UNIVERSITE DE
KINSHASA
FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
Département de Philosophie
B.P. 243
KINSHASA XI
République Démocratique du Congo
LA METAMORPHOSE DE L'ETAT DE DROIT
COMME PROCESSUS DE CONSOLIDATION DE LA PAIX CHEZ KANT
Une lecture du Projet de paix perpétuelle
Michel KAKULE KABUNGA
Mémoire présenté et défendu
en vue du titre de Licencié en
Philosophie
Option : Philosophie et
Société
Promoteur : Professeur Macaire ABE
PANGULU
Année académique 2008-2009
A mon père Konrad Katsuva, d'heureuse
mémoire
A ma mère Clotilde Musumba
A mes beaux parents, Dieudonné Kasereka Mathe et
Pauline Kakule Mbeva
A ma tendre et chère épouse Stella Kavugho
Sivwira
A Juliette Mbambu Mughole
Je dédie ce travail.
EPIGRAPHE
« Ce qui est de droit, c'est-à-dire ce
que les lois disent ou ont dit en un certain temps, le juriste peut sans doute
l'indiquer. Mais savoir si ce qu'elles voulaient était en outre juste,
cela lui reste bel et bien dissimulé s'il ne laisse pas de
côté pour un temps ces principes empiriques et ne cherche pas la
source de ses jugements dans la simple raison »
(Emmanuel KANT)
« Je pense en fait avec la plume, car ma
tête bien souvent ne sait rien de ce que ma main
écrit »
(Ludwig WITTGENSTEIN)
AVANT-PROPOS
« Criton, nous devons un coq à
Asclépios », disait Socrate. Le présent
mémoire, marquant la fin de mon deuxième cycle de philosophie,
est un édifice bâti avec des pierres et des mains de
différentes personnes, à qui « je dois un
coq ». Le paiement de cette dette réside dans les mots de
gratitude, reconnaissance et remerciement que je leur exprime dans cette page.
Mon coeur sait qu'ils méritent plus.
Je rends un hommage mérité et
déférent au professeur Macaire Abe Pangulu qui, de par sa
disponibilité, son substantiel apport documentaire et sa probité
intellectuelle, n'a ménagé aucun effort dans la direction de ce
mémoire. Je reconnais en lui un maître soucieux de l'excellence
scientifique.
La même expression de gratitude s'adresse au Doyen de la
Faculté des Lettres et Sciences Humaines, le professeur Phambu-Elie
Ngoma Binda, aux membres du Bureau du Département de Philosophie, le
professeur Jean-Christ Kinanga Masala, le professeur Alexis Mpoyi Mukala, le
chef de travaux Jacques Ngangala Balade, respectivement Chef de
Département, Secrétaire à l'enseignement et
Secrétaire à la recherche. A travers eux, je tends une palme d'or
à tous les professeurs, Chefs de Travaux et Assistants de la
Faculté des Lettres et Sciences Humaines qui, de près ou de loin,
ont contribué à ma formation intégrale.
Je remercie ici toutes celles et tous ceux qui ont
aiguisé ma soif des études universitaires. Je ne peux les nommer
toutes et tous, mais je veux tout de même citer quatre noms : celui
de l'honorable Juliette Mbambu Mughole, dont la générosité
inextricable m'a été providentielle au moment du tournant
décisif de ma vie ; celui de Maître Thierry Kasereka Sokulu
et son épouse, dont l'hospitalité au sein de son foyer m'a offert
un cadre propice de détermination et d'engagement existentiel ;
celui du Chef de Travaux Henri-Jacob Ndobo Koti Kpata, qui m'a initié
à la pratique administrative ; celui du Professeur Rombaut Mimbu
Ngayel, dont la sagesse, le savoir faire et l'expérience professionnelle
m'ont initié à l'amour du travail fini et bien fait.
Par ailleurs, l'épiphanie de mon être a
trouvé son plein épanouissement en famille. Ainsi, j'ai un
réel plaisir de gratifier mes grands parents ; mes tantes et
oncles ; mes frères et soeurs Innocent Bakwanye, Nicolas Kabunga,
Pierrot Kavunga, Hermélinde Aloza, Chantal Kavunga et Mbambu
Kabunga ; mes cousins et cousines Modeste Mughongolo, Alain Mughongolo,
Georges Kakule Mukosasenge, Bertier Mathe, Paluku Matsande, Germain Matsande,
Gentil Kisune, Grâce Mathe, Anifa Mathe, Jeanine Mughongolo, Denise
Matsande, Anitha Matsande ; mes neveux et nièces Mowa, Diego,
Bienvenu, Salomé Kunahimbire, Mamie, Nia, Léa, Diane, Nancy.
Je tiens à remercier sincèrement ma belle
famille, pour sa confiance. Je pense particulièrement à mes beaux
parents Dieudonné Kasereka Katuko Mathe et Pauline Kakule Mbeva ;
à mes belles soeurs Consolée Vira Mukiranya, Martine Mbambu
Mwasimuke et Victorine Katungu ; à mes beaux frères
Deogratias Muhindo Mukandirwa et son épouse Gisèle Kambesa,
Pacifique Kambale Mathe et Benoît Kasereka Mukandirwa.
Enfin, je me dois de remercier ceux qui m'ont
témoigné leur amitié : Serge Kasisivahwa, Adelard
Kambale et Ange Nswete Midimi, les soeurs Francine Wasukundi Kasivirwa et
Aimérance Mandefu Kavira, l'Abbé Robert Kisimba Muyambi, Michel
Makangila, Jonathan Kankonde, Muamba Ngueshe, André Saïo Muanda
Lusala.
Je m'en voudrais de ne pas redire à mon épouse
Stella Kavugho Sivwira à quel point sa patience, sa sagesse, sa
compréhension, sa motivation et son appui m'ont soutenu au cours de la
réalisation de ce mémoire. Je la remercie infiniment pour
l'affection, la ténacité, l'encouragement et l'empathie dont elle
n'a cessé de faire montre avec grande constance et abnégation.
A vous tous, je dis que « mon avenir serait fou
et flou sans votre secours ». Votre appui tant financier,
matériel que morale justifie à présent ce cri de mon coeur
: « Si longue et tortueuse que soit la route, le voyageur
béni, chanceux, vigilant et opiniâtre arrive toujours à
destination, par la grâce de Dieu qui nous bénit en
Jésus-Christ sous l'action du Saint Esprit ».
Michel Kakule Kabunga
1. INTRODUCTION GENERALE
En 1795, dans son célèbre Projet de paix
perpétuelle, Kant conçoit l'idée d'une
Société des Nations. Depuis deux siècles, cette
idée inspire et justifie l'existence des institutions tant nationales,
internationales que transnationales. Ces institutions prônent
l'établissement d'un ordre international pacifique, fondé non
seulement sur l'adoption d'un code de bonne conduite internationale mais
surtout sur l'édification des institutions internationales permanentes
et contraignantes.
En planchant sur la métamorphose de l'état de
droit, notre préoccupation est de montrer comment se constitue le
processus de la création d'un ordre juridique générateur
de la paix mondiale, en passant par les trois formes de l'état civil
conçues par Kant, à savoir l'Etat, l'Association des Etats et
l'état cosmopolitique .
Notre intime conviction est qu'il est possible de fixer les
bases théoriques pour la modélisation des relations de droit et
de paix au sein d'un Etat, entre les Etats et entre tous les hommes sur la
terre. L'idée kantienne de paix perpétuelle est un socle pour
bâtir un Etat cosmopolitique d'hospitalité et de progrès
intégral. Revenir sur Kant dans une Afrique étranglée
...., c'est souligner à la fois l'actualité de la pensée
kantienne sur la paix et la nécessité de l'adapter aux conditions
actuelles du droit et de la politique. Concrètement, nous voulons jeter
le pont pour l'édification d'une Afrique où la paix est le
dénominateur commun ; une Afrique unie, forte et prospère.
Car, à cette époque de planétarisation, de globalisation
ou de mondialisation, la pensée kantienne sur la paix perpétuelle
et le cosmopolitisme acquiert une nouvelle actualité. En fait, cette
pensée prend en compte, comme le souligne le professeur Otfried HOFFE,
une argumentation non pas ethnocentrique, mais trans- et interculturelle. Elle
prend en compte un minimum normatif de coexistence interculturelle ainsi que
des conditions élémentaires en matière d'Etat de droit et
de démocratie. Par le fait même, elle est une argumentation
politique et, à cause de ses dimensions globales, elle est cosmopolite,
digne d'un citoyen du monde1(*).
En effet, en ces temps d'interrogations profondes à
propos du droit international et des relations entre des peuples, liées
à la problématique de l'immigration clandestine, des
« sans papiers », il semble particulièrement
important de nous interroger sur les idées exprimées par Kant
à propos du droit cosmopolitique, notamment dans le Projet la paix
perpétuelle, publié en 1795, qui vient prolonger et affiner
les intuitions soulevées dans Idée d'une histoire universelle
d'un point de vue cosmopolitique (1784). La formulation kantienne du droit
cosmopolitique intervient à la maturité de sa philosophie
critique, à l'apogée des Lumières allemandes, elle est
particulièrement aboutie et plus réaliste qu'on ne le lui a
reproché. Ainsi, ce travail, qui est une lecture du Projet de paix
perpétuelle, est une tentative d'appréhension de
l'état de droit, posé comme processus de consolidation de la
paix.
Ce sujet se situe donc dans l'actualité
planétaire. Car, en effet, la théorie kantienne relative à
la paix universelle et au cosmopolitisme apporte une innovation remarquable
à la théorie du droit : au droit étatique et au droit des
gens s'ajoute le droit des citoyens du monde.
L'objectif assigné à ce travail est de fournir
quelques repères de lecture du Projet de paix
perpétuelle d'Emmanuel Kant. Il portera sur la métamorphose
de l'état de droit. Notre tâche consiste à faire une
relecture du projet kantien dans le cadre de la philosophie du droit et des
relations internationales.
Le projet kantien se construit sur base d'un principe. En
fait, Kant fait une analogie entre les individus et les Etats à
l'état de nature. L'état de nature est un état
d'hostilité, de barbarie, de rivalité, un état de guerre.
Les individus constituent par le contrat social une société
civile. Cette dernière assure la justice par le règne et
l'application du droit. Kant estime qu'il peut en être de même au
niveau des Etats, de façon à ce que ceux-ci abandonnent leur
état de nature pour un état de droit, en constituant soit une
société des Nations, soit une alliance des Nations. Il s'agit
donc d'un nouveau contrat social dont tous les Etats sont membres. Kant
précise que ce contrat ne consiste pas en un abandon de
souveraineté, ce qui n'est pas raisonnablement envisageable car il
conduirait à un échec, mais plutôt à un renoncement
à la guerre comme mode de règlement des conflits et à
l'institution d'un droit cosmopolitique.
Par ailleurs, retenons que, contrairement au contrat social
qui est davantage une vue de l'esprit qu'une réalité historique,
le processus de marche vers le cosmopolitisme, instaurateur de la paix
perpétuelle, est un processus historique. Son instauration, estime Kant,
devrait se faire de façon progressive. Car, la paix qui,
d'emblée, n'est pas universelle, le devient par agrégation
progressive et ouvre la voie à la possibilité d'un
cosmopolitisme.
Notre travail est articulé en trois chapitres. Le
premier donne un bref aperçu des origines de l'oeuvre politique
d'Emmanuel Kant, en partant de sa conception des Lumières
jusqu'à son projet, en passant par les influences qu'il a subies de
Jean-Jacques Rousseau et de la Révolution Française. Le
deuxième chapitre sera consacré aux formes de l'état civil
et ses diverses manifestations : le Républicanisme, la
fédération des Etats libres et le droit cosmopolitique. Le
troisième chapitre prolonge l'analyse du cosmopolitisme posé
comme horizon d'accomplissement de la paix. Ce chapitre, essentiellement
critique, est un plaidoyer pour la cohabitation pacifique de différents
individus et des divers Etats dans un univers mondialisé et
globalisé. Précisément, il montre que le cosmopolitisme
pose le problème du passage de la nationalité à la
transnationalité en passant par l'internationalité. Aussi, le
verrons-nous, la problématique de la cosmopolicité est
liée à celle du droit d'être étranger et celle de la
mondialisation. Par rapport au droit des étrangers, Kant défend
l'idée d'une « citoyenneté mondiale »,
c'est-à-dire qu'un individu possède des droits
indépendamment de son appartenance à tel ou tel Etat.
La question sous examen a un intérêt certain. En
effet, le cosmopolitisme est longtemps resté en marge de
l'intérêt qui a été porté à la
pensée juridico-politique de Kant. L'intérêt philosophique
de la question qui nous occupe dans cette investigation dépasse
largement le cadre du cosmopolitisme. Nous attestons d'abord que la
théorie politique de Kant ne se limite pas à une théorie
de l'Etat. Cette théorie dépasse l'idée de peuple pour
atteindre celle d'humanité. Ceci montre en suffisance à quel
point nous avons besoin aujourd'hui du cosmopolitisme de Kant pour le passage
de la guerre à la paix dans nos sociétés complexes
victimes de guerres fraticides, tribales, d'agression, ...
L'intérêt majeur que revêt la relecture du
Projet kantien est de motiver tous les hommes pour la paix, comprise comme
affaire de tous, citoyens ou dirigeants, pour autant qu'ils sont doués
de raison. Particulièrement, la relecture du Projet kantien, dans le
domaine du droit et des relations internationales, est une thématique
dont l'actualité n'est pas à démontrer. Cette
problématique est au coeur des réflexions de beaucoup d'auteurs.
Parmi eux, Habermas, dans La paix perpétuelle. Le bicentenaire d'une
idée kantienne (1995), souligne à la fois l'actualité
de la pensée kantienne sur la paix et la nécessité de
l'adapter aux conditions actuelles du droit et de la politique2(*).
Quant au cadre d'approche, notre recherche se situe dans le
domaine de la Philosophie politique et sociale. Elle se veut pratique. Car,
l'enjeu majeur que nous nous proposons est de donner un tonus aux
différentes tentatives d'établissement de l'état de droit
au sein et entre les nations, en vue d'une paix durable. Pour atteindre notre
objectif, notre démarche s'est voulue analytique et critique.
La technique de notre investigation est essentiellement
documentaire. Les ouvrages, les articles, l'internet constituent la source pour
l'élaboration de notre ébauche.
Chapitre premier :
LES ORIGINES DE L'OEUVRE POLITIQUE D'EMMANUEL KANT
I.O. Introduction
Quelle que soit l'originalité d'un philosophe, on ne
peut l'expliquer que sur base des sources qu'il s'est choisies et par les
influences qu'il a subies. Car chaque grand philosophe est, en quelque
manière, le point de rencontre d'un certain nombre de lignes de
pensée.
Ainsi, la meilleur façon de pénétrer dans
la pensée de Kant, nous a semblé de passer en revue son univers
d'inspiration, ses sources et de voir comment il s'en est servi.
Nous résumons en trois points les principaux facteurs
qui ont inspiré la pensée politique de Kant : Les
Lumières, la pensée de Jean-Jacques Rousseau et la
Révolution française.
I.1. Les Lumières
Le mot Lumières définit métaphoriquement
le mouvement culturel et philosophique qui a dominé, en
Europe, et
particulièrement en
France, le
XVIIIe siècle
auquel il a donné, par extension, son nom de
siècle
des Lumières. Les membres de ce mouvement ont marqué le
domaine des idées et de la littérature par leur remise en
question fondée sur la «
raison
éclairée » de l'être humain et sur
l'« idée de liberté ». Par leur engagement
contre les oppressions religieuses, morales et politiques, les partisans de ce
mouvement, qui se voyaient comme une élite avancée oeuvrant pour
un progrès du monde, combattant l'irrationnel, l'
arbitraire et la
superstition des
siècles passés, ont procédé au renouvellement du
savoir, de l'
éthique et de l'
esthétique de
leur temps. L'influence de leurs écrits a été
déterminante dans les grands événements de la fin du
XVIIIe siècle que sont la
Déclaration
d'indépendance des États-Unis d'Amérique et la
Révolution
française.
Le siècle des Lumières commence en 1670 et
s'étend jusqu'en 1820. Cette période est appelée
siècle des Lumières de par les diverses révolutions qui
ont eu lieu. De grands événements se sont déroulés
durant ce siècle et n'ont épargné aucun domaine, que ce
soit dans la science, la littérature, les sciences sociales ou l'art.
Plusieurs personnalités vont marquer ce siècle et seront
considérées comme l'élite intellectuelle. Ainsi, le
siècle des Lumières fut-il marqué par un premier grand
évènement : la mort de
Louis XIV en
1715, précédée par la Révolution anglaise. Le
XVIIIe siècle est, pour ainsi dire, une époque de mobilité
et de communication, qui a brassé les hommes, les choses et les
idées, dans et à travers les frontières politiques et
géographiques de l'Occident.
Concrètement, en 1784, Kant fait une défense des
Lumières à travers sa Réponse à la question :
Qu'est-ce que les Lumières ? Cette question est
éminemment politique. Elle implique à la fois la liberté,
la connaissance, la raison, le jugement, la religion, le pouvoir et l'Etat.
La définition donnée par Kant en 1784 à
ce mouvement insiste sur l'idée que la raison philosophique avec
laquelle les hommes des Lumières ont investi le monde a correspondu plus
à une énergie qu'à un contenu doctrinal. Il s'agit d'une
dynamique, une "marche" dirait-il, vers l'émancipation de la personne
humaine par la connaissance, l'acquisition par l'homme de son autonomie
intellectuelle, une libération des vérités imposées
de l'extérieur, qui maintenaient l'humanité en tutelle. Pour
Kant, en effet, « les lumières sont ce qui fait sortir
l'homme de la minorité »3(*). Par « minorité »,
il représente l'incapacité de se servir de son propre entendement
sans la direction d'autrui. Par ce fait même, Kant veut libérer la
raison afin de lui rendre un « usage public » de
sa raison.
En présentant les Lumières comme la sortie de
l'homme de la minorité dont il est lui-même responsable, Kant ne
paraît pas convaincu que l'homme soit devenu majeur. En effet, pour lui,
devenir adulte c'est entre autres savoir penser, et ne plus dire :
« Je n'ai pas besoin de penser pourvu que je puisse
payer »4(*).
Cet idéal individuel et collectif auquel aspirait et
vers lequel tendait toute l'Europe du XVIIIe siècle, et qui encore
aujourd'hui continue de façonner l'expérience humaine, a
modelé la pensée de cette époque. Voici comment Emmanuel
Kant, grand philosophe allemand du XVIIIe siècle, a exprimé la
devise des Lumières : « Sapere aude! - Ose user de
ton entendement! »
Par ailleurs, en tant qu'être de nature, l'homme, comme
les autres vivants, ne naît pas adulte. Sa vie commence par l'enfance. Il
a besoin d'une croissance qui le développe pleinement. Kant postule donc
que l'homme est un être dont l'être est la raison. Mais, dès
son enfance, il ne sait pas faire usage de sa raison.
Dès lors, « quitter la
minorité » c'est être raisonnable. Dans son opuscule sur
la philosophie de l'histoire, Kant écrit notamment :
« Etre raisonnable c'est se gouverner soi-même, autonomie
qui exclut toute espèce de joug et e la direction
étrangère, pathologique (...) ou même divine (...). Etre
homme c'est être adulte dans toutes ses pensées et toutes ses
actions »5(*).
Enfin, quoi qu'il en soit, il est difficile pour chaque
individu, dans sa singularité, de sortir de la minorité. A ce
moment, il lui est difficile de se servir de son propre entendement.
Néanmoins, l'homme doit conquérir la raison par essais et
erreurs.
A tout considérer, la diffusion des Lumières
n'exige autre chose que la liberté, et encore la plus inoffensive de
toutes les libertés, celle de faire publiquement usage de sa
raison ; et dans le cas qui nous concerne, en matière de politique.
Cette philosophie politique de l'entendement peut, en son développement,
rendre plus proche le règne de la philosophie rationnelle et raisonnable
de l'Etat dont héritera en partie Hegel.
I.2. La lecture de Jean Jacques Rousseau
L'on ne peut pas penser ex nihilo, dit-on. On se base sur un
fait, une pensée, une personne pour étayer sa propre doctrine.
Dans la construction de sa pensée politique, Kant avait puisé de
près ou de loin dans plusieurs sources. Effectivement, une lecture
minutieuse de ses oeuvres politiques nous présente sa
référence préférentielle à Jean-Jacques
Rousseau, dont il salut le style. Mais Kant, qui médita si
profondément Rousseau, n'était pas tout à fait son
disciple, ou n'était qu'un disciple indépendant. Pouvait-on alors
penser qu'il y ait entre les deux quelque parenté
immédiate ?
Tout comme David Hume réveilla Kant de son sommeil
dogmatique, Rousseau aurait ouvert les yeux de Kant sur la
réalité humaine. On peut bien s'apercevoir de la
fécondation de la pensée de Kant par Rousseau, d'abord et
essentiellement au niveau de la méthode. En effet, Rouseau utilise la
méthode des « modèles » qui consiste à
la manière des sciences hypothético-déductives. Il s'agit
d'un effort mental par lequel on pose en idée une réalité
enfin la jauger dans l'empirie. C'est d'ailleurs pour cette raison que Kant
disait de Rousseau que « c'est le Newton de la
philosophie »6(*).
Kant n'a pas été servile à l'égard
de Rousseau. Il ne nourrissait pas une naïveté extrême en
s'abandonnant à la magie que Rousseau, en tant qu'écrivain
exerçait sur lui. Au contraire, il y substituait un jugement plus calme
et plus serein. Ainsi, dira-t-il : « Je dois lire Rousseau
(...) jusqu'à ce que la beauté de son expression ne me distraie
plus, alors puis-je l'envisager avec ma raison »7(*). Toutefois, sa théorie
sociale et politique apparaît, somme toute, comme la théorie
rousseauiste inversée. Si, pour Rousseau, l'homme, et l'histoire qu'il
crée par les mécanismes sociaux, va du mieux au pire, Kant, en
revanche, estime que l'histoire de l'humanité, va du pire au mieux. A
l'interprétation chaotique et pessimiste de l'histoire, Kant substitue
l'optimisme anthropologique et historique. Grace à celui-ci,
l'humanité peut s'activer dans l'horizon de l'espérance et
réaliser les objectifs « rusés » de la
Nature, par un comportement technique, réglé sur le modèle
du Devoir8(*).
Rousseau a éveillé chez Kant un écho
certain. Dès son jeune âge, Rousseau est un homme solitaire. Il
était un citoyen bien singulier manifestant dès le départ
une relation paradoxale avec la société. Il fallut qu'il quitta
la société pour la servir ensuite. C'est dans son ermitage qu'il
réfléchissait aux devoirs des citoyens. Le contrat
social est un fruit de cette solitude. Cette oeuvre
présente les traits similaires avec l'Emile,
oeuvre dans laquelle Rousseau veut qu'Emile soit élevé en dehors
de la société parce que c'est seulement de cette manière
que l'on peut éduquer au vrai sens du terme.
Le problème de Rousseau, dans le Contrat
social, c'est de sauver à la fois la liberté et
l'obéissance. Pour Rousseau, en effet, l'homme doit se dénaturer
pour devenir un être social : « Ce que l'homme perd
par le contrat social, c'est la liberté naturelle et un droit
illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre ; ce
qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de
tout ce qu'il possède »9(*).
Kant s'aperçut clairement de tout cela. Il fut ainsi
capable de pénétrer la nature de Rousseau bien
profondément. Kant, dans sa nature, n'avait rien d'un associal, il
n'exagérait pas la valeur de la vie en société ni ne la
sous-estimait. Au contraire, « il cherchait et appréciait
les relations sociales »10(*).
Le contrat social, tel était aux yeux de Kant, le
mérite de Rousseau. Il ne pensait pas que Rousseau, par son éloge
enthousiaste de la nature, avait voulu détourner l'homme de la
civilisation ou le ramener à l'état sauvage. Il le défend
même explicitement contre ce soupçon dans ses leçons
d'anthropologie en ces termes : « Quant au tableau
hypocondriaque (...) que Rousseau trace de l'espèce humaine se risquant
à sortir de l'état de nature il ne faut pas y voir le conseil d'y
revenir et de reprendre le chemin des forêts »11(*).
L'on remarque avec netteté que Rousseau ne voulait pas
que l'homme dût revenir à l'état de nature, mais qu'il
apprît du degré où il se trouve de nos jours, à
reporter vers lui son regard.
Pour Kant, le caractère en apparence
rétrospectif de la théorie du contrat social doit armer les
hommes pour l'avenir et les rendre capables d'établir les bases de
celui-ci.
En raison de la conviction méthodologique fondamentale
chez Kant, ce dernier est obligé de refuser d'emprunter la voie de
Rousseau, quand celui-ci opère de façon purement déductive
et traite de l'état de nature postulé comme un fait à
partir duquel l'on peut tirer des conclusions. C'est ce que retrace Cassirer,
un des commentateurs de Kant : « Kant a donc accompli ainsi
pour le contrat social la même transformation méthodologique que
celle qu'il a effectuée avec l'interprétation de l'état de
nature de Rousseau. Il a transformé l'un et l'autre en faisant d'une
"expérience" une "idée" (...)
Non seulement la question de l'existence historique du contrat social n'a pas
d'importance à ses yeux, mais il considère même que ce
contrat ne saurait exister comme un fait »12(*).
Il découle de ce qui précède que la seule
donnée dont nous disposons, dans la pensée kantienne, c'est
l'homme civilisé ; et non le sauvage de Rousseau, qui erre
solitaire dans la forêt. En effet, que Rousseau procède
synthétiquement -commence par l'homme naturel -, Kant, quant à
lui, procède de façon analytique en partant de l'homme
civilisé. Ce point de départ kantien est, à notre avis,
plus approprié parce que la civilisation ne constitue pas une
caractéristique accidentelle et secondaire de l'homme. Elle
révèle au contraire sa nature essentielle, son caractère
spécifique. Et, à en croire Kant, « Qui veut
étudier les animaux doit commencer à les observer à
l'état sauvage ; mais qui veut connaître l'homme doit
l'observer lorsque ses facultés créatrices et ses
réalisations sont plus apparentes, c'est-à-dire dans
l'état de civilisation »13(*).
I.3. La Révolution française
Selon Ernest Cassirer, la Révolution française
fut un « événement ... assez important pour que
Kant, en apprenant la prise de la Bastille, renonçât à sa
promenade quotidienne afin de lire les journaux. Fichte crut qu'une nouvelle
époque de l'histoire du monde venait de commencer (...) Hegel salua dans
l'événement sans pareil un merveilleux "lever de
soleil" »14(*).
Emmanuel Kant est contemporain de la Révolution
française et de Jean Jacques Rousseau. En sus, la Révolution
française se déclenche quand Emmanuel Kant a soixante-cinq ans.
Elle est, à ses yeux, une guerre où des rois et des princes se
battent contre la liberté. Et la barbarie guerrière exige, sans
ambages, la nécessité de passer de l'état de
nature15(*) à
l'Etat civil dont le point culminant est l'instauration de la paix
perpétuelle. Seul le droit fournit une telle garantie, car il se
définit par le respect de la liberté d'autrui sous des lois
communes. Il substitue donc la loi à la violence.
Le moment qui déclenche la Révolution
française est décisif non seulement pour l'histoire
événementielle de l'Europe, mais aussi pour le cours des
idées politiques. Mais, qu'est-ce qui s'est, au juste,
passé ? Tout est chambardé et émietté. Des
monarchies féodales sont impuissantes à imposer quelque
autorité. Cette douloureuse réalité historique dictera la
réflexion des idéalistes allemands, dont Kant.
Kant opère une révolution similaire. D'une part,
au niveau de la connaissance, Kant cesse de croire que la connaissance humaine
se règle sur les objets, mais il la fait dépendre de la structure
du sujet. D'autre part, au niveau politique, Kant ne se contente pas de faire
dépendre la connaissance du sujet connaissant à la
réalité politique. Au contraire, il tente de régler le
monde politique sur l'action volontaire des citoyens en projetant un Etat
cosmopolitique reposant sur la cohésion internationale les droits et
l'hospitalité universelle.
Subséquemment, la Révolution Française
est une rupture majeure : de vieux Etats magnifiques, dit-il, ont disparu comme
par enchantement pour faire place à d'autres qui semblent surgir des
profondeurs de la terre16(*). Par conséquent, écrit-il,
« Ce qui avait été grand parmi les hommes est
devenu petit et ce qui avait été petit est devenu
grand »17(*).
Kant, méditant Rousseau, s'aperçut très
tôt de ce penchant révolutionnaire qu'il tentera de contourner en
introduisant l'idée de réforme qui supplée à celle
de révolution. Pour Kant, la révolution est le propre du peuple
tandis que la réforme est de l'autorité du souverain. Rousseau ne
l'avait guère remarqué. Il écrit à ce sujet:
« Un changement de la constitution (vicieuse) de l'Etat peut bien
être parfois nécessaire -mais il ne peut être accompli que
par le souverain lui-même par une réforme, et non par le peuple,
c'est-à-dire par révolution- et si cette révolution a
lieu, elle ne peut atteindre que le pouvoir exécutif, non le pouvoir
législatif »18(*).
Au demeurant, Kant se montre extrêmement circonspect. Il
conteste le droit de « faire une révolution ». Et,
lorsqu'il déclare que « les acteurs en cas de
défaite, en paieront les frais »19(*), il ne fait que contester
ce que les révolutionnaires savent bien : s'ils échouent,
ils meurent car ils se sont eux-mêmes exclus du droit
établi ; droit nouveau dont ils rêvent, contre droit ancien
qu'ils réprouvent.
A ce propos, la sévérité de Kant, son
pessimisme si souvent soulignés ne dépendent pas vraiment d'un
passé monstrueux et gigantesque des forfaits commis par
l'humanité, mais plutôt des craintes pour l'avenir. L'histoire est
pour ainsi dire une adolescence. En ce sens, Kant lit dans la Révolution
Française une crise d'adolescence mal supportée. Ce drame
s'étend sur toute l'humanité car il est une « croisade
de liberté universelle ». Ce n'est pas une guerre conclue
entre prince et prince pour la conquête d'une province mais bien au
contraire une guerre politique : des rois et des princes se battent contre
la liberté.
Enfin, Kant n'est pas le philosophe de la Révolution
Française. Il ne l'avait même pas prévue dans ses
idées d'avant 1789, tout comme il n'a pas eu la possibilité de la
considérer dans son développement. Pour tout le moins, la
Révolution Française l'inspira sur les constitutions politiques.
Et à en croire Aulard, « plus d'un orateur, dans le
langage de Rousseau, y exprima les voeux que les nations passent le plus
tôt possible de l'état de nature à l'état civil,
c'est-à-dire de l'état sauvage à l'état
raisonnable, de l'état de guerre à l'état de
paix »20(*).
Après avoir cerné les origines de la
pensée politique de Kant, voyons comment cette pensée s'est
construite autour des concepts de droit et de liberté.
I.4. La liberté et le droit
Dans Fondements de la métaphysique des moeurs,
Kant définit la liberté comme la clef d'explication de
l'autonomie de la volonté, et doit être supposée comme
propriété de la volonté de tous les êtres
raisonnables. La liberté est l'indépendance aux causes du monde
sensible ; elle permet l'autonomie, elle-même pilier de la loi
morale. Elle « serait la propriété qu'aurait cette
causalité de pouvoir agir indépendamment de causes
étrangères ».21(*)
Cependant, poursuit Kant, comme le concept d'une
causalité implique en lui celui de lois, d'après lesquelles
quelque chose que nous nommons effet doit être posé par quelque
autre chose qui est la cause, la liberté, bien qu'elle ne soit pas une
propriété de la volonté se conformant à des lois de
la nature, n'est pas cependant pour cela en dehors de toute loi ; au contraire,
elle doit être une causalité agissant selon des lois immuables,
mais des lois d'une espèce particulière, car autrement une
volonté libre serait un pur rien22(*).
La liberté civile et la propriété sont de
grandes valeurs acquises par le contrat social. C'est cette souscription qui
transparaît dans la Doctrine du droit où l'on peut lire
succinctement sous la plume de Kant cette affirmation : « on
ne peut pas dire que l'homme, dans l'Etat ai sacrifié une partie de sa
liberté naturelle extérieure à une quelconque fin, mais il
a abandonné la liberté sauvage et sans loi pour retrouver une
dépendance légale, c'est-à-dire dans un Etat juridique, la
liberté en général, inentamée puisque cette
dépendance procède de sa propre volonté
législatrice »23(*).
Ce faisant, Kant est conduit à distinguer deux types de
liberté. D'une part, la liberté fondée sur la force et
l'instinct : celle de l'état de nature. D'autre part, la
liberté fondée sur la raison : celle de l'état civil,
lequel harmonise les rapports entre les gens par la raison, dans et pour
l'Etat, d'après le critère de droit.
Pour Kant, le véritable fondement du droit est la
liberté. En fait, le droit est à la fois un choc des
libertés individuelles selon la téléologie -à
laquelle renvoient les rapports extérieurs des hommes entre eux-, et le
postulat de la liberté morale. Dans cette vision, le droit est donc un
ensemble de règles objectives.
Subséquemment, selon une problématique reprise
par des pensées comme celle de John Rawls24(*), le droit est constamment
placé sous la détermination des principes de justice. Ceux-ci
sont régis par l'idée selon laquelle « est juste
toute action qui permet ou dont la maxime permet à la liberté de
l'arbitre de tout un chacun de coexister avec la liberté de tout autre
suivant une loi universelle »25(*).
Quoi qu'il en soit, le fondement du droit sur la
liberté nécessite la contrainte. Bien entendu, les rapports de la
liberté et de la contrainte prennent, dans la pensée kantienne,
la forme d'une antinomie. C'est-à-dire que l'association civile doit
assurer le maximum de sécurité ; ce qui requiert en ce cas,
le maximum de contrainte. Or, l'homme vise le maximum de liberté. Donc,
il recherche le maximum de contrainte.
En revanche, cette antinomie trouve sa solution au sein d'une
liberté universelle permettant l'accord de toutes les libertés
individuelles. Ceci explique par le fait même que le droit consiste
simplement à limiter la liberté d'autrui en la ramenant à
la condition qu'elle puisse coexister avec la mienne d'après une loi
universelle.
Somme toute, Kant explique mieux la liberté comme
fondement du droit par une célèbre parabole des arbres :
abandonnés à eux-mêmes, ils poussent de façon
anarchique. Tandis que cette force qui les pousse naturellement à se
développer est mise au service de la civilisation lorsqu'elle est
canalisée par la présence d'autres arbres qui, eux aussi,
s'efforcent de se développer pleinement. Cette parabole peut, sans
ambages, être rapprochée de la formule non moins
célèbre selon laquelle l'homme est fait de bois noueux. Quand le
développement s'accomplit sans la contrainte, le bois devient de plus en
plus noueux. Il se redresse, par contre, et pousse vers le haut, vers la
lumière, lorsqu'il est discipliné par des règles de
coexistence. Ainsi, le droit est-il posé.
I.5. Division du domaine du droit
La doctrine du droit de Kant est subdivisée en deux
grandes parties : le droit privé et le droit public. Le droit
naturel de l'état de société est le droit privé. En
revanche, dès lors que l'état de nature tel qu'il s'exprime en
société se convertit en état civil, le droit privé
cède la place au droit public
I.5.1. Le droit
privé
Le droit privé est l'ensemble des règles qui
régissent les rapports entre les personnes physiques ou morales. Il
s'agit du droit naturel de l'état de société.
Historiquement, l'on reconnaissait trois droits privés : la
liberté, l'égalité et la sûreté. La
Déclaration des droits a placé la propriété parmi
les droits naturels et imprescriptibles de l'homme, qui se trouvent ainsi au
nombre de quatre : la liberté, l'égalité, la
propriété et la sûreté.
Cependant, si l'on compare ces quatre droits, on trouve que la
propriété ne ressemble point aux autres ; que pour la
majeure partie des citoyens, elle n'existe qu'en puissance, et comme une
faculté dormante et sans exercice ; que pour les autres qui en
jouissent, elle est susceptible de certaines transactions et modifications qui
répugnent à l'idée d'un droit naturel ; que, dans la
pratique, les gouvernants, les tribunaux et les lois ne la respectent
pas ; enfin que tout le monde la qualifie de chimère.
D'après la Déclaration des droits, la
propriété est « le droit de jouir et de disposer
à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail
et de son industrie »26(*). Et, d'après le Code Napoléon, «
La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses
de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage
prohibé par les lois et les règlements »27(*).
On distingue dans la propriété, d'une part, la
propriété pure et simple, c'est-à-dire le droit dominal,
seigneurial sur la chose, ou, comme l'on dit, la nue
propriété ; d'autre part, la possession qui est une chose de
fait, et non de droit. La propriété est un droit, une
faculté légale tandis que la possession est un fait. D'où,
le locataire, le fermier, le commandité, l'usufruitier, sont possesseurs
; le maître qui loue, qui prête à usage ; l'héritier
qui n'attend pour jouir que le décès d'un usufruitier, sont
propriétaires.
Kant attache un intérêt particulier au droit de
propriété. Il concilie la théorie impérieuse du
droit et de la raison politique avec la théorie critique du monde de la
raison spéculative. Il entend circonscrire la doctrine classique des
droits de l'homme. C'est ainsi qu'il s'en va définir les modes
d'acquisition des droits. Et comme le raisonnement de Kant part toujours de
l'individu, il expose ces droits comme résultant d'initiatives
individuelles, du moins au stade originaire, sous le régime de
« droit privé ».
Ce que Kant nous fait souligner pour l'instant c'est le droit
réel. Celui-ci est la première et primordiale espèce de
droit individuel dont le prototype est la propriété. La source
initiale de la propriété est l'occupation, la prise de
possession. Ceci étant, Kant consacre le premier chapitre de sa
réflexion sur le droit privé à la nature du mien
extérieur. Il inclut tout le système du droit privé dans
ce système de biens. En fait, il veut éviter de distinguer un
droit de l'objet sur lequel porte ce droit. De surcroît, puisque chaque
droit consiste à exercer une possession juridique, l'expression
« un droit sur un objet » équivaut à
« posséder une possession ».28(*) A cet égard, Kant
considère l'objet comme une première relation juridique qui est
le droit même, car il distingue l'objet juridique de l'objet
matériel.
Emmanuel Kant s'attache moins à retracer la
genèse historique de la coexistence des possessions qu'à
dégager la signification rationnelle. Ainsi définit-il
« l'objet possédé » comme un objet
extérieur qui m'appartient en droit d'une part. D'autre part, pour
définir l'essence de ce qui m'appartient en droit, il se reporte de la
réalité phénoménale à
l'idéalité morale sur laquelle il fonde le droit positif. C'est
alors qu'il énonce cette définition liminaire du
« mien » et de « possession » :
« le mien selon le droit (meus juris) est ce à quoi je suis
tellement lié, que l'usage qu'un autre en ferait sans mon
agrément me léserait. La possession (Besitz) est la condition
subjective de la possibilité de l'usage en
général ».29(*)
De cette manière, pour que l'usage qu'un autre fasse
d'un objet me cause du tort, il faut que l'objet reste à ma possession
même si je ne l'utilise pas moi-même. Ceci revient à dire
qu'un objet n'est mien que quand j'en ai la possession ; sinon l'usage
qu'en ferait autrui sans mon assentiment ne me causerait aucun tort. La
possession revêt donc ici deux sens : l'un sensible et l'autre
intelligible. Et, aux fins de la définition énoncée
ci-haut, la possession a un aspect différent dans la mesure où
l'on exerce une possession intelligible sans mainmise
« actuelle » sur un objet.
Par ailleurs, Kant dresse les bases qui permettent la
possibilité d'acquérir un objet. En effet, dit-il,
« avoir quelque chose d'extérieur comme sien n'est possible
que dans un Etat juridique, sous un pouvoir législatif public,
c'est-à-dire dans un état civil ».30(*) En réalité,
le « mien » et le « tien »
appellent la garanti du droit et de l'Etat. L'un et l'autre présupposent
l'existence d'un mien et d'un tien » extérieur à
garantir. En plus, puisque ce « mien » et ce
« tien » conditionnent la garantie du droit et de l'Etat,
ce ne peuvent être qu'un « mien » et un
« tien » provisoires. Mais l'ordre positif une fois
instauré, ils deviennent péremptoires. Bref, la possession
naturelle provisoire requiert une présomption de
légitimité dans l'Etat. Celui-ci ne dispense pas de rapporter la
preuve d'un bien en cas de conflit.31(*)
Au demeurant, il convient de s'interroger sur les modes des
objets extérieurs. Cette préoccupation fait l'objet du
deuxième chapitre de la réflexion kantienne sur le droit
privé. Pour Kant, ces modes d'acquisition peuvent se résumer par
les moments de l'acquisition. D'abord, nous établissons notre possession
phénoménale par l'appréhension d'un objet sans
maître, mais susceptible d'en avoir un. En sus, nous déclarons
notre possession et nous notifions aux autres qu'ils doivent s'abstenir d'user
de l'objet. Enfin, s'accomplit l'appropriation de l'objet à notre profit
comme acte d'une volonté législative extérieure
universelle qui oblige chacun à respecter notre
discrétion.32(*)
Par ailleurs, si l'état d'union civile permet à
chaque personne, selon l'expression de Kant, d'avoir part à son droit,
en vertu du principe de la volonté législative universelle. C'est
ainsi que se comprend la justice juridique. En fait, la justice exerce une
action tutélaire, commutative et distributive. La loi, quant à
elle, déclare comment chacun doit agir, quelle manière fait
l'objet de la possession légitime et comment un tribunal positif doit
statuer. Au dire vrai, c'est tout l'exercice de la violence dans l'acquisition
du « mien extérieur » qui est abrogé. Donc,
pour tout état de cause, l'idée de droit opère le passage
de l'état de nature à celui du droit public.
I.5.2. Le droit public
Le droit public recouvre les relations avec l'État ou
l'Administration, et les relations des institutions publiques entre elles. Il
comprend le ius civitatis, le ius gentium et le ius
cosmopoliticum33(*),
autrement dit le droit politique ou civil, le droit des gens et le droit
cosmopolitique.
Par droit public, il faut entendre un système des lois
destinées à un peuple ou à une pluralité de
peuples, c'est-à-dire à des êtres humains et à des
sociétés en interaction. Autrement dit, le droit public est
« l'ensemble des lois qui ont besoin d'être
proclamées universellement pour produire un état juridique est
le droit public »34(*).
Dans la note « c » de son Projet de
paix perpétuelle (1795), Emmanuel Kant rappelle ce qui constitue
pour lui les principales divisions du droit public. Ces divisions sont au
nombre de trois. Il y a d'abord le ius civitatis, défini comme
« la constitution selon le droit civil des hommes dans une
même nation ». Il y a ensuite le ius gentium,
défini comme la constitution « selon le droit internationale
des Etats dans leurs rapports les uns avec les autres ». Et il y a
enfin, le ius cosmopoliticum, défini quant à lui comme
la constitution « selon le droit cosmopolitique pour autant que les
hommes et des Etats entretiennent des rapports extérieurs d'influence
réciproque peuvent être considérés comme les
citoyens d'un Etat humain universel »35(*).
Parlant du droit de l'Etat ou ius civitatis, la
raison du droit commence par s'accomplir dans un monde où la violence
existe. Il est ainsi convenu que la formation de l'Etat est le résultat
de la confrontation entre la loi et la violence. C'est ce qu'atteste Kant
lorsqu'il définit l'Etat comme « l'unification d'une
multiplicité d'hommes sous les lois juridiques »36(*). Kant borne le droit dans la
réparation des différends entre les individus au sein de la
société. L'Etat a donc le droit de veiller sur le
« mien extérieur », de punir et de gracier.
Le droit de punir est une exclusivité du chef
suprême. Ce droit pénal est le droit du gouvernement d'infliger
une souffrance au sujet coupable d'une infraction, d'un crime. Kant distingue
les infractions contre les biens et les infractions contre les personnes. Mais
alors, quel est le mode et quel est le degré de châtiment que la
justice publique doit adopter comme principe et comme mesure ? La
réponse que nous propose Kant se fonde sur la loi du talion : oeil
pour oeil, dent pour dent. C'est ce qui est manifeste dans cette
déclaration : « Le mal immérité que tu
infliges à une autre dans le peuple, tu le fais à toi-même.
Si tu outrages, c'est toi-même que tu outrages ; si tu le vole, tu
te voles toi-même ; si tu le tues, tu te tues
toi-même ».37(*)
Cependant, Kant reconnaît à l'Etat le droit de
gracier le criminel, en adoucissant sa peine. Mais, à ce niveau, Kant
prévient le souverain d'un danger qu'il qualifie de « la
plus grande injustice ».38(*) En fait, comme le droit de gracier revient au
souverain, il est l'expression de sa grandeur. Ainsi, puisque cette injustice
est la manifestation des sentiments subjectifs, il est nécessaire
d'avoir toujours pour référence le contenu de la loi pour ne pas
céder à la tendance naturelle d'injustice.
Par ailleurs, tout autant que les différends entre les
individus au sein de la société astreignent l'intervention de la
loi et du droit pour le maintient de l'ordre, de même le voisinage des
Etats est aussi source de séditions réciproques et exige,
à son tour, les droits qui maintiennent la sureté de chaque Etat.
La résolution de cette préoccupation, appelée souvent
« rêve kantien », est l'objet de l'Idée
d'une histoire universelle au point de vue cosmopolite d'une part et du
Projet de paix perpétuelle, d'autre part. Pour en rester ici
à ce qui touche directement cette préoccupation, nous pouvons
lire cette affirmation sous la plume de Kant :
« La même insociabilité qui
contraignait les hommes à s'unir est à son tour la cause
d'où résulte que chaque communauté dans les relations
extérieures, c'est-à-dire dans ses rapports avec les autres
Etats, jouit d'une liberté sans contrainte ; par la suite, chaque
Etat doit s'attendre à subir de la part des autres exactement les
mêmes maux qui pesaient sur les hommes et les contraignaient à
entrer dans un Etat civil régit par des lois »39(*).
Cette exigence est le fondement même du droit
cosmopolitique qui réalise une situation de paix universelle telle que
postulée par Grotius à travers la communauté des
mers, par Campanella et Bacon dans la cité des sciences,
par l'abbé de Saint-Pierre dans son projet de « corps
européen »40(*).
Dans l'optique kantienne, « le droit
cosmopolitique doit se borner aux conditions d'une hospitalité
universelle »41(*). C'est sur cette base, et sur cette base seulement,
que chacun peut enfin s'identifier au « citoyen du
monde ».
Du reste, Kant précise que les trois divisions du
domaine du droit public doivent être conçues comme relevant
elles-mêmes du ius cosmopoliticum. Ainsi, faire la part des
choses entre ius civitatis, iuis gentium et ius comopoliticum
est, écrit-il, « nécessaire relativement entre à
l'idée de paix perpétuelle »42(*). Dès lors, qu'il
s'agit, en concevant un ius cosmopoliticum, de s'extraire de
l'état de guerre présumé par le ius gentium tel
qu'il est exercé en pratique, c'est la considération de paix qui
doit gouverner la division même de la matière qui en est l'objet.
Pour le dire de manière plus directe, on pourrait soutenir que la
division kantienne des trois domaines relève d'un voeu de pacification,
celui-là même dont le iuis cosmopoliticum constitue le
projet philosophique.
Eu égard à ce qui précède, que le
Projet de paix perpétuelle ne s'intéresse qu'à la
division du droit en ius civitatis, ius gentium et ius
cosmopoliticum se comprend mieux. Cependant, la nécessité
qui ordonne ces trois formes de droit public à l'exigence de la paix
n'existe pas dans le droit privé. D'une certaine manière, on
pourrait même dire que le droit privé est strictement contingent
parce qu'il n'est soumis à aucune nécessité. Et, parce
qu'il n'est soumis à aucune nécessité, le droit
privé se trouve donc déconnecté du concept du Droit dont
le ius cosmopoliticum forme l'horizon rationnel. A l'inverse, le droit
public se trouve racheté par l'exigence de ius cosmopoliticum
qui se réduit à l'idée a priori de ce concept pur de
Droit. Même si ses deux premières divisions -le ius civitatis
et le ius gentium-, appartiennent encore au domaine du droit
pratiqué, leur collaboration possible à la perpétuation de
la guerre se trouve rachetée par leur ordonnance au ius
cosmopoliticum, qui, pour sa part, ne l'est ni ne le sera jamais. Mais
cela signifie aussi que, sans ius cosmopoliticum, le droit public, au
fond, serait tout aussi contingent que le droit privé.
I.6. Le projet de paix perpétuelle
I.6.1. Présentation de l'ouvrage
Le Projet de paix perpétuelle parut en 1795.
Cet ouvrage, qui eut un grand succès, marque la fin du mouvement de
rationalisation du droit qui déterminait pour la paix des normes
universelles sans égards pour l'identité culturelle ou religieuse
des parties en présence. En outre, cette oeuvre prolonge le mouvement
des théologiens juristes. Ces derniers, en réfléchissant
aux aspects juridiques de la conquête de l'Amérique, font remonter
le droit international au développement systématique du droit de
la guerre et de la paix. Le Projet kantien est une
« esquisse philosophique » et non un programme diplomatique
édictant des règles organisationnelles. C'est une démarche
transcendantale et non empirique.
Le propos de Kant dans le Projet de paix
perpétuelle est de questionner la paix comme une possibilité
essentielle, c'est-à-dire non pas comme trêve ou comme simple
négation de la guerre, mais comme une valeur positive.
Toutefois, en tant que projet philosophique, Kant y
opère une synthèse entre deux traditions de pensée, la
tradition juridique qui insiste sur la dimension artificielle de la paix, et la
tradition chrétienne, centrée sur l'idée de Providence,
qui rapporte au contraire la paix à un ordre supérieur à
la volonté des hommes.
I.6.2. Structure et contenu de l'ouvrage
L'ouvrage commence par un préambule, dans lequel Kant
revendique une totale liberté d'expression.
La première section est constituée de six
articles préliminaires, pratiques et négatifs, qui
définissent ce qui doit être exclu pour pouvoir poser la question
de la paix de manière essentielle :
1. On ne peut conclure un traité de paix en se
réservant en secret matière à une guerre
ultérieure, car ce ne serait qu'une trêve43(*) ;
2. Un Etat n'étant pas un patrimoine, aucun Etat
indépendant ne peut être acquis par un autre Etat44(*) ;
3. Les armées permanentes doivent être
supprimées45(*) ;
4. Un Etat ne doit s'endetter publiquement en vu d'un conflit
extérieur46(*) ;
5. Aucun Etat ne peut s'immiscer dans la constitution ou le
gouvernement d'un autre Etat47(*) ;
6. Dans le cadre d'une guerre, les Etats ne peuvent pas se
permettre les manoeuvres telles que l'empoisonnement, la trahison, la violation
d'une capitulation, ... qui rendraient impossible le minimum de confiance
réciproque nécessaire pour que la paix soit conclue48(*).
En somme, les articles 1, 5, 6 sont des lois strictement
prohibitives et immédiatement exécutoires tandis que les articles
2, 3, 4 énumèrent les entreprises dans lesquelles il faut
éviter de se lancer ou vers la suppression desquelles il faut tendre si
on veut organiser la paix. Ces lois sont permissives en ce que, tout en faisant
porter l'interdiction sur l'avenir, elles aménagent des transitions pour
le présent.
Dans la deuxième section, Kant définit trois
impératifs juridiques en vue de la paix perpétuelle. Ces
articles, positifs -facteurs de paix-, et beaucoup plus théoriques,
définit le droit dans l'Etat, le droit des gens ou le droit entre les
Etats et, enfin, le droit cosmopolitique. Ce sont des conditions juridiques
grâce auxquelles toute guerre deviendra impossible.
D'abord, à un niveau interne, tous les Etats doivent
développer une constitution républicaine et non despotique. Dans
ce premier article définitif, Kant vise la forme de gouvernement ou la
manière de gouverner et non pas la forme de l'Etat49(*). Ce qui compte pour Kant est
seulement que la volonté publique ne soit pas maniée comme si
c'était la volonté privée du gouvernement50(*), bref que la « forme
de publicité » soit respectée. En effet, pense Kant,
une telle constitution républicaine est « pour ce qui est
du droit, en soi, la constitution qui sert de base à tous les genres de
constitutions civiles »51(*). En plus, l'usage public de la volonté
publique ouvre, selon Kant, la perspective de la paix perpétuelle en ce
que l'assentiment libre des citoyens ne serait jamais donné à
quelque guerre que ce soit, qui suppose toujours au contraire que
« le chef n'est pas un associé dans l'Etat, mais le
propriétaire de l'Etat ». Bref, la définition que
donne Kant de la constitution républicaine, hors de toute
considération empirique sur les institutions, signifie que l'on se passe
de l'expérience effective de la liberté du peuple qui, toutefois,
prise dans la dynamique de publicité, refuse la guerre. En d'autres
termes, c'est un système qui exige le consentement des citoyens et ces
derniers préféreront la paix et la sécurité au
conflit.
Ensuite, dans le deuxième article définitif,
Kant fonde le droit des gens sur un fédéralisme d'Etats libres,
et non sur un droit fédératif. Ainsi, pour Kant, à
« l'idée d'une république mondiale », qui
nierait la multiplicité des peuples52(*) et le principe de la souveraineté53(*), se substitue à
« l'équivalent compensatoire (surrogal) négatif
d'une alliance contre la guerre, alliance permanente, s'étendant
toujours plus loin »54(*). Une telle alliance, poursuit Kant, ne vise donc pas
elle même à « acquérir quelque puissance
politique, mais uniquement de conserver et de garantir la liberté d'un
Etat pour lui-même et d'autres Etats
alliés »55(*), et ce, de telle sorte que, insensiblement (...),
elle s'étendra de plus en plus56(*), jusqu'à éventuellement se muer en
fédération d'Etats libres. De la sorte, l'Etat
fédéral mondial aura toujours été
évité et seul le « libre
fédéralisme » aura apporté « la
confiance » dans le droit, nécessaire à un tel
projet57(*). Il est
important de dégager à ce niveau, à la suite de Thomas
Berns, un présupposé important : « une
république mondial est impossible et/ou non souhaitable ; la
division est toujours déjà donnée. La paix trouve son sens
et sa consistance dans le fait de n'être en rien le fruit imposé
d'une république mondiale ou d'une alliance douée d'une puissance
politique : elle ne peut qu'être mue, insensiblement, par le
développement d'une confiance partagée, laquelle serait
effacée si la paix était produite par la constitution d'une
autorité commune »58(*). L'on comprend bel et bien que « l'alliance
des peuples » est nécessaire au niveau international,
c'est-à-dire la confédération d'Etats qui garantisse la
sécurité de chacun de ses membres et dispose du pouvoir d'imposer
la paix aux souverains qui voudraient agrandir leur puissance.
Enfin, dans le troisième article définitif, Kant
parle du droit cosmopolitique. D'après Kant, ce droit doit se limiter
à l'obligation d'assurer une hospitalité universelle,
c'est-à-dire que doit seulement être protégé,
à ce niveau collectif global « le droit de
l'étranger, à son arrivée dans le territoire d'autrui, de
ne pas y être traité en ennemi »59(*). La valeur restrictive de ce
droit d'hospitalité, qui se présente comme « un droit
de visite » et pas comme « un droit de
résidence »60(*), s'explique par la volonté explicite de Kant
de ne pas justifier de la sorte une entreprise de type colonial61(*). En fait, Kant définit
l'entreprise coloniale comme la conduite inhospitalière des Etats
civilisés quand ils visitent des pays et des peuples étrangers,
visite, signifie, pour eux, la même chose que la conquête62(*). Chez Kant,
l'hospitalité signifie donc, à la fois, un droit et un devoir, et
ce, tant pour celui qui visite que pour celui qui reçoit. Ainsi, bien
qu'ils soient divisés en nations, les hommes appartiennent à une
même communauté, ils doivent être considérés
comme citoyens du monde et, de ce fait, la paix sera consolidée quand le
statut des personnes est garanti au niveau international, selon le principe de
l'hospitalité.
Après avoir déterminé a priori les
conditions juridiques qui assurent la paix, Kant décrit, dans le premier
supplément, le dessein de la nature qui se sert de la guerre en vue de
garantir la réalisation de la paix. Pour déterminer de
façon plus précise la réalisation de la paix, Kant pose
deux conditions. D'une part, dit-il, le jugement téléologique qui
est du ressort de la faculté de juger dite réfléchissante
nous fait « rechercher les conditions que la nature a
prévues par rapport aux personnes qui agissent sur son vaste
théâtre, conditions qui rendent finalement nécessaire
l'assurance de la paix »63(*). D'autre part, il faut « utiliser le
mécanisme de la nature pour diriger l'antagonisme des dispositions
hostiles, dans un peuple, de telle sorte que les hommes s'obligent mutuellement
eux-mêmes à se soumettre à des lois de contrainte,
produisant ainsi nécessairement l'état de paix où les lois
disposent de la force »64(*). Ici il faut donc dire : « la
nature veut de manière irrésistible que le pouvoir suprême
revienne finalement au droit »65(*).
Le deuxième supplément insiste sur l'importance
pour un Etat qui vise la paix, de prendre en compte la réflexion des
philosophes, et explique pourquoi cela doit rester secret. Le texte de ce
supplément porte essentiellement sur le rapport entre la philosophie et
le pouvoir politique. Son objectif est de réfuter une thèse
philosophique, à savoir la théorie du philosophe-roi de Platon,
exposée dans La République. La question à la
quelle Kant veut répondre est celle de décrypter la fonction ou
le rôle politique du philosophe. Pour répondre à cette
question, Kant écrit substantiellement ce qui suit : «
On ne doit pas s'attendre à ce que les rois se mettent à
philosopher, ou que des philosophes deviennent rois ; ce n'est non plus
désirable parce que détenir le pouvoir corrompt
inévitablement le libre jugement de la raison. Mais que des rois ou des
peuples rois (qui se gouvernent eux-mêmes d'après des lois
d'égalité) ne permettent pas que la classe des philosophes
disparaissent ou devienne muette, et les laisser au contraire s'exprimer
librement, voilà qui est aux uns comme aux autres indispensable pour
apporter de la lumière à leurs affaires, et parce que cette
classe, du fait de son caractère même, est incapable de former des
cabales et de se rassembler en clubs, elle ne peut être suspectée
d'être accusée de propagande »66(*).
En fait, Kant explique dans ce texte pourquoi l'idéal
platonicien est utopique. Les philosophes n'ont pas pour rôle de
gouverner mais seulement d'éclairer le débat politique en
démocratie comme en monarchie. Fidèle à la philosophie des
Lumières, il appelle les gouvernements à laisser la
liberté de philosopher c'est-à-dire de penser et de s'exprimer.
Car les gouvernements se trompent sur leur intérêt quand ils
interdisent la réflexion. Et, un mauvais pouvoir finit par être
renversé. Il est donc souhaitable pour tous que la cité laisse
place au débat d'idées. Mais parce que la politique concerne
d'abord l'action, le philosophe ne gouvernera pas. Kant défend ici la
position de l'idéologue qui, sans exercer le pouvoir, a le devoir de s'y
intéresser en tant qu'il est aussi un citoyen, et l'utilité
politique de la philosophie qui, loin de nuire, est une réalité
indispensable.
Enfin de compte, Kant donne deux appendices. Dans l'appendice
I, Kant explique que la morale et la politique ne s'opposent pas dans l'esprit
du droit mais seulement dans l'esprit des politiques pratiques. Car, les
raisonnements fallacieux des praticiens de la politique sous prétexte
d'un divorce entre morale et politique « éternisent la
violation du droit ». En plus, contre l'usurpation de
l'idée de droit dans les maximes sophistiques, il est nécessaire
de prendre pour point de départ le principe
formel d'universalité de toute maxime d'action politique. Dans
l'appendice II, Kant présente comment l'accord de la morale et de la
politique est garanti par l'application d'un critère transcendantal du
droit : la publicité. Ainsi, toute politique qui réalise
progressivement le droit fonde l'espérance de la paix.
Conclusion partielle
La pensée politique kantienne tire ses racines dans les
événements historiques qui l'ont vu naître, entre autres
les Lumières, la Révolution française. Cette pensée
s'inspire profondément de la philosophie de Jean Jacques Rousseau,
surtout quant à sa conception de l'état de nature
caractérisé par la barbarie. Toutefois, Kant ne développe
pas de l'aversion vis-à-vis de l'état de nature. Loin s'en faut,
car cette violence, cette sauvagerie, cette guerre de l'état de nature
est le fondement même de l'état qui assure la paix à
travers l'instauration de l'Etat de droit entre les citoyens d'une nation, des
Etats situés les uns à côté des autres, des citoyens
de différents Etats. Et, s'il faut clore ce chapitre avec Eric
Weil : « La violence initiale a fondé l'Etat,
condition première de toute moralité ; la même
violence est à l'oeuvre aujourd'hui, et c'est d'elle qu'on peut attendre
la conversion des Etats et de leurs chefs à la raison, à la
liberté, à la justice, à la paix »67(*).
Somme toute, étant donné que la liberté
individuelle est encline à la turbulence, à la guerre, Kant
conçoit, dans son Projet de paix perpétuelle, les
conditions qui faciliteraient le vivre-ensemble harmonieux mondial
d'après les normes du droit, en partant de l'Etat à la
confédération des Etats jusqu'à l'Etat cosmopolitique. Ce
passage de l'Etat à l'Etat cosmopolitique constitue l'épine
dorsale de notre deuxième chapitre qui traite de
l'impérativité de l'état civil et ses différentes
manifestations.
Chapitre deuxième :
LES FORMES DE L'ETAT CIVIL
II.0. Introduction
L'homme, dans l'état de nature, n'offre pas de garantie
du « vivre-ensemble pacifique ». Ceci fait que le
vivre-ensemble est perpétuellement menacé. Il faudrait donc
instituer une communauté légale. Ce postulat est le
socle des articles définitifs pour la paix perpétuelle entre les
Etats. En fait, selon Kant, l'état de paix doit être
institué. Il correspond à l'état civil et naît de la
dialectique entre la paix et la guerre qui se traduit en ces termes :
« l'état de paix entre les hommes vivants côte à
côte, n'est pas un état de nature (...) celui-ci est bien
plutôt un état de guerre ; sinon toujours une ouverture
d'hostilité, cependant une menace permanente d'hostilités. Cet
état de paix doit être institué ; car le fait de ne
pas faire la guerre ne constitue pas une garantie et si cette dernière
n'est pas fournie par un voisin à l'autre voisin (...), l'un peut
traiter l'autre qu'il a sommé à cette fin, en
ennemi »68(*).
L'institution de l'état civil est un
impératif. Car, « tous les hommes qui peuvent agir
réciproquement les uns sur les autres doivent relever d'une constitution
civile quelconque »69(*) qui peut être établie soit
« d'après le droit civique (...) des hommes, dans un peuple
(...) ; d'après le droit international (...) des Etats les uns
par rapport aux autres (...); d'après le droit cosmopolite en tant que
des hommes et des Etats dans des conditions d'influences extérieures
réciproques, doivent être considérés comme citoyens
d'une cité humaine universelle (...) »70(*).
Les trois articles définitifs du Projet de paix
perpétuelle se lisent respectivement : « Dans tout
Etat, la constitution civile doit être
républicaine »71(*), « Le droit des gens doit être
fondé sur un fédéralisme d'Etats
libres »72(*),
« Le droit cosmopolite doit se restreindre aux conditions de
l'hospitalité universelle »73(*).
Le Principe de base qui préside à la division de
ces articles réside dans la tripartition du droit public. Ce dernier se
subdivise en droit civil, droit des gens et, c'est ici l'innovation que Kant
apporte à la subdivision classique du droit, le droit cosmopolitique.
Cette subdivision tripartite du droit est une inspiration qui, selon Louis
Guillermit, répond à des catégories de
quantité : « un Etat, plusieurs Etats, tous les
Etats »74(*).
C'est cette subdivision qui fonde notre présent
chapitre qui portera successivement sur le Républicanisme comme
première manifestation de l'état civil, la
fédération d'Etats libres comme deuxième manifestation de
l'état civil et, enfin, le droit cosmopolitique comme troisième
manifestation de l'état civil.
II.1. Le Républicanisme comme première
manifestation de l'état civil
Avant de scruter ce qu'est le républicanisme dans
l'entendement kantien, il est impérieux de parler du fondement de
l'Etat. En fait, qu'est-ce qui est à l'origine de l'Etat ? Comment
un Etat se constitue-t-il ? Est-il le fruit d'une génération
spontanée ?
II.1.1. Le contrat comme l'acte créateur de l'Etat
Kant présente le contrat comme l'acte qui permet de
s'affranchir de l'état de nature. Il écrit notamment :
« L'acte, par lequel le peuple se constitue lui-même en
Etat, à proprement parler, l'idée de celui-là, qui seule
permet d'en penser la légalité, est le contrat originaire,
d'après lequel tous (omnes et singuli) abandonnent dans le peuple leur
liberté extérieure, pour la retrouver derechef comme membre d'une
république »75(*).
L'homme, dans l'Etat, sacrifie une partie de sa liberté
extérieure innée à une fin. En plus, il abandonne en
totalité la liberté sauvage et sans loi. Dans cette condition, il
reçoit sa liberté en général à travers une
dépendance légale. C'est justement pour accomplir sa
liberté que l'homme sort de l'état de nature. La
dépendance dont il est question est entière et procède de
la propre volonté législative. Ainsi s'accomplit la
réalisation de l'état juridique. L'Etat, précise Kant, est
sacré. Il n'est pas un bien aliénable, mais une
société humaine fondée sur un pacte.
C'est dire une fois de plus, que la condition sous laquelle se
réalise, asymptotiquement, le but final qu'est
l'élévation, en l'homme, de la nature à la liberté
c'est, s'aperçoit Kant, « cette constitution dans le
rapport des hommes les uns avec les autres, où au préjudice que
se portent les libertés en conflit s'oppose une puissance légale
dans un tout, qui s'appelle société civile »76(*).
Dès lors, on peut comprendre que le moment juridique
est celui de la soumission à la loi extérieure. En ce sens, c'est
en devenant sujet de droit, citoyen, dans la sphère politique de la
cité, que l'homme, comme sujet de l'histoire, articule en lui la nature
à la liberté. En tout cas, l'état civil est chez Kant le
point de départ inévitable, résultat de fait de
l'insociable sociabilité par laquelle s'accomplit
téléologiquement la liberté et se réalise le
postulat moral de la liberté77(*).
Avant la manifestation d'une législation
extérieure douée de puissance, les hommes ont pour maxime la
violence qui, en oeuvre dans l'état de nature, entretient la guerre des
uns et des autres. D'où la nécessité d'une contrainte
publique dans l'Etat. Car la société civile est une dynamique
dans laquelle les forces en présence ne s'équilibrent que si
à l'exercice maximal de la liberté répond une contrainte
de même degré. De cette vue, l'on peut affirmer que la
société civile naît nécessairement de la contrainte
légitime. Les hommes n'y abdiquent que sous la contrainte de la loi.
Tout compte fait, étant donné que toute la
construction téléologique repose sur le conflit, il faut
s'attendre à ce que le problème de la souveraineté se pose
dans le terme d'une dynamique conflictuelle. Le rôle du
souverain78(*) est de ce
fait l'accomplissement de la contrainte légalisée dont
dépend l'existence de la société civile. Mais alors, il y
a lieu de s'interroger sur la constitution politique idéale et son
fonctionnement, en vue de l'accomplissement de l'Etat de droit, ultime
condition pour la paix perpétuelle.
II.1.2. La constitution républicaine
La première des trois manifestations de l'état
civil, condition première de la paix perpétuelle pour Kant est
que chaque Etat participant à la paix internationale soit un Etat
constitutionnel ou, plus précisément, dans le vocabulaire
classique kantien, « républicain ». La constitution
républicaine des Etats concerne le droit public interne,
c'est-à-dire la constitutionnalisation, avec, d'une part, la
séparation de pouvoirs et, d'autre part, le régime
représentatif.
II.1.2.1. La séparation des pouvoirs
Le pouvoir s'articule d'une manière syllogistique. La
décomposition de la volonté générale est une
importance de premier plan pour comprendre l'articulation syllogistique du
pouvoir. En effet, Kant présente cette décomposition comme les
trois propositions d'un raisonnement de la raison pratique. Cette articulation
syllogistique a une majeure qui exprime la loi d'une volonté. La mineure
prescrit l'ordre à suivre afin de se conduire selon la loi. La
conclusion contient la sentence et décide ce qui est de droit au sein de
la société. Cette structure logique du pouvoir se lit
admirablement en ces termes :
« Tout Etat contient en soi trois pouvoirs,
c'est-à-dire la volonté générale unie en trois
personnes (trias politica) : le pouvoir souverain (souveraineté)
qui réside en la personne du législateur, le pouvoir
exécutif, en la personne qui gouverne (conformément à la
loi) et le pouvoir judiciaire (qui attribue à chacun le sien suivant la
loi) en la personne du juge ».79(*)
Dans l'Etat, ces trois pouvoirs entretiennent une triple
caractéristique. D'abord, ils sont dans un rapport les uns les autres
comme autant de personnes morales : l'un est le complément des
autres pour la constitution achevée de la constitution de l'Etat. De
plus, ils sont subordonnés les uns aux autres de telle manière
que l'un ne peut pas usurper la fonction de l'autre. Chacun de ces pouvoirs
commande en qualité de personne particulière. Enfin, c'est par
l'unification de l'un aux autres que l'on reconnaît en chaque sujet son
droit en partage.80(*)
L'attachement personnel de Kant à l'articulation
logique de l'Etat en trois pouvoirs ne peut pas se passer de l'autonomie de
l'Etat, c'est-à-dire à la formation et à la conservation
de l'Etat d'après les lois de la liberté. Il existe plusieurs
modes de combinaisons entre le pouvoir, la liberté et l'Etat, à
savoir l'anarchie qui est la combinaison loi-liberté sans
pouvoir ; le despotisme qui est l'ensemble de la loi et le pouvoir sans
liberté ; la barbarie qui est le pouvoir sans liberté et
sans loi. Cependant, la combinaison pouvoir-loi-liberté est la seule qui
mérite le nom de constitution sociale ou la
République.81(*)
En outre, la raison, comme un impératif
catégorique, nous donne l'obligation de tendre vers l'union de ces
pouvoirs, union dans laquelle réside le salut de l'Etat. Ces trois
pouvoirs dans l'Etat, sont des dignités essentielles et ce sont eux qui
fondent les dignités politiques, car ils expliquent le rapport d'un
souverain à la multitude d'individus. C'est-à-dire le rapport de
celui qui commande (imperans) à celui qui obéit
(subditus). C'est dans cet univers que s'inscrit l'interrogation sur
les régimes politiques, parmi lequel Kant accorde la primauté au
régime représentatif.
II.1.2.2. Les régimes politiques
On désigne par régime politique le mode
d'organisation des pouvoirs publics, c'est-à-dire le mode de
désignation, les compétences et la définition des rapports
entre les différents pouvoirs. Les régimes politiques sont le
fruit du jeu des forces politiques dans le cadre institutionnel défini
par la constitution ou par la coutume. S'ajoutent d'autres facteurs,
historiques, idéologiques, culturels, qui déterminent la nature
des régimes politiques. Tous les régimes ne sont pas
démocratiques. Les démocraties se distinguent par l'existence
d'une pluralité de partis politiques, par la liberté de choix
laissée aux citoyens et par la distinction des pouvoirs
législatif, exécutif et judiciaire. Par ailleurs, on peut classer
les différents types de régimes
démocratiques selon qu'ils privilégient la collaboration
des différents pouvoirs (régime d'assemblée82(*), régime
parlementaire83(*)) ou
leur stricte séparation (régime présidentiel84(*)). Certains régimes
présentent, par ailleurs, un caractère mixte, à la fois
parlementaire et présidentiel.
En apparence, toute identification des régimes
politiques a un rapport implicite ou explicite, à un système de
valeurs. Historiquement, jusqu'à la fin du XIXè siècle, la
typologie des régimes politiques était largement inspirée
des grecs. Elle opposait la monarchie (gouvernement d'un seul), l'oligarchie
(gouvernement de quelques-uns) et la démocratie (gouvernement de tous).
Plus tard, Aristote en donnera un tableau célèbre, opposant la
tyrannie, l'oligarchie et la démocratie qui sont, pour lui, des formes
corrompues, à la monarchie, l'aristocratie et la timocratie qui sont des
formes pures. Avant lui, Platon exprimait déjà des idées
analogues, sa spécificité étant celle d'une succession
entre les différents types de régimes, suivant un éternel
retour.
La trilogie
« monarchie-aristocratie-démocratie » domine la
pensée politique. L'apport de Kant mérite d'être
relevé. Pour ce dernier, en effet, la compréhension de l'Etat
peut se faire sous deux formes. D'une part, d'après la
« différence des personnes qui détiennent le
pouvoir suprême »85(*). Dans ce cas, Kant présente trois
régimes possibles : l'autocratie, le pouvoir est entre les mains
d'un seul, c'est le cas du pouvoir du prince ; l'aristocratie, le pouvoir
est sous le contrôle de quelques uns unis entre eux, c'est le pouvoir de
la noblesse ; la démocratie ou le pouvoir de tous. Cette forme est
le prototype de la souveraineté, c'est-à-dire, dans le langage
kantien, « la forme de domination (forma
imperti »86(*)). D'autre part, « d'après
le mode adopté par le souverain pour gouverner le peuple, quel que soit
d'ailleurs ce souverain »87(*). Cette deuxième forme, « forme
de gouvernement (forma regiminis) »88(*), est ou républicaine ou
despotique ; le républicanisme étant, avons-nous dit,
« le principe politique qui admet la séparation du pouvoir
exécutif (gouvernement) et du pouvoir
législatif »89(*) ; le despotisme étant, à son tour, le
gouvernement où le chef de l'Etat exécute arbitrairement les lois
qu'il s'est données lui-même et où, par conséquent,
il substitue sa volonté particulière à la volonté
générale et publique.90(*)
Notons, cependant que, parmi les trois formes politiques
susmentionnées, Kant affiche un mépris envers la
démocratie. Car, selon lui, elle est
« nécessairement despotique parce qu'elle
fonde un pouvoir exécutif, où tous prononcent sur un seul et en
tout cas contre un seul (...), tous décident par conséquent, qui
ne sont pas pourtant tous ; ce qui met la volonté
générale en contradiction avec elle-même ainsi qu'avec la
liberté »91(*). La démocratie est, pour ainsi dire,
l'antichambre d'une constitution informe et mal faite.
Suivant cette pensée, la République se comprend
mieux comme une manière pour le souverain de gouverner, d'user de la
puissance publique. La République n'est donc nullement un type de
régime juridique, mais ce n'est pas non plus un état de moeurs,
un type de sociabilité. C'est une expérience, une pratique de
maximisation de la liberté. Et, s'il faut utiliser les mots de Kant,
c'est « la chose en soi
elle-même ».92(*)
Par définition, Kant explique la « chose en
soi » comme celle qui ne se phénoménalise pas,
n'apparaît pas dans l'expérience. Elle est l'objet d'une
idée à laquelle ne saurait correspondre aucune
réalité phénoménale. Ainsi, la République ne
saurait donc être que nouménale. C'est d'ailleurs ce qu'affirme
Kant en ces termes :
« L'idée d'une constitution en accord
avec le droit naturel des hommes (...) et la communauté qui,
pensée en conformité avec elle selon les purs concepts de la
raison, s'appelle Idéal platonicien (respublica noumenon), n'est pas une
chimère vide, mais la norme éternelle pour toute constitution
civique en général »93(*).
Il s'agit, pour Kant, d'une « respublica
noumenon » qui définisse les conditions de possibilité
d'un régime véritablement républicain
II.2. Le fédéralisme comme deuxième
manifestation de l'état civil
La deuxième manifestation de l'état civil a trait
au concept de fédération d'Etats libres.
II.2.1. Définition du
Fédéralisme
Le fédéralisme est un système politique
dans lequel le gouvernement central d'un Etat souverain partage avec des
entités fédérées qui forment cet Etat, les diverses
compétences constitutionnelles que sont le Législatif, le
judiciaire et l'exécutif. Le fédéralisme est un model
d'organisation politique dans lequel les activités du gouvernement sont
divisées entre les gouvernements régionaux et un gouvernement
central, de sorte que chaque type de gouvernement décide sur ses
activités. On peut faire une distinction entre le
fédéralisme par association et le fédéralisme par
ségrégation. Le fédéralisme par association est un
système fédéral formé d'après la
réunion de plusieurs Etats qui admettent de se soumettre à une
autorité supérieure commune. Quant au fédéralisme
par ségrégation, il s'agit d'un système
fédéral formé à la suite de la dissociation d'un
Etat antérieurement unitaire en plusieurs Etats qui admettent toutefois
de se soumettre à une autorité supérieure commune. Le
fédéralisme est une recherche d'équilibre entre respect
des diversités et besoin d'unité, entre séparatisme et
mutualité. La souveraineté au sein d'un Etat
fédéral fait l'objet d'un partage non hiérarchisé
entre un gouvernement central et ses gouvernements provinciaux.
Actuellement le fédéralisme se définit
comme la description d'une succession d'expériences constitutionnelles
et la reprise de nombreuses théories explicites ou parfois implicites.
De nombreux auteurs ont développé et soutenu ce model
d'organisation politique, voir même économique. Des écoles
de pensée se sont formées autour de certaines formes de
fédéralisme. Forme d'organisation politique et économique
qui fut également soutenue par d'illustres personnalités qui ont
montré à de multiples reprises leur attachement aux valeurs du
fédéralisme. Ainsi de nombreux individus se sont
succédés à travers les siècles ayant pour point
commun un attachement profond à cet conception politique et
philosophique de la société.
II.2.2.1. Le processus fédératif
Le fédéralisme n'est pas un concept très
précis chez Kant qui, plutôt que dans un sens technique, l'emploi
au sens classique de pacte entre peuples pour sortir de l'état de
nature. Il s'agit d'un contrat politique international. C'est l'objet du
deuxième article définitif pour la paix perpétuelle
qui stipule que : « le droit des gens doit être
fondé sur un fédéralisme d'Etats
libres »94(*)
En effet, peut-on s'interroger de quoi tiendrait la paix
à l'intérieur des frontières si la société
civile ainsi formée est confrontée à l'agression de ses
voisins ? « À quoi sert de travailler à une
constitution civile réglée par des lois entre les particuliers,
c'est-à-dire à l'organisation d'une communauté ? Car
la même insociabilité qui a contraint les hommes à cette
tâche est à nouveau la cause qui fait que chaque communauté
fait preuve dans les relations extérieures d'État à
État d'une liberté sans entrave »95(*). C'est qu'en effet les États sont entre eux
à
l'état de
nature qui s'exprime par la guerre. Ainsi, à en croire Kant,
« La méthode employée par les Etats pour poursuivre
leur droit ne peut ne peut jamais être une procédure comme devant
un tribunal extérieure, mais uniquement la
guerre »96(*) ; mais ce droit qui est conquis par la force, ce
droit du plus fort, n'est qu'une caricature du droit, car « La
raison condamne absolument la guerre comme voie du
droit »97(*). Rousseau le résume très bien quand il
écrit : « Supposons un moment ce prétendu
droit. Je dis qu'il n'en résulte qu'un galimatias inexplicable. Car
sitôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la
cause ; toute force qui surmonte la première succède
à son droit. Sitôt qu'on peut désobéir
impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a
toujours raison il ne s'agit que de faire en sorte qu'on soit le plus
fort»98(*).
Le fédéralisme est donc le fruit d'un processus
contractuel entre Etats. Etant donné que ce contrat doit jouir des
conditions de justice et d'égalité entre les peuples, Kant estime
qu'il ne peut s'agir d'un pacte de soumission ou d'un contrat de gouvernement
qui instituerait une autorité supérieure. Il est plutôt
question d'un pacte d'association établi de façon paritaire entre
les Etats contractants. Cependant, Mario Telò redoute un danger. En
fait, prenant le cas de la naissance de l'Union Européenne, Telò
pense que « le principal danger serait de tomber dans un genre de
monarchie universelle ou sous la domination d'un Etat mondial unique. Il est
probable que dans les dernières années de sa vie, Kant craignait
de voir l'Europe dominée par une France poursuivant la conquête du
continent tout entier. Ce n'était pas cela la paix internationale
à laquelle se référait Kant. Il parlait d'une
fédération internationale dans laquelle, en adhérant au
contrat, les Etats membres ne perdraient rien de leur liberté
antérieure mais acquéraient la sécurité de la paix
internationale »99(*).
Il convient de préciser que le
fédéralisme kantien reconnaît l'indépendance
d'Etats. En effet, si l'on tient compte de l'application par les
théoriciens du droit naturel, de Hobbes à Kant et même
à Hegel, du même modèle dichotomique à la politique
intérieure et à la politique internationale, le passage de
l'anarchie et de la menace réciproque à l'ordre et à la
paix, de l'anomie aux lois, requiert un pacte entre les parties contractantes.
Comme il ressort clairement d'une étude comparée de ses trois
oeuvres principales100(*), Hobbes, le premier, a compris que la paix, qu'elle
soit intérieure ou internationale, implique, dès le moment du
pacte, l'institution d'une puissante autorité politique centrale et d'un
pouvoir commun apte à garantir la stabilité du pacte. Hobbes
exclut que cette perspective de paix, réalisable au sein d'un seul Etat,
soit réaliste au niveau international et estime que la conservation de
l'état de nature est plus tolérable entre les Etats qu'entre les
individus. Car, renchérit Bobbio, « à la
différence des individus, les Etats pour Hobbes " disposent des moyens
suffisants pour assurer leur propre défense" et peuvent donc survivre en
se fiant à la " peur réciproque" qu'ils s'inspirent, fondement
sinon de la paix, du moins d'une hypothétique et précaire
situation de non-agression internationale »101(*).
Hobbes est réticent du fait de la
délégation de la souveraineté des Etats à un
pouvoir commun qui, du reste, estime-t-il, est inconcevable, car leur
souveraineté est considérée comme absolue, indivisible,
unique et irrévocable. Tout compte fait, l'Etat du Léviathan
finit par une contradiction criante : il aggrave l'anarchie internationale
et l'état de guerre.
Toutefois, malgré et au-delà de cette
contradiction, les théoriciens réalistes des relations
internationales du XXème siècle font référence
à Hobbes. Il s'agit entre autres de E. Carr, H. Morgenthau, R. Aron et
surtout, de façon particulière, K. Waltz considéré
comme le père du néoréalisme systémique. L'on
reconnaîtra à ce dernier la formulation suivante, qu'il
définit comme le dilemme de la sécurité :
« a) chaque Etat pourrait utiliser sa force s'il juge que les
objectifs à atteindre ont plus d'importance que les
bénéfices de la paix ; b) étant donné qu'il et
lui-même juge en dernière instance de son intérêt
propre en tant qu'Etat, chaque Etat pourrait recourir à la force pour
mettre en oeuvre ses politiques ; c) étant donné que
n'importe quel Etat peut toujours recourir à la force, chaque Etat doit
constamment être prêt à réagir à un coup de
force ou être prêt à payer le prix de sa propre
faiblesse »102(*).
Tout en s'inscrivant dans le même modèle du droit
naturel, Kant considère, quant à lui, que la sortie de
l'état de nature est un devoir moral, tant sur le plan intérieur
qu'international, et ne s'arrête pas devant la difficulté
conceptuelle et institutionnelle posée par le dépassement de
l'anarchie internationale. Ainsi, avouons-le, la particularité de Kant
consiste à combiner la méthode contractualiste avec une
philosophie de l'histoire qui le pousse à s'inscrire dans une
évolution des relations internationales dans le sens de la
paix103(*).
Certes, comme le constate Telò, Kant présente
des oscillations entre la fédération et la
confédération. Selon le langage de cet auteur, ces oscillations
sont un casse-tête de deux siècles de critique kantienne104(*). Il est donc important
d'apprécier le point d'équilibre entre les deux pôles de la
réflexion institutionnelle sur la paix internationale,
c'est-à-dire la confédération d'Etats et la
république universelle ou république des républiques. La
question centrale qui préoccupe Kant est de tracer une ligne de
démarcation entre le pacifisme juridico-institutionnel dans son ensemble
et le globalisme juridique par rapport à la construction de la paix et
de la démocratie internationale dans une théorie
démocratique des transformations de l'Etat
II.2.2.2. Le projet kantien et la Société
des Nations (SDN)
L'héritage philosophique kantien du concept
fédéral permet d'interpréter et de comprendre les
structures, les systèmes institutionnels mis en place à
l'orée du XXe siècle, telle la Société des Nations,
une coalition traditionnelle des grandes puissances sorties victorieuses de la
Première Guerre mondiale, tout juste soucieuses de maintenir l'ordre
nouveau sous couvert de grands principes moraux.
La SDN, dont la Charte fut adoptée le 28 avril 1919 et
attachée au Traité de Versailles, fut une utopie
fédérale, inspirée par l'horreur de la guerre de 14-18 et
l'aspiration à la paix des peuples du monde, et plus
particulièrement de ceux d'Europe.
Le principe qui caractérise principalement la SDN,
c'est sa vocation première, la paix et ses buts. Et, comme l'atteste
Michèle Gibault, il s'agit d'un projet démocratique et
universaliste organisant un ordre mondial pour la paix, régulé
par le droit international, impliquant la judiciarisation des relations entre
Etats-nations et non plus le seul rapport de forces conduisant à
d'éphémères coalitions ou à ce qu'on a
appelé après la chute de Napoléon entre 1815 et 1823
: « le concert des nations » ou
« concert européen », quand les princes se
concertaient contre les révolutions et la montée du mouvement des
nationalités105(*).
Quoiqu'il en soit, la SDN n'était pas conçue
pour devenir l'expression politique des peuples au-dessus ou en dehors des
souverainetés. Etait-il possible de faire mieux à
l'époque ? L'ONU tirera en partie les leçons de cette
première expérience, mais sera à son tour captée
par les grandes puissances hégémoniques au Conseil de
Sécurité, puis ces dernières années malmenée
par l'unilatéralisme américain, et donc en perte de
crédibilité. Aujourd'hui, la SDN ne peut guère
prétendre offrir un modèle de gouvernance mondiale, mais peut
éventuellement, à travers ses succès et ses échecs,
servir de guide à la formation de fédérations
régionales qui tentent de circonvenir les souverainetés
nationales.
II.3. Le Cosmopolitisme
comme troisième manifestation de l'état civil
II.3.1. Définition du
Cosmopolitisme
Etymologiquement, le mot
« cosmopolitisme » vient du grec (cosmos), monde,
et (politês), citoyen. Il signifie donc « citoyen
du monde ».
Le cosmopolitisme est donc l'état de ce qui est
cosmopolite,
la manière de vivre cosmopolite. Mieux encore, le cosmopolitisme est une
disposition d'esprit qui conduit quelqu'un à considérer comme sa
patrie, son pays
d'origine aussi bien que d'autres pays. Il s'oppose au
patriotisme
exclusif et ne doit pas être confondu avec le métissage,
qui est le mélange de plusieurs cultures. Plus largement, le
cosmopolitisme est la conscience d'appartenir à l'ensemble de
l'
Humanité
et non pas à sa seule patrie d'origine. Il consiste à se
comporter comme un membre de la
communauté
mondiale et non comme le
citoyen d'un Etat.
Le terme de cosmopolitisme aurait été
défini par Diogène de Sinope (v 413-327 av JC).106(*) Doctrine morale des
stoïciens, la notion de cosmopolitisme a été reprise par le
philosophe allemand Emmanuel Kant (1724-1804) qui met en avant
l'universalité de l'homme et en fait un citoyen du monde au-delà
des
nations, sans qu'il
renie pour autant ses particularités.
Ainsi, dira-t-on qu'une personne est cosmopolite si elle
s'accommode facilement des moeurs et usages des pays où elle vit, si
elle fait preuve d'intérêt, de curiosité, de sympathie,
voire de préférence pour ce qui est étranger.
En
sus, l'on dira qu'un groupe de personnes ou une société est
cosmopolite si elle est composée de personnes originaires de
différents pays. Exemple : une ville cosmopolite.
II.3.2. Le Cosmopolitisme dans
l'histoire de la philosophie
De prime à bord, il faut noter que le projet
cosmopolitique kantien ne constitue qu'un moment de l'histoire du
cosmopolitisme en philosophie. Le texte du Projet de paix
perpétuelle en témoigne lui-même. En plusieurs de ses
points, il constitue une discussion, voire une réfutation des
thèses de ceux qui, comme Erasme, Grotius ou l'abbé de
Saint-Pierre, en ont inspiré la rédaction.
Mais l'histoire du cosmopolitisme en philosophie remonte bien
plus loin que de l'époque de la Renaissance. La première mention
de l'expression « cosmopolitique », comme la
lecture de Diogène Laërce permet de l'apprendre, se trouve dans la
bouche de Diogène de Sinope. Interrogé sur ses origines par un
interlocuteur, il répond avec acuité : « Je suis
citoyen du monde »107(*).
Mais, pour Diogène, s'affirmer citoyen du monde
n'était qu'une façon de déclarer son mépris
à l'égard des lois de la cité d'Athènes qui
l'accueillait, alors qu'il avait été chassé de Sinope, sa
cité d'origine. Cette déclaration de mépris n'était
pas gratuite : elle se fonde sur la présupposition de l'existence
d'un principe supérieur, principe qu'aucune loi, aucune institution,
aucun prince ne pouvait concurrencer. Donc, si Diogène a inventé
le cosmopolitisme, c'est pour annoncer une loi supérieure à
toutes celles qui pouvaient prétendre être attachées
à un lieu. Ce qui est impensable pour les grecs de l'antiquité
pour lesquels seul le cadre de la cité était à même
de fournir des lois susceptibles de protéger ceux qui pouvaient
prétendre y appartenir. En revanche, celui qui ne pouvait
prétendre appartenir à aucune cité ne pouvait pas non plus
prétendre à la protection offerte par les lois propres à
l'une d'entre elles. Du reste, le cosmopolitisme inauguré par
Diogène est à la fois une forme de mépris à
l'égard des lois de la cité et une forme particulièrement
sophistiquée d'ingratitude à sa cité d'accueil.
De Diogène à Kant, l'histoire du cosmopolitisme
passe par le stoïcisme, doctrine d'Etat de l'Empire romain, puis par
l'augustinisme, avant de s'évanouir et de renaître avec les
penseurs humanistes de la Renaissance.108(*)
Cependant, du point de vue du droit, les débats
philosophiques autour de la question du cosmopolitisme seront longtemps sans
effet. Ce n'est qu'avec les premières élaborations techniques du
ius gentium que la question des fins attendues d'un droit
supposé dépasser les limites des Etats sera posée dans les
termes susceptibles de concerner les juristes.
A cet égard, le Projet de paix perpétuelle
de Kant constitue un compte-rendu assez fidèle des conclusions
auxquelles les premiers théoriciens du ius gentium
étaient eux-mêmes parvenus. En 1625, dans le De iure belli ac
pacis, Hugo Grotius considérait déjà que le ius
gentium devait être compris comme l'expression technique d'un droit
naturel définit comme « une règle qui nous
suggère la droite raison, qui nous fait connaître qu'une action,
suivant qu'elle est ou non conforme à la nature raisonnable, est
entachée de difformité morale, ou qu'elle est moralement
nécessaire et que, conséquemment, Dieu, l'auteur de la nature,
l'interdit ou l'ordonne ».109(*) Autrement dit, le ius gentium n'a de sens
qu'indexé sur un droit supérieur, droit lui-même
fondé dans un principe de nature à la fois métaphysique et
morale. Seule une telle indexation est susceptible de convertir le droit de
guerre en droit de paix.
Comme on le sait, le mot « cosmopolite »
apparaît en français au milieu du XVIe siècle. S'il
signifie alors, comme le mot grec dont il est dérivé,
« citoyen du monde », cette citoyenneté ne
s'applique toutefois pas qu'aux humains. « Cosmopolite »
est surtout un mot de botanique qui sert à désigner les plantes
dont l'espèce se trouve largement répartie à la surface du
globe. Il faut attendre le milieu du XVIIIè siècle pour qu'il
quitte le domaine de la botanique définitivement.110(*)
Plus tard, sous la plume de Charles Maurras et de Maurice
Barrès, le mot « cosmopolitisme » s'oppose
désormais au « nationalisme »111(*).
II.3.3. Du droit cosmopolitique
Le droit cosmopolitique naît des problèmes
juridiques et politiques impliqués par le développement des
relations transnationales, c'est-à-dire entre les individus des Etats
différents. En effet, ce développement s'accompagne aujourd'hui
de toutes sortes de jugements qu'ont les nations et les étrangers
d'exiger les uns les autres, dès lors que l'on sait que l'ouverture des
sociétés nationales sur le reste du monde est inégalement
bénéfique à chacun et qu'elle modifie le partage et la
répartition des biens et des vies. Stéphane Chauvier
résume ces jugements en ces termes : « Tel tient la
nation pour un sanctuaire inviolable et sacré et la présence de
l'étranger pour une simple faveur discrétionnairement
octroyée. Tel autre voit au contraire dans l'étranger une
promesse de richesse, autant spirituelle que matérielle, et fait de
l'ouverture inconditionnelle des frontières autant un acte de simple
justice qu'une expression de l'intérêt bien compris. Tel
considère comme parfaitement juste qu'un Etat puisse adopter une
législation restrictive voire sourcilleuse à l'endroit des
étrangers. Tel autre voit au contraire, dans de telles pratiques
législatives et administratives, non seulement un frein à la mise
en relation de tous les hommes et de toutes les cultures, mais aussi une
atteinte au droits de l'homme »112(*).
Quoi qu'il en soit, il faut, en premier lieu, définir
ce que Kant entend par droit cosmopolitique. Kant voit dans le droit
cosmopolitique le droit de l'étranger à ne pas être
traité en ennemi, dans une société qui n'est pas la
sienne. Il s'agit, en quelque sorte, d'un droit de visite. Mais, au-delà
d'un droit de visite, c'est un droit à l'échange
réciproque entre les peuples, ce que d'aucuns ont appelé un droit
du commerce international avant l'heure, ou mieux, selon le vocabulaire de
Stéphane Chauvier, une éthique juridique du
cosmopolitisme, qui consisterait à « tenter
d'atteindre un tel point de vue impartial, en posant pour elle-même la
question de ce que les étrangers qui souhaitent investir, travailler ou
séjourner dans un pays sont en droit d'exiger de lui et ce qu'à
l'inverse les nations sont en droit d'imposer ou d'opposer aux étrangers
qui souhaitent séjourner chez elles »113(*).
Kant ne voit pas dans le droit cosmopolitique la source d'une
homogénéité des peuples sur un plan international -il
refuse l'idée d'un état métanational-, mais plutôt
une reconnaissance au sein de chacun d'eux de « droits inaliénables
» du visiteur, afin de préparer la paix universelle dont Kant est
convaincu qu'elle est l'horizon de l'homme, inscrite dans les projets
indicibles de la Nature, inévitable à terme.
Le droit cosmopolitique complète les deux premiers
niveaux, le droit civique114(*) et le droit international115(*) : « Le
droit cosmopolitique doit se restreindre aux conditions de l'hospitalité
universelle »116(*). Ce droit « considère les
hommes et les États, dans leurs relations extérieures et dans
leur influence réciproque comme citoyens d'un État universel de
l'humanité »117(*), il concerne les hommes en tant que citoyens du
monde. Kant insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas de philanthropie, mais du
droit que possède chaque homme de ne pas être traité en
ennemi dans un pays qui n'est pas le sien.118(*) Le droit cosmopolitique n'est donc pas de nature
« philosophique » comme le lui reprochera G. F. de Martens
dans un texte polémique, mais bien de nature juridique119(*). Ce droit s'attache, comme
le stipule, Stéphane Chauvier, à « organiser
juridiquement les relations pouvant se nouer entre les diverses
communautés politiques de la terre »120(*) Les violations du droit
d'humanité concernent tous les hommes de quelque pays qu'ils soient. En
effet, précise Kant, « Les relations (plus ou moins
étroites) qui se sont établies entre tous les peuples de la
terre, ayant été portées au point qu'une violation du
droit commise en un lieu se fait sentir dans tous, l'idée d'un droit
cosmopolitique ne peut plus passer pour une exagération fantastique du
droit; elle apparaît comme le complément nécessaire de ce
code non écrit qui, comprenant le droit civil et le droit des gens, doit
s'élever jusqu'au droit public des hommes en général, et
par là jusqu'à la paix perpétuelle, dont on peut se
flatter, mais à cette seule condition, de se rapprocher
continuellement »121(*).
Le droit d'hospitalité donne lieu à une critique
fondamentale de la politique des puissances européennes. Le droit
d'hospitalité est très précisément limité
à un simple droit de visite justifié par deux principes ; le
premier est « le droit qu'a l'étranger, à son
arrivée dans le territoire d'autrui, de ne pas y être
traité en ennemi »122(*), tant qu'il n'offense personne. Le second est
« le droit qu'a tout homme de se proposer comme membre de la
société, en vertu du droit de commune possession de la surface de
la terre sur laquelle, en tant que sphérique, ils ne peuvent se
disperser à l'infini; il faut donc qu'ils se supportent les uns à
côté des autres, personne n'ayant originairement le droit de se
trouver à un endroit de la terre plutôt qu'à un
autre ».123(*)
C'est alors l'appartenance au genre humain qui légitime
la demande de visite et celle de devenir membre d'une société
-dans certaines conditions toutefois-, comme partie intégrante du droit
des gens concernant ici les personnes et non les États.
Ce droit de tout homme à la commune possession de la
surface de la terre ne saurait être confondu avec une appropriation du
sol et reste à construire à des conditions que l'actualité
indique à Kant. Tout d'abord, le droit de visite n'est pas un droit
d'accueil mais une simple demande de visite qu'une personne fait à une
société et peut alors être refusée. Les causes de
refus envisagées par Kant ici sont de deux ordres. Des comportements
inhospitaliers comme ceux que l'on peut rencontrer sur les côtes
barbaresques « où l'on s'empare des navires des mers
avoisinantes, et où l'on réduit en esclavage les marins
échoués », ou encore chez les Bédouins
« l'on considère comme un droit de piller ceux qui approchent
des tribus nomades ». Toutefois, en dépit de ces
comportements, le droit d'hospitalité peut chercher à se
construire à condition qu'il se limite à « fixer
les conditions sous lesquelles on peut essayer de former des liaisons avec les
indigènes d'un pays. De cette manière des régions
éloignées les unes des autres peuvent contracter des relations
amicales, sanctionnées enfin par des lois publiques, et le genre humain
se rapprocher insensiblement d'une constitution
cosmopolitique »124(*).
De ces comportements inhospitaliers à caractère
défensif, Kant distingue l'agressivité spécifique des
« nations commerçantes de l'Europe » qui violent le
droit de visite, pensent et agissent en conquérants au mépris des
pays et des peuples et commettent des crimes qui font d'elles un danger
menaçant la paix dans le monde. Kant précise que le mot
découvrir signifie, pour ces nations commerçantes de
l'Europe en Amérique, en Afrique, en Asie, conquérir.
Pour eux donc, l'Amérique et les pays habités par les
nègres étaient des pays sans propriétaire, parce qu'ils
comptaient les habitants pour rien. Ces conquêtes s'accompagnaient d'un
excès d'injustice, de guerre, de famine, de rébellion, de
perfidie et de tout ce déluge qui afflige l'humanité.
Dans la Métaphysique des moeurs, Kant
récuse l'argument spécieux des conquérants qui invoquent
la vacuité de territoires pour se les approprier, dans le cas de peuples
chasseurs ou pasteurs, tout comme les justifications d'une conquête sous
prétexte d'infériorité culturelle comme le firent les
chrétiens en Allemagne, et continuaient de le faire les Russes en
Sibérie ou les Européens en Amérique et en
Afrique :
« Si cet établissement a lieu à
une distance telle de la résidence du premier peuple qu'aucun des deux
ne porte préjudice à l'autre dans l'usage de son territoire, le
droit y relatif n'est pas douteux. Mais s'il s'agit de peuples pasteurs ou
chasseurs (...) qui, pour subsister, ont besoin de vastes contrées
incultes, cette implantation ne saurait se faire par la violence mais seulement
au moyen d'un contrat, qui lui-même ne profite pas de l'ignorance de ces
indigènes quant à la cession de leurs terres (...) : en partie
en amenant ces peuples grossiers à la culture (...), en partie en
amenant son propre pays à se purifier d'hommes corrompus, et ceux-ci ou
leurs descendants, à s'amender, comme on le leur souhaite, sur un autre
continent (...) ; car toutes ces prétendues bonnes intentions n'arrivent
pourtant pas à effacer l'injustice qui entache les moyens
employés à les réaliser »125(*).
La menace que font peser les nations commerçantes de
l'Europe sur le monde est explicite et Kant en a montré les
conséquences destructrices pour les peuples et l'injustice. Ces
expériences expliquent que la Chine et le Japon refusent ou
contrôlent étroitement l'entrée des Européens sur
leur territoire. La nature du commerce de l'Europe ne contribue pas au
développement de relations amicales entre les peuples, mais bien au
contraire invite ces derniers à l'éviter pour se protéger.
Ainsi, par exemple, la Chine et le Japon, ayant appris à connaître
par expérience les Européens, leur refusèrent sagement,
sinon l'accès, du moins l'entrée de leur pays, à
l'exception des Hollandais qu'ils excluent néanmoins, comme des captifs,
de toute société avec les habitants.
Kant espérait même que le moment de la
disparition de ce commerce conquérant des Européens ne survivrait
pas à la crise qu'il traversait alors et brosse un tableau très
négatif de sa nature et de ses conséquences, non seulement dans
le monde mais en Europe même. En effet, la crise de l'empire colonial en
Amérique ouverte par l'indépendance des États-Unis avait
entraîné des pertes importantes pour le commerce et les Compagnies
des Indes. L'esclavage dans les plantations américaines est
considéré par Kant comme une des formes les plus cruelles qui
aient existé. Kant se démarque très clairement des
tentatives de justification de la traite et de l'esclavage en Amérique
par des colons qui le présentaient comme un mal nécessaire et une
période de transition permettant aux Africains de se
« civiliser » par cette nouvelle forme
d'asservissement !126(*) Est-il nécessaire de préciser que le
rapprochement entre esclavage et civilisation est étranger à
l'esprit des Lumières ?
Du point de vue de la paix, Kant souligne que le commerce
colonial, dont la traite des Africains fait partie, contribue au
développement des flottes et des marins et nourrit l'arme par excellence
de l'époque. Le commerce colonial accompagnant les conquêtes des
puissances européennes sont des obstacles à la paix dans le
monde. L'abolition de l'esclavage à Saint-Domingue en 1793, soutenue et
élargie par la République française le 4 février
1794 et qui, au moment de la rédaction du Projet de paix
perpétuelle, avait gagné la Guadeloupe et la Guyane et
suscitait un renouveau des résistances des esclaves en Amérique,
ouvrait une perspective de rupture avec les conquêtes des puissances
européennes. Paraphrasant Kant, Losurdo écrit à ce
sujet :
« Le pis, ou pour parler en moraliste, le mieux
est que toutes ces violences sont en pure perte; que toutes les compagnies de
commerce qui s'en rendent coupables touchent au moment de leur ruine; que les
îles à sucre, ce repaire de l'esclavage le plus cruellement
raffiné, ne produisent pas de revenu réel, et ne profitent
qu'indirectement, ne servant même qu'à des vues peu louables,
savoir à former des matelots pour les flottes, par conséquent
à entretenir des guerres en Europe; service qu'en retirent surtout les
puissances qui se targuent le plus de dévotion et qui, tout en
s'abreuvant d'iniquités, prétendent égaler les élus
en fait d'orthodoxie »127(*).
Ces développements permettent de comprendre que le
droit d'hospitalité est conçu par Kant comme un simple droit de
visite dans le but de protéger les peuples des dangers que
représentent les conquêtes et le commerce de domination des
nations européennes.
Sur ce point, il est intéressant de comparer le projet
de constitution présenté par Saint-Just, le 24 avril 1793,
à la Convention, en complément du projet de Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen de Robespierre.128(*) Ce double projet de
constitution développe une cosmopolitique de la liberté des
peuples en vue de la paix en renonçant clairement à toute guerre
offensive. Limitons-nous ici à préciser le thème du droit
d'hospitalité défini par Saint-Just.
Le chapitre IX consacré aux relations
extérieures définit un droit d'asile sélectif que la
République française offre aux défenseurs de la
liberté et aux opprimés de tous les pays, mais qu'elle refuse aux
homicides et aux tyrans. Ce droit d'asile est par ailleurs offert à tous
les navires étrangers dans les ports de la République qui
s'engage aussi à ce que sa flotte porte secours aux navires en
détresse et ouvre une diplomatie fondée sur les
négociations avec les pays neutres et une réglementation de la
guerre de course129(*)
:
« Le peuple français se déclare
l'ami de tous les peuples; il respectera religieusement les traités et
les pavillons; il offre asile dans ses ports à tous les vaisseaux du
monde; il offre un asile aux grands hommes, aux vertus malheureuses de tous les
pays; ses vaisseaux protégeront en mer les vaisseaux étrangers
contre les tempêtes... La République protège ceux qui sont
bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Elle refuse asile aux
homicides et aux tyrans »130(*).
À ce droit d'asile, Saint-Just ajoute un droit de
visite des étrangers que la République s'engage à
respecter, eux comme personnes et leurs usages : « Les
étrangers et leurs usages seront respectés dans son
sein. »
Saint-Just propose un droit d'accueil ou de séjour qui
est un contrat de caractère réciproque établissant les
mêmes droits aux Français établis à
l'étranger et aux étrangers établis en France. Ce contrat
crée un statut d'étranger établi dont l'exercice du droit
de propriété est limité par l'autorisation de
posséder des biens soit par héritage, soit par achat, mais avec
l'interdiction de vendre : « Le Français
établi en pays étrangers, l'étranger établi en
France, peuvent hériter et acquérir; mais ils ne peuvent
aliéner »131(*).
Ce qui est visé est le commerce de domination : il
s'agit d'empêcher les pratiques des négociants qui
établissaient des membres de leur famille dans tous les lieux
nécessaires à leur négoce qui structurait les politiques
de conquête européennes. La République française
annonce ainsi sa volonté de contrôler le négoce et, en
l'interdisant aux Français établis à l'étranger,
jette les bases d'accords réciproques avec d'autres États.
En proposant un droit d'asile aux amis de la liberté et
aux vertus malheureuses, un droit de visite aux étrangers et une
limitation de l'exercice du droit de propriété dans le but
d'établir des rapports commerciaux contrôlés en vue de la
paix, Saint-Just contribuait à définir un droit
d'hospitalité sans le confondre avec une hostilité dangereuse
sous couvert de pratiques commerciales dont on connaissait bien, à
l'époque, les effets destructeurs de la liberté des peuples.
Cette comparaison avec le projet de Saint-Just permet
d'avancer dans la compréhension du droit cosmopolitique défini
par Kant comme restreint aux conditions de l'hospitalité universelle, en
vertu du droit de commune possession de la surface de la terre qui n'est pas
à confondre avec une appropriation du sol d'autrui. Le droit
cosmopolitique contient, somme toute, trois dimensions : d'abord, le
« droit de visite et le droit d'asile » ; d'autre
part, le « droit d'entrer et de séjourner » et,
enfin, le « droit des nations à décider de
l'installation des étrangers »132(*).
Face aux questions que posent actuellement l'immigration
clandestine et les sans-papiers, la position de Kant constitue une alternative
manifeste. En effet, Kant soutient que l'étranger possède un
« droit de visite » sur toutes les terres
étrangères ; il a le « droit de ne pas être
traité en ennemi dans le pays où il arrive »133(*). Toutefois, ces droits
contiennent certes des nuances de sens et des interprétations
variés. Ainsi, dans le droit positif, comme le rappelle une des
décisions de la Cour constitutionnelle française,
« aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur
constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère
général et absolu d'accès et de séjour sur le
territoire national ; les conditions de leur entrée de leur
séjour peuvent être restreintes par des mesures de police
administrative conférant à l'autorité publique des
pouvoirs étendus et reposant sur des règles
spécifiques »134(*). Le droit de visite n'est donc pas infini. Il
contient, cependant, un droit de visiter la nation étrangère ou,
selon l'expression de Stéphane Chauvier, le droit du candidat à
l'extranéation135(*) qui est, dans le langage juridique, le
processus ou l'action de devenir empiriquement étranger. Et,
renchérit Stéphane Chauvier, « la position
juridique de l'étranger n'est pas une position factice, une position de
fait. C'est une position juridique. C'est d'abord ou ce doit être d'abord
une position de droit »136(*).
Quant au droit d'asile, il faut préciser avec
Stéphane Chauvier que « l'obligation d'accueillir celui
que son Etat expulse ou persécute n'est pas une authentique obligation
juridique »137(*) car, poursuit-il, « pour parler de
droit, il faut en effet qu'on ait affaire à des situations qui soient le
résultat du jeu de la liberté humaine »138(*). Ainsi, conclut-il,
« le persécuté ou l'exilé ne sont pas dans
une situation juridique, mais dans une pure situation morale (...) n'ont pas de
créance sur moi, Etat, mais j'ai moi, par contre, une obligation envers
eux. Je leur droit l'asile en raison de leur situation et de ma conscience,
mais ils n'ont pas pour autant un authentique droit
d'asile »139(*). Tout compte fait, le devoir
d'hospitalité, d'accueil ou de visite ne doit d'abord et même
exclusivement s'appliquer aux cas dans lesquels on choisit de se trouver en
position d'étranger, c'est-à-dire de manière libre.
Conclusion partielle
Les trois niveaux juridiques définis plus haut -
droit civil, droit des gens, droit cosmopolitique - sont
nécessaires pour que la paix perpétuelle puisse se
matérialiser.
Le premier acte de la construction de la paix
perpétuelle passe par la constitution d'un noyau d'États
républicains ayant renoncé à la guerre de conquête
et à la politique de puissance. Consécutivement, à
l'avènement de l'Etat de droit, la publicité est la condition
indispensable de la justice entre les hommes, car « toutes les
actions relatives au droit d'autrui, dont la maxime n'est pas susceptible de
publicité, sont injustes ».140(*)
En deuxième lieu se trouve l'unification d'Etats
républicains fédérés. En effet, écrit Kant,
« La possibilité de réaliser cette idée
d'une fédération, qui doit s'étendre insensiblement
à tous les États et les conduire ainsi à la paix
perpétuelle peut être démontrée. Car, si le bonheur
voulait qu'un peuple puissant et éclairé se constituât en
République (gouvernement qui, par sa nature, incline à la paix
perpétuelle), il y aurait dès lors un centre pour cette alliance
fédérative; d'autres États pourraient s'y joindre, afin
d'assurer leur liberté, conformément à l'idée du
droit des gens »141(*).
En ultime condition de la paix, Kant propose l'idée
originale d'un Etat cosmopolitique. Il s'agit de l'hospitalité
universelle où l'étranger se sente comme accepté par ses
hôtes, sans pour autant revendiquer un droit de cité Ainsi, Kant
reprend-il et dépasse-t-il le débat philosophique des
Lumières sur les relations entre les peuples. Le nouveau concept de
droit cosmopolitique complète le droit civil et le droit des
gens. Il fournit une réponse théorique achevée à
l'interrogation iréniste142(*) de l'époque moderne.
En plus, il existe un rapport entre
« fédération » et
« cosmopolitisme ». Ce rapport est au centre de diverses
controverses dans la théorie des relations internationales. Dans
l'univers kantien, les relations internationales posent la question du rapport
de chaque Etat avec ses citoyens, c'est-à-dire, pour utiliser le
vocabulaire de Telò, « l'ancrage de la paix
extérieure dans le régime politique intérieure et
étrangère et donc de la critique de la séparation entre
politique intérieure et
étrangère »143(*) d'un Etat au sein du cosmopolitisme. C'est ainsi
que, en perpétuelle analyse, dans le troisième chapitre, nous
nous proposons de poser l'Etat cosmopolitique comme horizon d'accomplissement
de la paix.
Chapitre troisième :
L'ETAT COSMOPOLITIQUE : HORIZON D'ACCOMPLISSEMENT DE LA
PAIX
III.0. Introduction
Dans ce chapitre, il est question de donner la substance de
l'idée du cosmopolitisme. En effet, de même que le citoyen est
sujet d'un Etat souverain, de même les Etats peuvent être
considérés comme des sujets d'un ordre international, de
même, enfin, chaque être humain peut être
considéré comme citoyen du monde de n'importe quelle partie du
globe, mais disposant des droits politiques inférieurs à ceux des
autochtones. Telle est l'idée kantienne d'un Etat cosmopolitique,
instaurateur d'une paix durable entre les hommes.
Kant est préoccupé par la question de savoir
quelles sont les conditions de possibilité d'un ordre politique à
l'échelle mondiale. Il y répond qu'il faut élever
l'hospitalité au rang d'un droit inaliénable, promouvoir
l'avènement des républiques au niveau interne et international,
rendre possible une optimale interconnexion des hommes à travers le
monde, à l'instar de ce que les anglo-saxons appellent de nos jours la
globalisation ou la mondialisation. Fort de cette similitude, nous allons d'une
part établir un parallélisme entre cosmopolitisme et
mondialisation. D'autre part, nous parlerons de la promotion de l'Etat de droit
au niveau international.
III.1. Du cosmopolitisme
à la mondialisation
L'hypothèse qui est au centre de ce point est que la
mondialisation comme sentiment, comme perception de notre présent, est
intimement liée au dissentiment et au dérèglement -
hypothèse aussi que ce sentiment ne date pas d'aujourd'hui mais qu'il
est constitutif de la conscience moderne, historique du monde qui émerge
au plus tard avec l'ère des révolutions. La mondialisation est
ainsi conçue comme un processus porteur d'espoir, porteur de la promesse
d'un monde sans guerre et d'une croissance économique qui mettra un
terme à la misère de masse dans les pays en voie de
développement et établir une « bonne
gouvernance » qui, comme le postule Ngoma Binda, doit être
fondée sur les principes de rationalité, d'éthique,
d'esprit démocratique, de civisme, de responsabilité ainsi que de
sens du droit, de la justice, du travail acharné et de l'organisation
intelligente144(*).
III.1.1. Le droit
d'hospitalité face à la mondialisation
La conception du droit cosmopolitique présentée
dans le troisième article définitif du Projet de paix
perpétuelle entretient avec la théorie de la mondialisation
un rapport de causalité. Pour rappel, le droit cosmopolitique
d'hospitalité est le droit de tout homme venant d'ailleurs -avec sa
culture, sa langue, sa religion, son mode de vie-, d'être accueilli
-respecté dans sa singularité et dans son
altérité-. Le droit d'hospitalité, que Kant précise
qu'il ne relève pas de la philanthropie, c'est-à-dire de
l'humanitaire, mais bien du droit, repose sur l'hypothèse que, puisque
notre monde est un monde fini, puisque les vaisseaux et les chameaux
permettent de rapprocher les hommes à travers les contrées sans
possesseur, puisque donc, les hommes ne peuvent se disperser à l'infini
et qu'il faut donc qu'ils se supportent les uns à côté des
autres, personne n'ayant originairement le droit de se trouver à un
endroit de la terre plutôt qu'à un autre : « tout
homme a le droit de se proposer comme membre de la
société »145(*).
Le droit d'hospitalité a une portée
philosophique immense car l'exigence d'ouverture, de réciprocité,
étant donné que « personne n'a originairement le droit
de se trouver à un endroit de la terre plutôt qu'à un
autre », n'est pas contingente pour Kant : elle est constitutive
de la condition humaine. Le monde vécu est réel parce qu'il est
commun. C'est la leçon politique qu'Arendt tire de Kant. Pour cette
dernière, en effet, quand s'effacent la religion, la tradition et
l'autorité comme modalités de notre rapport au monde, le
politique est ramené à la condition élémentaire de
la perception, la pluralité. Et la démocratie ne fait
rien d'autre qu'ériger en valeur, en exigence, cette condition
même de pluralité146(*).
Le cosmopolitisme est donc une tentative de sortir de
cette impasse et d'offrir une alternative éthique et politique à
la mondialisation en cours.
De cette manière, le cosmopolitisme se présente
comme le contraire du globalisme. Le globalisme étant
l'idéologie qui légitime la mondialisation en nous imposant cette
« évidence » -aujourd'hui
discréditée-, selon laquelle les interactions spontanées
et dérégulées de l'économie hyperindustrielle sont
fondamentalement bonnes pour l'humanité. Cette idéologie, il faut
le rappeler, est parfaitement compatible avec un esprit provincial, et
même facilement convertible en nationalisme, comme on le voit avec ces
« global citizens » qui se sentent à l'aise partout
dans le monde, qui plaident pour une dérégulation du
marché, mais qui, une fois rentrés chez eux, n'hésitent
pas à réclamer un contrôle strict de l'immigration.
Le cosmopolitisme, s'oppose à la fois au globalisme et
au nationalisme. C'est une erreur fondamentale de croire que l'optique
cosmopolitique veut abolir les frontières et éliminer la
souveraineté étatique. Ce qu'il récuse dans le point de
vue national, c'est l'essentialisation politique de l'ethnicité à
laquelle il se livre, « l'identité nationale », et
son refus de construire des niveaux de pouvoir supra-étatiques
aujourd'hui indispensables. Mais l'optique cosmopolitique n'entend nullement
supprimer les institutions étatiques. Au contraire, elle
préconise des Etats forts qui préservent les deux grands acquis
de la modernité : les droits politiques attachés
à la condition de citoyen et les protections sociales
liées au statut de salarié. Car ce n'est qu'en préservant
et en renforçant ces deux acquis de l'Etat national qu'on pourra
affronter les problèmes posés par la mondialisation, comme par
exemple celui de la migration et de son corollaire,
l'interculturalité.
Dans l'optique cosmopolitique, le problème n'est pas de
savoir combien de migrants pouvons-nous accepter, ni jusqu'où
pouvons-nous tolérer leurs particularismes culturels -c'est là un
point de vue nationaliste qui reste centré sur les identités. Le
véritable problème est dans les conditions d'émergence des
subjectivités en devenir des migrants, chez leurs enfants et
finalement chez leurs petits-enfants.
Si l'on mène des politiques d'action positive en faveur
des étrangers ou des personnes d'origine étrangère, et que
l'on appuie cette politique sur des données officielles et anonymes,
l'on ne touche pas à la question de l'identité, mais à
celle de la subjectivité. Car la question de fond est celle de
l'intégration culturelle, sociale et politique des immigrés.
Lorsque l'on plaide pour un assouplissement des jours
fériés, pour une valorisation des langues et des cultures
d'origine, pour des aménagements raisonnables en matière
alimentaire ou vestimentaire, l'on n'enferme pas les
« allochtones » dans leur identité, mais au
contraire on les sort des ghettos dans lesquels ils ont été mis,
on leur ouvre l'espace commun, on brouille cette frontière invisible
entre « eux » et « nous », comme s'ils
n'étaient pas partie prenante à ce nous, alors que la plupart
sont nés sur notre sol et que leur langue maternelle est le
français. Tel est, à en croire Édouard Delruelle, un
point de vue cosmopolitique sur un problème territorial.147(*)
De même, poursuit Édouard Delruelle, s'il s'agit
de traiter de la question migratoire, l'optique cosmopolitique consistera
à prendre la perspective la plus large, celle qui inclut à la
fois les intérêts du pays d'accueil (de ses entreprises, mais
aussi de ses travailleurs et de ses franges de la population les plus
fragilisées), les intérêts des pays d'origine (pour
éviter par exemple un « brain drain »
catastrophique pour eux), et enfin les intérêts et les droits des
migrants eux-mêmes.148(*)
III.1.2. Réinvention de
l'Etat dans une optique cosmopolitique
Pour réinventer l'Etat dans une optique
cosmopolitique, il faut bien entendu, pour certaines questions, dépasser
le cadre territorial classique. Édouard Delruelle, dans son article
Cosmopolitisme et dissensus communis, voit au moins deux
niveaux de pouvoir qui, dès demain, devraient s'ajouter au niveau
étatique proprement dit : le niveau cosmopolitique et le niveau
métropolitain149(*).
En effet, d''une part, un niveau cosmopolitique est
aujourd'hui le seul où il est possible d'affronter des défis
globaux comme le climat, la finance, la suffisance et la sécurité
alimentaire, la lutte contre les mafias et la traite des êtres
humains.
D'autre part, un niveau
« métropolitain », niveau de la
ville : l'urbanisation quasi-totale de la population mondiale se profile
dans un avenir historique proche (déjà, 60% aujourd'hui). Elle
fait de la ville un nouvel espace commun qui, à l'heure actuelle, ne
dispose pas d'institutions politiques et juridiques spécifiques. Il faut
donc inventer un niveau de pouvoir et de juridiction qui soit en prise
avec la civilisation ultra-urbanisée de demain, où se jouera la
vie quotidienne de nos concitoyens : travail, logement, loisirs,
hygiène, mobilité, interculturalité ; c'est là
aussi, sans doute, que la démocratie participative, si elle est
possible, trouvera à se concrétiser.
Sous cette double condition, la reconquête par l'Etat de
ses fonctions de base sera peut-être possible :
sécurité certes, mais aussi égalité des chances,
solidarité interpersonnelle, accès de tous à la
santé, au savoir, et, en liaison avec le niveau européen,
immigration, monnaie, régulation des marchés.
L'optique cosmopolitique est, tout compte fait, la seule qui,
aujourd'hui, soit adéquate aux conditions de la
subjectivité contemporaine. L'espace de subjectivation s'est
élargi aux dimensions du monde ; notre horizon de perception et
d'expérience est devenu celui d'un monde unique et fini, si bien que la
dimension planétaire des problèmes que nous avons à
affronter devient une donnée immédiate de notre conscience. Le
cosmopolitisme en est la seule traduction politique, le seul horizon
d'établissement de la paix à travers l'Etat de droit et les
relations internationales.
III.3. La promotion de
l'Etat de droit au niveau international
III.3.I. L'Etat de droit comme
instrument de pacification des relations internationales
La problématique de l'Etat de droit conduit à
faire de la pacification des relations internationales la résultante
d'un processus complexe, dans lequel les dimensions externe et interne sont
inextricablement mêlées et renvoient l'une à
l'autre150(*) : il ne
s'agit pas seulement, en effet, de construire un «Etat de droit
international» impliquant l'existence de règles supérieures
aux Etats; il s'agit encore de faire reposer cette construction sur l'adoption
par les Etats d'un modèle d'organisation politique fondé sur la
primauté du droit. L'Etat de droit international prend ainsi appui sur
le système de droit qui s'est développé dans l'ordre
interne : le principe de soumission de l'Etat au droit qu'implique celui-ci
contribue à assurer la diffusion et l'application effective des normes
de droit international; l'Etat de droit international ne prendra ainsi toute sa
portée qu'à partir du moment où il reposera sur
l'existence d'une véritable «communauté d'Etats de
droit».
Ce lien est au coeur de la perspective kantienne151(*). La «paix
perpétuelle» dépend de la réunion de trois
conditions, dictées par la Raison et conçues comme des
«articles définitifs». D'abord, le caractère
«républicain» de la Constitution des Etats : impliquant la
liberté et l'égalité des citoyens, la séparation
des pouvoirs et la représentation. Une telle Constitution interdirait
qu'une guerre puisse être décidée par les gouvernants
«pour des raisons insignifiantes» et indépendamment de
l'accord des citoyens. Ensuite, l'édification d'un
«fédéralisme d'Etats libres» : il s'agit non d'un
super-Etat, mais d'une «alliance des peuples», fondée sur la
liberté des Etats et exclusive de toute idée de contrainte.
Enfin, la promotion d'un «droit cosmopolitique», sous-tendu par le
principe d'«hospitalité», c'est-à-dire signifiant le
droit pour l'étranger à son arrivée sur le territoire d'un
Etat de ne pas être traité par lui en ennemi.
Kant établit ainsi un lien consubstantiel entre la mise
en place d'un ordre républicain au sein des Etats et la construction
d'un ordre pacifique international : la paix mondiale n'est possible à
ses yeux que si les Etats se dotent d'une Constitution garantissant les droits
de l'homme et limitant le pouvoir ; alors des rapports pacifiés pourront
s'établir entre les Etats, tout en respectant leur souveraineté.
Cette perspective se retrouve chez Norberto Bobbio152(*) ou encore chez Jürgen
Habermas153(*).
Pour Bobbio, l'établissement d'une paix durable dans le
monde n'est concevable que si la Constitution des Etats est fondée sur
le respect de la démocratie et des droits de l'homme. De même,
critiquant l'idée d'«alliance des peuples», Habermas estime
que le «droit cosmopolitique» doit donner aux individus, en tant que
«citoyens du monde», des droits face aux Etats et donc
«court-circuiter» la souveraineté. Ulrich Beck est en revanche
plus proche de la perspective kantienne, en concevant l'«Etat
cosmopolitique» comme une «réponse politique à la
mondialisation», par la promotion d'une logique nouvelle de
coopération154(*)
: le cosmopolitisme ne marquerait donc nullement la fin de la
souveraineté des Etats, mais son renforcement par l'association et le
partage. Bridant la puissance des Etats en la coulant dans le moule du droit,
aussi bien dans l'ordre externe que dans l'ordre interne, l'Etat de droit est
conçu comme un moyen de pacification de leurs relations mutuelles.
III.3.2. L'Etat de droit comme
principe d'organisation de la société internationale
La logique de l'Etat de droit suppose une rupture avec la
conception classique du droit international. Si les premiers théoriciens
du droit des gens s'étaient efforcés de penser les rapports entre
Etats comme gouvernés par des normes supérieures relevant de
l'idée de «Nature», le droit international a été
construit en effet sur le principe de souveraineté : produit de la
rencontre de volontés souveraines, c'est un «droit
interétatique», fondé sur l'accord des Etats ;
l'«efficacité de ce droit repose sur l'engagement que chaque Etat
assume à son égard et qui est la base directe de son
obligation».155(*)
Le droit international présente ainsi un caractère
«conventionnel», qui exclut à première vue toute
transposition du principe de hiérarchie des normes, inhérente
à la théorie de l'Etat de droit. Quant aux juridictions
internationales, elles ne disposent pas de la plénitude de
compétence et des moyens de contrainte impliqués par le
système de l'Etat de droit.
Postulant l'existence d'une «légalité
internationale», c'est-à-dire d'un corpus de règles
s'imposant à l'ensemble des Etats, ainsi que la mise en place de
mécanismes permettant d'en assurer le respect, l'Etat de droit
international apparaît en l'état actuel des rapports
internationaux, comme un simple postulat : sa réalisation supposerait
une transformation radicale de la société internationale, par la
mise en cause de la souveraineté des Etats et l'apparition d'une
véritable autorité au niveau mondial ; la société
internationale reste une société fondamentalement
«anarchique», formée d'entités également
souveraines, qui restent libres de leurs engagements. Cependant, cette vision
apparaît trop simple : s'il a les limites d'un mythe, l'Etat de droit
international en a aussi la force agissante; l'idéal de l'Etat de droit
travaille en profondeur la société internationale, en alimentant
une dynamique de changement.
La création du système des Nations Unies a
constitué à cet égard un tournant capital, en contribuant
à l'institutionnalisation des rapports internationaux -
institutionnalisation passant par le canal du droit : un véritable ordre
juridique s'est progressivement construit sous l'égide de l'ONU et cet
ordre juridique repose précisément sur un principe fondamental,
l'interdiction du recours à la force - en dehors des hypothèses
très limitatives admises par la Charte. Rassemblant la
quasi-totalité des Etats, l'ONU apparaît comme un forum mondial,
l'instance de préfiguration de cette «démocratie
interétatique»156(*) prônée par Kant; et le Conseil de
sécurité est devenu le garant de la légalité
internationale, notamment en matière de recours à la force. La
création des Nations Unies a donc bel et bien jeté les bases d'un
Etat de droit international, certes incomplet et à éclipses -
notamment dans la mesure où le Conseil de sécurité a
rarement été en mesure d'assumer les responsabilités qui
lui incombent. Et cet Etat de droit est sous-tendu par l'objectif de
pacification des relations internationales, dans la mesure où il encadre
strictement l'usage de la force. Même si elle n'a pas suffi à
éviter le développement de conflits armés, l'institution
des Nations Unies n'en a pas moins pesé sur leur déroulement et
contribué à promouvoir «l'idée que les
différends entre les Etats devaient se régler de manière
pacifique».157(*)
Au lendemain de la guerre du Golfe, George Bush
énoncé l'avènement d'un nouvel ordre mondial où le
règle de la loi, et non celui de la jungle gouverne la conduite des
nations et évoqué un nouveau partenariat des nations [...], un
partenariat uni par le principe de l'Etat de droit. La caution du Conseil de
sécurité apparaît comme une ressource capitale pour
établir la légalité et asseoir la légitimité
du recours à la force, comme l'ont montré les exemples contraires
des interventions en Afghanistan et en Iraq : les résolutions 1 368 et 1
373 adoptées après les attentats du 11 septembre avaient reconnu
puis réaffirmé le droit à la « légitime
défense individuelle et collective » et la nécessité
d'une lute contre le terrorisme, avant que le Conseil de sécurité
apportât le 8 octobre son soutien à l'opération
«Liberté immuable». A l'inverse, le fait que l'intervention en
Iraq ait été décidée sans l'accord du Conseil a
suscité de vives controverses.
L'Etat de droit se profile encore à travers la
consécration d'un ensemble de droits fondamentaux au profit des
individus. La Déclaration universelle des droits de l'homme a
constitué la première tentative de construction d'un socle de
valeurs communes, par-delà la diversité des régimes
politiques, ainsi que d'affirmation de l'existence de droits s'imposant aux
Etats : la signature des deux Pactes, complétés par des
conventions particulières, a fait entrer les droits de l'homme dans le
droit international positif. A partir de ce socle ont été
édifiés des instruments régionaux, tels que la Convention
européenne (1950), la Convention américaine (1969) ou encore la
Charte africaine (1981).
On retrouve ainsi au niveau international les
éléments substantiels qui sont au coeur de la théorie de
l'Etat de droit. L'idée que tout homme disposerait d'un ensemble de
droits, véritable patrimoine commun de l'humanité, que les Etats
sont tenus de respecter, constitue un puissant vecteur de pacification des
rapports internationaux. Sans doute la protection de ces droits est-elle
imparfaitement assurée, si ce n'est dans un cadre régional;
cependant, l'institution de la Cour pénale internationale,
compétente pour juger les faits de génocide, crimes contre
l'humanité, crimes de guerre, a montré, en dépit de ses
insuffisances, que de nouveaux pas en avant étaient en cours «dans
la voie du respect universel des droits de l'homme et de l'Etat de droit»,
selon la formule du Secrétaire général de l'ONU.
Tout se passe ainsi comme si avaient été
jetées les bases d'un Etat de droit international : sans doute la
légalité internationale reste-t-elle évanescente et la
pacification des rapports internationaux virtuelle ; cependant, les fondations
ont bel et bien été posées, rendant possible une
consolidation progressive. La construction européenne en est la
préfiguration : l'édification d'un ordre juridique
supérieur au droit des Etats membres et l'introduction de dispositifs de
protection juridictionnelle des droits et libertés sont conformes
à la logique de l'Etat de droit; et cette construction a bien
été un élément de pacification des rapports entre
les pays européens. «Cesserait un système semblable
qu'il faudrait mettre en place à l'échelon mondial et ce serait
le début d'une véritable société
internationale».158(*) L'Etat de droit international ne saurait cependant
être dissocié des mécanismes internes sur lesquels il prend
appui.
III.3.3. L'Etat de droit comme
principe d'organisation des Etats
L'Etat de droit international est indissociable des principes
qui commandent l'organisation interne des Etats. Ce lien résulte en tout
premier lieu du fait que les normes élaborées au niveau
international ne prennent toute leur portée que dans la mesure où
elles sont incorporées dans les ordres juridiques internes, en devenant
un élément du droit des Etats. Or, le système de l'Etat de
droit permet cette incorporation, en définissant la place qui leur est
assignée; le perfectionnement des mécanismes de l'Etat de droit
favorise donc la diffusion des normes de droit international.
Ce processus a été très explicite, par
exemple, pour la France. Dans la tradition juridique française, les
normes internationales n'étaient pas considérées comme des
sources de droit interne, prenant place dans la hiérarchie des normes :
le droit international était donc intégré à un
système relevant moins de l'Etat de droit que de l'«Etat
légal», comme l'avait souligné Carré de Malberg.
La situation a évolué en deux temps successifs,
d'abord avec l'article 26 de la Constitution de 1946, qui a accordé aux
traités diplomatiques régulièrement ratifiés et
publiés «force de loi», puis avec l'article 55 de la
Constitution de 1958, qui a posé que ces traités ont «une
autorité supérieure à celle des lois» - sous
réserve d'une condition de réciprocité : un étage
supplémentaire, formé des normes internationales, a donc
été aménagé dans la hiérarchie des normes;
et les juridictions en ont tiré tour à tour les
conséquences, en acceptant d'écarter les lois qui seraient
contraires aux traités. Le mécanisme est le même pour le
droit communautaire, en s'étendant à l'ensemble du droit
dérivé, les Etats étant de surcroît tenus
d'édicter les normes d'application et de prendre les mesures
d'exécution nécessaires, sous le contrôle du juge
communautaire.
L'Etat de droit interne est ainsi mis au service de la
construction d'un Etat de droit international. Cette dimension prend une
importance toute particulière en ce qui concerne les droits fondamentaux
: les textes relatifs à ces droits, adoptés au niveau
international et au niveau régional, sont incorporés dans l'ordre
interne, en bénéficiant par là même des
mécanismes de protection prévus par celui-ci. Plus
significativement encore, un certain nombre de conventions internationales
supposent pour leur exécution le concours actif des juridictions
nationales, soit que la juridiction internationale n'intervienne qu'à
titre supplétif pour pallier leur inaction (cas de la Cour pénale
internationale), soit qu'elle ne soit saisie qu'après épuisement
des voies de recours internes (cas de la Cour européenne des droits de
l'homme), soit encore que les juridictions nationales soient garantes de leur
application (la règle de la compétence universelle159(*) prévue par une
série de conventions, relatives notamment à la piraterie
internationale, aux prisonniers de guerre, au trafic de stupéfiants, au
terrorisme ou à la torture, fait ainsi obligation aux Etats de
poursuivre les auteurs de certains faits, quelle que soit leur
nationalité ou celle de leurs victimes. On sait les difficultés
que sa mise en oeuvre a soulevées.160(*)
Plus généralement, la construction d'un Etat de
droit international est censée présupposer la diffusion du
modèle de l'Etat de droit dans le monde entier : on retrouve ici la
vision kantienne de la «Constitution républicaine» comme
condition de la «paix universelle». La souveraineté reconnue
aux Etats pour définir leur régime politique connaît ainsi
des limites, qui réduisent «l'amplitude de la diversité
acceptable».161(*)
L'idée selon laquelle l'adhésion au modèle de la
démocratie et de l'Etat de droit conduirait à renoncer à
faire usage de la force, aussi bien sur le plan international que dans l'ordre
interne, est fortement enracinée. Ainsi, comme nous pouvons le lire chez
Serge Sur et Jean-Jacques Roche, à la différence des dictatures
par essence belligènes, les démocraties libérales seraient
naturellement pacifiques162(*) et privilégieraient la recherche de
compromis; la résorption des conflits interétatiques ne pourrait
dès lors être obtenue que par une homogénéisation
progressive des principes d'organisation des Etats.
La construction européenne témoigne de
l'importance de ce facteur : la construction d'une paix durable en Europe a
été rendue possible par l'adhésion des pays
européens à un même modèle d'organisation politique,
fondé sur la démocratie, les droits de l'homme et l'Etat de
droit, qui est érigé en principe fondateur de la construction
européenne. L'admission des pays d'Europe centrale et orientale au
Conseil de l'Europe puis au sein de l'Union européenne a
été ainsi subordonnée à l'introduction des
mécanismes de l'Etat de droit : au nombre des critères
fixés par le Conseil européen à Copenhague en juin 1993
figure l'existence «d'institutions stables, garantissant la
démocratie, la primauté du droit, les droits de l'homme et le
respect des minorités» et les demandes d'adhésion sont
examinées à l'aune de ces critères. L'ONU adhérera
à cette problématique, en liant la paix et la
sécurité internationale à la promotion de l'Etat de droit
dans l'ordre interne : la déclaration finale de la conférence sur
les droits de l'homme tenue à Vienne en juin 1993 appellera ainsi les
Etats à renforcer les institutions nationales et infrastructures qui
maintiennent l'Etat de droit, en vue de créer les conditions permettant
à chacun de jouir des droits universels et des libertés
fondamentales. L'«agenda pour la démocratisation»,
établi le 17 décembre 1996 par le Secrétaire
général de l'organisation, s'inscrit dans la même
perspective.
Somme toute, l'Etat de droit est ainsi conçu comme le
moyen de pacifier les rapports internationaux, dans la double mesure où
il implique que les Etats se soumettent à une loi qui les dépasse
et où ils se coulent eux-mêmes dans le moule du droit. Sans doute
la société internationale est-elle encore bien loin d'atteindre
cet idéal. Cependant, des pas en avant continueraient à
être effectués dans cette voie, comme le montre la mise en place
de la Cour pénale internationale. Cette vision témoigne de cette
confiance absolue placée dans le droit, qui était au coeur de la
construction de la théorie de l'Etat de droit. Elle repose sur la
croyance que le pouvoir peut être lié par des règles, que
la force peut être mise au service du droit, que la domination peut
être exercée conformément à des normes
préétablies ; présupposant la capacité de la norme
à faire advenir ce qu'elle énonce, l'Etat de droit postule la
«forclusion de la violence». Or, cette conception
idéalisée du droit occulte le fait qu'il est lui-même enjeu
permanent de luttes et que les rapports de force ne sauraient, pas plus sur le
plan international que sur le plan interne, être éradiqués
par la seule vertu de la norme juridique. La dogmatique de l'Etat de droit
apparaît en réalité, non seulement comme un instrument de
pacification des rapports internationaux, mais aussi comme un vecteur
d'hégémonie dans les relations internationales.
En définitive, un fait est certain : le
thème de l'Etat de droit ne sort pas du néant. Il est
indissociable d'un ensemble de représentations et de valeurs lentement
forgées au fil de l'histoire des pays européens, il implique
toute une conception de l'organisation politique. Le fait qu'il se
présente dans la société contemporaine comme un standard
international auquel tout Etat est tenu de se conformer tend à montrer
que cette conception est devenue hégémonique.163(*) L'Etat de droit va
dès lors être utilisé comme argument d'autorité et
principe de légitimation, permettant de justifier les pressions
exercées sur certains Etats, voire une ingérence plus directe
dans leurs affaires intérieures, au mépris de l'idée de
souveraineté. Il sert de ressource idéologique et d'arme
politique pour imposer un ordre international, qui apparaît comme
l'enveloppe d'un rapport de domination. Ainsi que le note Ulrich Beck, «
les Etats qui tissent le régime des droits de l'homme au rang de
base programmatique et institutionnelle de leur politique se procurent un
accès à des sources entièrement nouvelles de
légitimation»164(*). Cette instrumentalisation du thème de l'Etat
de droit est d'autant plus évidente qu'elle n'implique nullement la
renonciation aux attributs de la puissance et l'acceptation des
prérequis indispensables à la construction d'un authentique Etat
de droit international.
Conclusion partielle
Au terme de ce chapitre, nous comprenons que le cosmopolitisme
permet de penser de nouveaux rapports de droit : la mondialisation du
droit. Parmi les moteurs de la construction cosmopolitique, on retrouve trois
facteurs de la mondialisation du droit, parfois contradictoires entre
eux : le commerce (et/ou le développement technologique), la
société civile et les États eux-mêmes. En sus, les
phénomènes de mondialisation du droit et de la justice peuvent
être interprétés en termes cosmopolitiques.
La mondialisation du droit consacre un éclatement des
systèmes juridiques jusque là clos sur eux-mêmes, et permet
en même temps l'émergence de communautés, de
solidarités ou de dialogues au niveau global. La notion de
cosmopolitisme permet donc de figurer cette dislocation des frontières,
notamment entre droits nationaux et droit international, et la recomposition de
liens au-delà de ces frontières. Les affaires de
« délocalisation judiciaire » en particulier fondent
la légitimité d'une lecture cosmopolitique de la mondialisation
du droit, dans la mesure où elles présupposent, ou produisent,
une forme de solidarité humaine et de conscience politique globale,
indépendante de la nationalité et du système juridique
auxquels les individus appartiennent réellement.
A défaut d'une telle mondialisation de la notion du
droit et de justice, la communauté des nations ne saurait être
régulée que par la violence naturelle des hommes, le droit
naturel à l'autodéfense. Ce serait le retour à la
dissuasion caractéristique de l'état de nature.
CONCLUSION GENERALE
Au terme de nos investigations, nous n'avons pas la
prétention d'avoir balisé tous les aspects de la conception
kantienne relative à l'état de droit. Certes, au-delà du
Projet de paix perpétuelle, nous pourrions, peut-être,
déceler suffisamment de plis et replis de la pensée kantienne
dans la perspective bien définie que nous nous sommes
proposée : la métamorphose de l'Etat de droit. En plus,
reconnaissons que l'oeuvre philosophique de Kant n'est pas aisément
abordable. Elle se veut généralement métaphysique.
D'ailleurs, Kant lui même, conscient des difficultés que
rencontrent ses lecteurs pour le comprendre et considérer ses ouvrages,
avoue sans ambages : « Je suis venu avec mes
écrits un siècle tôt. C'est dans cent ans que l'on
commencera à me bien comprendre ; alors on se remettra à
lire mes livres et l'on saura les faire valoir »165(*).
Nonobstant, nous nous sommes évertué de retracer
l'itinéraire pacifiste de Kant en trois phases successives et
évolutive. Et, à en croire Abe Pangulu, ce pacifisme se
présente sur un fond de paradoxe166(*). Ainsi, poursuit-il, « aucune
coexistence pacifique véritable n'est possible en dehors de toute
organisation juridiquement protégée, garantissant les droits
privés et publics »167(*).
Le premier chapitre était inscrit dans le truchement
l'univers d'inspiration de l'oeuvre politique kantienne. Il s'est agit de
retracer les origines de l'oeuvre politique d'Emmanuel Kant, les emprunts ou
influences historiques ou culturelles que Kant aurait subies des
Lumières, de la lecture de Jean-Jacques Rousseau et de la
Révolution française. Ainsi, avons-nous pu retenir que les
Lumières sont pour Kant « ce qui fait sortir l'homme de la
minorité » pour accéder à un
« usage public » de la raison. En plus, nous avons
pu nous apercevoir de la fécondation et de l'influence de Rousseau sur
Kant, d'abord et essentiellement au niveau de la méthode
hypothético-déductive qui consiste de poser en idée une
réalité pour enfin la jauger dans l'empirie. Aussi, la
théorie kantienne sociale et politique apparaît-il comme la
théorie rousseauiste renversée : si pour Rousseau, l'homme,
et l'histoire qu'il crée par les mécanismes sociaux, va du mieux
au pire, Kant en revanche estime que l'histoire de l'humanité va du pire
au mieux, réglé sur le modèle du devoir168(*), construit sur base de la
liberté et du droit, socle d'une paix durable.
Dans le deuxième chapitre, notre préoccupation
était d'étayer la métamorphose de l'Etat de droit en
partant de différentes formes de l'état civil. Ces formes sont,
du reste, la constitution « républicaine », la
fédération d'Etats libres et le droit cosmopolitique. Ainsi, Kant
synthétise-t-il le débat des Lumières sur la paix et
l'idée fédérale. La paix est envisagée
simultanément comme une perspective politique et comme un
impératif catégorique. Les six "articles préliminaires" du
projet constituent une critique des rapports entre les États : la
guerre de conquête, la diplomatie secrète, les armées
permanentes, les violations du droit des gens, sont condamnés
globalement. Viennent ensuite trois "articles définitifs" auxquels
correspondent les trois "niveaux" juridiques nécessaires à la
construction de la paix : le droit civil, le droit des gens et le droit
cosmopolitique.
Kant donne aux hommes le devoir de réaliser la paix
conformément à la raison. L'état de paix n'est pas la
cessation des hostilités, mais un état juridique qui doit
être construit. Pour cela, "la constitution civile de chaque État
doit être républicaine", et "il faut que le droit des gens soit
fondé sur une fédération d'États libres". Cet
aspect a permis à Kant d'établir l'idée d'une
« société des nations », chimère pour
certains qui pensaient sa réalisation prochaine. Cet « Etat
des Nations » ou « Etat cosmopolitique » est
l'achèvement parfait de l'évolution de l'histoire humaine. C'est
également la garantie de paix et des droits universels et
véritables. De ce fait, Kant appréhende-t-il l'Etat
cosmopolitique comme un organisme vivant n'excluant aucune partie de son
ensemble.
Le droit cosmopolitique vient compléter les deux
premiers niveaux. Ce droit considère les hommes et les États,
dans leurs relations extérieures et dans leur influence
réciproque comme citoyens d'un État universel de
l'humanité. Il concerne les hommes en tant que citoyens du monde.
La clé du droit cosmopolitique réside dans le
fait qu'il concerne, par delà les sujets collectifs du droit
international, le statut des sujets de droit individuels, fondant une
appartenance au monde sur base du principe d'hospitalité. Suivant cette
idée, tout individu est à la fois citoyen du monde comme citoyen
de son État. Les individus occupent donc une place juridique dans la
communauté internationale.
Le troisième chapitre était un prolongement du
deuxième ; il aborde la question de l'Etat cosmopolitique qui,
à notre humble avis, peut être établi comme horizon
d'accomplissement de la paix. Ainsi, nous avons relevé qu'il est
possible de penser la globalisation et la mondialisation, et donc la
gouvernance mondiale sur les mêmes bases du cosmopolitisme. Certes,
la Société des Nations s'appuyait sur les Etats-nations et sur la
définition classique de l'espace selon les trois principes de
territorialité, de souveraineté et de sécurité.
Cependant, aujourd'hui, avec l'affaiblissement relatif de l'Etat, le
trans-nationalisme et l'interdépendance, nous nous acheminons peu
à peu vers une société mondiale, aussi peu
intégrée politiquement soit-elle.
Toutefois, face au constat qu'il n'y a pas d'union politique
véritable à l'échelle humaine (l'ONU ne suffisant pas),
l'objectif est d'offrir un droit commun pour ne pas laisser le monde dans un
« désordre impuissant » : il faut ordonner et
structurer la pluralité des normes qui définit le droit
mondialisé, sans rien concéder à une toute puissance
hégémonique. Il faut donc comparer les systèmes, les
harmoniser, quitte à chercher un socle de principes communs, une sorte
de consensus par recoupement au sens de John Rawls169(*). Delmas-Marty parle alors
d'une dialectique du cosmos et de la polis qui aurait vocation à
produire à terme ce qu'elle appelle un « pluralisme
ordonné »170(*).
Tout compte fait, L'idéal kantien est paradigmatique de
ce cosmopolitisme moderne et fonde la plupart des thèses cosmopolitiques
contemporaines, à partir de deux textes de Kant qui établissent
un lien durable entre le conflit, la guerre, d'une part, et le projet d'une
constitution au-delà des États, d'autre part :
l'Histoire universelle d'un point de vue cosmopolitique et le
Projet de paix perpétuelle. Au-delà des divergences
d'interprétation qui animent les différentes lectures de ces
textes, on peut en résumer l'apport en quelques principes. En premier
lieu, le projet cosmopolitique répond à un plan de la nature. Ce
plan repose sur le penchant de l'homme pour la société et, en
même temps, la tendance naturelle des hommes à se faire la guerre.
C'est la guerre, le conflit et la concurrence qui amènent les hommes
à s'entendre et à faire société au-delà de
leurs penchants particuliers. En second lieu, ce « faire
société » se traduit par un projet de constitution
au-delà des États nations, dont l'objectif premier est de
court-circuiter la guerre en instaurant un équilibre
intéressé, c'est-à-dire une paix perpétuelle.
Enfin, en troisième lieu, ce projet ne se réalise que sur une
grande échelle (dans l'espèce). Il est propre au
développement général des sociétés mais doit
s'accomplir progressivement et pourquoi pas d'abord de façon
partielle.
BIBLIOGRAPHIE
1. OEuvres de Emmanuel Kant
- KANT, E., Critique de la faculté de juger,
Paris, J. Vrin, 1986.
- KANT, E., Critique de la raison pratique, Traduction
et avant-propos par Gibelin, Paris, J. Vrin, 1983.
- KANT, E., Critique de la raison pure, Paris, P.U.F.,
1986.
- KANT, E., Ecrits politiques, OEuvres, Coll.
« Bibliothèque de la Pléiade », Paris, La
Renaissance du Livre, 1917.
- KANT, E., Fondements de la métaphysique des
meorus, Trad. nouvelle avec introduction et notes par V. DELBOS, Paris,
Delagrave, 1976.
- KANT, E., Fondements de la métaphysique des
moeurs, Traduit de l'Allemand par Victor Delbos, Québec, Edition
électronique réalisée par Philippe Folliot, Microsoft Word
2002.
- KANT, E., Idée d'une histoire universelle au point
de vue cosmopolitique, Trad. J.-M. Muglioni, Paris, éd.
Bordas.
- KANT, E., La philosophie de l'histoire (opuscules),
Paris, Gonthier, 1947.
- KANT, E., Le conflit des facultés. En trois
sections, 4è éd., Paris, J. Vrin, 1988.
- KANT, E., Métaphysique des moeurs. Première
partie : Doctrine du droit, Paris, J. Vrin, 1986.
- KANT, E., Pour la paix perpétuelle. Projet
philosophique, Trad. J. Lefebvre, Paris, PUL, 1985.
- KANT, E., Projet de paix perpétuelle, Trad. De
J. Gibelin, 3ème édition, Paris, J. Vrin, 1975.
- KANT, E., Vers la Paix perpétuelle, 1795,
Paris, Garnier-Flammarion, 1991.
2. OEuvres sur Emmanuel Kant
- CASSIRER, E., Rousseau, Kant, Goethe. Deux essais,
Paris, Belin, 1991.
- CHAUVIER, S., Du droit d'être étranger. Essai
sur le concept kantien d'un droit cosmopolitique, Paris, L'Harmattan,
1996.
- HABERMAS, J., La paix perpétuelle. Le
bicentenaire d'une idée kantienne. Traduction de l'allemand par
Rainer ROCHLITZ, coll. « Humanités », Paris, Les
Editions du Cerf, 1996.
- PHILONENKO, A., L'oeuvre de Kant. La philosophie critique,
tII. Morale et politique, Paris, J. Vrin, 1988
- RAULET, G., Kant. Histoire et citoyenneté,
Paris, P.U.F., 1996
- WEIL, E., Problèmes kantiens, Paris, J. Vrin,
1990.
- ZANETTI, V., La nature a-t-elle une fin ? Le
problème de la téléologie chez Kant, Grèce,
Ousia, 2005.
3. Ouvrages généraux et
autres ouvrages
- ASCENSIO H. et alii, Droit international pénal,
Paris, Pedone, 2000.
- BOBBIO, N., Thomas Hobbes, Turin, Einaudi, 1989.
- BOBBIO, N., L'Etat et la démocratie
internationale, Bruxelles, Complexe, 1998
- CHEMILLIER-GENDREAU, M., L'Etat de droit au carrefour des
droits nationaux et du droit international, L'Etat de droit,
Mélanges Braibant, Paris, Dalloz, 1996.
- COOPER, R., La Fracture des nations. Ordre et chaos au XXIe
siècle, Paris, Denoël, 2004.
- DE MARTENS, G. F., Précis du droit des gens moderne
de l'Europe, Paris, 1864.
- DELMAS-MARTY, M., Le pluralisme ordonné,
Paris, Seuil, 2006.
- DELMAS-MARTY, M., Le Relatif et l'universel, Paris,
Seuil, 2004.
- DIOGENE, Les cyniques grecs. Fragments et
témoignage, Paris, éd. L. Paquet, 1992.
- FUKUYAMA, F., La Fin de l'histoire et le dernier
homme, Paris, Flammarion, 1992
- GIBAULT, M. « La Société des
Nations et le principe fédéral, 1919-1946 »,
Coloquios, 2008, URL : http://nuevomundo.revues.org/index45393.html.
Consulté le 31 décembre 2009
- GILSON, B., L'essor de la dialectique moderne et la
philosophie du droit, Paris, J. Vrin, 1991
- GOYARD-FABRE, S., Philosophie politique.
XVIè-XXè Siècles, Paris, PUF,
1987.
- GROTIUS, H., Le droit de la guerre et de la paix,
Trad. par D. Alland et S. Goyard-Fabre, Paris, PUF, 1999
- HELD, D., Un nouveau contrat mondial. Pour une gouvernance
social-démocrate, Paris, Presses de Sciences Po, 2005.
- LEBEN, C., Norberto Bobbio et le droit international,
Utopies : entre droit et politiques. Mélanges Courvoisier, Dijon,
Editions universitaires de Dijon, 2005.
- MATTELART, A. Histoire de l'utopie planétaire. De la
cité prophétique à la cité globale, Paris, La
Découverte & Syros, 1999, 2000
- MOREAU DEFARGES, P., La fin des Nations Unies ? L'empire et
le droit, Annuaire français de relations internationales, vol. V,
2004.
- NGOMA Binda, P., Principes de
Gouvernance Politique et Ethique ... Et le Congo sera sauvé, coll.
« Politique et Géopolitique », Bruxelles, Academia,
2009.
- PHILONENKO, A., Théorie et praxis dans la
pensée morale et politique de Kant et de Fichte en 1793, Paris, J.
Vrin, 1968.
- RAMEL, F. et CUMIN, D., Philosophie des relations
internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2002.
- RAWLS, J., Le libéralisme politique, Paris,
PUF, 1993.
- RAWLS, J., Théorie de la justice, Paris, Seuil,
1987.
- ROUSSEAU, J.-J., Du contrat social, Paris, Flammarion,
1992.
- STRAUSS, L. et CROPSEY, J., Histoire de la philosophie
politique, Chicago, Université de Chicago, 1987.
- SUR, S., Relations internationales,
3ème Ed., Paris, Montchrestien, 2004.
- TELO, M., L'Etat et l'Europe : Histoire des
idées politiques et des institutions européennes, Trad. par
Jean Vogel, Bruxelles, Editions Labor, 2004.
- XXX, Théorie politique, éd. de A.
Liénart, Paris, Seuil, 1976.
4. Revues et Articles de Revues et Web
- ABE, Pangulu, Mondialisation et sécurité
collective. Réponse au paradoxe de la coexistence pacifique chez
Kant, in Religions africaines et mondialisation : Enjeux
identitaires et transculturalité. Actes du VIIème Colloque
International du CERA, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa,
2004, pp. 231-243.
- BERNS, T., Secrets implicites d'une cosmopolitique non
politique chez Kant, Dissensus, N° 1
(décembre 2008) in,
http://popus.ulg.ac.be./dissensus/document.php
- DE SUTTER, L., Le cosmopolitisme est un
anti-juridisme, Dissensus, N° 1 (Décembre 2008)
http:/popups.ulg.ac.be/dissensus/document.php ?id=177
- DELRUELLE, E.,
«Cosmopolitisme et dissensus communis», Dissensus, N° 1
(décembre 2008) , in
http://popups.ulg.ac.be/dissensus/document.php?id=262
- GUILLERMIT, L., Le droit des gens selon Rousseau et Kant,
in Cahiers d'études germaniques, 1981.
- HASSNER, P., Emmanuel Kant, in STRAUSS, L., CROPSEY,
J., Histoire de la philosophie politique, Chicago, Université
de Chicago, 1987.
- HOFFE, O., Emmanuel Kant : un cosmopolitisme
innovant, in http://www.leforum.de/artman/publish/article_192shtml
- http ://
www.vie-pblique.fr/th/glossaire.gouvernement.html
- Philosophie politique 2. Kant. R.I.Ph.P.,
Paris, P.U.F., 1992.
- ROBESPIERRE, Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen, Imp. nat., Chambre des députés, Collection Portiez
de l'Oise, t. XXIX, n° 42, reproduit dans ROBESPIERRE, OEuvres,
t. IX, Paris, PUF, 1958.
5. Dictionnaires, Encyclopédie et
Documents
- BROWN, E. et KLEINGELD, P., Cosmopolitanism, Stanford
Encyclopedia of Philosophy, publié en ligne le 23 février
2002 (révise le 28 novembre 2006),
http:/plato.stanford.edu/entries/cosmopolitanism.
- Déclaration des droits, Publiée en
tête de la constitution de 1793.
- Encyclopaedia Universalis, Corpus 20, Paris,
Encyclopaedia Universalis, 1990, pp. 318-321.
- Discours d'investiture de G.W. Bush, 20 janv. 2005.
TABLE DES MATIERES
DEDICACE
........................................................................................................
I
EPIGRAPHE
.....................................................................................................
II
AVANT-PROPOS
..............................................................................................III
INTRODUCTION GENERALE
1
Chapitre premier :
LES ORIGINES DE L'OEUVRE POLITIQUE D'EMMANUEL
KANT
5
I.O. Introduction
5
I.1. Les Lumières
5
I.2. La lecture de Jean Jacques Rousseau
8
I.3. La Révolution française
11
I.4. La liberté et le droit
13
I.5. Division du domaine du droit
16
I.5.1. Le droit privé
16
I.5.2. Le droit public
19
I.6. Le projet de paix perpétuelle
22
I.6.1. Présentation de l'ouvrage
22
I.6.2. Structure et contenu de l'ouvrage
23
Conclusion partielle
29
Chapitre deuxième :
LES FORMES DE L'ETAT CIVIL
30
II.0. Introduction
30
II.1. Le Républicanisme comme
première manifestation de l'état civil
31
II.1.1. Le contrat comme l'acte créateur de
l'Etat
31
II.1.2. La constitution républicaine
33
II.2. Le fédéralisme comme
deuxième manifestation de l'état civil
36
II.2.1. Définition du
Fédéralisme
36
II.2.2. Le fédéralisme ou l'alliance
des peuples
36
II.3. Le Cosmopolitisme comme troisième
manifestation de l'état civil
36
II.3.1. Définition du Cosmopolitisme
36
II.3.2. Le Cosmopolitisme dans l'histoire de la
philosophie
36
II.3.3. Du droit cosmopolitique
36
Conclusion partielle
36
Chapitre troisième :
L'ETAT COSMOPOLITIQUE : HORIZON
D'ACCOMPLISSEMENT DE LA PAIX
36
III.0. Introduction
36
III.1. Du cosmopolitisme à la
mondialisation
36
III.1.1. Le droit d'hospitalité face
à la mondialisation
36
III.1.2. Réinvention de l'Etat dans une
optique cosmopolitique
36
III.3. La promotion de l'Etat de droit au niveau
international
36
III.3.I. L'Etat de droit comme instrument de
pacification des relations internationales
36
III.3.2. L'Etat de droit comme principe
d'organisation de la société internationale
36
III.3.3. L'Etat de droit comme principe
d'organisation des Etats
36
Conclusion partielle
36
CONCLUSION GENERALE
36
BIBLIOGRAPHIE
36
1. OEuvres de Emmanuel Kant
36
2. OEuvres sur Emmanuel Kant
36
3. Ouvrages généraux et autres
ouvrages
36
4. Revues et Articles de Revues et Web
36
5. Dictionnaires, Encyclopédie et
Documents
36
TABLE DES MATIERES
36
* 1 O. HOFFE, Emmanuel
Kant : un cosmopolitisme innovant, Cfr
http://www.leforum.de/artman/publish/article_192shtml
* 2 J. HABERMAS, La paix
perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée kantienne.
Traduction de l'allemand par Rainer ROCHLITZ, coll.
« Humanités », Paris, Les Editions du Cerf, 1996.
* 3 E. KANT, Ecrits
politiques, OEuvres, p. 187.
* 4 E. KANT, La philosophie
de l'histoire (opuscules), p. 46.
* 5 E. KANT, cité par
J.-M MUGLIONI, in Philosophie politique 2. Kant. Revue Internationale de
Philosophie Politique., p. 169.
* 6 Lire
« Rousseau » in Encyclopaedia Universalis,
Corpus 20, pp. 318-321.
* 7 E. KANT, cité par E.
CASSIRER, Rousseau, Kant, Goethe. Deux essais, p. 36.
* 8 On peut lire à ce
sujet, V. ZANETTI, La nature a-t-elle une fin ? Le problème de
la téléologie chez Kant, Grèce, Ousia, 2005.
* 9 J.J. ROUSSEAU, Du
contrat social, p. 43.
* 10 E. CASSIRER, op.
cit., p. 39.
* 11 A. PHILONENKO,
L'oeuvre de Kant. La philosophie critique, tII. Morale et politique,
pp. 46-47.
* 12E. CASSIRER, op. cit.,
pp. 65-66.
* 13 E. KANT, cité par
E. CASSIRER, op. cit., p. 52.
* 14 E. CASSIRER, cité
par S. GOYARD-FABRE, Philosophie politique.
XVIè-XXè Siècles, p. 347.
* 15 L'état de nature
désigne, chez Kant, une simple hypothèse qui doit permettre de le
distinguer du droit. Il montre la nécessité morale d'instituer
le droit.
* 16 J. D'HONDT, Kant et la
Révolution Française, in Philosophie politique 2. Kant.
R.I.Ph.P., p. 43.
* 17E. KANT, Le conflit des
facultés. En trois sections, p.100.
* 18 E. KANT,
Métaphysique des moeurs. Première partie : Doctrine du
droit, p. 204.
* 19 E. KANT, cité par
J. D'HONDT, op. cit., p. 49.
* 20 A. AULARD, cité par
A. PHILONENKO, Théorie et praxis dans la pensée morale et
politique de Kant et de Fichte en 1793, p. 59.
* 21 E. KANT, Fondements de
la métaphysique des moeurs, Traduit de l'Allemand par Victor
Delbos, Québec, Edition électronique réalisée par
Philippe Folliot, Microsoft Word 2002, p.42.
* 22 Ibidem.
* 23 E. KANT,
Métaphysique des moeurs. Première partie. Doctrine du
droit, p. 196.
* 24 C'est dans son ouvrage
Théorie de la justice, que John Rawls corrobore cette
idée. Dans cet ouvrage, la question centrale est de savoir en quoi les
principes de la justice adoptés au niveau d'une société
imposent-ils des contraintes sur le comportement individuel des membres de la
société. Cette question est importante pour John Rawls dans la
mesure où il a consacré beaucoup de place à la discussion
du dispositif se trouvant en amont des principes de justice -on pense ici, bien
entendu, à la fiction bien connu de la position originelle -, n'a dit
que très peu de choses concernant l'aval, à savoir la
sphère de l'application des principes dans la « vie
quotidienne ». Succinctement, le cadre rawlsien dans lequel se
déploie la société est l'idéal-type de la
société démocratique moderne. C'est une
société dite « bien ordonnée » et
définie par trois caractéristiques essentielles :
a) Chacun accepte, et sait que tous les autres acceptent,
exactement les mêmes principes de justice ;
b) Les institutions sociales satisfont ces principes, et ce fait
est publiquement connu ;
c) Les citoyens ont « un sens de la justice
normalement efficace » et se conforment donc à ces
constitutions, qu'ils considèrent comme justes. Cette forme de justice
est vue par John Rawls comme une capacité morale, capacité qui a
fait, en particulier, que l'individu est à même de faire
abstraction de sa propre position sociale et de ses intérêts
propres de manière à pouvoir juger, en toute
équité, du caractère juste ou injuste d'un arrangement
social. C'est en ce sens que la théorie rawlsienne est une
théorie de la « justice comme
équité ».
* 25 E. KANT, op. cit.,
p. 104.
* 26 Déclaration des
droits, Publiée en tête de la constitution de 1793.
* 27 Code
Napoléon, art. 644.
* 28 E. KANT,
Métaphysique des moeurs. Première partie. Doctrine du droit,
p. 196.
* 29 E. KANT, op. cit.,
p. 119.
* 30 Ibid., p. 130.
* 31 B. GILSON, L'essor de
la dialectique moderne et la philosophie du droit, p. 90.
* 32 E. KANT, op.
cit., p. 134.
* 33 Ibid., p.
131.
* 34 Ibid.., p.
193.
* 35 E. KANT, Pour la paix
perpétuelle. Projet philosophique, p. 92.
* 36 E. KANT,
Métaphysique des moeurs. Première partie. Doctrine du
droit, p. 195.
* 37 Ibid., p. 215.
* 38 Ibid., p. 220.
* 39 E. KANT, La
philosophie de l'histoire, pp. 35-36.
* 40 A. MATTELART, Histoire
de l'utopie planétaire. De la cité prophétique à la
cité globale, p. 34-60.
* 41 E. KANT, Le projet de
paix perpétuelle, p. 29.
* 42 Ibidem.
* 43 E. KANT, Projet de
paix perpétuelle, p. 3.
* 44 Ibid., p. 4.
* 45 Ibid., p. 5.
* 46 Ibid., p. 6.
* 47 Ibid., p. 8.
* 48 Ibid., pp.
8-9.
* 49 Notons que, en
général, l'Etat peut être de trois types :
l'autocratie, l'aristocratie et la démocratie, c'est-à-dire un
seul détient le pouvoir souverain (souveraineté du prince), ou
bien plusieurs unis entre eux (souveraineté de la noblesse), ou bien
tous les citoyens ensemble (souveraineté du peuple). Cf. E. KANT,
op. cit., p. 18.
* 50 Ibid., p. 19.
* 51 Ibid., p. 16.
* 52 Ibid., p. 22.
* 53 Art. Préliminaires
2 et 5.
* 54E. KANT, op.
cit., p. 28.
* 55 Ibid., p. 26.
* 56 Ibid., p. 28.
* 57 Ibid., p. 26.
* 58 T. BERNS, Secrets
implicites d'une cosmopolitique non politique chez kant,
Dissensus, N° 1 (décembre 2008)
http://popus.ulg.ac.be./dissensus/document.php
* 59 E. KANT, op.
cit., p. 29.
* 60 Ibidem.
* 61 Ibid., p. 30.
* 62 Ibid., pp.
30-32.
* 63 Ibid., p. 38.
* 64 Ibid., p. 45.
* 65 Ibid., p. 46.
* 66 Ibid., p. 51.
* 67 E. WEIL,
Problèmes kantiens, p. 130.
* 68 E. KANT, Projet de
paix perpétuelle, p. 13.
* 69 Ibid., p. 14
(note).
* 70 Ibidem.
* 71 Ibid., p. 15.
* 72 Ibid., p. 22.
* 73 Ibid., p. 29.
* 74 L. GUILLERMIT, Le
droit des gens selon Rousseau et Kant, in Cahiers d'études
germaniques, p. 111.
* 75 E. KANT,
Métaphysique des moeurs. Première partie. Doctrine du
droit, p 198.
* 76 E. KANT, Critique de
la faculté de juger, p. 242.
* 77 G. RAULET, Kant.
Histoire et citoyenneté, p. 155.
* 78 On a plus d'une fois
blâmé, mais sans raison, ce me semble, comme les flatteries
grossières et enivrantes, les dénominations sublimes dont on
décore souvent les souverains (celle d'envoyé de Dieu,
d'exécuteur et de représentant de la volonté divine sur
terre). Loin d'enorgueillir un souverain, elles doivent, au contraire, lui
inspirer intérieurement de l'humilité, s'il a de l'intelligence
(comme il faut bien le supposer), et s'il songe qu'il s'est chargé d'une
fonction supérieure aux forces d'un homme, savoir de protéger ce
que Dieu a de plus sacré sur la terre, les droits des hommes, et il doit
toujours craindre de porter quelque atteinte à cette prunelle de Dieu.
(Cf. E. KANT, Ecrits politiques,OEuvres, pp. 54-55).
* 79 E. KANT,
Métaphysique des meurs. Première partie. Doctrine du
droit, p. 195.
* 80 Ibidem.
* 81 E. KANT, Ecrits
politiques, OEuvres, p.8.
* 82 Le régime
d'assemblée est un système institutionnel dans lequel tous les
pouvoirs procèdent d'une assemblée élue
au suffrage universel direct. Celle-ci élit en son sein des
comités qui exercent les fonctions exécutives et, le cas
échéant, judiciaires (Cf. http ://
www.vie-pblique.fr/th/glossaire.gouvernement.html)
* 83 Le régime
parlementaire se distingue du régime d'assemblée par une plus
grande séparation des différents pouvoirs et par l'existence
de mécanismes de régulation en cas de
désaccord entre l'Exécutif et les assemblées
parlementaires. La principale caractéristique de ce régime
réside dans la nécessité pour le Gouvernement de disposer
de la confiance de la majorité parlementaire. Il
est donc responsable devant elle et doit remettre sa démission s'il ne
dispose plus d'une majorité. (Cf. http ://
www.vie-pblique.fr/th/glossaire.gouvernement.html)
* 84 Mis en oeuvre par les
États-Unis en 1787, le régime présidentiel se
caractérise par une stricte séparation des pouvoirs : le
pouvoir législatif a le monopole de l'initiative et la pleine
maîtrise de la procédure législative ; le pouvoir
exécutif, qui dispose d'une légitimité fondée sur
le suffrage universel, ne peut être renversé ; le pouvoir
judiciaire dispose de larges prérogatives. La principale
caractéristique du régime présidentiel réside dans
le mode de désignation du chef de l'État, élu au suffrage
universel direct ou indirect.
(Cf. http ://
www.vie-pblique.fr/th/glossaire.gouvernement.html)
* 85 E. KANT, Projet de
paix perpétuelle, trad de Jean Gobelin, Paris, J. Vrin, 1975, p.
18.
* 86 Ibidem.
* 87 Ibidem.
* 88 Ibidem.
* 89 Ibid, p. 19.
* 90 Ibidem.
* 91 Ibidem.
* 92 E. KANT,
Métaphysique des moeurs. Première partie. Doctrine du
droit, Appendices, p.255.
* 93E. KANT, E., Le
Conflit des Facultés. En trois sections, pp. 90-91.
* 94E. KANT, Projet de paix
perpétuelle, p. 22.
* 95 E. KANT, Idée
d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique,
7ème proposition.
* 96 E. KANT, Projet de
paix perpétuelle, p. 25.
* 97 Ibid., p. 26
* 98 J.-J. ROUSSEAU, Du
Contrat Social, livre I, ch. 3.
* 99 M. TELO, L'Etat et
l'Europe : Histoire des idées politiques et des institutions
européennes, p. 59.
* 100 T. HOBBES, -
Eléments de droit naturel et politique, 1640.
- De cive, 1642.
- Léviathan, 1651.
* 101 N. BOBBIO, Thomas
Hobbes, p. 10.
* 102 K. WALTZ, cité
par M. TELO, op. cit., p. 61.
* 103 P. HASSNER, Emmanuel
Kant, in L. STRAUSS, J. CROPSEY, Histoire de la philosophie
politique, 1987.
* 104 M. TELO, op.
cit., p. 61.
* 105 M. GIBAULT,
« La Société des Nations et le principe
fédéral, 1919-1946 », Coloquios, 2008, URL :
http://nuevomundo.revues.org/index45393.html. Consulté le 31
décembre 2009.
* 106 DIOGENE, Les
cyniques grecs. Fragments et témoignage, Paris, éd. L.
Paquet, 1992, p. 93.
* 107 Citoyen du monde se
dit en grec (cosmopolitès) (DIOGENE, Ibid. p.
93.)
* 108 E. BROWN, et P.
KLEINGELD, Cosmopolitanism, Stanford Encyclopedia of Philosophy,
publié en ligne le 23 février 2002 (revise le 28 novembre 2006),
http:/plato.stanford.edu/entries/cosmopolitanism.
* 109 H. GROTIUS, Le
droit de la guerre et de la paix, p. 38.
* 110 L. DE SUTTER, Le
cosmopolitisme est un anti-juridisme, Dissensus, N° 1
(Décembre 2008)
http:/popups.ulg.ac.be/dissensus/document.php ?id=177
* 111 Ch. MAURRAS, et M.
BARRES, cité par L. DE SUTTER, idem.
* 112 S. CHAUVIER, Du
droit d'être étranger. Essai sur le concept kantien d'un droit
cosmopolitique, p. 9.
* 113 Ibidem.
* 114 E. KANT, Projet de
paix perpétuelle, p. 15.
* 115 Ibid., p.
22.
* 116 Ibid., p.
29.
* 117 Ibid., p
31.
* 118 Kant revient sur
cette question dans la Métaphysique des moeurs de 1797.
L'idée qu'il existe une « communauté pacifique sinon
encore amicale de tous les peuples de la terre » n'est pas
« philanthropique » (éthique) mais c'est un principe
juridique. Il s'agit d'une perspective plutôt que d'une
réalité : « On peut dire que cette institution
universelle et perpétuelle de la paix, n'est pas une simple partie, mais
constitue la fin ultime tout entière de la doctrine du droit dans les
limites de la simple raison », OEuvres philosophiques, op.
cit., VI 354-355, p. 629.
* 119 G. F. DE MARTENS,
Précis du droit des gens moderne de l'Europe, Paris, 1864
(traduction de 1'édition de 1796). Dans le même ouvrage, Martens
critique violemment la déclaration du droit des gens de l'abbé
Grégoire dont les principes sont proches de ceux
développés par Kant.
* 120 S. CHAUVIER, op.
cit., p. 8.
* 121 E. KANT, Projet
de paix perpétuelle, p. 43.
* 122 E. KANT, Projet de
paix perpétuelle, p.29.
* 123 Ibidem.
* 124 Ibid.
* 125E. KANT,
Métaphysique des moeurs, Le droit cosmopolitique, VI, 353.
* 126 Voir par exemple
l'intervention de Cocherel, député des colons de Saint-Domingue
à la Constituante, le 26 novembre 1789, en faveur du maintien de
l'esclavage dans les colonies et qui justifiait la traite comme un moyen de
soustraire « des Africains au plus dur esclavage, qui fait la base et
la constitution indestructible de ce (sic) peuple barbare »,
Archives parlementaires, t. 10, p. 263.
* 127 D. LOSURDO La
critique du colonialisme par Kant, pp.171 sq.
* 128 ROBESPIERRE,
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Imp. nat.,
Chambre des députés, Collection Portiez de l'Oise, t. XXIX,
n° 42, reproduit dans ROBESPIERRE, OEuvres, t. IX, PUF, 1958, pp.
463 sq. Le texte de Saint-Just est reproduit dans Théorie
politique, éd. de A. Liénart, Paris, Seuil, 1976, pp. l97
sq.
* 129 Voir à ce
sujet M. BELISSA, Fraternité universelle (...), op. cit., IIIe
partie, chap. 3, p. 369.
* 130 SAINT-JUST, cite in
XXX, Théorie politique, articles 1, 4 et 5.
* 131 Ibidem.
* 132 S. CHAUVIER, op.
cit., pp. 36-49.
* 133 E. KANT, cite par S.
CHAUVIER, op. cit., p. 37.
* 134 Décision de la
Cour constitutionnelle française, citée par Ibidem.
* 135 S. CHAUVIER, op.
cit., p. 36.
* 136 Ibid., p.
38.
* 137 Ibidem.
* 138 Ibidem.
* 139 Ibid., p.
39.
* 140 Ibid. p.
68.
* 141 E. KANT, Projet
de paix perpétuelle, op. cit., p. 39.
* 142 De
eirênê, la paix en grec.
* 143 M. TELO, op.
cit., p. 62.
* 144 NGOMA Binda, Principes de Gouvernance
Politique et Ethique ... Et le Congo sera sauvé, 220 p.
* 145 E. Kant, Projet
de paix perpétuelle, p.30.
* 146 H. ARENT, cité par E. DELRUELLE,
«Cosmopolitisme et dissensus communis», Dissensus, N° 1
(décembre 2008)
http://popups.ulg.ac.be/dissensus/document.php?id=262
* 147 E. DELRUELLE, art.
cit,
http://popups.ulg.ac.be/dissensus/document.php?id=262
* 148 Ibidem.
* 149 Ibidem..
* 150 M. CHEMILLIER-GENDREAU,
L'Etat de droit au carrefour des droits nationaux et du droit
international, L'Etat de droit, p. 57.
* 151 E. KANT, E., Vers la
Paix perpétuelle, 1795, 1991. (Lire aussi F. RAMEL et D. CUMIN,
Philosophie des relations internationales, pp. 252 sq.
* 152 N. BOBBIO, L'Etat
et la démocratie internationale, pp. 143-157. (Lire aussi C. LEBEN,
Norberto Bobbio et le droit international, Utopies : entre droit et
politiques, pp. 215-233.
* 153 J. HABERMAS, La
Paix perpétuelle. Le bicentenaire d'une idée kantienne,
1996.
* 154 Ibid., p.
179.
* 155 S. SUR, Relations
internationales, p. 207 sq.
* 156 P. MOREAU DEFARGES,
La fin des Nations Unies ? L'empire et le droit, Annuaire
français de relations internationales, vol. V, 2004, p. 266.
* 157 D. DE VILLEPIN,
cité par P. MOREAU DEFARGES, op. cit., p. 167.
* 158 R. COOPER, La
Fracture des nations. Ordre et chaos au XXIe siècle, Paris,
Denoël, 2004, p. 108.
* 159 G. DE LA PRADELLE,
La compétence universelle, in H. ASCENSIO et alii, Droit
international pénal, Paris, pp. 905 sq.
* 160 La Belgique ayant, en
août 2003, limité le champ d'application des lois
précédemment adoptées en 1993 et 1999, mais une
interprétation large ayant été donnée le 5 octobre
2005 par le Tribunal constitutionnel espagnol.
* 161 D. HELD, Un nouveau
contrat mondial. Pour une gouvernance social-démocrate, p. 228.
* 162 S. SUR, op.
cit., p. 406 ; J.-J. ROCHE, Relations internationales, p. 105.
* 163 F. FUKUYAMA, La Fin
de l'histoire et le dernier homme, p. 426.
* 164 Discours d'investiture
de G.W. Bush, 20 janv. 2005.
* 165 E. KANT, Fondements
de la métaphysique des moeurs, p. 16.
* 166 ABE, Pangulu,
Mondialisation et sécurité collective. Réponse au
paradoxe de la coexistence pacifique chez Kant, in Religions
africaines et mondialisation : Enjeux identitaires et
transculturalité. Actes du VIIèmeColloque
International du CERA, p. 232.
* 167 Ibidem.
* 168 V. ZANETTI, op.
cit.,
* 169 Le consensus par
recoupement désigne le socle de principes communs issus de la
confrontation des visions plurielles du monde qui composent la
société. Il suppose de s'entendre sur une structure de base juste
servant de cadre à l'expression des conceptions opposées. Voir
J. RAWLS, Le libéralisme politique, Paris, PUF, 1993.
* 170M. DELMAS-MARTY, Le
Relatif et l'universel, p. 414. Voir aussi M. DELMAS-MARTY, Le
pluralisme ordonné, Paris, Seuil, 2006.
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