WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'émancipation familiale face aux institutions: des pères séparés dans l'impasse

( Télécharger le fichier original )
par Catherine Azémar
Conservatoire des arts et métiers Paris - Master de recherche: sciences du travail et de la société 2009
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CNAM

Conservatoire des arts et métiers

Chaire travail social

Master de recherche

Travail social, action sociale et société

L'émancipation familiale face aux institutions :

Des pères séparés dans l'impasse

Catherine Azémar

Directeur de mémoire : Barbara Rist

Année : 2008/2009

L'émancipation familiale face aux institutions :

Des pères séparés dans l'impasse

A Marie-Claude,

Ma soeur

Mes remerciements

A Barbara Rist, ma directrice de mémoire, pour m'avoir fait confiance sans me perdre de vue, et aidé à ce que je ne me perde pas en chemin.

Au Dr Roger Teboul, pédopsychiatre responsable de mon service, pour avoir suscité et donné le temps nécessaire à ma réflexion.

Aux personnes membres de bureaux des associations :

Justice Papa Parité parentale

Mouvement de la condition paternelle

Sos Papa,

pour avoir admis ma présence aux permanences, pour leur aide et leur accueil.

Je remercie particulièrement les parents qui m'ont accordé des interviews, tous les pères qui par leur témoignage, ont contribué à la réalisation de ce travail.

Table des matières

INTRODUCTION 6

PREMIERE PARTIE : Place du père et mouvement d'égalité des sexes 10

CHAPITRE 1 La désignation paternelle dans l'histoire de la famille 10

1.1. La famille, une organisation sociale qui questionne 10

1.2. Paterfamilias et ordre monarchique de la famille 13

1.3. Le père déchu replacé au centre d'une conception matrimoniale de la famille 14

1.4. Suspicion du père et contractualisation du couple autour de l'intérêt de l'enfant 16

CHAPITRE 2 Mouvement égalitaire et division sexuelle des rôles 19

2.1. L'égalité, un contenu à définir 19

2.2. Naissance du concept d'égalité : la liberté au nom de la raison 20

2.3. Libération des femmes et distinction d'un rôle maternel 22

CHAPITRE 3 Problématique de l'égalité dans la famille : entre modernité et tradition 24

3.1. Désarticulation entre conjugalité et filiation, et processus d'individualisation 24

3.2. Intériorisation de la division sexuelle des rôles parentaux 28

3.3. Contradictions entre une institution inégalitaire et une tendance émancipatrice de la cellule familiale. 30

3.4. Hypothèse de travail et choix du terrain d'étude 32

3.4.1. Problématique de la place du père dans les séparations conjugales 32

3.4.2. Des pères en mouvement pour l'égalité parentale 33

DEUXIEME PARTIE : Le conflit des pères séparés 36

CHAPITRE 4 la condition paternelle dans les lieux d'accueil de parents séparés 37

4.1. Méthodologie d'enquête 37

4.2. Séparation des parents et résidence des enfants : règles et pratiques 41

4.3. Trois associations militant pour l'égalité parentale : un accueil social 43

4.4. Le discours féministe des militants 47

CHAPITRE 5 Profil et discours des pères dans les associations 50

5.1. Une population accueillie diversifiée 50

5.2. Des séparations de couples conflictuelles 51

5.2.1. Le conflit parental dans la séparation de jeunes pères 52

5.2.2. L'éloignement géographique originaire du conflit 54

5.2.3. Les conflits donnant lieu à des visites dans des points rencontre 54

5.3. Un sentiment de destruction 56

5.4. Un investissement paternel dès le plus jeune âge 58

CHAPITRE 6 Les attentes des pères 62

6.1. Conseils juridiques de défense : une recherche de l'appui de la loi 62

6.2. Le libre accès aux enfants : une demande d'apaisement du conflit 66

6.2.1. La résidence alternée, un idéal 67

6.2.2. La place de la mère soulignée 72

6.3. Le partage d'expériences : l'attente d'un soutien contre l'isolement 75

CHAPITRE 7 les représentations et luttes des pères 79

7.1. Une représentation des rôles parentaux à la fois traditionnelle et égalitaire 79

7.2. Le combat pour une égale reconnaissance 85

7.2.1. Sentiment d'injustice : la condamnation au paiement d'une pension alimentaire 85

7.2.2. Le sentiment d'être trahi par les institutions. 89

7.3. Face à la réalité : espoir et restauration d'une place de parent par le dialogue 95

En conclusion 99

CONCLUSION GENERALE 101

BIBLIOGRAPHIE 104

ANNEXES 107

INTRODUCTION

A partir de la problématique sociale posée par « l'adolescence », rencontrée dans ma pratique professionnelle d'assistante sociale en pédopsychiatrie, je me suis interrogée sur la place du père, sans cesse convoqué par les jeunes eux mêmes ou les professionnels. Par ailleurs, dans le contexte actuel de crise économique et sociale, je constate que la famille est mise au premier plan face à la détresse des jeunes, censée leur donner des repères que la société elle-même n'aurait plus.

Si je me réfère à l'observation faite par les sociologues de la famille d'une mise en parallèle entre les transformations familiales et la démocratisation de la société, avec l'émancipation de l'individu dans la situation contemporaine la famille devient individualiste et relationnelle. L'avènement de l'individualisme transposé à la question de la famille signifierait donc qu'elle n'existe plus comme institution, mais se ferait avec le désir des individus (Commailles et Martin, 1998). Ainsi, être en couple aujourd'hui peut signifier « être libre ensemble » (Singly,2000), traduisant une certaine démocratisation de la famille qui aurait donné naissance à la forme actuelle de couples autonomes. Le raffermissement de cette autonomie apparaît alors être à l'origine de configurations parentales diverses. Je note ainsi que le modèle de la famille nucléaire et maritale « père mère enfant » a laissé place à une multiplicité de modèles familiaux. Avec la baisse des mariages et l'accroissement des unions libres, l'augmentation des séparations et divorces, on assiste à une émancipation de la famille qui laisse entrevoir différentes configurations familiales, désignées par les termes de familles « recomposées », « monoparentales », ou plus récemment « homoparentales ». Partant du constat que l'idéal politique de la démocratie rapporté à l'univers privé implique le principe d'égalité (Commailles et Martin, 1998), les auteurs nous expliquent que dans la logique républicaine du XIXe siècle, l'affirmation progressive des principes démocratiques, accompagnée par l'essor industriel, a conduit aux bouleversements sociaux ayant affecté la sphère privée depuis les années 1960. La promotion et la généralisation de l'instruction, l'emploi féminin, la maîtrise de la procréation, l'émancipation des femmes avec la remise en cause du mariage, ont ainsi participé à l'émergence d'un nouveau modèle individualiste et égalitariste des relations familiales.

Si ce bouleversement au sein de la sphère privée s'est déroulé dans un contexte d'émancipation des femmes, notamment après leur entrée massive dans le monde du travail et l'autocontrôle des naissances, au même moment cependant, le discours des professionnels de l'enfance déplore l'absence du père, de la loi symbolique qu'il représente. Un discours inspiré de la théorie psychanalytique freudienne et relayé par les interprétations des apports de Lacan, qui tend à désigner le père comme séparateur d'une dyade mère/ enfant. Cependant, dans le processus de démocratisation à l'oeuvre, de la même façon que le modèle unique de la famille fait place à une diversité de modèles familiaux, ce père, dont la disparition est obstinément déplorée, fait place aux pères multiples. Comme l'explique François Dubet dans un article intitulé « Le roi est nu » (Dubet, 2004), cette disparition du père est liée à son histoire symbolique et religieuse remise en cause par les sociétés démocratiques, mais aussi à l'accroissement de l'égalité des hommes et des femmes : « Le père était le père tant qu'il régnait sur les enfants et sur les femmes, tant que les femmes étaient des quasi-enfants proches de la nature et loin de Dieu et de la politique[..]Quand la femme décide d'avoir ou non un enfant, comment le père pourrait-il être le médiateur du sacré ? » (Idem, p 33). Et de poursuivre : « Nous vivons sous le règne du risque et de l'incertitude et c'est là le prix de notre égalité. Les pères ont remplacé le père, et c'est très bien, à condition de permettre à chacun d'accomplir le rôle qu'il s'est choisi. » (ibid, p.39) Aussi le père, ancienne figure d'autorité qui incarnait le pouvoir royal et divin, a par la suite symbolisé l'ordre familial dans une configuration matrimoniale de la famille. Avec la suppression du terme chef de famille marquant la fin de cette organisation familiale comme modèle de référence, le père n'occupe plus ce rôle de représentant de l'institution familiale.

Il ne symbolise plus l'unité de la famille, et a perdu depuis 2005, avec la fin du patronyme, le monopole de la transmission du nom de famille1(*). Au cours d'une première étape de ma recherche, je m'étais intéressée à l'application de cette nouvelle loi, établie au nom de l'égalité des sexes. Le discours de couples concernés, interrogés alors pour cette étude, m'avait permis de mettre en évidence la prédominance du choix du nom du père dans la pratique, même si le principe de la loi était par ailleurs bien accepté. Ces résistances au changement s'exprimaient autour de l'idée de l'existence d'un équilibre des liens de filiation paternelle et maternelle, à travers le don du nom pour le père et le fait de porter l'enfant pour la mère, tout en affirmant vivre de façon égalitaire le partage des rôles parentaux. Ce qui venait témoigner d'une part d'un attachement à la tradition du patronyme, relié à la coutume qui est que la femme mariée adopte le nom de l'époux, d'autre part du sentiment que cette pratique viendrait appuyer la distinction des sexes, « naturelle », sans pour autant être représentative d'une inégalité des hommes et des femmes. A partir de ces contradictions, dans le courant de la sociologie de l'individu, Ulrich Beck nous explique que le mouvement d'égalité des sexes s'accompagne socialement de résistances conduisant à un effet de forces contraires entre une volonté de changements vers plus d'égalité, et la persistance des représentations rassurantes sur les rôles prédéterminés, les places bien définies.( Beck, 1986).

Aussi, dans un contexte d'égalité des sexes à travers les différents espaces de la vie publique et privée, au moment où se met en place la parité homme/femme sur la scène politique, la question des rôles sexués est interrogée dans la sphère privée. En matière de politique familiale, des mesures incitatives sont instaurées pour que les hommes, qu'on estime trop absents, s'impliquent dans leurs rôles de pères, notamment avec l'instauration d'un congé de paternité, dont un grand nombre de pères se saisissent. Parallèlement à cela, des études témoignent d'une évolution de l'identité masculine, une « métamorphose du masculin » autorisant les hommes à revendiquer leur fonction « paternante », au même titre que les femmes dans leur rôle « maternant » (Castelain Meunier, 2002). Les médias en outre se font l'écho de l'émergence de ces « nouveaux pères » qui aspirent à un rôle parental proche de celui classiquement exercé par les mères. Et il n'est pas rare d'observer certaines femmes commenter avec émotion le comportement de ces jeunes pères, attentifs et affectueux.

Depuis quelques décennies, l'évolution sociale a conduit en matière de droit de la famille à l'affirmation du principe d'égalité et d'exercice conjoint de l'autorité parentale indépendamment du statut conjugal des parents. Par ailleurs, le courant démocratique au sein de la famille ayant conduit à un nombre croissant de divorces et de séparations, la législation dans ce sens a évolué pour donner des droits identiques aux enfants quelque soit la situation matrimoniale des parents. S'il s'avère cependant que les rôles des pères et mères sont amenés à devoir s'exercer séparément, hors d'une cellule conjugale, on retient socialement la prédominance de foyers composés d'un parent unique, qui sont essentiellement des mères seules avec leurs enfants. Subissant cet état de fait dans une situation de crise économique et sociale dont elles sont les premières cibles, elles déplorent dans ces cas une absence d'inscription des pères, qui peut s'exprimer par la plainte du non versement des pensions alimentaires (Cadolle, 2008). Et si l'augmentation constante de familles définies comme « monoparentales », résulte bien d'un mouvement d'émancipation, l'appellation quant à elle, induit dans sa terminologie une non-existence de l'autre parent, en l'occurrence le père. Un phénomène qui pourrait induire le retour au schéma de l'organisation sociale et familiale sur lequel a reposé la société industrielle, à savoir la mère au foyer et le père pourvoyeur de revenus ; la première se trouvant de ce fait exclue du marché du travail, le deuxième, désigné mauvais père quand il est mauvais payeur, et qui peut se trouver isolé et endetté. Ainsi des contradictions et inégalités demeurent, qui apparaissent de manière aigue dans les situations de couples séparés, et conduisent à un contexte de tensions entre des modèles en évolution et mal stabilisés.

Comprendre alors comment les pères réaménagent leur place dans une certaine réalité sociale vient interroger les rôles des pères et mères dans une société mêlant la permanence de la tradition avec une aspiration plus égalitaire. Ainsi depuis de nombreuses années des associations qui semblent méconnues se sont crées à l'initiative de pères militants pour l'égalité parentale. Le mouvement marginal qu'ils représentent, m'a alors semblé pouvoir apporter un éclairage intéressant au fait qu'est souligné dans notre société l'importance à accorder une place au père, et la mesure de l'obstacle à pouvoir définir et situer les rôles et places parentales dans une configuration sociale où l'égalité des sexes se cherche toujours. De plus, avec la prise en compte en droit de la famille d'une distinction couple conjugal et couple parental, interroger la place des pères en situation de séparation conjugale, peut s'avérer pertinent pour la compréhension de ce phénomène de tensions et contradictions. Alors que le mouvement d'émancipation des femmes a accompagné le droit des enfants, et donc n'aurait pas modifié leur place de mère en tant que telle, dans le sens d'une remise en question de ce statut, la question demeure en suspens pour les hommes. Il s'agit alors pour l'étude qui suit, de comprendre comment s'expriment ces tensions, contradictions, et transformations des rôles, derrière les revendications des pères au sein de ces associations. Ma recherche s'appuie donc sur le recueil de témoignages d'hommes s'adressant aux associations de pères, l'observation des permanences dans ces lieux militants où s'expriment leurs difficultés à être reconnus à une place de père, et le fait de n'être toujours pas entendus depuis l'origine du mouvement. Le but recherché étant celui d'identifier sur quoi porte le combat de ces hommes, et au-delà des représentations exprimées par cette population, comprendre la façon dont peut s'envisager l'articulation des places parentales tenues par les hommes et les femmes.

Pour aborder ce travail de recherche, je situerai dans une première partie, composée des trois premiers chapitres, l'histoire de la place du père, qui à travers le mouvement d'émancipation de la famille, pose la problématique de l'égalité des sexes. Une deuxième partie, des chapitres quatre à sept, intitulée le conflit des pères séparés, concernera plus directement l'étude de terrain et les résultats de mon enquête, au travers les discours des pères et l'analyse de leurs attentes.

PREMIERE PARTIE : Place du père et mouvement d'égalité des sexes

Au cours de cette première partie, qui comprend les trois premiers chapitres, il va s'agir de comprendre comment la famille s'est inscrite historiquement selon la désignation du père, pour ensuite l'écarter de la sphère familiale autour d'une division sexuelle des rôles qui marque le mouvement égalitaire de la société industrielle. La problématique de l'égalité identifiée par les sociologues autour de tensions entre modernité et tradition me conduira ensuite à mon hypothèse de travail

CHAPITRE 1 La désignation paternelle dans l'histoire de la famille

À l'origine de la famille en tant qu'institution, le père représente déjà la figure marquante, inscrit historiquement comme son représentant social. L'émergence de la fonction du père en lien avec la religion, puis le pouvoir royal, marque l'institutionnalisation de la famille, qui se poursuit au fil de l'histoire avec la notion de chef de famille. Par la suite, l'évolution démocratique de la société bouleverse cette configuration, sous tendue par une volonté d'égalité des sexes. La désignation paternelle demeurant un repère dans l'histoire du droit de la famille, cette place du père appelle à définir au préalable la notion de famille et son évolution. Nous allons voir ainsi, comment est apparue cette notion, quelles sont les interprétations de son inscription sociale, pour s'attacher ensuite plus particulièrement à l'inscription du père au cours de cette évolution de la famille.

1.1. La famille, une organisation sociale qui questionne

L'appréhension de la notion même de famille apparait de façon complexe car elle recouvre plusieurs champs disciplinaires. En anthropologie, il est dit que dans toutes les sociétés, toutes les relations sociales se conçoivent sur le mode des relations de parenté. Ainsi dès cette approche on peut constater que le regard anthropologique se fixe sur la différenciation sexuelle des rôles.

Dans l'ouvrage « Anthropologie de la famille et de la parenté », Deliège, dresse l'éventail de ces points de vue d'anthropologues, sur la question de la famille (Deliège, 2005). Il est un fait, explique-t il que dans toutes les sociétés, toutes les relations sociales se conçoivent sur le mode des relations de parenté. S'il est admis que la famille nucléaire n'est pas la caractéristique d'une forme primitive de société, toutes les sociétés cependant reconnaîtraient cette triade élémentaire appelée « atome de parenté » par C.L.Strauss, et qui se présente sous des formes articulées très variées selon les sociétés. Et c'est de cette réalité universelle de l'appartenance de l'individu à deux familles nucléaires, que découleraient les systèmes de parenté. Selon les différentes théories anthropologistes présentées par Deliège, la propriété et la limitation des richesses des sociétés de « cueilleuses-chasseurs », conduisant à la division sexuelle du travail, expliquerait que la sexualité et le choix matrimonial soient les foyers de la solidarité sociale et de conflits. L'inégalité sociale et donc des sexes, naîtrait du développement des moyens de production. Certains développent des concepts de domination, d'exploitation et d'oppression des hommes sur les femmes, liés à l'esprit guerrier qu'impliquerait la chasse. Alors que d'autres parlent plutôt de rapports d'adhésion, telles les théories démontrant combien les contraintes de la production déterminent l'organisation de la parenté. La répartition sociale des individus ne serait pas alors fixée à la naissance par des règles de filiation, mais par l'adhésion volontaire de chacun à l'un ou l'autre groupe. Quoiqu'il en soit, l'institution ou l'organisation du mariage au sens d'union, existerait dans quasiment toutes les sociétés. (Deliège, 2005). Le groupe familial tire son origine du mariage, selon Lévi-Strauss. A travers les règles de l'alliance, c'est la société et son organisation qui apparaissent comme premières par rapport à l'organisation de la famille ». Mais La famille stricto sensu serait absente de l'état de nature ; elle n'apparaît qu'avec la révolution qui marque le passage à la société civile et l'institution de la propriété (décrite par Rousseau).

Le « Dictionnaire critique de la sociologie », de R. Boudon et F. Bourricaud (1994), décrit la famille comme une des institutions caractéristiques de la société humaine. Selon cette conception, elle représente le modèle de référence à partir duquel s'inscrivent les principes de la vie en société, les règles de l'organisation sociale et politique de la communauté, devenant ainsi le témoin d'un certain ordre social. Sans pour autant me semble t il représenter le socle de notre société humaine, mais plutôt caractériser l'organisation de la sphère privée en miroir de la société, la famille a toujours été un centre d'intérêt autant pour les chercheurs de toute discipline, que pour les acteurs eux-mêmes. La famille ne cesse d'interroger sociologues et anthropologues ; elle intrigue les psychanalystes, interpelle le politique et sollicite le biologiste. Les médias s'en emparent, elle serait le reflet de nos sociétés, l'indicateur de ses évolutions politiques, sociales et économiques, ou l'instigatrice de ses transformations.

Une définition précise de la famille n'est cependant pas aisée et l'appréhension même de son évolution suscite des controverses. Comme en témoignent les diverses représentations sociologiques de la réalité de la famille qui déterminent son inscription sociale dans l'histoire.

Peut-on parler de la famille, le modèle unique, ou faut il voir plusieurs familles ? Ces représentations sont sujettes à contestation à la fois chez les sociologues, et anthropologues.

Ainsi, Jack. Goody combat la thèse selon laquelle il existerait un modèle familial spécifique à l'Europe, celui de la famille nucléaire (Goody, 2001). Il s'attache à démontrer en ce sens, que la famille nucléaire n'a pas été inventée par l'Occident industrialisé ou l'Europe dite « moderne », et que les modifications des structures de la famille varient selon les conjonctures sans qu'il s'agisse d'une progression linéaire qui aurait évoluée dans le temps, d'une société traditionnelle collective à une société moderne individualiste, de progrès. Les continuités, argumente l'auteur, ont été aussi importantes que les ruptures et il n'y a pas plus une « fin de la famille » de nos jours, qu'il n'y a eu après le Moyen Age une transformation radicale de la famille due à l'avènement du capitalisme. L'enfance, ainsi que l'affection conjugale et parentale, ne seraient pas selon lui, une invention de l'Europe, mais des variantes de comportements universels.

La famille a donc connu de multiples transformations depuis l'antiquité, et d'une ampleur particulière depuis une cinquantaine d'années, en raison notamment de spectaculaires bouleversements économiques, démographiques, technologiques, sociaux et culturels. Actuellement, la question de l'existence menacée de la famille, est fréquemment mise à l'ordre du jour, face aux multiples configurations familiales possibles : davantage de couples en union libre et augmentation des divorces, couples séparés et recompositions familiales, existence de familles homoparentales. Face à ce bouleversement des familles, la naissance de l'individualisme semble toutefois avoir tenu un rôle prépondérant. Le sociologue François de Singly explique ainsi que le passage d'une société holiste à une société individualiste fait que l'individu devient la cellule de base de la société, et non plus la famille. Il correspond en même temps à la représentation sociale de l'amour d'un homme et d'une femme, au début de l'émancipation des femmes dans une société où le mariage est institué comme représentant la lignée familiale. C'est alors la naissance, dit-il, de la « crise de la famille ». La relation amoureuse devient la référence au détriment de la filiation. (De Singly, 2007). Ainsi autour des années 1960, le fait est établit que l'homme et la femme restent des individus à part entière dans le mariage. Un autre auteur, E. Roudinesco, historienne de la psychanalyse, cherche quant à elle à comprendre l'origine du désordre lié aux mutations de la famille, recomposée, monoparentale, homo parentale, ou artificiellement engendrée, en revisitant l'histoire de la famille occidentale, de l'ancienne puissance patriarcale à l'irruption du féminin (Roudinesco, 2002). Elle fait alors le constat qu'il y aurait à la fois une revendication actuelle de la famille par la société occidentale, comme le lieu par excellence de l'épanouissement individuel, et un sentiment d'angoisse que génère notre époque désorientée par la libération des moeurs, la perte d'autorité du père, face aux nouvelles configurations familiales. Elle interroge alors l'existence de la famille qui face à la perte de l'autorité du père, la maîtrise de la procréation par les femmes, et la filiation possible des homosexuels, ne serait pas pour autant, menacée.

Nous allons voir comment l'histoire de la famille ainsi que l'évolution du droit dans ce domaine s'écrit précisément avec celle de la figure du père, dessinant pour la suite les enjeux des nouvelles configurations familiales.

1.2. Paterfamilias et ordre monarchique de la famille

L'origine de la notion de famille peut s'appréhender aussi dans son point d'ancrage avec sa conception romaine autour de la paternité. Cette famille patriarcale, la « gens », domine de 753av. J-C, jusqu'au IIème siècle av. J-C. Elle est fondée sur l'autorité, la « patria protestas », du chef, qui est quant à lui, le « paterfamilias », ayant droit de vie et de mort sur ses sujets incapables juridiquement (Renaut, 2003). Il est important de souligner cependant que dès l'empire de Rome (27 av. J. C.), « les empereurs se mettent à légiférer en droit public comme en droit privé, en particulier pour réduire l'autorité absolue du paterfamilias afin de protéger les personnes contre ses abus ». (Idem, p 6). A l'opposé ensuite du droit romain du Bas Empire qui est un droit écrit imposé par voie d'autorité , dont la source est l'empereur, le droit des barbares, du royaume franc, quant à lui, repose sur des coutumes orales et changeantes. C'est ainsi que par la suite à l'époque féodale, soumise à l'insécurité, se met en place une organisation familiale, avec le développement de familles patriarcales pour protéger l'individu dans une société où l'Etat est trop faible. C'est la coutume, inscrite, qui règle alors le droit privé. Puis sous l'influence de l'Eglise à la fin du XVème siècle, la famille, de patriarcale, se mue en cellule conjugale, l'autorité du mari sur la femme et les enfants n'est plus dorénavant un pouvoir absolu. Venant de Dieu, cette autorité doit être exercée comme par Dieu lui-même, c'est-à-dire dans l'amour et le respect mutuel. A partir du XVIème siècle, l'absolutisme royal a renforcé la puissance paternelle pour mieux fonder en droit la monarchie absolue. C'est la doctrine du droit divin : Les rois tiennent la place de Dieu qui est le vrai père du genre humain. Le droit paternel s'exerce sur le modèle de l'autorité du roi par rapport à ses sujets. De la sorte, cette conception romaine continue à trouver un écho sous l'Ancien Régime avec les lettres de cachet qui permettaient à un père de faire enfermer l'enfant mineur récalcitrant à son autorité2(*).

Dans un climat de profondes tensions qui traversent le système social, politique, et idéologique, de l'ancien régime en Europe, la conception de Dieu comme Père et Roi sera accentuée à l'extrême dans le christianisme, nous explique l'historien Antoine Casanova : « Chaque père est ainsi en chaque famille le miroir et la preuve concrète du caractère absolu, éternel, de la validité de la hiérarchie sociale et des monarchies absolues. La propagande royaliste s'appuie sur la figure de Dieu le Père et sur l'autorité naturelle qui est celle de pères sur les enfants et la femme, pères porteurs et symboles de l'Ordre et de ses lois. » (Casanova, 2001). L'auteur, qui développe l'émergence de la figure du père au long des millénaires, explique qu'avec les Lumières et la Révolution française, la question de la famille et du père va constituer une question centrale : « Elle renvoie aux débats sur les statuts des personnes, des héritages, sur les orientations économiques, juridiques, politiques. Elle pose le problème de l'égalité des droits, et celui des bases légitimes de la souveraineté » (Casanova, 2001).

Ainsi cette position de pouvoir du père, logiquement, sera mise à mal dans un lien avec l'histoire politique et le renversement du pouvoir monarchique, qu'illustre cette fameuse phrase de Balzac, tirée de La Comédie humaine : « En coupant la tête à Louis XVI, la révolution a coupé la tête à tous les pères de famille. Il n'y a plus de famille aujourd'hui, il n'y a plus que des individus ». Il s'agit bien déjà ici d'une remise en question du concept même de famille avec celle de la place du père. Cette évolution va se poursuivre vers la déchéance du père en passant par sa restauration selon un nouvel ordre matrimonial, pour s'orienter ensuite vers une conception contractuelle du couple, plus égalitaire, selon cette fois l'intérêt supérieur de l'enfant.

1.3. Le père déchu replacé au centre d'une conception matrimoniale de la famille

Avec la révolution, on assiste donc à une montée des pouvoirs de l'Etat et à une limitation des droits familiaux. Les juristes établissent le principe de la paternité civile, donnant des droits similaires aux enfants légitimes, naturels, et adoptifs, et la puissance paternelle sera limitée à la majorité des enfants. Le droit que détenaient les pères de déshériter leur progéniture, est supprimé, les lettres de cachet sont bannies, et Danton proclamera que : « Les enfants appartiennent à la République avant d'appartenir à leurs parents ». On note ainsi une montée du pouvoir de l'Etat au détriment de celui du père, même si résiste une conception coutumière de la puissance paternelle. Puis le code civil, rédigé en 1804 sous Napoléon, décide de soumettre la famille, fondée sur le mariage, au seul père, chargé de la diriger et de la représenter auprès des tiers.

Il s'agit bien d'une représentation de la famille basée sur le mariage selon la conception du droit canon, autour de la place centrale du père, et la soumission de la femme et de l'enfant. En effet, si en droit romain c'est uniquement le consentement qui fait le mariage et non la cohabitation ou l'union sexuelle,- consentement pouvant facilement être remis en cause -, pour le droit canon, le mariage suppose communauté de vie et indissolubilité. La conception chrétienne du mariage reposant sur la réunion de trois vertus : la procréation, la fidélité, et le sacrement qui justifie l'indissolubilité (Renaud, 2003). Le divorce est donc condamné, et du seul fait du mariage, l'enfant a un père en dehors même de la volonté de ce dernier. La filiation légitime est la norme, elle crée la parenté, engendre l'attribution du nom, l'autorité parentale, l'obligation alimentaire, la vocation successorale, les empêchements au mariage. L'enfant légitime est conçu et né pendant le mariage de ses parents, la présomption juridique qui fixe la légitimité est que l'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari de sa mère. On voit ainsi comment se construit cette représentation de la famille indissoluble du mariage qui fixe les règles et places de chacun, et qui déterminera par la suite la production des politiques familiales.

Comme l'expose MH Renaut après des périodes de lutte de pouvoir entre l'Eglise et l'Etat sur l'appropriation de l'institution du mariage, il y aura au XVIIIème siècle dissociation du contrat civil et du sacrement dans le mariage, puis la loi du 20 septembre 1792, qui institue l'état civil, va créer le mariage civil et en fixer les normes. (Renaut, 2003). Si le mariage pour le code civil n'est pas un sacrement, mais un contrat, il comporte aussi une conception institutionnelle : il est l'adhésion à un statut matrimonial, il constitue la fondation d'une famille, dont le père est le garant. Le code civil a renoué avec l'ancien droit en faisant de la présomption juridique de paternité une présomption absolue. Ce ne sera ensuite qu'avec la loi du 03 janvier 1972 que la présomption de paternité sera affaiblie en ne rattachant plus systématiquement l'enfant au mariage de sa mère. Cette période marquera l'amorce d'une chute du pouvoir patriarcal, et d'une évolution égalitaire impulsée par le mouvement d'émancipation des femmes autour d'une remise en question de l'ordre matrimonial de la famille. Nous allons voir comment va s'inscrire dans ce schéma la place du père, devenu suspect, dans une société qui se démocratise.

1.4. Suspicion du père et contractualisation du couple autour de l'intérêt de l'enfant

Une amorce de la déchéance paternelle pendant la période révolutionnaire, tout en se prolongeant par le maintien de la suprématie du père dans l'ordre matrimonial, va se poursuivre sous la période de l'industrialisation. Avec les transformations sociales, va s'opérer un véritable déclin du pouvoir patriarcal, et on assiste alors à un dédoublement de la figure paternelle. A côté du père bourgeois toujours insoupçonnable, on découvre, principalement chez les ouvriers, l'existence de mauvais pères dont le comportement abusif en matière de travail des enfants, notamment, de refus de scolarité obligatoire ou de mauvais traitements graves, rend nécessaire une mesure de déchéance (loi de 1889). Puis en 1935, le droit de correction, celui de faire enfermer ses enfants, tombe en désuétude. Le père, écarté par l'Etat qui introduit du droit en condamnant les abus, devient alors également suspect. Dès lors, les conduites critiquables les plus diverses seront sanctionnées à la faveur d'une intervention croissante de l'Etat par l'intermédiaire des tribunaux et des travailleurs sociaux ; Avec le développement de la pédiatrie, de la pédopsychiatrie, se met en place une certaine forme de contrôle fonctionnel de cette puissance paternelle, par l'approche nouvelle d'attention aux enfants.

Dans ce mouvement démocratique, durant la première moitié du XXème siècle, l'effort législatif se tourne vers une reconnaissance progressive des droits de la femme et de l'enfant, toujours au détriment des privilèges du père, dans une logique égalitaire. Avec la fin de la puissance maritale, en venant restreindre le droit des pères, la notion d'égalité des époux fait son apparition dans le droit vers 1938, qui marque la suppression d'incapacité civile des femmes. Mais en 1942, pour maintenir la hiérarchie dans la famille et en l'absence de nombreux pères de famille partis à la guerre, la loi donne au père et mari, le titre de chef de famille, même si dans la pratique ce sont les femmes qui assurent cette fonction en subvenant aux besoins matériels durant cette période. On peut dire alors que le père est déjà situé dans une représentation paradoxale de place symbolisant toujours l'ordre familial, mais dont les prérogatives asservissantes pour la femme et l'enfant, sont remises en question, au nom d'un courant égalitaire en plein essor dans une volonté de démocratisation politique et sociale.

Ainsi le mouvement démocratique, concomitant avec l'industrialisation et l'entrée dans le monde du travail des femmes, s'est traduit par l'instauration du divorce par consentement mutuel, en 1975, une augmentation des divorces s `étant poursuivie dès 1965. Des dispositifs législatifs vont s'en suivre, tels que, l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux, instaurée par la loi du 23 décembre1985, puis l'exercice conjoint de l'autorité parentale après le divorce, en 1987. Enfin, l'esprit de la loi du 26 mai 2004, dans le prolongement de la réforme de l'autorité parentale, tente à réhabiliter les époux en tant qu'acteurs de leur séparation, par une volonté de simplification et de pacification des procédures. L'impératif de la responsabilité conjointe des parents dans l'éducation de leurs enfants s'affirme ainsi progressivement, la question du divorce pouvant apparaitre alors comme moteur à cette innovation. On peut ainsi subodorer que la conquête d'indépendance, dans le mariage, conduisaient hommes et femmes à s'émanciper de leur père. Plus récemment, la loi du 15 novembre 1999 instaurant le Pacte civil de solidarité, offre à deux partenaires, même de sexe identique, la possibilité d'établir un contrat de vie commune. Inscrite dans le code civil, cette formule contractuelle apparaît comme une alternative au mariage. Initialement instaurée en réponse à une revendication de la communauté homosexuelle, elle est en effet en grande majorité utilisée par les couples hétérosexuels.

Ainsi le mariage n'est plus le cadre de référence nécessaire à la construction d'une famille, et le principe d'indissociabilité matrimoniale a laissé place à une conception plus contractuelle du couple, qui vient bousculer celle de la filiation. I.Théry appelle ce phénomène, le démariage : « La fragilisation sans précédent de la paternité, dans tous les cas où les parents ne sont pas ou plus mariés, se prolonge par une incertitude plus générale sur les fondements de la filiation.. C'est la signification attachée à la composante généalogique qui s'est obscurcie, dès lors que le mariage a cessé d'être le socle commun de référence sur lequel s'élevait l'édifice symbolique de la filiation » (Théry, 1993).

C'est ainsi qu'à partir de 1964, tout le droit de la famille a été reformé. On assiste à une désinstitutionalisation de la famille autour de la puissance paternelle et une modification sociale des comportements. Le mouvement s'est poursuivi dans le sens toujours d'une plus grande égalité entre le père et la mère, et ce, plus particulièrement à partir des années 1970.

La loi du 04 juin 1970 marque en effet une étape essentielle, en remplaçant la puissance paternelle par l'autorité parentale. Ainsi le terme autorité fait place à celui de puissance, et n'est plus l'apanage du père. Le code civil stipule que : « L'autorité appartient au père et à la mère pour protéger l'enfant dans sa santé, sa sécurité et sa moralité. Ils ont à son égard droit de garde, de surveillance et d'éducation » (art. 371-2 Code civil). Cette autorité au lieu d'être paternelle est désormais parentale, c'est-à-dire exercée en commun par les deux parents. Il est à noter qu'après 1970, dans le cas particulier des familles naturelles, l'autorité parentale revient exclusivement à la mère. Le père peut reconnaître son enfant, mais il ne peut exercer l'autorité parentale, à moins d'en faire la demande expresse auprès du juge, et cela avec l'accord de la mère. Ce fait illustre non seulement la disparition du pouvoir des pères, mais son exclusion légale, et place les hommes, contrairement à la sphère publique, en position de retrait avec les femmes dans la sphère privée,. Cette perte progressive de puissance conduira à stigmatiser un père faible, absent, défaillant. Avec le droit des enfants, le droit des femmes est venu en quelque sorte affaiblir l'assurance du père.

A la suite de celle ci, une autre loi, celle du 03 janvier 1972 propose une refonte des règles de la filiation dans un souci de garantir, dans une certaine mesure, l'égalité de tous les enfants, légitimes et naturels, et en tenant compte le plus possible de la vérité biologique, quelque soit la nature de leur filiation (Revel, 1998). Elle constitue la base du droit de la filiation remaniée par les différents textes qui ont suivis, jusqu'à la dernière loi de 2006 qui supprimera les termes distinctifs de légitime et naturel. Par ailleurs, les progrès de la biologie ont rendu possible l'élargissement du champ de la recherche de la paternité. On observe d'une part une perspective d'égalité entre les hommes et les femmes à l'oeuvre, d'autre part une évolution tendant à renforcer le droit des enfants, à travers la notion d'exercice conjoint de l'autorité parentale, après divorce, et progressivement pour les parents d'enfants naturels (loi du 22 juillet 1987). C'est aussi dans cette volonté progressive à promouvoir l'intérêt de l'enfant, que la France signera la convention des droits de l'enfant le 06 janvier 1990. Puis l'égalité entre tous les enfants quelque soit la situation matrimoniale de leurs parents, sera inaugurée par la loi du 04 mars 2002 relative à l'autorité parentale. Elle s'attache à renforcer le principe de « coparentalité », selon lequel il est dans l'intérêt de l'enfant d'être élevé par ses deux parents, même lorsque ceux-ci sont séparés, prenant acte que la rupture du couple conjugal n'emporte pas celle du couple parental.

Ainsi, progressivement, les pouvoirs du père sont tombés en désuétude, avec la volonté d'instaurer une autre place au père. Ce phénomène est accentué par l'évolution sociale, sans pour autant venir réinterroger la place des hommes dans la société autour d'une remise en question de son organisation à « domination masculine » (Bourdieu, 1998). Simultanément, cependant, avec l'émancipation des familles, on assiste au déclin de l'institution du mariage qu'accompagne l'augmentation des divorces. La généralisation de la contraception, véritable révolution qui modifie en profondeur, au-delà des nouveaux rapports familiaux, la société elle-même, vient inaugurer un autre paysage des relations familiales. Elle signe ainsi après la fin du règne paternel, l'affaiblissement d'une conception matrimoniale de la famille.

L'évolution de la place paternelle et ses enjeux actuels se comprennent alors à la lumière de ce qu'a constitué le mouvement d'émancipation des femmes pour l'égalité des sexes. Aussi, pour mieux cerner cette question, nous allons voir comment ce concept même d'égalité a pris consistance avec la notion de liberté individuelle, dans un élan égalitaire inéluctable, mais à la fois générateur d'une organisation hiérarchique des sexes.

CHAPITRE 2 Mouvement égalitaire et division sexuelle des rôles

La mise en oeuvre du droit des femmes fut un véritable combat démocratique au XIXème et début du XXème, livré aussi par les hommes, pour l'acquisition de droits civils, politiques, sociaux, et droit à l'éducation. En amont de ce mouvement d'égalité des sexes, c'est l'idée de liberté, apparue avec « les lumières », qui était associée à l'égalité. Aussi, nous allons voir en quoi, ce concept d'égalité, paradoxalement, conduira par la suite à une situation d'inégalité des sexes. Le terme d'égalité, nécessite en premier lieu d'être précisé.

2.1. L'égalité, un contenu à définir

Pour l'être humain, l'égalité est le principe qui fait que les hommes doivent être traités de la même manière, avec la même dignité, qu'ils disposent des mêmes droits et sont soumis aux mêmes devoirs. On peut distinguer diverses formes d'égalité que sont l'égalité morale portant sur la dignité, le respect, la liberté, et considérée comme étant au-dessus de toutes les autres formes d'égalité. L'égalité civique, c'est-à-dire devant la loi par opposition aux régimes des privilèges. L'égalité sociale qui cherche à égaliser les moyens ou les conditions d'existence. L'égalité politique. L'égalité des chances mise en avant par le libéralisme.

Si le dictionnaire le « Petit Robert », définit l'égalité comme le fait pour les humains d'être égaux devant la loi, de jouir des mêmes droits, il est cependant difficile de définir l'égalité, qui constitue plus une aspiration qu'un état. Elle serait plutôt un projet, un principe d'organisation qui structure le devenir d'une société. D'où un concept vide de sens s'il n'est pas précisé, comme le soulignent les auteurs de l'ouvrage « le nouvel âge des inégalités » : « Chacun aspire à l'égalité, mais chacun donne un contenu différent à cette aspiration » (Fitoussi, Rosenvallon, 1996). Une véritable réalisation de l'égalité sociale n'est pas un danger pour la liberté individuelle, soutient par ailleurs Lucile Mons de l'observatoire des inégalités. « Mais il est nécessaire pour comprendre cela de distinguer l'égalité de l'identité », rajoute t'elle. « L'égalité entre les personnes, à la base, serait surtout qu'elles aient la même liberté de choix, les mêmes chances de parvenir à une fin définie librement ». Tendre vers une situation d'égalité renvoie aussi au sentiment de justice. Les sociétés modernes, nous dit Raymond Boudon sur la question de l'égalité « sont caractérisées par une demande de plus en plus pressante de la part du public, à savoir que chacun soit traité comment ayant une dignité égale et par suite comme étant habilité à jouir des mêmes droits : des mêmes libertés. (Boudon, 1973). Cet auteur note que les inégalités de revenus sont bien acceptées tant qu'elles ne sont pas "illégitimes" ; mais si elles sont perçues comme des "privilèges", les inégalités deviennent alors inacceptables. Il perçoit alors cette forme d'égalité comme une exigence des sociétés démocratiques. Le problème pourrait cependant être soulevé, surtout, à partir du décalage entre le mouvement démocratique et la réalité : « Alors que les conditions vont dans le sens de l'égalité, dans la réalité les situations deviennent plus inégales, apparaissant moins légitimes. La prise de conscience aurait précédé l'évolution des réalités.» (Beck, 1986). Ainsi au-delà de l'existence d'une situation inégale, l'espoir que produit le développement de la démocratie conduit au manque de légitimité de cette inégalité, ressenti dans la sphère privée. Et c'est ce sentiment qui donne réalité au principe d'inégalité. La vraie question serait comme l'explique Amartya Sen: « quelle égalité ou, plus précisément, l'égalité de quoi ? ... La difficulté vient du fait que l'espace auquel peut s'appliquer le concept est multidimensionnel, et que la définition de l'égalité dans une de ses dimensions implique au sens causal l'acceptation d'inégalités en d'autres dimensions » nous dit l'auteur (Sen, 2000). Ainsi cette notion simple en apparence, mise en avant par les « Lumières », serait plus obscure qu'elle n'y paraît.

2.2. Naissance du concept d'égalité : la liberté au nom de la raison

Avec la naissance du monde moderne au XVIème siècle, apparaît l'idée de liberté individuelle. Dans une France monarchiste, centralisée, absolue et de droit divin, religion et politique se superposent. Une révolution religieuse et scientifique se met en place à cette époque, l'ordre et la raison s'opposent à l'obscurantisme avec l'idée que tous les hommes naissent également libre, la liberté étant conçue comme inhérente à l'être humain. C'est le moment du passage d'une société de privilèges, d'inégalités en droit, à une société égalitaire, de liberté individuelle. La notion d'égalité se construit sur le concept de la liberté au nom de la raison individuelle. Dans ce courant d'idées, la publication faite en 1755 par Jean Jacques Rousseau, apporte un éclairage sur la façon avec laquelle se mettront en place les représentations. Il s'agit du « Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes »3(*) en réponse à la question adressée par l'Académie de Dijon de l'époque, à savoir : « Quelle est la source de l'inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la loi naturelle ». L'auteur présente dans ce fameux discours sa conception de l'espèce humaine à partir de deux sortes d'inégalités, celle qu'il appelle naturelle ou physique, et l'autre morale ou politique ; sa démonstration consistant à montrer l'absence de relation nécessaire entre les deux. La vraie raison des inégalités selon lui est à chercher dans l'organisation de la société, née d'une suite d'accidents historiques puis maintenues par convention, c'est-à-dire par l'arbitraire social. Il explique ainsi que l'origine de l'inégalité se situe dans la propriété privée, c'est-à-dire les privilèges des uns par rapport aux autres, mais entendus parmi des hommes raisonnables et libres. Car il soutient aussi une autre thèse qui sera reprise avec succès par la suite dans des ouvrages de médecine, selon laquelle la femme, qui serait le modèle primordial des humains, doit retrouver sa véritable origine naturelle, capable d'amour conjugal et maternel. Dans cet ordre d'idées, l'essence de la féminité fait d'elle un être sensible et instinctif, mais inapte à la logique et la raison, et donc devant rester aux côtés de l'homme quant à lui pourvu d'intelligence. Ainsi, dès cette époque, semble se dessiner à travers un élan égalitaire, une représentation différenciée des rôles des hommes et des femmes. Cependant, dans le mouvement de la pensée des lumières, on ne parle pas réellement d'idéologie égalitaire, même si durant le XVIIIème siècle, une aspiration égalitaire est portée par le courant utopiste, qui imagine et expérimente des sociétés égalitaires. Il s'agirait plus précisément de la naissance du libéralisme en tant que philosophie politique de l'homme libre, en opposition à l'absolutisme. La liberté est considérée comme un attribut de la nature humaine, et l'Etat n'intervient pas pour réguler les rapports sociaux.

C'est avec la Révolution française que les termes Liberté égalité sont présentés comme les deux concepts fondamentaux d'une société nouvelle ; ainsi au-delà des différences, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen souligne sa vocation universelle, sans préciser de distinction entre les hommes et les femmes : « tous les hommes naissent libres et égaux.. ». Le rôle de l'Etat se situera alors dans la reconnaissance et la protection des droits individuels des citoyens.

L'industrialisation, par la suite, va fait apparaître la question sociale avec la notion de paupérisme. Il s'agira alors de percer l'énigme de cette nouvelle pauvreté, dangereuse pour l'ordre social. Une distinction se révèle entre les égalités formelles et les égalités réelles, et Les deux grandes notions que sont la liberté et l'égalité se trouvent de fait invalidée, dans une remise en cause du concept liberté=égalité. Ainsi, une nouvelle conception de l'égalité surgit avec la IIIème république. Les républicains remettent alors en cause cette conception de la « liberté responsabilité », avec la mise en évidence d'une inégalité de pouvoir : on ne nait pas également libres, il y a une différence entre ceux qui sont propriétaires du capital et ceux qui sont propriétaires de leur force de travail, qui ont une liberté limitée qui est celle de se soumettre. L'égalité devient un objectif à atteindre avec le constat que si nous ne sommes pas tous libres et égaux, c'est aussi parce que nous sommes déterminés par notre origine. Et c'est alors justement que prendra naissance la sociologie, à partir de cette réflexion que nous ne sommes pas tous égaux. Ainsi apparaissent des inégalités économiques, sociales et culturelles, qui justifient l'intervention de l'Etat. Il n'intervenait jusque là que dans la sphère publique selon une conception libérale de la société. L'économique faisant partie de la sphère privée, avec la loi Guizot sur la réduction du temps de travail des enfants, un tournant s'opère. Par l'éclatement des structures traditionnelles et notamment de la famille comme lieu d'activité économique, la cellule familiale va se limiter à la sphère de reproduction, et les activités économiques de production vont migrer dans la sphère du travail. Ce sera le point de départ à l'émergence des politiques publiques. De l'interdiction du travail des enfants naîtra le risque salarial du père de famille, et parallèlement se mettra en place le schéma d'une division sexuelle du travail.

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le caractère d'universalisation apparaît, l'assurance sociale devient la sécurité sociale ; et simultanément, au nom de la dépendance matérielle, les femmes sont évincées de l'accès aux droits civils et politiques. Le mouvement de défense des droits des femmes prendra alors son essor, selon une revendication d'égalité des sexes.

Ainsi de ce concept d'égalité, émerge une organisation sociale et familiale autour d'une distinction sexuelle des rôles. Ce phénomène, duquel découle aussi la problématique paternelle actuelle, peut se comprendre en revenant plus précisément sur l'avènement du féminisme.

2.3. Libération des femmes et distinction d'un rôle maternel

A l'aube de la révolution, le courant prédominant de la philosophie des lumières est ainsi traversé par un discours naturaliste sur la féminité justifiant l'exclusion de la femme du domaine de la raison. Une thèse de la « nature féminine », qui s'appuie sur la différence physiologique des sexes. Dans cette perspective, pour conserver la nature de la femme, plus faible et plus sensible, et son aptitude à la procréation, il faut lui interdire l'accès à la raison et l'intelligence, par essence masculine. Seul un autre courant, porté par Condorcet, contredira cette théorie, à partir duquel naitra sous la révolution de 1789, le premier mouvement féministe, quoique non identifié encore comme tel, dont les pionnières seront Olympe de Gouges, ou bien encore Théroigne de Méricourt_. Ainsi la femme, sortie de l'ombre pour être magnifiée à partir de la maternité, associera son combat futur d'émancipation avec la protection des enfants. A l'époque donc où se forgent ces représentations de la féminité, les femmes sont privées de tous droits civils et politiques, ce qui les placent sous la dépendance absolue du père, de l'époux et de la communauté familiale. La femme avec l'enfant sont placés dans un statut d'incapacité, sous la tutelle du père et mari. Elle a interdiction de faire des opérations financières sans le mari ; c'est le père qui décide du mariage et de l'éducation des enfants. Il faudra attendre 1944 pour l'accès des femmes au droit de vote, et 1965 pour celui d'exercer une profession sans le consentement de son mari.

Le mouvement de libération de la femme est venu de la sorte s'achopper sur l'avènement de la conception d'une division sexuelle des rôles dans la sphère familiale. On peut noter à ce sujet le rappel historique de ce contexte qu'en fait Isabelle Guérin dans son ouvrage « Femmes et économie solidaire » : L'auteur explique que dans le contexte de la fin du XVIIIème, l'esprit des Lumières, il était question de libérer les hommes des liens de subordination personnels, les femmes étant priées d'assurer l'harmonie de l'espace familial. Le souci du bonheur pour le plus grand nombre allait de pair avec l'affirmation d'autonomie du sujet et de sa liberté, étant exclus ceux considérés comme non maîtres de leur volonté. La division sexuelle du travail se dessine ensuite au cours du XIXème siècle, opposant foyer et activité salariée. Les revenus féminins prennent alors la connotation de salaire d'appoint qui va s'ériger en norme. Des positions dans ce sens étant soutenues par les économistes à partir de trois principaux arguments que sont : Une concurrence déloyale exercée par les femmes du fait de leurs faibles salaires - Le rôle central des femmes en terme de contribution au capital humain (femmes au foyer) - L'argument sur la mortalité infantile liée aux enfants laissés à des nourrices. (Guérin, 2003).

Ainsi, l'organisation sociale prend appui sur l'organisation dans la sphère privée d'un ordre matrimonial qui constitue à la fois un ordre moral et un ordre social, et la conception du couple qui la sous-tend selon le schéma d'une division sexuelle des rôles, est une représentation inégalitaire entre l'homme et la femme. Comme nous l'explique Irène Théry dans un article de Sciences Humaines : « Vers le XIXème siècle, la femme a cessé d'être perçue comme inférieure à l'homme selon une conception hiérarchique des sexes issue de la tradition religieuse, mais n'a pas pour autant été vue comme son égale. Perçue comme différente de l'homme, sa vocation devient alors de s'accomplir dans sa féminité par la maternité. Elle poursuit : « Le mariage est l'institution qui inscrit la maternité dans le lien social et politique en la liant a priori à la paternité. On ne peut comprendre l'ébranlement contemporain de notre système de filiation sans le rapporter aux transformations majeures de l'alliance, quand se précipite, à la fin des années 1960, le long cheminement démocratique qui a donné aux femmes le statut d'égales et d'interlocutrices des hommes ». (Théry, 2000).

Divers courants se dégagent, pour interpréter la sociologie de la famille qui a pris naissance avec l'industrialisation et le développement d'une pensée scientifique de la sociologie. Nous allons voir comment l'analyse de ces approches en lien avec mon questionnement autour de la place du père, me permettra de dégager mes hypothèses.

CHAPITRE 3 Problématique de l'égalité dans la famille : entre modernité et tradition

A partir de l'avènement de l'individualisme, sur lequel De Singly centre la problématisation des enjeux posés par la famille, c'est la problématique de la filiation qui est relevée par I.Théry, et celle de la reproduction des inégalités par Ulrich Beck, idées qui seront reprises par d'autres auteurs que sont Commailles et Martin.

Ces différents auteurs apportent un éclairage sur la nature et les enjeux des obstacles à la mise en place d'une égalité des sexes dans la famille. Il s'agit là autant d'approches sociologiques qui vont me permettre de mettre en évidence différents éléments que je vais pouvoir dégager autour des trois thèmes suivants :

- La désarticulation entre conjugalité et filiation et le processus d'individualisation

- L'intériorisation de la division sexuelle des rôles parentaux

- Les contradictions entre une Institution inégalitaire et la tendance émancipatrice de la cellule familiale

3.1. Désarticulation entre conjugalité et filiation, et processus d'individualisation

A contre courant d'un mouvement traditionnaliste issu de Le Play qui défend la stabilité sociale par la famille souche, des théories sociologiques sur la famille apparaissent, mises en lien avec la montée de l'individualisme. Partant de là, des auteurs comme Commailles et Martin exposent leurs points de vue autour de la problématique des inégalités en sociologie de la famille.( Commailles, Martin, 1998). Quant à la sociologue Irène Théry, elle fonde son raisonnement sur la problématique du phénomène de désinstitutionalisation ; Ce qui s'illustre autour de la question du père quand l'auteur pose la question de la façon suivante : « comment le père est il institué hors du mariage ? ».

La problématique de la filiation

Elle souligne le phénomène, inquiétant à ses yeux, de désinstitutionalisation de la famille (Théry, 1996). La famille moderne étant appréhendée selon l'auteur comme le produit de l'individualisation démocratique, la crise de l'institution familiale contemporaine conduit à une nouvelle définition de la famille relationnelle, qui évacue la spécificité du groupe familial en tant qu'institution4(*). L'auteur considère la famille comme l'institution qui articule la différence des sexes et la différence des générations. Le mariage avec le principe d'indissolubilité, explique l'auteur, soumet la conjugalité à la filiation et suppose une hiérarchie des sexes. Ce qu'il faut voir dans la « crise de la famille », nous dit elle, c'est une volonté d'émancipation de cette hiérarchie des sexes, inscrite dans l'institution matrimoniale. On assiste donc à l'apparition d'un nouveau lien conjugal contractuel, électif et temporel, le lien de filiation venant occuper cette place vacante du lien indissoluble (l'amour inconditionnel pour l'enfant) ; d'où la coexistence conflictuelle entre ces deux liens. Pour l'auteur cependant, il manque des repères solides aux individus, livrés à eux mêmes, « désaffiliés »5(*), pour énoncer le principe d'indissolubilité du lien parent/ enfant. De ce fait alors, explique-t-elle, c'est dans les situations de rupture du couple qu'éclatent les conséquences de cette désarticulation entre conjugalité et filiation. Ainsi cette distanciation entre les deux liens conjugalité et filiation, tout en étant une conséquence de la démocratisation de la famille, conduit à des situations d'inégalités dans l'exercice de la parentalité, car comme le souligne I.Théry : « Rien ne prévoit dit elle, la situation où deux personnes sont deux parents sans être un couple »

Pour cette sociologue, ce n'est pas la disparition de l'institution familiale basée sur le mariage qui est à déplorer, car celle ci témoigne non pas d'un comportement individualiste, mais d'une volonté d'émancipation de la hiérarchie des sexes. Et la démocratisation de la sphère privée vers plus d'égalité, réinterroge l'évidence de la relation entre alliance et filiation établie par l'institution matrimoniale. Mais ce qui fait problème estime l'auteur, tient au fait que l'émancipation de l'individu se déroule en dehors de tout cadre normatif, soulignant par là une crise de la dimension généalogique ; sans compter la fréquence d'un délitement des trois composantes indissociables de la filiation, qu'elle nomme biologique, domestique et généalogique. Elle déplore ainsi la crise de l'institution de la filiation qui contraint les individus à se prendre en charge, à négocier eux même l'univers symbolique de la parenté. (Mais se serait ce pas là d'ailleurs le prix à payer de l'émancipation ?). Elle identifie de la sorte la crise de la famille comme une crise de la filiation, pour laquelle manque un cadre institutionnel de référence. Partant de ce point de vue, on peut ainsi conclure que cette dissociation entre conjugalité et filiation, inscrite dans un mouvement de démocratisation au niveau de la sphère privée, ne conduit pas à l'effet escompté de plus d'égalité. Car la dimension généalogique n'étant pas cadrée par l'Institution pour accompagner ce processus d'émancipation, les couples se trouvent désorientés, la famille incertaine. D'où la recherche de repères, dans les situations fréquentes de conflits, vers un schéma traditionnel de différenciation sexuelle des rôles, soutenu, dans les cas de séparation conjugale, par l'institution juridique.

Reproduction d'une dynamique d'individualisation

Dans une nouvelle configuration familiale de nos sociétés modernes, qui est celle d'une disjonction entre conjugalité et parentalité, on observe en effet, nous dit cette fois U. Beck, une augmentation des divorces dans tous les pays occidentaux (Beck, 1986) - On peut par ailleurs supposer une augmentation identique des séparations survenues dans les couples non mariés, même si aucune statistique n'existe sur ce point alors que le nombre croissant des unions libres soit une réalité -. Cet auteur, en s'attachant au problème de la reproduction des inégalités, note bien une dissolution et une différenciation des éléments de la vie et de comportements qui étaient réunis dans la famille et dans le couple. « La dynamique d'individualisation qui a détaché l'homme des cultures de classe, se poursuit au niveau de la famille ». « Les femmes, dans les années soixante, soixante dix, deviennent les instigatrices des transformations observées dans la sphère privée. Des transformations qui en ouvrant une perspective d'égalisation dans la famille, ont pu entraîner l'effondrement d'un des piliers de la société industrielle, à savoir, la famille nucléaire, et rendre illégitimes les assignations de rôles suivant le genre. Cependant, confrontés au principe nouveau d'une nécessaire distance entre l'identité de la personne et l'identité masculine ou féminine imposée, les gens se retrouvent face à un abîme » (Beck, 1986).

L'auteur développe l'idée d'une interaction entre construction de la démocratisation politique et démocratisation de la sphère privée. Ainsi transposé à la famille, l'avènement de l'individualisme signifierait que celle ci n'existerait plus comme institution mais à partir des individus qui la composent. L'existence de la famille ne dépendrait plus que des aspirations et des choix des individus eux mêmes. Ulrich.Beck tout comme François De Singly parlent de modernité avancée, une deuxième modernité de la fin des années soixante à aujourd'hui, dans laquelle les individus sont en capacité d'opérer des choix, de s'émanciper du carcan traditionnel pour construire leur propre histoire. Donc en distance de la sociologie de la reproduction sociale de Bourdieu. Il y aurait une dynamique au dessus de cette reproduction sociale, une sociologie qui donne la place à l'acteur, la sociologie de classe ayant été celle de la première modernité, qui aurait perdu de sa pertinence. La famille nucléaire dans ce sens n'est plus adéquate en tant que référence. Cependant ce que soutiennent ces auteurs c'est que les inégalités n'ont pas disparu pour autant, idées qui seront reprises par d'autres sociologues (Commailles, Martin, 1998), pour insister sur la problématique d'une reproduction des inégalités de la sphère publique à la sphère privée. Pour ces derniers, la famille est considérée sociologiquement comme un réceptacle des transformations sociales et politiques, placée comme l'observatoire privilégié de la façon dont les individus instituent leurs liens. La transformation alors des comportements privés, selon ce raisonnement, ne livre pas les individus à eux mêmes, puisqu'elle renvoie aux fondements même de la société. Ce qui vient relativiser le scénario alarmiste énoncé face aux mutations de la famille. A partir de cette démarche d'observation, l'analyse faite sur la place de la famille dans la société, bouleverse les représentations que l'on peut s'en faire. Si les métamorphoses de la famille associées à un mouvement d'individualisation de la société, sont perçues comme conduisant à une perte de repères, renvoyant à la notion « d'individualisme négatif » définie par Robert Castel, (Castel, 1995), il est un fait cependant que la famille demeure une référence, nous explique les auteurs. Les solidarités familiales et intergénérationnelles n'ont en effet pas pour autant disparu, mais auraient simplement changé de formes. Ainsi ces transformations révèleraientt une reproduction des inégalités en miroir avec celles de la société, de la sphère publique. Le processus d'individualisation selon cette conception n'est pas à rejeter pour ce qu'il a apporté dans l'avènement de cette démocratisation, mais pour ses inégalités afférentes.

Ainsi l'affirmation du couple comme entité sentimentale dans la période contemporaine, nous dit cette fois Thierry Blöss, n'aurait pas suffi à établir une relation égalitaire entre les hommes et les femmes.(Blöss, 2001) Et comme le note par ailleurs Ulrich Beck, «  la diversité croissante des situations est dissimulée par la constance des représentations mentales sur la famille et le couple, le père et la mère » (Beck, 1986). Des représentations qui semblent être intériorisées à la fois par les hommes et les femmes.

3.2. Intériorisation de la division sexuelle des rôles parentaux

Entre discours et réalité, des contradictions se révèlent sur l'égalité dans les couples.

Les hommes tiennent un discours sur l'égalité sans mettre leurs paroles en actes, nous dit Ulrich Beck. Tout en acceptant l'égalité des droits des femmes, ils se dégagent des tâches domestiques avec cette perception masculine de ne pas désavantager la femme, car la question féminine est ramenée à la question des enfants. Et pour la minorité des hommes qui restent au foyer, ce choix relèverait surtout d'une volonté de la compagne pour des exigences professionnelles. Quant au désir des femmes à s'investir professionnellement, il se heurte pour elles aussi, à leur désir de s'investir dans la vie de couple et la maternité. Par ailleurs l'échange des rôles est tout à fait mal accepté socialement : Les hommes sont félicités et les femmes désignées comme de « mauvaises mères ». L'évolution sociale malgré tout plus égalitaire socialement pour les femmes, s'est accompagnée aussi d'une évolution du côté des hommes qui souhaitent se dégager de l'image imposée de l'homme viril, et montrer davantage leurs sentiments. Mais dans une situation opposée à celle des femmes, le terme égalité signifie pour eux moins d'investissement professionnel, et plus de participation à la vie du foyer. La majorité des hommes continue néanmoins à se réfugier derrière des justifications biologiques au maintien de ces inégalités (la femme porte l'enfant, elle est donc responsable de son bien être). Cependant note l'auteur, les conflits touchent les hommes de façon violente : « Assignés à une réussite économique et professionnelle, tels le « bon nourricier », et « l'époux et père de famille prévoyant », ils intériorisent les contraintes de carrière pour satisfaire aux attentes. Ainsi, quand la relation à la femme devient conflictuelle plutôt qu'harmonieuse, ils en sont doublement affectés : à la privation de l'échange émotionnel, s'ajoutent le désarroi et l'incompréhension » (Beck, 1986).

L'auteur François De Singly note quant à lui que le temps domestique inégal serait mieux accepté par la femme lorsque l'homme consacre son temps à l'activité professionnelle. Car le travail professionnel de la femme, dans les représentations, soit complète, voire remplace celui de l'homme, soit est exercé à titre personnel ; pour l'homme au contraire, il est à la fois personnel et familial : « en étant au bureau, ils sont pères puisqu'ils travaillent pour le bien être de leurs enfants ». De plus, Les femmes seraient plus sensibles à l'inégalité, face à leur mari, quand elles n'ont pas d'enfant. (De Singly, 2001). Ainsi, à partir d'une lecture en termes d'identité relationnelle, De Singly situe le changement historique au niveau de l'appropriation par les femmes du travail domestique, plutôt que dans la modification du partage.

Cependant, n'est ce pas là aussi, me semble t il, revenir à la problématique de l'inégalité, dans la mesure où cette approche témoigne en quelque sorte d'une certaine intériorisation de la division sexuelle des rôles parentaux, pouvant représenter un des freins à la mise en place de l'égalité des sexes. Cette intériorisation de la division sexuelle des rôles parentaux se trouve être par ailleurs relayée par les institutions, comme en témoigne l'analyse faite par les sociologues. En soulignant le point d'ancrage de l'identité féminine par la relation parentale, l'injonction faite aux femmes, notamment à l'occasion des séparations, vient accentuer en effet l'inégale division des rôles parentaux.

Cette intériorisation d'une division sexuelle trouve par ailleurs un soutien de la part des institutions.

Le sociologue Thierry Blöss, relève aussi un enracinement historique de la division sexuelle des rapports domestiques, les couples concubins ne se démarquant pas de la division sexuelle traditionnelle domestique (Blöss, 2001). Il y a selon cet auteur confrontation entre l'aspiration démocratique des couples et l'intériorisation par chaque conjoint d'une division sexuelle des rôles parentaux. Celle ci étant soutenue par l'institution qui désigne la mère comme dépositaire du lien de filiation au nom de « l'intérêt de l'enfant ». Un certain nombre d'inégalités sociales entre les hommes et les femmes passent inaperçues car mises sous le compte de différences naturelles entre les sexes (essentialisme biologique) : garde de l'enfant malade quand le couple est uni- et attribution de la garde de l'enfant quand les couples sont désunis-, qui révèle que peu d'hommes se sentent concernés, et que peu de femmes sont prêtes à accepter le partage des responsabilités ( Blöss, 2001).

Le conflit est tel dans la plupart des situations de rupture conjugale que les couples s'en réfèrent à l'autorité, conduisant l'Etat, donc le juge à désigner la mère comme dépositaire du lien de filiation selon une idée de « l'intérêt de l'enfant ». Ce qui conduit à justifier officiellement la différence instituée entre statut maternel et statut paternel. Ainsi le divorce, moins stigmatisé, ne porte pas non plus atteinte à la conscience maternelle des femmes qui se voient attribuer dans la majorité des cas la garde de l'enfant ; ce qui les conduit à en faire la demande pour échapper à une domination masculine, même en cas de dépendance économique à leur mari. De ces obstacles à l'égalité des sexes dans la parentalité, résulte la situation de lassitude du parent gardien- l'autre se déchargeant de ses fonctions éducatives- et le découragement du parent non gardien qui ne communique plus avec son enfant. Au nom de cette notion « d'intérêt de l'enfant », sorte de raison d'état, c'est avec une certaine image de la famille, une forme d'organisation domestique qui vont être légitimées dans l'après divorce. Ce qui vient révéler une permanence des représentations sexuées à l'égard de l'organisation familiale. La définition du lien paternel post divorce est un indicateur du fondement sexué des politiques publiques, à travers son appréhension par sa fonction seule de pourvoyeur économique. Ceci dit, la conquête des femmes dans la maîtrise de leur fécondité ne signifie pas pour autant un renversement de pouvoirs. « Les femmes en réalité se trouvent dans un compromis entre le désir de maternité et de carrière professionnelle. ».

3.3. Contradictions entre une institution inégalitaire et une tendance émancipatrice de la cellule familiale.

Ulrich Beck soutient le fait que la répartition des rôles en fonction de l'appartenance sexuelle s'est construite comme base de la société industrielle. C'est ainsi que de fait, « une égalité réelle des hommes et des femmes remettrait en question les fondements mêmes de la famille ». À travers les conflits qui éclatent aujourd'hui entre les hommes et les femmes, Il s'agirait ainsi d'affronter les contradictions de la société industrielle, transposées sur le plan personnel. (Beck, 1986). Les structures institutionnelles prennent appui sur un cadre traditionnel de répartition des rôles sexués, mettant en place un système inégalitaire. Or, il y a une volonté d'émancipation des stéréotypes sexuels dans le cadre de la famille (illusion d'égalité nourrie par la révolution industrielle), mais qui ne peut se réaliser sans l'appui justement des institutions. Dans cette tentative de changer la société à l'intérieur de la famille, sans modifier les structures sociales, ne subsiste qu'un échange des inégalités. Il est ainsi « impossible de réaliser l'égalité entre les hommes et les femmes à l'intérieur de structures institutionnelles qui présupposent l'inégalité entre hommes et femmes », toujours selon Beck. Et les attentes des femmes pour une plus grande égalité dans le domaine professionnel et familial se heurtent de la sorte à des évolutions contraires.

Pour T.Blöss, L'activité professionnelle des femmes peut apparaître en théorie constitué un facteur d'émancipation de leurs rôles familiaux Mais l'accès généralisé des femmes au salariat s'accompagne d'une moindre légitimité de leur place sur le marché du travail. . La différence de sexe dans la sphère privée constitue un frein puissant à l'égalisation des statuts. Il souligne le fait que le choix alternatif à mener une carrière familiale et professionnelle demeure une particularité féminine. Le processus irréversible constaté d'émancipation individuelle ayant permis aux femmes de s'extraire de leur assignation à la sphère domestique, apparaît ainsi incertain et contradictoire. Le recul du mariage, en dépit de ses réformes, reflète les difficultés de cette institution à satisfaire l'exigence contemporaine de démocratie familiale, pour Thierry Blöss. L'auteur identifie aussi des contradictions au niveau de l'institution elle même qui tout en prenant comme appui une base inégalitaire des identités parentales sexuées, cherche à l'atténuer selon le principe de solidarité publique (pour illustration, l'exemple de la catégorie prestataire des familles « monoparentales »). Il y a bien souligne l'auteur existence politique du processus de décision des rôles parentaux. L'action des politiques publiques vise à la fois la réduction des inégalités entre conjoints et entre parents, et la préservation des identités ou spécificités supposées des deux sexes. Les dernières dispositions sur l'après divorce pour un meilleur partage des responsabilités parentales, assurent en fait la reproduction des inégalités entre les charges ou prérogatives paternelles et maternelles.

L'auteur pointe l'existence d'un décalage important entre les principes d'égalité formelle entre les sexes et la réalité des faits dans tous les domaines, professionnel, politique, familial. « Le modèle contractualiste » (C.Martin, 1997) mis en oeuvre dans les lois récentes sur la famille basé sur le consentement mutuel et l'exercice conjoint de l'autorité parentale, ne s'applique en réalité qu'à une minorité de couples, souvent de couches moyennes et supérieures. Le développement ainsi que son officialisation des « familles monoparentales », illustrent bien l'existence politique du processus de division des rôles parentaux. Par ailleurs, ces foyers féminins, économiquement vulnérables, sont devenus une catégorie prestataire, à problèmes. On a donc un système assez paradoxal avec une institutionnalisation inégalitaire des identités parentales sexuées, que cherche à atténuer l'impératif de solidarité publique par une politique redistributive.

Ainsi, je note que l'existence d'un processus politique de division des rôles parentaux est illustrée par le développement et l'officialisation du terme de familles « monoparentales »6(*). Toujours selon Blöss, les rôles domestiques et parentaux sont donc au coeur de tensions entre leur dimension fonctionnelle et leur dimension idéologique : La première est enracinée dans l'histoire de la division sexuelle des rapports domestiques, la seconde incarne les nouvelles aspirations démocratiques des couples, qui permettent aux femmes de déléguer des tâches domestiques et inclinent les hommes à s'occuper des enfants dans une plus grande proximité affective. Mais le discours sur ces nouveaux pères coexiste avec celui des pères défaillants qui rend compte de l'affaiblissement de l'autorité et du lien paternel. Et pour les femmes, « Dans un contexte d'instabilité conjugale croissante, elles se sont imposées- ou ont été désignées- comme le maillon anthropologiquement fort du lien de filiation » (Blöss, 2001).

Ainsi, l'enjeu de cette situation serait qu'avec le retour d'un schéma familial basé sur la distinction sexuelle des rôles, par la permanence d'une dichotomie vie professionnelle vie familiale, des inégalités sociales en découlent de part et d'autre.

Aussi, au regard de l'appréhension sociologique sur la nature et les enjeux des obstacles à la mise en place d'une égalité des sexes dans la famille, ma démarche de travail est celle de comprendre comment s'articulent les places parentales à partir de l'observation des pères, dont le rôle historique central est en miroir de l'évolution sociale. Le constat de l'existence de tensions observés dans la sphère privée, et productrices d'inégalités sociales, m'ont alors conduite à élaborer l'hypothèse de travail autour de mon choix de terrain d'étude.

3.4. Hypothèse de travail et choix du terrain d'étude

3.4.1. Problématique de la place du père dans les séparations conjugales

Ainsi, je relève que l'évolution des moeurs et les mesures incitatives à la mise en place de l'égalité des sexes en droit de la famille, ne permettent pas la pleine réalisation d'un équilibre des rôles parentaux, dans le contexte actuel d'instabilité conjugale. L'absence des pères est toujours déplorée par les professionnels, les jeunes, les mères. Pourtant, dans un courant de démocratisation/individualisation de la société, les pères relationnels volontairement plus proches des enfants, auraient fait place au père institutionnel, autoritaire et lointain. Parallèlement à ce constat, dans le contexte de démocratisation de la sphère privée et d'égalité des sexes qui fait suite au mouvement d'émancipation des femmes, le nombre des divorces et séparations des couples s'amplifie. Cette augmentation fait place au développement croissant de familles dites « monoparentales », composées pour la grande majorité de mères seules avec enfant(s), le terme lui-même induisant l'absence d'un parent, en l'occurrence le père. Sans nier à cet état de fait la dimension existante de l'enfant devenu objet d'enjeux dans les conflits parfois violents autour des séparations de couples, il s'agirait de comprendre, comment se situent les pères séparés dans cette configuration sociale faite d'ambiguïtés. A partir du constat d'une parité parentale qui est en marche, nous explique la sociologue Christine Castelain Meunier, spécialiste des métamorphoses du masculin, la famille n'étant plus centrée sur le père, s'observe l'accroissement d'une « sur responsabilité » des femmes, mais aussi un volontarisme de certains pères. C'est ce qu'elle nomme le mouvement amorcé par les hommes pour occuper leur place auprès de l'enfant. La cohabitation entre les anciens modèles issus du patriarcat, et les nouveaux, n'est pas aisée, alors que la démocratie est en jeu. Engagés dans une période de mutation, avec une inflation de nouveaux modèles familiaux, des codes en opposition au regard des cultures masculine et féminine, traditionnelles, industrielles et contemporaines, l'auteur souligne le paradoxe de notre société, toujours à domination masculine, qui survalorise le rôle de la mère. (Castelain Meunier, 2002). Ce surinvestissement des mères relevant de la conjugaison de quatre dimensions qu'elle résume ainsi :

« Cette matrifocalité des mères consolidée par l'insistance des femmes à réintroduire le thème de l'enfant, est par ailleurs soutenue par l'Etat, d'autant que la mère et l'enfant ont été rapprochées dès le XIXème siècle, à la suite de la défaillance de certains pères [.] Dans le cas de séparation, la résidence principale, l'autorité, reviennent de fait en grande majorité à la mère, et ce d'autant plus que le père est au chômage, les femmes disposant par ailleurs, à l'inverse des pères - comme le constatent les hommes qui s'occupent seuls de leurs enfants -de réseaux spécifiques de sociabilité et de soutien en tant que mères ». Elle poursuit : « Face à cette matrifocalité, on peut constater du côté masculin des stratégies de fuite, de repli, d'effacement, du mimétisme avec une perte identitaire, du désintérêt, de l'agressivité, mais aussi une surenchère et du volontarisme. » (Castelain Meunier, 2002, p 27-28). Elle nomme le volontarisme des hommes, le mouvement amorcé par les hommes pour occuper leur place auprès de l'enfant. « Comparée à celle des mères, qui d'emblée est définie biologiquement, la place des pères n'est pas définie [..] Alors que par ailleurs des hommes innovent dans leur pratiques éducatives, il n'en n'est pas moins vrai que l'absence de reconnaissance de leur place et la perte de légitimité de leur autorité existent [.] La cohérence antérieure qui accompagnait le féminin et le masculin se défait ». (Castelain Meunier, 2002, p 30).

Au regard de cette analyse, une entrée par le témoignage de pères séparés peut s'avérer pertinent pour l'étude, afin de mieux cerner ce phénomène de tensions où cohabitent tradition et modernité, et vient questionner les rôles et places parentales au coeur de modèles contradictoires. Les associations de pères militants, du fait même de leur existence qui interroge, apparaissent alors comme un lieu privilégié, d'où l'orientation de mon choix vers ce terrain d'observation.

3.4.2. Des pères en mouvement pour l'égalité parentale

Après avoir exploré les enjeux actuels de la place du père dans la famille à travers son inscription historique, et les analyses sociologiques qui en sont faites, j'oriente donc mon travail sur l'étude de groupes de pères en revendication d'égalité parentale. La démarche des pères faisant appel à ces associations, même perçues comme marginales, peut constituer de cette façon une entrée pour éclairer nos connaissances sur les hommes qui s'investissent dans une revendication de leur place de père. Les tensions exprimées sont en effet d'autant plus cruciales qu'elles émanent de pères en situation de séparation, qui viennent revendiquer leur place parentale. L'examen des caractéristiques individuelles et sociales ainsi que les discours des pères s'adressant aux associations militant pour l'égalité parentale s'avère de ce fait congru pour cette recherche. Un postulat serait qu'il se dégage un profil particulier d'hommes revendiquant leurs droits de pères. En identifiant les profils et attentes des pères auprès de ces associations, il s'agit de comprendre ce qui conduit certains pères à faire appel à des groupes de parents militants, de quelle égalité est- il alors question dans leurs attentes. Ma démarche dans ce sens est celle d'observer et donner la parole à ces pères en demande d'une place, afin d'appréhender la façon dont s'expriment les tensions, contradictions, transformations des rôles, au sein de ces associations. Les éléments recueillis et observés en permanence ajoutés aux entretiens individuels réalisés auprès des pères doivent permettre de mieux comprendre sur quoi porte le combat de ces hommes. En apportant ainsi un éclairage sur les obstacles à se situer à leur place de père, leurs discours laissent entrevoir la complexité des positionnements parentaux derrière leurs représentations. Je pose alors l'hypothèse selon laquelle les associations de pères séparés constituent des lieux privilégiés de ces tensions à l'oeuvre. Elles viennent en effet témoigner d'insatisfactions des pères à pouvoir occuper leur rôle parental, dans un contexte de société plus égalitaire d'émancipation familiale. Elles se présentent, en cela, comme des « laboratoires », de transformation des modèles. L'enquête qualitative au moyen d'entretiens exploratoires va me permettre de mieux analyser ces indicateurs de changement. Les conclusions de cette étude restent néanmoins réservées sachant qu'elle rend compte ici d'une observation circonscrite à des pères confrontés à des situations conflictuelles les conduisant à s'adresser à ce type d'association. Les personnes en effet qui s'adressent aux associations de pères, ont la particularité de se trouver en conflit dans une situation de séparation conjugale, autour de la question des enfants. Ils sont pour la plupart engagés ou sur le point de l'être dans une procédure judiciaire mettant en jeu la question de la garde des enfants. Ou bien, ils sont séparés depuis un certain temps sur un mode consensuel d'organisation, mais pour lesquels le conflit est ravivé, car se pose à nouveau soit la question de la résidence, soit des modalités de visite pour les enfants. Un changement de situation qui est fréquemment occasionné par l'éloignement géographique d'un parent en raison d'une nouvelle installation. Il s'agit donc de parents en désaccord l'un avec l'autre, voire en affrontement, autour de l'organisation de la séparation familiale.

Je vais donc dans le deuxième volet qui suit, intitulé le conflit des pères séparés, présenter mon terrain d'étude avec les résultats de l'enquête, qui mettent en évidence la problématique de l'impasse face à laquelle sont confrontés ces pères séparés. Une volonté d'implication venant s'opposer à la résistance institutionnelle, dans une représentation traditionnelle des rôles sexués. Après avoir exposé ma méthodologie d'enquête, je m'attacherai dans un premier temps à l'organisation même de ces associations méconnues qui se présentent comme un lieu d'accueil social et de formation, de combat pour l'égalité des droits qui passe par l'apprentissage à un positionnement parental. Ensuite, une fois identifié le profil de ces pères, l'analyse des entretiens effectués me permettra de situer les demandes explicites des parents, et autour des attentes plus implicites, l'objet de leurs luttes ainsi que leurs représentations sur les rôles et places des pères, et mères, de la famille en général. L'ensemble de ces éléments viserait à identifier en quoi ces associations reflètent plus ou moins des volontés de changement. Aussi, au-delà du militantisme de ses adhérents pour une égalité parentale, les associations de pères apparaissent surtout comme des espaces de réhabilitation, par le biais d'une reconnaissance attendue de la part des institutions, derrière une demande de présence auprès de leurs enfants.

DEUXIEME PARTIE : Le conflit des pères séparés

Pour cette partie, je vais donc m'intéresser plus précisément au profil et discours des pères. Le chapitre quatre va situer au préalable la condition des pères dans les associations, en comprenant la méthodologie d'enquête utilisée. J'explorerai ensuite les attentes exprimées par eux, pour enfin m'attacher à l'enjeu de leurs combats derrière leurs représentations.

CHAPITRE 4 la condition paternelle dans les lieux d'accueil de parents séparés

4.1. Méthodologie d'enquête

Il existe ainsi plusieurs associations de pères implantées à Paris, comportant également des antennes en province. J'ai fais le choix d'aller rencontrer trois d'entre elles, parisiennes, les plus actives dans le sens où elles tiennent des permanences pour le public : Le NMCP, Nouveau Mouvement de la Condition Paternelle, la plus ancienne, l'association SOS Papa, la plus connue sans doute, car la plus médiatisée, et JPPP Justice Papa Parité Parentale, la plus récente. J'ai eu la possibilité de me rendre à différentes permanences tenues par ces associations au cours de l'année 2008 et 2009. Les trois associations fonctionnent sur le principe de l'adhésion volontaire avec cotisation individuelle. Toutes les personnes quasiment, viennent pour des problèmes rencontrés en lien avec leur situation au regard des enfants, suite à une séparation conjugale. Leur priorité affichée est celle de la défense des enfants.

Mon approche du terrain s'est ainsi faite à deux niveaux, l'immersion dans les permanences d'accueils, grâce à la rencontre avec les présidents des associations et adhérents anciens d'une part, les entretiens effectués auprès des pères, adhérents ou pas encore, s'adressant indifféremment à ces trois associations, d'autre part. Pour ces entretiens, j'ai également procédé en deux temps, une première série d'entretiens exploratoires effectués entre avril et mai 2008, au nombre de six, qui ajoutée aux autres éléments d'observation recueillis, m'a permis d'établir mes orientations de travail et élaborer mes hypothèses ; une deuxième série d'interviews, réalisée à la même période l'année suivante, selon une grille d'analyse plus précise, m'a conduite à affiner les résultats de mon enquête. Le choix des personnes interrogées s'est fait au hasard des rencontres avec les personnes disponibles, ou grâce aux adhérents plus anciens me mettant en contact avec des nouveaux7(*).Il est à souligner que malgré cette possibilité de mise en relation directe sur les lieux d'accueils des associations, une rencontre sur rendez vous avec les pères s'avérait parfois délicate compte tenu de l'actualité du vécu douloureux de leur situation. Au cours de ces permanences, j'ai pu m'entretenir avec les présidents et/ou principaux adhérents actifs des associations, être présente aux temps d'accueil des pères (et mères) dans une posture d'observation participative. Les entretiens que j'ai réalisé en parallèle ont été enregistrés, conduit sous la forme semi directive, d'une durée d'une heure à une heure et demie. Les personnes ont été interviewées dans les locaux des associations. Les prénoms des personnes interrogées ont été modifiés et afin de préserver au mieux leur anonymat, elles sont présentées dans mon analyse, sans spécifier auprès de quelle association elles se sont précisément adressées, même si cela peut paraitre parfois sous entendu par les interviewés eux-mêmes. De surcroit, en risquant d'induire des comparaisons d'ordre subjectif, cet élément ne semblait pas à même d'apporter un intérêt particulier dans le cadre de cette étude. Mon propos en effet était celui de dégager les éventuelles convergences et divergences non pas des associations existantes, même si elles apparaissent dans leur présentation, mais plutôt celles des pères s'adressant à ce type d'association, dans leur ensemble. L'objectif étant de mettre en évidence le discours d'un échantillon de parents en demande d'aide auprès d'associations de défense des droits des pères. En revanche, il m'a semblé pertinent au préalable de présenter ces différentes associations avec leurs fonctionnements respectifs, commenté par leurs présidents ou adhérents principaux, ou que j'ai pu observer moi-même au cours de l'enquête ; Les différentes façons en effet d'aborder l'accueil, complètent la représentation des places parentales qu'en ont les pères, à travers les choix des militants dans leurs propositions. De plus, le fait de m'adresser à trois associations différentes, ayant chacune son fonctionnement propre et sans liens particuliers entre elles, si ce n'est parfois la rencontre de ses représentants pour s'associer aux débats parlementaires en soutien à des propositions de lois, avait l'avantage pour ce travail de recherche, de me distancier d'un seul discours militant. Le risque en effet que je pouvais être amenée à rencontrer dans ce type d'étude, avec pour terrain une seule association militante, était celui de m'impliquer en adhérant, ou au contraire en n'adhérant pas, au discours, mais sans la souplesse d'une perspective nécessaire à l'analyse. L'observation des trois associations distinctes était alors une façon d'étendre mon champ d'optique, tout en me permettant d'identifier plus précisément ma problématique.

Ayant fait le choix d'effectuer mon étude auprès d'associations pour la défense des pères, parmi les personnes interrogées je m'orientais sur une enquête exclusivement de pères. Cependant je n'ai volontairement pas effectué de tri sur les parents interviewés de façon à restituer un échantillon représentatif d'une diversité ou non du public pouvant faire appel à ce genre d'association. C'est ainsi que parmi l'ensemble des interviewées, quinze pères au total, un d'entre eux n'a encore pas d'enfant en réalité mais est un futur père (Lucien) ; Il m'a semblé néanmoins intéressant de l'interroger du fait de la singularité de sa démarche qui vient témoigner de l'implication d'hommes jeunes dans la paternité. A cela s'ajoute le témoignage d'une mère, parent membre d'une association, qui présente la particularité d'être un parent demandeur au même titre qu'un père. Aussi, cet élément vient rendre compte de la volonté affichée des associations à ne pas mener un combat contre les femmes, même si elles déplorent un statut privilégié accordé aux mères par les institutions, quant au mode de garde des enfants. Ainsi l'ensemble de ces personnes interrogées constitue un éventail possible de parents qui se présentent dans des lieux spécifiques que sont les associations oeuvrant pour la condition paternelle dans le cadre de l'égalité parentale.

Le tableau de la page suivante regroupe les caractéristiques qui se dégagent de l'analyse des quinze pères interviewés :

Tableau récapitulatif des personnes interviewées Mode de garde classique : 1WE /

sur 2

Prénom

âge

Profession

Nombre d'enfants

Age des enfants 

Eloignement géographique

(+ de 100km)

Mode de garde actuel

Souhaits

exprimés

1 Jean

58

Manutentionnaire retraité

2

17 et 15 ans

non

Non défini

Maintenir le lien avec ses enfants

2 Pierre

45

Cuisinier

1

10 ans

non

classique

Résidence alternée /

3 Paul

41

informaticien

1

3ans

non

classique

Résidence alternée

4 Jacques

55

dentiste

2 issus de 2unions

15 et 13ans

oui

Non défini

Libre accès à ses enfants

5 Michel

42

physicien

2

5 et 1an

non

classique

Résidence des enfants

6 François

44

ingénieur

2

6 et 9 ans

non

Point rencontre

Recevoir ses enfants

7 Martin

45

Délégué syndical

Cadre PTT

1

8ans

oui

classique

 

8 Vincent

29

Electrotechnicien

Au chômage

1

2ans

oui

Point rencontre

Recevoir ses enfants

9 Julien

32

Jardinier

au chômage

1

9 mois et demi

oui

Non défini

Avoir accès à son enfant

10 Etienne

43

informaticien

2

4 et 2ans

 

Point rencontre

Recevoir ses enfants

11 Lucien

32

Cadre moyen RH

1 en

attente

oui

 

Résidence alternée

12 Patrick

47

Cadre sup privé

3 dont 1 majeur

20ans

13 et10ans

oui

classique

Résidence pour la fille de 13ans

13 Léon

49

Consultant en système d'information

au chômage

3

16, 11 et 8 ans

oui

6 mois sans visite

Accéder à son droit de visite

14 Valentin

42

Manipulateur radio

3 dont 1 majeur

19ans

14et 9ans

non

1,3,5 et mercredi

Résidence alternée

15 Eric

50

Chômeur

4 dont 2 majeurs

25,20ans

16 et 11ans

oui

2ans sans visite

Revoir ses enfants

Afin de mieux comprendre l'activité de ces associations, et le discours de pères qui s'y présentent, il s'avère incontournable de présenter au préalable les règles législatives en vigueur à ce jour et ses pratiques en matière de divorce, séparation de couples, mode de garde des enfants. Les contradictions révélées entre ce que dit la loi, et ce que sont les pratiques, viendraient refléter la permanence sociale d'une représentation traditionnelle des places parentales, et de distinction sexuelle des rôles. Puis, après une présentation de ces lieux d'accueils, nous verrons par la suite, à travers l'analyse des attentes des pères, en quoi ils peuvent représenter des espaces interactifs propices ou non aux changements.

4.2. Séparation des parents et résidence des enfants : règles et pratiques

Certains points essentiels législatifs en matière d'autorité parentale, de divorce et d'application du mode de résidence des enfants, apportent un éclairage à la suite de l'analyse. Ils permettent ainsi de bien situer le contexte du sujet, qui circonscrit l'étude auprès de parents séparés en cours de divorce, dans les associations militant pour l'égalité parentale.

Le mouvement égalitariste qui a bouleversé le droit de la famille a été marqué dès les années 1970 par l'augmentation des divorces qui témoigne de l'autonomisation des femmes, et par le passage de la puissance paternelle à l'autorité parentale8(*), laissant entrevoir une autre place possible du père. Cela s'est poursuivi par l'affirmation d'égalité et d'exercice en commun de l'autorité parentale indépendamment du statut conjugal, et la prise en compte des droits de l'enfant en en faisant une priorité avec l'instauration d'une égalité entre eux, quelque soit leur filiation, consacrée par la loi du 04 Mars 20029(*). Ce texte relatif à l'autorité parentale stipule dans son article 373-2 :

La séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l'exercice de l'autorité parentale. Chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent.

En matière de divorce, il est important de souligner au cours des différentes évolutions, la persistance de l'élément de la culpabilité. Après l'abolition du divorce, le 8 mai 1816, la loi Naquet du 27 juillet 1884 le réintroduit avec cet élément déterminant de la culpabilité. Les procédures de divorces ont été assouplies depuis, mais néanmoins le divorce pour faute n'a pas été supprimé. L'augmentation des divorces apparue dans le courant des années 1969- 1972, a conduit à l'élaboration de la loi sur le divorce de 1975. Cependant à partir de la notion de faute, on s'aperçoit que l'enfant était confié à celui qui n'avait pas les tords (art 302 du code civil). Cette particularité pouvait conduire ainsi à confier l'enfant au père. L'évolution ensuite des lois sur le divorce avec notamment la dernière loi de 2004, si elle a dissocié le règlement de la procédure de divorce des décisions concernant le mode de garde des enfants, n'a pas pour autant supprimé le divorce pour faute.

Dans la pratique, en ce qui concerne la résidence des enfants, selon des statistiques de la justice, en 2007, elle est fixée chez la mère dans la majorité des divorces (79 %) et les enfants résideront plus souvent en alternance (12 %) qu'uniquement chez leur père (7 %). La résidence étant le plus souvent fixée chez la mère, celle-ci perçoit une pension alimentaire dans 75% des divorces alors que dans 22% des cas, aucune pension n'est prévue. (Chaussebourg, 2007).

La pension alimentaire est versée au parent qui assume la charge quotidienne des enfants par l'autre parent. C'est une contribution à l'éducation et à l'entretien des enfants, et il n'existe pas de montant préétablit. Elle est fixée par les deux parents lors des divorces dits « gracieux » et par le Juge aux Affaires Familiales dans les divorces conflictuels. Le montant de la pension sera évalué au cas par cas en fonction des ressources des deux parents, du nombre d'enfants et de l'âge de ces derniers. Lorsque le parent qui a la charge quotidienne des enfants ne reçoit pas de pension alimentaire, la Caisse d'Allocation Familiale peut lui verser sous certaines conditions l'Allocation de Soutien Familial.

A propos de l'application de ces règles judiciaires, une avocate de permanence à l'association SOS papa, dont la présentation va suivre, me fait part de ses observations sur la pratique des tribunaux dans l'état actuel des procédures. Les enfants restant actuellement en majorité confiés à la mère dans les cas de séparation, celle ci avance le postulat qu'il existe toujours un préjugé favorable pour la mère selon dit elle, « la représentation de la mère protectrice, et du père payeur. », ce qu'elle illustre par rapport à la question du versement de la pension alimentaire et celle de la résidence des enfants. Elle affirme en ce domaine ne connaitre aucun cas de mère payant une pension alimentaire, quand les enfants sont confiés au père. De plus, souligne t'elle, dans les situations où le versement d'une pension alimentaire au père serait d'autant plus justifié par le fait qu'il n'a pas de ressources, il n'en fait pas la demande. Le juge d'ailleurs dans ce cas de figure, constate l'avocate, ne pose pas la question contrairement à la situation inverse où il est demandé à la mère le montant que celle ci souhaite pour la pension alimentaire. Ceci étant, l'avocate soutient ne rencontrer dans les procédures que peu de cas pour lesquels la mère a le salaire le plus élevé, et dans les situations où un seul salaire existe par foyer, c'est alors le plus souvent la mère qui ne travaille pas, et donc celle qui garde les enfants. Pour les enfants de moins de six ans, par exemple, elle note que la résidence est toujours prononcée chez la mère. Pour une demande de résidence chez le père, la nécessité s'impose de prouver que la mère est une mauvaise mère. Elle fait alors le constat d'un combat difficile pour les pères avec les institutions, qui en contre partie doivent prouver qu'ils sont de bons pères. Du côté des femmes, les violences conjugales qu'elles peuvent subir étant sous jacentes, elles sont de ce fait identifiées en victimes potentielles, d'où l'influence qui s'exerce sur la décision des juges. L'avocate relève qu'existe malgré tout un début de prise de conscience sur l'importance des pères, et que les femmes ne peuvent plus toujours faire « n'importe quoi ». On rencontre dit elle, des femmes condamnées pour non représentation d'enfants.

Ainsi, ces éléments viennent souligner le cadre dans lequel se situent les pères rencontrés dans les associations militant pour l'égalité parentale, qui ont la particularité de se trouver en règlement judiciaire sur l'organisation parentale, suite à leur séparation conjugale.

4.3. Trois associations militant pour l'égalité parentale : un accueil social

Les trois associations rencontrées fonctionnent toutes selon le même objectif, avec néanmoins des organisations différentes. Leur intention est celle de faire évoluer les pratiques, judiciaires surtout, pour permettre aux parents un égal accès à leurs enfants notamment par la généralisation de la résidence alternée. Si les revendications des militants de ces associations portent sur la parité à travers l'alternance de la résidence de l'enfant, ils dénoncent aussi le manque de parité et de reconnaissance de la part des tribunaux, et des institutions en général, que sont les allocations familiales, le fisc, l'école. Ils réclament de l'Etat une meilleure application du droit concernant les non présentations d'enfants, et la mise en oeuvre de moyens pour lutter contre « l'aliénation parentale »10(*), préconisent la médiation familiale plutôt que la judiciarisation. Enfin, ils dénoncent une idéologie discriminante pour les pères liée à la diabolisation des hommes par la médiatisation des violences conjugales. Nous verrons, à la suite de la présentation de ces associations, en quoi ses militants affirment par ailleurs agir par féminisme. En premier lieu, dans la pratique, ces associations proposent un accueil spécifique pour les parents, des pères en grande majorité, qui se trouvent en situation de conflit concernant la garde des enfants.

- Le MCP, Mouvement pour la condition paternelle situé dans le douzième arrondissement, est l'antenne parisienne faisant partie de la Fédération des mouvements pour la condition paternelle FMCP, qui en compte une cinquantaine en France : « Pères en mouvement pour une responsabilité parentale partagée, égale en cas de séparation et de divorce ». Créée en avril 1974, l'association s'était constituée à l'origine sous le sigle MCMP, mouvement pour la condition masculine et paternelle, issue elle-même de la première association du genre, créée en 1969, et appelée, DIDHEM : Défense des intérêts et des divorcés hommes et de leurs enfants mineurs. Ainsi dès le début de l'accroissement du nombre des divorces, s'est organisée une mobilisation de pères, ce qui viendrait à relativiser l'évaluation du caractère nouveau d'une prise de conscience masculine dans l'investissement paternel.

Des permanences d'accueil sont proposées, dans les locaux de la maison des associations de l'arrondissement, sans rendez vous, une soirée par semaine. Une deuxième soirée étant consacrée à une réunion d'échanges, d'informations/débats ; soit concernant directement le fonctionnement de l'association, soit ayant trait à des informations techniques, le déroulement d'une audience par exemple, ou bien encore un thème de discussion en lien avec la parentalité. Avec parfois l'invitation de représentants d'associations, de chercheurs, écrivains ou journalistes, voire parfois une personnalité politique. L'association est présentée comme un lieu d'accueil solidaire, d'action, de formation et d'échange permettant la réflexion. Ouverte aux hommes et aux femmes, l'association organise par ailleurs annuellement des universités d'été pour les adhérents, afin d'échanger et débattre sur les thèmes en lien avec la question de l'égalité parentale, de façon aussi à pouvoir présenter des propositions aux parlementaires dans le cadre d'élaboration de lois dans ce domaine. Les parents qui se présentent, des pères en majorité, sont accueillis individuellement par une ou deux personnes adhérentes, en fonction de leur compétence, ou expérience - celles ci ayant elles mêmes été préalablement reçues - pour exposer leurs problèmes personnels de parent lié à la séparation de leur couple. Si les parents peuvent parfois être orientées par des professionnels, ils sont le plus souvent conseillés par des personnes ayant déjà fait appel au MCP. Ce qui peut s'expliquer par la qualité relationnelle due à son orientation par l'approche individuelle.

Les situations rencontrées sont en effet décrites par le secrétaire général de l'association, adhérent depuis l'origine du mouvement, comme invivables pour les pères, souvent en grande détresse. Ne constatant pas d'évolution dans ce domaine avec le temps, le conflit selon lui, vécu par les couples en séparation, est alimenté tant qu'il y a une procédure judiciaire.

- L'Association SOS PAPA, fondée en 1990, comporte une vingtaine de délégations, son antenne parisienne est située dans le quinzième arrondissement. Elle accueille les pères, les parents et grands parents. Si les femmes là aussi peuvent être reçues, ce sont plutôt les nouvelles compagnes des pères qui se présentent, seules ou avec eux, les pères ayant parfois des difficultés à venir parler de leur situation au regard de leur ex-épouse ou concubine, me confie le Président. Ils se retrouvent par ailleurs dans une telle situation de destruction, me précise t il, que la belle mère est alors perçue comme ayant plus de recul, d'où sa présence désirée par le père en demande d'aide auprès de l'association. Les pères qui sont là, rencontrent tous de grandes difficultés à voir leurs enfants. Des grands parents, (parents du père pour la plupart) s'adressent également à l'association, se plaignant de vivre une situation dramatique dans la mesure où ils subissent l'absence des petits enfants dans les cas de séparation, poursuit le Président. S'estimant alors extérieurs aux problèmes de couples, observe t il, ils éprouvent d'autant plus un sentiment d'injustice.

Les personnes qui s'adressent à l'association ont connaissance de son existence par internet le plus souvent, à partir du lien : Père, enfant, divorce, mais aussi par l'intermédiaire de tracts distribués notamment dans les commissariats. Beaucoup de pères en effet sont amenés à porter plainte pour non présentation d'enfants, ou pour un déménagement intempestif, comme c'est le cas nous le verrons par la suite pour certaines des personnes interrogées.

Des permanences sont proposées trois soirées par semaine ainsi que deux samedi matin par mois. L'accueil se fait dans des locaux propres à l'association, par des pères eux-mêmes, adhérents volontaires, en groupe, sous forme de discussion libre en tour de table, chacun présentant sa situation plus ou moins brièvement. Au cours de cet échange ils peuvent à titre individuel cette fois, être reçus à tour de rôle par un avocat à leur disposition pour une consultation, dans un bureau isolé, sans pour autant qu'il prenne en charge leur dossier. Cinq avocats en effet se relaient bénévolement aux permanences, sans pour autant faire partie des membres adhérents. Sur le même principe, également, une psychologue extérieure peut recevoir ceux qui le souhaitent une fois par semaine. Par ailleurs, à leur demande, un père adhérent cette fois, notaire de métier, peut être lui aussi sollicité sur rendez-vous. L'association depuis peu adhérente à l'UNAF est par ailleurs active notamment à travers des actions médiatiques : manifestations, participation à des émissions de radio et télé, diffusion de tracts et articles dans la presse. Des affichettes placardées sur les murs résument assez bien les objectifs de l'association, et il m'a semblé intéressant d'en relever quelques uns :

SOS papa, c'est le cri de l'enfant qui ne voit pas son papa.

Juges, magistrats, avez-vous des enfants pour rendre de telles décisions ?

Halte à l'éloignement géographique et à cette justice complice.

Les femmes se battent avec SOS Papa dans l'intérêt de nos enfants.

Halte aux déménagements intempestifs bien souvent décidés par la mère.

A deux pour le concevoir, à deux pour l'aimer, à deux pour l'élever, même séparés.

Je ne suis ni une marchandise ni une arme ! Respectez mes droits d'enfants.

Couples séparés pourquoi le rapt d'enfant par certaines mères est impuni.

La loi du 04 Mars 2002 ne doit léser ni le père ni la mère.

J'ai le droit à mes deux parents et à mes quatre grands parents.

90% d'enfants de parents séparés ne voient leur papa que quatre fois par an.

Porte close : Une fois de plus il ira déposer plainte ; La mère ne sera jamais inquiétée par la justice pour non présentation d'enfant ; Respectez les droits de l'enfant, sanctionnons ces comportements.

La séparation du couple ne doit pas être la séparation de la famille. Trop souvent le père n'obtient qu'un droit de visite malgré sa volonté d'élever son enfant.

Ainsi, les préoccupations contenues dans ces différents slogans, rejoignent en grande partie celles de l'ensemble des associations.

L'association JPPP Justice Papa Parité Parentale. Il s'agit d'une association plus récente, crée en 2001. Elle se tient dans le troisième arrondissement de Paris, et comporte aussi quelques antennes en province.

Une permanence d'accueil est proposée au public qui souhaite adhérer, une fois par semaine, dans des locaux de la maison des associations de la Mairie de l'arrondissement. Elle est organisée aussi sous la forme d'une petite table ronde, dans un premier temps, animée le plus souvent par un permanent seul, parfois à deux, puis dans un second temps assisté d'un avocat. L'accueil peut alors prendre une forme plus individualisée. Il est assuré par deux avocats, un homme et une femme, qui se relaient une semaine sur deux pour un soutien plus technique. Sans prendre en charge ici non plus, complètement le dossier, ceux-ci sont néanmoins davantage dans une position de membre actif dans l'association, l'avocate étant pour sa part plus particulièrement investie, ce qu'elle soutient dit elle, par un engagement féministe. En plus de ce temps d'accueil, les membres du bureau de l'association proposent un travail de réflexion et préparent des dossiers afin de présenter des propositions concrètes aux instances parlementaires. Par exemple au moment de l'enquête, ils travaillaient sur des propositions de barèmes en fonction des ressources pour les attributions des pensions alimentaires et prestations compensatoires. Les critères actuels auxquels se réfèrent les juges n'étant pas précisément définis, comme il a été précisé plus haut, hormis semble t il une base théorique de 10% qui ne serait pas toujours appliquée. Ce qui pour les militants, contribue à rendre de façon arbitraire des décisions de justice qui apparaissent ainsi parfois inéquitables.

Là aussi, toutes les catégories socioprofessionnelles sont représentées à l'association, me précise t on. Néanmoins je note la fréquentation plus importante semble t- il d'un public jeune.

Les associations travaillent sur le problème qui fait que le juge place les parents en compétition. Elles invitent alors les parents à prendre en main leur propre dossier pour augmenter leurs chances, à le reconstituer, et faire ainsi un travail sur eux mêmes. L'importance des mises en situation par l'écoute des autres, est alors soulignée.

L'association tout comme les autres, affiche une volonté à ne pas réduire le discours à une revendication unique des pères, mais à militer pour une égalité parentale, dans le respect des enfants. Tout en stigmatisant parfois le caractère exclusif des mères, il s'agirait alors de militer selon une logique féministe, comme le soulignent certains d'entre eux.

4.4. Le discours féministe des militants :

Les adhérents militants de ces associations, membres du bureau et membres actifs permanents, contestent une situation qu'ils estiment inégale entre les hommes et les femmes dans le traitement de la parentalité, au moment des séparations de couples. Un adhérent résume le vécu de ces pères, en déplorant la conception de la société selon laquelle « la mère est fondamentale, le père étant la cerise sur le gâteau ». Pour l'association la plus ancienne, le NMCP, son représentant note l'absence d'évolution depuis trente ans concernant la situation des pères au regard des procédures de divorces et des décisions et applications du mode de garde des enfants : l'inégalité demeure au détriment des enfants privés de la présence de leurs pères. Tous insistent cependant sur le fait que leur combat n'est pas positionné contre les femmes, et expriment leur volonté à ne pas stigmatiser les femmes mêmes s'ils déplorent le fait qu'elles puissent abuser de leur position de force au détriment des pères, et surtout insistent-ils , des enfants. Ainsi, malgré l'ouverture affichée des associations vers les parents hommes ou femmes, les femmes qui se dirigent dans ces lieux, pour elles mêmes, demeurent forcément minoritaires, mais elles existent néanmoins : Il peut s'agir de la nouvelle conjointe du père demandeur, qui l'accompagne, mais aussi de mères se trouvant dans la situation du parent dépossédé de ses enfants, dans une problématique plus généralement rencontrée par le père, notamment à l'association MCP. Parfois, une femme peut être en demande de responsabilisation à l'adresse du père envers ses enfants, ou tout simplement en demande de conseils sur la meilleure attitude à adopter dans le conflit qui l'oppose à son conjoint, sous tendu par des procédures judiciaires. Cette demande s'accompagne par ailleurs d'une volonté à ne pas envenimer le dit conflit, et préserver la place du père, permettant d'expliquer la démarche pour une femme de s'adresser à ce type d'association s'affichant pour la condition paternelle. Tout comme les hommes reçus, elle peut d'ailleurs être amenée à accueillir après l'avoir été elle-même, se plaçant alors en tant que parent conseil, sans considération de la différence de genre, ce que j'ai pu observer à l'association MCP, par exemple. A l'association SOS papa, des grands- mères adhérentes, qui participent par ailleurs à l'accueil, relèvent les méfaits de l'action de certaines féministes, qui auraient contribués à exclure les pères dans un mouvement extrémiste, refusant d'aller dans le même sens, l'association se défend d'un certain sexisme.

Le président de l'association JPPP, estime quant à lui que leur combat se situe justement dans la continuité du féminisme. « Le pendant en matière d'inégalité des femmes, c'est celle des pères dans la famille. Le combat est de terminer la révolution féminine. » Il souligne néanmoins qu'il demeure difficile de mobiliser les hommes, même ceux qui viennent à l'association. Ils ne souhaiteraient pas toujours assumer leur paternité, estime t il, et viennent ainsi pour certains d'entre eux chercher des conseils pour perdre le moins possible financièrement. Et de préciser cependant que ces pères, dans ces cas là, ne reviennent pas, quand ils ne sont pas prêts à modifier leur comportement, ce sur quoi travaille l'association. Le président de l'association évoque le cas de pères qui se présentent alors que la mère de leurs enfants, investie professionnellement, avait pour un temps, laissé une place égale au père. Elles changent ensuite d'avis en entamant cette fois une procédure, à cause du regard culpabilisant de l'entourage les désignant comme de mauvaises mères. Pour l'avocate de la même association, dans le système actuel, inégalitaire pour les pères en cas de séparation, les femmes sont maintenues à une place de mère au foyer, selon un schéma contre lequel ont lutté les féministes. De plus, contre l'intérêt des enfants, la mère occuperait ainsi le mauvais rôle par son omniprésence, telle un « parent fouettard », alors que le père ne peut tenir celui d'autorité. Les associations font par ailleurs le constat du peu de mobilisation des pères en France comparé aux mouvements des femmes. Et une mère adhérente d'association, déplore quant à elle qu'un lien ne puisse se faire entre les deux mouvements.

A côté des militants, adhérents actifs des associations, qui assurent les permanences d'accueil, animent les tours de table, et régulent les débats, d'autres adhérents, pères ou mères parfois, quand ils arrivent les premières fois dans ces associations, présentent un certain profil, ont des attentes, expriment des demandes. Je me suis donc intéressée plus particulièrement au discours de ces personnes pour mon étude, les représentants interrogés par ailleurs l'ayant été plutôt sur les objectifs travaillés dans les associations, mais aussi, grâce à leur position de recul lié à leur ancienneté, sur leur vision du public reçu.

Dans un premier temps, afin de mieux identifier ces parents, la présentation du profil des pères au sein de ces associations, va me permettre de mettre en évidence les aspects de convergence et de divergence de la population reçue dans ces lieux d'accueil.

CHAPITRE 5 Profil et discours des pères dans les associations

Les premiers éléments relevés lors des permanences sur l'ensemble des trois associations, parmi les parents reçus, sont la diversité de leurs origines socioculturelles, ensuite dès l'exposé de leur situation, le fait que tous vivent une séparation de couple conflictuelle, qui se manifeste à différents niveaux- la notion de conflit est tout à fait déterminante pour ce public particulier- et enfin qu'ils se révèlent, à l'écoute de leur vécu, comme des parents ayant été investis auprès de leurs enfants très tôt.

5.1. Une population accueillie diversifiée

Les pères en effet qui s'adressent à ces associations apparaissent dans l'ensemble de toutes catégories d'âges et d'origine socio professionnelle variées. D'origines géographiques diverses, ils peuvent venir de province, parfois de l'étranger. Cependant, les associations, qui ne tiennent pas de statistiques sur le profil des personnes reçues mais conservent les fiches d'inscription, relèvent selon leur implantation, une prédominance de catégorie sociale, comme pour « SOS PAPA » situé dans le XVème arrondissement. La population reçue dans cette association apparait en majorité composée de cadres, dont certains cependant peuvent se trouver au chômage consécutivement à leur divorce, voire en situation parfois très précaire, sans hébergement et avec des minimas sociaux. Pour les autres associations, les profils semblent plus variés. Sur le nombre total de personnes interrogées, si une majorité relève d'une catégorie professionnelle de cadre moyen et supérieur, j'ai néanmoins constaté lors des permanences sur l'ensemble des trois associations, une plus grande diversité socio professionnelle représentée. Pour la grille des âges également, une prédominance logique existe autour de 40,45 ans, mais on rencontre aussi des gens plus jeunes, trois personnes interrogées ont 29 et 32 ans, alors que d'autres peuvent être plus âgées, certains de plus de 50 ans, ou des personnes retraitées qui gardent toujours des contacts avec l'association MCP par exemple, plus ancienne. (tableau p.40)

Ils ont dans l'ensemble un ou plusieurs enfants, de toutes classes d'âges. Ils ont connaissance de ces lieux d'accueils grâce au « bouche à oreille », surtout par internet, ou bien aussi grâce à la publicité par tracts, notamment dans les commissariats pour SOS papa par exemple, et parfois adressés par des professionnels, auquel cas le plus souvent des assistant(e)s de service social d'entreprise, me communique l'association MCP. Pour les trois associations une baisse sensible de fréquentation semble s'observer depuis quelques années, l'explication avancée est celle du développement d'internet, qui conduit les personnes à prendre des renseignements et retarder la démarche concrète de s'adresser directement aux permanences des associations. Si L'association SOS papa, plus médiatique, conserve malgré tout un taux de fréquentation un peu plus important, il n'en demeure pas moins que la fidélisation est plus relative. Ainsi on pourrait imaginer que l'évolution du droit suive l'évolution des moeurs et conduise davantage de pères à s'impliquer, et à obtenir davantage la garde des enfants. La baisse de fréquentation de ces associations viendrait alors témoigner de l'inutilité du recours aux associations militantes. Or on constate d'une part à travers les témoignages, qu'il demeure difficile pour des pères qui le souhaitent d'obtenir la garde de leurs enfants, d'autre part les statistiques confirment qu'en majorité dans les cas de séparation, les enfants vivent en résidence principale chez leur mère. Ce qui laisserait supposer qu'il s'agit d'une situation majoritairement acceptée, mais quand elle ne l'est pas, les pères rencontrent de grandes difficultés à obtenir cette place.

Ainsi ces premiers éléments viendraient refléter, telle qu'elle est décrite par les auteurs de sociologie de la famille, la prédominance d'une représentation traditionnelle des places parentales chez les hommes comme chez les femmes, confortée par les institutions qui maintiennent le mode classique de garde des enfants (quand les pères revendiquent cette place.) Je vais pour cette étude m'attacher plus précisément à ce que nous témoigne la spécificité du public de pères dans ces associations.

5.2. Des séparations de couples conflictuelles

Ces associations ne proposent pas une aide directe au traitement de conflit de couple ou des services de médiation familiale, même s'ils préconisent fortement pour certains cette orientation. Cependant, elles reçoivent des parents qui sont tous dans la situation d'être séparés, en cours ou non de divorce, mais toujours avec la demande d'intervention judiciaire concernant la résidence des enfants. La particularité en effet des personnes reçues dans les associations est de vivre une situation de séparation conflictuelle, la durée de vie commune du couple pouvant être variable, voire parfois quasiment inexistante comme parmi les personnes interrogées, pour les trois plus jeunes que sont Vincent, Julien, et Lucien.

5.2.1. Le conflit parental dans la séparation de jeunes pères

Des nuances ainsi apparaissent dans l'échantillon par rapport à l'âge des pères, entre les jeunes trentenaires, et les autres. Ces trois pères en effet présentent la particularité de ne pas avoir vécu en couple. Il ne s'agit donc pas pour eux comme pour les autres d'un conflit lié à la séparation d'une vie de couple, même si dans cette situation également, il est bien question d'un conflit du couple parental :

« Ça fait longtemps que je ne suis plus contre elle, alors qu'elle elle est encore contre moi, elle se bat contre moi, et elle utilise les enfants pour ça, et je pense qu'elle est persuadée que j'en ai rien à faire de l'enfant et que je me bats contre elle, pour lui faire mal à elle. » (Vincent)

L'un d'entre eux, Lucien, n'est pas encore père, mais en attente d'un enfant ; quant aux deux autres jeunes pères interviewés (Vincent et Julien), ils expriment le sentiment d'avoir été utilisés par leur compagne pour avoir un enfant :

« En fait cet enfant là était plus ou moins une erreur de notre part. De ma part il n'était pas désiré, de sa part, il était plus désiré, mais c'était plus manipulé de sa part. Elle, elle avait tout programmé. Je me suis en fait retrouvé devant le fait accompli, et elle m'a fait tellement un travail sur moi de façon que je reconnaisse l'enfant. Parce que c'est vrai que pendant des années je désirais avoir un enfant, et du fait que c'est arrivé, je me suis dit, même si ce n'est pas désiré de ma part, j'aurai préféré avoir un enfant dans d'autres conditions, et les choses étant ce qu'elles sont, j'ai dit, je ne vais pas renoncer à cet enfant parce que c'est mon enfant, il a besoin de moi en tant que père, et il ne mérite pas ça. Et donc le jour où on a appris qu'elle était enceinte, c'est ce jour là qu'elle a décidé de me mettre dehors. » (Julien)

« Pour mon enfant, c'était une grossesse non désirée, j'ai pas du tout suivi la grossesse en étant très en colère contre la mère [...] Je lui ai demandé l'avortement, et un mois et demi après, elle avait pris sa décision de le garder. Et puis nous étions un couple très jeune, elle vivait à Nancy à l'époque, et donc on n'a jamais vécu ensemble sauf les WE [...] Je l'ai quitté au bout d'un mois et demi où elle avait enfin pris sa décision, et je n'ai quasiment pas suivi la grossesse. Elle m'a fait plein de chantages, et j'ai vu mon fils pour la première fois quand il avait 4 mois, je l'ai reconnu pendant la grossesse, grâce justement à une association de mères célibataires, que j'ai trouvé en cherchant avec les mots clés, « enfant dans le dos ». Maintenant, à l'association je me bats pour le voir. » (Vincent)

Ils réagissent alors par la volonté de s'impliquer, à travers une remise en question sur eux-mêmes, et le fait de se projeter dans la paternité :

« Moi, cet enfant, le premier jour où je l'ai vu, c'était un coup de foudre, c'était évident, en rentrant en voiture, j'ai pleuré pendant trois heures.. Ça m'a fait évoluer, cette histoire, ça m'a fait faire un bond, un travail sur moi-même, des choses que je n'arrivais pas à dépasser, que je ne comprenais pas. J'ai compris pourquoi je suis tombé sur cette femme là, pourquoi, je n'ai pas pu, cet enfant je ne peux pas l'abandonner. » (Vincent)

« En tant que bon père, j'estime, je ferai tout quitte à ce que moi, je donnerai ma vie pour mon enfant, et cela jusqu'à la fin de mes jours [...] J'ai dû lui donner de l'argent pour voir mon fils, et puis acheter des vêtements, de la nourriture, pour que je puisse avoir un droit de visite d'une heure sur mon fils... Avoir un terrain d'entente, pour F, mes droits de visite et de contribution parentale, c'est normal, c'est mon enfant. Je l'ai vu trois fois, en trois fois, je l'ai vu 4 h. Pour moi, il me manque énormément, j'en fais des déprimes.» (Julien)

« Je me renseigne où en est la grossesse, où elle en est physiquement aussi, parce que quand une femme attend un enfant, il y a un ressenti, j'essaie de savoir comment ça se passe ; Quand on est séparé, c'est vrai qu'on n'a pas la femme à côté de soi, on ne voit pas le ventre prendre de l'ampleur, je suis privé de tout ça, je sais que ce sera un manque, mais j'essaie de savoir là où elle en est, je l'accompagne autant que je peux, en tant qu'ex conjoint, dans sa grossesse. Pour l'instant, je ne suis pas mis à l'écart du processus. » (Lucien)

Un père interviewé, impliqué par ailleurs dans l'association, résume à sa façon les situations conflictuelles des pères qui se présentent :

« Il y a aussi le fait d'aller devant un juge, car il y en a qui se séparent sans problèmes, ils font tout à l'amiable, et puis du jour au lendemain, parce que quelqu'un revient dans la vie sociale, ça met le grain de sable, ils vont voir le juge et ça finit en « eau de boudin ». Il y a le facteur baby blues aussi. Il peut arriver qu'une mère ait le baby blues et puis du jour au lendemain, elle s'en va. Le père, il ne comprend pas, il n'y a plus de mère. Après la naissance, vous avez des mères qui partent avec leur enfant, on ne sait pas pourquoi, et le père, il est là, il est au milieu, et il se demande pourquoi il est là. Et puis vous avez aussi des pères géniteurs ; c'est-à-dire la femme trouve un homme, se fait faire un enfant, et après, elle disparait. Et en général, c'est les plus virulents, ces pères là, parce qu'ils savent qu'ils ont quelque chose à eux, et ils veulent le récupérer, et ils sont les plus virulents dans le sens où ils ont été bafoués. » (Pierre)

Parfois séparés ou divorcés depuis plusieurs années, le conflit peut être ravivé suite à un changement de situation :

« On s'était mis d'accord pour tous les WE, à l'amiable, et puis petit à petit, je ne l'avais plus le WE. J'ai alors demandé à faire une requête, et quand j'ai eu un dialogue avec le greffier, il m'a dit il faut faire une requête, et je lui ai dit, si elle ne veut pas la faire, alors il m'a répondu, ça ce n'est pas notre problème, c'est à vous de vous arranger ; Quand vous avez un mur en face de vous, vous faites comment ? » (Pierre)

Une rivalité qui apparait souvent consécutive à un déménagement de la mère.

5.2.2. L'éloignement géographique originaire du conflit

La problématique de l'éloignement géographique apparait en effet assez déterminante dans les conflits évoqués par l'ensemble des pères accueillis, et sur les quinze pères interrogés, cette question est rencontrée par huit d'entre eux. Il est difficile alors de mesurer si le conflit est à l'origine du départ de la mère, ou si le passage à l'acte pour des raisons diverses, motivé ou non, va brusquement faire surgir un conflit pour le couple parental ; l'autre parent réagissant alors par la « judiciarisation » du règlement de la séparation. Quoiqu'il en soit, il est important de souligner le fait que dans les situations de conflit conjugal et/ou parental, l'éventualité pour le père de partir avec l'enfant ne se pose pas, sauf cas extrêmes, contrairement à la mère. C'est ainsi que la concrétisation de la séparation du couple, qu'il y ait éloignement ou pas, s'organise dès le départ avec la configuration d'un seul parent gardien, en l'occurrence la mère. Le père s'autorisant alors ou se laissant autoriser, par l'autre parent ou l'institution, des droits de visite. Ce qui conduit à délimiter le débat sur l'égalité parentale, précisément pour les couples séparés, autour d'un élargissement de droits de visites pour l'un des parents, le plus souvent le père, jusqu'à éventuellement une répartition égale du temps. Il s'agira alors de la mise en place d'une « résidence alternée », qui quand elle est controversée s'appuie sur des arguments relevant de l'équilibre de l'enfant, mis à mal, à tord ou à raison. Ainsi, le fait de convenir qu'un des parents, occupe une place plus « naturelle » ou plus indispensable auprès de l'enfant, que l'autre parent, tend à déplacer le discours sur l'égalité, qui serait l'égalité de quoi ? pour reprendre la question d'Amartya.Sen. Ce qui dans cette optique, impliquerait de savoir si le problème doit être abordé en terme d'égalité, ou bien s'il s'agit de préserver le rôle de chacun à sa place qui lui est conférée.

En rapport avec ce contexte d'autorisation à visiter son enfant, le conflit est tel dans certains couples, que les pères se trouvent dans la situation d'obtenir des droits de visite uniquement accordés dans des « points rencontres ».

5.2.3. Les conflits donnant lieu à des visites dans des points rencontre

Certains pères rencontrés se trouvent dans la situation d'exercer leur droit de visite auprès de leurs enfants dans ce qui est appelé des « points rencontre. » C'est ainsi le cas pour trois des personnes interrogées. Il s'agit d'une orientation prononcée par le Juge aux affaires familiales, pour des visites médiatisées ou non, organisées dans des lieux neutres proposés par des associations. Les pères concernés expriment alors le sentiment de vivre cette situation comme une punition. Pour François, cette décision fait suite à des accusations d'attouchement sur les enfants, de la part de sa conjointe à son encontre, qui ont été classées sans suite. Pour Vincent, le point rencontre est proposé pour créer des liens avec son enfant qu'il n'a pas vu pendant six mois :

« Etant donné que je ne l'ai pas vu pendant 6 mois, et étant donné que je n'ai pas suivi la grossesse, je suis puni de ça, je dois le voir au point rencontre 3 heures 2 fois par mois, à Pau, pendant 6 mois. Le point rencontre pour recréer les liens.» (Vincent)

Pour Etienne, qui s'adresse par ailleurs à une autre association, contre l'aliénation parentale, l'organisation des visites a été prononcée au point rencontre pour ses deux filles, après avoir été, estime t il, écarté d'elles :

« Son objectif, c'était de m'écarter de mes enfants, j'ai même été accusé d'attouchements. Je suis passé à la BM (brigade des mineurs), et ça s'est bien passé, c'est à dire classé sans suite, mais ça n'empêche que je ne les ai pas eus du tout parce que Mme a eu peur d'un rapport d'expertise qui disait que Mme était toute puissante. Et un an après, j'ai réussi à saisir un juge pour enfants, pour que je puisse enfin les revoir, quitte à ce que ce soit dans un centre. »(Etienne)

Ils maintiennent alors ce lien sans grand espoir d'évolution, mais cherchent le soutien nécessaire dans les associations de pères. Ils se reconnaissent dans la situation qu'ils vivent comme des victimes d'une machination judiciaire et de la manipulation de la mère :

« Pour l'égalité c'est difficile je suis en position de défense, car moi en réalité je vois mes enfants dans un point rencontre. La situation, j'ai du mal à la voir évoluer positivement, dans un proche avenir.. Je n'ai pas pu me défendre, dès lors qu'on essaie de se défendre chez un JAF, il y a conflit parental, il y a conflit et on finit dans un point rencontre [...] Je n'ai aucun espoir que cela change car la justice ne comprend pas et n'a pas les moyens de comprendre comment cela fonctionne [...] Elle est dans le domaine de l'aide sociale de l'enfance, d'où la difficulté que cela change. Je ne peux pas les avoir en vacances, à l'école, je ne peux pas avoir d'informations sur le dossier médical, elle me n'en donne pas. J'ai l'autorité parentale mais en fait cela ne me sert à rien. Je n'ai pas de possibilité d'avoir des nouvelles de mes enfants, je ne les appelle pas parce que sinon c'est conflictuel. J'ai perdu ma place de père. (François)

Elle avait l'objectif, c'était de m'écarter de mes enfants, se venger de l'avoir quitté [..], donc tous les intervenants autour des enfants, ils sont manipulés, aussi, soit par la situation, soit directement par la maman [...] Les premiers mois, j'ai imposé les choses, de voir les filles à notre ancien domicile, sous le contrôle de madame. Tant que j'étais sous son contrôle, et vu qu'elle ne pouvait pas m'opposer de ne pas les voir, elle était en porte à faux, donc elle a dit ok, mais dès lors qu'il fallait que je prenne mes filles et que je m'en aille, c'était non [...]L'expertise dit que madame va un peu loin, que monsieur est instable, sensible, qu' il n'est pas très costaud, mais qu' il n'y a rien qui l'oppose à être papa. Je pense que ce rapport lui a fait peur et au moment où il est tombé, pendant deux mois elle a préparé sa plainte pour attouchements. Le centre, il est nul, les psys sont aussi psy que moi je suis prêtre, dans le sens où moi je suis innocent et ils n'utilisent pas cette innocence, ils laissent un doute planer [...]J'ai parlé de la manipulation de la maman, et elle est toujours présente à l'étage au dessus ; donc j'ai demandé à ce qu'elle quitte les lieux, pas contre elle, mais pour pas qu'il y ait cette influence persistante (Etienne)

Il peut parfois s'agir de cas extrêmes, pour lesquels comme dans la situation de Michel, celui-ci rapporte ne pas être entendu par les institutions quand il relate un comportement de maltraitance de la part de la mère, décrite comme dépressive, envers les enfants :

« J'ai rencontré beaucoup de difficultés pour me faire entendre par pas mal de services sociaux. Par le 119, SOS enfance maltraitée ; le 119 m'a écouté, mais ensuite les assistantes sociales sont venues et ont pris plutôt parti pour la maman, et se sont fait manipulés. Ensuite j'ai eu des soucis par la police parce que j'ai essayé de faire hospitaliser la maman, car elle mettait en danger le bébé. »(Michel)

Quelque soit leur vécu, les personnes rencontrées dans les associations disent subir une injustice, expriment le fait de n'être pas compris, et font part d'une situation d'isolement.

5.3. Un sentiment de destruction

Ils arrivent ainsi pour la quasi-totalité d'entre eux dans un contexte de procédure de séparation, conflictuelle, et apparaissent désemparés. L'expression d'une souffrance et d'une grande solitude transparait dans leur récit au cours des permanences, et lors des entretiens enregistrés pour mon enquête. Rarement générateurs de la décision d'un divorce ou d'une séparation, ils se présentent placés dans une position de victime, avec le sentiment d'être confrontés à une volonté adverse de les détruire, de supprimer le père :

« Elle préfère me détruire que de me perdre, et quitte à utiliser l'enfant [..], elle veut le manger, quoi, c'est son enfant pour elle toute seule, et elle veut me détruire en même temps, avec ça. » (Vincent)

« On n'est pas trop écouté, en fait. Au jour d'aujourd'hui, je ne suis pas écouté, on n'est pas entendu [...] J'ai reconnu mes enfants mais au point rencontre j'ai appris que les enfants s'appelaient du nom de la mère. Ils portent mon nom, mais la mère leur dit que c'est son nom à elle qu'ils doivent porter. Le but c'est de tuer le père, c'est clair. »(François)

« Les visites au point rencontre, deux fois une heure par mois. C'est lamentable, et c'est très dur. C'est assez humiliant déjà, vous ne pouvez pas être papa normalement, vous êtres regardé, il y a plein de monde »(Etienne)

« Comme je lui ai écrit, tu veux éradiquer la présence du père, c'est la méthode. Le but ultime, j'ai compris, c'est que j'existe le moins possible. Elle a un nouveau mari, moi je suis le passé, il faut effacer le passé. Un collègue ici m'a dit, tu es la dernière aspérité qu'il convient de gommer »(Martin)

Très affectés par leur condition subie de parent séparé, ils dévoilent l'état dans lequel ils se trouvent par des représentations physiques d'amoindrissement :

« La 1ère étape, c'est quand vous arrivez, on vous dit que vous avez le cancer, la 2ème, on vous explique tous les traitements, comment ça va mal se passer, vous allez avoir mal, on va vous amputer d'une partie de vous-même, parce que moi, c'est ça, on m'a amputé d'une partie de moi-même, je ne voyais plus ma fille[...]Elle m'a réassigné, c'est reparti, là j'étais mal, on s'en sort plus, j'ai vu le côté on s'en sortira jamais. Je commence à comprendre, quand j'avais ma jolie résidence alternée et que je venais ici expliquer aux autres, c'était facile, j'avais une belle vie, j'étais dans un standard. Il y a un discours qui est facile qui est celui du bien portant, qui parle des malades ; là je me suis rendu compte que la maladie m'avait atteint, et que j'étais en train de partager cette expérience là, plutôt que le thérapeute qui explique aux gens qui sont pas bien que ça ira mieux demain. »(Martin)

Parallèlement à ces situations de conflit et d'isolement vécues par les pères rencontrés dans les associations, ceux-ci reconnaissent avoir été particulièrement investis auprès de leurs enfants en bas âge, et vivent d'autant plus difficilement ces séparations. Ainsi se dégage chez les parents reçus dans les associations comme ceux interviewés, un profil de pères investis dans les soins quotidiens des enfants dès les premières années.

5.4. Un investissement paternel dès le plus jeune âge

Les pères qui viennent, sont ceux qui veulent tenir leur rôle de parent, me rapporte un président d'association. Ils sont souvent plus impliqués que d'autres au quotidien avec leurs enfants avant la séparation. Ou bien il s'agit de pères moyennement ou peu impliqués à cause de leur travail, et qui découvrent ensuite avec stupeur la dure réalité, quand ils sont exclus comme parent après la séparation de leur couple.

J'ai pu relever chez les hommes qui font la démarche de s'adresser aux associations de pères, que beaucoup d'entre eux confient s'être occupés de leurs enfants au quotidien, et parfois s'être investis dès le plus jeune âge, témoignant d'un lien d'attachement précoce à l'enfant :

« Je veux assurer les finances, je veux assurer sa scolarité, je veux assurer son bien-être, je veux assurer le pouponnage. C'est pour ça, nous on dit, pouponner, ça se dit au masculin, et pas que au féminin. C'est normal, aujourd'hui on est au XXIème siècle, on évolue. Pour moi, les facteurs travail, la société professionnelle qui empêche d'avoir un équilibre avec son enfant, c'est un déchirement. Quand je ne peux pas assumer mon enfant, je ne suis pas bien, pendant une semaine, je ne suis pas bien. Et mon fils n'est pas bien non plus parce qu'il a besoin de moi, il le ressent. Et sa mère m'appelle pour me dire viens le chercher parce qu'il est intenable, il a besoin de toi. La société dit qu'un nourrisson, on ne peut pas l'arracher à sa mère trop brusquement. Il est vrai que là-dessus, moi, un enfant, mon fils, quand il est sorti du ventre de sa mère, ce n'est pas sa mère qui l'a vu en premier, c'est moi. Et, pour l'anecdote, mon fils pleurait, je l'ai pris dans mes bras, je lui ai parlé, et je lui ai dit : pleure pas mon garçon, c'est papa. Il s'est arrêté de pleurer. Moi, j'ai fait le travail au préalable. Quand elle l'avait dans son ventre, je lui parlais. Mais moi, naturellement, je suis très proche des enfants. » (Pierre)

« Avant qu'il y ait la séparation j'étais très présent auprès des enfants, j'intervenais à la fois sur les tâches quotidiennes, les faire dormir, les laver. Naturellement j'ai un très bon contact avec les enfants, les petits. Ils viennent me chercher pour jouer [...] Il fallait que je fasse tout il fallait à la fois que je surveille les enfants et que je fasse les travaux dans l'appartement. » (François)

« C'est moi qui m'occupais des enfants, on avait fait comme ça, elle avait un boulot, elle rentrait tard, c'est toujours moi qui me suis occupé des enfants, depuis tout petit, elle rentrait, elle n'avait rien à faire, tout était fait, la cuisine, les enfants prêts, la maison rangée, le ménage fait.., quand elle l'allaitait, il y avait des fausses routes, c'est moi qui me suis réveillé, elle a jamais entendu. Je donnais le biberon, je me levais. » (Valentin)

Ils relèvent le fait qu'ils sont en capacité de tout assumer comme une mère, sans être envahissant, et se posent ainsi en concurrence éducative avec l'autre parent :

« Mes enfants quand ils étaient petits, ma fille je la prenais le WE, j'assumais tout, et j'aurais pu assumer tout aussi bien, tu vois on a trop tendance à donner aux mères parce que les mères sont trop possessives de garder l'enfant, comme si je ne pouvais pas m'en occuper tout seul, alors que j'ai prouvé que je peux le faire. Mais moi, je fais la vaisselle, à manger, je me débrouille tout seul avec eux quand ils sont avec moi. Quand je les ais une semaine tous les deux, ou même trois semaines de vacances, ça ne m'a jamais posé de problèmes ça ; le rangement, coudre un bouton. Je vois ma fille, elle se débrouille toute seule, je n'ai rien à dire. Mon fils, il faut que je sois derrière, mais aussi sa mère lui fait tout, ça ne va pas. Avec moi, ce n'est pas ça, j'essaie de les rendre responsables » (Jacques)

« Cela me semble normal que les pères fassent la cuisine, qu'ils aillent chercher les enfants, qu'ils s'en occupent, qu'ils passent du temps avec les enfants, qu'ils leur racontent des histoires, qu'ils les bercent qu'ils donnent le biberon à leur bébé, qu'ils changent les couches, jouent avec les enfants, les câlinent. Même à l'époque où j'avais un WE 1, 3,5, un mercredi sur deux, je me suis rendu compte que j'étais le parent que mes enfants voyaient le plus. Je passais plus de temps, car mon ex prenait des baby sitters[...] Moi je parlais à mes bébés quand ils étaient dans le ventre de leur mère, et je parlais avec des sons graves, et ma fille, j'ai continué à lui chanter des chansons graves, à mon fils aussi, et ils ont immédiatement reconnu mes sons graves» (Michel).

Ainsi au-delà du fait de s'en occuper dans les tâches quotidiennes, ces pères révèlent avoir participé à l'acte de naissance de leurs enfants. D'où le ressenti d'un lien d'appartenance qui pourrait apparaître autant déterminant dans l'attachement précoce qu'un lien charnel vécu par la mère :

« Je travaillais beaucoup mais comme j'étais chef d'entreprise, l'avantage que j'avais c'est que je me donnais mes horaires, et que j'amenais mes enfants à l'école, j'allais les chercher le soir, je m'occupais d'elles, car mon ex conjointe faisant du sport à haut niveau, donc j'étais très très proche [...] Il faut savoir que la première je l'ai mis au monde. La seule chose que je n'ai pas fais, c'est couper le cordon, les pompiers sont arrivés après. La deuxième, elle a failli naître chez mes parents, à dix minutes près, j'ai eu le temps de l'amener à l'hôpital. La troisième, on s'est dit on va agir autrement, et là on a provoqué un déclenchement, et là j'ai passé 24 h de ma vie où j'ai eu l'impression que j'allais perdre ma compagne, on est tombé en plein conflits sociaux dans l'hôpital, il n'y avait personne. » (Patrick)

Et même si les soins au quotidien ne sont pas un réflexe pour eux, ils le font si leur compagne leur demande, et témoignent d'une volonté de participation et de présence auprès des enfants :

«  Sur mes trois enfants depuis tout petit je me suis occupé d'eux, je les changeais, je les faisais manger, les amenaient à l'école. Elle ne travaillait pas mais elle avait cette idée que toutes les charges soient partagées. C'est elle qui me le demandait, très honnêtement si cela n'avait pas été le cas je l'aurais laissé faire. Mais je le faisais sans problème et les moments où j'étais tout seul avec eux, je le faisais de toute façon. » (Léon)

« Pour l'école, moi je conseille aux parents, s'ils sont proches du lieu de scolarité de leurs enfants, qu'ils aillent dans les assemblées, les réunions de parents d'élèves, pour connaître le cursus scolaire des enfants, des idées, des contacts avec les autres parents. Il faut être en contact. Moi j'ai toujours été présent, au courant. » (Jean)

Une personne néanmoins parmi les pères interviewés reconnait avoir été pendant la vie commune surtout investie dans son travail, et c'est la séparation qui l'a rapproché de son enfant, bien qu'il vive à 400 km :

« Avant, j'étais un type qui allait au match le samedi soir au parc des princes, une fois sur deux, j'étais beaucoup à mon travail, maintenant je suis avec ma fille, je travaille à temps partiel. Je travaillais 70h, maintenant je travaille plus que 25h, oui, ça a changé beaucoup de choses, c'est une nouvelle vie [...] Alors, ma conception de la vie, j'étais attaché au mariage tout ça, ça a explosé, plus rien. Et puis d'un autre côté je me dis j'ai peut être une chance, au niveau du temps de vie, pendant quelques années, je vais pouvoir profiter de ma fille en prenant des vacances avec elle, ce que je n'aurais absolument pas fait avant, avant je j'aurai travaillé, je la mettais au centre aéré le mercredi.» (Martin)

Pour les plus jeunes pères, ils n'ont pas bénéficié de ce temps auprès de leurs enfants car ils ont été séparés dès la naissance, mais expriment pouvoir être à l'aise dans ce domaine :

« Pour moi, ce qui est important déjà, c'est être consulté pour sa santé, consulté pour sa scolarité, informé et consulté. Je n'ai pas eu d'informations sur sa santé pendant six mois. C'est une punition que de ne pas l'avoir vu pendant six mois. J'ai pris les devants avec le pédiatre au point rencontre [...]Je me suis très peu occupé au quotidien, j'étais plus occupé à faire le ménage. Et aussi par crainte de mal faire, je n'ai jamais changé la couche, jusqu'à il y a quelques mois, en fait, les visites au point rencontre ; ça s'est très bien passé, mais c'est aussi par appréhension, de mal faire. » (Vincent)

Ainsi, malgré la diversité du public accueilli, ces éléments pourraient laisser supposer que les pères qui en appellent aux associations militant pour l'égalité parentale, les pères « volontaires », selon le terme utilisé par Christine Castelain (Castelain Meunier, 2002), soient représentatifs d'un certain profil de pères, particulièrement impliqués. Par ailleurs, que ce fait soit l'indicateur d'une évolution sociale plus générale ne semble pas acquis dans la mesure où la fréquentation dans les associations ne varie pas de façon sensible, ce malgré le pourcentage important d'enfants confiés à la mère suite aux séparations conjugales11(*). Cependant en mettant en parallèle les études sur la mise en évidence d'une évolution générale des pères dans l'investissement aux soins du bébé, notamment par la prise du congé paternité12(*), le profil de ces pères ne ferait que refléter une réalité sociale en transformation ; sans compter que les associations militantes ont-elles mêmes participé à l'élaboration de cette loi sur le congé paternité. A partir de l'observation du profil de ces pères, on peut néanmoins relever, que les divorces et séparations, qui non seulement augmentent mais interviennent de plus en plus tôt dans la vie conjugale, font apparaitre l'existence de parents de nourrissons, séparés, voire avec absence de vie conjugale. Ainsi ces jeunes pères qui semblent former un public nouveau dans les associations militant pour l'égalité parentale, apparaissent comme un indicateur possible d'une évolution sociale de la famille, en cours. Grâce à une étude plus approfondie auprès de cette population de pères, il s'agirait alors d'apporter un éclairage plus significatif de l'évolution des rapports hommes femmes dans l'organisation des rôles parentaux.

Concernant ces profils de pères, un adhérent actif que j'ai interrogé sur le fonctionnement de l'association me présente les situations de la façon suivante:

« 100 % des pères qui passent la porte chez SOS papa sont des pères qui se sont occupés de leurs enfants et qui ne comprennent pas pourquoi la justice leur met des bâtons dans les roues, pour voir leurs gamins. Il s'agit de pères investis dans la mesure où ils poussent la porte mais beaucoup sont dans leur cas et ne feraient pas cette démarche, parce qu'ils ne sont pas assez motivés pour s'occuper de leurs enfants et malheureusement cela reste la majorité des pères. Mais les pères qui eux, veulent avoir une place et un rôle à jouer dans la vie de leur enfant, malheureusement ils paient les pots cassés pour ceux qui ne veulent pas s'en occuper, car la justice amalgame beaucoup en fait, et se dit que si les pères en majorité ne s'occupent pas de leurs gamins, ce sont tous les pères à priori, comme si la fonction paternelle n'était pas une fonction vitale dans le fonctionnement de la famille. Et c'est là qu'ils se trompent parce qu'il y a une partie de la population de pères qui sont très investis dans la vie de leur enfant. Et quand ils se séparent c'est un clash terrible. »

Ainsi les parents qui s'adressent aux associations de pères militant pour l'égalité parentale ont des souhaits, expriment des demandes. Je m'aperçois alors qu'au-delà de ces demandes affichées, c'est l'expression de sentiments liés à leur situation qui déterminent leurs préoccupations et attentes.

CHAPITRE 6 Les attentes des pères

La plus grande majorité d'entre eux sont en demande de conseils juridiques, et de soutien. Ils disent vouloir être plus souvent avec leurs enfants, voire pour certains pouvoir s'en occuper à égalité avec la mère, mais restent imprécis sur cette question. Confrontés à une procédure de séparation de la part de leur conjointe, ils découvrent ensuite avec stupeur des décisions de justice en leur défaveur. Isolés, désorientés par ce qui leur arrive, ils viennent exprimer aussi une demande de partage d'expériences avec leurs pairs, dans l'espoir d'être soutenus.

6.1. Conseils juridiques de défense : une recherche de l'appui de la loi

Quand des pères s'adressent à ces associations, ils sont en demande de conseils pratiques de défense, et sont le plus souvent déjà engagés dans une procédure, dans la majorité des cas initiée par la mère. Ils n'ont pas toujours des questions précises cependant, et malgré le fait qu'ils ont déjà pour certains un avocat, beaucoup d'entre eux attendent un soutien avec la perspective d'obtenir une aide d'ordre juridique :

« Venu la première fois à l'association dans les années 80, 84, j'ai connu l'association par la presse, et puis j'ai laissé et je suis revenu. Pour avoir un appui, une aide, une épaule. Car j'ignorais le système judiciaire. J'étais en cours de divorce. Je cherchais la solution pour faire barrage à cette demande de divorce ; c'était mon épouse qui faisait la demande de divorce. J'attendais une orientation, une idée sur mon cas, de la part de gens qui avaient l'expérience. » (Jean) « J'étais sans solution, je voyais que je perdais mes enfants et que je n'avais aucun moyen avec la justice actuelle.. je voulais me renseigner.. Je me suis dit, je vais apprendre des choses, connaître les tenants et les aboutissants, voir des expériences de papas et en tirer profit » (Etienne).

Anéantis par la nouvelle d'une demande de divorce ou de séparation, ils ne comprennent pas ce qui leur arrive, même s'ils vivaient une situation conflictuelle conjugale ancienne. On peut dire que dans un état de stupeur face à ce qui leur arrive, ils se trouvent dans une position d'inégalité où ils ont à se défendre. Ils sont en effet dans l'inquiétude permanente de ne plus voir leurs enfants, notamment du fait de l'éloignement géographique possible de la mère, en étant suspendu à ses décisions, avec l'idée qu'elle sera soutenue dans une procédure qu'elle aura initiée. Ils peuvent être sous le choc d'une séparation qu'ils n'acceptent ou ne comprennent pas dans un premier temps, comme pour Martin :

« Elle est partie du jour au lendemain. Mon couple allait mal, je suivais un début de psychothérapie j'essayais de faire quelque chose, et puis je suis rentré entre midi et deux heures, et il n'y avait plus personne, la clé était dans la serrure, elle était en train de déménager. » (Martin)

Dans leur premier contact avec l'association, ils sont parfois plutôt effrayés que rassurés. A la fois par les situations des autres pères, plus avancés dans leur parcours de rupture et de procédure, et à l'écoute des informations avisées données par les adhérents animateurs :

« Mes premiers sentiments, j'ai eu encore plus peur en partant car je n'étais pas en procédure, je portais toujours une alliance, dans ma tête j'étais marié et je voyais des gens qui ne l'étaient plus, et je ne pouvais pas accepter cette réalité là. Et quand j'ai adhéré, j'ai dit non je ne passerai pas par là et j'ai dit à une avocate je ne veux pas divorcer. »(Martin) Les pères viennent à l'association après leur « première claque » auprès du JAF, me confie un adhérent. Les témoignages et conseils prodigués par les associations, aux pères qui se présentent la première fois, tendent ainsi à les bousculer :

« J'avais très peur des gens en procédure. C'était très pénible les premiers jours, cela m'a aidé à vider mon sac, Et les gens ont commencé à me faire tomber de mon piédestal, et bien les dernières marches, on m'a expliqué ce qui allait m'arriver, que j'allais divorcer, que j'allais surement recevoir une requête, car je savais qu'il allait se passer quelque chose, pas la requête, mais la séparation .. Quand je suis revenu, le 8 aout, le 10 aout j'ai reçu la requête, et là j'ai compris que ce qu'on m'avait dit ici, un mois et demi avant et bien voilà, je ne voulais pas l'admettre mais ça allait se passer comme ça. Et puis là elle m'a réclamé la garde exclusive de la petite, x pensions etc. », (Martin)

La préparation au passage devant les tribunaux est un point travaillé par les associations, qui soulignent le fait que les pères, sûrs d'eux, pensent en arrivant devant le juge qu'il n'y aura pas de problème, et qu'ils bénéficieront de l'appui de la loi. Les associations soulignent le fait qu'être demandeur met l'autre sur la défensive, car le demandeur est dans la position d'avoir raison. Ce qui met le père en situation de culpabilité. Les avocats, en conséquence, déplorent les adhérents, conseillent pour la plupart de générer le conflit quand les mères veulent couper le contact, sachant que le conflit bénéficie au générateur de ce conflit, en l'occurrence le plus souvent la mère. Aussi beaucoup de pères, selon les représentants d'associations, sont conduits à formuler des demandes en matière de conseils juridiques, et disent se trouver « piégés ». Leur réaction à ce moment là par rapport à leur situation de père n'ayant pu obtenir la garde ou tout simplement des droits de visite, est de remettre en cause leur avocat, choisi le plus souvent par hasard. La première question qu'ils posent alors en venant s'adresser à l'association est la suivante : « avez-vous, ou connaissez vous un bon avocat. ». Désemparés, Ils sont ainsi dans la recherche d'un appui de la part du « judiciaire », de la loi, qui devrait, pensent-ils, les soutenir :

« Je suis venu donc pour avoir un bon avocat, spécialisé, et j'ai pu apprendre tout ce qu'il fallait faire.. Comment monter un bon dossier. Ma demande, c'était de le voir, étant donné la distance, la moitié des vacances et un WE par mois. » (Vincent)

Si l'avocat de permanence n'a pas pour fonction de prendre en charge leur dossier, il va néanmoins l'orienter, lui fournir les explications qui lui font défaut, leur consacrer, me précisent les adhérents, du temps que les avocats habituellement limitent en raison du coût des consultations. Cette attente vis-à-vis du judiciaire se manifeste par ailleurs à travers un lien fort qu'ils éprouvent avec les avocats :

« Donc la première vie d'avocat, c'est quelqu'un qui m'a tout appris sans faire de procédure, on a fait du coaching, de la stratégie, comme elle disait, elle était extrêmement forte là dedans.. Maitre T a bien géré les choses, on a fait un peu de tactique, d'ailleurs on a négocié un report, vous entendrez ça sans arrêt ici, il faut reporter. » (Martin)

Pour certains ils attendent ainsi beaucoup des avocats, même si dans les associations, les représentants, familiarisés et devenus de véritables techniciens du fonctionnement judiciaire, relativisent leur rôle. Les pères accueillis sont quoiqu'il en soit dans une posture d'allié ou cherchent à l'être, quand ce n'est pas avec un avocat, avec le connaisseur affirmé du système judiciaire qui va les recevoir dans les associations. Par ailleurs, les avocats sont aussi des rivaux, notamment quand ils sont de la partie adverse, venant témoigner d'un combat acharné quand les procédures sont enclenchées. Ce qui va s'opérer alors, à travers l'aide apportée par les associations, c'est tout un travail de réappropriation de leur dossier- l'expression « avoir la main », « reprendre la main », est souvent employée - Ainsi, se joue, dans l'interaction, un travail de réhabilitation de leur place parentale, d'une affirmation de leur place de père, comme nous le verrons par la suite. « Le but dans les permanences c'est de les faire redescendre sur terre, et de leur expliquer ce qui va se passer. Et de quelle façon il va falloir qu'ils attaquent, qu'ils abordent plutôt, leur procédure. Le plus important c'est qu'ils redescendent sur terre et qu'ils sachent bien qu'il va falloir qu'ils travaillent sur leur dossier, qu'ils présentent quelque chose au juge mais qui soit positif », m'explique un membre de bureau d'association. Ainsi la permanence devient un espace de remise en question qui les met face à la réalité de leur situation. Les associations constituent en cela un lieu d'émancipation par l'apprentissage à la négociation. Aussi, pour l'association MCP, qui n'offre pas de consultation d'avocats, mais détient l'expérience et les connaissances des rouages judiciaires, les réponses apportées, en dehors de l'écoute et du soutien, relèvent de conseils techniques parfois très précis, autour de stratégies à adopter. D'une part face à l'institution judiciaire des tribunaux, qui englobe juges et avocats, dans le but d'être le moins exclu possible de leur place de parent ; d'autre part, comme nous le verrons par la suite, à l'adresse de la mère de leurs enfants, afin que le conflit ne soit pas surenchéri à leurs dépens, l'idéal pour certains militants étant de tendre vers une médiation familiale.

« Elle me coupait sans arrêt les vacances, j'en ai ras le bol, je ne pouvais rien prévoir ; alors donc j'ai dit, je vais aller voir au tribunal. Et puis ma copine m'a dit, tu sais, il y a une association, c'est comme ça que je suis arrivé, la première fois[... ]le problème, c'est que je ne voyais pas mon fils, et si je ne me débrouille pas pour aller à Nancy, je ne le vois pas. Et au bout d'un moment, j'ai dit ça suffit, je veux qu'un juge décide des vacances, et j'ai bien fait car cela l'a fait réfléchir. » (Jacques)

« Je voulais voir ma fille.. Je n'étais pas d'accord pour le divorce, mais j'ai mis en place une résidence alternée dès le lendemain de son départ. Donc je suis arrivé ici pour avoir un conseil juridique et on m'a dit surtout, signez tout de suite ça vaut de l'or, un accord amiable. » (Martin)

Ainsi, ces hommes apparaissent désarçonnés face à la procédure juridique engagée par la mère de leurs enfants, leur aisance apparente dans l'utilisation du système judiciaire, comme de celui des services sociaux, et s'aperçoivent de leur impuissance même avec un bon avocat. Il s'agirait donc dans un premier temps, quand ils s'adressent aux associations de « reprendre la main » pouvant laisser entendre parfois, l'idée sous jacente de retrouver une certaine suprématie masculine dans le rapport de force engagé. De ce fait, ils acceptent plutôt bien le principe de payer, qui les maintient aussi dans une représentation de rôle masculin, et le proposent eux-mêmes souvent avant même la décision du juge, mais le rejettent, s'ils ressentent une exigence manipulatrice de la part de l'ex conjointe :

« Moi, mon souci, ce n'est pas la décision, c'est le fait que c'est injuste pour moi qu'on ne m'accorde pas les enfants, je serais prêt à payer une pension alimentaire pour voir les enfants. Je fais appel, je demande à payer une pension pour les enfants. Là je paie déjà une PA, alors que Mme gagne deux fois plus que moi. » (Valentin)

Même pour Lucien, qui n'est pas encore père, mais en attente de l'être, il demande des conseils juridiques en vue d'être plus armé pour affronter d'éventuelles difficultés, mais ce qui laisserait entendre aussi qu'il se repose sur le système judiciaire, l'institution, pour asseoir sa place de père :

«  Je suis venu pour une aide juridictionnelle. Au moment de la séparation, quand il y a des enfants, on ne sait pas toujours comment ça se passe, pour fixer un cadre, des règles, pour une éducation séparée. Je voudrais savoir comment ça se passe et m'assurer d'avoir un traitement égalitaire, par rapport à la mère. Déjà, en fait je ne sais pas du tout comment ça se passe, est ce qu'il est nécessaire de passer devant un juge ou pas, je cherche en fait des conseils d'ordre complètement procéduraux, administratifs. Je ne sais pas comment on va devoir fixer un cadre pour cet enfant. » (Lucien)

Ainsi, cette place de père ne serait pas acquise, dans la mesure où il est admis socialement que la mère la détient en priorité. L'institution est alors attendue comme un soutien, ce qui explique, comme nous le verrons par la suite, ce sentiment exprimé par les pères d'une institution déloyale à leur égard. «  Il y a à peu près 50 % des séparations ou des divorces, dans la population générale, qui se passent bien, mais c'est effectivement la maman qui est moteur, la mère va avoir ce pouvoir, qu'on va lui donner, de s'occuper entre guillemets beaucoup mieux des enfants que les pères ; et cela ne se vérifie pas dans tous les cas, malheureusement, il y a des enfants très malheureux qui vivent sans leur papa. », m'explique un membre de bureau.

Si les pères ne demandent pas la garde alternée, ce serait alors souvent parce que les avocats les en dissuadent.  Et le passage devant le juge se présenterait selon leur expression comme un « va tout », où tout se joue en dix minutes.

Au-delà de leur demande de conseils juridiques face à leur situation de séparation, ils sont en effet en général dans une attente de voir plus souvent leurs enfants, ou de les revoir car ils ne les voient plus, ou bien encore dans l'inquiétude de ne plus les voir. Désarmés face à leur situation, ils souhaitent dans l'idéal une résidence alternée, et même si concrètement leurs demandes ne s'expriment pas clairement, ils recherchent avant tout à retrouver un libre accès à leurs enfants.

6.2. Le libre accès aux enfants : une demande d'apaisement du conflit

Les pères qui s'adressent à ces associations ne viennent pas directement pour une demande précise concernant le mode de garde des enfants, sachant que cette demande se fait à l'adresse du juge aux affaires familiales via les avocats. Mais ils ne comprennent pas ce qui leur arrive, veulent en général voir davantage leurs enfants, quand parfois ils ne les voient plus du tout. Ils expliquent alors que la mère de leurs enfants, qui peut avoir déménagé avec eux, mais pas toujours, ne leur permet pas, en tout cas, d'exercer leur droit de visite, leur autorité parentale, Ces pères estiment de la sorte être victimes du pouvoir des mères soutenues en cela par les institutions. Leur demande d'une résidence alternée, est alors évoquée plutôt comme un idéal, l'enjeu étant celui de pouvoir voir, recevoir, et s'occuper de ses enfants, ce qui nécessite par ailleurs d'apaiser le conflit de couple.

6.2.1. La résidence alternée, un idéal

Soit ils bénéficiaient déjà d'une résidence alternée à laquelle la mère de leurs enfants met un terme concrètement, par l'éloignement par exemple, ou du fait d'une nouvelle vie de couple, (avec éventuellement d'autres enfants), ces deux éléments étant souvent liés. Soit ils demandent une résidence alternée suite à une première décision récente de droits de visite classique, c'est-à-dire, premier, troisième, cinquième « week end ». Ils restent cependant assez flous quant à leurs désirs, et les échanges interactifs qui s'opèrent dans l'association les mettent alors à l'épreuve d'exprimer leurs souhaits. Ainsi les adhérents permanents les interrogent sur leur positionnement de père autour de la préparation de leur dossier juridique, ce que ne font pas les avocats. Ils leur posent donc la question de ce qu'ils veulent exactement, des droits de visite plus élargis, des vacances, ou une résidence alternée, voire une résidence complète ; leur demandent d'exprimer jusqu'où et dans quels domaines sont- ils prêts à s'investir pour leurs enfants, et les invitent à consigner par écrit ces éléments avec l'objectif de préparer les points positifs de leur dossier, et les audiences. Ce qui se traduit par un travail d'apprentissage à la confrontation aux institutions et implique de leur part un repositionnement de leur rôle de parent. Ainsi certains bénéficiaient d'une résidence alternée, parfois remise en cause par la mère des enfants qui décide d'un déménagement éloigné, ce qui est le cas pour deux d'entre eux, Martin et Léon :

« J'étais divorcé, je suis passé en consentement mutuel, Mme a accepté la garde alternée.. Donc la résidence alternée a duré pendant trois ans, une semaine, une semaine, et ça tournait comme une horloge. D'ailleurs dans un premier temps, j'étais conciliant, comme elle travaillait à temps partiel, elle faisait en fait 6 jours chez moi et 8 jours chez elle pendant les six premiers mois Mme s'est remariée, a eu d'autres enfants et a fait le projet de déménager en province elle avait un nouveau mari originaire d'Epinal, donc elle me dit je vais déménager... Quand on a divorcé officiellement, elle faisait déjà des demandes de mutation pour partir..Elle demande la garde en disant Epinal est à 3 h de paris, tu pourras venir voir ta fille. » (Martin)

« En fait moi mon divorce s'est bien passé, j'avais une ex femme qui a voulu sortir rapidement de notre contrat de garde alternée qu'on avait mis en place. La garde alternée avait duré deux ans à peu près, elle a commencé à la remettre en cause. En fait je refusais de signer les documents nécessaires au renouvellement des passeports américains de mes enfants, car la mère est américaine. on m'a confié la garde étendue, un WE sur deux plus le mercredi. Donc j'ai fait appel, ça été confirmé, pendant l'appel, elle était partie aux Etats-Unis, elle a refusé d'envoyer les enfants. Donc la cour d'appel n'a ensuite fait qu'entériner le fait que mon ex femme habite aux Etats unis. » (Léon)

C'est également la situation vécue par Eric, qui après une période d'arrangement à l'amiable concernant l'accueil des enfants, ne les a pas vu depuis deux ans suite au départ de son ex épouse, partie en Corse suivre son nouveau compagnon. Il souhaite maintenant essayer de reprendre contact avec ses enfants.

Pour d'autres comme Valentin, ils n'acceptent pas la décision rendue d'un droit de visite classique car ils étaient, pour eux, le parent le plus investi avant la séparation du couple.

«  Le Week end, ça ne me suffit pas, un Week end sur deux ce n'est pas suffisant, mon temps je ne veux pas le consacrer à ma vie professionnelle, c'est ma conception de la famille.[...]J'ai réduit mon temps de travail étant donné que j'ai fait appel pour montrer que la disponibilité je l'avais toujours, c'était pour avoir la garde partagée. Vous savez quand elle a demandé le divorce moi j'étais en vacances, avec mes enfants, je ne suis jamais parti en vacances sans mes enfants, j'étais parti deux mois, ça arrivait souvent, durant toute notre vie en commun, je ne me suis jamais séparé de mes enfants, Et là je me retrouve sans rien. Elle pouvait jamais les chercher à l'école, maintenant elle a le temps, elle pouvait jamais, elle avait des réunions. » (Valentin)

Ils ne demandent pas toujours d'ailleurs un mode de garde pour leurs enfants strictement à égalité mais plutôt un libre accès à leurs enfants :

« Ce n'est pas une question de temps, car on m'aurait laissé un libre accès à ma fille, je pense que je n'aurai pas été dans une affaire de marchand de tapis... Moi, par exemple j'aurai pu voir ma fille deux heures par jour, ou autre chose, un rythme en étant proche, cela ne m'aurait posé aucun problème, mais là, ce n'est pas une question de 50/50. » (Martin)

Quant à une résidence principale, c'est rarement leur souhait, sauf des cas extrêmes, où ils estiment que l'autre parent met en danger les enfants comme c'est le cas pour Michel, et qui néanmoins ne quittera pas le domicile avec les enfants, dans l'espoir de préserver la place de la mère, et la protéger en quelque sorte. Mais le plus souvent quand il y a une demande de résidence principale, elle s'inscrit dans une stratégie qui est de demander plus pour avoir moins, conseillée parfois par les avocats :

« L'avocate avait voulu cette stratégie, mais moi je ne trouvais pas normal que j'ai la garde exclusive, dans l'idée de demander plus pour avoir moins, mais finalement je n'ai rien eu, et moi je lui avais dit que je ne voulais pas entrer dans un conflit de demander plus, et tomber dans le même schéma que ma femme que je contredisais. » (Valentin)

Ou comme pour Paul qui par dépit a fait ce choix stratégique :

« Dans ma situation, j'ai demandé le droit total pour mon enfant avec droit de visite pour ma femme, pour deux raisons : je n'ai pas beaucoup de chance d'avoir la garde alternée pour un enfant de trois ans. Et je ne suis pas du tout d'accord dans le rôle de ma femme dans l'éducation. » (Paul)

Il s'agit aussi derrière leurs demandes à voir plus souvent leurs enfants une revendication de leur statut parental qui n'est pas reconnu, et d'un refus à être maintenu dans un rôle de père pourvoyeur de revenu, ce dont il sera question plus en avant :

« Moi je ne veux pas être uniquement un père que l'enfant voit occasionnellement, pour les week end, les vacances, et uniquement là pour payer ; J'ai pas envie d'être un père contributeur, S'il faut payer je le ferai, je voudrais quand même que si je suis amené à contribuer qu'il y ait une contre partie, que je puisse exercer des droits et des devoirs aussi vis-à-vis de l'éducation de l'enfant, je ne veux pas être uniquement un père qui est là pour la pension et qui ne peux pas voir l'enfant. Si je suis amené à faire des sacrifices je le ferai, mais à côté de ça, il faudra que je puisse exercer pleinement mon rôle de père. » (Valentin)

Ainsi dans leur demande de traitement plus égalitaire, ils souhaitent surtout pouvoir librement voir et s'occuper de leurs enfants, ce qui implique aussi la nécessité d'une volonté d'apaisement de conflit :

« D'avoir la garde complète, enfin, moi je suis contre. Je ne l'ai jamais réclamé, sauf à l'article de la mort, je pense que ce n'est pas une solution satisfaisante, et même un système qui est un WE sur deux, et les droits élargis, ça veut rien dire les droits élargis, on vous accorde un mercredi sur deux, ce n'est pas un bon système, c'est l'archétype de la mauvaise solution et si je vous le dit, c'et que j'en ai discuté avec les avocats. Et puis la garde exclusive crée le conflit, vous êtes dans un rapport déséquilibré [...] Plutôt la garde alternée, mais égalité, non, pas du tout, il y a une connotation mathématique, qui me parait incompatible avec le critère d'humanité, on ne met pas les gens en équation. Moi on m'aurait donné un libre accès, j'aurais signé tout de suite. On m'aurait dit trois jours ou je ne sais pas quoi, j'aurai dit, c'est bon, ça marche. Mais la loi nous impose un truc c'est un trois cinq, ou c'est rien, donc, il y rien. » (Martin)

Certains estiment comme Léon, dont les enfants vivent aux Etats Unis, que l'institution devrait plutôt soutenir le parent le plus conciliant, et non pas celui qui empêche l'autre parent à voir ses enfants, le débat sur la résidence égalitaire, pour sa part, n'étant pas l'essentiel :

« je ne suis pas toujours d'accord sur faire de la résidence alternée, je m'en fous de ce que font les autres je n'ai pas de leçon à donner aux autres parents, qu'ils élèvent leurs enfants de manière équilibrée, et s'il y a des excès, la société devrait être là pour les limiter.. Mais dans la mesure où l'un des parents veut avoir accès à ses enfants et j'estime qu'on peut lui donner droit jusqu'à la moitié, il devrait pouvoir l'avoir. Celui qui met des bâtons dans les roues, c'est lui qui devrait ne pas avoir l'accès. » (Léon)

Ils font à ce propos le constat de l'importance de la qualité du lien avec l'enfant plus que la durée stricte, et du fait qu'en consacrant tout leur temps avec eux quand ils exercent leur droit de visite peut revenir finalement à les voir davantage :

« Ce n'est pas normal que certains juges donnent toujours la garde à la mère, ou toujours au père. Même à l'époque où j'avais un WE 1, 3,5, un mercredi sur deux, je me suis rendu compte que j'étais le parent que mes enfants voyaient le plus. Je passais plus de temps, car mon ex, elle, prenait des «  baby sitters. » (Michel)

« Et puis d'un autre côté je me dis j'ai peut être une chance, au niveau du temps de vie, pendant quelques années, je vais pouvoir profiter de ma fille en prenant des vacances avec elle, ce que je n'aurais absolument pas fait avant, avant je j'aurai travaillé, je la mettais au centre aéré le mercredi. Même quand j'avais la résidence alternée, je ne la prenais pas le mercredi, je la voyais le soir. Maintenant, je pose mes vacances, je gratte des jours. » (Martin)

Ils expriment le fait que se retrouver dans la situation de ne pas pouvoir voir et recevoir librement leurs enfants, les place ainsi dans une posture de parent accessoire, soumis à la volonté de l'autre parent, la mère :

« Moi quand j'ai été quelqu'un avec ma magnifique résidence alternée et que je me suis trouvé du jour au lendemain, alors moi, j'ai été formaté, avoir les mêmes droits. Après vous êtes plus rien, capacité de négociation zéro, vis-à-vis de l'extérieur zéro, et oui, il faudra que je demande l'autorisation à la mère» (Martin)

Ainsi la résidence alternée apparait davantage comme un idéal à atteindre, ces pères sachant que si elle est difficilement applicable, concrètement, c'est plutôt la mère qui obtiendra la résidence principale :

« A mon avis un partage 50/50 cela va être difficile, je ne me fais pas d'illusions on habite assez loin l'un de l'autre à 80km, je ne suis pas en région parisienne. Et puis je pense surtout qu'est ce qui va être le mieux pour l'équilibre de l'enfant, pour le moment je n'ai pas d'idées préconçues sur ce qu'on va pouvoir mettre en place, je n'ai pas encore vraiment réfléchi, c'est toujours en gestation cette réflexion. On s'oriente à mon avis vers une solution où l'enfant sera avec l'un en semaine et le week end avec l'autre, ce qui fera nécessairement un frustré. » (Lucien)

« Moi je me projette de l'avoir pour les vacances, parce que vu la distance, je n'aurai pas de résidence alternée.. J'y pense, peut être m'installer à Pau, et faire une requête de résidence alternée. Alors bien sûr que ce serait aussi pour voir plus mon fils, mais en même temps, moi, je n'ai pas envie de quitter paris, j'ai ma famille, mes amis. Je vais demander le plus possible pour les vacances et un week end sur deux. « (Vincent)

« Mon souhait dans l'idéal, ce serait de mettre à profit une résidence alternée, avec aussi un travail psychologique sur nous deux, de façon à ce qu'on arrête ce conflit permanent pour l'enfant, pas pour nous, juste pour lui, notre enfant qu'on a en commun. » (Julien)

Il y a aussi comme cela a été évoqué plus en amont, le problème des visites autorisées dans les points rencontres. Ainsi m'explique un permanent d'association : «  La demande, en majorité c'est de voir plus leurs enfants, ou dans de meilleures conditions, parce que certains ne les voient qu'un week end sur deux, ça ne fait que quatre jours par mois, ou alors dans des points rencontre, si ils ont une décision qui est hostile à leur égard. Au point rencontre c'est encore pire, le père arrive, parfois il paye pour voir son enfant, des frais de location de salle par exemple, c'est complètement abject de payer pour voir son enfant. Il peut avoir deux heures, parfois il y a des caméras, quelqu'un qui rentre toutes les 15 minutes pour voir si tout va bien, comme si on était le pire des criminels, c'est déstabilisant au possible pour quelqu'un qui n'a rien fait. Donc ils ne comprennent pas pourquoi ils ne voient pas leurs enfants, en majorité. »

Et pour ceux qui comme Etienne vivent cette situation, la résidence alternée, perçue comme une solution juste, ne représente qu'un idéal, dans la mesure où le conflit reste activé. « Franchement la résidence alternée me parait quelque chose d'important, parce que encore une fois quand on se sépare, je sais qu'il y a un enjeu, mais si on pose les choses bien à plat, un enfant il a deux parents, et à priori il en a pas trois, et si on s'est séparés, c'est qu'il y a quand même encore une différence et c'est bien qu'ils aient la touche de l'un et l'autre, c'est tout. Et que c'est assez égoïste de vouloir que les enfants soient nos clones à nous même, qu'on oublie qu'on a eu un mari, qu'on oublie qu'on a eu une femme. Même moi avec la situation que j'ai, je refuserai que ma femme soit écartée de son rôle, je refuserai que mes filles manquent de respect à leur mère, qu'elles éjectent leur mère. Je ne ferai pas ce qu'elle a fait, parce que mon plaisir personnel, et il y en aurait, c'est évident, mais il passe derrière l'intégrité des enfants. » (Etienne)

Si la problématique du conflit conjugal peut être très présente pour les pères qui arrivent la première fois, par la suite s'exprime une volonté d'apaisement du conflit en laissant la place à la mère, derrière laquelle s'exprime une préoccupation essentiellement centrée autour de l'enfant. Ainsi si cette préoccupation apparaît notamment dans les discours des pères ayant leur droit de visite aux points rencontre, c'est le cas également chez les jeunes pères :

« C'est pour ça que je viens voir cette association là. Quelles choses on peut mettre en place pour avoir un terrain d'entente, pour F, mes droits de visite et de contribution parentale, c'est normal, c'est mon enfant. » (Julien)

Ces pères soulèvent par ailleurs la question de la légitimité que peut avoir le parent qui ne voit son enfant que quatre jours par mois. Cette situation entrainant fréquemment une perte de contact au bout de trois ans, et de poser alors la question de l'autorité. Un autre problème est évoqué, celui de l'école qui ne reconnaît pas le parent « visiteur » comme parent, en ne prenant en compte et en ne s'adressant qu'au parent « gardien ». Malgré la consécration de l'autorité parentale partagée, le statut du parent qui n'a pas la résidence de l'enfant, estiment-ils, n'est pas reconnu par les administrations. Le seul cas où cela fonctionne, me rapporte un permanent, c'est quand il n'y a pas de conflit entre les parents car l'autre parent le fait exister symboliquement, favorise les visites, quand les parents sont capables de séparer les conflits conjugaux et parentaux. Aussi quand il y a conflit, c'est la faute qui est cherchée dans le couple parental, en statuant sur l'hébergement selon ce critère sous jacent.

Si se pose alors pour ces pères la nécessité d'une conciliation avec la mère pour accéder à leurs enfants, cet aménagement se conçoit pour eux du fait qu'ils n'excluent pas l'importance de la place de la mère.

6.2.2. La place de la mère soulignée

En lien avec cette question sur la résidence, lorsque j'interroge les pères sur leur conception de l'égalité parentale, leur représentation des places de chacun, les réponses apportées soulignent surtout la nécessité d'accorder une importance à l'un et à l'autre, que chaque parent soit reconnu à part entière.13(*) Ainsi au delà d'une recherche d'égalité stricto sensu, il s'agirait plus précisément d'une égalité de droits dans le sens du respect de chacun qui est attendu, et donc d'un apaisement des conflits, ce à quoi oeuvrent les associations quand elles conseillent aux parents de traiter à l'amiable entre eux, et leur suggèrent de ne jamais répondre aux attaques en envenimant le conflit. La décision de séparation quand elle se fait au travers un désaccord profond du couple, l'enfant devient alors forcément le trait d'union, et quand les parents veulent se séparer, ils coupent avec l'enfant et le parent, déplore un animateur.

« L'égalité, justement, c'est aussi le partage de ce qu'on est, donc si on a des différences, c'est vivre un peu comme papa, avec du bien et du moins bien, et vivre avec maman, avec des bons moments et des moins biens, avec des qualités et des défauts, mais c'est avec ça aussi qu'on se construit. Il n'y a pas la maman toute puissante qui connait tout et qui sait tout, et le papa, qui décide de tout et dit amen à tout. » (Etienne)

Pour la seule mère consultée, celle-ci estime que les mères se trouvent en général en position de force face aux institutions, et que finalement elles ont le pouvoir de laisser la place ou non au père. Quand je pose la question à cette mère, dont l'enfant a bénéficié d'une résidence alternée, comment s'est fait le choix au sein du couple parental, celle-ci met en avant le fait que la décision a surtout reposé sur elle. Ou en tout cas repose sur elle, le choix d'évincer ou non le père, et donc celui d'un éventuel conflit :

- Vous étiez d'accord pour la résidence alternée ?

« Oui, enfin, lui ne s'est posé la question, c'est moi qui ais réfléchi. On ne parlait pas, c'était plutôt la mère qui devait être avec l'enfant, en même temps, j'aurais pu couper le lien justement. Cela tient effectivement de la décision de la mère. C'est dans la culture et c'est conforté par le juge. » (Extrait)

Je note par ailleurs qu'au cours de l'entretien, cette mère reviendra fréquemment sur la notion de lien, en employant l'expression du pouvoir de la mère de « couper le lien » au père. Elle fait ainsi le constat que les très rares cas où c'est le père « qui coupe », sont les cas particuliers où prédomine la culture patriarcale, citant pour exemple la situation d'une autre mère de l'association, dont l'ex mari, palestinien, ne lui permet pas un libre accès à ses enfants.

Ils peuvent témoigner d'une volonté à être présent auprès des enfants et réclamer des droits dans ce sens, tout en reconnaissant la primauté du rôle de la mère, notamment pour les enfants en bas âge, dans la représentation sous jacente d'une position de force de la mère, liée à la nature :

« Et puis c'est vrai qu'une femme elle porte l'enfant en elle, c'est une énorme différence, une énorme supériorité que la femme a par rapport à l'homme, l'enfant elle l'a en elle, c'est vraiment la chair de sa chair, il y a vraiment cette relation d'osmose. » (Lucien)

Avec la préoccupation aussi de tenir compte de l'avis des enfants quand ils sont plus âgés. « Elle tente une possibilité de faire un règlement à l'amiable, alors j'accepte. La petite n'est pas pour le moment décidée à venir avec moi, je respecte son choix, elle a dix ans elle a encore besoin de maman, c'est tout à fait normal. Par contre la moyenne c'est sûr, c'est officiel, elle vient avec moi à partir de septembre, c'est elle qui l'a demandé ». (Patrick)

Ils expriment à ce sujet, ne pas vouloir priver l'enfant de sa mère :

« Parce que je ne veux pas non plus le priver de sa mère, car pour moi c'est très important qu'il ait sa mère, et je ne veux pas non plus le priver de moi. Et je n'ai pas envie non plus qu'il y ait une distance énorme. » (Julien)

« Nous, on ne cherche pas à enterrer la mère, mais la mettre en avant avec le père. » (Pierre) ce qui est confirmé par des adhérents animateurs d'associations qui disent ne pas vouloir faire ce qui se passe dans l'autre sens, c'est-à-dire donner l'enfant au père de sorte que la mère ne les voient pas.

Dans l'idéal, certains peuvent imaginer une réconciliation, ou en tout cas ils ont une représentation d'un idéal de famille unie, et la séparation est vécue comme un véritable échec, du fait surtout de leur isolement, d'un vécu de parent seul, dissocié de la cellule familiale.

« La Famille, c'est pour moi un ensemble de personnes liées entre elles, et ce lien ne doit pas être rompu. » (Jean)

« Le côté dramatique c'est la séparation, je me revois quand on était tous les trois, que j'ai vu ma fille dans le couloir, je me suis dit ta vie elle est foutue.. Ce n'est pas l'absence de ma fille, c'est la petite voisine, qui me dit dans la rue d'à côté en sortant de son judo, elle est où Amélie ? Elle est chez sa maman, ...Tu ne vas pas séparer, la résidence alternée avec les grands, il y a trois autres enfants, (avec la mère) ce n'est pas facile. Vous avez cette vision des couples d'à côté qui vous est absolument insupportable, et bien là il y a la vision du monde normal. Par exemple, je sors jamais de chez moi entre 8h 10 et 8h 20, pour ne pas les voir les accompagner à l'école, je ne peux pas le supporter ça. » (Martin)

« Moi, dans l'idéal, Je lui demanderai de descendre dans le sud. Parce qu'elle elle avait l'intention de redescendre dans le sud, on avait abordé le sujet. Je travaillerai plus, on prendra une colocation dans une villa séparée, deux appartements, au pire s'il faut payer, je paierai tout, mais je veux que vous soyez à côté de moi. Tu es quand même la mère de mon enfant, ça, ça ne pourra rien changer, jusqu'à ma mort, tu seras la mère de mon fils et pour ça je serai obligée de te respecter, même si on a beaucoup de différents. Voilà, mon but, c'était ça, qu'il y ait juste le jardin à traverser. Pour moi, l'optique de la séparation idéale, c'est ça. Qu'on soit très proches géographiquement et au niveau de la relation. Même si on ne fait pas subir devant l'enfant, il le ressent quand même, donc qu'on soit amis, pas dans le cercle conjoints mais amis. La conciliation dans la séparation, qu'on devienne des adultes et qu'on se dise voilà maintenant c'est fini, et il y a F au milieu, et c'est le principal, c'est lui, et moi, j'espérais qu'il soit le ciment car même en étant séparé, malgré tout, on forme toujours une famille, c'est sa mère, je suis son père, on est toujours sa famille et j'espérais qu'il soit le ciment de cette famille là. Même si on est plus ensemble qu'on reste en bons termes. Pas pour nous, pour l'enfant. » (Julien)

Relatant leur histoire avec beaucoup d'émotion, les pères rencontrés dans ces associations témoignent d'une situation d'isolement, un vécu d'abandon, et sont à la recherche d'un soutien quand ils expriment une demande de partage d'expériences, d'échange avec leurs pairs.

6.3. Le partage d'expériences : l'attente d'un soutien contre l'isolement

Les pères qui se présentent aux permanences sont ainsi sous le choc comme nous l'avons vu dans le cadre d'une procédure. Culpabilisés dans un premier temps avec le sentiment qu'ils sont les seuls à vivre une telle expérience, ils ne parviennent pas à en parler, et par la suite deviennent plus éloquents au cours des échanges. Les permanents relèvent alors le fait qu'ils arrivent toujours tard dans la dite procédure :

«  J'ai mis plus d'une année avant de me décider à venir dans l'association. J'ai fais des recherches via internet, via la presse, pour voir les possibilités qu'on peut avoir en tant que père, d'avoir un soutien par une association. Je me suis rendu compte qu'il était très difficile de faire respecter ses droits, de pouvoir avoir des arguments, des retours de personnes qui sont dans le même cas que le mien, du soutien, des conseils, et puis avoir des retours de la part des gens par leur expérience, qui sont passés déjà par ces rouleaux compresseurs.» (Patrick)

Aussi, la démarche de venir s'adresser à une association de défense des droits des pères n'est pas une chose aisée pour ces parents, et ils sont plusieurs à avoir longuement hésité, ou bien avoir fait machine arrière et être revenus plusieurs années plus tard. Comme nous l'avons évoqué précédemment, sur les raisons d'une relative fréquentation actuelle, les pères se renseignent dans un premier temps grâce aux nouveaux moyens technologiques d'information, et quelques uns d'entre eux seulement feront la démarche de s'adresser directement aux associations. Ce qui laisserait présupposer l'existence sociale d'une plus forte proportion d'hommes dans cette situation.

J'ai pu observer au cours des différents permanences, qu'à l'instar d'autres lieux de paroles pour des personnes victimes d'une situation particulière, ou ayant vécu une épreuve douloureuse, ils semblent avoir hésité en effet à franchir le pas pour confier leur histoire comme s'ils éprouvaient un sentiment de honte. C'est ensuite pour briser leur solitude, et être rassurés qu'ils ne sont pas les seuls à vivre cette expérience, qu'ils se décident à se présenter à l'accueil des associations, en premier lieu en écoutant les histoires d'autres pères. Ils disent alors avoir trouvé du réconfort dans l'échange avec les autres:

« Donc quand je suis allé à l'association la première fois, c'est parce que je n'étais pas content de ce que j'avais eu, et je cherchais une association qui puisse m'épauler sur ce principe. En plus, vu le conflit qui avait, je n'étais pas bien moi-même, j'avais perdu un peu le sens de l'orientation, et à l'association, j'ai trouvé quelque chose de formidable, parce que on s'occupait d'hommes qui étaient papa, et qui avaient des difficultés à trouver un moyen de discuter avec la personne en face. En plus j'ai trouvé un réconfort car j'avais besoin de me remonter le moral. « (Pierre)

Cette recherche de contact et d'échanges est d'autant plus vraie pour ceux qui du fait de leur situation d'étranger par exemple, ont un faible réseau, comme c'est le cas pour Paul, qui vient d'Allemagne :

« J'ai commencé le divorce seul, sans aide, et j'ai pas beaucoup d'amis en France avec qui je peux parler. Ici on trouve des gens qui sont tous dans la même situation et c'était plus un groupe d'hommes, pour parler de notre problème, cette injustice plus ou moins pour notre problème avec les enfants. Je suis dans cette association d'aide juridique mais ce n'était pas mon premier point de vue, je venais pour du soutien. J'attends des choses de l'échange, le réseau. Connaitre les processus par l'échange d'expériences avec les autres. » (Paul)

L'association représente alors pour eux un espace de parole, et d'écoute, de compréhension de la part de leurs pairs qui vivent des situations similaires, mais aussi, la possibilité de renouer un dialogue :

« Ma demande au départ, mon souci, c'est que quand je suis passé devant le juge, et que je n'ai pas eu l'obtention de ce que je demandais, je demandais une résidence alternée [...] Donc quand je suis allé à l'association la première fois, c'est parce que je n'étais pas content de ce que j'avais eu, et je cherchais une association qui puisse m'épauler sur ce principe. En plus, vu le conflit qui avait, je n'étais pas bien moi-même, j'avais perdu un peu le sens de l'orientation, et à l'association, j'ai trouvé quelque chose de formidable, parce que on s'occupait d'hommes qui étaient papa, et qui avaient des difficultés à trouver un moyen de discuter avec la personne en face. En plus j'ai trouvé un réconfort car j'avais besoin de me remonter le moral. » (Pierre)

L'effet dynamique que permettent les échanges interactifs, propre au fonctionnement associatif informel, insuffle aussi une volonté à s'impliquer, et permet des liens de solidarité comme le soulignent les adhérents, et ainsi que l'exprime l'un d'entre eux : « A l'association, quelque chose s'installe, on voit des gens qui hébergent des autres, il y a un réseau d'entraide qui se met en place, pas suffisamment, mais il existe, des relations fortes se créent entre les personnes. Cela permet de partager ses problèmes, mais aussi le fait d'être ami avec quelqu'un d'autre permet de voir la vie privée de l'autre et de comprendre ce qui a pu se produire, on fait alors des parallèles avec sa propre vie, on est plus en interaction avec l'autre, c'est important car cela permet de rebondir plus vite. »

Ils trouvent ainsi un espace où ils peuvent libérer leur parole, un réconfort grâce à la rencontre d'autres parents. L'importance de l'échange et du partage est soulignée par les animateurs, et relevée à travers les entretiens, et vient témoigner de leur sentiment de solitude de père exclu, de parent non compris : « Les gens au fur et à mesure qu'ils échangent entre eux, ils se rendent compte qu'ils vivent les mêmes choses, je ne dis pas que ça les rassure, mais ils ne sont pas tout seuls », me rapporte un adhérent.

Les pères séparés font part aussi de leur isolement familial et social, et de l'opportunité à pouvoir communiquer avec des personnes qui seront à même de comprendre leur situation. « Parce que quand le père va voir un organisme social ou des gens de sa famille, ce ne sont pas des gens qui vivent au quotidien ce que lui vit, donc il va avoir du mal à s'ouvrir, tandis que là, il y a un partage, une expérience qui va lui permettre de faire sortir certaines choses », me confie un permanent d'association. Ces lieux d'accueils se présentent en effet comme des espaces de parole et d'écoute pour ces pères, où ils s'autorisent à exprimer leurs émotions, qu'ils ne trouvent pas dans d'autres services d'accueil social. Et comme l'explique ce même adhérent, ces pères sont souvent isolés également de leur famille : « Car bien souvent on pense que les gens de notre famille peuvent nous aider, mais c'est absolument faux. Au contraire, la plupart des gens se disent, mais dans quelle situation il s'est mis, et ils vont plutôt s'écarter du père plutôt que l'aider, parce que ils ont une méconnaissance de la justice, ils se disent ce n'est pas normal, si on lui a retiré ses enfants c'est qu'il ya quelque chose de très grave en fait. Et le père aura beau leur expliquer qu'il n'a rien fait de spécial et que c'est la justice qui fonctionne comme ça, les gens ne le croiront pas, les parents les frères les très proches. Donc ils peuvent se retrouver isolés, c'est la troisième peine. Ils ne voient plus leurs enfants, la justice en laquelle ils croyaient qui n'est pas représentative de leur idéal, et puis la famille qui ne les suit plus, donc ils sont complètement déstructurés. Derrière ils peuvent perdre leur travail, c'est ensuite la descente aux enfers, « sdf », ça peut arriver. On peut avoir le cadre et l'employé de base, et aussi des cadres qui se retrouvent au RMI. »

D'un niveau social économique élevé ou non, certains peuvent en effet se trouver dans une situation financière très difficile, surendetté par les traites de leurs biens, le montant des pensions alimentaires, la nécessité de se trouver un nouveau logement, ces situations pouvant les conduire au chômage en raison du manque de compétitivité auquel elles les entraînent. Comme c'est le cas pour Patrick ou bien encore pour Léon:

« Si vous voulez, moi j'avais ma propre société, je suis liquidé, et j'ai droit un RMI, et là ce n'est pas que je suis trop bien pour ça, mais je me dis je laisse ça à ceux qui en ont vraiment besoin, je n'arrive pas à me mettre dans la tête que je suis dans ce besoin là, et le temps passe. » (Léon)

Ils recherchent donc un soutien et du réconfort de la part de leurs pairs, et malgré le fait qu'ils soient surpris dans un premier temps des réponses apportées qui peuvent être brutales car elles ne correspondent pas toujours à ce qu'ils espèrent mais les confrontent à la réalité, ils se reposent néanmoins sur cette relation. « Parce qu'ils pensent que tout va bien se passer, que la justice est avec eux, et ils arrivent, et ils repartent avec cet autre coup de massue auquel ils ne s'attendaient pas, mais la plupart du temps en fait ils posent leur paquet et ils repartent plus légers. Donc le fait de venir à la permanence, il y a toutes les interrogations qu'ils pouvaient avoir même si c'est négatif au final, au moins ils savent, alors qu'avant ils avaient ce doute », relate un membre de bureau.

Avec le sentiment de se trouver ainsi isolés et incompris, il s'agit pour eux, d'une recherche de la réassurance auprès de leurs pairs, de l'appui possible des institutions, et l'espoir d'un apaisement du conflit conjugal pour conserver une place auprès des enfants.

Après avoir donc examiné les demandes explicites et plus implicites des pères dans ces associations, il apparaissait intéressant de dégager à travers ces attentes, les représentations qu'ont ces pères des rôles parentaux, pour mieux comprendre l'enjeu de leur démarche, la réalité de leurs luttes

CHAPITRE 7 les représentations et luttes des pères

7.1. Une représentation des rôles parentaux à la fois traditionnelle et égalitaire

La plupart des pères qui s'adressent à ces associations se sont investis au quotidien auprès de leurs enfants et témoignent ainsi sur ce registre de l'évolution égalitaire des rôles parentaux, dans la répartition des tâches domestiques. Ils font part néanmoins de représentations selon le schéma d'une répartition traditionnelle des places de chacun, tout en évoquant la réalité de l'évolution des moeurs et de l'éducation comparée à celle de leurs parents. Il faut préciser à ce titre, que le paramètre psychologique du parcours de ces parents, celui des pères et celui supposé des mères, même s'il n'a pas été traité dans cette étude, est indéniablement significatif et vient se surajouter à la problématique de ces pères. Un vécu qu'on imagine parfois douloureux, à travers l'évocation de leur vie de couple très conflictuelle, mais aussi qui demeure lié au souvenir de leur enfance, donc de leur représentation parentale :

« Au niveau de la répartition des tâches au quotidien, c'est par rapport au vécu d'un père, alors le mien, ma jeunesse n'a pas voulu que j'ai mes deux parents en permanence, j'ai eu un père à l'écart de ma vie, et la société n'a pas fait non plus des démarches pour imposer un père, d'être là pour son enfant..Mon père a été élevé dans un milieu de femmes, et quand il a été dans la vie sociale, une épouse, il a eu du mal à faire un chemin de père, et il s'est toujours tenu à l'écart : « c'est ton enfant, tu t'en occupe, moi je suis là pour assurer les finances, point barre. » Et aujourd'hui, moi, non. Je veux assurer les finances, je veux assurer sa scolarité, je veux assurer son bien-être, je veux assurer le pouponnage. » (Pierre)

Tout en restant attaché en effet à une distinction des rôles entre l'homme et la femme au foyer, ils font part en même temps de fonctions parentales qui peuvent être attribuées indifféremment au père ou à la mère, dans une demande d'être un parent à part entière. Cette ambivalence exprimée viendrait témoigner d'une évolution laissant place à une certaine égalité parentale dans la mesure où la barrière entre les fonctions d'un père et d'une mère est devenue plus floue. Une indifférenciation des fonctions qui n'aurait rien à voir cependant avec une féminisation des pères ; il ne s'agirait pas pour eux, comme l'exprime Martin, de « singer les mères », mais d'accorder une importance à la place de chacun. Ceci au nom de l `évolution sociale ayant permis aux femmes de s'émanciper et acquérir ainsi les mêmes droits que les hommes sur la scène publique, notamment par l'accès au travail et donc à l'argent :

« Moi, je pense, comme m'avait dit maitre C, ne maternez pas, ne singez pas les mères, jamais je n'ai oublié ça. Je ne suis qu'un père, c'est tout, moi je respecte la place de la maman, quand il faut prendre des décisions je concerte, je pose des questions. »(Martin)

« Le père dirige certaines choses, la mère aussi .La mère, c'est elle qui est plus proche, enfin je ne sais pas. Plus déterminée, si, parce que dans l'éducation de tous les jours, c'est elle qui gère plus ça, mais le père manque, il faut que le père soit là, le père est prépondérant et la mère aussi, il faut les deux, c'est indispensable. » (Jacques)

« Je vois le père et la mère avec deux places identiques et deux places différentes. Identiques dans les responsabilités, les activités. Ma vision idéale, c'est que sur les tâches ménagères la société a évolué, les femmes travaillent, les hommes aussi, donc elles sont exposées aux mêmes contraintes du monde du travail, des emplois du temps chargés, des problèmes de transport, enfin tous les problèmes de la vie quotidienne, et la responsabilité des enfants, de les amener à l'école etc., il y a à mon avis un partage d'égal à égal qui se fait, qui existe, qui est en place dans beaucoup de familles.» (Michel)

Ainsi les qualificatifs employés pour définir le rôle du père sont le plus souvent l'autorité, tout en reconnaissant cette fonction attribuée à la mère, mais aussi des qualités de protecteur face au monde extérieur, ou aussi comme pour Lucien, vis à vis à la fois de l'enfant et de sa mère, dans une vision d' « êtres » difficilement dissociables. Une vision troublée qui reflète une recherche de positionnement, pouvant être attribuée au regard de sa situation particulière d'homme futur parent, séparé de sa femme enceinte :

« Pour moi, la place du père, c'est la protection quand même vis-à-vis de l'enfant, pas forcément l'autorité, parce que la mère exerce aussi une autorité, mais le père est là pour protéger l'enfant, et son épouse quand il a une vie conjugale ; alors c'est une protection qui n'exclue pas, la tendresse, l'écoute, vis-à-vis de l'enfant, le père je pense qu'il est là pour protéger l'enfant face au monde extérieur. Il est là pour rassurer l'enfant et rassurer la femme quand il a une vie conjugale. Ce qui n'est pas le cas me concernant, mais il est là pour rassurer et protéger par sa présence. Il y a peut être une protection, aussi de la part de la mère. Ce n'est pas simple, elle est là pour prodiguer de la tendresse mais le père peut le faire aussi. Malgré tout je pense que la protection physique et morale de l'enfant, du couple, incombe surtout au père, Je ne dis pas que la mère n'a pas un rôle de protection, mais elle est peut être plus là pour rassurer l'enfant, plus le conseiller, le père aussi. C'est important que l'homme ait une certaine stabilité, une certaine sérénité face aux épreuves de la vie. Je pense aussi qu'une femme dans un couple cherche malgré tout la protection de l'homme, une femme elle aime se sentir protégée par un homme, se sentir en confiance avec un homme dans son couple, donc l'homme, il a cette obligation de sérénité, de protection. » (Lucien)

je note, à travers leur discours, que tout en étant attachés à leur identité masculine, ils n'ont pas de représentation tranchée sur la distinction des rôles parentaux, et soutiennent leur capacité à prodiguer des soins affectifs:

« Bien sûr, il y a un rôle paternel, Le père, c'est l'autorité, par rapport à l'enfant, quand il a fait une bêtise. Mais la mère aussi, elle a droit à sa partie. Elle peut avoir le droit de faire l'autorité et ne pas rester en arrière, je ne fais que m'occuper de mes enfants et le père est en avant à faire le costaud, non pas du tout. Dans la conception de parents, le père peut être aussi capable d'autorité que la mère, mais aussi être capable d'être là, pour faire un câlin à son enfant. » (Pierre)

Pour certains comme pour Etienne, selon ses propos, des résistances avec l'ambivalence qui les accompagne, existent également chez les femmes, qui s'opposeraient à une trop grande participation des hommes aux tâches habituellement maternelles.  Le vécu des pères dans les points rencontres venant témoigner par ailleurs d'une position d'emprise de la mère :

« Je pense que les hommes revendiquent de plus en plus leur paternité. On a l'impression de voir des hommes un peu femmes et des femmes un peu hommes. Ça choque certains qui pensent que la société prend une mauvaise tournure, où tout s'homogénéise, moi je crois que c'est plus fin que ça, c'est-à-dire que c'est un peu le partage des tâches. Pour moi, un homme qui change les couches, ou qui passe un balai, c'est ni un homo, ni un allumé. La première fois que j'ai passé le balai, avec mon ex, je me suis fais engueulé, la réponse a été ce n'est pas ton rôle. Parce que il y a aussi des femmes qui sont dans l'ancienne génération, même si elles sont jeunes parce qu'elles ont été éduqué dans une génération qui estime que un homme c'est un homme, une femme c'est une femme. » (Etienne)

Il y aurait alors au regard de certains témoignages dont celui de Valentin, le sentiment d'un retournement du côté des femmes, notamment quand elles décident de remettre en question un mode de garde partagé, ce qui peut être attribué à la culpabilité des mères de ne pas occuper la place qui leur est désignée socialement :

«  Que le père fasse tout ce qu'il peut, il n'y a pas de rôle de femme ou d'homme. C'est vrai que beaucoup de gens m'ont dit que je me suis mis trop au rôle de femme, que je me suis trop investi, et que à un moment elle s'est rendu compte qu'elle n'avait plus son rôle de femme, et ce qui lui a fait peur. » (Valentin)

Beaucoup d'entre eux évoquent par ailleurs l'influence néfaste de l'entourage social, qu'il soit familial ou amical, de leur ex compagne, dans ses décisions ou changement de décisions qui les étonnent parfois.

Les personnes interrogées posent à travers ces représentations des rôles, la question de l'importance des modèles dans la construction de l'identité. Ainsi, les rôles des pères et mères peuvent être similaires selon eux, sans pour autant porter atteinte à leur identité propre d'homme ou de femme :

« Ils peuvent s'occuper des bébés comme les mères, mais que ce soit chez l'homme et chez la femme, on a les deux parties qui nous complètent, donc la femme a son côté masculin, et son côté féminin. Un homme aussi a son côté masculin et un côté féminin, donc si un homme a toujours vécu avec que le côté féminin, il aura du mal à avoir son côté masculin s'il n'a pas eu de modèle masculin pour son identité propre. Pour moi le père autant que la mère a autant d'amour à donner à l'enfant, c'est pareil, il n'y en a pas un qui va donner plus que l'autre, c'est partagé mais chacun à sa façon, selon son identité propre. » (Julien)

Il s'agit même de transmissions de valeurs selon cette identité masculine ou féminine, d'où l'importance soulignée de fonctions qui elles, ne sont pas interchangeables, et donc justifient la présence d'un père et d'une mère, et non pas n'importe quel couple parental :

« Je pense que toutes les fonctions ne sont pas interchangeables, et que par rapport à la parenté dite biologique, je suis en opposition, par rapport à ceux qui prônent l'idée qu'on pourrait faire des enfants sans père, biologiquement [...] Je ne crois pas que les fonctions sont interchangeables, elles sont complémentaires et ce qui par contre crée le grave déséquilibre c'est quand il y en a un qui disparait de la circulation. Donc ce n'est pas de demander au père de faire comme la mère. Moi, je pense que j'ai peut être plus un rôle d'autorité, même si je suis loin, parce que le papa, il dit, bon, ça commence à bien faire, mais la mère l'a certainement aussi, une petite fille ce n'est pas pareil, mais je pense que, non, deux mères n'élèveront pas un enfant à la place d'un père et d'une mère. » (Martin)

Aussi quand le terme de rôle du père et de la mère est évoqué, il s'agit en réalité non pas du rôle éducatif à proprement dit, mais d'une transmission de valeurs selon son identité sexuée. L'autorité par exemple, ou le sens du risque, sont représentés plutôt comme des attributs naturels de l'homme. Ainsi dans leur revendication à avoir une place auprès de l'enfant, à égalité avec la mère, ces pères insistent sur leur différence, sans qu'il s'agisse de distinction sexuelle des rôles, mais soulignent l'importance d'une transmission de ces différences de sexe pour l'enfant, et se démarquent dans ce sens du discours qui reconnaît la légitimité de l'homoparentalité :

« Le schéma traditionnel du XIX è, l'homme au travail et la femme au foyer n'a plus court .En revanche, le rôle du père et de la mère pour un enfant est très différent. Pour l'équilibre d'un enfant, et d'un point de vue psychologique. Ce que le père va apporter ou pas et réciproquement, ce qui va venir de la mère, sera très différent, ce n'est pas une question d'inégalité, c'est qu'on fonctionne différemment, d'un point de vue sexuel, hormonal, cérébral. Déjà la mère, à la base, elle porte l'enfant, c'est elle qui va accoucher, et ensuite, elle va alimenter le bébé, elle va allaiter. Pour ma fille, maman, ça veut dire sa maman, et ça veut dire aussi manger. Les enfants reconnaissent bien l'odeur de leur maman, ils reconnaissent un peu moins bien l'odeur de leur papa. Ensuite, il y a la structuration du langage ; le papa, lui, a une voix plus grave et le papa quand le bébé est dans le ventre de sa maman, il parle. Il y a ensuite des choses qui sont apportées par le père, comme par exemple le sens du jeu, du risque, le sens de l'audace, et l'individuation, c'est-à-dire couper le cordon ombilical. Faire comprendre à l'enfant en devenir qu'il va devenir un adulte. Le père aide à couper des choses, mais la mère aussi. S'il y a un conflit, c'est une dynamique des deux et le père et la mère doivent aider à cet épanouissement. Le rôle de la mère, c'est aussi d'être un repère, un enfant qui va avoir peur, va aussitôt dire maman, ce n'est pas anodin, donc c'est quelqu'un qui va apporter un réconfort. Et puis l'autre chose qui est indispensable que le père va apporter, c'est l'autorité, le respect de l'autorité. Et ça, ça va aider des enfants à comprendre qu'ils ont des limites, c'est ce qui va les aider à se protéger aussi, de tous les dangers Je pense que c'est essentiel pour le bon équilibre des enfants. Dans les situations de séparation, il est donc indispensable que les enfants voient à parité égale, le père et la mère. Ils ont autant besoin des deux. La maman apporte des choses et le papa d'autres choses. (Michel)

Le père représente donc aussi celui qui va orienter son rôle éducatif dans le jeu et la prise de risques, celui qui permet la séparation, celle des enfants de leurs parents :

« Il y a ensuite des choses qui sont apportées par le père, comme par exemple le sens du jeu le sens du risque, le sens de l'audace, et l'individuation, c'est-à-dire couper le cordon ombilical. Faire comprendre à l'enfant en devenir qu'il va devenir un adulte, parce que le dessein des parents, c'est de devenir inutiles par la suite ; que l'enfant puisse se passer totalement de ses parents, que les parents ne deviennent plus qu'un souvenir par la suite. » (Michel)

Et parfois en faisant allusion à des images traditionnelles fortes et symboliques sur les places domestiques de l'homme et la femme :

« Le rôle du père c'est aussi l'autonomie du gamin, la mère, c'est la maison la décoration, le père c'est l'extérieur, c'est le risque : par exemple, moi, mon père m'avait offert un couteau et j'ai offert un couteau à mes enfants, pour manger, pas pour se battre, mais apprendre à s'en servir, à découper. C'est faire confiance à l'enfant, et c'est ça aussi les pères, la mère c'est l'intériorité, traditionnellement, c'est le cocon, et le père c'est l'extérieur, c'est ça aussi les rôles du père. Traditionnellement c'était des chasseurs et les mères des cueilleuses. » (Eric)

Pour d'autres, comme Paul, ils soulignent justement la situation rendue injuste par la permanence du caractère traditionnel de ces représentations :

« La majorité des gens hommes et femmes, pensent qu'il est plus normal que l'enfant soit avec la mère qui porte l'enfant, et l'homme représente la force. Par exemple pour les témoignages, très peu iront témoigner pour le père, contre la mère. Un ami m'avait dit qu'il trouvait que mon fils avait une meilleure relation avec moi qu'avec sa mère. Et au divorce ma femme a présenté une attestation de lui en sa faveur. Quand je l'ai questionné, il m'a répondu qu'un enfant était mieux avec sa mère. Cela me choque, le processus n'est déjà pas fait pour l'égalité. » (Paul)

Quant à Etienne par exemple, il relève l'importance surtout à ne pas élever seul un enfant, dans l'intérêt des femmes également qui aspirent à autre chose que d'être confiné dans un rôle exclusif de mère. Et quand des pères souhaitent ce partage, celui ci déplore la défaillance institutionnelle qui ne soutient pas, voire empêche cet élan :

« Je comprends que pour certaines choses c'est vrai, une femme ne sera jamais un homme et un homme jamais une femme ; par exemple en terme d'autorité, l'autorité du père, ce n'est pas qu'on veut revendiquer l'autorité, mais il y a une connotation différente vis-à-vis des enfants, donc elle et importante cette autorité, mais même dans l'autre sens d'ailleurs. Une femme qui veut tout prendre, un homme qui veut tout prendre, c'est quand même délicat à gérer, être à la fois le décideur, l'autorité, et après le câlin, c'est quand même des ambiguïtés qui sont pas faciles à gérer Je pense qu'il y a beaucoup de femmes qui veulent cette égalité parce qu'elles voient là le moyen de s'exprimer autrement. En tant que mère c'est bien, beaucoup ne veulent pas être que mères, elles veulent être femmes, avoir un rôle dans la société, et donc ce ne serait possible que si les hommes prennent le pendant, et c'est aussi ce qui se passe maintenant, donc c'est aussi fort de café d'être dans une situation comme moi, qui revendique ma paternité, qui dit je veux m'occuper de mes filles et il faut que je me batte pour ça, alors qu'il y a des femmes qui se battent pour obliger leur ex d'assumer leur enfant. Donc quand on entend quelqu'un comme moi qui dit je veux m'occuper de mes enfants, on a du mal à comprendre qu'un juge ne dise pas, écoutez, il y a un monsieur qui veut s'occuper de ses enfants, en quoi c'est mal, Madame, arrêtez. » (Etienne)

Ainsi, transparait à travers ces récits, la permanence de tensions entre des représentations traditionnelles de rôles sexués auxquelles ils demeurent parfois attachés, et le constat d'une évolution plus égalitaire au regard de la génération précédente, et à laquelle ils adhèrent. D'où la volonté que manifeste ces pères séparés, d'une égale reconnaissance de leur statut parental avec celui de la mère, de la part des institutions, derrière laquelle s'exprime un sentiment d'être victime d'une injustice.

7.2. Le combat pour une égale reconnaissance

Témoignant d'un empêchement à se faire entendre, leur demande à être considéré comme un parent à part égale, signifie pour eux un égal traitement quand il s'agit de contributions parentales. Ainsi ces pères luttent contre l'injustice qu'ils éprouvent due au fait d'être désigné comme coupables à travers les jugements rendus dans lesquels ils sont condamnés à verser une pension alimentaire. Une condamnation qui les stigmatise d'autant plus par le fait qu'elle les associe à des parents visiteurs. Leurs luttes les confrontent alors aux institutions, de la justice notamment, envers qui ils éprouvent un sentiment de trahison.

7.2.1. Sentiment d'injustice : la condamnation au paiement d'une pension alimentaire

Les pères rencontrés dans les associations acceptent en général le principe de payer une pension alimentaire, voire pour certains seraient prêts à payer plus si elle leur permettait de voir leurs enfants, même si par ailleurs, ils disent la trouver souvent trop excessive. Ils sont cependant atteints par le fait qu'elle leur soit présentée comme une condamnation, les désignant comme coupables, mauvais pères. Ils soulignent alors l'effet pervers du système qui consiste au fait qu'avoir la garde des enfants permettrait d'avoir un revenu. Ainsi, quand sont abordées les questions qui concernent la pension alimentaire, les pères font part de la convoitise de leur ex conjointes pour obtenir de l'argent ; ils dénoncent le soutien des institutions dans des comportements où l'attrait pécuniaire motive la demande des mères : « Mais parce qu'il y a des enjeux financiers, la justice engendre les enjeux financiers, et plutôt que d'apporter une solution, et bien c'est la prime. Pour les femmes qui veulent se séparer, ou divorcer, il y a un enjeu financier qui va leur permettre de gagner plus, arrêter, ou continuer à ne pas travailler, d'avoir la pension alimentaire », me rapporte un adhérent.

La situation de Patrick est un exemple de conflit extrême conduisant à des dérapages en rapport avec l'enjeu financier dans le mode de garde :

« Il se trouve que dans tous les organismes sociaux et autres, elle m'avait déclaré décédé, sauf pour la pension alimentaire. En 2007, elle m'a fait repasser au tribunal pour avoir une pension alimentaire explosive, injustifiée, j'ai fourni les justificatifs comme quoi je payais bien. Donc cela a déclenché tout un système, assistantes sociales, enquêtes. On verse des sommes folles, et on ne sait pas ce que devient l'argent. J'ai le cas avec mes propres enfants, tous les quinze jours depuis trois ans qu'on vient les chercher, on les récupère dans un état lamentable, à chaque fois on les rhabille de la tête aux pieds..Donc on a trouvé la pompe à fric, sauf que l'argent doit être là pour le bien des enfants, pour leur scolarité et leurs loisirs alors qu'il n'y a rien. Et quand la moyenne lui a dit je veux aller avec papa, elle m'a envoyé un message pour dire qu'il était hors de question qu'elle vienne chez moi, parce que ça allait lui diminuer ses revenus sociaux, elle avait besoin de la pension alimentaire, payer les loyers et les frais pour aller dans le midi. » (Patrick)

Ainsi, condamnés à verser une pension alimentaire, ils ont la sensation que cet argent qui représente leur contribution parentale non seulement leur échappe, mais ne répond pas à leur demande de pouvoir s'occuper de leurs enfants, comme l'illustre Valentin dans ses propos :

« Moi, mon souci, ce n'est pas la décision, c'est le fait que c'est injuste pour moi qu'on ne m'accorde pas les enfants, je serais prêt à payer une pension alimentaire pour voir les enfants. Je fais appel, je demande à payer une pension pour les enfants. Là je paie déjà une PA, alors que Madame gagne deux fois plus que moi, je vais négocier dans mon appel le fait de payer une pension alimentaire, mais je veux plus mes enfants (c'est à dire les voir davantage). » (Valentin)

Ce qui est exprimé alors c'est le sentiment d'une injustice à leur égard, qui viendrait témoigner d'une inadéquation entre leur volonté à s'occuper de leurs enfants en conformité avec l'évolution égalitaire de la société, et le fait en réponse d'avoir à payer pour cela :

- C'est important pour vous que le père tienne aussi ce rôle à travers la pension alimentaire ?

« Pour moi le père a son rôle de père et payer une pension alimentaire ce n'est pas un rôle de père, parce que vous savez il y a des pères, ils paient la pension et ils n'en n'ont rien à faire des enfants, moi je ne suis pas un père à payer une pension alimentaire et ne pas voir mes enfants, moi je ne vois pas mes enfants suffisamment. J'avais demandé la garde alternée, et elle au début c'est ce qu'elle voulait, mais avec en plus une pension alimentaire ; attend, si on a la garde alternée, je ne vais pas payer de PA. J'ai dis oui, mais j'ai des charges. Et bien les juges ont refusé la garde alternée, et j'ai eu 1, 3,5. Elle a demandé ensuite la garde totale avec 900 euros de pension alimentaire. » (Valentin)

Estimant être victime d'une injustice, la condamnation perçue comme une punition, les stigmatise d'autant plus :

« Alors après, il y a le principe de la pension, alors là, c'est une guerre sans fin, c'est des moyens de pression aussi, parce que des fois quand le père a des difficultés, et bien c'est le premier puni, pas la mère. Parce que quand la mère, elle refuse de remettre l'enfant, c'est une obligation pour elle, alors que pour nous ce n'est pas une obligation. En fait, nous sommes obligés de payer la pension, et la mère est obligée de nous remettre l'enfant. C'est-à-dire, c'est celui qui a la résidence principale qui est en obligation. Et là où est le déséquilibre, sur un point de vue juridique, c'est qu'elle ne fait rien pour rééquilibrer la balance. Alors que la justice, c'est la balance, et bien là, il y a toujours déséquilibre : Quand un père ne paye pas sa pension, on le punit, on le met quelquefois en prison, ou on le menace d'y aller ; une mère, si elle ne remet pas l'enfant, on lui dit rien, on lui dit seulement, il ne faut pas recommencer madame. « (Pierre)

Les pères dans ces associations, dénoncent au-delà des critiques qu'ils manifestent, les effets pervers d'un système alimenté par le conflit. Une logique institutionnelle qui maintiendrait les parents séparés dans un fonctionnement basé sur une distinction sexuelle des rôles en laissant des mères dépendantes des pensions comme sources de revenus, car seules avec leurs enfants, et des pères qui se disent spoliés, évincés de leur rôle de parent :

« Aujourd'hui, la pension alimentaire est une prestation sociale, payée par les pères aux mères, voilà comment fonctionne le système français. Donc il y a toutes les allocations et celle là elle se rajoute, et puis celle là, ça ne coûte pas cher de la demander, et on peut la faire réévaluer régulièrement. Par contre, quand vous baissez, le temps de ressaisir un juge, pour pouvoir vous en sortir, enfin moi ce n'est pas mon cas. Moi je l'ai payé en résidence alternée parce que j'estimais un, je voulais un accord, et je me suis dit si c'est ça le problème, ce n'est pas méchant. » (Martin)

Un effet pervers qui par ailleurs conduirait à alimenter le maintien de représentations stéréotypées sur les rapports hommes femmes, ce qu'illustrent les propos de Pierre :

« Il faudrait que je lui donne la moitié de mon salaire pour la satisfaire ; voyez, on revient toujours sur ce point matériel. Parce que, grosso modo, le pourcentage des mères en général se base sur le pécule. Qui est la source, c'est l'enfant. Donc, tant qu'on a cette source pécuniaire, tout va bien ; et si on change les données, et bien, la source, elle est tarie. Parce que moi, vous savez, ça ne m'arrange pas d'avoir une pension à payer, je préfère l'avoir en alternance. » (Pierre)

La question de l'argent est un problème récurrent et central dans l'évocation de leur problème de positionnement de parent. Est contesté notamment le fait que l'association mode de garde et paiement de pension alimentaire, contredit d'une certaine façon la fonction éducative, et ne permet pas finalement aux pères d'assurer leur responsabilité parentale, en ne prenant pas en considération par exemple les charges du père quand il accueille ses enfants :

« Je pense que c'est normal, qu'un parent paie quand l'autre a la garde, s'il a des frais pourquoi pas mais on ne prend pas en charge le fait que l'autre qui est non gardien a autant de frais parce qu'il est obligé d'avoir l'hébergement, l'ameublement, la literie, le linge, et tout quasiment en double, donc là-dessus zéro.. Il faut distinguer les pensions du mode de garde, car dès que vous n'avez pas la garde vous êtes obligés de payer une pension, ce n'est pas normal. Et moi je serais pour le paiement des prestations en nature, que j'ai fait un tout petit peu, déjà, c'est plus valorisant, vous payez les choses directement. » (Martin)

Ainsi sans s'opposer frontalement au principe du paiement d'une pension alimentaire, qui dans une représentation traditionnelle n'écarte pas le père de sa place de pourvoyeur et donc protecteur du foyer, ces pères estiment néanmoins le fonctionnement injuste dans la mesure où il ne leur permet pas de participer directement aux frais d'entretien des enfants, en les condamnant à verser une somme d'argent à leur ex conjointe14(*). Une pension qui, estiment ils, ne leur permet pas de voir leurs enfants, les éduquer, mais au contraire les écartent de leur rôle de parent sachant que cette source de revenus contribue au maintien de l'enfant seul avec sa mère, et est motivée par celui ci. Ils dévoilent ainsi les risques d'un fonctionnement qui d'une part alimente le conflit dans le couple parental en permettant une transaction directe d'une pension entre deux conjoints qui se séparent et se déchirent. D'autre part, ce système contribue à faire obstacle à la volonté des pères séparés à tenir un rôle éducatif plutôt qu'un rôle de père symbolique, sans correspondance avec les aspirations émancipatrices de la sphère privée :

« Les mères critiquent les pères sur l'éducation qu'ils donnent, et elles estiment que le père n'est là que pour le tiroir caisse. Ils sont là aussi pour donner l'amour à l'enfant, ils sont là pour les aider à avoir un modèle masculin, dans sa vie d'adulte, et deuxièmement aussi, les mères en fait, profitent plus de l'argent que l'enfant. » (Julien)

« Le père joue son rôle d'éducateur, le père est maintenant beaucoup plus disponible, n'a pas qu'un rôle de père. Ce n'est pas seulement celui qui va ramener de l'argent à la maison, on est complémentaire, parce que avant le rôle du père était surtout financier, social ce qui fait qu'il pouvait ne pas être là et la mère elle avait son rôle, c'est la femme qui faisait tout à la maison, qui élève les enfants. Je dis souvent aux femmes, quand il y a un mec macho, c'est la mère qui l'a rendu macho, ce n'est pas le père car l'éducation est faite par la mère. Même mon père qui était quelqu'un de très dur, qui était autoritaire, en réalité c'est ma mère qui menait la maison qui s'occupait de tout, qui dirigeait. » (Valentin)

Comme en illustration à l'analyse sociologique d'Ulrich Beck ou Thierry Blöss, référée en première partie, il se dégage à travers ces discours l'idée d'une inadéquation entre une fonction paternelle plus relationnelle portée par l'émancipation de la famille, et la résistance institutionnelle qui maintient voire renforce un schéma de division sexuelle des rôles, producteur d'inégalités. Ainsi que l'exprime Léon quand il met en exergue cette contradiction douloureuse :

« L'idée que mes enfants n'allaient plus être avec moi, c'était un déchirement, en poussant le bouchon, je dirais j'aurai estimé avoir droit à une indemnisation si je ne pouvais plus voir mes enfants ; c'était le contraire, ça ne m'avait pas traversé l'esprit, je le dis là, parce que je suis plus calme. Mais d'une part on vous enlève ce qui est pour moi, c'est toujours le plus important dans ma vie, et en plus on vous dit, tu vas payer pour qu'on te l'enlève, c'est d'une violence inouïe, , en plus on vous le renvoie en disant tu ne veux pas payer pour tes enfants, tu les aimes pas, et là le monde s'écroule, oui, c'est ça, on vous renvoie que vous n'assumez pas. Et cela permet même à certains de se décharger, on leur permet cela en disant, je paie, je n'ai pas besoin de m'investir davantage, je suis tranquille. D'ailleurs, le droit de visite et d'hébergement c'est un droit, ce n'est pas un devoir ; c'est effrayant ça, moi je trouve qu'on devrait dire monsieur vous êtes obligés de prendre l'enfant tous les quinze jours ; jamais un père n'est poursuivi parce qu'il ne prend pas ses enfants le week end. » (Léon)

Au-delà du conflit conjugal cristallisé autour de la question des enfants, les pères séparés dans ces associations parlent de leur sentiment d'une véritable trahison de la part des institutions. Effondrés le plus souvent par l'évènement de la séparation, ils misent sur le soutien de la justice, et s'adressent aux associations d'aide pour la condition des pères, avec l'espoir et l'assurance parfois de trouver une issue à leur situation.

7.2.2. Le sentiment d'être trahi par les institutions.

Les griefs émis à l'encontre de leurs ex conjointes représentent alors surtout autant de plaintes adressées aux institutions, qui représentent la société :

« Le souci de la conception de parent, chacun a sa part différente mais aujourd'hui la société peut qu'on soit sur le même pied d'égalité. Alors qu'on donne l'investissement à un père dans la société, et à la mère dans la société, et là tout le monde sera content. » (Pierre)

Aussi le fonctionnement des administrations que sont la justice mais également l'école, est décrit comme un soutien aux mères dans l'exclusion que les pères subissent, les conduisant à dénoncer une injustice, ainsi que le souligne un adhérent quand il dit : « Quand ils font la démarche, c'est qu'il y a eu un grave problème en amont, ça peut être un enlèvement d'enfant international, mais aussi national..Les problèmes de non présentation d'enfants, ils portent plainte mais elles sont classées sans suite. L'éloignement géographique, c'est une des martingales, si je puis dire pour une mère qui veut mettre de la distance entre le père de ses enfants et ses enfants. C'est très simple, il suffit de les déscolariser, ça se passe sans aucun problème, c'est malheureux, mais c'est la vérité, les responsables d'établissements scolaires ne demandent pas l'autorisation expresse, ne s'enquièrent pas du jugement à partir du moment où la mère a décidé d'enlever les enfants et de les amener ailleurs, ils ne demandent pas l'autorisation du père. A partir du moment où le père a l'autorité parentale, il n'y a aucune raison d'enlever les enfants ». Le rapport à l'institution scolaire est en effet fréquemment évoqué, et vécu tout comme l'institution judiciaire comme non soutenant, dans une position de parti pris, en faveur de la mère. Aussi quand ils s'investissent pour obtenir de meilleurs droits auprès de leurs enfants, ils soulignent l'importance à tenter de maintenir un lien avec l'école, et quand ils ne le font pas, l'association les incitent à participer à la vie scolaire de leurs enfants, à consacrer du temps auprès d'eux de façon à s'investir dans leur rôle de parent. Comme pour Martin, qui malgré l'éloignement géographique ou en raison de cela, s'investi auprès de son enfant grâce au lien qu'il entretient avec l'école :

«  Je suis accompagnateur. Sa mère est à côté, moi je suis à 500 km, j'arrive. J'ai fais les sorties classe nature. Je le fais déjà c'est pour être avec ma fille, et puis après je fais un petit reportage photo, je l'envoie, j'ai les remerciements de tout le monde, les gamins ils sont contents. »(Martin)

Il se dégage de leurs discours qu'au-delà de la séparation conjugale, ils ont l'impression d'être lâché par la justice, par les institutions. Ils éprouvent le fait d'être exclu, et s'ils espèrent rétablir leur situation quand ils s'adressent aux associations, la tâche des animateurs est de les réveiller à la réalité : «  C'est une forme d'exclusion aussi, en plus d'être exclu par la mère, c'est un peu la double peine..  Donc c'est vrai qu'on a des gens qui n'ont peut être pas fait le deuil de leur relation et qui poussent la porte, et qui se disent tiens encore un espoir, quelque chose qui leur permettent d'espérer. Quand ils poussent la porte, ils veulent espérer même si c'est quelque chose qui n'est pas réaliste. Et nous, le but dans les permanences c'est de les faire redescendre sur terre, et de leur expliquer ce qui va se passer. »

«  On rentre dans un domaine totalement ubuesque, c'est-à-dire quand on est dedans, on réagit, et puis ça se retourne contre nous ; on ne comprend pas, on arrive avec la bonne foi, on essaie de s'expliquer, moi je suis rentré dans la procédure en me disant, il y aura peut être un décalage en faveur de la mère, ce n'est pas grave, mais je ne m'attendais pas à me faire laminer comme ça. Et il n'y a pas de moyen de lutter. » (Léon)

Persuadés d'être de bons pères, ils semblent en effet surpris par les décisions de justice, et ont le sentiment d'être trahis par l'institution, la justice en qui ils avaient confiance. Au-delà de la décision rendue, ils se présentent anéantis surtout par la façon dont ils sont traités, qui les désigne comme des parents accessoires et coupables. Au sujet des pères qui arrivent, me confie un président d'association, le plus souvent, soit ils pensent que l'avocat était mauvais, soit qu'effectivement ils sont de mauvais pères, d'où le fait qu'ils aient des difficultés à prendre la parole la première fois. Les pères arrivent ainsi dans un certain état d `esprit selon lequel : « pendant plusieurs années, ils ont été les meilleurs pères du monde, et brusquement, ils deviennent des parias, complètement détruits, inutiles » :

« Ma demande au départ, mon souci, c'est que quand je suis passé devant le juge, j'avais demandé la résidence alternée de base. Eventuellement après, un week end sur deux, un mercredi sur deux. J'ai vu la juge, alors, tout de suite, moi zéro. - Vous voulez quoi ?, la résidence alternée ? Ce n'est même pas la peine d'en parler, vous n'êtes pas capables de trouver un compromis entre vous deux, vous êtes toujours en conflit, et puis l'enfant est trop petit, deux ans et demi, c'est trop jeune, il ne pourra pas s'adapter. - Alors moi, j'étais un peu dans le coltard.- Donc, qu'est ce que voulez ? Et bien un week end sur deux, et un mercredi sur deux.- Ok, et puis terminé. » (Pierre)

Il peut s'agir pour certains, d'un concours de circonstances, dont une décision autoritaire d'un juge, qui les met face à une impasse, pour pouvoir occuper leur place de parent :

« Quand elle a commencé à remettre en cause la garde alternée j'ai pensé à l'association, mais je ne pensais pas être dans une situation catastrophique qui nécessite d'aller les voir, donc je n'y suis pas allé au départ, et puis surtout je pensais être de bonne foi, j'avais un contact très étroit avec mes enfants, et ça été - Je demande qu'on retire l'autorité parentale à monsieur- J'ai pris ça comme un coup de massue, et je suis allé voir l'association. J'ai expliqué le problème, et en fait c'est parce que je refusais de signer les documents nécessaires au renouvellement des passeports américains de mes enfants. » (Léon)

Amoindris par leur situation, ils se décrivent alors comme des pères maltraités par un système judiciaire que la mère de leurs enfants aurait déclenché :

« Donc cela fonctionnait (la résidence alternée), puis retour à la case départ. Alors là ça été terrible parce que j'ai vu tout ça partir en vrille, mais j'ai été prévenu parce que je suis venu ici, et là je savais ce qui allait m'arriver.

-Qu'est ce qui a été le plus dur à ce moment là pour vous ?

D'accepter, de savoir, que j'allais passer devant un mauvais juge qui allait rien me donner, devant qui j'allais perdre, parce que les avocats ici me l'avaient dit

- perdre, c'est-à-dire ?

Perdre la garde alternée. D'abord ne plus voir mon enfant, c'est terrible, deuxièmement juridiquement d'être battu, sur un terrain juridique alors que j'avais un excellent dossier. C'est inacceptable, de savoir que le magistrat allait me passer à la moulinette, je suis discriminé, et on me répond vous osez, réclamer, c'est ça le discours. » (Martin)

C'était un jugement, et on m'a traité de tous les noms, on m'a traité de gigolo, que ma femme gagnait plus que moi. Alors ce qui fait que je suis passé pour un gigolo. Ma femme, Elle s'est permis de m'insulter comme ça, c'est malhonnête devant le juge. la personne qui demande entre en premier, madame est restée vingt minutes, alors que moi, on ne m'a gardé que deux minutes avec le juge, j'étais pris.. (Valentin)

Les animateurs disent rencontrer des personnes « dans un état de nerfs assez avancé, de souffrance parce qu'ils sentent que la justice de leur pays n'est pas comme ils l'avaient idéalisée, et c'est l'étonnement total. »

« Dans toute cette histoire, le truc que je supporte très mal, ce que je ne suis pas près de pardonner, c'est l'incompétence des autorités. Où vous vous retrouvez avec des assistantes sociales de façon injustifiée, et quand vous demandez de l'aide et on n'en tient pas compte. Vous les alertez, on s'en fout, on vous balance, alors là, vous vous retrouvez avec des enquêtes sociales aux fesses. » (Patrick)

Une justice qu'ils estiment injuste à leur égard :

« Mon ex femme a refusé encore une fois d'envoyer les enfants pour cet été, c'est pour ça que je vais déclencher une autre procédure. Ce qui est extraordinaire c'est qu'elle refuse en se mettant en violation des décisions de manière flagrante, et jusqu'à présent ce qui a été fait, à chaque fois qu'elle était en opposition, et bien on a pris la décision de justice qui régularisait ce qu'elle avait fait, L'argumentation c'est que je refuse la signature des papiers américains ce qui a été traduit ensuite en cour d'appel par monsieur est incapable de prendre des décisions pour l'éducation de ses enfants. Donc pour les juges quand on prend une décision contraire à la maman, c'est qu'on n'est pas capable de prendre la décision. » (Léon)

Ils peuvent exprimer aussi le fait d'être dévalorisés au regard de la société, désignés en pères suspects, stigmatisés, un sentiment d'autant plus ressenti par les pères ayant des droits de visite dans des points rencontre :

« Et avec ce qui se passe à la télé, si en plus on parle de violence conjugale, vous avez une étiquette, si en plus, on parle d'attouchements, vous avez une étiquette, donc je passe mon temps à avoir des étiquettes et les enlever. Le problème avec la justice c'est que si on se met à mal avec un juge, on est mort. Donc on fait des grands sourires, on avance et on essaie de contre attaquer..Il faut être zen, car on ne vous regarde pas comme il faut, à l'école, on ne vous regarde pas dans les yeux, c'est immonde. Alors il y a deux solutions, soit on fuit, soit on reste sur ses pattes et on essaie d'être droit, c'est ce que j'essaie de faire. Mais ce n'est pas toujours évident. » (Etienne)

« En fait vis-à-vis de la justice je n'ai pas les arguments forts, mis à part le conseil du point rencontre où les relations se passent très bien avec les enfants, mais derrière, il n'y a rien et il y a que des accusations qui sont lancées sans arrêt, donc, à mettre le doute sur les relations du père avec les enfants. » (François)

Aussi, avec la sensation d'être méprisé par le système, de se trouver déstabilisé et en insécurité, ils se sentent trahis par l'institution, et à l'extrême disent éprouver une véritable rancoeur à l'égard de l'Etat :

« J'ai fulminé pendant des mois, en me disant je faisais parti des abrutis qui étaient capable de dire et qui l'ont dit, j'ai confiance en la justice de mon pays.. L'avocate elle est dans son rôle d'avocate à la limite, c'est la partie adverse, on peut comprendre. Mais la juge, je n'ose même pas dire de la République, on n'imagine pas ça, quand on est naïf comme moi en tout les cas. C'est effrayant, en plus je ne supporte pas quelqu'un qui abuse de sa force, ceux qui sont forts ont le devoir de protéger les faibles. Je pensais innocemment que ce qu'on appelait les valeurs de la République, c'était ça aussi, et là clairement dans la justice ça n'y est pas.. C'est terrible ce que je vais dire, mais on n'est pas en sécurité en fait... Et puis toutes les mains courantes que j'ai faites n'ont jamais servi à rien. Il y a un moment où on démissionne. » (Léon)

Les pères attendent un soutien de l'institution, qu'ils n'obtiennent pas, et sont effondrés de cela. Ce sont autant de situations qui viennent interroger la place du père dans la société dans le sens où le père qui fût un temps, devait symboliser la loi, se trouve trahi par l'institution judiciaire qui représente la loi :

« Et puis j'ai fais en partie, en tout cas j'ai commencé à faire mon deuil de la République. Parce que moi, vous savez, j'ai en 1986 travaillé aux Etats unis, ça s'est super bien passé, j'ai un esprit qui s'adaptait bien aux entreprises américaines, et on m'a fait des offres qui étaient très intéressantes, et je n'ai pas voulu. Et vous savez pourquoi, parce que je voulais offrir mes talents à la France, parce que je voulais travailler pour la France, alors je peux vous dire que ce que m'a fait la justice, ça c'est une blessure qui ne se refermera pas. » (Léon)

Leur espoir déçu, leur colère revendicative, se transforment ainsi en amertume et en lassitude, et le travail des associations va alors se situer à ce niveau, à partir duquel selon leur expression, il va falloir « redescendre sur terre », se ressaisir ou « reprendre la main », en préparant un dossier positif : « Déjà en fait ils ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas voir leurs enfants. Donc à partir du moment où on va leur expliquer pourquoi la justice leur met des bâtons dans les roues pour pouvoir voir correctement leurs enfants, là ils vont comprendre, malheureusement quand je dis qu'ils vont redescendre sur terre, c'est ça, c'est-à-dire qu'effectivement c'est là qu'ils vont comprendre que ça va être beaucoup plus difficile que ce qu'ils avaient en tête. Et donc il y a un gros travail de remise en question, il faut replonger dans ses souvenirs, essayer de voir où est ce qu'on a été un bon père ; il faut démontrer qu'ils ont été un bon père, ça ils ont du mal à le comprendre, alors qu'une mère n'a pas à démontrer qu'elle est une bonne mère, donc il y a une espèce de discrimination sur le sexe, qui est inacceptable. »

« J'étais très correctement indemnisé par le chômage, et je voulais trouver un travail bien, et je vois l'avocate cet après midi, elle me dit vous êtes au chômage, il faut travailler pour prouver que vous êtes bien.. » (Léon)

Ainsi ces pères se trouvent dans la situation paradoxale à devoir prouver qu'ils sont de bons pères en démontrant leur capacité à tenir leur rôle de pourvoyeurs de revenus, ou tout au moins d'hommes s'accomplissant professionnellement.

Parallèlement à une posture de résignation, alors qu'ils disent démissionner après avoir lutté dans l'espoir d'une reconnaissance de leur place de parent à part entière, les pères interrogés et observés au cours des permanences, s'inscrivent en se projetant dans l'avenir pour leurs enfants. Confrontés ainsi à la réalité, pour justement éviter la démission, qui peut aller jusqu'à une rupture totale des liens parent/enfant pour les pères qui ne parviennent plus à voir leurs enfants, ils vont grâce à l'aide proposée et aux échanges qui s'opèrent dans les associations, apprendre à se repositionner à leur place de parent par l'apprentissage à la restauration d'un dialogue avec leurs enfants et avec la mère de leurs enfants.

7.3. Face à la réalité : espoir et restauration d'une place de parent par le dialogue

L'inscription dans l'avenir

L'espoir que leurs enfants ne les oublieront pas et sauront plus tard qu'ils se sont battus pour tenir leur place de père, leur permet de ne pas sombrer pour certains. Dans la douleur d'être séparés de leurs enfants, ils expriment des projets d'avenir pour eux et cultivent l'espoir que leurs enfants ne les oublient pas, ce qu'ils témoignent parfois par des sentiments passionnels, de survie :

« Je me suis mis à genoux devant la poussette, pour dire à mon fils je suis ton papa, je t'aime et je pense à toi tous les jours, je lui ai répété ça, je t'aime, je pense à toi tous les jours et je ne t'abandonnerai pas. » (Vincent)

« Ce qui me manque le plus, C'est l'amour que j'ai pour lui, que je ne peux pas lui donner ; Avoir un moment de câlin, lui parler, lui dire que je suis son papa, que je l'aime, que j'ai envie de faire des choses avec lui, que c'est mon fils, et que je serai prêt à mourir pour lui. C'est ça qui me manque. » (Julien)

« Même si on est soutenu, il y a beaucoup de papas qui s'écroulent, enfin, à leur manière. Par exemple, les points rencontre, ils abandonnent, parce que c'est trop dur. Le premier conseil que je donne aux gens qui sont vraiment très mal, c'est l'instinct de survie, vous devez bien boire, bien manger, bien dormir, même si c'est très dur à entendre, c'est la base de tout. Si vous faites attention à bien manger, vous hydrater, vous êtes sur vos pattes et le cerveau, il suit. Si vous êtes en plus fatigué, déshydraté, avec des manques, et des carences, vous explosez ; si en plus vous êtes appelé par les flics pour une garde à vue, vous êtes foutus. » (Etienne)

En pères impliqués absents, désireux de s'inscrire comme parent malgré tout, ils vont s'accrocher au fait que tout ce qu'ils tentent de mettre en place, profitera d'une certaine façon à leurs enfants plus tard :

« Et bien moi, l'attente, j'espère que mes enfants vont pouvoir se construire en ayant une image de leur papa et de leur maman qui ont pu les aider au maximum, et se construire correctement. En espérant qu'ils ne tiennent pas trop compte de nos déraillements, de nos faiblesses, ça c'est un gros souci pour moi, moralement parce que je me dis que dans quelques années on pourra me faire le reproche de ne pas avoir trop assez assisté à la façon dont la maman a déraillée, ça c'est quelque chose qui me hante un peu ; Et puis j'espère que mes enfants me diront un jour et bien on est content, on a réussi, vous nous avez aidé, là on vous pardonne parce que vous avez déconné. Parce que mes enfants ce n'est pas ma propriété, c'est ma chair, c'est la chair de mon ex compagne, mais ce ne sont pas des objets et ça il faut bien le comprendre, beaucoup de gens ne l'ont pas compris, pour qui les enfants sont des objets, un moyen de pression sur l'autre, un moyen de détruire l'autre. » (Patrick)

Face à l'engrenage judiciaire qui épuise leur espoir d'obtenir un aménagement de vie leur permettant d'exercer leur rôle de père, ils peuvent prendre acte de la situation et pour certains comme pour Martin, organiser entièrement leur vie autour de l'aménagement du droit de visite. Ce qui devient leur raison de vivre, devant leur vie professionnelle ou même personnelle, pour laquelle ils sont prêts à investir un deuxième logement quand l'éloignement géographique l'impose :

« Je me suis dit, je m'en sors plus. - Vous ne vous en sortez plus dans les procédures ?

Oui, là j'ai plongé, j'étais assigné. Alors aussi, il faut que je vous dise, entre temps, j'avais acheté un appartement pour voir ma fille, j'ai acheté un appartement à Epinal. Je me suis installé là bas, le même appartement que j'ai ici, tout en double, de A à Z. En face de la gare, je peux la recevoir, le week end qui vient j'y vais trois jours, j'ai loué une voiture... J'ai quand même compris même si c'est douloureux, qu'un jour tout ça on ne le fait pas pour soi, mais que c'est pour ses enfants, et un jour, et bien elle partira, ce sera autre chose. (Martin)

« En tout cas, ils vont quand même vivre leur vie d'adolescent, ils vont grandir, donc moi, j'ai fais mon deuil du reste en quelque sorte ; tout ce que je pourrais obtenir, ce sera du positif. » (Léon)

Leur situation les conduit en effet à se satisfaire de la moindre évolution qui leur permettra d'améliorer leur niveau de relation avec leurs enfants. Ils vont ainsi, avec l'aide des associations, concentrer toute leur énergie autour de stratégies pour obtenir du temps avec leurs enfants, ce qui nécessite de leur part un travail visant à favoriser le dialogue.

La restauration d'une place parentale

Dans ces associations qui offrent des espaces de paroles aux pères, ils tentent de retrouver une place, une dignité de parent. Pour certains, comme pour Martin, ce peut être l'épreuve de la séparation qui les conduit à se remettre en question :

« Alors je m'accroche, je suis présent dans la vie de ma fille, l'école, je fais tout, je suis un super papa, on est dans la surenchère. Je suis élu parent d'élève, je fais tout ce qu'il faut, mais pourquoi je fais tout ça, je pense que quelque part je me suis révélé. Il y a eu la naissance de ma fille, et la séparation, ça été une deuxième naissance, et je me suis dit, tu es effacé des tablettes, c'est fini, j'ai vu les autres et je me suis dit si tu ne te manifestes pas, là maintenant, c'est fini, tu seras rayé. » (Martin)

De façon générale, une fois passée la surprise, révoltés par ce qui leur arrive ils sont étonnés des réponses apportées par l'association, qui relèvent de conseils de l'ordre de la négociation avec la mère, même et surtout en cas de conflit. C'est alors l'écoute et le réconfort d'autres personnes ayant vécues les mêmes expériences, étant passées par les mêmes étapes, qui vont les faire accepter une certaine orientation dans leur position. De celle de conflits de pouvoirs, à celle d'une stratégie par la négociation, en se centrant sur la réalité de leurs désirs pour leurs enfants. Ils vont ainsi sur les conseils des plus avertis, devoir adopter des choix pragmatiques, en préparant leur dossier pour les audiences. Mais aussi tenter des négociations à l'amiable avec la mère de leurs enfants, donc apaiser le conflit, en renouant, voire en instaurant le dialogue, afin de conserver le lien avec l'enfant :

« En venant ici, cela m'a permis d'arrêter la procédure, il m'a dit d'être diplomate. Et puis j'ai vu des gens pour qui c'était pire. Donc cela m'a fait considérer la chose autrement. Qu'il ne fallait pas que je bosse pour les avocats..Cela m'a beaucoup aidé pour prendre cette décision là, elle a même été surprise la mère de mon fils. Mais pourquoi tu n'as pas pris un avocat, on ne t'a pas prévenu, m'a-t-elle dit. J'ai dit non, je vais à l'association, et là ça l'a rassurée. Et à mes enfants, je leur ai dit. Et puis, je lui ai dit, écoute, si tu es correcte il n'y a pas de soucis, et cela a apaisé. » (Jacques)

Quand la procédure judiciaire est en cours, les conseils stratégiques sont alors donnés dans ce sens, où il s'agit de calmer le jeu, en facilitant le travail du juge et en se positionnant autour de l'intérêt de l'enfant, sans incriminer l'autre parent. Aussi, les pères sont amenés à travailler sur leur dossier ainsi que la préparation aux audiences, dans le but stratégique d'obtenir les meilleurs résultats, selon une bonne connaissance du dispositif judiciaire.

« Ce qu'il faut comprendre c'est que les juges ont très peu de temps pour chaque dossier, donc quand un juge va voir un dossier conflictuel, il ne va pas lire tous les arguments, toutes les attestations. Donc un juge va préférer un dossier où on va lui faciliter les choses, où les arguments ne seront pas contre le parent mais en faveur de l'enfant, pour expliquer comment va être organisé la vie de l'enfant, c'est surtout ça qui l'intéresse le juge, donc ce qu'il faut, c'est que les gens aient dans l'idée de remettre un dossier positif. »

Par ailleurs, au-delà de l'intérêt stratégique de la démarche, l'énergie concentrée sur cette action leur permet par un travail de remise en question de leur vécu, une restauration identitaire autour de leur place parentale :

« C'est deux ans et demi de traversée du désert depuis la grossesse, ça m'a énormément atteint émotionnellement, et forcément ça coupe avec le réseau d'amis. Je suis en train de reconstruire, à partir d'ici, et je recontacte aussi mes anciens amis. Actuellement je suis aux Assedic, ça va aussi avec ma dépression, j'étais dans l'incapacité de travailler et de monter un dossier. Quand j'ai reçu les conclusions adversaires avec un pavé, il a fallu que moi, je monte un dossier, c'est une énergie, même si ce n'est pas huit heurs par jour, c'est extrêmement éprouvant, on fait une lettre on y passe deux heures, on y pense tout le temps, même en dormant. » (Vincent)

Il s'agit, comme l'explique les adhérents, de se remettre en cause, se reconstruire, et une fois le deuil de la relation faite, de travailler part rapport aux enfants. « C'est vrai qu'on a ici un rôle social parce que quand on reçoit ici des gens en très grande souffrance, souvent certains sont au bord du suicide, ne savent plus quoi faire, donc forcément les mots qu'on va dire, ils auront une résonnance. Donc, permettre aux gens d'échanger, pour accompagner ce travail de restauration. »

Hormis les résultats escomptés, ce travail en lui même permet non seulement aux pères de se poser, mais aussi de se déplacer du conflit conjugal, et se recentrer autour de l'enfant dans une action réflexive sur leur parcours. Les adhérents permanents ou animateurs les poussent alors dans leur retranchement, ce qui leur permet de se repositionner à leur place de parent responsable :

« En même temps ça me fait grandir, pourquoi ça me touche autant, ça m'atteint autant, ça m'a fait vraiment avancer, ces derniers sept mois depuis que je suis allé en justice, j'ai enfin pris la décision, j'arrête d'être à la merci de cette femme, pour dire non, je ne t'abandonne pas à mon fils. » (Vincent)

En venant dans ces associations, Il est question alors pour ces pères de se redresser, tel que l'exprime Julien :

« Donc c'est moi qui fais à chaque fois le dos rond et c'est pour ça que je viens voir cette association là. Quelles choses on peut mettre en place pour avoir un terrain d'entente, pour F, mes droits de visite et de contribution parentale, c'est normal, c'est mon enfant. » (Julien)

Ainsi, se dévoilant maltraités psychologiquement, les pères rencontrés dans ces associations se présentent dans une posture d'apprentissage, d'aide à la négociation, pour trouver une place de père. Leur lutte porte sur le manque de soutien de la part des institutions, de reconnaissance, dans leur statut de parent. Et la question d'égalité des sexes, pour ces pères, les renvoie surtout à la recherche d'un meilleur équilibre possible :

« Entre les hommes et les femmes, c'est de compromis dont il s'agit, pas d'égalité » (Paul)

Ce qui nécessite un apaisement du conflit, sans perdre de vue l'adulte en devenir que représente l'enfant, au coeur des tensions figées autour du choix de la résidence :

« Même les deux parents ne peuvent pas apporter tout, s'il n'y a qu'un homme dans la vie des enfants, il y aura forcément un manque mais ce manque il va exister aussi même avec un homme et une femme tout aussi équilibrés qu'ils puissent être. Donc l'histoire de savoir si c'est mieux qu'il soit avec le père, qu'il soit avec la mère, c'est un faux problème. Enfin je crois qu'on n'écoute pas assez les enfants. » (Léon)

Ainsi la demande de ces pères se situerait autour de la recherche d'un équilibre plutôt qu'une égalité stricte, ce qui nécessite par ailleurs un apaisement du conflit conjugal. Cependant, c'est bien l'existence de conflit qui est à l'origine de leur démarche d'une revendication égalitaire. Mettant alors en avant que le conflit profite aux mères sur la question de résidence des enfants, ils se trouvent face à une impasse, et se positionnent donc autour d'un travail de restauration de leur place parentale.

En conclusion

Les premières données qui apparaissent dans cette enquête, laissent à penser que les pères accueillis dans les associations militant pour l'égalité parentale ne présentent pas de profil type : Ils peuvent être de différentes tranches d'âge, de catégories socio professionnelles multiples, d'origines géographiques diverses ; ce sont même parfois des mères. Ces éléments viendraient invalider l'idée que ces pères pourraient constituer un groupe spécifique, homogène, impliqué solidairement dans une lutte de pouvoir avec les mères. Il apparait cependant que tous rencontrent des séparations de couple très conflictuelles. Ce sont en majorité les mères à l'initiative du divorce, ou d'une procédure en cas de séparation. Ils ne comprennent pas alors ce qui leur arrive et découvrent que leur place de père n'est plus reconnue, une fois séparés de la mère de leurs enfants. Témoignant souvent d'un lien d'attachement précoce à leurs enfants, ils s'estiment alors d'autant plus exclu comme parent après leur séparation conjugale. Et quand ils reconnaissent s'être peu investis en tant que parent, ils se sentent néanmoins injustement rejetés, d'où leur démarche volontaire pour retrouver cette place.

La demande des pères dans les associations est celle de voir plus souvent leurs enfants, la résidence alternée étant présentée comme un idéal à atteindre, quand il s'agit pour eux surtout de pouvoir maintenir un lien avec leurs enfants qu'ils voient peu ou plus du tout. Ils attendent d'être reconnus et traités comme un parent à égalité avec la mère, sans avoir pour autant une représentation d'un rôle prédéterminé pour chacun des deux. La démarche de ces pères n'est pas celle d'une recherche d'égalité au sens d'identité, d'être comme une mère, interchangeable. Prenant acte du mouvement féministe ayant permis aux femmes de s'émanciper de leur rôle de mère et d'épouse, ils sont en demande à pouvoir exercer leur fonction parentale par une présence auprès de leurs enfants, cherchant à s'émanciper d'un rôle unique de père pourvoyeur de ressources.

Mais face aux difficultés perçues et présentées comme insurmontables, ils se disent engagés dans un combat inégal quand il s'agit de pouvoir concrètement exercer à égalité l'autorité parentale, visant à obtenir un libre accès à leurs enfants. Ils s'estiment dans ce contexte victimes d'une injustice exercée à leur égard par l'institution, relayée par les mères, et évoquent en cela un sentiment de trahison. Ainsi ces pères ne se sentiraient plus soutenus par l'institution qui naguère les désignait comme garants de l'unité de la famille et se trouvent dans la situation à devoir prouver qu'ils sont de bons pères, pour exercer leur rôle parental.

Ainsi, Irène Théry, identifie t elle, comme cela a été souligné en première partie, le problème autour du manque de cadre institutionnel de référence pour accompagner l'émancipation. Les couples se trouvant désorientés, les situations de conflits conduisent, selon l'auteur, à une recherche de repères vers un schéma traditionnel de différenciation sexuelle des rôles, soutenu, dans les cas de séparation conjugale, par l'institution juridique.

Après avoir exploré la place du père dans l'évolution de la famille inscrite autour d'un courant de démocratisation, il apparait que les pères en séparation conjugale, quand ils revendiquent leur place, font part d'inégalités parentales les situant comme secondaires. Ainsi, au regard de la désignation paternelle dans l'histoire de la famille, le père déchu a été replacé au centre de la famille dans sa conception matrimoniale. Le passage ensuite du père institutionnel aux pères relationnels, qui marque l'émancipation de la cellule familiale, s'accompagne de tensions, à travers une coexistence de tradition et modernité. Ces tensions apparaissent, en faisant obstacle à la mise en place de l'égalité, à travers les témoignages de pères séparés en revendication d'une place. Aussi, les freins à la mise en place de l'égalité des sexes dans la famille, décrits par les sociologues, semblent être illustrés par le discours des pères dans les associations, autour de la permanence d'une intériorisation de la division sexuelle des rôles parentaux soutenue par les institutions. D'où l'inadéquation entre une institution inégalitaire et le courant d'émancipation familiale, qui laisse les pères séparés dans le désarroi, alors que les mères sont surchargées.

CONCLUSION GENERALE

Cette étude circonscrite aux associations de pères militant pour l'égalité parentale, sans représenter la situation générale des pères, soulève le problème dans un contexte d'éclatement de la cellule familiale, d'une revendication de la place paternelle. Il s'avère que le conflit conjugal est au premier plan quand il s'agit du mode de garde des enfants dans les séparations des couples. En effet, quand ils se présentent aux permanences des associations, les pères sont en demande d'aide dans les cas suivants : ils sont passés devant le juge et ne comprennent pas pourquoi ils sont relégués à une place secondaire, la séparation conjugale s'étant passée à l'origine dans le conflit. Ou bien après une période de séparation organisée à l'amiable, et après avoir bénéficié d'une période de résidence alternée, cette situation est remise en question par la mère. Elle peut en effet avoir décidé d'un déménagement, en général consécutif à une nouvelle vie de couple. Elle peut souhaiter aussi reprendre une place maternelle auprès des enfants, car davantage disponible dans sa vie professionnelle par exemple, ou par culpabilité, influencée en cela parfois par son entourage familial ou amical. D'autres pères se présentent victimes, quand ce n'est pas d'éloignement géographique, de non présentation d'enfants, voire même d'accusations mensongères. Dans la majorité des cas quoiqu'il en soit, le conflit conjugal est bien le moteur qui alimente le conflit parental. Le problème à observer par ailleurs, comme le souligne le sociologue Claude Martin, ne serait pas tant celui des effets du divorce ou des séparations, mais celui posé par la question du traitement du conflit. (Martin, 1997)

Les couples de parents séparés, face au traitement juridique de la question de résidence des enfants, sont ainsi confrontés à une surenchère des conflits par avocats interposés, d'autant plus quand les pères revendiquent leur place auprès des enfants. Aussi il en résulte que dans ces situations conflictuelles, les enfants restent majoritairement confiés à la mère par les juges, en raison même de ce conflit. En effet dans ce cas, le doute étant posé, c'est la place maternelle qui est privilégiée, car estimée plus sûre, la représentation demeurant celle d'une place paternelle incertaine. On se retrouve donc face à ce paradoxe qui est que plus les pères sont en revendication d'une place auprès des enfants au même titre que les mères, moins ils obtiennent la garde en cas de séparation, la position de revendication laissant supposer un conflit de départ. En effet, les couples parvenant à gérer ces situations, soit organisent une garde alternée à l'amiable qui fonctionne tant que la mère l'accepte, et les juges dans ce cas entérinent ces situations. Soit ils se trouvent dans la configuration classique d'une résidence principale chez la mère avec un droit de visite classique pour le père, accepté par celui-ci. Le lien avec le père étant dans ce cas malgré tout maintenu, dans la mesure où il se satisfait d'un droit de visite, et dans la mesure aussi où le conflit conjugal apaisé permet la qualité de ce lien. D'où la difficulté pour ces pères en revendication d'une place à se situer, et se faire entendre dans ce contexte de tensions, alors que la société moderne demande justement aux pères de s'impliquer, d'être présent. Face à ces obstacles, les pères accueillis dans ces associations, s'orientent autour d'un travail d'apprentissage à la négociation afin d'apaiser au maximum le conflit, auprès des juges, et auprès de leur ex femme. Le but étant finalement de parvenir à voir leurs enfants, et éviter le risque le plus redouté, celui de l'éloignement de la mère avec les enfants, qui contribue avec le temps à rompre progressivement le lien du père avec les enfants.

La motivation des mères dans ces cas d'éloignement, aux dires des pères, pourrait relever parfois d'une volonté à mettre fin à la relation conjugale, faire « table rase du passé », au risque de priver ses enfants de leur père, pour éventuellement le remplacer par un beau père. Les pères quant à eux, semblent installés dans une stupeur indécise. Ce comportement de la part des femmes pourrait alors témoigner en quelque sorte de la difficulté pour ces dernières à se séparer de leurs enfants pour les laisser à un homme qu'elles n'aiment plus. Et si au nom de l'émancipation des femmes, il avait été question d'échapper à l'emprise des maris tout en gardant les enfants auprès d'elles, les hommes de leur côté, parviendraient difficilement à assumer leur rôle de père seuls, sans autorisation. Ainsi des pères rencontrés dans les associations relatent qu'ils ne peuvent accueillir leurs enfants un week end, ou une journée, par exemple, au motif d'un désaccord de la mère, ou quand le juge n'a pas encore statué sur la question. Face à ce déséquilibre, les conseils techniques donnés par les associations sont alors de l'ordre de l'information sur leurs droits, et d'une stratégie de défense afin de perdre le moins possible, au niveau des enfants. Se dévoilant maltraités psychologiquement, ils sont dans une posture d'apprentissage, d'aide à la négociation, pour trouver une place de parent à part entière. Leur combat porte sur le manque de soutien de la part des institutions, de reconnaissance, dans leur statut de parent.

Tous les sociologues s'accordent à dire que le grand bouleversement du XIXè siècle, aura été la libération des femmes, le changement révolutionnaire de la condition féminine. « les femmes étaient esclaves de la procréation, elles se sont affranchies de cette servitude immémoriale » ( Lipovetsky, 1997). A leur tour mais dans une démarche inverse, les hommes ont à s'affranchir de leur statut de procréateur tout puissant, par la paternité ; Dans la même logique que celle utilisée par Jack Goody pour expliquer l'évolution de la famille,( Goody, 2001) il n'y aurait pas une transformation linéaire d'un père autoritaire à un père relationnel (aimant, paternant), mais le modèle du père tout puissant fait place aux pères multiples. Dans le modèle du père autoritaire qui préexistait, des pères relationnels et affectifs, prodiguant des soins aux bébés, pouvaient exister. L'époque industrielle a aussi érigé la norme d'une division sexuelle des rôles, et pourtant le féminisme faisait son chemin. Le problème posé par la société de la nouvelle modernité, c'est non pas l'absence mais la multiplicité des modèles. Les pères ont ainsi la tâche à se chercher un rôle qui leur est propre, sans référence normative, à s'émanciper. Ainsi, contrairement aux femmes qui ont eu à s'émanciper de leur statut de mères et d'épouses, pour exister en tant que femmes libres et indépendantes sur la scène publique, l'enjeu pour le sexe opposé serait de s'émanciper en tant que pères, de leur statut d'hommes éloignés de la sphère privé, perçus comme seuls pourvoyeurs de fonds.

Si l'émancipation des pères peut être perçue alors comme une impasse au regard des pratiques individuelles et institutionnelles, marquées par la permanence des représentations traditionnelles des places parentales situant le père comme secondaire, il n'en demeure pas moins que la démarche de pères en situation de conflit conjugal, dans les associations, révèle, au-delà d'une revendication d'égalité, une dynamique d'apprentissage à un nouveau positionnement parental et à de nouvelles représentations, par l'expérience, la connaissance, et autour d'une quête de reconnaissance.

Ainsi dans cette optique, l'observation faite du nombre sensiblement en augmentation de séparations de couples avec des nourrissons, dès l'arrivée d'un enfant, voire avant la naissance, apparait me semble t il une entrée pour la poursuite de l'analyse. L'intérêt à poursuivre cette étude, au regard de l'évolution des rapports sociaux de sexes, serait d'analyser les nouveaux comportements qui s'opèrent à partir de ces situations de jeunes pères séparés. Eloignés de la mère et du bébé, il semblerait selon les témoignages relevés dans les associations, que des pères revendiquent leur place auprès du nourrisson. J'envisagerais donc dans cette optique pour approfondir la recherche de m'intéresser cette fois non pas aux pères des associations militant pour l'égalité parentale, mais élargir le terrain et circonscrire l'étude au public de pères séparés au moment de la naissance d'un premier enfant. Il s'agirait d'observer les nouveaux enjeux d'une évolution qui aurait enterrée l'époque des « filles mères » pour faire place aux pères, seuls, absents ou présents auprès de leur nouveau- né.

BIBLIOGRAPHIE

BECK.U. La société du risque. Chap.4 : « Je suis moi : Oppositions, relations et conflits entre les sexes à l'intérieur et à l'extérieur de la famille ». Paris, Alto Aubier, 1986.

BLÖSS.T. La dialectique des rapports hommes femmes. Paris, PUF, 2001.

BLÖSS.T. La dialectique des rapports hommes femmes. 1ère partie : Lien familial et reproduction des identités de sexe : « L'égalité parentale au coeur des contradictions de la vie privée et des politiques publiques », de Thierry Blöss. PUF, coll. sociologie d'aujourd'hui. Paris, 2001

BOUDON. R. L'Inégalités des chances : la mobilité sociale dans les sociétés industrielles. Paris, A.Colin, 1973.

BOURDIEU. La domination masculine. Ed du seuil, Paris, 1998.

CADOLLE, S. « La résidence alternée : ce qu'en disent les mères» Caisse nationale des Allocations familiales | Informations sociales. 2008/5 - N° 149. Pages 68 à 81

CASANOVA, A. « Figures du père et mouvements historiques des sociétés », in Casanova, Hurstel : « Quelle place pour le père ». La pensée, n°327, juillet/ septembre 2001.

CASTEL, R. Les métamorphoses de la question du social. Paris, Gallimard, 1995.

CASTELAIN MEUNIER. C. La place des hommes et les métamorphoses de la famille. Paris, PUF, 2002

CHAUSSEBOURG L. « La contribution à l'entretien et l'éducation des enfants mineurs dans les jugements de divorce » Infostat Justice, Ministère de la Justice., Paris, 2007

COMMAILLE, J et MARTIN, C. Les enjeux politiques de la famille. Bayard, Paris, 1998.

DEKEUWER-DEFOSSEZ, F. Rénover le droit de la famille : Propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps. Paris, La documentation française, 1999, 255 p.

DELIEGE R. Anthropologie de la famille et de la parenté. Armand Colin, Paris, 2005.

DE SINGLY, F. charges et charmes de la vie privée. PUF, 2001.

DE SINGLY, F. Le lien familial en crise. « La rue ? Parlons-en ! ». Ed Rue d'Ulm. Paris. 2007

DORTIER, J F, Dirs. Familles : Permanences et métamorphoses. Sciences Humaines Editions, Auxerre, 2002.

DUBET, F. « Le roi est nu » in Cahen G. (dir.) : « Le père disparu. Une conversation inachevée. » Paris, Autrement, coll. Mutations n° 226. 2004

DUBET et WIEVIORKA (Dirs) Du mouvement des femmes à la paternité contemporaine, Chapitre 2 : Castelain Meunier : « l'expérience du sujet ». Paris, Fayard. 1995. p.197-206

FITOUSSI, ROSENVALLON. Le nouvel âge des inégalités. Coll. Points. Ed du seuil, Paris, 1996.

GOODY, J. la famille en Europe. Paris, éd du seuil, 2001.

GUÉRIN, I. femmes et économie solidaire. Paris, la découverte, 2003.

HERITIER-AUGE, F. Parenté et filiation. Aspects anthropologiques. L'information Psychiatrique, 1989, n°5, p. 457-473.

JOURNET, N. « Les cinq leçons de parenté » de Maurice Godelier. Dossier : « Où va la famille ». Sciences Humaines. 2005, n° 156, p. 34-39.

LIPOVTSKY, G. La troisième femme. Paris, Gallimard, 1997.

MARTIN, C. L'après divorce. Rennes. Presses universitaires de rennes, 1997.

NEYRAND, G. « Autorité parentale et différence des sexes, quels enjeux ?: Recherches cliniques et sociologiques sur le couple et la famille ». Dialogue, 2004, 3éme trimestre.

NEYRAND, G. Le dialogue familial, un idéal précaire. Paris, Erès, 2009

RENAUT, M H : Histoire du droit de la Famille. Coll. Mise au point. Ed. Ellipses, 2003.

REVEL, J. La filiation .coll. « Que sais-je ? ». PUF, Paris, 1998.

ROUDINESCO, E. La famille en désordre. Paris, Fayard, 2002.

ROUSSEL. L. La famille incertaine. Paris, Odile Jacob, 1989

SEN.A. Repenser l'inégalité. Paris, Seuil, 2000

THERY, I. Le démariage, justice et vie privée. Paris, Odile. Jacob, 1993.

THERY, I. « Différence des sexes et différence des générations : L'institution familiale en déshérence. » in Malaise dans la civilisation. Revue Esprit. Décembre 1996.

THERY, I. Couple, filiation et parenté aujourd'hui : Le droit face aux mutations de la famille et de la vie privée. Paris, Odile Jacob/La Documentation française, 1998.

Articles

Barre, Vanderschelden. « L'enquête « Etude de l'histoire familiale » de 1999. Résultats détaillés. » Insee Résultats. Société n° 33 Août 2004

Problèmes politiques et sociaux. « Les rapports sociaux de sexe : permanence et changements ». La documentation française. n°732. Août 1994

Recherches familiales. « la filiation recomposée : origines biologiques, parenté et parentalité » Revue annuelle n°4 UNAF 2007

ANNEXES

Grilles d'entretiens........................................................................... p.107-109

Loi sur l'autorité parentale .................................................................p.110- 113

Grilles d'entretiens

-Dans ma première phase d'entretiens, les questions posées étaient les suivantes :

Situation matrimoniale

Age

Nombre et âge des enfants - Portent ils le nom du père ou de la mère (y a t il eu discussion)

Si séparation, depuis combien de temps ou divorce en cours

Mode de garde des enfants

Le père les voit il.

Distance géographique des parents

Taux de conflit dans le couple

Profession

Fréquentation de l'association : depuis combien de temps

Adhésion

Comment en avez vous eu connaissance

Connaissance des services sociaux ?

Qu'est ce qu'une famille pour vous

Comment concevez vous le rôle des parents : du père, de la mère

Dans la répartition des tâches au quotidien

L'éducation, le mode de garde, le temps de présence, suivi scolarité

Que signifie et que représente pour vous (le mouvement de) la condition paternelle

Ou SOS Papa

Justice Papa parité parentale

Quelles sont vos attentes auprès de l'association

-Pour la deuxième série d'interviews, ma grille d'entretien s'est présentée ainsi, avec la phrase introductive suivante :

Je fais une étude sociologique sur les places parentales, du point de vue des pères s'adressant à des associations telles que celle-ci

Pouvez-vous me dire

Depuis combien de temps fréquentez-vous l'association

Comment en avez vous eu connaissance et qu'est ce qui vous a conduit à vous adresser à ce type d'association

Profil

Age

Profession

Situation matrimoniale

Composition de la famille : nb et âge des enfants. Portent-ils le nom du père ou de la mère 

Séparation/ divorce : depuis combien de temps - taux de conflit. Accord ou non sur la séparation conjugale 

Mode de garde actuel des enfants

Distance géographique des parents

Attentes

-Quelles sont vos demandes

- un soutien une écoute

- des réponses à des questions, lesquelles

- des conseils pratiques de défense

Est ce que vous contestez une décision judiciaire, ou les demandes de la mère

Sur quels éléments : mode de garde, révision de la pension alimentaire.

Qui est à l'origine de la procédure

- Que souhaiteriez-vous

- une garde à égalité

- complète si vous le pouviez

- sans procédure judiciaire, comment verriez vous l'organisation de la garde, accepteriez vous dans ce cas que la mère garde les enfants

- payer ou ne pas payer de pension alimentaire

- une réconciliation avec la mère de vos enfants

- voir vos enfants que vous ne voyez plus, ou les voir plus souvent

Qu'est ce qui vous manque le plus dans votre relation avec vos enfants

Rôles- représentations

Qu'est ce que l'égalité parentale pour vous

Comment concevez-vous le rôle du père

- est-il essentiel que le père soit le principal financeur de la famille (unie ou désunie)

- est il plus à même que la mère de tenir le rôle d'autorité

- peut il tout comme la mère assumer les soins au quotidien de l'enfant à tous les âges, le nourrisson (nourriture, toilette, surveillance), suivi scolaire, loisirs.

- Vous même avec vos enfants vous vous occupez de quelles tâches, avant la séparation et maintenant

Un père peut il comme certaines mères assumer seul les enfants selon vous

Qu'est ce qu'être un bon père pour vous

Lien social

En dehors de l'association bénéficiez-vous d'un réseau familial, amical, des personnes vous soutiennent elles dans vos démarches

Entretenez vous des relations avec les autres membres de l'association, à l'extérieur, Partagez vous d'autres activités, initiatives

Vous adressez vous en parallèle à d'autres services, services sociaux ou autres

Que vous apporte le fait de venir aux permanences, réunions

Quelles modifications notez vous dans votre situation depuis que vous venez, quels changements avez vous vécu

Quelle est la priorité pour vous

Pensez vous que les rapports hommes femmes ont changé ou doivent changer et en quoi

Avez-vous le sentiment que la société évolue dans ce sens

Articles de lois sur l'autorité parentale :

ETABLISSEMENT :

CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers). Chaire de travail social

NOM :

AZEMAR

PRENOM :

CATHERINE

Année du JURY :

2009

FORMATION :

Master de recherche « Travail social, action sociale et société »

TITRE : L'émancipation familiale face aux institutions : Des pères séparés dans l'impasse 

RESUME :

L'histoire de la famille s'écrit avec celle des pères, notamment au décours de son institutionnalisation par le mariage. Avec le mouvement d'émancipation familiale et d'égalité des sexes, apparait une configuration de familles éclatées. L'augmentation des divorces et séparations, impulsée par l'essor démocratique et le féminisme, réactualise la question de l'égalité, parentale cette fois. Alors que les femmes ont eu à se libérer du joug familial, l'enjeu pour les hommes est celui de s'émanciper par la paternité. Pourtant l'absence de pères dits « défaillants » est déplorée face à une « surresponsabilisation » des mères.

Cette étude se propose de donner la parole à des pères séparés en revendication d'une place parentale. Une enquête qualitative réalisée dans trois associations parisiennes militant pour l'égalité parentale, auprès de quinze pères interviewés, met en exergue les tensions à l'oeuvre dans une société où cohabitent tradition et modernité.

Tour à tour inquiets, en colère, et désemparés, ces pères attendent un soutien et une aide juridique auprès de leurs pairs qui partagent leur expérience, dans l'espoir de voir plus souvent leurs enfants. Vivant des séparations conjugales conflictuelles, ils témoignent d'une impossibilité à faire valoir leurs droits parentaux au regard de l'exercice d'une coparentalité. Non reconnus, ils en appellent à la loi, et se disent trahis par les institutions.

La permanence de représentations sur la distinction sexuelle des rôles dans un mouvement égalitaire qui incite les hommes à s'impliquer dans la paternité, les confronte de fait à une impasse. L'alternative d'un repli les met alors au défi d'un travail de réhabilitation par le dialogue et l'apaisement du conflit.

MOTS CLES : conflit, égalité des sexes, égalité parentale, émancipation, famille, institution, pères, séparation conjugale

Nombre de pages (annexes comprises) : 113

* 1 Loi du 04 mars 2002 relative au nom de famille entrée en vigueur en 2005, permettant aux parents mariés ou non, de faire le choix du nom de famille des enfants

* 2 Voir à ce sujet :M. Foucaut et A.Farges. Le désordre des familles :lettres de cachet des archives de la Bastille

* 3 JJ Rousseau. Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. Librairie générale française. Paris, éd de 1996.

* 4 Selon l'auteur, La crise de l'institution familiale peut être perçue comme « l'effet paradoxal d'un progrès immense des valeurs démocratiques : l'accession des femmes à l'égalité »

* 5 I.Théry utilise là le terme de « désaffiliation » emprunté à R. Castel

* 6 Le terme de «  monoparental  » apparait en effet impropre du fait qu'il est attribué à la notion de famille, alors qu'il recouvre à l'origine celle de foyer pris dans le sens statistique.

* 7 Voir grilles d'entretiens annexe p-108- 110

* 8 Loi du 04 juin 1970

* 9 Voir annexe p.111

* 10 Formule qui renvoie au SAP (syndrome d'aliénation parentale), décrit en 1985 par Le Dr Gardner, pédopsychiatre américain. Il s'agirait d'un trouble exprimé par l'enfant, sous influence d'un parent endoctrinant, autour d'un dénigrement à l'encontre de l'autre parent, sans justification.

* 11 L'action de ces associations, néanmoins, viserait d'une part à faire modifier concrètement la législation sur les questions posées par la séparation des couples parentaux, d'autre part à faire évoluer les mentalités.

* 12 Entre 2003 et 2007,l'étude Babylus de TNS Sofres révèle que la prise de congé de paternité a continué de croitre : 69% des pères de bébés de 0 à 24 mois ont pris leur congé de paternité en 2007, pour 61% en 2003( dossier d'études n°111-2008).

* 13 Un prochain chapitre sera plus particulièrement consacré aux représentations

* 14 Le règlement direct des frais pour les enfants, même s'il est prévu, ne peut en effet s'envisager qu'en l'absence de conflit.






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery