2. 2. Les déterminants de l'avortement
provoqué
Un certain nombre de variables se rapportant aux facteurs
socioculturels, socio-économiques, sociodémographiques et
institutionnel influencent davantage la pratique de l'avortement. Ces variables
sont les suivantes :
2. 2. 1. Les variables socioculturelles.
La pratique de l'avortement est déterminée par
des normes et valeurs propres à chaque société qui
influencent l'individu dans la décision de recourir ou non à
cette pratique. Les variables socioculturelles qui influencent l'avortement
sont :
- la religion,
- l'ethnie,
- le milieu de résidence
2-2-1-1. La religion
Selon Akoto E. (1985, cité par Djoke,
2004), << la religion véhicule un certain nombre de
valeurs et normes qui régissent la vie des fidèles sur le plan
comportemental et psychique ». La majorité des religions
interdisent l'avortement considéré comme un pêché
grave. C'est le cas des religions chrétienne, juive et musulmane ;
toutefois les deux dernières citées peuvent l'autoriser pour
sauver la vie de la mère (Guillaume A., 2004). La
religion catholique affirme d'ailleurs que <<la vie humaine commence au
moment de la conception, (...) et qu'elle doit être défendue et
protégée ». (Nations unies, 1994 : 154).
Mais de l'avis de beaucoup d'auteurs, certaines religions offrent plus de
liberté sur le plan sexuel que d'autres (Meekers et al.
1997).
2-2-1-2. L'Ethnie
Bien que l'effet de l'ethnie sur le risque d'avortement soit
une question empirique qui demeure ouverte, de nombreuses études ont
documenté des différences dans les comportements de
fécondité selon les groupes ethniques en Afrique. Au Cameroun
par
exemple, certaines sources ont décrit les
Béti-Fang comme traditionnellement plus tolérants
vis-à-vis des relations sexuelles et de la procréation
prénuptiale que les autres ethnies (Laburthe-Tolra, 1981 ; Yana,
1995 ; Calvès 2004).
2-2-1-3. Le milieu de
Résidence.
Le milieu de résidence est un indicateur de
différentiation important pour expliquer le comportement sexuel des
femmes selon qu'elles utilisent ou non des méthodes de prévention
de grossesses. Plusieurs études ont montré que les citadines
étaient plus précoces sexuellement que celles qui vivent en
milieu rural. Cela peut s'expliquer comme une aspiration des femmes à
jouir plus librement de leur corps en ville qu'au village.
2. 2. 2. Les variables
sociodémographiques.
2-2-2-1. L'âge
Plusieurs études ont montré la
corrélation entre l'âge de la femme et le recours à
l'avortement. La majorité d'entre elles rapportent des taux d'avortement
élevés chez les jeunes célibataires de moins de 25ans et
particulièrement élevés avant l'âge de 20ans
(Nichols et al. 1986 ; Desgrées du Loll et al. Alan Guttmacher,
1999 ; Calvès 2004). La prédominance de cette tranche
d'âge dans la pratique de l'avortement renseigne également sur la
précocité des relations sexuelles.
2-2-2-2. Le statut matrimonial.
Le statut matrimonial de la femme est un déterminant
important de l'avortement provoqué. En effet, d'après la
littérature les femmes célibataires avortent plus que celles qui
sont mariées, divorcées ou veuves. Cela s'explique davantage par
le fait qu'elles ne veulent pas encore d'enfants car les grossesses hors
mariages sont parfois mal acceptées dans certaines familles et
sociétés ; ou parcequ'elles sont encore à l'école
et ne veulent pas interrompre les études. (Guillaume A., 2004).
Les mariées quant à elle avortent soit parce qu'elles ne
veulent pour d'enfants ou pour espacer leurs naissances. Cette pratique peut en
outre intervenir chez ces dernières à la suite d'une grossesse
extraconjugale. A Douala et à Yaoundé, Les femmes mariées
ont déclaré dans leur majorité avoir avorté par
besoin de planning familial (55%),
puis pour des raisons économiques dont le manque de
moyens financiers (33,3%) et par contraintes professionnelles (4,5%).
(Ngwé et al. 2005). Les divorcées et les veuves
le pratiquent, parce qu'elles ne se sont pas remariées ou qu'elles ne
disposent pas de moyens financiers pour assumer la charge d'un enfant
supplémentaire.
2-2-2-3. La parité atteinte.
La parité des femmes influence aussi le recours
à l'avortement. Certaines enquêtes effectuées dans des
hôpitaux suggèrent qu'une majorité de femmes admises suite
à des complications post-abortum sont jeunes et en sont à leur
première grossesse (Bikin et al. 1984 ; Calvès, 2004).
D'autres études cependant ont trouvé une plus grande
diversité dans l'âge et la parité des patientes. Dans une
recherche menée dans un hôpital du Kenya, par exemple, la
majorité des patientes admises suite à un avortement
provoqué avait déjà un (33%),deux (15%) ou plus de deux
(23%) enfants (Solo et al., 1999 ; Calvès 2004). De
même, une étude menée à Abidjan auprès de
femmes enceintes conclut que si l'avortement est utilisé par la jeune
génération pour retarder le début de la procréation
il l'est aussi par les femmes plus âgées pour espacer les
naissances (Guillaume A., Desgrées du Lôu et al.
1999).
2. 2. 3. Les variables socio-économiques.
2-2-3-1. Le niveau de vie des ménages.
Plusieurs études ont montré la
corrélation qui existe entre le recours à l'avortement et le
niveau de vie des ménages dans lesquels vivent les femmes. La pratique
abortive évolue avec le niveau de vie ; plus le niveau de vie est
élevé, plus la pratique l'est aussi. En Egypte, les femmes en
zone urbaine issue des classes sociales élevées font plus
fréquemment des avortements que celles des classes sociales
inférieures (Lane, Jok, et al. 1998; Guillaume,
2004).
2-2-3-2. Occupation de la femme.
L'occupation de la femme au moment de la grossesse renseigne
ici sur sa capacité à supporter la charge d'un enfant ou non :
deux catégories d'occupation sont souvent évoqués lors
de certaines enquêtes : fréquentation de l'école, type
d'activité économique exercé (à
l'intérieur
ou à l'extérieur du ménage). Des
études ont montré que le taux d'avortement est
particulièrement élevé chez les filles qui
fréquentent l'école et le désir de rester à
l'école est l'une des principales raisons mentionnées par les
femmes africaines pour justifier les avortements provoqués
(Nichols et al. 1986 ; Bankole et al. 1998 ; Calvès 2004).
D'autres études ont également démontré un
lien positif entre le statut d'emploi et la probabilité de recourir
à l'avortement (Shapiro et Tambashe, 1997).
2-2-3-3. Le niveau d'instruction.
D'après la littérature, il existe une relation
positive entre la pratique contraceptive et le niveau d'instruction de la
femme. Cette relation devrait se traduire par un moindre recours à
l'avortement parmi les femmes instruites. Certaines études
démontrent plutôt le contraire, au Gabon, la proportion des femmes
qui recourent à l'avortement augmente plutôt avec le niveau
d'instruction : près de trois fois plus de femmes de niveau secondaire
(19%) ont eu au moins un avortement, comparées à celles sans
instruction (7%).
2. 2. 4. Les caractéristiques
institutionnelles. 2-2-4-1. Utilisation des
méthodes contraceptives.
Une étude a montré que les femmes qui
n'utilisaient pas de méthodes contraceptives modernes avaient souvent eu
recours à des méthodes traditionnelles ou les avaient
utilisées en discontinue (Anonymous, 1994 ; Djoke, 2004).
En Ethiopie, 83% des femmes n'utilisaient pas la contraception avant
la grossesse (Guillaume A. 2004). Au Togo, seulement 19% des
femmes utilisaient une méthode contraceptive avant la grossesse
(URD, 2001 ; Djoke, 2004). Au Mali, la survenue de la
grossesse non désirée chez les femmes qui utilisaient une
méthode de contraception avant l'avortement s'explique dans 39% des cas
par un échec (Guillaume A. 2004).
2. 3. Hypothèses et Cadre
conceptuel.
2. 3. 1. Les Hypothèses :
La présente étude se propose de rechercher les
facteurs explicatifs du recours à l'avortement provoqué au Gabon.
Elle pose comme hypothèse principale que L'avortement provoqué au
Gabon dépend des facteurs socioculturels, de la pratique contraceptive
et des caractéristiques individuelles de la femme.
De cette hypothèse principale découlent les
hypothèses spécifiques suivantes :
H1 : Le milieu socioculturel
dans lequel vivent les femmes gabonaises explique leur recours aux pratiques
abortives.
H2 : L'âge de la femme, son statut
matrimonial et sa parité expliquent le recours à l'avortement
provoqué au Gabon.
H3: L'occupation de la femme et le niveau
d'instruction ainsi que le niveau de vie du ménage expliquent le recours
à l'avortement provoqué au Gabon.
H4 : L'utilisation des méthodes
contraceptives influence le recours à l'avortement.
2. 3. 2. Le cadre conceptuel.
Les relations formulées dans les hypothèses
ci-dessus peuvent être schématisées comme l'indique la
figure ci-contre :
Facteurs Socioculturels
Facteurs Démographiques
Facteurs Socio-économiques
Comportement sexuel
Risque de Grossesse
Avortement provoqué
Le schéma conceptuel ci-dessus montre comment sont
reliés les différentes variables conceptuelles de notre
étude. Ainsi, la décision de mettre fin ou non à une
grossesse non désirée dépend des facteurs socioculturels,
socioéconomiques et démographiques. Les facteurs socioculturels
influencent non seulement les facteurs démographiques liés
à la procréation tel que l'état matrimonial, mais aussi le
comportement sexuel de la femme. En effet, la plupart des comportements des
individus sont déterminés par des croyances et des valeurs
inhérentes à leur de leur culture à travers les
perceptions qu'elles induisent. Les facteurs socioéconomiques ont
également un effet sur les facteurs démographiques et le
comportement sexuel de la femme. Car, d'après la littérature,
l'occupation de la femme, son niveau d'instruction et le niveau de vie dont son
ménage est issue ont souvent eu un effet positif sur la parité de
la femme, voire son statut matrimonial. A travers la capacité de se
procurer et d'utiliser ou non des méthodes contraceptives modernes, ces
facteurs ont aussi un effet sur la pratique contraceptive. Les facteurs
démographiques ont également un effet sur le comportement sexuel
de la femme. Ainsi, le nombre d'enfants nés vivants ou survivants
peut
amener la femme à limiter, espacer ou non les
grossesses à travers l'utilisation ou non des méthodes
contraceptives. Aussi, dans certaines tribus et ethnies du Gabon, on
tolère difficilement les enfants hors mariage ou adultérins
d'autres peu importe, ce qui peut conduire les unes et les autres à
adopter un certain comportement sexuel (pratique de la contraception ou non)
pouvant exposer la femme à une grossesse désirée ou non
désirée, déterminant ainsi l'issue de cette
dernière (avortement provoqué ou non).
2. 4. Définitions et approches des concepts
fondamentaux :
2-4-1. L'avortement provoqué :
L'avortement provoqué est l'expulsion du foetus avant
sa viabilité dont la durée est de 28 semaines (Vekemans.
M., 1988, Djoke 2004). Il se définit également comme une
opération visant à mettre fin à une grossesse par
n'importe quel moyen avant que le foetus ne soit suffisamment
développé pour survivre (Cunningham, F. G., et al. 1989,
Guillaume, 2004). Dans le cadre de notre étude, on entend par
avortement provoqué, le processus qui consiste à interrompre
volontairement une grossesse non désirée pour diverses
raisons.
Ce terme peut aussi prendre d'autres dénominations
telles que avortement à risque, avortement dangereux, avortement
illégal. Sont exclus du champ de l'étude les avortements
spontanés ou fausses couches.
2. 4. 2. Les facteurs socioculturels :
C'est un ensemble de facteurs combinant moeurs, attitudes,
croyances, valeurs, et perceptions qui déterminent les comportements des
individus dans la société. Toute société a ses
normes et valeurs en matière de sexualité, c'est le cas des
Béti Fang qui sont d'après certaines sources plus
tolérants vis-à-vis des relations sexuelles et de la
procréation prénuptiale que les autres ethnies du Cameroun
(Laburthe-Tolra,1981 ; Yana,1995 ; Calvès 2004).
Dans le cadre de notre étude, nous entendons par
facteurs socioculturels, un ensemble de facteurs véhiculant normes et
valeurs en matière de pratique contraceptive ayant un effet direct ou
indirect sur l'avortement provoqué. Ce concept est
opérationnalisé ici par des variables comme le milieu de
résidence, la religion et de l'ethnie.
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