles face à des acteurs de
taille. Les réseaux sociaux ne sont plus aujourd'hui que de simples
sites internet, ce sont des entreprises qui sont de véritables
géants économiques : le chiffre d'affaires de Facebook,
réseau rassemblant le plus de succès, s'élève
à 1,7 milliards de dollars. Or, ces réseaux reposent sur un
principe : la gratuité d'utilisation. L'internaute n'a pas à
payer pour s'inscrire à ces services, et c'est ce qui explique en partie
leur succès. Dès lors, comme le montre l'infographie "How social
sites make money" (annexe 3), 77% des réseaux sociaux tirent leurs
revenus de la publicité.
Les réseaux sociaux sont aujourd'hui une mine
d'or pour les annonceurs : les utilisateurs, lors de leur inscription, et tout
au long de leur utilisation, fournissent en plus de leurs coordonnées
des informations sur leurs centres d'intérêts, goûts
musicaux, littéraires ou cinématographiques, ainsi que leur sexe,
ville, date de naissance, opinions politiques ou religieuses, ou encore leurs
préférences sexuelles. Ainsi, les utilisateurs transmettent
volontairement aux entreprises des données que celles-ci n'auraient
normalement pas le droit de récolter : en France par exemple, la loi de
1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux
libertés, dispose dans son article 8 qu'Òil est interdit de
collecter ou de traiter des données à caractère personnel
qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales
ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou
l'appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la
santé ou à la vie sexuelle de celle-ci"13. Or ces
informations peuvent être publiées sur les réseaux sociaux.
Ces données acquièrent donc une valeur considérable, car
elles permettent aux annonceurs publiant sur les réseaux sociaux de
mettre en place des publicités ciblées, correspondant aux centres
d'intérêts des utilisateurs. Les réseaux sociaux sont des
entreprises comme toutes les autres, soumises à des logiques de
concurrence et de profit, et n'hésitent donc pas à monnayer les
données de leurs utilisateurs.
L'adaptation de la législation
européenne à ces nouveaux enjeux est particulièrement
importante, dans la mesure où ces nouveaux médias rencontrent un
succès particulièrement fort en Europe : elle est devenue le
continent qui comporte le plus d'usagers de Facebook avec 205
13 loi de 1978 modifiée relative à
l'informatique, aux fichiers et aux libertés, Loi 78-17, 16 janvier
1978, Chapitre II : Conditions de licéité des traitements de
données à caractère personnel, Section 2 : Dispositions
propres à certaines catégories de données, article 8
Modifié par Loi n2004-801 du 6 août 2004 - art. 2 JORF 7
août 2004
millions de membres, évinçant
l'Amérique du Nord et ses 203 millions d'utilisateurs. En moyenne, un
internaute européen est membre de deux réseaux sociaux. Selon le
sondage eurobaromètre "Attitudes on Data Protection and Electronic
Identity in the European Union" (annexe 1), 54% des utilisateurs se disent
"inconfortables" à l'idée que leurs données fassent
l'objet d'une utilisation pour de la publicité ciblée. Cependant,
58% considèrent qu'il n'existe pas d'alternative pour
bénéficier d'un service gratuit. L'Union européenne, en
limitant ces pratiques, répondrait donc aux attentes de ses citoyens.
90% se prononcent d'ailleurs en faveur d'une harmonisation de la
législation entre les Etats membres. Il est donc nécessaire que
l'Union européenne oeuvre pour réguler les pratiques de ces
entreprises, la plupart du temps Américaines, et qui agissent selon les
lois américaines, telles que le Patriot Act permettant au gouvernement
d'accéder aux données de tous les utilisateurs.
Face à tous ces enjeux, il convient de nous
poser les questions suivantes : dans quelle mesure l'Union européenne
peut-elle protéger les données personnelles et la vie
privée des utilisateurs sur les médias sociaux ? La
législation existante en la matière, permet-elle toujours de
relever pleinement et efficacement ces défis ? D'autre part, quel
pourrait-être l'intérêt d'une législation
européenne par rapport aux législations nationales en vigueur
dans les Etats membres ?
Nous nous demanderons tout d'abord si la
législation européenne est un moyen suffisant de protection des
données personnelles. Puis dans un second et dernier temps, nous nous
interrogerons sur l'efficacité réelle de cette législation
pour protéger les droits des utilisateurs.
I. La législation européenne : un moyen
suffisant de protection des données personnelles ?
A) Une législation ancienne mais toujours
pertinente
1. Des directives qui ne prennent pas en compte les nouveaux
services et pratiques en ligne
En matière de protection des données
personnelles, la législation européenne est relativement
ancienne. Le premier texte à évoquer ce thème est
l'article 8 de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de
l'Homme, signée entre les Etats membres du Conseil de l'Europe le 4
novembre 1950. Celui-ci dispose pour la première fois que "toute
personne a droit au
11
12
respect de sa vie privée et familiale, de son
domicile et de sa correspondance"14. D'applicabilité directe,
la Convention s'impose directement aux Etats Membres du Conseil de l'Europe.
Elle donne donc à la protection et au respect de la vie privée
une importance fondamentale. Cependant, l'interprétation faite de la
"vie privée" y est encore très large et peu
spécifique.
C'est la Convention 108 du Conseil de l'Europe,
signée le 28 janvier 1981, qui est considérée comme le
premier cadre juridique européen du droit fondamental à la
protection des données personnelles. Le but et l'objet de cette
convention sont déclarés dès l'article premier : "Le but
de la présente Convention est de garantir, sur le territoire de chaque
Partie, à toute personne physique, quelles que soient sa
nationalité ou sa résidence, le respect de ses droits et de ses
libertés fondamentales, et notamment de son droit à la vie
privée, à l'égard du traitement automatisé des
données à caractère personnel la concernant
(«protection des données»)"15. À l'heure
où l'outil informatique commence à être utilisé par
les entreprises, les Etats membres vont se mettre d'accord sur une
nécessité de protéger les données personnelles des
utilisateurs.
Mais c'est la Directive 95/46/CE du 24 octobre
199516 qui est la première réelle mesure
législative prise par la Communauté Européenne.
Aujourd'hui encore, elle constitue le texte de référence au
niveau européen en matière de protection des données
à caractère personnel. En effet, elle consacre deux des objectifs
fondateurs de la Communauté Européenne : d'une part,
protéger les libertés et droits fondamentaux des individus, et
d'autre part réaliser le marché intérieur, ce qui suppose
la libre circulation des données personnelles : "les systèmes de
traitement de données sont au service de l'homme ; ils doivent, quelle
que soit la nationalité ou la résidence des personnes physiques,
respecter les libertés et droits fondamentaux de ces personnes,
notamment la vie privée, et contribuer au progrès
économique et social, au développement des échanges ainsi
qu'au bien-être des individus"17. Dix-sept ans plus tard, ce
double objectif est toujours d'actualité. En effet la Commission
Européenne, dans sa Stratégie Numérique pour l'Europe,
réaffirme lors des articles 9, 10 et 1218, la
nécessité de développer un "marché unique digital"
tout en oeuvrant pour la protection
14 Convention Européenne de Sauvegarde des
Droits de l'Homme, article 8 "droit au respect de la vie privée et
familiale", paragraphe 1
15 Convention pour la protection des personnes
à l'égard du traitement automatisé des données
à caractère personnel, Chapitre I "Dispositions
générales", Article 1er "Objet et but", 28 janvier
1981
16 Directive 95/46/CE du Parlement européen et
du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes
physiques à l'égard du traitement des données à
caractère personnel et à la libre circulation de ces
données, JO L 281 du 23.11.1995
17 ibidem, §2
18 Digital Agenda for Europe :
http://ec.europa.eu/information_society/digital-agenda/index_en.htm
13
des données des citoyens. Cependant, les
évolutions technologiques fulgurantes de ces dernières
années, ainsi que la mondialisation, nous amènent à nous
poser la question suivante : cette législation, datant de 1995,
n'est-elle pas dépassée ?
Depuis cette première directive fondatrice,
d'autres textes ont été adoptés. Ainsi, la directive
97/66/CE dite "vie privée dans les
télécommunications"19 précise la
précédente directive. Elle harmonise notamment les dispositions
des Etats membres en matière de données personnelles dans les
télécommunications, précise les services concernés
: "la présente directive s'applique au traitement des données
à caractère personnel dans le cadre de la fourniture de services
de télécommunications accessibles au public sur les
réseaux publics de télécommunications dans la
Communauté"20, ou encore spécifie les droits des
abonnés21. La Charte des droits fondamentaux de l'UE
signée le 7 décembre 2000 reconnait dans son article 8 le droit
à la protection des données personnelles comme un droit
fondamental autonome du droit à la vie privée cité dans
l'article 8 CESDH22 : "Toute personne a droit à la protection
des données à caractère personnel la
concernant"23.
Les changements majeurs sont introduits par la
directive 2002/58/CE24, qui couvre de nombreux aspects
laissés de côtés par la directive de 1995, tels que la
pratique du "spam", communication électronique non sollicitée
à des fins publicitaires25, ou des "cookies", fichiers qui
conservent et envoient les informations saisies par l'utilisateur d'un site
dans le but de le reconnaitre, notamment à des fins commerciales.
Cependant cette directive, dite "ePrivacy", ne réglemente les questions
de droit à la vie privée et de protection des données
qu'en ce qui concerne les nouvelles pratiques commerciales sur internet. Elle
est donc destinée avant tout à réglementer la pratique du
e-commerce, alors en plein essor en Europe. Les réseaux sociaux sont
encore totalement ignorés. Pourtant, c'est bien en 2002 que cette
pratique apparaît, avec l'avènement du site
américain
19 Directive 97/66/CE du Parlement et du Conseil du 15
décembre 1997, concernant le traitement des données à
caractère personnel et la protection de la vie privée dans le
secteur des télécommunications
20 art.3 "services concernés", §1
21 art. 4, 6, 7, 11
22 Convention Européenne de Sauvegarde des
Droits de l'Homme, article 8 "droit au respect de la vie privée et
familiale", paragraphe 1
23 Charte des Droits Fondamentaux de l'Union
européenne, 2010/c83/02, Titre II "Libertés", Article 8
"Protection des données à caractère personnel",
§1
24 Directive du 12 juillet 2002 sur la protection de
la vie privée dans le secteur des communications électroniques
(2002/58)
25 Ibidem, Art 13, "communications non
sollicitées"
14
Friendster. A peine rédigée, la
législation européenne semble donc déjà en retard
par rapport aux pratiques existantes.
Cela est d'autant plus frappant aujourd'hui, puisque
la législation n'a pour ainsi dire pas évolué depuis 2002.
Pourtant, il semble que c'est précisément à ce
moment-là que l'Union européenne aurait dû agir pour
protéger les utilisateurs. Entre 2002 et aujourd'hui, les pratiques et
services ont profondément et rapidement
évolué26. MySpace, Facebook et Twitter, les trois
réseaux qui ont rassemblé le plus d'utilisateurs27,
ont tous été créés entre 2002 et 2006. De plus en
plus de services utilisent des procédés de localisation
géographique, qui permettent de savoir où chacun se trouve
à un moment donné, et ce qu'il y fait, pour peu qu'il utilise un
appareil portable et des applications permettant la fonction "check
in"28. Les utilisateurs ont de plus en plus une perte de
contrôle sur les informations les concernant29, et c'est
pourtant à ce moment-là que la législation
européenne se fait muette. Dès lors, ainsi que le fait
aujourd'hui la Commission Européenne dans sa Communication "une approche
globale de la protection des données à caractère personnel
dans l'Union Européenne", tous ces éléments
soulèvent inévitablement la question de savoir si la
législation européenne en matière de protection des
données permet toujours de relever pleinement et efficacement ces
défis30.
2. Des principes toujours valables, faisant preuve de
neutralité technologique
Selon une étude menée fin 2009 par la
Commission Européenne sur la directive 95/46/CE "les principes
essentiels de la directive sont toujours valables, et il convient de
préserver sa
26 Commission Européenne, Direction
Générale Justice, Liberté et Sécurité,
"étude comparative sur les différentes approches des nouveaux
défis en matière de protection de la vie privée, en
particulier à la lumière des évolutions technologiques",
Contrat N° JLS/2008/C4/011 - 30-CE-0219363/00-28, rapport final,
Bruxelles, Janvier 2010, 71 pages, p.13
27 Myspace : 230 182 000 utilisateurs en 2008 5 ans
après sa création en Août 2003, Facebook : 180 millions
d'utilisateurs en Europe en février 2011, 5 ans après son
ouverture au public en 2006
28 fonction permettant de se localiser à
proximité de lieux publics définis (restaurant, cinéma,
salle de concert...), et de partager cette information avec les autres
utilisateurs du service
29 Study on the economic benefits of privacy enhancing
technologies, London Economics, juillet 2010, p.14
http://
ec.europa.eu/justice/policies/privacy/docs/studies/final_report_pets_16_07_10_en.pdf
30 Communication de la Commission Européenne au
Parlement Européen, au Conseil, au Comité Economique et Social
Européen, et au Comité des Régions, «Une approche
globale de la protection des données à caractère personnel
dans l'Union européenne», 4 novembre 2010
15
neutralité sous l'angle
technologique"31. Selon la Commission, la directive 95/46/CE
tirerait son intérêt du fait même qu'elle ne fait
référence à aucun service précis. Et en effet, la
directive de 1995 ne s'attache pas à réglementer des pratiques et
services précis, mais à protéger dans son acceptation
générale le «traitement de données à
caractère personnel», défini comme étant « toute
opération ou ensemble d'opérations effectuées ou non
à l'aide de procédés automatisés et
appliquées à des données à caractère
personnel, telles que la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la
conservation, l'adaptation ou la modification, l'extraction, la consultation,
l'utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre
forme de mise à disposition, le rapprochement ou l'interconnexion, ainsi
que le verrouillage, l'effacement ou la destruction"32.
Cette neutralité technologique permet à
la directive 95/46/CE d'être toujours pertinente, quelles que soient les
évolutions technologiques, en ce qu'elle protège les
données des utilisateurs sans viser de service précis. Ainsi,
dès lors que des données personnelles font l'objet d'un
"traitement", elles sont protégées par la directive
95/46/CE.
Cependant, les consultations menées par la
Commission Européenne, précédemment citées, ont
confirmé une attente des citoyens pour que l'Europe précise sa
législation et l'application des principes de protection des
données aux nouvelles technologies. De même, la
Vice-présidente de la Commission européenne et commissaire
à la Justice, aux Droits fondamentaux et à la Citoyenneté
Viviane Reding, déclarait en mars 2012 : "En Europe, l'adoption de la
directive de 1995 avait marqué une étape importante pour la
protection effective des données à caractère personnel et
de la vie privée. Cependant, les disparités nationales dans sa
transposition ont abouti à des écarts de protection en fonction
de l'Etat membre. (...) Une modernisation des règles en vigueur s'impose
donc".33 Il avait été partiellement répondu
à cette nécessité dans la directive 2002/58/CE, qui
spécifie et complète la directive 95/46/CE. Cependant, certains
concepts très récents, tel que le "droit à l'oubli
numérique", qui ne peut se comprendre que dans le contexte des
réseaux sociaux, restent absents de la législation.
31 consultation publique organisée par la
Commission:
http://ec.europa.eu/justice/newsroom/data-protection/opinion/
090501_en.htm; voir également Commission Européenne,
Direction Générale Justice, Liberté et
Sécurité, "étude comparative sur les différentes
approches des nouveaux défis en matière de protection de la vie
privée, en particulier à la lumière des évolutions
technologiques", Contrat N° JLS/2008/C4/011 - 30-CE-0219363/00-28, rapport
final, Bruxelles, Janvier 2010
32 Directive 95/46/CE du Parlement européen et
du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes
physiques à l'égard du traitement des données à
caractère personnel et à la libre circulation de ces
données, JO L 281 du 23.11.1995, Article 2 "définitions",
§b
33 REDING Viviane, "Pourquoi nous réformons la
protection des données numériques", Les Echos,
16
3. L'apport du traité de Lisbonne : une
législation désormais contraignante
Si la législation de base en matière de
protection des données personnelles remonte à 1995, il ne faut
pas oublier que certaines précisions ont été depuis
établies. On l'a vu, la directive 2002/58/CE en a spécifié
et complété certains aspects.
Le traité de Lisbonne, signé le 13
décembre 2007 entre les Etats membres, a lui aussi renforcé le
régime applicable vers d'avantage de protection, lors de l'ajout de
l'article 16 du Traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne. En effet, celui-ci dispose : "Toute personne a droit
à la protection des données à caractère personnel
la concernant"34. Il est important de remarquer que le droit
à la protection des données est l'un des rares droits de la
Charte que l'on retrouve également dans le traité sur le
fonctionnement de l'Union européenne.
Deuxièmement, l'entrée en vigueur du
traité de Lisbonne fait disparaître l'architecture en piliers
instituée par le Traité de Maastricht en 1992. Cela a permis le
développement d'un système de protection des données plus
clair et plus efficace, tout en prévoyant également de nouveaux
pouvoirs pour le Parlement européen, qui devient colégislateur :
"le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément
à la procédure législative ordinaire, fixent les
règles relatives à la protection des personnes physiques à
l'égard du traitement des données à caractère
personnel par les institutions, organes et organismes de l'Union, ainsi que par
les États membres dans l'exercice d'activités qui relèvent
du champ d'application du droit de l'Union, et à la libre circulation de
ces données. Le respect de ces règles est soumis au
contrôle d'autorités indépendantes"35. Le
traité de Lisbonne crée ici une base juridique spécifique
pour l'adoption de règles en matière de protection des
données à caractère personnel.
D'autre part, la Commission a décidé de
charger des organes consultatifs de produire des recommandations pour
simplifier le cadre législatif, et ainsi identifier plus aisément
la loi applicable en matière de données à caractère
personnel, et veiller au respect de ces règles. L'étude de ces
organes sera faite dans la seconde partie de notre étude.
Enfin et surtout, en intégrant dans le corps du
traité la Charte des Droits Fondamentaux, et a fortiori l'article 8
statuant sur la protection des données personnelles en Europe, le
Traité de Lisbonne lui donne une dimension contraignante, ce qui accorde
à la protection des données personnelles une importance
considérable. Cela signifie que désormais, la Charte devra
être respectée par les institutions, organes et agences de l'Union
européenne, mais également par les
34 Traité sur le Fonctionnement de l'Union
européenne, Première Partie : les principes, Article 16,
§1
35 Ibidem, §2
17
Etats membres lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit
communautaire36. Dès lors, la Charte pourra être
invoquée devant la Cour de justice en cas de manquement d'un Etat
membre, par la Commission européenne ou par un autre Etat
membre.
Cette force contraignante de la législation en
matière de protection des données est réputée pour
être efficace, et ainsi Peter Hustinx, contrôleur européen
de la protection des données, déclare : "Deux ans après
l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, je suis en mesure de
conclure que, tout du moins dans mon domaine de compétence,
c'est-à-dire le respect de la vie privée et la protection des
données, le caractère juridiquement contraignant de la Charte a
prouvé sa valeur"37.
B) La définition de nouveaux objectifs
1. "Renforcer les droits des personnes"
Afin d'assurer une protection plus effective des
données à caractère personnel en tenant compte des
récentes évolutions technologiques et comportementales, la
Commission européenne a décidé en 201038 de
réformer la législation en la matière. Ainsi, le 25
janvier 2012, le Parlement et le Conseil Européen proposaient une telle
réforme39, destinée à moderniser le cadre
européen de la protection des données, devenu obsolète du
fait des évolutions technologiques et de l'émergence de nouveaux
usages.
Ces propositions consacrent trois objectifs :
renforcer les droits des personnes, établir une dimension mondiale de
protection des données tout en développant le marché
intérieur par leur libre circulation, et renforcer le cadre
institutionnel en vue d'un plus grand respect des règles de protection
des données.
La législation actuelle on l'a vu, consacre la
protection des données personnelles des citoyens européens comme
droit fondamental. Afin de préserver efficacement ce droit, la
Commission européenne souhaite aujourd'hui développer un cadre
juridique qui ne soit plus
36 Charte des droits fondamentaux de l'Union
européenne (2007/C 303/01), Titre VII "dispositions
générales régissant l'interprétation et
l'application de la charte", Article 51 "champ d'application",
§1
37 Audition sur la mise en oeuvre de la Charte des
droits fondamentaux de l'Union européenne
Session III: Un projet pour les citoyens en faveur des
droits fondamentaux
38 Communication de la Commission Européenne au
Parlement Européen, au Conseil, au Comité Economique et Social
Européen, et au Comité des Régions, «Une approche
globale de la protection des données à caractère personnel
dans l'Union européenne», 4 novembre 2010
39 Proposition de règlement du Parlement
Européen et du Conseil relatif à la protection des personnes
physiques à l'égard du traitement des données à
caractère personnel et à la libre circulation de ces
données (règlement général sur la protection des
données), Bruxelles, le 25 Janvier 2012, COM(2012) 11 final
18
général, mais prenne en compte l'essor
des nouvelles technologies et services, et notamment les réseaux
sociaux. La Commission insiste tout particulièrement sur la
nécessité d'accroitre la transparence. Les usagers devront ainsi
être informés "correctement et clairement, en toute
transparence"40 de l'utilisation et du traitement faits de leurs
données, selon quelles modalités, pour quel motif et pendant
combien de temps. Cela, selon la Commission, ne peut passer que par
l'élaboration d'un modèle européen de "déclarations
de confidentialité" à l'intention des responsables du traitement.
Les utilisateurs devront également être clairement informés
de toute violation de leurs données. Cela est clairement établi
par les articles 31 et 32 de la proposition de règlement de Janvier
201241.
En outre, il s'agit de permettre aux utilisateurs
d'exercer un meilleur contrôle sur les données les concernant. En
effet, la Charte des droits fondamentaux précise en son article 8,
paragraphe 2, que "toute personne a le droit d'accéder aux
données collectées la concernant et d'en obtenir la
rectification". Cela est confirmé par l'approche globale, qui
précise "l'exemple des sites de socialisation est
particulièrement éclairant à cet égard, car pour y
exercer un contrôle effectif sur les données les concernant, les
intéressés se heurtent à des défis de taille. La
Commission a ainsi reçu plusieurs plaintes de personnes qui n'avaient pu
récupérer des données à caractère personnel
auprès de prestataires de services en ligne, telles que leurs photos, et
qui ont donc été empêchées d'exercer leur droit
d'accès, de rectification et de suppression. Par conséquent, il
convient d'expliciter, voire de renforcer ces droits". Dès lors, la
Commission se fixe comme objectif d'améliorer les modalités du
droit d'accès, de rectification, de suppression et de verrouillage des
données, et, avancée particulièrement importante, de
clarifier le "droit à l'oubli", en vertu duquel les personnes peuvent
obtenir l'arrêt du traitement des données les concernant et
l'effacement de celles-ci lorsqu'elles ne sont plus nécessaires à
des fins légitimes42. Ce droit est officiellement
consacré à l'article 17 du projet règlement de janvier
2012, intitulé "droit à l'oubli et à l'effacement" : "La
personne concernée a le droit d'obtenir du responsable du traitement
l'effacement de données à caractère personnel la
concernant et la cessation de la diffusion de ces données". Enfin, la
Commission n'oublie pas l'importance de la sensibilisation du grand public aux
risques liés au traitement des données. La possibilité
d'une utilisation du budget de l'Union à cet effet est notamment
évoquée : "la Commission étudiera la possibilité de
cofinancer des actions de
40 «Une approche globale de la protection des
données à caractère personnel dans l'Union
européenne», p.6
41 Article 31, " Notification à
l'autorité de contrôle d'une violation de données à
caractère personnel", et 32, " Notification à l'utilisateur d'une
violation de données à caractère personnel"
42 «Une approche globale de la protection des
données à caractère personnel dans l'Union
européenne», p.9
19
sensibilisation à la protection des
données, à l'aide du budget de l'Union"43. Cependant,
celle-ci n'est plus évoquée dans la proposition 2012 (11) final,
et le rôle de sensibilisation revient aux autorités de
contrôle ("Chaque autorité de contrôle sensibilise le public
aux risques, aux règles, aux garanties et aux droits relatifs au
traitement des données à caractère
personnel"44), ce qui est déjà actuellement le cas
avec la CNIL. L'aspect sensibilisation auparavant évoqué comme
"indispensable" dans l'approche globale semble donc ici
négligé.
2. "La dimension mondiale de la protection des
données"
Par ailleurs, la Commission rappelle la
nécessité d'établir une protection internationale des
données, puisqu'ainsi que le déclare David Forest, "la
mondialisation a fait de la circulation transfontalière des
données personnelles la règle plutôt que
l'exception"45.
Comme son nom l'indique (rappelons qu'une directive
"lie tout État membre destinataire quant au résultat à
atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant
à la forme et aux moyens"46), la directive 95/46/CE visait
à harmoniser les normes des différents États-membres en
matière de protection des données personnelles, afin de faciliter
leur libre-circulation. Malgré cela, il existe encore des divergences
quant à l'application par les États membres de la directive
précitée. La Commission souhaite donc renforcer l'harmonisation
des règles de protection des données au niveau de l'UE, ainsi
qu'elle le déclare dans l'approche globale : "l'harmonisation des
législations nationales apportée en la matière par la
directive ne se limite pas à une harmonisation minimale, mais aboutit
à une harmonisation qui est, en principe, complète"47.
Dans cette optique, la Commission entend par exemple réduire la charge
que la protection des données représente pour les
entreprises48, en établissant un formulaire d'enregistrement
uniforme valable dans toute l'UE. Dans le même temps, elle prévoit
de définir plus clairement les modalités du traitement des
données, grâce à la désignation d'un responsable du
traitement indépendant, et par la promotion de l'utilisation des
technologies d'amélioration de la confidentialité.
43 ibidem
44 Section 2 : "Fonctions et pouvoirs", Art 52 :
"Fonctions", §2 (p86)
45 FOREST David, Droit des données
personnelles, coll. "droit en action", Paris, ed. Gualino, 2011,
119pages, p.24
46 Traité sur le Fonctionnement de l'Union
Européenne, art. 288
47 «Une approche globale de la protection des
données à caractère personnel dans l'Union
européenne», p.11
48 ibidem, p.13
20
D'autre part, la législation européenne
contient une certaine dose de protection à l'international, puisque les
données à caractère personnel provenant de pays tiers ne
peuvent circuler à travers les États membres que si la Commission
estime que le niveau de protection de ces données assuré par un
pays tiers est adéquat : "Le transfert de données à
caractère personnel en dehors de l'UE et de l'espace EEE est notamment
subordonné à l'«évaluation du caractère
adéquat» du niveau de protection assuré par le pays tiers
concerné, lequel peut actuellement être apprécié par
la Commission et par les États membres"49. Cependant, les
critères permettant de définir si le niveau de protection est
"adéquat" ou non, ne sont pas encore clairement définis. Il
convient donc de clarifier les procédures actuelles de transfert
international de données, de même que les instruments juridiques
applicables dans ce domaine.
Pour cela, la Commission souhaite harmoniser les
clauses contenues dans les accords internationaux conclus par l'UE avec les
pays tiers en renforçant la coopération, et par
l'élaboration de normes techniques internationales. Il s'agit donc de
relancer le processus amorcé en novembre 2009 lors de la
Conférence mondiale des commissaires à la protection des
données, durant laquelle avait été adoptée à
l'unanimité par les représentants de près de quatre-vingts
autorités de protection, dont la CNIL, une résolution proposant
des principes, droits et obligations devant constituer le socle d'une
protection des données personnelles à l'échelle
internationale.
3. "Renforcer le cadre institutionnel"
La Commission souhaite renforcer le rôle et les
pouvoirs des autorités chargées de la protection des
données : "le rôle des autorités chargées de la
protection des données (DPA) est essentiel pour le contrôle de
l'application des règles de protection des données. Ces
autorités sont les gardiennes indépendantes des libertés
et des droits fondamentaux des personnes à l'égard du traitement
des données à caractère personnel les concernant. C'est
pourquoi la Commission estime que leur rôle devrait être
renforcé"50. Celles-ci devront pouvoir
bénéficier d'un statut «d'indépendance
complète», et il apparaît crucial qu'elles améliorent
leur coopération et leur coordination.
Dans l'approche globale, la Commission insiste
à nouveau sur l'importance d'une coopération entre Etats membres,
ainsi qu'entre Etats membres et Etats tiers. Celle-ci serait
49 Directive 95/46/CE, Chapitre IV "transfert de
données à caractère personnel vers des pays tiers",
Article 25 "Principes", §1
50 «Une approche globale de la protection des
données à caractère personnel dans l'Union
européenne», p.19
21
particulièrement utile dans le cas
précis-des réseaux sociaux : "Cela est tout
particulièrement le cas lorsque des entreprises multinationales sont
établies dans plusieurs États membres et exercent leurs
activités dans chacun de ces États, ou lorsqu'un contrôle
coordonné avec le contrôleur européen de la protection des
données (CEPD) est requis"51. Cela est déjà le
rôle du groupe de travail "article 29", organe consultatif
européen indépendant sur la protection des données et de
la vie privée dont l'organisation et les missions sont définies
par les articles 29 et 30 de la directive 95/46/CE, dont il tire sa
dénomination, ainsi que par l'article 14 de la directive
97/66/CE.
Mais avec la réforme souhaitée par la
Commission, ce groupe devra contribuer également à
l'amélioration de l'action des autorités nationales, en assurant
une application plus cohérente des règles européennes en
matière de protection des données. Une telle coopération
est définie très clairement dans le projet de règlement du
25 janvier 2012, et fait l'objet d'un chapitre complet : "Chapitre VII,
coopération et cohérence".
Ainsi, par ce renforcement du cadre institutionnel en
matière de protection des données personnelles, l'Union
européenne entend répondre aux attentes suscitées par les
récentes évolutions technologiques : "le défi posé
aux législateurs est celui de la mise en place d'un cadre
législatif qui résistera à l'épreuve du temps.
[...] Peu importe la complexité de la situation ou le caractère
sophistiqué de la technologie, il est essentiel que les règles et
les normes applicables, que les autorités nationales doivent faire
appliquer et auxquelles les entreprises et les développeurs de
technologies doivent se conformer, soient définies
clairement"52.
Cependant, si ces avancées sont bienvenues,
elles ne sont pas sans soulever certaines critiques. Cette proposition de
réforme est par exemple remise en cause par la CNIL53,
l'Assemblée Nationale 54et le Sénat
Français55. S'ils estiment nécessaire la
révision du cadre juridique européen existant, concèdent
que celle-ci renforce les droits des citoyens européens en la
matière, et approuvent le renforcement des pouvoirs de sanction des
autorités de protection nationales et l'obligation d'une
coopération accrue au niveau européen, ils contestent toutefois
l'optimalité de cette réforme. La CNIL s'inquiète en
particulier du risque d'éloignement entre les citoyens
51 Ibidem, p.20
52 Ibidem
53 CNIL, "Projet de règlement européen : la
défense de la vie privée s'éloigne du citoyen", janvier
2012
54 CNIL, "Projet de règlement européen : la
CNIL salue l'engagement du Parlement français", février
2012
55 Sénat, "Proposition de résolution au
nom de la commission des lois, en application de l'article 73 quinquies, sur la
proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil
relatif à la protection des personnes physiques à l'égard
du traitement des données à caractère personnel et
à la libre circulation de ces données (E 7055)"
22
européens et leurs autorités nationales,
du fait que l'autorité désormais compétente soit celle
où se situe l'établissement principal de l'entreprise, et
"s'oppose donc fermement à un tel critère qui constituera une
véritable régression vis-à-vis des droits des citoyens".
De façon plus générale, l'autorité française
déplore une réforme "anti-démocratique", qui ne ferait que
donner aux autorités de protection des données personnelles la
même image technocrate et distante qu'ont aux yeux des citoyens les
institutions européennes. De la même manière, les
parlementaires français ont exprimé leurs réserves sur la
proposition de règlement de la Commission européenne. A
l'initiative du député UMP et membre de la CNIL Philippe
Gosselin, les membres de la commission des Affaires européennes de
l'Assemblée Nationale ont adopté le 7 février 2012 une
proposition de résolution européenne sur cette question. S'ils
rappellent leur soutien aux objectifs généraux de cette
réforme, les députés s'opposent avec force à
certaines propositions de la Commission européenne, dont celle du
critère de l'établissement principal, préjudiciable pour
les droits des citoyens mais aussi pour l'économie française et
européenne. Ils rejoignent également les inquiétudes
exprimées par la CNIL sur le risque d'éloignement entre les
citoyens et les autorités de protection nationales, et sur la
concentration des pouvoirs par la Commission européenne, au
détriment de ces autorités. Enfin, Le Sénat a
adopté le 6 mars 2012 une proposition de résolution
européenne relative à ce projet. Comme la CNIL et
l'Assemblée Nationale l'ont exprimé, le Sénat
reconnaît la nécessité d'une simplification et
modernisation de la législation européenne, et ne nie pas les
avancées introduites par le texte. Cependant, il a exprimé ses
inquiétudes quant aux conséquences politiques, juridiques et
économiques de cette réforme. En premier lieu, la Commission des
Lois conteste le principe d'harmonisation complète au niveau
européen, car il priverait les États membres de la
possibilité d'adopter des dispositions nationales plus protectrices :
"Rappelant que la Commission européenne défendait le principe
d'une harmonisation complète, sans possibilité de
dérogations plus favorables, [M. Simon Sutour, rapporteur], a
souligné que, s'agissant d'un domaine dans lequel l'atteinte
portée aux droits fondamentaux d'une personne peut être
considérable, l'harmonisation proposée ne doit s'effectuer que
dans le sens d'une meilleure protection des personnes. Elle ne saurait, pour
cette raison, priver les États membres de la possibilité
d'adopter des dispositions nationales plus protectrices". Et en effet, cela
serait contraire au principe de subsidiarité, selon lequel la norme
nationale doit s'appliquer tant que la norme communautaire ne permet pas un
niveau de protection plus efficace. Quant au critère de
l'établissement principal, le Sénat a rejoint la CNIL et
l'Assemblée Nationale : "Il a par ailleurs jugé nécessaire
de s'opposer à tout dispositif qui, comme celui du « guichet unique
», promu par la Commission européenne, aboutirait à moins
bien traiter le
23
citoyen que l'entreprise responsable du traitement, en
le privant de la possibilité de voir l'ensemble de ses plaintes
instruites par son autorité de contrôle nationale".
II. La législation Européenne : un moyen
efficace pour protéger les données et la vie privée des
utilisateurs sur les réseaux sociaux ?
A) Les autorités chargées de la
protection des données personnelles
1. Spécificité européenne par rapport
aux Etats-Unis
La majorité des grands réseaux sociaux
ont leur siège aux États-Unis. Dans le cas d'un utilisateur
Français par exemple, la collecte des données est alors
effectuée en France, mais ces données sont immédiatement
transférées aux États-Unis pour le traitement tel que
défini dans la loi 95/46/CE. Or, les Etats-Unis ne disposent pour
l'instant pas d'une législation protégeant les données
personnelles des utilisateurs. En effet, contrairement aux Européens,
les américains n'envisagent pas la vie privée comme un droit
aussi fondamental que la liberté d'expression. Ainsi, aux Etats-Unis,
les données numériques appartiennent à ceux qui les
traitent. Dès lors qu'elles ont été publiées,
l'intéressé n'a plus la main sur ses propres données.
Comment, en l'absence de droit international en la matière, l'Union
européenne peut-elle alors faire respecter le droit de ses citoyens,
lorsque leurs données sont traitées par des entreprises
Américaines ?
Le transfert de données personnelles vers des
pays tiers est déjà comme nous l'avons vu soumis à
"l'exigence de caractère adéquat". Avec son projet de
réforme, l'Europe déclare "Il importe que, lorsque ces
données sont transférées de l'Union vers des pays tiers ou
à des organisations internationales, le niveau de protection des
personnes physiques garanti dans l'Union par le présent règlement
ne soit pas amoindri."56. Si le traitement des données dans
le pays tiers venait à ne pas respecter la législation
Européenne, la Commission se réserve le droit "d'interdire
temporairement ou définitivement un traitement", et "de suspendre les
flux de données adressés à un destinataire situé
dans un pays tiers ou à une organisation
internationale"57.
Afin que les droits des utilisateurs soient pleinement
garantis, il importe donc qu'une certaine coopération internationale
soit mise en place. Début Février 2012, l'administration
Obama
56 projet de réglement du 25 janvier 2012,
p.78
57 ibidem, Section 2 "fonctions et pouvoirs", Article 53
"pouvoirs", §g, p.87
24
dévoilait un "schéma directeur pour un
projet de loi sur les droits des données personnelles afin de
protéger les consommateurs en ligne"58, s'inspirant de la
législation européenne. Ce "bill of right des données
personnelles" permettrait aux internautes d'exercer un contrôle et un
droit de regard sur les données personnelles collectées par les
entreprises. Ils auraient également un droit à la transparence,
à la sécurisation, l'accès, la rectification, et la
suppression de ces données. Point important, qui est l'un des principaux
défis que rencontre la législation européenne, cette loi
introduirait une réciprocité dans le traitement des
données : le point "responsabilité" prévoie que les
internautes aient le droit de disposer des données personnelles les
concernant traitées par les entreprises, afin de s'assurer qu'elles
respectent la loi59. Dans le cas européen, des mesures sont
mises en place pour que les internautes puissent s'assurer que les entreprises
respectent leurs droits, mais il est difficile, du fait de l'éloignement
de ces entreprises, de s'assurer qu'elles respectent effectivement les
règles. Certes, Facebook s'engage, contraint par l'article 8 de la
Charte des Droits Fondamentaux60, à communiquer aux
utilisateurs leurs données, mais dans les faits, cette obligation n'est
pas respectée, comme le souligne la Commission dans l'Approche Globale :
"l'exemple des sites de socialisation est particulièrement
éclairant à cet égard, car pour y exercer un
contrôle effectif sur les données les concernant, les
intéressés se heurtent à des défis de taille. La
Commission a ainsi reçu plusieurs plaintes de personnes qui n'avaient pu
récupérer des données à caractère personnel
auprès de prestataires de services en ligne, telles que leurs photos, et
qui ont donc été empêchées d'exercer leur droit
d'accès, de rectification et de suppression".
2. La CNIL : exemple d'une autorité
indépendante européenne
La CNIL (Commission Nationale de l'Informatique et des
Libertés) est l'autorité administrative indépendante (AAI)
française chargée de veiller sur la protection des données
personnelles, et à ce que l'information au service du citoyen ne porte
atteinte ni à l'identité humaine, ni aux droits de l'homme, ni
à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou
publiques.
La notion d'AAI, ainsi que nous l'explique David
Forest, ne répond à aucune définition juridique
précise : "Il s'agit d'une administration dont les membres sont
soustraits à toute
58 Site officiel de la Maison Blanche, "We Can't Wait:
Obama Administration Unveils Blueprint for a "Privacy Bill of Rights" to
Protect Consumers Online. Internet Advertising Networks Announces Commitment to
"Do-Not-Track" Technology to Allow Consumers to Control Online
Tracking"
59 "Accountability: Consumers have a right to have
personal data handled by companies with appropriate measures in place to assure
they adhere to the Consumer Privacy Bill of Rights"
60 "toute personne a le droit d'accéder aux
données collectées la concernant et d'en obtenir la
rectification"
25
hiérarchie, et qui, dans l'exercice de leurs
attributions, ne reçoivent d'instruction d'aucune
autorité"61. Malgré cette qualité
d'indépendance, la CNIL est placée par la Constitution sous
l'autorité du gouvernement, et son budget relève de celui de
l'Etat. Ainsi, elle peut faire l'objet d'un contrôle par la Cour des
comptes, et certains de ses actes peuvent faire l'objet d'un contrôle par
le Conseil d'Etat. Il est à noter qu'en la matière, la CJUE a
jugé que la soumission des autorités de contrôle et de
surveillance en matière de données personnelles à l'Etat
est contraire à l'exigence d'indépendance qui leur est
faite62. Par conséquent, le statut même de la CNIL
constitue une transposition erronée de la directive
95/46/CE.
Elle dispose de plusieurs pouvoirs : à
l'égard du gouvernement, elle peut proposer des mesures
législatives ou réglementaires, et est consultée lorsqu'un
projet de loi relatif à la protection des données est transmis au
parlement. Vis-à-vis des personnes, la CNIL a un devoir d'information
sur les droits dont elles disposent, et est en mesure de recevoir leurs
plaintes à l'encontre d'abus, de pratiques irrégulières ou
d'atteintes aux droits. À l'attention des organismes,
sociétés ou institutions, elle participe à des actions de
formation et de sensibilisation, et conseille les responsables de
données personnelles sur les obligations qui leur incombent. Elle
dispose en outre d'un pouvoir de contrôle et de sanction, afin de veiller
au respect de la loi Informatique et Libertés de 1978. Elle peut ainsi
accéder aux locaux de l'entreprise (le responsable des lieux ou son
représentant a néanmoins le droit de s'opposer à cette
visite), aux programmes informatiques qu'elle utilise, ou à ses
données. Elle peut également exiger la communication de documents
jugés utiles. En matière de sanctions, la CNIL dispose d'un large
choix de mesures allant du simple avertissement aux sanctions administratives
et financières.
3. Le Groupe de travail Article 29 sur la protection des
données, ou G29
Les représentants de chaque autorité de
contrôle européenne sur la protection des données sont
rassemblées au sein du groupe dit "Article 29". Ce groupe de travail a
été établi en vertu de l'article 29 de la directive
95/46/CE, et en a tiré sa dénomination. Il s'agit d'un organe
consultatif européen indépendant sur la protection des
données et de la vie privée.
Ses principales missions sont les suivantes. Tout
d'abord, il conseille la Commission européenne et lui donne un avis
d'expert sur toute mesure communautaire pouvant affecter les
61 13 loi de 1978 modifiée relative à
l'informatique, aux fichiers et aux libertés, Loi 78-17, 16 janvier
1978, article 21
62 CJUE (grande chambre), 9 mars 2010, Commission
européenne c/ République fédérale d'Allemagne (aff.
C-518-07). L'article 28, § 1, al. 2 de la directive 95/46CE du 24 octobre
1995 dispose que : « Les autorités publiques exercent en toute
indépendance les missions dont elles sont investies ».
26
droits et libertés des personnes physiques
à l'égard du traitement des données à
caractère personnel et de la protection de la vie privée.
Deuxièmement, il doit promouvoir une application uniforme des directives
européennes en encourageant la coopération entre les
autorités de contrôle de la protection des données. Cette
promotion se fait dans tous les Etats membres, ainsi qu'en Norvège,
Liechtenstein, et en Islande Enfin, il a un rôle de sensibilisation, en
émettant des recommandations destinées au grand
public.
On ne peut cependant s'empêcher de s'interroger
sur l'efficacité de ces autorités, notamment à cause du
caractère international des réseaux sociaux alors que les
directives européennes ne concernent que le marché
intérieur. Le groupe 29 travaille d'ailleurs à fournir un avis
sur le droit applicable en la matière.
Même si c'est souvent le traitement des
données personnelles pour des problèmes liés à la
sécurité qui sont mis en avant par le G29, ses recommandations
concernent aussi de plus en plus les réseaux sociaux.
En effet ils sont sources de nouveaux enjeux pour ces
autorités. Récemment, le site Facebook souhaitait instaurer un
système de reconnaissance faciale des visages. Comme on peut l'imaginer,
cette option a été accueillie avec prudence par les
autorités de contrôle Européennes. Ce qui est
contesté, c'est avant tout l'activation par défaut dans les
paramètres de confidentialité de cette fonctionnalité,
sans l'accord de l'utilisateur. Cela l'oblige à se rendre dans les
réglages pour "décocher" cette option. Les autorités de
contrôle souhaitent que Facebook inverse ce réglage, en
désactivant par défaut cette fonctionnalité. "Le marquage
des personnes sur les photographies ne devrait survenir qu'avec le consentement
éclairé des personnes" a expliqué Gerard Lommel, membre du
groupe de travail G29 et président de la Commission nationale pour la
protection des données au Luxembourg.
B) la charte de confidentialité de Facebook
est-elle conforme à la législation européenne ?
1. Europe vs Facebook : comment un étudiant a mis
à jour les violations de la vie privée perpétrées
par le plus puissant des réseaux sociaux
En Octobre 2011, l'Autorité de protection de la
vie privée Irlandaise avait ouvert une enquête sur Facebook,
après le dépôt de vingt-deux plaintes différentes
par un étudiant en droit Autrichien. Max Schrems accusait le
réseau social d'avoir conservé des informations qu'il
avait
27
d'abord publiées puis effacées. Il
soupçonnait également Facebook de créer des "profils
fantômes" rassemblant des informations sur des personnes n'ayant pas
créé de comptes. Le jeune homme avait alors décidé
de demander à Facebook une copie de l'ensemble des données que le
réseau social détenait à son sujet, conformément
à la législation européenne. Il a alors reçu un
document de plus de mille deux-cent pages, avec des informations sur
près de soixante sujets : l'intégralité de ses discussions
instantanées, ses statuts, ses demandes d'amis, ou encore l'ensemble des
événements auxquels il avait participé. À la
lecture du document, il avait pu constater que les informations qu'il avait
pourtant effacées restaient stockées sur les serveurs - notamment
des messages privés dont le contenu pourrait lui porter
préjudice. Il a alors créé avec des amis le site Europe vs
Facebook, détaillant les procédures entreprises en justice
à l'encontre du réseau, et incitant les internautes à
demander à recevoir eux aussi l'ensemble de leurs données, en
leur fournissant la marche à suivre.
Le fait que Facebook conserve ces données sur
le long terme pose plusieurs problèmes. Tout d'abord, il apparaît
manifeste que les utilisateurs n'ont pas donné leur consentement
explicite à cette conservation, contrairement à ce que
prévoit la directive européenne sur la protection de la vie
privée63 ; et surtout, ainsi que le note l'une des plaintes
déposées, "ces données ne sont pas hébergées
sur le territoire européen mais aux Etats-Unis, et Facebook Irlande
(siège européen du réseau social) ne garantit pas une
sécurité suffisante à ces données (...). Il
n'existe aucune garantie que les forces de l'ordre américaines ou les
autorités européennes ne puissent pas accéder à ces
informations sensibles sur les citoyens européens".
Dans un communiqué64, Facebook s'est
défendu de toute mauvaise utilisation des données de ses
utilisateurs, arguant qu'elles n'étaient conservées que pour des
raisons techniques. En ce qui concerne les messages effacés, Facebook
explique : "nous permettons aux utilisateurs de supprimer les messages dans
leurs dossiers de messages reçus ou envoyés. Mais il n'est pas
possible de supprimer un message envoyé de la boîte de
réception d'un autre utilisateur, et inversement. Tous les services de
messageries jamais inventés fonctionnent comme cela".
L'argument est fallacieux, comme l'explique Max
Schrems : "Cela peut sembler logique à première vue mais si l'on
se réfère à la politique de confidentialité de
Facebook, les messages ne sont pas supprimés même si les deux
correspondants les ont effacés. Ce n'est pas le cas dans les autres
services de messagerie". Ainsi les pratiques perpétrées par le
réseau social Facebook se sont avérée non respectueuses de
la législations européenne, qu'il tente à de nombreuses
reprises de
63 Directive 95/46/CE 30 "pour être licite, un
traitement de données à caractère personnel doit en outre
être fondé sur le consentement de la personne
concernée"
64 Facebook Ireland Ltd, "Report of Audit", 21 December
2011
28
contourner. La directive 95/46/CE s'est dans cette
affaire révélée non efficace, puisque les mesures mises en
place pour protéger les utilisateurs ne sont pas
respectées.
2. Facebook en flagrant délit de non-respect de la
législation européenne
Concernant d'autres types de données, le
réseau social avance que de nombreuses données transmises
à M. Schrems à sa demande "ne sont pas des données
personnelles", mais simplement des informations utilisées par Facebook
"pour la protection contre la fraude" ou "pour des raisons d'analyse
statistique"65. Facebook utilise notamment l'adresse IP66
pour ses services de protection contre le détournement de compte. En la
matière, Facebook affirme qu'"il ne s'agit clairement pas de
données personnelles". Pourtant l'adresse IP est bien
considérée par le G29 et la CNIL comme une donnée
personnelle67. La manière dont Facebook définit ce qui
constitue une donnée personnelle semble donc pour le moins ambiguë,
et peu clair d'un point-de-vue juridique. Notons que la révision en
cours de la directive européenne sur la protection de la vie
privée - qui considère comme personnelle toute donnée qui
permet l'identification d'une personne - pourrait aboutir dans les prochains
mois à une clarification nette du statut juridique de cette
information.
D'autres pratiques du réseau social posent
problème vis-à-vis de la législation européenne,
notamment la création de "profils fantômes"68. Par le
biais des synchronisations des téléphones ou des carnets
d'adresse des utilisateurs, Facebook collecte quantité d'informations
sur des personnes non inscrites sur le réseau, et les utilise notamment
pour personnaliser les courriels les invitant à rejoindre le
réseau. Cela signifie que l'entreprise collecte d'importantes
quantités de données sans en informer les personnes et sans leur
demander leur consentement, puisqu'elles ne sont même pas utilisatrices
du service. Cela est une fois de plus contraire à la directive
95/46/CE.
L'autorité de contrôle Irlandaise pour la
protection des données a donc ouvert une plainte sur ces accusations.
Mais même si Facebook devait être poursuivi et condamné, le
risque financier serait très limité69 : la
législation européenne prévoit en effet une amende de 100
000 euros
65 ibidem, p. 77
66 Internet Protocol, adresse qui permet d'identifier une
machine sur le réseau internet
67 CNIl, "L'adresse IP est une donnée à
caractère personnel pour l'ensemble des CNIL européennes", 2
Août 2007
68 Facebook Ireland Ltd, "Report of Audit", 21 December
2011, "shadow profiles", p. 118
69 PIDD Helen, "Facebook could face
€100,000 fine for holding data that users have deleted",
The Guardian, 20 Octobre 2011
29
maximum pour ce type d'infraction. Or le chiffre
d'affaire de l'entreprise s'élève à 3,71 milliards de
dollars. Les éventuelles répercussions n'atteindraient que
l'image de l'entreprise.
3. Une réinterprétation de la charte en
fonction de la législation européenne guère plus
satisfaisante
Le 11 mai 2012, Facebook annonçait vouloir
modifier sa charte de confidentialité, suite à plusieurs audits
effectués avec le groupe Europe vs Facebook. Les modifications
s'effectueraient à une échelle internationale, mais viserait
à respecter d'avantage la législation européenne.
Cependant, comme le groupe le souligne sur son site Internet, "il semble que
Facebook ne fasse pas un pas en avant, mais deux pas en
arrière"70. Les vingt-deux plaintes déposées
fin 2011 par le groupe d'étudiants auprès de l'autorité de
protection des données personnelles Irlandaises, ont conduit à
l'émergence d'un rapport publié en Décembre 2011. Dans ce
rapport, l'autorité exigeait que Facebook modifie sa police de
confidentialité au plus tard le 7 mars 2012. L'entreprise avait tout
bonnement ignoré cette date limite, mais semble aujourd'hui
décidée à effectuer les modifications
nécessaires.
Cependant, la nouvelle charte71 ne
démontre pas de réelles améliorations du point de vue de
la protection des droits des utilisateurs. Tout d'abord, Facebook semble se
contenter d'inscrire ses pratiques illégales dans la charte,
plutôt que d'y remédier. Cela est fait en vertu d'une
supposée transparence, mais en réalité, l'entreprise est
bien loin d'aller vers plus de respect de la législation
européenne. Ensuite, contrairement à annoncé
précédemment par Anne-Sophie Bordy72, directrice des
affaires publiques France et Europe de Facebook, la nouvelle charte ne semble
pas plus claire pour l'utilisateur moyen, qui aura toujours autant de mal
à déceler ce qui est exactement fait avec ses données. En
outre, cette charte n'est pour le moment disponible qu'en langue anglaise, les
textes disponibles dans les autres langues n'en étant que des
"explications". Les utilisateurs ne parlant pas l'Anglais n'ont donc pour le
moment pas accès à la politique de confidentialité les
concernant.
Mais ce qui est le plus frappant dans cette nouvelle
politique se trouve dans le paragraphe "contrôleur". Facebook s'y
proclame contrôleur des données personnelles : "The
company
70 Europe vs. Facebook : " it seems like Facebook is not
going one step forward, but two steps back"
71
https://www.facebook.com/note.php?note_id=10151730720905301
72 SOYEZ Fabien, "Facebook en redemande", Owni.fr, 10
janvier 2012
30
Facebook Ireland Ltd. has been established and
registered in Ireland as a private limited company, Company Number: 462932, and
is the data controler responsible for your personal
information"73.
À plusieurs reprises durant la charte, Facebook
se proclame donc contrôleur premier des informations postées par
l'utilisateur. Les utilisateurs semblent abandonner leur droit de
contrôle sur leurs données, dès lors qu'elles sont
publiées sur le réseau. Or, cela est absolument contraire
à la législation européenne de protection des
données, centrée autour des autorités de protection des
données : "Chaque État membre prévoit qu'une ou plusieurs
autorités publiques de contrôle sont chargées de surveiller
l'application, sur son territoire, des dispositions adoptées par les
États membres en application de la présente
directive"74. Le contrôle des données appartient aux
seuls individus concernés, et aux autorités de contrôle
indépendantes, mais ne saurait en aucun cas être détenu par
l'entreprise effectuant le traitement de ces données.
Le groupe Europe vs Facebook s'est à nouveau
mobilisé contre cette nouvelle charte. En effet, Facebook prévoit
que si 7 000 utilisateurs commentent ces changements, en s'y opposant, elle
révisera la nouvelle réglementation. Le groupe a ainsi
publié sur le site
www.our-policy.org
les points sujets à discussion, et contraires à la
législation européenne, et entend les faire modifier. Le
fondateur Max Schrems déclare alors : "Nous voulons battre Facebook non
seulement par la législation européenne, mais aussi sur son
propre terrain. Si nous arrivons à recueillir sept-mille commentaires
sous sept jours, ils auront un sérieux
problème"75.
Toutes ces modifications démontrent que si la
législation Européenne est un moyen de contraindre les
réseaux sociaux à oeuvrer vers d'avantage de respect des droits
des utilisateurs, elle ne semble pas suffire en elle-même. La
société civile peut en revanche jouer un rôle
considérable pour amener les entreprises à respecter cette
législation. Le nouveau règlement annoncé par la
Commission, couplée à des actions concrètes pour le faire
respecter, pourrait dès lors permettre un plus grand respect des droits
des utilisateurs.
73
https://fbcdn_dragon-a.akamaihd.net/cfs-ak-snc6/84985/2/338503082862262_814169785.pdf
p14, Article VI "Some other things you need to know", §"Controler -
Information for users outside of the United States and Canada"
74 Directive 95/46/CE, Chapitre VI "autorité de
contrôle et groupe de protection des personnes à l'égard du
traitement des données à caractère personnel", Article 28
"autorité de contrôle", §1
75 Europe vs Facebook, "Success for Austrian student
group ? Facebook changes worldwide privacy policy", § "Alternative
Suggestions" : "We want to beat Facebook not only with the European law but
also on its own platform. If we make the 7,000 comments within 7 days they have
a serious problem. We are calling for all Facebook users to get informed on
our-policy.org
tonight and join us in the fight for more privacy!", 11 mai 2012, 2 pages, p.
1
31
Conclusion
Ainsi, l'utilisation et le partage des données
personnelles suivent l'évolution des technologies. Il semble
inévitable que de nouveaux services seront toujours créés,
et poseront constamment de nouveaux enjeux pour la protection de notre vie
privée et de nos données. Ainsi que l'énonce la Commission
dans son "approche globale", "le défi posé aux
législateurs est celui de la mise en place d'un cadre législatif
qui résistera à l'épreuve du
temps"76.
La législation européenne en vigueur a
posé des jalons fondamentaux pour la protection des données
personnelles des citoyens de l'Union. La neutralité technologique de la
directive 95/46/ CE a permis qu'un maximum de services et de pratiques soient
concernés et régulés.
Cependant, un processus de réforme est
inévitable. En effet, la législation existante laisse de
côté certains enjeux liés à la pratique-même
des réseaux sociaux, tels que le droit à l'oubli. Ainsi que le
déclare Viviane Reding, "l'adoption de la directive de 1995 relative
à la protection des données avait marqué une étape
importante pour la protection effective des données à
caractère personnel et de la vie privée. Cependant, les
disparités nationales dans sa transposition ont abouti à des
écarts de protection en fonction de l'Etat membre de résidence ou
d'achat des biens et des services. Une modernisation des règles en
vigueur s'impose donc : celles-ci remontent en effet à une époque
où les flux de données sur Internet étaient encore
très limités et où le fondateur de Facebook n'était
âgé que de onze ans".
Il est également essentiel que les normes
applicables par les autorités nationales et communautaires, et
auxquelles les entreprises doivent se conformer, soient définies
clairement. De même, les individus doivent avoir connaissance des droits
auxquels ils peuvent prétendre.
La Communication de la Commission Européenne au
Parlement Européen, au Conseil, au Comité Economique et Social
Européen, et au Comité des Régions, intitulée
«Une approche globale de la protection des données à
caractère personnel dans l'Union européenne», constitue une
bonne base pour orienter ces réformes. L'Union européenne y a
redéfini ses objectifs et priorités en matière de
protection des données personnelles et de la vie privée. Elle y a
également précisé le cadre s'appliquant
spécifiquement aux réseaux sociaux.
Mais il faut également que les
évolutions aient lieu de l'autre côté. En effet, si la
réforme de la législation européenne est
nécessaire, il est encore plus nécessaire que les entreprises
amenées à traiter les données personnelles respectent
cette législation. Cela peut paraître évident, et
pourtant
76 "approche globale", p.20
nous avons démontré toutes les
infractions au droit communautaire que présentent les chartes de
confidentialité et les pratiques de réseaux tels que Facebook. La
Commission entend remédier à ces comportements en poursuivant
dans sa réforme une politique volontariste de répression des
infractions, lorsque les règles de l'UE ne seront pas mises en oeuvre et
appliquées correctement.
Le respect de la législation européenne
par les réseaux sociaux peut également passer par une action
concrète des institutions communautaires et de la société
civile, comme l'a montré l'initiative Europe vs Facebook. Mais elle peut
également passer par une harmonisation des législations à
l'échelle internationale. L'Union européenne a commandé
plusieurs initiatives internationales, par exemple lors de la Conférence
mondiale des commissaires à la protection des données en novembre
2009, ou encore en 2010 lors de la Conférence de
Jérusalem.
Nous ne pouvons par ailleurs ignorer le projet de
l'administration Obama de s'inspirer de la législation européenne
pour créer un "schéma directeur pour un projet de loi sur les
droits des données personnelles afin de protéger les
consommateurs en ligne". Uniformiser les législations de protections des
données personnelles à une échelle mondiale permettrait en
effet d'accroître le respect des droits des utilisateurs en la
matière. Cela est particulièrement vrai dans le cas des
réseaux sociaux qui, étant pour la plupart des entreprises
américaines, ne pourraient plus ignorer la législation
communautaire.
Dès lors, ainsi que se l'est fixé comme
objectif la Commission européenne pour 2013, "c'est en assurant un
niveau élevé et uniforme de protection des données dans
l'Union que nous serons le mieux à même de défendre et de
promouvoir au niveau mondial les normes européennes en la
matière"77.
32
77 Préambule de la Stratégie
Numérique pour l'Union européenne
33
Bibliographie
Par ordre d'usage Articles de presse
TURK Alex, "Réseaux sociaux en ligne. Attention,
vous êtes tracés !", Le Télégramme, 20
Décembre 2008
ROUVROY Antoinette, "repenser le sens du droit à
la protection de la vie privée dans la société de
surveillance : une urgence démocratique",
mediapart.fr,
octobre 2008, http://blogs.mediapart.fr/
edition/sciences-et-democratie/article/141008/repenser-le-sens-du-droit-a-la-protection-de-la-v
REDING Viviane, "Pourquoi nous réformons la
protection des données numériques", Les Echos, 14 mars 2012,
http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/high-tech-medias/internet/221144525/
pourquoi-reformons-protection-donnees-numeri
SOYEZ Fabien, "Facebook en redemande", Owni.fr, 10
janvier 2012,
http://owni.fr/2012/01/10/
protection-des-donnees-facebook-est-content/
PIDD Helen, "Facebook could face
€100,000 fine for holding data that users have deleted",
The Guardian, 20 Octobre 2011
Articles scientifiques
WARREN S.D and BRANDEIS L.D., The right to
privacy: the implicit made explicit, Cambridge Massachussets, Harvard Law
Review, 1890, 98 pages, 193Ð220
SOLOVE Daniel J., "Conceptualizing privacy",
California Law Review, n°90, 2002, 70 pages, 1092, 1096
Ouvrages
SCHERMER Bart et WAGEMANS Ton, Freedom in the Days
of the Internet: "Regulating, Legislating and Liberating the Internet While
Protecting Rights and Unlocking potentials", Centre for European Studies,
Bruxelles, 2010, 120 pages
FOREST David, Droit des données
personnelles, coll. "droit en action", Paris, ed. Gualino, 2011, 119
pages
34
MANACH Jean-Marc, La vie privée, un
problème de vieux cons ? Paris, FYP éditions, 2010, 224
pages, p.39
GATT Matthew et FSADNI Ranier, Governing the
Internet, Bruxelles, Centre for European Studies, 2010, 130
pages
DECEW J. Wagner, In Pursuit of Privacy: Law,
Ethics and the Rise of Technology, Ithaca, Cornell University Press, 1997,
208 pages, p.12
CARDON Dominique, La démocratie Internet :
Promesses et limites, Paris, Seuil, 2011, 102 pages
LAFFAIRE Marie-Laure, Protection des
données à caractère personnel, Bruxelles,
Organisation Eds,, 2005
DUBLOIS, Louis, et BLUMANN, Claude, Droit
matériel de l'Union Européenne, Paris, Montchrestien,
2010
JACQUE Jean-Paul, Droit Institutionnel de l'Union
Européenne, 5eme édition, Dalloz, Paris, 2010
Textes législatifs
Directive 95/46/CE du Parlement européen et du
Conseil, du 24 Octobre 1995, relative à la protection des personnes
physiques à l'égard du traitement des données à
caractère personnel et à la libre circulation de ces
données, JO L 281 du 23 Novembre 1995
Directive 97/66/CE du Parlement et du Conseil du 15
Décembre 1997, concernant le traitement des données à
caractère personnel et la protection de la vie privée dans le
secteur des télécommunications, art.3 "services
concernés", §1, art. 4, 6, 7, 11
Directive du 12 juillet 2002 sur la protection de la
vie privée dans le secteur des communications électroniques
(2002/58), Art 13, "communications non sollicitées"
Convention Européenne de Sauvegarde des Droits
de l'Homme, article 8 "droit au respect de la vie privée et familiale",
paragraphe 1
Charte des Droits Fondamentaux de l'Union
européenne, 2010/c83/02, Titre II "Libertés", Article 8
"Protection des données à caractère personnel", §1;
Titre VII "dispositions générales régissant
l'interprétation et l'application de la charte", Article 51 "champ
d'application", §1;
35
Traité sur le Fonctionnement de l'Union
européenne, Première Partie : les principes, Article 16, §1,
2; Article 288;
Loi de 1978 modifiée relative à
l'informatique, aux fichiers et aux libertés, Loi 78-17, 16 janvier
1978, Chapitre II : Conditions de licéité des traitements de
données à caractère personnel, Section 2 : Dispositions
propres à certaines catégories de données, article 8
Modifié par Loi n°2004-801 du 6 août 2004 - art. 2 JORF
7Août 2004
CJUE (grande chambre), 9 mars 2010, Commission
européenne c/ République fédérale d'Allemagne (aff.
C-518-07). L'article 28, § 1, al. 2 de la directive 95/46CE du 24 Octobre
1995 dispose que : « Les autorités publiques exercent en toute
indépendance les missions dont elles sont investies »
Convention pour la protection des personnes à
l'égard du traitement automatisé des données à
caractère personnel, Chapitre I "Dispositions générales",
Article 1er "Objet et but", Bruxelles, le 28 Janvier 1981
Textes officiels
Communication de la Commission Européenne au
Parlement Européen, au Conseil, au Comité Economique et Social
Européen, et au Comité des Régions, «Une approche
globale de la protection des données à caractère personnel
dans l'Union européenne», Bruxelles, le 4 Novembre 2010
Proposition de règlement du Parlement
Européen et du Conseil relatif à la protection des personnes
physiques à l'égard du traitement des données à
caractère personnel et à la libre circulation de ces
données (règlement général sur la protection des
données), Bruxelles, le 25 Janvier 2012, COM (2012) 11 final
Commission Européenne, Direction
Générale Justice, Liberté et Sécurité,
"étude comparative sur les différentes approches des nouveaux
défis en matière de protection de la vie privée, en
particulier à la lumière des évolutions technologiques",
Contrat N° JLS/2008/C4/011 - 30-CE-0219363/00-28, rapport final,
Bruxelles, Janvier 2010, 71 pages
Commission Européenne, "Study on the economic
benefits of privacy enhancing technologies", London Economics, Juillet 2010,
p.14
http://ec.europa.eu/justice/policies/privacy/docs/studies/
final_report_pets_16_07_10_en.pdf
36
Sénat, "Proposition de résolution au nom
de la commission des lois, en application de l'article 73 quinquies, sur la
proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil
relatif à la protection des personnes physiques à l'égard
du traitement des données à caractère personnel et
à la libre circulation de ces données (E 7055)"
Maison Blanche, "We Can't Wait: Obama Administration
Unveils Blueprint for a "Privacy Bill of Rights" to Protect Consumers Online.
Internet Advertising Networks Announces Commitment to "Do-Not-Track" Technology
to Allow Consumers to Control Online Tracking"
Commission Nationale de l'Informatique et des
Libertés, Canevas législatif « Informatique et
libertés », Paris, 13 Décembre 2006 :
http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/dossier/
international/Francophonie/Canevas-legislatif.pdf
Commission Nationale de l'Informatique et des
Libertés, "Projet de règlement européen : la
défense de la vie privée s'éloigne du citoyen", Janvier
2012
Commission Nationale de l'Informatique et des
Libertés, "Projet de règlement européen : la CNIL salue
l'engagement du Parlement français", Février 2012
Commission Nationale de l'Informatique et des
Libertés, "L'adresse IP est une donnée à caractère
personnel pour l'ensemble des CNIL européennes", 2 Août
2007
Facebook Ireland Ltd, "Report of Audit", 21
Décembre 2011
Nouvelle charte de confidentialité Facebook
:
https://www.facebook.com/note.php?
note_id=10151730720905301, notamment p14, Article VI "Some other things you
need to know", §"Controler - Information for users outside of the United
States and Canada
Enquêtes officielles de l'Union
européenne
Enquête Flash Eurobaromètre, "La
protection des données au sein de l'Union européenne, perceptions
des citoyens", Février 2008, Bruxelles, p. 6,7
ec.europa.eu/public_opinion/flash/
fl_225_fr.pdf
Consultation publique organisée par la
Commission :
http://ec.europa.eu/justice/newsroom/data-protection/opinion/090501_en.htm;
37
Sites Internet
Site officiel de la Stratégie Numérique
pour l'Europe de la Commission Européenne: Digital Agenda for
Europe, et particulièrement les articles 6 : protecting
intellectual property online et 12 : review the EU data protection rules
Site officiel du Contrôleur Européen de la
Protection des données : http://www.edps.europa.eu/
EDPSWEB/edps/lang/fr/EDPS
Europe VS Facebook :
http://europe-v-facebook.org/FR/fr.html
la Quadrature du Net :
http://www.laquadrature.net/fr
38
Annexes
1. Sondage eurobaromètre "Attitudes on Data
Protection and Electronic Identity in the European Union" - p. 39
2. "Are you in control of your personnal data ?",
infographie réalisée par la Commission Européenne - p.
42
3. "How social sites make money", infographie
réalisée réalisée par
USBundle.com
- p. 43
|
|