3.2. Intériorisation
de la division sexuelle des rôles parentaux
Entre discours et réalité, des contradictions se
révèlent sur l'égalité dans les couples.
Les hommes tiennent un discours sur l'égalité
sans mettre leurs paroles en actes, nous dit Ulrich Beck. Tout en acceptant
l'égalité des droits des femmes, ils se dégagent des
tâches domestiques avec cette perception masculine de ne pas
désavantager la femme, car la question féminine est
ramenée à la question des enfants. Et pour la minorité des
hommes qui restent au foyer, ce choix relèverait surtout d'une
volonté de la compagne pour des exigences professionnelles. Quant au
désir des femmes à s'investir professionnellement, il se heurte
pour elles aussi, à leur désir de s'investir dans la vie de
couple et la maternité. Par ailleurs l'échange des rôles
est tout à fait mal accepté socialement : Les hommes sont
félicités et les femmes désignées comme de
« mauvaises mères ». L'évolution sociale
malgré tout plus égalitaire socialement pour les femmes, s'est
accompagnée aussi d'une évolution du côté des hommes
qui souhaitent se dégager de l'image imposée de l'homme viril, et
montrer davantage leurs sentiments. Mais dans une situation opposée
à celle des femmes, le terme égalité signifie pour eux
moins d'investissement professionnel, et plus de participation à la vie
du foyer. La majorité des hommes continue néanmoins à se
réfugier derrière des justifications biologiques au maintien de
ces inégalités (la femme porte l'enfant, elle est donc
responsable de son bien être). Cependant note l'auteur, les conflits
touchent les hommes de façon
violente : « Assignés à une réussite
économique et professionnelle, tels le « bon
nourricier », et « l'époux et père de famille
prévoyant », ils intériorisent les contraintes de
carrière pour satisfaire aux attentes. Ainsi, quand la relation à
la femme devient conflictuelle plutôt qu'harmonieuse, ils en sont
doublement affectés : à la privation de l'échange
émotionnel, s'ajoutent le désarroi et
l'incompréhension » (Beck, 1986).
L'auteur François De Singly note quant à lui que
le temps domestique inégal serait mieux accepté par la femme
lorsque l'homme consacre son temps à l'activité professionnelle.
Car le travail professionnel de la femme, dans les représentations, soit
complète, voire remplace celui de l'homme, soit est exercé
à titre personnel ; pour l'homme au contraire, il est à la
fois personnel et familial : « en étant au bureau,
ils sont pères puisqu'ils travaillent pour le bien être de leurs
enfants ». De plus, Les femmes seraient plus sensibles à
l'inégalité, face à leur mari, quand elles n'ont pas
d'enfant. (De Singly, 2001). Ainsi, à partir d'une lecture en termes
d'identité relationnelle, De Singly situe le changement historique au
niveau de l'appropriation par les femmes du travail domestique, plutôt
que dans la modification du partage.
Cependant, n'est ce pas là aussi, me semble t il,
revenir à la problématique de l'inégalité, dans la
mesure où cette approche témoigne en quelque sorte d'une certaine
intériorisation de la division sexuelle des rôles parentaux,
pouvant représenter un des freins à la mise en place de
l'égalité des sexes. Cette intériorisation de la division
sexuelle des rôles parentaux se trouve être par ailleurs
relayée par les institutions, comme en témoigne l'analyse faite
par les sociologues. En soulignant le point d'ancrage de l'identité
féminine par la relation parentale, l'injonction faite aux femmes,
notamment à l'occasion des séparations, vient accentuer en effet
l'inégale division des rôles parentaux.
Cette intériorisation d'une division sexuelle trouve par
ailleurs un soutien de la part des institutions.
Le sociologue Thierry Blöss, relève aussi un
enracinement historique de la division sexuelle des rapports domestiques, les
couples concubins ne se démarquant pas de la division sexuelle
traditionnelle domestique (Blöss, 2001). Il y a selon cet auteur
confrontation entre l'aspiration démocratique des couples et
l'intériorisation par chaque conjoint d'une division sexuelle des
rôles parentaux. Celle ci étant soutenue par
l'institution qui désigne la mère comme dépositaire du
lien de filiation au nom de « l'intérêt de
l'enfant ». Un certain nombre d'inégalités sociales
entre les hommes et les femmes passent inaperçues car mises sous le
compte de différences naturelles entre les sexes (essentialisme
biologique) : garde de l'enfant malade quand le couple est uni- et
attribution de la garde de l'enfant quand les couples sont désunis-, qui
révèle que peu d'hommes se sentent concernés, et que peu
de femmes sont prêtes à accepter le partage des
responsabilités ( Blöss, 2001).
Le conflit est tel dans la plupart des situations de rupture
conjugale que les couples s'en réfèrent à
l'autorité, conduisant l'Etat, donc le juge à désigner la
mère comme dépositaire du lien de filiation selon une idée
de « l'intérêt de l'enfant ». Ce qui conduit
à justifier officiellement la différence instituée entre
statut maternel et statut paternel. Ainsi le divorce, moins stigmatisé,
ne porte pas non plus atteinte à la conscience maternelle des femmes qui
se voient attribuer dans la majorité des cas la garde de l'enfant ;
ce qui les conduit à en faire la demande pour échapper à
une domination masculine, même en cas de dépendance
économique à leur mari. De ces obstacles à
l'égalité des sexes dans la parentalité, résulte la
situation de lassitude du parent gardien- l'autre se déchargeant de ses
fonctions éducatives- et le découragement du parent non gardien
qui ne communique plus avec son enfant. Au nom de cette notion
« d'intérêt de l'enfant », sorte de raison
d'état, c'est avec une certaine image de la famille, une forme
d'organisation domestique qui vont être légitimées dans
l'après divorce. Ce qui vient révéler une permanence des
représentations sexuées à l'égard de l'organisation
familiale. La définition du lien paternel post divorce est un indicateur
du fondement sexué des politiques publiques, à travers son
appréhension par sa fonction seule de pourvoyeur économique. Ceci
dit, la conquête des femmes dans la maîtrise de leur
fécondité ne signifie pas pour autant un renversement de
pouvoirs. « Les femmes en réalité se trouvent dans
un compromis entre le désir de maternité et de carrière
professionnelle. ».
|