B- Délimitation temporelle :
Du point de vue chronologique, notre travail se concentre sur
la gestion des ressources pétrolières au Nigéria dans une
perspective longitudinale, tout en insistant sur l'actualité de nos
informations. Par conséquent, si notre recherche fait
référence de temps à autre à des
évènements éloignés dans le temps, elle se
spécifie à la fin des années 1970 (plus
précisément à l'année 1979) et le début des
années 1990, jusqu'en 2012. Cette limite temporelle se justifie par une
volonté de rendre compte de manière claire des changements
majeurs dans l'univers pétrolier Nigérian. En effet,
malgré le début de l'exploitation du pétrole dans le pays
en 1956 et la guerre du Biafra (1967-1970), celui-ci ne deviendra
réellement un enjeu énergétique et politique qu'entre 1979
et 1990, avec le second choc pétrolier et les troubles dans le Golfe
Persique qui accélèreront le redéploiement
américain en Afrique.41Les régimes militaires
successifs au Nigéria au cours de cette période permettront, par
leur gestion opaque du pétrole, un déploiement
géostratégique des grands consommateurs que le retour à la
démocratie, à partir de 1999, a depuis de la peine à
juguler.
V- REVUE DE LA LITTERATURE :
Notre recherche s'inscrit dans la continuité de travaux
antérieurs, traitant, pour l'essentiel, du caractère
stratégique de l'industrie pétrolière. L'étude
minutieuse des
41 - Voir « le président américain en Afrique
» in l'autre Afrique n° 42 du 25 au 31 mars 1998, 9-15.
Noah Noah Fabrice, Science po 5, Université de
Yaoundé II-Soa. Page 10
Enjeux énergétiques et insécurité
dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
nombreux ouvrages lus, nous a permis de faire ressortir les
principaux thèmes abordés. Il s'agit, pour l'essentiel, du
caractère conflictuel de l'univers pétrolier, de la
pauvreté dans les pays producteurs du Golfe de Guinée, des
conséquences environnementales de l'exploitation
pétrolière, de l'inadéquation des politiques de gestion du
pétrole et de la rente en Afrique noire, du statut stratégique du
Golfe de Guinée et du rôle politique et
géostratégique des multinationales pétrolières.
De nombreux auteurs ont abordé le thème de la
conflictualité dans l'univers pétrolier, en insistant sur
l'incompatibilité des intérêts comme source des conflits,
entre les acteurs. Cédric LESTRANGE, Christophe-Alexandre PAILLARD et
Pierre ZE-LENKO, ont par exemple évoqué, dans leur ouvrage
Géopolitique du pétrole42, le
caractère belligène de certains pays pétroliers, notamment
africains. Ils considèrent que la production du pétrole y
constitue, généralement, un facteur aggravant des crises
déjà existantes.43 Dans le même ordre
d'idées, Gérard DOSSOUY, dans son ouvrage intitulé
Quelle géopolitique au XXIe siècle
?44 revient sur l'importance stratégique du
marché pétrolier, en insistant sur le rôle qu'y jouent les
Etats-Unis. Il estime alors que l'ère pétrolière est loin
de toucher à sa fin et que, par conséquent, les conflits
liés au contrôle de cette ressource, non renouvelable, sont
appelés à se multiplier. Michel KOUNOU se spécifie, quant
à lui, aux conflits que peut engendrer, en Afrique au Golfe de
Guinée, une mauvaise gestion du pétrole. Il met ainsi, dans son
livre Pétrole et pauvreté au sud du Sahara,45
les dirigeants politiques africains face à leurs responsabilités
dans la violence qui sévit dans nombre de pays pétroliers de la
région.
Le Professeur Michel KOUNOU évoque, dans ce même
ouvrage, le thème de la pauvreté. Il reconnait ainsi qu'il s'agit
d'un paradoxe qu'il convient de dénoncer pour susciter une meilleure
gestion des revenus pétroliers en Afrique. Deux autres auteurs, Ian
GARRY et Terry Lynn KARL, dans leur rapport intitulé Le fond du
baril. Boom pétrolier et pauvreté en Afrique,46
résument sous l'appellation « paradoxe de l'abondance » toute
l'incongruité de l'indigence de nombreux pays africains
pétroliers, malgré l'importance des sommes qu'ils engrangent
chaque année.
La « misère du pétrole » est un
thème qui a été grandement abordé dans les ouvrages
que nous avons lus. S'il s'est agi pour certains auteurs de ne s'en tenir
qu'à l'aspect économique et social de la mauvaise gestion du
pétrole en Afrique, d'autres ont également évoqué
l'aspect environnemental de celle-ci. L'ONG Amnesty International est revenue,
dans le cadre d'au moins deux rapports,47 sur la pollution
provoquée par l'incurie dont bénéficient certains acteurs
du secteur pétrolier nigérian.
42 -Cédric LESTRANGE, Christophe-Alexandre PAILLARD,
Pierre ZELENKO, Géopolitique du pétrole, Paris, édi-tions
Technip, 2005, 259 p.
43 - Cf. p. 153
44 - Gérard DUSSOY, Quelle géopolitique pour le
XXIe siècle ?, éditions complexe, 2001, 405 p.
45 Michel KOUNOU, Pétrole et pauvreté au sud du
Sahara, Yaoundé, éditions Clé.
46 - Ian Garry et Terry Lynn Karl, le fond du baril. Boom
pétrolier et pauvreté en Afrique, Catholic Relief Services,
Juin 2003, 102 p.
47 - Cf. Amnesty International, CEHRD, La vraie «
tragédie ». Retards et incapacité à stopper les
fuites de pétrole dans le delta du Niger, Amnesty International,
novembre 2011, 54 p. et Amnesty International, Pétrole, poll u-tion et
pauvreté dans le delta du Niger, Amesty International, juin 2009.
Noah Noah Fabrice, Science po 5, Université de
Yaoundé II-Soa. Page 11
Enjeux énergétiques et insécurité
dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
Celle-ci a plongé un nombre important de
nigérians dans une situation de misère intenable, doublée
d'une incapacité à vivre dans un environnement sain. Michel
KOU-NOU, Cédric LESTRANGE et al. décrivent également, dans
leurs ouvrages suscités, cette pollution de tous les instants dont sont
victimes nombre de populations africaines.
Le thème de la responsabilité des
autorités politiques africaines, dans la faiblesse des résultats
sociaux du pétrole, est repris par de nombreux auteurs au rang desquels
figure Etanislas NGODI. Celui-ci affirme, dans son ouvrage Pétrole
et géo-politique en Afrique centrale,48 que la
prédation autour des revenus du pétrole est due à la crise
de l'Etat dans les pays producteurs. Il démontre ainsi que les
dirigeants africains ont une part de responsabilité dans le faible
impact économique et social du pétrole. C'est également
l'avis de Michel KOUNOU dans son article intitulé « paradoxes et
misères du pétrole africain ».49 Les ouvrages
d'Amnesty International, d'Ian GARRY et de Terry Lynn KARL,
évoqués plus haut, reviennent également sur l'implication
des politiques africains dans la mauvaise gestion du secteur
pétrolier.
S'il la responsabilité des dirigeants politiques, dans
la pauvreté de nombreux pays africains, est incontestable, c'est bien
à cause de la gestion inadéquate qu'ils font de l'industrie
pétrolière et de ses revenus. Au Nigéria, cette situation
est à l'origine d'une violence de tous les instants qui est le fait,
à la fois, des responsables politiques et militaires et des populations
des régions pétrolières désabusées. C'est
pour cette raison que de nombreux auteurs ont voulu insister sur la violence,
qui semble structurer la société nigériane. Dans son
article intitulé Violences et ordre politique au
Nigéria50, Laurent FOURCHARD revient sur la violence qui
caractérise souvent la relation entre l'Etat et les populations habitant
les régions pétrolifères. Il insiste sur l'origine sociale
du conflit entre ces deux entités, et sur la promptitude à la
violence qui est constatée. Sylvie FANCHETTE estime, pour sa part, que
ce sont les rivalités de pouvoir, les revendications territoriales et
les décisions pétrolières qui constituent les ferments de
la violence au Nigéria.51 Elle n'hésite pas à
rentrer dans l'historique de l'économie nigériane, pour expliquer
les troubles qu'a produit l'exploitation du pétrole dans la vie de
nombreux peuples autochtones. Alexandra GEISER dans
Nigéria52 revient sur la déliquescence de la
société nigériane ; tandis qu'Amnesty International
relate, dans une de ses publications,53 l'horreur et la
désolation qui résulte, généralement, des
interventions de la soldatesque, aux ordres d'Abuja, lors de manifestations de
revendication des populations.
48 - Etanislas NGODI, pétrole et géopolitique en
Afrique centrale, L'Harmattan, 2008, 255p.
49 - Cf. Michel KOUNOU, « Paradoxes et misères du
pétrole africain. » in Enjeux n°36, juillet 2008.
50 - Voir Laurent FOURCHARD, « Violences et ordre politique
au Nigéria. », in Politique africaine, « Le Nigéria
sous OBASANJO. Violences et démocratie. », N° 106, juin
2007, pp.5-28.
51 - Cf. Sylvie FANCHETTE, « Le delta du Niger
(Nigéria) : rivalités de pouvoir, revendications territoriales et
ex-ploitation pétrolière ou les ferments de la violence. »,
in Hérodote n° 121, la découverte, 2e
trimestre 2006, pp. 190- 219.
52 - Voir Alexandra GEISER, Nigéria, Organisation
suisse d'aide aux réfugiés (OSAR), 2010, 24 p.
53 - Voir Amnesty International, Nigéria :
pétrole, pauvreté et violence, éditions
françaises d'Amnesty Interna-tional, Aout 2006.
Noah Noah Fabrice, Science po 5, Université de
Yaoundé II-Soa. Page 12
Enjeux énergétiques et insécurité
dans le golfe de Guinée : contribution à l'étude des
menaces liées a la ruée vers le pétrole au
Nigéria.
Le Golfe de Guinée est une région
pétrolière stratégique. C'est une certitude que l'on
acquiert, à la lecture des articles de Côme Damien AWOUMOU,
WULLSON MVOMO ELA et Honoré le LEUCH.54 Ceux-ci
démontrent, par des arguments différents, le caractère
incontournable du Golfe de Guinée dans la géopolitique et la
géostratégie mondiales du pétrole. Il n'est donc plus
question d'une zone au faible poids stratégique, mais d'une
région au centre de nombreux enjeux de puissance et de
sécurité de la part des grands consommateurs de pétrole.
L'attractivité du Golfe de Guinée apparait donc comme une
évidence qu'affirment des auteurs tels qu'Olivier CHARNOZ, Philippe
COPINSCHI, Pierre Noel, François LAFARGUE et Alain FOGUE
TEDOM55 ; en insistant sur les manoeuvres des grandes puissances
pour s'y installer durablement, et sur les conséquences de celles-ci sur
la stabilité et le développement économique des pays
africains.
Si notre recherche s'est grandement inspirée des
travaux évoqués plus haut, elle s'en démarque à
plus d'un titre. En effet, l'objectif de notre travail est d'établir le
lien qui existe, au Nigéria en particulier, entre enjeux
énergétiques et insécurité. Il s'agit pour nous, de
présenter le dynamisme de l'industrie pétrolière comme un
facteur susceptible d'exacerber l'insécurité, en cas de faillite
de l'Etat. L'extraversion étatique constitue le terreau sur lequel
viennent germer toutes sortes de phénomènes, constituant des
menaces à la stabilité politique, économique, sociale et
environnemental du pays. Nous insistions également sur
l'insécurité multiforme du pétrole au Nigéria, en
évoquant la responsabilité de chacun des acteurs du secteur. Il
ne s'agit pas, seulement, de jeter l'opprobre sur les responsables politiques
et les multinationales pétrolières, mais aussi de souligner
l'insécurité dont peuvent être porteurs les enjeux
énergétiques des groupes militants, et des populations des
régions pétrolières. Notre travail se veut, enfin,
prospectif. En cela, il aborde le thème de l'avenir du premier
producteur de pétrole d'Afrique, en jugeant de sa capacité
à atteindre ses objectifs de développement à l'aune des
limites constatées dans la gestion de son industrie
pétrolière, et des questions économiques et
démographiques.
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