I.2 Courants sur le genre
Les quelques notions données ci- dessous ne visent
qu'à éclairer les thématiques les plus fortes d'un
mouvement très vivant et donc toujours très mobile.
I.2.1 Ecriture comme « machine de guerre »
L'une des figures historiques des gender studies est
française, il s'agit de Monique Wittig dont le parcours intellectuel
apparaît tout à fait illustratif des thèses de fench
theory. Son premier roman L'Opoponax (prix Médicis en
1964) est salué par la critique internationale et les écrivains
du Nouveau Roman. Elle est également considérée dès
cette époque comme une figure marquante du féminisme
français. Très rapidement ses livres apparaissent comme une
volonté de travailler la langue en traduisant dans celle-ci les
problèmes de la sexuation. Elle s'oppose en cela radicalement à
un autre courant du féminisme qui voulait plutôt valoriser une
« écriture féminine ». Pour Monique Wittig la seule
vraie question est celle de la littérature : « En
littérature, je ne sépare pas les femmes des hommes. On est
écrivain ou pas ».
Elle apparaît également comme une grande figure
du mouvement lesbien en France. Estimant que le mouvement féministe
français ne prenait pas suffisamment en compte les thèses
lesbiennes, elle part pour les Etats-Unis en 1976. Elle enseigne alors à
l'université de Berkeley en Californie puis dans d'autres
universités américaines. Elle a fortement influencé et
inspiré une tendance de gender studies que l'on appelle le
mouvement Queer ou Queer theory.
Pour Monique Wittig l'oeuvre littéraire peut
transformer le monde en devenant une « machine de guerre » qui va
modifier notre vision du monde et les représentations qui sous-tendent
notre compréhension du monde. Pour elle « toute oeuvre
littéraire importante est, au moment de sa production, comme le cheval
de Troie » car « son intention et son but sont de démolir les
vieilles formes et les règles conventionnelles. Une telle oeuvre se
produit toujours en territoire hostile. Et plus ce cheval de Troie
apparaît étrange, nonconformiste, inassimilable, plus il lui faut
de temps pour être accepté. » (Communication orale reproduite
dans Vlastan n°4).
I.2.2 Instiller le trouble dans le « genre »
Judith Butler est une philosophe américaine qui
enseigne la rhétorique et la littérature comparée à
Berkeley. Dans son ouvrage majeur qui la fit connaître au monde entier
(gender Trouble) elle présentait ainsi les intentions de son
livre : « Pour démontrer que les catégories fondamentales de
sexe, de genre et de désir sont les effets d'une certaine formation du
pouvoir, il faut recourir à une forme d'analyse critique que Foucault,
à la suite de Nietzsche, a nommée
généalogie.» Il s'agit pour cela « de chercher
à comprendre les enjeux politiques qu'il y a à désigner
ces catégories de l'identité comme si elles étaient leurs
propres origine et cause alors qu'elles sont en fait les effets d'institutions,
de pratiques, de discours provenant de lieux multiples et diffus.» Le but
à atteindre étant défini par une volonté de
déstabiliser « le phallogocentrisme et
l'hétérosexualité obligatoire.» (introduction
à l'édition française). Il s'agit aussi de repenser
l'organisation sociale selon des modèles homosexuels ou transsexuels.
Dans l'un de ses derniers ouvrages (traduit en langue française par
le pouvoir des mots) elle veut montrer comment la violence verbale qui
s'exerce contre les minorités (sexuelles ou raciales) constitue un
discours profondément ambivalent. Ces discours peuvent être
analysés et du même coup retournés. Elle pense donc qu'il
ne faut pas confier à l'Etat seul le soin de décider ce qui est
dicible ou pas. Dans cet ouvrage elle reprend notamment la catégorie du
discours performatif qu'un auteur comme John Langshaw Austin avait
conceptualisée.
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