UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR FACULTE DES
LETTRES ET SCIENCES HUMAINES DEPARTEMENT DE PHILOSOPHIE
SUJET:
CULTURE ET PROGRES CHEZ HEGEL
Présenté par: Sous la direction
de:
Mr. Ousseynou Kane
Céline Ko Tine Maître-assistant
ANNEE UNIVERSITAIRE 2010-2011
In memoriam
A mon cher papa, André Pathé
Tine pour tout ce qu'il a fait pour moi. Papa, ce travail t'est
entièrement dédié, toi qui, malgré les moyens
parfois défectueux a voulu faire de tes enfants des personnes dignes et
respectueuses. Reçois ici l'expression de ma profonde gratitude et que
le Tout-Puissant t'accorde un repos éternel.
A feu professeur Sémou Pathé
Guèye avec qui nous avions débuté ce travail. Mr
Guèye, votre image restera toujours gravée dans notre
mémoire. Je vous dédie ce travail en signe de reconnaissance.
Merci.
A tous ceux qui ont contribué de prés ou de loin
à ma formation.
Merci infiniment.
Nos remerciements vont à l'endroit de Mr Ousseynou Kane
qui a bien voulu, malgré sa lourde responsabilité, diriger notre
travail après la disparition de notre cher Professeur Sémou
Pathé Guèye. Merci pour vos conseils que vous ne cessez de nous
prodiguer pour notre réussite. Nous ne saurions terminer sans attribuer
un sincère remerciement à Mr Oumar Dia qui nous a soutenu dans
l'élaboration de ce travail, aussi un grand merci à notre actuel
chef de département Mr Pierre Sarr. Merci pour tout.
A mes parents qui n'ont ménagé aucun effort pour
ma réussite et m'ont toujours soutenu. À ma maman
Véronique pour les prières et pour tout ce qu'elle ne cesse de
faire à l'endroit de ses enfants pour leur réussite. Nous te
souhaitons une longue vie, une santé de fer et beaucoup de bonheur.
Merci à mes frères Thomas, Luc Ali, Robert, Matthieu, Gilbert et
à mes soeurs Régina et Philomène, à ma belle soeur
Viviane Dia, à mon beau-frère Edouard Tine, à toute la
famille Tine depuis Pandiènou-Léhar, à tout le personnel
du centre St Augustin pour m'avoir aidé dans la
documentation. Mes sincères remerciements à toutes les soeurs de
l'institut Ste Jeanne d'Arc de Dakar pour leur soutien et leur
encouragement, à Mr Athie et à Tata Marthe du secrétariat
du Département de Philosophie pour leur disponibilité.
Merci à toutes mes amies qui m'ont soutenue, Soeur
Pascaline Thioro Ndione, Virginie Diouf, Maxime Mancabou, Cheikh Diop, Eveline
Sambou, Anne Mireille, Romélie, Joceline, Hélène Faye,
Caty Faye, à toute la famille Faye depuis les parcelles assainies pour
leur soutien constant à mon égard, Fatou Badiane,
Clémentine Mendy, Sira Diallo, à toutes mes copines de la
Faculté de Médecine particulièrement à Dr
Ngoné Souaré, Dr Marème Siga Tine, Dr Aússatou
Gassama, Adija Camara, Salamata Diallo, Viviane Ciss, Dr Marie Victoire
Sène, Mame Sané Ndiaye, Oulimata Diop, à tous mes
collègues du lycée de Ndoffane, à notre cher proviseur
Mbaye Thiam, à notre censeur. À mes tantes et oncles, à
mes cousins et cousines, à mes neveux et nièces. À tout le
corps professoral du département de philosophie, sans oublier mes
promotionnaires. MERCI DU FOND DU COEUR.
1
SOMMAIRE
SOMMAIRE 1
INTRODUCTION 2
PREMIERE PARTIE : GENESE DES CONCEPTS HEGELIENS DE CULTURE ET
DE PROGRES CHEZ CONDORCET ET KANT 9
CHAPITRE I : L'APPORT DE LA PENSEE CONDORCEENNE SUR LA QUESTION
DE LA CULTURE ET DU PROGRES 10
CHAPITRE II : KANT ET LA QUESTION DE LA CULTURE ET DU PROGRES
.20
DEUXIEME PARTIE : LA CONCEPTION HEGELIENNE DE LA CULTURE ET
|
DU PROGRES
|
. 30
|
CHAPITRE I : LE PROGRES DE LA CONSCIENCE
|
31
|
CHAPITRE II : LA TRAJECTOIRE DE L'HISTOIRE UNIVERSELLE
|
48
|
CONCLUSION
|
74
|
BIBLIOGRAPHIE
|
... 78
|
INDEX DES MATIERES
|
.86
|
TABLE DES MATIERES
|
88
|
INTRODUCTION
Une réflexion sur l'idée de culture et de
progrès, quels que soit l'époque et l'auteur sur lesquels elle
porte, implique une prise en charge de son objet aussi bien du point de vue
théorique que pratique. Ce qui revient à dire qu'il y a lieu,
dans une telle perspective, de commencer par un exposé qui prenne en
compte le sens exact de ces concepts. Le thème de notre étude
axé sur l'idée de culture et de progrès chez Hegel a fait
l'objet de nombreuses études dans le cours de l'histoire de la
philosophie.
Ainsi, dans la tentative de saisir l'essence de l'esprit
humain, autrement dit la manière dont l'esprit s'est formé dans
l'histoire, certains philosophes à l'instar de Condorcet et de Kant se
sont focalisé sur le statut de la raison. Une telle considération
s'explique par la place et le rôle importants qu'elle joue dans le
processus d'évolution ou de développement du genre humain. C'est
pour montrer le processus de formation de cette raison dans le cours de
l'histoire de l'homme que Condorcet présente, dans l'Esquisse d'un
tableau historique des progrès de l'esprit
humain1, le parcours de la conscience.
Dans cet ouvrage où il expose le sommaire trajet
historique de l'esprit humain, il retrace l'évolution de cet esprit
depuis l'état primitif des peuples jusqu'à la prise de conscience
réelle qui coïncide avec l'avènement de la science et de la
technique. Il pense qu'en partant de ce que l'homme a été et de
ce qu'il est maintenant, on peut effectivement voir comment s'est
déroulé le mode de progrès de la conscience humaine. C'est
ce qu'il exprime dans ces propos qui précisent le but de son ouvrage :
« Ce tableau est donc historique, puisque, assujetti à de
perpétuelles variations, il se forme par l'observation successive des
sociétés humaines aux différentes époques qu'elles
ont parcourues. Il doit présenter l'ordre des changements et exposer
l'influence qu'exerce chaque instant sur celui qui le remplace, et montrer
ainsi, dans les modifications qu'a reçues l'espèce humaine, en se
renouvelant sans cesse au milieu de l'immensité des siècles, la
marche qu'elle a suivie, les pas qu'elle a faits vers la vérité
ou le bonheur. Ces observations, sur ce que l'homme a été, sur ce
qu'il est aujourd'hui, conduiront ensuite aux moyens
1 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des
progrès de l'esprit humain, Paris, G.F Flammarion, 1988.
4
d'assurer et d'accélérer les nouveaux
progrès que sa nature lui permet d'espérer
encore2 » Autrement dit, l'évolution de la
conscience détermine son mode de progrès dans le cours de
l'histoire et par là, on voit que Condorcet, en s'appuyant sur des faits
généraux attestés, peut en extraire les principaux jalons
du progrès de l'espèce humaine. Ce qui revient à dire que
derrière ce tableau historique manifeste qu'il présente, se
trouve une problématique fondamentale, celle d'une évolution
latente de l'esprit humain, problématique qu'il n'a abordée
d'ailleurs que de manière superficielle.
Outre cet apport de Condorcet sur un tel sujet, un autre
auteur du même siècle comme Kant s'inscrit dans la même
dynamique de pensée consistant à montrer l'antagonisme qu'il
appelle « l'insociable sociabilité des hommes3
» comme le moteur de l'histoire. Ce principe illustre le processus de
formation de la conscience. Selon Kant, il s'agit du mode par lequel «
l'homme a alors parcouru les premiers pas, qui de la
grossièreté le mènent à la culture dont le
fondement véritable est la valeur sociale de
l'homme4» En d'autres termes, à travers cette forme
de l'insociable sociabilité se manifeste le processus
d'évolution de l'esprit qui dispose l'homme à vivre avec ses
semblables. C'est dans cette rivalité au sein de la
société qu'il acquiert son humanité véritable,
qu'il progresse de son état purement animal vers l'humanité
c'est-à-dire vers la culture.
Ainsi, chez Condorcet comme chez Kant, la problématique
de la culture et du progrès est considérée à partir
des seuls faits que témoigne l'histoire pour mesurer le degré
d'évolution de la conscience en partant du développement des
sciences et des idées morales. Et c'est justement cette culture et ce
développement de l'esprit humain qu'ils se sont attelés à
rechercher. C'est cette démarche dans la considération d'une
telle problématique que Hegel va rejeter. En effet, c'est dans
l'introduction à l'Esquisse qu'Alain Pons note à juste
titre cette différence : « au progrès linéaire et
« mécanique », à l' «
éclaircissement » graduel et continu de l'horizon
historique
2 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des
progrès de l'esprit humain, Paris, G.F Flammarion, 1988, p. 80.
3 E. Kant, Idée d'une histoire universelle
au point de vue cosmopolitique : in la Philosophie de l'histoire,
Paris, Ed. Gonthier, 1947, p. 31.
4 E. Kant, Op.cit., Paris, Ed. Gonthier,
1947, p. 31.
sous l'effet des lumières grandissantes de la
raison, Hegel et Marx substituent le progrès « dialectique
», qui intègre, de manière beaucoup plus
persuasive, le négatif, les côtés noirs de l'histoire, dans
le procès général menant à l'avènement de
l'Esprit absolu ou à celui de la société sans
classes5 » En d'autres termes, en lieu et place de la
méthode linéaire et mécanique de Condorcet et de Kant,
Hegel adopte une autre procédure. C'est la procédure dialectique,
celle par laquelle s'effectue le processus de culture de l'esprit vers la
vérité.
En effet, la référence à Condorcet et
à Kant dans une étude sur la notion de culture et de
progrès s'explique par le fait que Hegel s'est inscrit dans une
même perspective consistant à accorder une
prééminence à la raison. Ce statut de la raison chez lui
peut se lire dans ce passage de La raison dans l'histoire : «
la seule idée qu'apporte la philosophie, est la simple idée
de la raison -- l'idée que la raison gouverne le monde et que, par
conséquent l'histoire universelle s'est elle aussi
déroulée rationnellement6»
Autrement dit, cette considération de la raison comme
ce qui régit la marche du monde montre la corrélation qui existe
entre celle-ci et l'histoire. Dans cette perspective, nous pouvons dire qu'on
ne peut saisir le progrès de cette raison qu'en se rapportant à
l'histoire concrète. L'histoire constitue ainsi le terrain où se
déroule le processus de développement concret de l'esprit allant
de la modalité la plus élémentaire jusqu'à sa
réalisation effective. On comprend alors pourquoi Hegel soutient que
l'esprit seul est histoire dans la mesure où celle-ci permet de
décrire les différentes stations et figures par lesquelles il
doit passer avant qu'il ne soit esprit pur, savoir absolu.
Mais par rapport à cette notion d'histoire, il convient
de mentionner son sens dans ce contexte présent. Dans la même
dynamique de pensée, une précision s'impose pour montrer que chez
Hegel, l'histoire ne renvoie pas à des événements du point
de vue matériel mais, ici, il est question du processus de
développement ou plutôt du processus de culture de l'esprit
universel qui tend vers la réalisation d'un
5 La Préface d'Alain Pons à
l'Esquisse de Condorcet, p. 20.
6 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire,
Trad. et prés. de Kostas Papaioannou, Paris, UGE (Coll. « 10/18
»), 1965, p. 47.
6
but précis. Mais, on ne saurait aborder cette
problématique de la culture et du progrès sans définir au
préalable les concepts clés qu'elle renferme.
Voilà pourquoi, il nous faut, pour une meilleure prise
en charge d'un tel sujet, préciser le sens des concepts de culture et de
progrès. La culture renvoie chez Hegel à l'affirmation de
l'esprit qui, méme dans un autre, est chez soi. Gette
considération se justifie par le fait qu'il s'agit ici de la formation
ou plutôt de l'auto-formation de la conscience à travers
l'expérience phénoménologique que Hegel nous
décrit. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre que la
culture dont il est question n'est pas à considérer comme dans le
cas de la croissance organique caractérisée par un
développement harmonieux et spontané, mais est plutôt
à attendre au sens d'opposition. Cette opposition ne relève pas
d'une simple contingence mais implique le déchirement et la
séparation avant de se retrouver. Ainsi, il est opportun de noter que ce
processus de culture est constitué de figures et d'étapes par
lesquelles la conscience doit nécessairement passer, siéger en
chacun des moments particuliers avant d'accéder au savoir vrai.
Gela montre effectivement que c'est dans cette assimilation de
soi ou plutôt dans cet autodépassement de la conscience par
elle-même qu'elle acquiert une réelle prise de conscience qui
n'est rien d'autre que le mode par lequel elle accède à sa propre
culture. Mais dans la mesure où ce processus de culture ne peut
être appréhendé de manière concrète que dans
l'histoire, il convient de dire qu'il y a là l'idée d'une
extériorisation qui permet de voir comment s'effectue le progrès
à travers les différents concepts comme par exemple la raison,
l'individualité, l'état, la liberté etc. C'est pour
dissiper toute équivoque qu'il convient de noter que c'est à
partir de l'analyse des concepts tels que la raison, l'individualité,
liberté, l'état qu'il est possible de saisir le processus du
progrès dans le cours de l'histoire. Il faut mentionner que ce
progrès est animé d'un mouvement dont le moteur principal est la
contradiction et le négatif. Un tel principe trouve sa justification
dans le fait que la tension vers la réalité n'est pas
linéaire, il est plutôt fait de ruptures et de conflits.
Cette considération du développement de l'esprit
aura une portée considérable dans la pensée
hégélienne et plus précisément dans la thèse
principale qui structure tout son système et qu'on peut lire à
travers sa dialectique. Gela pose
une problématique fondamentale : si l'esprit humain ne
se réalise de manière concrète que dans l'histoire et si
le négatif apparaît comme le moteur de son développement,
cela revient-il à dire que c'est dans et par le négatif et la
contradiction que l'esprit parvient à la vraie réalité ?
Dans ce sens, il s'agit pour nous de montrer le processus de formation de la
conscience à travers les différents moments par lesquels elle
doit nécessairement passer et tels qu'ils se donnent à voir de
manière concrète dans le cours de l'histoire universelle et
comment, à partir de cette évolution, comprendre son
progrès.
De ce fait, si nous sommes partis, concernant la question de
la culture et du progrès de Condorcet et de Kant, c'est parce
qu'à travers leur pensée se dessinent les prémisses qui
permettront à Hegel de prendre en charge une telle problématique.
La considération de ces concepts chez Condorcet par exemple et la
différence de point de vue d'avec Hegel apparaît dès
l'introduction de l'Esquisse : « la raison qui est à
l'oeuvre dans l'histoire tel que l'entend Condorcet, n'est pas la raison «
rusée » de Hegel mais elle sait utiliser le mal, l'erreur, la
passion aveugle pour réaliser ses fins7.»
Autrement dit, la prééminence de la raison chez Hegel se
manifeste par le fait que les passions jouent un rôle essentiellement
important dans le processus d'évolution rythmé par des ruptures
qui sont la source du progrès tandis que chez Condorcet tout comme chez
Kant, le négatif n'est pas considéré au même niveau
dans le développement de l'esprit.
Une telle conception de l'évolution de l'esprit humain
dans la pensée hégélienne justifie dans une certaine
mesure le choix porté sur Hegel. Mais par-delà ce principe qui
justifie ce choix, s'ajoute un autre aspect qui concerne la rupture
établie par Hegel avec ses devanciers sur une telle problématique
et la spécificité dans la prise en charge de ces concepts. C'est
justement la nature de la formation de l'esprit et de son déploiement
vers la réalité qu'il veut mettre en lumière. Ainsi, chez
lui, le terme du développement de la conscience est dans le
dépassement permanent que celle-ci effectue sur elle-même en tant
qu'elle ne cesse de se poser et de s'opposer comme conscience supérieure
avant d'atteindre la vérité absolue.
7 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des
progrès de l'esprit humain, Introd. de Alain Pons, Paris, G.F
Flammarion, 1988, p. 49.
8
C'est par son propre mouvement que la conscience passe de
l'ignorance au savoir vrai, de la méconnaissance à la
connaissance authentique de soi par des efforts propres qu'elle déploie
pour découvrir, derrière l'apparence extérieure du monde,
la vérité qui fait que ce monde n'est en réalité
qu'une manière autre pour elle d'exister et de prouver son existence. Se
pose donc une consubstantialité entre la conscience et le savoir en ce
sens que la vérité, dans ce cas, n'est pas de l'ordre de
l'immédiat, mais le résultat d'un long processus. Ces
considérations sur la philosophie hégélienne permettent,
par rapport à notre étude, de justifier la problématique
de la culture et du progrès.
Pour mieux expliciter cette problématique de la culture
et du progrès, nous nous proposons de la présenter en deux
grandes parties : dans la première, il s'agira d'étudier la
genèse des concepts hégéliens de culture et de
progrès chez Condorcet d'abord puis chez Kant puisque à travers
leur pensée se dessinent les jalons de ce que seront de telles notions
chez Hegel. Dans la deuxième partie, nous chercherons à montrer
le processus de culture de la conscience à travers l'expérience
phénoménologique. Cette expérience met la conscience en
rapport avec la nature et en rapport avec elle-même. Mais dans la mesure
où la manifestation concrète de la conscience ne peut être
perçue que dans l'histoire, il s'agira de voir à travers
l'histoire le mode par lequel s'effectue le progrès à travers les
différents concepts et notions. Ce processus nous permettra
d'appréhender le mode de progrès de la conscience.
PREMIERE PARTIE :
GENESE DES CONCEPTS HEGELIENS DE CULTURE ET DE
PROGRES CHEZ CONDORCET ET KANT
10
CHAPITRE I : L'apport de la pensée
condorcéenne sur la question de la culture et du progrès
Le choix de Condorcet dans une étude consacrée
à la question de la culture et du progrès chez Hegel n'est ni
gratuit ni fortuit. L'importance que revét la pensée
condorcéenne dans une telle thématique réside dans la
particularité de sa démarche, notamment dans l'exposé des
différentes époques qui retracent le progrès de l'esprit
humain. C'est ce trajet de l'esprit qu'il décrit dans son ouvrage
intitulé Esquisse d'un tableau historique des progrès de
l'esprit humain et qu'il découpe en une dizaine
d'époques.
Ce découpage montre la manière dont l'esprit
s'élève de l'état le plus embryonnaire c'est-à-dire
le plus élémentaire à la pleine maturité si nous
nous référons par exemple à la terminologie kantienne. Le
tableau que dresse Condorcet sur le progrès de l'esprit humain
apparaît comme un bilan tiré à partir des faits
constatés dans l'histoire. C'est à partir de cette
démarche de Condorcet que nous allons appréhender la
pensée hégélienne comme le parachèvement de cette
problématique de la culture et du progrès. Ainsi, il s'agira de
montrer comment de telles notions sont prises en charge par Condorcet.
1- L'apologiste du progrès
Considéré comme l'une des figures
emblématiques du XVIIIe siècle mais également
comme un des grands théoriciens du progrès, Condorcet, à
l'instar de tous ses contemporains, a cherché, d'une certaine
manière, à montrer le véritable statut de la raison dans
le processus d'évolution de l'homme. En effet, il expose, à
travers son Es1111111111 iqu'on peut considérer à juste
titre comme une philosophie de l'histoire, le tableau historique des
progrès de l'esprit humain. Pour ce faire, il délimite dès
le départ le champ d'investigation de son projet en ces termes :
« je me bornerai à présenter ici les
principaux traits qui caractérisent chacune d'elles [chacune des
périodes de l'histoire] : je ne donnerai que les masses, sans
m'arr~ter ni aux exceptions ni aux détails8.
» En d'autres termes, le but de son projet n'est ni de se pencher sur
l'étude des différents peuples de l'histoire ni sur
l'étude des moeurs et des institutions mais bien au contraire : sa
tâche se réduit en une exposition « des progrès de
l'esprit humain 9» dans le souci « de rendre
compte de ces moments de stagnations, voire de
décadences10 » dont le seul protagoniste est
« l'esprit humain11
. »
De ce fait, dans cet ouvrage qu'Alain Pons considère
comme le testament du siècle des Lumières, Condorcet se
donne pour tâche de dégager le trajet évolutif de l'esprit
humain depuis l'état des populations primitives jusqu'au stade de
l'état actuel. La division de son Esquisse en neuf
époques dont une dixième qui pose les perspectives de
l'état à venir de l'espèce humaine montre effectivement
qu'il y a en l'homme un principe moteur qui le pousse sans cesse à aller
de l'avant malgré les tumultes inhérents à ce parcours.
C'est donc par le principe de perfectibilité qui apparaît comme un
élan vital et une force motrice que l'homme peut se frayer un passage au
milieu des épreuves qui jalonnent son chemin et c'est ce qui fonde
d'ailleurs sa confiance par rapport au développement de l'espèce
humaine .
Dans cette même dynamique de pensée, Condorcet
considère la première époque comme une étape qui
coïncide avec la réunion des hommes en peuplades qu'on pourrait
nommer l'état primitif de l'existence humaine. Ces peuplades constituent
un groupement humain ne formant pas encore une société
structurée. En effet, Condorcet affirme clairement et sans ambages son
optimisme par rapport au progrès du genre humain qui trouve son
expression dans le principe de la perfectibilité. Tout comme les
penseurs des Lumières, enthousiastes et optimistes quant à la
progression réelle que prend le cours de l'histoire humaine, il est
8 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des
progrès de l'esprit humain, Paris, G.F Flammarion, 1988, p. 89.
9 CONDORCET, Op.cit., p. 44.
10 CONDORCET, Op.cit., p. 44.
11 CONDORCET, Op. cit., p. 44.
12
convaincu de l'allure irréversible de la marche de
l'humanité vers le meilleur grace à une réelle prise de
conscience.
Ainsi, cette première étape du
développement de l'Esquisse qui marque la réunion des
hommes en peuplades correspond à une période où l'esprit
est plongé dans la substantialité naturelle, autrement dit, c'est
le moment où il n'a pas encore pris conscience de lui-même, de sa
véritable réalité. On retrouve d'ailleurs les échos
d'une telle thèse chez Hegel pour qui cette étape «
constitue le point de départ absolu dans
l'histoire12. » On verra donc, qu'au fur et
à mesure que l'homme invente de nouveaux matériaux, l'esprit se
déploie vers son affirmation. Cette lecture globale de l'histoire
à travers l'Esquisse permet de voir le progrès de
l'humanité vers son perfectionnement. En effet, c'est pour avoir une
saisie exacte de son projet qu'un retour au passé a paru
nécessaire pour mieux recueillir les éléments qui lui
permettent de poser les perspectives pour l'avenir. Le tableau
général exposé par Condorcet dans l'Esquisse
montre clairement la marche de la conscience humaine vers sa
réalisation dans la mesure où le statut du développement
constaté à chaque étape du processus ne permet en aucune
manière une régression vers l'état primitif.
Par ailleurs, il faut dire que ce processus par lequel
l'esprit acquiert une culture lui permet de se propulser dans la voie du
progrès et le met face à des réalités avec
lesquelles il doit entrer en relation pour pouvoir s'affirmer. Ce qui revient
à dire qu'il y a certainement des moments de tensions et de ruptures
dans le processus d'évolution de la conscience humaine. Mais à la
longue, du fait de l'identité des intérêts et des secours
mutuels, ces peuples finissent par se constituer en sociétés.
C'est ce qui ressort de ces propos de Condorcet où il affirme que :
« Les relations plus fréquentes, plus durables avec les mrmes
individus, l'identité de leurs intér~ts, les secours mutuels
qu'ils se donnaient, soit dans les chasses communes, soit pour résister
à un ennemi, ont dû produire également et le sentiment de
la justice et une affection mutuelle entre les membres de la
société Bientôt cette affection s'est transformée en
attachement pour la société
elle-même13. » En d'autres termes, une
12 G.W.F. Hegel, Principes de la philosophie du
droit ou droit naturel et science de l'État en abrégé
Trad. de Robert Dérathé, Paris, Vrin, 1993, § 187, p.
339.
13 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des
progrès de l'esprit humain, Paris, G.F Flammarion, 1988Paris, p.
92.
certaine cohésion est donc née des liens qui se
sont tissés entre les peuples partageant les mêmes
intérêts. C'est cela qui montre d'ailleurs la manière dont
l'homme a eu, face à l'urgence de certains besoins, à affronter
certaines réalités, à adopter les meilleures solutions
pour assurer son bien être. De ce fait, étant perfectible, l'homme
peut, tout en transformant le monde, se transformer soi-même et
transformer ses conditions d'existence en se créant un cadre de vie plus
favorable. Cela nous permet d'introduire la deuxième étape
où, de peuples pasteurs qu'ils étaient, ils passent à
l'état de peuples agriculteurs. Au fur et à mesure que l'homme
avance, il prend conscience de sa capacité créative et invente
l'écriture alphabétique qui établit une rupture totale
dans le changement des moeurs. L'intervention de l'écriture
apparaît dès lors comme le début du renversement des moeurs
qui est à l'origine des hostilités entre les peuples.
Cette période marque le début de la
troisième époque où l'uniformité de la progression
est brusquement interrompue car « les invasions, les conquêtes,
les formations des empires, leurs bouleversements vont bientôt
mêler et confondre les nations, tantôt les disperser sur un nouveau
territoire, tantôt couvrir à la fois un même sol de peuples
différents. Le hasard des événements viendra troubler sans
cesse la marche lente mais régulière de la nature, la
retarder souvent, l'accélérer
quelquefois14. » Du coup, il apparaît
évident que la capacité de l'homme à transcender
l'immédiat reste liée à sa nature. Cette
considération trouve sa justification dans le fait que malgré la
confusion qui règne parfois dans le déroulement des
événements, l'homme parvient tout de même à en
assurer l'équilibre. En effet, il a envers lui-même un devoir qui
s'impose comme un impératif, le sommant constamment et sans cesse
d'aller dans le sens du progrès. Une telle thèse fait d'ailleurs
échos chez Kant pour qui, l'autonomie de la raison est capitale pour
permettre un plein épanouissement de l'homme afin que le progrès
soit possible dans tous les domaines.
A cet égard, Condorcet mentionne que s'il y a un peuple
qui a joué un rôle particulièrement décisif dans la
réalisation de l'espèce humaine, c'est bien le peuple grec. En ce
sens, il magnifie l'ingéniosité de l'esprit grec dans la mesure
où il a
14 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des
progrès de l'esprit humain, Paris, G.F Flammarion, 1988, p. 105.
14
contribué de manière décisive à
l'émergence et au développement scientifique et philosophique,
« ce peuple qui a exercé sur les progrès de
l'espèce humaine une influence si puissante et si heureuse, dont le
génie lui a ouvert toutes les routes de la vérité, que la
nature avait préparé, que le sort avait destiné pour
être le bienfaiteur et le guide de toutes les nations, de tous les ~ges :
honneur que, jusqu'ici, aucun autre peuple n'a partagé. Un seul a pu
depuis concevoir l'espérance de présider à une
révolution nouvelle dans les destinées du genre
humain15. » A travers ces propos de Condorcet, il
faut reconnaître que le peuple grec s'est illustré par le
rôle essentiel qu'il a joué dans le domaine de la pensée.
C'est en ce sens qu'il convient de voir que la Grèce a constitué
un terrain propice à l'émergence et à
l'épanouissement des sciences en tant que tel. Et selon lui, la
Grèce n'a pu etre la terre d'élection de la philosophie et de la
science que parce qu'elle offrait à tous la liberté de penser.
Cette circonstance nous autorise à voir en la civilisation grecque la
principale source de ces impulsions décisives que reçurent les
sciences et les arts.
De plus, c'est une période qui marque un tournant
essentiel dans l'évolution de la raison car « ce fut le
caractère général de cette époque d'avoir
disposé l'esprit humain pour la révolution.16
» On voit chez ce peuple grec, une réelle détermination
à hisser la raison à son véritable statut, celui de
décider de l'exactitude ou non des choses qui peuvent se
présenter à son libre examen. La reconnaissance des droits de la
raison a permis un réel développement dans tous les secteurs
notamment dans le domaine de la science. Ainsi, avec l'avènement de la
science, l'homme est maintenant capable de créer un monde de
liberté intellectuelle, politique et sociale plus adéquate. Ce
moment du développement de la conscience dans la Grèce marque,
selon Condorcet, une étape essentiellement importante. On assiste
à l'essor des sciences dans tous les domaines avec les penseurs
grecs.
Par-delà cette considération sur le peuple grec,
vient la cinquième époque qui correspond au progrès
véritable des sciences dans la mesure où nous allons assister
à leur division qui va permettre à chaque domaine de
perfectionner ses méthodes comme par exemple la physique, l'astronomie,
la chimie etc. Cette floraison des
15 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des
progrès de l'esprit humain, Paris, GF Flammarion, 1988, p.
121.
16 CONDORCET, Op.cit., Paris, G.F Flammarion,
1988, p.185.
sciences va coïncider avec « la décadence des
lumières jusqu'à leur restauration vers le temps des croisades.
» C'est l'époque des conquêtes et de la domination qui
correspond à la sixième étape que Condorcet nous
décrit.
A propos de cette époque il affirme que « la
conquête avait soumis l'occident
des germes de liberté17 »
Cette liberté, une acquise, permettra à l'homme d'opérer
de géants progrès dans le domaine des sciences. Cela nous conduit
à voir que dans la septième époque qui signe « les
premiers progrès des sciences vers leur restauration dans l'occident
jusqu'à l'invention de l'imprimerie », l'apparition d'une nouvelle
technique sera à l'origine de l'expansion des écrits de certains
penseurs qui dénonçaient l'autorité et la tyrannie des
chefs.
Ce développement des sciences permettra de corriger
d'une certaine manière les moeurs. Condorcet veut montrer que le
développement des sciences est une occasion pour l'homme d'opérer
un changement aussi bien du point de vue qualitatif, c'est-à-dire dans
la manière d'appréhender les choses, que quantitatif, autrement
dit l'effort noté dans la réalisation de leur dessein. En effet,
malgré les troubles et les ruptures dans l'évolution de la
conscience, il convient de mentionner qu'il y a toujours un
développement ascendant qui tend vers la réalisation d'un but
bien déterminé. L'homme est un être de désir et
c'est ce qui fait qu'il est constamment poussé vers la satisfaction de
ce désir en usant parfois de tous les moyens pour l'obtenir.
Ensuite, vient la huitième époque qui va de
l'invention de l'imprimerie jusqu'au temps où les sciences et la
philosophie secouèrent le joug de l'autorité. Il est de ce fait
manifeste qu'après la tyrannie et l'anarchie observée à ce
stade, les hommes prirent conscience de la réalité en secouant la
domination de l'autorité. A partir de cette réforme, nous pouvons
voir les jalons d'une réelle prise de conscience. Cette prise de
conscience sera à l'origine des perspectives que Condorcet dégage
dans la neuvième époque qui marque le temps du rationalisme avec
des penseurs
17 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des
progrès de l'esprit humain, Paris, GF Flammarion, 1988, p.
167.
16
comme Descartes, Bacon etc. L'espoir renaît après
une longue période de tourmentes et de soumissions grâce à
la révolution opérée dans le champ de la pensée.
C'est ainsi qu'il pose, dans la perspective de cet espoir, une dixième
époque pour annoncer les « progrès futurs de l'esprit humain
». Cette époque peut être considérée comme un
projet d'avenir qui doit être réalisée dans une
échéance lointaine.
En parcourant ainsi les différentes étapes qu'il
présente dans son tableau, en considérant l'évolution de
l'esprit qui traduit en quelque sorte son élévation à la
culture à travers les époques, il apparaît de
manière presque certaine que la perfection de l'espèce humaine
est assurée et devrait déboucher sur les principes que sont
l'égalité et la liberté. Ceci justifie dans une certaine
mesure le caractère contradictoire et négatif qui se
dévoile dans la formation de la conscience humaine telle que le
décrit ici Condorcet dans l'Esquisse et qui explique par la
même occasion le progrès de l'esprit dans l'histoire.
En effet, Condorcet pose les différentes étapes
du développement de la pensée humaine en montrant les moments de
chutes, de tensions, de régressions mais aussi pour déceler les
épisodes qui ont ponctué le processus véritable du
progrès de l'homme. Il cherche en ce sens des repères, des points
d'appui, des références qui puissent lui permettre de faire la
jonction entre les différentes phases des progrès de l'esprit
humain et celles des événements clés dans le cours de
l'histoire. En d'autres termes, il veut étayer, par des faits, le
processus évolutif de l'esprit humain depuis l'état primitif des
hommes jusqu'à leur prise de conscience réelle. Il découle
du sommaire tableau établi dans l'Esquisse que le
progrès de la conscience entraine l'évolution de l'homme. En
relevant la correspondance entre les deux pôles à savoir les
différents moments de l'esprit et ceux des événements
déterminants de l'histoire, Condorcet cherche à établir la
rationalité dans le processus du développement de l'esprit
humain. C'est donc cette méme évolution que nous retrouvons aussi
chez Kant pour qui, l'antagonisme constitue un pilier fondamental dans
l'évolution de l'homme. En effet, à partir de cet exposé,
on voit parfaitement qu'il est resté optimiste quant au progrès
de la conscience qui implique, par la même occasion, le
développement de l'espèce humaine. Pour Condorcet, si ce
développement a atteint son apogée, c'est parce qu'on a
accordée à la raison humaine une autonomie lui permettant de se
déployer.
2- Le paradigme de l'autonomie de la raison humaine
Après avoir constaté l'optimisme de Condorcet
par rapport à la problématique du progrès, il convient de
mentionner que l'autonomie de la raison a été promue au premier
plan pour pouvoir se pencher sur cette question. C'est la croyance en cette
raison qui seule pouvait donner une nouvelle tournure à la vie de
l'homme. Mais comme le dit Condorcet dans son Esquisse, il faut mener
une lutte sans répit contre le dogmatisme religieux, le désordre
des moeurs, l'avidité des prêtres qui sont des pratiques
irrationnelles et qui ont suscité le mépris contre
ellesmêmes et soulevé l'esprit critique. En ce sens, Condorcet
écrit : « Plusieurs causes ont contribué à rendre
par degrés à l'esprit humain cette énergie, que des
chaînes si honteuses et si pesantes semblaient devoir comprimer pour
toujours L'intolérance des pritres, leurs efforts pour s'emparer des
pouvoirs politiques, leur avidité scandaleuse, le désordre des
moeurs, rendu plus révoltant par leur hypocrisie, devaient soulever
contre eux les Cmes pures, les esprits sains, les caractères
courageux18. »
Cet esprit courageux, faut-il le souligner, se manifeste par
la liberté d'esprit et la parfaite reconnaissance des droits de la
raison. Avec une telle attitude, c'est le dogmatisme qui prend fin au nom d'une
raison entièrement souveraine et autonome. Aux yeux de Condorcet, la
culture de la raison humaine ne pouvait être effective pour engendrer le
progrès que si on la débarrassait des préjugés.
Ainsi, l'homme peut non seulement s'améliorer, mais aussi
améliorer ses conditions d'existence. L'évolution de
l'espèce humaine peut certes etre interrompue par des ruptures, des
décadences provisoires mais de telles circonstances ne sauraient, en
aucune manière, freiner définitivement la marche de
l'humanité vers son perfectionnement effectif.
18 CONDORCET, Esquisse d'un tableau historique des
progrès de l'esprit humain, Paris, G.F Flammarion, 1988, p. 175.
18
En effet, nous retrouvons d'ailleurs les échos d'une
telle considération chez Denis Diderot pour qui, les ruptures et les
régressions au cours de l'histoire, tel qu'il le mentionne dans
l'Encyclopédie sont inévitables et apparaissent
même nécessaires à la formation de l'esprit pour pouvoir
promouvoir son progrès : « les révolutions sont
nécessaires; il y en a toujours eu, et il y en aura
toujours19 » Pour Diderot, si l'humanité a atteint
un certain stade de développement, cela est dû en grande partie
á ce développement de la raison qui a entrainé
l'évolution de la science et qui a été d'un apport
inestimable dans l'accélération du processus de la mise en valeur
des rapports entre les hommes. De ce fait, la science et partant la
philosophie, par leur caractère éminemment rationnel sont
parvenues á éveiller la conscience des peuples contribuant ainsi
á leur transformation. Celles-ci, dans la mesure où elles sont
porteuses du flambeau de la rationalité, constituent un puissant moteur
qui anime le mouvement de l'humanité vers sa réalisation.
Toutefois, pour Condorcet, la face sombre dans l'histoire du
progrès des sciences qui constitue une étape nécessaire
dans le processus d'évolution ne saurait être occultée. Les
découvertes scientifiques qui ont conduit au progrès dans le
domaine du savoir, de la technique, ont permis à l'homme
d'améliorer les conditions de son existence. C'est d'ailleurs le but de
la science et des arts que d'offrir à l'homme les moyens
nécessaires pour assurer sa survie et pour jouir des conditions les
meilleures. Mais, l'expérience nous montre que l'homme n'est pas
toujours fidèle á cet esprit ou cette vocation de la science,
á savoir la promotion et la protection de la vie dans toutes ses
dimensions. C'est dire combien l'homme peut etre imprévisible dans
l'usage qu'il fait des produits de la science et des arts. C'est cette
inconstance de l'homme qui l'amène parfois á emprunter le mauvais
penchant.
En ce sens, Condorcet est parfaitement conscient de cette
situation et ne doute donc nullement de la défaillance de la raison
humaine qui engendre des ruptures et des césures dans son processus
évolutif, mais une chose demeure certaine á savoir que l'homme
peut à tout moment se ressaisir et mettre de l'ordre dans l'apparent
chaos dans lequel il se trouve, chaos qui constitue le moteur même du
progrès dans
19 D. Diderot, Encyclopédie ou dictionnaire
raisonné des arts et des métiers, Introduction d'A. Pons,
Paris, GF Flammarion, 1986, p. 49.
l'histoire. En effet, tout comme Condorcet s'est donné
pour tâche de dégager, à partir des faits de l'histoire, la
trajectoire évolutive de l'homme, Kant essaie à sa manière
de cerner l'histoire à partir de sa conception de l'insociable
sociabilité des hommes. C'est là précisément
que Kant analyse le processus du développement de l'espèce
humaine en se focalisant sur la question de l'évolution de la raison.
20
CHAPITRE II : Kant et la question de la culture et du
progrès
Dans la mesure où l'homme est un être complexe
c'est-à-dire un être dont on ne peut saisir son véritable
essence, son évolution dans l'histoire peut être aborder sous
plusieurs angles. C'est dans ce sens que Kant, à la suite de Condorcet
et concernant la problématique de la culture et du progrès
concentre le débat sur ce qu'il nomme « l'insociable
sociabilité » des hommes. On voit par là qu'il se
focalise sur la sphère sociale pour analyser la formation de la
conscience humaine et ensuite montrer les jalons du progrès de celle-ci.
Ainsi, il s'agira de voir, par rapport à cette question de la culture au
sens de formation de l'esprit et du progrès entendu comme
évolution en tenant compte des différentes circonstances, comment
il expose une telle problématique dans sa pensée. Cela
étant, les prémisses posées par Kant ont été
une sorte de déclic dans le champ de la pensée philosophique.
1- La philosophie de l'éducation
Kant, en statuant sur son époque, montre qu'elle marque
l'accès de l'homme à un nouveau stade, ce qui revient à
dire qu'il est passé de l'étape élémentaire qui
signe « la sortie de l'homme de sa minorité20
» à l'étape supérieure qui, selon lui, coïncide
avec « la majorité21 ». En
réalité, le passage de l'homme de l'état d'ignorance
à la réelle prise de conscience montre bien qu'il est capable de
s'améliorer. C'est cette amélioration de sa nature qui le
projette dans un processus de développement de ses dispositions
susceptibles de donner une nouvelle orientation à sa destinée.
Poser la question de l'amélioration de l'homme revient à
introduire la question de son progrès. Mais tout d'abord, il y a lieu de
cerner les bases sur lesquelles doit reposer l'idéal d'un
véritable progrès.
20 E. Kant, Qu'est-ce que les Lumières ? in
La philosophie de l'histoire, Paris, Ed. Gonthier, 1947, p. 46.
21 E. Kant, Op. cit., Paris, Ed. Gonthier, 1947, p.
46.
En effet, c'est pour établir de tels principes que Kant
développe, dans sa visée anthropologique, toute une
thématique sur l'éducation du genre humain. La question du
progrès qui se pose est liée non pas à l'histoire
naturelle de l'homme qui renverrait peut-être à la trajectoire qui
va de l'état primitif ou état de nature à
l'humanité, mais à l'histoire morale. Cette histoire morale
montre comment à travers les différentes étapes, l'homme
est déterminé à s'inscrire dans la voie du progrès.
Mais, cette réalisation doit etre l'effort de tous les hommes car, dans
sa philosophie de l'histoire, il désespère de l'homme en tant
qu'individu isolé.
Voilà pourquoi Kant montre que l'homme n'évolue
réellement qu'au sein de la société où la
rivalité avec ses semblables l'amène à développer
ses dispositions naturelles. C'est dans cette sphère où il
évolue qu'il prend progressivement conscience de lui-même. Pour
lui, chaque homme est contraint de s'associer aux autres pour réaliser
ses propres fins, mais désire en même temps et pour le même
motif s'opposer à eux. C'est cette ambiguïté que l'on
retrouve chez l'homme, son « insociable sociabilité »
qui est la source de tous les progrès faits par l'humanité. A ce
propos, il écrit : « Le moyen dont la nature se sert pour mener
à bien le développement de toutes les dispositions est leur
antagonisme au sein de la Société, pour autant que celle-ci est
cependant en fin de compte la cause d'une ordonnance régulière
dans cette société J'entends par antagonisme l'insociable
sociabilité des hommes, c'est-à-dire leur inclination à
entrer en société, inclination qui est cependant doublée
d'une répulsion générale à le faire,
menaçant constamment de désagréger cette
société22. »
En d'autres termes, même si l'homme répugne
à vivre avec ses semblables, il ne peut se passer d'eux. C'est au sein
de la société qu'il dépasse son état animal par le
développement de ses facultés naturelles et se sent
véritablement homme ; c'est donc la société qui fait de
lui un homme. Cela témoigne de l'importance de la formation de
l'individu dans cette sphère et son processus vers la culture. Dans
cette perspective, Kant mentionne dans les Fondements de la
métaphysique des moeurs que
22 KANT, E. ,Idée d'une
histoire universelle au point de vue cosmopolitique : in La
philosophie de l'histoire, Ed. Gonthier, Paris, 1947, p. 31.
: « l'homme doit etre éduqué. L'homme
est le seul etre qui a besoin d'une éducation23 »
Ces propos parfaitement illustratifs posent le plan d'édification du
genre humain. En d'autres termes, le grand secret de la perfection de la nature
humaine réside en dernière instance dans l'éducation et en
ce sens, il relève, á certains égards, la capacité
de l'homme à s'inscrire dans l'arsenal d'un «
progrès conçu comme perfectionnement de soi à
travers la culture24. » Ce principe se justifie par le
fait que l'homme, par la culture qu'il acquiert dans la société,
théâtre de rivalité, se propulse dans la voie du
progrès.
En effet, même si une certaine ambivalence se
présente tout au long de la pensée de Kant, du fait de cette
notion d'insociable sociabilité, il n'en demeure pas moins vrai
qu'il défend l'idée d'un progrès moral, car l'homme,
malgré la présence en lui d'une certaine disposition qui
l'incline vers le mauvais penchant, est capable de se ressaisir pour emprunter
le droit chemin. Cela signifie que même si en apparence l'homme entre en
permanence en conflit avec ses semblables, il est un être en devenir qui
acquiert sa culture en société. Cette vie en
société est donc une nécessité et non pas le
résultat du choix des individus. Et la conséquence que Kant en
tire est que l'homme doit prendre conscience qu'il est contraint d'accepter ce
qui s'impose à lui et qui constitue le moyen par lequel il peut
accéder à un véritable développement. Ainsi, on
peut effectivement dire que ce progrès de la conscience s'effectue
á travers l'histoire. Cela signifie que le progrès de la
conscience détermine d'une certaine manière le progrès de
l'histoire.
22
23 E. Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs,
Paris, Vrin, 1992, p. 41.
24 E. Kant , Op.cit., Paris, Vrin, 1992, p.
40.
2- La philosophie de l'histoire
Certes, l'homme a besoin d'une éducation, mais
l'histoire nous enseigne comment il a progressivement traversé les
différents échelons pour aboutir à une finalité. La
manière dont s'effectue cette évolution montre que malgré
les ruptures, il n'est pas question de nier tout signe de progrès dans
l'histoire. Soutenir une telle version, c'est rendre vaine l'idée du
progrès de l'humanité. D'ailleurs, c'est ce qu'entend Kant quand
il affirme que : « Retomber dans le pire ne peut constamment durer
dans le genre humain : car descendu à un certain degré, il
s'anéantirait luimrme. C'est pourquoi, quand s'accumulent en montagnes
de grands forfaits et de maux qui leur correspondent, l'on dit : Ce ne peut
maintenant empirer; nous voici au dernier jour; le pieux visionnaire rêve
déjà du retour de toute chose et d'un monde renouvelé
quand celui-ci aura péri par le feu25.
»
Cela signifie que ce processus par lequel l'homme
accède à sa réalisation fait état d'une
considération qui montre que, bien qu'étant capable par son
ingéniosité de créer les plus grandes merveilles, il est
en mesure de les détruire d'un seul coup et c'est ce qui rend compte du
caractère équivoque de son action. Sous ce rapport, se pose une
ambiguïté à propos même de la notion de progrès
dans l'histoire puisqu'il y a une succession de bonnes et de mauvaises actions.
S'exprimant sur cette ambiguïté dans l'action de l'homme Kant
écrit : « le principe du mal dans la nature humaine ne
paraît donc pas précisément amalgamé avec celui du
bien, mais ces deux principes semblent plutôt se neutraliser l'un par
l'autre; le résultat en serait l'inertie (appelée ici état
stationnaire), une activité à vide, pour faire alterner le bien
et le mal par progrès et recul, en sorte que tout le jeu du commerce
réciproque de notre espèce sur le globe devrait être
considéré comme un pur jeu de marionnettes; ce qui, aux yeux de
la raison, ne peut lui conférer une valeur plus grande qu'aux autres
espèces d'animaux qui pratiquent cet amusement à moins de frais
et sans dépense
d'intelligence26. »
25 E. Kant, Le conflit des facultés,
Paris, Vrin, 1988, p. 96.
26 E. Kant, Op. cit., Paris, Vrin, 1988, p.
97.
24
Il convient d'attendre par là que tout se passe comme
si cette altercation entre ces deux opposés, à savoir le bien et
le mal, rend vaine toute idée d'évolution puisque leur
négation réciproque renseigne sur l'absence de progrès
dans l'histoire. Cette vision réduit à néant les efforts
de l'homme qui peuvent propulser l'humanité dans une marche
irrémédiable vers une réelle prise de conscience. Mais au
fond, il apparaît clair qu'il y a un réel développement.
Les moments de chute dans le cours d'évolution de l'esprit humain ne
doivent pas occulter la possibilité pour l'homme de se ressaisir. Chaque
moment de déchéance doit être considéré comme
un moment essentiel qui lui permet de réaliser un grand bon en avant et
c'est cela méme qui détermine son évolution.
Une telle considération peut se justifier car pour
Kant, si l'insociable sociabilité des hommes constitue le
moteur du progrès, il est évident que l'histoire humaine est
ainsi faite et c'est sur des ruines que s'est construite toute la trajectoire
de notre humanité. Une telle considération se retrouve d'ailleurs
chez Hegel qui constate « que nous marchons au milieu des
ruines27 » Ce fait atteste de la contradiction que l'on
retrouve dans le cours de l'histoire et qui en constitue
l'élément essentiel. Mais, bien que profondément
attaché à la pensée des Lumières, Kant a bien pris
conscience de la démence qui habite parfois l'homme. Il est parfaitement
conscient que l'histoire est faite de contradictions, d'oppositions et de
conflits. Mais, pour lui, il y a un plan de la nature selon lequel les
dispositions naturelles tendent à leur réalisation
intégrale. Toutefois, cette réalisation est toujours faite de
tentatives répétées.
Il découle de ce constat que la présentation des
actions de l'homme sur la grande scène de l'histoire et qui ne
s'achève jamais, apparaît dans une certaine mesure comme une
monotonie. En effet, ce qui apparaît comme nouveau dans les
événements de l'histoire n'est pas en tant que tel nouveau, ce
sont des choses qui se sont passées et qui reviennent sous d'autres
formes. Ce principe qui résume le déroulement des
évènements dans le cours de l'histoire comme étant les
mémes choses mais d'une autre manière et qui rappelle, à
peu prés l'éternel retour chez
27 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE
(Coll. « 10/18 »), 1965, p. 54.
25
Friedrich Nietzsche, traduit effectivement l'évolution
qui s'opère à travers des moments de ruptures et de tensions. Ce
rapprochement de la pensée nietzschéenne de celle de Kant permet
de voir la manière dont s'effectue le déroulement des
événements, mais il est important de mentionner qu'il n'est pas
aussi catégorique que Friedrich Nietzsche et Arthur Schopenhauer sur la
question puisque pour lui on peut toujours trouver du nouveau dans le cours de
l'histoire.
En réalité, la rupture qui s'opère dans
ce processus ne vise pas à éluder l'étape
précédente en la niant purement et simplement, mais en la
transformant d'une autre manière. Ce système retrace exactement
la procédure dialectique telle qu'elle a été
énoncée depuis Héraclite. Ainsi donc, toute l'histoire de
l'humanité s'est élaborée sur de telles bases et ne peut
se lire qu'en tenant compte de tous ces paramètres qui constituent sa
sève nourricière. Une telle considération trouve sa
justification dans le fait que lutte et violence constituent la cadence qui a
rythmé et qui rythme encore la trajectoire historique de l'homme.
Voilà pourquoi Kant présente cette histoire
comme une scène où se joue tout le scénario et où
se déroulent toutes les étapes allant de l'état le plus
embryonnaire du développement de l'homme à la prise de conscience
effective de sa véritable identité. Le progrès de
l'humanité n'est pas automatique, il renferme des étapes au cours
desquelles l'homme est contraint d'investir toutes ses potentialités
aussi bien intellectuelles que morales pour se frayer un passage au milieu des
tumultes qui peuvent jalonner son parcours. Pour autant, il faut mentionner que
la signification véritable de l'histoire ne peut être
perçue qu'à travers la trajectoire de sa direction, sillage vers
lequel l'homme tend pour sa réalisation intégrale. Si le
progrès dans l'histoire n'est repérable ni du côté
de la science ni du côté de la technique, il faut dire qu'il
s'agit d'un progrès de la conscience qui n'est effectif que dans et
à travers le développement de l'histoire.
Par-delà toutes ces considérations, Kant reste
optimiste et défend la thèse du progrès humain vers le
mieux; il est convaincu que l'humanité atteindra sa destination
malgré tous les points de ruptures et les conflits qui peuvent
intervenir. L'homme, bien qu'étant capable des pires maux qu'il
s'inflige à lui-même, peut à tout moment se ressaisir et
redonner une posture normale au cours du processus.
C'est en ce sens que Kant affirme : « Si l'on
constatait que le genre humain, considéré dans son ensemble, a
marché en avant et qu'il a été en train de progresser un
certain laps de temps, aussi long que l'on voudra; personne ne peut cependant
garantir que maintenant, en ce moment précis, n'apparaisse, par suite de
la constitution physique de notre espèce, l'époque de sa
régression; et inversement, si l'on recule, et que, dans une chute
accélérée, on aille vers le pire, on ne doit pas
désespérer de trouver le point de conversion [...], là
oft, grâce à la complexion morale de notre espèce, la
marche de celle-ci se tourne de nouveau vers le mieux. Car nous avons affaire
à des êtres qui agissent librement; auxquels, à la
vérité, on peut à l'avance dicter ce qu'ils
doivent faire, mais auxquels on ne peut prédire ce
qu'ils feront et qui, du sentiment des maux qu'ils se sont
infligés à eux-mêmes, savent tirer, au cas oft cela se
gâte sérieusement un motif renforcé pour faire encore mieux
que ce n'était avant cet état28.
»
En d'autres termes, dans le processus qui mène l'homme
á son affirmation, il arrive des moments de chutes et de
régressions au point de ne considérer que cet aspect
négatif dans le cheminement. Ce négatif constituant le moteur
même du progrès montre qu'il ne faut pas désespérer
de l'homme car il dispose d'une liberté qui lui permet de s'orienter
quelles que soient les contraintes. Ces propos permettent de voir que la
liberté de l'homme doit pouvoir le diriger vers ce qui favorise l'ordre
et la stabilité de son espèce.
On peut repérer á travers ces lignes, qu'en
dépit de l'action des hommes, il y a l'insociable sociabilité
qui apparaît comme le principal moteur de l'histoire. Le but que les
hommes poursuivent à travers l'histoire n'est en aucune manière
contraire á celle de la nature, ce qui fait dire á Kant que
« la nature a voulu que l'homme tire entièrement de lui-mrme ce
qui dépasse l'agencement mécanique de son existence animale et
qu'il ne participe à aucune autre félicité ou perfection
que celle qu'il s'est créée lui-mrme, indépendamment de
l'instinct par sa propre raison29. »
L'idée que la nature ne fait rien en vain parce qu'ayant un dessein bien
précis recoupe la thèse que
28 E. Kant, Le conflit des facultés,
Paris, Vrin, 1988, p. 98.
29 E. Kant, Idée d'une histoire universelle
au point de vue cosmopolitique : in La philosophie de l'histoire,
Ed. Gonthier, Paris, 1947, p. 29.
27
Kant défend et qui consiste précisément
à montrer que l'aventure humaine prend parfois une tournure qui tend
certes par moments vers la régression, mais, grâce aux
dispositions naturelles et par son ingéniosité, l'homme parvient
à se faire ce qu'il est réellement.
C'est à partir de là qu'intervient une autre
dimension de la pensée kantienne qui est la volonté. Toutes les
actions que l'homme accomplit doivent être mesurées à sa
volonté, ce qui revient à dire que, s'il effectue un quelconque
acte, c'est parce que cela relève de sa volonté puisqu'il jouit
pleinement de sa liberté. Etant donc un être libre et responsable,
il est conscient de tous ses actes qui peuvent contribuer, dans une certaine
mesure, à son devoir-être.
Ainsi, il faut reconnaître que l'ambitieux plan
dégagé par Kant dans l'histoire de la philosophie s'inscrit dans
un souci d'asseoir un récit cohérent sur la problématique
du progrès du genre humain vers sa réalisation effective. Mais,
il montre que l'homme ne peut espérer une réalisation effective
de ses fins que dans la société. A ce propos, Kant note que
« ce n'est que dans la société, et plus
précisément dans celle où l'on trouve le maximum de
liberté, par là mrme un antagonisme général entre
les membres qui la composent, et où pourtant l'on rencontre aussi le
maximum de détermination et de garantie pour les limites de cette
liberté, afin qu'elle soit compatible avec celle d'autrui ; ce n'est que
dans une telle société, disons-nous, que la nature peut
réaliser son dessein suprime, c'est-à-dire le plein
épanouissement de toutes ses dispositions dans le cadre de
l'humanité30 ». Autrement dit, la
sphère sociale apparaît comme le milieu dans lequel l'homme peut,
malgré l'opposition qui y règne, jouir de sa liberté.
Cette considération montre qu'il y a toujours cette pulsion constante
qui indique, d'une manière ou d'une autre, que l'espèce humaine a
cette aptitude qui fait de lui le principal artisan du progrès.
Dans tous les cas, une vision prospective sur le futur
pourrait s'avérer trop ambitieuse si l'on prend en compte
l'indétermination de l'action humaine, mais il est opportun de signaler
que la nature réussit toujours, en partant d'un plan précis et
30 E. Kant, Idée d'une histoire universelle au point
de vue cosmopolitique : in La philosophie de l'histoire, Ed.
Gonthier, 1947, p. 33.
défini, à réaliser ses fins. Ce faisant,
le double penchant de l'homme, tantôt bien, tantôt mal, nous laisse
perplexe dans l'adoption d'un point de vue, ou mieux, dans la vision future du
progrès. Le progrès donc, sous cet angle, ne peut advenir sans
entraves. Dès lors, il est impossible à l'homme de prédire
son destin, ce que nous dit Kant quand il affirme que : « le malheur
est précisément que nous ne puissions pas nous placer à ce
point de vue quand il s'agit de prévoir des actions libres. Car ce
serait celui de la Providence, qui est au delà de toute sagesse
humaine, et qui s'étend aussi aux libres actions de
l'homme31. » En d'autres termes, puisque l'homme
ne peut pas prédire avec exactitude son futur, il revient à la
Providence de se positionner quant à la visée prophétique
de l'humanité. Cette référence à la Providence est
très récurrente dans les textes de Kant, car il tire souvent ses
exemples des livres saints comme en atteste son écrit intitulé
Conjectures sur les débuts de l'histoire humaine où il
mentionne explicitement sa référence à la Genèse.
Cette tentative de s'en remettre à la Providence illustre d'une certaine
manière l'imperfection de l'homme et la main de Dieu derrière
toutes ses actions. Dieu, figurant comme l'être parfait par excellence,
est garant de l'évidence, autrement dit de la vérité. Le
décalage établi entre l'homme et la Providence apparaît
alors clairement à travers la volonté de s'en remettre à
cette dernière.
Ainsi, il affirme dans La religion dans les limites de la
simple raison que : « le monde progresse
précisément en sens contraire, du mal vers le mieux, sans arrtt,
(il est vrai d'une manière à peine sensible) et que au moins on
trouve une disposition à cet égard dans la nature
humaine32. » Le pouvoir que l'homme a sur la
nature au point de devenir « son maître et possesseur
» selon l'expression de Descartes, lui confère un immense
privilège sur son statut. Cette idée cartésienne est
d'ailleurs partagée par Kant en ce sens que pour lui, l'homme est le
seul etre de la nature doté d'une raison qui lui permet de
dépasser le stade de la grossièreté pour s'élever
à la technique la plus poussée. En effet, la vocation de l'homme
étant sa réalisation, l'action figure un élément
essentiellement important dans ce processus et la raison, son principal
guide.
31 E. Kant, Le conflit des facultés,
Paris, Vrin, 1988, p. 99.
32 E. Kant, La religion dans les limites de la
simple raison, Paris, Vrin, 1994, p. 65.
29
Une telle considération montre toute l'importance
accordée à la raison et qui a permis aussi bien à
Condorcet et à Kant de cerner son processus d'évolution et de
décrire par là même le progrès de la conscience de
l'homme dans le cours de l'histoire. Dans ce sens, il est opportun de souligner
qu'ils ont développé des concepts sur cette problématique
et que nous retrouvons d'ailleurs chez Hegel.
Mais, dans leur tentative, ils se sont seulement fondés
sur les faits attestés de l'histoire pour analyser le
développement de la raison humaine et c'est ce qui explique d'ailleurs
que leur méthode soit considérée comme mécanique et
linéaire. C'est dans ce sens que Hegel va établir une rupture
radicale avec la perspective de ses devanciers pour mettre en place la
méthode dialectique qui structure tout son système et qui lui
permet de prendre en charge, dans une telle problématique, la formation
de la conscience à travers les différentes étapes par
lesquelles elle accède à son universalité.
DEUXIEME PARTIE :
LA CONCEPTION HEGELIENNE DE LA CULTURE ET DU
PROGRES
31
CHAPITRE I : Le progrès de la conscience
Dans le sillage de la perspective inaugurée par ses
devanciers comme Condorcet et Kant sur la problématique de la culture et
du progrès, Hegel décrit le processus par lequel la conscience
accède á la réalité ou plutôt á la
culture. Mais á la différence de ses devanciers, il introduit une
nouvelle méthode qui aura un impact considérable dans la suite de
la pensée philosophique. C'est ce changement de perspective et cette
originalité dans sa démarche que Jean Hyppolite veut indiquer
lorsque parlant de Hegel, il affirme que : « ce qui intéresse
notre penseur, c'est de forger des concepts nouveaux aptes à traduire la
vie historique de l'homme, son existence dans un peuple ou dans une
histoire33 » En effet, Hegel s'attache dans un premier
temps, á mettre en exergue les différentes étapes qui
ponctuent l'ascension de la conscience á la vérité
à travers l'expérience phénoménologique et dans un
second temps á montrer la prééminence de la raison et son
rôle dans l'évolution de l'histoire. Ainsi, c'est ce processus de
culture que nous retrouvons d'ailleurs dans La phénoménologie
de l'esprit et qui décrit le mode de progrès de l'esprit
Dans ce processus vers la vérité, il convient de
mentionner que le sujet est dans une relation de mise en rapport avec la nature
et avec soi-même. Cette relation entre le sujet et ces autres
réalités permet de voir que dans l'évolution de la
conscience vers son affirmation á travers les différentes
étapes, il y a des moments de tensions et de ruptures dans le passage
d'une étape à une autre. Il sera donc question dans cette partie
de faire ressortir le processus d'évolution de la conscience á
travers les différentes épisodes telles qu'elles se donnent
á voir dans la phénoménologie hégélienne.
33 J. Hyppolite, Introduction à la
philosophie de l'histoire de Hegel, Ed. du Seuil, 1983, p.13.
1- La dialectique de la conscience
C'est à travers le développement
phénoménologique que Hegel décrit le mode par lequel le
sujet accède à la vérité, à la culture. Ce
processus rend compte des étapes par lesquelles le moi doit
nécessairement passer à savoir la conscience, la conscience de
soi et la raison avant d'atteindre la pleine réalisation de soi et
devenir esprit. La manière dont la conscience acquiert sa culture ne lui
est pas imposée de l'extérieur, cette compréhension est
son effort propre, un travail qu'elle accomplit elle-même, ce qui revient
à dire que c'est à partir de sa propre aliénation qu'elle
va retrouver son véritable être. Cette odyssée de la
conscience nous rappelle, à certains égards, le retour d'Ulysse,
qui, après la guerre de Troie, veut retrouver son Ithaque natal, mais il
est entrainé dans une errance dramatique de plus d'une dizaine
d'années. Sur le chemin du retour, malgré les multiples assauts
qui se sont dressés devant lui, il est parvenu tout de même
à les surmonter.
Le retour dont il est ici question consiste à refaire
les différentes étapes et figures déjà
tracées mais en partant de son propre initiative. C'est ce meme
itinéraire que Hegel va expérimenter dans la
Phénoménologie de l'esprit si nous nous
référons à son projet qu'il va y développer :
« La vraie figure dans laquelle la vérité existe ne peut
être que le système scientifique de cette vérité
Collaborer à cette tâche rapprocher la philosophie de la forme de
science ~ ce but atteint elle pourra déposer son nom d'amour du
savoi r pour être savoir effectivement
réel - c'est là ce que je me suis
proposé34 » Il convient de signaler que ce projet
de Hegel vise non seulement à montrer le mode de formation ou de culture
de la conscience, mais aussi et surtout la manière dont la science s'est
constituée. En nous focalisant sur la description
phénoménologique de la conscience, nous pourrons
appréhender comment l'esprit, à travers les différentes
figures ou étapes, a effectué son processus de culture.
34 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de
l'esprit, Trad. de Jean Hyppolite, Paris, Aubier Montaigne,
Préface, 1939, t. I, p. 8.
33
Ainsi, tout comme le retour d'Ulysse dans son Ithaque natal,
l'esprit va aussi connaître le même scénario dans
l'expérience qu'il aura à effectuer vers son affirmation,
laquelle affirmation ne signifie rien d'autre que son processus de formation ou
de culture. En effet, la première phase du processus de
développement coïncide avec le rapport que cette conscience
entretient avec elle-même. Dans ce sens, il convient de souligner que le
moi est dans une situation de conflit interne. Autrement dit, dans cette mise
en rapport et du fait même de sa nature, il est dans une situation
où il ne se limite qu'à l'immédiat c'est-à-dire au
simple donné sensible . Il considère l'objet en face de lui comme
étant le vrai parce qu'il ne s'en tient qu'à ce qui est
présent. S'il en est ainsi, on peut dire alors que sa connaissance de
l'objet sera, dans une certaine mesure, limitée.
Sous ce rapport, la connaissance du réel étant
donc immédiate, il convient de remarquer que dans cette relation, il n'y
a rien qui altère l'objet de connaissance. Nous retrouvons une telle
considération de la connaissance au niveau de la certitude sensible dans
laquelle le savoir de l'objet se présente sous la forme de l'ici
et du maintenant En effet, le sujet ne connaît de l'objet
que ce qui se donne à voir et cela implique que la vérité
qui en découle ne peut être que pauvre car ne se focalisant que
sur le paraître c'est-à-dire sur l'apparence. C'est ce qu'exprime
Hegel en disant que « cette certitude se révèle
expressément comme la plus abstraite et la plus pauvre
vérité. De ce qu'elle sait elle exprime seulement ceci : il est ;
et sa vérité contient seulement l'être de la
chose35. » En d'autres termes, puisque la conscience ne se
limite qu'à l'aspect extérieur de la chose à
connaître, elle ne peut avoir qu'une vérité pauvre par
rapport à cet objet de connaissance.
Dans un tel contexte, le moi se retrouve dans une situation
où il est maintenu comme prisonnier ce qui fait d'ailleurs qu'il ne
produit qu'un savoir immédiat. Etant donné une telle situation,
il ne peut aboutir qu'à cette pauvre vérité puisque les
différents aspects par lesquels la connaissance s'exprime ne changent
pas, autrement dit, elles restent statiques alors que le sujet doit s'affirmer
pour accéder à l'universalité. Cela signifie que dans la
mesure où le sujet est dans l'immédiateté, il ne peut
produire qu'une connaissance immédiate. Cette mise en rapport montre
la
35 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de
l'esprit, Paris, Aubier Montaigne, 1939, t. I, p. 81.
liaison qui existe entre le sujet et l'objet. Ce qui est
visé dans cette expérience ce n'est pas cette
vérité de l'objet qui se donne à voir au premier regard
autrement dit la simple forme de cet objet, mais la vérité telle
qu'elle est en soi c'est-à-dire la vérité telle qu'elle
est appréhendée à partir de l'essence même de la
chose, ce que celle-ci est réellement.
En effet, pour Hegel, l'ascension de la conscience vers la
réalité nécessite la négation de son
immédiateté ou de son être-là. Ce renoncement
à l'immédiateté met la conscience en rapport avec la
nature, rapport qui va déboucher sur une situation de violence ou
même de conflit dans la mesure où ces deux éléments
présentent des réalités divergentes. Mais il est opportun
de souligner que, c'est à partir de la rupture établie que le moi
prend conscience de sa véritable réalité.
Ce premier aspect de notre analyse permet de voir que le
début du processus de culture de la conscience qui tend vers son
affirmation commence avec la violence en ce sens que le moi doit se
démarquer de l'élément immédiat. Mais cette
évolution est loin de coïncider avec la fin du processus puisque la
conscience n'est qu'à son premier rapport extérieur. Dans cette
mise en rapport, on voit que le sujet doit changer de situation
c'est-à-dire de mode d'être pour pouvoir parvenir à la
vérité. Cela signifie clairement que si la connaissance du
réel change, le sujet change aussi le mode par lequel il
appréhende le monde.
Ce changement de statut ne s'effectue pas sans
difficulté du seul fait que la conscience doit nécessairement
s'opposer à l'objet pour passer à une étape
supérieure. Dans ce sens, nous pouvons voir la tâche de la
phénoménologie qui consiste précisément à
« conduire l'individu de son état inculte jusqu'au
savoir 36», mais il convient de souligner qu'il s'agit de
« considérer l'individu universel, l'esprit conscient de soi
dans son processus de culture37 » Une telle
considération trouve sa justification dans la description
phénoménologique que Hegel a élaboré et qui nous
permet de voir le processus par lequel l'individu singulier parvient à
accéder à la
36 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l'esprit,
Paris, Aubier Montaigne, 1939, t. I, p. 25.
37 G.W.F. Hegel, Op. cit., Paris, Aubier Montaigne,
1939, t. I, p. 25.
35
vérité qui est l'universel. S'il en est ainsi, il
apparaît alors évident que le changement s'impose pour l'accession
à la réalité.
D'ailleurs, il faut mentionner que si ce changement
apparaît comme une nécessité, c'est parce que contrairement
à la nature qui ne change pas pour Hegel, la conscience n'est jamais en
repos. En d'autres termes, la conscience est toujours en mouvement, en
perpétuelle mutation et c'est cela même qui constitue sa richesse.
Par-delà ce changement de statut, il est clair que cette
considération permet d'appréhender le mode de progrès de
la conscience qui passe d'une situation à une autre. Le passage qui
s'effectue à ce niveau, faut-il le souligner, ne relève pas d'une
simple contingence ou du hasard, mais bien d'une nécessité. Cela
rend compte de la détermination de la conscience à accéder
à la réalité.
Voilà pourquoi, chez Hegel, il y a cette
nécessité à établir une rupture d'avec la nature en
ce sens qu'elle place le sujet dans une espace limitée ou finie, en
d'autres termes, elle ne peut aller au-delà de ce qui se donne à
connaître c'est-à-dire au-delà de ses limites. Elle est
incapable de dépasser le seul ordre immédiat. Une telle
considération s'explique par le fait qu'il n'y a pas de formation ou
plutôt de culture en tant que tel dans la nature et par
conséquent, on note une absence de progrès. C'est ce qui
apparaît d'ailleurs dans ces propos, Hegel affirmant que : «
Dans la nature, l'espèce ne fait aucun progrès, mais dans
l'Esprit, chaque changement est un progrès38.
» Cela peut s'expliquer dans la mesure où, si dans la nature
on ne se limite qu'au donné, c'est parce qu'elle n'est pas capable de
produire autre chose que ce qu'elle a en sa possession. En ce sens, s'il y a un
philosophe qui a théorisé sur l'obligation et méme la
nécessité pour l'homme de quitter la nature statique où il
n'y a pas de changement pour échapper donc à cette emprise, c'est
bien Jean Jacques Rousseau. C'est en quittant ce stade qu'il va intégrer
la culture qui signe le début de sa confrontation avec le monde mais
aussi de sa véritable formation.
Dans cette même perspective, en analysant la situation
sous cet angle, on se rend compte que l'homme doit se libérer de la
nature. C'est seulement ainsi qu'il peut s'affirmer et faire de lui-méme
ce qu'il est réellement. Nous avons vu dans la
38 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE
(Coll. « 10/18 »), 1965, p. 182.
36
pensée Kantienne que c'est hors de la sphère
naturelle que l'homme pouvait véritablement se réaliser,
autrement dit, affirmer son humanité. Mais cet être, en tant que
partie intégrante de la nature, est le seul capable de se
départir de celle-ci par le fait qu'il dispose d'une liberté qui
lui permet de l'affronter. Cela permet de voir la spécificité de
l'homme de par son aptitude à transcender l'immédiat.
En effet, il y a en lui un désir constant qui le pousse
sans cesse à vouloir changer le milieu dans lequel il vit, désir
qui l'oblige à faire face à une adversité à
laquelle il s'oppose. Cette opposition est à entendre dans le sens
où il a la possibilité d'incarner la violence,
c'est-à-dire de s'imposer face à la nature pour s'en
démarquer. Cette considération fonde la différence qui
existe entre l'homme apte à dépasser le simple donné de la
nature et l'animal qui ne se contente que de se soumettre à celle-ci. Ce
décalage de position ou de statut entre ces deux êtres nous
autorise à mettre en exergue la détermination de l'homme à
suivre le processus qui le mène vers sa réalisation ou
plutôt vers sa culture.
Ainsi, si nous prenons en charge cette considération de
la nature rapportée à la démarche
hégélienne, il apparaît clair que la rupture de la
conscience d'avec l'élément naturel s'impose comme une injonction
et c'est à partir de cette rupture seulement qu'elle peut entamer sa
marche vers l'universalisation. De ce fait, puisque la conscience doit
s'affirmer c'est-à-dire passer du particulier à l'universel,
cette rupture ou ce changement de statut fait naître une situation de
conflit face à la nature.
Dans ce rapport conflictuel qui oppose le sujet à la
nature, il ne s'agit pas pour les deux êtres de s'anéantir, de se
détruire mutuellement. Il faut plutôt appréhender dans
cette démarche, une transition c'est-à-dire, un changement de
perspective qui permettra à la conscience de poursuivre sa marche. En ce
qui concerne ce rapport avec l'objet extérieur, la conscience, en
dépassant donc son objet, ne le supprime pas définitivement mais
l'intègre dans le processus puisque c'est par la prise de conscience de
sa non-vérité que celle-ci parvient progressivement au savoir
vrai. C'est donc par ce processus que le sujet peut véritablement se
libérer.
Cette situation permet de voir que la nature est sous la
domination de la conscience et c'est ce qui va expliquer d'ailleurs son passage
à une autre étape. Sous ce rapport, en passant á un stade
supérieur, on peut en déduire que cette conscience qui a
intégré en elle-même son objet a franchi l'étape de
l'immédiateté dans le processus dialectique. Ainsi, les
différentes étapes qui constituent la marche graduelle de la
conscience vers son affirmation sont toutes nécessaires ce qui signifie
qu'on ne peut omettre aucune des figures sous peine de brouiller la
cohérence qui régit son processus.
De ce fait, chaque étape supprimée dans cette
évolution est intégrée dans l'étape suivante et
c'est cela qui fait, d'une certaine manière, son enrichissement. Cette
dialectique de la conscience marque le début de son entrée en
scène dans l'histoire. Il découle de ce constat que même si
la conscience est passé de l'étape de conscience á une
autre, elle ne détient pas la vérité pure en
elle-même dans la mesure où elle se retrouve dans une nouvelle
situation. Cette évolution ou plutôt ce progrès de la
conscience est loin de connaître son épilogue.
Pour autant, cette conscience nouvelle croit détenir
une vérité qui est loin de coïncider avec la
réalité authentique. C'est pour montrer cette illusion de la
conscience que Jean Hyppolite affirme en ces termes : « cette
conscience croit posséder la connaissance la plus riche, la plus vraie
et la plus déterminée, mais cette connaissance est la plus pauvre
là où elle s'imagine ~tre la plus vraie, et surtout la plus
indéterminée là où elle s'imagine ktre la plus
déterminée39. » Pour dire la chose
autrement, le fait que la conscience passe á une étape
supérieure ne signifie pas qu'elle a acquis une vérité
authentique. Un tel procédé trouve sa justification dans le fait
qu'elle ne peut accéder à son développement
véritable qu'au terme d'un long et tumultueux processus puisqu'elle doit
parcourir toutes les étapes pour parvenir á la
réalité.
Dans cette perspective, il convient de souligner que
l'angoisse qui prévalait dans le rapport du sujet á la nature
persiste en ce sens que dans son ascension vers la vérité, elle
est habitée par l'inquiétude tant qu'elle n'a pas atteint son
but. L'esprit est
39 J. Hyppolite, Genèse et structure de la
phénoménologie de l'esprit Paris, Aubier Montaigne, 1946, p.
83.
certes entré dans une nouvelle phase de son existence,
se trouve dans une nouvelle situation, mais l'enjeu ici c'est de voir que la
conscience de soi va se livrer encore à une autre expérience
à savoir l'expérience sur elle-même. Dans ce cas, il ne
s'agit plus, comme dans la première phase du processus de rapport entre
la conscience et la nature, mais plutôt d'une confrontation entre deux
consciences. Cette inquiétude constante au sein d'elle-même nous
permet de dire que son accession vers la réalité n'est possible,
selon Hegel, qu'à partir d' « un travail dur et forcé
sur soi-même40.» C'est à partir de
cette considération que nous allons voir le mode par lequel le moi passe
par l'altérité avant de s'affirmer.
38
40 G.W.F, Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE
(Coll. « 10/18 »), 1965, p. 180.
39
2- De l'altérité de la conscience de
soi
Dans la mesure où le rapport entre le sujet et la
nature a débouché sur une prise de conscience de celui-ci, la
rupture d'avec son objet lui a permis de s'élever de l'état
immédiat dans lequel il se trouvait vers une réelle prise de
conscience de soi. Cette situation rend compte de la liberté du sujet et
de sa capacité à se détacher de son état
d'immédiateté. Cette conscience se trouve désormais face
à une autre conscience qui a les mêmes réalités et
les mêmes exigences en ce sens qu'elle tend aussi vers son affirmation.
Ainsi, comme dans le rapport avec la nature, les deux consciences vont se
livrer à une confrontation en essayant chacune de s'imposer face
à l'autre qui apparaît comme un obstacle pour l'affirmation, pour
l'accession à l'universalité. Cette confrontation revêt un
double caractère : d'une part, il s'agit d'une confrontation avec
soi-même et d'autre part, d'une confrontation avec l'autre.
Dans cette perspective, il faut noter que la conscience de soi
ne pouvait s'affirmer sans l'autre, ce qui revient à dire que la
présence de l'autre est essentiellement importante et on peut dire
qu'elle est méme obligatoire dans ce processus de développement
ou de culture. Nous retrouvons une telle conception chez Kant pour qui
l'individu ne peut affirmer ce qu'il est réellement c'est-à-dire
exprimer son humanité que dans la relation ou plutôt dans le
rapport avec d'autres individus. C'est cela qui explique le fait que chez Kant,
la sphère sociale constitue le lieu adéquat où l'homme
peut s'affirmer en tant que tel.
Sous ce rapport, une précision s'impose pour montrer
que Chez Kant, l'affirmation de l'individu dans la société
s'effectue dans une certaine mesure de manière spontanée. C'est
ainsi qu'il faut entrevoir ce rapport entre les deux êtres à
l'épreuve dans la pensée hégélienne et Hegel sera
plus radical que Kant sur ce point en ce sens que cette confrontation va
être poussée jusqu'au tournant extrême qui coïncide
avec la mort. Seulement il faut signaler que la dialectique de la conscience de
soi ne se passe pas implicitement dans la sphère sociale et ne se
produit pas de manière spontanée mais débouche
plutôt sur la rupture, sur le drame.
De ce fait, il apparaît opportun de remarquer que ce
processus de culture trouve sa justification dans le fait qu'il est question
ici d'une véritable lutte qui nécessite le renoncement à
soi pour pouvoir atteindre la réalité. Cette considération
permet de montrer la nécessité de ce renoncement dans la
pensée hégélienne et qui explique aussi que toute sa
démarche ne vise que l'universel. Cette considération sur la
question du renoncement nous permet de comprendre le sens de
l'aliénation dans ce processus de culture et Hegel utilise même le
terme « extranéation » pour montrer que l'individu doit non
seulement renoncer à soi, mais il doit aussi se faire étranger
à soi-même. Dans une telle perspective, il s'agit alors pour les
deux consciences de passer à l'épreuve, c'est-à-dire de
s'affronter pour pouvoir accéder à l'universalité.
C'est cette formation ou plutôt cette culture de la
conscience de soi qui apparaît dans ces propos de Jean Hyppolite : «
la conscience de soi se forme à travers les relations de la lutte
des consciences de soi opposées et du maître et de l'esclave qui
ne sont pas proprement temporelles bien qu'on les trouve à l'origine de
toutes les civilisations humaines et qu'elles se produisent d'ailleurs sous des
formes diverses dans toute l'histoire de
l'humanité41.» Une telle
considération s'explique par le fait que c'est à travers cette
confrontation que les deux consciences de soi parviennent à leur pleine
affirmation ou plutôt à leur culture. C'est par la lutte à
mort entre les deux consciences qu'elles peuvent accéder à leur
humanité.
En effet, pour qu'une telle affirmation puisse etre
réalisée, il faut que chaque conscience tende vers l'autre ce qui
fait naître le désir. Chaque conscience éprouve un
désir envers l'autre dès lors qu'elles ont les mêmes
exigences et les mêmes réalités. Ce désir, faut-il
le noter, n'est pas désir d'un objet quelconque mais désir de
quelque chose que l'autre désire, ou mieux désir de l'autre dans
la mesure où chacune veut affirmer son humanité. Il convient de
mentionner, dans cette perspective, que le désir crée dans
l'intimité même du sujet désirant l'appel de
l'altérité. L'altérité dont il s'agit dans ce cadre
consiste pour la conscience à se faire violence à soi-même
et à l'autre pour ensuite se retrouver dans toute sa plénitude.
Sous ce rapport, on voit bien qu'une telle épreuve ne peut que
déboucher sur la
41 J. Hyppolite, Genèse et structure de la
phénoménologie de l'esprit Paris, Aubier Montaigne, 1946, p.
83.
41
négation car chacune veut s'approprier l'objet
désiré ou l'autre. Dans ce cas, il s'agit pour chacune des
consciences de faire preuve de courage et de détermination afin
d'obtenir l'objet ou plutôt de dominer son vis-à-vis.
Mais, il faut préciser que par-delà ce qui est
visé et qui est au fondement de la confrontation, l'objet de
désir ne peut d'ailleurs revenir qu'à un seul car c'est la loi de
la nature : quand deux individus combattent pour une chose, un seul peut en
bénéficier à l'issue de l'épreuve. Cette
considération nous autorise à mentionner qu'au fond de cette
lutte, ce que la conscience vise réellement, c'est la reconnaissance.
Chacune d'elles est déterminé à remporter la victoire
à la fin du combat. Seul celui qui osera perdre sa vie dans cette
épreuve sera le mieux placé pour remporter la victoire.
Ainsi, dans cette lutte, il faut que l'une des consciences
soit anéantie et c'est par cet anéantissement que l'autre
conscience peut s'affirmer. En effet, chacune des consciences doit
nécessairement passer par cette épreuve de
l'altérité avant d'accéder à l'universalisation.
Une telle confrontation devra déboucher sur la destruction de l'une
d'entre elles. C'est pour montrer ce double effort de la conscience que Hegel
écrit : « Cette présentation est une double
opération : opération de l'autre et opération par
soi-mrme. En tant qu'elle est opération de l'autre, chacun tend donc
à la mort de l'autre. Mais en cela est aussi présente la seconde
opération, l'opération sur soi et par soi42.
»
En d'autres termes, dans la première opération
ce qui est visé c'est la destruction de l'une des consciences par
l'autre qui veut le réduire à mort. Ce qui est ici remarquable,
c'est qu'en voulant s'affirmer, la conscience doit risquer sa vie. Dans la
deuxième opération, ce qui est mis en exergue, c'est le courage
dont fait preuve l'une des consciences. C'est pour montrer la
nécessité de ce passage pour atteindre la vérité
qui est l'universel que Hegel note à juste titre : «
L'universalité qui vaut est l'universalité devenue,
et c'est pour cela qu'elle est effective43. »
Cela
42 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de
l'esprit Paris, Aubier Montaigne, 1939, t. I, p. 159.
43 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de
l'esprit Paris, Aubier Montaigne, 1941, t. II, p. 55.
signifie qu'il faut passer par l'aliénation,
l'extranéation c'est-à-dire oser aller jusqu'au sacrifice ultime
de soi pour pouvoir affirmer son humanité.
En réalité, cette lutte ne vise pas la mort en
tant que telle car elle est le support même de la vie. On peut se poser
la question de savoir en quoi consiste cette 0 opération sur soi et
par soi » ? Elle consiste en ceci que chacune des consciences se
livre à une lutte farouche en vue de la mort de l'autre. Mais, dans la
même perspective, elles mettent leur propre vie en jeu. Le plus courageux
sera donc celui qui osera affronter la mort ou le négatif en face dans
la mesure où il est celui qui acceptera d'être en contradiction
avec lui-même.
Ainsi, le vainqueur sera non pas celui qui va se plier ou
s'incliner devant la douleur de la mort mais, seul celui qui osera supporter
cette chose redoutable qu'est la mort triomphera donc à la fin
du combat. C'est par le sacrifice de soi que la conscience pourra parvenir
à la vérité. C'est donc dans ce déchirement que
l'esprit acquiert sa véritable culture. De ce fait, nous pouvons dire
que le courage dont fait preuve cette conscience est louable dans la mesure
où, elle est non seulement déterminé à
détruire la vie de l'autre mais elle a accepté la mort comme un
pont, une barrière par lequel il faut nécessairement passer avant
d'accéder à la vérité.
En adoptant un tel principe, on peut effectivement dire que
faire violence à l'autre et se faire violence est la méthode ou
plutôt le moyen par lequel il faut passer pour parvenir à son
affirmation. En ce sens, on peut dire que cette violence apparaît
inévitable et incontournable puisque qu'il n'y a pas d'autre alternative
dans ce cas de figure. Ce chemin vers la vérité est non seulement
long et obligatoire mais il requiert une très grande patience. C'est
pour montrer ce passage nécessaire et obligé que Hegel,
dès la préface de La phénoménologie de
l'esprit affirme que : 0 l'impatience prétend à
l'impossible, c'est-à-dire à l'obtention du but sans les moyens
D'un côté, il faut supporter la longueur du chemin, car chaque
moment est nécessaire ; de l'autre, il faut s'arrtter à chaque
moment et séjourner en lui, car chacun est luimême une figure, une
totalité individuelle44. » A travers ces propos, il
met en exergue l'idée que la marche vers le savoir absolu renferme un
certain nombre d'obstacles
44 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l'esprit
Paris, Aubier Montaigne, 1939, t. I, p. 27
43
qu'il faut surmonter pour pouvoir parvenir à la
vérité qui est l'universel. C'est en tenant compte de ces
obstacles qu'il faut considérer l'étape de la contradiction comme
un élément essentiel dans le cours du processus.
Ainsi, la conception de la violence comme une
nécessité dans ce développement est même
déjà perceptible dans le « polemos pater » de
Héraclite qui est souvent traduit par « la guerre est
mère de toute chose.» Elle figure ici comme une loi qui
régit le processus de culture de la conscience. De ce fait, nous pouvons
dire que cette lutte est nécessaire et incontournable pour parvenir
à la pleine affirmation de soi. Ceci permet de voir la double
altérité que subit la conscience dans ce cas précis : sur
l'autre et sur soi-même. C'est par une telle procédure que l'une
des consciences parvient à s'affirmer.
Hegel écrit dans ce sens que : «
l'tre-là de ce monde, aussi bien que l'effectivité de la
conscience de soi, dépendent du mouvement par lequel cette conscience de
soi se dépouille de sa personnalité, produit son monde, et se
comporte envers lui comme si c'était un monde étranger, en sorte
qu'elle doit désormais s'en emparer. Mais le renoncement à son
être-pour-soi est justement lui-même la production de
l'effectivité, et gr~ce à ce renoncement, la conscience de soi
s'empare donc immédiatement de
l'effectivité45. » Le renoncement dont il
est ici question indique l'itinéraire de la conscience dans son
déploiement vers la vérité et revêt un aspect
positif dans la mesure où celle-ci a renoncé à sa vie pour
retrouver la vérité. Le désir d'être reconnu par
l'autre rend compte de ce passage obligatoire pour l'affirmation de soi.
Par là, nous voyons qu'une double dimension se
dégage de cette notion de renoncement : d'une part, du point de vue
positif et d'autre part, du point de vue négatif. Une telle
considération montre le fait que chez Hegel la vie reste liée
à la liberté. La liberté étant l'essence même
de l'homme, il ne peut en aucune manière s'en défaire. Elle
apparaît donc essentielle dans le processus menant à la
vérité de l'esprit. La conséquence qu'on peut en tirer est
que cette liberté ne s'obtient que de manière
héroïque.
45 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de
l'esprit Paris, Aubier Montaigne, 1941, t. II, pp. 54-55.
C'est pour montrer ce caractère héroïque de
la liberté que Hegel affirme : « C'est seulement par le risque
de sa vie qu'on conserve la liberté46. »
Cela nous autorise à dire que la liberté est le propre de celui
qui agit et qui ose affronter la contradiction. Cette conscience qui s'est
incliné devant l'autre représente l'esclave et celle qui a
dominé est le maître guerrier. C'est seulement ainsi que le
maître peut faire prévaloir son autorité sur l'esclave
parce qu'il est désormais libre. Dans ce rapport de domination, on voit
clairement qu'il y a une situation d'infériorité de l'esclave
face au maître.
On comprend alors la manière dont s'effectue dans la
pensée hégélienne cette formation ou plutôt cette
culture de la conscience dans son processus de déploiement vers la
vérité. Le maître est certes reconnu par l'esclave mais
cette reconnaissance est inégale. Ce qui veut dire que l'esclave
apparaît aux yeux de son maître comme un simple
IIIIIlILc'est-à-dire comme quelqu'un qui n'est même pas
un homme en tant que tel puisqu'il s'est rabaissé devant la mort. Face
à l'angoisse de la mort, il a choisi d'être dominé
plutôt que de mourir. C'est donc de manière
délibéré qu'il est devenu esclave.
Ainsi, l'esclave étant sous la domination du
maître va travailler à satisfaire ces besoins et à
obéir à ces exigences. Par le travail, l'esclave va chercher
à se libérer c'est-à-dire à dominer le réel.
En travaillant, il cherche non seulement à pourvoir aux besoins du
maître mais aussi à se libérer progressivement de sa
domination. Il convient de noter qu'en choisissant
délibérément de se soumettre plutôt que de mourir,
l'esclave prend conscience de l'obligation et de la nécessité
pour lui de travailler. Dans ce sens, cette activité apparaît,
dans une certaine mesure, comme une sorte d'aliénation dans la mesure
où elle est imposé à l'individu.
En réalité, ce qu'il faut voir au fond, c'est
que si l'esclave, par peur devant la mort, a opté de rester en vie et
d'être dominé, c'est parce qu'il est conscient qu'il parviendra
à se libérer de cette pression. Une telle considération se
justifie par le fait
46 G.W.F. LHegel, Phénoménologie de
l'esprit, Paris, Aubier Montaigne, 1939, t. I, p. 159.
45
que cette activité est considérée comme
un moment opportun et idéal pour montrer sa détermination face
à la nature qu'il va soumettre à l'épreuve comme dans le
premier rapport du processus. Par son travail, il va transformer la nature
à sa guise et il convient de préciser que c'est du fruit de ce
travail que le maître doit vivre. Gela implique une certaine
dépendance de l'un à l'égard du travail de l'autre dans la
mesure où la survie du maître dépend désormais du
travail de l'esclave. De ce fait, il apparaît évident que le
maître n'a pas besoin de travailler parce qu'il a un esclave. Gela
montre, dans une certaine mesure, l'incapacité du maître à
s'élever au dessus de sa condition puisque ne travaillant pas car ayant
l'esclave à son service.
Ainsi, cette activité permet de voir la dimension
libératrice du travail. Dans cette perspective, il convient de
mentionner que l'esclave a non seulement transformé la nature mais il
s'est aussi transformé lui-même. Gela lui permet de se
considérer non plus comme un simple être-là mais
comme un être indépendant qui peut prétendre à
l'universalité. Etant un être autonome, il relève du
ressort de l'esclave de s'imposer de par son travail et partant
d'intégrer la marche de l'histoire. Nous pouvons dire en ce sens que,
chez Hegel, la liberté passe nécessairement par le travail. Le
chemin suivi jusque là traduit de méme le progrès
c'est-à-dire le développement ou l'évolution de la
conscience. A ce propos, il faut mentionner que le stade auquel est parvenu la
conscience, aussi bien dans le premier rapport entre le sujet et la nature que
dans le deuxième rapport montre que cette idée de progrès
est loin de correspondre avec la facilité ou la passivité. Gela
se justifie dans la mesure où l'esclave a dü travailler dur avant
de parvenir à son autonomie.
Ge faisant, en se libérant de l'élément
naturel, il se libère aussi de la domination du maître ou mieux de
la servitude puisque ce dernier vit en dépendant du travail de
l'esclave. De là découle un renversement de positons, de
tendances, dans la mesure où l'esclave devient d'une certaine
manière le maître de son maître en ce sens que sans son
travail, celui-ci périrait. Et il faut dire que l'esclave est
maître même si le maître ne le reconnaît pas comme
tel.
De ce fait, l'esclave apparaît comme le pionnier ou
plutôt l'initiateur de l'histoire, celui qui, par son travail, a agi de
manière décisive dans la transformation de la nature. En ce sens,
nous pouvons dire que tout comme le maître a suivi le
processus de développement menant à son
affirmation, l'esclave a poursuivi aussi sa formation par laquelle il a
accédé à la liberté. A ce niveau, une
précision s'impose pour montrer que contrairement à la domination
temporaire du maître, celle de l'esclave doit être
pérennisée. L'indépendance de l'esclave qui permet de
donner un déclic à l'histoire nous autorise à dire que
l'histoire est le propre de l'esclave travailleur et non celui du maître
qui, après sa victoire, est resté passif.
A ce propos, Kojève, dans son Introduction à
la lecture de Hegel, a eu donc raison de dire que : « l'homme
intégral, absolument libre, définitivement et complètement
satisfait par ce qu'il est, l'homme qui se parfait et s'achève dans et
par cette satisfaction, sera l'Esclave qui a « supprimé
» sa servitude. Si la Maîtrise oisive est une impasse, la
Servitude laborieuse est au contraire la source de tout progrès humain,
social, historique. L'Histoire est l'histoire de l'esclave
travailleur47.» Ce principe s'explique par le fait que
l'esclave a exercé sur la nature un véritable changement au point
de maîtriser tous les aspects relatifs à celle-ci. C'est à
l'esclave que revient l'honneur d'être à l'origine de l'histoire.
En partant de ce fait et en nous focalisant sur l'essentiel de ce chapitre,
nous pouvons dire que la vie elle-même est une lutte farouche, permanente
et ce n'est que dans la détermination et le courage qu'on peut parvenir
comme l'esclave à s'affirmer comme un être libre et autonome.
Cela étant, il faut signaler que cette dialectique du
maître et de l'esclave de Hegel permet de voir, à travers ce
récit, le mode d'évolution de la conscience qui traduit non
seulement son processus de culture mais aussi rend compte des modalités
de son progrès. L'histoire qu'il décrit est à
considérer non pas comme une histoire du monde mais comme une histoire
philosophique du monde ou plutôt comme une philosophie de l'histoire.
Elle a principalement pour objet la conscience universelle dans son
déploiement qui est décrit du point de vue logique
c'est-à-dire telle qu'elle est présentée à travers
les différentes manifestations de celle-ci.
47 A. Kojève, Introduction à la
lecture de Hegel, Ed. Gallimard (Coll. « Tel. »), 1947, p.
26.
47
Toutefois, c'est cette dialectique qui va fonctionner dans
l'histoire, cette fois-ci non pas à travers la conscience individuelle,
mais à travers la conscience qu'un peuple a de lui-même à
un moment donné de son histoire. Il est opportun de préciser que
la conscience, comme forme que prend l'esprit dans ces différentes
manifestations, ne peut être appréhendée dans toute son
effectivité que dans l'histoire. Une telle considération nous
montre que l'histoire n'est pas un fait du hasard, mais elle est bien une
nécessité et c'est à travers cette histoire que nous
pouvons voir réellement le mode de progrès des différents
concepts et notions qui y sont développés. Dans cette
perspective, il convient de montrer qu'au cours de son progrès vers la
vérité, l'esprit s'incarne dans des moments particuliers et c'est
sous cette forme qu'il va évoluer de manière concrète dans
la trajectoire de l'histoire universelle.
48
CHAPITRE II : La trajectoire de l'histoire
universelle
Dans le chapitre précédent, nous avons
noté que le processus d'évolution de la conscience nous
permettait de voir son mode de culture et il convient ici de mentionner que
l'effectivité de celle-ci ne se manifeste de manière
concrète que dans l'histoire. Ce qui revient à dire que c'est
à travers l'histoire qu'on peut voir la manifestation des
différentes figures dans lesquelles l'esprit s'incarne afin de pouvoir
cerner son développement ou plutôt son progrès. En adoptant
un tel procédé c'est-àdire en partant de la méthode
dialectique, Hegel va analyser l'évolution de l'humanité dans la
marche de l'histoire universelle.
Ce qui est remarquable dans sa conception de l'histoire, c'est
qu'elle est guidée par la raison qui s'incarne épisodiquement
dans l'esprit d'un peuple qui se charge à un moment donné de
réguler la marche. Ce qui veut dire clairement qu'il y a
différents peuples qui se succèdent sur la scène
historique. L'importance d'une telle considération est à
rechercher dans le fait que chez Hegel, c'est l'esprit qui régit toute
l'histoire de l'humanité.
Voilà pourquoi il note à juste titre que :
« Le point de vue général de l'histoire philosophique
n'est pas abstraitement général, mais concret, et
éminemment actuel parce qu'il est l'Esprit qui demeure
éternellement auprès de luimême et ignore le passé.
Semblable à Mercure, le conducteur des kmes, l'Idée est en
vérité ce qui mène les peuples et le monde, et c'est
l'Esprit, sa volonté raisonnable et nécessaire, qui a
guidé et continue de guider les événements du monde.
Apprendre à connaître l'Esprit dans son rôle de guide : tel
est le but que nous nous proposons ici48. » En
d'autres termes, toute l'histoire est une histoire philosophique
gouvernée par la raison. Dans ce cas, l'esprit est un et c'est lui qui
est à l'oeuvre depuis le début de l'histoire. Ainsi, il s'agira
de cerner le progrès de l'esprit dans l'histoire universelle telle
qu'elle apparaît à travers les différents peuples.
48 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire,
Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 39.
1- Histoire et progrès
En suivant Hegel dans la logique de sa démarche et par
rapport à notre problématique, on voit bien l'importance qu'il
accorde à l'histoire dans la mesure où c'est à travers
celle-ci que se manifeste de manière concrète tout ce travail
laborieux de la conscience s'élevant de l'immédiateté
à la réalité effective. Le déploiement de l'esprit
et le mode de son progrès se manifestent de manière effective
dans l'histoire. De ce fait, l'histoire apparaît comme le lieu de la
réalisation concrète de l'esprit. Dans ce sens, elle figure donc
un théâtre, un champ de manifestation où se jouent les
phases de concrétisation des différentes étapes que doit
parcourir l'esprit.
Ainsi, cette histoire universelle s'inscrit dans la poursuite
d'un but bien précis et c'est ce qui apparaît dans ces propos :
« l'histoire universelle est le progrès de la conscience de la
liberté : c'est ce progrès et sa nécessité interne
que nous avons à reconnaître ici49.» En
d'autres termes, pour Hegel, la liberté figurant la
caractéristique essentielle de la conscience, elle est aussi le but
principal que l'histoire doit réaliser. Ainsi, étant
considérée comme fondamentale, la liberté est ce par quoi
l'humanité s'affirme en tant que telle. Tout comme nous l'avons vu dans
la lutte entre les deux consciences, l'individu ne peut affirmer son
humanité que parce qu'il est libre.
Ce qui apparaît au fond de ce processus n'est donc rien
d'autre qu'une poursuite de la liberté. Toute l'histoire de l'homme
peut, en effet, se résumer dans ce concept précis de la
liberté. Dans ce sens, elle figure l'essence et la
caractéristique méme de l'esprit du monde, c'est-à-dire ce
qui se définit à partir de son propre effort et qui
apparaît décisif dans le processus vers la réalisation
absolue. Voilà donc pourquoi dans ses différentes manifestations,
l'esprit tend toujours vers sa réalisation parfaite.
49 G.W.F. Hegel, Hegel, La raison dans l'histoire,
Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 84.
50
Cette liberté tant prisée et qui a
été, de tout temps, la principale cause des combats menés
par l'homme a connu une véritable évolution dans la mesure
où, chez différents peuples, on peut voir comment s'est
développée cette notion. En effet, toutes les révolutions
et les guerres dans l'histoire ont éclaté la plupart du temps
dans le seul but de réclamer l'indépendance, la liberté.
Ce qui revient à dire que si nous observons bien le cours de l'histoire
universelle, il apparaît évident que la poursuite de la
liberté n'est pas chose aisée et dans ce sens, la dialectique du
maître et de l'esclave constitue une parfaite illustration. Une telle
considération justifie le fait que la liberté n'est pas une
simple donnée de la nature comme le croit certains penseurs comme Jean
Jacques Rousseau qui pense que cette liberté est tellement essentielle
à l'homme que y renoncer revient d'une certaine manière à
nier même son humanité.
Si on se réfère à son l'histoire
universelle, Hegel présente différentes figures ou étapes
qui s'affichent par ordre et qui retracent le mode d'évolution du
concept de liberté depuis l'empire oriental jusqu'à
l'épopée germanique. Dans ces différentes étapes
à savoir l'empire oriental, le monde grec, le monde romain, le monde
germanique, il montre la manière dont s'est opéré le mode
de développement ou de progrès de cette notion de liberté
en passant d'une étape à une autre. Ce qui veut dire que chacun
de ces peuples doit remplir une mission sur la scène de l'histoire
universelle.
Voilà pourquoi il conçoit que ce n'est pas un
individu singulier qu'il faut considérer dans ce processus
d'évolution, mais l'esprit d'un peuple par lequel se joue toute
l'histoire de l'humanité. A ce propos, Hegel écrit : «
Dans l'histoire, l'Esprit est un individu d'une nature à la fois
universelle et déterminée ff 111111111111 1111 l'Esprit auquel
nous avons affaire est l'Esprit du Peuple (Volksgeist)LE.
» Une telle considération de l'unité dans le cours de
l'histoire permet de voir que les différents peuples qui doivent jouer
tour à tour un rôle sur cette scène n'y occupent qu'un
temps déterminé, car une fois qu'un peuple a accompli sa mission,
il est appelé à disparaître de la scène historique
et à laisser sa place à d'autres. On peut voir qu'une telle
succession ne se réalise pas dans la quiétude mais implique
nécessairement le conflit et la violence.
50 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE
(Coll. « 10/18 »), 1965,p. 80.
Dans la première étape de ce processus qui
coïncide avec le monde oriental, Hegel montre que c'est le domaine de
l'immédiateté, de la spiritualité pure. En d'autres
termes, à ce stade, tout est mélangé comme dans le <
Nous » d'Anaxagore et l'individu ne réalise aucune
activité lui permettant d'exprimer sa liberté. En effet, il est
soumis à des obligations tout comme l'enfant obéit aux ordres qui
lui sont dictés. Il y a donc une certaine subordination entre l'individu
et la substance universelle. Il est obligé de se plier à l'ordre
substantiel, puisqu'il n'a aucune possibilité pour exprimer sa
liberté subjective.
Sur le plan social, c'est le patriarcat, autrement dit, le
père est le chef et il est le sujet oeuvrant en ce sens qu'il se charge
de la protection des individus puisqu'il est le père. Ce qui est
remarquable et qui apparaît essentiel à ce niveau, c'est qu'il n'y
a qu'un seul qui est libre : c'est le chef. Ce faisant, dans l'ordre
éthique, on ne peut véritablement pas parler de lois. Par
conséquent, Hegel considère que ce stade correspond à
« l'âge infantile » qui caractérise
l'immaturité pure de l'esprit comme pour reprendre le vocabulaire
kantien car < la liberté subjective n'est pas encore parvenue
à son droit propre, n'a pas son honneur en elle-même, mais
seulement dans cet objet absolu51. » En d'autres
termes, si celui qui dirige détient tous les droits et que lui seul est
libre, la conséquence qu'on peut en tirer est que le peuple qu'il
gouverne aura comme unique tâche d'obéir et de se soumettre
à ses ordres.
Cependant, la liberté dont il est ici question ne peut
être effective en ce sens qu'elle ne concerne qu'un individu. Cela
signifie que puisqu'il n'y a pas de possibilité pour les autres
d'exprimer leur liberté, de même, il n'y a aucune chance pour eux
de pouvoir exprimer leur humanité. Mais la question qu'on peut se poser
est de savoir si celui qui n'est pas libre en est parfaitement conscient. Ce
principe peut se comprendre dans la mesure où on ne peut réclamer
une chose que parce qu'on n'est conscient de cette chose. Cette
considération permet de voir que l'effectivité de la
liberté nécessite une réelle prise de conscience. Dans
cette perspective, elle s'inscrit dans l'arsenal de la rupture et de la
contradiction. C'est seulement dans cette prise de conscience que l'individu
peut atteindre la réalité. Partant de ce fait, il est opportun
51 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE
(Coll. < 10/18 »), 1965, p. 285.
52
de souligner que ce passage d'un monde à un autre ne
relève de la pure contingence mais elle est dictée par une
nécessité et toute rupture implique l'anéantissement et
donc le drame.
Ainsi, dans la mesure où dans ce monde oriental,
l'individu ne jouit pas d'une liberté effective, il faut
nécessairement établir une rupture par rapport á ce qui
était alors en vigueur. En effet, le passage vers une autre étape
incarnée par un peuple s'accomplit dans une certaine mesure par la
destruction ou par le massacre du peuple précédent. Dans ce cas
précis, on assiste á la destruction ou à
l'anéantissement de l'étape précédente tout comme
nous l'avons vu dans le rapport entre le sujet et la nature. Cela signifie que
le monde oriental va disparaître au profit d'un autre monde qui se
chargera, á son tour, de jouer sa partition sur la scène
historique. Cette disparition nous rappelle á certains égards
toutes les formes de drames que nous constatons dans le cours de l'histoire.
Après la description de cette étape, vient
l'époque suivante qui correspond au monde grec et Hegel parlera de
l'entrée « dans la terre natale de la
vérité52. » Cette époque
coïncide avec une certaine prise de conscience qu'on peut
considérer comme relative dans la mesure où, sur le plan de la
subjectivité, c'est la belle liberté, c'est-ádire
que l'individu est libre, mais seulement en s'alliant à l'unité
substantielle de l'État. De ce fait, chaque individu est sujet mais
référé à un État. C'est ce qui fait dire
á Hegel que : « la liberté subjective et la
substantialité sont unis C'est le règne de la liberté :
non de la liberté déchaînée, naturelle, mais de la
liberté éthique qui a un but universel [...]. Il s'agit de la
belle liberté qui se trouve dans un rapport naturel, spontané
avec la fin substantielle53. »
Dans cette perspective, puisque l'individu ne peut recouvrer
sa liberté que rapporté à l'État, cela signifie
qu'il est limité dans ses désirs dans la mesure où cette
entité est dotée de lois. Etant donnée une telle
situation, l'individu ne doit pas enfreindre la loi, il est donc tenu de se
soumettre strictement aux règles. Cette liberté n'est pas la
liberté naturelle qui signifie absence de lois et de principes et qui
52 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de
l'esprit Paris, Aubier Montaigne, 1939, t. I, p. 146.
53 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire,
Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 287.
53
débouche sur le désordre et le chaos. Ce n'est
plus comme dans l'état de nature hobbien où chacun fait ce qu'il
veut comme il le veut, mais il s'agit bien de l'État comme une
entité qui renferme des lois.
Eric Weil a donc raison de noter que c'est le moment où
« l'esprit atteint la beauté morale de la libre
sérénité et la lumière [...] mais ignore encore la
valeur infinie de l'individu humain et la dignité d'un travail libre,
non servile54. » Il y a lieu de mentionner que cette
dénomination de liberté n'a pas sa teneur puisqu'elle ne
coïncide en aucune manière avec les principes qui
déterminent une véritable liberté. Toutefois, l'homme
étant un etre de désir, on comprend qu'il veuille s'unir à
la substance universelle pour retrouver sa véritable liberté. On
peut voir qu'une telle liberté revêt un caractère naturel
en ce sens que ce qui est considéré ici comme éthique ne
peut pas s'élever à la dimension universelle. Cela s'explique par
le fait que, dans la nature, il n'y a pas de liberté. Il est opportun de
rappeler que chez Hegel elle n'est pas quelque chose qui est donné
d'avance, elle n'est pas une donnée naturelle, mais elle relève
plutôt d'une lutte, d'un combat à mener en permanence.
Par-delá toutes ces considérations, il faut
remarquer que dans le monde grec tout comme dans le monde romain, l'individu
est soumis à une certaine obligation qui est de se soumettre à
l'État. Ce qui nous permet de dire que pendant ces deux périodes,
la liberté dont il est question n'est qu'une liberté illusoire ou
plutôt précaire. S'il en est ainsi, puisque l'individu cherche
à affirmer sa liberté, on peut voir qu'à l'occasion de
chaque passage la violence surgit car il s'agit de rompre avec des pratiques
qui ne sont plus en vigueur.
Durant cette période, le citoyen romain doit non
seulement renoncer á luimême, mais en plus, il se met au service
d'une tâche bien définie qu'il doit obligatoirement
exécuter pour pouvoir reconquérir sa personnalité, ce qui
laisse sous-entendre qu'il est sous un pouvoir contraignant auquel il ne peut
se soustraire. Cela étant, l'État apparaît comme une
instance souveraine qui englobe les individus. De ce fait, l'individu ne
pouvant recouvrer sa liberté à ce stade, il s'en suit la
nécessité de
54 E. Weil, Philosophie et réalité,
Ed. Beauchesne, 2003, p. 159.
supprimer cette étape et c'est à la suite de cette
destruction et de cette rupture que nous assistons à l'avènement
du monde romain.
Mais dans la mesure où le passage entre les
époques débouche toujours sur le chaos et le drame, Hegel le
décrit en affirmant que : « Des révoltes des
généraux des empereurs renversés par eux et par les
intrigues des courtisans, l'assassinat ou l'emprisonnement des empereurs par
leurs propres épouses et leurs propres fils, les femmes s'adonnant
à toutes les débauches et à toutes les infamies, tels sont
les spectacles que l'histoire fait passer ici devant nos yeux, jusqu'à
ce qu'enfin l'édifice caduc de l'empire romain d'orient fut abattu par
l'énergie des turcs vers le milieu du XVème
siècle55 ». A travers ces propos, il apparaît
clair que la transition qui s'effectue est loin de coïncider avec la
simplicité ou le hasard.
On peut voir en effet, que cette tche qu'accomplit chaque
peuple sur la scène historique peut être comparée à
une plante qui doit porter ses fruits jusqu'à maturité. Ce qui
veut dire que chacun, une fois qu'il est parvenu à son terme,
disparaît pour laisser ce qu'il a produit au peuple qui se chargera
à son tour de jouer le même rôle jusqu'à la prochaine
étape. Il s'agit donc d'une succession logique et nécessaire par
laquelle on parvient à saisir le processus de culture de l'esprit dans
l'histoire universelle. Dans ce déploiement de l'esprit,
l'élément qui est utilisé comme principe de relais ou
comme semence est alors transmis d'un peuple à un autre.
La division de l'histoire en différentes étapes
permet de voir le mode d'évolution du concept de liberté,
évolution qui est ponctué par des ruptures et des déclins.
En effet, on se rend compte, à partir de ce que Hegel présente et
qui constitue le fil directeur par lequel on saisit la marche de l'esprit, que
l'histoire est progrès dans la mesure où, à chaque
époque, un peuple courageux et déterminé prend en charge
la destinée de l'humanité en vue d'assurer le plus grand bonheur
de l'individu.
55 G.W.F. Hegel, Leçons sur la philosophie
de l'histoire, Trad. de J. Gibelin, Paris, Vrin, 1970, p. 262.
55
A ce propos, Hegel écrit : « A chaque
époque domine le peuple qui a saisi le plus haut concept de
l'Esprit56. » Ce qui revient à dire que sur cette
scène, les différents peuples jouent tour à tour leur
rôle et disparaissent. Il s'agit, pour ces peuples, de remplir une
mission bien définie avant de quitter la scène historique. C'est
ce qui apparaît dans ces termes de Emile Bréhier qui
présente l'histoire comme « une série de civilisations
et d'états apparaissant au premier plan de la scène, atteignant
leur apogée et sombrant pour ne plus
réapparaître57. » Cette considération
trouve sa justification dans le fait que le peuple qui se charge à une
époque déterminée d'assurer la conduite de l'esprit du
monde représente, d'une certaine manière, l'universel qui se
manifeste à partir de ses actions.
Le tableau de l'histoire universelle est alors comparable
à une scène que les acteurs d'une époque
déterminée sont obligés de quitter pour céder la
place à d'autres, une fois qu'ils auront accompli leur mission. C'est ce
que note à juste titre Mahamadé Savadogo quand il écrit
que : « l'histoire apparaît comme une succession de tches qu'il
appartient aux différentes communautés d'assumer à tour de
rôle, et les traits distinctifs de chacune d'elles se constituent
à travers la mission qu'elle remplit58. »
En effet, sur cette scène, chacun joue tour à tour son rôle
et disparaît. Aussi, le peuple qui se charge à une époque
donnée d'assurer la conduite de l'esprit du monde représente
d'une certaine manière l'universel qui se manifeste à partir de
ses actions.
Grâce au progrès qui se manifeste dans
l'histoire, il apparaît clair que l'individu est capable d'une
évolution vers le meilleur, de changer le dessein établi par la
nature. Mais par-delà cette présentation des époques qui
ponctuent le mode de progrès de la liberté dans l'histoire, il
convient de mentionner que, chez Hegel, la réalisation effective et
concrète de celle-ci se manifeste aussi de manière précise
dans l'État. Puisqu'il a un ancrage historique, il convient d'analyser
la manière dont la liberté a été acquise et a
évoluée dans cette sphère.
56 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire,
Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 91.
57 E. Bréhier, Histoire de la philosophie,
XIXe-XXe siècle, Paris, PUF, 1964, t. III, p.
677.
58 M. Savadogo, Philosophie et histoire,
L'Harmattan, 2003, p. 19.
56
Sous cet angle, on comprend bien que l'individu ne peut pas se
réaliser en dehors de la sphère sociale. Si l'unique but que l'on
poursuit dans l'histoire universelle est la liberté, celle-ci ne peut
être réalisée de manière effective que dans
l'État. Il est la figure concrète, la réalité au
sein de laquelle l'individu trouve sa liberté du moment qu'il porte en
lui la volonté de l'universel. C'est ce qui fait que, contrairement
à l'idée selon laquelle l'État aliène les
libertés individuelles et qu'il faut s'en débarrasser, Hegel est
convaincu qu'il n'y a de liberté que dans cette sphère et elle
occupe une place essentiellement importante puisque c'est ce qui fait l'homme.
C'est ainsi que dans Les principes de la philosophie du droit, il
considère l'État comme le Dieu vivant. Il est une
nécessité même et les individus n'ont de
réalité que par lui.
En réalité, l'État, étant le lieu
par excellence de la réalisation intégrale de la liberté
des hommes, cesse d'être un moyen dont ils usent pour garantir seulement
leurs intérêts, mais, il devient plutôt leur but. Ce qui
signifie en clair que l'individu ne peut être libre que dans et par
l'État, et c'est cela qui justifie le fait que chez Hegel, il n'y a pas,
à proprement parler, de contrainte dans cette sphère. C'est ainsi
que Hegel envisage la constitution de l'unité à travers la
réalisation vivante et concrète de chacune des formes dans
lesquelles l'esprit s'incarne au cours de son processus. Mais, il faut rappeler
que l'État hégélien est l'incarnation même de Dieu
sur terre, d'où son caractère absolu et inaliénable. Par
conséquent, les individus sont tenus d'obéir aux principes
établis. Dans ce sens, l'État constitue une instance par laquelle
se réalisent les libertés individuelles car tout repose en
dernière instance sur lui.
L'État apparaît, de ce fait, comme le lieu de la
réalisation des aspirations individuelles et qui constitue un moment
essentiel du développement de l'esprit, car le droit de l'individu ne
peut se réaliser que dans une organisation supra-individuelle. Hegel
écrit dans ce sens qu' : « en tant qu'il est l'universel,
l'État s'oppose aux individus Il est d'autant plus parfait que
l'universel correspond davantage à la raison et que les individus
forment davantage une unité avec l'esprit du tout. L'essentielle
disposition d'esprit des citoyens à l'égard de l'État
[...] n'est ni l'aveugle obéissance à ses ordres ni un
assentiment individuel que chacun devrait
apporter aux dispositions et règlements
institués au sein de l'État, mais à son égard, une
confiance et une obéissance
éclairée59. »
En d'autres termes, les rapports entre l'individu et
l'État doivent être basés sur des principes qui visent
à consolider l'harmonie au sein de cette sphère et qui permettent
par là même de garantir la liberté de chacun. Voilà
pourquoi, il ne s'agit pas d'une soumission qui réduirait
peut-être l'individu en esclave encore moins d'une simple
adhésion, mais il est plutôt question de faire confiance à
l'État et de lui obéir car c'est le seul moyen qui permet de
régler les rapports qui y existent.
De ce fait, par ce processus d'évolution, on comprend
alors que l'histoire universelle figure le lieu du développement de
l'esprit dans l'effort qu'il fournit, à travers les divers peuples, pour
progresser dans la conscience de la liberté. Et cette liberté,
une fois acquise, permet à l'individu de s'élever à
l'universalité. Mais celle-ci nécessite, comme nous l'avons
mentionné plus haut, un combat permanent. En partant de ce fait, on voit
que l'action de l'homme sera particulièrement déterminante dans
l'accomplissement de cette oeuvre et c'est ainsi qu'on peut parvenir au but qui
a été fixé.
C'est de cette action de l'homme que découle toute son
ingénieuse oeuvre qui ne reflète que sa capacité
créative et transformatrice. Nous pouvons dire, à partir de cette
considération, que l'évolution du concept de la liberté
rend compte du processus de culture par lequel il faudrait
nécessairement passer avant d'accéder au but. Une telle
considération de ce processus s'explique par le fait qu'il s'agit d'une
véritable formation ou culture qui permet à l'individu de passer
d'une étape à une autre. Il est vrai que si nous
considérons ce processus de développement dans son ensemble, on
se rend compte qu'il y a eu un réel progrès dans la mesure
où on est parti du stade le plus élémentaire ou
plutôt le plus immédiat pour s'élever progressivement
à une réelle prise de conscience.
59 G.W.F. Hegel, Propédeutique philosophique,
Trad. de M. de Candillac, Ed. de Minuit, 1949, § 196, p. 218.
58
De ce point de vue, toute l'oeuvre de l'homme n'est
basée que sur l'action, l'action comme pilier fondamental qui sous-tend
toute l'histoire de l'humanité. C'est dans l'action que se
dévoile tout l'itinéraire de l'oeuvre humaine. L'action humaine
n'est jamais fortuite et c'est ce qui fait donc qu'elle découle toujours
de raisons suffisamment claires et explicables. On peut donc dire, si l'on ose
s'exprimer ainsi, qu'au commencement était l'action. Dans ce sens, Hegel
note que : « la vie est action
Ii114aciIRn aIEIYani sREunI P1i14LI qui Isi sRn
REjIi, FIu'IllI iEDY116I IifiLEgfRLPI.
Ce que chaque génération a ainsi
réalisé en fait de science, de production spirituelle,
GEUrconcoLaiIRCEIuiYIniIIIWcoLiiIT; TcIIIFICFPRgiliuIfiTcPI,
IlaFIXETiECcIEISILiiuIllI
comme une habitude, les principes, les préjugés
et la richesse60. »
Cela montre la manière dont l'esprit se déploie
dans le cours de l'histoire en s'incarnant dans des figures
particulières pour sa réalisation. Dans le passage qui suit,
Francis Fukuyama précise la pensée de Hegel en affirmant en ces
termes :
« / WIiRiLIEuniYILsIIlIEdIE+ IgIlgLIWETRPSiICnRQi
IMIPIni GESLRgLè rdIi FRQJILTEncIYIiTEIEViIiuiiRQV
IPILVD11411EIREViNLIMIEgIaniI II l'hRPPI IuiPr PI1 AUXIII naiuLIIdI l'hRPPI
nAIsiTSDMLYRILIKI 2iuLI niIO'r iLIE11I111IE chose Pais dI dIYIniL auiLI quI cI
qu'IllI coiaii aYani61. » En d'autres termes,
à
travers l'histoire universelle, on voit, dans une certaine
mesure, la manière dont l'individu prend progressivement conscience de
sa situation et cherche à se hisser à un niveau
supérieur.
Par-delà toutes ces considérations, on voit que
ce qui apparaît donc intéressant à ce niveau, ce n'est pas
l'ensemble des événements repérés pele-mêle
dans l'histoire universelle, mais bien la détermination des moments
clefs qui ont ponctué le cours du développement de la conscience.
Cela signifie que ce qui demeure fondamental dans l'histoire, ce sont les
enjeux objectifs de l'humanité qui déterminent le processus
d'évolution de la conscience.
Dans cette perspective, l'histoire n'a de sens que par l'oeuvre
de l'homme et dans la mesure où ce dernier apparaît comme le seul
lieutenant au travers duquel on
60 G.W.F. Hegel, / IçRQFPuL l'KIsiRiLIBdI
la SIilRsRSKII, IParis, Gallimard, 1954, p. 30.
61 F. Fukuyama, / MIQIIDIRYiRELI et le dernier
homme, Gallimard, 1992, p. 90.
parvient à saisir le développement de la
conscience dans les différentes figures de l'esprit. L'homme, figurant
le principal sujet de cette histoire, ne s'inscrit de manière effective
dans cette dernière que s'il contribue, par une lutte
particulière, à cette élévation universelle de
l'esprit objectif. En ce sens, l'objectivité historique
présuppose donc une certaine subjectivité.
L'histoire ainsi conçue permet d'appréhender le
mode de progrès du concept de liberté et de
l'individualité. En effet, il faut dire que l'essentiel à retenir
dans ce récit du développement du concept de liberté dans
l'histoire universelle c'est que la poursuite de la liberté implique
toujours la contradiction et le négatif qui s'avèrent être
une nécessité pour la réalisation de celle-ci. De ce fait,
cette contradiction perceptible ne doit pas être considérée
comme un élément qui vise le désordre ou la destruction
mais elle est un principe essentiel dans l'acquisition de la liberté.
Ainsi, en tenant compte de cette considération, il
apparaît clair que la liberté n'a pas été
donnée à l'homme. Si l'histoire de l'humanité a pu
connaître une telle évolution, c'est parce que les hommes ont
acquis progressivement plus de liberté et la référence aux
différentes époques que Hegel présente, en constitue une
parfaite illustration. De ce fait, nous pouvons que c'est de là qu'il
est possible de voir que la réalisation du but que poursuit l'homme peut
connaître une finalité. C'est cette réalisation de l'esprit
qui apparaîtra comme le moment où l'humanité
coïncidera avec son concept.
60
2- La réalisation de l'esprit
A partir de l'interprétation que Hegel fait de
l'histoire et par rapport à l'analyse de certains concepts de sa
pensée, il apparaît évident que la marche de l'esprit qui
traduit sa culture et son déploiement vers l'absolu tend
irréversiblement vers l'universalité et est sous-tendue par
quelque chose qui en constitue la trame cachée. C'est par cette
procédure que l'on peut appréhender le processus de culture de
l'esprit dans l'histoire qui renseigne sur son mode de progrès.
On peut, à cet égard, s'interroger sur cette notion
de finalité dans la mesure oüune telle idée ne
signifie pas la fin ultime de tout processus, la cessation de toute
activité, mais elle renvoit plutôt à la
finalité au sens d'un but, d'un objectif que l'on doit atteindre. Ce
développement montre la manière dont l'esprit accède
à sa propre culture en trébuchant certes par moments, mais il
parvient toujours à se relever afin de poursuivre son progrès.
Cette considération permet de voir la détermination de l'esprit
dans son déploiement vers l'accession au but qu'il s'est fixé. En
effet, ce but doit nécessairement être atteint quelles que soient
les contraintes pour que l'esprit coïncide véritablement avec son
concept.
Mais la réalisation d'un tel objectif ne peut
être saisi que lorsqu'on prend en compte les moyens qu'il faut pour y
accéder. Ainsi, du fait même de l'importance de l'objectif
visé, il va falloir déployer des moyens extrémement
puissants pour parvenir à un tel but. L'accomplissement d'une telle
oeuvre passe nécessairement par l'action de l'homme et ce sera donc
à travers les passions et la guerre ou plutôt à travers une
farouche opposition dans laquelle l'esprit va se déployer pour se
réaliser dans l'histoire universelle. Hyppolite écrit à ce
propos : « Ce qui constitue le moteur de l'histoire, c'est
l'opposition sans cesse renaissante entre la vie absolue et les formes
particulières que cette vie doit prendre62. »
Puisque c'est à travers cette opposition que s'accomplit un tel
but, on comprend alors toute l'importance que requièrent de telles
notions dans la philosophie hégélienne de l'histoire.
62 J. Hyppolite, Introduction à la philosophie de
l'histoire de Hegel, Ed. du Seuil, 1983, p. 102.
Nous avons vu, dans le processus d'évolution de
l'histoire, que l'esprit universel confiait sa réalisation à un
peuple qui est apte par sa détermination et son courage, à
diriger, à guider le destin de l'humanité. Si le but poursuivi ne
se réalise qu'à travers les passions et la guerre, on peut
comprendre alors que la particularité de ces peuples résident
dans l'acceptation d'affronter et de supporter tous les obstacles qui peuvent
se dresser sur leur chemin. En ce sens, il faut dire que leur mérite a
été grande.
Parmi ces peuples, il y a des individus qui accomplissent des
oeuvres permettant de réaliser le but de l'esprit absolu. On peut alors
dire que se sont ceux qui ont réalisé des oeuvres d'une
portée universelle qu'il nomme les grands hommes qui peuvent
changer l'histoire. Ainsi, ceux qui transforment l'histoire ont du mobiliser,
par moments, toute leur volonté pour y parvenir. Ces vaillants hommes ne
visent qu'un seul but à travers leurs passions qui, bien qu'au premier
abord, relèvent de leur propre intérêt, coïncident en
fait avec l'intér~t de tous.
S'il en est ainsi, c'est parce que ceux-ci ont su
incarné l'unité à travers leur oeuvre que Hegel les
considèrent comme des guides ou plutôt comme des conducteurs qui
réalisent de manière inconsciente l'universalité ; ils
oeuvrent de manière inconsciente dans la mesure où ils pensent
agir pour leur propre intérêt. Mais en réalité, le
résultat auquel ils aboutissent dépasse de loin le but qu'ils
s'étaient fixé au début. Ce qui revient à dire
qu'ils ont accompli, en affrontant tous les obstacles possibles mais, sans en
être conscient, un but plus grand que ce à quoi ils
s'attendaient.
C'est une telle thèse qui nous retrouvons d'ailleurs
chez Kant qui affirme que : « Les hommes, pris individuellement, et
même des peuples entiers, ne songent guère qu'en poursuivant leurs
fins particulières en conformité avec leurs désirs
personnels, et souvent au préjudice d'autrui, ils conspirent à
leur insu au dessein de la nature ; dessein qu'eux-mêmes ignorent, mais
dont ils travaillent, comme s'ils suivaient ici un
62
fil conducteur, à favoriser la
réalisation63. » Autrement dit, cette
considération montre que les fins que les hommes poursuivent parfois se
situent bien au-delá du résultat qu'ils obtiennent. Cela signifie
en clair qu'il y a comme une sorte de pulsion qui les pousse à oeuvrer
dans ce sens et c'est ce qui fait dire à Hegel « que rien de
grand ne s'accomplit sans passion64. » De ce
fait, l'individu, dans son activité, croit poursuivre un but
égoïste qui aboutit á des fins universelles.
En effet, les passions, en tant que telles, ne sont pas
contraire aux idéaux qui régissent la vie éthique mais
elles réalisent un but bien précis. C'est donc par cette
méthode que se réalise l'Esprit Absolu et c'est une telle
procédure que Hegel considère comme la ruse de la raison
en ce sens que les grands hommes utilisent leurs passions pour
atteindre un objectif bien déterminé. L'oeuvre de ces
hommes est salutaire dans la mesure où elle a contribué á
atteindre une finalité, á réaliser un but. Il faut
reconnaître que le mérite de ces hommes c'est d'avoir eu le
courage de combattre non seulement pour leur propre cause mais aussi pour la
cause de l'humanité entière. Par là, on peut comprendre
alors, de par leur oeuvre, toute la vénération que Hegel porte
à l'égard de ces héros qui réalisent le but de
l'histoire universelle.
Dans cette perspective, on peut dire que leur oeuvre s'inscrit
dans l'ordre même du temps, ce qui veut dire qu'ils agissent
conformément à l'esprit de leur époque. La philosophie
selon Hegel ayant pour tâche de « saisir et [de]
comprendre ce qui est65 » ne peut que se conformer
à l'esprit de son temps pour pouvoir transformer le cours de l'histoire
afin de saisir la vraie réalité. De même que la philosophie
trouve son véritable ancrage dans son époque, de même,
l'individu tire son essence de son temps. C'est dans ce sens qu'il disqualifie
toute prétention de se prononcer sur l'avenir ainsi qu'il le mentionne
explicitement dans la
63 E. Kant, Idée d'une histoire universelle
au point de vue cosmopolitique : in La philosophie de l'histoire,
Ed. Gonthier, Paris, 1947, p. 27.
64 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire,
Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 108.
65 G.W.F. Hegel, Principes de la philosophie du
droit ou droit naturel et science de l'État en abrégé
Préface, Paris, Vrin, 1993, p. 57.
Phénoménologie de l'esprit : «
édifiante66. »
Voilà pourquoi, à cause de cette
incapacité de se prononcer sur l'avenir, il affirme : « il se
peut qu'on veuille apprendre telle chose d'un avenir. Dans le présent il
se trouve, il est vrai, compris; mais quand nous voulons l'expérimenter,
nous désirons avoir un autre présent. D'ailleurs, il n'est pas
d'individu qui n'ait jamais pu dépasser son temps67.
» Ainsi, aucun individu ne peut, aussi instruit qu'il puisse être,
prétendre anticiper sur une autre époque, en dépit de son
ingéniosité et de son talent. Mais, il convient de noter que
l'avenir est pourtant pensé par Hegel puisque l'esprit poursuit un but
dans l'histoire universelle et ce but sera la découverte de
lui-même c'est-à-dire lorsqu'il coïncidera avec son
concept.
Cette tâche que les grands hommes doivent
remplir ne se réalise pas sans difficultés et la manière
dont les peuples se succèdent sur la scène historique montre que
les passions et la guerre, loin d'être une simple contingence,
constituent le fondement de la loi qui régit l'histoire universelle.
S'il en est ainsi, il convient de signaler que l'histoire est un
itinéraire sinueux ou plutôt pénible et elle s'accompagne
donc nécessairement de révolutions. C'est l'homme lui-même
qui, à travers ses actions, fait l'histoire et, c'est ce qui fait que
selon Hegel, le processus d'évolution vers le savoir absolu
apparaît comme la révélation dialectique et progressive
à travers les moments de contradictions et de dépassements Cette
contradiction figure la pierre angulaire par laquelle s'opère tout le
progrès de la conscience qui se manifeste dans l'histoire
universelle.
Dans cette perspective, ce tumulte et ces moments de
contradiction, comme nous l'avons déjà vu dans la lutte qui
opposait les deux consciences, restent arrimés à l'histoire et se
posent dès lors comme une nécessité pour son
progrès. On comprend donc pourquoi Jacques D'Hondt estime que : «
pour que l'histoire avance, il faut que s'y inscrivent des niveaux et des
étapes, des moments hétérogènes et des
66 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de
l'esprit, Paris, Aubier Montaigne, 1939, t. I, p. 11.
67 G.W.F. Hegel, Leçons sur l'histoire de
la philosophie, Paris, Gallimard, 1954, p. 311.
64
compétitions, que tout n'y progresse pas du meme
pas68 » Autrement dit, c'est par les révolutions
que l'histoire connait un réel progrès. On peut dire à cet
égard que c'est à travers une telle procédure que
l'histoire universelle parvient à atteindre son objectif
c'est-à-dire à coïncider avec son concept. C'est en cela
même que celle-ci réalise le but qu'elle s'est fixé.
Ainsi, cela ne doit pas pour autant nous conduire à
penser qu'il n'y a pas de périodes de félicité dans le
cours de l'histoire universelle. Cela revient à dire qu'on ne peut pas
nier son existence même si les bouleversements semblent dominer. En
d'autres termes, même si celle-ci est apparemment une longue succession
de discordes et de contradictions, elle devient, après les avoir
dépassées et surmontées, l'expression de la raison dans le
monde. C'est ce qui apparaît à travers ces propos : «
L'histoire [ nous dit Hegel ] n'est pas une longue et interminable
suite d'erreurs, mais une expérience cumulative qui sera un jour
complète69 » Autrement dit, même si celle-ci
est rythmée par de grandes révolutions, ces dernières
constituent la source même du progrès. Cela étant, on ne
peut pas dissimiler le fait qu'il y a du bonheur dans l'histoire.
De ce fait, le chaos perceptible ne doit pas etre
occulté, c'est-à-dire qu'il ne doit pas etre passé sous
silence, mais il appartient à l'homme de le reconnaître comme
essentiel. Voilà pourquoi sa conception du progrès dans le cours
de l'histoire diffère de celle de Condorcet et de Kant en tenant compte
de la négativité et de la contradiction qui sont la source
même du développement. Toute l'histoire de l'homme ressemble alors
à une immense expérience, expérience parsemée de
ruptures les plus pénibles. Mais, par delà ces ruptures, on peut
se rendre compte qu'il y a un principe essentiel qui sous-tend le
progrès de l'esprit dans l'histoire.
A propos de la réalisation de ce but, Hegel
écrit : « le but de l'histoire universelle est
précisément que l'esprit se développe jusqu'à
constituer une (nouvelle) nature, un monde qui lui soit adéquat, en
sorte que le sujet trouve son concept de l'Esprit dans cette seconde nature,
dans cette réalité créée par le concept
68 J. D'Hondt, Hegel, philosophe de l'histoire vivante,
Paris, PUF, 1987, p. 196.
69 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire,
Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 14.
de l'Esprit, et possède dans cette
objectivité la conscience de sa liberté et de sa
rationalité subjectives. C'est en cela que consiste le progrès de
l'idée en général et cette situation représente
pour nous le dernier mot de l'histoire70. » En
d'autres termes, c'est lorsque l'esprit parviendra à se
reconnaître lui-même comme esprit libre qu'il coïncidera avec
son véritable concept.
Chez Hegel, du fait de la prééminence
accordée á la raison, on assiste á une sorte de
déification de celle-ci, une raison qui est assimilée á
Dieu et dans La raison dans l'histoire, il parle explicitement de foi
en la raison, cette dernière étant pour lui un principe divin,
une puissance infinie et spirituelle qui gouverne le monde et l'histoire. La
raison chez lui n'est pas, comme chez Kant, Condorcet et Descartes, une simple
faculté de l'homme, mais elle occupe une place plus importante : elle
est la substance spirituelle finie qui donne forme au réel.
Voilà pourquoi Hegel ne cesse d'affirmer que c'est la
raison qui se réalise
dans l'histoire. Dans ce sens, il écrit : « la
représentation la plus concrète de ce Bien,
de cette Raison est Dieu. Ce Bien, non pas en tant que
pensée générale mais comme
force efficace, est ce que nous appelons Dieu [...] Dieu
gouverne le monde71. » La raison plus
générale á partir de laquelle se construit un tel
paradigme est développée plus haut dans le même ouvrage,
Hegel soutenant que : « la raison gouverne et a gouverné le
monde » ce qui « peut s'énoncer sous une forme
religieuse et signifier que la Providence divine domine le
monde72. » On peut alors, par-delá toutes
ces considérations, se poser la question de savoir, pourquoi cette
référence explicite á Dieu ? N'est-ce pas, à cause
de l'imperfection de la nature humaine ? Loin de là, Hegel s'emploie
dans nombres de ses oeuvres à remplacer Dieu par la raison pour montrer
le caractère rationnel que renferme le cours du monde.
Ce qui est remarquable ici, c'est qu'il élève la
raison à une dimension divine, raison qui assure le contrôle des
actions humaines dans le cours de l'histoire. Cela
|
|
»),
|
1965, p. 296.
|
70
|
G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE
(Coll. « 10/18
|
71
|
G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE
(Coll. « 10/18
|
»),
|
1965, p. 100.
|
72 G.W.F. Hegel, Op.cit., Paris, UGE (Coll.
« 10/18 »), 1965, p. 60.
66
revient à dire que Dieu accomplit son oeuvre à
travers les passions des hommes, ce qui laisse sous-entendre qu'il n'y a rien
de hasardeux ou de fortuit dans le cours de l'histoire, que tout est
régi par une Providence divine. Voilà pourquoi nous pouvons dire
que l'histoire chez Hegel est à considérer comme
l'épopée de la raison.
Mais, s'il y a une Providence divine dans l'histoire
universelle qui se charge d'assurer le contrôle des actions humaines, un
plan providentiel établi à suivre, alors, quel est
véritablement le rôle de l'homme en ce qui concerne la
réalisation de l'histoire universelle ? Du coup, le privilège
accordé à la raison ne relègue-t-il pas l'homme au second
plan ? Toutefois, il convient de mentionner que l'homme est un sujet libre, une
volonté autonome qui est constamment mû par le désir de
prendre en charge sa destinée. Dans cette méme lancée,
l'homme apparaît comme le véritable artisan par lequel se
réalise la substance universelle.
Cependant, cette proclamation ouverte de la rationalité
n'est-elle pas trop audacieuse de la part de l'auteur de La raison dans
l'histoire quand on voit tout ce qui se passe dans l'histoire ? On peut
penser que si Hegel est audacieux au point de proclamer la rationalité
de l'histoire, c'est parce qu'il est optimiste et croit que la présence
de la raison peut au moins réguler le déploiement de la
conscience dans le cours de son expérience.
Ainsi, la raison ne peut être saisie que par la
pensée et c'est ce qui explique le fait que pour en avoir une claire
appréhension, il faut regarder avec l'oeil de l'esprit qui, selon Hegel
« pénètre la superficie des choses et transperce
l'apparence bariolée des événements73
» En effet, si derrière la réalisation de l'histoire
universelle il y a la main de Dieu, on peut penser que tout ce qui arrive
n'advient que selon sa volonté.
Dans ce cas, l'homme est donc obligé de se soumettre
à cette dernière et de dire tout simplement : que ta
volonté soit faite. Cette soumission à la volonté
divine semble écarter toute action décisive de l'homme quant
à ce qui concerne sa destinée. C'est cet aspect important qui
apparaît comme la source méme du progrès et nous
73 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Paris, UGE
(Coll. « 10/18 »), 1965, p. 51.
67
montre le mode par lequel s'effectue la culture de l'esprit,
ce qui fait l'originalité de la pensée de la
hégélienne de l'histoire. Voilà pourquoi, compte tenu
d'une telle importance, il convient de montrer l'impact de cette violence dans
le système hégélien.
3- L'impact de la violence dans la pensée
hégélienne
En partant de la considération de certaines notions
dans le système hégélien, il convient de mentionner que la
violence apparaît essentielle dans le cours de l'histoire comme en
atteste la lutte qui oppose les deux consciences et par-delà même,
on voit qu'elle est au fondement de toute la pensée
hégélienne. En effet, le thème de notre
problématique permet de voir que chez Hegel, on ne peut pas parler de
culture et de progrès en faisant abstraction de ce principe qu'est la
violence.
Si nous observons bien le processus de développement de
l'histoire, on se rend compte que la violence figure ce principe qui a
ponctué le déploiement de l'esprit. Par rapport à notre
préoccupation, il faut dire que cette notion peut être
considérée comme particulièrement important, qu'elle
occupe une place capitale dans le système hégélien dans la
mesure où elle permet de saisir le sens de la notion de culture et son
mode de progrès. C'est dans cette perspective qu'on peut comprendre le
processus de développement de l'esprit vers sa propre
réalisation.
De ce fait, plusieurs passages dans le corpus
hégélien tentent de montrer le rôle et la place de la
violence dans la réalisation de la fin absolue. Cela étant, le
fait que Hegel inscrive celle-ci dans le cours méme de l'histoire
humaine doit-il pousser à considérer l'auteur de la
PhénoménoloJHeEdeEl)eJSrHt comme un partisan
de la terreur ou comme celui qui se glorifie de l'avènement de la
violence. Chez Hegel, la violence constitue non pas une source de
glorification, mais elle apparaît comme un fait indéniable qui
caractérise l'histoire et la réalité humaines et qu'il
essaie d'expliciter et d'insérer dans son système.
S'il en est ainsi, on comprend dans une certaine mesure,
l'évocation chez Hegel de la rationalité dans le cours l'histoire
comme nous l'avons mentionné plus haut. La lecture qu'il fait de
l'histoire apparaît tout de méme cohérente dans la mesure
où il développe l'idée selon laquelle, au fond de la
violence et de la négativité, il y a le positif qui se cache. Le
recours à la violence dans le cours de l'histoire s'inscrit toujours
dans la volonté de changer une situation donnée qui n'est
69
pas convenable pour l'homme. Du point de vue de la
démarche hégélienne, cela doit apparaître comme une
leçon de vie pour l'homme dans la mesure où il peut recourir au
combat et à la lutte quand la nécessité se fait sentir. Le
chemin vers la vérité c'està-dire le processus de culture
de l'esprit peut certes être pénible, mais il parvient tout de
même à surmonter les contradictions.
C'est pour montrer le caractère chaotique dans
l'évolution de l'histoire que Bernard Bourgeois écrit : «
l'histoire comporte en elle un négatif inéliminable. Elle est
le lieu du malheur, des crises, et des drames; ce négatif est
même, par son autonégation, le moteur de la réalisation du
positif74. » En d'autres termes, on ne peut pas
séparer l'histoire de la violence, du négatif et des drames dans
la mesure où ils constituent la source même du progrès.
Cette considération se justifie par le fait qu'il n'y a pas
véritablement de violence au sens destructeur du terme dans l'histoire
puisque tout ce qui se passe trouve une justification, c'est-à-dire que
tout est régi par un principe divin. En d'autres termes, la violence
dans le cours de l'histoire obéit à une logique en ce sens
qu'elle participe même à la formation, à la culture de
l'esprit et qu'elle est source de progrès. C'est par ce
procédé que l'on parvient à saisir le déploiement
de l'esprit vers sa affirmation.
La réalisation de l'esprit dans l'histoire
apparaît semblable à l'épreuve du Christ qui s'effectue
à travers différentes étapes avant de connaître la
gloire. La pertinence de cette référence réside dans le
fait que, à travers la métamorphose qui s'est produite, on se
rend compte que c'est seulement par cette épreuve que le Christ a pu
s'élever à la gloire. Aussi, la conscience et même
l'humanité dans leur ensemble doivent-elles impérativement passer
par ce chemin de croix sinueux et tumultueux avant d'accéder à la
véritable réalité.
Ainsi, le tragique, tel que formulé dans l'histoire,
peut etre assimilé à la logique de la vie divine,
c'est-à-dire à partir de la mort et du dépassement de
cette mort pour se retrouver dans la réalité absolue. C'est ce
qui justifie dans une certaine mesure ces propos de Hegel : « de la
mort renaît une vie nouvelle [...]. L'esprit
74 B. Bourgeois, Hegel : in vocabulaire de
philosophes, Philosophie moderne (XIXe siècle), Ed.
Ellipses, 2002, p. 194.
70
réapparaît non seulement rajeuni mais plus
fort et plus clair75. » Cet esprit qui
réapparaît a, durant son processus, subi de terribles
épreuves, consistant à s'extérioriser, à se nier
soi-même pour ensuite se retrouver, mais en devenant autre que ce qu'il
était comme nous l'avons vu dans l'expérience de la
conscience.
C'est ce processus de
négation-récupération comme nous l'avons vu dans le
rapport entre les deux consciences qui, au fond, fait progresser l'esprit vers
son affirmation. La mort et la résurrection du Christ illustrent de
manière explicite l'impact de la violence dans le déploiement de
l'esprit vers le savoir absolu. On voit donc par là que Hegel
s'est profondément inspiré de la religion,
particulièrement du Christianisme dans la conception de sa dialectique
contrairement à certains philosophes comme Kant, Voltaire, D'Holbach,
Helvétius entre autres qui ont mené une lutte farouche contre la
religion réduisant à néant toute référence
d'ordre divin.
Voilà pourquoi, à cause de cette importance
accordée à la violence, la Révolution française
constitue pour lui un moment historique, un événement
exceptionnel où l'universel cesse d'être une simple abstraction et
devient effectif à travers l'action de l'homme. L'avènement de la
Révolution française fut la résultante d'une longue
conquête spirituelle qui a débouché sur la
Déclaration des droits de l'homme. Cet évènement fut donc
considéré, selon les mots de Hegel, comme « un superbe
lever de soleil. Tous les titres pensants ont célébré
cette époque. Une émotion sublime a régné en ce
temps-là, l'enthousiasme de l'esprit a fait frissonner le monde, comme
si et ce moment-let seulement on en était arrivé et la
véritable réconciliation du divin avec le monde76
», car l'esprit s'était enfin retrouvé malgré tous
les tumultes qu'il avait traversés.
S'il en est ainsi, on comprend parfaitement que l'on ne
saurait parler de culture ou de formation mais aussi de progrès chez
Hegel sans cette notions de violence. Par là, on voit bien qu'il
s'érige contre ceux qui prône la passivité dans l'histoire
au sens où la violence renverrait à la destruction ou à
l'anéantissement. En faisant mention de cette apparence chaotique de
l'histoire, il constate toutefois qu'
75 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire,
Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 54.
76 G.W.F. Hegel, Leçons sur la philosophie
l'histoire, Trad. de J. Gibelin, Paris, Vrin, 1945, p. 340.
« il est déprimant de savoir que tant de belle
vitalité a dû périr et que nous marchons sur des ruines Le
plus noble et le plus beau nous fut arraché par l'histoire. Les passions
humaines l'ont ruiné Tout semble voué à la disparition,
rien ne demeure. Tous voyageurs ont éprouvé cette
mélancolie. Qui a vue les ruines de Carthage, Palmyre,
Persépolis, Rome sans réfléchir sur la caducité des
empires et des hommes, sans porter le deuil de cette vie passée
puissante et riche77. » Quand on observe, de nos
jours, le cours de l'histoire, le décor qui s'offre á nous peut
paraître déconcertant á cause des grands bouleversements et
des destructions qui s'y produisent. A y regarder de près, tout semble
n'avoir aucun sens.
Ainsi, il arrive parfois qu'on s'indigne face à
l'ampleur de la violence perceptible dans certaines contrées au point de
discréditer même cette notion dans la mesure où lorsqu'on
en vient à la présence de celle-ci dans l'histoire et à sa
nécessité, la question qu'on peut se poser est la suivante :
est-il nécessaire de passer par ces atrocités et ces destructions
pour accéder á la véritable réalisation ? Quand on
constate tous ces sacrifices, on considère que c'est dans le seul but de
réaliser un objectif précis qui, d'une certaine manière,
ne peut etre obtenu que par cette procédure.
Mais, par delá cette apparence dévastatrice, il
y a une raison qui explique ce processus et qui permet de saisir la
portée d'une telle notion dans l'histoire. Il convient de
préciser que l'histoire n'est pas seulement le lieu des guerres et des
drames et Hegel en est parfaitement conscient. Sous cet angle, il faut
comprendre que l'essence véritable de celle-ci ne peut etre saisie qu'en
faisant abstraction de son apparence chaotique et c'est seulement à
partir de là qu'on parviendra à percevoir sa propre
rationalité. Cela nous permet aussi de voir le véritable
processus qui se dégage du cours de l'histoire et nous autorise à
dire qu'il n'y a rien de contingent et d'anarchique par rapport à cette
question. C'est la raison pour laquelle on ne peut pas concevoir cette
problématique de la culture et du progrès sans cette notion de
violence car se serait se méprendre sur le rôle et la place
77 G.W.F. Hegel, La raison dans l'histoire,
Paris, UGE (Coll. « 10/18 »), 1965, p. 54.
72
qu'elles occupent dans le processus de culture de l'esprit comme
cela apparaît dans la démarche dialectique de l'histoire
universelle.
Si on se réfère à la logique de la
méthode de Hegel, on se rend compte que l'esprit ne parvient à sa
réalisation que dans et par la violence et l'exemple du rapport entre
les consciences constitue une parfaite illustration. Cela revient à dire
que dans ce cas précis, la violence a toujours été
à l'origine de changement de situation, changement qui s'est
soldé par un véritable progrès. En se
référant au schéma hégélien, nous pouvons
effectivement voir que la trajectoire de l'histoire repose sur la
dualité apparente de la construction et de la déconstruction. Ce
faisant, ces grands bouleversements dans le cours de l'histoire conduisent
certains penseurs à considérer la violence comme étant la
source de tous les maux qui assaillent l'humanité.
Mais, en se focalisant seulement sur l'apparence des
événements, on risque de passer à côté de
l'essentiel de la pensée hégélienne, c'est-à-dire
de ne voir que le revers de la médaille, autrement dit l'autre face qui
ne présente que le côté de la négativité. Par
ailleurs, pour une meilleure compréhension, il faut considérer
que la violence dans la pensée hégélienne n'est pas
synonyme de destruction et d'anéantissement. Ce qui veut dire que dans
la prise en charge de la problématique de la culture et du
progrès chez Hegel, on ne peut pas passer sous silence l'impact et la
portée de la violence dans le progrès de l'histoire universelle.
On voit par là toute l'importance que requiert une telle notion dans sa
pensée. Par delà toutes ces considérations, la
conséquence qu'on peut en tirer c'est que pour comprendre
l'évolution de l'esprit dans le cours de l'histoire universelle, il faut
nécessairement prendre en compte cette notion de violence qui joue un
rôle essentiellement important. Dans cette perspective, on voit alors
qu'il est illusoire de penser les notions de culture et de progrès sans
cette idée de violence.
Par-delà même, la conclusion qu'on eut en tirer
c'est qu'on ne peut pas concevoir l'idée de progrès dans
l'histoire universelle en dehors de la violence. Il convient alors de dire que
la violence au sens destructif du terme n'intéresse en aucune
manière mais plutôt celle qui promeut le progrès dans le
cours de l'histoire et qui apparaît fondamental qui est à
considérer ici. Ce qui revient à dire que tout le progrès
dans l'histoire repose en dernière instance sur la violence. Compte tenu
de
toutes ces considérations, nous pouvons dire que dans
la prise en charge des notions de culture et de progrès chez Hegel, il
faut prendre en compte un certain nombre de concepts pour pouvoir saisir
l'essentielle de sa pensée.
CONCLUSION
75
En consacrant notre mémoire à la question de la
culture et du progrès chez Hegel, notre objectif était tout
d'abord de montrer comment, l'auteur de la Phénoménologie de
l'esprit a analysé le développement
phénoménologique de la conscience. Ainsi, dans le souci
d'apporter des éclaircissements à cette problématique,
nous sommes efforcés de voir la manière dont il a décrit
la trajectoire du parcours de la conscience.
La particularité de la démarche
hégélienne réside dans le fait que le processus de culture
de la conscience est une épreuve en ce sens que le négatif, la
contradiction, la violence sont les éléments qui ponctuent cette
marche. Ce qui apparaît un peu sensible dans la prise en charge d'une
telle problématique, c'est de montrer comment la violence et la
tragédie peuvent être source de progrès. Comment expliquer
le fait que ce soit à travers ces notions que la conscience parvienne
à sa vérité qui est l'universel et que c'est par ce
procédé qu'il progresse vers son affirmation ?
C'est là que l'on trouve toute l'originalité et
la spécificité de la pensée hégélienne. De
ce fait, c'est cette originalité que l'on essaie de mettre en exergue
dans son système philosophique. Voilà pourquoi, pour saisir
l'essence de la pensée de Hegel sur une telle problématique, il
faut considérer la place et le rôle qu'occupent les notions de
négativité, de contradiction et de violence dans ce processus de
culture de la conscience.
Cela revient à dire que c'est dans le négatif et
la contradiction que la conscience doit se frayer un chemin pour accéder
à sa propre culture. La conscience doit donc sans cesse travailler dans
« la douleur 78» dans la mesure où elle
est contraint à chaque étape d'affronter la mort. Mais, il faut
dire que cette conscience ne peut parvenir véritablement à son
affirmation qu'en osant supporter « le négatif 79» en
ce sens qu'il s'agit d'un long processus qui implique nécessairement
l'adoption de
78 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de
l'esprit, Paris, Aubier Montaigne, 1939, t. I, p. 8.
79 G.W.F. Hegel, Op. cit. Paris, Aubier Montaigne, 1939,
t. I, p. 8.
« la patience 80» pour pouvoir
atteindre la vérité qui est l'universel. On voit alors que chez
lui, ces différentes notions recouvrent un statut philosophique toute
particulière. Cela étant, il ne s'agit pas de se pencher sur la
simple apparence des événements et des choses.
C'est ainsi que dans ce processus de culture, le sujet
était tout d'abord confronté à la nature qui est le
domaine de l'immédiateté et qu'il est parvenu à se
départir de ce stade et à changer de statut. C'est dans ce sens
également qu'il a pris conscience de son être et qu'il est parvenu
à s'affirmer en tant que tel. A partir de ce processus, on a vu que
l'individu, parce qu'il disposait d'une certaine liberté, était
en mesure de s'imposer pour pouvoir affirmer son humanité.
Le tableau qu'il nous présente permet de voir que,
contrairement à Condorcet et à Kant qui ne se sont
focalisés que sur des faits attestés pour analyser le processus
d'évolution de la conscience, son entreprise revêt une dimension
interne et multiforme. Pourquoi interne ? Parce qu'il s'agit de
l'épreuve de la conscience, une conscience qui doit, à travers sa
propre aliénation, sa propre expérience, parvenir à son
affirmation, à l'universalité.
A travers cette expérience de la conscience, on a pu
voir que la vie elle-même est un combat de tous les jours et qu'il faut
avoir le courage de surmonter certaines difficultés pour pouvoir
affirmer son humanité. Pourquoi multiforme ? Parce qu'il a voulu,
à travers l'expérience de la conscience, étendre celle-ci
dans tous les domaines de la vie humaine à savoir, politique,
religieuse, juridique, etc. C'est ce qui lui permet d'affirmer que : «
tant que l'esprit ne s'est pas accompli en soi, comme esprit du monde, il
ne peut atteindre la perfection comme esprit conscient de
soi81. »
Ce faisant, c'est à travers donc le mouvement
dialectique de la conscience, dialectique que nous retrouvons aussi dans
l'histoire, que l'individu accède progressivement au savoir vrai,
à la véritable affirmation. C'est ainsi que le contenu
80 G.W.F. Hegel, Op. cit., Paris, Aubier Montaigne,
1939, t. I, p. 8.
81 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de
l'esprit, Paris, Aubier Montaigne, 1941, t. II, p. 306.
77
de la conscience s'enrichit et s'universalise par la lutte que
se livrent les consciences de soi opposées au prix de leur vie, car
l'homme est un être de désir capable de s'élever au-dessus
de cette vie, de la mettre en jeu pour affirmer la conscience de soi comme une
valeur indépendante. Avec la dialectique, nous avons appris que toute
domination peut être renverser, à condition de s'approprier les
moyens par lesquels on subit celle-ci. Par le travail, l'homme peut non
seulement comprendre le mécanisme par lequel l'histoire se
déroule, mais également oeuvrer pour refuser toute forme
d'aliénation.
C'est pourquoi Hegel considère le négatif et la
contradiction comme des éléments essentiels dans la saisie du
savoir absolu. Par là, on comprend que la vie en elle-même est,
d'une certaine manière, une mort constante qui fait de l'esprit ce qu'il
est. Sous ce rapport, on peut remarquer que la violence et la contradiction
ponctuent pratiquement toute l'histoire de l'esprit du monde. Quand on observe
le trajet historique de l'esprit à travers les différents peuples
dans lesquels il s'est incarné pour sa réalisation, on se rend
compte qu'il n'a pas pu échapper à la violence dans la course qui
le mène à la fin ultime.
Par conséquent, la violence apparaît comme le
moteur méme de l'histoire universelle et ce par quoi, l'esprit acquiert
sa culture et accède à l'universalité. En
réalité, on peut voir à travers cette problématique
de la culture et du progrès et par rapport aux conclusions de notre
étude, l'impact de la pensée hégélienne sur la
postérité. Nous pouvons appréhender cet impact par exemple
dans la théorie de la lutte des classes de Karl Marx, théorie qui
va constituer, à la suite de la dialectique de Hegel, le moteur de
l'histoire. Tout comme la dialectique hégélienne, cette
théorie de Marx permettra d'analyser les rapports entre les individus
dans l'affirmation de leur humanité dans la société. La
conclusion à laquelle nous sommes parvenue nous montre que la vie en
tant que telle rime avec risque et que celui qui n'ose pas affronter la mort ne
peut jamais prétendre être libre.
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INDEX DES MATIERES
Absolu, 18, 50, 71, 78.
Action, 28, 29, 30, 55, 57, 60, 64, 66, 67, 68, 72.
Aliénation, 34, 40, 43, 77.
Altérité, 34, 38, 39, 40, 42.
Culture, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 12, 17, 20, 22, 32, 33, 34, 35,
39, 42, 43, 44, 46, 54, 57, 60, 68, 69, 70, 72, 73, 76, 79.
Conflit, 6, 25, 27, 34, 35, 37, 50.
Concept, 3, 5, 6, 7, 8, 9, 30, 33, 49, 50, 54, 57, 59, 60, 63,
64, 74.
Conscience, 48, 49, 51, 52, 58, 59, 62, 64, 68, 69, 71, 73,
76.
Conscience de soi, 34, 38, 39, 77.
Contradiction, 4, 5, 6, 25, 41, 52, 58, 59, 64, 65, 66, 68,
76.
Dialectique, 4, 5, 6, 26, 30, 34, 38, 46, 47, 64, 71, 73, 77.
Esprit, 3, 4, 5, 6, 7, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 20, 34,
38, 41, 48, 49, 50, 51, 55,
56, 59, 60, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 71, 72, 73, 74, 76,
77, 78.
Esprit absolu, 50, 71, 78.
30,
|
33,
|
38,
|
44,
|
46,
|
68,
|
69,
|
70,
|
71,
|
72,
|
Etat, 52, 53, 55, 56, 57.
Histoire, 5, 6, 10, 11, 13, 14, 17, 18, 19, 21, 23, 24, 25,
26, 27, 28, 47, 48, 49, 50, 54, 55, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 67,
73, 74, 77, 79.
Liberté, 15, 17, 27, 37, 42, 43, 44, 46, 49, 50, 51, 52,
53, 54, 55, 56, 57, 58, 59, 77. Négatif, 6, 7, 35, 39, 41, 42, 58, 65,
69, 71, 72, 76, 79.
Progrès, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10, 11, 12, 14, 16, 17, 18, 20,
21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28,
29, 32, 33, 36, 38, 39, 44, 47, 48, 49, 55, 58, 59, 60, 64, 65,
69, 70, 72, 73, 74, 76.
85
Raison, 5, 10, 11, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 30, 33, 34, 48, 53,
56, 57, 62, 65, 66, 67, 68, 69.
Tragédie, 63, 65, 71.
Vérité, 7, 33, 34, 35, 37, 38, 41, 43, 47, 70.
Violence, 35, 37, 39, 41, 42, 44, 50, 54, 62, 69, 70, 71, 72, 73,
74.
TABLE DES MATIERES
SOMMAIRE 1
INTRODUCTION 2
PREMIERE PARTIE : GENESE DES CONCEPTS HEGELIENS DE CULTURE ET
DE PROGRES CHEZ CONDORCET ET KANT 9
CHAPITRE I : L'APPORT DE LA PENSEE CONDORCEENNE SUR LA QUESTION
DE LA CULTURE ET DU PROGRES ...10
1- L'apologiste du progrès 10
2- Le paradigme de l'autonomie de la raison humaine 17
CHAPITRE II : KANT ET LA QUESTION DE LA CULTURE ET DU PROGRES
20
1- La philosophie de l'éducation 20
2- La philosophie de l'histoire 23
DEUXIEME PARTIE : LA CONCEPTION HEGELIENNE DE LA CULTURE ET DU
PROGRES 30
CHAPITRE I : LE PROGRES DE LA CONSCIENCE .31
1- La dialectique de la conscience 32
2- De l'altérité de la conscience de soi 39
CHAPITRE II : LA TRAJECTOIRE DE L'HISTOIRE UNIVERSELLE 48
1- Histoire et progrès 49
2- La réalisation de l'esprit 60
3- L'impact de la violence dans la pensée
hégélienne 68
CONCLUSION .74
BIBLIOGRAPHIE 78
INDEX DES MATIERES ..84
TABLE DES MATIERES .86
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