CHAPITRE 6 Les attentes des
pères
La plus grande majorité d'entre eux sont en demande de
conseils juridiques, et de soutien. Ils disent vouloir être plus souvent
avec leurs enfants, voire pour certains pouvoir s'en occuper à
égalité avec la mère, mais restent imprécis sur
cette question. Confrontés à une procédure de
séparation de la part de leur conjointe, ils découvrent ensuite
avec stupeur des décisions de justice en leur défaveur.
Isolés, désorientés par ce qui leur arrive, ils viennent
exprimer aussi une demande de partage d'expériences avec leurs pairs,
dans l'espoir d'être soutenus.
6.1. Conseils juridiques de
défense : une recherche de l'appui de la loi
Quand des pères s'adressent à ces associations,
ils sont en demande de conseils pratiques de défense, et sont le plus
souvent déjà engagés dans une procédure, dans la
majorité des cas initiée par la mère. Ils n'ont pas
toujours des questions précises cependant, et malgré le fait
qu'ils ont déjà pour certains un avocat, beaucoup d'entre eux
attendent un soutien avec la perspective d'obtenir une aide d'ordre
juridique :
« Venu la première fois à
l'association dans les années 80, 84, j'ai connu l'association par la
presse, et puis j'ai laissé et je suis revenu. Pour avoir un
appui, une aide, une épaule. Car j'ignorais le système
judiciaire. J'étais en cours de divorce. Je cherchais la solution pour
faire barrage à cette demande de divorce ; c'était mon
épouse qui faisait la demande de divorce. J'attendais une orientation,
une idée sur mon cas, de la part de gens qui avaient
l'expérience. » (Jean) « J'étais
sans solution, je voyais que je perdais mes enfants et que je n'avais aucun
moyen avec la justice actuelle.. je voulais me renseigner..
Je me suis dit, je vais apprendre des choses, connaître les tenants
et les aboutissants, voir des expériences de papas et en tirer
profit » (Etienne).
Anéantis par la nouvelle d'une demande de divorce ou de
séparation, ils ne comprennent pas ce qui leur arrive, même s'ils
vivaient une situation conflictuelle conjugale ancienne. On peut dire que dans
un état de stupeur face à ce qui leur arrive, ils se trouvent
dans une position d'inégalité où ils ont à se
défendre. Ils sont en effet dans l'inquiétude permanente de ne
plus voir leurs enfants, notamment du fait de l'éloignement
géographique possible de la mère, en étant suspendu
à ses décisions, avec l'idée qu'elle sera soutenue dans
une procédure qu'elle aura initiée. Ils peuvent être sous
le choc d'une séparation qu'ils n'acceptent ou ne comprennent pas dans
un premier temps, comme pour Martin :
« Elle est partie du jour au lendemain. Mon
couple allait mal, je suivais un début de psychothérapie
j'essayais de faire quelque chose, et puis je suis rentré entre midi et
deux heures, et il n'y avait plus personne, la clé était dans la
serrure, elle était en train de déménager. »
(Martin)
Dans leur premier contact avec l'association, ils sont parfois
plutôt effrayés que rassurés. A la fois par les situations
des autres pères, plus avancés dans leur parcours de rupture et
de procédure, et à l'écoute des informations
avisées données par les adhérents animateurs :
« Mes premiers sentiments, j'ai eu encore plus
peur en partant car je n'étais pas en procédure, je portais
toujours une alliance, dans ma tête j'étais marié et je
voyais des gens qui ne l'étaient plus, et je ne pouvais pas accepter
cette réalité là. Et quand j'ai adhéré, j'ai
dit non je ne passerai pas par là et j'ai dit à une avocate je ne
veux pas divorcer. »(Martin) Les pères viennent à
l'association après leur « première claque »
auprès du JAF, me confie un adhérent. Les témoignages et
conseils prodigués par les associations, aux pères qui se
présentent la première fois, tendent ainsi à les
bousculer :
« J'avais très peur des gens en
procédure. C'était très pénible
les premiers jours, cela m'a aidé à vider mon sac, Et les gens
ont commencé à me faire tomber de mon piédestal, et bien
les dernières marches, on m'a expliqué ce qui
allait m'arriver, que j'allais divorcer, que j'allais surement recevoir une
requête, car je savais qu'il allait se passer quelque chose, pas la
requête, mais la séparation .. Quand je suis revenu, le 8
aout, le 10 aout j'ai reçu la requête, et là j'ai compris
que ce qu'on m'avait dit ici, un mois et demi avant et bien voilà, je ne
voulais pas l'admettre mais ça allait se passer comme
ça. Et puis là elle m'a réclamé la
garde exclusive de la petite, x pensions etc. »,
(Martin)
La préparation au passage devant les tribunaux est un
point travaillé par les associations, qui soulignent le fait que les
pères, sûrs d'eux, pensent en arrivant devant le juge qu'il n'y
aura pas de problème, et qu'ils bénéficieront de l'appui
de la loi. Les associations soulignent le fait qu'être demandeur met
l'autre sur la défensive, car le demandeur est dans la position d'avoir
raison. Ce qui met le père en situation de culpabilité. Les
avocats, en conséquence, déplorent les adhérents,
conseillent pour la plupart de générer le conflit quand les
mères veulent couper le contact, sachant que le conflit
bénéficie au générateur de ce conflit, en
l'occurrence le plus souvent la mère. Aussi beaucoup de pères,
selon les représentants d'associations, sont conduits à formuler
des demandes en matière de conseils juridiques, et disent se trouver
« piégés ». Leur réaction à ce
moment là par rapport à leur situation de père n'ayant pu
obtenir la garde ou tout simplement des droits de visite, est de remettre en
cause leur avocat, choisi le plus souvent par hasard. La première
question qu'ils posent alors en venant s'adresser à l'association est la
suivante : « avez-vous, ou connaissez vous un bon
avocat. ». Désemparés, Ils sont ainsi dans la recherche
d'un appui de la part du « judiciaire », de la loi, qui
devrait, pensent-ils, les soutenir :
« Je suis venu donc pour avoir un bon avocat,
spécialisé, et j'ai pu apprendre tout ce qu'il fallait
faire.. Comment monter un bon dossier. Ma demande,
c'était de le voir, étant donné la distance, la
moitié des vacances et un WE par mois. »
(Vincent)
Si l'avocat de permanence n'a pas pour fonction de prendre en
charge leur dossier, il va néanmoins l'orienter, lui fournir les
explications qui lui font défaut, leur consacrer, me précisent
les adhérents, du temps que les avocats habituellement limitent en
raison du coût des consultations. Cette attente vis-à-vis du
judiciaire se manifeste par ailleurs à travers un lien fort qu'ils
éprouvent avec les avocats :
« Donc la première vie d'avocat, c'est
quelqu'un qui m'a tout appris sans faire de procédure, on a fait du
coaching, de la stratégie, comme elle disait, elle
était extrêmement forte là dedans.. Maitre T a bien
géré les choses, on a fait un peu de tactique, d'ailleurs on a
négocié un report, vous entendrez ça sans arrêt ici,
il faut reporter. » (Martin)
Pour certains ils attendent ainsi beaucoup des avocats,
même si dans les associations, les représentants,
familiarisés et devenus de véritables techniciens du
fonctionnement judiciaire, relativisent leur rôle. Les pères
accueillis sont quoiqu'il en soit dans une posture d'allié ou cherchent
à l'être, quand ce n'est pas avec un avocat, avec le connaisseur
affirmé du système judiciaire qui va les recevoir dans les
associations. Par ailleurs, les avocats sont aussi des rivaux, notamment quand
ils sont de la partie adverse, venant témoigner d'un combat
acharné quand les procédures sont enclenchées. Ce qui va
s'opérer alors, à travers l'aide apportée par les
associations, c'est tout un travail de réappropriation de leur dossier-
l'expression « avoir la main », « reprendre la
main », est souvent employée - Ainsi, se joue, dans
l'interaction, un travail de réhabilitation de leur place parentale,
d'une affirmation de leur place de père, comme nous le verrons par la
suite. « Le but dans les permanences c'est de les faire redescendre
sur terre, et de leur expliquer ce qui va se passer. Et de quelle façon
il va falloir qu'ils attaquent, qu'ils abordent plutôt, leur
procédure. Le plus important c'est qu'ils redescendent sur terre et
qu'ils sachent bien qu'il va falloir qu'ils travaillent sur leur dossier,
qu'ils présentent quelque chose au juge mais qui soit positif »,
m'explique un membre de bureau d'association. Ainsi la permanence devient un
espace de remise en question qui les met face à la réalité
de leur situation. Les associations constituent en cela un lieu
d'émancipation par l'apprentissage à la négociation.
Aussi, pour l'association MCP, qui n'offre pas de consultation d'avocats,
mais détient l'expérience et les connaissances des rouages
judiciaires, les réponses apportées, en dehors de l'écoute
et du soutien, relèvent de conseils techniques parfois très
précis, autour de stratégies à adopter. D'une part face
à l'institution judiciaire des tribunaux, qui englobe juges et avocats,
dans le but d'être le moins exclu possible de leur place de parent ;
d'autre part, comme nous le verrons par la suite, à l'adresse de la
mère de leurs enfants, afin que le conflit ne soit pas surenchéri
à leurs dépens, l'idéal pour certains militants
étant de tendre vers une médiation familiale.
« Elle me coupait sans arrêt les vacances,
j'en ai ras le bol, je ne pouvais rien prévoir ; alors donc j'ai
dit, je vais aller voir au tribunal. Et puis ma copine m'a dit, tu sais, il y a
une association, c'est comme ça que je suis
arrivé, la première fois[... ]le
problème, c'est que je ne voyais pas mon fils, et si je ne me
débrouille pas pour aller à Nancy, je ne le vois pas. Et au bout
d'un moment, j'ai dit ça suffit, je veux qu'un juge décide des
vacances, et j'ai bien fait car cela l'a fait
réfléchir. » (Jacques)
« Je voulais voir ma fille.. Je n'étais
pas d'accord pour le divorce, mais j'ai mis en place une résidence
alternée dès le lendemain de son départ. Donc je suis
arrivé ici pour avoir un conseil juridique et on m'a dit surtout, signez
tout de suite ça vaut de l'or, un accord amiable. »
(Martin)
Ainsi, ces hommes apparaissent
désarçonnés face à la procédure juridique
engagée par la mère de leurs enfants, leur aisance apparente dans
l'utilisation du système judiciaire, comme de celui des services
sociaux, et s'aperçoivent de leur impuissance même avec un bon
avocat. Il s'agirait donc dans un premier temps, quand ils s'adressent aux
associations de « reprendre la main » pouvant laisser
entendre parfois, l'idée sous jacente de retrouver une certaine
suprématie masculine dans le rapport de force engagé. De ce fait,
ils acceptent plutôt bien le principe de payer, qui les maintient aussi
dans une représentation de rôle masculin, et le proposent
eux-mêmes souvent avant même la décision du juge, mais le
rejettent, s'ils ressentent une exigence manipulatrice de la part de l'ex
conjointe :
« Moi, mon souci, ce n'est pas la
décision, c'est le fait que c'est injuste pour moi qu'on ne m'accorde
pas les enfants, je serais prêt à payer une pension alimentaire
pour voir les enfants. Je fais appel, je demande à payer une pension
pour les enfants. Là je paie déjà une PA, alors que Mme
gagne deux fois plus que moi. » (Valentin)
Même pour Lucien, qui n'est pas encore père, mais
en attente de l'être, il demande des conseils juridiques en vue
d'être plus armé pour affronter d'éventuelles
difficultés, mais ce qui laisserait entendre aussi qu'il se repose sur
le système judiciaire, l'institution, pour asseoir sa place de
père :
« Je suis venu pour une aide
juridictionnelle. Au moment de la séparation, quand il y a des enfants,
on ne sait pas toujours comment ça se passe, pour fixer un cadre, des
règles, pour une éducation séparée. Je voudrais
savoir comment ça se passe et m'assurer d'avoir un traitement
égalitaire, par rapport à la mère.
Déjà, en fait je ne sais pas du tout comment
ça se passe, est ce qu'il est nécessaire de passer devant un juge
ou pas, je cherche en fait des conseils d'ordre complètement
procéduraux, administratifs. Je ne sais pas comment on va devoir fixer
un cadre pour cet enfant. » (Lucien)
Ainsi, cette place de père ne serait pas acquise, dans
la mesure où il est admis socialement que la mère la
détient en priorité. L'institution est alors attendue comme un
soutien, ce qui explique, comme nous le verrons par la suite, ce sentiment
exprimé par les pères d'une institution déloyale à
leur égard. « Il y a à peu
près 50 % des séparations ou des divorces, dans la population
générale, qui se passent bien, mais c'est effectivement la maman
qui est moteur, la mère va avoir ce pouvoir, qu'on va lui donner, de
s'occuper entre guillemets beaucoup mieux des enfants que les
pères ; et cela ne se vérifie pas dans tous les cas,
malheureusement, il y a des enfants très malheureux qui vivent sans leur
papa. », m'explique un membre de bureau.
Si les pères ne demandent pas la garde alternée,
ce serait alors souvent parce que les avocats les en dissuadent. Et le
passage devant le juge se présenterait selon leur expression comme un
« va tout », où tout se joue en dix minutes.
Au-delà de leur demande de conseils juridiques face
à leur situation de séparation, ils sont en effet en
général dans une attente de voir plus souvent leurs enfants, ou
de les revoir car ils ne les voient plus, ou bien encore dans
l'inquiétude de ne plus les voir. Désarmés face à
leur situation, ils souhaitent dans l'idéal une résidence
alternée, et même si concrètement leurs demandes ne
s'expriment pas clairement, ils recherchent avant tout à retrouver un
libre accès à leurs enfants.
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