II.1.2 Hypokinésies primitives
Au contraire des hyperkinésies, les hypokinésies
sont bien souvent secondaires à des pathologies précises
(myasthénie, dépression, ralentissement hypophysaire, ...). Les
hypokinésies primitives pures sont donc rares et fortement liées
à une personnalité introvertie ainsi qu'à une tendance
globale du sujet à l'hypotonie. La musculature entrant en jeu lors de la
phonation étant rarement fortement sollicitée, lorsque le sujet
éprouve le besoin de projeter sa voix, il se trouve immédiatement
en situation de forçage vocal et sa voix, non entraînée
à de telles sollicitations, « déraille ».
II.2 Facteurs déclenchants et/ou
favorisants
Outre les mécanismes propres au cercle vicieux du
forçage vocal, certains facteurs peuvent induire l'entrée dans le
cercle vicieux et/ou limiter les possibilités de rompre ce cercle
vicieux. Nous allons ici présenter les facteurs les plus couramment
rencontrés dans la littérature.
Les facteurs déclenchants sont par ordre de
fréquence: -certaines affections de la sphère ORL
-des facteurs psychologiques pré-disposants -un
affaiblissement général
-la toux
-la période prémenstruelle ou une grossesse -une
intervention abdominale.
Les facteurs favorisants peuvent être:
-une obligation socio-professionnelle de parler ou de chanter
-certaines caractéristiques psychologiques
(tempérament nerveux, tendance à l'anxiété,
perfectionnisme, situation psychologique difficile)
-la consommation de tabac et/ou d'alcool
-les affections chroniques de la sphère ORL -un terrain
allergique
-un reflux gastro-oesophagien
-une hypoacousie
-l'exposition au bruit, à la poussière, aux
vapeurs irritantes et à l'air
conditionné
-la présence d'un dysphonique ou d'un hypoacousique
dans
l'entourage
-des antécédents pulmonaires.
II.2.1 La sphère ORL
Toute affection de la sphère ORL peut avoir des
répercussions négatives sur la production vocale. Notons ici le
rôle parfois non négligeable de l'air conditionné, de la
pollution et de l'exposition régulière à des agents
toxiques volatiles46.
Du fait de la consommation d'aérosols,
délétère pour les muqueuses laryngées, l'asthme
peut, à long terme, être la cause de problèmes vocaux plus
ou moins importants.
Les rhinites allergiques sembleraient engendrer des
problèmes de voix, particulièrement au printemps. Cependant, il
manque encore des études de la voix pour objectiver les ressentis des
patients.47
Enfin, une baisse d'audition modifie le
rétro-contrôle de la boucle audiophonatoire. Souvent, le sujet
augmente alors l'intensité de sa voix car « il ne s'entend plus
parler ». De même la surdité d'une personne, dans l'entourage
proche du sujet, le pousse à augmenter le volume sonore de sa voix.
II.2.2 L'alcool et le tabac
Dans 50% des cas, la consommation de tabac provoque une
kératinisation de la muqueuse des cordes vocales selon trois
mécanismes: la température élevée de la
fumée, la toxicité propre à la nicotine et la
présence d'agents cancérigènes. Ce
46 Voir à ce sujet l'ouvrage d'Ormezzano pp227-242, Op.
cit. p17.
47 Millqvist E., Bende M., Brynnel M., Johansson I., Kappel S.,
Ohlsson A.-C. (2008), « Voice Change in Seasonal Allergic Rhinitis »,
Journal of Voice, 22,4; 512-515.
pourcentage augmente fortement lorsque la consommation de tabac
est associée à une forte consommation d'alcool.
II.2.3 Les facteurs psychologiques
Les relations entre les qualités acoustiques de la voix
et l'état émotionnel sont complexes et difficiles à
étudier scientifiquement bien que les ouvrages sans réflexion sur
cette question soient rares48. Il est évident que les
états émotionnels, et en particulier le stress, influent sur la
respiration et la tension musculaire, donc indubitablement sur les
mécanismes en jeu lors de la phonation. « La voix est tributaire de
l'état psychique et émotionnel du sujet. La voix peut devenir
atone, asthénique chez le dépressif, elle peut s'éclipser
dans l'aphonie psychique »49. Ainsi, bon nombre d'études
tendent à montrer une corrélation entre certains traits de
caractère et le développement de pathologies
cordales50. Scherer a beaucoup étudié sur ce sujet en
tenant compte des stratégies de coping51. Lorsque la
stratégie de coping privilégiée a pour effet d'exacerber
le stress cela induirait des changements plus ou moins momentanés dans
la prosodie. Cependant, il note qu'il n'y a pas de changement réel de la
fréquence fondamentale.
Théorie de la disposition psychologique à la
dysphonie (d'après Roy and Bless) 52
48 Karpf A. (2008), La voix, Un univers invisible,
Autrement: Paris p224-258.
49 Estienne Fr. (1998), p4, Op. cit. p30.
50 Estienne Fr., Piérart B. (2006), Les bilans de
langage et de voix, Fondements théoriques et pratiques, Paris:
Masson, p233.
51 Les stratégies de coping consistent en des
modifications comportementales et cognitives face à des demandes
internes ou externes dépassant les ressources du sujet.
52 Giovanni, A. (dir.) (2004), Le bilan d'une dysphonie
État actuel et perspectives, Marseille: Solal, p41.
D'autres part, des troubles psychiatriques ont très
souvent des répercussions sur la voix. Ces retentissements touchent le
plus souvent la prosodie. La voix du schizophrène peut par exemple
alterner entre monotonie et variations excessives, fréquences basses ou
élevées, débit ralenti ou accéléré,
alors que la voix d'un maniaque lors d'une crise sera le plus souvent criarde,
forte et aigüe.
II.2.4 Les facteurs hormonaux
Tout d'abord, l'hormone thyroïdienne est connue et
reconnue pour ses effets sur la voix. Par exemple, une hypothyroïdie agit
sur le tonus musculaire et induit une raucité, un abaissement de la
fréquence fondamentale, une fatigue vocale, ainsi qu'une perte
d'étendue et de puissance de la voix. Une hyperthyroïdie
entraînera quant à elle une fatigabilité extrême de
la voix avec un timbre changeant d'un jour à l'autre.
Par ailleurs, on sait que la prise de stéroïdes
anabolisants a des conséquences irréversibles sur la voix : elle
provoque une virilisation de la voix féminine et une rugosité de
la voix masculine.
Les effets du cycle menstruel sur la voix de la femme ont
été étudiés par Abitbol. Ils montrent une
réduction de l'efficacité vocale, une perte des fréquences
aiguës et une légère raucité aux
14ème et 25ème jour du cycle chez 33% des
femmes, ces effets étant plus apparents chez les chanteuses que chez les
locutrices tout-venant53. D'autre part, plusieurs études
cherchant à montrer les effets de pilules oestroprogestatives sur la
voix aboutissent à des résultats contradictoires.
Ensuite, sur le plan théorique, une grossesse pourrait
avoir des effets négatifs sur la voix, ne serait-ce que par les
variations hormonales qui y sont liées, ou par la place que prend le
foetus dans l'abdomen, contraignant ainsi la respiration. Cependant, la
théorie est contredite par la plupart des études menées
sur cette question54. La seule étude valable menée sur
ce sujet que nous ayons trouvée montre, au cours du
3ème trimestre de grossesse, une diminution significative du
Temps Maximum de Phonation (à rapprocher à la place que prend le
foetus dans l'abdomen) ainsi qu'une fatigabilité
légèrement accrue (propablement résultante des
nausées et
53 Abitbol J, Abitbol P., Abitbol B. (1999), << Sex
hormones and the female voice », Journal of Voice, 13,3;
424-446.
54 Ormezzano suppose que l'action hormonale de la grossesse
sur les muqueuses laryngées n'est pas si importante que ce qui est
couramment présupposé, ou bien qu'elle est largement
compensée par << l'épanouissement intellectuel et psychique
du plaisir d'être enceinte ».
in Ormezzano, p211, Op. cit. p17.
vomissements ainsi qu'à une congestion accrue des
muqueuses laryngées)55.
Enfin, lors de la ménopause, un abaissement du
fondamental laryngé et de moins bonnes performances vocales sont
régulièrement évoqués. En réalité,
les études à ce sujet ne mettent pas toutes en évidence
les mêmes signes, et lorsqu'elles trouvent des signes communs, ceux-ci
n'apparaissent pas dans les mêmes mesures. D'autres études
montrent même qu'il n'y aurait aucune différence significative
entre les voix d'une femme non ménopausée,
ménopausée et ménopausée sous traitement hormonal
de substitution.
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