Depuis des millénaires, les hommes ont toujours
puisé les ressources de leur environnement, pour satisfaire leurs
besoins : besoins de se nourrir, besoins de se soigner, besoins de
travailler etc. La faune sauvage est dans ce sens, l'une des principales
ressources exploitées.
L'intérêt que l'homme porte au gibier n'a pas
toujours été un intérêt mercantile. Dans les
sociétés traditionnelles, la chasse se pratiquait pour des
raisons alimentaires, mais aussi rituelles. Elle est un des fondements de
l'initiation des jeunes garçons qui apprennent la forêt aux
côtés des aînés, en même temps qu'ils s'ouvrent
à la conscience de leur rôle en s'éloignant des fillettes
cantonnées dans le giron maternel. Patrick Houben et al1(*) affirment que
« les sociétés traditionnelles, dépendantes
pour leur survie, étaient régies par le respect d'un ensemble de
règles cynégétiques prenant la forme de règles
coutumières. Elles ont toujours permis le processus de
régénération ». Mais avec le temps, cela ne
sera plus possible. Des facteurs modernes, dont l'émergence est
liée au développement de nouvelles activités ou de
nouveaux modes de vie, menacent la régénération de la
ressource faunique. De nos jours, on ne chasse plus en quantité
suffisante pour se nourrir et nourrir son petit monde, mais en quantité
industrielle pour gagner de l'argent. L'appât du gain est devenu
l'objectif principal poursuivit par ces hommes et femmes. On passe donc d'une
chasse de subsistance, avec des techniques rudimentaires, à une chasse
industrielle. L'émergence de la commercialisation du gibier puise ses
origines dans plusieurs facteurs, parmi lesquels le passage d'une
société traditionnelle à une société moderne
(usage de la monnaie...), qui se traduisent par l'acceptation de nouvelles
règles qui obéissent aux lois de l'économie de
marché et non plus à celles de l'économie de subsistance.
La présence de nouveaux contextes socioculturels place
en effet les populations, dans une société de marché,
où le commerce est économiquement rentable. Il sera ainsi
pratiqué tout azimut, et aucun produit ne sera épargné,
encore moins le gibier, particulièrement en milieu urbain. Les
activités commerciales vont ainsi connaître au Gabon un essor
particulier depuis la crise économique des années 1980. Avec
cette crise, plusieurs entreprises et industries fermeront les portes et
plusieurs personnes se retrouveront sans emplois. Ayant perdu tout espoir de
trouver de l'emploi, ces personnes vont s'autogérer à partir des
activités économiques qu'elles créeront. Elles se
retourneront vers la forêt nourricière notamment la faune sauvage.
D'aucuns feront de la chasse, et d'autres comme les
« bayames » achèteront du gibier, puis le
revendront. Elles utiliseront les techniques traditionnelles de chasse,
associées aux techniques modernes, pour chasser le gibier en
quantité. La chasse intensive sera pour l'heure l'activité qui
permettra à certains de subvenir à leurs besoins. Les animaux
sauvages chassés sont présentés aux consommateurs soit
dans les marchés, soit dans les restaurants. Les consommateurs
comprenant des populations d'horizons divers, sont en majorité des
anciens ruraux qui ont gardé leurs habitudes alimentaires. C'est dire
que s'il y a commercialisation du gibier, c'est à cause de sa
consommation importante. En d'autres termes, la vente du gibier répond
donc aussi à un besoin de consommation.
Mais chasser ou vendre du gibier de manière abusive
constitue un délit et est strictement interdit par la loi gabonaise
depuis 1981. Vendre de la viande de brousse se serait défier la loi en
vigueur pour protéger la faune. La protection de la faune manifeste non
seulement dans la loi, mais aussi dans la création des parcs nationaux,
trouve sa justification dans la préservation des espèces
fauniques pour les générations futures, et dans les devises
produites par l'écotourisme. Or, la commercialisation du gibier, qui est
notre objet d'étude, est un nouveau secteur de l'économie
gabonaise. Sa pertinence nous amène à étudier ses
composantes, les partenaires impliqués ainsi que ses conséquences
sur la faune et sur l'économie gabonaise. Ce commerce défendu par
la loi, nous permettra d'étudier celui-ci, ses atouts et ses limites.
L'observation empirique montre que la faune est sollicitée à la
fois par les populations et par l'Etat. Comment l'Etat pourrait-il de ce fait
gérer durablement la faune tout en contenant les besoins des
populations ?
Pour mieux aborder et appréhender ce travail sur le
plan anthropologique, il nous revient de l'orienter dans un champ ou un cadre
théorique précis qui nous permettra de mesurer les limites de
notre recherche.
En tant que système d'échange obéissant
à la loi du marché, le commerce fait appel aux opérateurs
économiques, à la production, à la conservation, au
circuit du produit, à sa vente et à sa consommation. Ainsi,
parler de commercialisation, c'est inévitablement traiter de
l'économie en anthropologie, donc le champ de l'anthropologie
économique. Nous voulons effectivement faire ressortir tous les
systèmes qui concourent à la production, à la vente et
à la consommation du gibier au Gabon.
A cette dimension économique de l'étude s'ajoute
une dimension fonctionnaliste, vu que le commerce du gibier obéit
à une fonction qui correspond à un ensemble de besoins. La faune
gabonaise constitue en effet un enjeu important. Car, elle répond
à un triple besoin, notamment le besoin de consommation, le besoin
financier et le besoin de régulation du secteur de la faune au Gabon.
Nous cherchons donc aussi « à
déterminer le rapport entre un acte culturel et un besoin de l'homme,
besoin primaire ou besoin dérivé »2(*). Nous pensons que si un fait
culturel tel que le commerce du gibier persiste, c'est qu'il remplit une
fonction dans la société gabonaise. En effet, toute
société manifeste des besoins élémentaires
liés à la nature biologique, sociale, économique
concourant au maintien de l'ordre social. C'est dans cet esprit que les
populations se tournent vers la faune pour combattre la pauvreté. L'Etat
à son niveau tentera de réglementer cette activité, afin
d'en faire lui aussi des bénéfices. La persistance du
phénomène, malgré les textes mis en vigueur, prouve le
vide juridique ou les limites de la juridiction. Il y a de ce fait un besoin
juridique qui se fait sentir. Les consommateurs urbains, qui ont la
préférence pour la viande de brousse au détriment de la
viande de boucherie, sont la preuve suffisante que la commercialisation du
gibier au Gabon joue un rôle capital au sein de la société.
Autant de finalités et de fonctions qui démontrent le
caractère irréversible du phénomène de la
commercialisation du gibier. « A la source de toutes les
réalisations culturelles, on trouve la satisfaction directe ou indirecte
d'un besoin »3(*) primaire ou dérivé. Partout les
êtres humains sont soumis à des conditions
élémentaires qui doivent être remplies si les individus
doivent survivre. Ceci pour dire que ce n'est pas hasardeux si les individus
développent une mentalité quelque part. C'est parce qu'il sentent
un besoin impérieux, nécessaire. La vente et la consommation du
gibier font partie de ces mentalités. Les analyses fonctionnelles et
institutionnelles nous permettront d'expliquer les différentes fonctions
remplies par la faune et d'étudier l'organisation de ce
phénomène.
Partant des propos qui précèdent, nous nous
posons les questions de savoir:
- Qui commercialise le gibier au Gabon ?
- Quels sont les circuits d'approvisionnement ou de
production ?
- Quels sont les circuits et les lieux de vente ou de
consommation ?
- Quels sont les moyens de
conservation ?
Pour répondre à ces différentes
interrogations, nous avons ainsi d'une part, consulté de nombreux
ouvrages, composés entre autres des rapports académiques et extra
académiques, qui nous ont été fournis par les centres de
documentation tels que le centre culturel français (CCF), la
bibliothèque du département d'anthropologie, le laboratoire
d'anthropologie (Laban), la bibliothèque universitaire centrale (BUC) et
Internet, puis nous avons d'autre part réalisé une enquête
de terrain dans plusieurs localités du Gabon sur les modalités
pratiques du commerce du gibier.
Parmi les documents consultés, nous avons entre autres
ceux de Ludovic Mba Ndzeng4(*), Patrick Houben et al5(*), Roland Pourtier6(*) dont l'objectif est justement de nous faire ressortir
les origines ou les fondements même du commerce de la viande de brousse
au Gabon.
Ludovic Mba Ndzeng, auteur des « formes de gestion
de l'écosystème du village Mbenga » dans la province du
WOLEU-NTEM, attirera notre attention quand il abordera le rapport que les
populations de ce village entretiennent avec la forêt notamment la faune.
L'auteur met l'accent sur la chasse, en valorisant d'abord les méthodes
traditionnelles de chasse. Les populations locales avaient la notion de
régénération à partir du prélèvement
qu'elles pratiquaient. Avec l'introduction du fusil, ces valeurs et
méthodes de chasse prendront un coup à cause de l'argent ou
l'appât du gain. Nous sommes dans une situation où la monnaie
vient briser les lois établies par la société. Le principe
de la jachère longue perd sa force au profit de la jachère courte
et de l'exploitation abusive. L'auteur propose une adaptation des valeurs
traditionnelles au contexte actuel.
Patrick Houben et al, dans « L'élevage de
gibier, une alternative de gestion de la faune sauvage et de satisfaction de la
consommation traditionnelle de gibier », font remarquer que la faune
est menacée par les techniques modernes de chasse. Ils font état
des facteurs qui participent à l'exploitation abusive de la ressource
faunique, et présentent les limites des lois en vigueurs. Il est
évident que la consommation du gibier est le propre de l'africain et du
gabonais en particulier. Cette consommation est d'abord un fait de culture. Les
lois coutumières mises en place par les anciens permirent la
pérennité de ce fait de culture, la préservation et la
régénération des espèces fauniques. Ils expliquent
l'émergence de la commercialisation du gibier par le passage d'une
société dite traditionnelle à une société
dite moderne, mais aussi par le nombre croissant des chasseurs. On ne chasse
plus pour l'autoconsommation mais pour rentabiliser la commercialisation. Les
limites des lois en vigueur seront évoquées dans les
difficultés de gestion de la faune au Gabon. Ils proposent enfin que la
pratique de l'élevage se substitue à la chasse afin de renverser
la tendance pour la préférence de la viande de brousse.
Roland Pourtier aussi, dans « La chasse »,
traite de la chasse dans sa pratique ancienne et contemporaine. Docteur
ès Lettres et professeur de géographie tropicale à
l'Université de Paris I, Pourtier place d'abord l'importance du gibier
dans les sociétés gabonaises. L'habileté et
l'ingéniosité des chasseurs font d'eux des artistes. Il rappelle
dans cet article les fonctions alimentaire et initiatique de la chasse.
L'auteur va montrer les transformations qui se produiront non seulement au
niveau de la chasse mais aussi au niveau de la société. Les
valeurs et pratiques de la chasse vont s'effriter par l'introduction du
fusil.
Par ailleurs, Henri-Paul Bourobou Bourobou7(*) et Lee White8(*) répondent
communément à la question de la préservation de la faune.
Auteur d' « Inventaire de la biodiversité »,
Henri-Paul Bourobou Bourobou traite dans cet article de la biodiversité
et de sa disparition. L'auteur fait remarquer que la définition du
concept de biodiversité est pluridisciplinaire. Selon lui, parler de
disparition c'est d'abord faire l'inventaire de cette biodiversité dont
la disparition est le fait de la sélection naturelle et la
surexploitation. La question de cette biodiversité doit être
conjointe et sa conservation est possible par la création des aires
protégées qui sont accompagnées de la législation.
Lee White, auteur d' « Exploitation
forestière et gestion de la faune », soulève dans un
premier temps les conséquences de l'exploitation forestière sur
la faune sauvage. Des études menées près des zones
d'exploitation ont démontré que le bruit des engins des chantiers
d'exploitation provoque le déplacement des animaux, ce qui reste est le
plus souvent chassé par les familles des employés des
sociétés forestières. Notons également que les
pistes forestières facilitent la chasse, la maîtrise de la
forêt par les chasseurs. Dans un deuxième temps, il émet
une piste de solution qui consiste en la création des réserves
afin de canaliser la faune et les informations les concernant.
Le propos de Marius Indjieley9(*), géographe et enseignement à
l'Université Omar Bongo (UOB), va s'atteler à démontrer la
place qu'occupe le consommateur dans la commercialisation du gibier.
Dans « La consommation de la viande de brousse par les
librevillois : une forme de relation entre les populations rurales et les
populations urbaines », l'auteur souligne que la consommation de la
viande de brousse est avant tout un fait de culture. A cause des
difficultés économiques, les populations vont se retourner vers
la richesse faunique pour subvenir à leurs besoins. Si le
phénomène prend de l'ampleur de nos jours, le tord revient
à la forte croissance démographique constatée dans les
agglomérations.
A partir des travaux antérieurs sus mentionnés,
nous avons formulé quelques hypothèses afin de mieux orienter ce
travail.
Notre première hypothèse cherche à
démontrer que le commerce industriel du gibier suscite d'autres
techniques de chasse différentes des méthodes traditionnelles. En
effet, les dynamiques de chasse ont changé considérablement dans
les décades récentes. Les premières
générations capturaient le gibier par des techniques
traditionnelles rudimentaires. Elles tournaient autour des arbalètes,
des lances, des filets, des pièges fabriquées avec du
matériel local, des fosses et bien encore qui ont contribué
à la régénération des espèces. Les fusils
étaient rares. De nos jours, les chasseurs se servent plus de fusils de
chasse, des pièges à câble métallique et des feux
à éclats (ou torche). Les réalités
socioéconomique et culturelle ont changé cette donne.
L'intensification de la chasse est partiellement due à la
prolifération de ces technologies modernes. Les techniques de
piège ont été adaptées au contexte actuel.
La deuxième hypothèse s'attache à
prouver que le commerce du gibier remplace et se distingue du mode de
répartition familiale du butin. La forêt constitue le lieu par
excellence où les populations locales tirent l'essentiel de leurs
ressources à la fois dans le domaine alimentaire que celui de la
production des biens. Autrefois, le gibier occupait une place de choix dans
l'alimentation des populations. La chasse, qu'elle soit individuelle ou
collective, occasionnait toujours la répartition du gibier. On chassait
pour se nourrir et nourrir son petit monde. On chassait pour donner à
son frère, sa soeur... Le gibier, n'étant pas commercialisable,
mettait en évidence deux acteurs notamment le chasseur et le
consommateur. Le chasseur étant lui-même consommateur. Une fois
devenu un produit commercialisable, le phénomène met en scelle
trois partenaires à savoir le chasseur, la bayame et le consommateur.
Nous avons déjà une personne médiane entre le chasseur et
le consommateur. Le chasseur exerce déjà pour gagner de l'argent.
Notre troisième hypothèse est la preuve que le
commerce du gibier en milieu urbain répond aux besoins de consommation
des ruraux devenus citadins. En effet, l'accroissement de la vente du gibier se
justifie dans l'existence d'une importante demande solvable de gibier dans les
centres urbains. Ces derniers sont peuplés pour l'essentiel des ruraux
en voie d'urbanisation. Leurs habitudes alimentaires provenant de leur milieu
d'origine portent à préférer la consommation de la viande
de brousse à celle de la viande de boucherie. Les raisons de la
consommation sont multiples. Elles vont du goût à l'habitude en
passant par la richesse en vitamine, sans oublier la variété
alimentaire. L'alimentation carnée à base de gibier dans les
centres urbains, associée à l'explosion démographique ne
pouvait que conduire la constitution d'une demande solvable sans cesse
croissante de viande de brousse.
Dans la quatrième hypothèse, il s'agit de
montrer que le gibier constitue un produit de consommation de première
catégorie dans le secteur restauration africaine. C'est un aspect qui
est observable dans plusieurs quartiers de Libreville. Le gibier est un produit
qui est proposé de plusieurs façons non seulement par le cru mais
aussi par le cuit. Cette dernière variété est justement
proposée par les restaurants. Pendant que certains vont dans les
marchés de la place, d'autres consomment du produit cuit. C'est un
service proposé également par les femmes, appelées bayames
parce qu'elles achètent et revendent aux consommateurs. Ces restaurants
sont visités au même titre que les marchés publics.
La cinquième hypothèse est l'illustration que ce
commerce industriel du gibier constitue un facteur destructeur de la faune
gabonaise. En effet, l'augmentation de la pression des activités
cynégétiques sur la faune sauvage autour des grandes
agglomérations, qui constituent des zones à forte
intensité cynégétique, pourrait conduire à la
disparition d'espèces comme la tortue luth, le lamantin aquatique,
l'hippopotame, l'éléphant, voire le buffle, et dans une moindre
mesure le gorille des plaines. Pour les plages du Gabon, cette disparition
constituerait une perte considérable de leur potentiel touristique. La
commercialisation du gibier peut conduire à l'érosion de la
biodiversité faunique du Gabon. Ce risque est d'autant plus
préoccupant que de nombreuses espèces abondantes. Il y a
seulement une décennie, sont devenues de plus en plus rares.
Notre sixième et dernière hypothèse
s'atèle à démontrer que le commerce du gibier est une
activité rentable de l'économie gabonaise. Nous constatons que la
dégradation de la situation économique dans les années
1980, aggravée par la crise des années 1985/86 et l'augmentation
du chômage qui s'en est suivie dans un contexte de fort
développement de la demande de viande de brousse dans les centres
urbains, ont fait de la chasse une opportunité économique au
demeurant très lucrative. C'est ainsi que de nombreux actifs en cours
d'adaptation à la vie citadine, qui ont perdu leur emploi, se sont
reconvertis dans les activités cynégétiques.
« Les profits dégagés dans ce secteur qui
représente un chiffre d'affaire d'environ 19 milliard F
CFA »10(*),
ont suscité le développement d'un véritable secteur viande
qui emploie un nombre significatif de personnes.
Sur le plan de la pratique de terrain, la
vérification de toutes ces hypothèses se fera bien
évidemment à partir de l'enquête de terrain que nous avons
réalisé. Le phénomène de la commercialisation du
gibier est connu en partie de l'enquêteur que nous sommes depuis
plusieurs années. Car, nous avons des parents qui revendent de la viande
de brousse au marché de Mont Bouet. Du moins, nous savions
déjà à partir de ces femmes qu'une tranche de la
population vivait de viande de brousse. Mais quand nous allions leur rendre
visite, tantôt les agents des eaux et forêts venaient brusquement
saisir leur gibier tantôt, à un autre moment, elles couraient dans
tous les sens cherchant à vouloir cacher leur gibier. Le jour où
le gibier est saisi, c'est la désolation totale, c'est un nouveau
capital qui sera mis en place quelques jours après afin de
redémarrer l'activité. Notre curiosité résidait
dans le facteur qui incitait ces femmes à continuer à vendre du
gibier malgré les problèmes rencontrés. La
familiarité avec le terrain était donc évidente à
chaque fois que nous allions rendre visite à ces parents bayames. Cette
familiarité peut être considérée comme la
première ébauche de notre pré-enquête.
Celle-ci nous a permis de mesurer l'importance du
phénomène auprès de quatre catégories de personnes
constituant ainsi notre population d'enquête à savoir : les
chasseurs, les bayames, les consommateurs et les agents des Eaux et
Forêts. Nous sommes donc partis sur une base hasardeuse de trente
informateurs. Au regard des données recueillies sur nos informateurs,
nous constatons que nous avons questionné des hommes et des femmes dont
l'âge varie entre 19 et 63 ans. Cette tranche d'âge nous est
révélée par les données de terrain. Ces mêmes
données nous amènent à constater que nous avons pu
rencontrer trois nationalités (gabonaise, camerounaise, équato-
guinéenne) et d'ethnies différentes lors de nos enquêtes.
La majorité de nos informateurs se trouvent à Libreville
notamment dans les quartiers indiqués sur la carte. Il est à
ajouter à cela les villages d'Andem et de Mbel qui n'ont pas
été situé sur la carte.
Pour enquêter sur ce phénomène et
rencontrer ces informateurs c'est parcourir plusieurs endroits
représentant notre champ d'enquête et la carte ci-dessus illustre
notre parcours. Car, le commerce du gibier est une pratique observée
dans plusieurs villes et villages du Gabon. C'est à partir du mois de
novembre que notre enquête a commencé par les villes de Libreville
(Oloumi, Nkembo, Ndzeng Ayong, Rio, Mont Bouét, Centreville, Sorbonne),
Owendo (SNI) et s'est étendue sur les villages environnants (ENEF, Andem
et Mbel). Les milieux cités plus haut ont la particularité
d'abriter soit un marché soit des restaurants ou encore un lieu de
production ou un circuit d'acheminement des gibiers sur Libreville. Le premier
village (Andem) est sur la voie routière et/ou ferrée de l'axe
Libreville - Kango, à 76 km de Libreville. C'est dans ce village, en
attendant la draisine, que nous avons rencontré notre premier chasseur.
Le deuxième village (Mbel) est sur la voie ferrée à 85 km
d'Owendo. Les populations de ce village connaissent difficilement le bruit
d'une voiture. Ils vivent aux sons des trains. C'est dans ce village que nous
fîmes notre excursion en forêt avec le concours d'un chasseur.
Cette marche en forêt nous a permis de produire quelques images
constituant ainsi la majorité de notre corpus visuel. Nous avons
passé un séjour de 72h avec les habitants de ce village. Mais la
marche entreprise dans la forêt nous a pris 6h de notre temps. Elle
consistait en la visite des pièges de notre chasseur. Une marche
pénible mais intéressante et riche d'enseignements. Nous avons
collecté ces données en usant des techniques propres à
l'anthropologie. Cela exige naturellement une méthode
particulière.
Nous avons fait appel à l'observation directe et
à la technique d'entretien. La méthode utilisée consistait
à constater sur le terrain la pratique par les populations du
phénomène de la commercialisation du gibier au Gabon. Nous
allions toujours sur le terrain pour collecter des données
précises et auprès des différentes catégories
d'informateurs sus énoncées. Chaque catégorie ayant en
effet un guide d'entretien (voir annexes), cela nous a permis de cerner
clairement notre objet d'étude. Les entretiens se déroulaient au
lieu de travail selon qu'on est bayame ou agent des eaux et forêts, au
lieu de résidence selon qu'on est consommateur ou chasseur. Pour appuyer
les techniques citées ci-dessus, nous nous sommes servis d'un appareil
photo numérique pour avoir une représentation visuelle de la
commercialisation du gibier.
Malgré toutes ces techniques et démarches, nous
n'avons pas pu mesurer tous les contours de ce phénomène.
L'histoire nous enseigne qu'une oeuvre humaine n'est jamais parfaite. Il y a
toujours des limites, des insuffisances dans une recherche. Nous n'avons pas pu
recueillir des informations dans les grands restaurants. Ceux que nous avons
parcourus sont de petite taille. Nous avons voulu mesurer les données
dans les deux types de restaurants afin d'avoir une idée de l'usage du
gibier. Nous n'avons pas eu, hélas, des informateurs fiables pour nous
entretenir sur ce type de restaurants. Il nous a été
également difficile d'assister à l'une des missions de police
organisées par les agents des eaux et forêts. C'était
effectivement l'un de nos souhaits. Mais on nous affirma au préalable
que ces missions étaient toujours improvisées. Cela nous aurait
permis de savoir la route empruntée par les saisies de gibier et aussi
savoir la moyenne des saisies. Mais nous ne pouvions faire l'impossible.
Tout de même, pour rendre compte des problèmes
de commercialisation du gibier au Gabon, nous entendons produire quatre (4)
parties. La première partie nous établit les rapports de l'humain
à l'écosystème. D'abord, nous tenterons de comprendre le
concept d'écosystème. Ensuite, nous ferrons ressortir les usages
humains de l'écosystème. La deuxième partie est
constituée du corpus textuel sur la faune gabonaise. Elle nous propose
des discours, d'une part, des chasseurs et des bayames, et, d'autre part, ceux
des consommateurs et des agents des eaux et forêts. La troisième
partie aborde le circuit commercial du gibier au Gabon. Cette partie nous
permet de savoir que ce commerce est un héritage colonial, et dans un
deuxième temps étudier le circuit actuel. Dans la
quatrième et dernière partie, nous faisons la lecture
anthropologique d'une gestion étatique de la faune. Nous étudions
d'abord la législation et la Direction de la Faune et de la Chasse avant
d'aborder l'approche conflictuelle des parcs nationaux.
Chapitre I : Qu'est-ce que
l'écosystème ?
L'apport essentiel de l'écologie est sans doute
d'avoir montré que les ensembles de populations existant dans un
même milieu et entretenant entre elles des interactions multiples, telles
que relation de cohabitation, de compétition, de prédation, de
parasitisme, constituaient avec le milieu où elles vivent des
systèmes biologiques, les écosystèmes, qui demandaient une
étude globale. Les écosystèmes ont comme tout
système une structure qui doit être précisée dans
plusieurs domaines. Leur flore comme leur faune possèdent une
composition spécifique, particulière, affectée d'une
variation saisonnière qui caractérise leur structure temporelle.
Ces espèces végétales et animales se répartissent
en outre dans l'espace en organisant à la fois une structure verticale
et une structure en plan. Nous n'avons pas l'ambition de détailler
l'écologie. Nous pensons qu'il est intéressant de rappeler
l'inventaire des richesses existantes dans la nature. Nous voulons montrer la
différence spatiale qui peut exister entre l'espace forestier du Gabon
et celui du Mali ou de la Tanzanie par exemple. Le Gabon est situé dans
le deuxième plus grand bassin forestier du monde. Il nous revenait de le
repréciser. Notre objet, la faune, mérite d'être
repréciser dans son ensemble qui est l'écosystème. Il faut
dire pourquoi la faune gabonaise est diversifiée et abondante. Faire
ressortir le rapport de l'homme à son écosystème, revient
à étudier cet écosystème riche et
diversifié. Et si nous parlons de la faune, nous verrons qu'elle est
abondante. Cela nous amène à étudier également les
conditions dans lesquelles cette faune se trouve, c'est introduire le paysage
qui est alimenté par un certain climat. Tous ces paramètres nous
donnent la reprécision dont nous avons besoins.
1 - 1 Climat et paysages
1 - 1 - 1 Climat
Le Gabon se trouve sous l'influence des
déplacements saisonniers de la convergence intertropicale ou du front
qui circonscrit les masses d'air atlantique, transportées au-dessus du
continent par un courant d'ouest. Epaisses de 1000 à 2000 m, ces masses
d'air sont aspirées par la zone de basses pressions qui s'étend
sur l'ensemble des régions équatoriales d'Afrique et qui sont
d'origine thermique. Ce front équatorial donnerait à un grand
nombre de perturbations pluvieuses, de trajectoire est-ouest, se manifestant
sous forme de grains, ainsi qu'à d'autres perturbations de
caractère zonal, presque stationnaires. Mais le vrai climat
équatorial ne semble pas exister au Gabon, puisque partout nous
constatons des variations saisonnières marquées dans le
régime des précipitations. Celui-ci présente deux maxima
bien séparés, l'un de mars à mai, l'autre de septembre
à décembre. S'il n'y a plus jamais plus de quatre mois secs, nous
observons, au sud de l'équateur, une véritable saison
sèche, de juin à octobre. Cette saison sèche est bien plus
caractéristique des variations climatiques que la faible amplitude
annuelle des températures qui n'excède pas 2 ou 3°c.
Par contre, certaines années, c'est le déluge
ininterrompu. Nous pouvons expliquer ces variations annuelles de la
pluviométrie par la position géographique du Gabon. Ce dernier
est placé entre les influences semi-arides de l'Afrique australe et
celles du golfe de Guinée très arrosé. A ces traits
d'ensemble du climat gabonais, s'ajoutent des nuances régionales,
difficiles d'ailleurs à localiser. Certaines régions sont
très arrosées et d'autres le sont moins. Ces différences
ne figurent pas dans ce travail, nous n'avons pas la prétention d'en
faire une étude géographique. Nous tenons tout de même
à souligner qu'il était important pour nous de situer le Gabon
dans son climat. En effet, si l'écosystème du Gabon est si
diversifié comme il se présente, c'est parce qu'il évolue
dans un climat favorable, avec une pluviométrie qui l'alimente
suffisamment. Ces traits climatiques ont une influence sur le maintien de la
forêt équatoriale notamment son paysage et sur des êtres qui
y vivent.
1 - 1 - 2 Paysages
La forêt qui couvre au Gabon une superficie de 140000
km2, plus de la moitié du pays, donne aux paysages une certaine
uniformité. Mais cette dominante végétale voisine avec la
savane herbeuse qui s'enchevêtre parfois avec la forêt ou couvre
des régions entières. Ailleurs, la forêt-galerie suit les
grands axes hydrographiques, laissant découverts les interfluves. Dans
les îlots de forêt dense s'ouvrent des clairières herbeuses
ou bien au milieu d'une plaine surgit le bloc fermé de la sylve
ombrophile. Cette interprétation forêt- savane et savane-
forêt est autant le fait des sècheresses saisonnières qui
maintiennent la forêt équatoriale dans un équilibre
précaire que le fait de la géologie. La grande forêt
gabonaise se rattache à l'ensemble forestier de l'Afrique
équatoriale, aux sylves congolaises et guinéennes. Forêt
primaire, elle présente tous les traits classiques des forêts
ombrophiles et couvre le haut pays, les monts de Cristal, le massif Du Chaillu,
le Mayombé dont le nom signifie dans la langue des vili et des yaka une
région accidentée, couverte de forêts. Elle s'étend
sur le Moyen- Ogooué, les plateaux du nord et subsiste en noyaux au
coeur des interfluves. Forêt dense, à demi obscure, d'une grande
richesse floristique, elle montre la disposition classique de ses voûtes
stratifiées.
De nombreuses espèces voisinent sur un espace
limité, car l'hétérogénéité du
peuplement forestier est le signe distinctif des forêts primaires. La
forêt gabonaise est peuplée d'une faune variée
adaptée selon les cas, à l'humidité, l'obscurité,
l'insolation, les disponibilités en nourriture. Au sol, sous les
débris des feuilles pourrissantes, dans l'obscurité humide des
bois, vivent toutes sortes d'insectes, papillons, lézards, serpents,
petits rongeurs et carnivores. Dans les branches, oiseaux et singes consacrent
la moitié de la journée à rechercher leur nourriture de
fruits et de feuilles. Il nous a été aussi nécessaire de
présenter succinctement l'écosystème gabonais et ses
constituants notamment la flore et la faune. C'est en effet de leurs usages
qu'il s'agit dans ce travail notamment l'usage de la faune.
1 - 2 Flore et faune
Comme l'ensemble du bloc forestier du Bassin
du Congo, les forêts gabonaises sont très mal connues du point de
vue de la biodiversité. Du fait de l'indigence des données
disponibles, il est très difficile d'estimer le nombre d'espèces
abritées par les forêts gabonaises. Néanmoins, en raison de
leur importance économique et médicale, les plantes
supérieures, les mammifères et les oiseaux représentent
les groupes les plus connus. Et c'est donc pour l'essentiel en
référence aux données disponibles sur ces groupes que le
présent diagnostique de l'état de la biodiversité est
établi. Les forêts gabonaises appartiennent au centre
d'endémisme régional guinéo- congolais. Le Gabon est ainsi
un sanctuaire et un centre d'endémisme des plus importants pour les
espèces végétales et animales de la forêt
sempervirente guinéo- congolaise.
1 - 2 - 1 La flore
Du point de vue de la flore, le Gabon est l'une des
régions les plus riches, peut-être la plus riche, du vaste
ensemble des forêts africaines. Bien qu'encore fragmentaires, les plus
récents inventaires botaniques confirment cette observation
d'Aubreville11(*). En
effet, la flore gabonaise qui compte 10 à 11000 espèces de
végétaux supérieurs (dont seulement 1900 décrites)
est l'une des plus riches du continent. On recense, en effet, plus
d'espèces botaniques au Gabon sur 230000 km2 que dans toute l'Afrique de
l'ouest sur 600000 km2. Dans les milieux les plus riches, certaines familles
sont représentées par plus de 200 espèces pour 200 m2,
soit une diversité impressionnante, que l'on pensait
réservée à la région caraïbo-
américaine. Au total, on estime que la forêt gabonaise abrite 30
à 40% de la flore du Bassin du Congo sur 10% du territoire de la sous-
région.
La grande forêt gabonaise se rattache à
l'ensemble forestier de l'Afrique équatoriale, aux sylves congolaise et
guinéenne. Forêt primaire, elle présente tous les traits
classiques des forêts ombrophiles et couvre le haut pays, les monts de
Cristal, le massif du Chaillu. Elle s'étend sur le Moyen Ogooué,
les plateaux du nord et subsiste en noyaux au coeur des interfluves.
Forêt dense, à demi obscure, d'une grande richesse floristique,
elle montre la disposition classique de ses voûtes stratifiées.
Des voûtes les plus hautes qui peuvent atteindre 40m, s'élancent
quelques géants de 70m de haut. Les voûtes médianes se
placent entre 25 et 30m et les plus basses entre 10 et 20m. Les grands arbres
ont d'énormes troncs droits, élargis à la base en
épais contreforts, qui se couvrent jusqu'à la cime de lianes et
d'épiphytes. De nombreuses espèces voisinent sur un espace
limité, car l'hétérogénéité du
peuplement forestier est le signe distinctif des forêts primaires. Pour
les botanistes, la flore de ces forêts se rapproche beaucoup de celle
qu'on rencontre au Cameroun ou au Nigeria, mais présente aussi de
nombreuses espèces endémiques. Les botanistes distinguent
plusieurs types d'association végétales à
l'intérieur de la sylve sempervirente du Gabon : la forêt
à légumineuse du nord qui se poursuit au Cameroun, la forêt
du centre à Desbordesia et Calpocalix, la forêt à
Marantacées localisée aux confins du pays. La densité des
grands arbres qui laisse à pénétrer la lumière
retarde la régénération de la forêt dont le
sous-bois est peu fourni. Cette sylve est composée d'essence de la
forêt primaire. Après 7 ou 8 ans de croissance les arbres peuvent
atteindre 20m de hauteur. Beaucoup de familles d'arbres à bois tendre
remplacent les troncs durs des géants de la rain-forest. Parmi les
essences les plus caractéristiques, le Parasolier a formé de
véritables peuplements. La cime de cet arbre s'étale en un
parasol de feuilles digitées, son tronc à écorce blanche
s'accompagne de racines aériennes. L'Okoumé, une des richesses du
Gabon, est une espèce ordinaire d'acajou dont les formations
homogènes sont particulièrement denses le long de la
vallée de la Ngounié et sur le Moyen Ogooué. Faisant
pendant à la flore qui lui est associé, la faune quant à
elle est unique et exceptionnellement riche et diversifiée.
1 - 2 - 2 La faune
La faune se définie comme l'ensemble des
espèces animales présentes dans un biotope ou un milieu
donné. Faisant pendant à la flore qui lui est associée, la
faune gabonaise est unique et exceptionnellement riche et diversifiée.
Les mammifères sont représentés par 200 espèces
(dont 3 espèces endémiques). La diversité de la faune
mammalienne place le Gabon au quatrième rang des pays du Bassin du Congo
après la république démocratique du Congo, le Cameroun et
la Centrafrique. Ces trois pays appartiennent tous à la zone de
transition qui abrite aussi bien les espèces de la forêt pluviale
humide que celles caractéristiques des savanes soudaniennes au nord et
angolaises au sud. La diversité de la faune aviaire suit le même
modèle, avec 680 espèces d'oiseaux, dont 25 pour lesquelles le
pays représente la limite de la répartition septentrionale. Les
faunes piscicole (4 espèces endémiques), reptilienne (65
espèces) et amphibienne sont également très bien
représentées.
Le Gabon est un véritable sanctuaire pour les
primates. Ils sont représentés par 20 espèces (dont une
espèce et 2 sous-espèces endémiques) et pour la grande
faune mammalienne menacée de disparition en Afrique. Estimée
à 85000 individus, la population d'éléphants (2
sous-espèces) est de loin la plus considérable du continent
africain. Les densités moyennes sont de l'ordre de 1individu/km2 dans
les milieux non perturbés, avec des pointes saisonnières de 10
individus/km2 pendant les périodes de migration. La biomasse de
l'éléphant représente 50 à 75% de la biomasse
mammalienne. Nous avons donc ici un bon indicateur de l'impact de ce grand
herbivore sur les milieux naturels gabonais et qui ne va pas sans poser des
problèmes de compétition avec l'homme (destruction des
plantations).
Notons également que le Gabon est le seul pays
africain où les gorilles des plaines de l'ouest, qui compte 35000
individus, se rencontrent encore sur les plages de l'Océan Atlantique.
Le chimpanzé est représenté par 64000 individus. Fait
très rare pour être très rapporté, un singe
endémique, le cercopithèque à queue de soleil a
été décrit récemment dans la forêt des
Abeilles, au centre du pays. Les espèces emblématiques en voie de
disparition en Afrique sont représentées par la tortue luth, dont
le Gabon est une importante zone de reproduction. En effet, ce reptile est
présent tout le long des plages de la côte atlantique. Nous avons
également le lamantin aquatique (considéré comme disparu
en Centrafrique, mais largement réparti dans les lagunes et les fleuves
côtiers) et la baleine, plus rare. Bien qu'il pénètre plus
profondément à l'intérieur des terres, l'hippopotame
(autre espèce intégralement protégée comme le
lamantin, la tortue luth, le gorille, le chimpanzé...) suit
approximativement la même répartition. Deux espèces
seulement sont actuellement considérées comme disparues. Il
s'agit du lion et du lycaon qui abondaient autrefois dans les savanes du
sud-est.
Ainsi qu'il a été noté à propos de
la flore, des disparités régionales existent dans la distribution
de la faune gabonaise. Bien qu'elle abrite encore tout ce que la faune
gabonaise compte d'espèces charismatiques (gorille des plaines, tortue
luth, hippopotame ou éléphant de forêt), ainsi que des
mammifères de grande taille tels que le buffle de forêt, le
situtunga et le guib harnaché, la zone littorale, pourtant
représentée par une mosaïque d'habitats très
contrastés et d'écotones, est celle qui présente la plus
faible diversité zoologique, comparée à la zone des
massifs montagneux et des plateaux continentaux. Bien que menacées par
les pressions anthropiques qui distinguent le Gabon faunique du reste du
territoire, la présence de toutes ces espèces sur les plages du
Gabon constitue un patrimoine touristique inestimable.
En sommes, les forêts d'Afrique centrale sont
occupées essentiellement par le massif forestier du Bassin du Congo. Ce
Bassin renferme la plus vaste étendue de forêts tropicales en
Afrique et la deuxième dans le monde. Ces forêts denses tropicales
regorgent d'innombrables essences végétales et animales dont la
biodiversité constitue une richesse inestimable. Dans cette immense
Bassin du Congo, le Gabon, qui représente 10,29% de superficie, a une
importante diversité biologique. C'est elle qui constitue l'essentiel du
travail abattu dans le chapitre ci-dessus. Il nous fallait justifier sa
diversification et son abondance de par le paysage et le climat dans lesquels
ces richesses se trouvent, en excluant d'abord l'homme. L'étude suivante
va s'atteler à étudier les interactions entre l'homme et son
milieu par rapport à des usages plus ou moins précis.
Chapitre II : Les usages humains de
l'écosystème
A peu d'exceptions près, les peuples du Gabon vivent
sous le couvert des arbres, cernés par la forêt. L'ouverture sur
les savanes n'exerce que des effets marginaux, sensible surtout dans certaines
régions du pays (Haut- Ogooué). En ces rares espaces de contact,
l'identité des groupes se conforme à leur environnement
végétal. Il y a ainsi les habitants de la savane claire et ceux
de la forêt obscure et l'on perd son identité et son âme en
franchissant la limite. Le couple clair/obscur, fréquent dans les
traditions de la région résume l'opposition écologique
majeure sur les marges de la forêt. L'obscur ne désigne pas
seulement le manque de luminosité, mais renvoie à des
psychèmes sédimentés dans la mémoire collective sur
les marges incertaines du conscient et de l'inconscient. La forêt, c'est
de la représentation pour ces peuples et leur adaptation est fonction
d'elle. Dans ses recherches sur les rites et croyances des peuples du Gabon,
Raponda Walker, cité par Pourtier, n'oublie pas de mentionner l'impact
de la forêt dont la profondeur facilite le séjour des esprits en
même temps que l'impression de leurs demeures. La forêt exerce des
effets multiformes sur la perception, les mouvements du corps, les
représentations, et, au-delà, les comportements psychologiques et
sociaux. Tout ceci s'explique et se comprend à partir des usages que ces
peuples là font de cette forêt.
Parler d'usage ici, c'est évoquer le rapport direct que
ces peuples entretiennent avec leur forêt. Prenons le cas des objets qui
se situent à la jonction entre le milieu qui en fournit la
matière et la société qui en prescrit l'usage. La
médiation qu'ils établissent est d'autant plus directe que la
société est peu distanciée de la nature,
façonnée en étroite symbiose avec le milieu. La lecture de
leur réalité instrumentale et de leur finalité introduit
dans le système de relation qui unit les groupes sociaux à leur
environnement. Il est nécessaire d'analyser d'un peu plus près
les systèmes de représentation que les individus et les groupes,
membres d'une société déterminée, se font de leur
environnement, puisque c'est à partir de ces représentations
qu'ils agissent sur cet environnement à partir des activités
spécifiques. Elles peuvent être de l'ordre alimentaire, rituel,
thérapeutique, économique. Nous n'avons pas la prétention
d'expliquer ici ce que nous ferrons plus bas, mais plus tôt vous
présenter brièvement la question que nous allons traiter dans les
lignes qui suivront celles-ci. Et le premier souci de l'homme a toujours
été celui de s'alimenter afin d'entretenir l'équilibre
morphologique.
2 - 1 l'usage alimentaire
La particularité des cultures alimentaires gabonaises
est qu'elles intègrent un grand nombre de familles botaniques et
zoologiques. Nous savons d'abord que les plantes alimentaires qui sont
essentiellement les phanérogames mais avec, au Gabon, une importance
inhabituelle des cryptogames. Ces derniers sont assez communs dans
l'alimentation gabonaise, contrairement à ce qu'on constate dans les
cultures occidentales. Ils sont représentés par les champignons
et beaucoup de fougères comestibles. Les phanérogames, comme
partout, représentent la plus grande partie des plantes alimentaires. On
y trouve l'aliment de base. Mais contrairement à la majorité des
habitudes alimentaires connues dans le monde, les céréales ne
représentent pas les aliments de base. Ceux-ci sont diversifiés
à savoir : la tubercule de manioc (la plus commune), puis vient le
taro suivi de la patate douce et les innombrables variétés
d'ignames. Le manioc se consomme sous plusieurs variétés. Ces
variétés regorgent « mbong » (le manioc en
bâton), « apouma mbong » (les tubercules
préparés), « ameng mbong »
(variété de manioc que l'on fume après rouissage),
« ngue mbong » (tubercule préparé que l'on
consomme après rouissage). Même les feuilles de ce manioc sont
à consommation variables. Elles peuvent être associées aux
noix de palm (la plus consommée au nord du Gabon), à la patte
d'arachide ou à l'huile tout simplement. Comme féculents
très présents, on trouve aussi la banane plantain. L'autre
caractéristique des plantes alimentaires gabonaises est d'avoir plus
partie comestible et souvent des utilisations non alimentaires.
Nous avons enfin les animaux. Lorsque l'on observe
l'utilisation de la faune à l'échelle de la sous- région,
nous constatons que tous se mangent. Mais les animaux font l'objet de beaucoup
d'interdits que les plantes. Ils sont utilisés en pharmacopée et
dans les rituels. Chaque groupe, chaque clan, chaque famille ou chaque individu
a ses interdits alimentaires spécifiques qui protègent une
espèce particulière. De la façon dont on constate que tout
se mange, on peut aussi remarquer que chaque espèce animale est
protégée quelque part. Les poissons ostéichtyens et les
mammifères sont les sources protéiques qui prédominent
dans les cultures alimentaires gabonaise, comme dans la plupart des cultures du
monde, avec tout de même des caractéristiques propres à la
sous- région. La conséquence de cette diversité dans les
produits alimentaires est que la pression de l'action de l'homme est
étalée sur plusieurs espèces. Ce qui la rend moins
aiguë et permet de considérer un équilibre numérique.
Il faut aussi rappeler que la production des ces aliments provient des
activités cycliques telles que la pêche, la chasse, la cueillette,
l'agriculture. En dehors de l'alimentation, beaucoup parmi ces plantes
comestibles servent de matériaux, d'ustensiles et de médicaments
dans les rituels.
2 - 2 L'usage rituel
Les variétés animales interviennent de beaucoup
dans la composition des « fétiches » ainsi que
dans les rites liés à un événement social
spécifique. Divers « fétiches »
apparaissent sous la forme de sous- produits (peaux, plumes, dents, griffes,
cornes et poils) associés ou non à des plantes, racines ou
écorces d'arbres et statuette. Ainsi, musingi en Pové par exemple
désigne un type de « fétiches »
exploité dans les technologies agricoles, de chasse ou de
piégeage dans le but de réussir une récolte ou une partie
de chasse. Selon les usages, ce « fétiche »
aurait la faculté de rentabiliser la production agricole en
prélevant les produits viviers dans les champs des voisins pour les
reproduire dans le champ de celui qui le détient et l'exploite. Il
aurait aussi la faculté d'attirer le gibier vers le chasseur.
Si les plantes de la forêt gabonaises constituent un
élément indispensable à la vie du sylvatique, elles sont
aussi les accessoires indispensables des rites. Depuis les costumes rituels,
pour les danses et autres cérémonies, jusqu'aux boites à
byeri destinées à contenir les crânes et tibias des grands
ancêtres, en passant par des breuvages d'initiation, certains fards
rituels, les instruments de musique, statuettes rituelles, sans parler
évidemment, des temples, tout n'est que bois, fibres, écorces,
racines, feuilles, poudres végétales et sucs divers. Il faut
remarquer que les peuples du Gabon ne peuvent pas concevoir leur monde ou leur
existence sans intégrer la nature. Elle est incorporée en eux.
Donc parler de rites ou de rituels, c'est inévitablement parlé de
symbolisme. Ces rituels peuvent être religieux ou sociaux. Et ce sont les
éléments de cette nature ou de la forêt qui symboliseront
la manifestation collective et consciente ou inconsciente. Dans les
cérémonies de mariage ou funèbres, il est facile de
constater la présence, même de nos jours, des branches de palmiers
afin d'indiquer le lieu de la cérémonie. Aussi, chez les fang
à l'arrivée d'un invité, la bienvenue est souvent
symbolisée par la présentation de la cola à
l'invité ou par l'égorgement d'un coq. Le tronc du bananier
coupé sert dans les rituels de bénédiction et autres
cérémonies. Nous pouvons effectivement multiplier des exemples
qui démontrent la nécessité de la forêt ou de la
nature dans les représentations des peuples du Gabon. La vie de ces
peuples n'est que rites et rituels, en d'autres termes que symbolisme et
représentations. Des rites qui concourent soit à la construction
de l'homme spirituel soit à sa guérison somatique.
2 - 3 L'usage thérapeutique
Les populations gabonaises utilisent les
propriétés médicinales de certaines substances animales
pour recourir à la santé ou retrouver l'équilibre
biologique. Plusieurs d'entre elles sont connues comme de véritables
médicaments. Par exemple, les Pové utilisent
régulièrement le porc- épic (atherurus africana), la
gazelle (céphalophe bleu), l'écureuil à pattes rouges pour
traiter les cas de sorcellerie. Ces espèces servent aussi au traitement
des maladies féminines notamment les douleurs aux trompes. Notons enfin
que le système thérapeutique pové, comme dans les autres
ethnocultures du Gabon, associe à la fois les éléments de
la faune, de la flore et l'homme : animaux, feuilles, poudres des racines
et écorces, lianes, parole, le geste, le temps, l'espace. Les graines de
manioc sont utilisées pour soigner les affections de la peau. Les
feuilles de manioc calment les contractions utérines qui suivent
l'accouchement. L'ensemble de ces éléments concourt à la
quête de la guérison qui ne vise pas uniquement à
soustraire les symptômes de la maladie mais aussi à
réintégrer le malade dans son environnement social.
Pour comprendre cet aspect de la vie de ces peuples, il
convient d'abord de comprendre leur représentation de la maladie. Notons
d'abord que le corps de l'individu humain a toujours été
considéré comme signifiant autre chose que l'organisme
physiologique animal auquel peut le réduire la science actuelle. Le
corps est solidaire de l'environnement physique mais aussi social. Le Gabonais
ne réalise sa personne que dans un cadre naturel ou environnemental
donné. Corrélativement, le malheur, la malchance, la maladie
concernent, à partir d'un certain degré de gravité, encore
plus que l'individu, tout l'ensemble de son groupe. Donc, maladie, peu importe
sa nature, peut provenir du déséquilibre de l'environnement
social. Le traitement de la maladie sera donc fait par un spécialiste
dans la pharmacopée, dans la divination, dans l'interprétation et
la manipulation, le thérapeute ou médecin traditionnel qui unit
dans sa thérapie toutes ces compétences. La cure traditionnelle,
par exemple, est formée d'un ensemble d'actions d'ordre
différents, symbolique et réel, où techniques
pharmacologiques, religieuses, divinatoires, verbales, graphiques
s'entremêlent de telle façon que l'on ne peut pas comprendre le
sens et le poids de l'une si l'on ne connaît pas celui de chacune des
autres et l'enchaînement existant entre elles. Notre objectif n'est pas
de détailler le champ médicale ou thérapeutique, mais
montrer l'importance capitale que requiert la faune et la flore dans
l'équilibre de l'humain. A tous les niveaux de la vie sociale, elles
participent du maintien de l'individu dans la société afin que
celui-ci vive du fruit de son travail symbolisant ici les activités
économiques.
2 - 4 L'usage économique
L'élaboration de l'espace procède de
l'exploitation de la nature, c'est-à-dire tout d'abord, de l'acquisition
des subsistances. C'est d'abord autour de la nourriture qu'appartiennent les
premières formes d'organisation spatiale et que se nouent les premiers
rapports sociaux. Pour en comprendre les processus, il convient de prendre en
compte la totalité des actes à finalités alimentaires,
qu'il s'agisse de prélèvements sur l'écosystème ou
d'agriculture. Celle-ci ne représente en effet qu'un volet d'un
système de production des vivres dans lequel la chasse, la cueillette et
la pêche sont nécessaires à l'équilibre
alimentaire.
L'économie villageoise actuelle, par suite d'un
relâchement de la symbiose avec la forêt, ne donne qu'une image
affaiblie de la part qui revenait autrefois à la production extra-
agricole. Toutefois, les permanences sont encore nombreuses et les souvenirs
assez proches pour qu'on puisse reconstituer un tableau significatif. L'usage
économique ou l'activité économique repose essentiellement
sur les principales activités que sont la chasse, la pêche, la
cueillette qui sont basées sur le prélèvement et
l'agriculture. La chasse a une importance qui tient au fait que le gibier
représente l'essentiel de l'apport protéidique dans un
régime alimentaire basé sur l'hydrate de carbone, pauvre en
protéines végétales. L'élevage n'est pas le fort de
ces peuples pour des raisons typiquement géographiques. L'essentiel de
leur élevage comprend les poules et cabris qui servent aux besoins
cérémoniels. C'est une activité essentiellement masculine,
avec des moyens rudimentaires.
La pêche, quant à elle, est pratiquée par
les deux sexes. La pêche féminine, dans sa manifestation sociale
la plus riche, se déroule dans un cadre collectif. La technique la plus
courante consiste à barrer un fond de marigot à l'aide de la
terre ou des claies végétales, puis à en vider l'eau avec
des paniers ou des seaux jusqu'à ce que les poissons puissent être
capturés à la main. A côté de cette activité
conviviale, la pêche individuelle à laquelle s'adonnent hommes et
femmes, est partout pratiquée pour peu qu'on réside près
d'une rivière. Elle fait appel à un arsenal technique à la
fois simple et divers, différents types de nasses et pièges
à vannerie, filet, barrages, empoisonnement de cours d'eau à
l'aide de nombreuses plantes ichtyotoxiques. L'outillage est
confectionné avec le matériel végétal que fournit
l'environnement, rotins, lianes, frondes de fougères, fibres d'ananas ou
de coton sauvage.
La cueillette complète la gamme des activités
de prélèvement. Fruits, racines, feuilles, écorces,
sèves de dizaines voire centaines sont susceptibles d'être
utilisés sous réserve d'en connaître l'usage et les vertus.
Les plus recherchés sont destinés à la boisson, et
à la confection des sauces. Parmi eux citons le manguier sauvage dont
les amandes servent à préparer le très populaire chocolat
indigène. Ou encore le fruit de l'arbre à beurre, le fameux
« adzap » des Fang dont on extrait des amandes une
matière grasse culinaire. Mais l'arbre roi est sans conteste le palmier
à huile, inégalement disséminé dans la forêt
mais généralement présent près des lieux
habités. Ces produits de cueillette, les plus importants par la
généralisation de leur usage et le commerce auquel ils donnent
lieu, ne constituent qu'un petit échantillon de ce que fournit la
forêt.
Le milieu rural au Gabon, a encore peu évolué
et les méthodes de culture ont gardé leur caractère
traditionnel et familial. Les femmes y ont une part
prépondérante, les hommes s'occupent rien que du
défrichage du sol. Cette agriculture est liée au brûlis,
pratiquée aux dépens de la forêt et à l'emploi de la
jachère à longue révolution. Au cours de la saison
sèche, les hommes coupent les arbres, débroussaillent et allument
les feux. Sur le terrain, enrichi des cendres et préparé
hâtivement, les femmes plantent l'igname, le manioc et les
végétaux qui leurs sont associés. Au nord du Gabon, il est
facile de remarquer la présence de deux types de champs,
l' « esep » ou champ d'hivernage et
l' « oyon » ou champ de saison sèche. La
culture de l'arachide est prépondérante dans ces types de champs.
C'est à partir de cette culture et bien sur du manioc que les parents
préparent les rentrées scolaires de leurs enfants de nos jours.
En dehors de ces champs, chaque famille a son jardin derrière la case,
et celui-ci est consacré à la bananeraie, à la culture de
certains condiments... Le développement des plantations a beaucoup
modifié le comportement de la population rurale nord- gabonaise, en
fixant l'habitat et en changeant le régime foncier. Le sol
cultivé devient de plus en plus objet de droits précis et
officialisés.
En définitive, ces activités nous permettent de
montrer que la perception sociale d'un environnement n'est pas faite seulement
des représentations plus ou moins exactes des contraintes de
fonctionnement des systèmes techno- économiques, mais
également de jugement de valeur et de croyances fantasmatiques. Un
environnement a toujours des dimensions imaginaires. Il est le lieu d'existence
des morts, la demeure de puissance surnaturelles bienveillantes ou
malveillantes censées contrôler les conditions de reproduction de
la nature et de la société. Ne soyons pas de ce fait surpris de
constater ces reproductions sociales dans nos centres urbains
manifestées par des phénomènes tels que la
commercialisation du gibier. La partie ci-dessous nous présente la
manifestation progressive de ce fait culturel.
Chapitre I : Chasseurs et bayames
1 - 1 Chasseurs
Récit 1
Entretien en français12(*) réalisé avec Ondo Edou Théophile
sur la commercialisation du gibier au Gabon
1 - Je faisais la chasse et j'en fais toujours. Mais pour le
moment je suis en vacances. Je m'occupe d'autres choses maintenant. Je n'avais
pas de travail, j'ai donc décidé de pratiquer la chasse. J'avais
un besoin d'argent afin de subvenir aux besoins. Avant je travaillais à
l'entreprise Colas. J'ai aussi travaillé à Brossette. C'est
après le licenciement que je me suis orienté vers la forêt
pour me procurer de l'argent. Je creusais aussi l'or durant le temps que j'ai
passé dans ce campement de chasse. J'étais un coupeur libre,
c'est-à-dire que je travaillais pour moi. Mais je reversais quelque
chose à l'Etat. C'est une activité qui me rapportait de l'argent.
L'activité a pris fin parce que l'or est finit à cet endroit.
2 - Je faisais des pièges, je chassais aussi au fusil.
Je faisais toujours la chasse du jour. Les animaux féroces me faisaient
peur. Ils n'aiment pas la torche. C'est le cas par exemple de
l'éléphant qui n'aime pas qu'on lui fixe la torche. La chasse de
nuit est plus bénéfique que celle du jour. La nuit, on tue
beaucoup plus par rapport au jour. Les animaux se baladent plus la nuit que le
jour. Il n'y a peut-être que les singes que l'on peut avoir le jour. En
général, les animaux qui marchent en groupe sont possibles
d'être chassés le jour. La chasse du jour me rapporte trois ou
quatre gibiers. La nuit, pour un autre chasseur, c'est plus que ça. Les
pièges profitent plus par rapport au fusil. Un chasseur peut avoir plus
de 150 pièges. La variation est donc possible dans la chasse. On peut
avoir un chasseur ayant un fusil, pratiquant la chasse du jour, qu'il associe
aux pièges ; un chasseur ayant un fusil, pratiquant la chasse de
nuit, qu'il associe aux pièges ; un chasseur ayant juste les
pièges ; un chasseur ayant un fusil et chassant le jour comme la
nuit.
3 - Je chassais et tuais les animaux de genres et
d'espèces confondus.
4 - Les clients provenaient de Libreville pour nous retrouver
en brousse. J'étais à Edénya (après Oyan-gare vers
Bangos). L'achat était exercé par les femmes. Ce sont elles qui
viennent vendre à celles qui vendent dans les marchés et
restaurants. Mes clients venaient deux fois par semaine. Elles laissent des
congélateurs et des glaçons. Il m'arrivait d'avoir des recettes
de 60000 francs. Mais quand on a tué le gros gibier, on
sérieusement de l'argent. Et le prix dépend de la grandeur du
gibier.
5 - Je travaillais pour moi-même. Mais d'autres
chasseurs l'étaient aux comptes des particuliers.
6 - Je réalisais de projets avec cet argent. Si ne
pratiquais pas la chasse je n'aurais rien fais dans la vie.
7 - De fois je ne tue rien. On comprendra que ça ne
paye pas tout le temps. Et contrairement, quand la chasse a payé, c'est
le transport qui pose problème. Soulignons aussi l'effet de la
sècheresse. En effet, en cette période là, les animaux
sont rares. Ils se dirigent vers d'autres endroits humides. Le chasseur n'a pas
de porteur. Il se contente lui-même de transporter le gibier
chassé.
8 - Les chasseurs savent que la vente de gibier est interdite
au Gabon. Ils savent cela à travers les saisies que les agents des Eaux
et Forêts opèrent souvent. Ces derniers arrivent brusquement soit
en cassant les portes soit au retour de la chasse. Les femmes qui venaient
acheter le gibier nous amenaient en retour le manioc, le sucre, les dindons,
bref tout ce qu'on n'avait pas et qu'on retrouvait en ville. On ne savait pas
pourquoi on interdisait la vente. Les agents nous disaient seulement de ne pas
trop chasser sinon les animaux disparaîtront.
9 - On disait aux agents que l'on ne peut pas laisser la
chasse. Nous vivons de chasse. Nous ne pouvons pas venir croiser les bras
à Libreville sans rien faire et en attendant que l'Etat nous donne
quelque chose pour acheter de quoi manger.
10 - Quand le gibier se fait rare à un endroit, on
change de campement de chasse. Les animaux fuient le bruit. Les chasseurs
créent eux-mêmes les campements. J'ai habité un campement
forestier. Mais les forestiers n'aiment pas la présence des
chasseurs.
COMMENTAIRE
Ondo Edou Théophile est un gabonais âgé
de 59 ans, originaire du Woleu- Ntem, fang, célibataire avec deux
enfants, chômeur. Il habite le quartier Mont Bouet et est chasseur. Mais
pour le moment il est en vacances. Il fréquenta la forêt pendant
huit années. L'informateur a chassé les animaux de toutes sortes.
Ces animaux étaient chassés soit aux pièges soit au fusil.
Il chassait toujours le jour non pas la nuit. Il avait peur des animaux
féroces qui détestaient la torche. Selon lui, on peut avoir
plusieurs types de chasseurs. Il y a des chasseurs qui associent le fusil aux
pièges, préférant chasser le jour. D'autres ont les
mêmes techniques mais chassant la nuit. Il y a une catégorie qui
n'a que les pièges et une autre chassant nuit et jour ayant aussi les
pièges. Ondo Edou travaillait pour lui et avait des clients femmes qui
provenaient de Libreville. Il nous dira au passage que certains chasseurs sont
la propriété de certaines personnes. Selon lui, les chasseurs ne
sont pas suffisamment informés. Ils savent, par le biais des missions
des agents des Eaux et Forêts, que la vente du gibier est interdite au
Gabon pour cause de disparition des espèces, leur dit-on. Signalons
enfin que ce monsieur a travaillé à Brossette et à Colas
mais a été licencié. A par la chasse, il cherchait aussi
l'or, et pense qu'on ne devrait pas interdire la chasse car beaucoup vive de
ça.
Récit 2
Entretien en français13(*) réalisé avec Ondo Ndong Ferdinand sur
la commercialisation du gibier au Gabon
1 - Pour le moment je suis charcutier. Le charcutier est le
fabriquant de jambon, saucisson, saucisse. Mais bien avant cela, j'ai
travaillé dans un chantier forestier. Dans ce chantier, j'ai
constaté que le travail de bille était moins rentable que la
chasse que je pratiquais aussi. A la fermeture du chantier, je me suis
focalisé sur la chasse. Le chantier se trouvait à Medouneu
précisément à Assok. La fermeture du chantier m'a
poussé à pratiquer la chasse. Je ne pouvais plus subvenir
à mes besoins.
2 - J'utilisais beaucoup plus le piège. J'ai aussi
utilisé le fusil, seulement quand je fais la chasse de nuit. Je peux
entraîner le fusil la journée quand je vais regarder mes
pièges. J'avais environ 60 pièges. La forêt était
giboyeuse. Et avoir plus de 100 pièges, cela nous amenait un
problème de transport. Quand je chasse, je ne peux faire la distinction
entre le sexe, savoir si l'animal est enceinte. Je tire et le constat est fait
après. La chasse de nuit est moins pénible que celle du jour.
3 - Je tuais beaucoup plus les antilopes, porc épics,
gazelles, sangliers. Ces espèces sont les plus nombreuses dans la
forêt. Leur reproduction est très rapide. Elles peuvent reproduire
deux fois par an.
4 - Je vendais mon gibier auprès des
commerçantes. Elles revenaient de Libreville et de la ville de Medouneu.
Elles venaient deux fois par semaine. La semaine, je pouvais avoir entre 150000
et 300000 francs. Je visitais les pièges en l'espace de deux jours. Et
le gibier était conservé dans les caisses contenant des
glaçons. Le chantier n'était pas électrifié.
5 - Je travaillais pour moi-même. Et je transportais
personnellement la marchandise. Mais quand la chasse a payé,
j'étais aidé par d'autres chasseurs.
6 - Je nourrissais mes enfants, payais leur scolarité
et j'ai également construis une maison avec cet argent.
7 - La difficulté première que je peux citer est
celle de la coupure ou de la cassure du pont qui nous reliait de
l'extérieur. Le pont, une fois cassé, va nous empêcher
d'être en contact avec les clients. Cela a pour conséquences la
dégradation du gibier, privation des vivres. Aussi, quand la saison bat
le plein, les animaux se font rares. Avec ça on peut passer tout le
temps sans tuer.
8 - Je savais que la vente de gibier était interdite au
Gabon. Mais notre survie en dépendait. Les gendarmes venaient souvent
dans des campements, s'ils vous trouvent en possession de viande de brousse,
ils saisissent ou brûlent carrément le campement.
9 - L'Etat doit se contenter de protéger les
réserves. Il doit laisser l'autre partie qui est non
protégée pour la chasse. Toutes les actions que l'on mène
contribuent à la satisfaction des besoins de tous. L'Etat ne doit pas
seulement voir les entrées financières.
10 - Quand les animaux se font rares, nous quittons le
campement. Nous pouvons habiter le campement durant 2 ans. Et quand il n'y a
plus de viande nous changeons et allons à plus de 5 km de celui dans
lequel nous étions. Nous pouvons revenir dans ce campement après
6 ans. Le chasseur est un nomade. Le déplacement des populations
animales cause celui des chasseurs. L'animal se déplace quand il sent le
bruit et la présence humaine.
COMMENTAIRE
Ondo Ndong Ferdinand est un gabonais âgé de 59
ans, originaire du Woleu- Ntem, fang, marié avec enfants. Il est
charcutier et habite Mont Bouet. C'est un chasseur qui a décidé
de s'occuper de la charcuterie en ce moment. Il a pratiqué la chasse
durant 4 ans. Dans la pratique de la chasse, il a utilisé le
piège et le fusil. Ses recettes variaient et la clientèle
était programmée deux fois par semaine. Il était à
son propre compte afin de subvenir à ses propres besoins. La
dégradation du pont, de la viande, la sècheresse causant la
rareté du gibier sont là les différentes
difficultés qu'il a rencontré durant l'exercice de son
métier. Il est conscient de l'interdit mais la survie passe avant tout.
Quand le gibier est rare à un endroit, il change de lieu de chasse.
1 - 2 Bayames
Récit 3
Entretien en français14(*) réalisé avec Mengue Clémentine
sur la commercialisation du gibier au Gabon
1 - Je suis une revendeuse de gibier. Je ne fais rien d'autre
que cela. C'est pour subvenir à mes besoins que je le fais. C'est pour
survivre. Je ne faisais rien d'autre voilà pourquoi je me suis
lancée dans ce métier.
2 - Je quitte chez moi à 6h, je viens au marché
pour attendre les livreurs, ou de fois je vais à la gare d'Owendo.
3 - J'entretiens mes petits fils et filles en payant leur
scolarité, sans oublier les autres charges.
4 - La principale difficulté que je peux souligner ici
est celle des agents des Eaux et Forêts qui me saisissent souvent la
viande. Cela me fais toujours mal de voir le gibier que j'ai acheté afin
de subvenir à mes besoins partir de cette façon.
5 - Je vends généralement l'antilope, la
gazelle, le porc épic, le singe. Et les clients achètent beaucoup
plus la gazelle, le porc épic.
6 - Les clients sont fonction des périodes. Quand la
période est bonne, je peux avoir vingt clients le jour.
7 - Je sais que la vente de gibier est prohibée au
Gabon par le canal d'autres personnes. Ce texte, nous ne l'avons jamais vu.
C'est plutôt moi qui demande pourquoi on interdit la vente du gibier.
Nous n'avons pas grandi avec la viande importée. Nos parents nous ont
élevé avec la viande de brousse.
8 - Le Gabon a des forêts. Ce sont ces forêts qui
regorgent des animaux et ces animaux nous permettent de vivre. L'Etat doit nous
faire des agréments comme il en a fait aux autres. Je sais que l'Etat ne
peut pas m'aider donc je trouve mieux de continuer à vendre.
COMMENTAIRE
Mengue Clémentine est une gabonaise ayant une
cinquantaine d'années, originaire du Woleu-Ntem, fang, du clan essaben,
mariée avec enfants ; Elle habite Sotéga et est revendeuse
au marché de Mont Bouet. Elle exerce cette activité dans le but
de subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants. Très
tôt le matin, elle vient attendre les livreurs ou bien elle se dirige
à la gare d'Owendo pour s'en procurer. Elle vend l'antilope, la gazelle,
le porc épic, le singe car ils sont les plus consommés. Mengue
Clémentine sait que la commercialisation est interdite au Gabon. Elle
déplore même les missions des agents des Eaux et Forêts qui
lui saisissent souvent le gibier. Clémentine pense que l'Etat ne devrait
pas interdire la vente du gibier puisque ce dernier ne leur proposera rien
d'autre. Tout en sachant que la vente est prohibée au Gabon,
l'informatrice ignore la raison de cette prohibition. Etant donné
qu'elle ne fait rien d'autre, elle ne ferra que le commerce du gibier au
marché.
Récit 4
Entretien en français15(*) réalisé avec Chantal Bilogho sur la
commercialisation du gibier au Gabon.
1 - Je suis commerçante.
2 - Je le fais parce que je n'ai pas de travail. Cela me
permet de faire vivre la famille.
3 - J'ai des livreurs au niveau de la gare. Elles viennent de
Makokou, Boué, Ndjolé, Ayem...
4 - Avant je vendais la tomate mais cela ne marchait pas alors
j'ai pris l'initiative de vendre du gibier.
5 - Cet argent nous permet d'abord de payer les taxes
municipales, la scolarité de nos enfants, sans oublier le loyer et
d'autres problèmes que nous pouvons rencontrer.
6 - Les problèmes sont plusieurs mais le plus
récurent est les agents des Eaux et Forêts qui saisissent la
marchandise. Le plus énervant dans tout cela c'est qu'ils nourrissent
leurs familles avec ses saisies et vendent le reste dans les restaurants.
7 - Nous savons que la vente de gibier est interdite dans tous
les pays. Je le sais personnellement. C'est à cause de la disparition
des espèces fauniques.
8 - Il serait souhaitable qu'on fasse des agréments, il
faut règlementer le phénomène. L'Etat doit tenir compte de
notre condition sociale. Interdire totalement ne nous arrangerait. Nos enfants
n'iront plus à l'école, plus de quoi manger...
9 - Je vend le porc épic, singe, gazelle, sanglier,
antilope. En réalité tout est consommé au même
niveau.
10 - Les recettes ici dépendent des périodes du
mois. Du 30 au 10 nous avons des clients. La recette varie.
11- Je ne fais rien d'autre.
COMMENTAIRE
Chantal Bilogho est une camerounaise ayant 38 ans, originaire
de la province du centre Cameroun, fang, du clan effack, célibataire
avec enfants. Elle habite la Sorbonne et est revendeuse ou bayame au
marché de Mont Bouet. Elle exerce cette activité dans le but de
subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants. Très
tôt le matin, elle vient exposer sa marchandise en attendant le premier
client. Elle se procure son produit à la gare de trains d'Owendo
auprès des livreurs provenant d'horizons divers. Elle vend le porc
épic, le singe, la gazelle, le sanglier et l'antilope. Chantal Bilogho a
une connaissance suffisante sur la faune et son interdiction au Gabon et dans
d'autres pays de la sous- région. Selon elle, la disparition probable de
la faune est à l'origine de l'interdiction de la vente du gibier. Mais
la condition sociale ne leur permet pas de respecter la législation qui
protège la faune. Le principal problème qu'elle rencontre
provient des saisies des agents des Eaux et Forêts.
Récit 5
Entretien en français16(*) réalisé avec Evourou Didine sur la
commercialisation du gibier au Gabon
1 - Je suis commerçante. Je ne fais rien d'autre
à par mon bar/restaurant. Dès que j'ai perdu mon mari, j'ai eu
des problèmes à élever mes enfants. J'ai donc
décidé de faire du commerce. J'étais d'abord à la
Caisse Nationale de Sécurité Sociale. Je faisais la cuisine
là-bas. Une fois retraité, je me suis lancée dans cette
activité.
2 - Je vais au marché d'Oloumi ou de Mont Bouet, de
fois les femmes viennent me livrer sur place. Ces femmes proviennent des
campements de chasse. Elles payent de munitions et vont remettre aux chasseurs.
Je ne sais pas exactement d'où elles viennent. Ce que je sais c'est
qu'elles viennent sur la route d'Oyem.
3 - Je paye la scolarité, l'alimentation des enfants et
les charges de la famille. Cet argent me sert aussi à payer mes
employés. Dans mon bar/restaurant, j'emploie des gabonais
particulièrement mes parents. Chacun a une spécialité et
le salaire est justement en fonction de la tâche que la personne occupe.
J'emploie en tout huit personnes.
4 - Je perds beaucoup. Il y a des moments où je n'ai
pas de clients. J'achète le sanglier par exemple pour 120 000 FCFA,
s'il n y a pas de clients, la nourriture va se gaspiller. C'est la principale
difficulté que j'ai. Mais je ne peux pas laisser car c'est cela qui fait
vivre ma famille.
5 - Je vends beaucoup plus le porc épic, la gazelle, le
sanglier. Ce sont eux qui passent. La demande des consommateurs s'y trouve. Je
prépare en tenant compte de ce que les clients aiment manger.
6 - Le nombre de clients est fonction du nombre de plats. Si
une gazelle produit cinq plats, on a cinq personnes qui sont passées.
Les plats peuvent nous amener à une recette de 100000 francs le jour,
à raison de 4000 francs le plat. Mais tout cela varie.
7 - Je le sais. Mais c'est la seule alimentation que nous
avons. Nous avons été élevés à base de la
viande de brousse. C'est pour la génération future, je sais. Mais
cela ne peut pas faire en sorte que l'on meurt de faim.
8 - La chasse est en nous. Nous sommes habitués
à cela. L'interdit sera donc difficile à respecter. Dans nos
villages, on pratique la chasse. C'est peut-être les citadins qui
respecteront cette loi mais pas les villageois.
COMMENTAIRE
Evourou Didine est une gabonaise âgée de 40 ans,
originaire du Haut-Oguoué, téké, veuve avec enfants,
retraitée à la CNSS. Elle habite Likouala. Cette veuve est
propriétaire d'un bar/restaurant. Avec ses employés, elle cuisine
le porc épic, la gazelle, le sanglier. A la mort de son mari, elle a
trouvé mieux de subvenir aux besoins de la famille en vendant du gibier.
Sa situation de retraitée ne lui facilitait non plus le tâche. Une
activité lucrative, mais difficile comme tout métier, qui lui
permettait de payer la scolarité, l'alimentation des enfants. Elle
aussi, comme toutes les autres, sait que la vente du gibier est prohibée
au Gabon. Elle sait qu'interdire nous amène à penser aux
générations futures. Mais l'interdit ne doit pas nous
empêcher de consommer le gibier. C'est une seconde nature pour nous.
Récit 6
Entretien en français17(*) réalisé avec Marie Gibier sur la
commercialisation du gibier au Gabon
1 - Je fais le restaurant depuis 35 ans, mais 20 avec le
gibier. Ce travail me permet de gagner ma vie. En faisant du gibier, je gagne
facilement ma vie. Avant je ne faisais rien d'autre. J'ai commencé avec
le restaurant. Et c'est la seule activité que j'ai actuellement.
2 - Je prends ma viande au marché. Je n'ai pas de
livreur. Les femmes du marchés sont mes abonnées.
3 - Les enfants à l'école avec cet argent, mes
besoins en dépendent. Je fais des travaux avec cet argent. Je loue le
local et je travail avec ma fille qui se démerde avec ce travail pour
assurer, elle aussi, la scolarité de ses enfants. Son mari l'a
abandonné.
4 - Le principal problème est le capital. Je n'ai pas
de capital. Je prends la viande en bon.
5 - Je vends plus le porc épic, le sanglier, le singe,
la gazelle. Ces animaux sont aussi les plus consommés.
6 - La clientèle est périodique. Elle est
fonction du mois. Il est de ce fait difficile de déterminer la recette
que l'on a par jour.
7 - Non. La viande qui est en brousse est à la
disposition de tous. Dieu a mis la viande en brousse pour que l'homme en
mange.
8 - L'Etat n'a pas le droit de nous interdire la vente du
gibier. C'est elle qui nous permet d'envoyer nos enfants à
l'école afin qu'ils deviennent des personnes demain. Si l'Etat interdit
la vent du gibier nous allons croiser les bras et là notre avenir en
dépend. Je peux laisser sauf si j'ai une activité autre que la
vente du gibier. L'Etat doit nous trouver du travail.
9 - Ce travail n'a pas de difficultés en tant que
telles. Il ne demande pas d'investissement conséquent.
10 - Oui. Je paye les timbres de 1000F à la mairie.
Avant, je payais la patente. Depuis un an, je n'en paye plus. J'ai
décidé de payer les taxes journalières à la mairie.
Il y avaient plusieurs contrôleurs. C'est à partir de la
décision présidentielle que nous sommes revenus à la taxe
journalière.
COMMENTAIRE
Mare gibier est une camerounaise âgée de 55 ans.
Elle est originaire de la province de l'ouest Cameroun. Bamiléké,
elle est mariée avec quatre enfants et six petits- fils. Elle
réside à l'avenue de Cointet où elle gère son
restaurant de spécialités africaines notamment la viande de
brousse. Son appellation proviendrait même de cette activité. Ce
restaurant est sa principale activité et condamne même la
politique d'interdire la vente de la viande de brousse. Selon elle, les animaux
résident en forêt et sont une création divine. L'Etat ne
doit pas interdire ce bien naturel réservé à tous. Dans ce
restaurant, elle reçoit des clients périodiquement qui consomment
le porc épic, le sanglier, le singe, la gazelle. Et elle se la procure
au marché de Mont Bouet. C'est une activité qu'elle exerce sans
capital fixe et paye des taxes journalières municipales. Elle ne peut
laisser cette activité que sauf si elle a une autre. La lui interdire
entraînera d'énormes conséquences pour elle et sa
famille.
Chapitre II : Consommateurs et
administrateurs
2 - 1 Consommateurs
Récit 7
Entretien en français18(*) réalisé avec Idiata Jocelyn sur la
commercialisation du gibier au Gabon
1 - Oui. Je la consomme quand les parents l'achète au
marché pour les repas familiaux Je peux la consommer aussi quand nous
même nous la ramenions de la brousse. Ce dernier cas se présente
souvent au village.
2 - Je consomme le plus souvent la gazelle, l'antilope, le
porc épic, quelque part, il m'arrive de consommer du gros gibier. Ces
animaux abondent dans les marchés et voilà pourquoi c'est eux que
je consomme le plus. En ville, je consomme de manière occasionnelle la
viande de brousse. Je peux estimer la consommation de la viande de brousse par
mois. Mais au village, j'en consomme chaque semaine. En ville la consommation
est différente de celle du village. C'est l'argent qui dicte, par contre
au village on peut chasser tout le temps.
3 - L'ETat a le droit d'interdire la vente de gibier. Quand le
gibier abonde dans les marchés cela signifie que plusieurs personnes
font la chasse de manière abusive. D'autre part, l'Etat ne devrait pas
interdire la vente. Cette vente permet à ceux qui ne connaissent pas les
mécanismes de chasse d'en manger. Tous les citadins ne connaissent les
mécanismes de chasse. L'Etat devrait plutôt limiter la
quantité du gibier sur le marché. Le chasseur chasse d'abord pour
ses besoins propres ensuite pour les besoins des citadins ou des consommateurs.
Ils veulent tirer profit de leur chasse afin de subvenir à leurs
besoins.
4 - Il faut rentrer dans les faits sociaux, savoir pourquoi
les gens pratiquent une chasse abusive, vendent du gibier. Il faut savoir la
catégorie de personnes qui pratique ce phénomène. il faut
mener une étude sérieuse qui fera ressortir la solution. Il faut
préciser le quota de viande de brousse dans les marchés, ceci
selon les espèces. C'est le chômage qui pousse les populations
à pratiquer la chasse. Auparavant, il n'y avait pas trop de chasseurs.
Il y a aussi d'autres personnes qui emploient des chasseurs afin de profiter de
la faune. La concentration des industries à Libreville est l'un des
facteurs de ce phénomène. Toutes les industries sont à la
capitale. La chasse, elle, se pratique à la périphérie,
dans les coins retirés du Gabon. Si le contraire se présenterait
cela ralentirait la vente. Cela occuperait les populations concernées
par le phénomène. Le temps et la capacité de chasse du
chasseur seront réduits. Il ne chassera plus comme il le faisait
auparavant. Si l'entreprise l'occupe pendant 5 ou 6 jours dans la semaine, il
n'aura que le sixième ou le septième jour pour chasser. D'aucuns
chassent sept jours sur sept (les employés bien sur), d'autres ont la
notion du dimanche en tête.
5 - Je vais d'abord m'appuyer sur le plan des besoins. Tant
que l'homme aura toujours un besoin, il y aura toujours quelqu'un pour chasser
et pour consommer. Il sera difficile de respecter la loi tant qu'il y a besoin.
Les textes ne sont pas connus par tout le monde. Le chasseur chasse en ignorant
les textes. Le grand problème se situe au niveau de l'information. Elle
n'est pas véhiculée. Le non respect de la réglementation
provient des politiques. Ces derniers entretiennent même des groupes de
chasseurs travaillant à leur compte. Le non respect de la
réglementation par les politiques va même révolter les
personnes qui veulent survivre. J'insiste sur l'information. Si les populations
ne sont pas au contact de l'information, rien ne sera respecté.
6 - Quand on chasse de manière abusive, la viande
devient rare. L'Etat veut préserver l'espèce animale. On constate
que la demande de préservation provient de l'extérieur. Elle
devrait d'abord commencer sur le plan national. On constate également la
disparition de certaines espèces fauniques. Le problème est que
le chasseur tire sur ce qu'il voit. Il constate après. Il faut penser
à la reproduction. Les animaux se font rares à cause de la
surexploitation, de la sélection naturelle. La reproduction n'est pas
rapide ou brusque. C'est quelque chose qui nécessite des
années.
COMMENTAIRE
Idiata Jocelyn est un jeune gabonais âgé de 19
ans, originaire de la Ngounié, Sango, du clan mululu,
célibataire. Cet élève habite sotéga. Le jeune
homme consomme de la viande de brousse provenant du marché ou de la
brousse, au village quand il va à la chasse avec les autres. Et celle
qu'il consomme le plus est celle que l'on retrouve beaucoup plus sur le
marché, c'est-à-dire la gazelle, le porc épic, l'antilope
et quelque part le gros gibier. Jocelyn pense que l'Etat a le droit d'interdire
la vente du gibier pour cause de disparition des espèces fauniques. La
chasse abusive serait la cause première de cet interdit. Il reconnais
l'origine socioéconomique de la vente de gibier. Et dénonce la
concentration des industries dans la seule capitale gabonaise. Donc, l'une des
résolutions du problème partira de là. Il ajoutera le
déficit d'information qui alimente le non respect de la loi ; Selon
lui, la préservation par l'Etat des espèces est accentuée
à cause de la disparition des espèces fauniques.
Récit 8
Entretien en français19(*) réalisé avec Akome Zogho Jean sur la
commercialisation du gibier au Gabon
1 - Oui. J'en consomme obligatoirement. Mes parents m'ont
élevé à base de la viande. C'est que je déteste le
poisson, autour de nous il n'y avait que la forêt pas de rivière.
Si je ne chasse pas personnellement, je l'achète par le canal d'autres
personnes. De fois je me la procure au marché. D'autres fois, je vais
dans des campements de chasse.
2 - Les animaux les plus consommés sont la gazelle, le
porc épic, l'antilope que l'on retrouve facilement. Et voilà
pourquoi ils abondent sur les marchés publics. La consommation est
fonction des moyens financiers. Je peux en consommer 3 ou 4 fois par mois.
3 - Je sais que la vente de gibier est interdite au Gabon. Et
je suis contre cette politique. Nous n'avons pas de structures qui peuvent nous
ravitailler en viande de boeuf par exemple. Il y a des endroits où l'on
ne trouve pas de rivière. Et ces populations n'auront que la forêt
pour s'alimenter. Il n'y a pas de grandes factories européennes qui
peuvent nous ravitailler en viande importée. Le peu de viande
importée ne suffit pas à alimenter tout le territoire national.
En fait, ces structures ne sont pas implantées dans les lieux
reculés du Gabon. L'homme gabonais ne vit que de cueillette et de
chasse. On ne devrait donc pas nous interdire la viande de brousse. La viande
de brousse fait partie de notre culture. Interdire la vente de gibier revient
à interdire sa consommation. Ce n'est pas tout le monde qui chasse. La
vente est une forme d'échange, c'est-à-dire d'aucuns vendent
d'autres achètent.
4 - La chasse était réglementée
auparavant. Ce n'est pas tout le temps que l'on doit chasser. Les chasseurs
savent le temps de la reproduction, les techniques de chasse. On ne peut pas
interdire la chasse. L'élevage n'existe pas. On doit avoir les
périodes de chasse et celles qu'on ne doit pas chasser. L'autosuffisance
alimentaire étant déficitaire au Gabon, cela va amener les
populations à puiser dans la forêt.
5 - La loi n'est pas respectée au Gabon parce que
l'Etat n'a pas prévu une activité qui pourrait se substituer
à la chasse, à la vente de gibier en général. C'est
la principale raison. La viande de brousse est la seule denrée
alimentaire qui est adaptée à la culture gabonaise. La loi n'est
pas respectée parce que les gens veulent survivre. Les populations n'ont
pas d'autres activités qui pourraient les occuper. Donc, il faut occuper
les populations. Les chasseurs n'ont rien d'autre à faire à par
chasser. Le woleu- ntemois était occupé par le cacao. Une fois le
cacao parti, il n'aura plus d'occupation. L'activité qui viendra
remplacer le cacao est la chasse. On peut même supprimer la vente de
munitions, les populations trouveront toujours un moyen pour chasser et vendre
du gibier. C'est leur survie qui est en jeux.
COMMENTAIRE
Akome Zogho Jean est gabonais du Woleu- Ntem, Fang du clan
nkodjen, marié. Il est âgé de 50 ans, électricien,
habitant le quartier Mont Bouet. Il consomme obligatoirement de la viande de
brousse qu'il trouve au marché ou après une partie de chasse. La
gazelle, l'antilope, le porc épic sont les animaux qu'il consomme le
plus. Et il pense que l'Etat ne devrait pas interdire sa vente. Car le Gabon
n'a pas de structures qui pourraient ravitailler la population en viande. Et le
peu de viande importée n'est pas suffisante. Elle n'est pas
présente dans les coins les plus reculés du pays. Interdire la
vente c'est interdire la consommation du gibier. Il faut réglementer la
chasse et son commerce. Et si la loi n'est pas respectée c'est parce
qu'il n'y a pas d'activité de substitution. Mais interdire pour
préserver ne résoudra pas le problème. Avant de penser au
futur, combattons d'abord le présent.
2 - 2 ADMINISTRATEURS
Récit 9
Entretien en français20(*) réalisé avec Bivingou Abdon
sur la commercialisation du gibier au Gabon.
1 - En tant qu'agent oui. C'est une activité
exercée par certains compatriotes.
2 - L'activité ne représente rien d'autre qu'un
danger pour la conservation, c'est une menace, dans la mesure où on ne
maîtrise pas la régénération. Il y a un
problème de pérennité en jeu.
3 - La commercialisation n'est pas autorisée au Gabon.
C'est la chasse d'autoconsommation qui est autorisée. Donc la chasse de
subsistance. Tout le monde peut chasser au Gabon, grâce à un
permis de chasse et de port d'armes. Le problème se trouve au niveau des
animaux tués. La quantité requise est inférieure à
cinq, trois animaux de la même espèce. Mais cette loi n'est pas
applicable à tous les animaux. L'espèce protégée
par l'Etat est exempte de cette loi. La chasse des femelles n'est pas
autorisée. Il faut tenir compte des périodes de chasse. Il y a
une période que les femelles reproduisent. Et il faut chasser le gros
gibier. Les chasseurs maîtrisent toutes les techniques de chasse. La
reproduction a lieu entre le 15 septembre et le 15 mars. La chasse est
fermée à cette période là.
4 - Il n'y a que des polices de chasse. Mais avant cela il y a
une sensibilisation. Ces missions de police sont insignifiantes. Leur
fréquence est limitée. Les gibiers arrivent tous les jours mais
les polices ne sont effectuées qu'une fois par mois. Il y a un
problème humain, financier et la volonté politique. Il y a le
plus souvent des interventions quand on a saisi. Des gens appellent de tous les
côtés, se réclamant propriétaire de telle ou telle
marchandise saisie. Les missions sont d'abord insignifiantes pour le seul cas
de Libreville, comparée au Gabon tout entier. Les chasseurs sont plus
des personnes venant d'autres horizons. La mission de police comprend des
agents des Eaux et Forêts, gendarmerie ou police. Les campements de
chasse sont le plus souvent à proximité des réserves ou
des aires protégées.
5 - Les raisons socioéconomiques sont à
l'origine de ce phénomène. Les gens veulent avoir une
activité pour se faire de l'argent. L'Etat est quand même en
retard. Il devrait plutôt réglementer le phénomène.
Il ne fait que l'ignorer alors qu'il est persistant.
6 - Oui. C'est d'abord par souci de conservation que l'on
interdit. On conserve pour tout le monde. Le cas de l'éléphant
nous prouve que la conservation est nécessaire. Les selles de
l'éléphant à l'origine de la naissance de certaines de
flore. Donc la conservation de la faune est celle de la flore. Il faut penser
aux générations futures. Les réserves sont les zones de
concentration de la faune. Ces animaux, à un effectif
élevé, peuvent sortir de la réserve pour la
périphérie. Et une fois qu'ils sentent la menace, ils reviennent
dans la réserve. Les organismes ont constaté la carence à
certains endroits de la Terre. Voilà pourquoi ils appuient le Gabon dans
son programme de conservation. Les animaux se font rare. Cela peut profiter aux
organismes dans une certaine mesure, aussi aux populations par la consommation
en protéines. Il y a un inventaire qui a été fait. La
population animale est estimée à 270 espèces de
mammifères, 330 espèces d'oiseaux. Ce sont là les
espèces recensées. D'autres ne le sont pas. L'évaluation
de la perte est insignifiante, car les moyens ne nous le permettent pas.
7 - Le code forestier n'a fait que récupérer la
loi 1/82. C'est dans le code forestier que l'on retrouve la loi sur la
protection de la faune.
8 - L'Etat n'a rien prévu à par l'élevage
de petit gibier. Ce projet est dans sa phase expérimentale. Les
techniques ne sont pas encore très bien maîtrisées. La
faiblesse de ce projet est d'élever une seule espèce. On
souhaitait également réorienter ces femmes dans d'autres
activités. Mais le projet n'a pas pu voir le jour à cause des
financements.
9 - Le phénomène persiste. La politique qu'on
mettra en place doit intégrer la préservation, d'une part, la
consommation et la pratique de la chasse, d'autre part.
COMMENTAIRE
Bivingou Abdon est gabonais, originaire de la Nyanga,
d'ethnie punu, agent des Eaux et Forêts. Pour réaliser cet
entretien et recueillir les informations ci-dessus, nous avons
été reçu en matinée par cet agent des eau et
forêts. Il faudra noter que ce dernier n'a pas répondu à
nos attentes au niveau de l'identification. Il souhaitait juste nous livrer
l'information que nous voulions. Bivingou connaît le
phénomène de la commercialisation du gibier. Pour lui, c'est un
danger pour la faune et pour la conservation. Il sait que ce sont les raisons
socioéconomiques qui poussent les populations à exercer ce genre
d'activité. Selon la réglementation étatique, la chasse de
subsistance est autorisée, mais la vente du gibier qui est
prohibée. Il dira que les moyens de l'Etat sont limités. Les
missions de police que les textes prévoient ont une fréquence
trop insignifiante. L'informateur nous a fait part de la loi 1/82 relative
à la protection de la faune, loi que l'on retrouve dans le code
forestier. Pour lui, l'interdiction a un lien avec la conservation. Il
souligna, par la suite, que le projet initié par l'Etat, dans le but de
renverser la tendance du braconnage, était l'élevage du petit
gibier. Ce projet ne vit pas le jour pour des raisons financières. Pour
résoudre de manière durable le phénomène de la
commercialisation, cet informateur propose que la politique à mettre en
place devrait intégrer la préservation, d'une part, la
consommation et la pratique de la chasse d'autre part.
Récit 10
Entretien en français21(*) réalisé avec Ndong Ondo Saint-Yves sur
la commercialisation du gibier au Gabon au Gabon
1 - Oui. Je le connais à partir des personnes
spécialisées dans la vente du gibier. En dehors des
marchés publics, il y a également des restaurants. Il a pris de
l'ampleur avec l'évolution des techniques de chasse. La chasse
était pour la survie, rationnelle afin de diversifier le régime
alimentaire. Les techniques étaient rudimentaires (fosse, filet, feu de
brousse etc.).
2 - Pour nous c'est du braconnage. Ce phénomène
n'est pas légal au Gabon. La chasse est réglementée dans
notre pays. Sa fermeture va du 15 septembre au 15 mars. Le Gabon prône
une politique de chasse sélective. Un animal enceinte ne doit pas
être chassé. Ce sont les males adultes qui sont
recommandés. L'influence de la civilisation est la cause principale de
ce phénomène. En d'autres termes, les raisons
socioéconomiques. C'est un moyen de gain facile. On a l'arme et les
munitions, le tour est joué. Actuellement, on utilise aussi les
câbles métalliques. On chasse de jour comme de nuit et dans
n'importe quelle zone.
3 - La sensibilisation, éducation en amont, et en aval
la répression fait son effet. Elle est caractérisée par la
saisie systématique des armes ou du gibier. La loi n'est pas
appliquée en tant que telle. La saisie seule ne peut pas freiner le
braconnage. L'application de la loi est surtout rigoureuse près ou/et
dans des parcs nationaux. Il y a une différence entre une réserve
et un parc national. La réserve est uniquement faunique et le parc est
biodiversité. Les moyens humains sont insuffisants. On a plus de cadres
que d'agents d'exécution. La pyramide est en fait renversée. Cela
est dû à l'élévation du niveau de recrutement. Le
mieux serait de recruter à partir de la classe de troisième. Le
permis de port d'arme ne nous est pas assigné. Les moyens de tous ordres
sont nécessaires. La durée de formation est longue. Les effectifs
des Eaux et Forêts sont vieillissants. Les moyens doivent être
adaptés au contexte de l'évolution. La population ne participe
pas à la lutte.
4 - La misère, pauvreté, chômage. Le
commerce est une activité très rentable. Les peaux, les dents
sont également vendues. La consommation n'est pas seulement charnelle,
elle est aussi celle de certaines parties de l'animal comme
l'éléphant, la panthère et autre.
5 - L'interdiction a un lien avec la conservation. On
prône une chasse réglementée. La chasse intensive est
interdite
6 - La loi utilisée actuellement est la loi 16/01.
Article 14 : nul ne peut se livrer à la récolte, au
transport et à la commercialisation d'un produit issu de la forêt
sans une autorisation préalable de l'administration des Eaux et
Forêts. Si cela était appliqué, la chasse, du moins, la
commercialisation serait réglementée. La non application peut
être moins bénéfique pour le Gabon. On aura la fuite des
capitaux.
7 - L'Etat travail surtout dans l'importation des produits. La
population n'est pas adaptée à cela. Elle veut toujours consommer
naturel. Les politiques de substitution n'ont pas été mises en
place par les pouvoirs publics. Même les seules structures qu'on avait ne
s'adaptaient pas au régime alimentaire des populations. Peut-être,
les générations futures s'adapteront au régime alimentaire
importé. Nous sommes donc une génération transitoire. On
trouvait du gibier partout dans la forêt mais aujourd'hui c'est plus le
cas.
8 - La population doit aider les gouvernants à
divulguer l'information concernant la réglementation de la chasse. Si
l'Etat le fait c'est au profit des gabonais. Les chasseurs sont
généralement des sujets camerounais et les équato-
guinéens. La population gabonaise entretient des foyers de chasse. Elle
est dépendante de l'étranger. C'est la conséquence de la
paresse, de l'exode rural, manque d'activité économique. La loi
16/01 porte sur le code forestier. Elle est juste une reforme de la loi 1/82.
Il y a toujours un problème d'adaptation qui se pose. L'obtention de la
carabine à grande chasse n'est pas à la portée de tous. La
décision est avant tout politique. Et c'est le politique qui entretient
justement ce phénomène. Le gibier saisi est déposé
soit dans des casernes, prison, services sociaux moyennant une décharge.
Quand la chasse est fermée, ce n'est pas seulement un problème de
quantité. On ne doit pas dépasser plus de trois gibiers de la
même espèce. On parle de braconnage lorsque la quantité
dépasse les normes requises. Quand la chasse est fermée, on ne
devrait plus vendre les munitions. Le travail en synergie est
nécessaire. La loi est défaillante.
COMMENTAIRE
Ndong Ondo Saint-Yves est gabonais, originaire du Woleu-Ntem,
d'ethnie Fang, du clan yegui, célibataire avec quatre enfants. Il est
âgé de 35 ans, agent des Eaux et Forêts, habitant
Ozangué (cinquième arrondissement). Il connaît l'existence
de la commercialisation du gibier. La chasse pratiquée auparavant
était pour la survie et permettait la diversification alimentaire. Pour
Ndong Ondo, ces personnes font du braconnage. Le commerce du gibier n'est pas
légal au Gabon. Mais les moyens permettant de lutter contre ce commerce
sont limités. Alors que ces moyens doivent s'adapter au contexte actuel.
Pour lui, les cadres sont plus nombreux que les agents d'exécution. Nous
avons donc un renversement de la pyramide. Une étude sérieuse
doit être menée afin d'adapter les moyens au
phénomène. L'informateur est conscient des raisons
socioéconomiques qui amènent les populations à exercer
cette activité. Il nous signifiera aussi que la consommation du gibier
n'est pas seulement celle de la chair. Il nous a pris l'exemple des dents de la
panthère, l'ivoire, les peaux... La conservation est
bénéfique pour tout le monde. L'informateur évoquera les
faiblesses de la loi. Sa non application ne profite pas à l'Etat. Il
pense qu'au moment de la fermeture de la chasse, on devrait également
arrêter les ventes des munitions. Il avancera que les politiques de
substitutions étaient défaillantes. Pour lui, la population n'est
pas adaptée aux produits importés. Il n'y a pas de ce fait une
activité qui pourrait remplacer le phénomène. Par
ailleurs, la population devrait participer à la sensibilisation. Il
souligne que c'est la population qui alimente les foyers de chasse.
Chapitre I : L'héritage
colonial
1 - 1 Le commerce de l'Estuaire et ses
produits
Vers 1840, à la veille de la fondation et dans les
premiers temps du comptoir français, la traite négrière
représentait encore l'essentiel des échanges extérieurs
de la région de l'Estuaire. Certes, depuis les premières
décennies du siècle, le commerce licite n'avait pas cessé
de faire des progrès. En effet, en 1819, une estimation de la valeur
annuelle des exportations de l'Afrique occidentale, pour les années
1812/1817, évaluait celles en provenance du Gabon à 18400 livres
sterling. Néanmoins tous les témoignages, des capitaines
britanniques Owen et Boteler au français Montagnès de Le Roque,
s'accordent pour reconnaître au commerce licite un rôle seulement
complémentaire par rapport à celui des esclaves. Cette
interdiction de la traite des Noirs ne représentait que le moment
initial et l'aspect négatif de l'adaptation au commerce licite. En
effet, pour maintenir le niveau des échanges, assurer la
prospérité du comptoir et l'extinction de l'influence
française, jeter les fondements d'une collaboration fructueuse entre
français et mpongwé, il était nécessaire qu'aux
esclaves se substitue un autre type de marchandise. C'est cet autre type de
marchandises que nous tenterons d'étudier dans les lignes qui vont
suivre.
1 - 1 - 1 Le troc
Notons que la production locale reposait sur une
économie cynégétique et de cueillette, peu soucieuse
d'assurer la reproduction des richesses naturelles et par conséquent un
niveau constant et élevé de l'offre. Ces deux caractères,
outre qu'ils contribuaient à la faiblesse générale des
échanges extérieurs, les ont assujetti à un rythme
cyclique, un produit détenant quelques années, voire quelques
décennies, une primauté bien marquée au sein des
exportations. C'est ainsi que jusque vers 1860, trois cycles se
succédèrent, qui ne recoupent pas tout à fait les
fluctuations conjoncturelles. Nous avons d'abord celui du bois, puis celui de
l'ivoire (considéré comme le plus long) et enfin celui du
caoutchouc.
Nous constaterons que les deux premiers présentent
cette originalité déjà signalée d'avoir
été longtemps complémentaire par rapport aux esclaves. Le
cycle du bois (essentiellement le bois rouge de teinture) s'étendit
jusque vers 1820. Une demande particulièrement forte avait
augmenté le prix qui semble s'être maintenu à un niveau
élevé jusqu'à cette date. Le cycle de l'ivoire
commença vers 1820. Le changement est dû à une
évolution des prix européens plus favorables à l'ivoire
qu'aux bois de teinture ou d'ébénisterie, du moins en Angleterre.
L'ivoire du Gabon était alors le plus beau qu'on pût trouver. Il
représentait pendant les mauvaises années (1849 par exemple) 50%
et pendant les bonnes années jusqu'à 70% et même 80% des
exportations de l'Estuaire. Pour ce qui concerne le caoutchouc, les limites
chronologiques de son cycle, surtout le terminus ad quem, sont plus difficiles
à cerner. L'origine de son exploitation remonte tout de même
à 1851. Mais son exploitation nécessitait des déplacements
en forêt. Ainsi, les hommes vivaient en forêt pour travailler sans
trêve.
Néanmoins, l'abatage des céphalophes s'accentua
pour se nourrir mais également pour nourrir les femmes, les enfants et
les vieillards restés au village. Bongoatsi- Eckata22(*) souligne
qu' « en 1925 s'ouvrit un marché pour les peaux de
céphalophes qui étaient lannées sur place et
expédiées en France pour faire les manteaux et des peaux de
chamois. L'Afrique Equatoriale Française (AEF) exporta en 1937 un
tonnage de peaux de céphalophes équivalent à 800 000
animaux. Après la seconde guerre mondiale une demande forte de peaux
brutes s'établit ».
En revanche, les populations locales recevaient des
marchandises de plusieurs variétés. Ces marchandises
révèlent une continuité remarquable, signe que les
goûts et les exigences qualitatives des populations locales n'ont pas
varié de façon sensible. C'est le cas des tissus qui
étaient présents dans toutes les transactions et formaient la
base des opérations de troc au Gabon. Il s'agissait le plus souvent des
tissus de coton, vendus très chers en raison de la forte demande locale.
En second lieu, entre 5 et 20% de la valeur des importations, venaient des
produits aussi importants pour le troc. Il y avait les alcools d'origine
américaine ou française, les tabacs américains, les fusils
et les cuivreries, formées surtout de chaudrons en cuivre. Parmi les
divers, qui formaient l'accessoire et dont le taux pouvait être
très élevé, on trouvait des marchandises les plus
variées dont certaines formaient au Gabon des objets de luxe très
recherchés et constituaient des signes de richesse. C'est le cas des
miroirs, des boucles d'oreille en cuivre doré et les coffres. Le luxe
remplaçait la nécessité. Ambouroue Avaro23(*) mentionne
qu' « en échange les Cama reçoivent :
l'alugu ( eau de vie de traite ), du tabac, des fusils, des parfums, des
bonnets rouges et noirs, des souliers, des perles, des anneaux de fer et de
cuivre creux, des couvertures, des coffres, des miroirs de
Hambourg ».
En sommes, le commerce de l'Estuaire était un commerce
bien pensé. Il profitait aux colons qui jouissaient de l'ignorance des
populations locales. L'analyse première de ce commerce nous permet de
dégager trois éléments en rapport avec notre objet
d'étude. Nous avons dans un premier temps, l'activité
cynégétique (à travers les éléments
corporels des animaux chassés que les européens exportaient),
dans un second temps, l'exploitation du bois facilitant ainsi la maîtrise
de la forêt, en troisième lieu, les fusils reçus par les
populations locales. Les européens introduisaient volontairement les
fusils dans les produits qu'ils échangeaient afin d'entretenir
l'activité cynégétique.
1 - 1 - 2 L'introduction de la monnaie
Le commerce de l'Estuaire se faisait le plus souvent sous les
formes les plus traditionnelles du troc (échange de marchandises de
traite contre les produits locaux). La connaissance de la monnaie viendra avec
le temps. Certes, la présence du comptoir français avait
contribué à la circulation d'une certaine masse monétaire.
En réalité, les monnaies dont les Mpongwe avaient connaissance
ont d'abord été d'origine espagnole. Ce sont les doublons,
pièces d'or introduites à l'époque de la traite
négrière et entrées dans la langue mpongwe sous la forme
de « dobilo ». Puis, après la création
du Fort Aumale et les dépenses faites sur place par les agents du poste
et les équipages français, ce fut le tour du franc dont plusieurs
témoignages soulignent l'usage croissant.
A partir de 1840 environ, l'offre des marchandises
européennes était devenue plus diversifiée sinon plus
abondante et, pour garder leur liberté de choix, les courtiers avaient
de plus en plus tendance à réclamer des troqueurs le payement en
argent et non en marchandises. Enfin, en 1854 et 1863, les agents du comptoir
rappelaient encore aux troqueurs la nécessité d'apporter une
certaine quantité d'argent, car les courtiers indigènes ne
cessaient d'en demander. Mais le principal obstacle à la circulation et
à la diffusion du monéraire ne venait pas tant des Mpongwe que
les traitants européens pour qui l'échange direct restait de loin
le mode le plus rémunérateur. L'envie d'utiliser la monnaie
était ressentit partout et par tous. La monnaie devenait donc une
nécessité dans les échanges. Au fil du temps, les
populations locales, avec l'introduction des produits et de la monnaie
européens, perdaient leurs habitudes au détriment des habitudes
européennes. La valeur marchande gagnait le quotidien de ces
populations. Le passage du mode de vie traditionnel au mode de vie moderne est
entrain d'être amorcé.
Ainsi, la présence de nouveaux contextes
socioculturels va placer, en effet, les populations dans une
société de marché où le commerce est
économiquement rentable. Il sera ainsi pratiqué tout azimut, et
aucun produit ne sera épargné, encore moins le gibier,
particulièrement en milieu urbain. Dans le chapitre suivant, nous
étudierons l'ampleur de ce commerce actuellement.
Chapitre II : Le circuit
actuel
Dans les sociétés traditionnelles d'Afrique en
général et au Gabon en particulier, la faune sauvage
était, pratiquement et de tout temps, la seule source de protéine
animale. Son exploitation était strictement réglementée
par une série d'interdits et une organisation complexe. En effet,
certains gibiers n'étaient pas chassés, d'autres étaient
interdits à certaines catégories de la population notamment les
femmes et les enfants à bas âges, ou réservés aux
initiés. Ces interdits traditionnels découlaient de la
nécessité de conserver un garde manger bien rempli et
était aussi reliés aux croyances et pratiques médico-
magiques.
De nos jours, l'exploitation de cette faune a pris une
vitesse qui inquiète les pouvoirs publics. Il est facile de constater la
raréfaction de la faune sauvage dans nos forêts. Plusieurs raisons
expliquent cette situation déplorable. De manière brève,
nous dirons que la sédentarisation des populations, l'urbanisation, la
monétarisation de l'économie, les raisons socioéconomiques
et culturelles font vivre ce phénomène sous sa forme actuelle. La
faune est un produit commercialisable et rentable. Son commerce, mal
cerné, est un secteur qui génère de l'emploi à une
certaine couche sociale. L'émergence d'un nouveau marché
notamment les milieux urbains et les circuits commerciaux modernes, comme les
besoins nouveaux résultant de l'intégration des pays d'Afrique
dans la société de consommation globale, ont
accéléré cette tendance. De ce commerce, une certaine
classification va s'opérer. Nous aurons donc une société
nouvelle de chasseurs, de bayames et de consommateurs. De cette
catégorisation, nous voyons effectivement qu'il y a des transactions
financières qui s'opèrent à tous les niveaux. Dans les
lignes qui suivent, nous tenterons de bien vouloir faire distinguer cette
classification.
2 - 1 Le circuit de production
Les individus humains font leur vie sociale, leur histoire et
l'histoire générale. Mais ils ne font pas l'histoire dans les
conditions choisies par eux, déterminées par un décret de
leur volonté. Dans son action, tout en modifiant la nature et le monde
qui l'environnent, l'individu subit des conditions qu'il n'a pas
créé. Par leur activité même, les individus humains
entrent dans les rapports déterminés, qui sont des rapports
sociaux. Les rapports fondamentaux pour toute société sont les
rapports avec la nature. Pour l'homme, le rapport avec la nature est
fondamental, non parce qu'il reste un être de la nature, mais au
contraire parce qu'il lutte contre la nature. Au cours de cette lutte, mais
dans les conditions naturelles, il arrache à la nature ce qu'il faut
pour entretenir sa vie et dépasser la vie simplement naturelle. Les
relations fondamentales de toute société humaine sont les
rapports de production.
L'objectif de cette partie est d'expliquer voire
démontrer le circuit productif du gibier proposé au consommateur.
Cette production va donc se faire à deux niveaux et ces niveaux
constituent justement deux étapes du travail. Ces deux étapes
font intervenir deux types d'agents économiques. Nous avons d'un
côté les chasseurs, de l'autre les bayames. Ainsi, le gibier
chassé sera proposé sur le marché par les bayames. Les
rapports de production révèlent à l'analyse faite plus
haut trois facteurs ou éléments. Nous avons les conditions
naturelles, les techniques, l'organisation et la division du travail social. Il
est évident que la structure d'une société,
l'activité des individus qui la constituent, leur distribution, leurs
situations réciproques, ne peuvent se comprendre si l'on ne commence pas
par cette analyse. Ces trois éléments constituent ce que le
marxisme nomme les forces productives.
En introduisant le concept de spécialisation, nous
constatons qu'à chaque agent économique correspond un mode de
production et des moyens matériels et techniques spécifiques. En
d'autres termes, il y a des forces productives. Par division du travail, on
désigne le fait que les individus ou les groupes se spécialisent
dans certaines activités complémentaires les unes des autres. Et
la spécialisation constitue, rappelons-le, l'une des
particularités des sociétés de marché partant de
son économie. Certains analystes considèrent que la division du
travail tend à conférer aux individus sujets d'un groupement de
tâches particulières un véritable statut social.
Toutefois, il faut préciser la relation établie
entre la tâche de l'ouvrier et la nature des outillages sur lesquels
cette tâche est réalisée si l'on veut percevoir
correctement les modifications qualitatives introduites dans la division du
travail, en dépit de la référence au statut. Nous
constaterons tout au long de cette partie que la spécialisation des
travailleurs dont nous parlons tient beaucoup plus au genre. La distinction des
genres s'accompagne d'une division dite sexuelle du travail. En effet, la
chasse est une activité masculine et la vente du gibier chassé
constitue une activité féminine. Dans les lignes qui suivent,
nous tenterons d'explorer ces deux étapes de la production qui
correspondent en même temps aux niveaux de catégorisation sociale.
La tâche nous reviendra d'étudier aussi d'autres
éléments pouvant concourir à cette production.
2 - 2 - 1 La chasse
La chasse constitue l'une des plus vieilles activités
que l'homme a exercé depuis la nuit des temps. De nos jours, elle prend
des allures beaucoup plus intensives, avec des moyens matériels
favorisés par les progrès techniques et une
réglementation spécifique à l'activité
exercée.
Ainsi, avec le développement de l'économie
monétarisée et l'ouverture des sociétés
traditionnelles sur la société de consommation, la
nécessité de produire des marchandises vendables et la
nécessité de se procurer (en échange de ces marchandises)
des ressources monétaires, se fait de plus en plus sentir. Dans ce
contexte, qu'est-ce que l'habitant du milieu rural a à vendre ? Du
gibier, des poissons, des productions agricoles ou des produits de cueillette.
Parmi ces productions, quelle est l'activité qui demande le moins
d'investissement, qui est la moins difficile à mener et qui rapporte le
plus rapidement toute l'année ? C'est la chasse.
Catégorisation
Nous allons vous présenter ici les quelques
catégories de chasseurs que l'on peut rencontrer dans ce commerce.
Primo, lorsque les jeunes hommes, après leurs études, ne trouvent
pas de débouchés en ville ou ne peuvent prétendre à
un emploi dans une société de la place, ils rentrent au village
et se mettent à chasser. Cela explique en partie l'expansion de cette
activité et le fait que les élites économiques et
politiques des villes disposent des finances nécessaires pour investir
dans la chasse commerciale, trouvent dans les villages un terrain favorable.
La deuxième catégorie de chasseurs est celle
des personnes ayant déjà exercé dans une entreprise
quelconque. La personne est soit retraitée soit licenciée de
cette entreprise. Ce cas précis trouve son origine dans la
restructuration des entreprises. C'est la situation que nous vivons maintenant
au Gabon. En effet, depuis la dévaluation, l'Etat gabonais a
tenté de privatiser ses sociétés. Et les premières
victimes de cette situation étaient les chefs de ménage. Ils se
sont retrouvés ainsi sans emploi et sans source de revenus.
L'autre catégorie que nous pouvons rencontrer est
celle des expatriés. Ce passage nous permet de faire un bref rappel sur
ce qui avait déjà été dit sur ces derniers. Ceci
pour dire que les villes gabonaises sont un brassage des populations rurales et
des populations étrangères. Ces dernières viennent au
Gabon pour des raisons socio-économiques entre autres la recherche d'un
emploi afin de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs
parents. Gagnées par le désespoir, elles se déverseront
dans la forêt pour pratiquer la chasse. La population des chasseurs va
ainsi `augmenter du jour au jour.
Nous avons identifié plus haut les différentes
catégories de chasseurs qui exploitent la faune gabonaise. Nous pouvons
avoir d'autres regroupements. Dans ces campements et villages, il y a des
chasseurs que nous pouvons qualifier d'indépendants, qui vivent de leurs
propres produits. Et les moyens matériels qu'ils utilisent sont leur
propriété. Parmi ces moyens matériels, nous avons le fusil
de calibre. Les données du Ministère en charge de la faune nous
rappellent que quand on est propriétaire d'une arme de chasse,
inévitablement il y a une redevance à payer auprès de
ladite administration. Est-ce que cela est le cas pour ces chasseurs
indépendants ?
Le deuxième type de chasseurs est constitué de
personnes au service de cadres, de fonctionnaires ou autres personnes hautement
placées ou non qui arment les chasseurs. Donc, ils les recrutent, les
utilisent, leur donnent armes, munitions, lampes tempêtes et autres. Et
ils sont approvisionnés toutes les semaines en denrées
alimentaires. En contre partie, ils envoient toutes les semaines du gibier
à leurs patrons. Les chasseurs que nous avons rencontré nous
disent recevoir deux fois par semaine la visite de leurs employeurs. Il faut
tout de même souligner que ces derniers sont en majorité des
Gabonais. La question que l'on peut se poser est celle de savoir si leurs
employeurs payent les taxes sur les permis de chasse et de port d'arme ?
Il nous sera difficile d'y répondre car le terrain ne nous a pas permis
de rencontrer les employeurs des chasseurs qui nous ont renseigné sur
cette situation. Ils ignorent tous si leurs patrons sont en règle avec
l'administration. Dans ce type de chasseurs, il y a effectivement des rapports
que nous faisons ressortir. Rappelons que les rapports de production sont des
relations qui s'établissent entre catégories ou classes sociales
en fonction de leur accès respectif aux forces productives et à
leur contrôle. Nous pouvons assimiler ces rapports de production à
ceux de Marx notamment son mode de production capitaliste faisant intervenir
les bourgeois et les prolétaires. Mais, à la place de ces deux
concepts, nous parlerons plutôt d'employeurs et d'employés.
Le dernier regroupement que l'on peut faire ne nous a pas
parut simple au début des travaux. C'est avec le concours d'Ondo
Edou24(*) qu'il est devenu
plus clair. Ses informations nous ont permis d'ajouter à la liste des
catégories de chasseurs que nous avions au préalable d'autres
chasseurs. Ainsi, parmi les chasseurs que nous pouvons rencontrer, il y a ceux
qui associent le fusil aux pièges mais chassant le jour. Il y a
également des chasseurs qui associent le fusil aux pièges mais
chassant la nuit (chasse au fusil). C'est le cas d'Ondo Ndong Ferdinand qui
associait à son fusil ses 60 pièges. Nous avons aussi des
chasseurs qui n'ont que des pièges. Ondo Edou, par exemple,
déclare avoir plus de 150 pièges. Ces chasseurs nous affirment
qu'ils font la visite de leurs pièges chaque deux jours, sinon certains
gibiers se dégraderont. La dernière catégorie est celle
des chasseurs qui n'ont que le calibre et chassant le jour ou la nuit.
L'activité
cynégétique
Par ailleurs, la viande de brousse contribue
significativement aux moyens d'existence des populations rurales notamment les
chasseurs, généralement pauvres. En effet, elle constitue une
source de revenus financiers pour les chasseurs. Nous tenons à faire
remarquer que le chasseur appartient déjà entièrement
à une économie monétaire et est animé du
désir de maximiser ses profits matériels. Il a plus tendance
à se comporter comme un prédateur et à exploiter au
maximum les ressources fauniques. Nous tenterons d'étudier certains
chiffres d'affaire qui peuvent ressortir de ce commerce et si possible les prix
fixés par les chasseurs à leurs clients.
L'objectif de ce point est de faire ressortir les faits
marquant de cette activité notamment le professionnalisme, le lieu de la
chasse et si possible les techniques de chasse.
Le professionnalisme
Photos 1 et 2 : les gibiers
chassés (cliché Georgin Mbeng Ndemezogo) novembre 2005
Les images plus haut nous présentent du gibier
chassé par un chasseur professionnel de Mbel. Elles ont
été prises pendant que le chasseur marchandait son gibier avec
ses clients. La chasse a donné quatre crocodiles à nugue cuir,
trois athérures (porcs épics), un céphalophe bleu
(gazelle), deux cercocèbes noir (singes) et un varan. Sur ces photos
nous n'avons qu'un singe. Elles présentent deux clients
différents. C'est le troisième qui paya le deuxième singe
et ne voulu pas qu'on prenne en photo son singe. L'un des objectifs de ces
photos était de faire ressortir la production du gibier après une
partie de chasse et de savoir par la suite le chiffe d'affaire qu'un chasseur
pourrait avoir après la vente de son produit. Ce détail nous sera
fournit par le tableau ci-après :
Espèces
|
Nombre
|
Prix unitaire
|
Totaux
|
Crocodiles
|
4
|
5500
|
22000
|
Athérures
|
3
|
5000
|
15000
|
Céphalophe bleu
|
1
|
4000
|
4000
|
Cercocébes noir
|
2
|
6000
|
12000
|
Varan
|
1
|
4000
|
4000
|
Totaux
|
11
|
24500
|
57000
|
Tableau 1 : Chiffre d'affaire d'un chasseur
Source : Georgin Mbeng Ndemezogo
Ce tableau fait ressortir le gain d'un chasseur. Nous parlons
ici en termes d'estimation. Le chiffre d'affaire est changeant en fonction de
la grosseur des espèces, de leur état bon ou
dégradé et bien d'autres paramètres. La colonne des prix
représente les montants communément usités par les
chasseurs. C'est un choix car les chasseurs ne nous révèlent
jamais leurs chiffres d'affaire. Nous avons ceux-ci par le canal de l'une des
bayames. L'application est ainsi faite sur ce chasseur dont le gain,
après sa chasse, nous est donné par le tableau 1. De fait, la
marge bénéficiaire est presque équivalente au chiffre
d'affaire. Le retour sur investissement est immédiat (pas besoin
d'attendre plusieurs années pour amortir) et les flux monétaires
générés sont très réguliers. Il faut
souligner que l'investissement dont nous parlons ici est avant tout celui de
l'achat du matériel (cartouches, câbles métalliques...),
avant de subvenir à ses besoins. De par les chiffres, nous pouvons
penser ce commerce rentable, avec des gains faciles.
La chasse comme profession est celle qui ravitaille les
populations extérieures aux zones de production. Elle est pensée,
pour les populations rurales notamment les chasseurs, comme un métier au
même titre que ceux connus par tous. Nous allons comprendre le concept de
profession comme une occupation. Et pour les chasseurs, l'activité
qu'ils pratiquent en constitue une. C'est elle qu'ils exercent toute la semaine
durant. Et cela a évidemment un impact considérable sur la faune
et sur l'écosystème. Cela démontre justement les limites
de l'industrialisation gabonaise qui se vit dans les capitales politique et
économique du Gabon au détriment des autres capitales
provinciales. L'autre revers est même étant industrialisées
comme elles le sont, ces villes n'embauchent pas mais licencient. Nous avons
donc une double conséquence de manque d'emplois et de licenciement. Nous
savons bien qu'au Gabon, on travaille cinq jours sur six donc la personne ou
l'employé n'aura qu'un jour libre pour la chasse. De cette façon
la fréquence de chasse sera réduite. D'autre part, embaucher le
plus grand nombre revient à réduire l'effectif plus que croissant
de nos jours des chasseurs. Cela pourra également ramener à la
baisse l'effectif des chasseurs. Or, l'activité des chasseurs
s'étale sur six jours.
Les lieux de chasse
Autre situation que nous allons étudier dans les lignes
qui suivent est celle du lieu de chasse. Force est de constater que le lieu de
chasse s'éloigne du village ou du campement. L'excursion en forêt
effectuée à Mbel pourra nous servir d'exemple dans ce cas
précis. Nous dirons que les pièges de notre chasseur
étaient à 4 km du village. Nous avons même rencontré
lors de nos enquêtes dans ce village un autre chasseur qui dit avoir un
campement à 7 km du village et ses pièges étaient à
3 km de son campement. Donc ses pièges étaient à 10 km du
village. Les animaux semblent s'éloigner du village et ce pour plusieurs
raisons que nous tenterons d'étudier dans cette étude.
Carte 3 : Diffusion de l'effort de
chasse
Si on retient le niveau des prix et les volumes
commercialisés sur les marchés publics comme indicateurs, les
zones de plus forte pression cynégétique peuvent être
identifiées comme étant localisées autour des grandes
villes (Libreville et Port-Gentil, surtout, mais aussi Franceville et Oyem) et
des principaux chantiers forestiers (et des mines d'or et de diamant), ainsi
que le long du Transgabonais. La carte N°3 montre la répartition
géographique de ces zones, qui se signalent par l'éloignement des
terroirs encore favorables à la chasse pour un butin de plus en plus
maigre. Cette carte montre que la pression cynégétique est
concentrée dans la zone côtière qui présente la plus
forte demande et offre les meilleurs prix, ainsi qu'autour des chantiers
forestiers et des voies de communication qui desservent cette zone. Elle est
plus diffuse sur le reste du territoire. A partir de la carte, nous avons une
idée de l'influence de la chasse sur la faune gabonaise, une idée
des zones pourvoyeuses et les moyens qui facilitent l'accès à
cette faune.
Les techniques de chasse
Cette carte nous introduit d'une manière ou d'une autre
dans les techniques de chasse utilisées par les chasseurs. Afin
d'apprécier la dynamique de ces techniques de chasse, nous ferrons une
étude évolutive voire diachronique de celles-ci.
Il faut souligner que les sociétés
traditionnelles avaient plusieurs techniques mais le piège est la seule
technique de chasse qui prenait plus de temps. Et étudier les techniques
de piège dans la forêt équatoriale, revient à passer
en revue les différentes sortes de savoir-faire existant dans cette
région. L'abondance et la variété de la faune le laissent
d'ailleurs supposer, car les pièges n'épousent que les gibiers.
Ils s'adaptent à leurs morphologies et à leurs habitudes tout en
tenant compte des conditions ambiantes. Dans son propos, Ndong Edzang25(*) va démontrer que les
ntumu connaissaient les frappes, les fosses, les filets, les nasses, les
leurres, les gluaux, les appeaux, les hameçons et les poisons. Leur
panoplie est si riche que l'on pourrait penser que les ntumu ont le mieux
côtoyé avec les pygmées pour maîtriser toutes les
techniques de piège qui sont au rendez-vous dans ce biotope.
Bahuchet26(*) dira dans
ses écrits sur les pygmées, plus que toute autre activité,
que la chasse repose sur les connaissances et le savoir-faire des hommes baka,
par la simplicité des moyens mis en oeuvre : une sagaie, parfois
une arbalète, un chien. Mais en les combinant avec des tactiques
diverses, on réalise des types de chasse différents qui
mènent à la capture de gibiers variés. Les baka
n'utilisent en effet aucune sorte de filet.
La mise au point des diverses techniques de piège
requiert des matériaux, des sources d'énergie et des
connaissances. Elles n'ont pas pu s'acquérir et se perfectionner qu'au
prix de nombreuses observations et de nombreux tâtonnements. Elles
étaient à la fois la résultante des éléments
naturels, fournis par les écosystèmes, des capacités
inventives des populations et leurs représentations culturelles. C'est
l'apparition de l'agriculture, qui est certainement pour corollaire la
sédentarisation, qui a entraîné une prolifération
des techniques individuelles. Effectivement, pour protéger les cultures
des déprédateurs, « les hommes, nous dit
J. Vansina, cité par Bongoatsi-Eckata Wilfried, s'occupaient
à construire enceinte solide ou un système de pièges
autour du champ pour prévenir la déprédation par les
animaux sauvages »27(*), et l'animal pris au piège est la
propriété individuelle. Outre la protection des champs, le
développement des techniques individuelles permet au chasseur de jouir
pleinement du produit de la chasse mais également de se libérer
des techniques collectives, sommes toutes contraignantes et qui d'une
manière intermittente demandent la coopération des chasseurs. La
technique du piégeage sera récupérée et
associée au fusil à chasse pour surexploiter la faune.
Photo 3 : calibre semi-
automatique (cinq coups), Maverick modèle 88 (cliché Georgin
Mbeng Ndemezogo) novembre 2005
L'image ci-dessus nous présente un fusil de chasse,
Maverick modèle 88, communément appelé fusil à
pompe. La capacité de ce calibre est de cinq (5) coups ou cartouches.
L'objectif de cette photo est double. Le premier démontre le
progrès des armes de chasse que l'on utilise en ce moment. Cela
démontre aussi du progrès des sociétés. Nous
laissons les lances, les flèches, les filets au détriment de ces
armes modernes. Le second objectif explique le fait migratoire. D'aucuns
postulent la disparition des espèces et attribuent celle-ci à la
surexploitation de ces espèces. Nous partageons cet avis, car un animal
de tuer est un animal de moins et de disparu, c'est-à-dire qu'on ne le
reverra plus. L'explication que nous donnons pourrait également
signifier qu'il est allé loin du lieu habituel et devient rare. Nous
tentons d'expliquer ici le fait migratoire de ces espèces. Le
déplacement des animaux est causé par le bruit produit par les
coups de fusils répétés des chasseurs. Et s'il se trouve
que cette chasse est pratiquée près des chantiers forestiers, la
migration sera accentuée. Mais certains animaux seront plus ou moins
abattus. En effet, ce n'est pas tous les animaux qui fuiront le bruit produit.
Cette situation est valable pour tous les êtres vivants quand leurs
biotopes respectifs se trouvent perturbés. Les animaux se
déplacent quand ils sentent la menace. Et pour eux le bruit est l'une
des menaces qui pourra les amener à migrer vers d'autres horizons.
En outre, l'observation que nous avons fait dans le village
de Mbel peut être vérifiée dans plusieurs villages
gabonais. En effet, un fusil de chasse peut être utilisé par
plusieurs chasseurs du village. Son usage est alternatif, c'est-à-dire
est fonction du repos de l'un des chasseurs et ce au repos du chasseur
propriétaire de l'arme. Nous avons également constaté lors
de nos investigations que plusieurs de ces armes ne sont pas
enregistrées. Elles ne sont pas déclarées au service
habilité à le faire. De ce fait, elles ne sont pas connues du
ministère de tutelle. Il est important de faire l'inventaire des armes
à feu qui se retrouvent sur le territoire national afin d'assurer non
seulement la sécurité des uns et des autres et contrôler
l'information sur les armes qui franchissent le territoire.
Photo 4 et 5 : techniques de
pièges (cliché Georgin Mbeng Ndemezogo) novembre 2005
Ces photos présentent deux techniques de pièges.
Sur la première (celle de gauche), nous pouvons observer le type
piège que le fang appelle « olam
ébén ». C'est un type de piège constitué
d'un trou, des bâtonnets, d'un câble métallique et d'un
piquet. Le trou consiste à maintenir les bâtonnets qui soutiennent
le déclencheur et le tout est recouvert de feuilles mortes qui cachent
la vigilance des animaux. La photo 9 en annexes nous montre la forme que prend
ce piège après le montage. L'autre spécificité se
trouve sur le fait que ces pièges sont isolés et
éparpillés dans la forêt.
L'autre technique de pièges,
appelé « ossap » ou « awoura
ding » en fang, a la particularité d'aligner les
pièges. Cette particularité fait qu'on les appelle pièges
à barrage. Sur la photo de droite, le chasseur obstruit le passage des
animaux et va les contraindre à emprunter le passage qu'il va leur
créer. Un passage qui les conduit directement au câble
métallique. Les éléments constituants le barrage sont de
nature diverse mais provenant toujours de l'environnement immédiat de
l'homme. Notre chasseur a utilisé les tôles pour son barrage qui
sont des matériaux modernes. Sur cette photo, le chasseur remet le
piège qui n'a pas pu prendre un animal.
Ce sont là les deux techniques de pièges que
nous avons rencontré. Le nombre de ces pièges varie selon les
chasseurs. D'aucuns auront moins de cent pièges, et d'autres iront
au-delà de ce chiffre, si possible atteindre quatre cents ou cinq cents
pièges. Le rapport des chasseurs est le même. En effet, la visite
des pièges se fait chaque deux jours. L'écart de trois jours est
possible mais pas souvent conseillé car il facilite la
dégradation du gibier. Et nous avons constaté que les chasseurs
qui ont moins de cent pièges sont physiquement diminués et vis
versa. Il faut souligner que la visite des pièges nécessite des
efforts physiques considérables et surtout quand elle est faite chaque
deux jours. Le gain est ainsi fonction du nombre de pièges. Les chiffres
que nous avons donnés plus haut font ressortir l'esprit d'abondance qui
habite les chasseurs. Nous sommes frappés par la dictature de la
quantité. Et les différentes techniques de chasse
développées à cet effet sont donc contextuelles. Pourquoi
produire en quantité ? En nous posant cette question, nous
soulevons ici le problème de la cherté du coût de la vie.
Cette situation, associée à l'effort de chasse, amène
peut-être les chasseurs à fixer les prix que nous retrouvons sur
le marché. Au regard de tout ceci, nous pouvons donc confirmer l'aspect
professionnel de cette activité. Elle regorge même une
réglementation que les chasseurs respectent avec rigueur afin que
l'activité leur soit profitable. Nous aurons donc une fréquence
des visites des pièges estimée entre deux et trois fois par
semaine.
2 - 2 - 2 Les bayames
Selon Mba Ndzeng Ludovic28(*), le terme « Bayame » qui est une
contraction du pidjin « Bayam Salam », vient de l'anglais
« To buy » et « to sell »,
« acheter » et « vendre ». Dans le
contexte qui est le nôtre, le terme Bayame désigne un groupe de
femmes spécialisées dans l'achat et la vente du gibier ou de tout
autre produit de collecte. Mais nous nous intéresserons à celles
qui achètent et vendent surtout du gibier. La femme qui se
spécialise dans la vente du gibier au marché ou au restaurant se
considère comme une commerçante de gibier. C'est avec elle que le
consommateur se procure de la viande de brousse. C'est une activité
uniquement féminine. Elle est pratiquée par les Gabonaises, les
Camerounaises et les Equato- guinéennes. Les premières
citées sont majoritaires.
L'observation générale faite sur ces femmes fait
ressortir trois éléments majeurs. Nous pouvons retrouver des
femmes qui ont une qualification mais n'ont pas trouvé du travail
après les études professionnelles. Nous avons également
des femmes qui ont servi dans plusieurs entreprises mais se retrouvent chez
elles pour cause de licenciement ou de retraite. La dernière tranche est
celles qui n'ont pas de qualification. Nous constatons, à partir de
cette catégorisation des femmes, que les raisons socio-
économiques qui poussent les populations rurales à pratiquer la
chasse à des fins commerciales sont les mêmes qui amènent
ces femmes à faire de la vente du gibier chassé une
activité lucrative. Dans une certaine mesure, elles sont
considérées comme consommateurs parce qu'elles achètent de
la viande de brousse auprès des chasseurs (directement ou
indirectement).
Dans une autre optique, elles sont productrices car elles
transforment le produit qu'elles achètent. Elles utilisent les moyens
matériels et techniques que les chasseurs n'utilisent pas. Et elles
proposent à la fin quelque chose de différent sur le
marché. Ce dernier va donc s'identifier de deux manières :
il y a des femmes qui vendent du gibier cru, et d'autres le vendent cuit. Le
gibier cru est vendu dans plusieurs marchés de la place. Les plus
reconnus sont Oloumi, Mont Bouét et d'autres petits marchés qui
naissent ici et là. Le gibier cuit est vendu dans les restaurants.
Soulignons tout de même que les bayames des restaurants prennent le plus
souvent leur gibier dans les marchés reconnus, auprès de leurs
« abonnées ». Soulignons aussi que les restaurants
que nous avons visités sont ceux que nous retrouvons dans les quartiers
et que nous qualifions de « petits restaurants ».
Les marchés de Mont Bouét et
d'Oloumi
Nous titrons cette partie ainsi parce que
nous voulons apporter une distinction entre les bayames que l'on retrouve dans
les marchés tel que Mont Bouét et les bayames que l'on retrouve
dans les restaurants. Cette même distinction va à l'égard
du gibier cru fournit par les bayames des marchés et du gibier cuit
fournit par les bayames des restaurants.
De prime abord, les femmes que nous retrouvons dans les
marchés cités plus haut considèrent la vente du gibier
comme une profession. Elles partent de chez elles tôt le matin et sont de
retour tard le soir, à la fermeture de ces marchés, et ce pendant
les jours ouvrables. Pour l'une d'elles, il n'y a pas de différence
entre le bureaucrate et elle. Et le gibier vendu dans ces marchés est de
deux sortes : fumé et non fumé. Mais la clientèle
penche plus pour le non fumé. Cela n'empêche pas à d'autres
personnes de le prendre fumé. Deux types de clients peuvent donc
s'identifier à partir de là. Pour aboutir à ces deux
variétés de produits, plusieurs techniques sont usitées.
La technique du fumage est une technique de conservation qui permet de contenir
longuement la viande. C'est le cas de l'éléphant qui est
préféré fumer que du contraire. Un gibier, pour
éviter qu'il ne se dégrade très rapidement, peut
être aussi fumé. La viande de brousse est ainsi fumée par
les bayames elles-mêmes.
L'activité exercée par ces femmes fait
également appel à la sous-traitance. En effet, la pratique
du « brûler », concept usité dans ce
contexte, est l'oeuvre d'une catégorie de personnes notamment
Nigérians, quelques Gabonais et Gabonaises.
Le « brûler » consiste à défaire
l'animal de son pelage avec du feu. Et les spécialistes de cette
activité sont appelés « brûleurs ».
C'est l'étape qui précède le découpage de la viande
en morceau et la mise en tas. C'est également l'étape qui
précède le fumage. Soulignons aussi que ce ne sont pas tous les
gibiers qui sont « brûlés ». C'est le cas des
athérures (porcs épics), des renards, des chats huant...Les
animaux « brûlés » sont
généralement découpés.
L'autre activité sous-traitante est celle de la
conservation du gibier dans des congélateurs. Au marché de Mont
Bouét nous avons constaté que c'était l'activité
d'un Nigérian, jouant à la fois le rôle de conservateur (en
tant que propriétaire des congélateurs) et de gardien, et se
retrouve parfois avec un montant hebdomadaire de 150 000 F CFA quand le
marché ne paye pas. Parler de sous-traitance est aussi une façon
pour nous de présenter les charges des bayames. Ajouter à cela
les taxes (droit de place pour les femmes de Mont Bouét et le droit de
location pour celles d'Oloumi).
Nombreux sont les facteurs qui participent de la fixation du
prix de la viande de brousse au marché. Nous avons, en effet, les
espèces, la taille de l'animal, la demande, la période du mois,
si l'animal est vivant ou mort, le prix du transport, etc. A Libreville, par
exemple, la viande de brousse n'a pas de prix fixe et son prix n'est pas
déterminé par son poids. Certains petits animaux (rat palmiste,
tortue...) sont vendus en entier et les autres (gros ou moyens) sont
coupés en morceaux. Les crocodiles, tortues et le pangolin à
écailles tricuspides sont souvent exposés vivants.
Illustrer ces propos a été l'une des
idées que nous avons eut et jugé nécessaire. Le tableau
ci-dessous éclairera notre lanterne sur les prix qui sont fixés
dans les marchés. Les données qui s'y trouvent proviennent du
marché de Mont Bouét.
Espèces
|
Tas/F CFA
|
Gigot/F CFA
|
Entier/F CFA
|
Céphalophe à ventre blanc (Antilope)
|
1000
|
4000
|
20000
|
Céphalophe bleu (Gazelle)
|
1000
|
1500
|
6000
|
Athérure (Porc épic)
|
1000
|
|
9000
|
Singe
|
1000
|
|
10000
|
Pangolin à longue queue
|
1000
|
|
6000
|
Pangolin géant
|
1000
|
15000
|
60000
|
Potamochère (Sanglier)
|
1000
|
20000
|
120000
|
Boa
|
1000
|
3000
|
60000
|
Crocodile
|
1000
|
|
12000
|
Renard
|
1000
|
|
6000
|
Chat huant
|
1000
|
|
6000
|
Eléphant
|
1000
|
|
|
Mandrill
|
1000
|
8000
|
|
Chevrotain aquatique
|
1000
|
3500
|
12000
|
Tableau 2 : Prix du gibier au marché
Source : Georgin Mbeng Ndemezogo
Le tableau présente les prix des espèces en
tas, en gigot et en entier. La fixation du prix est importante car ce prix doit
être apprécié par le client. Les clients ont effectivement
une préférence pour les tas car ils sont faits à moindre
coût. Nous pensons que la fixation des prix d'espèces en tas, en
gigot ou en entier est une technique commerciale qui permet aux bayames de
cerner toutes les couches et les préférences des clients. Selon
le principe du prix du gros (colonne 3), les animaux les plus consommés
sont ceux dont les montants sont inférieurs à 10 000F CFA, car
ils sont à la portée de la grande majorité. Nous
constatons que la disposition du gibier en tas facilite aussi
l'écoulement du produit sur le marché. Le produit est ainsi
à la portée de presque tous. Le contraire de cette situation
amènerait les populations urbaines à ne pas consommer la viande
de brousse. Nous pouvons donc considérer cette disposition en tas comme
une technique commerciale qui permet aux bayames de bien profiter de leur
activité.
Mentionnons aussi que le tas ainsi disposé est fonction
de l'entendement de la commerçante. En effet, cette dernière ne
fait pas usage d'une balance afin de mesurer le poids du tas qu'elle dispose.
Pour les bayames, la balance ne leur avantage pas. Elles sont perdantes en
l'utilisant. Même là, en l'utilisant, il est évident que le
montant de 1000F CFA sera fixé à la hausse. Elles risqueront
d'avoir ce qu'elles appellent l' « embaumé »,
c'est-à-dire la mévente ou passer des journées sans
clients. Il faut faire remarquer que même le montant de 1000F CFA est de
fois débattu. Mais ceci quand le client prend par exemple deux tas. Une
réduction lui sera fait pour une circonstance quelconque. A
défaut de prendre les deux tas à 2000F CFA, le client les prendra
à 1500F CFA. Ce cas est possible surtout en périodes difficiles.
Et ce cas a fait l'objet d'une expérience que nous avons vécu.
Nous nous sommes aussi interrogés sur le fait que tous
les tas étaient à 1000F CFA. Il nous a été dit que
c'est le prix le plus abordable et que tous les tas n'étaient pas
constitués de la même façon. Les animaux tués non
pas la même valeur. Le nombre de morceaux de viande que contient un tas
est fonction des périodes. Quand il n'y a pas de clients, le nombre va
à la hausse afin d'attirer les clients. Nous tenons également
à inscrire que la liste des espèces que nous avons sur ce tableau
n'est pas exhaustive. En partant de cette liste, nous constatons que sur 14
espèces recensées, il y a 9 espèces qui sont
protégées. Cela est la preuve d'un véritable
problème.
Le transport du gibier
Nous pouvons effectivement nous poser la question de savoir
comment ces femmes font pour se procurer le gibier qu'elles vendent ? Nous
tenons d'abord à rappeler que la chasse est faite par des personnes qui
dépendent d'autres ou non. Pour les chasseurs dépendants, il y a
forcément une personne qui ravitaille les bayames (toujours le
propriétaire du chasseur). Pour les chasseurs indépendants, leur
gibier est payé sur place (soit ils reçoivent la visite des
bayames ou les femmes du village achètent et viennent revendre en
ville). Il peut aussi arriver que le chasseur, travaillant avec la bayame,
envoi la marchandise sous forme de colis ou se déplace lui-même.
Les bayames se ravitaillent le mercredi et le samedi. Selon les sources
recueillies sur le terrain trois voies sont possibles pour assurer le
ravitaillement en gibier. Il y a les voies terrestre, maritime et
ferrée qui facilitent la pénétration du gibier sur les
marchés de Libreville. Elisabeth A. Steel29(*) le démontre dans son
ouvrage plus que nous. Prenons par exemple la voie ferrée. En effet,
à chaque arrivée du train de la Sétrag à Owendo,
les femmes qui y descendent avec du gibier sont en majorité les femmes
des cheminots. Ce train transporte une grande quantité de viande de
brousse jusqu'à la gare d'Owendo plusieurs fois par semaine. Il est
facile d'observer les femmes qui amènent la viande de brousse sur
Libreville gagner les quais et les différentes stations du train
à l'intérieur du pays.
La prolifération des marchés de
viande de brousse
Il nous fallait montrer ce visage du phénomène
de la commercialisation du gibier. Il nous faut effectivement démontrer
que le phénomène semble échapper à la gestion
étatique. Le commerce du gibier prend de l'ampleur dans notre pays et
l'Etat éprouve d'énormes difficultés à le
résoudre. La récurrence des marchés de viande de brousse
nous amène à avancer une telle analyse.
Nous observons la naissance des marchés de viande de
brousse dans la capitale gabonaise à plusieurs endroits. Nous ne
reviendrons pas sur les causes de ceci. Nous tenons plutôt à
inscrire certaines observations sur ces marchés. Le premier
marché observé se trouve à la gare de train d'Owendo. Ce
marché a la particularité de recevoir du gibier mercredi et
samedi. Ces journées coïncident avec les jours de ravitaillement
des bayames. A chaque arrivée du train (mercredi et samedi) de la
Sétrag à la gare d'Owendo, les femmes qui y descendent avec du
gibier sont en majorité les femmes des cheminots. Ces femmes viennent
exposer leur produit dans ce marché et ont pour clients les populations
d'Owendo. C'est aussi dans ce marché que les bayames des marchés
viennent rencontrer leurs abonnées (livreurs).
Le second marché que nous avons observé est
celui du carrefour Rio. C'est un marché qui est en service à
partir de 16h jusqu'à une heure bien tardive de la nuit. Ce
marché a les mêmes horaires que le marché du carrefour
Nzeng Ayong. Ce sont en quelque sorte des nouveaux marchés de
proximité que nous avons observés jusqu'ici.
Les restaurants
L'activité commerciale du gibier se vit aussi dans
plusieurs de nos restaurants. Mais les restaurants dont nous ferrons
état ici sont ceux que nous retrouvons dans plusieurs quartiers de
Libreville. De par leur capacité, nous les qualifions de mini ou petits
restaurants. D'aucuns offrent deux services à savoir la restauration et
la boisson. Ce sont donc des bars/restaurants à une seule
propriétaire. D'autres offrent également les mêmes services
mais ayant des propriétaires différentes.
Ces femmes sont à un niveau considéré
comme des consommateurs car elles se ravitaillent dans les marchés
publics de la place. Elles sont des clientes des bayames des marchés. Le
ravitaillement se fait toujours auprès de l'abonnée du
marché. Elles vont à la suite proposer un produit nouvellement
transformé, avec des techniques propres au contexte. Les techniques de
l'art culinaire seront utilisées afin de proposer un produit qui sera
apprécié par la clientèle. La proposition d'un produit
cuit, cuisiné sera la particularité de ce type de bayames.
Certaines propriétaires de ces restaurants ont à leurs charges
plusieurs employés. C'est le cas d'Evourou Didine qui a à sa
charge huit (8) employés. « Chacun a une
spécialité et le salaire est justement en fonction de la
tâche que la personne occupe »30(*). Un travail d'entreprise avec
une répartition des tâches évidentes où tout travail
est rémunéré. Il nous revient de ce fait d'étudier
la rentabilité d'une telle structure.
La fixation des prix varie selon les bayames. Lors de notre
entretien, Evourou Didine nous pris un exemple simple. Elle nous déclara
que le nombre de clients est fonction du nombre de plats. Si une gazelle
produit cinq (5) plats, on a cinq (5) personnes qui sont passées. Il est
important de rappeler que cette veuve fait le plat à 4000F CFA. Par
contre Maman Marie faits les plats du porc épic et du sanglier à
2000F CFA, ceux de la gazelle, du singe et de l'antilope à 1500F CFA.
Plusieurs paramètres rentrent effectivement dans cette différence
de prix.
Photo 6 : le gibier du restaurant
(cliché Georgin Mbeng Ndemezogo)
Sur cette image, nous avons quatre marmites, mais deux
(ouvertes) vont attirer notre attention. Dans ces deux marmites nous avons
l'Athérure (porc épic) et le potamochère (sanglier) cuits.
Tout en constatant ce que ces marmites contiennent, il n'y a pas moins de trois
plats de chaque. Tout ceci appliqué aux prix de Maman Marie, nous avons
un chiffre d'affaire conséquent. C'est un bar/restaurant qui a deux
propriétaires respectives. Cette femme occupe la terrasse d'un bar. Et
c'est là qu'elle assure son service. L'objectif principal de cette femme
est de proposer aux clients un gibier cuit ou cuisiné. Placé en
plein centre-ville, sa clientèle est constituée des agents des
administrations publique et privée. Et il se pourrait que la
finalité soit la même dans la pratique de la chasse de
subsistance. En effet, à la fin, on veut manger de la viande
cuisinée. Nous n'oublions pas de rappeler que cette finalité est
beaucoup plus applicable en zone rurale. En zone urbaine, elle est objet
d'échange monétaire. Le service prend son effet à ce
niveau. Seule la périodicité de la clientèle constitue la
principale difficulté de son service ou de son commerce.
2 - 3 Le circuit de consommation
2 - 3 - 1 La notion de consommation
Il existe une certaine ambiguïté dans la notion de
consommation ou de demande. En effet, on constate qu'une demande ou une
consommation ne traduit parfois que très indirectement l'idée de
besoin. La demande ou la consommation d'électricité, par exemple,
est souvent considérée comme un besoin en soi, alors qu'elle ne
fait que traduire un besoin d'éclairage, de force motrice ou de chaleur.
La notion de besoin elle-même est souvent imprécise et l'analyse
des besoins est fréquemment éludée par les
économistes. Dans l'idée de besoin, il y a quelque chose
d'individuel et de subjectif (tous les individus n'ont pas les mêmes
besoins), mais il y a aussi quelque chose d'objectif et de social. En effet,
les besoins sont en partie façonnés par la société
dans laquelle nous vivons. Paul Henry Chombart De Lauwe, cité par Jean
Marie Chevalier31(*),
induit une distinction importante entre les « besoins
obligation » et les « besoins privation ». Cette
distinction rejoint en partie celle faite par F. Peroux entre les besoins
d'avoir et les besoins d'être.
Les besoins obligation recouvrent les besoins vitaux qu'il est
indispensable de satisfaire, pour vivre physiquement, ou tout simplement pour
un être admis dans la société. Ces besoins sont relatifs.
En effet, ils dépendent des conditions géographiques ou
climatiques, du type d'organisation économique et sociale, des
individus. Toutefois, il est difficile d'en dresser un inventaire qui nous
renseigne sur l'existence d'un seuil de pauvreté. Un individu qui ne
parvient pas à satisfaire ces besoins se trouve en état de
pauvreté par rapport à la société dans laquelle il
se situe. Par contre, les aspirations correspondent à une volonté
de mieux être : être mieux nourri, mieux logé,
davantage considéré. Ils sont parfois occultés par
l'urgence des besoins obligation. En effet, lorsque la pauvreté devient
misère, les aspirations ne peuvent plus se manifester. Elles sont comme
cachées derrière les préoccupations devenues angoisses.
Les besoins aspiration sont pour la plupart façonnés par la
société. Ils dépendent en particulier de l'urbanisation,
de l'industrialisation, de la tertiarisation... Les mass médias
diffusent une culture d'abondance par rapport à laquelle se
définissent les besoins aspiration.
Il existe ainsi une dynamique de besoin qui dans nos
sociétés contemporaines et gabonaises en particulier, accorde une
priorité aux besoins d'avoir par rapport aux besoins d'être. La
satisfaction des besoins d'avoir passe en effet beaucoup plus automatiquement
par l'intermédiaire du marché, de la demande solvable et de la
production marchande. La consommation d'un bien renvoi inéluctablement
à un besoin d'avoir ce bien, ce besoin ne peut être rempli que
dans un marché. L'expression des besoins, vrais ou faux, les
modalités de satisfaction des besoins, occupe donc une place centrale
dans la dynamique socioéconomique des sociétés
contemporaines. La théorie économique ne rend compte que
très imparfaitement et d'une façon un peu frustrante de ces
mécanismes complexes. Il nous revenait de comprendre et de situer le
concept de consommation dans cadre définitionnel précis. C'est
cette étape qui nous permet de distinguer la consommation dans les
sociétés traditionnelles et celle-ci dans les
sociétés modernes. C'est de là que nous savons que le
producteur n'est pas aussi consommateur comme c'était le cas dans les
sociétés traditionnelles.
2 - 3 - 2 La chasse d'autoconsommation, une habitude
alimentaire
L'objectif de cette partie est de faire ressortir l'aspect
culturel ou socioculturel de la chasse ou du phénomène qui fait
l'objet de notre étude. La chasse d'autoconsommation ou de subsistance
renvoi à la consommation du gibier. Cette chasse constitue pour l'heure
la politique défendue par l'Etat gabonais.
Mais avant cela, nous dirons que dans les pays d'Afrique
centrale et au Gabon en particulier, en milieu forestier, les villageois se
réfèrent à une culture de chasse développée
et n'ont pas intégrée de culture d'élevage. Les produit du
petit élevage de case ne font pas partie de l'alimentation de tous les
jours mais sont réservés pour certaines occasions
(cérémonies diverses, visites de parents, etc.). La chasse y est
donc une activité traditionnelle très répandue et
très ancrée dans les modes de vie. Dès leur plus jeune
âge, les enfants chassent autour des cases les petits oiseaux et les
petits rongeurs, dans les agro forêts villageoises, à l'aide de
lance- pierres, de pièges, d'arbalètes. Il se crée chez
eux dès ce moment, un réflexe de chasseur qu'il sera judicieux de
ne pas négliger dans l'évaluation des fondements culturels de la
chasse et surtout de la consommation du gibier. Car ils chassent pour consommer
la viande de brousse. Ce réflexe peut rester tout à fait
inconscient mais enracine déjà le jeune enfant dans cette culture
de chasse et de consommation du gibier.
De plus, nous savons tous que l'euphorie
pétrolière que le Gabon a connu au cours des années
1970-1980, s'est matérialisée par la construction et/ou la
reconstruction des principales villes. Nous avons donc eu des villes comme
Libreville qui ont été renouvelées, modernisées.
Nous avons aussi des villes minières qui ont subi les mêmes
transformations, au détriment des villes considérées comme
secondaires. Non seulement, il y a eu le mariage de la ville moderne, il y a eu
aussi la perspective d'emplois. C'est ainsi que beaucoup de gabonais, vivant
dans des régions considérées comme forestières
c'est-à-dire incapable de sécréter de l'argent ou de
créer des emplois, se sont rués vers les villes minières
et vers la capitale politique. Ce fut le moment d'un exode rural massif, exode
de populations qui sont arrivées à la recherche du travail ou une
perspective d'emplois. Ces populations ont ainsi transporté avec eux
leurs habitudes alimentaires. Elles ont gardé le goût de la viande
de brousse. Il faut dire que c'est cette consommation qui alimente le commerce
du gibier au Gabon. Le problème de la commercialisation du gibier ne se
trouve pas dans la chasse abusive, ni dans la vente de la viande de brousse
mais dans la consommation de cet aliment naturel et
énergétique.
Nous pensons toutefois qu'une gestion rationnelle de la faune
sauvage pourrait assurer une bonne partie du ravitaillement en viande des
populations gabonaises d'une manière durable. La législation
moderne du Gabon autorise généralement, sans formalités et
sans frais, la chasse des gibiers non protégés par les
méthodes traditionnelles. Mais la chasse
dite « traditionnelle » ayant disparu, les armes
à feu sont répandues dans les campagnes.
Le Gabon veut faire de tout un chacun, gabonais comme
étranger, des potentiels chasseurs d'autoconsommation. Cette politique
se heurte à de multiples complications. Les enquêtes que nous
avons mené révèlent la difficulté pour les
consommateurs de pratiquer eux-mêmes la chasse. Ils ont des occupations
qui prennent la majorité voire la totalité de leur temps. Et ceci
est valable pour les deux catégories de consommateurs que nous avons
rencontré (hommes/femmes). D'aucuns ne savent pas chasser parce que ce
sont des femmes, ou n'ont jamais appris à tirer à une arme
à feu. Il y a d'autres qui savent tirer à une arme à feu
mais n'ont pas suffisamment de temps pour cela. Nous avons même
constaté que dans le genre masculin, d'aucuns ont perdu la culture du
piège et une fois au village, ils achètent la viande de brousse
auprès des chasseurs. Et d'autres qui prennent de leur temps pour
pratiquer la chasse, aux chiens, fusil ou pièges.
A la suite de cela, nous pensons faire ressortir le rapport
d'espace- temps qui ressort soit en ville ou au village. On ne chasse pas en
ville par défaut de temps. Et au village, elle est possible parce qu'on
a du temps libre. De ce rapport, il ressort un autre, c'est celui de village-
ville. Il faut signaler qu'il s'agit d'une habitude alimentaire qui part du
village pour la ville. Le village semble avoir une influence sur la ville car
ces populations aiment de temps en temps s'alimenter des produits de terroir.
Aussi, la réglementation concernant l'utilisation des armes à feu
va renforcer cette complication. Les taxes d'abatage (parfois plus
élevées que la valeur marchande de l'animal abattu) et les quotas
d'abatage (les chasseurs ayant peur de les atteindre rapidement ne
déclarent pas le gibier abattu). Ce genre de chasse d'autoconsommation
n'est pas dangereux, dans la mesure où le gibier est uniquement
destiné à la consommation du chasseur, de sa famille ou de la
communauté.
2 - 3 - 3 le gibier consommé
Les populations gabonaises dépendent de la viande de
brousse pour la satisfaction de leurs besoins en protéines et en
vitamines, mais aussi comme source non négligeable de revenus. Les
études de S. Lahm, cité par Auguste Ndouna Ango et
Eléonore Ada Ntoutoume32(*), ont montré que, dans les villages gabonais,
seulement un quart des produits de la chasse était
réservé à la consommation des familles, le reste
étant destiné à être vendu sur les marchés ou
à des intermédiaires. L'auteur a aussi étudié les
préférences alimentaires de ces mêmes populations pour la
viande de brousse. Il semble que les animaux les plus consommés soient
l'athérure, le céphalophe bleu et le potamochère qui est
recherché pour sa graisse. Cependant, elles consomment d'autres
mammifères comme l'éléphant, le singe ou le rat palmiste,
des oiseaux, des reptiles comme le varan et le crocodile. Nous avons
constaté que ces animaux abondent dans les marchés et les
restaurants. Les enquêtes nous révèlent la consommation de
ces mêmes animaux. Les préférences sont diverses et les
raisons de ces préférences également. Les raisons
évoquées sont généralement le goût,
l'habitude, la richesse en vitamine, la variété alimentaire, le
goût et l'habitude. Et nous constatons que cette consommation n'est pas
quotidienne. Elle est périodique, occasionnelle. D'aucuns consomment la
viande de brousse une à deux fois par mois ou une fois chaque deux mois.
Mais à partir de ce qui arrive chaque mercredi et samedi, il est
possible de soutenir que la consommation est quotidienne ou hebdomadaire. C'est
possible, mais l'explication tire son essence dans le poids
démographique des zones urbaines.
Nous avons ci-dessous la preuve de ce que nous
avançons.
Province
|
Superficie km2
|
Population urbaine
|
Population rurale
|
totale
|
Densité hab./km2
|
Estuaire
|
20 740
|
42 7950
|
35 237
|
46 3187
|
22,3
|
Haut- Ogooué
|
36 547
|
76 378
|
27 923
|
10 4301
|
2,8
|
Moyen- Ogooué
|
34 193
|
18 726
|
23 590
|
42 316
|
2,3
|
Gounié
|
79 010
|
37 520
|
40 261
|
77 781
|
2,1
|
Nyanga
|
37 503
|
21 815
|
17 615
|
39 430
|
1,9
|
Ogooué ivindo
|
36 126
|
17 775
|
31 087
|
48 862
|
1,1
|
Ogooué lolo
|
36 792
|
19 379
|
24 536
|
43 915
|
1,7
|
Ogooué maritime
|
42 332
|
87 659
|
10 254
|
97 913
|
4,3
|
Woleu- ntem
|
78 124
|
35 054
|
62 177
|
97 271
|
2,5
|
Totale
|
448 564
|
742 296
|
272 680
|
1 014 976
|
3,8
|
Tableau 3 : Résidents par
province et milieu
Source : Bureau Central du
Recensement
La population totale du Gabon était au dernier
recensement de 1993 de près d'un million quatorze mille neuf cent
soixante seize (1 014 976) habitants. Elle présente un taux
d'accroissement annuel de l'ordre de 2,5%. Le constat fait à partir du
recensement général de 1993 est que les tendances
constatées confirment que la population a plus que doublé en 33
ans. Les résultats de ce recensement démontrent également
que la stérilité a sensiblement baissé et que
l'immigration a joué un rôle important dans cet accroissement de
la population.
Les campagnes se sont progressivement vidées au profit
des centres urbains qui englobent plus de 70% de la population. Constituant le
pilier des deux pôles de croissance économique du pays,
Libreville, Port- Gentil et Franceville, à elles seules, abritent plus
de la moitié (51,9%) de la population. La population rurale ne
représente désormais que 3000 000 habitants environ pour plus de
260 000 km2 (soit 1,1 hab. /km2). La population qui vit dans les centres
urbains représentée par un taux de 73,3% vit dans des
agglomérations dont la densité frise celle que l'on observe dans
les pays les plus peuplés du monde (250 à 300 hab. /km2). Les
principales conséquences de ce resserrement spatial des activités
économiques et des populations dans quelques pôles urbains sont
une concentration des richesses, du pouvoir d'achat et des risques
environnementaux et un niveau très élevé de la demande en
ressources biologiques sur une fraction de plus en plus étroite du
territoire. Au lieu d'être réparties de façon
homogène sur le territoire, les menaces sur la faune en particulier sont
concentrées et localisées.
L'autre explication, justifiant plus l'aspect occasionnel de
la consommation, proviendrait des méthodes de conservation du gibier. En
effet, plusieurs personnes doutant de la fraîcheur de la viande de
brousse vendue dans les marchés, n'en achètent plus constamment.
Dans nos enquêtes, il nous a été fait état de la
méthode de conservation par formol et la méthode de conservation
par submersion du gibier dans l'eau. Ce sont là des méthodes
usitées par les chasseurs professionnels. Nous soulevons là un
problème de santé alimentaire et indirectement celui du
contrôle vétérinaire ou sanitaire des populations d'une
part et des produits carnés d'autre part. Le service
vétérinaire du ministère de l'agriculture et de
l'élevage n'est pas équipé pour contrôler la
qualité de la viande de brousse vendue sur les étalages. Il est
plus orienté vers les viandes importées et la volaille. Nous
voyons effectivement qu'il y a un problème de santé publique
notamment alimentaire.
En somme, comprendre et expliquer la dynamique des peuples
revient à étudier leur culture et surtout leur environnement. La
forêt constitue le lieu par excellence où les peuples du Gabon
tire l'essentiel de leurs ressources. Ces peuples dépendants pour leur
survie de la chasse, étaient régis par le respect d'un ensemble
de règles cynégétiques prenant la forme de règes
coutumière. La chasse en tant qu'activité ancestrale et relevant
d'un mode de vie traditionnel n'a jamais été une activité
défendue. Elle a, au contraire, toujours permis aux
générations de se renouveler. La forêt était celle
d'un clan ou d'un lignage, gérée par un ancien avec le concours
des ancêtres. On chassait pour la consommation. Aujourd'hui, c'est tout
autre chose. Le mode de gestion a changé et le gestionnaire
également. C'est tout un ensemble de lois qui définisse les
règles à respecter en matière d'exploitation de la
ressource faunique. Nous passons d'une société traditionnelle,
avec une mode de gestion lignager de la chasse, à une
société moderne avec un mode de gestion supra lignager ou
étatique. La forêt appartient désormais à l'Etat. Ce
dernier mettra en place des instruments pour gérer la faune contenue
dans le code forestier. Dans les lignes qui suivront celles-ci nous verrons les
limites de ces politiques de gestion.
Chapitre I : La législation et la Direction
de la Faune et de la Chasse
1 - 1 La législation
Il semble que le législateur de 1982 n'avait pas
prévu l'ampleur que prendrait la chasse à but commercial,
destinée à approvisionner en viande de brousse les centres
urbains. Nous avons souligné que le fort accroissement des villes et le
dépeuplement parallèle des villages datent de cette
période. Nous avons donc assisté à une demande entretenue
ou accrue de la part des consommateurs urbains, devenus plus nombreux et
à une modification des techniques de chasse et d'approvisionnement des
marchés urbains. Sur le plan législatif aucune adaptation n'a
été préconisée. Aucune disposition
particulière de la législation ne régit cette forme de
chasse, alors que celle-ci enfreint les dispositions actuelles de la loi
d'orientation de plusieurs manières. C'est cette lacune qu'il faut
combler afin d'avoir le contrôle de ce commerce et amoindrir son impact
en termes de gestion de la faune sauvage.
Les reformes législatives ont été
effectuées mais ce vide juridique est toujours constaté dans
l'appréhension du phénomène par les législateurs.
En effet, la politique en matière de gestion de la biodiversité
telle que formalisée par les lois 1/82 et 16/93 n'est pas exempte de
critique.
Pour ce qui concerne la loi 1/82, elle recèle une
faiblesse originelle qui réside dans son intitulé même.
C'est une loi d'orientation en matière d'Eaux et Forêts. Et, un
examen approfondi montre qu'il s'agit plus d'une loi sur la forêt que sur
l'environnement dans son ensemble. Ceci n'est en soi une tare. Cependant, tout
porte à croire que le fil conducteur de la loi est l'exploitation
forestière. De même, le lien n'est quasiment jamais fait entre
l'exploitation forestière et la conservation de la biodiversité,
comme si, par exemple, il n'existait aucune espèce animale ou
végétale autres que les arbres (bois) dans les zones
concédées aux exploitants forestiers. Par ailleurs, en tant que
« code d'exploitation » des ressources naturelles, la loi
est révélatrice d'une option presque essentiellement
répressive. Elle fait peu de place à une gestion concertée
de la diversité biologique et ignore quasiment les modes de gestion
populaires et traditionnelles de la biodiversité. Quant à la loi
16/96, si elle a corrigé certains défauts de la loi 1/82, elle
reste très générale et n'apporte pas une réponse
précise à la question de la gestion de la biodiversité qui
est considérée comme un aspect parmi tant d'autres de la
protection de l'environnement, sans d'ailleurs que le concept de
biodiversité soit nommé en tant que tel.
La dernière reforme date de 2001. Au niveau de cette
loi 16/01 la vision rejoint toujours celle de 1982. Elle reste toujours
répressive et dissuasive. La loi se doit de s'adapter aux contours
socioéconomiques des populations. La loi 16/01 semble toujours ignorer
le phénomène de la commercialisation telle qu'elle est
vécue en ce moment. Cette ignorance produira de graves
conséquences plus tard. La fréquence d'exploitation de la faune
va à une vitesse crescendo. Cette situation nous conduira à
l'extinction de la faune des zones non protégées et à
l'agression des aires protégées. Les chasseurs vont vers la
faune, en ce temps là celle qui restera se trouvera dans les parcs
nationaux. Nous pensons que les législateurs devraient d'ores et
déjà prévoir l'allure que ce phénomène
prendra dans les temps à venir. Il est évident que les
représentations ne sont pas les mêmes. Nous constatons
effectivement que la législation considère plus les parcs
nationaux avec la biodiversité qu'ils regorgent. Mais le mieux serait
que toutes les représentations soient prises en considération.
Le commerce du gibier est institutionnalisé mais
ignorer par l'Etat. La mesure de l'impact de la chasse à des fins
commerciales ou du commerce du gibier doit se faire sentir au niveau d'abord de
la loi en vigueur. L'ignorance du phénomène constitue son
entretien et justifie son existence. Et nous savons que depuis la loi de 1982,
la répression et la dissuasion ont prouvé leurs limites. Le vide
juridique se trouve donc en partie dans l'ignorance de la représentation
collective et culturelle des peuples gabonais de la faune sauvage. La
représentation de la faune sauvage de nos jours est plus marchande que
substantielle. De ce fait, si la loi ne cadre pas avec cette
représentation inévitablement l'inapplication sera
évidente.
Nous prendrons quelques constats illustratifs pour appuyer
cette inadéquation de la législation à la
représentation populaire de la faune sauvage. Il faut effectivement un
cadrage au niveau de la loi afin qu'elle soit respectée et
appliquée. La loi 16/01, dans son article 215, interdit la chasse de
nuit avec ou sans engins éclairants, le non respect des normes de
capture et d'abattage d'animaux, la chasse à l'aide des pièges
métalliques et de collets en câble d'acier. Cette loi ne semble
pas comprendre que la représentation des populations ici est d'ordre
économique. Il sera à ce niveau difficile de respecter la loi
quand les conditions d'existence prime. La condition sociale des populations
amène celles-ci à désapprécier la loi. Elle ne leur
laisse pas l'embarras du choix. Prenons un des aspects de cet article qui
interdit l'usage des pièges métalliques et de collets en
câble d'acier. A ce niveau, nous pensons que l'application
première de cet aspect revient à l'entité qui vend ce
produit. Si on voulait effectivement appliquer ce point de l'article 215, on
interdisait directement sa vente sur le territoire gabonais ou augmenter les
frais de douane. Aussi, demander à un chasseur affecté par
l'esprit du gain de respecter les normes de capture et d'abattage (3 gibiers
d'espèces différentes par jour et 9 gibiers par semaine toutes
les espèces confondues) est une chose impossible.
Photos 7 et 8 : les balles
à grande puissance d'arrêt (GPA) (cliché Georgin Mbeng
Ndemezogo) novembre 20005
Les photos ci-dessus présentent les cartouches
spécifiques à la chasse à l'éléphant. Il y a
dans ce carton vingt cartouches d'une valeur de 200 000f CFA. Ces cartouches
sont la propriété de l'un de nos informateurs qui apprêtait
sa prochaine chasse à l'éléphant. Pour la circonstance, il
nous a présenté toutes ses armes (4 fusils de chasse et un
pistolet). Mais celle qui a attiré notre attention est la carabine 458
(photo 2 en annexes). Il faut souligner que les balles de cette carabine sont
blindées. De fabrication française, elles sont interdites
à la chasse en Europe. Nous nous sommes posés la question de
savoir pourquoi cette interdiction, l'informateur nous dit qu'en Europe, il n'y
a pas d'animaux féroces tels que les éléphants, les
buffles et bien d'autres qui peuvent prendre les balles de ce type.
L'informateur nous dit également que la chasse à
l'éléphant, appelée aussi grande chasse, a pour objectif
le besoin d'ivoire. Les balles de cette carabine ont une grande puissance
d'arrêt (GPA) et voilà pourquoi on les appelle balles GPA. C'est
à la suite de tout cela qu'une question nous est venue à
l'esprit. En effet, l'éléphant est partiellement
protégé sur le territoire gabonais. Il est formellement interdit
de le chasser. Mais les balles GPA sont également vendues. Que fait-on
de l'interdiction ? Et voilà que se présente le paradoxe que
nous qualifions de flagrant. Interdire la chasse de l'éléphant,
c'est interdire les cartouches ou les balles qui mettront sa vie en danger.
Chasser l'éléphant, c'est avoir besoin de son
ivoire. Cela nous conduit à la consommation des sous- produits ou aux
trophées comme disent les spécialistes. Un autre informateur que
nous avons rencontré cette fois-ci à Mbel, nous
révéla lors de notre excursion en forêt qu'un dignitaire du
Haut- Ogooué engagea deux chasseurs qui sont venus chasser les
éléphants à Mbel (village situé au PK 85 d'Owendo
sur la voie ferrée). La chasse peut être qualifiée de
massacre car elle permit l'abattage de 33 éléphants dans la
période d'octobre/novembre 2004. Et le besoin d'ivoire était
à l'origine de ce massacre. La 458 dont nous parlions plus haut a une
capacité de quatre balles. Nous constatons ici que les insuffisances
juridiques entretiennent l'impact négatif sur la faune. Les populations
profitent de cette situation pour surexploiter la faune sauvage. Une reforme
évidente de la loi d'orientation en matière de la protection de
la faune est nécessaire. Même les populations des couches moyennes
et aisées sont dans ce commerce. La loi se doit donc de mesurer et
contrôler tout cela. La loi ne doit pas être passive face à
certains comportements. Cette situation entraîne toujours l'injustice au
sein de la société. Cet aspect nous a même
été évoqué lors de nos enquêtes. D'aucuns
pensent que la loi est faite pour certains et s'applique sur et pour d'autres.
Cela entraîne les attitudes de mépris et de révolte de la
loi par les populations touchées par ce phénomène.
Il est également important d'étudier les formes
de procuration de ces cartouches par les chasseurs. Nous avons fait plusieurs
observations. Le chasseur propriétaire d'un permis de chasse et de port
d'arme aura droit à un bon de cartouches délivré par le
ministère de l'intérieur. Mais cette procédure
d'acquisition n'est pas partout la même. Il y a des chasseurs qui se
procurent des cartouches auprès de leurs propriétaires notamment
les chasseurs que nous avons qualifiés de dépendants. Il y a des
chasseurs qui achètent des cartouches auprès des personnes qui
ont des bons de cartouches. En effet, même les cartouches se vendent au
même titre que les piles, les câbles métalliques et autres.
Nous voyons effectivement que tous ceux qui se procurent des cartouches par le
canal d'une tierce personne n'ont pas de bon de cartouches et ne sont pas
propriétaires de l'arme qu'ils utilisent ou bien qu'elle n'est pas
enregistrée. Plusieurs éventualités sont possibles, mais
nous nous contenterons de ce peu.
Un autre fait observable, c'est celui de la vente des bons de
cartouches par certains agents du ministère de l'intérieur
à des prix dérisoires. Les bons de cartouches se retrouvent ainsi
sur le territoire sans être enregistrés. Il est également
important de souligner que ces bons sont produits chaque année et tant
qu'il n'est pas utilisé, il reste toujours valable, même s'il date
de 1990. Alors qu'il était intéressant d'instituer une date de
validité sur ces bons (si possible un an de validité). Et
l'entreprise assignée à cette tâche doit être un
service non lucratif. Il est à rappeler que tant que le service sera
lucratif, les périodes de fermeture et d'ouverture de la chasse ne
seront guère respectées. Ce respect doit d'abord provenir de
l'arrêt de la vente des cartouches pendant la période de fermeture
de la chasse. Il ne faut pas oublier que l'entreprise a pour objectif principal
la production des bénéfices. Elle ne tiendra pas compte de la
règle qui institue la fermeture de la chasse ou la non vente de
certaines cartouches ou balles afin d'appliquer la réglementation qui
protègent certaines espèces au Gabon. La loi d'orientation
n'intègre pas toutes ces réalités. Ce qui ne ferra que
compliquer la résolution du problème de la gestion
rationnellement de la faune sauvage, politique prônée par l'Etat.
La loi se doit de maîtriser tous les contours de la réalité
sociétale.
1 - 2 La Direction de la Faune et de la
Chasse
Cette partie a pour vocation de faire
ressortir les limites ou les insuffisances des moyens dont dispose
l'administration chargée de la faune. La direction de la faune et de la
chasse (DFC) comprend un service de l'aménagement de la faune, un
service de la chasse et les brigades de faune. Vu la grandeur de l'espace
à gérer, nous pensons que cette direction a effectivement du
travail. Cet espace ou « biomasse forestière du Gabon est
de 22 millions d'ha. Replacée dans son contexte sous-régional,
cette biomasse représente 10% de la forêt du Bassin du Congo, pour
une superficie de moins de 7%. A l'échelle continentale, le Gabon abrite
plus de 9% des forêts africaines sur un territoire de moins de
4% »33(*).
Nous pourrions penser que la gestion est à l'image de la biomasse
forestière du Gabon ou que la direction de la faune et de la chasse
dispose des moyens relatifs à cette biomasse.
C'est lors de notre recherche que nous nous sommes rendus
compte que la direction de la faune et de la chasse avait des insuffisances de
tous ordres. Les moyens humains ne sont pas relativisés en fonction de
l'ampleur du territoire. En effet, sur une superficie de 22 millions d'ha, la
direction de la faune et de la chasse ne comprend que 700 agents. Ce chiffre
nous a amené à étudier la raison de cette insuffisance du
personnel. Nous avons pensé immédiatement à l'Ecole
National des Eaux et Forêts (ENEF), pourvoyeuse du personnel que nous
retrouvons particulièrement à la DFC.
Le premier constat que nous faisons de cette école est
qu'elle se trouve à la périphérie de la ville de
Libreville (30 km). Ces structures d'accueil ne répondent plus aux
exigences de l'heure. Cette situation conduit à la réduction des
effectifs des étudiants. L'école ne peut pas accueillir plus
d'étudiant parce que les salles de classes sont exiguës et
insuffisantes. La durée de formation est de deux ans (pour le cycle
moyen ou premier cycle) et trois ans (pour le cycle supérieur ou le
second cycle), sans oublier le DESS (troisième cycle) dont la
durée est d'un an. Chaque année, l'ENEF met à la
disposition des directions du ministère des Eaux et Forêts des
agents dont le nombre n'atteint même pas vingt (tous les niveaux
confondus). Et parmi les agents recrutés, il y a plus
d'ingénieurs que d'agents d'exécution. Alors qu'actuellement nous
avons plus besoin des agents d'exécution pour faire respecter ce qui est
pensé dans les bureaux. A ce niveau, même les missions de police
prennent un coût, puisqu'il n'y a pas assez d'agents d'exécution.
Même s'il y avait des moyens matériels, la couverture en moyens
humains n'est pas assurée. Les structures de l'école et les
moyens financiers alloués à celle-ci constituent un handicap
à la formation des étudiants.
L'autre aspect de l'insuffisance se trouve dans les moyens
financiers alloués à la DFC. En 1999, la DFC avait un budget
d'investissement de 108 000 000 f CFA et le fonctionnement
était de 53 467 000 f CFA34(*). Ce qui est dérisoire quand on veut mettre une
politique faunique en évidence. La finance est l'élément
moteur d'une politique. Nous avons vu plus haut que si les structures de l'ENEF
sont ce qu'elles sont, c'est par défaut de moyens financiers. La
même situation se pose avec le recrutement des agents des eaux et
forêts, qui ont toujours un problème de poste budgétaire.
Cette situation ne pourra pas amener l'agent à travailler comme cela se
doit, puisque les termes du contrat ne sont pas respectés. Nous savons
que le travail s'accompagne toujours d'un salaire. Dans le cas contraire, le
rendement ne sera pas celui dont on s'attend. Les moyens financiers doivent
toujours accompagnés une politique. Dans le cas contraire, c'est la
situation actuelle qui arrive, où les moyens matériels prennent
un coût. Ceci pour dire que le parc automobile de la DFC est
vieillissant. Il convient de le renouveler. En 1999, la direction centrale
de la DFC avait neuf véhicules (y compris les épaves et les
véhicules en panne)35(*). Et en 2005, elle se retrouve avec un mini- bus
vieillissant. C'est ce véhicule qui couvre les missions de police des
agents. Le rythme de travail n'est même pas à la moyenne. Les
agents partagent leurs journées derrière les bureaux entre
collègues et amis autour d'une causette. C'est l'appareil administratif
qui perdra sa dynamique et sa compétitivité.
Outre l'application de la politique du gouvernement en
matière de gestion rationnelle de la faune, l'administration des eaux et
forêts assure, selon la loi d'orientation, les missions de police, de
contrôle et de répression. A cette fin, les agents des eaux et
forêts sont assermentés, dans les conditions définies par
un décret d'application de la loi d'orientation du 4 mars 1987. L'image
ci-dessous représente l'effectivité de cette loi
d'orientation.
Photo 9 : Lutte anti-braconnage
dans le département d'Etimboué (cliché Programme de
Valorisation des Ecosystèmes Humides en Afrique Centrale (PVEHAC)) Juin
2000.
Suite à la mission de collecte de donnée dans le
département d'Etimboué (province de l'ogoué Ivindo) du 21
mai au 9 juin 2000, financée par le programme CARPE du BSP, les membres
de l'équipe du Programme de Valorisation des Ecosystèmes Humides
en Afrique Centrale (PVEHAC) ont assisté à l'opération de
lutte anti-braconnage organisée par la brigade de faune d'Iguéla.
L'opération de lutte a duré près de douze heures. Elle a
débuté le 8 juin 2000 à 15h pour s'achever le 9 juin 2000
à 3h du matin. Elle a réalisé plusieurs saisies dont nous
vous présentons l'image. Les saisies concernent les espèces qui
suivent : crocodiles, porcs épics, gazelles, singes, tortues,
buffles, cercocèbes à collier blanc, potamochères,
antilopes sitatunga, vautours, chevrotains, calaos.
Nous donnons dans le tableau ci-après les
résultats des saisies.
Espèces saisies
|
Prise 1
|
Prise 2
|
Prise 3
|
Total 1+2+3
|
1 Crocodiles
|
9
|
1
|
5
|
15
|
2 Porcs épics
|
7
|
7
|
6
|
20
|
3 Gazelles
|
2
|
5
|
11
|
18
|
4 Singes
|
1
|
5
|
14
|
20
|
5 Tortues
|
11
|
0
|
0
|
11
|
6 Buffles
|
1
|
0
|
0
|
1
|
7 Cercocèbes à collier blanc
|
1
|
0
|
1
|
2
|
8 Potamochères
|
1
|
6
|
10
|
17
|
9 Antilopes Sitatunga
|
1
|
4
|
3
|
8
|
10 Chevrotains
|
0
|
2
|
1
|
3
|
11 Vautours
|
0
|
0
|
5
|
5
|
12 Autres
|
3
|
3
|
0
|
6
|
TOTAL
|
37
|
33
|
55
|
125
|
Tableau 4 : Lutte anti-braconnage
dans le département d'Etimboué
Source : PVEHAC
Le tableau met en évidence la forte pression qu'exerce
l'homme sur la faune par le biais de la chasse. En effet, si plus de 125
animaux sont prélevés en l'espace d'une demi-journée, ce
sont donc plus de 90 000 gibiers (toutes espèces confondues) que l'on
prélève chaque année dans les 22800 km2 du
département d'Etimboué.
La photo 8 et le tableau 4 mettent en exergue la politique
que l'Etat met en place de par les missions de police de la brigade de la faune
et de la chasse, d'une part. D'autres part, nous savons de par cette image que
les chasseurs et les bayames sont souvent victimes des saisies
opérées par les agents des Eaux et Forêts. In fine, nous
savons de par le tableau que la faune est menacée, tout en estimant les
prélèvements opérés par les chasseurs.
Aussi, parmi les prérogatives qui leur sont
assignées, les agents des eaux et forêts font en fonction des
moyens disposés ces missions de police. Elles consistent en la saisie
des ressources fauniques et forestières. Le tableau ci-dessus illustrant
la lutte anti-braconnage dans le département d'Etimboué est un
bon exemple.
Notre objectif est d'exprimer la non application de la
législation ou les dérapages des agents des eaux et forêts.
Notre propos tire son fondement dans la première colonne du tableau
(espèces saisies). La mission de police consiste en la saisie de tout le
gibier que possèdent les chasseurs et/ou les bayames. La mission
d'Etimboué a saisi plus de onze espèces différentes. Dans
cette liste, nous retrouvons les catégories d'espèces
définies par la loi : les espèces intégralement
protégées, les espèces partiellement
protégées et les espèces non protégées. Nous
allons nous intéresser sur les dernières espèces. C'est
à ce niveau que la loi ne s'applique pas. Dans ce type d'espèces,
nous avons le vautour, le cercocèbe à collier banc, le singe, le
céphalophe bleu (gazelle), l'athérure (porc épic). Nous
voyons qu'à ce niveau il y a un véritable problème. La
simple saisie constitue déjà pour les victimes une injustice. Car
celles-ci ne savent pas la destination véritable et légale de ces
saisies. Plus grave, quand ce sont les agents des eaux et forêts qui
piétinent la loi. Nous avons là, l'un des éléments
qui poussent les chasseurs et les bayames à la révolte.
Chapitre II : Les parcs nationaux, une approche
conflictuelle
2 - 1 Un fait de culture
La gestion rationnelle prônée par l'Etat est
effective à travers la création des parcs nationaux. Ces derniers
occupent en ce moment les esprits des gouvernants protégeant ainsi la
représentation occidentale. L'objectif ici est de faire ressortir les
limites ou l'approche de l'écotourisme et des parcs nationaux. Le
premier aspect de cet objectif est culturel. Nous n'avons pas l'intention de
condamner ou de réfuter l'hypothèse de la politique de gestion
rationnelle par les parcs nationaux ou l'écotourisme. L'intention est de
présenter la représentation nouvelle de la faune sauvage, qui est
culturellement extérieure et étrangère aux peuples
gabonais. Il faut relever que cette politique est imposée au Gabon par
les organisations non gouvernementales, les écologistes en
général, qui s'imposent avec leur pouvoir financier.
Pour appuyer cet aspect culturel des parcs nationaux, Bernard
Kalaora36(*) va soutenir
nos propos. En effet, l'émergence d'une attitude esthétisante et
contemplative, le traitement nouveau de la forêt comme paysage, la
promenade comme activité culturellement valorisée, sont le
produit d'une histoire sociale. Afin de saisir l'influence des modèles
culturels, les enquêtes de Kalaora vont porter sur la forêt de
Fontainebleau, sur les attitudes et pratiques des citadins qui viennent s'y
récréer. De cette étude, trois attitudes types y sont
mises en évidence. Il y a celle d'une élite sociale pour laquelle
prime l'esthétisme et les activités culturelles et
pédagogiques. Il y a celle des couches moyennes qui voient dans la
forêt un substitut de l'espace pavillonnaire propice au loisir familial.
Il y a enfin celle des couches populaires où la promenade en forêt
n'est pas ressentie comme une activité possible ou familière.
Pour ce qui est des parcs nationaux du Gabon, il est facile de ressortir deux
attitudes types. Nous aurons celle d'une élite sociale pour laquelle
prime l'esthétisme, les activités culturelles et
pédagogiques et celle des couches populaires où la promenade en
forêt n'est pas ressentie comme une activité possible ou
familière, la promenade n'est pas dans leurs moeurs. Les
aménagements des forêts de Fontainebleau et du Gabon s'inscrivent
dans la perspective des modes de consommation élitistes et partagent les
pratiques entre ordinaires et distinctives.
Il faut faire observer que l'usage actuel de la forêt
est une consommation méconnue des peuples du Gabon. Pour ces derniers,
cette nouvelle consommation de la forêt relève de l'anormal, c'est
illogique. La logique traditionnelle veut que l'allée en forêt se
fasse avec un objectif précis notamment y chercher de la nourriture,
pour y chasser, pour y récolter des plantes médicinales, pour y
célébrer ou encore pour y exploiter une ressource comme le bois.
C'est une représentation différente de celle des Occidentaux. Se
promener en forêt, c'est consommer une oeuvre, et, pour être apte
à cette consommation cérémonielle, un apprentissage est
indispensable. Lieu de détente, et de récréation, la
forêt ne répond pas seulement à une exigence
hygiénique ou fonctionnelle, elle devient un lieu de consommation et de
pratiques culturelles. Et le conflit que nous vivons actuellement est un
conflit de représentations. Deux sociétés
différentes pour une même forêt. Le paysage n'est plus
caractérisé seulement par ses parties, ses
éléments, témoin de sa richesse, il devient une
catégorie synthétique qui se rapporte à un tout. La
forêt gabonaise est dans sa totalité nommée et
parlée comme un lieu pittoresque, exotique, sauvage et naturel. Elle est
un paysage unique dont la beauté est la principale
caractéristique, et elle s'offre à la contemplation
esthétisante du public élitiste. Et la loi gabonaise semble plus
s'intéressée à ces parcs nationaux qu'à la
politique faunique dans son ensemble et sur toute l'étendue du
territoire.
2 - 2 Parcs nationaux, nouvelles forêts
sacrées
Le second aspect de notre objectif vise à
démontrer l'évolution progressive de nos forêts. Il s'agit
ici de voir le nouveau mode de gestion des forêts gabonaises à
travers les parcs nationaux.
Pour comprendre cette évolution ou le mode de gestion
dont nous parlons, nous sommes tenus d'abord de faire un retour sur les
sociétés dites traditionnelles. C'est une assimilation que nous
ferrons ici. En effet, les parcs nationaux semblent s'assimiler aux
forêts sacrées des sociétés dites traditionnelles.
La forêt sacrée est un sanctuaire qui appartient à une
communauté qu'à un clan. La forêt est fermée au
public. Elle est gérée par un chef de clan qui dicte la conduite
à tenir. L'exploitation est assurée par les membres du clan qui
peuvent prélever un certain nombre de produits entrant dans
l'alimentation, la pharmacopée ou la construction. Dans ces forêts
aux superficies réduites, existent des zones ouvertes au clan et des
zones réservées aux seuls responsables du clan détenteur
d'un certain pouvoir. Il est interdit de faire des plantations sur
brûlis. L'usage de la biodiversité qui s'y trouve n'est pas
désordonné. Il respecte les règles de la
régénération. Les pratiques cycliques, de manière
générale, relèvent d'une stratégie de la production
qui non seulement tient compte du respect des cycles naturels de la
reproduction du sol, y compris des règles de restauration biologique de
la femme après un accouchement, de restauration sociale et se conforme
surtout à une loi générale de la démarche des
hommes du Gabon sous forme de mise en jachère pour une exploitation
nouvelle. C'est ainsi que la chasse, activité masculine par excellence,
se pratique toute l'année. Elle donne lieu à des pratiques
diverses. Ces pratiques sont cycliques et chacune d'elles occupent un moment
précis de l'année.
Cet aspect de notre objectif nous amène à nous
inscrire dans la logique de « campement » de Jean- Emile
Mbot37(*). Le plus
intéressant est sa décomposition en campement provisoire et le
campement permanent, où le provisoire devient permanent. Nous allons lui
emprunter les concepts de « provisoire » et de
« permanent ». Car les pratiques cycliques
énoncées plus haut aboutissent à une mise en
jachère provisoire pour une exploitation nouvelle. Mais
l'évolution actuelle nous présente des parcs nationaux qui, sur
le plan formel, peuvent être assimilés aux forêts
sacrées. Dans ces parcs, le seul usage possible est le loisir. Il n'y a
donc pas véritablement de prélèvement dans ces espaces.
Nous passons donc à une mise en jachère permanente avec des
conséquences éventuelles. Nous arrivons au niveau où les
espèces fauniques spécifiquement dépasseront la
capacité moyenne que ces parcs pourront contenir en espèces. Un
déplacement de ces espèces sera fréquent, attirant ainsi
l'attention des chasseurs.
Tout chasseur devient un braconnier lorsqu'il enfreint les
limites reconnues par la société à travers la
législation en vigueur, en deçà de ces limites il reste
chasseur, au-delà il devient braconnier. L'usage de ce concept ne nous
sera pas fréquent. Nous utiliserons beaucoup plus celui de chasseur.
Notre optique ici tend vers l'évaluation ou l'estimation de la pression
que ces parcs nationaux vivront. Il faut d'abord rappeler que ces parcs
reçoivent de nos jours la visite des chasseurs. En ce moment ce
phénomène dénommé braconnage n'a pas une
fréquence aussi inquiétante. Voilà pourquoi la politique
générale sur la faune tenant compte de la mesure de tous les
phénomènes y afférent s'impose, au lieu d'une politique
des parcs nationaux, oubliant l'autre grande partie de la forêt. La
chasse pratiquée dans cette forêt n'est pas
réglementée. Elle est abusive. Et si nous constatons la
raréfaction de certaines espèces, l'abus est l'une des causes de
cet état de chose. Une raréfaction accentuée
amènera les chasseurs à agresser les parcs nationaux. Il faut
tout de même reconnaître que les prélèvements actuels
sont importants et non négligeables. Ces parcs seront, avec leur mise en
jachère permanente, des réservoirs de la diversité
biologique. Ils connaîtront à cet effet un déplacement
massif des populations animales et une pression forte des chasseurs. A long
terme, la gestion rationnelle de la faune évidente à travers les
parcs nationaux connaîtra des problèmes si la mesure de tous les
phénomènes n'est pas prise en compte. Cela démontre de
l'importance de tous les comportements ou des usages afférents à
la faune, ne négliger aucun au détriment de l'autre.
Au terme de notre étude sur la question de la
commercialisation du gibier au Gabon, nous sommes parvenue à certains
résultats, et nous avons souligné que l'interrogation
fondamentale ainsi abordée est un réel problème de
société.
Du fait de toute sa complexité, nous n'avons pas eu la
prétention d'avoir épuisé toute la question. Elle est
complexe parce qu'elle fait intervenir plusieurs paramètres notamment
écologique, économique, politique et socioculturel. Elle est
complexe également parce qu'elle soulève des enjeux socio-
politiques.
En matière de biodiversité, la situation la plus
préoccupante est celle de la faune mammalienne. Si des extinctions n'ont
pas encore été observées, au cours des dix
dernières années, la pression sans cesse croissante des
activités cynégétiques, entretenues par la demande urbaine
de viande de brousse, a provoqué sinon la contraction des aires de
répartition, du moins la raréfaction d'un nombre important
d'espèces auparavant très communes. Cette évolution
représente une menace sérieuse pour la biodiversité.
Toutefois, le secteur viande de brousse, avec
« 10 000 actifs, 17 milles tonnes, soit un peu plus de 40%
de la consommation gabonaise annuelle de viande, pour un chiffre de 20
milliards de F CFA, ne peut être considéré comme un
épiphénomène »38(*). Par son poids
économique et social, c'est une activité à part
entière. Elle permet de réduire de 40% les importations de viande
et de réaliser des économies substantielles de devises, dans un
pays dont les perspectives de développement de l'élevage sont
plutôt médiocres. Elle occupe un nombre considérable
d'actifs désoeuvrés, que les estimations du PNAE (Plan National
d'Action pour l'Environnement) situent à environ 10% de la main d'oeuvre
salariée du secteur formel.
L'enjeu est donc, à court terme, de desserrer
l'étau des activités cynégétiques et d'assurer la
durabilité du secteur viande de brousse, et à moyen terme, de
promouvoir une mise en valeur durable de la faune sauvage, qui
génère des avantages économiques supérieurs aux
formes traditionnelles d'exploitation de cette ressource.
Aussi est-il préconisé de passer d'une
politique exclusivement répressive, limitée à
l'interdiction de la chasse, à la protection réglementaire de
quelques espèces charismatiques ou menacée et à la gestion
de quelques aires protégées, à une politique globale de
gestion durable du patrimoine faunique. L'objectif est de maintenir la
productivité des écosystèmes en viande de brousse pour
faire face à la demande, d'une part, et, d'autre part, de faciliter le
repeuplement des espèces menacées afin de préserver la
diversité biologique. L'entretien des deux secteurs (secteur du tourisme
et secteur de la viande de brousse) profitera au Gabon. Le
phénomène de la commercialisation du gibier pose également
la question de la formalisation d'un secteur considéré comme
informel comme celui de la viande de brousse. C'est grâce à cette
reconnaissance, la gestion durable et efficiente sera possible et garantie.
Dans le contexte socio-économique actuel, les populations
exerçant cette activité ne sauront pas mesurer les
quantités d'espèces qu'il faut pour une gestion durable.
Par ailleurs, il nous sera bon d'envisager la culture de
très haut, afin d'embrasser ses manifestations les plus diverses. Il
s'agit évidement de cette totalité où entrent plusieurs
paramètres notamment les idées et les arts, les croyances et les
coutumes... Que l'on envisage une culture complexe très
évoluée ou bien au contraire une culture bien simple, nous avons
affaire à un vaste appareil, pour une part matériel, pour une
part humain, et pour une autre part spirituel, qui permet à l'homme
d'affronter les problèmes concrets et précis qui se posent
à lui. La commercialisation met effectivement en évidence deux
cultures ou deux faits de cultures différentes. C'est un conflit qui
oppose, d'une part, la consommation de la viande de brousse comme fait culturel
gabonais et, d'autre part, la consommation contemplative ou du moins
touristique comme fait culturel occidental. La représentation ou
l'appréciation de la faune diffère selon que l'on est dans l'une
des cultures. Et cela pose, depuis l'urbanisation des villes gabonaises, un
véritable contentieux entre les deux types de population.
* 1Patrick Houben et
al, » L'élevage de gibier, une alternative de gestion de la
faune et de satisfaction de la consommation traditionnelle de
gibier » in Revue gabonaise des sciences de
l'Homme : les formes traditionnelles de gestion des
écosystèmes au Gabon, N°5, Libreville, PUG, 2004, p 78.
* 2Bernard VALADE,
Introduction aux sciences sociales, Paris, PUF, 1996, p 497
* 3Bernard VALADE op. Cit. p
497
* 4Ludovic Mba Ndzeng
-« Les formes de gestion de l'écosystème du village
Mbenga ( Woleu-Ntem) » in Revue gabonaise des sciences de
l'homme : les formes traditionnelles des écosystèmes au
Gabon, N°5 Libreville, PUG, 2004, p174.
* 5 Patrick Houben et
al, op. Cit. p78
* 6 Roland Pourtier -
« La chasse » in Le Gabon : espace - histoire
- société, Paris, L'Harmattan, tome 1, 1992, p.
* 7 Henri- Paul Bourobou
Bourobou, Inventaire de la biodiversité in Atelier National d'Action
Forestier Tropical du Gabon : gestion durable des
écosystèmes forestiers du Gabon, Libreville, Cellule Nationale de
coordination du PAFT- Gabon, 1998, p.36
* 8 Lee White, Exploitation
forestière et gestion de la faune au Gabon Canopée, n°11,
Libreville, Multipress, 1998, p.13
* 9 Marius Indjieley, La
consommation de la viande de brousse par les librevilois : une forme de
relation entre les populations rurales et les populations urbaines in Atelier
National du Programme d'Action forestier Tropical du Gabon, Libreville, Cellule
Nationale de Coordination du PAFT- Gabon, 1998, p.
* 10 Ministère du
Tourisme, de l'Environnement et de la Protection de la nature, Plan National
d'Action pour l'Environnement, Libreville, Cellule de coordination du PNAE,
1999, p.46
* 11 Cité par le
Ministère du Tourisme, de l'Environnement et de la Protection de la
nature, Plan National d'Action pour l'Environnement, Libreville,
cellule de coordination du PNAE, 1999, p.43.
* 12 Entretien
réalisé, le 21/03/2005 à 15h45 avec Ondo Edou
Théophile chez lui à Mont Bouet, par l'étudiant Mbeng
Ndemezogo Georgin
* 13 Entretien
réalisé, le 24/03/2005 à 11h12 avec Ondo Ndong Ferdinand
chez lui à Mont Bouet, par l'étudiant Mbeng Ndemezogo Georgin
* 14 Entretien
réalisé, le 12/03/2005 à 13h30 avec Mengue
Clémentine au marché de Mont Bouet, par l'étudiant Mbeng
Ndemezogo Georgin
* 15 Entretien
réalisé, le 12/03/05 à 14h30 avec Chantal Bilogho au
marché de Mont Bouet, par l'étudiant Georgin Mbeng Ndemezogo.
* 16 Entretien
réalisé, le 17/03/2005 à 11h25 avec Evourou Didine chez
elle à Likouala, par l'étudiant Mbeng Ndemezogo Georgin
* 17 Entretien
réalisé, le 02/11/05 à 11h40 avec Marie Gibier dans son
restaurant sise à l'avenue de Cointet, par l'étudiant Georgin
Mbeng Ndemezogo
* 18 Entretien
réalisé, le 14/03/2005 à 15h25 avec Idiata Jocelyn
à Sotéga, par l'étudiant Mbeng Ndemezogo Georgin
* 19 Entretien
réalisé, le 14/03/2005 à 18h20 avec Akome Zogho Jean
à Mont Bouet, par l'étudiant Mbeng Ndemezogo Georgin
* 20 Entretien
réalisé, le23/02/2005 à 9h30 avec BivingouAbdon à
son bureau sise à la direction de la Faune et de la Chasse à
STFO, par l'étudiant Mbeng Ndemezogo Georgin
* 21 Entretien
réalisé, le 25/02/2005 à 9h30 avec Ndong Ondo Saint-Yves
à son bureau sise à la direction de la Faune et de la Chasse
à STFO, par l'étudiant Mbeng Ndemezogo Georgin
* 22 Wilfried Bongoatsi-
Eckata, Ebwemà : « il est allé
tuer ». Le phénomène cynégétique et sa
dynamique dans la société hongwe (Gabon), Libreville, uob,
2001, p96
* 23 Joseph Ambouroué
Avaro, Un peuple gabonais à l'aube de la colonisation : le bas
ogowe au 19 siècle, paris, Karthala- Centre de Recherches
africaines, 1981, p182
* 24 Entretien
réalisé le 21/03/2005 à 15h45 avec Ondo Edou
Théophile chez lui à Mont- Bouet par l'étudiant Georgin
Mbeng Ndemezogo
* 25 Vincent Le Beau
Nézon Ndong Edzang, La dynamique des techniques de piège chez
les Ntumu de Mba'a Essangui, Libreville, FLSH, 2001, p25
* 26 Serge Bahuchet, Dans
la forêt d'Afrique centrale : les pygmées Aka et Baka,
Paris, Peeters- Selaf, 1992, p168
* 27 J. Vansina,
« Esquisse historique de l'agriculture en milieu forestier (Afrique
équatoriale) » in Muntu, N°2 Libreville, CICIBA,
pp5-34
* 28Ludovic Mba Ndzeng -
Les formes de gestion de l'écosystème du village Mbenga
(Woleu-Ntem) ,in Revue gabonaise des sciences de l'homme :
les formes traditionnelles des écosystèmes au Gabon, N°5
Libreville, PUG, 2004, p174.
* 29 Elisabeth A. Steel,
Etude sur le volume et la valeur du commerce de la viande de brousse au
Gabon, Libreville, WWF, 1994, pp 67-68
* 30Entretien
réalisé, le 17/03/2005 à 11h25 avec Evourou Didine chez
elle à Likouala, par l'étudiant Mbeng Ndemezogo Georgin
* 31 Jean- Marie Chevalier,
Introduction à l'analyse économique, Paris, La
découverte, p.119
* 32 Auguste Ndouna Ango,
Eléonore Ada Ntoutoume, « Utilisation des produits
forestiers non- ligneux (PFNL) dans le cadre de la gestion forestière
durable » in Le flamboyant, Paris, Réseau
International Arbres Tropicaux, n °, 2002, p38.
* 33 Ministère du
tourisme, de l'environnement et de la protection de la nature, Plan
National d'Action pour l'Environnement : l'état du Gabon au
seuil des années 2000, Libreville, Cellule de Coordination du PNAE,
1999, p.34
* 34 Emile Manfoumbi Kombila
(1999) - La direction de la faune et de la chasse, Libreville,
Ministère des eaux et forêts, de la pêche, du reboisement,
p.8
* 35Emile Manfoumbi Kombila,
op. cit. p8
* 36 Bernard Kalaora,
Au-delà de la nature l'environnement, Paris, L'Harmattan, 1998,
p11
* 37 Jean- Emile
Mbot, « Le campement comme mode de gestion de
l'environnement » in Revue Gabonaise des Sciences de
l'Homme : les formes traditionnelles de gestion de
l'écosystème, Libreville, PUG, 2004, p180.
* 38 Ministère du
Tourisme, de l'Environnement et de la Protection de la nature, Plan
National d'Action pour l'Environnement, Libreville, cellule de
coordination du PNAE, 1999, pp184-185
|
|