La justice aristocratique dans la généalogie de la morale de Nietzsche( Télécharger le fichier original )par Pierre Morien MOYO KABEYA Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachelier en philosophie 0000 |
II. 1. 2. L'individu souverainLa culture signifie dressage et sélection. En outre, « la moralité des moeurs » va toujours de pair avec sa machine à dresser, des carcans, des tortures, tous les moyens atroces pour rendre l'homme déterminé, appréciable, régulier, semblable parmi les semblables. C'est ici que le prodigieux processus doit aboutir. Dans le dressage, on distingue, d'une part la pression d'un Etat, d'un groupe, etc., sur l'individu qu'il s'agit d'assimiler ; de l'autre, l'activité de l'espèce humaine en tant qu'elle s'exerce sur l'individu comme tel. Il y a donc ce à quoi obéit un peuple, une race (souvent quelque chose d'arbitraire) et du fait d'obéir à quelque chose (peu importe quoi) apparaît un principe qui dépasse les peuples, les races, les classes ; obéir à la loi parce que c'est la loi. En d'autres termes, « toute loi historique est arbitraire, mais ce qui n'est pas arbitraire, ce qui est historique et générique, c'est la loi d'obéir à des lois. »46(*) La forme de la loi signifie qu'une certaine activité se fait sur l'homme dans le but de le dresser. Dans la culture se trouve concrétisé le prodigieux travail de la « moralité des moeurs» : Le véritable travail de l'homme sur lui même pendant la plus longue période de l'espèce humaine, tout son travail préhistorique, prend sa signification et reçoit sa grande justification, quel que soit d'ailleurs le degré de cruauté, de tyrannie, de stupidité et d'idiotie qui lui est propre : ce n'est que par la moralité des moeurs et par la camisole force sociale que l'homme est devenu réellement appréciable.47(*) Ce n'est qu'au bout de cet énorme processus que nous pouvons contempler le fruit mûr. Ce pourquoi la société et la moralité des moeurs ne sont que des moyens : L'enjeu, c'est l'individu semblable à lui-même, « l'individu souverain ». Il est à la fois « autonome »et « supermoral ». Un tel homme qui a le sentiment d'être arrivé à un degré élevé de la perfection humaine. Il est « frère » de ce qu'il est devenu, maître du libre arbitre. Ainsi affranchi, il peut promettre en souverain. Dans ce sens, la justice s'exerce comme une activité formatrice, le contraire du ressentiment et de la mauvaise conscience. « De même que la culture est l'élément préhistorique de l'homme, le produit de la culture est l'élément post historique de l'homme. »48(*) La « responsabilité-dette » n'est qu'un moyen du dressage. La responsabilité, la justice ne sont pas des fins en soi. Le produit de la culture n'est pas l'homme qui obéit à la loi, mais l'individu souverain et législateur qui se définit par la puissance sur soi-même, sur le destin, sur la loi ; le libre, le léger, l'irresponsable. Chez Nietzsche la notion de responsabilité, même sous sa forme supérieure, a la valeur limitée de ses forces réactives devant la justice, il en est le maître, le souverain, le législateur, l'auteur et l'acteur. C'est lui qui parle, il n'a plus à répondre. 49(*) Dans la même optique, on voit comment Nietzsche libère l'homme progressivement des moyens pour atteindre l'individu qui est la fin de toute chose. C'est le mouvement général de la culture qui fait disparaître le moyen dans le produit. Ainsi nous aurons la responsabilité comme responsabilité devant la loi, la loi comme loi de la justice, la justice comme moyen de la culture. Tout cela disparaît devant le produit de la culture elle-même. La moralité des moeurs produit l'homme qui en est affranchi, l'esprit des lois affranchit l'homme de la loi. Dans ce prodigieux travail, tout le générique tombe, il est supprimé pour laisser l'individu, son but final. C'est exactement comme une fusée qui doit perdre progressivement les parties ayant déjà joué leur rôle pour n'arriver à destination qu'avec l'essentiel. * 46 G. DELEUZE, Op. cit, p. 132. * 47 F. NIETZSCHE, Op. cit., p. 88. * 48 G. DELEUZE, Op. cit., p. 157. * 49 Ibid. |
|