CNAM
Conservatoire des arts et métiers
Chaire travail social
Master de recherche
Travail social, action sociale et société
L'émancipation familiale face aux
institutions :
Des pères séparés dans l'impasse
Catherine Azémar
Directeur de mémoire : Barbara
Rist
Année : 2008/2009
L'émancipation familiale face aux
institutions :
Des pères séparés dans
l'impasse
A Marie-Claude,
Ma soeur
Mes remerciements
A Barbara Rist, ma directrice de mémoire, pour m'avoir
fait confiance sans me perdre de vue, et aidé à ce que je ne me
perde pas en chemin.
Au Dr Roger Teboul, pédopsychiatre responsable de mon
service, pour avoir suscité et donné le temps nécessaire
à ma réflexion.
Aux personnes membres de bureaux des associations :
Justice Papa Parité
parentale
Mouvement de la condition paternelle
Sos Papa,
pour avoir admis ma présence aux permanences, pour
leur aide et leur accueil.
Je remercie particulièrement les parents qui m'ont
accordé des interviews, tous les pères qui par leur
témoignage, ont contribué à la réalisation de ce
travail.
Table des matières
INTRODUCTION
6
PREMIERE PARTIE : Place du père et
mouvement d'égalité des sexes
10
CHAPITRE 1 La désignation paternelle
dans l'histoire de la famille
10
1.1. La famille, une organisation sociale qui
questionne
10
1.2. Paterfamilias et ordre monarchique de la famille
13
1.3. Le père déchu replacé au
centre d'une conception matrimoniale de la famille
14
1.4. Suspicion du père et contractualisation du
couple autour de l'intérêt de l'enfant
16
CHAPITRE 2 Mouvement égalitaire et
division sexuelle des rôles
19
2.1. L'égalité, un contenu à
définir
19
2.2. Naissance du concept
d'égalité : la liberté au nom de la raison
20
2.3. Libération des femmes et distinction d'un
rôle maternel
22
CHAPITRE 3 Problématique de
l'égalité dans la famille : entre modernité et
tradition
24
3.1. Désarticulation entre conjugalité
et filiation, et processus d'individualisation
24
3.2. Intériorisation de la division sexuelle
des rôles parentaux
28
3.3. Contradictions entre une institution
inégalitaire et une tendance émancipatrice de la cellule
familiale.
30
3.4. Hypothèse de travail et choix du terrain
d'étude
32
3.4.1. Problématique de la place du
père dans les séparations conjugales
32
3.4.2. Des pères en mouvement pour
l'égalité parentale
33
DEUXIEME PARTIE : Le conflit des
pères séparés
36
CHAPITRE 4 la condition paternelle dans les
lieux d'accueil de parents séparés
37
4.1. Méthodologie d'enquête
37
4.2. Séparation des parents et
résidence des enfants : règles et pratiques
41
4.3. Trois associations militant pour
l'égalité parentale : un accueil social
43
4.4. Le discours féministe des militants
47
CHAPITRE 5 Profil et discours des pères
dans les associations
50
5.1. Une population accueillie diversifiée
50
5.2. Des séparations de couples conflictuelles
51
5.2.1. Le conflit parental dans la
séparation de jeunes pères
52
5.2.2. L'éloignement géographique
originaire du conflit
54
5.2.3. Les conflits donnant lieu à des
visites dans des points rencontre
54
5.3. Un sentiment de destruction
56
5.4. Un investissement paternel dès le plus
jeune âge
58
CHAPITRE 6 Les attentes des pères
62
6.1. Conseils juridiques de défense : une
recherche de l'appui de la loi
62
6.2. Le libre accès aux enfants : une
demande d'apaisement du conflit
66
6.2.1. La résidence alternée, un
idéal
67
6.2.2. La place de la mère soulignée
72
6.3. Le partage d'expériences : l'attente
d'un soutien contre l'isolement
75
CHAPITRE 7 les représentations et
luttes des pères
79
7.1. Une représentation des rôles
parentaux à la fois traditionnelle et égalitaire
79
7.2. Le combat pour une égale reconnaissance
85
7.2.1. Sentiment d'injustice : la condamnation au
paiement d'une pension alimentaire
85
7.2.2. Le sentiment d'être trahi par les
institutions.
89
7.3. Face à la réalité :
espoir et restauration d'une place de parent par le dialogue
95
En conclusion
99
CONCLUSION GENERALE
101
BIBLIOGRAPHIE
104
ANNEXES
107
INTRODUCTION
A partir de la problématique sociale posée
par « l'adolescence », rencontrée dans ma
pratique professionnelle d'assistante sociale en pédopsychiatrie, je me
suis interrogée sur la place du père, sans cesse convoqué
par les jeunes eux mêmes ou les professionnels. Par ailleurs, dans le
contexte actuel de crise économique et sociale, je constate que la
famille est mise au premier plan face à la détresse des jeunes,
censée leur donner des repères que la société
elle-même n'aurait plus.
Si je me réfère à l'observation faite par
les sociologues de la famille d'une mise en parallèle entre les
transformations familiales et la démocratisation de la
société, avec l'émancipation de l'individu dans la
situation contemporaine la famille devient individualiste et relationnelle.
L'avènement de l'individualisme transposé à la question de
la famille signifierait donc qu'elle n'existe plus comme institution, mais se
ferait avec le désir des individus (Commailles et Martin, 1998). Ainsi,
être en couple aujourd'hui peut signifier « être
libre ensemble » (Singly,2000), traduisant une certaine
démocratisation de la famille qui aurait donné naissance à
la forme actuelle de couples autonomes. Le raffermissement de cette autonomie
apparaît alors être à l'origine de configurations parentales
diverses. Je note ainsi que le modèle de la famille nucléaire et
maritale « père mère enfant » a
laissé place à une multiplicité de modèles
familiaux. Avec la baisse des mariages et l'accroissement des unions libres,
l'augmentation des séparations et divorces, on assiste à une
émancipation de la famille qui laisse entrevoir différentes
configurations familiales, désignées par les termes de familles
« recomposées »,
« monoparentales », ou plus récemment
« homoparentales ». Partant du constat que l'idéal
politique de la démocratie rapporté à l'univers
privé implique le principe d'égalité (Commailles et
Martin, 1998), les auteurs nous expliquent que dans la logique
républicaine du XIXe siècle, l'affirmation progressive des
principes démocratiques, accompagnée par l'essor industriel, a
conduit aux bouleversements sociaux ayant affecté la sphère
privée depuis les années 1960. La promotion et la
généralisation de l'instruction, l'emploi féminin, la
maîtrise de la procréation, l'émancipation des femmes avec
la remise en cause du mariage, ont ainsi participé à
l'émergence d'un nouveau modèle individualiste et
égalitariste des relations familiales.
Si ce bouleversement au sein de la sphère privée
s'est déroulé dans un contexte d'émancipation des femmes,
notamment après leur entrée massive dans le monde du travail et
l'autocontrôle des naissances, au même moment cependant, le
discours des professionnels de l'enfance déplore l'absence du
père, de la loi symbolique qu'il représente. Un discours
inspiré de la théorie psychanalytique freudienne et relayé
par les interprétations des apports de Lacan, qui tend à
désigner le père comme séparateur d'une dyade mère/
enfant. Cependant, dans le processus de démocratisation à
l'oeuvre, de la même façon que le modèle unique de la
famille fait place à une diversité de modèles familiaux,
ce père, dont la disparition est obstinément
déplorée, fait place aux pères multiples. Comme l'explique
François Dubet dans un article intitulé « Le roi est
nu » (Dubet, 2004), cette disparition du père est liée
à son histoire symbolique et religieuse remise en cause par les
sociétés démocratiques, mais aussi à
l'accroissement de l'égalité des hommes et des femmes :
« Le père était le père tant qu'il
régnait sur les enfants et sur les femmes, tant que les femmes
étaient des quasi-enfants proches de la nature et loin de Dieu et de la
politique[..]Quand la femme décide d'avoir ou non un enfant, comment le
père pourrait-il être le médiateur du
sacré ? » (Idem, p 33). Et de poursuivre :
« Nous vivons sous le règne du risque et de l'incertitude et
c'est là le prix de notre égalité. Les pères ont
remplacé le père, et c'est très bien, à condition
de permettre à chacun d'accomplir le rôle qu'il s'est
choisi. » (ibid, p.39) Aussi le père, ancienne figure
d'autorité qui incarnait le pouvoir royal et divin, a par la suite
symbolisé l'ordre familial dans une configuration matrimoniale de la
famille. Avec la suppression du terme chef de famille marquant la fin de cette
organisation familiale comme modèle de référence, le
père n'occupe plus ce rôle de représentant de l'institution
familiale.
Il ne symbolise plus l'unité de la famille, et a perdu
depuis 2005, avec la fin du patronyme, le monopole de la transmission du nom de
famille1(*). Au cours d'une
première étape de ma recherche, je m'étais
intéressée à l'application de cette nouvelle loi,
établie au nom de l'égalité des sexes. Le discours de
couples concernés, interrogés alors pour cette étude,
m'avait permis de mettre en évidence la prédominance du choix du
nom du père dans la pratique, même si le principe de la loi
était par ailleurs bien accepté. Ces résistances au
changement s'exprimaient autour de l'idée de l'existence d'un
équilibre des liens de filiation paternelle et maternelle, à
travers le don du nom pour le père et le fait de porter l'enfant pour la
mère, tout en affirmant vivre de façon égalitaire le
partage des rôles parentaux. Ce qui venait témoigner d'une part
d'un attachement à la tradition du patronyme, relié à la
coutume qui est que la femme mariée adopte le nom de l'époux,
d'autre part du sentiment que cette pratique viendrait appuyer la distinction
des sexes, « naturelle », sans pour autant être
représentative d'une inégalité des hommes et des femmes. A
partir de ces contradictions, dans le courant de la sociologie de l'individu,
Ulrich Beck nous explique que le mouvement d'égalité des sexes
s'accompagne socialement de résistances conduisant à un effet de
forces contraires entre une volonté de changements vers plus
d'égalité, et la persistance des représentations
rassurantes sur les rôles prédéterminés, les places
bien définies.( Beck, 1986).
Aussi, dans un contexte d'égalité des sexes
à travers les différents espaces de la vie publique et
privée, au moment où se met en place la parité homme/femme
sur la scène politique, la question des rôles sexués est
interrogée dans la sphère privée. En matière de
politique familiale, des mesures incitatives sont instaurées pour que
les hommes, qu'on estime trop absents, s'impliquent dans leurs rôles de
pères, notamment avec l'instauration d'un congé de
paternité, dont un grand nombre de pères se saisissent.
Parallèlement à cela, des études témoignent d'une
évolution de l'identité masculine, une
« métamorphose du masculin » autorisant les hommes
à revendiquer leur fonction « paternante », au
même titre que les femmes dans leur rôle
« maternant » (Castelain Meunier, 2002). Les médias
en outre se font l'écho de l'émergence de ces
« nouveaux pères » qui aspirent à un
rôle parental proche de celui classiquement exercé par les
mères. Et il n'est pas rare d'observer certaines femmes commenter avec
émotion le comportement de ces jeunes pères, attentifs et
affectueux.
Depuis quelques décennies, l'évolution sociale a
conduit en matière de droit de la famille à l'affirmation du
principe d'égalité et d'exercice conjoint de l'autorité
parentale indépendamment du statut conjugal des parents. Par ailleurs,
le courant démocratique au sein de la famille ayant conduit à un
nombre croissant de divorces et de séparations, la législation
dans ce sens a évolué pour donner des droits identiques aux
enfants quelque soit la situation matrimoniale des parents. S'il s'avère
cependant que les rôles des pères et mères sont
amenés à devoir s'exercer séparément, hors d'une
cellule conjugale, on retient socialement la prédominance de foyers
composés d'un parent unique, qui sont essentiellement des mères
seules avec leurs enfants. Subissant cet état de fait dans une situation
de crise économique et sociale dont elles sont les premières
cibles, elles déplorent dans ces cas une absence d'inscription des
pères, qui peut s'exprimer par la plainte du non versement des pensions
alimentaires (Cadolle, 2008). Et si l'augmentation constante de familles
définies comme « monoparentales », résulte
bien d'un mouvement d'émancipation, l'appellation quant à elle,
induit dans sa terminologie une non-existence de l'autre parent, en
l'occurrence le père. Un phénomène qui pourrait induire le
retour au schéma de l'organisation sociale et familiale sur lequel a
reposé la société industrielle, à savoir la
mère au foyer et le père pourvoyeur de revenus ; la
première se trouvant de ce fait exclue du marché du travail, le
deuxième, désigné mauvais père quand il est mauvais
payeur, et qui peut se trouver isolé et endetté. Ainsi des
contradictions et inégalités demeurent, qui apparaissent de
manière aigue dans les situations de couples séparés, et
conduisent à un contexte de tensions entre des modèles en
évolution et mal stabilisés.
Comprendre alors comment les pères
réaménagent leur place dans une certaine réalité
sociale vient interroger les rôles des pères et mères dans
une société mêlant la permanence de la tradition avec une
aspiration plus égalitaire. Ainsi depuis de nombreuses années des
associations qui semblent méconnues se sont crées à
l'initiative de pères militants pour l'égalité parentale.
Le mouvement marginal qu'ils représentent, m'a alors semblé
pouvoir apporter un éclairage intéressant au fait qu'est
souligné dans notre société l'importance à accorder
une place au père, et la mesure de l'obstacle à pouvoir
définir et situer les rôles et places parentales dans une
configuration sociale où l'égalité des sexes se cherche
toujours. De plus, avec la prise en compte en droit de la famille d'une
distinction couple conjugal et couple parental, interroger la place des
pères en situation de séparation conjugale, peut s'avérer
pertinent pour la compréhension de ce phénomène de
tensions et contradictions. Alors que le mouvement d'émancipation des
femmes a accompagné le droit des enfants, et donc n'aurait pas
modifié leur place de mère en tant que telle, dans le sens d'une
remise en question de ce statut, la question demeure en suspens pour les
hommes. Il s'agit alors pour l'étude qui suit, de comprendre comment
s'expriment ces tensions, contradictions, et transformations des rôles,
derrière les revendications des pères au sein de ces
associations. Ma recherche s'appuie donc sur le recueil de témoignages
d'hommes s'adressant aux associations de pères, l'observation des
permanences dans ces lieux militants où s'expriment leurs
difficultés à être reconnus à une place de
père, et le fait de n'être toujours pas entendus depuis l'origine
du mouvement. Le but recherché étant celui d'identifier sur quoi
porte le combat de ces hommes, et au-delà des représentations
exprimées par cette population, comprendre la façon dont peut
s'envisager l'articulation des places parentales tenues par les hommes et les
femmes.
Pour aborder ce travail de recherche, je situerai dans une
première partie, composée des trois premiers chapitres,
l'histoire de la place du père, qui à travers le mouvement
d'émancipation de la famille, pose la problématique de
l'égalité des sexes. Une deuxième partie, des chapitres
quatre à sept, intitulée le conflit des pères
séparés, concernera plus directement l'étude de terrain et
les résultats de mon enquête, au travers les discours des
pères et l'analyse de leurs attentes.
PREMIERE PARTIE : Place
du père et mouvement d'égalité des sexes
Au cours de cette première partie, qui comprend les trois
premiers chapitres, il va s'agir de comprendre comment la famille s'est
inscrite historiquement selon la désignation du père, pour
ensuite l'écarter de la sphère familiale autour d'une division
sexuelle des rôles qui marque le mouvement égalitaire de la
société industrielle. La problématique de
l'égalité identifiée par les sociologues autour de
tensions entre modernité et tradition me conduira ensuite à mon
hypothèse de travail
CHAPITRE 1 La
désignation paternelle dans l'histoire de la famille
À l'origine de la famille en tant qu'institution, le
père représente déjà la figure marquante, inscrit
historiquement comme son représentant social. L'émergence de la
fonction du père en lien avec la religion, puis le pouvoir royal, marque
l'institutionnalisation de la famille, qui se poursuit au fil de l'histoire
avec la notion de chef de famille. Par la suite, l'évolution
démocratique de la société bouleverse cette configuration,
sous tendue par une volonté d'égalité des sexes. La
désignation paternelle demeurant un repère dans l'histoire du
droit de la famille, cette place du père appelle à définir
au préalable la notion de famille et son évolution. Nous allons
voir ainsi, comment est apparue cette notion, quelles sont les
interprétations de son inscription sociale, pour s'attacher ensuite plus
particulièrement à l'inscription du père au cours de cette
évolution de la famille.
1.1. La famille, une
organisation sociale qui questionne
L'appréhension de la notion même de famille
apparait de façon complexe car elle recouvre plusieurs champs
disciplinaires. En anthropologie, il est dit que dans toutes les
sociétés, toutes les relations sociales se conçoivent sur
le mode des relations de parenté. Ainsi dès cette approche on
peut constater que le regard anthropologique se fixe sur la
différenciation sexuelle des rôles.
Dans l'ouvrage « Anthropologie de la famille et de
la parenté », Deliège, dresse l'éventail de ces
points de vue d'anthropologues, sur la question de la famille (Deliège,
2005). Il est un fait, explique-t il que dans toutes les
sociétés, toutes les relations sociales se conçoivent sur
le mode des relations de parenté. S'il est admis que la famille
nucléaire n'est pas la caractéristique d'une forme primitive de
société, toutes les sociétés cependant
reconnaîtraient cette triade élémentaire appelée
« atome de parenté » par C.L.Strauss, et qui se
présente sous des formes articulées très variées
selon les sociétés. Et c'est de cette réalité
universelle de l'appartenance de l'individu à deux familles
nucléaires, que découleraient les systèmes de
parenté. Selon les différentes théories anthropologistes
présentées par Deliège, la propriété et la
limitation des richesses des sociétés de
« cueilleuses-chasseurs », conduisant à la division
sexuelle du travail, expliquerait que la sexualité et le choix
matrimonial soient les foyers de la solidarité sociale et de conflits.
L'inégalité sociale et donc des sexes, naîtrait du
développement des moyens de production. Certains développent des
concepts de domination, d'exploitation et d'oppression des hommes sur les
femmes, liés à l'esprit guerrier qu'impliquerait la chasse. Alors
que d'autres parlent plutôt de rapports d'adhésion, telles les
théories démontrant combien les contraintes de la production
déterminent l'organisation de la parenté. La répartition
sociale des individus ne serait pas alors fixée à la naissance
par des règles de filiation, mais par l'adhésion volontaire de
chacun à l'un ou l'autre groupe. Quoiqu'il en soit, l'institution ou
l'organisation du mariage au sens d'union, existerait dans quasiment toutes les
sociétés. (Deliège, 2005). Le groupe familial tire son
origine du mariage, selon Lévi-Strauss. A travers les règles de
l'alliance, c'est la société et son organisation qui apparaissent
comme premières par rapport à l'organisation de la
famille ». Mais La famille stricto sensu serait absente de
l'état de nature ; elle n'apparaît qu'avec la
révolution qui marque le passage à la société
civile et l'institution de la propriété (décrite par
Rousseau).
Le « Dictionnaire critique de la
sociologie », de R. Boudon et F. Bourricaud (1994), décrit la
famille comme une des institutions caractéristiques de la
société humaine. Selon cette conception, elle représente
le modèle de référence à partir duquel s'inscrivent
les principes de la vie en société, les règles de
l'organisation sociale et politique de la communauté, devenant ainsi le
témoin d'un certain ordre social. Sans pour autant me semble t il
représenter le socle de notre société humaine, mais
plutôt caractériser l'organisation de la sphère
privée en miroir de la société, la famille a toujours
été un centre d'intérêt autant pour les chercheurs
de toute discipline, que pour les acteurs eux-mêmes. La famille ne cesse
d'interroger sociologues et anthropologues ; elle intrigue les
psychanalystes, interpelle le politique et sollicite le biologiste. Les
médias s'en emparent, elle serait le reflet de nos
sociétés, l'indicateur de ses évolutions politiques,
sociales et économiques, ou l'instigatrice de ses transformations.
Une définition précise de la famille n'est
cependant pas aisée et l'appréhension même de son
évolution suscite des controverses. Comme en témoignent les
diverses représentations sociologiques de la réalité de la
famille qui déterminent son inscription sociale dans l'histoire.
Peut-on parler de la famille, le modèle unique, ou faut
il voir plusieurs familles ? Ces représentations sont sujettes
à contestation à la fois chez les sociologues, et
anthropologues.
Ainsi, Jack. Goody combat la thèse selon laquelle il
existerait un modèle familial spécifique à l'Europe, celui
de la famille nucléaire (Goody, 2001). Il s'attache à
démontrer en ce sens, que la famille nucléaire n'a pas
été inventée par l'Occident industrialisé ou
l'Europe dite « moderne », et que les modifications des
structures de la famille varient selon les conjonctures sans qu'il s'agisse
d'une progression linéaire qui aurait évoluée dans le
temps, d'une société traditionnelle collective à une
société moderne individualiste, de progrès. Les
continuités, argumente l'auteur, ont été aussi importantes
que les ruptures et il n'y a pas plus une « fin de la
famille » de nos jours, qu'il n'y a eu après le Moyen Age une
transformation radicale de la famille due à l'avènement du
capitalisme. L'enfance, ainsi que l'affection conjugale et parentale, ne
seraient pas selon lui, une invention de l'Europe, mais des variantes de
comportements universels.
La famille a donc connu de multiples transformations depuis
l'antiquité, et d'une ampleur particulière depuis une
cinquantaine d'années, en raison notamment de spectaculaires
bouleversements économiques, démographiques, technologiques,
sociaux et culturels. Actuellement, la question de l'existence menacée
de la famille, est fréquemment mise à l'ordre du jour, face aux
multiples configurations familiales possibles : davantage de couples en
union libre et augmentation des divorces, couples séparés et
recompositions familiales, existence de familles homoparentales. Face à
ce bouleversement des familles, la naissance de l'individualisme semble
toutefois avoir tenu un rôle prépondérant. Le sociologue
François de Singly explique ainsi que le passage d'une
société holiste à une société individualiste
fait que l'individu devient la cellule de base de la société, et
non plus la famille. Il correspond en même temps à la
représentation sociale de l'amour d'un homme et d'une femme, au
début de l'émancipation des femmes dans une société
où le mariage est institué comme représentant la
lignée familiale. C'est alors la naissance, dit-il, de la
« crise de la famille ». La relation amoureuse devient la
référence au détriment de la filiation. (De Singly, 2007).
Ainsi autour des années 1960, le fait est établit que l'homme et
la femme restent des individus à part entière dans le mariage. Un
autre auteur, E. Roudinesco, historienne de la psychanalyse, cherche quant
à elle à comprendre l'origine du désordre lié aux
mutations de la famille, recomposée, monoparentale, homo parentale,
ou artificiellement engendrée, en revisitant l'histoire de la
famille occidentale, de l'ancienne puissance patriarcale à l'irruption
du féminin (Roudinesco, 2002). Elle fait alors le constat qu'il y aurait
à la fois une revendication actuelle de la famille par la
société occidentale, comme le lieu par excellence de
l'épanouissement individuel, et un sentiment d'angoisse que
génère notre époque désorientée par la
libération des moeurs, la perte d'autorité du père, face
aux nouvelles configurations familiales. Elle interroge alors l'existence de la
famille qui face à la perte de l'autorité du père, la
maîtrise de la procréation par les femmes, et la filiation
possible des homosexuels, ne serait pas pour autant, menacée.
Nous allons voir comment l'histoire de la famille ainsi que
l'évolution du droit dans ce domaine s'écrit
précisément avec celle de la figure du père, dessinant
pour la suite les enjeux des nouvelles configurations familiales.
1.2. Paterfamilias et ordre
monarchique de la famille
L'origine de la notion de famille peut s'appréhender
aussi dans son point d'ancrage avec sa conception romaine autour de la
paternité. Cette famille patriarcale, la « gens »,
domine de 753av. J-C, jusqu'au IIème siècle av. J-C. Elle est
fondée sur l'autorité, la « patria
protestas », du chef, qui est quant à lui, le
« paterfamilias », ayant droit de vie et de mort sur ses
sujets incapables juridiquement (Renaut, 2003). Il est important de souligner
cependant que dès l'empire de Rome (27 av. J. C.), « les
empereurs se mettent à légiférer en droit public comme en
droit privé, en particulier pour réduire l'autorité
absolue du paterfamilias afin de protéger les personnes contre
ses abus ». (Idem, p 6). A l'opposé ensuite du droit romain du
Bas Empire qui est un droit écrit imposé par voie
d'autorité , dont la source est l'empereur, le droit des
barbares, du royaume franc, quant à lui, repose sur des coutumes
orales et changeantes. C'est ainsi que par la suite à l'époque
féodale, soumise à l'insécurité, se met en place
une organisation familiale, avec le développement de familles
patriarcales pour protéger l'individu dans une société
où l'Etat est trop faible. C'est la coutume, inscrite, qui règle
alors le droit privé. Puis sous l'influence de l'Eglise à la fin
du XVème siècle, la famille, de patriarcale, se mue en cellule
conjugale, l'autorité du mari sur la femme et les enfants n'est plus
dorénavant un pouvoir absolu. Venant de Dieu, cette autorité doit
être exercée comme par Dieu lui-même, c'est-à-dire
dans l'amour et le respect mutuel. A partir du XVIème siècle,
l'absolutisme royal a renforcé la puissance paternelle pour mieux fonder
en droit la monarchie absolue. C'est la doctrine du droit divin : Les rois
tiennent la place de Dieu qui est le vrai père du genre humain. Le droit
paternel s'exerce sur le modèle de l'autorité du roi par rapport
à ses sujets. De la sorte, cette conception romaine continue à
trouver un écho sous l'Ancien Régime avec les lettres de cachet
qui permettaient à un père de faire enfermer l'enfant mineur
récalcitrant à son autorité2(*).
Dans un climat de profondes tensions qui traversent le
système social, politique, et idéologique, de l'ancien
régime en Europe, la conception de Dieu comme Père et Roi sera
accentuée à l'extrême dans le christianisme, nous explique
l'historien Antoine Casanova : « Chaque père est
ainsi en chaque famille le miroir et la preuve concrète du
caractère absolu, éternel, de la validité de la
hiérarchie sociale et des monarchies absolues. La propagande royaliste
s'appuie sur la figure de Dieu le Père et sur l'autorité
naturelle qui est celle de pères sur les enfants et la femme,
pères porteurs et symboles de l'Ordre et de ses lois. »
(Casanova, 2001). L'auteur, qui développe l'émergence de la
figure du père au long des millénaires, explique qu'avec les
Lumières et la Révolution française, la question de la
famille et du père va constituer une question
centrale : « Elle renvoie aux débats sur les statuts
des personnes, des héritages, sur les orientations économiques,
juridiques, politiques. Elle pose le problème de l'égalité
des droits, et celui des bases légitimes de la
souveraineté » (Casanova, 2001).
Ainsi cette position de pouvoir du père, logiquement,
sera mise à mal dans un lien avec l'histoire politique et le
renversement du pouvoir monarchique, qu'illustre cette fameuse phrase de
Balzac, tirée de La Comédie
humaine : « En coupant la tête à Louis
XVI, la révolution a coupé la tête à tous les
pères de famille. Il n'y a plus de famille aujourd'hui, il n'y a plus
que des individus ». Il s'agit bien déjà ici d'une
remise en question du concept même de famille avec celle de la place du
père. Cette évolution va se poursuivre vers la
déchéance du père en passant par sa restauration selon un
nouvel ordre matrimonial, pour s'orienter ensuite vers une conception
contractuelle du couple, plus égalitaire, selon cette fois
l'intérêt supérieur de l'enfant.
1.3. Le père
déchu replacé au centre d'une conception matrimoniale de la
famille
Avec la révolution, on assiste donc à une
montée des pouvoirs de l'Etat et à une limitation des droits
familiaux. Les juristes établissent le principe de la paternité
civile, donnant des droits similaires aux enfants légitimes, naturels,
et adoptifs, et la puissance paternelle sera limitée à la
majorité des enfants. Le droit que détenaient les pères de
déshériter leur progéniture, est supprimé, les
lettres de cachet sont bannies, et Danton proclamera que :
« Les enfants appartiennent à la République avant
d'appartenir à leurs parents ». On note ainsi une
montée du pouvoir de l'Etat au détriment de celui du père,
même si résiste une conception coutumière de la puissance
paternelle. Puis le code civil, rédigé en 1804 sous
Napoléon, décide de soumettre la famille, fondée sur le
mariage, au seul père, chargé de la diriger et de la
représenter auprès des tiers.
Il s'agit bien d'une représentation de la famille
basée sur le mariage selon la conception du droit canon, autour de la
place centrale du père, et la soumission de la femme et de l'enfant. En
effet, si en droit romain c'est uniquement le consentement qui fait le mariage
et non la cohabitation ou l'union sexuelle,- consentement pouvant facilement
être remis en cause -, pour le droit canon, le mariage suppose
communauté de vie et indissolubilité. La conception
chrétienne du mariage reposant sur la réunion de trois
vertus : la procréation, la fidélité, et le sacrement
qui justifie l'indissolubilité (Renaud, 2003). Le divorce est donc
condamné, et du seul fait du mariage, l'enfant a un père en
dehors même de la volonté de ce dernier. La filiation
légitime est la norme, elle crée la parenté, engendre
l'attribution du nom, l'autorité parentale, l'obligation alimentaire, la
vocation successorale, les empêchements au mariage. L'enfant
légitime est conçu et né pendant le mariage de ses
parents, la présomption juridique qui fixe la légitimité
est que l'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari de
sa mère. On voit ainsi comment se construit cette représentation
de la famille indissoluble du mariage qui fixe les règles et places de
chacun, et qui déterminera par la suite la production des politiques
familiales.
Comme l'expose MH Renaut après des périodes de
lutte de pouvoir entre l'Eglise et l'Etat sur l'appropriation de l'institution
du mariage, il y aura au XVIIIème siècle dissociation du contrat
civil et du sacrement dans le mariage, puis la loi du 20 septembre 1792, qui
institue l'état civil, va créer le mariage civil et en fixer les
normes. (Renaut, 2003). Si le mariage pour le code civil n'est pas un
sacrement, mais un contrat, il comporte aussi une conception
institutionnelle : il est l'adhésion à un statut
matrimonial, il constitue la fondation d'une famille, dont le père est
le garant. Le code civil a renoué avec l'ancien droit en faisant de la
présomption juridique de paternité une présomption
absolue. Ce ne sera ensuite qu'avec la loi du 03 janvier 1972 que la
présomption de paternité sera affaiblie en ne rattachant plus
systématiquement l'enfant au mariage de sa mère. Cette
période marquera l'amorce d'une chute du pouvoir patriarcal, et d'une
évolution égalitaire impulsée par le mouvement
d'émancipation des femmes autour d'une remise en question de l'ordre
matrimonial de la famille. Nous allons voir comment va s'inscrire dans ce
schéma la place du père, devenu suspect, dans une
société qui se démocratise.
1.4. Suspicion du
père et contractualisation du couple autour de l'intérêt de
l'enfant
Une amorce de la déchéance paternelle pendant la
période révolutionnaire, tout en se prolongeant par le maintien
de la suprématie du père dans l'ordre matrimonial, va se
poursuivre sous la période de l'industrialisation. Avec les
transformations sociales, va s'opérer un véritable déclin
du pouvoir patriarcal, et on assiste alors à un dédoublement de
la figure paternelle. A côté du père bourgeois toujours
insoupçonnable, on découvre, principalement chez les ouvriers,
l'existence de mauvais pères dont le comportement abusif en
matière de travail des enfants, notamment, de refus de scolarité
obligatoire ou de mauvais traitements graves, rend nécessaire une mesure
de déchéance (loi de 1889). Puis en 1935, le droit de correction,
celui de faire enfermer ses enfants, tombe en désuétude. Le
père, écarté par l'Etat qui introduit du droit en
condamnant les abus, devient alors également suspect. Dès lors,
les conduites critiquables les plus diverses seront sanctionnées
à la faveur d'une intervention croissante de l'Etat par
l'intermédiaire des tribunaux et des travailleurs sociaux ; Avec le
développement de la pédiatrie, de la pédopsychiatrie, se
met en place une certaine forme de contrôle fonctionnel de cette
puissance paternelle, par l'approche nouvelle d'attention aux enfants.
Dans ce mouvement démocratique, durant la
première moitié du XXème siècle, l'effort
législatif se tourne vers une reconnaissance progressive des droits de
la femme et de l'enfant, toujours au détriment des privilèges du
père, dans une logique égalitaire. Avec la fin de la puissance
maritale, en venant restreindre le droit des pères, la notion
d'égalité des époux fait son apparition dans le droit vers
1938, qui marque la suppression d'incapacité civile des femmes. Mais en
1942, pour maintenir la hiérarchie dans la famille et en l'absence de
nombreux pères de famille partis à la guerre, la loi donne au
père et mari, le titre de chef de famille, même si dans la
pratique ce sont les femmes qui assurent cette fonction en subvenant aux
besoins matériels durant cette période. On peut dire alors que le
père est déjà situé dans une représentation
paradoxale de place symbolisant toujours l'ordre familial, mais dont les
prérogatives asservissantes pour la femme et l'enfant, sont remises en
question, au nom d'un courant égalitaire en plein essor dans une
volonté de démocratisation politique et sociale.
Ainsi le mouvement démocratique, concomitant avec
l'industrialisation et l'entrée dans le monde du travail des femmes,
s'est traduit par l'instauration du divorce par consentement mutuel, en 1975,
une augmentation des divorces s `étant poursuivie dès 1965.
Des dispositifs législatifs vont s'en suivre, tels que,
l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux,
instaurée par la loi du 23 décembre1985, puis l'exercice conjoint
de l'autorité parentale après le divorce, en 1987. Enfin,
l'esprit de la loi du 26 mai 2004, dans le prolongement de la réforme de
l'autorité parentale, tente à réhabiliter les époux
en tant qu'acteurs de leur séparation, par une volonté de
simplification et de pacification des procédures. L'impératif de
la responsabilité conjointe des parents dans l'éducation de leurs
enfants s'affirme ainsi progressivement, la question du divorce pouvant
apparaitre alors comme moteur à cette innovation. On peut ainsi
subodorer que la conquête d'indépendance, dans le mariage,
conduisaient hommes et femmes à s'émanciper de leur père.
Plus récemment, la loi du 15 novembre 1999 instaurant le Pacte civil de
solidarité, offre à deux partenaires, même de sexe
identique, la possibilité d'établir un contrat de vie commune.
Inscrite dans le code civil, cette formule contractuelle apparaît comme
une alternative au mariage. Initialement instaurée en réponse
à une revendication de la communauté homosexuelle, elle est en
effet en grande majorité utilisée par les couples
hétérosexuels.
Ainsi le mariage n'est plus le cadre de
référence nécessaire à la construction d'une
famille, et le principe d'indissociabilité matrimoniale a laissé
place à une conception plus contractuelle du couple, qui vient bousculer
celle de la filiation. I.Théry appelle ce
phénomène, le démariage :
« La fragilisation sans précédent de la
paternité, dans tous les cas où les parents ne sont pas ou plus
mariés, se prolonge par une incertitude plus générale sur
les fondements de la filiation.. C'est la signification attachée
à la composante généalogique qui s'est obscurcie,
dès lors que le mariage a cessé d'être le socle commun de
référence sur lequel s'élevait l'édifice symbolique
de la filiation » (Théry, 1993).
C'est ainsi qu'à partir de 1964, tout le droit de la
famille a été reformé. On assiste à une
désinstitutionalisation de la famille autour de la puissance paternelle
et une modification sociale des comportements. Le mouvement s'est poursuivi
dans le sens toujours d'une plus grande égalité entre le
père et la mère, et ce, plus particulièrement à
partir des années 1970.
La loi du 04 juin 1970 marque en effet une étape
essentielle, en remplaçant la puissance paternelle par l'autorité
parentale. Ainsi le terme autorité fait place à celui de
puissance, et n'est plus l'apanage du père. Le code civil stipule
que : « L'autorité appartient au père et à
la mère pour protéger l'enfant dans sa santé, sa
sécurité et sa moralité. Ils ont à son égard
droit de garde, de surveillance et d'éducation » (art. 371-2
Code civil). Cette autorité au lieu d'être paternelle est
désormais parentale, c'est-à-dire exercée en commun par
les deux parents. Il est à noter qu'après 1970, dans le cas
particulier des familles naturelles, l'autorité parentale revient
exclusivement à la mère. Le père peut reconnaître
son enfant, mais il ne peut exercer l'autorité parentale, à moins
d'en faire la demande expresse auprès du juge, et cela avec l'accord de
la mère. Ce fait illustre non seulement la disparition du pouvoir des
pères, mais son exclusion légale, et place les hommes,
contrairement à la sphère publique, en position de retrait avec
les femmes dans la sphère privée,. Cette perte progressive de
puissance conduira à stigmatiser un père faible, absent,
défaillant. Avec le droit des enfants, le droit des femmes est venu en
quelque sorte affaiblir l'assurance du père.
A la suite de celle ci, une autre loi, celle du 03 janvier
1972 propose une refonte des règles de la filiation dans un souci de
garantir, dans une certaine mesure, l'égalité de tous les
enfants, légitimes et naturels, et en tenant compte le plus possible de
la vérité biologique, quelque soit la nature de leur filiation
(Revel, 1998). Elle constitue la base du droit de la filiation remaniée
par les différents textes qui ont suivis, jusqu'à la
dernière loi de 2006 qui supprimera les termes distinctifs de
légitime et naturel. Par ailleurs, les progrès de la biologie ont
rendu possible l'élargissement du champ de la recherche de la
paternité. On observe d'une part une perspective d'égalité
entre les hommes et les femmes à l'oeuvre, d'autre part une
évolution tendant à renforcer le droit des enfants, à
travers la notion d'exercice conjoint de l'autorité parentale,
après divorce, et progressivement pour les parents d'enfants naturels
(loi du 22 juillet 1987). C'est aussi dans cette volonté progressive
à promouvoir l'intérêt de l'enfant, que la France signera
la convention des droits de l'enfant le 06 janvier 1990. Puis
l'égalité entre tous les enfants quelque soit la situation
matrimoniale de leurs parents, sera inaugurée par la loi du 04 mars 2002
relative à l'autorité parentale. Elle s'attache à
renforcer le principe de « coparentalité », selon
lequel il est dans l'intérêt de l'enfant d'être
élevé par ses deux parents, même lorsque ceux-ci sont
séparés, prenant acte que la rupture du couple conjugal n'emporte
pas celle du couple parental.
Ainsi, progressivement, les pouvoirs du père sont
tombés en désuétude, avec la volonté d'instaurer
une autre place au père. Ce phénomène est accentué
par l'évolution sociale, sans pour autant venir réinterroger la
place des hommes dans la société autour d'une remise en question
de son organisation à « domination masculine »
(Bourdieu, 1998). Simultanément, cependant, avec l'émancipation
des familles, on assiste au déclin de l'institution du mariage
qu'accompagne l'augmentation des divorces. La généralisation de
la contraception, véritable révolution qui modifie en profondeur,
au-delà des nouveaux rapports familiaux, la société
elle-même, vient inaugurer un autre paysage des relations familiales.
Elle signe ainsi après la fin du règne paternel,
l'affaiblissement d'une conception matrimoniale de la famille.
L'évolution de la place paternelle et ses enjeux
actuels se comprennent alors à la lumière de ce qu'a
constitué le mouvement d'émancipation des femmes pour
l'égalité des sexes. Aussi, pour mieux cerner cette question,
nous allons voir comment ce concept même d'égalité a pris
consistance avec la notion de liberté individuelle, dans un élan
égalitaire inéluctable, mais à la fois
générateur d'une organisation hiérarchique des sexes.
CHAPITRE 2 Mouvement
égalitaire et division sexuelle des rôles
La mise en oeuvre du droit des femmes fut un véritable
combat démocratique au XIXème et début du XXème,
livré aussi par les hommes, pour l'acquisition de droits civils,
politiques, sociaux, et droit à l'éducation. En amont de ce
mouvement d'égalité des sexes, c'est l'idée de
liberté, apparue avec « les lumières », qui
était associée à l'égalité. Aussi, nous
allons voir en quoi, ce concept d'égalité, paradoxalement,
conduira par la suite à une situation d'inégalité des
sexes. Le terme d'égalité, nécessite en premier lieu
d'être précisé.
2.1.
L'égalité, un contenu à définir
Pour l'être humain, l'égalité est le
principe qui fait que les hommes doivent être traités de la
même manière, avec la même dignité, qu'ils disposent
des mêmes droits et sont soumis aux mêmes devoirs. On peut
distinguer diverses formes d'égalité que sont
l'égalité morale portant sur la dignité,
le
respect, la
liberté, et considérée comme étant au-dessus de
toutes les autres formes d'égalité.
L'égalité civique, c'est-à-dire devant la
loi par opposition aux régimes des
privilèges.
L'égalité sociale qui cherche à
égaliser les moyens ou les conditions d'existence.
L'égalité politique. L'égalité des
chances mise en avant par le
libéralisme.
Si le dictionnaire le « Petit Robert »,
définit l'égalité comme le fait pour les humains
d'être égaux devant la loi, de jouir des mêmes droits, il
est cependant difficile de définir l'égalité, qui
constitue plus une aspiration qu'un état. Elle serait plutôt un
projet, un principe d'organisation qui structure le devenir d'une
société. D'où un concept vide de sens s'il n'est pas
précisé, comme le soulignent les auteurs de l'ouvrage
« le nouvel âge des
inégalités » : « Chacun aspire
à l'égalité, mais chacun donne un contenu différent
à cette aspiration » (Fitoussi, Rosenvallon, 1996). Une
véritable réalisation de l'égalité sociale n'est
pas un danger pour la liberté individuelle, soutient par ailleurs Lucile
Mons de l'observatoire des inégalités. « Mais il est
nécessaire pour comprendre cela de distinguer l'égalité de
l'identité », rajoute t'elle.
« L'égalité entre les personnes, à la base,
serait surtout qu'elles aient la même liberté de choix, les
mêmes chances de parvenir à une fin définie
librement ». Tendre vers une situation d'égalité
renvoie aussi au sentiment de justice. Les sociétés modernes,
nous dit Raymond Boudon sur la question de l'égalité
« sont caractérisées par une demande de plus en plus
pressante de la part du public, à savoir que chacun soit traité
comment ayant une dignité égale et par suite comme étant
habilité à jouir des mêmes droits : des mêmes
libertés. (Boudon, 1973). Cet auteur note que les
inégalités de revenus sont bien acceptées tant qu'elles ne
sont pas "illégitimes" ; mais si elles sont perçues comme
des "privilèges", les inégalités deviennent alors
inacceptables. Il perçoit alors cette forme d'égalité
comme une exigence des sociétés démocratiques. Le
problème pourrait cependant être soulevé, surtout, à
partir du décalage entre le mouvement démocratique et la
réalité : « Alors que les conditions vont dans le
sens de l'égalité, dans la réalité les situations
deviennent plus inégales, apparaissant moins légitimes. La prise
de conscience aurait précédé l'évolution des
réalités.» (Beck, 1986). Ainsi au-delà de l'existence
d'une situation inégale, l'espoir que produit le développement de
la démocratie conduit au manque de légitimité de cette
inégalité, ressenti dans la sphère privée. Et c'est
ce sentiment qui donne réalité au principe
d'inégalité. La vraie question serait comme l'explique
Amartya Sen: « quelle égalité ou, plus
précisément, l'égalité de
quoi ? ... La difficulté vient du fait que l'espace
auquel peut s'appliquer le concept est multidimensionnel, et que la
définition de l'égalité dans une de ses dimensions
implique au sens causal l'acceptation d'inégalités en d'autres
dimensions » nous dit l'auteur (Sen, 2000). Ainsi cette notion simple
en apparence, mise en avant par les « Lumières »,
serait plus obscure qu'elle n'y paraît.
2.2. Naissance du concept
d'égalité : la liberté au nom de la raison
Avec la naissance du monde moderne au XVIème
siècle, apparaît l'idée de liberté individuelle.
Dans une France monarchiste, centralisée, absolue et de droit divin,
religion et politique se superposent. Une révolution religieuse et
scientifique se met en place à cette époque, l'ordre et la raison
s'opposent à l'obscurantisme avec l'idée que tous les hommes
naissent également libre, la liberté étant
conçue comme inhérente à l'être humain. C'est le
moment du passage d'une société de privilèges,
d'inégalités en droit, à une société
égalitaire, de liberté individuelle. La notion
d'égalité se construit sur le concept de la liberté au nom
de la raison individuelle. Dans ce courant d'idées, la publication faite
en 1755 par Jean Jacques Rousseau, apporte un éclairage sur la
façon avec laquelle se mettront en place les représentations. Il
s'agit du « Discours sur l'origine et les fondements de
l'inégalité parmi les hommes »3(*) en réponse à la
question adressée par l'Académie de Dijon de l'époque,
à savoir : « Quelle est la source de
l'inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par
la loi naturelle ». L'auteur présente dans ce fameux discours
sa conception de l'espèce humaine à partir de deux sortes
d'inégalités, celle qu'il appelle naturelle ou physique, et
l'autre morale ou politique ; sa démonstration consistant à
montrer l'absence de relation nécessaire entre les deux. La vraie raison
des inégalités selon lui est à chercher dans
l'organisation de la société, née d'une suite d'accidents
historiques puis maintenues par convention, c'est-à-dire par
l'arbitraire social. Il explique ainsi que l'origine de
l'inégalité se situe dans la propriété
privée, c'est-à-dire les privilèges des uns par rapport
aux autres, mais entendus parmi des hommes raisonnables et libres. Car il
soutient aussi une autre thèse qui sera reprise avec succès par
la suite dans des ouvrages de médecine, selon laquelle la femme, qui
serait le modèle primordial des humains, doit retrouver sa
véritable origine naturelle, capable d'amour conjugal et maternel. Dans
cet ordre d'idées, l'essence de la féminité fait d'elle un
être sensible et instinctif, mais inapte à la logique et la
raison, et donc devant rester aux côtés de l'homme quant à
lui pourvu d'intelligence. Ainsi, dès cette époque, semble se
dessiner à travers un élan égalitaire, une
représentation différenciée des rôles des hommes et
des femmes. Cependant, dans le mouvement de la pensée des
lumières, on ne parle pas réellement d'idéologie
égalitaire, même si durant le XVIIIème siècle, une
aspiration égalitaire est portée par le courant utopiste, qui
imagine et expérimente des sociétés égalitaires. Il
s'agirait plus précisément de la naissance du libéralisme
en tant que philosophie politique de l'homme libre, en opposition à
l'absolutisme. La liberté est considérée comme un attribut
de la nature humaine, et l'Etat n'intervient pas pour réguler les
rapports sociaux.
C'est avec la Révolution française que les
termes Liberté égalité sont
présentés comme les deux concepts fondamentaux d'une
société nouvelle ; ainsi au-delà des
différences, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen
souligne sa vocation universelle, sans préciser de distinction entre les
hommes et les femmes : « tous les hommes naissent libres et
égaux.. ». Le rôle de l'Etat se situera alors dans la
reconnaissance et la protection des droits individuels des citoyens.
L'industrialisation, par la suite, va fait apparaître la
question sociale avec la notion de paupérisme. Il s'agira alors
de percer l'énigme de cette nouvelle pauvreté, dangereuse pour
l'ordre social. Une distinction se révèle entre les
égalités formelles et les égalités réelles,
et Les deux grandes notions que sont la liberté et
l'égalité se trouvent de fait invalidée, dans une
remise en cause du concept liberté=égalité. Ainsi,
une nouvelle conception de l'égalité surgit avec la IIIème
république. Les républicains remettent alors en cause cette
conception de la « liberté
responsabilité », avec la mise en évidence d'une
inégalité de pouvoir : on ne nait pas également
libres, il y a une différence entre ceux qui sont propriétaires
du capital et ceux qui sont propriétaires de leur force de travail, qui
ont une liberté limitée qui est celle de se soumettre.
L'égalité devient un objectif à atteindre avec le constat
que si nous ne sommes pas tous libres et égaux, c'est aussi parce que
nous sommes déterminés par notre origine. Et c'est alors
justement que prendra naissance la sociologie, à partir de cette
réflexion que nous ne sommes pas tous égaux. Ainsi
apparaissent des inégalités économiques, sociales et
culturelles, qui justifient l'intervention de l'Etat. Il n'intervenait jusque
là que dans la sphère publique selon une conception
libérale de la société. L'économique faisant partie
de la sphère privée, avec la loi Guizot sur la réduction
du temps de travail des enfants, un tournant s'opère. Par
l'éclatement des structures traditionnelles et notamment de la famille
comme lieu d'activité économique, la cellule familiale va se
limiter à la sphère de reproduction, et les activités
économiques de production vont migrer dans la sphère du travail.
Ce sera le point de départ à l'émergence des politiques
publiques. De l'interdiction du travail des enfants naîtra le risque
salarial du père de famille, et parallèlement se mettra en place
le schéma d'une division sexuelle du travail.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le
caractère d'universalisation apparaît, l'assurance sociale devient
la sécurité sociale ; et simultanément, au nom de la
dépendance matérielle, les femmes sont évincées de
l'accès aux droits civils et politiques. Le mouvement de défense
des droits des femmes prendra alors son essor, selon une revendication
d'égalité des sexes.
Ainsi de ce concept d'égalité, émerge une
organisation sociale et familiale autour d'une distinction sexuelle des
rôles. Ce phénomène, duquel découle aussi la
problématique paternelle actuelle, peut se comprendre en revenant plus
précisément sur l'avènement du féminisme.
2.3. Libération des
femmes et distinction d'un rôle maternel
A l'aube de la révolution, le courant
prédominant de la philosophie des lumières est ainsi
traversé par un discours naturaliste sur la féminité
justifiant l'exclusion de la femme du domaine de la raison. Une thèse de
la « nature féminine », qui s'appuie sur la
différence physiologique des sexes. Dans cette perspective, pour
conserver la nature de la femme, plus faible et plus sensible, et son aptitude
à la procréation, il faut lui interdire l'accès à
la raison et l'intelligence, par essence masculine. Seul un autre courant,
porté par Condorcet, contredira cette théorie, à partir
duquel naitra sous la révolution de 1789, le premier mouvement
féministe, quoique non identifié encore comme tel, dont les
pionnières seront Olympe de Gouges, ou bien encore Théroigne de
Méricourt_. Ainsi la femme, sortie de l'ombre pour être
magnifiée à partir de la maternité, associera son combat
futur d'émancipation avec la protection des enfants. A l'époque
donc où se forgent ces représentations de la
féminité, les femmes sont privées de tous droits civils et
politiques, ce qui les placent sous la dépendance absolue du
père, de l'époux et de la communauté familiale. La femme
avec l'enfant sont placés dans un statut d'incapacité, sous la
tutelle du père et mari. Elle a interdiction de faire des
opérations financières sans le mari ; c'est le
père qui décide du mariage et de l'éducation des enfants.
Il faudra attendre 1944 pour l'accès des femmes au droit de vote, et
1965 pour celui d'exercer une profession sans le consentement de son mari.
Le mouvement de libération de la femme est venu de la
sorte s'achopper sur l'avènement de la conception d'une division
sexuelle des rôles dans la sphère familiale. On peut noter
à ce sujet le rappel historique de ce contexte qu'en fait Isabelle
Guérin dans son ouvrage « Femmes et économie
solidaire » : L'auteur explique que dans le contexte de la
fin du XVIIIème, l'esprit des Lumières, il était question
de libérer les hommes des liens de subordination personnels, les femmes
étant priées d'assurer l'harmonie de l'espace familial. Le souci
du bonheur pour le plus grand nombre allait de pair avec l'affirmation
d'autonomie du sujet et de sa liberté, étant exclus ceux
considérés comme non maîtres de leur volonté. La
division sexuelle du travail se dessine ensuite au cours du XIXème
siècle, opposant foyer et activité salariée. Les revenus
féminins prennent alors la connotation de salaire d'appoint qui va
s'ériger en norme. Des positions dans ce sens étant soutenues par
les économistes à partir de trois principaux arguments que
sont : Une concurrence déloyale exercée par les femmes du
fait de leurs faibles salaires - Le rôle central des femmes en terme de
contribution au capital humain (femmes au foyer) - L'argument sur la
mortalité infantile liée aux enfants laissés à des
nourrices. (Guérin, 2003).
Ainsi, l'organisation sociale prend appui sur l'organisation
dans la sphère privée d'un ordre matrimonial qui constitue
à la fois un ordre moral et un ordre social, et la conception du couple
qui la sous-tend selon le schéma d'une division sexuelle des
rôles, est une représentation inégalitaire entre l'homme et
la femme. Comme nous l'explique Irène Théry dans un article de
Sciences Humaines : « Vers le XIXème siècle, la
femme a cessé d'être perçue comme inférieure
à l'homme selon une conception hiérarchique des sexes issue de la
tradition religieuse, mais n'a pas pour autant été vue comme son
égale. Perçue comme différente de l'homme, sa vocation
devient alors de s'accomplir dans sa féminité par la
maternité. Elle poursuit : « Le mariage est l'institution
qui inscrit la maternité dans le lien social et politique en la liant a
priori à la paternité. On ne peut comprendre l'ébranlement
contemporain de notre système de filiation sans le rapporter aux
transformations majeures de l'alliance, quand se précipite, à la
fin des années 1960, le long cheminement démocratique qui a
donné aux femmes le statut d'égales et d'interlocutrices des
hommes ». (Théry, 2000).
Divers courants se dégagent, pour interpréter la
sociologie de la famille qui a pris naissance avec l'industrialisation et le
développement d'une pensée scientifique de la sociologie. Nous
allons voir comment l'analyse de ces approches en lien avec mon questionnement
autour de la place du père, me permettra de dégager mes
hypothèses.
CHAPITRE 3
Problématique de l'égalité dans la famille : entre
modernité et tradition
A partir de l'avènement de l'individualisme, sur lequel
De Singly centre la problématisation des enjeux posés par la
famille, c'est la problématique de la filiation qui est relevée
par I.Théry, et celle de la reproduction des inégalités
par Ulrich Beck, idées qui seront reprises par d'autres auteurs que sont
Commailles et Martin.
Ces différents auteurs apportent un éclairage
sur la nature et les enjeux des obstacles à la mise en place d'une
égalité des sexes dans la famille. Il s'agit là autant
d'approches sociologiques qui vont me permettre de mettre en évidence
différents éléments que je vais pouvoir dégager
autour des trois thèmes suivants :
- La désarticulation entre conjugalité et
filiation et le processus d'individualisation
- L'intériorisation de la division sexuelle des
rôles parentaux
- Les contradictions entre une Institution inégalitaire
et la tendance émancipatrice de la cellule familiale
3.1. Désarticulation
entre conjugalité et filiation, et processus d'individualisation
A contre courant d'un mouvement traditionnaliste issu de Le
Play qui défend la stabilité sociale par la famille souche, des
théories sociologiques sur la famille apparaissent, mises en lien avec
la montée de l'individualisme. Partant de là, des auteurs comme
Commailles et Martin exposent leurs points de vue autour de la
problématique des inégalités en sociologie de la famille.(
Commailles, Martin, 1998). Quant à la sociologue Irène
Théry, elle fonde son raisonnement sur la problématique du
phénomène de désinstitutionalisation ; Ce qui
s'illustre autour de la question du père quand l'auteur pose la question
de la façon suivante : « comment le père est il
institué hors du mariage ? ».
La problématique de la
filiation
Elle souligne le phénomène, inquiétant
à ses yeux, de désinstitutionalisation de la famille
(Théry, 1996). La famille moderne étant appréhendée
selon l'auteur comme le produit de l'individualisation démocratique, la
crise de l'institution familiale contemporaine conduit à une nouvelle
définition de la famille relationnelle, qui évacue la
spécificité du groupe familial en tant qu'institution4(*). L'auteur considère la
famille comme l'institution qui articule la différence des sexes et la
différence des générations. Le mariage avec le principe
d'indissolubilité, explique l'auteur, soumet la conjugalité
à la filiation et suppose une hiérarchie des sexes. Ce qu'il faut
voir dans la « crise de la famille », nous dit elle, c'est
une volonté d'émancipation de cette hiérarchie des sexes,
inscrite dans l'institution matrimoniale. On assiste donc à l'apparition
d'un nouveau lien conjugal contractuel, électif et temporel, le lien de
filiation venant occuper cette place vacante du lien indissoluble (l'amour
inconditionnel pour l'enfant) ; d'où la coexistence conflictuelle
entre ces deux liens. Pour l'auteur cependant, il manque des repères
solides aux individus, livrés à eux mêmes,
« désaffiliés »5(*), pour énoncer le principe
d'indissolubilité du lien parent/ enfant. De ce fait alors,
explique-t-elle, c'est dans les situations de rupture du couple
qu'éclatent les conséquences de cette désarticulation
entre conjugalité et filiation. Ainsi cette distanciation entre les deux
liens conjugalité et filiation, tout en étant une
conséquence de la démocratisation de la famille, conduit à
des situations d'inégalités dans l'exercice de la
parentalité, car comme le souligne I.Théry :
« Rien ne prévoit dit elle, la situation où deux
personnes sont deux parents sans être un couple »
Pour cette sociologue, ce n'est pas la disparition de
l'institution familiale basée sur le mariage qui est à
déplorer, car celle ci témoigne non pas d'un comportement
individualiste, mais d'une volonté d'émancipation de la
hiérarchie des sexes. Et la démocratisation de la sphère
privée vers plus d'égalité, réinterroge
l'évidence de la relation entre alliance et filiation établie par
l'institution matrimoniale. Mais ce qui fait problème estime l'auteur,
tient au fait que l'émancipation de l'individu se déroule en
dehors de tout cadre normatif, soulignant par là une crise de la
dimension généalogique ; sans compter la fréquence
d'un délitement des trois composantes indissociables de la filiation,
qu'elle nomme biologique, domestique et généalogique. Elle
déplore ainsi la crise de l'institution de la filiation qui contraint
les individus à se prendre en charge, à négocier eux
même l'univers symbolique de la parenté. (Mais se serait ce pas
là d'ailleurs le prix à payer de l'émancipation ?).
Elle identifie de la sorte la crise de la famille comme une crise de la
filiation, pour laquelle manque un cadre institutionnel de
référence. Partant de ce point de vue, on peut ainsi conclure que
cette dissociation entre conjugalité et filiation, inscrite dans un
mouvement de démocratisation au niveau de la sphère
privée, ne conduit pas à l'effet escompté de plus
d'égalité. Car la dimension généalogique
n'étant pas cadrée par l'Institution pour accompagner ce
processus d'émancipation, les couples se trouvent
désorientés, la famille incertaine. D'où la recherche de
repères, dans les situations fréquentes de conflits, vers un
schéma traditionnel de différenciation sexuelle des rôles,
soutenu, dans les cas de séparation conjugale, par l'institution
juridique.
Reproduction d'une dynamique
d'individualisation
Dans une nouvelle configuration familiale de nos
sociétés modernes, qui est celle d'une disjonction entre
conjugalité et parentalité, on observe en effet, nous dit cette
fois U. Beck, une augmentation des divorces dans tous les pays occidentaux
(Beck, 1986) - On peut par ailleurs supposer une augmentation identique des
séparations survenues dans les couples non mariés, même si
aucune statistique n'existe sur ce point alors que le nombre croissant des
unions libres soit une réalité -. Cet auteur, en s'attachant au
problème de la reproduction des inégalités, note bien une
dissolution et une différenciation des éléments de la vie
et de comportements qui étaient réunis dans la famille et dans le
couple. « La dynamique d'individualisation qui a
détaché l'homme des cultures de classe, se poursuit au niveau de
la famille ». « Les femmes, dans les années
soixante, soixante dix, deviennent les instigatrices des transformations
observées dans la sphère privée. Des transformations qui
en ouvrant une perspective d'égalisation dans la famille, ont pu
entraîner l'effondrement d'un des piliers de la société
industrielle, à savoir, la famille nucléaire, et rendre
illégitimes les assignations de rôles suivant le genre. Cependant,
confrontés au principe nouveau d'une nécessaire distance entre
l'identité de la personne et l'identité masculine ou
féminine imposée, les gens se retrouvent face à un
abîme » (Beck, 1986).
L'auteur développe l'idée d'une interaction
entre construction de la démocratisation politique et
démocratisation de la sphère privée. Ainsi
transposé à la famille, l'avènement de l'individualisme
signifierait que celle ci n'existerait plus comme institution mais à
partir des individus qui la composent. L'existence de la famille ne
dépendrait plus que des aspirations et des choix des individus eux
mêmes. Ulrich.Beck tout comme François De Singly parlent de
modernité avancée, une deuxième modernité de la fin
des années soixante à aujourd'hui, dans laquelle les individus
sont en capacité d'opérer des choix, de s'émanciper du
carcan traditionnel pour construire leur propre histoire. Donc en distance de
la sociologie de la reproduction sociale de Bourdieu. Il y aurait une dynamique
au dessus de cette reproduction sociale, une sociologie qui donne la place
à l'acteur, la sociologie de classe ayant été celle de la
première modernité, qui aurait perdu de sa pertinence. La famille
nucléaire dans ce sens n'est plus adéquate en tant que
référence. Cependant ce que soutiennent ces auteurs c'est que les
inégalités n'ont pas disparu pour autant, idées qui seront
reprises par d'autres sociologues (Commailles, Martin, 1998), pour insister sur
la problématique d'une reproduction des inégalités de la
sphère publique à la sphère privée. Pour ces
derniers, la famille est considérée sociologiquement comme un
réceptacle des transformations sociales et politiques, placée
comme l'observatoire privilégié de la façon dont les
individus instituent leurs liens. La transformation alors des comportements
privés, selon ce raisonnement, ne livre pas les individus à eux
mêmes, puisqu'elle renvoie aux fondements même de la
société. Ce qui vient relativiser le scénario alarmiste
énoncé face aux mutations de la famille. A partir de cette
démarche d'observation, l'analyse faite sur la place de la famille dans
la société, bouleverse les représentations que l'on peut
s'en faire. Si les métamorphoses de la famille associées à
un mouvement d'individualisation de la société, sont
perçues comme conduisant à une perte de repères, renvoyant
à la notion « d'individualisme négatif »
définie par Robert Castel, (Castel, 1995), il est un fait cependant que
la famille demeure une référence, nous explique les auteurs. Les
solidarités familiales et intergénérationnelles n'ont en
effet pas pour autant disparu, mais auraient simplement changé de
formes. Ainsi ces transformations révèleraientt une reproduction
des inégalités en miroir avec celles de la société,
de la sphère publique. Le processus d'individualisation selon cette
conception n'est pas à rejeter pour ce qu'il a apporté dans
l'avènement de cette démocratisation, mais pour ses
inégalités afférentes.
Ainsi l'affirmation du couple comme entité sentimentale
dans la période contemporaine, nous dit cette fois Thierry Blöss,
n'aurait pas suffi à établir une relation égalitaire entre
les hommes et les femmes.(Blöss, 2001) Et comme le note par ailleurs
Ulrich Beck, « la diversité croissante des situations est
dissimulée par la constance des représentations mentales sur la
famille et le couple, le père et la mère » (Beck,
1986). Des représentations qui semblent être
intériorisées à la fois par les hommes et les femmes.
3.2. Intériorisation
de la division sexuelle des rôles parentaux
Entre discours et réalité, des contradictions se
révèlent sur l'égalité dans les couples.
Les hommes tiennent un discours sur l'égalité
sans mettre leurs paroles en actes, nous dit Ulrich Beck. Tout en acceptant
l'égalité des droits des femmes, ils se dégagent des
tâches domestiques avec cette perception masculine de ne pas
désavantager la femme, car la question féminine est
ramenée à la question des enfants. Et pour la minorité des
hommes qui restent au foyer, ce choix relèverait surtout d'une
volonté de la compagne pour des exigences professionnelles. Quant au
désir des femmes à s'investir professionnellement, il se heurte
pour elles aussi, à leur désir de s'investir dans la vie de
couple et la maternité. Par ailleurs l'échange des rôles
est tout à fait mal accepté socialement : Les hommes sont
félicités et les femmes désignées comme de
« mauvaises mères ». L'évolution sociale
malgré tout plus égalitaire socialement pour les femmes, s'est
accompagnée aussi d'une évolution du côté des hommes
qui souhaitent se dégager de l'image imposée de l'homme viril, et
montrer davantage leurs sentiments. Mais dans une situation opposée
à celle des femmes, le terme égalité signifie pour eux
moins d'investissement professionnel, et plus de participation à la vie
du foyer. La majorité des hommes continue néanmoins à se
réfugier derrière des justifications biologiques au maintien de
ces inégalités (la femme porte l'enfant, elle est donc
responsable de son bien être). Cependant note l'auteur, les conflits
touchent les hommes de façon
violente : « Assignés à une réussite
économique et professionnelle, tels le « bon
nourricier », et « l'époux et père de famille
prévoyant », ils intériorisent les contraintes de
carrière pour satisfaire aux attentes. Ainsi, quand la relation à
la femme devient conflictuelle plutôt qu'harmonieuse, ils en sont
doublement affectés : à la privation de l'échange
émotionnel, s'ajoutent le désarroi et
l'incompréhension » (Beck, 1986).
L'auteur François De Singly note quant à lui que
le temps domestique inégal serait mieux accepté par la femme
lorsque l'homme consacre son temps à l'activité professionnelle.
Car le travail professionnel de la femme, dans les représentations, soit
complète, voire remplace celui de l'homme, soit est exercé
à titre personnel ; pour l'homme au contraire, il est à la
fois personnel et familial : « en étant au bureau,
ils sont pères puisqu'ils travaillent pour le bien être de leurs
enfants ». De plus, Les femmes seraient plus sensibles à
l'inégalité, face à leur mari, quand elles n'ont pas
d'enfant. (De Singly, 2001). Ainsi, à partir d'une lecture en termes
d'identité relationnelle, De Singly situe le changement historique au
niveau de l'appropriation par les femmes du travail domestique, plutôt
que dans la modification du partage.
Cependant, n'est ce pas là aussi, me semble t il,
revenir à la problématique de l'inégalité, dans la
mesure où cette approche témoigne en quelque sorte d'une certaine
intériorisation de la division sexuelle des rôles parentaux,
pouvant représenter un des freins à la mise en place de
l'égalité des sexes. Cette intériorisation de la division
sexuelle des rôles parentaux se trouve être par ailleurs
relayée par les institutions, comme en témoigne l'analyse faite
par les sociologues. En soulignant le point d'ancrage de l'identité
féminine par la relation parentale, l'injonction faite aux femmes,
notamment à l'occasion des séparations, vient accentuer en effet
l'inégale division des rôles parentaux.
Cette intériorisation d'une division sexuelle trouve par
ailleurs un soutien de la part des institutions.
Le sociologue Thierry Blöss, relève aussi un
enracinement historique de la division sexuelle des rapports domestiques, les
couples concubins ne se démarquant pas de la division sexuelle
traditionnelle domestique (Blöss, 2001). Il y a selon cet auteur
confrontation entre l'aspiration démocratique des couples et
l'intériorisation par chaque conjoint d'une division sexuelle des
rôles parentaux. Celle ci étant soutenue par
l'institution qui désigne la mère comme dépositaire du
lien de filiation au nom de « l'intérêt de
l'enfant ». Un certain nombre d'inégalités sociales
entre les hommes et les femmes passent inaperçues car mises sous le
compte de différences naturelles entre les sexes (essentialisme
biologique) : garde de l'enfant malade quand le couple est uni- et
attribution de la garde de l'enfant quand les couples sont désunis-, qui
révèle que peu d'hommes se sentent concernés, et que peu
de femmes sont prêtes à accepter le partage des
responsabilités ( Blöss, 2001).
Le conflit est tel dans la plupart des situations de rupture
conjugale que les couples s'en réfèrent à
l'autorité, conduisant l'Etat, donc le juge à désigner la
mère comme dépositaire du lien de filiation selon une idée
de « l'intérêt de l'enfant ». Ce qui conduit
à justifier officiellement la différence instituée entre
statut maternel et statut paternel. Ainsi le divorce, moins stigmatisé,
ne porte pas non plus atteinte à la conscience maternelle des femmes qui
se voient attribuer dans la majorité des cas la garde de l'enfant ;
ce qui les conduit à en faire la demande pour échapper à
une domination masculine, même en cas de dépendance
économique à leur mari. De ces obstacles à
l'égalité des sexes dans la parentalité, résulte la
situation de lassitude du parent gardien- l'autre se déchargeant de ses
fonctions éducatives- et le découragement du parent non gardien
qui ne communique plus avec son enfant. Au nom de cette notion
« d'intérêt de l'enfant », sorte de raison
d'état, c'est avec une certaine image de la famille, une forme
d'organisation domestique qui vont être légitimées dans
l'après divorce. Ce qui vient révéler une permanence des
représentations sexuées à l'égard de l'organisation
familiale. La définition du lien paternel post divorce est un indicateur
du fondement sexué des politiques publiques, à travers son
appréhension par sa fonction seule de pourvoyeur économique. Ceci
dit, la conquête des femmes dans la maîtrise de leur
fécondité ne signifie pas pour autant un renversement de
pouvoirs. « Les femmes en réalité se trouvent dans
un compromis entre le désir de maternité et de carrière
professionnelle. ».
3.3. Contradictions entre
une institution inégalitaire et une tendance émancipatrice de la
cellule familiale.
Ulrich Beck soutient le fait que la répartition des
rôles en fonction de l'appartenance sexuelle s'est construite comme base
de la société industrielle. C'est ainsi que de
fait, « une égalité réelle des hommes et
des femmes remettrait en question les fondements mêmes de la
famille ». À travers les conflits qui éclatent
aujourd'hui entre les hommes et les femmes, Il s'agirait ainsi d'affronter les
contradictions de la société industrielle, transposées sur
le plan personnel. (Beck, 1986). Les structures institutionnelles prennent
appui sur un cadre traditionnel de répartition des rôles
sexués, mettant en place un système inégalitaire. Or, il y
a une volonté d'émancipation des stéréotypes
sexuels dans le cadre de la famille (illusion d'égalité nourrie
par la révolution industrielle), mais qui ne peut se réaliser
sans l'appui justement des institutions. Dans cette tentative de changer la
société à l'intérieur de la famille, sans modifier
les structures sociales, ne subsiste qu'un échange des
inégalités. Il est ainsi « impossible de
réaliser l'égalité entre les hommes et les femmes à
l'intérieur de structures institutionnelles qui présupposent
l'inégalité entre hommes et femmes », toujours
selon Beck. Et les attentes des femmes pour une plus grande
égalité dans le domaine professionnel et familial se heurtent de
la sorte à des évolutions contraires.
Pour T.Blöss, L'activité professionnelle des
femmes peut apparaître en théorie constitué un facteur
d'émancipation de leurs rôles familiaux Mais l'accès
généralisé des femmes au salariat s'accompagne d'une
moindre légitimité de leur place sur le marché du travail.
. La différence de sexe dans la sphère privée constitue un
frein puissant à l'égalisation des statuts. Il souligne le fait
que le choix alternatif à mener une carrière familiale et
professionnelle demeure une particularité féminine. Le processus
irréversible constaté d'émancipation individuelle ayant
permis aux femmes de s'extraire de leur assignation à la sphère
domestique, apparaît ainsi incertain et contradictoire. Le recul du
mariage, en dépit de ses réformes, reflète les
difficultés de cette institution à satisfaire l'exigence
contemporaine de démocratie familiale, pour Thierry Blöss. L'auteur
identifie aussi des contradictions au niveau de l'institution elle même
qui tout en prenant comme appui une base inégalitaire des
identités parentales sexuées, cherche à l'atténuer
selon le principe de solidarité publique (pour illustration, l'exemple
de la catégorie prestataire des familles
« monoparentales »). Il y a bien souligne l'auteur
existence politique du processus de décision des rôles parentaux.
L'action des politiques publiques vise à la fois la réduction des
inégalités entre conjoints et entre parents, et la
préservation des identités ou spécificités
supposées des deux sexes. Les dernières dispositions sur
l'après divorce pour un meilleur partage des responsabilités
parentales, assurent en fait la reproduction des inégalités entre
les charges ou prérogatives paternelles et maternelles.
L'auteur pointe l'existence d'un décalage important
entre les principes d'égalité formelle entre les sexes et la
réalité des faits dans tous les domaines, professionnel,
politique, familial. « Le modèle contractualiste »
(C.Martin, 1997) mis en oeuvre dans les lois récentes sur la famille
basé sur le consentement mutuel et l'exercice conjoint de
l'autorité parentale, ne s'applique en réalité qu'à
une minorité de couples, souvent de couches moyennes et
supérieures. Le développement ainsi que son officialisation des
« familles monoparentales », illustrent bien l'existence
politique du processus de division des rôles parentaux. Par ailleurs, ces
foyers féminins, économiquement vulnérables, sont devenus
une catégorie prestataire, à problèmes. On a donc un
système assez paradoxal avec une institutionnalisation
inégalitaire des identités parentales sexuées, que cherche
à atténuer l'impératif de solidarité publique par
une politique redistributive.
Ainsi, je note que l'existence d'un processus politique de
division des rôles parentaux est illustrée par le
développement et l'officialisation du terme de familles
« monoparentales »6(*). Toujours selon Blöss, les rôles
domestiques et parentaux sont donc au coeur de tensions entre leur dimension
fonctionnelle et leur dimension idéologique : La première
est enracinée dans l'histoire de la division sexuelle des rapports
domestiques, la seconde incarne les nouvelles aspirations démocratiques
des couples, qui permettent aux femmes de déléguer des
tâches domestiques et inclinent les hommes à s'occuper des enfants
dans une plus grande proximité affective. Mais le discours sur ces
nouveaux pères coexiste avec celui des pères défaillants
qui rend compte de l'affaiblissement de l'autorité et du lien
paternel. Et pour les femmes, « Dans un contexte
d'instabilité conjugale croissante, elles se sont imposées- ou
ont été désignées- comme le maillon
anthropologiquement fort du lien de filiation » (Blöss, 2001).
Ainsi, l'enjeu de cette situation serait qu'avec le retour
d'un schéma familial basé sur la distinction sexuelle des
rôles, par la permanence d'une dichotomie vie professionnelle vie
familiale, des inégalités sociales en découlent de part et
d'autre.
Aussi, au regard de l'appréhension sociologique sur la
nature et les enjeux des obstacles à la mise en place d'une
égalité des sexes dans la famille, ma démarche de travail
est celle de comprendre comment s'articulent les places parentales à
partir de l'observation des pères, dont le rôle historique central
est en miroir de l'évolution sociale. Le constat de l'existence de
tensions observés dans la sphère privée, et productrices
d'inégalités sociales, m'ont alors conduite à
élaborer l'hypothèse de travail autour de mon choix de terrain
d'étude.
3.4. Hypothèse de
travail et choix du terrain d'étude
3.4.1. Problématique de la place du
père dans les séparations conjugales
Ainsi, je relève que l'évolution des moeurs et
les mesures incitatives à la mise en place de l'égalité
des sexes en droit de la famille, ne permettent pas la pleine
réalisation d'un équilibre des rôles parentaux, dans le
contexte actuel d'instabilité conjugale. L'absence des pères est
toujours déplorée par les professionnels, les jeunes, les
mères. Pourtant, dans un courant de
démocratisation/individualisation de la société, les
pères relationnels volontairement plus proches des enfants, auraient
fait place au père institutionnel, autoritaire et lointain.
Parallèlement à ce constat, dans le contexte de
démocratisation de la sphère privée et
d'égalité des sexes qui fait suite au mouvement
d'émancipation des femmes, le nombre des divorces et séparations
des couples s'amplifie. Cette augmentation fait place au développement
croissant de familles dites « monoparentales »,
composées pour la grande majorité de mères seules avec
enfant(s), le terme lui-même induisant l'absence d'un parent, en
l'occurrence le père. Sans nier à cet état de fait la
dimension existante de l'enfant devenu objet d'enjeux dans les conflits parfois
violents autour des séparations de couples, il s'agirait de comprendre,
comment se situent les pères séparés dans cette
configuration sociale faite d'ambiguïtés. A partir du constat d'une
parité parentale qui est en marche, nous explique la sociologue
Christine Castelain Meunier, spécialiste des métamorphoses du
masculin, la famille n'étant plus centrée sur le père,
s'observe l'accroissement d'une « sur
responsabilité » des femmes, mais aussi un volontarisme de
certains pères. C'est ce qu'elle nomme le mouvement amorcé par
les hommes pour occuper leur place auprès de l'enfant. La cohabitation
entre les anciens modèles issus du patriarcat, et les nouveaux, n'est
pas aisée, alors que la démocratie est en jeu. Engagés
dans une période de mutation, avec une inflation de nouveaux
modèles familiaux, des codes en opposition au regard des cultures
masculine et féminine, traditionnelles, industrielles et contemporaines,
l'auteur souligne le paradoxe de notre société, toujours à
domination masculine, qui survalorise le rôle de la mère.
(Castelain Meunier, 2002). Ce surinvestissement des mères relevant de la
conjugaison de quatre dimensions qu'elle résume ainsi :
« Cette matrifocalité des
mères consolidée par l'insistance des femmes à
réintroduire le thème de l'enfant, est par ailleurs soutenue par
l'Etat, d'autant que la mère et l'enfant ont été
rapprochées dès le XIXème siècle, à la suite
de la défaillance de certains pères [.] Dans le cas de
séparation, la résidence principale, l'autorité,
reviennent de fait en grande majorité à la mère, et ce
d'autant plus que le père est au chômage, les femmes disposant par
ailleurs, à l'inverse des pères - comme le constatent les hommes
qui s'occupent seuls de leurs enfants -de réseaux spécifiques de
sociabilité et de soutien en tant que mères ». Elle
poursuit : « Face à cette matrifocalité, on peut
constater du côté masculin des stratégies de fuite, de
repli, d'effacement, du mimétisme avec une perte identitaire, du
désintérêt, de l'agressivité, mais aussi une
surenchère et du volontarisme. » (Castelain Meunier, 2002, p
27-28). Elle nomme le volontarisme des hommes, le mouvement amorcé par
les hommes pour occuper leur place auprès de l'enfant.
« Comparée à celle des mères, qui
d'emblée est définie biologiquement, la place des pères
n'est pas définie [..] Alors que par ailleurs des hommes
innovent dans leur pratiques éducatives, il n'en n'est pas moins vrai
que l'absence de reconnaissance de leur place et la perte de
légitimité de leur autorité existent [.] La
cohérence antérieure qui accompagnait le féminin et le
masculin se défait ». (Castelain Meunier, 2002, p 30).
Au regard de cette analyse, une entrée par le
témoignage de pères séparés peut s'avérer
pertinent pour l'étude, afin de mieux cerner ce phénomène
de tensions où cohabitent tradition et modernité, et vient
questionner les rôles et places parentales au coeur de modèles
contradictoires. Les associations de pères militants, du fait même
de leur existence qui interroge, apparaissent alors comme un lieu
privilégié, d'où l'orientation de mon choix vers ce
terrain d'observation.
3.4.2. Des pères en mouvement pour
l'égalité parentale
Après avoir exploré les enjeux actuels de la
place du père dans la famille à travers son inscription
historique, et les analyses sociologiques qui en sont faites, j'oriente donc
mon travail sur l'étude de groupes de pères en revendication
d'égalité parentale. La démarche des pères faisant
appel à ces associations, même perçues comme marginales,
peut constituer de cette façon une entrée pour éclairer
nos connaissances sur les hommes qui s'investissent dans une revendication de
leur place de père. Les tensions exprimées sont en effet d'autant
plus cruciales qu'elles émanent de pères en situation de
séparation, qui viennent revendiquer leur place parentale. L'examen des
caractéristiques individuelles et sociales ainsi que les discours des
pères s'adressant aux associations militant pour l'égalité
parentale s'avère de ce fait congru pour cette recherche. Un postulat
serait qu'il se dégage un profil particulier d'hommes revendiquant leurs
droits de pères. En identifiant les profils et attentes des pères
auprès de ces associations, il s'agit de comprendre ce qui conduit
certains pères à faire appel à des groupes de parents
militants, de quelle égalité est- il alors question dans leurs
attentes. Ma démarche dans ce sens est celle d'observer et donner la
parole à ces pères en demande d'une place, afin
d'appréhender la façon dont s'expriment les tensions,
contradictions, transformations des rôles, au sein de ces associations.
Les éléments recueillis et observés en permanence
ajoutés aux entretiens individuels réalisés auprès
des pères doivent permettre de mieux comprendre sur quoi porte le combat
de ces hommes. En apportant ainsi un éclairage sur les obstacles
à se situer à leur place de père, leurs discours laissent
entrevoir la complexité des positionnements parentaux derrière
leurs représentations. Je pose alors l'hypothèse selon laquelle
les associations de pères séparés constituent des lieux
privilégiés de ces tensions à l'oeuvre. Elles viennent en
effet témoigner d'insatisfactions des pères à pouvoir
occuper leur rôle parental, dans un contexte de société
plus égalitaire d'émancipation familiale. Elles se
présentent, en cela, comme
des « laboratoires », de transformation des
modèles. L'enquête qualitative au moyen d'entretiens exploratoires
va me permettre de mieux analyser ces indicateurs de changement. Les
conclusions de cette étude restent néanmoins
réservées sachant qu'elle rend compte ici d'une observation
circonscrite à des pères confrontés à des
situations conflictuelles les conduisant à s'adresser à ce type
d'association. Les personnes en effet qui s'adressent aux associations de
pères, ont la particularité de se trouver en conflit dans une
situation de séparation conjugale, autour de la question des enfants.
Ils sont pour la plupart engagés ou sur le point de l'être dans
une procédure judiciaire mettant en jeu la question de la garde des
enfants. Ou bien, ils sont séparés depuis un certain temps sur un
mode consensuel d'organisation, mais pour lesquels le conflit est
ravivé, car se pose à nouveau soit la question de la
résidence, soit des modalités de visite pour les enfants. Un
changement de situation qui est fréquemment occasionné par
l'éloignement géographique d'un parent en raison d'une nouvelle
installation. Il s'agit donc de parents en désaccord l'un avec l'autre,
voire en affrontement, autour de l'organisation de la séparation
familiale.
Je vais donc dans le deuxième volet qui suit,
intitulé le conflit des pères séparés,
présenter mon terrain d'étude avec les résultats de
l'enquête, qui mettent en évidence la problématique de
l'impasse face à laquelle sont confrontés ces pères
séparés. Une volonté d'implication venant s'opposer
à la résistance institutionnelle, dans une représentation
traditionnelle des rôles sexués. Après avoir exposé
ma méthodologie d'enquête, je m'attacherai dans un premier temps
à l'organisation même de ces associations méconnues qui se
présentent comme un lieu d'accueil social et de formation, de combat
pour l'égalité des droits qui passe par l'apprentissage à
un positionnement parental. Ensuite, une fois identifié le profil de ces
pères, l'analyse des entretiens effectués me permettra de situer
les demandes explicites des parents, et autour des attentes plus implicites,
l'objet de leurs luttes ainsi que leurs représentations sur les
rôles et places des pères, et mères, de la famille en
général. L'ensemble de ces éléments viserait
à identifier en quoi ces associations reflètent plus ou moins des
volontés de changement. Aussi, au-delà du militantisme de ses
adhérents pour une égalité parentale, les associations de
pères apparaissent surtout comme des espaces de réhabilitation,
par le biais d'une reconnaissance attendue de la part des institutions,
derrière une demande de présence auprès de leurs
enfants.
DEUXIEME PARTIE : Le
conflit des pères séparés
Pour cette partie, je vais donc m'intéresser plus
précisément au profil et discours des pères. Le chapitre
quatre va situer au préalable la condition des pères dans les
associations, en comprenant la méthodologie d'enquête
utilisée. J'explorerai ensuite les attentes exprimées par eux,
pour enfin m'attacher à l'enjeu de leurs combats derrière leurs
représentations.
CHAPITRE 4 la condition
paternelle dans les lieux d'accueil de parents séparés
4.1. Méthodologie
d'enquête
Il existe ainsi plusieurs associations de pères
implantées à Paris, comportant également des antennes en
province. J'ai fais le choix d'aller rencontrer trois d'entre elles,
parisiennes, les plus actives dans le sens où elles tiennent des
permanences pour le public : Le NMCP, Nouveau Mouvement de la Condition
Paternelle, la plus ancienne, l'association SOS Papa, la plus connue sans
doute, car la plus médiatisée, et JPPP Justice Papa Parité
Parentale, la plus récente. J'ai eu la possibilité de me rendre
à différentes permanences tenues par ces associations au cours de
l'année 2008 et 2009. Les trois associations fonctionnent sur le
principe de l'adhésion volontaire avec cotisation individuelle. Toutes
les personnes quasiment, viennent pour des problèmes rencontrés
en lien avec leur situation au regard des enfants, suite à une
séparation conjugale. Leur priorité affichée est celle de
la défense des enfants.
Mon approche du terrain s'est ainsi faite à deux
niveaux, l'immersion dans les permanences d'accueils, grâce à la
rencontre avec les présidents des associations et adhérents
anciens d'une part, les entretiens effectués auprès des
pères, adhérents ou pas encore, s'adressant indifféremment
à ces trois associations, d'autre part. Pour ces entretiens, j'ai
également procédé en deux temps, une première
série d'entretiens exploratoires effectués entre avril et mai
2008, au nombre de six, qui ajoutée aux autres éléments
d'observation recueillis, m'a permis d'établir mes orientations de
travail et élaborer mes hypothèses ; une deuxième
série d'interviews, réalisée à la même
période l'année suivante, selon une grille d'analyse plus
précise, m'a conduite à affiner les résultats de mon
enquête. Le choix des personnes interrogées s'est fait au hasard
des rencontres avec les personnes disponibles, ou grâce aux
adhérents plus anciens me mettant en contact avec des nouveaux7(*).Il est à souligner que
malgré cette possibilité de mise en relation directe sur les
lieux d'accueils des associations, une rencontre sur rendez vous avec les
pères s'avérait parfois délicate compte tenu de
l'actualité du vécu douloureux de leur situation. Au cours de ces
permanences, j'ai pu m'entretenir avec les présidents et/ou principaux
adhérents actifs des associations, être présente aux temps
d'accueil des pères (et mères) dans une posture d'observation
participative. Les entretiens que j'ai réalisé en
parallèle ont été enregistrés, conduit sous la
forme semi directive, d'une durée d'une heure à une heure et
demie. Les personnes ont été interviewées dans les locaux
des associations. Les prénoms des personnes interrogées ont
été modifiés et afin de préserver au mieux leur
anonymat, elles sont présentées dans mon analyse, sans
spécifier auprès de quelle association elles se sont
précisément adressées, même si cela peut paraitre
parfois sous entendu par les interviewés eux-mêmes. De surcroit,
en risquant d'induire des comparaisons d'ordre subjectif, cet
élément ne semblait pas à même d'apporter un
intérêt particulier dans le cadre de cette étude. Mon
propos en effet était celui de dégager les éventuelles
convergences et divergences non pas des associations existantes, même si
elles apparaissent dans leur présentation, mais plutôt celles des
pères s'adressant à ce type d'association, dans leur ensemble.
L'objectif étant de mettre en évidence le discours d'un
échantillon de parents en demande d'aide auprès d'associations de
défense des droits des pères. En revanche, il m'a semblé
pertinent au préalable de présenter ces différentes
associations avec leurs fonctionnements respectifs, commenté par leurs
présidents ou adhérents principaux, ou que j'ai pu observer
moi-même au cours de l'enquête ; Les différentes
façons en effet d'aborder l'accueil, complètent la
représentation des places parentales qu'en ont les pères,
à travers les choix des militants dans leurs propositions. De plus, le
fait de m'adresser à trois associations différentes, ayant
chacune son fonctionnement propre et sans liens particuliers entre elles, si ce
n'est parfois la rencontre de ses représentants pour s'associer aux
débats parlementaires en soutien à des propositions de lois,
avait l'avantage pour ce travail de recherche, de me distancier d'un seul
discours militant. Le risque en effet que je pouvais être amenée
à rencontrer dans ce type d'étude, avec pour terrain une seule
association militante, était celui de m'impliquer en adhérant, ou
au contraire en n'adhérant pas, au discours, mais sans la souplesse
d'une perspective nécessaire à l'analyse. L'observation des trois
associations distinctes était alors une façon d'étendre
mon champ d'optique, tout en me permettant d'identifier plus
précisément ma problématique.
Ayant fait le choix d'effectuer mon étude auprès
d'associations pour la défense des pères, parmi les personnes
interrogées je m'orientais sur une enquête exclusivement de
pères. Cependant je n'ai volontairement pas effectué de tri sur
les parents interviewés de façon à restituer un
échantillon représentatif d'une diversité ou non du public
pouvant faire appel à ce genre d'association. C'est ainsi que parmi
l'ensemble des interviewées, quinze pères au total, un d'entre
eux n'a encore pas d'enfant en réalité mais est un futur
père (Lucien) ; Il m'a semblé néanmoins
intéressant de l'interroger du fait de la singularité de sa
démarche qui vient témoigner de l'implication d'hommes jeunes
dans la paternité. A cela s'ajoute le témoignage d'une
mère, parent membre d'une association, qui présente la
particularité d'être un parent demandeur au même titre qu'un
père. Aussi, cet élément vient rendre compte de la
volonté affichée des associations à ne pas mener un combat
contre les femmes, même si elles déplorent un statut
privilégié accordé aux mères par les institutions,
quant au mode de garde des enfants. Ainsi l'ensemble de ces personnes
interrogées constitue un éventail possible de parents qui se
présentent dans des lieux spécifiques que sont les associations
oeuvrant pour la condition paternelle dans le cadre de l'égalité
parentale.
Le tableau de la page suivante regroupe les
caractéristiques qui se dégagent de l'analyse des quinze
pères interviewés :
Tableau récapitulatif des personnes
interviewées Mode de garde
classique : 1WE /
sur 2
Prénom
|
âge
|
Profession
|
Nombre d'enfants
|
Age des enfants
|
Eloignement géographique
(+ de 100km)
|
Mode de garde actuel
|
Souhaits
exprimés
|
1 Jean
|
58
|
Manutentionnaire retraité
|
2
|
17 et 15 ans
|
non
|
Non défini
|
Maintenir le lien avec ses enfants
|
2 Pierre
|
45
|
Cuisinier
|
1
|
10 ans
|
non
|
classique
|
Résidence alternée /
|
3 Paul
|
41
|
informaticien
|
1
|
3ans
|
non
|
classique
|
Résidence alternée
|
4 Jacques
|
55
|
dentiste
|
2 issus de 2unions
|
15 et 13ans
|
oui
|
Non défini
|
Libre accès à ses enfants
|
5 Michel
|
42
|
physicien
|
2
|
5 et 1an
|
non
|
classique
|
Résidence des enfants
|
6 François
|
44
|
ingénieur
|
2
|
6 et 9 ans
|
non
|
Point rencontre
|
Recevoir ses enfants
|
7 Martin
|
45
|
Délégué syndical
Cadre PTT
|
1
|
8ans
|
oui
|
classique
|
|
8 Vincent
|
29
|
Electrotechnicien
Au chômage
|
1
|
2ans
|
oui
|
Point rencontre
|
Recevoir ses enfants
|
9 Julien
|
32
|
Jardinier
au chômage
|
1
|
9 mois et demi
|
oui
|
Non défini
|
Avoir accès à son enfant
|
10 Etienne
|
43
|
informaticien
|
2
|
4 et 2ans
|
|
Point rencontre
|
Recevoir ses enfants
|
11 Lucien
|
32
|
Cadre moyen RH
|
1 en
|
attente
|
oui
|
|
Résidence alternée
|
12 Patrick
|
47
|
Cadre sup privé
|
3 dont 1 majeur
|
20ans
13 et10ans
|
oui
|
classique
|
Résidence pour la fille de 13ans
|
13 Léon
|
49
|
Consultant en système d'information
au chômage
|
3
|
16, 11 et 8 ans
|
oui
|
6 mois sans visite
|
Accéder à son droit de visite
|
14 Valentin
|
42
|
Manipulateur radio
|
3 dont 1 majeur
|
19ans
14et 9ans
|
non
|
1,3,5 et mercredi
|
Résidence alternée
|
15 Eric
|
50
|
Chômeur
|
4 dont 2 majeurs
|
25,20ans
16 et 11ans
|
oui
|
2ans sans visite
|
Revoir ses enfants
|
Afin de mieux comprendre l'activité de ces
associations, et le discours de pères qui s'y présentent, il
s'avère incontournable de présenter au préalable les
règles législatives en vigueur à ce jour et ses pratiques
en matière de divorce, séparation de couples, mode de garde des
enfants. Les contradictions révélées entre ce que dit la
loi, et ce que sont les pratiques, viendraient refléter la permanence
sociale d'une représentation traditionnelle des places parentales, et de
distinction sexuelle des rôles. Puis, après une
présentation de ces lieux d'accueils, nous verrons par la suite,
à travers l'analyse des attentes des pères, en quoi ils peuvent
représenter des espaces interactifs propices ou non aux changements.
4.2. Séparation des
parents et résidence des enfants : règles et
pratiques
Certains points essentiels législatifs en matière
d'autorité parentale, de divorce et d'application du mode de
résidence des enfants, apportent un éclairage à la suite
de l'analyse. Ils permettent ainsi de bien situer le contexte du sujet, qui
circonscrit l'étude auprès de parents séparés en
cours de divorce, dans les associations militant pour l'égalité
parentale.
Le mouvement égalitariste qui a bouleversé le
droit de la famille a été marqué dès les
années 1970 par l'augmentation des divorces qui témoigne de
l'autonomisation des femmes, et par le passage de la puissance paternelle
à l'autorité parentale8(*), laissant entrevoir une autre place possible du
père. Cela s'est poursuivi par l'affirmation d'égalité et
d'exercice en commun de l'autorité parentale indépendamment du
statut conjugal, et la prise en compte des droits de l'enfant en en faisant une
priorité avec l'instauration d'une égalité entre eux,
quelque soit leur filiation, consacrée par la loi du 04 Mars
20029(*). Ce texte relatif
à l'autorité parentale stipule dans son article 373-2 :
La séparation des parents est sans incidence sur
les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité
parentale. Chacun des père et mère doit maintenir des relations
personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre
parent.
En matière de divorce, il est important de souligner au
cours des différentes évolutions, la persistance de
l'élément de la culpabilité. Après l'abolition du
divorce, le 8 mai 1816, la loi Naquet du 27 juillet 1884 le réintroduit
avec cet élément déterminant de la culpabilité. Les
procédures de divorces ont été assouplies depuis, mais
néanmoins le divorce pour faute n'a pas été
supprimé. L'augmentation des divorces apparue dans le courant des
années 1969- 1972, a conduit à l'élaboration de la loi sur
le divorce de 1975. Cependant à partir de la notion de faute, on
s'aperçoit que l'enfant était confié à celui qui
n'avait pas les tords (art 302 du code civil). Cette particularité
pouvait conduire ainsi à confier l'enfant au père.
L'évolution ensuite des lois sur le divorce avec notamment la
dernière loi de 2004, si elle a dissocié le règlement de
la procédure de divorce des décisions concernant le mode de garde
des enfants, n'a pas pour autant supprimé le divorce pour faute.
Dans la pratique, en ce qui concerne la résidence des
enfants, selon des statistiques de la justice, en 2007, elle est
fixée chez la mère dans la majorité des divorces (79 %) et
les enfants résideront plus souvent en alternance (12 %) qu'uniquement
chez leur père (7 %). La résidence étant le plus souvent
fixée chez la mère, celle-ci perçoit une pension
alimentaire dans 75% des divorces alors que dans 22% des cas, aucune pension
n'est prévue. (Chaussebourg, 2007).
La pension alimentaire est versée au parent qui assume
la charge quotidienne des enfants par l'autre parent. C'est une contribution
à l'éducation et à l'entretien des enfants, et il n'existe
pas de montant préétablit. Elle est fixée par les deux
parents lors des divorces dits « gracieux » et par le Juge
aux Affaires Familiales dans les divorces conflictuels. Le montant de la
pension sera évalué au cas par cas en fonction des ressources des
deux parents, du nombre d'enfants et de l'âge de ces derniers. Lorsque le
parent qui a la charge quotidienne des enfants ne reçoit pas de pension
alimentaire, la Caisse d'Allocation Familiale peut lui verser sous certaines
conditions l'Allocation de Soutien Familial.
A propos de l'application de ces règles judiciaires,
une avocate de permanence à l'association SOS papa, dont la
présentation va suivre, me fait part de ses observations sur la pratique
des tribunaux dans l'état actuel des procédures. Les enfants
restant actuellement en majorité confiés à la mère
dans les cas de séparation, celle ci avance le postulat qu'il existe
toujours un préjugé favorable pour la mère selon dit elle,
« la représentation de la mère protectrice, et du
père payeur. », ce qu'elle illustre par rapport à
la question du versement de la pension alimentaire et celle de la
résidence des enfants. Elle affirme en ce domaine ne connaitre aucun cas
de mère payant une pension alimentaire, quand les enfants sont
confiés au père. De plus, souligne t'elle, dans les situations
où le versement d'une pension alimentaire au père serait d'autant
plus justifié par le fait qu'il n'a pas de ressources, il n'en fait pas
la demande. Le juge d'ailleurs dans ce cas de figure, constate l'avocate, ne
pose pas la question contrairement à la situation inverse où il
est demandé à la mère le montant que celle ci souhaite
pour la pension alimentaire. Ceci étant, l'avocate soutient ne
rencontrer dans les procédures que peu de cas pour lesquels la
mère a le salaire le plus élevé, et dans les situations
où un seul salaire existe par foyer, c'est alors le plus souvent la
mère qui ne travaille pas, et donc celle qui garde les enfants. Pour les
enfants de moins de six ans, par exemple, elle note que la résidence est
toujours prononcée chez la mère. Pour une demande de
résidence chez le père, la nécessité s'impose de
prouver que la mère est une mauvaise mère. Elle fait alors le
constat d'un combat difficile pour les pères avec les institutions, qui
en contre partie doivent prouver qu'ils sont de bons pères. Du
côté des femmes, les violences conjugales qu'elles peuvent subir
étant sous jacentes, elles sont de ce fait identifiées en
victimes potentielles, d'où l'influence qui s'exerce sur la
décision des juges. L'avocate relève qu'existe malgré
tout un début de prise de conscience sur l'importance des pères,
et que les femmes ne peuvent plus toujours faire « n'importe
quoi ». On rencontre dit elle, des femmes condamnées pour non
représentation d'enfants.
Ainsi, ces éléments viennent souligner le cadre
dans lequel se situent les pères rencontrés dans les associations
militant pour l'égalité parentale, qui ont la
particularité de se trouver en règlement judiciaire sur
l'organisation parentale, suite à leur séparation conjugale.
4.3. Trois associations
militant pour l'égalité parentale : un accueil social
Les trois associations rencontrées fonctionnent toutes
selon le même objectif, avec néanmoins des organisations
différentes. Leur intention est celle de faire évoluer les
pratiques, judiciaires surtout, pour permettre aux parents un égal
accès à leurs enfants notamment par la
généralisation de la résidence alternée. Si les
revendications des militants de ces associations portent sur la parité
à travers l'alternance de la résidence de l'enfant, ils
dénoncent aussi le manque de parité et de reconnaissance de la
part des tribunaux, et des institutions en général, que sont les
allocations familiales, le fisc, l'école. Ils réclament de l'Etat
une meilleure application du droit concernant les non présentations
d'enfants, et la mise en oeuvre de moyens pour lutter contre
« l'aliénation parentale »10(*), préconisent la
médiation familiale plutôt que la judiciarisation. Enfin, ils
dénoncent une idéologie discriminante pour les pères
liée à la diabolisation des hommes par la médiatisation
des violences conjugales. Nous verrons, à la suite de la
présentation de ces associations, en quoi ses militants affirment par
ailleurs agir par féminisme. En premier lieu, dans la pratique, ces
associations proposent un accueil spécifique pour les parents, des
pères en grande majorité, qui se trouvent en situation de conflit
concernant la garde des enfants.
- Le MCP, Mouvement pour la condition paternelle
situé dans le douzième arrondissement, est l'antenne
parisienne faisant partie de la Fédération des mouvements
pour la condition paternelle FMCP, qui en compte une cinquantaine en
France : « Pères en mouvement pour une
responsabilité parentale partagée, égale en cas de
séparation et de divorce ». Créée en avril 1974,
l'association s'était constituée à l'origine sous le sigle
MCMP, mouvement pour la condition masculine et paternelle, issue
elle-même de la première association du genre, créée
en 1969, et appelée, DIDHEM : Défense des
intérêts et des divorcés hommes et de leurs enfants
mineurs. Ainsi dès le début de l'accroissement du nombre des
divorces, s'est organisée une mobilisation de pères, ce qui
viendrait à relativiser l'évaluation du caractère nouveau
d'une prise de conscience masculine dans l'investissement paternel.
Des permanences d'accueil sont proposées, dans les
locaux de la maison des associations de l'arrondissement, sans rendez vous, une
soirée par semaine. Une deuxième soirée étant
consacrée à une réunion d'échanges,
d'informations/débats ; soit concernant directement le
fonctionnement de l'association, soit ayant trait à des informations
techniques, le déroulement d'une audience par exemple, ou bien encore un
thème de discussion en lien avec la parentalité. Avec parfois
l'invitation de représentants d'associations, de chercheurs,
écrivains ou journalistes, voire parfois une personnalité
politique. L'association est présentée comme un lieu d'accueil
solidaire, d'action, de formation et d'échange permettant la
réflexion. Ouverte aux hommes et aux femmes, l'association organise par
ailleurs annuellement des universités d'été pour les
adhérents, afin d'échanger et débattre sur les
thèmes en lien avec la question de l'égalité parentale, de
façon aussi à pouvoir présenter des propositions aux
parlementaires dans le cadre d'élaboration de lois dans ce domaine. Les
parents qui se présentent, des pères en majorité, sont
accueillis individuellement par une ou deux personnes adhérentes, en
fonction de leur compétence, ou expérience - celles ci ayant
elles mêmes été préalablement reçues - pour
exposer leurs problèmes personnels de parent lié à la
séparation de leur couple. Si les parents peuvent parfois être
orientées par des professionnels, ils sont le plus souvent
conseillés par des personnes ayant déjà fait appel au MCP.
Ce qui peut s'expliquer par la qualité relationnelle due à son
orientation par l'approche individuelle.
Les situations rencontrées sont en effet
décrites par le secrétaire général de
l'association, adhérent depuis l'origine du mouvement, comme invivables
pour les pères, souvent en grande détresse. Ne constatant pas
d'évolution dans ce domaine avec le temps, le conflit selon lui,
vécu par les couples en séparation, est alimenté tant
qu'il y a une procédure judiciaire.
- L'Association SOS PAPA, fondée en 1990,
comporte une vingtaine de délégations, son antenne parisienne est
située dans le quinzième arrondissement. Elle accueille les
pères, les parents et grands parents. Si les femmes là aussi
peuvent être reçues, ce sont plutôt les nouvelles compagnes
des pères qui se présentent, seules ou avec eux, les pères
ayant parfois des difficultés à venir parler de leur situation au
regard de leur ex-épouse ou concubine, me confie le Président.
Ils se retrouvent par ailleurs dans une telle situation de destruction, me
précise t il, que la belle mère est alors perçue comme
ayant plus de recul, d'où sa présence désirée par
le père en demande d'aide auprès de l'association. Les
pères qui sont là, rencontrent tous de grandes difficultés
à voir leurs enfants. Des grands parents, (parents du père pour
la plupart) s'adressent également à l'association, se plaignant
de vivre une situation dramatique dans la mesure où ils subissent
l'absence des petits enfants dans les cas de séparation, poursuit le
Président. S'estimant alors extérieurs aux problèmes de
couples, observe t il, ils éprouvent d'autant plus un sentiment
d'injustice.
Les personnes qui s'adressent à l'association ont
connaissance de son existence par internet le plus souvent, à partir du
lien : Père, enfant, divorce, mais aussi par l'intermédiaire
de tracts distribués notamment dans les commissariats. Beaucoup de
pères en effet sont amenés à porter plainte pour non
présentation d'enfants, ou pour un déménagement
intempestif, comme c'est le cas nous le verrons par la suite pour certaines des
personnes interrogées.
Des permanences sont proposées trois soirées par
semaine ainsi que deux samedi matin par mois. L'accueil se fait dans des locaux
propres à l'association, par des pères eux-mêmes,
adhérents volontaires, en groupe, sous forme de discussion libre en tour
de table, chacun présentant sa situation plus ou moins
brièvement. Au cours de cet échange ils peuvent à titre
individuel cette fois, être reçus à tour de rôle par
un avocat à leur disposition pour une consultation, dans un bureau
isolé, sans pour autant qu'il prenne en charge leur dossier. Cinq
avocats en effet se relaient bénévolement aux permanences, sans
pour autant faire partie des membres adhérents. Sur le même
principe, également, une psychologue extérieure peut recevoir
ceux qui le souhaitent une fois par semaine. Par ailleurs, à leur
demande, un père adhérent cette fois, notaire de métier,
peut être lui aussi sollicité sur rendez-vous. L'association
depuis peu adhérente à l'UNAF est par ailleurs active notamment
à travers des actions médiatiques : manifestations,
participation à des émissions de radio et télé,
diffusion de tracts et articles dans la presse. Des affichettes
placardées sur les murs résument assez bien les objectifs de
l'association, et il m'a semblé intéressant d'en relever quelques
uns :
SOS papa, c'est le cri de l'enfant qui ne voit pas son
papa.
Juges, magistrats, avez-vous des enfants pour rendre de
telles décisions ?
Halte à l'éloignement géographique et
à cette justice complice.
Les femmes se battent avec SOS Papa dans
l'intérêt de nos enfants.
Halte aux déménagements intempestifs bien
souvent décidés par la mère.
A deux pour le concevoir, à deux pour l'aimer,
à deux pour l'élever, même séparés.
Je ne suis ni une marchandise ni une arme ! Respectez
mes droits d'enfants.
Couples séparés pourquoi le rapt d'enfant
par certaines mères est impuni.
La loi du 04 Mars 2002 ne doit léser ni le
père ni la mère.
J'ai le droit à mes deux parents et à mes
quatre grands parents.
90% d'enfants de parents séparés ne voient
leur papa que quatre fois par an.
Porte close : Une fois de plus il ira déposer
plainte ; La mère ne sera jamais inquiétée par la
justice pour non présentation d'enfant ; Respectez les droits de
l'enfant, sanctionnons ces comportements.
La séparation du couple ne doit pas être la
séparation de la famille. Trop souvent le père n'obtient qu'un
droit de visite malgré sa volonté d'élever son
enfant.
Ainsi, les préoccupations contenues dans ces
différents slogans, rejoignent en grande partie celles de l'ensemble des
associations.
L'association JPPP Justice Papa Parité
Parentale. Il s'agit d'une association plus récente, crée en
2001. Elle se tient dans le troisième arrondissement de Paris, et
comporte aussi quelques antennes en province.
Une permanence d'accueil est proposée au public qui
souhaite adhérer, une fois par semaine, dans des locaux de la maison des
associations de la Mairie de l'arrondissement. Elle est organisée aussi
sous la forme d'une petite table ronde, dans un premier temps, animée le
plus souvent par un permanent seul, parfois à deux, puis dans un second
temps assisté d'un avocat. L'accueil peut alors prendre une forme plus
individualisée. Il est assuré par deux avocats, un homme et une
femme, qui se relaient une semaine sur deux pour un soutien plus technique.
Sans prendre en charge ici non plus, complètement le dossier, ceux-ci
sont néanmoins davantage dans une position de membre actif dans
l'association, l'avocate étant pour sa part plus particulièrement
investie, ce qu'elle soutient dit elle, par un engagement féministe. En
plus de ce temps d'accueil, les membres du bureau de l'association proposent un
travail de réflexion et préparent des dossiers afin de
présenter des propositions concrètes aux instances
parlementaires. Par exemple au moment de l'enquête, ils travaillaient sur
des propositions de barèmes en fonction des ressources pour les
attributions des pensions alimentaires et prestations compensatoires. Les
critères actuels auxquels se réfèrent les juges
n'étant pas précisément définis, comme il a
été précisé plus haut, hormis semble t il une base
théorique de 10% qui ne serait pas toujours appliquée. Ce qui
pour les militants, contribue à rendre de façon arbitraire des
décisions de justice qui apparaissent ainsi parfois
inéquitables.
Là aussi, toutes les catégories
socioprofessionnelles sont représentées à l'association,
me précise t on. Néanmoins je note la fréquentation plus
importante semble t- il d'un public jeune.
Les associations travaillent sur le problème qui fait
que le juge place les parents en compétition. Elles invitent alors les
parents à prendre en main leur propre dossier pour augmenter leurs
chances, à le reconstituer, et faire ainsi un travail sur eux
mêmes. L'importance des mises en situation par l'écoute des
autres, est alors soulignée.
L'association tout comme les autres, affiche une
volonté à ne pas réduire le discours à une
revendication unique des pères, mais à militer pour une
égalité parentale, dans le respect des enfants. Tout en
stigmatisant parfois le caractère exclusif des mères, il
s'agirait alors de militer selon une logique féministe, comme le
soulignent certains d'entre eux.
4.4. Le discours
féministe des militants :
Les adhérents militants de ces associations, membres du
bureau et membres actifs permanents, contestent une situation qu'ils estiment
inégale entre les hommes et les femmes dans le traitement de la
parentalité, au moment des séparations de couples. Un
adhérent résume le vécu de ces pères, en
déplorant la conception de la société selon laquelle
« la mère est fondamentale, le père étant la
cerise sur le gâteau ». Pour l'association la plus
ancienne, le NMCP, son représentant note l'absence d'évolution
depuis trente ans concernant la situation des pères au regard des
procédures de divorces et des décisions et applications du mode
de garde des enfants : l'inégalité demeure au
détriment des enfants privés de la présence de leurs
pères. Tous insistent cependant sur le fait que leur combat n'est pas
positionné contre les femmes, et expriment leur volonté à
ne pas stigmatiser les femmes mêmes s'ils déplorent le fait
qu'elles puissent abuser de leur position de force au détriment des
pères, et surtout insistent-ils , des enfants. Ainsi, malgré
l'ouverture affichée des associations vers les parents hommes ou femmes,
les femmes qui se dirigent dans ces lieux, pour elles mêmes, demeurent
forcément minoritaires, mais elles existent néanmoins : Il
peut s'agir de la nouvelle conjointe du père demandeur, qui
l'accompagne, mais aussi de mères se trouvant dans la situation du
parent dépossédé de ses enfants, dans une
problématique plus généralement rencontrée par le
père, notamment à l'association MCP. Parfois, une femme peut
être en demande de responsabilisation à l'adresse du père
envers ses enfants, ou tout simplement en demande de conseils sur la meilleure
attitude à adopter dans le conflit qui l'oppose à son conjoint,
sous tendu par des procédures judiciaires. Cette demande s'accompagne
par ailleurs d'une volonté à ne pas envenimer le dit conflit, et
préserver la place du père, permettant d'expliquer la
démarche pour une femme de s'adresser à ce type d'association
s'affichant pour la condition paternelle. Tout comme les hommes reçus,
elle peut d'ailleurs être amenée à accueillir après
l'avoir été elle-même, se plaçant alors en tant que
parent conseil, sans considération de la différence de genre, ce
que j'ai pu observer à l'association MCP, par exemple. A l'association
SOS papa, des grands- mères adhérentes, qui participent par
ailleurs à l'accueil, relèvent les méfaits de l'action de
certaines féministes, qui auraient contribués à exclure
les pères dans un mouvement extrémiste, refusant d'aller dans le
même sens, l'association se défend d'un certain sexisme.
Le président de l'association JPPP, estime quant
à lui que leur combat se situe justement dans la continuité du
féminisme. « Le pendant en matière
d'inégalité des femmes, c'est celle des pères dans la
famille. Le combat est de terminer la révolution
féminine. » Il souligne néanmoins qu'il demeure
difficile de mobiliser les hommes, même ceux qui viennent à
l'association. Ils ne souhaiteraient pas toujours assumer leur
paternité, estime t il, et viennent ainsi pour certains d'entre eux
chercher des conseils pour perdre le moins possible financièrement. Et
de préciser cependant que ces pères, dans ces cas là, ne
reviennent pas, quand ils ne sont pas prêts à modifier leur
comportement, ce sur quoi travaille l'association. Le président de
l'association évoque le cas de pères qui se présentent
alors que la mère de leurs enfants, investie professionnellement, avait
pour un temps, laissé une place égale au père. Elles
changent ensuite d'avis en entamant cette fois une procédure, à
cause du regard culpabilisant de l'entourage les désignant comme de
mauvaises mères. Pour l'avocate de la même association, dans le
système actuel, inégalitaire pour les pères en cas de
séparation, les femmes sont maintenues à une place de mère
au foyer, selon un schéma contre lequel ont lutté les
féministes. De plus, contre l'intérêt des enfants, la
mère occuperait ainsi le mauvais rôle par son omniprésence,
telle un « parent fouettard », alors que le père ne
peut tenir celui d'autorité. Les associations font par ailleurs le
constat du peu de mobilisation des pères en France comparé aux
mouvements des femmes. Et une mère adhérente d'association,
déplore quant à elle qu'un lien ne puisse se faire entre les deux
mouvements.
A côté des militants, adhérents actifs des
associations, qui assurent les permanences d'accueil, animent les tours de
table, et régulent les débats, d'autres adhérents,
pères ou mères parfois, quand ils arrivent les premières
fois dans ces associations, présentent un certain profil, ont des
attentes, expriment des demandes. Je me suis donc intéressée plus
particulièrement au discours de ces personnes pour mon étude, les
représentants interrogés par ailleurs l'ayant été
plutôt sur les objectifs travaillés dans les associations, mais
aussi, grâce à leur position de recul lié à leur
ancienneté, sur leur vision du public reçu.
Dans un premier temps, afin de mieux identifier ces parents,
la présentation du profil des pères au sein de ces associations,
va me permettre de mettre en évidence les aspects de convergence et de
divergence de la population reçue dans ces lieux d'accueil.
CHAPITRE 5 Profil et
discours des pères dans les associations
Les premiers éléments relevés lors des
permanences sur l'ensemble des trois associations, parmi les parents
reçus, sont la diversité de leurs origines socioculturelles,
ensuite dès l'exposé de leur situation, le fait que tous vivent
une séparation de couple conflictuelle, qui se manifeste à
différents niveaux- la notion de conflit est tout à fait
déterminante pour ce public particulier- et enfin qu'ils se
révèlent, à l'écoute de leur vécu, comme des
parents ayant été investis auprès de leurs enfants
très tôt.
5.1. Une population
accueillie diversifiée
Les pères en effet qui s'adressent à ces
associations apparaissent dans l'ensemble de toutes catégories
d'âges et d'origine socio professionnelle variées. D'origines
géographiques diverses, ils peuvent venir de province, parfois de
l'étranger. Cependant, les associations, qui ne tiennent pas de
statistiques sur le profil des personnes reçues mais conservent les
fiches d'inscription, relèvent selon leur implantation, une
prédominance de catégorie sociale, comme pour « SOS
PAPA » situé dans le XVème arrondissement. La
population reçue dans cette association apparait en majorité
composée de cadres, dont certains cependant peuvent se trouver au
chômage consécutivement à leur divorce, voire en situation
parfois très précaire, sans hébergement et avec des
minimas sociaux. Pour les autres associations, les profils semblent plus
variés. Sur le nombre total de personnes interrogées, si une
majorité relève d'une catégorie professionnelle de cadre
moyen et supérieur, j'ai néanmoins constaté lors des
permanences sur l'ensemble des trois associations, une plus grande
diversité socio professionnelle représentée. Pour la
grille des âges également, une prédominance logique existe
autour de 40,45 ans, mais on rencontre aussi des gens plus jeunes, trois
personnes interrogées ont 29 et 32 ans, alors que d'autres peuvent
être plus âgées, certains de plus de 50 ans, ou des
personnes retraitées qui gardent toujours des contacts avec
l'association MCP par exemple, plus ancienne. (tableau p.40)
Ils ont dans l'ensemble un ou plusieurs enfants, de toutes
classes d'âges. Ils ont connaissance de ces lieux d'accueils grâce
au « bouche à oreille », surtout par internet, ou
bien aussi grâce à la publicité par tracts, notamment dans
les commissariats pour SOS papa par exemple, et parfois adressés par des
professionnels, auquel cas le plus souvent des assistant(e)s de service social
d'entreprise, me communique l'association MCP. Pour les trois associations une
baisse sensible de fréquentation semble s'observer depuis quelques
années, l'explication avancée est celle du développement
d'internet, qui conduit les personnes à prendre des renseignements et
retarder la démarche concrète de s'adresser directement aux
permanences des associations. Si L'association SOS papa, plus
médiatique, conserve malgré tout un taux de fréquentation
un peu plus important, il n'en demeure pas moins que la fidélisation est
plus relative. Ainsi on pourrait imaginer que l'évolution du droit suive
l'évolution des moeurs et conduise davantage de pères à
s'impliquer, et à obtenir davantage la garde des enfants. La baisse de
fréquentation de ces associations viendrait alors témoigner de
l'inutilité du recours aux associations militantes. Or on constate d'une
part à travers les témoignages, qu'il demeure difficile pour des
pères qui le souhaitent d'obtenir la garde de leurs enfants, d'autre
part les statistiques confirment qu'en majorité dans les cas de
séparation, les enfants vivent en résidence principale chez leur
mère. Ce qui laisserait supposer qu'il s'agit d'une situation
majoritairement acceptée, mais quand elle ne l'est pas, les pères
rencontrent de grandes difficultés à obtenir cette place.
Ainsi ces premiers éléments viendraient
refléter, telle qu'elle est décrite par les auteurs de sociologie
de la famille, la prédominance d'une représentation
traditionnelle des places parentales chez les hommes comme chez les femmes,
confortée par les institutions qui maintiennent le mode classique de
garde des enfants (quand les pères revendiquent cette place.) Je vais
pour cette étude m'attacher plus précisément à ce
que nous témoigne la spécificité du public de pères
dans ces associations.
5.2. Des séparations
de couples conflictuelles
Ces associations ne proposent pas une aide directe au
traitement de conflit de couple ou des services de médiation
familiale, même s'ils préconisent fortement pour certains cette
orientation. Cependant, elles reçoivent des parents qui sont tous dans
la situation d'être séparés, en cours ou non de divorce,
mais toujours avec la demande d'intervention judiciaire concernant la
résidence des enfants. La particularité en effet des personnes
reçues dans les associations est de vivre une situation de
séparation conflictuelle, la durée de vie commune du couple
pouvant être variable, voire parfois quasiment inexistante comme parmi
les personnes interrogées, pour les trois plus jeunes que sont Vincent,
Julien, et Lucien.
5.2.1. Le conflit parental dans
la séparation de jeunes pères
Des nuances ainsi apparaissent dans l'échantillon par
rapport à l'âge des pères, entre les jeunes trentenaires,
et les autres. Ces trois pères en effet présentent la
particularité de ne pas avoir vécu en couple. Il ne s'agit donc
pas pour eux comme pour les autres d'un conflit lié à la
séparation d'une vie de couple, même si dans cette situation
également, il est bien question d'un conflit du couple
parental :
« Ça fait longtemps que je ne suis plus
contre elle, alors qu'elle elle est encore contre moi, elle se bat contre moi,
et elle utilise les enfants pour ça, et je pense qu'elle est
persuadée que j'en ai rien à faire de l'enfant et que je me bats
contre elle, pour lui faire mal à elle. » (Vincent)
L'un d'entre eux, Lucien, n'est pas encore père, mais
en attente d'un enfant ; quant aux deux autres jeunes pères
interviewés (Vincent et Julien), ils expriment le sentiment d'avoir
été utilisés par leur compagne pour avoir un
enfant :
« En fait cet enfant là était plus
ou moins une erreur de notre part. De ma part il n'était pas
désiré, de sa part, il était
plus désiré, mais c'était plus manipulé de sa
part. Elle, elle avait tout programmé.
Je me suis en fait retrouvé devant le fait accompli, et
elle m'a fait tellement un travail sur moi de façon que je reconnaisse
l'enfant. Parce que c'est vrai que pendant des années je désirais
avoir un enfant, et du fait que c'est arrivé, je me suis dit, même
si ce n'est pas désiré de ma part, j'aurai
préféré avoir un enfant dans d'autres conditions, et les
choses étant ce qu'elles sont, j'ai dit, je ne vais pas renoncer
à cet enfant parce que c'est mon enfant, il a besoin de moi en tant que
père, et il ne mérite pas ça. Et donc le jour où on
a appris qu'elle était enceinte, c'est ce jour là qu'elle a
décidé de me mettre
dehors. » (Julien)
« Pour mon enfant, c'était une grossesse
non désirée, j'ai pas du tout suivi la grossesse en étant
très en colère contre la mère [...] Je lui ai
demandé l'avortement, et un mois et demi après, elle avait pris
sa décision de le garder. Et puis nous étions un couple
très jeune, elle vivait à Nancy à l'époque, et donc
on n'a jamais vécu ensemble sauf les WE [...]
Je l'ai quitté au bout d'un mois et demi où elle
avait enfin pris sa décision, et je n'ai quasiment pas suivi la
grossesse. Elle m'a fait plein de chantages, et j'ai vu mon fils pour la
première fois quand il avait 4 mois, je l'ai reconnu pendant la
grossesse, grâce justement à une association de mères
célibataires, que j'ai trouvé en cherchant avec les mots
clés, « enfant dans le dos ».
Maintenant, à l'association je me bats pour le
voir. » (Vincent)
Ils réagissent alors par la volonté de
s'impliquer, à travers une remise en question sur eux-mêmes, et le
fait de se projeter dans la paternité :
« Moi, cet enfant, le premier jour où je
l'ai vu, c'était un coup de foudre, c'était évident, en
rentrant en voiture, j'ai pleuré pendant trois heures..
Ça m'a fait évoluer, cette histoire, ça m'a
fait faire un bond, un travail sur moi-même, des choses que je n'arrivais
pas à dépasser, que je ne comprenais pas. J'ai compris
pourquoi je suis tombé sur cette femme là, pourquoi, je n'ai pas
pu, cet enfant je ne peux pas
l'abandonner. » (Vincent)
« En tant que bon père, j'estime, je
ferai tout quitte à ce que moi, je donnerai ma vie pour mon enfant, et
cela jusqu'à la fin de mes jours [...] J'ai dû lui donner de
l'argent pour voir mon fils, et puis acheter des vêtements, de la
nourriture, pour que je puisse avoir un droit de visite d'une heure sur mon
fils... Avoir un terrain d'entente, pour F, mes
droits de visite et de contribution parentale, c'est normal, c'est mon enfant.
Je l'ai vu trois fois, en trois fois, je l'ai vu 4 h. Pour moi, il me manque
énormément, j'en fais des déprimes.» (Julien)
« Je me renseigne où en est la grossesse,
où elle en est physiquement aussi, parce que quand une femme attend un
enfant, il y a un ressenti, j'essaie de savoir comment ça se
passe ; Quand on est séparé, c'est vrai qu'on n'a pas la
femme à côté de soi, on ne voit pas le ventre prendre de
l'ampleur, je suis privé de tout ça, je sais que ce sera un
manque, mais j'essaie de savoir là où elle en est, je
l'accompagne autant que je peux, en tant qu'ex conjoint, dans sa grossesse.
Pour l'instant, je ne suis pas mis à l'écart du
processus. » (Lucien)
Un père interviewé, impliqué par ailleurs
dans l'association, résume à sa façon les situations
conflictuelles des pères qui se présentent :
« Il y a aussi le fait d'aller devant un juge,
car il y en a qui se séparent sans problèmes, ils font tout
à l'amiable, et puis du jour au lendemain, parce que quelqu'un revient
dans la vie sociale, ça met le grain de sable, ils vont voir le juge et
ça finit en « eau de boudin ». Il y a le facteur
baby blues aussi. Il peut arriver qu'une mère ait le baby blues et puis
du jour au lendemain, elle s'en va. Le père, il ne comprend pas, il n'y
a plus de mère. Après la naissance, vous avez des mères
qui partent avec leur enfant, on ne sait pas pourquoi, et le père, il
est là, il est au milieu, et il se demande pourquoi il est là. Et
puis vous avez aussi des pères géniteurs ;
c'est-à-dire la femme trouve un homme, se fait faire un enfant, et
après, elle disparait. Et en général, c'est les plus
virulents, ces pères là, parce qu'ils savent qu'ils ont quelque
chose à eux, et ils veulent le récupérer, et ils sont les
plus virulents dans le sens où ils ont été
bafoués. » (Pierre)
Parfois séparés ou divorcés depuis
plusieurs années, le conflit peut être ravivé suite
à un changement de situation :
« On s'était mis d'accord pour tous les
WE, à l'amiable, et puis petit à petit, je ne l'avais plus le
WE. J'ai alors demandé à faire une
requête, et quand j'ai eu un dialogue avec le greffier, il m'a dit il
faut faire une requête, et je lui ai dit, si elle ne veut pas la faire,
alors il m'a répondu, ça ce n'est pas notre problème,
c'est à vous de vous arranger ; Quand vous avez un mur en face de
vous, vous faites comment ? » (Pierre)
Une rivalité qui apparait souvent consécutive
à un déménagement de la mère.
5.2.2. L'éloignement
géographique originaire du conflit
La problématique de l'éloignement
géographique apparait en effet assez déterminante dans les
conflits évoqués par l'ensemble des pères accueillis, et
sur les quinze pères interrogés, cette question est
rencontrée par huit d'entre eux. Il est difficile alors de mesurer si le
conflit est à l'origine du départ de la mère, ou si le
passage à l'acte pour des raisons diverses, motivé ou non, va
brusquement faire surgir un conflit pour le couple parental ; l'autre
parent réagissant alors par
la « judiciarisation » du règlement de la
séparation. Quoiqu'il en soit, il est important de souligner le fait que
dans les situations de conflit conjugal et/ou parental,
l'éventualité pour le père de partir avec l'enfant ne se
pose pas, sauf cas extrêmes, contrairement à la mère. C'est
ainsi que la concrétisation de la séparation du couple, qu'il y
ait éloignement ou pas, s'organise dès le départ avec la
configuration d'un seul parent gardien, en l'occurrence la mère. Le
père s'autorisant alors ou se laissant autoriser, par l'autre parent ou
l'institution, des droits de visite. Ce qui conduit à délimiter
le débat sur l'égalité parentale,
précisément pour les couples séparés, autour d'un
élargissement de droits de visites pour l'un des parents, le plus
souvent le père, jusqu'à éventuellement une
répartition égale du temps. Il s'agira alors de la mise en place
d'une « résidence alternée », qui quand elle
est controversée s'appuie sur des arguments relevant de
l'équilibre de l'enfant, mis à mal, à tord ou à
raison. Ainsi, le fait de convenir qu'un des parents, occupe une place plus
« naturelle » ou plus indispensable auprès de
l'enfant, que l'autre parent, tend à déplacer le discours sur
l'égalité, qui serait l'égalité de
quoi ? pour reprendre la question d'Amartya.Sen. Ce qui dans cette
optique, impliquerait de savoir si le problème doit être
abordé en terme d'égalité, ou bien s'il s'agit de
préserver le rôle de chacun à sa place qui lui est
conférée.
En rapport avec ce contexte d'autorisation à visiter
son enfant, le conflit est tel dans certains couples, que les pères se
trouvent dans la situation d'obtenir des droits de visite uniquement
accordés dans des « points rencontres ».
5.2.3. Les conflits donnant
lieu à des visites dans des points rencontre
Certains pères rencontrés se trouvent dans la
situation d'exercer leur droit de visite auprès de leurs enfants dans ce
qui est appelé des « points rencontre. » C'est ainsi
le cas pour trois des personnes interrogées. Il s'agit d'une orientation
prononcée par le Juge aux affaires familiales, pour des visites
médiatisées ou non, organisées dans des lieux neutres
proposés par des associations. Les pères concernés
expriment alors le sentiment de vivre cette situation comme une punition. Pour
François, cette décision fait suite à des accusations
d'attouchement sur les enfants, de la part de sa conjointe à son
encontre, qui ont été classées sans suite. Pour Vincent,
le point rencontre est proposé pour créer des liens avec son
enfant qu'il n'a pas vu pendant six mois :
« Etant donné que je ne l'ai pas vu
pendant 6 mois, et étant donné que je n'ai pas suivi la
grossesse, je suis puni de ça, je dois le voir au point rencontre 3
heures 2 fois par mois, à Pau, pendant 6 mois. Le point rencontre pour
recréer les liens.» (Vincent)
Pour Etienne, qui s'adresse par ailleurs à une autre
association, contre l'aliénation parentale, l'organisation des visites a
été prononcée au point rencontre pour ses deux filles,
après avoir été, estime t il, écarté
d'elles :
« Son objectif, c'était de
m'écarter de mes enfants, j'ai même été
accusé d'attouchements. Je suis passé à
la BM (brigade des mineurs), et ça s'est bien passé, c'est
à dire classé sans suite, mais ça n'empêche que je
ne les ai pas eus du tout parce que Mme a eu peur d'un rapport d'expertise qui
disait que Mme était toute puissante. Et un an après, j'ai
réussi à saisir un juge pour enfants, pour que je puisse enfin
les revoir, quitte à ce que ce soit dans un
centre. »(Etienne)
Ils maintiennent alors ce lien sans grand espoir
d'évolution, mais cherchent le soutien nécessaire dans les
associations de pères. Ils se reconnaissent dans la situation qu'ils
vivent comme des victimes d'une machination judiciaire et de la manipulation de
la mère :
« Pour l'égalité c'est difficile
je suis en position de défense, car moi en réalité je vois
mes enfants dans un point rencontre. La situation,
j'ai du mal à la voir évoluer positivement, dans un proche
avenir.. Je n'ai pas pu me défendre,
dès lors qu'on essaie de se défendre chez un JAF, il y a conflit
parental, il y a conflit et on finit dans un point rencontre [...] Je n'ai
aucun espoir que cela change car la justice ne comprend pas et n'a pas les
moyens de comprendre comment cela fonctionne [...]
Elle est dans le domaine de l'aide sociale de l'enfance, d'où la
difficulté que cela change. Je ne peux pas les avoir en vacances,
à l'école, je ne peux pas avoir d'informations sur le dossier
médical, elle me n'en donne pas. J'ai l'autorité parentale mais
en fait cela ne me sert à rien. Je n'ai pas de possibilité
d'avoir des nouvelles de mes enfants, je ne les appelle pas parce que sinon
c'est conflictuel. J'ai perdu ma place de
père. (François)
Elle avait l'objectif, c'était de m'écarter
de mes enfants, se venger de l'avoir quitté
[..], donc tous les intervenants autour des enfants,
ils sont manipulés, aussi, soit par la situation, soit directement par
la maman [...] Les premiers mois, j'ai imposé
les choses, de voir les filles à notre ancien domicile, sous le
contrôle de madame. Tant que j'étais sous son contrôle, et
vu qu'elle ne pouvait pas m'opposer de ne pas les voir, elle était en
porte à faux, donc elle a dit ok, mais dès lors qu'il fallait que
je prenne mes filles et que je m'en aille, c'était non [...]L'expertise
dit que madame va un peu loin, que monsieur est instable, sensible, qu' il
n'est pas très costaud, mais qu' il n'y a rien qui l'oppose à
être papa. Je pense que ce rapport lui a fait peur et au moment où
il est tombé, pendant deux mois elle a préparé sa plainte
pour attouchements. Le centre, il est nul, les psys
sont aussi psy que moi je suis prêtre, dans le sens où moi je suis
innocent et ils n'utilisent pas cette innocence, ils laissent un doute planer
[...]J'ai parlé de la manipulation de la maman, et elle est toujours
présente à l'étage au dessus ; donc j'ai
demandé à ce qu'elle quitte les lieux, pas contre elle, mais pour
pas qu'il y ait cette influence persistante (Etienne)
Il peut parfois s'agir de cas extrêmes, pour lesquels
comme dans la situation de Michel, celui-ci rapporte ne pas être entendu
par les institutions quand il relate un comportement de maltraitance de la part
de la mère, décrite comme dépressive, envers les
enfants :
« J'ai rencontré beaucoup de
difficultés pour me faire entendre par pas mal de services sociaux. Par
le 119, SOS enfance maltraitée ; le 119 m'a écouté,
mais ensuite les assistantes sociales sont venues et ont pris plutôt
parti pour la maman, et se sont fait manipulés. Ensuite
j'ai eu des soucis par la police parce que j'ai essayé de faire
hospitaliser la maman, car elle mettait en danger le
bébé. »(Michel)
Quelque soit leur vécu, les personnes
rencontrées dans les associations disent subir une injustice, expriment
le fait de n'être pas compris, et font part d'une situation
d'isolement.
5.3. Un sentiment de
destruction
Ils arrivent ainsi pour la quasi-totalité d'entre eux
dans un contexte de procédure de séparation, conflictuelle, et
apparaissent désemparés. L'expression d'une souffrance et d'une
grande solitude transparait dans leur récit au cours des permanences, et
lors des entretiens enregistrés pour mon enquête. Rarement
générateurs de la décision d'un divorce ou d'une
séparation, ils se présentent placés dans une position de
victime, avec le sentiment d'être confrontés à une
volonté adverse de les détruire, de supprimer le
père :
« Elle préfère me détruire
que de me perdre, et quitte à utiliser l'enfant [..], elle veut
le manger, quoi, c'est son enfant pour elle toute seule, et elle veut me
détruire en même temps, avec
ça. » (Vincent)
« On n'est pas trop écouté, en
fait. Au jour d'aujourd'hui, je ne suis pas écouté, on n'est pas
entendu [...] J'ai reconnu mes enfants mais au point
rencontre j'ai appris que les enfants s'appelaient du nom de la mère.
Ils portent mon nom, mais la mère leur dit que c'est son nom à
elle qu'ils doivent porter. Le but c'est de tuer le père, c'est
clair. »(François)
« Les visites au point rencontre, deux
fois une heure par mois. C'est lamentable, et c'est très dur. C'est
assez humiliant déjà, vous ne pouvez pas être papa
normalement, vous êtres regardé, il y a plein de
monde »(Etienne)
« Comme je lui ai écrit, tu veux
éradiquer la présence du père, c'est la méthode. Le
but ultime, j'ai compris, c'est que j'existe le moins possible. Elle a un
nouveau mari, moi je suis le passé, il faut effacer le passé. Un
collègue ici m'a dit, tu es la dernière aspérité
qu'il convient de gommer »(Martin)
Très affectés par leur condition subie de parent
séparé, ils dévoilent l'état dans lequel ils se
trouvent par des représentations physiques d'amoindrissement :
« La 1ère étape, c'est
quand vous arrivez, on vous dit que vous avez le cancer, la
2ème, on vous explique tous les traitements, comment
ça va mal se passer, vous allez avoir mal, on va vous amputer d'une
partie de vous-même, parce que moi, c'est ça, on m'a amputé
d'une partie de moi-même, je ne voyais plus ma fille[...]Elle m'a
réassigné, c'est reparti, là j'étais mal, on s'en
sort plus, j'ai vu le côté on s'en sortira jamais. Je commence
à comprendre, quand j'avais ma jolie résidence alternée et
que je venais ici expliquer aux autres, c'était facile, j'avais une
belle vie, j'étais dans un standard. Il y a un discours qui est facile
qui est celui du bien portant, qui parle des malades ; là je me
suis rendu compte que la maladie m'avait atteint, et que j'étais en
train de partager cette expérience là, plutôt que le
thérapeute qui explique aux gens qui sont pas bien que ça ira
mieux demain. »(Martin)
Parallèlement à ces situations de conflit et
d'isolement vécues par les pères rencontrés dans les
associations, ceux-ci reconnaissent avoir été
particulièrement investis auprès de leurs enfants en bas
âge, et vivent d'autant plus difficilement ces séparations. Ainsi
se dégage chez les parents reçus dans les associations comme ceux
interviewés, un profil de pères investis dans les soins
quotidiens des enfants dès les premières années.
5.4. Un investissement
paternel dès le plus jeune âge
Les pères qui viennent, sont ceux qui veulent tenir
leur rôle de parent, me rapporte un président d'association. Ils
sont souvent plus impliqués que d'autres au quotidien avec leurs enfants
avant la séparation. Ou bien il s'agit de pères moyennement ou
peu impliqués à cause de leur travail, et qui découvrent
ensuite avec stupeur la dure réalité, quand ils sont exclus comme
parent après la séparation de leur couple.
J'ai pu relever chez les hommes qui font la démarche de
s'adresser aux associations de pères, que beaucoup d'entre eux confient
s'être occupés de leurs enfants au quotidien, et parfois
s'être investis dès le plus jeune âge, témoignant
d'un lien d'attachement précoce à l'enfant :
« Je veux assurer les finances, je veux assurer
sa scolarité, je veux assurer son bien-être, je veux assurer le
pouponnage. C'est pour ça, nous on dit, pouponner, ça se dit au
masculin, et pas que au féminin. C'est normal, aujourd'hui on est au
XXIème siècle, on évolue. Pour moi, les facteurs travail,
la société professionnelle qui empêche d'avoir un
équilibre avec son enfant, c'est un déchirement. Quand je ne peux
pas assumer mon enfant, je ne suis pas bien, pendant une semaine, je ne suis
pas bien. Et mon fils n'est pas bien non plus parce qu'il a besoin de moi, il
le ressent. Et sa mère m'appelle pour me dire viens le chercher parce
qu'il est intenable, il a besoin de toi. La société dit
qu'un nourrisson, on ne peut pas l'arracher à sa mère trop
brusquement. Il est vrai que là-dessus, moi, un enfant, mon fils, quand
il est sorti du ventre de sa mère, ce n'est pas sa mère qui l'a
vu en premier, c'est moi. Et, pour l'anecdote, mon fils pleurait, je l'ai pris
dans mes bras, je lui ai parlé, et je lui ai dit : pleure pas mon
garçon, c'est papa. Il s'est arrêté de pleurer. Moi, j'ai
fait le travail au préalable. Quand elle l'avait dans son ventre, je lui
parlais. Mais moi, naturellement, je suis très proche des
enfants. » (Pierre)
« Avant qu'il y ait la séparation
j'étais très présent auprès des enfants,
j'intervenais à la fois sur les tâches quotidiennes, les faire
dormir, les laver. Naturellement j'ai un très bon contact avec les
enfants, les petits. Ils viennent me chercher pour jouer [...] Il fallait que
je fasse tout il fallait à la fois que je surveille les enfants et que
je fasse les travaux dans l'appartement. » (François)
« C'est moi qui m'occupais des enfants, on avait
fait comme ça, elle avait un boulot, elle rentrait tard, c'est toujours
moi qui me suis occupé des enfants, depuis tout petit, elle rentrait,
elle n'avait rien à faire, tout était fait, la cuisine, les
enfants prêts, la maison rangée, le ménage fait..,
quand elle l'allaitait, il y avait des fausses routes, c'est moi qui me
suis réveillé, elle a jamais entendu. Je donnais le biberon, je
me levais. » (Valentin)
Ils relèvent le fait qu'ils sont en capacité de
tout assumer comme une mère, sans être envahissant, et se posent
ainsi en concurrence éducative avec l'autre parent :
« Mes enfants quand ils étaient petits,
ma fille je la prenais le WE, j'assumais tout, et j'aurais pu assumer tout
aussi bien, tu vois on a trop tendance à donner aux mères parce
que les mères sont trop possessives de garder l'enfant, comme si je ne
pouvais pas m'en occuper tout seul, alors que j'ai prouvé que je peux le
faire. Mais moi, je fais la vaisselle, à manger, je me
débrouille tout seul avec eux quand ils sont avec moi. Quand je les ais
une semaine tous les deux, ou même trois semaines de vacances, ça
ne m'a jamais posé de problèmes ça ; le rangement,
coudre un bouton. Je vois ma fille, elle se débrouille toute seule, je
n'ai rien à dire. Mon fils, il faut que je sois derrière, mais
aussi sa mère lui fait tout, ça ne va pas. Avec moi, ce n'est pas
ça, j'essaie de les rendre responsables »
(Jacques)
« Cela me semble normal que les pères
fassent la cuisine, qu'ils aillent chercher les enfants, qu'ils s'en occupent,
qu'ils passent du temps avec les enfants, qu'ils leur racontent des histoires,
qu'ils les bercent qu'ils donnent le biberon à leur bébé,
qu'ils changent les couches, jouent avec les enfants, les câlinent.
Même à l'époque où j'avais un WE 1, 3,5, un mercredi
sur deux, je me suis rendu compte que j'étais le parent que mes enfants
voyaient le plus. Je passais plus de temps, car mon ex prenait des baby
sitters[...] Moi je parlais à mes
bébés quand ils étaient dans le ventre de leur
mère, et je parlais avec des sons graves, et ma fille, j'ai
continué à lui chanter des chansons graves, à mon fils
aussi, et ils ont immédiatement reconnu mes sons
graves. » (Michel).
Ainsi au-delà du fait de s'en occuper dans les
tâches quotidiennes, ces pères révèlent avoir
participé à l'acte de naissance de leurs enfants. D'où le
ressenti d'un lien d'appartenance qui pourrait apparaître autant
déterminant dans l'attachement précoce qu'un lien charnel
vécu par la mère :
« Je travaillais beaucoup mais comme
j'étais chef d'entreprise, l'avantage que j'avais c'est que je me
donnais mes horaires, et que j'amenais mes enfants à l'école,
j'allais les chercher le soir, je m'occupais d'elles, car mon ex conjointe
faisant du sport à haut niveau, donc j'étais très
très proche [...] Il faut savoir que
la première je l'ai mis au monde. La seule chose que je n'ai
pas fais, c'est couper le cordon, les pompiers sont arrivés
après. La deuxième, elle a failli naître chez mes parents,
à dix minutes près, j'ai eu le temps de l'amener à
l'hôpital. La troisième, on s'est dit on va agir autrement, et
là on a provoqué un déclenchement, et là j'ai
passé 24 h de ma vie où j'ai eu l'impression que j'allais perdre
ma compagne, on est tombé en plein conflits sociaux dans
l'hôpital, il n'y avait personne. »
(Patrick)
Et même si les soins au quotidien ne sont pas un
réflexe pour eux, ils le font si leur compagne leur demande, et
témoignent d'une volonté de participation et de présence
auprès des enfants :
« Sur mes trois
enfants depuis tout petit je me suis occupé d'eux, je les changeais, je
les faisais manger, les amenaient à l'école. Elle ne travaillait
pas mais elle avait cette idée que toutes les charges soient
partagées. C'est elle qui me le demandait, très honnêtement
si cela n'avait pas été le cas je l'aurais laissé
faire. Mais je le faisais sans problème et les
moments où j'étais tout seul avec eux, je le faisais de toute
façon. » (Léon)
« Pour l'école, moi je conseille aux
parents, s'ils sont proches du lieu de scolarité de leurs enfants,
qu'ils aillent dans les assemblées, les réunions de parents
d'élèves, pour connaître le cursus scolaire des enfants,
des idées, des contacts avec les autres parents. Il faut être en
contact. Moi j'ai toujours été présent, au
courant. » (Jean)
Une personne néanmoins parmi les pères
interviewés reconnait avoir été pendant la vie commune
surtout investie dans son travail, et c'est la séparation qui l'a
rapproché de son enfant, bien qu'il vive à 400 km :
« Avant, j'étais un type qui allait au
match le samedi soir au parc des princes, une fois sur deux, j'étais
beaucoup à mon travail, maintenant je suis avec ma fille, je travaille
à temps partiel. Je travaillais 70h, maintenant je travaille plus que
25h, oui, ça a changé beaucoup de choses, c'est une nouvelle vie
[...] Alors, ma conception de la vie, j'étais attaché au mariage
tout ça, ça a explosé, plus rien. Et puis d'un
autre côté je me dis j'ai peut être une chance, au niveau du
temps de vie, pendant quelques années, je vais pouvoir profiter de ma
fille en prenant des vacances avec elle, ce que je n'aurais absolument pas fait
avant, avant je j'aurai travaillé, je la mettais au centre
aéré le mercredi.»
(Martin)
Pour les plus jeunes pères, ils n'ont pas
bénéficié de ce temps auprès de leurs enfants car
ils ont été séparés dès la naissance, mais
expriment pouvoir être à l'aise dans ce domaine :
« Pour moi, ce qui est important
déjà, c'est être consulté pour sa santé,
consulté pour sa scolarité, informé et
consulté. Je n'ai pas eu d'informations sur sa santé
pendant six mois. C'est une punition que de ne pas
l'avoir vu pendant six mois. J'ai pris les devants avec le
pédiatre au point rencontre [...]Je me suis très peu
occupé au quotidien, j'étais plus
occupé à faire le ménage.
Et aussi par crainte de mal faire, je n'ai jamais
changé la couche, jusqu'à il y a quelques mois, en fait, les
visites au point rencontre ; ça s'est très bien
passé, mais c'est aussi par appréhension, de mal
faire. » (Vincent)
Ainsi, malgré la diversité du public accueilli,
ces éléments pourraient laisser supposer que les pères qui
en appellent aux associations militant pour l'égalité parentale,
les pères « volontaires », selon le terme
utilisé par Christine Castelain (Castelain Meunier, 2002), soient
représentatifs d'un certain profil de pères,
particulièrement impliqués. Par ailleurs, que ce fait soit
l'indicateur d'une évolution sociale plus générale ne
semble pas acquis dans la mesure où la fréquentation dans les
associations ne varie pas de façon sensible, ce malgré le
pourcentage important d'enfants confiés à la mère suite
aux séparations conjugales11(*). Cependant en mettant en parallèle les
études sur la mise en évidence d'une évolution
générale des pères dans l'investissement aux soins du
bébé, notamment par la prise du congé
paternité12(*), le
profil de ces pères ne ferait que refléter une
réalité sociale en transformation ; sans compter que les
associations militantes ont-elles mêmes participé à
l'élaboration de cette loi sur le congé paternité. A
partir de l'observation du profil de ces pères, on peut néanmoins
relever, que les divorces et séparations, qui non seulement augmentent
mais interviennent de plus en plus tôt dans la vie conjugale, font
apparaitre l'existence de parents de nourrissons, séparés, voire
avec absence de vie conjugale. Ainsi ces jeunes pères qui semblent
former un public nouveau dans les associations militant pour
l'égalité parentale, apparaissent comme un indicateur possible
d'une évolution sociale de la famille, en cours. Grâce à
une étude plus approfondie auprès de cette population de
pères, il s'agirait alors d'apporter un éclairage plus
significatif de l'évolution des rapports hommes femmes dans
l'organisation des rôles parentaux.
Concernant ces profils de pères, un adhérent
actif que j'ai interrogé sur le fonctionnement de l'association me
présente les situations de la façon suivante:
« 100 % des pères qui passent la porte
chez SOS papa sont des pères qui se sont occupés de leurs enfants
et qui ne comprennent pas pourquoi la justice leur met des bâtons dans
les roues, pour voir leurs gamins. Il s'agit de pères investis dans la
mesure où ils poussent la porte mais beaucoup sont dans leur cas et ne
feraient pas cette démarche, parce qu'ils ne sont pas assez
motivés pour s'occuper de leurs enfants et malheureusement cela reste la
majorité des pères. Mais les pères qui eux, veulent avoir
une place et un rôle à jouer dans la vie de leur enfant,
malheureusement ils paient les pots cassés pour ceux qui ne veulent pas
s'en occuper, car la justice amalgame beaucoup en fait, et se dit que si les
pères en majorité ne s'occupent pas de leurs gamins, ce sont tous
les pères à priori, comme si la fonction paternelle
n'était pas une fonction vitale dans le fonctionnement de la famille. Et
c'est là qu'ils se trompent parce qu'il y a une partie de la population
de pères qui sont très investis dans la vie de leur enfant. Et
quand ils se séparent c'est un clash terrible. »
Ainsi les parents qui s'adressent aux associations de
pères militant pour l'égalité parentale ont des souhaits,
expriment des demandes. Je m'aperçois alors qu'au-delà de ces
demandes affichées, c'est l'expression de sentiments liés
à leur situation qui déterminent leurs préoccupations et
attentes.
CHAPITRE 6 Les attentes des
pères
La plus grande majorité d'entre eux sont en demande de
conseils juridiques, et de soutien. Ils disent vouloir être plus souvent
avec leurs enfants, voire pour certains pouvoir s'en occuper à
égalité avec la mère, mais restent imprécis sur
cette question. Confrontés à une procédure de
séparation de la part de leur conjointe, ils découvrent ensuite
avec stupeur des décisions de justice en leur défaveur.
Isolés, désorientés par ce qui leur arrive, ils viennent
exprimer aussi une demande de partage d'expériences avec leurs pairs,
dans l'espoir d'être soutenus.
6.1. Conseils juridiques de
défense : une recherche de l'appui de la loi
Quand des pères s'adressent à ces associations,
ils sont en demande de conseils pratiques de défense, et sont le plus
souvent déjà engagés dans une procédure, dans la
majorité des cas initiée par la mère. Ils n'ont pas
toujours des questions précises cependant, et malgré le fait
qu'ils ont déjà pour certains un avocat, beaucoup d'entre eux
attendent un soutien avec la perspective d'obtenir une aide d'ordre
juridique :
« Venu la première fois à
l'association dans les années 80, 84, j'ai connu l'association par la
presse, et puis j'ai laissé et je suis revenu. Pour avoir un
appui, une aide, une épaule. Car j'ignorais le système
judiciaire. J'étais en cours de divorce. Je cherchais la solution pour
faire barrage à cette demande de divorce ; c'était mon
épouse qui faisait la demande de divorce. J'attendais une orientation,
une idée sur mon cas, de la part de gens qui avaient
l'expérience. » (Jean) « J'étais
sans solution, je voyais que je perdais mes enfants et que je n'avais aucun
moyen avec la justice actuelle.. je voulais me renseigner..
Je me suis dit, je vais apprendre des choses, connaître les tenants
et les aboutissants, voir des expériences de papas et en tirer
profit » (Etienne).
Anéantis par la nouvelle d'une demande de divorce ou de
séparation, ils ne comprennent pas ce qui leur arrive, même s'ils
vivaient une situation conflictuelle conjugale ancienne. On peut dire que dans
un état de stupeur face à ce qui leur arrive, ils se trouvent
dans une position d'inégalité où ils ont à se
défendre. Ils sont en effet dans l'inquiétude permanente de ne
plus voir leurs enfants, notamment du fait de l'éloignement
géographique possible de la mère, en étant suspendu
à ses décisions, avec l'idée qu'elle sera soutenue dans
une procédure qu'elle aura initiée. Ils peuvent être sous
le choc d'une séparation qu'ils n'acceptent ou ne comprennent pas dans
un premier temps, comme pour Martin :
« Elle est partie du jour au lendemain. Mon
couple allait mal, je suivais un début de psychothérapie
j'essayais de faire quelque chose, et puis je suis rentré entre midi et
deux heures, et il n'y avait plus personne, la clé était dans la
serrure, elle était en train de déménager. »
(Martin)
Dans leur premier contact avec l'association, ils sont parfois
plutôt effrayés que rassurés. A la fois par les situations
des autres pères, plus avancés dans leur parcours de rupture et
de procédure, et à l'écoute des informations
avisées données par les adhérents animateurs :
« Mes premiers sentiments, j'ai eu encore plus
peur en partant car je n'étais pas en procédure, je portais
toujours une alliance, dans ma tête j'étais marié et je
voyais des gens qui ne l'étaient plus, et je ne pouvais pas accepter
cette réalité là. Et quand j'ai adhéré, j'ai
dit non je ne passerai pas par là et j'ai dit à une avocate je ne
veux pas divorcer. »(Martin) Les pères viennent à
l'association après leur « première claque »
auprès du JAF, me confie un adhérent. Les témoignages et
conseils prodigués par les associations, aux pères qui se
présentent la première fois, tendent ainsi à les
bousculer :
« J'avais très peur des gens en
procédure. C'était très pénible
les premiers jours, cela m'a aidé à vider mon sac, Et les gens
ont commencé à me faire tomber de mon piédestal, et bien
les dernières marches, on m'a expliqué ce qui
allait m'arriver, que j'allais divorcer, que j'allais surement recevoir une
requête, car je savais qu'il allait se passer quelque chose, pas la
requête, mais la séparation .. Quand je suis revenu, le 8
aout, le 10 aout j'ai reçu la requête, et là j'ai compris
que ce qu'on m'avait dit ici, un mois et demi avant et bien voilà, je ne
voulais pas l'admettre mais ça allait se passer comme
ça. Et puis là elle m'a réclamé la
garde exclusive de la petite, x pensions etc. »,
(Martin)
La préparation au passage devant les tribunaux est un
point travaillé par les associations, qui soulignent le fait que les
pères, sûrs d'eux, pensent en arrivant devant le juge qu'il n'y
aura pas de problème, et qu'ils bénéficieront de l'appui
de la loi. Les associations soulignent le fait qu'être demandeur met
l'autre sur la défensive, car le demandeur est dans la position d'avoir
raison. Ce qui met le père en situation de culpabilité. Les
avocats, en conséquence, déplorent les adhérents,
conseillent pour la plupart de générer le conflit quand les
mères veulent couper le contact, sachant que le conflit
bénéficie au générateur de ce conflit, en
l'occurrence le plus souvent la mère. Aussi beaucoup de pères,
selon les représentants d'associations, sont conduits à formuler
des demandes en matière de conseils juridiques, et disent se trouver
« piégés ». Leur réaction à ce
moment là par rapport à leur situation de père n'ayant pu
obtenir la garde ou tout simplement des droits de visite, est de remettre en
cause leur avocat, choisi le plus souvent par hasard. La première
question qu'ils posent alors en venant s'adresser à l'association est la
suivante : « avez-vous, ou connaissez vous un bon
avocat. ». Désemparés, Ils sont ainsi dans la recherche
d'un appui de la part du « judiciaire », de la loi, qui
devrait, pensent-ils, les soutenir :
« Je suis venu donc pour avoir un bon avocat,
spécialisé, et j'ai pu apprendre tout ce qu'il fallait
faire.. Comment monter un bon dossier. Ma demande,
c'était de le voir, étant donné la distance, la
moitié des vacances et un WE par mois. »
(Vincent)
Si l'avocat de permanence n'a pas pour fonction de prendre en
charge leur dossier, il va néanmoins l'orienter, lui fournir les
explications qui lui font défaut, leur consacrer, me précisent
les adhérents, du temps que les avocats habituellement limitent en
raison du coût des consultations. Cette attente vis-à-vis du
judiciaire se manifeste par ailleurs à travers un lien fort qu'ils
éprouvent avec les avocats :
« Donc la première vie d'avocat, c'est
quelqu'un qui m'a tout appris sans faire de procédure, on a fait du
coaching, de la stratégie, comme elle disait, elle
était extrêmement forte là dedans.. Maitre T a bien
géré les choses, on a fait un peu de tactique, d'ailleurs on a
négocié un report, vous entendrez ça sans arrêt ici,
il faut reporter. » (Martin)
Pour certains ils attendent ainsi beaucoup des avocats,
même si dans les associations, les représentants,
familiarisés et devenus de véritables techniciens du
fonctionnement judiciaire, relativisent leur rôle. Les pères
accueillis sont quoiqu'il en soit dans une posture d'allié ou cherchent
à l'être, quand ce n'est pas avec un avocat, avec le connaisseur
affirmé du système judiciaire qui va les recevoir dans les
associations. Par ailleurs, les avocats sont aussi des rivaux, notamment quand
ils sont de la partie adverse, venant témoigner d'un combat
acharné quand les procédures sont enclenchées. Ce qui va
s'opérer alors, à travers l'aide apportée par les
associations, c'est tout un travail de réappropriation de leur dossier-
l'expression « avoir la main », « reprendre la
main », est souvent employée - Ainsi, se joue, dans
l'interaction, un travail de réhabilitation de leur place parentale,
d'une affirmation de leur place de père, comme nous le verrons par la
suite. « Le but dans les permanences c'est de les faire redescendre
sur terre, et de leur expliquer ce qui va se passer. Et de quelle façon
il va falloir qu'ils attaquent, qu'ils abordent plutôt, leur
procédure. Le plus important c'est qu'ils redescendent sur terre et
qu'ils sachent bien qu'il va falloir qu'ils travaillent sur leur dossier,
qu'ils présentent quelque chose au juge mais qui soit positif »,
m'explique un membre de bureau d'association. Ainsi la permanence devient un
espace de remise en question qui les met face à la réalité
de leur situation. Les associations constituent en cela un lieu
d'émancipation par l'apprentissage à la négociation.
Aussi, pour l'association MCP, qui n'offre pas de consultation d'avocats,
mais détient l'expérience et les connaissances des rouages
judiciaires, les réponses apportées, en dehors de l'écoute
et du soutien, relèvent de conseils techniques parfois très
précis, autour de stratégies à adopter. D'une part face
à l'institution judiciaire des tribunaux, qui englobe juges et avocats,
dans le but d'être le moins exclu possible de leur place de parent ;
d'autre part, comme nous le verrons par la suite, à l'adresse de la
mère de leurs enfants, afin que le conflit ne soit pas surenchéri
à leurs dépens, l'idéal pour certains militants
étant de tendre vers une médiation familiale.
« Elle me coupait sans arrêt les vacances,
j'en ai ras le bol, je ne pouvais rien prévoir ; alors donc j'ai
dit, je vais aller voir au tribunal. Et puis ma copine m'a dit, tu sais, il y a
une association, c'est comme ça que je suis
arrivé, la première fois[... ]le
problème, c'est que je ne voyais pas mon fils, et si je ne me
débrouille pas pour aller à Nancy, je ne le vois pas. Et au bout
d'un moment, j'ai dit ça suffit, je veux qu'un juge décide des
vacances, et j'ai bien fait car cela l'a fait
réfléchir. » (Jacques)
« Je voulais voir ma fille.. Je n'étais
pas d'accord pour le divorce, mais j'ai mis en place une résidence
alternée dès le lendemain de son départ. Donc je suis
arrivé ici pour avoir un conseil juridique et on m'a dit surtout, signez
tout de suite ça vaut de l'or, un accord amiable. »
(Martin)
Ainsi, ces hommes apparaissent
désarçonnés face à la procédure juridique
engagée par la mère de leurs enfants, leur aisance apparente dans
l'utilisation du système judiciaire, comme de celui des services
sociaux, et s'aperçoivent de leur impuissance même avec un bon
avocat. Il s'agirait donc dans un premier temps, quand ils s'adressent aux
associations de « reprendre la main » pouvant laisser
entendre parfois, l'idée sous jacente de retrouver une certaine
suprématie masculine dans le rapport de force engagé. De ce fait,
ils acceptent plutôt bien le principe de payer, qui les maintient aussi
dans une représentation de rôle masculin, et le proposent
eux-mêmes souvent avant même la décision du juge, mais le
rejettent, s'ils ressentent une exigence manipulatrice de la part de l'ex
conjointe :
« Moi, mon souci, ce n'est pas la
décision, c'est le fait que c'est injuste pour moi qu'on ne m'accorde
pas les enfants, je serais prêt à payer une pension alimentaire
pour voir les enfants. Je fais appel, je demande à payer une pension
pour les enfants. Là je paie déjà une PA, alors que Mme
gagne deux fois plus que moi. » (Valentin)
Même pour Lucien, qui n'est pas encore père, mais
en attente de l'être, il demande des conseils juridiques en vue
d'être plus armé pour affronter d'éventuelles
difficultés, mais ce qui laisserait entendre aussi qu'il se repose sur
le système judiciaire, l'institution, pour asseoir sa place de
père :
« Je suis venu pour une aide
juridictionnelle. Au moment de la séparation, quand il y a des enfants,
on ne sait pas toujours comment ça se passe, pour fixer un cadre, des
règles, pour une éducation séparée. Je voudrais
savoir comment ça se passe et m'assurer d'avoir un traitement
égalitaire, par rapport à la mère.
Déjà, en fait je ne sais pas du tout comment
ça se passe, est ce qu'il est nécessaire de passer devant un juge
ou pas, je cherche en fait des conseils d'ordre complètement
procéduraux, administratifs. Je ne sais pas comment on va devoir fixer
un cadre pour cet enfant. » (Lucien)
Ainsi, cette place de père ne serait pas acquise, dans
la mesure où il est admis socialement que la mère la
détient en priorité. L'institution est alors attendue comme un
soutien, ce qui explique, comme nous le verrons par la suite, ce sentiment
exprimé par les pères d'une institution déloyale à
leur égard. « Il y a à peu
près 50 % des séparations ou des divorces, dans la population
générale, qui se passent bien, mais c'est effectivement la maman
qui est moteur, la mère va avoir ce pouvoir, qu'on va lui donner, de
s'occuper entre guillemets beaucoup mieux des enfants que les
pères ; et cela ne se vérifie pas dans tous les cas,
malheureusement, il y a des enfants très malheureux qui vivent sans leur
papa. », m'explique un membre de bureau.
Si les pères ne demandent pas la garde alternée,
ce serait alors souvent parce que les avocats les en dissuadent. Et le
passage devant le juge se présenterait selon leur expression comme un
« va tout », où tout se joue en dix minutes.
Au-delà de leur demande de conseils juridiques face
à leur situation de séparation, ils sont en effet en
général dans une attente de voir plus souvent leurs enfants, ou
de les revoir car ils ne les voient plus, ou bien encore dans
l'inquiétude de ne plus les voir. Désarmés face à
leur situation, ils souhaitent dans l'idéal une résidence
alternée, et même si concrètement leurs demandes ne
s'expriment pas clairement, ils recherchent avant tout à retrouver un
libre accès à leurs enfants.
6.2. Le libre accès
aux enfants : une demande d'apaisement du conflit
Les pères qui s'adressent à ces associations ne
viennent pas directement pour une demande précise concernant le mode de
garde des enfants, sachant que cette demande se fait à l'adresse du juge
aux affaires familiales via les avocats. Mais ils ne comprennent pas ce qui
leur arrive, veulent en général voir davantage leurs enfants,
quand parfois ils ne les voient plus du tout. Ils expliquent alors que la
mère de leurs enfants, qui peut avoir déménagé avec
eux, mais pas toujours, ne leur permet pas, en tout cas, d'exercer leur droit
de visite, leur autorité parentale, Ces pères estiment de la
sorte être victimes du pouvoir des mères soutenues en cela par les
institutions. Leur demande d'une résidence alternée, est alors
évoquée plutôt comme un idéal, l'enjeu étant
celui de pouvoir voir, recevoir, et s'occuper de ses enfants, ce qui
nécessite par ailleurs d'apaiser le conflit de couple.
6.2.1. La résidence
alternée, un idéal
Soit ils bénéficiaient déjà d'une
résidence alternée à laquelle la mère de leurs
enfants met un terme concrètement, par l'éloignement par exemple,
ou du fait d'une nouvelle vie de couple, (avec éventuellement d'autres
enfants), ces deux éléments étant souvent liés.
Soit ils demandent une résidence alternée suite à une
première décision récente de droits de visite classique,
c'est-à-dire, premier, troisième, cinquième
« week end ». Ils restent cependant assez flous quant
à leurs désirs, et les échanges interactifs qui
s'opèrent dans l'association les mettent alors à l'épreuve
d'exprimer leurs souhaits. Ainsi les adhérents permanents les
interrogent sur leur positionnement de père autour de la
préparation de leur dossier juridique, ce que ne font pas les avocats.
Ils leur posent donc la question de ce qu'ils veulent exactement, des droits de
visite plus élargis, des vacances, ou une résidence
alternée, voire une résidence complète ; leur
demandent d'exprimer jusqu'où et dans quels domaines sont- ils
prêts à s'investir pour leurs enfants, et les invitent à
consigner par écrit ces éléments avec l'objectif de
préparer les points positifs de leur dossier, et les audiences. Ce qui
se traduit par un travail d'apprentissage à la confrontation aux
institutions et implique de leur part un repositionnement de leur rôle de
parent. Ainsi certains bénéficiaient d'une résidence
alternée, parfois remise en cause par la mère des enfants qui
décide d'un déménagement éloigné, ce qui est
le cas pour deux d'entre eux, Martin et Léon :
« J'étais divorcé, je suis
passé en consentement mutuel, Mme a accepté la garde
alternée.. Donc la résidence alternée a duré
pendant trois ans, une semaine, une semaine, et ça tournait comme une
horloge. D'ailleurs dans un premier temps, j'étais conciliant, comme
elle travaillait à temps partiel, elle faisait en fait 6 jours chez moi
et 8 jours chez elle pendant les six premiers mois Mme s'est remariée, a
eu d'autres enfants et a fait le projet de déménager en
province elle avait un nouveau mari originaire d'Epinal, donc
elle me dit je vais déménager... Quand on a divorcé
officiellement, elle faisait déjà des demandes de mutation pour
partir..Elle demande la garde en disant Epinal est à 3 h de paris, tu
pourras venir voir ta fille. » (Martin)
« En fait moi mon divorce s'est bien
passé, j'avais une ex femme qui a voulu sortir rapidement de notre
contrat de garde alternée qu'on avait mis en place. La garde
alternée avait duré deux ans à peu
près, elle a commencé à la
remettre en cause. En fait je refusais de signer les documents
nécessaires au renouvellement des passeports américains de mes
enfants, car la mère est américaine. on m'a
confié la garde étendue, un WE sur deux plus le mercredi. Donc
j'ai fait appel, ça été confirmé, pendant l'appel,
elle était partie aux Etats-Unis, elle a refusé d'envoyer les
enfants. Donc la cour d'appel n'a ensuite fait qu'entériner le fait que
mon ex femme habite aux Etats unis. » (Léon)
C'est également la situation vécue par Eric, qui
après une période d'arrangement à l'amiable concernant
l'accueil des enfants, ne les a pas vu depuis deux ans suite au départ
de son ex épouse, partie en Corse suivre son nouveau compagnon. Il
souhaite maintenant essayer de reprendre contact avec ses enfants.
Pour d'autres comme Valentin, ils n'acceptent pas la
décision rendue d'un droit de visite classique car ils étaient,
pour eux, le parent le plus investi avant la séparation du couple.
« Le Week end, ça ne me suffit pas, un
Week end sur deux ce n'est pas suffisant, mon temps je ne veux pas le consacrer
à ma vie professionnelle, c'est ma conception de la famille.[...]J'ai
réduit mon temps de travail étant donné que j'ai fait
appel pour montrer que la disponibilité je l'avais toujours,
c'était pour avoir la garde partagée. Vous savez quand
elle a demandé le divorce moi j'étais en vacances, avec mes
enfants, je ne suis jamais parti en vacances sans mes enfants, j'étais
parti deux mois, ça arrivait souvent, durant toute notre vie en commun,
je ne me suis jamais séparé de mes enfants, Et là je me
retrouve sans rien. Elle pouvait jamais les chercher à l'école,
maintenant elle a le temps, elle pouvait jamais, elle avait des
réunions. » (Valentin)
Ils ne demandent pas toujours d'ailleurs un mode de garde pour
leurs enfants strictement à égalité mais plutôt un
libre accès à leurs enfants :
« Ce n'est pas une question de temps, car on
m'aurait laissé un libre accès à ma fille, je pense que je
n'aurai pas été dans une affaire de marchand de tapis... Moi, par
exemple j'aurai pu voir ma fille deux heures par jour, ou autre chose, un
rythme en étant proche, cela ne m'aurait posé aucun
problème, mais là, ce n'est pas une question de
50/50. » (Martin)
Quant à une résidence principale, c'est rarement
leur souhait, sauf des cas extrêmes, où ils estiment que l'autre
parent met en danger les enfants comme c'est le cas pour Michel, et qui
néanmoins ne quittera pas le domicile avec les enfants, dans l'espoir de
préserver la place de la mère, et la protéger en quelque
sorte. Mais le plus souvent quand il y a une demande de résidence
principale, elle s'inscrit dans une stratégie qui est de demander plus
pour avoir moins, conseillée parfois par les avocats :
« L'avocate avait voulu cette stratégie,
mais moi je ne trouvais pas normal que j'ai la garde exclusive, dans
l'idée de demander plus pour avoir moins, mais finalement je n'ai rien
eu, et moi je lui avais dit que je ne voulais pas entrer dans un conflit de
demander plus, et tomber dans le même schéma que ma femme que je
contredisais. » (Valentin)
Ou comme pour Paul qui par dépit a fait ce choix
stratégique :
« Dans ma situation, j'ai demandé le
droit total pour mon enfant avec droit de visite pour ma femme, pour deux
raisons : je n'ai pas beaucoup de chance d'avoir la garde alternée
pour un enfant de trois ans. Et je ne suis pas du
tout d'accord dans le rôle de ma femme dans
l'éducation. » (Paul)
Il s'agit aussi derrière leurs demandes à voir
plus souvent leurs enfants une revendication de leur statut parental qui n'est
pas reconnu, et d'un refus à être maintenu dans
un rôle de père pourvoyeur de revenu, ce dont il sera question
plus en avant :
« Moi je ne veux pas être uniquement un
père que l'enfant voit occasionnellement, pour les week end, les
vacances, et uniquement là pour payer ; J'ai pas envie d'être
un père contributeur, S'il faut payer je le ferai, je voudrais
quand même que si je suis amené à contribuer qu'il y ait
une contre partie, que je puisse exercer des droits et des devoirs aussi
vis-à-vis de l'éducation de l'enfant, je ne veux pas être
uniquement un père qui est là pour la pension et qui ne peux pas
voir l'enfant. Si je suis amené à faire des sacrifices je le
ferai, mais à côté de ça, il faudra que je puisse
exercer pleinement mon rôle de père. »
(Valentin)
Ainsi dans leur demande de traitement plus égalitaire,
ils souhaitent surtout pouvoir librement voir et s'occuper de leurs enfants, ce
qui implique aussi la nécessité d'une volonté d'apaisement
de conflit :
« D'avoir la garde complète, enfin, moi
je suis contre. Je ne l'ai jamais réclamé, sauf à
l'article de la mort, je pense que ce n'est pas une solution satisfaisante, et
même un système qui est un WE sur deux, et les droits
élargis, ça veut rien dire les droits élargis, on vous
accorde un mercredi sur deux, ce n'est pas un bon système, c'est
l'archétype de la mauvaise solution et si je vous le dit, c'et que j'en
ai discuté avec les avocats. Et puis la garde exclusive crée le
conflit, vous êtes dans un rapport déséquilibré
[...] Plutôt la garde alternée, mais
égalité, non, pas du tout, il y a une connotation
mathématique, qui me parait incompatible avec le critère
d'humanité, on ne met pas les gens en équation. Moi on m'aurait
donné un libre accès, j'aurais signé tout de
suite. On m'aurait dit trois jours ou je ne sais pas quoi,
j'aurai dit, c'est bon, ça marche. Mais la loi nous impose un truc c'est
un trois cinq, ou c'est rien, donc, il y rien. » (Martin)
Certains estiment comme Léon, dont les enfants vivent
aux Etats Unis, que l'institution devrait plutôt soutenir le parent le
plus conciliant, et non pas celui qui empêche l'autre parent à
voir ses enfants, le débat sur la résidence égalitaire,
pour sa part, n'étant pas l'essentiel :
« je ne suis pas toujours d'accord sur faire de
la résidence alternée, je m'en fous de ce que font les autres je
n'ai pas de leçon à donner aux autres parents,
qu'ils élèvent leurs enfants de manière
équilibrée, et s'il y a des excès, la
société devrait être là pour les limiter.. Mais dans
la mesure où l'un des parents veut avoir accès à ses
enfants et j'estime qu'on peut lui donner droit jusqu'à la
moitié, il devrait pouvoir l'avoir. Celui qui met des bâtons dans
les roues, c'est lui qui devrait ne pas avoir l'accès. »
(Léon)
Ils font à ce propos le constat de l'importance de la
qualité du lien avec l'enfant plus que la durée stricte, et du
fait qu'en consacrant tout leur temps avec eux quand ils exercent leur droit de
visite peut revenir finalement à les voir davantage :
« Ce n'est pas normal que certains juges donnent
toujours la garde à la mère, ou toujours au
père. Même à l'époque
où j'avais un WE 1, 3,5, un mercredi sur deux, je me suis rendu compte
que j'étais le parent que mes enfants voyaient le plus. Je passais plus
de temps, car mon ex, elle, prenait des « baby
sitters. » (Michel)
« Et puis d'un autre côté je me dis
j'ai peut être une chance, au niveau du temps de vie, pendant quelques
années, je vais pouvoir profiter de ma fille en prenant des vacances
avec elle, ce que je n'aurais absolument pas fait avant, avant je j'aurai
travaillé, je la mettais au centre aéré le mercredi.
Même quand j'avais la résidence alternée, je ne la prenais
pas le mercredi, je la voyais le soir. Maintenant, je pose mes vacances, je
gratte des jours. » (Martin)
Ils expriment le fait que se retrouver dans la situation de ne
pas pouvoir voir et recevoir librement leurs enfants, les place ainsi dans une
posture de parent accessoire, soumis à la volonté de l'autre
parent, la mère :
« Moi quand j'ai été quelqu'un
avec ma magnifique résidence alternée et que je me suis
trouvé du jour au lendemain, alors moi, j'ai été
formaté, avoir les mêmes droits. Après vous êtes plus
rien, capacité de négociation zéro, vis-à-vis de
l'extérieur zéro, et oui, il faudra que je demande l'autorisation
à la mère. »
(Martin)
Ainsi la résidence alternée apparait davantage
comme un idéal à atteindre, ces pères sachant que si elle
est difficilement applicable, concrètement, c'est plutôt la
mère qui obtiendra la résidence principale :
« A mon avis un partage 50/50 cela va être
difficile, je ne me fais pas d'illusions on habite assez loin l'un de l'autre
à 80km, je ne suis pas en région parisienne. Et puis je pense
surtout qu'est ce qui va être le mieux pour l'équilibre de
l'enfant, pour le moment je n'ai pas d'idées préconçues
sur ce qu'on va pouvoir mettre en place, je n'ai pas encore vraiment
réfléchi, c'est toujours en gestation cette réflexion. On
s'oriente à mon avis vers une solution où l'enfant sera avec l'un
en semaine et le week end avec l'autre, ce qui fera nécessairement un
frustré. » (Lucien)
« Moi je me projette de l'avoir pour les
vacances, parce que vu la distance, je n'aurai pas de résidence
alternée.. J'y pense, peut être m'installer à Pau, et faire
une requête de résidence alternée. Alors bien sûr que
ce serait aussi pour voir plus mon fils, mais en même temps, moi, je n'ai
pas envie de quitter paris, j'ai ma famille, mes amis. Je vais
demander le plus possible pour les vacances et un week end sur deux.
« (Vincent)
« Mon souhait dans l'idéal, ce serait de
mettre à profit une résidence alternée, avec aussi un
travail psychologique sur nous deux, de façon à ce qu'on
arrête ce conflit permanent pour l'enfant, pas pour nous, juste pour lui,
notre enfant qu'on a en commun. »
(Julien)
Il y a aussi comme cela a été
évoqué plus en amont, le problème des visites
autorisées dans les points rencontres. Ainsi m'explique un permanent
d'association : « La demande, en majorité c'est de
voir plus leurs enfants, ou dans de meilleures conditions, parce que certains
ne les voient qu'un week end sur deux, ça ne fait que quatre jours par
mois, ou alors dans des points rencontre, si ils ont une décision qui
est hostile à leur égard. Au point rencontre c'est encore pire,
le père arrive, parfois il paye pour voir son enfant, des frais de
location de salle par exemple, c'est complètement abject de payer pour
voir son enfant. Il peut avoir deux heures, parfois il y a des caméras,
quelqu'un qui rentre toutes les 15 minutes pour voir si tout va bien, comme si
on était le pire des criminels, c'est déstabilisant au possible
pour quelqu'un qui n'a rien fait. Donc ils ne comprennent pas pourquoi ils ne
voient pas leurs enfants, en majorité. »
Et pour ceux qui comme Etienne vivent cette situation, la
résidence alternée, perçue comme une solution juste, ne
représente qu'un idéal, dans la mesure où le conflit reste
activé. « Franchement la résidence alternée
me parait quelque chose d'important, parce que encore une fois quand on se
sépare, je sais qu'il y a un enjeu, mais si on pose les choses bien
à plat, un enfant il a deux parents, et à priori il en a pas
trois, et si on s'est séparés, c'est qu'il y a quand même
encore une différence et c'est bien qu'ils aient la touche de l'un et
l'autre, c'est tout. Et que c'est assez égoïste de vouloir que les
enfants soient nos clones à nous même, qu'on oublie qu'on a eu un
mari, qu'on oublie qu'on a eu une femme. Même moi avec la situation que
j'ai, je refuserai que ma femme soit écartée de son rôle,
je refuserai que mes filles manquent de respect à leur mère,
qu'elles éjectent leur mère. Je ne ferai pas ce qu'elle a fait,
parce que mon plaisir personnel, et il y en aurait, c'est évident, mais
il passe derrière l'intégrité des enfants. »
(Etienne)
Si la problématique du conflit conjugal peut être
très présente pour les pères qui arrivent la
première fois, par la suite s'exprime une volonté d'apaisement du
conflit en laissant la place à la mère, derrière laquelle
s'exprime une préoccupation essentiellement centrée autour de
l'enfant. Ainsi si cette préoccupation apparaît notamment dans les
discours des pères ayant leur droit de visite aux points rencontre,
c'est le cas également chez les jeunes pères :
« C'est pour ça que je viens voir cette
association là. Quelles choses on peut mettre en place pour avoir un
terrain d'entente, pour F, mes droits de visite et de contribution parentale,
c'est normal, c'est mon enfant. » (Julien)
Ces pères soulèvent par ailleurs la question de
la légitimité que peut avoir le parent qui ne voit son enfant que
quatre jours par mois. Cette situation entrainant fréquemment une perte
de contact au bout de trois ans, et de poser alors la question de
l'autorité. Un autre problème est évoqué, celui de
l'école qui ne reconnaît pas le parent
« visiteur » comme parent, en ne prenant en compte et en ne
s'adressant qu'au parent « gardien ». Malgré la
consécration de l'autorité parentale partagée, le statut
du parent qui n'a pas la résidence de l'enfant, estiment-ils, n'est pas
reconnu par les administrations. Le seul cas où cela fonctionne, me
rapporte un permanent, c'est quand il n'y a pas de conflit entre les parents
car l'autre parent le fait exister symboliquement, favorise les visites, quand
les parents sont capables de séparer les conflits conjugaux et
parentaux. Aussi quand il y a conflit, c'est la faute qui est cherchée
dans le couple parental, en statuant sur l'hébergement selon ce
critère sous jacent.
Si se pose alors pour ces pères la
nécessité d'une conciliation avec la mère pour
accéder à leurs enfants, cet aménagement se conçoit
pour eux du fait qu'ils n'excluent pas l'importance de la place de la
mère.
6.2.2. La place de la
mère soulignée
En lien avec cette question sur la résidence, lorsque
j'interroge les pères sur leur conception de l'égalité
parentale, leur représentation des places de chacun, les réponses
apportées soulignent surtout la nécessité d'accorder une
importance à l'un et à l'autre, que chaque parent soit reconnu
à part entière.13(*) Ainsi au delà d'une recherche
d'égalité stricto sensu, il s'agirait plus
précisément d'une égalité de droits dans le sens du
respect de chacun qui est attendu, et donc d'un apaisement des conflits, ce
à quoi oeuvrent les associations quand elles conseillent aux parents de
traiter à l'amiable entre eux, et leur suggèrent de ne jamais
répondre aux attaques en envenimant le conflit. La décision de
séparation quand elle se fait au travers un désaccord profond du
couple, l'enfant devient alors forcément le trait d'union, et quand les
parents veulent se séparer, ils coupent avec l'enfant et le parent,
déplore un animateur.
« L'égalité, justement, c'est
aussi le partage de ce qu'on est, donc si on a des différences, c'est
vivre un peu comme papa, avec du bien et du moins bien, et vivre avec maman,
avec des bons moments et des moins biens, avec des qualités et des
défauts, mais c'est avec ça aussi qu'on se construit. Il n'y a
pas la maman toute puissante qui connait tout et qui sait tout, et le papa, qui
décide de tout et dit amen à tout. »
(Etienne)
Pour la seule mère consultée, celle-ci estime
que les mères se trouvent en général en position de force
face aux institutions, et que finalement elles ont le pouvoir de laisser la
place ou non au père. Quand je pose la question à cette
mère, dont l'enfant a bénéficié d'une
résidence alternée, comment s'est fait le choix au sein du couple
parental, celle-ci met en avant le fait que la décision a surtout
reposé sur elle. Ou en tout cas repose sur elle, le choix
d'évincer ou non le père, et donc celui d'un éventuel
conflit :
- Vous étiez d'accord pour la
résidence alternée ?
« Oui, enfin, lui ne s'est posé la
question, c'est moi qui ais réfléchi. On ne parlait pas,
c'était plutôt la mère qui devait être avec l'enfant,
en même temps, j'aurais pu couper le lien justement. Cela tient
effectivement de la décision de la mère. C'est dans la culture et
c'est conforté par le juge. » (Extrait)
Je note par ailleurs qu'au cours de l'entretien, cette
mère reviendra fréquemment sur la notion de lien, en employant
l'expression du pouvoir de la mère de « couper le
lien » au père. Elle fait ainsi le constat que les très
rares cas où c'est le père « qui coupe »,
sont les cas particuliers où prédomine la culture patriarcale,
citant pour exemple la situation d'une autre mère de l'association, dont
l'ex mari, palestinien, ne lui permet pas un libre accès à ses
enfants.
Ils peuvent témoigner d'une volonté à
être présent auprès des enfants et réclamer des
droits dans ce sens, tout en reconnaissant la primauté du rôle de
la mère, notamment pour les enfants en bas âge, dans la
représentation sous jacente d'une position de force de la mère,
liée à la nature :
« Et puis c'est vrai qu'une femme elle porte
l'enfant en elle, c'est une énorme différence, une énorme
supériorité que la femme a par rapport à l'homme, l'enfant
elle l'a en elle, c'est vraiment la chair de sa chair, il y a vraiment cette
relation d'osmose. » (Lucien)
Avec la préoccupation aussi de tenir compte de l'avis
des enfants quand ils sont plus âgés. « Elle tente
une possibilité de faire un règlement à l'amiable, alors
j'accepte. La petite n'est pas pour le moment décidée à
venir avec moi, je respecte son choix, elle a dix ans elle a encore besoin de
maman, c'est tout à fait normal. Par contre la moyenne c'est sûr,
c'est officiel, elle vient avec moi à partir de septembre, c'est elle
qui l'a demandé ». (Patrick)
Ils expriment à ce sujet, ne pas vouloir priver
l'enfant de sa mère :
« Parce que je ne veux pas non plus le priver de
sa mère, car pour moi c'est très important qu'il ait sa
mère, et je ne veux pas non plus le priver de moi. Et je n'ai pas envie
non plus qu'il y ait une distance
énorme. » (Julien)
« Nous, on ne cherche pas à enterrer la
mère, mais la mettre en avant avec le père. »
(Pierre) ce qui est confirmé par des adhérents
animateurs d'associations qui disent ne pas vouloir faire ce qui se
passe dans l'autre sens, c'est-à-dire donner l'enfant au
père de sorte que la mère ne les voient pas.
Dans l'idéal, certains peuvent imaginer une
réconciliation, ou en tout cas ils ont une représentation d'un
idéal de famille unie, et la séparation est vécue comme un
véritable échec, du fait surtout de leur isolement, d'un
vécu de parent seul, dissocié de la cellule familiale.
« La Famille, c'est pour moi un ensemble de
personnes liées entre elles, et ce lien ne doit pas être
rompu. » (Jean)
« Le côté dramatique c'est la
séparation, je me revois quand on était tous les trois, que j'ai
vu ma fille dans le couloir, je me suis dit ta vie elle est foutue..
Ce n'est pas l'absence de ma fille, c'est la petite voisine, qui me dit
dans la rue d'à côté en sortant de son judo, elle est
où Amélie ? Elle est chez sa maman, ...Tu ne vas pas
séparer, la résidence alternée avec les grands, il y a
trois autres enfants, (avec la mère) ce n'est pas facile. Vous avez
cette vision des couples d'à côté qui vous est absolument
insupportable, et bien là il y a la vision du monde normal. Par exemple,
je sors jamais de chez moi entre 8h 10 et 8h 20, pour ne pas les voir les
accompagner à l'école, je ne peux pas le supporter
ça. » (Martin)
« Moi, dans l'idéal, Je lui demanderai de
descendre dans le sud. Parce qu'elle elle avait l'intention de redescendre dans
le sud, on avait abordé le sujet. Je travaillerai plus, on prendra une
colocation dans une villa séparée, deux appartements, au pire
s'il faut payer, je paierai tout, mais je veux que vous soyez à
côté de moi. Tu es quand même la mère de mon enfant,
ça, ça ne pourra rien changer, jusqu'à ma mort, tu seras
la mère de mon fils et pour ça je serai obligée de te
respecter, même si on a beaucoup de différents.
Voilà, mon but, c'était ça, qu'il y ait juste le
jardin à traverser. Pour moi, l'optique de la séparation
idéale, c'est ça. Qu'on soit très proches
géographiquement et au niveau de la relation. Même si on ne fait
pas subir devant l'enfant, il le ressent quand même, donc qu'on soit
amis, pas dans le cercle conjoints mais amis. La conciliation dans la
séparation, qu'on devienne des adultes et qu'on se dise voilà
maintenant c'est fini, et il y a F au milieu, et c'est le principal, c'est lui,
et moi, j'espérais qu'il soit le ciment car même en étant
séparé, malgré tout, on forme toujours une famille, c'est
sa mère, je suis son père, on est toujours sa famille et
j'espérais qu'il soit le ciment de cette famille là. Même
si on est plus ensemble qu'on reste en bons termes. Pas pour nous, pour
l'enfant. » (Julien)
Relatant leur histoire avec beaucoup d'émotion, les
pères rencontrés dans ces associations témoignent d'une
situation d'isolement, un vécu d'abandon, et sont à la recherche
d'un soutien quand ils expriment une demande de partage d'expériences,
d'échange avec leurs pairs.
6.3. Le partage
d'expériences : l'attente d'un soutien contre l'isolement
Les pères qui se présentent aux permanences sont
ainsi sous le choc comme nous l'avons vu dans le cadre d'une procédure.
Culpabilisés dans un premier temps avec le sentiment qu'ils sont les
seuls à vivre une telle expérience, ils ne parviennent pas
à en parler, et par la suite deviennent plus éloquents au cours
des échanges. Les permanents relèvent alors le fait qu'ils
arrivent toujours tard dans la dite procédure :
« J'ai mis plus d'une année avant de me
décider à venir dans l'association. J'ai fais des recherches via
internet, via la presse, pour voir les possibilités
qu'on peut avoir en tant que père, d'avoir un soutien par une
association. Je me suis rendu compte qu'il était très difficile
de faire respecter ses droits, de pouvoir avoir des arguments, des retours de
personnes qui sont dans le même cas que le mien, du soutien, des
conseils, et puis avoir des retours de la part des gens par leur
expérience, qui sont passés déjà par ces
rouleaux compresseurs.» (Patrick)
Aussi, la démarche de venir s'adresser à une
association de défense des droits des pères n'est pas une chose
aisée pour ces parents, et ils sont plusieurs à avoir longuement
hésité, ou bien avoir fait machine arrière et être
revenus plusieurs années plus tard. Comme nous l'avons
évoqué précédemment, sur les raisons d'une relative
fréquentation actuelle, les pères se renseignent dans un premier
temps grâce aux nouveaux moyens technologiques d'information, et quelques
uns d'entre eux seulement feront la démarche de s'adresser directement
aux associations. Ce qui laisserait présupposer l'existence sociale
d'une plus forte proportion d'hommes dans cette situation.
J'ai pu observer au cours des différents permanences,
qu'à l'instar d'autres lieux de paroles pour des personnes victimes
d'une situation particulière, ou ayant vécu une épreuve
douloureuse, ils semblent avoir hésité en effet à franchir
le pas pour confier leur histoire comme s'ils éprouvaient un sentiment
de honte. C'est ensuite pour briser leur solitude, et être
rassurés qu'ils ne sont pas les seuls à vivre cette
expérience, qu'ils se décident à se présenter
à l'accueil des associations, en premier lieu en écoutant les
histoires d'autres pères. Ils disent alors avoir trouvé du
réconfort dans l'échange avec les autres:
« Donc quand je suis allé à
l'association la première fois, c'est parce que je n'étais pas
content de ce que j'avais eu, et je cherchais une association qui puisse
m'épauler sur ce principe. En plus, vu le conflit qui avait, je
n'étais pas bien moi-même, j'avais perdu un peu le sens de
l'orientation, et à l'association, j'ai trouvé quelque chose de
formidable, parce que on s'occupait d'hommes qui étaient papa, et qui
avaient des difficultés à trouver un moyen de discuter avec la
personne en face. En plus j'ai trouvé un réconfort car j'avais
besoin de me remonter le moral.
« (Pierre)
Cette recherche de contact et d'échanges est d'autant
plus vraie pour ceux qui du fait de leur situation d'étranger par
exemple, ont un faible réseau, comme c'est le cas pour Paul, qui vient
d'Allemagne :
« J'ai commencé le divorce seul, sans
aide, et j'ai pas beaucoup d'amis en France avec qui je peux
parler. Ici on trouve des gens qui sont tous dans la même situation et
c'était plus un groupe d'hommes, pour parler de notre problème,
cette injustice plus ou moins pour notre problème avec les enfants. Je
suis dans cette association d'aide juridique mais ce n'était pas mon
premier point de vue, je venais pour du soutien.
J'attends des choses de l'échange, le réseau.
Connaitre les processus par l'échange d'expériences avec les
autres. » (Paul)
L'association représente alors pour eux un espace de
parole, et d'écoute, de compréhension de la part de leurs pairs
qui vivent des situations similaires, mais aussi, la possibilité de
renouer un dialogue :
« Ma demande au départ, mon souci, c'est
que quand je suis passé devant le juge, et que je n'ai pas eu
l'obtention de ce que je demandais, je demandais une résidence
alternée [...] Donc quand je suis allé à l'association la
première fois, c'est parce que je n'étais pas content de ce que
j'avais eu, et je cherchais une association qui puisse m'épauler sur ce
principe. En plus, vu le conflit qui avait, je n'étais pas bien
moi-même, j'avais perdu un peu le sens de l'orientation, et à
l'association, j'ai trouvé quelque chose de formidable, parce que on
s'occupait d'hommes qui étaient papa, et qui avaient des
difficultés à trouver un moyen de discuter avec la personne en
face. En plus j'ai trouvé un réconfort car j'avais besoin de me
remonter le moral. » (Pierre)
L'effet dynamique que permettent les échanges
interactifs, propre au fonctionnement associatif informel, insuffle aussi une
volonté à s'impliquer, et permet des liens de solidarité
comme le soulignent les adhérents, et ainsi que l'exprime l'un d'entre
eux : « A l'association, quelque chose s'installe, on voit des
gens qui hébergent des autres, il y a un réseau d'entraide qui se
met en place, pas suffisamment, mais il existe, des relations fortes se
créent entre les personnes. Cela permet de partager ses
problèmes, mais aussi le fait d'être ami avec quelqu'un d'autre
permet de voir la vie privée de l'autre et de comprendre ce qui a pu se
produire, on fait alors des parallèles avec sa propre vie, on est plus
en interaction avec l'autre, c'est important car cela permet de rebondir plus
vite. »
Ils trouvent ainsi un espace où ils peuvent
libérer leur parole, un réconfort grâce à la
rencontre d'autres parents. L'importance de l'échange et du partage est
soulignée par les animateurs, et relevée à travers les
entretiens, et vient témoigner de leur sentiment de solitude de
père exclu, de parent non compris : « Les gens au
fur et à mesure qu'ils échangent entre eux, ils se rendent compte
qu'ils vivent les mêmes choses, je ne dis pas que ça les rassure,
mais ils ne sont pas tout seuls », me rapporte un adhérent.
Les pères séparés font part aussi de leur
isolement familial et social, et de l'opportunité à pouvoir
communiquer avec des personnes qui seront à même de comprendre
leur situation. « Parce que quand le père va voir un organisme
social ou des gens de sa famille, ce ne sont pas des gens qui vivent au
quotidien ce que lui vit, donc il va avoir du mal à s'ouvrir, tandis que
là, il y a un partage, une expérience qui va lui permettre de
faire sortir certaines choses », me confie un permanent
d'association. Ces lieux d'accueils se présentent en effet comme des
espaces de parole et d'écoute pour ces pères, où ils
s'autorisent à exprimer leurs émotions, qu'ils ne trouvent pas
dans d'autres services d'accueil social. Et comme l'explique ce même
adhérent, ces pères sont souvent isolés également
de leur famille : « Car bien souvent on pense que les gens
de notre famille peuvent nous aider, mais c'est absolument faux. Au contraire,
la plupart des gens se disent, mais dans quelle situation il s'est mis, et ils
vont plutôt s'écarter du père plutôt que l'aider,
parce que ils ont une méconnaissance de la justice, ils se disent ce
n'est pas normal, si on lui a retiré ses enfants c'est qu'il ya quelque
chose de très grave en fait. Et le père aura beau leur expliquer
qu'il n'a rien fait de spécial et que c'est la justice qui fonctionne
comme ça, les gens ne le croiront pas, les parents les frères les
très proches. Donc ils peuvent se retrouver isolés, c'est la
troisième peine. Ils ne voient plus leurs enfants, la justice en
laquelle ils croyaient qui n'est pas représentative de leur
idéal, et puis la famille qui ne les suit plus, donc ils sont
complètement déstructurés. Derrière ils peuvent
perdre leur travail, c'est ensuite la descente aux enfers,
« sdf », ça peut arriver. On peut avoir le cadre et
l'employé de base, et aussi des cadres qui se retrouvent au
RMI. »
D'un niveau social économique élevé ou
non, certains peuvent en effet se trouver dans une situation financière
très difficile, surendetté par les traites de leurs biens, le
montant des pensions alimentaires, la nécessité de se trouver un
nouveau logement, ces situations pouvant les conduire au chômage en
raison du manque de compétitivité auquel elles les
entraînent. Comme c'est le cas pour Patrick ou bien encore pour
Léon:
« Si vous voulez, moi j'avais ma propre
société, je suis liquidé, et j'ai droit un RMI, et
là ce n'est pas que je suis trop bien pour ça, mais je me dis je
laisse ça à ceux qui en ont vraiment besoin, je n'arrive pas
à me mettre dans la tête que je suis dans ce besoin là, et
le temps passe. » (Léon)
Ils recherchent donc un soutien et du réconfort de la
part de leurs pairs, et malgré le fait qu'ils soient surpris dans un
premier temps des réponses apportées qui peuvent être
brutales car elles ne correspondent pas toujours à ce qu'ils
espèrent mais les confrontent à la réalité, ils se
reposent néanmoins sur cette relation. « Parce qu'ils pensent
que tout va bien se passer, que la justice est avec eux, et ils arrivent, et
ils repartent avec cet autre coup de massue auquel ils ne s'attendaient pas,
mais la plupart du temps en fait ils posent leur paquet et ils repartent plus
légers. Donc le fait de venir à la permanence, il y a toutes les
interrogations qu'ils pouvaient avoir même si c'est négatif au
final, au moins ils savent, alors qu'avant ils avaient ce doute », relate
un membre de bureau.
Avec le sentiment de se trouver ainsi isolés et
incompris, il s'agit pour eux, d'une recherche de la réassurance
auprès de leurs pairs, de l'appui possible des institutions, et l'espoir
d'un apaisement du conflit conjugal pour conserver une place auprès des
enfants.
Après avoir donc examiné les demandes explicites
et plus implicites des pères dans ces associations, il apparaissait
intéressant de dégager à travers ces attentes, les
représentations qu'ont ces pères des rôles parentaux, pour
mieux comprendre l'enjeu de leur démarche, la réalité de
leurs luttes
CHAPITRE 7 les représentations et luttes des
pères
7.1. Une
représentation des rôles parentaux à la fois traditionnelle
et égalitaire
La plupart des pères qui s'adressent à ces
associations se sont investis au quotidien auprès de leurs enfants et
témoignent ainsi sur ce registre de l'évolution égalitaire
des rôles parentaux, dans la répartition des tâches
domestiques. Ils font part néanmoins de représentations selon le
schéma d'une répartition traditionnelle des places de chacun,
tout en évoquant la réalité de l'évolution des
moeurs et de l'éducation comparée à celle de leurs
parents. Il faut préciser à ce titre, que le paramètre
psychologique du parcours de ces parents, celui des pères et celui
supposé des mères, même s'il n'a pas été
traité dans cette étude, est indéniablement significatif
et vient se surajouter à la problématique de ces pères. Un
vécu qu'on imagine parfois douloureux, à travers
l'évocation de leur vie de couple très conflictuelle, mais aussi
qui demeure lié au souvenir de leur enfance, donc de leur
représentation parentale :
« Au niveau de la répartition des
tâches au quotidien, c'est par rapport au vécu d'un père,
alors le mien, ma jeunesse n'a pas voulu que j'ai mes deux parents en
permanence, j'ai eu un père à l'écart de ma vie, et la
société n'a pas fait non plus des démarches pour imposer
un père, d'être là pour son enfant..Mon père a
été élevé dans un milieu de femmes, et quand il a
été dans la vie sociale, une épouse, il a eu du mal
à faire un chemin de père, et il s'est toujours tenu à
l'écart : « c'est ton enfant, tu t'en occupe, moi je
suis là pour assurer les finances, point barre. » Et
aujourd'hui, moi, non. Je veux assurer les finances, je veux assurer sa
scolarité, je veux assurer son bien-être, je veux assurer le
pouponnage. » (Pierre)
Tout en restant attaché en effet à une
distinction des rôles entre l'homme et la femme au foyer, ils font part
en même temps de fonctions parentales qui peuvent être
attribuées indifféremment au père ou à la
mère, dans une demande d'être un parent à part
entière. Cette ambivalence exprimée viendrait témoigner
d'une évolution laissant place à une certaine
égalité parentale dans la mesure où la barrière
entre les fonctions d'un père et d'une mère est devenue plus
floue. Une indifférenciation des fonctions qui n'aurait rien à
voir cependant avec une féminisation des pères ; il ne
s'agirait pas pour eux, comme l'exprime Martin, de « singer les
mères », mais d'accorder une importance à la place de
chacun. Ceci au nom de l `évolution sociale ayant permis aux femmes
de s'émanciper et acquérir ainsi les mêmes droits que les
hommes sur la scène publique, notamment par l'accès au travail et
donc à l'argent :
« Moi, je pense, comme m'avait dit maitre C, ne
maternez pas, ne singez pas les mères, jamais je n'ai oublié
ça. Je ne suis qu'un père, c'est tout, moi je
respecte la place de la maman, quand il faut prendre des décisions je
concerte, je pose des questions. »(Martin)
« Le père dirige certaines choses, la
mère aussi .La mère, c'est elle qui est plus proche, enfin je ne
sais pas. Plus déterminée, si, parce que dans l'éducation
de tous les jours, c'est elle qui gère plus ça, mais le
père manque, il faut que le père soit là,
le père est prépondérant et la mère
aussi, il faut les deux, c'est indispensable. » (Jacques)
« Je vois le père et la mère avec
deux places identiques et deux places différentes. Identiques dans les
responsabilités, les activités. Ma
vision idéale, c'est que sur les tâches ménagères la
société a évolué, les femmes travaillent, les
hommes aussi, donc elles sont exposées aux mêmes contraintes du
monde du travail, des emplois du temps chargés, des problèmes de
transport, enfin tous les problèmes de la vie quotidienne, et la
responsabilité des enfants, de les amener à l'école etc.,
il y a à mon avis un partage d'égal à égal qui se
fait, qui existe, qui est en place dans beaucoup de familles.»
(Michel)
Ainsi les qualificatifs employés pour définir le
rôle du père sont le plus souvent l'autorité, tout en
reconnaissant cette fonction attribuée à la mère, mais
aussi des qualités de protecteur face au monde extérieur, ou
aussi comme pour Lucien, vis à vis à la fois de l'enfant et de sa
mère, dans une vision d' « êtres »
difficilement dissociables. Une vision troublée qui reflète une
recherche de positionnement, pouvant être attribuée au regard de
sa situation particulière d'homme futur parent, séparé de
sa femme enceinte :
« Pour moi, la place du père, c'est la
protection quand même vis-à-vis de l'enfant, pas forcément
l'autorité, parce que la mère exerce aussi une
autorité, mais le père est là
pour protéger l'enfant, et son épouse quand il a une vie
conjugale ; alors c'est une protection qui n'exclue pas, la tendresse,
l'écoute, vis-à-vis de l'enfant, le père je pense qu'il
est là pour protéger l'enfant face au monde extérieur. Il
est là pour rassurer l'enfant et rassurer la femme quand il a une vie
conjugale. Ce qui n'est pas le cas me concernant, mais il est
là pour rassurer et protéger par sa
présence. Il y a peut être une protection, aussi de la part de la
mère. Ce n'est pas simple, elle est là pour prodiguer de la
tendresse mais le père peut le faire aussi. Malgré tout je pense
que la protection physique et morale de l'enfant, du couple, incombe surtout au
père, Je ne dis pas que la mère n'a pas un rôle de
protection, mais elle est peut être plus là pour rassurer
l'enfant, plus le conseiller, le père aussi. C'est
important que l'homme ait une certaine stabilité, une certaine
sérénité face aux épreuves de la vie. Je pense
aussi qu'une femme dans un couple cherche malgré tout la protection de
l'homme, une femme elle aime se sentir protégée par un homme, se
sentir en confiance avec un homme dans son couple, donc l'homme, il a cette
obligation de sérénité, de protection. »
(Lucien)
je note, à travers leur discours, que tout en
étant attachés à leur identité masculine, ils n'ont
pas de représentation tranchée sur la distinction des rôles
parentaux, et soutiennent leur capacité à prodiguer des soins
affectifs:
« Bien sûr, il y a un rôle paternel,
Le père, c'est l'autorité, par rapport à l'enfant, quand
il a fait une bêtise. Mais la mère aussi, elle a droit à sa
partie. Elle peut avoir le droit de faire l'autorité et ne pas rester en
arrière, je ne fais que m'occuper de mes enfants et le père est
en avant à faire le costaud, non pas du tout. Dans la conception de
parents, le père peut être aussi capable d'autorité que la
mère, mais aussi être capable d'être là, pour faire
un câlin à son enfant. » (Pierre)
Pour certains comme pour Etienne, selon ses propos, des
résistances avec l'ambivalence qui les accompagne, existent
également chez les femmes, qui s'opposeraient à une trop grande
participation des hommes aux tâches habituellement maternelles. Le
vécu des pères dans les points rencontres venant témoigner
par ailleurs d'une position d'emprise de la mère :
« Je pense que les hommes revendiquent de plus
en plus leur paternité. On a l'impression de voir des hommes un peu
femmes et des femmes un peu hommes. Ça choque certains qui pensent que
la société prend une mauvaise tournure, où tout
s'homogénéise, moi je crois que c'est plus fin que ça,
c'est-à-dire que c'est un peu le partage des tâches. Pour moi, un
homme qui change les couches, ou qui passe un balai, c'est ni un homo, ni un
allumé. La première fois que j'ai passé le balai, avec mon
ex, je me suis fais engueulé, la réponse a été ce
n'est pas ton rôle. Parce que il y a aussi des femmes
qui sont dans l'ancienne génération, même si elles sont
jeunes parce qu'elles ont été éduqué dans une
génération qui estime que un homme c'est un homme, une femme
c'est une femme. » (Etienne)
Il y aurait alors au regard de certains témoignages
dont celui de Valentin, le sentiment d'un retournement du côté des
femmes, notamment quand elles décident de remettre en question un mode
de garde partagé, ce qui peut être attribué à la
culpabilité des mères de ne pas occuper la place qui leur est
désignée socialement :
« Que le père fasse tout ce qu'il peut,
il n'y a pas de rôle de femme ou d'homme. C'est vrai que beaucoup de gens
m'ont dit que je me suis mis trop au rôle de femme, que je me suis trop
investi, et que à un moment elle s'est rendu compte qu'elle n'avait plus
son rôle de femme, et ce qui lui a fait peur. »
(Valentin)
Beaucoup d'entre eux évoquent par ailleurs l'influence
néfaste de l'entourage social, qu'il soit familial ou amical, de leur ex
compagne, dans ses décisions ou changement de décisions qui les
étonnent parfois.
Les personnes interrogées posent à travers ces
représentations des rôles, la question de l'importance des
modèles dans la construction de l'identité. Ainsi, les
rôles des pères et mères peuvent être similaires
selon eux, sans pour autant porter atteinte à leur identité
propre d'homme ou de femme :
« Ils peuvent s'occuper des bébés
comme les mères, mais que ce soit chez l'homme et chez la femme, on a
les deux parties qui nous complètent, donc la femme a son
côté masculin, et son côté féminin. Un homme
aussi a son côté masculin et un côté féminin,
donc si un homme a toujours vécu avec que le côté
féminin, il aura du mal à avoir son côté masculin
s'il n'a pas eu de modèle masculin pour son identité propre. Pour
moi le père autant que la mère a autant d'amour à donner
à l'enfant, c'est pareil, il n'y en a pas un qui va donner plus que
l'autre, c'est partagé mais chacun à sa façon, selon son
identité propre. » (Julien)
Il s'agit même de transmissions de valeurs selon cette
identité masculine ou féminine, d'où l'importance
soulignée de fonctions qui elles, ne sont pas interchangeables, et donc
justifient la présence d'un père et d'une mère, et non pas
n'importe quel couple parental :
« Je pense que toutes les fonctions ne sont pas
interchangeables, et que par rapport à la parenté dite
biologique, je suis en opposition, par
rapport à ceux qui prônent l'idée qu'on pourrait faire des
enfants sans père, biologiquement [...] Je ne crois pas que les
fonctions sont interchangeables, elles sont complémentaires et ce qui
par contre crée le grave déséquilibre c'est quand il y en
a un qui disparait de la circulation. Donc ce n'est pas de demander au
père de faire comme la mère. Moi, je pense que j'ai peut
être plus un rôle d'autorité, même si je suis loin,
parce que le papa, il dit, bon, ça commence à bien faire, mais la
mère l'a certainement aussi, une petite fille ce n'est pas pareil, mais
je pense que, non, deux mères n'élèveront pas un enfant
à la place d'un père et d'une mère. »
(Martin)
Aussi quand le terme de rôle du père et de la
mère est évoqué, il s'agit en réalité non
pas du rôle éducatif à proprement dit, mais d'une
transmission de valeurs selon son identité sexuée.
L'autorité par exemple, ou le sens du risque, sont
représentés plutôt comme des attributs naturels de l'homme.
Ainsi dans leur revendication à avoir une place auprès de
l'enfant, à égalité avec la mère, ces pères
insistent sur leur différence, sans qu'il s'agisse de distinction
sexuelle des rôles, mais soulignent l'importance d'une transmission de
ces différences de sexe pour l'enfant, et se démarquent dans ce
sens du discours qui reconnaît la légitimité de
l'homoparentalité :
« Le schéma traditionnel du XIX è,
l'homme au travail et la femme au foyer n'a plus court .En revanche, le
rôle du père et de la mère pour un enfant est très
différent. Pour l'équilibre d'un enfant, et d'un point de vue
psychologique. Ce que le père va apporter ou pas et
réciproquement, ce qui va venir de la mère, sera très
différent, ce n'est pas une question d'inégalité, c'est
qu'on fonctionne différemment, d'un point de vue sexuel, hormonal,
cérébral. Déjà la mère, à la base,
elle porte l'enfant, c'est elle qui va accoucher, et ensuite, elle va alimenter
le bébé, elle va allaiter. Pour ma fille, maman, ça veut
dire sa maman, et ça veut dire aussi manger.
Les enfants reconnaissent bien l'odeur de leur maman, ils reconnaissent un
peu moins bien l'odeur de leur papa. Ensuite, il y a
la structuration du langage ; le papa, lui, a une voix plus grave et le
papa quand le bébé est dans le ventre de sa maman, il parle. Il y
a ensuite des choses qui sont apportées par le père, comme par
exemple le sens du jeu, du risque, le sens de l'audace, et l'individuation,
c'est-à-dire couper le cordon ombilical. Faire comprendre à
l'enfant en devenir qu'il va devenir un adulte. Le père aide à
couper des choses, mais la mère aussi. S'il y a un conflit, c'est une
dynamique des deux et le père et la mère doivent aider à
cet épanouissement. Le rôle de la mère, c'est aussi
d'être un repère, un enfant qui va avoir peur, va aussitôt
dire maman, ce n'est pas anodin, donc c'est quelqu'un qui va apporter un
réconfort. Et puis l'autre chose qui est indispensable que le
père va apporter, c'est l'autorité, le respect de
l'autorité. Et ça, ça va aider des enfants à
comprendre qu'ils ont des limites, c'est ce qui va les aider à se
protéger aussi, de tous les dangers Je pense que c'est
essentiel pour le bon équilibre des enfants. Dans les situations de
séparation, il est donc indispensable que les enfants voient à
parité égale, le père et la mère. Ils ont autant
besoin des deux. La maman apporte des choses et le papa d'autres
choses. (Michel)
Le père représente donc aussi celui qui va
orienter son rôle éducatif dans le jeu et la prise de
risques, celui qui permet la séparation, celle des
enfants de leurs parents :
« Il y a ensuite des choses qui sont
apportées par le père, comme par exemple le sens du jeu le sens
du risque, le sens de l'audace, et l'individuation, c'est-à-dire couper
le cordon ombilical. Faire comprendre à l'enfant en devenir qu'il va
devenir un adulte, parce que le dessein des parents, c'est de devenir inutiles
par la suite ; que l'enfant puisse se passer totalement de ses parents,
que les parents ne deviennent plus qu'un souvenir par la suite. »
(Michel)
Et parfois en faisant allusion à des images
traditionnelles fortes et symboliques sur les places domestiques de l'homme et
la femme :
« Le rôle du père c'est aussi
l'autonomie du gamin, la mère, c'est la maison la décoration, le
père c'est l'extérieur, c'est le risque : par exemple, moi,
mon père m'avait offert un couteau et j'ai offert un couteau à
mes enfants, pour manger, pas pour se battre, mais apprendre à s'en
servir, à découper. C'est faire confiance à l'enfant, et
c'est ça aussi les pères, la mère c'est
l'intériorité, traditionnellement, c'est le cocon, et le
père c'est l'extérieur, c'est ça aussi les rôles du
père. Traditionnellement c'était des chasseurs et les
mères des cueilleuses. » (Eric)
Pour d'autres, comme Paul, ils soulignent justement la
situation rendue injuste par la permanence du caractère traditionnel de
ces représentations :
« La majorité des gens hommes et femmes,
pensent qu'il est plus normal que l'enfant soit avec la mère qui porte
l'enfant, et l'homme représente la force. Par exemple pour les
témoignages, très peu iront témoigner pour le père,
contre la mère. Un ami m'avait dit qu'il trouvait que mon fils
avait une meilleure relation avec moi qu'avec sa mère. Et au divorce ma
femme a présenté une attestation de lui en sa faveur. Quand je
l'ai questionné, il m'a répondu qu'un enfant était mieux
avec sa mère. Cela me choque, le processus n'est déjà pas
fait pour l'égalité. » (Paul)
Quant à Etienne par exemple, il relève
l'importance surtout à ne pas élever seul un enfant, dans
l'intérêt des femmes également qui aspirent à autre
chose que d'être confiné dans un rôle exclusif de
mère. Et quand des pères souhaitent ce partage, celui ci
déplore la défaillance institutionnelle qui ne soutient pas,
voire empêche cet élan :
« Je comprends que pour certaines choses c'est
vrai, une femme ne sera jamais un homme et un homme jamais une femme ; par
exemple en terme d'autorité, l'autorité du père, ce n'est
pas qu'on veut revendiquer l'autorité, mais il y a une connotation
différente vis-à-vis des enfants, donc elle et importante cette
autorité, mais même dans l'autre sens d'ailleurs. Une femme qui
veut tout prendre, un homme qui veut tout prendre, c'est quand même
délicat à gérer, être à la fois le
décideur, l'autorité, et après le câlin, c'est quand
même des ambiguïtés qui sont pas faciles à
gérer Je pense qu'il y a beaucoup de femmes
qui veulent cette égalité parce qu'elles voient là le
moyen de s'exprimer autrement. En tant que mère c'est bien, beaucoup ne
veulent pas être que mères, elles veulent être femmes, avoir
un rôle dans la société, et donc ce ne serait possible que
si les hommes prennent le pendant, et c'est aussi ce qui se passe maintenant,
donc c'est aussi fort de café d'être dans une situation comme moi,
qui revendique ma paternité, qui dit je veux m'occuper de mes filles et
il faut que je me batte pour ça, alors qu'il y a des femmes qui se
battent pour obliger leur ex d'assumer leur enfant. Donc quand on entend
quelqu'un comme moi qui dit je veux m'occuper de mes enfants, on a du mal
à comprendre qu'un juge ne dise pas, écoutez, il y a un monsieur
qui veut s'occuper de ses enfants, en quoi c'est mal, Madame,
arrêtez. » (Etienne)
Ainsi, transparait à travers ces récits, la
permanence de tensions entre des représentations traditionnelles de
rôles sexués auxquelles ils demeurent parfois attachés, et
le constat d'une évolution plus égalitaire au regard de la
génération précédente, et à laquelle ils
adhèrent. D'où la volonté que manifeste ces pères
séparés, d'une égale reconnaissance de leur statut
parental avec celui de la mère, de la part des institutions,
derrière laquelle s'exprime un sentiment d'être victime d'une
injustice.
7.2. Le combat pour une
égale reconnaissance
Témoignant d'un empêchement à se faire
entendre, leur demande à être considéré comme un
parent à part égale, signifie pour eux un égal traitement
quand il s'agit de contributions parentales. Ainsi ces pères luttent
contre l'injustice qu'ils éprouvent due au fait d'être
désigné comme coupables à travers les jugements rendus
dans lesquels ils sont condamnés à verser une pension
alimentaire. Une condamnation qui les stigmatise d'autant plus par le fait
qu'elle les associe à des parents visiteurs. Leurs luttes les
confrontent alors aux institutions, de la justice notamment, envers qui ils
éprouvent un sentiment de trahison.
7.2.1. Sentiment d'injustice :
la condamnation au paiement d'une pension alimentaire
Les pères rencontrés dans les associations
acceptent en général le principe de payer une pension
alimentaire, voire pour certains seraient prêts à payer plus si
elle leur permettait de voir leurs enfants, même si par ailleurs, ils
disent la trouver souvent trop excessive. Ils sont cependant atteints par le
fait qu'elle leur soit présentée comme une condamnation, les
désignant comme coupables, mauvais pères. Ils soulignent alors
l'effet pervers du système qui consiste au fait qu'avoir la garde des
enfants permettrait d'avoir un revenu. Ainsi, quand sont abordées les
questions qui concernent la pension alimentaire, les pères font part de
la convoitise de leur ex conjointes pour obtenir de l'argent ; ils
dénoncent le soutien des institutions dans des comportements où
l'attrait pécuniaire motive la demande des mères :
« Mais parce qu'il y a des enjeux financiers, la justice engendre les
enjeux financiers, et plutôt que d'apporter une solution, et bien c'est
la prime. Pour les femmes qui veulent se séparer, ou divorcer, il y a un
enjeu financier qui va leur permettre de gagner plus,
arrêter, ou continuer à ne pas travailler, d'avoir la pension
alimentaire », me rapporte un adhérent.
La situation de Patrick est un exemple de conflit
extrême conduisant à des dérapages en rapport avec l'enjeu
financier dans le mode de garde :
« Il se trouve que dans tous les organismes
sociaux et autres, elle m'avait déclaré
décédé, sauf pour la pension alimentaire. En 2007, elle
m'a fait repasser au tribunal pour avoir une pension alimentaire explosive,
injustifiée, j'ai fourni les justificatifs comme quoi je payais bien.
Donc cela a déclenché tout un système, assistantes
sociales, enquêtes. On verse des sommes folles,
et on ne sait pas ce que devient l'argent. J'ai le cas avec mes propres
enfants, tous les quinze jours depuis trois ans qu'on vient les chercher, on
les récupère dans un état lamentable, à chaque fois
on les rhabille de la tête aux pieds..Donc on a trouvé la
pompe à fric, sauf que l'argent doit être là pour le bien
des enfants, pour leur scolarité et leurs loisirs alors qu'il n'y a
rien. Et quand la moyenne lui a dit je veux aller avec papa, elle m'a
envoyé un message pour dire qu'il était hors de question qu'elle
vienne chez moi, parce que ça allait lui diminuer ses revenus sociaux,
elle avait besoin de la pension alimentaire, payer les loyers et les frais pour
aller dans le midi. » (Patrick)
Ainsi, condamnés à verser une pension
alimentaire, ils ont la sensation que cet argent qui représente leur
contribution parentale non seulement leur échappe, mais ne répond
pas à leur demande de pouvoir s'occuper de leurs enfants, comme
l'illustre Valentin dans ses propos :
« Moi, mon souci, ce n'est pas la
décision, c'est le fait que c'est injuste pour moi qu'on ne m'accorde
pas les enfants, je serais prêt à payer une pension alimentaire
pour voir les enfants. Je fais appel, je demande à payer une pension
pour les enfants. Là je paie déjà une PA, alors que Madame
gagne deux fois plus que moi, je vais négocier dans mon appel le fait de
payer une pension alimentaire, mais je veux plus mes enfants (c'est à
dire les voir davantage). » (Valentin)
Ce qui est exprimé alors c'est le sentiment d'une
injustice à leur égard, qui viendrait témoigner d'une
inadéquation entre leur volonté à s'occuper de leurs
enfants en conformité avec l'évolution égalitaire de la
société, et le fait en réponse d'avoir à payer pour
cela :
- C'est important pour vous que le père tienne
aussi ce rôle à travers la pension alimentaire ?
« Pour moi le père a son rôle de
père et payer une pension alimentaire ce n'est pas un rôle de
père, parce que vous savez il y a des pères, ils paient la
pension et ils n'en n'ont rien à faire des enfants, moi je ne suis pas
un père à payer une pension alimentaire et ne pas voir mes
enfants, moi je ne vois pas mes enfants suffisamment. J'avais demandé la
garde alternée, et elle au début c'est ce qu'elle voulait, mais
avec en plus une pension alimentaire ; attend, si on a la garde
alternée, je ne vais pas payer de PA. J'ai dis oui, mais j'ai des
charges. Et bien les juges ont refusé la garde alternée, et j'ai
eu 1, 3,5. Elle a demandé ensuite la garde totale avec 900 euros de
pension alimentaire. » (Valentin)
Estimant être victime d'une injustice, la condamnation
perçue comme une punition, les stigmatise d'autant plus :
« Alors après, il y a le principe de la
pension, alors là, c'est une guerre sans fin, c'est des moyens de
pression aussi, parce que des fois quand le père a des
difficultés, et bien c'est le premier puni, pas la mère. Parce
que quand la mère, elle refuse de remettre l'enfant, c'est une
obligation pour elle, alors que pour nous ce n'est pas une obligation. En fait,
nous sommes obligés de payer la pension, et la mère est
obligée de nous remettre l'enfant. C'est-à-dire, c'est celui qui
a la résidence principale qui est en obligation. Et là où
est le déséquilibre, sur un point de vue juridique, c'est qu'elle
ne fait rien pour rééquilibrer la balance. Alors que la justice,
c'est la balance, et bien là, il y a toujours
déséquilibre : Quand un père ne paye pas sa pension,
on le punit, on le met quelquefois en prison, ou on le menace d'y aller ;
une mère, si elle ne remet pas l'enfant, on lui dit rien, on lui dit
seulement, il ne faut pas recommencer madame. « (Pierre)
Les pères dans ces associations, dénoncent
au-delà des critiques qu'ils manifestent, les effets pervers d'un
système alimenté par le conflit. Une logique institutionnelle qui
maintiendrait les parents séparés dans un fonctionnement
basé sur une distinction sexuelle des rôles en laissant des
mères dépendantes des pensions comme sources de revenus, car
seules avec leurs enfants, et des pères qui se disent spoliés,
évincés de leur rôle de parent :
« Aujourd'hui, la pension alimentaire est une
prestation sociale, payée par les pères aux mères,
voilà comment fonctionne le système français. Donc il y a
toutes les allocations et celle là elle se rajoute, et puis celle
là, ça ne coûte pas cher de la demander, et on peut la
faire réévaluer régulièrement. Par contre, quand
vous baissez, le temps de ressaisir un juge, pour pouvoir vous en sortir, enfin
moi ce n'est pas mon cas. Moi je l'ai payé en résidence
alternée parce que j'estimais un, je voulais un accord, et je me suis
dit si c'est ça le problème, ce n'est pas
méchant. » (Martin)
Un effet pervers qui par ailleurs conduirait à
alimenter le maintien de représentations
stéréotypées sur les rapports hommes femmes, ce
qu'illustrent les propos de Pierre :
« Il faudrait que je lui donne la moitié
de mon salaire pour la satisfaire ; voyez, on revient toujours sur ce
point matériel. Parce que, grosso modo, le pourcentage des mères
en général se base sur le pécule. Qui est la source, c'est
l'enfant. Donc, tant qu'on a cette source pécuniaire, tout va
bien ; et si on change les données, et bien, la source, elle est
tarie. Parce que moi, vous savez, ça ne m'arrange pas d'avoir une
pension à payer, je préfère l'avoir en
alternance. » (Pierre)
La question de l'argent est un problème
récurrent et central dans l'évocation de leur problème de
positionnement de parent. Est contesté notamment le fait que
l'association mode de garde et paiement de pension alimentaire, contredit d'une
certaine façon la fonction éducative, et ne permet pas finalement
aux pères d'assurer leur responsabilité parentale, en ne prenant
pas en considération par exemple les charges du père quand il
accueille ses enfants :
« Je pense que c'est normal, qu'un parent paie
quand l'autre a la garde, s'il a des frais pourquoi pas mais on ne prend pas en
charge le fait que l'autre qui est non gardien a autant de frais parce qu'il
est obligé d'avoir l'hébergement, l'ameublement, la literie, le
linge, et tout quasiment en double, donc là-dessus zéro.. Il faut
distinguer les pensions du mode de garde, car dès que vous n'avez pas la
garde vous êtes obligés de payer une pension, ce n'est pas normal.
Et moi je serais pour le paiement des prestations en nature, que j'ai fait un
tout petit peu, déjà, c'est plus valorisant, vous payez les
choses directement. » (Martin)
Ainsi sans s'opposer frontalement au principe du paiement
d'une pension alimentaire, qui dans une représentation traditionnelle
n'écarte pas le père de sa place de pourvoyeur et donc protecteur
du foyer, ces pères estiment néanmoins le fonctionnement injuste
dans la mesure où il ne leur permet pas de participer directement aux
frais d'entretien des enfants, en les condamnant à verser une somme
d'argent à leur ex conjointe14(*). Une pension qui, estiment ils, ne leur permet pas de
voir leurs enfants, les éduquer, mais au contraire les écartent
de leur rôle de parent sachant que cette source de revenus contribue au
maintien de l'enfant seul avec sa mère, et est motivée par celui
ci. Ils dévoilent ainsi les risques d'un fonctionnement qui d'une part
alimente le conflit dans le couple parental en permettant une transaction
directe d'une pension entre deux conjoints qui se séparent et se
déchirent. D'autre part, ce système contribue à faire
obstacle à la volonté des pères séparés
à tenir un rôle éducatif plutôt qu'un rôle de
père symbolique, sans correspondance avec les aspirations
émancipatrices de la sphère privée :
« Les mères critiquent les pères
sur l'éducation qu'ils donnent, et elles estiment que le père
n'est là que pour le tiroir caisse. Ils sont là aussi pour donner
l'amour à l'enfant, ils sont là pour les aider à avoir un
modèle masculin, dans sa vie d'adulte, et deuxièmement aussi, les
mères en fait, profitent plus de l'argent que l'enfant. »
(Julien)
« Le père joue son rôle
d'éducateur, le père est maintenant beaucoup plus disponible, n'a
pas qu'un rôle de père. Ce n'est pas seulement celui qui va
ramener de l'argent à la maison, on est complémentaire, parce que
avant le rôle du père était surtout financier, social ce
qui fait qu'il pouvait ne pas être là et la mère elle avait
son rôle, c'est la femme qui faisait tout à la maison, qui
élève les enfants. Je dis souvent aux femmes, quand il y a un mec
macho, c'est la mère qui l'a rendu macho, ce n'est pas le père
car l'éducation est faite par la mère. Même mon père
qui était quelqu'un de très dur, qui était autoritaire, en
réalité c'est ma mère qui menait la maison qui s'occupait
de tout, qui dirigeait. » (Valentin)
Comme en illustration à l'analyse sociologique d'Ulrich
Beck ou Thierry Blöss, référée en première
partie, il se dégage à travers ces discours l'idée d'une
inadéquation entre une fonction paternelle plus relationnelle
portée par l'émancipation de la famille, et la résistance
institutionnelle qui maintient voire renforce un schéma de division
sexuelle des rôles, producteur d'inégalités. Ainsi que
l'exprime Léon quand il met en exergue cette contradiction
douloureuse :
« L'idée que mes enfants n'allaient plus
être avec moi, c'était un déchirement, en poussant le
bouchon, je dirais j'aurai estimé avoir droit à une indemnisation
si je ne pouvais plus voir mes enfants ;
c'était le contraire, ça ne m'avait pas
traversé l'esprit, je le dis là, parce que je suis plus calme.
Mais d'une part on vous enlève ce qui est pour moi, c'est toujours le
plus important dans ma vie, et en plus on vous dit, tu vas payer pour qu'on te
l'enlève, c'est d'une violence inouïe, , en plus on vous le renvoie
en disant tu ne veux pas payer pour tes enfants, tu les aimes pas, et là
le monde s'écroule, oui, c'est ça, on vous renvoie que vous
n'assumez pas. Et cela permet même à certains de se
décharger, on leur permet cela en disant, je paie, je n'ai pas besoin de
m'investir davantage, je suis tranquille. D'ailleurs, le droit de visite et
d'hébergement c'est un droit, ce n'est pas un devoir ; c'est
effrayant ça, moi je trouve qu'on devrait dire monsieur vous êtes
obligés de prendre l'enfant tous les quinze jours ; jamais un
père n'est poursuivi parce qu'il ne prend pas ses enfants le week
end. » (Léon)
Au-delà du conflit conjugal cristallisé autour
de la question des enfants, les pères séparés dans ces
associations parlent de leur sentiment d'une véritable trahison de la
part des institutions. Effondrés le plus souvent par
l'évènement de la séparation, ils misent sur le soutien de
la justice, et s'adressent aux associations d'aide pour la condition des
pères, avec l'espoir et l'assurance parfois de trouver une issue
à leur situation.
7.2.2. Le sentiment
d'être trahi par les institutions.
Les griefs émis à l'encontre de leurs ex
conjointes représentent alors surtout autant de plaintes
adressées aux institutions, qui représentent la
société :
« Le souci de la conception de parent, chacun a
sa part différente mais aujourd'hui la société peut qu'on
soit sur le même pied d'égalité. Alors qu'on donne
l'investissement à un père dans la société, et
à la mère dans la société, et là tout le
monde sera content. » (Pierre)
Aussi le fonctionnement des administrations que sont la
justice mais également l'école, est décrit comme un
soutien aux mères dans l'exclusion que les pères subissent, les
conduisant à dénoncer une injustice, ainsi que le souligne un
adhérent quand il dit : « Quand ils font la
démarche, c'est qu'il y a eu un grave problème en amont,
ça peut être un enlèvement d'enfant international, mais
aussi national..Les problèmes de non présentation d'enfants, ils
portent plainte mais elles sont classées sans suite.
L'éloignement géographique, c'est une des martingales, si je puis
dire pour une mère qui veut mettre de la distance entre le père
de ses enfants et ses enfants. C'est très simple, il suffit de les
déscolariser, ça se passe sans aucun problème, c'est
malheureux, mais c'est la vérité, les responsables
d'établissements scolaires ne demandent pas l'autorisation expresse, ne
s'enquièrent pas du jugement à partir du moment où la
mère a décidé d'enlever les enfants et de les amener
ailleurs, ils ne demandent pas l'autorisation du père.
A partir du moment où le père a l'autorité
parentale, il n'y a aucune raison d'enlever les enfants ». Le rapport
à l'institution scolaire est en effet fréquemment
évoqué, et vécu tout comme l'institution judiciaire comme
non soutenant, dans une position de parti pris, en faveur de la mère.
Aussi quand ils s'investissent pour obtenir de meilleurs droits auprès
de leurs enfants, ils soulignent l'importance à tenter de maintenir un
lien avec l'école, et quand ils ne le font pas, l'association les
incitent à participer à la vie scolaire de leurs enfants,
à consacrer du temps auprès d'eux de façon à
s'investir dans leur rôle de parent. Comme pour Martin, qui malgré
l'éloignement géographique ou en raison de cela, s'investi
auprès de son enfant grâce au lien qu'il entretient avec
l'école :
« Je suis accompagnateur. Sa mère est
à côté, moi je suis à 500 km, j'arrive. J'ai fais
les sorties classe nature. Je le fais déjà c'est pour être
avec ma fille, et puis après je fais un petit reportage photo, je
l'envoie, j'ai les remerciements de tout le monde, les gamins ils sont
contents. »(Martin)
Il se dégage de leurs discours qu'au-delà de la
séparation conjugale, ils ont l'impression d'être
lâché par la justice, par les institutions.
Ils éprouvent le fait d'être exclu, et s'ils
espèrent rétablir leur situation quand ils s'adressent aux
associations, la tâche des animateurs est de les réveiller
à la réalité : « C'est une forme
d'exclusion aussi, en plus d'être exclu par la mère, c'est un peu
la double peine.. Donc c'est vrai qu'on a des gens qui n'ont
peut être pas fait le deuil de leur relation et qui poussent la porte, et
qui se disent tiens encore un espoir, quelque chose qui leur permettent
d'espérer. Quand ils poussent la porte, ils veulent espérer
même si c'est quelque chose qui n'est pas réaliste. Et nous, le
but dans les permanences c'est de les faire redescendre sur terre, et de leur
expliquer ce qui va se passer. »
« On rentre dans un domaine totalement
ubuesque, c'est-à-dire quand on est dedans, on réagit, et puis
ça se retourne contre nous ; on ne comprend pas, on arrive avec la
bonne foi, on essaie de s'expliquer, moi je suis rentré dans la
procédure en me disant, il y aura peut être un décalage en
faveur de la mère, ce n'est pas grave, mais je ne m'attendais pas
à me faire laminer comme ça. Et il n'y a pas de moyen de
lutter. » (Léon)
Persuadés d'être de bons pères, ils
semblent en effet surpris par les décisions de justice, et ont le
sentiment d'être trahis par l'institution, la justice en qui ils avaient
confiance. Au-delà de la décision rendue, ils se
présentent anéantis surtout par la façon dont ils sont
traités, qui les désigne comme des parents accessoires et
coupables. Au sujet des pères qui arrivent, me confie un
président d'association, le plus souvent, soit ils pensent que l'avocat
était mauvais, soit qu'effectivement ils sont de mauvais pères,
d'où le fait qu'ils aient des difficultés à prendre la
parole la première fois. Les pères arrivent ainsi dans un certain
état d `esprit selon lequel : « pendant
plusieurs années, ils ont été les meilleurs pères
du monde, et brusquement, ils deviennent des parias, complètement
détruits, inutiles » :
« Ma demande au départ, mon souci, c'est que
quand je suis passé devant le juge, j'avais demandé la
résidence alternée de base. Eventuellement après, un week
end sur deux, un mercredi sur deux. J'ai vu la juge, alors, tout de suite, moi
zéro. - Vous voulez quoi ?, la résidence
alternée ? Ce n'est même pas la peine d'en parler, vous
n'êtes pas capables de trouver un compromis entre vous deux, vous
êtes toujours en conflit, et puis l'enfant est trop petit, deux ans et
demi, c'est trop jeune, il ne pourra pas s'adapter. - Alors moi,
j'étais un peu dans le coltard.- Donc, qu'est ce que voulez ? Et
bien un week end sur deux, et un mercredi sur deux.- Ok, et puis
terminé. » (Pierre)
Il peut s'agir pour certains, d'un concours de circonstances,
dont une décision autoritaire d'un juge, qui les met face à une
impasse, pour pouvoir occuper leur place de parent :
« Quand elle a commencé à remettre
en cause la garde alternée j'ai pensé à l'association,
mais je ne pensais pas être dans une situation catastrophique qui
nécessite d'aller les voir, donc je n'y suis pas allé au
départ, et puis surtout je pensais être de bonne foi, j'avais un
contact très étroit avec mes enfants,
et ça été - Je demande qu'on retire
l'autorité parentale à monsieur- J'ai pris ça comme un
coup de massue, et je suis allé voir l'association. J'ai expliqué
le problème, et en fait c'est parce que je refusais de signer les
documents nécessaires au renouvellement des passeports américains
de mes enfants. » (Léon)
Amoindris par leur situation, ils se décrivent alors
comme des pères maltraités par un système judiciaire
que la mère de leurs enfants aurait déclenché :
« Donc cela fonctionnait (la résidence
alternée), puis retour à la case départ. Alors là
ça été terrible parce que j'ai vu tout ça partir en
vrille, mais j'ai été prévenu parce que je suis venu ici,
et là je savais ce qui allait m'arriver.
-Qu'est ce qui a été le plus dur à ce
moment là pour vous ?
D'accepter, de savoir, que j'allais passer devant un
mauvais juge qui allait rien me donner, devant qui j'allais perdre,
parce que les avocats ici me l'avaient dit
- perdre, c'est-à-dire ?
Perdre la garde alternée. D'abord ne plus voir mon
enfant, c'est terrible, deuxièmement juridiquement d'être battu,
sur un terrain juridique alors que j'avais un excellent dossier. C'est
inacceptable, de savoir que le magistrat allait me passer à la
moulinette, je suis discriminé, et on me répond vous osez,
réclamer, c'est ça le discours. » (Martin)
C'était un jugement, et on m'a traité de
tous les noms, on m'a traité de gigolo, que ma femme gagnait plus que
moi. Alors ce qui fait que je suis passé pour un gigolo. Ma femme, Elle
s'est permis de m'insulter comme ça, c'est malhonnête devant le
juge. la personne qui demande entre en premier, madame est restée vingt
minutes, alors que moi, on ne m'a gardé que deux minutes avec le juge,
j'étais pris.. (Valentin)
Les animateurs disent rencontrer des personnes
« dans un état de nerfs assez avancé, de souffrance
parce qu'ils sentent que la justice de leur pays n'est pas comme ils l'avaient
idéalisée, et c'est l'étonnement total. »
« Dans toute cette histoire, le truc que je
supporte très mal, ce que je ne suis pas près de pardonner, c'est
l'incompétence des autorités. Où vous vous retrouvez avec
des assistantes sociales de façon injustifiée, et quand vous
demandez de l'aide et on n'en tient pas compte. Vous les alertez, on s'en fout,
on vous balance, alors là, vous vous retrouvez avec des enquêtes
sociales aux fesses. » (Patrick)
Une justice qu'ils estiment injuste à leur
égard :
« Mon ex femme a refusé encore une fois
d'envoyer les enfants pour cet été, c'est pour ça que je
vais déclencher une autre procédure. Ce qui est extraordinaire
c'est qu'elle refuse en se mettant en violation des décisions de
manière flagrante, et jusqu'à présent ce qui a
été fait, à chaque fois qu'elle était en
opposition, et bien on a pris la décision de justice qui
régularisait ce qu'elle avait fait, L'argumentation c'est que je refuse
la signature des papiers américains ce qui a été traduit
ensuite en cour d'appel par monsieur est incapable de prendre des
décisions pour l'éducation de ses enfants. Donc pour les juges
quand on prend une décision contraire à la maman, c'est qu'on
n'est pas capable de prendre la décision. »
(Léon)
Ils peuvent exprimer aussi le fait d'être
dévalorisés au regard de la société,
désignés en pères suspects, stigmatisés, un
sentiment d'autant plus ressenti par les pères ayant des droits de
visite dans des points rencontre :
« Et avec ce qui se passe à la
télé, si en plus on parle de violence conjugale, vous avez une
étiquette, si en plus, on parle d'attouchements, vous avez une
étiquette, donc je passe mon temps à avoir des étiquettes
et les enlever. Le problème avec la justice c'est que si on se met
à mal avec un juge, on est mort. Donc on fait des grands sourires, on
avance et on essaie de contre attaquer..Il faut être zen, car on ne vous
regarde pas comme il faut, à l'école, on ne vous regarde pas dans
les yeux, c'est immonde. Alors il y a deux solutions, soit on fuit, soit on
reste sur ses pattes et on essaie d'être droit, c'est ce que j'essaie de
faire. Mais ce n'est pas toujours évident. » (Etienne)
« En fait vis-à-vis de la justice je n'ai
pas les arguments forts, mis à part le conseil du point rencontre
où les relations se passent très bien avec les
enfants, mais derrière, il n'y a rien et il y a que des
accusations qui sont lancées sans arrêt, donc, à mettre le
doute sur les relations du père avec les enfants. »
(François)
Aussi, avec la sensation d'être méprisé
par le système, de se trouver déstabilisé et en
insécurité, ils se sentent trahis par l'institution, et à
l'extrême disent éprouver une véritable rancoeur à
l'égard de l'Etat :
« J'ai fulminé pendant des mois, en me
disant je faisais parti des abrutis qui étaient capable de dire et qui
l'ont dit, j'ai confiance en la justice de mon pays.. L'avocate elle
est dans son rôle d'avocate à la limite, c'est la partie adverse,
on peut comprendre. Mais la juge, je n'ose même pas dire de la
République, on n'imagine pas ça, quand on est naïf comme moi
en tout les cas. C'est effrayant, en plus je ne supporte pas quelqu'un qui
abuse de sa force, ceux qui sont forts ont le devoir de protéger les
faibles. Je pensais innocemment que ce qu'on appelait les valeurs de la
République, c'était ça aussi, et là clairement dans
la justice ça n'y est pas.. C'est terrible ce que je vais dire, mais on
n'est pas en sécurité en fait... Et puis toutes
les mains courantes que j'ai faites n'ont jamais servi à rien.
Il y a un moment où on démissionne. »
(Léon)
Les pères attendent un soutien de l'institution, qu'ils
n'obtiennent pas, et sont effondrés de cela. Ce sont autant de
situations qui viennent interroger la place du père dans la
société dans le sens où le père qui fût un
temps, devait symboliser la loi, se trouve trahi par l'institution judiciaire
qui représente la loi :
« Et puis j'ai fais en partie, en tout cas j'ai
commencé à faire mon deuil de la République. Parce que
moi, vous savez, j'ai en 1986 travaillé aux Etats unis, ça s'est
super bien passé, j'ai un esprit qui s'adaptait bien aux entreprises
américaines, et on m'a fait des offres qui étaient très
intéressantes, et je n'ai pas voulu. Et vous savez pourquoi, parce que
je voulais offrir mes talents à la France, parce que je voulais
travailler pour la France, alors je peux vous dire que ce que m'a fait la
justice, ça c'est une blessure qui ne se refermera pas. »
(Léon)
Leur espoir déçu, leur colère
revendicative, se transforment ainsi en amertume et en lassitude, et le travail
des associations va alors se situer à ce niveau, à partir duquel
selon leur expression, il va falloir « redescendre sur
terre », se ressaisir ou « reprendre la main »,
en préparant un dossier positif : « Déjà en
fait ils ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas voir leurs enfants.
Donc à partir du moment où on va leur expliquer pourquoi la
justice leur met des bâtons dans les roues pour pouvoir voir correctement
leurs enfants, là ils vont comprendre, malheureusement quand je dis
qu'ils vont redescendre sur terre, c'est ça, c'est-à-dire
qu'effectivement c'est là qu'ils vont comprendre que ça va
être beaucoup plus difficile que ce qu'ils avaient en tête. Et donc
il y a un gros travail de remise en question, il faut replonger dans ses
souvenirs, essayer de voir où est ce qu'on a été un bon
père ; il faut démontrer qu'ils ont été un bon
père, ça ils ont du mal à le comprendre, alors qu'une
mère n'a pas à démontrer qu'elle est une bonne
mère, donc il y a une espèce de discrimination sur le sexe, qui
est inacceptable. »
« J'étais très correctement
indemnisé par le chômage, et je voulais trouver un travail bien,
et je vois l'avocate cet après midi, elle me dit vous êtes au
chômage, il faut travailler pour prouver que vous êtes
bien.. » (Léon)
Ainsi ces pères se trouvent dans la situation
paradoxale à devoir prouver qu'ils sont de bons pères en
démontrant leur capacité à tenir leur rôle de
pourvoyeurs de revenus, ou tout au moins d'hommes s'accomplissant
professionnellement.
Parallèlement à une posture de
résignation, alors qu'ils disent démissionner après avoir
lutté dans l'espoir d'une reconnaissance de leur place de parent
à part entière, les pères interrogés et
observés au cours des permanences, s'inscrivent en se projetant dans
l'avenir pour leurs enfants. Confrontés ainsi à la
réalité, pour justement éviter la démission, qui
peut aller jusqu'à une rupture totale des liens parent/enfant pour les
pères qui ne parviennent plus à voir leurs enfants, ils vont
grâce à l'aide proposée et aux échanges qui
s'opèrent dans les associations, apprendre à se repositionner
à leur place de parent par l'apprentissage à la restauration d'un
dialogue avec leurs enfants et avec la mère de leurs enfants.
7.3. Face à la
réalité : espoir et restauration d'une place de parent par
le dialogue
L'inscription dans l'avenir
L'espoir que leurs enfants ne les oublieront pas et sauront
plus tard qu'ils se sont battus pour tenir leur place de père, leur
permet de ne pas sombrer pour certains. Dans la douleur d'être
séparés de leurs enfants, ils expriment des projets d'avenir pour
eux et cultivent l'espoir que leurs enfants ne les oublient pas, ce qu'ils
témoignent parfois par des sentiments passionnels, de survie :
« Je me suis mis à genoux devant la
poussette, pour dire à mon fils je suis ton papa, je t'aime et je pense
à toi tous les jours, je lui ai répété ça,
je t'aime, je pense à toi tous les jours et je ne t'abandonnerai
pas. » (Vincent)
« Ce qui me manque le plus, C'est l'amour que
j'ai pour lui, que je ne peux pas lui donner ; Avoir un moment de
câlin, lui parler, lui dire que je suis son papa, que je l'aime, que j'ai
envie de faire des choses avec lui, que c'est mon fils, et que je serai
prêt à mourir pour lui. C'est ça qui me manque. »
(Julien)
« Même si on est soutenu, il y a beaucoup
de papas qui s'écroulent, enfin, à leur manière. Par
exemple, les points rencontre, ils abandonnent, parce que c'est trop dur. Le
premier conseil que je donne aux gens qui sont vraiment très mal, c'est
l'instinct de survie, vous devez bien boire, bien manger, bien dormir,
même si c'est très dur à entendre, c'est la base de tout.
Si vous faites attention à bien manger, vous hydrater, vous êtes
sur vos pattes et le cerveau, il suit. Si vous êtes en plus
fatigué, déshydraté, avec des manques, et des carences,
vous explosez ; si en plus vous êtes appelé par les flics
pour une garde à vue, vous êtes foutus. »
(Etienne)
En pères impliqués absents, désireux de
s'inscrire comme parent malgré tout, ils vont s'accrocher au fait que
tout ce qu'ils tentent de mettre en place, profitera d'une certaine
façon à leurs enfants plus tard :
« Et bien moi, l'attente, j'espère que
mes enfants vont pouvoir se construire en ayant une image de leur papa et de
leur maman qui ont pu les aider au maximum, et se construire correctement. En
espérant qu'ils ne tiennent pas trop compte de nos déraillements,
de nos faiblesses, ça c'est un gros souci pour moi, moralement parce que
je me dis que dans quelques années on pourra me faire le reproche de ne
pas avoir trop assez assisté à la façon dont la maman a
déraillée, ça c'est quelque chose qui me hante un
peu ; Et puis j'espère que mes enfants me diront un jour et bien on
est content, on a réussi, vous nous avez aidé, là on vous
pardonne parce que vous avez déconné. Parce que mes enfants ce
n'est pas ma propriété, c'est ma chair, c'est la chair de mon ex
compagne, mais ce ne sont pas des objets et ça il faut bien le
comprendre, beaucoup de gens ne l'ont pas compris, pour qui les enfants sont
des objets, un moyen de pression sur l'autre, un moyen de détruire
l'autre. » (Patrick)
Face à l'engrenage judiciaire qui épuise leur
espoir d'obtenir un aménagement de vie leur permettant d'exercer leur
rôle de père, ils peuvent prendre acte de la situation et pour
certains comme pour Martin, organiser entièrement leur vie autour de
l'aménagement du droit de visite. Ce qui devient leur raison de vivre,
devant leur vie professionnelle ou même personnelle, pour laquelle ils
sont prêts à investir un deuxième logement quand
l'éloignement géographique l'impose :
« Je me suis dit, je m'en sors plus. - Vous ne
vous en sortez plus dans les procédures ?
Oui, là j'ai plongé, j'étais
assigné. Alors aussi, il faut que je vous dise, entre temps, j'avais
acheté un appartement pour voir ma fille, j'ai acheté un
appartement à Epinal. Je me suis installé là bas, le
même appartement que j'ai ici, tout en double, de A à Z. En face
de la gare, je peux la recevoir, le week end qui vient j'y vais trois
jours, j'ai loué une voiture... J'ai quand même compris même
si c'est douloureux, qu'un jour tout ça on ne le fait pas pour soi, mais
que c'est pour ses enfants, et un jour, et bien elle partira, ce sera autre
chose. (Martin)
« En tout cas, ils vont quand même vivre
leur vie d'adolescent, ils vont grandir, donc moi, j'ai fais mon deuil du reste
en quelque sorte ; tout ce que je pourrais obtenir, ce sera du
positif. » (Léon)
Leur situation les conduit en effet à se satisfaire de
la moindre évolution qui leur permettra d'améliorer leur niveau
de relation avec leurs enfants. Ils vont ainsi, avec l'aide des associations,
concentrer toute leur énergie autour de stratégies pour obtenir
du temps avec leurs enfants, ce qui nécessite de leur part un travail
visant à favoriser le dialogue.
La restauration d'une place
parentale
Dans ces associations qui offrent des espaces de paroles aux
pères, ils tentent de retrouver une place, une dignité de parent.
Pour certains, comme pour Martin, ce peut être l'épreuve de la
séparation qui les conduit à se remettre en question :
« Alors je m'accroche, je suis présent
dans la vie de ma fille, l'école, je fais tout, je suis un super papa,
on est dans la surenchère. Je suis élu parent
d'élève, je fais tout ce qu'il faut, mais pourquoi je fais tout
ça, je pense que quelque part je me suis révélé. Il
y a eu la naissance de ma fille, et la séparation, ça
été une deuxième naissance, et je me suis dit, tu es
effacé des tablettes, c'est fini, j'ai vu les autres et je me suis dit
si tu ne te manifestes pas, là maintenant, c'est fini, tu seras
rayé. » (Martin)
De façon générale, une fois passée
la surprise, révoltés par ce qui leur arrive ils sont
étonnés des réponses apportées par l'association,
qui relèvent de conseils de l'ordre de la négociation avec la
mère, même et surtout en cas de conflit. C'est alors
l'écoute et le réconfort d'autres personnes ayant vécues
les mêmes expériences, étant passées par les
mêmes étapes, qui vont les faire accepter une certaine orientation
dans leur position. De celle de conflits de pouvoirs, à celle d'une
stratégie par la négociation, en se centrant sur la
réalité de leurs désirs pour leurs enfants. Ils vont ainsi
sur les conseils des plus avertis, devoir adopter des choix pragmatiques, en
préparant leur dossier pour les audiences. Mais aussi tenter des
négociations à l'amiable avec la mère de leurs enfants,
donc apaiser le conflit, en renouant, voire en instaurant le dialogue, afin de
conserver le lien avec l'enfant :
« En venant ici, cela m'a permis d'arrêter
la procédure, il m'a dit d'être diplomate. Et puis j'ai vu des
gens pour qui c'était pire. Donc cela m'a fait considérer la
chose autrement. Qu'il ne fallait pas que je bosse pour les avocats..Cela m'a
beaucoup aidé pour prendre cette décision là, elle a
même été surprise la mère de mon fils. Mais pourquoi
tu n'as pas pris un avocat, on ne t'a pas prévenu, m'a-t-elle dit. J'ai
dit non, je vais à l'association, et là ça l'a
rassurée. Et à mes enfants, je leur ai dit. Et puis, je lui ai
dit, écoute, si tu es correcte il n'y a pas de soucis, et cela a
apaisé. » (Jacques)
Quand la procédure judiciaire est en cours, les
conseils stratégiques sont alors donnés dans ce sens, où
il s'agit de calmer le jeu, en facilitant le travail du juge et en se
positionnant autour de l'intérêt de l'enfant, sans incriminer
l'autre parent. Aussi, les pères sont amenés à travailler
sur leur dossier ainsi que la préparation aux audiences, dans le but
stratégique d'obtenir les meilleurs résultats, selon une bonne
connaissance du dispositif judiciaire.
« Ce qu'il faut comprendre c'est que les juges ont
très peu de temps pour chaque dossier, donc quand un juge va voir un
dossier conflictuel, il ne va pas lire tous les arguments, toutes les
attestations. Donc un juge va préférer un dossier où on va
lui faciliter les choses, où les arguments ne seront pas contre le
parent mais en faveur de l'enfant, pour expliquer comment va être
organisé la vie de l'enfant, c'est surtout ça qui
l'intéresse le juge, donc ce qu'il faut, c'est que les gens aient dans
l'idée de remettre un dossier positif. »
Par ailleurs, au-delà de l'intérêt
stratégique de la démarche, l'énergie concentrée
sur cette action leur permet par un travail de remise en question de leur
vécu, une restauration identitaire autour de leur place
parentale :
« C'est deux ans et demi de traversée du
désert depuis la grossesse, ça m'a énormément
atteint émotionnellement, et forcément ça coupe avec le
réseau d'amis. Je suis en train de reconstruire, à partir d'ici,
et je recontacte aussi mes anciens amis. Actuellement je suis aux Assedic,
ça va aussi avec ma dépression, j'étais dans
l'incapacité de travailler et de monter un dossier. Quand j'ai
reçu les conclusions adversaires avec un pavé, il a fallu que
moi, je monte un dossier, c'est une énergie, même si ce n'est pas
huit heurs par jour, c'est extrêmement éprouvant, on fait une
lettre on y passe deux heures, on y pense tout le temps, même en
dormant. » (Vincent)
Il s'agit, comme l'explique les adhérents, de se
remettre en cause, se reconstruire, et une fois le deuil de la relation faite,
de travailler part rapport aux enfants. « C'est vrai qu'on a ici un
rôle social parce que quand on reçoit ici des gens en très
grande souffrance, souvent certains sont au bord du suicide, ne savent plus
quoi faire, donc forcément les mots qu'on va dire, ils auront une
résonnance. Donc, permettre aux gens d'échanger, pour
accompagner ce travail de restauration. »
Hormis les résultats escomptés, ce travail en
lui même permet non seulement aux pères de se poser, mais aussi de
se déplacer du conflit conjugal, et se recentrer autour de l'enfant dans
une action réflexive sur leur parcours. Les adhérents permanents
ou animateurs les poussent alors dans leur retranchement, ce qui leur permet de
se repositionner à leur place de parent responsable :
« En même temps ça me fait grandir,
pourquoi ça me touche autant, ça m'atteint autant, ça m'a
fait vraiment avancer, ces derniers sept mois depuis que je suis allé en
justice, j'ai enfin pris la décision, j'arrête d'être
à la merci de cette femme, pour dire non, je ne t'abandonne pas à
mon fils. » (Vincent)
En venant dans ces associations, Il est question alors pour
ces pères de se redresser, tel que l'exprime Julien :
« Donc c'est moi qui fais à chaque fois
le dos rond et c'est pour ça que je viens voir cette association
là. Quelles choses on peut mettre en place pour avoir un terrain
d'entente, pour F, mes droits de visite et de contribution parentale, c'est
normal, c'est mon enfant. » (Julien)
Ainsi, se dévoilant maltraités
psychologiquement, les pères rencontrés dans ces associations se
présentent dans une posture d'apprentissage, d'aide à la
négociation, pour trouver une place de père. Leur lutte porte sur
le manque de soutien de la part des institutions, de reconnaissance, dans leur
statut de parent. Et la question d'égalité des sexes, pour ces
pères, les renvoie surtout à la recherche d'un meilleur
équilibre possible :
« Entre les hommes et les femmes, c'est de
compromis dont il s'agit, pas d'égalité »
(Paul)
Ce qui nécessite un apaisement du conflit, sans perdre
de vue l'adulte en devenir que représente l'enfant, au coeur des
tensions figées autour du choix de la résidence :
« Même les deux parents ne peuvent pas
apporter tout, s'il n'y a qu'un homme dans la vie des enfants, il y aura
forcément un manque mais ce manque il va exister aussi même avec
un homme et une femme tout aussi équilibrés qu'ils puissent
être. Donc l'histoire de savoir si c'est mieux qu'il soit avec le
père, qu'il soit avec la mère, c'est un faux problème.
Enfin je crois qu'on n'écoute pas assez les enfants. »
(Léon)
Ainsi la demande de ces pères se situerait autour de la
recherche d'un équilibre plutôt qu'une égalité
stricte, ce qui nécessite par ailleurs un apaisement du conflit
conjugal. Cependant, c'est bien l'existence de conflit qui est à
l'origine de leur démarche d'une revendication égalitaire.
Mettant alors en avant que le conflit profite aux mères sur la question
de résidence des enfants, ils se trouvent face à une impasse, et
se positionnent donc autour d'un travail de restauration de leur place
parentale.
En conclusion
Les premières données qui apparaissent dans
cette enquête, laissent à penser que les pères accueillis
dans les associations militant pour l'égalité parentale ne
présentent pas de profil type : Ils peuvent être de
différentes tranches d'âge, de catégories socio
professionnelles multiples, d'origines géographiques diverses ; ce
sont même parfois des mères. Ces éléments
viendraient invalider l'idée que ces pères pourraient constituer
un groupe spécifique, homogène, impliqué solidairement
dans une lutte de pouvoir avec les mères. Il apparait cependant que tous
rencontrent des séparations de couple très conflictuelles. Ce
sont en majorité les mères à l'initiative du divorce, ou
d'une procédure en cas de séparation. Ils ne comprennent pas
alors ce qui leur arrive et découvrent que leur place de père
n'est plus reconnue, une fois séparés de la mère de leurs
enfants. Témoignant souvent d'un lien d'attachement précoce
à leurs enfants, ils s'estiment alors d'autant plus exclu comme parent
après leur séparation conjugale. Et quand ils reconnaissent
s'être peu investis en tant que parent, ils se sentent néanmoins
injustement rejetés, d'où leur démarche volontaire pour
retrouver cette place.
La demande des pères dans les associations est celle de
voir plus souvent leurs enfants, la résidence alternée
étant présentée comme un idéal à atteindre,
quand il s'agit pour eux surtout de pouvoir maintenir un lien avec leurs
enfants qu'ils voient peu ou plus du tout. Ils attendent d'être reconnus
et traités comme un parent à égalité avec la
mère, sans avoir pour autant une représentation d'un rôle
prédéterminé pour chacun des deux. La démarche de
ces pères n'est pas celle d'une recherche d'égalité au
sens d'identité, d'être comme une mère, interchangeable.
Prenant acte du mouvement féministe ayant permis aux femmes de
s'émanciper de leur rôle de mère et d'épouse, ils
sont en demande à pouvoir exercer leur fonction parentale par une
présence auprès de leurs enfants, cherchant à
s'émanciper d'un rôle unique de père pourvoyeur de
ressources.
Mais face aux difficultés perçues et
présentées comme insurmontables, ils se disent engagés
dans un combat inégal quand il s'agit de pouvoir concrètement
exercer à égalité l'autorité parentale, visant
à obtenir un libre accès à leurs enfants. Ils s'estiment
dans ce contexte victimes d'une injustice exercée à leur
égard par l'institution, relayée par les mères, et
évoquent en cela un sentiment de trahison. Ainsi ces pères ne se
sentiraient plus soutenus par l'institution qui naguère les
désignait comme garants de l'unité de la famille et se trouvent
dans la situation à devoir prouver qu'ils sont de bons pères,
pour exercer leur rôle parental.
Ainsi, Irène Théry, identifie t elle, comme cela
a été souligné en première partie, le
problème autour du manque de cadre institutionnel de
référence pour accompagner l'émancipation. Les couples se
trouvant désorientés, les situations de conflits conduisent,
selon l'auteur, à une recherche de repères vers un schéma
traditionnel de différenciation sexuelle des rôles, soutenu, dans
les cas de séparation conjugale, par l'institution juridique.
Après avoir exploré la place du père dans
l'évolution de la famille inscrite autour d'un courant de
démocratisation, il apparait que les pères en séparation
conjugale, quand ils revendiquent leur place, font part
d'inégalités parentales les situant comme secondaires. Ainsi, au
regard de la désignation paternelle dans l'histoire de la famille, le
père déchu a été replacé au centre de la
famille dans sa conception matrimoniale. Le passage ensuite du père
institutionnel aux pères relationnels, qui marque l'émancipation
de la cellule familiale, s'accompagne de tensions, à travers une
coexistence de tradition et modernité. Ces tensions apparaissent, en
faisant obstacle à la mise en place de l'égalité, à
travers les témoignages de pères séparés en
revendication d'une place. Aussi, les freins à la mise en place de
l'égalité des sexes dans la famille, décrits par les
sociologues, semblent être illustrés par le discours des
pères dans les associations, autour de la permanence d'une
intériorisation de la division sexuelle des rôles parentaux
soutenue par les institutions. D'où l'inadéquation entre une
institution inégalitaire et le courant d'émancipation familiale,
qui laisse les pères séparés dans le désarroi,
alors que les mères sont surchargées.
CONCLUSION GENERALE
Cette étude circonscrite aux associations de
pères militant pour l'égalité parentale, sans
représenter la situation générale des pères,
soulève le problème dans un contexte d'éclatement de la
cellule familiale, d'une revendication de la place paternelle. Il
s'avère que le conflit conjugal est au premier plan quand il s'agit du
mode de garde des enfants dans les séparations des couples. En effet,
quand ils se présentent aux permanences des associations, les
pères sont en demande d'aide dans les cas suivants : ils sont
passés devant le juge et ne comprennent pas pourquoi ils sont
relégués à une place secondaire, la séparation
conjugale s'étant passée à l'origine dans le conflit. Ou
bien après une période de séparation organisée
à l'amiable, et après avoir bénéficié d'une
période de résidence alternée, cette situation est remise
en question par la mère. Elle peut en effet avoir décidé
d'un déménagement, en général consécutif
à une nouvelle vie de couple. Elle peut souhaiter aussi reprendre une
place maternelle auprès des enfants, car davantage disponible dans sa
vie professionnelle par exemple, ou par culpabilité, influencée
en cela parfois par son entourage familial ou amical. D'autres pères se
présentent victimes, quand ce n'est pas d'éloignement
géographique, de non présentation d'enfants, voire même
d'accusations mensongères. Dans la majorité des cas quoiqu'il en
soit, le conflit conjugal est bien le moteur qui alimente le conflit parental.
Le problème à observer par ailleurs, comme le souligne le
sociologue Claude Martin, ne serait pas tant celui des effets du divorce ou des
séparations, mais celui posé par la question du traitement du
conflit. (Martin, 1997)
Les couples de parents séparés, face au
traitement juridique de la question de résidence des enfants, sont ainsi
confrontés à une surenchère des conflits par avocats
interposés, d'autant plus quand les pères revendiquent leur place
auprès des enfants. Aussi il en résulte que dans ces situations
conflictuelles, les enfants restent majoritairement confiés à la
mère par les juges, en raison même de ce conflit. En effet dans ce
cas, le doute étant posé, c'est la place maternelle qui est
privilégiée, car estimée plus sûre, la
représentation demeurant celle d'une place paternelle incertaine. On se
retrouve donc face à ce paradoxe qui est que plus les pères sont
en revendication d'une place auprès des enfants au même titre que
les mères, moins ils obtiennent la garde en cas de séparation, la
position de revendication laissant supposer un conflit de départ. En
effet, les couples parvenant à gérer ces situations, soit
organisent une garde alternée à l'amiable qui fonctionne tant que
la mère l'accepte, et les juges dans ce cas entérinent ces
situations. Soit ils se trouvent dans la configuration classique d'une
résidence principale chez la mère avec un droit de visite
classique pour le père, accepté par celui-ci. Le lien avec le
père étant dans ce cas malgré tout maintenu, dans la
mesure où il se satisfait d'un droit de visite, et dans la mesure aussi
où le conflit conjugal apaisé permet la qualité de ce
lien. D'où la difficulté pour ces pères en revendication
d'une place à se situer, et se faire entendre dans ce contexte de
tensions, alors que la société moderne demande justement aux
pères de s'impliquer, d'être présent. Face à ces
obstacles, les pères accueillis dans ces associations, s'orientent
autour d'un travail d'apprentissage à la négociation afin
d'apaiser au maximum le conflit, auprès des juges, et auprès de
leur ex femme. Le but étant finalement de parvenir à voir leurs
enfants, et éviter le risque le plus redouté, celui de
l'éloignement de la mère avec les enfants, qui contribue avec le
temps à rompre progressivement le lien du père avec les
enfants.
La motivation des mères dans ces cas
d'éloignement, aux dires des pères, pourrait relever parfois
d'une volonté à mettre fin à la relation conjugale, faire
« table rase du passé », au risque de priver ses
enfants de leur père, pour éventuellement le remplacer par un
beau père. Les pères quant à eux, semblent
installés dans une stupeur indécise. Ce comportement de la part
des femmes pourrait alors témoigner en quelque sorte de la
difficulté pour ces dernières à se séparer de leurs
enfants pour les laisser à un homme qu'elles n'aiment plus. Et si au nom
de l'émancipation des femmes, il avait été question
d'échapper à l'emprise des maris tout en gardant les enfants
auprès d'elles, les hommes de leur côté, parviendraient
difficilement à assumer leur rôle de père seuls, sans
autorisation. Ainsi des pères rencontrés dans les associations
relatent qu'ils ne peuvent accueillir leurs enfants un week end, ou une
journée, par exemple, au motif d'un désaccord de la mère,
ou quand le juge n'a pas encore statué sur la question. Face à ce
déséquilibre, les conseils techniques donnés par les
associations sont alors de l'ordre de l'information sur leurs droits, et d'une
stratégie de défense afin de perdre le moins possible, au niveau
des enfants. Se dévoilant maltraités psychologiquement, ils sont
dans une posture d'apprentissage, d'aide à la négociation, pour
trouver une place de parent à part entière. Leur combat porte sur
le manque de soutien de la part des institutions, de reconnaissance, dans leur
statut de parent.
Tous les sociologues s'accordent à dire que le grand
bouleversement du XIXè siècle, aura été la
libération des femmes, le changement révolutionnaire de la
condition féminine. « les femmes étaient esclaves de la
procréation, elles se sont affranchies de cette servitude
immémoriale » ( Lipovetsky, 1997). A leur tour mais dans une
démarche inverse, les hommes ont à s'affranchir de leur statut de
procréateur tout puissant, par la paternité ; Dans la
même logique que celle utilisée par Jack Goody pour expliquer
l'évolution de la famille,( Goody, 2001) il n'y aurait pas une
transformation linéaire d'un père autoritaire à un
père relationnel (aimant, paternant), mais le modèle du
père tout puissant fait place aux pères multiples. Dans le
modèle du père autoritaire qui préexistait, des
pères relationnels et affectifs, prodiguant des soins aux
bébés, pouvaient exister. L'époque industrielle a aussi
érigé la norme d'une division sexuelle des rôles, et
pourtant le féminisme faisait son chemin. Le problème posé
par la société de la nouvelle modernité, c'est non pas
l'absence mais la multiplicité des modèles. Les pères ont
ainsi la tâche à se chercher un rôle qui leur est propre,
sans référence normative, à s'émanciper. Ainsi,
contrairement aux femmes qui ont eu à s'émanciper de leur statut
de mères et d'épouses, pour exister en tant que femmes libres et
indépendantes sur la scène publique, l'enjeu pour le sexe
opposé serait de s'émanciper en tant que pères, de leur
statut d'hommes éloignés de la sphère privé,
perçus comme seuls pourvoyeurs de fonds.
Si l'émancipation des pères peut être
perçue alors comme une impasse au regard des pratiques individuelles et
institutionnelles, marquées par la permanence des représentations
traditionnelles des places parentales situant le père comme secondaire,
il n'en demeure pas moins que la démarche de pères en situation
de conflit conjugal, dans les associations, révèle,
au-delà d'une revendication d'égalité, une dynamique
d'apprentissage à un nouveau positionnement parental et à de
nouvelles représentations, par l'expérience, la connaissance, et
autour d'une quête de reconnaissance.
Ainsi dans cette optique, l'observation faite du nombre
sensiblement en augmentation de séparations de couples avec des
nourrissons, dès l'arrivée d'un enfant, voire avant la naissance,
apparait me semble t il une entrée pour la poursuite de l'analyse.
L'intérêt à poursuivre cette étude, au regard de
l'évolution des rapports sociaux de sexes, serait d'analyser les
nouveaux comportements qui s'opèrent à partir de ces situations
de jeunes pères séparés. Eloignés de la mère
et du bébé, il semblerait selon les témoignages
relevés dans les associations, que des pères revendiquent leur
place auprès du nourrisson. J'envisagerais donc dans cette optique pour
approfondir la recherche de m'intéresser cette fois non pas aux
pères des associations militant pour l'égalité parentale,
mais élargir le terrain et circonscrire l'étude au public de
pères séparés au moment de la naissance d'un premier
enfant. Il s'agirait d'observer les nouveaux enjeux d'une évolution qui
aurait enterrée l'époque des « filles
mères » pour faire place aux pères, seuls, absents ou
présents auprès de leur nouveau- né.
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recomposée : origines biologiques, parenté et
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ANNEXES
Grilles
d'entretiens...........................................................................
p.107-109
Loi sur l'autorité parentale
.................................................................p.110-
113
Grilles d'entretiens
-Dans ma première phase d'entretiens, les
questions posées étaient les suivantes :
Situation matrimoniale
Age
Nombre et âge des enfants - Portent ils le nom du
père ou de la mère (y a t il eu discussion)
Si séparation, depuis combien de temps ou divorce en
cours
Mode de
garde des enfants
Le
père les voit il.
Distance
géographique des parents
Taux de
conflit dans le couple
Profession
Fréquentation de l'association : depuis combien
de temps
Adhésion
Comment en avez vous eu connaissance
Connaissance des services sociaux ?
Qu'est ce qu'une famille pour vous
Comment concevez vous le rôle des parents : du
père, de la mère
Dans la répartition des tâches au quotidien
L'éducation, le mode de garde, le temps de présence,
suivi scolarité
Que signifie et que représente pour vous (le mouvement
de) la condition paternelle
Ou SOS Papa
Justice Papa parité parentale
Quelles sont vos attentes auprès de l'association
-Pour la deuxième série d'interviews, ma
grille d'entretien s'est présentée ainsi, avec la phrase
introductive suivante :
Je fais une étude sociologique sur les places
parentales, du point de vue des pères s'adressant à des
associations telles que celle-ci
Pouvez-vous me dire
Depuis combien de temps fréquentez-vous
l'association
Comment en avez vous eu connaissance et qu'est ce qui vous
a conduit à vous adresser à ce type d'association
Profil
Age
Profession
Situation matrimoniale
Composition de la famille : nb et âge des enfants.
Portent-ils le nom du père ou de la mère
Séparation/ divorce : depuis combien de temps -
taux de conflit. Accord ou non sur la séparation conjugale
Mode de garde actuel des enfants
Distance géographique des parents
Attentes
-Quelles sont vos demandes
- un soutien une écoute
- des réponses à des questions, lesquelles
- des conseils pratiques de défense
Est ce que vous contestez une
décision judiciaire, ou les demandes de la mère
Sur quels éléments : mode
de garde, révision de la pension alimentaire.
Qui est à l'origine de la
procédure
- Que souhaiteriez-vous
- une garde à égalité
- complète si vous le pouviez
- sans procédure judiciaire, comment verriez vous
l'organisation de la garde, accepteriez vous dans ce cas que la mère
garde les enfants
- payer ou ne pas payer de pension alimentaire
- une réconciliation avec la mère de vos
enfants
- voir vos enfants que vous ne voyez plus, ou les voir plus
souvent
Qu'est ce qui vous manque le plus dans
votre relation avec vos enfants
Rôles- représentations
Qu'est ce que l'égalité parentale pour vous
Comment concevez-vous le rôle du père
- est-il essentiel que le père soit le principal
financeur de la famille (unie ou désunie)
- est il plus à même que la mère de tenir
le rôle d'autorité
- peut il tout comme la mère assumer les soins au
quotidien de l'enfant à tous les âges, le nourrisson (nourriture,
toilette, surveillance), suivi scolaire, loisirs.
- Vous même avec vos enfants vous vous occupez de
quelles tâches, avant la séparation et maintenant
Un père peut il comme certaines mères assumer
seul les enfants selon vous
Qu'est ce qu'être un bon père pour vous
Lien social
En dehors de l'association bénéficiez-vous d'un
réseau familial, amical, des personnes vous soutiennent elles dans vos
démarches
Entretenez vous des relations avec les autres membres de
l'association, à l'extérieur, Partagez vous d'autres
activités, initiatives
Vous adressez vous en parallèle à d'autres
services, services sociaux ou autres
Que vous apporte le fait de venir aux permanences,
réunions
Quelles modifications notez vous dans votre situation depuis
que vous venez, quels changements avez vous vécu
Quelle est la priorité pour vous
Pensez vous que les rapports hommes femmes ont changé
ou doivent changer et en quoi
Avez-vous le sentiment que la société
évolue dans ce sens
Articles de lois sur l'autorité parentale :
ETABLISSEMENT :
CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers). Chaire
de travail social
|
NOM :
AZEMAR
|
PRENOM :
CATHERINE
|
Année du JURY :
2009
|
FORMATION :
Master de recherche « Travail social, action sociale
et société »
|
TITRE : L'émancipation familiale face aux
institutions : Des pères séparés dans l'impasse
|
RESUME :
L'histoire de la famille s'écrit avec celle des
pères, notamment au décours de son institutionnalisation par le
mariage. Avec le mouvement d'émancipation familiale et
d'égalité des sexes, apparait une configuration de familles
éclatées. L'augmentation des divorces et séparations,
impulsée par l'essor démocratique et le féminisme,
réactualise la question de l'égalité, parentale cette
fois. Alors que les femmes ont eu à se libérer du joug familial,
l'enjeu pour les hommes est celui de s'émanciper par la
paternité. Pourtant l'absence de pères dits
« défaillants » est déplorée face
à une « surresponsabilisation » des mères.
Cette étude se propose de donner la parole à des
pères séparés en revendication d'une place parentale. Une
enquête qualitative réalisée dans trois associations
parisiennes militant pour l'égalité parentale, auprès de
quinze pères interviewés, met en exergue les tensions à
l'oeuvre dans une société où cohabitent tradition et
modernité.
Tour à tour inquiets, en colère, et
désemparés, ces pères attendent un soutien et une aide
juridique auprès de leurs pairs qui partagent leur expérience,
dans l'espoir de voir plus souvent leurs enfants. Vivant des séparations
conjugales conflictuelles, ils témoignent d'une impossibilité
à faire valoir leurs droits parentaux au regard de l'exercice d'une
coparentalité. Non reconnus, ils en appellent à la loi, et se
disent trahis par les institutions.
La permanence de représentations sur la distinction
sexuelle des rôles dans un mouvement égalitaire qui incite les
hommes à s'impliquer dans la paternité, les confronte de fait
à une impasse. L'alternative d'un repli les met alors au défi
d'un travail de réhabilitation par le dialogue et l'apaisement du
conflit.
|
MOTS CLES : conflit, égalité
des sexes, égalité parentale, émancipation, famille,
institution, pères, séparation conjugale
|
Nombre de pages (annexes comprises) : 113
|
* 1 Loi du 04 mars 2002 relative
au nom de famille entrée en vigueur en 2005, permettant aux parents
mariés ou non, de faire le choix du nom de famille des enfants
* 2 Voir à ce
sujet :M. Foucaut et A.Farges. Le désordre des
familles :lettres de cachet des archives de la Bastille
* 3 JJ Rousseau. Discours
sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les
hommes. Librairie générale française. Paris,
éd de 1996.
* 4 Selon l'auteur, La crise
de l'institution familiale peut être perçue comme
« l'effet paradoxal d'un progrès immense des valeurs
démocratiques : l'accession des femmes à
l'égalité »
* 5 I.Théry utilise
là le terme de « désaffiliation »
emprunté à R. Castel
* 6 Le terme
de « monoparental » apparait en effet impropre du
fait qu'il est attribué à la notion de famille, alors qu'il
recouvre à l'origine celle de foyer pris dans le sens statistique.
* 7 Voir grilles d'entretiens
annexe p-108- 110
* 8 Loi du 04 juin 1970
* 9 Voir annexe p.111
* 10 Formule qui renvoie au SAP
(syndrome d'aliénation parentale), décrit en 1985 par Le Dr
Gardner, pédopsychiatre américain. Il s'agirait d'un trouble
exprimé par l'enfant, sous influence d'un parent endoctrinant, autour
d'un dénigrement à l'encontre de l'autre parent, sans
justification.
* 11 L'action de ces
associations, néanmoins, viserait d'une part à faire modifier
concrètement la législation sur les questions posées par
la séparation des couples parentaux, d'autre part à faire
évoluer les mentalités.
* 12 Entre 2003 et
2007,l'étude Babylus de TNS Sofres révèle que la prise de
congé de paternité a continué de croitre : 69% des
pères de bébés de 0 à 24 mois ont pris leur
congé de paternité en 2007, pour 61% en 2003( dossier
d'études n°111-2008).
* 13 Un prochain chapitre sera
plus particulièrement consacré aux représentations
* 14 Le règlement direct
des frais pour les enfants, même s'il est prévu, ne peut en effet
s'envisager qu'en l'absence de conflit.
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