Paragraphe 1 : Pétrole et développement
: déni d'une malédiction.
A- Esquisse de présentation du concept de «
malédiction des ressources nat u-relles » :
Il existe en Afrique, et dans de nombreuses autres
régions du monde, une idée assez répandue sur une «
malédiction des ressources naturelles ». Selon Terry Lynn Karl,
celle-ci renvoie à la relation inversement proportionnelle entre
dépendance élevée vis-à-vis des ressources
naturelles et taux de croissance économique.353 Pour de
nombreux observateurs, le plus grand malheur du continent africain viendrait,
à la fois, des convoitises que suscitent, auprès d'acteurs
véreux, l'immensité de ses matières premières et de
l'incapacité de nombreux pays à mettre sur pied des politiques
à même de faire de leurs ressources naturelles des facteurs de
développement, et non simplement de dynamisme économique. Or,
uranium, bois, diamant, gaz et pétrole seraient alors les responsables
« involontaires » de la ruine du continent. La pauvreté et
l'instabilité de pays africains, pourtant riches, apparait comme une
confirmation de ce point de vue.354Il serait alors impossible
à l'Afrique de se développer grâce aux importantes
richesses tirées de son sous-sol.355
Le pétrole, matière première
stratégique par excellence, est considéré comme incapable
d'assurer le développement des pays qui le possèdent. Les grands
enjeux autour de l'exploitation de cette source d'énergie en
limiteraient l'impact positif sur les conditions de vie des populations. La
situation économique et sociale précaire d'anciens ou actuels
pays pétroliers du Golfe de Guinée tels que le Congo, le
Nigé-ria, l'Angola, le Cameroun, ou le Gabon ; 356ou
même l'histoire de quelques pays membres de l'OPEP (Iran, Arabie
Saoudite, Irak, Venezuela, etc.) apparaissent comme autant de
témoignages du caractère illusoire du développement par le
pé-
353 Terry Lynn Karl, « comprendre la «
malédiction » des ressources », in Le pétrole.
Guide de l'énergie et du développement à l'intention des
journalistes. Lever la malédiction des ressources naturelles.2,
Open society New York, 2005, p23.
354 -Il est tout de même saisissant que des pays africains,
véritables « scandales géologiques », comme la RDC, le
Nigéria ou l'Angola occupent les dernières places dans le
classement des nations les plus riches du monde. Dans ces pays, une
minorité d'individus, généralement proches du pouvoir,
profitent des richesses tandis que la majorité des habitants vit dans
une précarité et une pauvreté abjectes.
355 - Cette éventualité tient du fait que si l'on
se base sur la définition du terme « malédiction »
(état de malheur inéluctable qui semble imposée,
dictionnaire Encarta(c) 2009) il est impossible que l'homme vienne à
bout des difficultés que posent la gestion des ressources naturelles.
356 - Voir Ian Gary et Terry Lynn Karl, Le fond du
baril, catholic relief services, juin 2003, pp. 25-43.
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dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
trole. Dans de nombreux cas, à défaut
d'assurer une certaine prospérité aux populations des
pays producteurs, le pétrole s'est révélé
être un facteur de déstabilisation et
d'insécurité économique et
environnementale.357 Selon Philippe COPINSCHI, « le
pétrole est certainement une « richesse » au sens
économique. Mais en favorisant le développement d'une
économie de rente, le pétrole est, en même temps, un
facteur de déstabilisation ou d'entretien des conflits.
».358Quelques facteurs sont généralement
évoqués pour expliquer la malédiction du pétrole :
volatilité des prix, « syndrome hollandais », retard
dans l'accumulation des compétences et progression des
inégalités, problème de l'enclavement et
des impôts.359 Les témoignages de nombreux
nigérians, ayant assisté impuissants à la destruction de
leurs moyens de subsistance par l'industrie pétrolière
et vivant dans une pauvreté indescriptible,360
confirment la relation qui existe entre pétrole et sous-
développement. Cependant, s'il est admis que le
pétrole ne peut à lui seul assurer le
développement361 d'un pays, il est tout
aussi impossible de voir en lui le responsable du marasme économique de
quelques pays pétroliers d'Afrique.
B- Responsabilité des autorités politiques
dans le faible impact social du pétrole :
Le pétrole est avant tout une substance noire,
épaisse et visqueuse. C'est « [...] une
ressource naturelle dormante qui n'a de valeur active que lorsqu'on
décide de l'extraire des profondeurs terrestres ou
maritimes où il gît. ».362 De ce fait, le
pétrole ne peut être considéré comme un facteur
intrinsèque de sous-développement, encore moins
d'insécurité. S'il est perçu par certains
analystes comme un « facteur aggravant » de la crise
généralisée du continent africain363 le
rôle des politiques de gestion dans « l'incapacité
sociale » du pétrole est indéniable.
L'histoire pétrolière du Nigéria nous
démontre que la volonté de captation de la rente, qui a toujours
animé les acteurs du secteur pétrolier, est le principal obstacle
au développement du pays. Selon des observateurs de l'industrie
pétrolière, « la mauvaise gestion et les
stratégies de recherche de positions de rente sont si
généralisées que le Nigéria est devenu quasi
synonyme de corruption. Le détournement des revenus du pétrole
est un sport national ».364 Toute lutte contre la
pauvreté devient alors incertaine. L'industrie
pétrolière au Nigéria est assimilable à
une arène où acteurs gouvernementaux, par-
357 -Cf. supra
358 - Voir Philippe Copinschi, « Rente
pétrolière, géopolitique et conflits », in
Questions Internationales n°2, Juillet - Aout 2003.
359 - Voir Terry Lynn Karl, « comprendre la «
malédiction » des ressources », in Le pétrole.
Guide de l'énergie et du développement à l'intention des
journalistes. Lever la malédiction des ressources naturelles.2,
Open society New York, 2005, pp.21-27.
360 - Voir Amnesty International, CEHRD, La vraie «
tragédie ». Retards et incapacité à stopper les
fuites de pétrole dans le Delta du Niger, Amnesty International,
aout 2008.
361 -Nous parlons ici non pas de la croissance économique
qui s'analyse à travers le dynamisme d'indices comme le PIB ou le PNB
mais bien du développement, principe supra économique.
362 -Voir Michel Kounou, Pétrole et pauvreté au
sud du Sahara, éditions clé, 2006, p.27
363 - Voir Cédric Lestrange, Christophe-Alexandre
Paillard, Pierre Zelenko, Géopolitique du pétrole,
éditions Technip, 2005, p.153
364 -Voir Ian Gary, Terry Lynn Karl, Le fond du baril,
catholic relief services, Juin 2003, p.26
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Nigéria.
tenaires internationaux et populations autochtones se battent
pour le contrôle des positions de rente.365
L'apport du pétrole dans la croissance des pays
pétroliers est indéniable. Lorsque les coûts sur le
marché international sont hauts, la rente irrigue l'économie et
favorise une relative santé financière. Dans les pays du «
tout pétrole », cette source d'énergie a un rôle
à la fois économique, social et politique.366 Les
revenus tirés du pétrole servent au dynamisme de secteurs
économiques comme l'immobilier, les transports, les marchés
financiers, etc. Si l'impact du pétrole sur la conduite des affaires
économiques des pays pétroliers est indubitable, il est
plutôt difficile d'évoquer son apport dans le processus de
développement. En effet, selon le PNUD, le but du développement
est le bien-être de l'homme. Le développement humain a alors pour
objectif « [..] d'élargir la gamme des choix offerts à la
population [..] Ces choix doivent comprendre des possibilités
d'accéder aux revenus et à l'emploi, à l'éducation
et aux soins de santé et à un environnement propre ne
représentant pas de danger [..] ».367L'indice de
développement humain (IDH) permet de mesurer le
développement d'un pays à travers les chiffres du PIB par
habitant, de l'alphabétisation et de l'espérance de vie à
la naissance.
Le développement, en tant que processus supra
économique, ne saurait dépendre de la seule croissance
économique induite par les revenus pétroliers.
L'épanouissement économique, social et politique des populations
est inhérent à tout processus de développement. Dans ce
sens, l'exemple de pays comme la Norvège, les Etats-Unis, la Chine, les
Emirats Arabes Unis ou le Qatar témoigne de la possibilité d'une
prospérité, voire d'une puissance par le pétrole.
Situé en bordure de la mer du Nord, la Norvège, avec 4,3% des
réserves mondiales, est un des plus grands producteurs de brut au
monde.368 L'exploitation pétrolière y est
essentiellement offshore et a débuté dans les années 1960,
soit à la même période qu'au Nigéria. Malgré
l'impact que les recettes pétrolières ont eu, à un moment
donné, dans l'économie du pays (30% des recettes d'exportation
annuelle au début des années 1980) il n'a jamais
été une « monarchie pétrolière » au sens
des pays du Golfe Persique. C'est un pays à la diversité
industrielle importante (métallurgie, chimie, construction
mécanique et navale, agro alimentaire, etc.) et au modèle de
développement appréciable. Les Etats-Unis et la Chine quant
à eux, en plus d'avoir su profiter économiquement de leurs
réserves propres, se sont servis de la géostratégie du
pétrole comme moyen de puissance. C'est en partie grâce à
elle qu'ils ont assis leur domination sur certaines régions
stratégiques du globe.369
Le cas des monarchies du Golfe Persique, que sont le Qatar et
l'Arabie saoudite, est plus complexe. Si les OPA dans le monde de la finance,
du football, des médias et de l'art ainsi que le soutien aux pays
musulmans peuvent être considérés
365 -Cf. supra
366 -Cf. supra
367 -Voir rapport mondial sur le développement humain
(1991), publié par le PNUD.
368 - Cf. « Nord, mer du », Microsoft®
Encarta® 2009 [DVD], Microsoft Corporation, 2008.
369 -Les Etats-Unis en Afrique, en Amérique du sud et dans
le Golfe persique ; la Chine en Afrique et dans des marchés proches de
ses frontières.
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menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
comme des piliers de leurs géostratégies
pétrolières, l'importance du pétrole dans leur
économie est potentiellement dangereuse. L'embellie que connait celle-ci
serait brutalement remise en cause en cas de perte de la valeur du
pétrole. En plus, le PIB par habitant dans ces pays,
généralement haut, cache d'importantes disparités de
revenus entre les membres des familles royales et le reste de la
population.370
Les politiques de gestion des autorités publiques
nigérianes, décrites plus haut, sont en inadéquation avec
tout processus de développement. En effet, le rôle du
pétrole n'est pas seulement de favoriser la croissance, mais aussi de
permettre une amélioration significative des conditions de vie des
populations. Si les monarchies pétrolières du Golfe Persique
connaissent, comme le Nigéria, une importante disparité de
revenus entre les acteurs du secteur pétrolier, les membres des familles
des dirigeants politiques et le reste de la population, l'utilisation par
celles-ci de la rente pour la construction d'infrastructures sanitaires et
sociales est un plus. L'enclavement que connaissent de nombreuses
régions du Nigéria, la faiblesse du tissu sanitaire du pays et la
misère d'une majorité de nigérians sont des preuves de
l'improductivité de la gestion pétrolière des dirigeants
politiques. L'émancipation stratégique du Nigéria
constitue, à coup sûr, un pas important vers un
développement véritablement endogène.
Paragraphe 2 : Emancipation
géostratégique et développement endogène du
Nigé-ria.
A- L'industrie pétrolière : une
activité économique extravertie au service des ambitions
géostratégiques des grandes puissances :
L'industrie pétrolière au Nigéria, comme
dans la plupart des autres pays du Golfe de Guinée, est
entièrement tournée vers l'extérieur. Dès le
processus d'exploration, les pays pétroliers dépendent
entièrement de l'expertise technologique occidentale ou asiatique. Avec
l'augmentation du forage en eaux profondes, qui demande une technicité
plus grande et des moyens financiers importants, cette dépendance tend
à s'aggraver. Or, la permissivité du secteur pétrolier est
une preuve de l'immaturité stratégique de nombreux pays
africains. En effet, « [...] un premier problème politique majeur,
plutôt technico-économique à l'origine, émerge de
cette difficulté que l'extraction du pétrole en mer
génère des problèmes qui se résument à
l'impossibilité relative de contrôler les quantités
effectivement produites. ».371Le développement par le
pétrole, au Nigéria comme ailleurs, est impossible sans une
maîtrise préalable des quantités de brut extraites. La
« fourberie commerciale » des grands consommateurs de pétrole
peut alors prendre les traits d'une manipulation des chiffres concernant les
quantités de brut extraites, mais aussi de la valeur réelle
370 -
371 - Voir Michel Kounou, Pétrole et pauvreté
au sud du Sahara, éditions clé, 2006, p.116
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menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
des réserves pétrolières.372
La dépendance stratégique du Nigéria se manifeste tout au
long du processus pétrolier pendant les activités d'exploration
et de production, de vente et même de consommation du
pétrole.373
L'incapacité pour le pétrole de sortir de la
pauvreté les pays pétroliers africains, a suscité de
nombreuses réflexions sur une éventuelle « solution miracle
». Malgré les diverses initiatives entreprises, les
résultats sociaux du pétrole restent toujours insuffisants.
L'importante extraversion dont souffre l'exploitation pétrolière
sur le continent, apparait alors comme une des nombreuses raisons du «
paradoxe de l'abondance ». En effet, les politiques
pétrolières y sont considérablement influencées par
les besoins des grands consommateurs. L'augmentation de la production
pétrolière au Nigéria est par exemple dictée par
les ambitions stratégiques des Etats-Unis ou de la
Chine.374Une plus grande autonomie du premier producteur africain,
dans son secteur pétrolier, lui permettrait de mieux assurer à sa
population les retombées de la rente. Le principe du «
développement endogène » apparait alors comme une option
pour les décideurs politiques nigérians, en ce sens que le
développement n'est plus défini en termes quantitatifs, mais en
relation avec les besoins de la population.375
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