La métamorphose de l'état de droit comme processus de consolidation de la paix chez Emmanuel Kant. Une lecture du projet de paix perpétuelle( Télécharger le fichier original )par Michel Kakule Kabunga Université de Kinshasa - Licence 2009 |
III.3. La promotion de l'Etat de droit au niveau internationalIII.3.I. L'Etat de droit comme instrument de pacification des relations internationalesLa problématique de l'Etat de droit conduit à faire de la pacification des relations internationales la résultante d'un processus complexe, dans lequel les dimensions externe et interne sont inextricablement mêlées et renvoient l'une à l'autre150(*) : il ne s'agit pas seulement, en effet, de construire un «Etat de droit international» impliquant l'existence de règles supérieures aux Etats; il s'agit encore de faire reposer cette construction sur l'adoption par les Etats d'un modèle d'organisation politique fondé sur la primauté du droit. L'Etat de droit international prend ainsi appui sur le système de droit qui s'est développé dans l'ordre interne : le principe de soumission de l'Etat au droit qu'implique celui-ci contribue à assurer la diffusion et l'application effective des normes de droit international; l'Etat de droit international ne prendra ainsi toute sa portée qu'à partir du moment où il reposera sur l'existence d'une véritable «communauté d'Etats de droit». Ce lien est au coeur de la perspective kantienne151(*). La «paix perpétuelle» dépend de la réunion de trois conditions, dictées par la Raison et conçues comme des «articles définitifs». D'abord, le caractère «républicain» de la Constitution des Etats : impliquant la liberté et l'égalité des citoyens, la séparation des pouvoirs et la représentation. Une telle Constitution interdirait qu'une guerre puisse être décidée par les gouvernants «pour des raisons insignifiantes» et indépendamment de l'accord des citoyens. Ensuite, l'édification d'un «fédéralisme d'Etats libres» : il s'agit non d'un super-Etat, mais d'une «alliance des peuples», fondée sur la liberté des Etats et exclusive de toute idée de contrainte. Enfin, la promotion d'un «droit cosmopolitique», sous-tendu par le principe d'«hospitalité», c'est-à-dire signifiant le droit pour l'étranger à son arrivée sur le territoire d'un Etat de ne pas être traité par lui en ennemi. Kant établit ainsi un lien consubstantiel entre la mise en place d'un ordre républicain au sein des Etats et la construction d'un ordre pacifique international : la paix mondiale n'est possible à ses yeux que si les Etats se dotent d'une Constitution garantissant les droits de l'homme et limitant le pouvoir ; alors des rapports pacifiés pourront s'établir entre les Etats, tout en respectant leur souveraineté. Cette perspective se retrouve chez Norberto Bobbio152(*) ou encore chez Jürgen Habermas153(*). Pour Bobbio, l'établissement d'une paix durable dans le monde n'est concevable que si la Constitution des Etats est fondée sur le respect de la démocratie et des droits de l'homme. De même, critiquant l'idée d'«alliance des peuples», Habermas estime que le «droit cosmopolitique» doit donner aux individus, en tant que «citoyens du monde», des droits face aux Etats et donc «court-circuiter» la souveraineté. Ulrich Beck est en revanche plus proche de la perspective kantienne, en concevant l'«Etat cosmopolitique» comme une «réponse politique à la mondialisation», par la promotion d'une logique nouvelle de coopération154(*) : le cosmopolitisme ne marquerait donc nullement la fin de la souveraineté des Etats, mais son renforcement par l'association et le partage. Bridant la puissance des Etats en la coulant dans le moule du droit, aussi bien dans l'ordre externe que dans l'ordre interne, l'Etat de droit est conçu comme un moyen de pacification de leurs relations mutuelles. * 150 M. CHEMILLIER-GENDREAU, L'Etat de droit au carrefour des droits nationaux et du droit international, L'Etat de droit, p. 57. * 151 E. KANT, E., Vers la Paix perpétuelle, 1795, 1991. (Lire aussi F. RAMEL et D. CUMIN, Philosophie des relations internationales, pp. 252 sq. * 152 N. BOBBIO, L'Etat et la démocratie internationale, pp. 143-157. (Lire aussi C. LEBEN, Norberto Bobbio et le droit international, Utopies : entre droit et politiques, pp. 215-233. * 153 J. HABERMAS, La Paix perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée kantienne, 1996. * 154 Ibid., p. 179. |
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