Université Saint-Joseph
Institut des sciences politiques
LE CHEHABISME OU LES LIMITES D'UNE EXPERIENCE DE
MODERNISATION POLITIQUE AU LIBAN
Mémoire préparé par M. Marwan HARB
Sous la direction de Monsieur le professeur Georges Corm
en vue de l'obtention du Master 2 en science politique
Beyrouth - Liban
Novembre 2007
LE CHEHABISME OU LES LIMITES D'UNE EXPERIENCE DE
MODERNISATION POLITIQUE AU LIBAN
Université Saint-Joseph
Institut des sciences politiques
LE CHEHABISME OU LES LIMITES D'UNE EXPERIENCE DE
MODERNISATION POLITIQUE AU LIBAN
Mémoire préparé par M. Marwan HARB
Sous la direction de Monsieur le professeur Georges Corm
en vue de l'obtention du Master 2 en science politique
Beyrouth - Liban
Novembre 2007
L'Institut des sciences politiques de l'Université
Saint-Joseph n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions
émises dans le mémoire. Ces opinions doivent être
considérées comme propres à leur auteur.
REMERCIEMENTS
C'est avec un grand plaisir que je réserve ces lignes
en signe de gratitude et de reconnaissance à tous ceux qui ont
contribué de près ou de loin à l'élaboration de ce
travail.
Tout d'abord, je tiens à témoigner toute ma
gratitude au Professeur Georges Corm, directeur de ce
mémoire, pour l'aide et le temps qu'il a bien voulu me consacrer et pour
l'honneur qu'il m'a accordé en acceptant de juger mon travail.
Je tiens aussi à remercier vivement le
Docteur Nawaf Kabbara, pour les conseils qu'il m'a
prodigué et pour m'avoir accordé la permission d'accéder
à sa thèse avant sa publication.
Je remercie également le journaliste
Nicolas Nassif pour ses remarques et son aide.
Par ailleurs, je voudrais exprimer ma reconnaissance au
Professeur Amine Aït-Chaalal pour ses
encouragements et pour l'intérêt qu'il a porté à mon
travail.
Un énorme remerciement à ma famille pour son
soutien moral, et tout particulièrement à mes parents qui m'ont
apporté une aide prodigieuse dans bien des domaines.
Enfin, j'adresse mes plus sincères remerciements
à tous mes proches et amis qui m'ont toujours soutenu et
encouragé au cours de la réalisation de ce mémoire
A mes parents
«Le Liban n'est pas une
exception,
il est le miroir du monde,
un raccourci de l'aventure
humaine et une
préfiguration
de l'avenir commun.»
Amine Maalouf
Laissez-moi vous dire à
présent
qui sont les enfants de mon
Liban.
Ce sont ceux qui naissent dans
des chaumières mais qui
meurent
dans les palais du savoir..."
Gibran Khalil Gibran
La Table des matières :
Introduction.....................................................................................14
Délimitation du champ de la réflexion - De la
modernisation et de la modernité - Le chéhabisme et la
modernisation - Le champ d'étude : l'histoire et la philosophie
politique - Une hypothèse de travail -les travaux concernant le sujet -
les sources et les méthodes d'analyse.
PREMIERE PARTIE
Le chéhabisme : une expérience de
modernisation
.............................................................................
Chapitre É :
Les tares historiques du régime politique
libanais
Section É - Historique
1,1-L'effondrement et l'héritage de l'Empire
Ottoman...............................................30
1,2-La création du « Grand Liban » ou
la viabilité au dépend de
l'équilibre......................33
Section ÉÉ - Le régime politique
libanais
2,1- La Constitution écrite du 23 mai 1926 et le Pacte
national de 1943 : pivots de l'équilibre politique et confessionnel
statique.......................................................................37
2,2- Le régime politique libanais: une monarchie
oligarchique à prédominance
féodalo-politique......................................................................................................45
Chapitre ÉÉ
Le chéhabisme ou la construction de l'Etat de
l'indépendance.
Section É
- La naissance, la philosophie et la stratégie
nationale du chéhabisme.
1,1 - La naissance du chéhabisme
a- La crise de
1958.......................................................................................53
b- La neutralité de
l'Armée..............................................................................59
1,2- La philosophie du
chéhabisme..................................................................63
a- Les convictions du président
Chéhab...............................................................64
b- Le président Chéhab et le Père
Lebret.............................................................66
c- La vision chéhabiste du
développement..........................................................70
d- La compréhension chéhabiste du système
politique libanais...................................73
1,3- Les principes du
chéhabisme...................................................................75
a- L'indépendance et la
souveraineté..................................................................76
b- L'union
nationale.....................................................................................78
c- La légitimité
constitutionnelle.......................................................................79
d- L'équilibre politique et
socio-économique.........................................................80
e- Le rôle arabe du Liban et sa politique
étrangère....................................................82
Section ÉÉ
-La stabilisation intérieure et le
non-alignement.
2,1 -L'élargissement de la
représentation est un facteur de
stabilisation................86
a- L'élargissement du gouvernement et
l'augmentation du nombre des députés............88
b- Une loi électorale plus
représentative..........................................................90
2,2- Ni l'Un ni l'Autre : la
neutralité
positive...............................................92
a- La politique
Libano-arabe.......................................................................95
b- La politique envers les pays
étrangers........................................................97
Section ÉÉÉ
- Les réformes économiques et
administratives
3,1- Le développement économique
harmonisé facteur de renforcement de la cohésion
nationale
a- Le rétablissement de l'équilibre social et
régional.........................................102
b- Le Libanais ne naît pas
citoyen...............................................................105
3,2 - La réforme administrative, nerf de
l'Etat moderne................................109
a- L'administration : garant de la continuité
de l'Etat........................................111
b- La
planification..................................................................................112
DEUXIEME PARTIE
Les difficultés de la modernisation politique ou
l'Etat inachevé
...................................................................................................
Chapitre É :
Une expérience de modernisation : les
causes d'un échec
Section É
-Les obstacles devant le passage d'une politique
d'équilibre à une politique de décision.
1,1- La relation dialectique entre la modernisation et le
développement politique..........118
1,2- Incompatibilité entre la
modernisation et les garanties communautaires................125
1,3- L'enracinement des forces traditionnelles, ou« les
impuretés de l'Histoire »...........131
1,4- La crise de l'autorité et le rôle du «
Deuxième Bureau »...................................134
Section ÉÉ
- L'essoufflement du projet
moderniste-chéhabiste :
2,1- La solitude présidentielle face à la
classe des leaders.................................................148
2,2- L'inefficacité de l'administration du
développement ......................................151
2,3- « La Révolution
démocratique » et la tyrannie du
temps....................................157
2,4- La résistance des monopoles économiques et
financiers et refus de coopération du secteur
privé...........................................................................................162
2,5 - Un projet incapable de s'imposer à long
terme : la chute de Nasser et l'irruption de la résistance
palestinienne..............................................................................171
Chapitre ÉÉ :
Une seconde tentative de modernisation
avortée.
Section É
- l'Accord de Taëf et le
chéhabisme :
1,1- La croissance équilibrée et la
reconstruction des institutions étatiques................173
1,2- La mise en pratique de Taëf et sa
retombée sur la modernisation de l'Etat...........177
Section ÉÉ :
-La persistance de la disparité
socio-économique
2,1- Un contexte social
difficile...................................................................181
2,2- La concentration des activités
économiques au centre de la fracture centre-
périphérie...............................................................................................183
Conclusion.....................................................................................186
Annexe
1...............................................................................................193
La
Bibliographie....................................................................................195
INTRODUCTION
- Délimitation du champ de la
réflexion
Les périodes de crise ont ceci de
particulier qu'en exacerbant les tensions, elles mettent à nu les
dysfonctionnements d'une société et permettent de mieux
interroger ses fondements structurels. « Crise »
dérive en fait du grec « krisis », qui
signifie « décision », plus
précisément, l'impuissance dans laquelle les ruptures et les
troubles plongent une société au point de ne plus être
à même de prendre une décision ; et la gravité
d'une crise ne se mesure pas tant aux troubles qu'elle engendre et qui
l'engendrent, mais à l'impouvoir où l'on est réduit de
prendre une décision cependant que la conjoncture l'exige.
Des sept crises politiques qu'a connues le Liban, seule celle
du renouvellement du mandat de Béchara el-Khoury n'a pas
débouché sur une crise identitaire. Les cinq autres : celle
de l'Indépendance ; celle de 58; celle de 70/75, au moment de
l'irruption de la Résistance palestinienne sur la scène
libanaise ; celle de 1982 ponctuée par l'invasion
israélienne ; celle enfin de 75/2005 marquée par la
tentative de la ghalaba syrienne sur le Liban - ont toutes
débouché sur une crise identitaire.
C'est que, à l'occasion de chacune de ces crises, les
Libanais se sont retrouvés dans deux camps antagonistes pour ne pas dire
ennemis, chaque camp s'alliant avec l'ennemi1(*) de l'autre camp.
Du fond de l'impuissance, qui caractérise chaque crise,
celle de 1958 va engendrer un « nouveau style de
gouvernement » une stratégie, une démarche et une
praxis politique inédite dans l'histoire du Liban contemporain. Ce
nouveau style de gouvernement se manifeste dans ce qu'on a appelé le
« chéhabisme » : école politique
initiée par le général Fouad Chéhab,
président de la République de 1958 à 1964. Pour la
première fois, la présidence de la République est devenue
la source d'une philosophie politique nationale et le terme de
chéhabisme fit son entrée dans le lexique politique libanais.
Le mandat du président Fouad Chéhab est
étudié avec un grand intérêt par les historiens, les
chercheurs en sciences sociales et les hommes politiques. Le motif de notre
recherche réside dans cette incitation de Georges Corm :
« Il faut que les jeunes faisant des études
supérieures, chez eux ou à l'étranger, parviennent
à briser le carcan des problématiques stériles autour du
communautarisme, plus que jamais hégémoniques, voire dictatorial,
dans les études et recherches de ce type académique, comme dans
les médias2(*). »
Georges Naccache a écrit que « les
règles du chéhabisme pourraient servir d'appendice à la
Constitution libanaise sous le titre : « Ecole des chefs
d'Etats ». La pensée, la méthode, le style sont
pragmatiques : « un réalisme implacable », et
« un pessimisme constructeur. »
En effet, nous considérons que le chéhabisme
avec des améliorations et des réadaptions nécessaires
après toute mise en pratique d'une stratégie ou d'une doctrine
politique constitue aujourd'hui un projet adéquat et nécessaire
au rétablissement et à la reconstruction d'un Etat fort et
moderne au Liban.
L'intérêt scientifique de notre recherche
réside dans le prélèvement et l'analyse des limites du
chéhabisme qui sont nécessaires pour servir de phare à
tout projet de modernisation politique future tout en évitant de
renouveler les mêmes erreurs. Antoine Messara pense en effet que «
les interrogations du chéhabisme sont celles mêmes du
système politique consociatif libanais3(*). »
De plus, dans la littérature politique qui traite du
chéhabisme, il n'existe pas d'analyses et d'études qui exposent
profondément et particulièrement les causes de l'échec du
chéhabisme en tant que tentative de modernisation et de construction
d'un Etat capable de produire de la modernité.
L'Etat libanais actuel prit forme avec le chéhabisme et
accéda à la maturité institutionnelle et étatique.
Le chéhabisme tenta de construire un Etat moderne doté
d'institutions politiques et administratives efficaces et démocratiques.
L'essence du chéhabisme est la volonté d'organiser et de
mobiliser l'appareil d'Etat autour d'un développement économique
conçu comme le premier corollaire de la justice sociale et d'une
conscience nationale.
Une tentative unique et particulière de modernisation
du système politique libanais ; l'expérience
chéhabiste demeure, la tentative de modernisation la plus
réaliste et la plus engagée. En effet, la construction d'un Etat
central fort qui exerce un pouvoir hiérarchique régulateur se
présente comme une étape nécessaire dans la construction
d'un Etat capable de produire de la modernité.
De la modernisation et de la
modernité.
Dans le célèbre avant-propos du recueil de ses
essais de sociologie de la religion, Max Weber expose ce
« problème qui relève de l'histoire
universelle » et auquel il a consacré l'oeuvre scientifique de
toute sa vie : pourquoi « le développement scientifique,
artistique, politique, économique » ne s'est-il dirigé,
ailleurs qu'en Europe, « sur la voie de la rationalisation qui est le
propre de l'Occident4(*). » Pour Max Weber, l'existence d'un lien
interne - qui ne saurait donc seulement être contingent - entre la
modernité et ce qu'il appelait le rationalisme occidental allait encore
de soi. Selon sa description, le processus de désenchantement par suite
duquel les conceptions religieuses du monde, en se désintégrant,
engendrent une culture profane, est un processus
« rationnel ».
Mais ce que Max Weber a décrit du point de vue de la
rationalisation, ce n'est pas seulement la laïcisation de la culture
occidentale, c'est avant tout le développement des
sociétés modernes. Les nouvelles structures sociales sont
caractérisées par la différenciation des deux
systèmes qui se sont cristallisés autour des centres
organisateurs que sont l'entreprise capitaliste et l'appareil bureaucratique de
l'Etat, et qui, du point de vue fonctionnel, s'interpénètrent.
En effet, en Occident, le thème central de la
philosophie des Lumières fut le triomphe progressif de la raison au
détriment des croyances et des formes d'organisation sociale
traditionnelles. Ce mouvement s'est traduit par la laïcisation des
institutions, mais aussi par le rejet progressif de tout principe transcendant
d'intégration et de contrôle de la vie sociale5(*). Il faut donc tenir pour
hypothèse l'inévitable caractère historique de la
modernité.
On peut définir avec Alain Touraine la modernité
en elle-même comme un ensemble d'attributs de l'organisation sociale,
sans la confondre avec la modernisation qui est un mouvement, une
volonté, une mobilisation à la tête de laquelle se trouve
de toute façon placé l'Etat, quels que soient ses soutiens
sociaux.
C'est à ce niveau que la distinction entre
modernisation et modernité est utile : la modernisation est un processus
multiforme tandis que la modernité est le règne des valeurs
nouvelles. On peut ainsi distinguer modernité et modernisation,
c'est-à-dire la modernité comme un état et la
modernisation comme le passage à un niveau supérieur de
modernité. La modernité est là où elle est la plus
moderne.
Le terme de modernisation qui a été crée
dans les années cinquante, désigne depuis une approche
théorique qui reprend la question de Max Weber, mais y répond
avec les moyens du fonctionnalisme sociologique. « Le concept de
modernisation désigne selon Habermas, un ensemble de processus
cumulatifs qui se renforcent les uns les autres ; il désigne la
capitalisation et la mobilisation des ressources, le développement des
forces productives et l'augmentation de la productivité du
travail ; il désigne également la mise en place de pouvoirs
politiques centralisés et la formation d'identités
nationales ; il désigne encore la propagation des droits à
la participations politique, des formes de vie urbaine et de l'instruction
publique ; il désigne enfin la laïcisation des valeurs et des
normes, etc.6(*)»
La modernisation est un processus multiforme. Les voies de la
modernisation sont nombreuses, sauf qu'à terme toutes débouchent
sur une société moderne et éventuellement
démocratique. « Autrement dit, partant d'un modèle,
supposé être « aculturel », on rejoint
finalement le modèle « culturel » de la modernité
occidentale7(*) »
Toutefois, il est naïf d'imaginer que le monde et principalement le Liban
aura à marcher dans les pas de l'Occident, passer par les mêmes
séquences et aller au même rythme. Une telle approche se heurte au
fait, largement admis, que la voie occidentale, si tant est que l'Occident ait
emprunté une seule voie, fut unique, singulière et impossible
à répéter.
Le principe central de ce modèle occidental est donc
que la modernisation est endogène, que la société est
capable de produire de l'intérieur sa propre transformation, sans que
celle-ci soit le résultat d'une pression ou d'une intervention d'origine
étrangère8(*).
« La théorie de la modernisation détache la
modernité de ses origines - l'Europe des temps modernes - et la
présente comme un modèle général des processus
d'évolution sociale, indifférent au cadre spatio-temporel auquel
il s'applique9(*). »
Cette voie de modernisation, qui est aussi appelée
individualiste, a connu une vaste diffusion et plusieurs variantes. Le Japon,
la Turquie kémaliste, l'Iran des Pahlévi, et le Liban sous le
chéhabisme, ont connu sous des formes très diverses, des
interventions étatiques se substituant à une modernisation
endogène trop faible, l'Etat devenant lui-même le vecteur
principal de modernisation et de destruction des anciennes structures sociales
et culturelles, ou l'utilisation de certaines d'entre elles dans un but de
transformation accélérée de la société. Les
modèles non occidentaux se sont souvent soldés par des
échecs parce qu'ils ont cru que par le seul volontarisme ils pouvaient
créer de la modernité.
Le chéhabisme et la modernisation
Ce travail a choisi un prisme, pour fouiller dans le champ
défini ci-dessus. Il s'est donné pour sujet de recherche les
limites de l'expérience de modernisation entamée par le
chéhabisme. Le chéhabisme a tenté de moderniser le
système politique selon une stratégie basée sur trois
piliers principaux :
1- Contourner les forces politiques traditionnelles sans pour
autant déranger ou troubler le cours normal de la vie politique, en
faisant appel à de nouvelles « figures » dans le domaine
de l'administration et de l'armée.
2- Entamer une large réforme de l'administration
publique jamais entretenue avec un tel succès.
3- Elaborer une doctrine politique dominante qui combattait
pour la justice sociale sans pour autant sacrifier le dogme du
libéralisme économique et du confessionnalisme politique.
Lorsque s'achève le mandat de Fouad Chéhab, la
République de l'Indépendance née en 1943 a atteint sa
majorité. Au moment de l'entrée en fonctions du chef de l'Etat en
1958, elle vivait une très grave crise qui ébranla le Pacte
National et faillit remettre en question la coexistence inter-communautaire.
Six ans plus tard, l'unité nationale semble rétablie et le pays,
placé sur les rails de la modernisation.
Le chéhabisme fut une tentative pour rétablir
les bases d'un pouvoir collectif, pour réanimer la démocratie. Ce
pouvoir n'est concevable, en raison de son exorbitance même, que s'il est
un pouvoir véritablement unanime c'est-à-dire, au Liban, un
pouvoir issu du plus large consensus interconfessionnel, fondé sur le
plus large respect populaire. Après la « révolution blanche
» de 1952 et, encore plus, la double crise de 1958 qui avait
ébranlé les assises du Liban, l'idée toute simple d'un
partenariat islamo-chrétien fondement du Pacte National était
dépassée. Chéhab l'avait compris. Il fallait un nouveau
pacte, qui ne soit ni un pacte de personnes ni un pacte
d'intérêts ; il devait asseoir leur pouvoir et assurer le
développement dans une période historique au cours de laquelle
tout le Moyen-Orient passait par un moment de changements dramatiques, de la
montée de l'opposition anti-nassériste, à l'invasion
israélienne de l'Egypte, de la Syrie et la Jordanie en 1967. II
fallait, tout en protégeant le pays des turbulences régionales et
internationales, en mettant la cohésion interne à l'abri des
convulsions qui agitaient le Moyen-Orient et le monde, définir un
programme politique, fixer des objectifs nationaux à atteindre, dont le
plus important consisterait à édifier un Etat digne de ce nom.
Georges Corm observe dans « Géopolitique du conflit
libanais » que « (...) le Général aura
effectivement mis en place tout l'appareil d'un Etat moderne, centralisé
et fort.10(*)»
L'expérience chéhabiste, elle-même issue
de la tradition du Pacte National de 1943 et du Dastour qu'elle continue avec
le souci d'une plus grande efficience et stabilisation, traduit les
possibilités, les limites et les contraintes de la société
plurale libanaise, avec la déclaration du 4 août 1970 :
« Que faire de plus ? » et la réponse :
« le pays n'est pas encore prêt ».
La pensée ultime de Chéhab était la
suivante : la réforme institutionnelle est impossible si elle ne
s'accompagne d'une réforme des esprits et des moeurs. Bâtir un
Etat moderne sur les vieilles structures confessionnelles est une entreprise de
longue haleine.
En effet, la question capitale est de comprendre si
l'échec du chéhabisme fut le produit de ses propres
sous-estimations, de ses erreurs, ou bien, le produit de forces objectives qui
dépassent le chéhabisme et même le Liban. Et partant, les
accords de Taêf ne seront-ils pas neutralisés par les mêmes
causes, reflétant par le fait une carence inhérente à
l'évolution du système politique libanais ?
A la convergence de ces lignes de réflexion se
dégage l'hypothèse de travail. Elle postule que :
« les limites de la modernisation politique au Liban pourraient
se manifester dans la relation antagoniste entre la création d'une
politique publique et son application d'un côté, et la
compétition pour les dépouilles du pouvoir d'un
autre. »
Cette recherche s'applique d'abord au domaine politique, mais
aussi économique (en analysant l'économique comme
étroitement lié au politique) et philosophique (en tant que le
chéhabisme constitue une ligne de conduite et une certaine approbation
de l'Homme et de la vie). Elle est par conséquent pluridisciplinaire
même si la philosophie politique en ait le thème et le guide
central.
Ce mémoire n'a pas la prétention de faire une
mise au point exhaustive sur le sujet retenu. En préalable on peut
énoncer trois points qui conditionnent la réalisation de
l'étude proprement dite, à savoir le repérage des travaux
et réflexions concernant le sujet, la mise en évidence des
sources les plus intéressantes et, attachés à celles-ci,
des choix méthodologiques.
Il n'existe pas de mises au point centrées sur le sujet
en tant que tel : les écrits qui l'abordent se consacrent parfois
entièrement au chéhabisme en tant que tel et non pas aux causes
de son échec. Nous pouvons citer des articles et des ouvrages
tels :
Roger Owen11(*) note que l'action de Chéhab est très
mal ressentie par les politiciens parce qu'elle implique une forte limitation
de leur accès aux ressources publiques de patronage politique et qu'elle
l'est également par les milieux bancaires et commerciaux qui s'opposent
à des politiques qui semblent réclamer des augmentations
d'impôts pour les financer, qui donnent l'occasion à un
contrôle plus étendu de la part des pouvoirs publics sur leurs
affaires et qui risquent de favoriser l'émergence d'un groupe de
pression industriel lequel pourrait constituer un défi à
l'orientation de base de l'économie. Cette opposition manifestée
à Chéhab par l'establishment politique et
économique explique son refus de briguer un deuxième mandat.
Kamal Salibi trouve qu'au terme du mandat Chéhab,
l'inefficacité administrative, principal problème auquel le Liban
fait face depuis son indépendance, est toujours la même.
« La situation sociale et économique exigeait une
planification et un nouvel ordre ce qui exigeait une administration
compétente, malgré tous les efforts, elle est restée
inefficace et corrompue. Cependant le régime a réussi à
réduire l'abus des postes, mais la pratique de corruption est
restée sur plusieurs niveaux, sur des considérations
confessionnelles et sectaires12(*). » Par conséquent, cette
expérience de modernisation fut inconsistante, fortuite, et largement
inefficace.
Michael Johnson13(*) considère que le chéhabisme s'est
contenté de manipuler le clientélisme à son avantage et
s'est refusé d'aller au-delà de cette politique vers une
réforme du système et que c'est en fin de compte cela qui
explique les limites du chéhabisme; sa défaite aussi.
Youssef Sayigh évoque entre autres causes de cet
échec, le manque de temps : un seul mandat
présidentiel.14(*)
Le sexennat de Charles Hélou (1965-1970) considéré souvent
comme une continuation du chéhabisme est jugé comme étant
stérile en développements majeurs dans les domaines
économiques, administratifs et sociaux. Ayant débuté son
mandat par une grande purge des éléments corrompus de
l'Administration, le président Hélou n'aura pas de cesse, par la
suite, de regretter son acte. Comparant le président Hélou
à son prédécesseur, Sayigh note le tempérament plus
contemplatif et moins volontaire du premier15(*).
Bassem Al-Jisr16(*) qui a le plus écrit sur le chéhabisme,
rappelle que Chéhab était conscient qu'il devait pousser
l'affrontement avec la classe politique traditionnelle au-delà de ce
qu'il avait fait pendant son premier mandat, s'il voulait poursuivre ses
réformes économiques et sociales et que son refus - sa crainte
aussi - de le faire, l'amènent à se désister à deux
reprises, en 1964 et en 1970.
Par conséquent, Charles Rizk17(*) voit que le président
Chéhab n'a pas été chéhabiste jusqu'au bout.
Georges Corm18(*) considère que les résultats de la
politique du Général furent remarquables sur le plan
économique, mais, malheureusement beaucoup plus fragile sur le plan
politique et considère que les deux limites principales de
l'expérience réformiste que le Général ne franchit
pas sont : l'absence d'une politique de séparation des
communautés d'avec l'ordre public et le maintien de la
répartition communautaire des fonctions publiques ; et aucune
réforme électorale en profondeur, marginalisant les
notabilités communautaires traditionnelles, ne fut introduite. Le
système électoral continua d'être régi après
une répartition communautaire rigide des sièges parlementaires et
des découpages électoraux renforçant
l'hégémonie des notabilités traditionalistes.
La thèse de Nawaf Kabbara « Shehabism in
Lebanon 1958-1970 : The Failure of an Hegemonic Project »
publiée en 1988 est le travail académique qui a le mieux
analysé l'échec du chéhabisme en tant que
« projet hégémonique ». Par
hégémonique, Kabbara comprend l'émergence d'une
identité nationale libanaise qui englobe les appartenances
communautaires et régionales. Après avoir critiqué
l'argumentation de la démocratie consociative avancée par Antoine
Messara, Kabbara considère que « l'existence de
différents groupes sociaux dans un pays quelconque n'implique pas
nécessairement l'existence de conflits et d'antagonismes entre eux,
ainsi, toutes les identités sociales sont sujettes à des
changements, à des reformulations ; aucune identité n'est
fixe, et finalement c'est à travers l'hégémonie que les
identités deviennent politisées, que les individus deviennent des
sujets politiques et que de nouvelles structures sociales sont
construites19(*). » Kabbara considère que le
chéhabisme échoua pour trois raisons essentielles :
l'incapacité de construire un système politique basé sur
la pluralité des partis politiques ; le refus de reconduction du
président Chéhab en 1964, et l'abus et le rôle de la
bureaucratie et de l'armée dans l'application du projet
hégémonique.
La méthodologie de recherche
Je compte m'en tenir à une ligne médiane qui
évite les deux écueils guettant toute recherche de ce type : la
sublimation du « miracle » chéhabiste ou bien la banalisation
de son « génie propre.» Puisque « le
chéhabisme, tout comme le Dastour, n'est pas une idéologie, ni
une doctrine, mais une praxis. Pour la critiquer ou prouver le contraire, il ne
s'agit pas de dire, de proposer ou de souhaiter mieux, mais de faire mieux ou
de se référer à une autre praxis20(*). » Cette
étude considère le chéhabisme comme un projet visant
à créer une identité nationale libanaise en se basant sur
certains programmes et stratégies.
Pour préciser notre fil conducteur analytique, il nous
est apparu pertinent de recourir aux vertus du systémisme et de son
approche globale qui est d'un grand intérêt pour
appréhender les phénomènes politiques complexes.
Ainsi le fondement de notre cheminement est-il de
considérer l'objet étudié - en l'occurrence le
système politique libanais - comme une totalité dont les
éléments constitutifs sont liés et interdépendants.
Nous entendons par système politique « le mode d'allocation
autoritaire des ressources dans la société » ou, pour
parler comme David Easton « l'ensemble d'interactions par lesquelles
les objets de valeur sont repartis par voie d'autorité dans la
société21(*) ». Le système politique est donc
constitué non seulement par la structure constitutionnelle des pouvoirs
publics mais, plus largement, par l'ensemble des processus qui encadrent la
participation politique, conduisant à la conversion d'attentes en
exigences, à la transformation de projets ou de programmes d'action en
décisions.
Dans cette perspective, il nous est autorisé de
représenter schématiquement le système politique libanais
comme étant enfermé dans une boîte noire, recevant des
« inputs », donnant naissance à des
« outputs », l'ensemble étant
immergé dans un « environnement » conflictuel,
et suscitant des « rétroactions ».
Identifions, plus précisément, chacune des
composantes systémiques de notre réflexion :
- « Les inputs modernisateurs » : au
titre des variables susceptibles de favoriser la construction d'un Etat moderne
nous pouvons ranger : les réformes entreprises par le
chéhabisme.
- « Les outputs » :
partant, « ces inputs » ont nourri un processus de
modernisation dans le domaine administratif et social, sans pour autant amorcer
une modernisation politique.
- « L'environnement
conflictuel » : ici nous distinguons entre
l'environnement interne et l'environnement externe. L'environnement conflictuel
interne est favorisé par les structures irrésolues qui
intensifient les luttes inter-communautaires et les ingérences
étrangères dans les affaires internes du pays d'un
côté, et l'environnement externe (l'implantation du foyer juif en
Palestine- le conflit israélo-palestinien - les conflits interarabes -
les convoitises étrangères dans la région du Moyen-Orient)
qui se répercute de façon incontournable sur la scène
libanaise interne.
- « La rétroaction » :
à notre sens, c'est à ce stade que se manifeste la grande
utilité de l'analyse systémique, de ce qu'elle permet de
dégager les variables qui auraient freiné une
« rétroaction politique modernisatrice ». Les
rétroactions des « outputs » auraient dû
favoriser des « inputs » agissant sur le système
politique le plaçant sur la voie de la modernisation (Blocages). Car la
mutation que le développement est susceptible d'opérer dans les
structures économiques et sociales implique, sinon une mutation
concomitante, du moins une réadaptation des structures et des
institutions politiques.
Outputs
Croissance économique; sécurité;
développement.
Rétroactions
Environnement conflictuel interne
Environnement conflictuel externe
Le système politique libanais
Expérience de modernisation
Blocages
Inputs modernisateurs
Les réformes introduites par le chéhabisme
- Les vertus de l'analyse systémique
Pour analyser l'échec et les limites politiques de
l'expérience chéhabiste au Liban, nous analyserons d'abord les
obstacles relatifs au système consociatif libanais, ensuite
l'essoufflement du chéhabisme en tant que projet de modernisation.
Cette étude comprend deux grandes parties
divisées respectivement en deux sections. La première partie
intitulée « le chéhabisme, une expérience de
modernisation », retrace dans la première section les
étapes essentielles dans l'histoire du Liban qui ont
déterminé la nature de son système politique : de
l'héritage ottoman, à la proclamation du Grand-Liban, passant par
la Constitution de 1926, aboutissant à l'Indépendance et au Pacte
national de 1943. La deuxième section expose sous le titre de
« le chéhabisme ou la construction de l'Etat de
l'indépendance » la naissance, les principes, et la
philosophie du chéhabisme qui se manifestent dans le non-alignement et
la neutralité positive sur le plan externe, la stabilisation et les
réformes économiques et administratives sur le plan interne.
La deuxième partie intitulée « une
expérience de modernisation : les causes d'un échec
» analyse à la lumière de la première partie
les limites de l'expérience modernisatrice du chéhabisme. Nous
étudierons dans un premier temps les obstacles qui entravent le passage
d'une politique d'équilibre à une politique de décision
à travers les limites relatives à la modernisation même et
au système politique libanais : nous montrerons que la
modernisation et le développement politique entretiennent une relation
dialectique et délicate ; qu'il y a incompatibilité entre la
modernisation et les garanties communautaires, un enracinement des forces
traditionnelles, et une crise de l'autorité dans le système
politique consociatif libanais.
Dans un deuxième temps, nous relèverons les
limites relatives au chéhabisme en tant que tentative de modernisation
en insistant sur la solitude présidentielle face à la classe des
leaders ; sur les limites d'une révolution
démocratique et la tyrannie du temps; sur l'inefficacité de
l'administration du développement ; sur la résistance des
monopoles économiques et financiers sur le refus de coopération
du secteur privé et enfin sur la disparition de Nasser et
l'émergence de la résistance palestinienne.
Quant à la deuxième section nous essayerons de
relever l'esprit du chéhabisme dans l'Accord de Taëf en montrant
que cet esprit a été trahi dans l'application quoique boiteuse et
incomplète de ces accords.
La recherche sur le chéhabisme rencontre quelques
difficultés. La plus importante est la proximité temporelle
et historique qui le situe comme protagoniste dans la vie politique libanaise
d'aujourd'hui. Plusieurs hommes politiques contemporains se définissent
comme étant chéhabistes. D'un autre côté, nous
n'avons pas trouvé dans la littérature politique des oeuvres
générales et complètes sur le chéhabisme politique.
La majorité des ouvrages appréhendent le chéhabisme
à travers de perspectives précises et séparées.
Et malgré leur importance capitale, elles ne forment
pas un ensemble ou une base pour une évaluation objective et
générale du chéhabisme ou du « Nahg22(*) » ; encore
moins de ses limites.
PREMIERE PARTIE
LE CHEHABISME : UNE EXPERIENCE DE
MODERNISATION
Chapitre 1 :
Les tares historiques et la nature du régime
politique libanais
«Le passé est comme la
distance.
Notre vue y
décroît et s'y perdrait
de même l'histoire et la
chronologie
n'eussent placé des
flambeaux aux
points les plus
obscurs. »
Buffon
« Le problème actuel,
vient toujours
de la solution
précédente. »
Daniel
Descheneaux
Section É - Historique
1,1- L'effondrement et l'héritage de l'Empire
Ottoman.
Entre la révolution des Jeunes Turcs de 1908 et
l'organisation en 1920 des territoires arabes en Etats relevant des puissances
mandataires, un vent d'espoir d'indépendance souffle sur la
région. Mais la guerre mondiale désintègre l'Empire
Ottoman et remplace l'oppresseur par un tuteur, seul habilité à
décider de la maturité des populations pour accéder
à l'indépendance. Les lendemains de la victoire laisseront chez
beaucoup un arrière-goût de frustration.
Si « tout empire périra23(*) » est
une loi de l'Histoire selon l'historien Jean-Baptiste Duroselle ; ce qui
est moins évident, c'est le degré de renaissance qui suit la
chute ou l'éclatement des empires ; c'est-à-dire l'ordre
nouveau qui émerge. Après la chute de Rome, ce ne fut pas tout de
suite la Renaissance, mais bien plutôt le Moyen-âge, le
Quattrocento (
Première
Renaissance) vient bien plus tard.
De la désagrégation des empires émergent
le plus souvent deux formes de société politique :
Les unes sont des sociétés nationales. Leur
intégration était déjà acquise dans le
système antérieur ou, du moins, en voie de réalisation.
L'indépendance leur apporte généralement; avec la
consécration juridique, l'armature institutionnelle d'un Etat unitaire.
C'est ainsi que l'éclatement des Empires austro-hongrois et ottoman en
1919 a donné naissance à des Etats- Nations réels. A
son tour, la décolonisation des Empires britannique et français a
permis la formation en tant qu'Etats souverains de pays comme l'Australie,
l'Inde, le Ghana, le Maroc, la Tunisie ou Madagascar
D'autres sociétés, en revanche, sont de nature
différente. Elles recèlent plusieurs communautés entre
lesquelles aucune fusion véritable ne s'est encore opérée.
Dans ces pays, comme le Liban, l'intégration reste à faire ou
s'avère provisoirement impossible. Leur structure sociale pose, en tout
cas, aux autorités qui en assument la responsabilité politique,
un difficile problème de cohabitation.
Au Liban, il n'y avait aucune structure, ou infrastructure
politico-administrative moderne. Dès avant la guerre de 1914, des
courants du Mont-Liban réclament un Liban rétabli dans ses
frontières d'avant 1861. Mais ils sont dispersés et sans poids
réel. Ils représentent des milieux maronites, plus ou moins
francophiles.
Après la chute de l'Empire Ottoman en 1918, le conseil
représentatif est rétabli. Présidé par Habib Pacha
Es Saad il commence à multiplier les motions réclamant
l'indépendance d'un Liban agrandi.
Le Liban n'existait pas encore au sens géopolitique.
Seul le Mont-Liban et ses 7 cazas à majorité chrétienne
bénéficient depuis 1861 d'une autonomie. Gouverné par un
moutassarrif chrétien, il est entouré du wilayet de Beyrouth (la
ville étant enclavée dans le Mont-Liban) avec les sandjaks de
Lattaquié, Tripoli, Sa'ida, Tyr, Acre et du wilayet de Damas auquel sont
rattachés les cazas de Baalbeck, Moallaka (Bekaa), Rachaya et
Hasbaya.
Au Liban, un système particulier s'était
élaboré sous l'Empire ottoman qui est celui des
millets24(*) (au
singulier, milla signifie en arabe «
communauté ») ou nations auxquelles l'Empire accordait une
autonomie interne.
La communauté maronite avait oeuvré depuis
longtemps pour l'indépendance totale du Liban, et ne pouvait
éprouver aucun enthousiasme à fusionner dans un Etat où
elle serait fortement minoritaire et gravement menacée. Cette
indépendance devrait être totale, définitive et
inconditionnelle, vis-à-vis de l'Orient et de l'Occident.
Pour les chrétiens du Liban et pour les
minorités en général, leur situation au sein de l'Empire
ottoman était préférable à celle qu'ils risquent de
subir dans l'union. Henri Laurens voit que « contrairement à
une légende noire, l'époque ottomane est la grande époque
des chrétiens d'Orient.25(*) » De même, Georges Corm
précise que « l'identité des populations et la
mixité de divers groupes ethniques, linguistiques ou religieux sur
un même sol caractérisaient de larges régions
géographiques, rurales comme urbaines, de ces empires. Une fois
consolidée la domination de ces grands empires, la stabilité
assurée aux populations sous leur contrôle permettait
l'épanouissement et la permanence de cette mixité26(*). » Le
multi-communautarisme, le multiculturalisme, le multilinguisme dans l'Empire
Ottoman sont l'expression d'une reconnaissance et d'une protection. «Il y
avait en effet des avantages pour ces minorités jouissant d'une petite
autonomie au sein d'un Empire protecteur des minorités, et qui
craignaient de la perdre dans un Etat-Nation où l'Islam deviendrait
religion d'Etat27(*). »
Ainsi, les idées d'union et d'indépendance,
d'homogénéité et de spécificité, de nation
libanaise, de nation syrienne et de nation arabe se mêlaient en
polarisant les énergies autour deux centres de gravité : le
premier tirant sa force de l'histoire du pays, des données fondamentales
de sa composition riche, variée et complexe ; le second tirant sa
force des rapports avec l'histoire des autres pays.
La société du Grand-Liban se développa
ainsi à un double niveau : celui de l'Etat qui tenta officiellement
d'unifier les attitudes en légiférant pour la Communauté
nationale ; celui des groupes communautaires qui infléchirent
réellement, la plupart des fois, l'Etat et la Nation à leur
structure propre.
L'évolution politique et sociale du Liban a toujours
obéi à l'interférence de deux ensembles de facteurs qui
sont d'une part, les rapports entre les diverses communautés qui vivent
sur son sol et, d'autre part, l'influence des pressions qu'exerce la
conjoncture régionale et internationale par et pour ces
communautés ou contre elles.
1,2 - La création du
« Grand-Liban » ou la viabilité aux dépens de
l'équilibre.
En proclamant le Grand-Liban dans ses limites historiques, un
Etat unifié sur le plan politique, économique et administratif,
le Mandat Français reconstitua ainsi un ensemble géographique
composé de la Montagne et d'un ensemble de cazas entourant cette
dernière. En 1840, ces cazas furent détachés de la
Montagne par un acte d'autorité de Chékib Effendi,
représentant de la Sublime Porte. En 1920, ils furent annexés
à la Montagne, selon les voeux d'une partie de la population, par un
acte d'autorité du général Gouraud, au nom de la
France.
En dépit de la richesse naturelle de leur territoire,
les régions annexées se cantonnèrent dans un stade
agricole rudimentaire et restèrent, pour de multiples raisons,
fermées à toute pénétration
étrangère. Ce qui déclencha un processus de
dénivellement économique de plus en plus accentué au
profit de la Montagne.
L'élargissement de la frontière du Mont-Liban
vers la côte et vers les plaines fertiles a assuré la
viabilité du Mont-Liban en lui ouvrant des débouchées
maritimes28(*) sur la
Méditerranée et en lui donnant accès au grenier29(*) des plaines fertiles de la
Bekaa. Henri Laurens affirme que « cette extension
géographique à pour but d'assurer une cohérence
économique permettant d'éviter le retour des famines des
années de guerre30(*). » La géographie a
triomphé de l'homogénéité sociale. La
reconstitution du Grand-Liban porta sa superficie trois fois celle de la
Montagne.
Cependant, les conditions nécessaires à la
viabilité du pays ont secoué l'équilibre confessionnel du
Mont-Liban en intégrant des régions, à majorité
sunnite (Beyrouth, Tripoli, Saida, Akkar) et chiite (Bekaa et le Djebel
Amel) ; la grande faiblesse du jeune Etat fut de renforcer des groupements
minoritaires et de rendre minoritaires des groupes majoritaires dans le
groupement initial des communautés. Le Liban (Mont-Liban) cessera
d'être un Etat surtout chrétien pour devenir un Etat
multicommunautaire (Grand-Liban) sans majorité définie.
Le tableau suivant montre clairement la répartition de
groupements antagonistes appelés à une coexistence harmonieuse
dans une seule société31(*) :
Les communautés du
Grand-Liban
|
Population de la
Montagne
|
Population des
Régions annexées
|
Maronites
|
242 308
|
43 091
|
Grecs-Catholiques
|
31 936
|
26 094
|
Grecs-Orthodoxes
|
52 356
|
41 220
|
Total des Chrétiens
|
326 600
|
110 405
|
Sunnites
|
14 529
|
106 204
|
Chiites
|
23 413
|
93 174
|
Druzes
|
47 290
|
9 552
|
Total des Mahométans
|
85 232
|
208 930
|
Les différents groupes communautaires occupaient donc
ces deux milieux (ville-montagne) sous forme d'agglomérations
localisées dans l'espace. Cette localisation communautaire sera l'une
des causes de la naissance du leadership communautaire et de son extension
politique car chaque communauté était majoritaire dans sa
région et pouvait par le fait donner à toute revendication
économique, sociale ou politique un appui et une connotation
communautaire.
De même, les populations venues de ces régions
«n'avaient pas participé antérieurement à la
riche expérience sociale et historique du Mont-Liban et de Beyrouth, et
elles ne furent donc pas facilement intégrées au système
social libanais. »32(*) Georges Corm dans « Le Liban
contemporain » précise que « l'évolution
socio-économique des communautés ne s'est pas faite de
façon synchronique,... la ville et la montagne n'ont pas eu le temps de
s'apprivoiser mutuellement.»33(*)
L'histoire politique et sociale du Liban sera rythmée
dès cette époque par la rencontre entre les populations et les
idéologies des «villes » avec celles de la
« Montagne »34(*) et par la localisation d'histoires différentes
dans un même espace géographique. Dès sa création
l'Etat du Grand-Liban sera confronté au problème de la
cohabitation.
Sous le régime du Mandat, sous le régime de
l'Indépendance, la confusion fut presque totale entre territoires
annexés et régions exploitées. La différence pour
les Musulmans entre le Mont-Liban et le Grand-Liban est le fait que ceux qui
sont originaires du premier occupent les premiers postes de l'Etat, ceux du
second n'ont d'autre tâche que de payer l'impôt35(*) . Cependant, au-delà de
l'exploitation économique qu'ils invoquèrent, des antagonismes
religieux motivaient leurs attitudes, en s'opposant à une entité
dont le pouvoir ne tire pas ses racines de leurs lois et coutumes.
Il faut écrit Michel Chiha laisser faire le temps qui
résorbera les contradictions qui empêchent les Libanais de
« vivre politiquement ensemble... de faire ensemble les lois36(*). »
Section ÉÉ
- Le régime politique libanais.
2,1- La Constitution écrite de 1926 et le Pacte
National de 1943 : pivots de l'équilibre politique et confessionnel
statique.
La République libanaise a réussi, depuis la
promulgation de sa Constitution, le 23 mai 1926, à échapper aux
bouleversements constitutionnels qui ont tant secoué les pays du
Tiers-Monde.37(*)
Ailleurs, toutes les constitutions adoptées au cours de la vague de fond
démocratique des années 1920 ont été
abandonnées ou remplacées par des régimes plus ou moins
répressifs. La Constitution de 1926 a duré 64 ans, soit de 1926
à 1990, date de l'entrée en vigueur des amendements
constitutionnels prescris dans les accords de Taëf. Le Liban est le plus
ancien régime parlementaire dans la région du Moyen-Orient.
Michael Hudson a souligné, dans «The precarious
Republic »38(*),
que les institutions démocratiques du Liban sont le reflet de sa
stabilité constitutionnelle, le phénomène étant
généralement inverse dans les sociétés
occidentales. Cette stabilité est remarquable, d'autant que la
Constitution libanaise a été élaborée avant la
naissance de l'Etat libanais indépendant. Ce mouvement est encore
inverse dans le mécanisme constitutionnel occidental où l'Etat a
existé longtemps avant qu'il ne soit arrivé à l'âge
constitutionnel.
Charles Hélou, ancien président de la
République, avait souligné que le régime libanais
s'inspira incontestablement des textes français de la
ÉÉÉème République, bien qu'il
tienne compte des « nécessités
libanaises ».39(*) De même Edmond Rabbath, a indiqué, dans
« La formation historique du Liban politique et
constitutionnel », que « la Constitution qui allait sortir des
délibérations du Conseil représentatif ressemblait en sa
configuration générale à la constitution de la
ÉÉÉème République, en
dépit du renforcement des pouvoirs conférés au
président de la République libanaise. »40(*) La brève41(*) constitution de 1926, loin
d'être dogmatique42(*) a confié la présidence de la
République à un chef irresponsable, les ministres étant
responsables par leur contreseing43(*).
Accordant au président de la République les
prérogatives royales de Louis-Philippe, la commission constituante de
1920 a donné au régime libanais les
caractéristiques théoriques d'une monarchie parlementaire :
un chef d'Etat irresponsable politiquement qui nomme et renvoie les ministres,
dissout l'Assemblée, promulgue les lois et ratifie les traités.
L'application de l'orléanisme politique a, cependant, canalisé
peu à peu le régime libanais par l'affaiblissement du rôle
du président du Conseil des ministres et celui de la Chambre vers un
système quasi-monarchique. La constitution libanaise de 1926 est ainsi
un mélange pondéré de monarchie et de
démocratie.
Marwan Hamadé44(*), a écrit, le 17 août 1974, que «
dans le système libanais à deux consuls, le premier (le
président de la république) a totalement dévoré le
second (le président du conseil des ministres) »45(*) puis ajoute que
« le Cabinet ministériel ressemble à un carreau de
vitre ou l'on voit le président de la République à
travers. »46(*)
Le pouvoir législatif est le plus souvent soumis aux
désirs du président de la République, faute de l'existence
de partis politiques modernes se soudant au cabinet, il perd ses pouvoirs au
profit de l'exécutif : c'est ainsi que le général
Chéhab a rendu exécutoire par décrets la réforme
administrative entreprise en 1959. Le président Hélou a eu,
aussi, recours à l'article 58 de la Constitution47(*) : 46% des projets de lois
ont été, de 1964 à 1968, présentes au parlement
d'une manière urgente selon le procédé de l'article 58.
Michael Hudson a précisé que le cabinet
libanais, théoriquement responsable devant le Parlement est en fait
responsable devant le président de la République.
L'Assemblée nationale libanaise, au pouvoir virtuel, est, d'ailleurs,
beaucoup plus nécessaires par les lois mêmes de l'équilibre
inter-communautaire que par des goûts démocratiques. Michel Chiha,
philosophe du régime libanais, a noté dans « Politique
intérieure » que « si la Chambre, au Liban, manque
à sa mission, il ne reste plus qu'un pouvoir incontrôlable et
omnipotent ».
L'accession du Liban à l'indépendance, en 1943,
fut la consécration d'un pacte national, fruit d'une longue recherche
entre les communautés. Une recherche qui parce que démocratique,
n'a pas été sans certains heurts. En 1943, le mot
indépendance ne signifiait pas seulement souveraineté, il voulait
aussi dire unité nationale, unité islamo-chrétienne. Elle
a finalement trouvé son expression dans une alliance entre
Béchara El-Khoury, chef du parti constitutionaliste, élu à
la présidence de la République, et Riad el-Solh,
représentant de la tendance indépendantiste arabe, nommé
à la présidence du conseil. Le pacte national mettait un terme au
mandat français et consacrait un double renoncement : celui des
musulmans à toute recherche d'unité nationale et celui des
chrétiens à toute recherche de protection
étrangère48(*). Positivement, chrétiens et musulmans
déclaraient que le Liban était la patrie définitive de
tous, mais une patrie « à visage arabe49(*) ».
Le Liban indépendant s'interdisait ainsi d'être
la voie de passage de toute colonisation par quelque puissance que ce soit,
pays frères inclus. Il s'agit de construire un équilibre interne
qui exige la neutralité. Ne jamais permettre l'ingérence de
quiconque dans les affaires intérieures du pays et ne jamais se
permettre l'ingérence dans les affaires des autres. Etre d'abord avec
soi, ensuite avec les autres.
La neutralité positive du Liban sera l'une des
principales caractéristiques du chéhabisme. Cet aspect sera
développé dans la deuxième section de la première
partie.
Il faudrait rappeler ici que depuis 1928, Riad el-Solh
prônait l'indépendantisme libanais, à condition que le
Liban indépendant soit arabe. S'adressant, plus tard à un public
syrien qui lui reprochait d'avoir fait de l'indépendance libanaise un
obstacle à l'unité arabe, Riad el-Solh disait : « Je
travaille pour un Liban arabe qui unit tous les Libanais chrétiens et
musulmans. Je ne trahis pas ainsi l'arabité (Al Ourouba), mais au
contraire, je prends le chemin qui mène dans la réalité,
le moment venu, à une unité arabe à laquelle tous
consentiraient spontanément. C'est en consolidant l'indépendance
d'un Liban uni et arabe que nous nous plaçons sur le chemin de
l'unité avec les autres états arabes indépendants. Que les
autres arabes s'unissent d'abord, ce n'est pas le Liban qui leur fera
obstacle50(*). »
Le Pacte de 1943 est donc dans son application dans son
esprit, l'affirmation de la souveraineté libanaise à laquelle
s'ajoute l'arabité. C'est-à-dire que les Libanais appartiennent
au monde arabe, mais que le Liban est indépendant et constitue une
entité souveraine. Ainsi le président de la République fut
un maronite à tendance arabe, tandis que le premier ministre fut un
arabe (musulman) à visage libanais.
Les Chrétiens d'alors ne se sont pas rendu compte de
l'ambiguïté du concept arabe51(*). Pour eux, le Liban est un pays indépendant
à visage arabe ; pour les Musulmans, le Liban est un pays arabe
indépendant. L'indépendance fut donc interprétée,
elle aussi, d'une façon ambiguë. Elle est complète,
définitivement sans restriction pour les chrétiens ; tandis
qu'elle est, pour l'autre partie, une situation qui peut, à la longue,
déboucher sur une formule d'union avec les pays environnants, ceci ne
tardera pas à se manifester dans la crise de 1958 lorsque la
majorité des musulmans exigeaient l'union avec la R.A.U. 52(*). Echafaudée ainsi sur
un malentendu mortel, l'indépendance prit chez les chrétiens
l'allure d'un souffle mystique, au moment où les musulmans furent
très attentifs à la façon de construire leur histoire
à la lumière d'une fructueuse ambiguïté conceptuelle.
Les Chrétiens, « les inconditionnels de la
nouvelle patrie53(*) » selon Ahmad Beydoun ont cru fonder par
l'intermédiaire du Pacte, une Patrie et un Etat. L'appartenance de la
communauté chrétienne au Liban dérivait en droite ligne de
son enracinement, de la sauvegarde de ses libertés et de son destin.
Alors qu'une partie du pacte est une communauté dans la religion
chrétienne, l'autre partie le sunnisme s'identifie à l'Islam
lui-même. Sa prééminence à l'époque Ottomane,
détermina en grande partie son implantation et sa conduite politique.
Les Sunnites du Liban occuperont en effet l'orbite des courants unionistes,
prétextant qu'être libanais limite leur prétention dans le
temps et dans l'espace54(*).
En outre, les musulmans du Liban, « les Libanais au
conditionnel55(*) » qui se sont vus, à
partir de 1936, forcés de se tourner vers l'entité libanaise et
de lui apporter leur allégeance, exigèrent l'égale
répartition entre Musulmans et Chrétiens des fonctions de l'Etat,
des postes de décision politiques et militaires.
La fonction publique qui se trouvait être, sous le
Mandat, le secteur où le musulman refusait d'entrer, devint dans la
perspective d'un Liban indépendant, l'endroit qui marqua non seulement
la pénétration communautaire dans le secteur public, mais aussi
les limites où les communautés se touchaient, s'affrontaient sans
pouvoir arriver à s'interpénétrer ou à être
pénétrées par la puissance de l'Etat.
Jusqu'à présent, l'égale
répartition des fonctions de l'Etat entre les communautés fut la
règle d'or de l'administration libanaise en dépit de tous les
abus qu'elle occasionna et de toutes les infractions à la règle
de bon sens. Cette « loi d'airain56(*) » tire son origine de la fameuse formule 6
et 6 bis57(*) qui fut
établie lors des négociations du traité franco-libanais de
1936.
Si l'approche politique du Pacte national a prouvé son
efficacité pour l'équilibre interne du Liban, l'approche
confessionnelle représente, cependant, un obstacle majeur à
l'unification du peuple libanais.
Dans l'exercice du système politique libanais, le pacte
national sert de soupape de sécurité lorsque les institutions
constitutionnelles parviennent à un blocage. Le besoin
d'équilibre social dicte alors la ligne de conduite. Cependant, ce
besoin d'équilibre, qui est un élément régulateur,
est en même temps un frein à une dynamique d'évolution
ascendante et créatrice.
C'est en somme le blocage d'une évolution vers une
forme de laïcisation. La constitution libanaise est a-confessionnlle,
tandis que le Pacte est le compteur des droits des groupes communautaires.
Conclu pour une période provisoire qui serait
dépassée pour une intégration nationale complète,
le Pacte aurait pu favoriser cette intégration si l'évolution des
groupes communautaires en présence s'était faite d'une
façon convergente. L'allure de leur évolution se
décèle à deux niveaux différents :
- un niveau réel où chaque groupe vécut
fermé, indépendant des autres, ne subissant que l'influence de
ses dogmes propres
- un niveau d'interdépendance politique et
économique.
Ces deux niveaux évoluèrent dans une direction
où le réel attira à lui toutes les énergies
politico-économiques. Le Pacte n'est pas un moyen en vue d'une fin qui
est la promotion de l'homme et de la société, mais il devint un
cadre rigide propre à canaliser toute évolution. Le
« dépassement manqué du Pacte National58(*) » sera l'une des
causes principales de l'échec du chéhabisme. Cet aspect sera
analysé plus loin.
En effet, l'Etat mis en place en 1943 semblait contenir le
germe de son échec. Il avait été placé dans une
dynamique d'équilibre précaire. Un rien pouvait le rompre. Un
autre rien ne semble pas suffire pour le remettre sur la bonne voie. Beaucoup
de revendications s'interposèrent entre la rupture de l'équilibre
et sa remise en place.
La première fissure dans le Pacte eut lieu en 1954,
à l'époque où le Moyen-Orient fut aux prises avec le
tourbillon des changements des régimes, inauguré en 1949, en
Syrie, en vue de rattacher les Etats de la région par un pacte de
défense commune. L'implantation d'Israël en Palestine constitua le
prisme déformateur des rapports des pays arabes avec l'Occident. Bassem
El-Jisr, retraçant les principales étapes de la vie du Pacte
national, considère que « le Pacte a subi la première
secousse en 1955 lors des opérations militaires arabes et la
montée du Nassérisme. En 1956, il trembla sous l'influence de la
guerre de Suez et la question de rompre les relations avec les pays
occidentaux. En 1957, il se fissura avec la Doctrine Eisenhower et les
élections législatives. En 1968, avec la création de
l'alliance tripartite (Chamoun-Eddé-Gemayel) et les élections
législatives confessionnelles, le Pacte s'est fissuré de
nouveaux. Depuis 1969, avec la montée des milices, il est remis en
question. Depuis 1970 et surtout en 1973, il ne tient plus qu'à une fine
ficelle qui s'est brisée en 1975. En 1976 le Pacte s'est
effrité59(*). »
Toute tension aigüe au Liban60(*) fait rebondir la
véracité et la pertinence des ces paroles de Georges
Naccache : « Un Etat n'est pas la somme de deux impuissances, et deux
négations ne font pas une Nation61(*). »
Le grand dessein du Pacte fut de :
- libaniser les Musulmans, c'est-à-dire achever
à contribuer à une société pluraliste,
- arabiser les Chrétiens, c'est-à-dire achever
leur intégration dans le milieu arabe.
Il semble qu'il échoua. Le bilan fut un échec
dans l'opération d'intégration nationale complète. Ainsi,
il fut impossible de gagner les Musulmans à une libanité
laïque, comme il fut impossible aux Chrétiens de s'inscrire arabes
à part entière. Pour les premiers, l'Arabisme est leur
être, pour les seconds, il est un devenir à construire.
De surcroît, l'idée du Liban bâti sur une
alliance entre des Chrétiens et des Musulmans en 1943 s'inscrivait dans
une perspective féodale, bourgeoise, d'inégalité sociale.
Des fortunes colossales côtoyaient un monde de va-nu-pieds. Le Pacte a
laissé en suspens l'organisation économique et sociale qui doit
régir les rapports des groupes communautaires. En termes non
confessionnels, on peut d'ores et déjà, faire valoir des
réclamations confessionnelles. Le problème social sert alors de
prétexte.
« Nous ne pouvons pas isoler, dit le
président Chéhab, un de nos conflits fondamentaux, du
problème social. Nous ne pouvons guérir aucun mal, ni
réaliser aucun bien, durable et fixe, sans que nous ayons la
possibilité de résoudre nos problèmes sociaux d'une
façon sérieuse et durable. A cette fin, je vous ai invité
et je vous invite sans cesse à voir, dans les efforts fournis pour
résoudre notre problème social, le fondement du devoir
démocratique et la consolidation de la liberté62(*). »
Le président Chéhab donnera au Pacte National un
contenu social qui fut longtemps négligé. Un Pacte National n'est
possible qu'avec une planification et donc une répartition
équitable du revenu national. Le problème social ne fut plus
dissocié du problème politique.
2,1- Le régime politique libanais : une
monarchie oligarchique à prédominance
féodal-politique.
Le régime politique libanais
peut dans son application pratique être rattaché au régime
monarchique. Bahige Tabbara, dans « Les forces actuelles au
Liban » a soutenu en 1954 que « la réalité du
pouvoir au Liban réside entre les mains du président de la
République et derrière une façade de démocratie
parlementaire on assiste à un quasi-absolutisme du chef de
l'Etat. »63(*)
Charles Rizk a écrit dans «Le régime
politique libanais » que le président de la République
libanaise est « l'héritier du Haut-Commissaire
français, du Gouverneur ottoman et de l'Emir libanais. Une tradition
séculaire de pouvoir personnel et du culte oriental de la puissance
incarnée dans la personne du Chef. »64(*)
Si le régime libanais dispose à sa tête
d'un roi non couronné qui personnalise le pouvoir durant son mandat, ce
régime n'est pas pour autant une monarchie autoritaire. Jacques Nantet a
mentionné dans «Histoire du Liban » que
« les Libanais ont choisi la République en vue d'éviter
la monarchie.»65(*)
Michael Hudson a noté que le régime libanais qui
contient « des éléments confus qu'il est
extrêmement difficile de classifier dans les typologies en
vigueur », ne peut prendre nullement la forme d'une
« oligarchie totalitaire.»66(*)
H. & P. Willemart ont souligné aussi dans «
Dossier du Moyen-Orient » que le régime politique libanais qui
possède « le prestige de l'originalité » est
une hétérogénéité67(*) indivisible formée d'un
« style monarchique » et d'un « parlementarisme
pluraliste.»68(*)
Michel Chiha avait classifié le régime politique
libanais comme étant une « dictature
oligarchique »69(*), et Hudson comme une « démocratie
oligarchique.»70(*)
Le régime libanais n'est pas en effet, une monarchie totalitaire ou
autoritaire mais une monarchie oligarchique.
Hudson distingua en effet trois piliers qui forment
l'oligarchie libanaise : le clergé, les commerçants et les
descendants des familles féodales. Si Hudson a évoqué le
rôle du clergé, des commerçants et des féodaux, il a
cependant négligé le rôle important de la presse, il a
écarté l'influence des commerçants, des banquiers et des
industriels et surtout de l'armée qui a joué un rôle
particulièrement important durant la période 1958-1970.
L'oligarchie libanaise est formée des
communautés religieuses, des descendants des familles féodales,
des forces capitalistes, de la Presse et de l'Armée.
Le Liban est en fait « une mosaïque de
communautés religieuses ». Nous employons mosaïque au sens
figuré qui est: « une juxtaposition d'éléments
divers et nombreux » dans une perspective politique et
institutionnelle et non pas sociale car loin d'être simplement
juxtaposées dans une rencontre actuelle, elles sont de longue date
incluses et imbriquées dans une construction durable,
éprouvée par le temps.
Comme l'indique Pierre Rondot dans « Les
communautés dans l'Etat libanais », que « cette formule
évoque certes, de façon frappante, la diversité
libanaise ; mais elle laisse, à tort, l'impression arbitraire,
combinant des éléments disparates réunis par un ciment
artificiel. »71(*) De même, nous ajoutons que cette formule laisse
entendre que les barrières communautaires sont infranchissables et
intangibles. « Mieux vaut dire, sans doute, que le Liban a
été façonné par l'histoire comme un ensemble de
communautés, actives de longue date dans tous les domaines de la vie
étatique et publique, et par là même fortement
associées. »72(*)
Pierre Rondot a cité dans « Les institutions
politiques du Liban » que la montagne difficile d'accès et
facilement défensable et qui évoquait « un profil d'une
fortification classique, avec glacis, contrescarpe, fossé,
rempart »73(*) a
« servi de refuge à différents groupes religieux.
» 74(*) La
thèse de la Montagne-refuge défendue par Henri Lammens75(*) qui considère que
pendant l'époque islamique le Liban offrait un refuge montagnard
pour les persécutés en Syrie ; est critiquée par
Kamal Salibi en tant qu'elle est devenue « un article de
foi. »76(*)
Kamal Salibi sans pour autant démentir la thèse de Henri Lammens
considère que « les ancêtres de la plus grande partie de
la population du Mont-Liban et de ses environs immédiats
n'arrivèrent pas au Liban en fuyant les persécutions en Syrie. A
l'époque islamique, ils étaient déjà établis
localement, comme d'autres tribus et clans arabes avant l'Islam, pour certains
d'entre elles peut-être dès le troisième
siècle. »77(*)
Oubliant les querelles historiques. Parmi les 17
communautés reconnues officiellement (maronite, grecque-orthodoxe,
grecque-catholique, arménienne-orthodoxe, arménienne-catholique,
chaldéenne-catholique, chaldéenne-nestorienne,
syriaque-orthodoxe, syriaque-catholique, latine, protestante, Israélite,
sunnite, chiite, druze, israélite et alaouite)78(*) six seulement ont eu,
cependant, accès au pouvoir politique depuis l'instauration du
régime confessionnel, au Liban, par Chékib effendi, ministre
ottoman des Affaires Etrangères.
Les (tartibates) «arrangements» de Chékib
Effendi du 22 juin 1845 qui avaient consolidé le régime des deux
districts dans la Montagne (Nazam al Kaem-makamiyateyn) (accord du 7
décembre 1842), avaient établi une Assemblée de notables,
composée de deux maronites, deux druzes, un sunnite, un grec-orthodoxe,
un grec-catholique et un chiite79(*).. Ce dosage n'a connu, 130 ans plus tard,
qu'un changement minime, à savoir l'affaiblissement de la
communauté druze et sa substitution par la communauté sunnite.
Les deux règlements organiques du 9 juin 1862 et du 6 septembre 1864 et
les huit «Protocoles» du 27 juillet 1868, 22 avril 1873, 8 mai 1883,
15 avril 1892, 14 août 1892, 27 septembre 1902, 7 juillet 1907 et 23
décembre 1912, adoptés par le représentant de la Sublime
Porte ceux des cinq Grande Puissances80(*) (France, Grande-Bretagne, Prusse, Autriche, Russie)
ont consacré le régime confessionnel établi par
Chékib effendi.
Fernand L'Huillier a écrit dans «Le Moyen-Orient
contemporain (1945-1958) » que «le Liban politique moderne
à des caractères qui remontent à 1860 seulement.
Auparavant les fiefs constituaient l'assise de l'autorité des
émirs dans un Liban cohérent et fort, refusant de mêler
religieux au politique. Depuis, l'Europe et la France (régime du Mandat)
ont donné une assise confessionnelle à un Liban désormais
privé d'unité interne. »81(*)
Michel Chiha avait souligné en 1952 dans
« Politique intérieure » : « Comme en
Suisse, il y a des cantons, au Liban il y a des communautés
confessionnelles associées. Les premiers ont pour base un territoire,
les seconds seulement une législation.»82(*)
Ghassan Tuéni, ancien ministre et ancien
représentant du Liban à L'ONU, a, en outre, noté que
«l'Etat de l'indépendance a été bâti à
la remorque des communautés. »83(*)
Elizabeth Picard souligne que le Liban est « de tous
les pays arabes d'aujourd'hui (...) celui qui a le mieux conservé la
tradition ottomane de la division sociale et politique en
communautés. »84(*) Pierre Rondot rappelle ici que « dans le
système libanais, les communautés sont égales en droits,
et qu'un citoyen libanais peut librement et en tous sens passer de l'une
à l'autre, caractéristiques qui manquaient au système
ottoman marqué par la prépondérance et l'exclusivisme de
la communauté musulmane. »
L'emprise des communautés est en effet, de plus en plus
grande à mesure que l'Etat faiblit, d'autant que ces communautés
jouent le rôle des partis politiques ; le pouvoir politique libanais
ne peut se passer de l'autorité multi-communautaire. Georges Corm,
souligne que l'Etat n'a jamais pu acquérir une existence autonome car la
classe politique trouva plus aisé de tirer son pouvoir des appareils
communautaires, et « ces appareils communautaires tirent eux-mêmes
leurs forces de leur puissance économique, de leur influence au travers
des institutions spirituelles et éducatives, et de leurs liens avec les
forces externes régionales et internationales.»85(*)
Joseph Aboujaoudé cite à juste titre dans
« Les partis politiques » que « les structures qui
sous-tendent les fondements de la vie libanaise sont d'ordre communautaire ou
plutôt d'ordre politico-communautaire. Au lieu de marquer une
évolution vers un dépassement de ces structures, les
appartenances se rabattent, dans l'opération de choc et de contrechoc,
sur les structures elles-mêmes. Une dysfonction entre le pouvoir
politique et les groupes communautaires apparaît. Chacun d'eux cherche le
monopole de la scène politique. »86(*)
Il est, toutefois, possible d'affirmer que le
féodalisme politique présente le caractère dominant dans
la hiérarchie de l'oligarchie libanaise. Depuis les années 1930,
jusqu'à aujourd'hui les mêmes personnalités politiques ou
leurs enfants ont le monopole quasi exclusif de la vie politique officielle du
pays. Pierre Rondot a précisé dans « Destin du
Moyen-Orient » que « le maintien de l'équilibre
traditionnel à l'intérieur du Liban conduit à
préserver le rôle non seulement socio-politique des
communautés religieuses mais l'influence des notables
quasi-féodaux et des clans. »87(*) Joseph Moughaizel a de même souligné que
« le régime féodal qui a régi le Liban tout au long
de son histoire, s'est perpétué jusqu'à nos
jours.»88(*)
Le système politique continue d'être
géré par des élites déjà présentes au
temps du Mandat français malgré les très graves crises qui
l'ont secoué89(*).
La totalité du système repose sur la protection (himaya,
wasta) que chacun obtient de quelqu'un d'autre auquel il accorde en
échange du pouvoir ou de l'argent. Yves Schemeil précise que
« les élites politiques Libanaises ne sont pas
dégagées par le mérite, mais par leur connaissance des
règles du système patrimonial.» 90(*)
Si le féodalisme politique est
héréditaire, il se distingue, cependant, du féodalisme
traditionnel par le fait qu'il n'a pas comme fondement la
propriété agricole mais la pression politique.
Le féodalisme politique, comme groupe de pression, peut
prendre soit la forme tribale (Jaafar, Dandache), soit familiale (Assaad,
Osseirane, Zein, Frangié, Arslane), soit terrienne ( Iskaff ), soit
mercantiliste ( Salha, Sehnaoui, Aboou-Adal, Najjar, Trad, Majdalani, Murr,
Bustani ...) ou encore peut se cantonner à l'intérieur des partis
politiques91(*) ( la
famille Eddé à l'intérieur du parti du Bloc National, de
la famille Joumblatt à l'intérieur du Parti Socialiste
Progressiste, de la famille Gemayel à l'intérieur du parti des
Phalanges, de la Famille Chamoun à l'intérieur du Parti National
Libéral, de la famille khoury à l'intérieur du parti de
l'Union Constitutionnelle.)
L'influence pesante de ce caractère laisse quelquefois
à ces « zams », « ras », «
beys », « émirs » ou «
cheikhs » la possibilité de se heurter au président de
la République. La confrontation peut être soit violente et
entraîner des engagements sanglants dans le pays, comme ce fut le cas en
1958, soit non-violente, le président préférant se
démettre de ses fonctions (Béchara El-Khoury en 52) ou encore
refuser de se faire réélire. (Fouad Chéhab en 1964 et
1970)
La presse joue un rôle important, le Liban étant
souvent qualifié de « nation de journalistes ». Une
multitude de journaux quotidiens et hebdomadaires sont publiés à
Beyrouth et plusieurs agences d'informations locales, arabes et
étrangères y sont installées.
L'influence des industriels et des commerçants est
considérable. Les ressources de la prospérité libanaise
résident dans les activités commerciales qui ont «
contribué à créer des facteurs positifs de
développement, comme pas un parmi tous les pays venus récemment
à l'indépendance92(*). » Kamal Joumblatt avait
déclaré que les « gouvernements successifs ont toujours
représenté le pouvoir des commerçants.»93(*)
Voulant conserver ses intérêts politiques et
économiques, l'oligarchie libanaise trouve avantage à conserver
le régime politique, aussi bien le Pacte National que la Constitution,
et à s'opposer à toute réforme du pouvoir. La tentative
modernisatrice du général-président Fouad Chéhab ne
sera-t-elle pas contourner par cette oligarchie même ?
Quant à l'Armée elle a été
soucieuse tout au long de la période de 1945, date de sa création
à 1975, date du déclenchement de la guerre civile, de respecter
religieusement la Constitution. Le colonel Joseph Bitar a souligné que
« la mission des forces armées se limite à protéger
la Constitution libanaise.»94(*)
René Aggiouri a noté dans «
l'Orient » que « le général Fouad
Chéhab vouait à la Constitution un respect
absolu. »95(*)
Le président Camille Chamoun a, aussi, précisé dans son
discours d'investiture, prononcé le 23 septembre 1952 à
l'Assemblée96(*)
que « le commandant en chef de l'armée, le
général Fouad Chéhab est sincèrement attaché
à la Constitution.»
C'est avec l'appui de l'armée et le ralliement de
l'oligarchie libanaise à l'ordre civil et son soutien à l'ordre
politique que l'Etat a pu préserver la Constitution. Mais quand le
président Chéhab optera pour la réforme du système
avec l'appui de l'armée, les autres composants de l'oligarchie libanaise
lui barreront la route.
Chapitre II :
Le chéhabisme ou la construction de l'Etat de
l'indépendance
Section É : - La naissance, la philosophie et
la stratégie nationale du chéhabisme.
1- La naissance du chéhabisme
1,1-La crise de 1958
En 1958, le Liban fut plus que jamais concerné par son
contexte régional (constante historico-géographique) : en
accord avec le projet d'aide américaine et situé entre deux
unions (Egypte-Syrie, Irak-Jordanie), il fut un enjeu régional
disputé. La R.A.U. trouvant nécessaire de briser l'entente
pro-occidentale qui l'étouffait, aurait trouvé doublement
bénéfique de briser cette entente et de gagner pour commencer le
Liban à l'union. Pour cela il fallut préparer le terrain. Ainsi,
prit naissance « une guerre civile » qui rappela celles du
XÉXe siècle.
La guerre de Suez a été la charnière de
la politique nassérienne celle de la rupture avec l'Occident. Le
président Chamoun ne s'est pas rallié à côté
de l'Egypte en refusant de rompre les relations diplomatiques avec la France et
l'Angleterre. Il avait déclaré : « Je retire les
ambassadeurs, mais je ne romps pas les relations diplomatiques. Je ne pars pas
en guerre97(*). »
Dès les premières semaines de 1958, il
apparaît que le problème de l'échéance
présidentielle va se situer au centre du débat politique, avec
pour toile de fond le conflit sur les options pro-occidentales du gouvernement
et le bouleversement du statu quo régional résultant de la
création de la République Arabe Unie.
Les Libanais étaient divisés politiquement entre
les adhérents à la politique du président Chamoun et de
Charles Malik98(*) qui
était en harmonie avec l'alliance de l'Occident contre le communisme et
avec les alliances militaires occidentales au Proche-Orient et les opposants
à cette politique qui supportaient le nassérisme et son alliance
avec les pays socialistes. Pour les masses arabes qui avaient vécu le
rêve manqué à Versailles en 1918, le rêve de la
révolte et du royaume de Faysal, c'était Nasser qui, après
la débâcle de 1948, allait ramener, pour ainsi dire, l'Empire
égaré.
Georges Naccache écrit le 5 avril 1958 : «
Chaque fois qu'a surgi un prince ou un soldat en qui les masses ont cru voir le
fédérateur des terres arabes, il a cristallisé sur son nom
toutes les espérances de l'islam proche-oriental. Cet «
ultra-montanisme » de l'Islam sunnite est un
fait. »99(*)
De même le pays était divisé
confessionnellement car la plupart des chrétiens étaient
pro-chamounistes et la plupart des opposants étaient des musulmans.
Jacques Nantet rapporte que 60 %100(*) de la communauté maronite (les Phalanges
constituaient l'ossature de la masse des loyalistes) était favorable
à la politique de Chamoun. On peut nuancer, en disant non pas «
les chrétiens » et « les musulmans », mais les vocal
christians et les vocal muslims, autrement dit les
ténors de part et d'autre. Car même à ce moment-là,
dans la fièvre de 1956-1958, il y avait un parti de la raison,
« la Troisième force»101(*), ceux qui refusaient de s'aligner sur les positions
extrémistes.102(*)
Contre les deux politiques extrêmes, la Troisième
force a fini par se constituer en groupement politique à majorité
chrétienne, mais avec des musulmans modérés qui croyaient
désamorcer la crise en s'opposant à l'union du Liban avec la
République Arabe Unie.
Face au refus du président Chamoun qui ne voyait pas
dans l'intérêt du Liban de rompre avec l'Occident, l'Egypte a
encouragé ses sympathisants musulmans pour former une opposition
farouche contre le pouvoir au Liban. Par le fait le président Nasser
mettait en cause le traditionnel agencement politico-confessionnel du Liban.
Kamal Salibi confirme qu' « il était clair
dès le début que l'Egypte était derrière
l'insurrection de 1958.103(*) » En effet, les révélations
sur les troubles de 1958 et le rôle de la R.A.U. ont été
publié par la presse de Damas le 30 août 1962104(*).
Cependant Bassem El Jisr dans « Fouad Chéhab,
cet inconnu » fait la nuance entre le rôle de Nasser
et celui de la Syrie. Il considère que « Nasser ne voulait pas
changer les bases de système politique libanais et ne cherchait pas
à rallier le Liban à la R.A.U. (...) il voulait empêcher le
renouvellement du mandat Chamoun. »105(*) Et accuse clairement les services secrets syriens de
transformer les voeux de Nasser en révolte armée.
Si l'assassinat de Nassib Metni fut l'étincelle qui
déclencha la crise, et la volonté de reconduction du mandat
Chamoun son élargissement, le terrain était largement
préparé par Nasser, car une étincelle ne déclenche
jamais un feu dans une forêt humide où ne souffle aucun vent. Les
musulmans libanais dans leur majorité attirés par la R.A.U., se
heurtent aux chrétiens, généralement favorables à
la politique de Chamoun. Le Liban a été menacé dans son
entité et son existence même. Les unionistes qui voulaient
réduire le Liban à une étoile sur le drapeau de la R.A.U.
étaient dirigés par Saêb Salam, Rachid Karamé
(sunnites), Sabri Hamadé et Ahmed el-Assaad (chiites), Kamal Joumblatt
(druze) et disposant d'alliés dans le camp chrétien (Sleiman
Frangié, le patriarche Méouchi) bénéficiaient de
l'aide financière de la R.A.U. qui de plus, leur fournit des armes et
même des combattants à travers la frontière syrienne. La
propagande égyptienne accusait le président Chamoun de trahir non
seulement la cause des Arabes, mais aussi celle du peuple libanais. En cela,
Nasser reste fidèle à sa praxis consistant à dresser
l'opinion publique contre ses dirigeants dans tous les Etats arabes qui ne
s'alignent pas sur le Caire.
Carte 2 : les zones insurgées en
1958106(*)
Comme il est visible dans la carte qui
précède, l'insurrection déclenchée va
s'étendre très vite à l'ensemble des villes et
régions à population musulmane ou majoritairement
musulmane : Saida, Tyr, au Liban-Sud, le Chouf, au Mont-Liban, une grande
partie de la Bekaa et du Akkar limitrophes de la Syrie. Les insurgés
contrôlent près de deux tiers du territoire libanais. Ils y font
la loi et instituent même, comme au Chouf, des tribunaux de campagne qui
rendent la justice107(*).
Beyrouth se transforme en ville fantôme en raison du
couvre-feu nocturne décrété par le commandement de
l'armée. Les nuits sont sinistres, ponctuées de
déflagrations ou de longs échanges de tirs. Les routes sont
désertes, seules des feuilles mortes se laissent balader par le vent.
Se ralliant à la doctrine Eisenhower, Camille Chamoun
en vint à faire appel à la VIe flotte
américaine le 14 mars 1958. Les marines108(*) accostèrent dans le
port de Beyrouth109(*)
le 15 juin 1958110(*),
et des troupes britanniques se posèrent en Jordanie.
On a longtemps considéré que les
Américains n'étaient intervenus qu'à cause de l'Irak.
Selon Irene L. Gendzier dans son livre « Notes from the
Minefield » 111(*), qui se fonde sur des archives
américaines défend la thèse contraire : les
Américains ne sont intervenus que pour appuyer leur politique libanaise
mise en place des 1943. De même Edouard de Tinguy affirme
que « le rôle des Américains
est de protéger le régime légal libanais de toute
déstabilisation interne ou externe.»112(*)
Heureusement, l'évolution de la politique
internationale va contribuer à l'équilibre auquel vont parvenir
peu à peu les Libanais. La R.A.U. fut attaquée par une union
hachémite entre la monarchie de Jordanie et d'Irak. L'appui de la R.A.U.
à la crise de 1958 était entre autre pour contourner cet
encerclement dont elle se voit victime.
Le coup d'état en Irak le 14 juillet 1958 fit balancer
le statu quo en se déclarant favorable à l'Unité arabe. A
travers la crise de 1958 au Liban et le coup d'état en Irak, les
intérêts des puissances occidentales étaient en
péril. La chute de la monarchie hachémite d'Irak avait de quoi
inquiéter les Occidentaux...
Le pacte de Bagdad113(*) était donc mort, permettant par le fait une
poussée du nationalisme arabe. Mais au lieu de rentrer en conflit avec
le nationalisme, les Etats-Unis se sont entendus avec le président
Nasser pour résoudre la crise du Liban en appuyant le
général Chéhab à la première investiture.
De manière générale, cet accord symbolise
la politique dans le Moyen-Orient depuis la fin des années cinquante
jusqu'au milieu des années soixante dix. Cette politique
reflétait les intérêts communs des Etats-Unis et des
régimes arabes, tous deux veulent en finir avec le colonialisme, le
premier pour le remplacer, les seconds pour s'en débarrasser, et tous
deux sont anti-communistes.
Par conséquent, le régime de Chéhab fut
à la fois pro-américain et entretenait de bonne relation avec la
R.A.U. même après la séparation en 1961. L'Occident avait
besoin de militaires au Liban aussi, d'un militaire de droite, face aux
régimes militaires gauchisants et potentiellement tous
anti-américains. Chéhab remplissait ces conditions : il tenait
l'armée, seule force de stabilité, la milice la plus puissance -
disaient certains -, si une confrontation devait intervenir. De plus, bien que
de formation française, Chéhab ne pouvait être que
pro-américain. Washington a qualifié Chéhab de «
meilleur espoir» pour le retour de la paix au Liban.
Si les causes affichées de l'insurrection sont
l'orientation de la politique étrangère, et la reconduction du
mandat du président Camille Chamoun, la crise (révolution, guerre
civile) de 1958114(*)
fut l'accouchement de causes plus profondes qui
remontent à :
- la création du Grand-Liban en1920 et la
réclamation des populations musulmanes à intégrer la
Syrie,
- les musulmans ont refusé de participer à la
rédaction de la constitution en 1926,
- En 1943, tout en affichant leur loyalisme au Liban, les
musulmans restèrent nostalgiques de l'union. Pour les musulmans au Liban
les masses arabes qui avaient vécu le rêve manqué à
Versailles en 1918, le rêve de la révolte et du royaume de Faysal,
c'était Nasser qui, après la débâcle de 1948, allait
ramener, pour ainsi dire, l'Empire égaré.
- Le libéralisme économique a donné
naissance à une oligarchie chrétienne qui détenait le
pouvoir à l'intérieur de l'Etat. Les musulmans
préférèrent donc être dominés par un leader
arabe et musulman que par une oligarchie libanaise chrétienne.
- La corruption et l'inefficacité de l'Administration
publique qui reste une des principales tares de l'Etat libanais.
1,2- La neutralité de l'Armée
En général, la troupe se montre avant tout
soucieuse d'éviter d'être directement impliquée dans les
combats. Son commandant, Fouad Chéhab, à tout
particulièrement à coeur de préserver sa cohésion,
de l'empêcher d'être contaminée par les querelles
confessionnelles, risquant ainsi la désintégration à son
tour.
Bassem El Jisr révèle qu'avant l'insurrection de
1958 de quelques mois, le général Chéhab avait
confié à un officier du Deuxième Bureau de faire un
sondage d'opinion dans le but de relever la position des officiers sur quatre
points relatifs à la crise politique entre le président Chamoun
et l'opposition. « Le président Chéhab m'a
confié continue El Jisr, que les résultats de ce sondage ont
été la principale cause qui m'a poussé à
éloigner l'armée de cette profonde crise nationale115(*). » L'armée, en effet, est
restée «la grande muette. »
Cela vaudra au général Chéhab
d'être accusé d'avoir agi par perfidie, afin de se gagner la
sympathie des adversaires du régime et de préparer ainsi le
terrain à sa propre accession à la présidence de la
République. Le procès d'intention fait, à Chéhab
aura des séquelles graves dont les institutions du pays continueront
à faire les frais bien des années plus tard.
Les causes profondes de la crise de 1958 et la
compréhension personnelle du général Chéhab
influenceront énormément le mandat présidentiel. Entre les
deux extrêmes, seul le général Fouad Chéhab comprit
cette crise d'après une perspective socio-économique
qualifiée d' « idéale116(*) » par Kamal Salibi.
L'armée sous le commandement du général
Chéhab a sauvegardé la légitimité de l'Etat, et a
assuré une solution selon le critère du «ni vainqueur, ni
vaincu ». Au Liban, écrit Ghassan Tuéni « il
faut que les victoires des uns ne soient pas les défaites des
autres117(*). » En effet, le déroulement
et les résultats de la crise dépendaient de l'utilisation ou pas
de la force coercitive. La sauvegarde du système politique par le
pouvoir militaire constitue une des principales caractéristiques du
chéhabisme selon Georges Naccache : « Ce paradoxe
politique - le sauvetage de la démocratie par le pouvoir militaire - est
certainement le point central de l'expérience
chéhabienne118(*). »
Si les risques inutiles sont politiques, «la sagesse est
militaire119(*) ». Une série de crises entre 1948
et 1958 ont poussé les présidents Khoury et Chamoun à
faire appel à l'assistance du général Chéhab. Ce
dernier coopéra durant la crise de Suez en 56, mais son refus de
soutenir le président Khoury en 52 et le président Chamoun en
1958 a influencé énormément le cours des
événements et accorda au général Chéhab le
statut d'une forte figure politique, seule capable avec le consentement des
différentes parties de stabiliser le système. La Constitution
libanaise a laissé la relation entre la tête de l'Etat et le
Commandant de l'armée au Liban ambiguë. Le président de la
République demande la coopération du chef de l'armée au
lieu de la commander.
Le général Chéhab jouait le rôle de
l'arbitre dans la crise par le biais de la neutralité de l'armée.
Les adversaires du général l'accuseront d'avoir ainsi voulu
améliorer ses chances de succéder à Chamoun ; ses
partisans assureront qu'il visait à préserver l'unité de
l'armée et à sauvegarder les chances d'une réconciliation
nationale.
La percée du général Chéhab dans
l'arène politique a été favorisée par les divisions
politiques, qui résultent essentiellement de la collision cyclique entre
les parties politiques qui se disputent le pouvoir hors de l'arène
démocratique.
Chéhab n'a pas eu besoin de faire un coup d'Etat ou de
proclamer la révolution pour arriver au pouvoir ; la
nécessité de son rôle stabilisateur pesait sur le compromis
qui l'amena à la première investiture le 31 juillet 1958 avec 48
voix contre 7 pour Raymond Eddé.
Le caractère apolitique du général, loin
d'être une barrière à la croissance de son autorité
personnelle, lui a permis d'acquérir une popularité qu'il
n'aurait jamais eu s'il était membre d'un quelconque parti politique.
Au cours de son fonctionnement normal, le système
politique libanais n'aurait jamais pu emmener une personne telle que le
général à la présidence120(*). C'est plutôt le
dysfonctionnement du système politique qui fera émerger une
personnalité apolitique, seule capable de redresser la situation.
La projection du général Chéhab sur la
scène politique de cette façon, et son programme de modernisation
montreraient que le système politique libanais, figé dans son
fonctionnement, ne pourrait être modernisé que suite à des
périodes de dysfonctionnement.
Chéhab va devoir redresser la situation et
régler les conséquences des troubles. La tâche qui l'attend
est difficile. Il doit recoller les morceaux épars d'un pays qui a
frôlé un terrible naufrage, rétablir partout
l'autorité de l'Etat, assainir les relations avec la RAU et à
observer une neutralité entre les Etats arabes et les deux blocs
mondiaux. Le Président va d'abord obtenir le départ des forces
américaines débarquées en juillet 1958. Son programme
exposé dans son discours d'investiture vise à rétablir le
calme, reconstruire, dissiper la tension dans les relations avec certains pays
arabes. Invitant les Libanais à réaliser l'unité nationale
et les députés à respecter la Pacte national, il a
annoncé des réformes et insisté sur le rôle de
l'Etat qui doit assurer une justice égale pour tous, faire respecter les
lois et les vertus morales, accroître la prospérité
économique et le rayonnement culturel du pays.
Le général- président va réussir
à calmer la situation et rétablir l'unité. Pierre Lyautey
affirme que «lors du drame de 1958, si ce peuple avait été
vieilli par sa longue Histoire, nous aurions assisté à un
démantèlement, à une dispersion, les régions
partant à la dérive rejoindre des constellations voisines. Nous
allons au contraire constater un renforcement de l'Unité121(*) »
De même, Jacques Nantet dans « Histoire du
Liban » considère qu'après l'oeuvre stabilisatrice du
général Chéhab « le Liban est bien, de toutes
les nations du monde, celle qui incarne le plus légitimement, sur le
plan à la fois de la géographie, de l'histoire et de la
politique, cette magnifique ambition de l'homme dont notre univers a
aujourd'hui tant besoin pour survivre : la coexistence
pacifique. »122(*)
Ainsi naquit le chéhabisme de la crise de 1958 et
accédera au pouvoir par la neutralité de l'Armée.
2- La philosophie du chéhabisme
Le concept de chéhabisme a été
utilisé pour la première fois en 1960 par le grand journaliste
libanais Georges Naccache123(*) au cours de l'une de ses conférences au
Cénacle libanais intitulée «Un nouveau style : le
chéhabisme ». Le chéhabisme en tant que style de
gouvernement couvre la période de 1958, date de l'élection du
président Chéhab, à 1970, date de l'échec du
candidat chéhabiste Elias Sarkis à l'élection
présidentielle et la victoire du candidat soutenu par le Helf
124(*) Sleiman
Frangié.
Le chéhabisme en tant que style de gouvernement, en
quoi est-il une philosophie ? Et qu'entendons-nous par la philosophie du
chéhabisme ?
Le président Chéhab n'est pas un philosophe au
sens que nous l'entendons pour Platon, Hegel, Kant, Sartre, ou Habchi. Le
chéhabisme est plutôt une école de pensée politique.
Les chéhabistes sont les personnes qui adhérent aux idées
politiques de cette école.
Fadel Saïd Akl précise dans « La philosophie
du chéhabisme » en 1964 que : « la philosophie
dont je parle, est la relation du citoyen avec son existence et la relation du
responsable politique avec ce dernier.125(*) » La philosophie du chéhabisme est
donc une conception de l'Homme en face de la réalité et une
conception du gouvernement de la Cité. Et Akl continue :
« Cet homme (Fouad Chéhab) avant tout autre personne a
réussi avec une ingéniosité visible à
conférer au gouvernement au Liban une vision philosophique. Cette
philosophie (...) est une science de la vie, une connaissance de l'Homme, une
exploration de la Raison et du coeur, une prise de conscience de la
réalité, une valorisation de l'espace, et une transcendance de
l'Etre humain126(*). » L'homme-individu n'était pas
traité seulement comme un moyen mais comme une fin.
Pratiquée au domaine de la politique, la philosophie du
chéhabisme « a redonné une nouvelle vision à la cause
libanaise en général, et à la Constitution, à la
Nation, à la Patrie, à l'Etat, à la démocratie,
à l'entité nationale, à la communauté, à la
citoyenneté, à l'armée, au Pacte national de 1943,
à la politique étrangère, à l'économie,
à la construction, et à la société politique en
particulier. »127(*)
Fouad Najjar écrit sous le titre de « le
philosophe d'un Etat pour les causes de l'Homme » : «
Dès que le président Chéhab accéda au pouvoir, il
devint le philosophe de l'Etat, il se hâta pour mettre en place un
programme à visage humain, à travers lequel il visait à
résoudre tous les problèmes du citoyen libanais. »128(*)
Michael Hudson constate que pour la première fois, la
présidence de la République est devenue la source d'une
philosophie nationale. « L'Etat « uni » auquel
aspire le chéhabisme, émane de l'idée d'union par la
participation de tout les Libanais à un même projet collectif, qui
nécessite une volonté collective. Chéhab est
l'incarnation, le symbole et le garant de cette volonté collective qu'il
a tenté de réaliser dans une nouvelle application du Pacte
National, basée sur l'unité du peuple, et canalisée
à travers un régime démocratique sauvegardé par
l'armée. »129(*)
Pour comprendre l'essence de la philosophie du
chéhabisme nous exposerons dans cette partie les convictions
personnelles du général Chéhab ; sa relation avec le
Père Lebret ; sa vision du développement et sa
compréhension du système politique libanais.
2,1- Les convictions personnelles du président
Chéhab.
La carrière militaire du président Chéhab
lui a permis de constituer une connaissance profonde et importante des
différentes régions du Liban, de leurs caractéristiques
géographiques, et humaines, et surtout de leurs besoins
économiques et sociaux. En tant que militaire, Chéhab a servi
dans l'armée dans la plupart des régions libanaises, et y restait
plusieurs semaines et parfois plusieurs mois130(*). Pour ces raisons, le président Chéhab
était conscient plus que tout autre président de la situation du
Liban et des souffrances des Libanais .L'histoire de la tribu Dandache de
Hermel qui remonte à 1952, montre à quel point le
général était conscient des besoins et des revendications
socio-économiques des Libanais.
Le dialogue du « général »
avec les chefs de la tribu Dandache a laissé un profond impact dans
l'esprit du «président » au cours duquel ils lui ont
dit : « Comment voulez-vous, que nous prenions conscience de
l'existence de l'Etat dans nos régions qui souffrent du manque d'eau, et
d'électricité, de l'absence des routes, du
téléphone, des hôpitaux, et des projets de
développement. (...) Nous vivons comme des étrangers dans notre
propre pays. C'est pour ces raisons que nous nous soulevons contre l'Etat et
que nous transgressons les lois... »
Bassem El Jisr rapporte que ces propos ont engendré
chez le président Chéhab des sentiments de compassions envers les
nécessiteux et la volonté de construire un Etat juste et
moderne.131(*)
Quant aux lectures de Chéhab, la grande partie
était dans les livres et les journaux français. A travers sa
lecture permanente du « Témoignage
Chrétien » français, porte parole de la branche
progressiste dans l'Eglise catholique, le président Chéhab a
réussi malgré une descendance noble et une carrière
militaire, à s'ouvrir intellectuellement au courant occidental de la
justice sociale que nous pouvons qualifier de courant social démocrate
chrétien.
Ainsi, il fit appel à un prêtre français,
le père louis Lebret - qui avait fondé un institut connu
internationalement chargé d'effectuer des études sur les
problèmes sociaux dans les pays du Tiers Monde et d'y proposer des
solutions, pour étudier la situation socio-économique au Liban.
Il a été mentionné que le président avait
dit que : (...) « les Libanais n'accepteront jamais l'idée de
progrès et de développement que si elle est apportée par
un ecclésiastique catholique chargé par le Pape, ce n'est
qu'à ce moment, qu'ils l'aborderont de façon
positive. »132(*) Et Bassem El Jisr rapporte d'après un
dialogue avec Chéhab au cours duquel il lui confie : « ... si
j'avais fait appel à un expert économique arabe, américain
ou anglais, les maronites libanais auraient sûrement
refusé.»133(*)
Le président Chéhab n'a adhéré
à aucune des idéologies politiques qui existaient au Liban, dans
la région ou dans le monde. Mais il avait des convictions profondes et
essentielles qu'il pratiquait dans sa vie publique et privée et
influençaient énormément sa vision de la Chose publique.
Ces convictions émanaient d'après ceux qui l'ont connu d'une foi
profonde, du respect de la personne humaine et du refus de la violence.
En effet, les convictions du président émanaient
de sa foi religieuse, et se sont renforcées et développées
avec les idées du courant social démocrate chrétien qui
est né en France après la seconde guerre mondiale et qui
prônait une troisième voix entre le socialisme et le capitalisme.
Son appel à l'expertise du père Lebret, le prêtre
catholique dans le domaine du développement socio-économique,
pour évaluer les capacités du développement du Liban
« montre sa conviction et sa croyance dans les idées134(*) du courant social
démocrate.»135(*)
2,2- Le Président Chéhab et le Père
Lebret
Le président Chéhab, a adhéré
à la philosophie du père Louis Joseph Lebret, directeur de
l'I.R.F.E.D (Institut de Recherche et de Formation En vue du
Développement), qui prônait une « économie
à visage humain »136(*), capable de favoriser le développement
continu, et la redistribution de la richesse en vue de réduire les
clivages d'inégalités aussi bien sur le niveau social que
régional.
Le président Chéhab a considéré
que les inégalités socio-économiques sont la source
principale des troubles et des tensions politiques, et constituent la
principale problématique à régler. Ainsi, pour trouver une
solution aux inégalités socio-économiques, le
chéhabisme a évalué comme étant urgent de
développer une nouvelle philosophie politico-sociale et de l'appliquer.
En réalité, la stratégie de la
philosophie chéhabiste était d'édifier un partage
équilibré du pouvoir, et une répartition égale de
la richesse nationale entre les classes, les régions et les
différents groupes sociaux de la société libanaise. Ceci
au sein d'un ordre socio-politique moderne, libéral et
démocratique. Et pour y accéder, il faudrait
« favoriser une répartition plus égale de la richesse,
et des services publics sur le plan social et régional. Redéfinir
la conception de l'Etat, approfondir la relation entre le système
politique et la société civile, en encourageant chaque citoyen
à prendre part à l'élaboration et l'exécution
de projets communs à l'échelle nationale137(*). »
La planification est pour le président Chéhab
une étape capitale dans la construction des Etats. Il développa
cette conviction d'après son éducation militaire, et sa
connaissance de ce qui se faisait en France après la seconde guerre
mondiale. Ainsi, comme le général De Gaulle a eu recours au
planificateur Jean Monnet138(*) pour reconstruire la France après la guerre,
le président Chéhab a fait appel à l'expertise du
prêtre français Lebret pour reconstruire le Liban après la
crise de 1958. « Les Libanais dit Chéhab, se méfient de la
justice sociale, du socialisme et du progrès, mais ils les accepteront
d'un homme de religion car ils sont habitués aux sermons et aux discours
religieux139(*). »
Le système politique libanais
« pourri » a besoin d'une planification publique et
générale pour stimuler la croissance économique et
sociale, pour réformer l'administration, pour développer les
régions périphériques, dans le but de renforcer
l'idée d'un Etat unitaire et de l'appartenance à une Patrie. Le
président Chéhab a refusé de commencer son mandat avant la
mise en place d'une stratégie de développement
équilibrée et harmonisée entre les régions et les
communautés140(*).
La première relation entre le président
Chéhab et le père Lebret à un caractère
professionnel. Ce dernier a occupé le poste de conseiller
économique principal auprès du président Chéhab de
1958 à 1964. Et entre le 6 Mars 1959 et le 26 Avril 1964, Lebret est
venu 25 fois à Beyrouth dans des visites de travail, vingt d'entre elles
sont reparties généralement sur une année entre 1960 et
1963141(*).
Durant cette période, le père Lebret a fait de
son mieux pour le Liban allant jusqu'à refuser en 1960 l'appel de
plusieurs Etats étrangers, et sacrifiant sa vocation d'instituteur au
sein de l'IRFED.
Le père Lebret a consacré presque toute sa vie
active aux questions de développement. La grande partie de ses oeuvres
monumentales traite des problèmes sociaux et économiques et sont
influencées par la tradition chrétienne du thomisme et par le
marxisme. Kamal Joumblatt l'a qualifié dans ses Mémoires de
« prêtre rouge142(*) ».
Le père Lebret a eu comme maître à penser
l'économiste français François Perroux143(*). « Il incarne pour
le dominicain la grande figure de l'économie jusqu'à la fin de sa
vie, le socle théorique de sa propre pensée dans ce domaine. Il
est également le symbole de l'économie moderne pour beaucoup de
jeunes intellectuels libanais (la génération des moins de
quarante ans en 1958) qui participent à l'aventure de la planification
chéhabiste144(*). »
En 1963, Lebret publia une de ces oeuvres théoriques
« Pour une civilisation solidaire » dans laquelle
il traite des grandes idéologies du siècle, telles le communisme,
le capitalisme, et des problèmes relatifs au milieu ouvrier et
campagnard d'après une perspective chrétienne
générale145(*).
Cependant, ce sont ses oeuvres scientifiques autour du
développement qui lui permirent d'être connu en France et dans le
monde entier. Sa vision du développement qu'il décrit dans
« Dynamique concrète du développement146(*) » a
été pratiquée au Liban entre 1959 et 1964.
L'idée principale du livre considère que le
développement ne devrait pas être une fin en soi, mais son but
essentiel est le luxe (meilleure existence) de la communauté humaine. La
fin du développement est de favoriser la croissance économique,
sociale, sanitaire, culturelle, morale, civile et l'élimination du
déséquilibre culturel qui reste l'obstacle capital devant le
progrès des peuples sous-développés.
Répondant à une demande d'explication du
président Chéhab des bases sur lesquelles la première
mission de l'IRFED a été dirigée, le père Lebret
précise la finalité du développement dans un
communiqué envoyé en septembre 1960 dans lequel il explique que
« (la fin du développement) est la série des
étapes traversées par les différents groupes d'un peuple
d'une situation de moindre humanité à une situation plus
humanitaire147(*). »
La fin du développement pour lui, est la
réalisation des capacités potentielles de l'humanité.
Quand l'homme aura satisfait tous ses besoins, on pourra parler de
développement général. Ce dernier s'accomplit à
travers une harmonisation entre le secteur public et le secteur privé.
Le président Chéhab a mentionné dans une lettre
adressée au père Lebret le 10 novembre 1965 une « croissance
sociale basée sur le libéralisme moderne, c'est-à-dire un
libéralisme dirigé148(*). »
En réalité, la planification qui a
été pratiquée au Liban a pris en considération
l'importance du secteur privé dans le pays, en l'impliquant dans le
processus de développement. Dans ces conditions, selon le père
Lebret, le Liban conserverait sa tradition libérale et se mettrait sur
les rails du développement. « Le Liban n'est pas un pays
socialiste et ne le sera pas. Il est d'une importance cruciale que le secteur
privé jouisse de son rôle.»149(*) Et précise encore que « le
développement est un processus commun, dans lequel le secteur
privé joue un rôle important et sans ce dernier la planification
est impossible.»150(*)
2,3- La vision chéhabiste du
développement
Le rapport de la mission IRFED est venu confirmer
l'idée du président Chéhab et de plusieurs penseurs avant
lui à savoir que les conflits et les tensions politiques et
confessionnelles au Liban ont pour principale cause le
sous-développement socio-économique et le
déséquilibre de croissance entre les classes sociales et les
différentes régions.
«Le miracle libanais », et le
développement visible d'une partie de la capitale cachaient des
situations économiques et sociales dangereuses : d'une croissance
démographique entre 2,3% et 2,7 %, à un important exode
rural ; d'une large immigration, au monopole économique de la
capitale, au déséquilibre du pouvoir d'achat entre les Libanais,
au privilège du secteur des services sur les secteurs agricole et
industriel, en dépit de la moitié des Libanais qui travaille ou
vit de l'agriculture. Une des révélations de ce rapport est
que : « le déséquilibre du pouvoir d'achat et de la
qualité de vie entre les régions campagnardes et les quartiers
populaires dans les villes, qui regroupe une population à
majorité sunnite et chiite est criant par rapport au pouvoir d'achat et
à la qualité de vie de la bourgeoise et des classes moyennes
vivant dans Beyrouth, et dans les villes et les villages à
majorité chrétienne.»151(*)
La mission de l'IRFED ne s'est pas réduite au premier
rapport mais elle a été chargé une deuxième fois en
1961 dans le but de proposer les solutions réelles, les projets et les
lois nécessaires à la réalisation du développement
socio-économique général du Liban. Chéhab va
consacrer la durée restante de son mandat pour réaliser la
stratégie et les projets du développement socio-économique
que la mission IRFED allait proposer.152(*)
Le père Lebret a remis un rapport résumé
en deux parties qui contient une étude générale sur les
capacités matérielles et humaines du pays. Ainsi qu'une
étude sur les besoins des différentes régions pour
accéder à un degré de développement satisfaisant.
Ce rapport a voulu mettre fin à l'improvisation et à l'anarchie
dans la construction et dans l'exécution des projets sur tous les
niveaux, et à l'ingérence des leaders politiques qui
privilégient leurs intérêts privés à
l'intérêt public. Le rapport de l'IRFED a été un
tournant historique car il a mis les bases pratiques de la pensée de
tout développement général et équilibré.
Les centres de polarisation étaient l'axe central
autour duquel se développait la vie sociale, les communications et les
administrations gouvernementales. Cette polarisation va préparer
à une décentralisation de manière à favoriser le
développement.153(*)
Le problème social était le souci principal du
président Chéhab, et les principales manifestations de ce
problème étaient l'exode des habitants des campagnes vers les
villes dans une quête de travail et de meilleure vie, à
côté de leur regroupement dans les banlieues et les quartiers des
villes dans des situations de logement et sanitaires inacceptables. Ainsi, il
pratiqua une politique sociale exécutée sur des étapes,
sous forme de stratégie quinquennale, dans le but de développer
les campagnes pour emmener leurs habitants à y rester en leur
fournissant des conditions de vie dignes de ce nom.154(*)
L'un des motifs de l'intérêt du président
Chéhab pour le développement des régions
éloignées et des compagnes était sa prise de conscience et
sa conviction que les causes de la crise de 1958 et du soulèvement des
musulmans contre l'Etat étaient des causes essentiellement sociales en
plus des causes politiques, idéologiques et confessionnelles.155(*)
Il fonda dans la première année de son mandat,
l'office du développement social pour s'occuper des orphelins, à
côté de centre sociaux régionaux qui se chargeaient
d'effectuer des études sur les problèmes sociaux locaux, et
d'entraîner les habitants de ces régions sur l'assistance et
l'aide sociale. Ce bureau contenait un grand nombre de volontaires, et l'une de
ces principales missions était l'encouragement du travail manuel et de
la production artisanale locale.156(*)
En outre, le souci social ne fut pas uniquement tourné
vers les campagnes et les régions périphériques, mais il a
inclus les banlieues des grandes villes, et notamment la banlieue sud de
Beyrouth, où se groupaient une dizaine de milliers de
réfugiés venus des montagnes, des réfugiés
palestiniens et des travailleurs étrangers dans des conditions
misérables, allant jusqu'à appeler la banlieue de
« ceinture de misère ».157(*)
Beyrouth et les grandes villes du Liban étaient
ceinturées par la misère, et les classes moyennes des villes
avaient un bas niveau de vie, de même les revendications ouvrières
et syndicales étaient très intenses à la fin des
années cinquante.
L'une des initiatives sociales du président
Chéhab pour résoudre le problème social fut l'augmentation
du niveau minimal du salaire de 94 à 125 Livres Libanaises, et la
fondation d'une organisation chargée de poursuivre le problème
des salaires et sa relation avec la cherté de la vie. Comme il promulgua
une loi relative aux travailleurs étrangers pour protéger la main
d'oeuvre nationale.
Naturellement ces réformes ont été bien
accueillies par les syndicats ouvriers. Mais elles ont été
refusées par les patronats et la bourgeoisie
commerçante.158(*)
2,4 - La compréhension chéhabiste du
système politique libanais
Le président Chéhab a remarqué que la
société libanaise était une société
troublée, dans une étape de transition, traversée par
l'individualisme aigu et le confessionnalisme. Cet individualisme confessionnel
reviendrait à la longue occupation du pays qui a favorisé la
protection individuelle à laquelle le Libanais a eu recours lors de
l'absence des organes de sécurité nationale. « Il est
naturel que cette nécessité prenne un aspect religieux, lorsque
la communauté constitue un groupement alternatif et acceptable, capable
de faire face à l'agressivité de l'étranger. Puisque,
dans les moments de danger, l'individu ne se sent en sécurité
qu'au sein de la communauté qui partage ses convictions religieuses et
ses sentiments.»159(*)
Ainsi, avec l'éloignement entre les citoyens et
l'affaiblissement du pouvoir, le libanais s'est habitué à
confronter lui-même ses problèmes ou à travers son
appartenance primaire, sans recourir à l'autorité de l'Etat. Le
chéhabisme a compris que la naissance du sens civique et de l'entente
nationale sont confrontées à des obstacles qu'il faudrait
franchir de manière élaborée. Et que les
différentes classes de la population sont concernées par les
biens produits par l'économie nationale. Ainsi l'Etat chéhabiste
a cherché à réduire les clivages entre la qualité
de vie des différentes classes, en vue de les éliminer, en
insistant sur le développement des régions
périphériques.160(*)
En même temps, le chéhabisme se
caractérise par la limitation du libéralisme de la
société libanaise qui consacre le droit individuel. Cette
limitation se concrétise à travers un ensemble de
décisions et de mesures pour canaliser les initiatives privées et
les intérêts individuels et anarchiques. L'Etat s'est
imposé comme administrateur précisant la place et le but de
chaque effort personnel. Le chéhabisme a cru à travers
l'unité de ses citoyens en la mission de l'Etat qui ne peut se
réaliser qu'à travers un développement
général et équilibré. La politique de planification
qui a été pratiqué pour stimuler le développement
conserva le principe du libéralisme économique.
D'après ce principe, la stratégie
chéhabiste a donné une plus grande efficacité à
l'Etat pour pouvoir évaluer et ajuster la distribution des biens
nationaux. Les titres de « coordination et de collaboration entre les
ministères sur les bases d'une stratégie commune, de la
réforme administrative et du développement des organes de
décentralisation » « qualifient le style
chéhabiste dans la quête des élites dans le but de leur
permettre de remplir leur rôle, ce qui a conféré une
dynamique au gouvernement et une énergie à ses organes
administratifs. Cette politique a permis aux élites d'accéder aux
hautes postes de l'Etat et aux grandes responsabilités publiques. Le
président Elias Sarkis n'a pas été le premier de ces
élites et ne sera pas le dernier.»161(*)
L'intérêt pour le dérèglement
social qui touche le fin fond de l'entité nationale, provient de la
croissance apparente du secteur banquier et commercial en dépit de ses
répercussions positives sur la stabilisation monétaire et
l'augmentation du PIB. De même, nous ne pouvons pas considérer
cette croissance comme stable et constante parce qu'elle résulte des
tensions et de l'inégalité entre les secteurs participant aux
cycles économiques. Sans déroger à l'efficacité de
l'initiative individuelle, la politique chéhabiste n'a pas
hésité à intervenir de manière directe, et à
occuper un rôle capital quand il s'agissait d'une question qui entravait
à la constitution naturelle, matérielle ou culturelle du pays.
De plus, elle a construit des organes ayant pour rôle
d'effectuer des études permettant à l'Etat de connaître la
situation véritable du pays, et de contourner les fausses estimations
qui mènent à la perte d'énergie et de temps.162(*)
Quant au niveau politique, le président Chéhab
se posait la question sur l'essence de la démocratie libanaise, et
à cette question répond un des piliers du chéhabisme en
1960 : (...) nous nous flattons de l'être. Nous croyons
l'être. Et peut-être bien que dans un certain sens, nous le sommes
en effet (...) le Liban apparaît comme le dernier îlot de la
liberté, et le dernier refuge de la libre critique et de la libre
expression. Que notre démocratie soit assez singulière, qu'elle
repose encore essentiellement sur des structures féodales et tribales
qu'il lui manque la base même de tout régime parlementaire :
des idéologies politiques représentées par des partis
organisés à l'échelle nationale. »163(*)
La démocratie libanaise n'a pu survivre qu'en raison
d'un système de négociation qui a abouti à la remise des
affaires de l'Etat et des conflits du pouvoir entre les mains d'un seul homme.
Ceci a été imposé par l'édifice socio-politique de
cette démocratie, qui se caractérise par les divisions
communautaires qui ont empêché la mise en place de partis
politiques para-confessionnels à l'échelle nationale.
Ce cumul historique qui a mené à l'amplification
du pouvoir présidentiel et qui a fini par devenir énorme, reste
antérieur à 1958. Cette augmentation du pouvoir du
président de la République n'a pas été atteint par
la violence ou par une prise du pouvoir par la force, ou engendré par
des conditions extraordinaires, mais elle a été le fruit des
pressions relatives aux nécessités profondes reliées
à la construction du pays même. Ce qui a donné naissance
à un pouvoir, non « ...pas de plus en plus personnel
mais symbolisé par une seule personne.»164(*)
3 - Les principes du chéhabisme
Le président Chéhab ne possédait pas une
théorie générale de la politique et de la sociologie. Ses
convictions étaient un ensemble d'idées acquises par ses
différentes lectures, ses prises de positions et par les
événements réels qu'il a vécus.
Cependant, l'absence de telles théories ne veut pas
dire que l'exercice direct de la politique était une simple
réaction aux situations qui se présentaient ou une improvisation.
Parce que, les critères de cet exercice se basaient sur une
appréhension morale de la politique, d'un côté, et de la
prédominance de l'idée de l'Etat et de ses intérêts,
de l'autre.
Le président Chéhab avait une vision humaniste
de la société, était épris de justice, et
rangé du côté du développement comme il le
comprenait. Son mandat présidentiel se différencie des autres
mandats présidentiels par plusieurs caractéristiques. L'une de
ces caractéristiques est la personnalité non-politique du
président Chéhab, sa relation atypique avec le milieu politique,
son style de gouvernement, ses principes relatifs à la Nation, aux
problèmes sociaux qui se sont traduits en projets et en
réalisations effectués sous son mandat. Ces principes se sont
regroupés sous l'étendard du «Nahg » et
tout ceux qui les ont intériorisés ont été
appelés les « naghgistes ». Nous pouvons
énumérer les principes du « Nahg »
comme suit :
3,1- L'indépendance et la
souveraineté
Le président Chéhab a toujours été
attaché à l'indépendance et à la
souveraineté nationale, en tant que commandant de l'armée et en
1958 quand il décida de tourner les canons vers les marines
lorsqu'ils accostèrent sur Beyrouth sans la prévention
ultérieure de l'armée. « Certains libanais
considéraient les forces américaines comme une armée
d'occupation, et un groupe d'officiers d'état-major décida de
résister à notre intervention, écrit Robert Murphy. Nos
fusiliers marins, après leur débarquement à
l'aéroport de Beyrouth, gagnèrent la ville par l'unique route qui
y conduit sans se rendre compte qu'une douzaine de chars y avaient
été disposés avec ordre de tirer sur nos hommes.
McClintock165(*),
l'apprenant à la derrière minute, entra aussitôt en contact
avec le général Chéhab et le convainquit de se rendre
auprès de cette unité de chars avec l'amiral Holloway166(*) (...) Chéhab, arrive
sur les lieux, donna l'ordre de ne pas faire feu et un accrochage tragique fut
évité de peu. »167(*)
Le président Chéhab insista pour que son unique
réunion avec Nasser tienne lieu sur la frontière syro-libanaise
et non dans la Capitale. La discussion entre Chéhab et Nasser,
débouche sur un accord verbal qui tourne la page des conflits et
épreuves de force qui avaient masqué les relations
libano-égyptiennes. Le président libanais s'engage à ne
pas prendre parti contre la R.A.U. ni à essayer de la contrecarrer sur
la scène régionale et internationale, et à suivre sur le
plan de la politique étrangère une ligne de stricte
neutralité, à revenir en quelque sorte à ce qui avait
été l'option du Destour.
Il exige, en revanche, que l'indépendance, la
souveraineté, l'intégrité et l'inviolabilité
territoriales du Liban, ainsi que sa dignité, soient scrupuleusement
respectées. A l'issue du sommet, un communiqué conjoint en trois
points est publié. Les deux pays expriment leur « souci de
raffermir les liens de fraternité et de collaboration fructueuse »
qui les unissent et de « consolider leur indépendance,
souveraineté et intégrité territoriale » respectives
« dans le cadre du Pacte de la Ligue arabe et de la Charte des Nations
unies » ; ils soulignent la nécessité « de renforcer la
solidarité arabe, d'appuyer et de défendre la cause des Arabes
» ; enfin, ils font état de leur détermination à
trouver, dans les « délais les plus brefs, des solutions
concrètes » aux problèmes économiques pendants entre
eux.168(*)
Durant tout son mandat cet attachement était clair
à travers les relations libanaises avec les pays arabes et les pays
étrangers, et son refus de l'ingérence des ambassades arabes et
étrangères dans la politique intérieure. Sur les critiques
contre la grande influence de l'ambassadeur égyptien qu'on surnommait
« le Haut-Commissaire », Bassem El Jisr répond que
ces critiques étaient exagérées parce qu'à cette
époque l'ambassadeur égyptien représentait Nasser qui
était « le président de la R.A.U., un grand leader
politique arabe et populaire qui influençait politiquement toutes les
populations arabes à côté de la moitié de la
population libanaise. Le président Chéhab ne pouvait que prendre
en considération cette réalité qui n'affectait en aucune
manière la souveraineté nationale, qu'aux yeux de ceux qui
s'opposaient au nassérisme. »169(*)
Après la séparation de la R.A.U., et la mise en
place d'un gouvernement syrien anti-nassériste la relation
syro-libanaise sont passées par une étape délicate, le
président Chéhab se trouvait tiraillé par le conflit entre
Damas et le Caire. Cependant, la politique chéhabiste s'attachait
à la solidarité et à l'appartenance arabe du Liban, mais
son attachement à l'indépendance et à la
souveraineté était beaucoup plus profond.170(*)
3,2- L'union nationale
Le président Chéhab répétait
continuellement dans ses discours des expressions telles que
« l'Union nationale », « le Pacte
National », «l'Entente nationale »... tout en prenant
conscience que cette union devrait être bâtie à travers la
démocratie et la justice sociale. Ainsi, il rappelle le 23
septembre : « rien n'est plus impératif pour les Libanais que
leur préservation et leur attachement à l'union nationale, et
rien n'est plus condamnable que sa destruction. »171(*)
Dans son premier discours à la Nation le 5 Août
1958, le président Chéhab insista que : « si cette
unité n'a cessé d'être l'arme efficace grâce à
laquelle le Liban a acquis son indépendance et consolidé sa
souveraineté, elle demeure aujourd'hui comme toujours à travers
le bien-être et la stabilité qu'elle assure, le fondement de tout
acte nous permettant de réaliser nos objectifs
nationaux. » 172(*)
De même le 20 septembre 1960, il considère
que : « la principale garantie de l'indépendance de la nation,
de la préservation de son territoire et de ses frontières est
l'unité nationale de sa population. Sans l'unité nationale il n'y
aurait jamais eu d'indépendance.»173(*)
Le président Chéhab voyait que l'unité
nationale n'est pas simplement la volonté d'un vivre-ensemble ou la
coexistence pacifique entre les communautés, mais se repose sur deux
piliers essentiels, à savoir la démocratie et la justice sociale.
Au cours de ses discours devant les officiers ou lors de la fête de
l'armée, il insistait sur la démocratie, la Constitution, le
régime parlementaire et la légitimité. Il dit dans l'un de
ses discours que : « notre armée est une école de
l'unité nationale, dans la pensée et la pratique, et a compris
que la démocratie est une condition nécessaire à la survie
du Liban, parce qu'elle symbolise et consacre notre
unité. »174(*)
3,3- La légitimité constitutionnelle
Le président Chéhab tenait à
l'application de la constitution de façon fidèle et
précise avant et après son élection à la
première investiture. Depuis sa nomination à la tête de
l'armée en 1945 avec sa coopération étroite avec le
président Béchara El-Khoury et Riad El Solh jusqu'à 1952,
au moment où les pays arabes assistaient à des prises de pouvoir
militaires successives. Après la démission du président
Béchara El Khoury et sa nomination à la tête du
gouvernement provisoire, Chéhab pouvait accéder à la
présidence s'il avait exprimé cette volonté devant la
majorité des députés mais : « il avait dit
sa fameuse phrase au président de la Chambre des députés
qui était venu le consulter : que dit le livre (la Constitution).
Nous appliquons ce que dit le livre à savoir que nous devons appeler les
députés à élire un nouveau
président. »175(*)
Durant la crise de 1958, alors qu'il était commandant
de l'armée il protégea le palais présidentiel et les
institutions nationales, mais refusa d'utiliser la force contre les
insurgés. Il resta attaché à la légitimité
et à la Constitution en refusant de commencer son mandat après
son élection qu'avant la fin du mandat du président Chamoun. Son
refus du renouvellement de son mandat en 1964 est venu confirmer encore une
fois son attachement et son respect profond au texte de la
Constitution.176(*)
Le président Chéhab redonna vigueur au Pacte
national, car il était convaincu de la nécessite de
répondre aux revendications des confessions musulmanes qui avaient
réclamé la répartition égalitaire et communautaire
dans les postes administratifs et la modification de la loi électorale
pour qu'elle reflète une représentation communautaire plus
équitable. Ainsi, la promulgation des décrets-législatifs
en 1959, est venue « confirmé le système confessionnel
et la perspective confessionnelle du Pacte national. »177(*)
En effet, la nouvelle loi électorale a instauré
la circonscription moyenne, relative à la Canmacamat après le
refus des partis politiques pour la grande circonscription qui correspond
à la mohafazat, et apporta des réformes au processus
électorale (l'isoloir, la carte électorale178(*)).
Durant son mandat les gouvernements se formaient après
les consultations des députés en confirmation avec la coutume
politique et confessionnelle, et les élections législatives se
passaient en leur temps. De même, son intérêt pour les
élections municipales confirme sa foi en la démocratie et la
décentralisation.179(*)
La presse a bénéficié de toute sa
liberté durant son mandat, en dépit d'une courte période
de censure imposée par des conditions extraordinaires. Aucune loi visant
à réduire la liberté de la presse n'a été
publiée, en fait, il refusa deux propositions de loi allant à
l'encontre de la liberté de la presse, la première180(*) était pour le
contrôle des ressources de la presse, et la deuxième visait
à limiter le nombre des journaux.
3,4 - L'équilibre politique et
socio-économique.
« L'équilibre était une des
préoccupations intérieures. Ce mot sous-entend la présence
de parties qu'il est difficile d'unir. Par conséquent, il faudrait
favoriser l'équilibre entre elles181(*). » L'unité nationale pourrait
être protégée des surenchères confessionnelles par
l'instauration de l'équilibre communautaire et la répartition
égalitaire dans les sièges ministériels, la
représentation parlementaire et les postes administratifs. A
côté de l'équilibre entre les droits et les
compétences des chefs religieux dans le domaine du statut personnel, des
aides sociales et du protocole. Ceci dans le but d'accéder à une
unité nationale basée sur la citoyenneté, la justice
sociale et le développement général et équitable,
susceptible de permettre le dépassement du système communautaire.
Ce qui exige une stratégie complète qui demande du
temps182(*).
La loi électorale qui avait éloigné une
grande partie des leaders musulmans traditionnels fut réformée,
en augmentant le nombre des députés de 66 à 99. Le Caza
fut admis comme circonscription électorale dans le but de réduire
l'influence du féodalisme politique et de l'argent électoral. De
même, à travers cette loi le député est élu
par les voies des différentes communautés ce qui devrait les
pousser à tenir un discours politique modéré.
Toufic Kfoury cite d'après Edmond Rabbath que :
« la pensée du président Chéhab était
dominée par l'idée de réduire l'injustice ressentie par
les musulmans, ainsi il adopta la formule de la répartition égale
des postes administratifs entre les chrétiens et les musulmans qui est
une formule révélatrice de la réalité sociale
libanaise183(*). »
De là provient l'application de la répartition
égale des postes publics entre les chrétiens et les musulmans et
puis la répartition proportionnelle de la part des musulmans entre les
sunnites, les chiites et les druzes et de la part des chrétiens entre
les différentes communautés chrétiennes. Le but de cette
précision dans la répartition communautaire est « en
plus de l'instauration d'un équilibre véritable dans les
administrations publiques, la satisfaction des revendications des musulmans, le
dépassement du système politique communautaire dans dix ou quinze
années et la libéralisation de l'administration publique du
confessionnalisme et du clientélisme politique184(*). »
De même, le président Chéhab a
formé des gouvernements qui représentaient toutes les
confessions, les régions et les groupes politiques, partisanes et
parlementaires sur le critère du « ni vainqueur ni
vaincu. » Les importants postes ministériels étaient
répartis sur le critère de l'équilibre confessionnel, le
président Chéhab était attaché à ce que les
gouvernements comprennent les « Phalanges » en la personne
de Pierre Gemayel et le « parti socialiste
progressiste » en la personne de Kamal Joumblatt, un premier
ministre accepté par la majorité des sunnites et de ministres
chiites représentatifs des forces politiques chiites185(*).
3,5 - Le rôle arabe du Liban et sa politique
extérieure.
«... La fidélité et la franchise dans nos
relations avec les pays arabes, et le respect et l'amitié dans nos
relations avec les pays étrangers, sont des bases susceptibles d'assurer
à notre nation la prospérité, la paix, l'assurance et la
notoriété qu'elle mérite sur le plan arabe et
mondial186(*). » «...Ce pays a une foi
profonde en ses devoirs en tant que membre de la communauté
arabe187(*)... » « ...Le Liban remplit
son rôle positif dans son entourage arabe, fidèle à sa
volonté, attaché à sa mission et aux intérêts
des pays arabes188(*)... »
Par ces affirmations le président Chéhab
apparaît attaché à l'esprit du Pacte National comme
Béchara El Khoury, Hamid Frangié et de nombreuses
personnalités qui ont lutté pour l'indépendance du Liban.
Il considérait que l'indépendance du Liban nécessitait une
politique solidaire avec les pays arabes quand ils s'entendaient sur une
position nationale arabe commune, et une politique de neutralité entre
ces derniers lorsqu'ils se divisaient dans leurs relations ou dans leurs
relations avec les pays étrangers189(*). Le président Chéhab croyait à
l'indépendance de l'entité libanaise et son appartenance au
nationalisme arabe. L'arabité du Liban passait par sa solidarité
avec les pays arabes et sa fidélité aux causes nationales arabes
et surtout la cause palestinienne.
Par rapport à Israël, le président
Chéhab était conscient de son danger, et s'attachait au
traité d'armistice vu les faiblesses militaires du Liban, mais
n'hésita pas en 1948 de prendre part à la guerre de Palestine, et
en 1964 de participer à la mise en place du commandement commun arabe
préventif190(*).
La président Chéhab pratiqua une politique
d'ouverture envers les grandes puissances. Il considéra les pays
socialistes et l'Union soviétique comme des pays amis. Quant aux
Etats-Unis, la coopération était amicale mais
réservée.191(*)
Avec la politique ouverte du général De Gaulle
envers les arabes, le Liban a développé des relations intenses
avec la France sur tous les niveaux et surtout au niveau culturel ;
à noter que la politique de coopération avec la France
était approuvée par les chrétiens et les
musulmans.192(*)
Le slogan « non pour L'Orient et non pour
l'Occident » qui signifiait en 1943 que les chrétiens
renoncent à leur demande de protection par la France et les musulmans
à l'union avec la Syrie, a été traduit par le
président Chéhab en 1958 par la neutralité entre l'Union
soviétique et les Etats-Unis. Cependant, cette neutralité
était plus proche de la coopération économique et
culturelle avec l'Occident et la France et la non-hostilité envers
l'Union soviétique.193(*)
A travers cette appréhension réaliste et
équilibrée de la politique étrangère du Liban, le
chéhabisme n'a pas cherché à jouer des rôles
régionaux et internationaux qui dépassent la capacité du
Liban, et ne s'est pas aligné dans les conflits internationaux ou arabes
dans le but de ne pas attiser les contradictions internes dans la constitution
sociale et politique du Liban. La politique chéhabiste a cherché
à construire une longue et stable trêve dans la politique
étrangère pour s'attaquer aux problèmes intérieurs.
Section ÉÉ
La stabilisation intérieure et le non-alignement
« Un soldat est projeté sur la
scène politique. Dans la débâcle des institutions, au
milieu de la désolation et des ruines, il est hissé au sommet du
pouvoir194(*). » Ainsi commence l'expérience
du chéhabisme au Liban. La situation du pays le 23 septembre 1958 est
très délicate : guerre civile, colère populaire,
administration inefficace et incompétente, autorité bridée
du gouvernement.
« Libanais,
Dans les circonstances difficiles que traverse notre Patrie,
endolorie par les souffrances, accablée par les épreuves, nul ne
peut plus hésiter à assumer une mission à laquelle le pays
appelle. Dans le souci de remplir un devoir et de faire face à une
responsabilité publique impérieuse, j'ai accepté de me
soumettre au voeu de mes compatriotes et d'assumer la charge de
Président de la République, comptant sur le Tout-Puissant auquel
je demande d'éclairer notre voie et de nous guider pour le bien du
Liban.
(...) Avec notre Armée Nationale, j'ai vécu tout
le drame (...) le Liban sortira ainsi de l'épreuve plus confiant en
lui-même, plus solidement établi, et sa position
renforcée.
Ce que je demande en premier lieu à moi-même,
comme à chacun de mes compatriotes, c'est de travailler de toutes nos
forces pour restaurer l'Unité nationale grâce à laquelle le
Liban a, en 1943, réalisé son indépendance,
consolidé sa souveraineté et son intégrité. Cette
unité a inspiré le Pacte National dont les principes de politique
intérieure, arabe et étrangère sincère, constituent
pour nous tous la charge que garantit la gloire du Liban et la
prospérité du peuple Libanais.
(...) Egalité entre les Libanais,
sincérité et franchise dans nos rapports avec les pays arabes
frères, dignité et amitié dans nos rapports avec
l'étranger : ce sont là des bases propres à assurer
à notre patrie Libanaise une vie paisible faite de
prospérité, de tranquillité et de dignité.
(...) En veillant sur notre unité, nous devons
également, dans l'intérêt de l'Etat que nous voulons
reconstruire, veiller sur les vertus de probité, de justice et de
désintéressement comme sur les principes de science, d'ordre et
d'égalité, afin qu'ils règnent dans tous les domaines de
notre société. De même, le sens des responsabilités
et le souci du devoir et du bien général devront-ils guider le
Pouvoir dans toutes ses activités.
En prenant la ferme résolution de faire face
sérieusement à notre devoir, nous aurons emprunté la voie
propre à nous conduire à nos buts nationaux195(*). »
Ce discours en dit long sur la volonté du
président Chéhab de changer la réalité. Il pourrait
être considéré comme la ligne de conduite du
chéhabisme.
Le Liban ne peut pas fuir tout, et tout le temps. La politique
des pères de l'indépendance a été, justement
d'esquiver les problèmes. Esquiver un problème ce n'est pas le
résoudre. On peut agir ainsi un certain temps, mais pas
indéfiniment. Donc, il fallait définir une stratégie pour
le Liban, basée sur l'idée de nation forte. Une nation forte, un
gouvernement fort, des hommes forts, voilà, à priori, l'urgence.
Pierre Lyautey affirme qu'« après l'entracte
de 1958, la prospérité n'a donc pas amolli les âmes.
Aussitôt ce pays a compris quels étaient les impératifs de
sa liberté, celle-ci étant, selon le mot de La Bruyère, le
« choix du travail. »196(*)
Ainsi, les deux premières années du mandat
Chéhab furent consacrées à refaire l'unité
nationale profondément meurtrie et fêlée par l'insurrection
de 1958. En effet, « il semble qu'après six mois
d'épreuves, les Libanais aient reçu un mystérieux
stimulant197(*). »
Sur le plan interne, il entreprendra une répartition
égale des postes administratifs entre les communautés et des
élections sur la base d'une nouvelle loi électorale permettant
une meilleure représentation du peuple ; sur le plan
extérieur et arabe, une normalisation des relations perturbées
avec la R.A.U. Ce fut la fameuse rencontre avec Nasser, qui fut la
première et la dernière entre les deux leaders.
En 1960, Fouad Chéhab surprit le pays en
présentant sa démission de la présidence. Il
considérait avoir accompli la tâche pour laquelle il a
été élu : ramener la paix et la concorde au pays.
Unanimement la classe politique et le peuple refusèrent cette
démission et finirent par le convaincre de revenir sur sa
décision.
Ainsi, la première étape de la stratégie
du redressement national du Liban fut la restauration et la préservation
de l'unité nationale à travers l'élargissement de la
représentation et la division égale des postes administratifs.
La stabilisation interne a été favorisée
et renforcée par la politique de neutralité sur le plan
extérieur que pratiqua le régime de Chéhab. La politique
de neutralité positive du Liban dans un Moyen-Orient traversé par
des crises multiples est une condition nécessaire à la
stabilisation interne, et par le fait à la réduction du clivage
confessionnel.
L'élargissement de la représentation politique
et la neutralité positive adoptés par le chéhabisme ont eu
des répercussions positives sur la stabilité sociale et sur la
croissance économique
1- L'élargissement de la représentation comme
facteur de stabilisation.
L'élection de Fouad Chéhab supprimait,
théoriquement, la raison d'être de l'insurrection puisque toutes
les parties avaient fini par se persuader que le commandant en chef de
l'armée, en l'état de la situation, était le seul homme
à même de réunifier le pays, ramener le calme et
rétablir le fonctionnement des institutions. Dès le lendemain de
l'avènement de Chéhab, 1e 24 septembre, un gouvernement de huit
membres est formé198(*), présidé par Rachid Karamé, le
chef de l'insurrection à Tripoli. On disputera longtemps du point de
savoir si ce cabinet était « équilibré »,
s'il faisait la part égale aux meneurs de la « saoura »
et à leurs adversaires. En fait, il ne comptait qu'un seul
représentant des premiers et aucun des partisans de Chamoun ou de ses
alliés, comme les Kataêb, à l'heure même où
ces derniers paralysaient le pays par leur soulèvement et
démontraient qu'ils constituaient une force politique et populaire dont
il était impossible de ne pas tenir compte. A l'exception de
Karamé, aucun des membres du gouvernement n'avait fait partie des chefs
de guerre. En revanche, ils étaient tous, du côté musulman,
soit membres, soit proches du Front de l'unité nationale et, du
côté chrétien, soit neutres, soit partisans du Destour
ou de la Troisième Force qui avaient combattu Chamoun.
Au lendemain même de la formation de ce gouvernement, le
chef des Kataêb, Pierre Gemayel, considérant que sa composition
équivaut à « une victoire injustifiée des
rebelles», annonce que son parti s'y opposera et appelle à
la poursuite de la grève. Plusieurs facteurs contribuent à
exacerber les sentiments de déséquilibre, de déception,
d'injustice, de frustration, de révolte, éprouvés par le
courant chrétien engagé dans la contre-révolution.
D'abord, Rachid Karamé déclare que le cabinet est venu «
cueillir les fruits de la révolution», ce qui indigne
d'autant plus Gemayel qu'il estime celle-ci en grande partie l'oeuvre de
l'étranger, ayant pu se développer, d'une part, parce que
Chéhab n'a tout simplement pas voulu la mater et, d'autre part, parce
que la rue chrétienne n'a cessé de se retenir pendant les mois au
cours desquels la rue musulmane se déchaînait.
La position du général face à la
contre-révolution sera similaire à sa position durant
l'insurrection contre le président Chamoun, il a
« donné les mêmes ordres d'interdire les manifestants de
couper les routes principales, et d'empêcher toutes agressions contre les
citoyens ou les institutions islamiques dans les régions à
majorité chrétienne199(*). »
La solution était évidente : seul un cabinet que
les différentes parties considéreraient comme les
représentant effectivement serait en mesure d'arrêter l'engrenage
de la violence, de rétablir la paix, le règne de la loi et un
consensus politique susceptible d'éviter au Liban de nouveaux troubles.
Malgré (ou à cause de) la situation explosive, il fallut trois
semaines de tractations pour qu'un accord fut trouvé sur une nouvelle
formule de gouvernement. Il vit le jour le 14 octobre, et, en vingt-quatre
heures, comme par enchantement, le calme fut rétabli. Le gouvernement
des quatre a mis fin aux manifestations, durant lesquelles les Libanais ont
compris que la paix réside dans « la coexistence et le dialogue
islamo-chrétien en appliquant les bases du Pacte national200(*). »
« Le gouvernement des Quatre » (Rachid
Karamé, Hussein Aoueini : sunnite ; Pierre Gemayel, Raymond
Eddé : maronite.) issu à moitié des barricades et
à moitié des milieux politiques traditionnels fut le seul
gouvernement de réconciliation nationale dans l'histoire du Liban
jusqu'à maintenant. Ce gouvernement a porté au pouvoir des
figures symboliques de deux tendances extrêmes de la population et de
deux tendances modérées, tandis que Chéhab se posait en
arbitre suprême.
1,1 - L'élargissement du gouvernement et
l'augmentation du nombre des députés.
Chéhab s'était pénétré de
l'idée que les musulmans, après 1958, devaient être en
mesure de traduire leurs aspirations dans les options politiques du
gouvernement, apanage jusqu'alors de la classe, dirigeante maronite, sans que,
pour cela, les chrétiens n'aient à souffrir d'une quelconque
aliénation de leurs droits. C'était là un périlleux
travail de dosage de chaque instant, d'appréciation concrète,
où toute déviation risquait de faire resurgir les vieux
démons, de réveiller les tentations latentes de la violence et du
séparatisme.
Le président Chéhab a vite compris que la
stabilité intérieure implique un large consensus entre les
leaders des principaux segments tant au Parlement qu'au cabinet
ministériel. Aussi a-t-il porté le nombre des
députés de 66 à 99 et a formé un cabinet de 18
membres.
Georges Naccache analyse ainsi ce comportement : «
Notre première chance d'une prise de conscience nationale commence dans
la mise en place des assemblées représentatives. Et plus
l'assiette de cette représentation est élargie, plus elle englobe
les particularismes confessionnels et les diversités régionales,
plus large enfin est la confrontation, plus il y a de chances de voir s'y
résoudre les antagonismes religieux et les oppositions politiques
(...) Les deux Chambres les plus ingouvernables que le Liban ait
connues ont été justement les deux Chambres les moins nombreuses
en 1953 et en 1934 - la Chambre des 44 et la Chambre des 25 - qui mettaient
tous les ministères à la merci du déplacement d'une ou de
deux voix201(*).
»
Sept gouvernements202(*) ont été formés sous le mandat
du président Fouad Chéhab (contre 12 sous celui de Chamoun) dont
trois par Rachid Karamé, deux par Saêb Salam, un par chacun de
Ahmad Daouk et Hussein Ouyeni, ces deux derniers étant des cabinets
d'élections.
Ce comportement, bien qu'il traduise, selon Pierre Rondot,
« une complaisance à l'égard du
système » n'en est pas moins nécessaire. «
C'est le maximum, écrit Pierre Rondot, largement en compte, de ce que
permet le système traditionnel porté jusqu'à ses
extrêmes (...). Mais les participants ne pourront se plaindre, s'ils
échouent, que les dés aient été pipés; ils
ne devront s'en prendre qu'à eux-mêmes ou au système. Quant
au président, il aura, de la sorte, pris la mesure totale des
procédés politiques classiques de la démocratie
intercommunautaire du Liban, a qui toute sa chance aura été
donnée203(*).
»
De même, le président Chéhab par un souci
de justice a oeuvré pour rétablir l'équilibre
confessionnel dans les postes administratifs publics. Le but était de
réduire les sentiments d'éloignement (tahmich) des
musulmans et par le fait de les faire sentir comme partie intégrante de
la construction nationale. Le chéhabisme considérait que la
meilleure façon d'empêcher que les défis arabes
socialistes, révolutionnaires, palestiniens fassent éclater le
Liban, c'est de consolider le Liban de l'intérieur par la justice
sociale, une armée forte et la libanisation des musulmans. En
effet, Pour inciter les musulmans à renoncer à l'attachement avec
la Syrie, le président Chéhab intégra les musulmans dans
les institutions étatiques. Ainsi, il s'agit d'apporter une
réponse réaliste à un problème crucial depuis la
création du Grand-Liban en 1920. La revendication des musulmans pour
l'intégration du Liban à la Syrie a pour cause profonde le
sentiment des musulmans d'être des citoyens de seconde zone.
Kamal Salibi a noté que « contrairement aux
chiites, les sunnites ont eu la part du lion dans ce
réaménagement vu leur rôle dans la crise et leur
caractère citadin. De même les druzes ont largement
bénéficié de cette politique vue leur cadrage politique
bien articulé. Les chiites furent les plus écartées et
restèrent les plus démunis. La surreprésentation des
druzes et des sunnites assurera un fort appui pour le régime et augmenta
les droits acquis de ces communautés204(*). »
1,2 - Une loi électorale plus représentative.
Le président Chéhab a voulu une nouvelle loi
électorale, pour éliminer les causes qui ont engendré les
antagonismes politiques, à travers une meilleure représentation
politique des communautés et des différents segments de la
société. Pour calmer les esprits, il fallait que les principaux
leaders politiques réussissent dans les élections.
L'éloignement de l'un ou de plusieurs de ces leaders risque de faire
émerger de nouvelles barricades et de bouleverser l'ordre établi.
Bassem el Jisr rapporte dans « Fouad Chéhab » que le
président lui avait confié : « pourquoi se
sont-ils battus en 1958 ? Les uns pour être députés et
ministres, les autres pour le rester ? Eh bien, qu'ils le deviennent
tous. »
En effet, le parlement approuva en 1960, le décret
législatif 3474205(*) qui précisa la nouvelle loi
électorale en augmentant le nombre des députés de 66
à 99. Les circonscriptions électorales furent reparties par cette
loi de façon diplomatique. Le Caza a été
considéré comme adéquat pour l'harmonie et
l'équilibre entre les communautés à travers le processus
électoral ; Beyrouth fut repartie en trois circonscriptions. Le
pays fut reparti entre 26 circonscriptions, seize d'entre elles étaient
multiconfessionnelles, quatre étaient à majorité
chrétienne, trois étaient dominées par les chiites et deux
étaient à majorité sunnite.
Le président Chéhab était
convaincu : « qu'il était inadmissible de réunir
l'Achrafieh avec Al basta, Alimsaytbeh et Tarik aljdideh dans une même
circonscription électorale après les événements de
1958, parce que les chrétiens de l'Achrafieh vont voter contre les
leaders musulmans de la révolution, et que l'échec de Saêb
Salam, de Abdallah Eliyafi ou de Adnan Alhakim après la crise de 1958
n'était ni normal ni raisonnable, ainsi que l'échec de Pierre
Gemayel à Achrafieh206(*). »
Les élections de 1960 ont permis la victoire des
leaders de la « révolution » et de la
« contre révolution », même le leader du
P.P.S, Assaad El Achkar a été élu avec le retour de Kamal
Joumblatt, Sleiman Frangié, Sabri Hamadé, Kamel El Assaad,
Saêb Salam, Abdallah Eliyafi. Le président n'a pas voulu retomber
dans le même piège que celui de Camille Chamoun dans les
élections précédentes.
De nouvelles personnalités ont accédé au
parlement pour la première fois, « des députés qui
vont jouer un rôle considérable dans l'avenir du pays et marquer
de leur sceau le destin du Liban207(*)» telles, Fouad Boutros, Kazem Al Solh,
Ali Bazy, Maurice el Gemayel, Jamil Lahoud, Pierre Gemayel, de plus les
opposants au chéhabisme tels, le président Chamoun, Raymond
Eddé, Edward Hneine ont pu être élu208(*).
Les élections de 1960 furent les premières
élections au cours desquelles fut imposé l'isoloir. L'imposition
de ce dernier a été un grand pas dans la démocratisation
des élections dans la mesure où l'isoloir limite les pressions
sur les électeurs, et devrait encourager la liberté de choix.
Quant aux élections de 1964, 57 des 99
députés sortants ont retrouvé leur siège et 42
l'ont perdu. 29 sont élus pour la première fois et 13 furent
membres des Chambres précédentes. Dans la répartition
confessionnelle, 30 des nouveaux députés sont maronites, 20
sunnites, 19 chiites, 11 grecs-orthodoxes, 6 grecs- catholiques, 6 druzes, 4
arméniens-orthodoxes, 1 arménien-catholique, 1 protestant et 1
minoritaire.
2 -Ni l'Un ni l'Autre : la neutralité
positive.
La stabilité intérieure durant le mandat
Chéhab ne peut être dissociée du courant arabe
nassériste, alors prédominant dans le monde arabe. Le
président Chéhab ayant commencé son mandat par sa
célèbre rencontre « sous la tente » le
25 mars 1959 avec le président égyptien Nasser. Il a
été rapporté que le président Chéhab a dit
après cette rencontre : « nous devons savoir comment
vivre sous l'ombre de cet grand homme209(*). » Ainsi, il a compris dès le
début que le Liban ne peut être étranger à l'opinion
arabe générale. Le souci primordial de Fouad Chéhab
était, encore une fois la neutralité du Liban. Mais dans un
Moyen-Orient en ébullition constante, ce ne fut pas chose facile.
D'ailleurs au début de l'année 1959, le quotidien francophone
l'Orient, publia dans son éditorial intitulé « les
faits du jour » cette fameuse phrase : « le monde
arabe se trouve à un tournant décisif de son histoire210(*). »
Après son élection le président
Chéhab remania la politique étrangère du pays. Ce tournant
était un des principaux slogans de la
« Saoura » de 1958211(*). Cette politique
étrangère va permettre au chéhabisme de respecter
l'équilibre confessionnel et de renforcer l'unité
nationale212(*).
Dans son analyse du chéhabisme, Georges Naccache
décrit : « La grande règle qui doit commander la
politique étrangère libanaise est celle du non-alignement (...).
Notre politique étrangère doit refléter, sur le plan arabe
comme sur le plan international, le dualisme même du Liban. Nous n'avons
ni le droit, ni d'ailleurs le pouvoir, de prononcer des options ou de prendre
des engagements qui, en risquant de faire éclater l'unité
libanaise, desservent la cause même que nous prétendrions
servir213(*) ».
A ceux qui estiment que l'insurrection de 1958 et
d'autres troubles « devaient survenir », Georges Naccache
répond qu'on ne peut « réécrire l'histoire avec des
si .Quand vous me dites : la chose était inévitable, je vous
dis : C'est une hypothèse. Mais ce qui est certain, c'est que vous
avez fait tout ce qu'il fallait pour ne pas l'éviter214(*). »
Chéhab était conscient de la
nécessité de procéder à un
rééquilibrage politique, de rétablir des relations
cordiales avec les voisins arabes du Liban, tout en maintenant les liens
traditionnels avec l'Occident, aux valeurs duquel il était fermement
attachée; de régler les conflits qui avaient valu tant de
difficultés au pays durant les années précédentes,
de tenir compte du phénomène de masse que représentait le
nassérisme, sans pour autant s'écarter de la politique de stricte
neutralité érigée en dogme du temps de Béchara
El-Khoury.
En effet, tout au long du mandat du président
Béchara El-Khoury (1943-1952), le Liban a
méticuleusement poursuivi une politique de neutralité et demeura
hors des querelles interarabes. Cette politique étrangère
résulte de l'esprit du Pacte National.
Cette politique de neutralité positive, il appartiendra
à Hussein Aoueini de la mener à bien. « En cette phase
bien particulière de l'histoire du Liban, il était sans doute
l'un des hommes les plus indiqués pour diriger la politique
étrangère du pays. Par rapport à sa fidélité
aux causes arabes, à sa solidarité avec les Etats de la Ligue,
nul ne pouvait se livrer à des surenchères, tout comme personne
ne pouvait relever la moindre lacune dans sa loyauté à
l'égard du Liban et dans sa probité. L'avènement de
Aoueini à la tête de la diplomatie libanaise était
l'aboutissement de l'action résolue que le président
Chéhab n'avait cessé de mener pour assurer une plus grande
participation des musulmans au pouvoir de décision, leur ouvrir
l'accès aux centres névralgiques de l'Etat, leur faire partager
à égalité avec les chrétiens les
responsabilités nationales. Avant lui, aucun mahométan n'avait
été en charge des Affaires
étrangères.»215(*)
« Nous ne voulons pas être impliqués dans
les problèmes qui opposent les grandes puissances, explique Aoueini.
Nous sommes déterminés à bâtir les relations de
notre pays conformément à l'esprit du Pacte national de 1943 qui
prévoit que le Liban n'abritera pas de bases étrangères et
n'accordera de privilège à aucun Etat étranger. Nous ne
voulons pas d'alliances étrangères ni de pactes militaires. Pour
ce qui est des pays arabes, nous sommes venus afin d'effacer les traces
fâcheuses du passé. Nous voulons que nos relations avec les Etats
arabes soient placées sous le signe de l'amitié et de la
coopération les plus étroites. Nous ne tolérerons pas que
notre pays se transforme en foyer de l'impérialisme ou de complots
contre n'importe quel autre pays arabe216(*). » C'est en ces termes que Aoueini
définit les grandes lignes de la politique qu'il compte suivre.
Le premier pas dans la régulation de la politique
étrangère fut le retrait des troupes américaines
débarquées à Beyrouth le 15 juillet 1958. Encore
fallait-il, pour mettre fin à la brouille avec la République
Arabe Unie, trouver une issue à la procédure engagée
contre cette dernière au Conseil de Sécurité et qui
était toujours pendante. L'affaire était délicate à
mener, car il était nécessaire de ne pas paraître
désavouer le précédent gouvernement auteur de la
plainte217(*) ou donner
à croire qu'on la jugeait injustifiée, au risque de provoquer un
tollé dans le camp chrétien et de mettre en danger l'existence du
cabinet qu'on avait eu tant de mal à former ; en même temps, il
était indispensable d'élaborer une argumentation susceptible
d'être admise au Conseil de Sécurité, où l'usage
veut que toute plainte dont l'examen a été entamé suive
son cours jusqu'à son aboutissement normal.
« En fait, les protestations d'amitié
à l'égard de la R.A.U., et les grands principes de
solidarité et de fraternité interarabes invoqués pour
expliquer la nouvelle politique du Liban, étaient doublés d'un
souci bien prosaïque, d'ordre strictement matériel : le
gouvernement était pressé d'obtenir la réouverture de la
frontière syrienne afin de permettre la reprise du mouvement de transit
à partir du port de Beyrouth, à travers le territoire syrien,
vers la Jordanie et l'Irak, et d'insuffler ainsi une bouffée
d'oxygène à une économie libanaise sérieusement
affectée par une paralysie de près de six mois218(*). »
Le chéhabisme considère que la
préservation de la souveraineté du Liban exige une politique
fraternelle avec son entourage arabe basée sur la coopération
fidèle, et son appui à toute politique arabe commune. Cependant,
si les pays arabes se divisent sur la politique interarabe ou internationale,
le Liban devrait pratiquer une position de neutralité vis-à-vis
d'eux. Comme il considère que la coopération étroite entre
le Liban et les pays arabes n'annule point l'ouverture du Liban sur l'Occident
et sur le monde, une ouverture « pratiquée depuis
longtemps » et vue par les chrétiens comme une sorte de
protection et d'assurance. L'ouverture sur l'Occident ne s'accompagne pas
nécessairement d'une fermeture sur l'Union soviétique, mais d'une
politique de neutralité envers ce dernier et les Etats-Unis, et d'une
ouverture économique et culturelle avec l'Occident et la
France219(*).
2,1- La politique libano-arabe.
Dans la politique du Liban envers les pays arabes, le
chéhabisme était fortement attaché à
l'indépendance et à la souveraineté nationale.
L'indépendance du Liban est étroitement liée à sa
symbiose avec son entourage arabe pour plusieurs raisons, l'une d'elles est que
« les Libanais sont arabes par la langue et la
descendance ». De plus, la moitié des Libanais croit au
nationalisme arabe et à la même doctrine religieuse, ainsi que
l'économie libanaise dépend largement de la coopération
avec les pays arabes.
L'indépendance du Liban est pour le chéhabisme
une assurance suffisante pour le destin des chrétiens et des maronites,
de même, l'identité arabe du Liban et sa coopération avec
son entourage respectent les aspirations et préservent les droits des
musulmans libanais et des Libanais vivant dans les pays arabes.
« Telle était, et telle est la politique du Vatican.220(*) »
Le président Chéhab considérait que
l'intérêt du Liban nécessitait une politique de
neutralité et une politique qui aiderait à faire émerger
une position arabe commune lors des mésententes interarabes parce que le
conflit entre les pays arabes est un danger meurtrier pour la composition
multiconfessionnelle du Liban. En effet, Georges Naccache écrit que :
« le « messieurs, ami de tout le monde » qui
est le grand axiome de la diplomatie libanaise nous impose des prodiges de
virtuosité qui n'ont plus leur récompense. Dans un monde arabe
satellisé autour de 2 pôles, le Caire et Bagdad, nous
étions, depuis 43 sur une espèce de ligne idéale, sur cet
axe immobile autour duquel s'opérait la
gravitation »221(*), montrant ainsi que la neutralité devrait
être une neutralité positive tournée vers l'entente et la
paix entre les pays arabes.
Au cours d'un dialogue avec Bassem El Jisr le président
Chéhab explique pourquoi il a choisi une politique
étrangère favorable à Nasser plutôt qu'aux autres
leaders arabes : « parce que je suis dit-il, le président
d'une République qui regroupe des musulmans et des chrétiens, je
vois qu'il est de mon devoir de respecter les aspirations de la moitié
de la population libanaise qui respecte, aime et même divinise un
héros national tel que Nasser222(*). »
De même, pour insister sur la politique de
neutralité positive, le président Chéhab a proposé
à Nasser de tenir leur unique réunion sur la frontière
syro-libanaise, comme symbole du respect de la souveraineté libanaise,
et pour ne pas contrarier l'opinion chrétienne qui accusait le
président Chéhab de favoritisme envers Nasser223(*). La politique « de
la frontière » pratiquée par le chéhabisme est
selon notre opinion, nécessaire, car elle favorise un milieu de
sécurité et une atmosphère d'apaisement susceptibles de
permettre à la « guerre froide confessionnelle »
d'être dépassée vers une coexistence véritable. La
frontière devrait constituer une barrière non seulement
géographique mais un barrage politique à toute
interférence extérieure dans les affaires intérieures. Ces
ingérences extérieures sont la principale source de tension entre
les communautés.
Ainsi, pour renforcer la cohésion intérieure, le
communiqué officiel224(*) publié après la rencontre entre le
président Chéhab et le président Nasser a insisté
sur le respect de l'indépendance, et les intérêts du Liban,
ainsi que ceux de la Syrie et de l'Egypte, et a largement influencé le
cours des événements dans la région225(*). Comme il a eu des
répercussions positives sur le mandat du président Chéhab
en limitant les ingérences extérieures dans les affaires
intérieures du pays226(*).
2,2 - La politique étrangère envers les pays
occidentaux.
Quant à la relation avec l'Est et les grandes
puissances de l'Ouest, prenant pour assise - le Pacte de 1943 - le
chéhabisme a construit une politique non agressive envers l'Union
Soviétique, tout en considérant les pays socialistes comme des
pays amis. De même, les relations avec l'Occident n'ont pas glissé
vers l'alignement aux intérêts des capitales
étrangères. Ces relations se justifiaient par l'échange
culturel et économique avec les pays développés et les
sociétés modernes pour permettre au Liban d'être la liaison
entre l'Orient et l'Occident227(*). Une mission historique qu'il a toujours remplie.
La relation avec les Etats-Unis était une relation de
coopération et de respect mutuel mais avec une certaine réserve
vu l'appui des Etats-Unis pour Israël. Cependant, les relations avec la
France étaient intenses et solides dans les différents domaines
économiques, et surtout au niveau culturel, appuyée par la
politique d'ouverture du général De Gaulle envers les arabes
après l'indépendance de l'Algérie en 1968. Toufic Kfoury
rapporte que les relations avec la France s'accompagnaient du consentement des
chrétiens aussi bien que des musulmans228(*).
Pourtant, malgré la politique équilibrée
du chéhabisme envers l'Est et l'Ouest, et la participation du Liban au
congrès des pays non-alignés, le Liban était plus proche
de l'Occident que du bloc communiste. Parce que, le président
Chéhab était plus proche culturellement des valeurs occidentales
et très attaché à la coopération avec la France sur
tous les niveaux, à condition que cette coopération ne se
reflète pas de façon négative sur l'unité nationale
et ne déroge point aux intérêts des pays arabes. Avec un
attachement profond à ce que cette coopération ne glisse en
aucune manière vers l'alignement229(*).
Les opposants au chéhabisme ont accusé le
président Chéhab de mener une politique francophone et non
anglo-saxonne. Et que l'amitié avec la France et la présence
d'experts et de conseillers français autour de lui dérangeait
Londres et Washington ! En fait, le président Chéhab a
compté sur la France et ses experts pour maintes raisons. D'abord, parce
que sa culture était essentiellement francophone et sa formation
militaire s'est déroulée en France, ensuite, la présence
dans les administrations libanaises de jeunes diplômés des
universités françaises, et enfin - comme nous l'avons
mentionné auparavant - la présence du général De
Gaulle à la tête de l'Etat français et sa politique de
coopération avec les pays arabes.
En même temps, les relations des Etats-Unis avec les
pays arabes et les relations anglo-arabes n'étaient point amicales voire
conflictuelles. Dans ces situations, l'équilibre entre l'Est et l'Ouest
était très délicat dans la politique chéhabiste.
L'ouverture du chéhabisme et sa coopération intense avec la
France ne furent jamais une cause de discorde avec les Etats-Unis, l'Angleterre
et même l'Union soviétique. De même, la coopération
avec l'Occident ne prédominait point sur la coopération
interarabe. Cette politique d'équilibre a toujours été la
politique du courant national arabe envers l'Occident230(*).
Section ÉÉÉ
- Les réformes économiques et
administratives.
Dans ce chapitre nous n'allons pas répéter et
énumérer les réalisations économiques et
administratives du mandat Chéhab. Les travaux de Hudson231(*) , Salem232(*) , El-jisr, Kfoury, et
Sayigh233(*)
récapitulent les réalisations du chéhabisme dans les
domaines administratif, économique et social.
Mais, nous avons jugé pertinent d'analyser la politique
économique du chéhabisme comme facteur de renforcement de la
cohésion nationale et la réforme administrative comme ossature de
l'Etat moderne.
« (...) Il existe dit Fouad Chéhab, un autre
aspect de cette crise (1958) : le fossé creusé entre les
différents membres de la famille libanaise. Je ne doute pas que tous les
Libanais souffrent de cette situation regrettable et qu'ils soient
décidés à y mettre un terme. Nous considérons que
pour accomplir notre tâche essentielle qui consiste à liquider les
traces de la crise, à résoudre les difficultés qu'elle a
suscitées, à édifier une patrie libre et
évoluée et à assurer un avenir stable et glorieux, nous
devons nous attacher fermement à l'unité nationale234(*).»
Il s'agissait de créer un sentiment d'appartenance
à la communauté nationale pour une importante fraction de la
population qui se considérait jusqu'alors frustrée sur bien des
plans. Il s'agissait de redonner confiance en l'Etat à tous les
Libanais. L'Etat devait prouver qu'il s'intéressait à tous ses
enfants sans exception, qu'il n'y avait pas des privilégiés et
des non- privilégiés.
La politique de planification et de développement
pratiquée sous le mandat Chéhab depuis son élection en
1958 s'est basée sur ses convictions personnelles et sur les
études effectuées par des experts étrangers et libanais
dont les plus importantes sont celles de la mission IRFED, la première
et la seconde.
La première étude s'est réduite au
domaine des enquêtes de manière générale, alors que
la seconde contenait une vision planificatrice et exécutive. Cette
mission dirigée par le père Lebret est venue analyser les
capacités et les besoins du Liban, et fut chargée
d'exécuter les projets de développement économique entre
1961 et 1964.
Le président Chéhab a confié à ces
experts de façon presque complète, la mission de reconstruire
l'économie libanaise et de réformer les secteurs sociaux
administratifs et gouvernementaux. En effet, il confirma au cours d'une
rencontre avec le directeur de l'IRFED le 4 juin 1963, qu' « il n'y a
aucun pouvoir au-dessus de celui de la mission IRFED.235(*) »
La mission IRFED a confirmé sa vision : ce sont
les écarts socio-économiques entre les communautés et
régions libanaises qui ont sous-tendu ou exacerbé les
conflits politiques, et même nationaux, entre les Libanais et la
vraie unité nationale ne peut être solide et sincère que si
elle repose sur l'égalité des droits et des chances, la
citoyenneté et non sur l'équilibre confessionnel.
Fouad Chéhab et Louis Lebret ont réalisé
que le problème principal du Liban réside dans
l'égoïsme des classes dirigeantes, dans la concentration de la
prospérité à Beyrouth, et dans le dénuement le plus
total des régions périphériques. Il est donc
impératif de suivre une politique sociale et d'aménagement du
territoire pour poser les bases d'une véritable unité nationale
qui permette de surmonter clivages idéologiques et
communautaires236(*). Le
développement économique équilibré entre les
régions devrait réduire les différences
socio-économiques et renforcer l'unité nationale.
De même, le renforcement de l'unité nationale
exige des réformes dans les administrations publiques pour
éradiquer le clientélisme et bâtir une administration
moderne basée sur des critères rationnels. Car, le salut
réside dans la pratique des chemins difficiles, c'est-à-dire dans
l'étude des réalités complexes grâce auxquelles nous
pouvons circonscrire les maux à leur source et
« dégager les principes de base qui permettent de bâtir
sur le roc », selon Maurice El-Gemayel.
1 - Le développement économico-social
harmonisé, facteur de renforcement de la cohésion nationale.
1,1- Le rétablissement de l'équilibre social
et régional.
Antoine Messarra analyse avec pertinence dans « Le
modèle politique libanais et sa survie » qu' « il
existe dans la société libanaise quatre sortes de clivages :
confessionnels, culturels, socio-économiques et régionaux. Si
l'action directe sur les clivages confessionnels suscite des
appréhensions et des réactions opposées et n'a pas de
chance d'aboutir à courte et moyenne échéance, par contre
l'action sur les autres clivages est fructueuse. Les clivages confessionnels,
quand ils sont isolés, deviennent moins aigus et moins
polarisants ; et quand ils sont corrélatifs d'autres facteurs de
différenciation, augmentant en acuité237(*). »
Depuis l'indépendance, disait-on, le Liban n'avait pas
officiellement de politique économique, et l'on voyait dans ce
laisser-faire une des raisons de sa prospérité. «
Certes, il faut reconnaître que l'absence de contrôle
étatique excessif est structurellement liée à une telle
prospérité, de même qu'elle est imposée, à
l'évidence, par les éléments de base de notre
économie : la position géographique commerciale, la vocation
touristique... En outre, sa situation dans le Moyen-Orient, hypernationaliste
et de plus en plus autarcique, commande au Liban d'être le pays du
contraste, c'est-à-dire de la porte ouverte et des libres transactions,
qui attirent les capitaux étrangers et les fortunes arabes fuyant les
nationalisations238(*). »
Le libéralisme, s'il cachait une politique apparente,
il était un parti pris en faveur des services et au détriment des
autres secteurs économiques, un parti pris commerçant et
beyrouthin par opposition à une politique économique nationale.
Ainsi, la logique et la mission de l'IRFED consistent dans le
rétablissement de l'équilibre social et politique entre les
classes et les régions à travers la limitation des troubles qui
menacent l'existence et le rôle du libéralisme libanais dans le
Proche-Orient. Dans cette perspective, l'analyse consiste à
prévenir le gouvernement des explosions attendues dans la banlieue de
Beyrouth et dans le sud en indiquant que le déséquilibre
s'élargit tant entre les classes sociales qu'au niveau confessionnel. A
partir de ses réalités sociopolitiques survenues, la mission
IRFED a proposé de sauvegarder le libéralisme libanais à
travers des opérations de « planification, de rationalisation
et d'humanisation » comme des conditions nécessaires et
impératives à la survie du système.
Laissée à elle-même, l'économie
libanaise risque de développer un déséquilibre
régional et social que l'on peut corriger par une politique
libérale de développement harmonisé, par la planification
souple et l'incitation élective.
Il s'agit en d'autres termes, sans nullement prétendre
sacrifier les services et Beyrouth, d'entreprendre parallèlement un
développement régional, industriel et agricole, susceptible de
répondre à la poussée démographique et de
déconcentrer l'économie.
L'introduction de l'enquête menée après la
mission IRFED va centrer en effet son attention sur la
« cohésion nationale et le rôle de Beyrouth »
où nous pouvons y lire : « Les difficultés que
rencontrent la naissance du sens civique et l'instauration d'une forte
cohésion nationale ne peuvent être vaincues que peu à peu
et si les diverses fractions du peuple se sentent largement
bénéficiaires de la solidarité économique
nationale239(*). C'est
pour cela que les groupes actuellement privilégiés doivent
chercher à atténuer les différences de leurs conditions de
vie avec celles des groupes moins favorisés. Ils devront pour cela
accepter une certaine austérité se manifestant en particulier par
la loyauté fiscale et par l'acceptation d'un gros effort coûteux
pour le développement des zones en souffrances. Ainsi,
s'atténueront les oppositions toujours latentes de groupe à
groupe qui empêchent la formation d'un peuple fraternel.
Le problème du développement au Liban ne saurait
se jouer seulement en termes de croissance du revenu global ; c'est toute la
structure du revenu national qui est en question et celle de la
répartition des ressources de l'Etat. Il est fatal qu'il y ait un
contraste saisissant entre le pays libanais des vrais villages et la place de
Beyrouth, entre la ténacité provinciale d'une tradition plus que
millénaire et la subtile habileté à saisir un
prélèvement sur quelque flux rapide de marchandises ou de
monnaie, ou quoi que ce soit. Cependant la richesse « du plus Grand
Beyrouth » donne le change... On peut y percevoir le dénuement
d'un sous-prolétariat en croissance pendant qu'au-delà du Liban
central une large ceinture de villages pauvres et parfois miséreux
souffre de nombreuses pénuries et parfois de l'insécurité.
Les conditions d'une réaction populaire se nouent peu à peu,
jusqu'à un certain point atténuées par l'appartenance
communautaire, qui peut cependant devenir elle-même l'occasion
d'états conflictuels240(*). »
Le développement économique harmonisé
pour le chéhabisme, comme nous l'avons indiqué auparavant n'est
pas une fin en soi, mais un moyen pour créer la solidarité
sociale et renforcer l'union nationale. L'action économique est
conçue comme un mécanisme déterminant la réussite
d'une conception nationale plus vaste. « La politique
économique est une action délibérée de la puissance
publique se traduisant par la mobilisation d'un certain nombre de moyens pour
atteindre des objectifs définis en fonction d'une certaine philosophie
ou idéologie241(*) »
1,2- Le libanais ne naît pas citoyen.
La formule classique «l'Etat est la nation juridiquement
organisée » postule un type de rapports entre les deux concepts qui
se révèle réducteur. La nation serait une
réalité première dont l'Etat deviendrait en quelque sorte
la structure d'organisation. Or, il est au moins tout aussi exact d'envisager
la relation inverse, c'est-à-dire l'Etat comme instrument principal
d'émergence de la nation à travers la conscience identitaire
qu'il contribue puissamment à forger.
Le père Lebret précise que « les
nations se font par la volonté des hommes, les nations se font par
l'adhésion des hommes. La nation libanaise existe, mais des
rivalités internes la divisaient encore. Des oppositions
confessionnelles empêchaient que les Libanais affrontent ensemble le dur
effort qui, cependant, s'imposait à eux. Le chef de l'Etat a voulu
rapprocher les Libanais d'un idéal commun, en vue d'un bien commun
à instaurer242(*). » En effet, l'essence du
chéhabisme se traduit dans la volonté d'organiser et
mobiliser l'appareil d'Etat autour d'un développement économique
conçu comme le premier corollaire de la justice sociale et d'une
conscience nationale. Car « le vrai développement est la
croissance humaine de tous les membres d'une collectivité
nationale ; c'est l'élévation humaine de toutes les
catégories intégrant la totale population243(*). »
Les nations ne sont pas le fruit d'une réussite
temporaire et ne se conservent pas dans l'improvisation. Bien au contraire.
Elles se construisent jour après jour, dans un plan d'ensemble, selon un
ordre établi. Pour faciliter l'exercice de sa domination, tout Etat a
besoin de susciter du consentement. Profondément
intériorisé, il est de nature à faciliter
considérablement l'exercice quotidien du pouvoir. Mais cette
intériorisation n'est pas un mécanisme spontané. Au
contraire, il est produit d'une puissante et permanente activité de
socialisation à laquelle l'Etat prend une part importante et, dans
certains cas fondamentale.
L'allégeance nationale se fortifie dans le cadre
étatique, avec la centralisation ou, tout au moins, l'unification
administrative. L'Etat légal-rationnel assujettit tous les citoyens aux
mêmes charges et leur ouvre les mêmes conditions d'accès aux
emplois publics. Au nom de l'égalité devant la loi, il poursuit
un travail d'homogénéisation des mentalités.
La citoyenneté n'est pas seulement un système de
droits et de devoirs qui s'exercent au sein du même Etat, elle est aussi
une manière de décliner une identité collective. Elle
fonctionne comme identité transversale à toutes les
allégeances particulières de classe, de religion, de profession,
de génération...
Il faut reconnaître modestement que « le
libanais ne naît pas citoyen, mais qu'on en fait un citoyen244(*). » Maurice Gemayel
écrit que « La création de ce citoyen libanais exige,
au départ, l'application stricte du principe capital suivant : tant
pour un problème que pour un groupe de problèmes, il est
indispensable de prendre toujours les mesures appropriées, afin
d'affaiblir, d'atténuer les divergences et de renforcer les
convergences : plus particulièrement pour le Liban, son avenir
dépend de l'harmonisation des divers éléments qui le
composent245(*). »
Cette harmonisation pourrait-elle se réaliser dans une
société injuste et inégalitaire ravagée par
l'aliénation et la misère ? Comment demander aux habitants
des régions périphériques et
sous-développées de respecter les lois, de se sentir libanais et
d'appartenir à un Etat, si l'Etat ne se manifeste sous toutes ses formes
dans leur vie quotidienne ? Si l'Etat ne leur assure une vie digne d'un
être humain et stable ? La recherche active du bien commun peut-elle
prendre corps tant qu'il existe entre les couches sociales ou entre les
régions de trop grandes différences ?
Ainsi, le chéhabisme a vu que dans un pays comme le
Liban, la dimension de la dispersion des niveaux de vie à
l'intérieur de la nation est nécessaire, il afficha donc la
volonté de « forger un citoyen libanais » en
essayant de faire disparaître un état antérieur et pour
cela de lutter contre :
1 - une concentration très poussée de la
richesse (4% de la population cumulant 30% du revenu national face aux 50% les
plus pauvres en disposant de 18% et ayant le pouvoir économique
décisionnel, celui des « oligarques de
l'économie246(*)».
2 - les déséquilibres spatiaux,
interconfessionnels aboutissant à une intégration très
variable à la logique nationale.
3 - la fragilité, la dépendance et le manque
de projet global et concret de l'Etat libanais.
Dans cette perspective, des organismes publics sont
crées pour exécuter les travaux publics d'infrastructure :
Conseil Exécutif des grands projets247(*); Conseil exécutif des grands projets de
Beyrouth248(*)... Sur
les 650 M.L.L. de dépenses de développement prévues par
les programmes du général Chéhab, Georges Corm
écrit que 80% d'entre eux sont consacrés aux infrastructures
physiques, contre 15% aux actions sociales et 5% aux autres actions249(*).
En fait, l'équipement physique et l'équipement
social de toutes les zones ont été projeté comme une
exigence absolue pour organiser un territoire dont il ne fallait pas laisser la
population se concentrer à l'excès sur la seule capitale, en
provoquant des conséquences sociales redoutables et des coûts
urbains colossaux. Ceux qui restent au travail de la terre, ceux qui mettent en
valeur le sol libanais, doivent se trouver dans les conditions normales de la
vie sociale moderne. Il s'agit donc de créer un « tissu social
complet » avec ses pôles hiérarchisés :
Beyrouth en tant que pôle central, Tripoli, Zahlé, Sada, en tant
que pôles secondaires et les cazas en tant que pôles tertiaires.
Par le fait, les gens à moins de quelque dix kilomètres de leur
habitation, trouveraient tous les services d'éducation, de
santé....
Il est donc important, au lieu de laisser le peuple dans une
impression d'abandon, de l'informer de l'effort public fait pour le servir, et
de l'associer, dans un cadre géographique organisé, à la
construction dynamique du pays entier. La réforme municipale est venue
à point pour qu'enfin la population des villages puisse exercer les
responsabilités communales au sein des collectivités de base
structurées.
Les investissements sociaux de l'Etat portent sur l'extension
du réseau d'écoles publiques, d'hôpitaux et de dispensaires
publics. L'action sociale de l'Etat se concrétise par la création
de l'office du développement social, l'amendement du Code de travail, et
enfin par la promulgation du projet de loi sur la sécurité
sociale. Ce projet déposé sur le bureau de l'Assemblée
deux mois après le début du mandat Chéhab continue
à circuler jusqu'à septembre 1963 lorsque le Président le
promulgue par décret.
La sécurité sociale est venue soutenir certaines
couches de la population, coupées de la solidarité villageoise
traditionnelle qui avaient besoin de sécurité et que pour cela,
étant donné le taux des salaires, trop bas pour que chacun
s'assure lui-même ; il fallait à l'imitation de tant de pays
développés, organiser un système de sécurité
nationale permettant aux jours mauvais de triompher de la misère, de la
maladie et de la faim250(*).
D'autres institutions ayant rapport avec les autres secteurs
de l'économie sont également créés, comme le
Conseil national du tourisme, la Banque Centrale, la Direction centrale de la
Statistique au ministère du Plan...
La fourniture de services publics (eau et
électricité notamment) est développée à une
large échelle et confiée aux nombreux offices autonomes
crées à cet effet. La bonification des terres agricoles
reçoit une attention particulière à travers la mise en
place du Plan Vert251(*).
Des offices para-étatiques en grand nombre furent
créés par décret en 1959. Ils symbolisent la
volonté chéhabiste de court-circuiter l'administration
traditionnelle pour asseoir une «indépendance de l'Etat252(*) ».
La planification du développement accède pour la
première fois à un rang qui est le reflet de l'attention
personnelle que lui accorde Chéhab. Commentant son action et les
réactions qu'elle suscite, le père Lebret dit : « Le
Liban commence à comprendre, il se considérait jusqu'ici comme un
«miracle», c'est-à-dire quelque chose qui se tient sans que
cela soit explicable... Le président, lui, voudrait savoir et percevoir
l'ensemble, d'où son espoir en notre travail qu'il est probablement seul
à vouloir253(*)»
L'extension des dépenses économiques et sociales
de l'Etat et la multiplication des administrations du
développement254(*) portent les dépenses publiques en 1964
à l'équivalent d'un tiers du revenu national, soit la même
proportion qu'en Syrie à la même époque255(*).
2 - La réforme administrative : nerf de l'Etat
moderne.
Depuis l'indépendance, la tradition s'est
instaurée que chaque nouveau président de la République
marque le début de son mandat par une grande réforme
administrative. La tentative de réforme du président
Béchara Khoury à la fin de son mandat a été
avortée suite aux événements qui ont emmené
à sa démission. Et la tentative du président Chamoun au
début de son mandat à travers la promulgation des
décrets-législatifs a eu le même sort.
Les administrations publiques avant 1958 étaient loin
d'être au niveau d'une administration moderne. Malgré, l'effort
des gouvernements de l'indépendance pour la réforme de
l'administration et des organes gouvernementaux, l'administration publique est
restée faible dans son organisation, pourrie dans sa centralisation et
subissait l'absence de fonctionnaires qualifiés et des moyens modernes
de fonctionnement. Ceci vient s'ajouter aux contestations des musulmans contre
le monopole des chrétiens dans les principaux postes de l'Etat.
Sous le mandat du président Chéhab,
l'administration publique fut organisée de manière à
combattre les ingérences politiques, fut construite sur les bases de la
science, la spécialisation, l'intérêt public, sur les
jeunes capacités, la motivation dans le travail et l'égalisation
dans ses services ; fut libérée des conflits, des petites
réserves sectorielles et de tout ce qui retardait son
épanouissement et empêchait son développement, fut
renforcée par des organes d'inspection et de surveillance.
Lorsque le président Chéhab accéda au
pouvoir, les organes étatiques et administratifs étaient
paralysés par les événements qui ont eu lieu, et la
coopération entre les fonctionnaires et le sens du service public
disparus256(*). Ainsi,
il a eu recours aux décrets législatifs pour
accélérer la réforme de l'administration. Les
décrets législatifs comprenaient la mise ne place de plusieurs
instances d'expertise, la réorganisation d'administrations, et
d'instances administratives existantes et d'autres à aspect
éducatif, sanitaire, agricole, industriel, touristique et
sécuritaire. Ces décrets-législatifs ont atteint le nombre
de 162. Ce qui a été réalisé en premier fut la mise
en place d'une commission centrale pour la réforme administrative,
divisée en sept larges commissions, et soixante commissions
sectorielles. Elle regroupait un large nombre d'experts dont la mission fut
d'étudier les conditions des administrations publiques libanaises, et la
suggestion de projets de réforme et de modernisation. Une soixantaine
de lois liée à la réforme administrative fut
promulguée suite à ses recommandations.
Ainsi, les conditions d'une administration moderne sont mises
en place ; les bases d'un système efficace sont posées. Les
institutions administratives sont déterminées ; les
principes de leur action sont clairement définis ; leurs agents
sont soumis à un régime rigoureusement précisé par
les textes.
Pour Max Weber, le phénomène bureaucratique est,
en réalité, la véritable ossature de l'Etat moderne,
l'incontournable condition du triomphe de la domination
légale-rationnelle.
2,1- L'administration, garante de la continuité de
l'Etat.
La survie de l'Etat libanais qui souffre de
l'instabilité gouvernementale était et l'est toujours
étroitement liée à l'administration qui doit
constituer un organisme sain, solide et compétent capable d'assurer la
pérennité de l'Etat. Les ministres vont et viennent. Les
équipes se succèdent. L'administration demeure. C'est elle qui
doit assurer la continuité, même en l'absence d'action
gouvernementale, même en dépit de l'action gouvernementale. C'est
elle qui a le soin de veiller à l'exécution des lois, de faire le
travail de tous les jours, d'assurer la protection des intérêts
nationaux. Une administration compétente prépare les plans
à longue durée et les projets qui dépassent largement la
vie des ministères.
La cohérence et la stabilité de la
société libanaise dépendent largement de l'aptitude du
pouvoir politique à maîtriser effectivement un
développement très rapide.
En effet, 162 décrets législatifs sont
édictés en 1959 portant sur la réorganisation de la
structure administrative toute entière. Albert Dagher considère
que « les décrets législatifs édictés par
l'Exécutif en Juin 1959, au terme d'une période de six mois de
pouvoirs législatifs exceptionnels, sont la plus grande tentative,
jusqu'à ce jour, de modernisation et de réforme de
l'administration libanaise257(*). »
La réforme administrative visait à
libérer le citoyen de sa dépendance des hommes politiques qui ont
la main mise sur l'administration. Le passage par les hommes politiques est une
condition nécessaire à l'accès au service public. En
outre, les employés administratifs sont liés étroitement
aux hommes politiques qui s'assurent de leur coopération pour
réduire le service public à leur intérêt personnel.
Nommé par la politique, protégé par la politique,
avancé par la politique, muté par la politique, l'agent ne vit
que par et pour la politique. A aucun moment, l'Etat libanais n'a choisi ses
agents pour leurs qualités intrinsèques. Le choix a toujours
été influencé par des considérations
électorales ou partisanes. On prend un agent non pas en raison de ce
qu'il représente, mais en raison des appuis et protections dont il
jouit. Sa valeur, ses aptitudes, son intégrité, son sens du
devoir passent au second plan. L'essentiel est d'être appuyé,
« pistonné ».
Pour limiter la corruption administrative, le
chéhabisme a mis en place deux organismes de contrôle de
l'administration : le Conseil de la Fonction publique et l'Inspection
centrale sont réorganisés et leurs prérogatives sont
étendues. Le statut des fonctionnaires définit les devoirs et les
responsabilités des agents de l'administration. La gestion des
différents départements ministériels est placée
entre les mains des hauts fonctionnaires, limitant ainsi le champ
d'intervention des ministres à ce niveau.
Le 12 juin 1959, la création par décret-loi du
Conseil de la Fonction Publique (CFP), marqua la naissance de l'administration
libanaise moderne. Garant du statut des fonctionnaires, celui-ci avait une
double tâche. D'une part, s'occuper des problèmes de
personnel : dépolitisation, nominations, avancements,
indemnités, mutations, discipline, licenciements. D'autre part,
promouvoir la formation technique et professionnelle des fonctionnaires. Il fut
abandonné au profit de l'Institut National d'Administration Publique
(INAP), inauguré en novembre 1960 et créé sur le
modèle de l'ENA française. L'INAP était chargé
d'organiser le concours de recrutement aux emplois de la troisième
catégorie, seule voie d'accès désormais à la
fonction publique. Son rôle consistait également à former
les fonctionnaires déjà en place.
Au Conseil de la Fonction Publique fut adjointe une Inspection
Centrale, pilier majeur de la politique d'assainissement et de contrôle
de l'appareil administratif. L'inspection avait deux rôles : veiller
à la bonne marche des services publics et rechercher les méthodes
susceptibles d'améliorer leur fonctionnement.
2,2- La Planification
Dans son livre intitulé « Politique
économique et planification au Liban », Georges Corm
retient trois aspects pour définir la planification :
1- « la planification est un processus
démocratique, un dialogue et une discussion permanente entre les
représentants de toutes les forces économiques et sociales d'un
pays.
2- Ce dialogue est destiné :
a) à définir la combinaison optimum des taux de
croissance sectoriels qui permette le taux de croissance globale de
l'économie le plus élevé,
b) à faire admettre le partage de façon
productive et socialement acceptable des fruits de cette croissance,
c) tout en respectant les principaux équilibres
nécessaires à la stabilité économique et au
développement économique harmonieux de la nation
3- les décisions obtenues à partir de ce
dialogue ne peuvent avoir d'effet que si la puissance publique qui l'a
animé dispose des moyens d'action et d'intervention nécessaires
pour agir sur l'économie en conformité avec le désir
exprimé par les forces économiques et sociales de la
nation258(*). »
Dès 1953 a été crée un «
Conseil de la planification et du développement259(*). A partir de la
définition du plan qui « est un choix qui se propose de
modifier les structures existantes260(*) » ; ce conseil avait pour but de
faire l'inventaire des ressources, besoins et possibilités du pays et
d'élaborer une planification générale et exhaustive pour
le développement de la richesse nationale, le relèvement du
niveau de vie, ainsi que de présenter des recommandations en vue de
parvenir à la mise en application d'une politique économique,
financière et sociale cohérente.
Le « Conseil de la planification et du
développement » était composé de dix membres
(directeurs généraux des ministères à
compétence économique et experts) réunis sous la
présidence du ministre de l'Economie nationale. En fait, il s'agissait
d'un organisme trop léger et dont les participants ne se consacraient
pas assez à la tâche de planification pour pouvoir entreprendre un
travail approfondi. Il fut réaménagé l'année
suivante, en même temps que fut crée le ministère du
Plan261(*) celui-ci est
chargé de l'orientation et de la coordination des travaux
d'équipement destiné au développement de l'activité
économique et de la richesse nationale, à l'augmentation du
revenu national et à l'élévation du niveau de vie de tous
les citoyens conformément à une planification
générale globale assurant la meilleure utilisation de toutes les
ressources nationales, et de la surveillance de l'exécution des travaux
de planification. En effet, « le plan est avant tout un
dessein : le développement économique et social262(*). »
Les résultats de ces organismes ne furent pas à
la hauteur des missions qu'on leur avait confiées. La raison essentielle
en est l'insuffisance des moyens mis à leur disposition.
La question fut reprise en 1959 avec la mission de l'IRFED.
Cet organisme fut coiffé en 1963 par une commission de planification. Il
examina pendant cinq ans « les besoins et les possibilités de
développement du Liban ». Il en est résulte une étude
d'ensemble de tous les problèmes de l'économie libanaise, une
analyse systématique de tous ses aspects globaux et sectoriels, et
l'établissement des bases nécessaires à une entreprise de
planification. C'est, jusqu'à aujourd'hui, le travail le plus approfondi
qui ait été accompli sur l'économie libanaise, ses
perspectives d'évolution et les programmes de planification.263(*)
Ces études ont souligné que, même «
pour un pays qui veut garder le maximum de libéralisme, « l'Etat,
au moins, doit prévoir et créer les conditions les plus
favorables au développement national264(*) ». Elles ont montré que cela « doit
nécessairement entraîner certains changements de structure
administrative, dans le ministère chargé du Plan comme dans
l'administration toute entière265(*)».
Ces propositions ont servi de base à la transformation
des organes de planification. La loi du 12 juin 1962 en a été
l'acte essentiel et qualifiée d' « un véritable
monstre266(*) » par Georges Corm qui a
montré dans « Politique économique et planification au
Liban » que les bases de la planification au Liban existent, en ce
qui concerne tant les organes que les moyens d'exécution. Cette loi
réaménage tout d'abord le ministère du Plan. Il reste
chargée, dans sa direction générale, d'élaborer un
plan général global et des plans successifs en vue du
développement économique et social, d'établir une
politique économique, sociale et financière unifiée et
compatible avec le plan général, de rassembler les renseignements
statistiques relatifs aux différentes activités
économiques et sociales, de les organiser et les diffuser, ainsi que de
coordonner les travaux des services statistiques gouvernementaux, enfin de
donner son avis sur les projets de lois concernant la vie économique et
sociale du pays et sur les programmes annuels des travaux de
développement . Cette mission, on le voit, est vaste et ambitieuse, et
va sans doute plus loin que ne le permettent les possibilités du
ministère en hommes et en matériels.
C'est au sein de la commission interministérielle que
sont réunis, sous la présidence du ministère du Plan, les
représentants des différents ministères
intéressés à la planification, elle assure leur
coordination en la matière. Au-dessus de ces organismes, c'est au
conseil des ministres qu'appartient la décision. Il faut noter que la
participation des représentants des différentes catégories
professionnelles n'est organisée en aucune manière et que le
Parlement n'a pas à intervenir. La planification reste ainsi une affaire
purement interne à l'administration.
Par contre, à l'échelon régional, une
certaine représentation des intéressés est prévue
par la loi de 1962, dans la ligne des propositions de la mission IRFED.
Auprès de chaque mohafez siège un conseil consultatif
régional, composé des caïmacans du mohafazat, de
représentants du ministère du Plan, de l'Office du
développement social et des principales forces économiques et
sociales de la région; il donne son avis sur les programmes de
développement concernant le mohafazat et leur réalisation.
En outre, dans chaque mohafazat, un groupe technique
régional réunit les chefs de services régionaux des
ministères intéressés à la planification; il fait
notamment des propositions en matière de développement, donne son
avis sur le plan régional, établit des directives
générales pour les travaux des équipes
polyvalentes.267(*)
Celles-ci sont des unités formées spécialement pour
opérer au niveau du Caza; elles comprennent des agents de l'Office de
développement social et des spécialistes des différents
secteurs économiques; elles opèrent sous l'égide des
caïmacans et dépendent techniquement du
délégué du ministère du Plan dans le mohafazat;
elles suivent l'évolution de la situation économique dans le Caza
et y orientent les activités en vue d'assurer un développement
harmonisé et coordonné, en coopération avec les
collectivités locales.268(*)Tels sont les différents organes de la
planification.
DEUXIEME PARTIE
LES DIFFICULTES DE LA MODERNISATION POLITIQUE OU L'ETAT
INACHEVE
Chapitre 1 :
Une expérience de modernisation : les
causes d'un échec
« Ceux qui pensent et agissent avec raison savent que
l'Histoire
ne trahit tous ceux qui croient, ceux qui n'attendent
d'elle
qu'autant qu'ils lui donnent ou y investissent. Il y a
dans
l'Histoire ni échecs immérités, ni
gloires gratuites. »
Ghassan Tuéni
Il n'y a
qu'une façon d'échouer,
c'est d'abandonner avant d'avoir réussi !
Olivier
Lockert
Section É
- Les obstacles devant le passage d'une politique
d'équilibre à une politique de décision.
1 - La relation dialectique entre la modernisation et le
développement politique.
C.E. Black définit la modernisation comme étant
: « le processus à travers lequel l'évolution
historique des institutions s'adapte rapidement aux changements causés
par l'accumulation de la connaissance humaine qui lui permet de contrôler
son environnement vital269(*). » De même, Dankwark Rostow
écrit que la modernisation est un processus « de
contrôle rapidement élargit de la nature à travers une
coopération étroite entre les hommes270(*). »
La modernisation est communément définie comme
un processus à travers lequel les hommes augmentent le contrôle de
leur environnement vital. La large variété des réponses
aux défis relatifs au milieu, en produit de très
différents résultats ; cet héritage est perceptible
dans les différents pays développés, de même qu'au
Liban. Sous le chéhabisme, l'industrialisation, le développement
économique et communicationnel ont engendré une transformation
physique qui révèle un apparent développement
technologique.
Contrairement aux sociétés modernisées
pour qui le processus de modernisation a donné un résultat
évident, la société libanaise souffre d'un gap entre les
aspirations affirmées et les résultats obtenus. Ces frustrations
par conséquent engendrent des tensions sociales et de
l'instabilité politique. L'initiation de la modernisation et la force de
son élan sont largement déterminées par le système
politique. L'élite chéhabiste a pris les décisions
essentielles pour mettre le Liban sur les voies de la modernisation. En retour,
la modernisation a réduit la capacité du système politique
pour régler les défis politiques qui se sont posés. Pour
cette raison, et pour plusieurs autres, l'importante question du
développement politique est fortement liée au problème de
la modernisation.
Plusieurs confusions existent concernant la relation entre le
concept de modernisation et celui du développement politique. Parfois,
voire souvent, les deux concepts sont considérés comme synonymes,
et d'autrefois, ils sont clairement distingués l'un de l'autre. A
travers cette étude, nous considérons les deux processus
comme analytiquement distincts mais effectivement liés.
Alfred Diamant avance que « le développement
politique est un processus à travers lequel le système politique
acquière une capacité croissante dans le but de soutenir
continuellement et avec succès de nouveaux buts, de nouvelles
revendications et de créer les types d'organisation
adéquates271(*). »
S.N. Eisenstadt donne une définition similaire en
considérant la modernisation comme étant « la
capacité du système politique à contenir les
revendications sous forme de décisions politiques et d'assurer sa
continuité à absorber les nouvelles revendications et les
nouvelles formes d'organisations politiques272(*). »
La capacité des décisions politiques à
créer du développement n'est pas seulement une capacité
pour surmonter les divisions et gérer les tensions créées
par les différenciations croissantes, mais la capacité de
contenir et de satisfaire les revendications de participation et de
distribution engendrées par les impératifs de
l'égalité. C'est aussi la capacité d'innover et de
gérer des changements continuels. Si le chéhabisme a
réussi à surmonter les divisions, il échoua dans
l'innovation d'un changement continuel. Masferd Halpern définit le
développement politique comme « la capacité durable de
générer et d'absorber les transformations persistantes273(*). »
En effet, le système politique n'est pas simplement un
mécanisme réactif qui absorbe les revendications, mais c'est
essentiellement un système doté d'une autonomie qui lui permet
d'introduire et de gérer le développement. Le système
politique guide, dirige et innove. Les revendications et les programmes du
gouvernement puisent leur source au sein du système politique.
Parmi les principales revendications que le système
politique doit favoriser et satisfaire sont les revendications relatives
à l'égalité des chances, à la participation
politique et à la justice sociale. Ces revendications sont plus
difficiles à satisfaire que celles qui relèvent du domaine
économique et technologique. Le processus de développement
politique inclut la capacité de produire de plus en plus d'individus
capables d'améliorer leurs conditions sociales sur la base du
mérite personnel et non sur celle des relations interpersonnelles. De
même, de nouvelles classes et de nouveaux groupes apparaissent
continuellement dans la société et doivent être introduits
efficacement au sein des instituions politiques.
En définissant le développement politique en
termes de capacités à stimuler les revendications et à
résoudre les problèmes, nous dépassons le risque de tomber
dans le piège de l'ethnocentrisme qui accompagne les études
sur le développement politique.
Pour élargir leur pouvoir et leur autorité,
l'élite chéhabiste a cherché à
générer et à accélérer le processus de
modernisation. Quoique, de tels efforts précipités favorisent
l'apparition de nouveaux défis. Cependant, une fois que
le processus de modernisation est déclenché, il tend à
devenir persuasif et persistant. Le groupe politique qui a stimulé et
encouragé le mouvement modernisateur voit souvent son habilité
à contrôler et à réguler le système diminuer.
En même temps, les forces de modernisation influencent le comportement et
les décisions politiques de l'élite politique.
L'augmentation et la prolifération des revendications
devancent énormément la capacité du système
à les traiter. Les difficultés affleurent et s'inscrivent dans
les agendas politiques non pas séquentiellement mais
simultanément, ce qui rend d'autant plus difficile la mise en place de
politiques de changements graduels. La maîtrise des tâches exige
une grande dose de patience et de confiance, mais aussi et surtout parce que
les préférences temporelles des différents segments de la
population sont fortement variables. La capacité d'attendre, de
préférer le court terme au long terme, est en effet
inégale. La préférence pour le présent étant
d'autant plus accentuée que les attentes et les aspirations des
individus sont importantes. Il s'agit donc de synchroniser les
différentes modalités sociales, au moment de forte
désynchronisation.
En effet, nous pourrions admettre qu'il y a toujours un
intervalle spatio-temporel entre les revendications qui accompagnent le
processus de modernisation d'un côté, et l'habilité du
système politique à les absorber de l'autre. Ainsi, il est plus
aisé de générer du changement que de l'absorber et de le
contenir. Cette délicate dialectique est au centre de
l'expérience de modernisation tentée par le chéhabisme et
du processus de développement politique dont le résultat est
pourtant façonné par le degré et le niveau de
modernisation. Cette dynamique peut retarder ou bien promouvoir le
développement politique.
Ainsi, le progrès atteint par les forces de
modernisation au niveau économique et technologique sous le
chéhabisme, ne déboucha point sur une profonde altération
dans le système politique. Les puissantes forces traditionnelles qui
monopolisent une large partie de l'autorité politique ont
résisté farouchement à tout changement de fond. De plus,
l'élite politique chéhabiste s'est tellement investie pour la
réussite de son projet politique qu'elle a énormément
réduit sa capacité à confronter les revendications de
participation politique, de justice sociale et d'égalité.
Toutefois, le développement politique ne peut aboutir sans qu'il ait le
souffle continu pour prendre en charge les problèmes sociaux et
politiques.
Peu importe le niveau de progrès économique et
technologique, il n'y aurait aucune modernisation politique sans une
transformation des structures du pouvoir et des formes de l'autorité
légitime.
Le processus de développement donc est dirigé
par une dialectique entre les revendications socio-politique et la
capacité du système à les satisfaire. Cette confrontation
résulte du combat pour la sécurité d'un côté
et celui de la liberté de l'autre. Sous le chéhabisme celle-ci
s'est manifestée entre le rôle sécuritaire du
Deuxième Bureau, et les opposants au chéhabisme qui refusaient ce
rôle au nom d'une liberté « immature ».
Les revendications liées à la liberté et
aux valeurs telles que la participation politique, la justice et
l'égalité sont séculières au Liban. Il devrait y
avoir un pouvoir capable de les satisfaire et les réprimer en même
temps. La satisfaction de ces revendications est d'habitude remplie par une
forte institutionnalisation, par de nouvelles méthodes, et un style
efficace de gouvernement. Ceci exige la centralisation et la concentration du
pouvoir et en même temps la disparition des relations traditionnelles au
profit de nouvelles relations rationalisées.
Comme il est visible dans la figure 1274(*) , le processus de
développement est une trajectoire qui oscille entre la répression
et l'instabilité anarchique. Ce processus est une délicate
balance d'équilibre entre les revendications sociales et les
capacités du système politique à les satisfaire.
L'augmentation des revendications requiert de plus en plus d'habilité
pour les confronter. Le développement implique un constant va et vient
entre les deux pôles de cette dialectique. En attendant, la vague de
modernisation continue à avancer et devient de plus en plus persistante.
Ce qui complique le processus de développement en modifiant et en
déplaçant l'équilibre social, les revendications
populaires, les capacités du système politique et les
décisions du gouvernement.
Le progrès dans le domaine de l'éducation et de
la technologie a donné naissance à une nouvelle classe moyenne.
Kamal Dib affirme que le chéhabisme a réussi à
créer trois groupes d'alliés275(*) :
1- Une nouvelle classe moyenne qui commença à
prendre forme grâce au développement équitable et
harmonisé et à travers un nouveau concept de la
citoyenneté. Ainsi, l'élargissement de l'intervention de
l'Etat-Providence, et l'augmentation des dépenses sociales ont
crée des emplois, de facilités sanitaires, l'éducation
universitaire aux classes défavorisées; comme ils ont permis la
création de nouvelles dynamiques sociales.
2- Le rassemblement d'une nouvelle élite connue sous le
nom des « nahgistes ».
3- L'élite militaire et les membres du Deuxième
Bureau
Aucune de ces nouvelles catégories politiques et
sociales ne fut introduite dans le système politique de manière
à engendrer du développement politique : la nouvelle classe
moyenne en tant que telle demeura incapable de constituer le socle humain
durable du chéhabisme ; les « naghgistes » ne
réussirent pas à s'organiser au sein d'un parti politique
organisé et démocratique, enfin l'élite militaire se
disgracia par « les débordements » du
Deuxième Bureau.
En échouant dans l'absorbation de ses nouvelles
catégories sociales, politiques et militaires, l'élite politique
chéhabiste a donné la preuve de son incapacité à
institutionnaliser les transformations socio-économiques. Charles Rizk
voit que le président Chéhab s'est contenté « de
court-circuiter les institutions, tout en les maintenant et les magnifiant en
apparence276(*). » Le court-circuitage et la
dépolitisation des institutions au profit des technocrates et des
bureaucrates n'ont pas débouché sur une repolitisation dans le
cadre d'un régime politique moderne, et sur un aboutissement de la
réforme administrative, économique et sociale.
Cet échec a engendré une situation dans laquelle
les gaps s'élargissaient pour s'enchevêtrer telles des
poupées gigognes. Le fossé entre la modernisation
socio-économique et le développement politique s'élargit
en fonction de la capacité de générer du changement et par
l'échec d'absorber ce dernier.
Par conséquent, le système politique libanais,
par sa médiocrité congénitale, a été
incapable de relever le défi auquel devait faire face la
démocratie libanaise, inapte à résoudre les
problèmes du développement dont la solution était aussi
urgente qu'était pressante la progression démographique et grave
le déséquilibre socio-économique du pays.
1,2 - Incompatibilité entre la modernisation et les
garanties communautaires.
« Est considéré démocratique,
écrit Georges Lavau, un régime où aucune fraction du
peuple fut-elle majoritaire, aucune autorité fut-elle légalement
désignée, ne peuvent porter préjudice aux libertés
qu'une minorité autoproclame sacrée277(*). » En d'autres
termes, l'idée de démocratie ne peut en aucun cas se
réduire à une simple arithmétique. Elle se
révèle plutôt dans son aptitude à reconnaître
et à gérer le plus haut degré de diversité
possible.
La démocratie consensuelle libanaise consiste a
géré les différences et les particularismes. Cette
démocratie se traduit par la reconnaissance des minorités par le
pouvoir politique qui se manifeste par des législations allant de la
simple tolérance à « l'institutionnalisation des
différences. » Des pays comme le Liban sont contraints pour
assurer la coexistence entre leur composante sociale d'adopter un mode de
gouvernement particulier, capable d'assurer sinon une coexistence pacifique, du
moins une cohabitation entre les groupes minoritaires. Ce type de
démocratie régie le fonctionnement des rouages étatiques
dans les pays pluralistes où on assiste d'une part à une
segmentation de la population en plusieurs communautés et d'une part
à « l'institutionnalisation d'un processus de
négociation au niveau des élites de ces
communautés278(*). »
La démocratie consensuelle est une démocratie
élitiste. La faculté de négociation dont jouissent les
membres de cette élite, dépend de leur légitimité
et de leur autorité au sein de leur communauté. Il est
nécessaire de clarifier le sens de l'
« élite » dans le contexte sociopolitique libanais
puisqu'il désigne les individus qui sont « de fait »
au pouvoir. En ce sens, l'élite est celle qui a accédé au
pouvoir indépendant des critères de compétence et
d'aptitude, grâce à un soutien communautaire qu'elle a pu
développer au sein d'une collectivité déterminée.
Il est certes évident que l'autonomie accordée à chaque
communauté dans la gestion de ses affaires, cristallise l'appartenance
effective de l'individu à une communauté. En effet, au moment
même, où l'on rend à l'homme sa culture, on lui ôte
sa liberté : son nom propre disparaît dans le nom de sa
communauté, il n'est plus que l'échantillon, le
représentant interchangeable d'une classe d'êtres
particulière. Sous couleur de l'accueillir inconditionnellement, on
lui refuse toute marge de manoeuvre, toute échappatoire, on lui interdit
l'originalité, on le piège insidieusement dans sa
différence. Ce qu'est l'individu « parle » plus fort
que ce qu'il dit ou pense.
Les élites peuvent éventuellement mobiliser les
masses et les faire ainsi participer de manière indirecte à la
défense de leurs intérêts particuliers. Les élites
traditionnelles sont issues de la grande féodalité
héritières du pouvoir de leurs familles. Quant à la
nouvelle élite, elle puise ses origines dans des milieux qui ne sont pas
tous liés à la féodalité ni aux familles
spirituelles. Cette division des élites a permit à Aisteindat
Lijphart d'effectuer une distinction entre société
démocratique et société autoritaire. Son analyse s'est
fondée sur ce critère de
l'« élitisme ». Les sociétés
démocratiques maintiennent des élites séparées les
unes des autres, tandis que les sociétés autoritaires sont
gouvernées par une élite unifiée279(*).
Dans le cas du Liban, chaque communauté est
dirigée par une « élite ». Cette
séparation explique le partage des postes au niveau du pouvoir. Dans la
société libanaise où le rôle des minorités a
une importance qui ne peut être sous-estimée, les élites se
voient obligées de débattre d'un compromis sans lequel
l'équilibre social serait rompu. L'institutionnalisation de la
négociation entre les élites des blocs est un aspect de la
démocratie qui s'est incarnée par le fameux Pacte National de
1943, lié au processus d'agrégation des intérêts.
Comme aucun camp n'est majoritaire, la négociation est nécessaire
entre les élites.
Dans le cadre de l'Etat multi-communautaire de 1943 où
le pouvoir politique s'est constamment trouvé en situation
d'infériorité par rapport aux contre-pouvoirs des
communautés, ces dernières ont bénéficié
d'une sorte de cristallisation à la faveur des fonctions juridiques et
politiques qu'elles assumaient dans le réseau institutionnel. Ces
cristallisations se sont d'autant mieux développées et les
contradictions entre les communautés d'autant plus aiguisées que
le régime a fonctionné, presque constamment, en circuit
fermé, empêchant le renouvellement des élites et la
formation de relais entre les communautés.
Le système politique libanais est atteint d'une carence
principale qui est l'inertie. Cette dernière provient de
l'institutionnalisation des clivages communautaires et l'absence de moyens de
réformes qui préservent et ne nuisent pas à
l'équilibre communautaire établi.
Le système communautaire, comme l'écrit Pierre
Rondot dans une évaluation du chéhabisme est
« générateur d'un équilibre certes
précieux, mais coûteux aussi par les servitudes dont il
grève la vie publique et par la relative paralysie qu'il impose à
l'Etat280(*). »
L'Etat chéhabiste a essayé d'exercer un
contrôle hiérarchique de plus en plus poussé à
l'égard des sous-pouvoirs communautaires, sans pour autant aboutir,
à la limite, à supprimer toute autonomie communautaire et toute
possibilité pour les groupes de résister d'une façon ou
d'une autre au pouvoir central de l'Etat. Dans cette optique ce dernier
entreprenait de « reconquérir » les
communautés, s'imposant progressivement aux différents pouvoirs
« sectaires » sans pouvoir achever par l'institution de la
laïcité. II s'agissait, en somme, de passer de l'Etat des
communautés rivales à celui de la nation intégrée,
mais le chéhabisme n'a pas réussi à instaurer
l'unification et la sécularisation du statut personnel par l'abolition
de la représentation confessionnelle en faveur d'une
représentation politique nationale et, en même temps, de
substituer au pluralisme culturel, la découverte d'une identité
culturelle libanaise uniforme. Car la mutation des structures dans le sens de
l'intégration progressive des communautés, envisagée comme
solution de dépassement, implique nécessairement l'abandon par
ces derniers, à plus ou moins brève échéance, du
bénéfice de leur statut privilégié.
Or un tel processus, qui consiste à remplacer les
garanties juridiques et contractuelles du pacte de 1943 par des garanties
psychologiques et sociales, ne peut se faire que dans un climat de confiance et
en période de croissance économique, car l'intégration
sociale suppose nécessairement un milieu favorable.
Bien que la politique du président Chéhab ait
surtout insisté sur la réforme administrative et sur la
planification d'aménagement du territoire, le représentant du
bloc parlementaire chéhabiste, Samih Ousseirane, a proposé un
programme pour la sécularisation présenté par lui comme la
clef de voûte de la politique chéhabiste. Tout en faisant
état de ce programme, nous nous demandons dans quelle mesure il
reflétait la réalité politique du bloc, surtout que toutes
les possibilités de faire passer un tel projet de loi été
réuni du fait que les chéhabistes se trouvaient au pouvoir et que
Ousseirane précise lui-même qu'il fallait une majorité
parlementaire des 2/3 qu'ils pouvaient facilement assurer pour abolir le
confessionnalisme de la Constitution et instaurer la sécularisation.
Ceci n'est qu'un exemple de la dualité entre la théorie et la
pratique, la parole et l'action, très caractéristique de la
politique libanaise.
« Comme le président Chéhab, affirme Kamal
Joumblatt, se plaignait du système politique, il aurait dû amender
ce système en son temps et établir un nouveau qui assainit la
politique... Il a exercé le pouvoir en étant convaincu qu'il est
nécessaire de changer281(*) ».
II y avait deux courants chrétiens vis-à-vis de
cette question. Un courant minoritaire, mais avant-gardiste, avec
Chéhab, qui disaient que la meilleure façon d'empêcher que
les défis arabes socialistes, révolutionnaires, palestiniens
fassent éclater le Liban, c'est de consolider le Liban de
l'intérieur par la justice sociale, une armée forte et la
libanisation des musulmans. Le chéhabisme croyait garantir la
présence chrétienne au Liban en entraînant les musulmans
vers eux, et non en les combattants.
Nous croyons en effet, que les conditions de réussite
de la coexistence islamo-chrétienne, c'est que les chrétiens
présentent aux musulmans du Liban un projet viable. Le rôle
principal des chrétiens du Liban, c'est de faire adhérer les
musulmans par tous les moyens à l'idée d'Etat libanais,
d'indépendance, de nation libanaise. De faire en sorte que les
musulmans se sentent défendus et comprennent qu'ils ont plus
d'intérêts à être dans un Liban indépendant
que dans un Liban dépendant d'un autre pays arabe. Toute subordination
est mauvaise. Si les musulmans doivent se sentir subordonnés aux
chrétiens, ils préféreront être subordonnés
à d'autres musulmans. Si les chrétiens doivent être le
moteur du Liban, il y a aussi une responsabilité des musulmans envers
les chrétiens, surtout dans l'environnement régional et arabe.
Ils doivent faire en sorte que l'arabité ne soit pas en contradiction
avec la personnalité chrétienne. Faire que les chrétiens
ne perçoivent pas l'arabisme comme une façon de les
dépersonnaliser. C'est la responsabilité des musulmans.
L'autre école disait que les musulmans ne se
libaniseront jamais, les défis sont trop grands, les Arabes sont trop
forts.
De plus, dès son arrivée au pouvoir, le
président Chéhab n'était pas populaire dans sa propre
communauté, et ne le fut point durant tout son mandat, à noter
ici que le nombre des postes cruciaux que les chrétiens occupaient dans
l'Etat était imposant.
Fouad Chéhab par souci d'équilibre et de justice
promulgua le décret-loi n0 112 concernant le statut des
fonctionnaires qui impose à l'exécutif de les choisir
désormais en nombre égal entre chrétiens et musulmans,
c'est le principe fifty-fifty. Par un effet indirect et involontaire,
ce décret a institutionnalisé l'article 95 de la constitution qui
préconisait la distribution des fonctions sur base communautaire. Cet
article qui se voulait transitoire et sans préjudice de
l'intérêt général a accentué les structures
confessionnelles du Liban.
En même temps, dans l'esprit des chrétiens,
favoriser les musulmans pour les libaniser, c'était enlever quelque
chose aux chrétiens. La politique de rééquilibrage du
système politique n'a pas abouti au but visé. Au contraire, le
rééquilibrage du système politique a donné
naissance à un nouvel déséquilibre ressenti surtout par
les chrétiens. Dés lors que, le système est
légitime aux yeux des chrétiens parce qu'il est séculaire.
Plus un ordre est ancestral, plus il mérite d'être
préservé. Si telle option commune a traversé les
siècles, c'est qu'elle est vraie ; nul argument rationnel ne peut
valoir contre cette patine de l'âge, contre cette consécration par
le temps. Cependant, Alexis de Tocqueville dit « Je suis tenté
de croire que ce qu'on appelle les institutions nécessaires ne sont
souvent que les institutions auxquelles on est accoutumé, et qu'en
matière de constitution sociale, le champ du possible est bien plus
vaste que les hommes qui vivent dans chaque société ne se
l'imaginent282(*)».
Si nous analysons un échantillon
révélateur des discussions qui se tenaient à cette
époque au conseil des ministres, nous pouvons remarquer que ce
rééquilibrage a mené à un nouvel et un autre
déséquilibre. En effet, le 5 Avril 1961, le
Conseil des ministres est le théâtre de vifs échanges entre
le chef du gouvernement Saêb Salem et Pierre Gemayel. En réponse
à Chéhab sur la nécessité du respect de
l'équilibre confessionnel dans le recrutement des fonctionnaires, Salem
et Arslane avaient souligné que Sunnites et Druzes n'obtenaient pas
justice, ce qui amena Gemayel à dénoncer leur conception de
l'équilibre confessionnel. « Pour certains, dit-il, cela
signifie d'arrêter les projets au Mont-Liban parce que des projets
doivent être réalisés dans des régions moins
développées... Or le développement doit se faire
partout et ne doit pas être interrompu ici pour se poursuivre
ailleurs283(*).
Quand au recrutement, l'Etat doit compter sur la compétence, bien que
l'équilibre confessionnel soit actuellement observé. Mais cet
équilibre dans les droits doit l'être aussi dans les devoirs. Or
la partie de la population accusée d'empiéter sur les droits des
autres paye 80% des impôts et des taxes. » Salem conteste ce
pourcentage. « 83% pour titre
précis » martèle Gemayel. « Si la partie
que vous représentez paye 80% des impôts, nous défendons,
nous, avec notre sang l'unité du Liban et son
indépendance284(*) » s'écrie Salem.
Par conséquent, chaque système, en
s'éloignant toujours plus de l'équilibre, se développe par
une succession d'insatiabilités et de fluctuations amplifiées qui
débouchent, en fin de compte, sur des bifurcations. Mais cet état
n'en reste pas moins déterminé par l'invariance globale des
structures dont les bifurcations orientent éventuellement la
recomposition. Une structure ne se recomposant qu'à
partir du moment où une interpellation déstabilisatrice menace
son invariance, et sa recomposition ayant pour contrainte la
nécessité vitale de sauver globalement cette invariance en
l'adaptant à ces nouvelles conditions de fonctionnement.
Une fluctuation ou une perturbation ne devient signifiante que
dans la mesure où, dans un contexte d'instabilité structurelle,
elle allume une mèche du processus de recomposition. Cette mèche
est un effort général et parallèle entre les
différentes communautés pour dépasser le système
confessionnel pour le bénéfice de tous. Adapter une
stratégie non confessionnelle en face d'une autre stratégie
confessionnelle et extrémiste relève de l'absurdité. Il
s'agit d'un effort mutuel et concomitant entre toutes les communautés,
pour créer des éléments objectifs rendant le
système confessionnel inadéquat à la nouvelle situation.
C'est l'accumulation des éléments objectifs qui,
en rendant la structure d'un système donné totalement
inadéquate aux mutations de son milieu interne et externe, et en la
mettant de la sorte à la merci d'un facteur déclenchant, si
aléatoire soit-il, détermine en dernière analyse la
désintégration de cette structure confessionnelle. Si ces
éléments objectifs se sont accumulés sous le
chéhabisme ce qui a manqué c'est la décision et la
volonté politique pour aboutir à une vraie mutation du
système.
1,3- L'enracinement des forces traditionnelles, ou
«les impuretés de l'Histoire.»
«Si nous sommes menacés, dit Naccache ce n'est pas
(seulement) du dehors. Nos plus proches, nos plus lourds périls, nous
les portons en nous...Ce qui nous inquiète le plus c'est
l'incapacité totale des leaders à s'adapter aux impératifs
d'une évolution qui exige la transformation radicale de toutes nos
structures économiques et sociales. C'est l'inconscience des classes
possédantes qui s'abrite sous les grands principes du libéralisme
- tout cet anachronisme enfin d'un système politique qui nous situe,
dangereusement, en dehors de notre époque285(*). »
Chéhab avait misé sur la capacité
incertaine dont disposait l'autorité traditionnelle à
entraîner l'adhésion de la population à la scène
politique moderne à laquelle il aspirait. Dés le début,
« il fut confronté à une réalité
dramatique et essaya quoique contraint de s'y adapter286(*). » Le premier
théoricien du chéhabisme, Georges Naccache montre la
fragilité et en même temps la nécessité de ce
pari : « C'est avec les Libanais comme ils sont, avec les
politiciens, valent ce qu'ils valent, c'est avec eux et à travers eux
qu'il faut faire un Etat libanais... avec cette conscience amère de la
nécessité, pour aboutir, de passer à travers les hommes
mêmes qui ont avili l'autorité et dégradé le
pouvoir287(*). »
Et ajoute, « Il sait (Chéhab) que
l'Histoire, hélas! - n'avance pas sans impureté. Mais ce
qu'il refuse, c'est de faire de l'impureté une condition de
l'Histoire288(*). » Malheureusement, par un effet
contradictoire, l'Histoire refusera d'avancer sans
« impureté ».
La crise de la légitimation de la modernité qui
affecta la présidence de Chéhab conduisit à une
exacerbation de la logique néo-patrimoniale. La logique
néo-patrimoniale289(*) exprime la confusion entre le domaine public et le
domaine privé ou l'appropriation privée des charges publiques par
leurs détenteurs. Le système politique libanais y
apparaîtrait comme un système parlementaire-clientéliste,
c'est-à-dire dont les représentants-élus sont des patrons
de clientèle qui accèdent au parlement grâce aux rapports
de clientèle qui les unissent à la masse des votants; autrement
dit, ce système fonctionne sur le modèle du
pseudo-parlementarisme selon la terminologie consacrée par Guy
Hermet290(*).
Et « les effets de la permanence des cultures
communautaires sont renforcés par les orientations qui
caractérisent la construction du pouvoir consensuel rebelle à la
hiérarchie, à la constitution d'une légitimité
politique, et ils sont actualisés par la faible capacité de la
scène politique moderne à répondre aux espoirs de gain des
divers acteurs sociaux périphériques, favorisant par la
même la reconstitution, à tous les niveaux, de sites traditionnels
de contre-pouvoir ou d'expression des mécontentements291(*).»
Les grandes familles de propriétaires terriens ont vu
que les tentatives de modernisation des milieux ruraux (construction
d'écoles, de réseaux routiers, réformes agraires,
barrages...) vont à l'encontre de leur intérêts vitaux. Un
exemple révélateur en est le projet d'irrigation du Sud-Ouest du
Liban. Il était de coutume dans les milieux ruraux que les
« notables » ou les personnes influentes du village
décident de la distribution de l'eau d'irrigation aux paysans. Ce
pouvoir conféré aux grands propriétaires leur a permit de
s'ériger en maître des campagnes et assura leurs victoires
cycliques aux élections législatives. Cette relation était
prédominante dans les régions du Sud à majorité
chiite. Par conséquent, le barrage construit sur le fleuve de Litani
pour l'irrigation des terres cultivables menaçait de briser le monopole
des leaders locaux et surtout le leadership de Kamal El-Assad. 292(*).
Quant au clergé maronite, il était
préoccupé par la préservation de ses
privilèges et des ses intérêts et demeura étranger
aux appels de réforme du président Chéhab surtout
après l'opposition affichée du patriarche Boulos Méouchy
au chéhabisme. Dans une lettre adressée au Concile des
évêques le 28 février 1962 le père Lebret
écrit franchement : « il est décidé
(Chéhab) avec détermination à consolider et ordonner le
développement général du pays, mais les classes
dirigeantes et le clergé qui sont des grands propriétaires
veulent tous contourner le problème social293(*).»
D'après Kamal Joumblatt, l'Eglise maronite
possède le deux tiers voire la moitié des terres dans des
régions telles que Keserouan, Jbeil, ou Batroun et 20% de l'ensemble des
terres cultivables est entre ses mains294(*). Ainsi, le père Lebret prévient que si
les hommes de religion et le clergé maronite ne participent pas aux
réformes « nous serons confronté à un
problème social d'une extrême difficulté. »
Parallèlement, à la position du clergé,
hormis les Phalanges de Pierre Gemayel la majorité des forces politiques
chrétiennes s'opposa à la politique du président
Chéhab. La position des Phalanges était déterminée
par trois facteurs principaux :
- un élan maronite qui se manifesta lors de la
Contre-révolution
- la participation au pouvoir imposée par les
intérêts du parti, notamment le renforcement de ses bases
électorales par l'accès aux postes clés de l'Etat.
- son adhésion à la politique du
président Chéhab pour faire face à l'opposition des
puissances capitalistes, puisque les Phalanges à cette époque
appuyaient une politique sociale efficace pour limiter l'extension des partis
de gauche dans les milieux chrétiens.
Le président Chéhab a misé sur les
Phalanges pour lui apporter un appui chrétien et
précisément maronite nécessaire à tout
président maronite de la République, dés lors que la
politique du président Chamoun était largement appuyée par
les maronites.
La grande majorité des hommes politiques traditionnels
qui ne participèrent pas au pouvoir sous le mandat Chéhab, ont
critiqué le style de gouvernement adopté pour réaliser
l'oeuvre réformatrice, du recours aux décrets législatifs
pour promulguer des lois de réforme, à la percée de
nouvelles personnalités de technocrates et d'experts sur la scène
politique traditionnelle. Ils ont vu dans ce style de gouvernement
« un affaiblissement du rôle du Parlement, un type de
régime présidentiel et une domination des experts et des
technocrates sur l'oeuvre réformatrice295(*).»
1,4- La crise de l'autorité ou le rôle du
« Deuxième Bureau ».
Maurice Duverger écrit : « par les
régimes sous tutelle militaire, on désigne des régimes
où l'armée ne gouverne pas elle-même, mais où elle
intervient à certains moments dans la vie politique de façon
décisive. En dehors de ces moments, la démocratie fonctionne,
mais d'une façon limitée et précaire. »
« La démocratie vit en permanence sous
la menace de l'épée de Damoclès. Elle fonctionne dans
l'intervalle des interventions, mais elle peut toujours être mise en
échec par une intervention. Elle n'est pas seulement
précaire, elle est limitée. L'élection par les citoyens de
leurs représentants n'est valable que dans la mesure où
l'armée n'est pas en désaccord avec elle. On aboutit à un
régime appuyé sur deux forces : les électeurs et
l'armée. Si les deux sont d'accord, la démocratie fonctionne.
Sinon l'armée la bloque. Les deux forces ne sont pas égales, car
l'armée a le dernier mot (...). Malgré tout, il n'y a pas de
monolithisme, l'opposition peut s'exprimer dans certaines limites, les
élections sont relativement libres, et leurs résultats
acceptés s'ils ne déplaisent pas trop à
l'armée.296(*) ».
Depuis son accession au pouvoir, Chéhab a
scrupuleusement appliqué le principe adopté en 1945 :
maintenir l'armée hors du champ politique. Il s'est fait élire
président de la République par la position de
neutralité qu'il a donnée à l'armée pendant les
crises politiques en 1952 et 1958. Parallèlement,
Chéhab avait chargé le Deuxième Bureau297(*) de «la mission
d'espionnage interne, à savoir la collecte d'informations concernant
tous les acteurs de la vie publique, politiciens, journalistes, partis
politiques..., afin de préserver le pays de toute menace
sécuritaire.298(*) »
En effet, Nicolas Nassif dans « le Deuxième
Bureau, gouverneur dans l'ombre » écrit : « le
rôle politique principal des services de renseignements réside
dans le fait qu'ils font partie des intérêts vitaux de l'Etat, et
participent à sa protection et à la garantie de son unité.
La collecte des informations est devenue essentielle dans le concept même
de la sécurité dans sa dimension politique, militaire,
économique, financière et sociale299(*). »
La tentative du coup d'Etat perpétré en 1960 par
le P.P.S va produire un revirement capital dans le programme politique du
président Chéhab : ce coup d'Etat projeta l'Armée, et
plus précisément le Deuxième Bureau, sur le devant de la
scène politique. La tentative du coup d'Etat menée par le
P.P.S en 1920 a souligné la rentrée officielle et parfois brutale
du Deuxième Bureau sur la scène politique libanaise.
Dans la nuit du 30 au 31 décembre 1961, un petit groupe
de membres du P.P.S attaqua le Quartier Général de l'armée
libanaise. Quelques heures plus tard, le chef de l'état-major, le
directeur de la Sécurité générale, le commandant de
la gendarmerie, furent faits prisonniers.
L'extraordinaire promptitude de la riposte de l'armée
et de la « Brigade 16 » (brigade de choc de la
police), fit échouer en quelques heures l'entreprise si bien
commencée. Les Libanais apprirent l'affaire en s'éveillant, elle
ne troubla pas leur sérénité. La répression n'en
fut pas moins sévère : 287 accusés furent traduits
devant un tribunal militaire, qui prononça 79 condamnations à
mort (68 par contumace) dont celles des chefs du P.P.S, Abdallah Saadé
et Assad Achkar.
Réussissant pour la première fois, depuis 1943,
à consolider un Etat centralisé et stable300(*), le Deuxième Bureau
de l'Armée n'a pas manqué de devenir un important groupe de
pression au sein de l'Etat et à exercer, entre 1964 et 1970, une tutelle
réelle sur le pouvoir civil apparent du président Charles
Hélou, créant ainsi une dualité du pouvoir. La
dualité des deux pouvoirs civils et militaires atteindra son paroxysme
pour décliner après les élections du printemps 1968, avec
le triomphe de « l'Alliance Tripartite301(*) » et
disparaître à la suite du « transfert par le
sommet », effectué en septembre 1970
par l'élection de Sleiman Frangié, du « groupement
centriste », président de la République.
Nicolas Nassif constate qu'« après
quelques mois de l'élection du président Chéhab, le
Deuxième Bureau a rassemblé des informations qui reflètent
un changement dans le comportement de l'armée après
l'arrivée de son commandant à la première magistrature.
Entre 1958 et 1960, la croyance dominante était que l'élection du
général Chéhab avait pour but suprême le
rétablissement de la sécurité et la levée des
barricades. Cependant, l'ivresse de la victoire dans les casernes militaires,
et précisément dans les milieux ruraux a fait que ce but ne fut
pas compris dans sa profondeur. » Nawaf Kabbara rejoint ici Nassif en
écrivant que « pour le président Chéhab,
l'armée était l'organe à travers lequel il imposait la loi
et l'ordre dans le pays. Cependant, par un effet contradictoire,
l'élection de Chéhab à la première investiture
était considérée par les officiers de l'Armée comme
une victoire politique sur l'establishment politique, et comme un
prétexte pour intervenir dans la politique302(*). »
Mais ce n'est qu'à partir de 1965 que le
Deuxième Bureau est devenu un véritable « pouvoir
parallèle ». Peu à peu, le Deuxième Bureau
outrepassait ses prérogatives. Il ne se contentait plus de surveiller
les ambassades arabes et étrangers303(*) et les opposants au régime, il
s'apprêtait à faire son entrée sur la scène
politique. Ici Nassif précise que « les services de
renseignements ne deviennent puissants et ne deviennent capable de menacer, de
provoquer et de terroriser, qu'après s'être
émancipés des lois qui limitent leurs actions et leurs marges de
manoeuvres304(*). »
Lorsqu'on parle de dérive du chéhabisme, c'est
surtout le Deuxième Bureau qui est accusé d'avoir
dépassé ses limites et d'être intervenu dans l'autonomie du
pouvoir civil. La principale critique adressée au chéhabisme et
le leitmotiv de ses opposants est la dérive autoritaire exercée
par le Deuxième Bureau. Le Deuxième Bureau libanais, crée
en 1945, en même temps que l'armée, avait pour missions
principales, la collecte des renseignements et l'espionnage afin de garantir la
sécurité de l'Etat. II est devenu « un des meilleurs du
monde arabe305(*) ».
Couramment, on définit le chéhabisme comme un
style de gouvernement qui se rattache au général Chéhab et
qui coïncide avec le renforcement des pouvoirs du Deuxième Bureau
et avec un souci de développement économico-social et
administratif.
Nous allons montrer par les faits la dualité du pouvoir
sur le plan exécutif, législatif et judiciaire.
- Sur le plan du pouvoir exécutif l'ancien
Président du Conseil des Ministres, Saêb Salam a
déclaré dans le numéro spécial du
« An-nahar » de Noël 1970 que « M. Abdallah
Yafi, Chef du gouvernement en 1966, lui avait raconté, au cours de la
même année, que le Commandant Gaby Lahoud, Chef du Deuxième
Bureau, assistait aux consultations de formation du Cabinet, imposait la
désignation d'un tel ministre, et refusait la désignation d'un
tel autre306(*). »
Le rapport final de l'enquête sur «l'Affaire du
Deuxième Bureau » libanais307(*), présenté par le juge Elias Assaf, a
révélé, encore, que « les actes entrepris par le
Commandant Gaby Lahoud et ses officiers en vue de résoudre les
problèmes de sécurité et de consolider l'Armée et
l'Etat, n'avaient d'autre but que d'effectuer et de consolider l'Armée
et l'Etat, n'avaient d'autre but que d'effectuer une mainmise sur le
pouvoir308(*) ».
- Sur le plan du pouvoir législatif, Nassif
écrit que « les premières élections
législatives dans le mandat du président Chéhab furent une
occasion qui a permis au Deuxième Bureau de se consolider dans les
différentes régions à travers les municipalités et
les forces politiques en place et de soutenir les candidats chéhabistes
d'un côté et de combattre ses ennemis de l'autre. »
Le rapport final de l'enquête sur « l'Affaire
du Deuxième Bureau », a, encore, mis en relief « les
interventions de officiers du Deuxième Bureau dans les élections
législatives309(*) » de 1964, et surtout dans celles du 31
mars 1968, dans les deux mohafazats du Sud et plus particulièrement de
la Bekaa, « en aidant certains personnes et en combattant
d'autres310(*) ».
La bataille électorale dans le Mohafaza de la
Békaa (qui comprend trois circonscriptions électorales, celle de
Zahlé, de la Békaa-Ouest et de Baalbeck-Hermel) était
menée par le Capitaine Naim Farah à partir de la caserne
militaire d'Ablah311(*)
et par le Capitaine Jean Nassif, à partir du sérail de
Zahlé. Les excès commis par les officiers du Deuxième
Bureau dans ce district sont compréhensibles après la mise en
échec par le Helf des candidats chéhabistes
à Beyrouth, le 14 mars 1968.
Le Colonel Ahmed Zakka, Chef des officiers de liaison à
Zahlé a affirmé, le 15 mars 1973, devant le Tribunal Militaire,
qui s'est réuni à partir du 5 mars 1973 pour juger les officiers
et sous-officiers du Deuxième bureau, sous la présidence du
Colonel d'aviation Georges Ghrib312(*), que « le Commandant-en-Chef de
l'Armée, le Général Emile Boustani avait fait
réunir, le Jeudi qui a précédé le
déroulement des élections, au ministère de la
Défense, rue de Musée, 28 hauts officiers et officiers
subalternes et leur avait dit « nous ne pouvons rester dans les
élections les bras croisés et mes ordres vous les recevrez du
Deuxième Bureau313(*) ».
Le Commandant Ahmed Hamdane avait confirmé314(*), le 13 mars 1973, les propos
tenus par le Colonel Zakka, lorsqu'il a expliqué devant le Tribunal
Militaire que « le Général Boustani après avoir
rassemblé, plusieurs officiers avec les commandants des secteurs, leur
avait déclaré : « Nous avons notre mot à
dire dans les élections et nous ne pouvons rester les bras
croisés. » 315(*)
A Zahlé, une bataille serrée se livrait le 31
mars 1968 entre des alliances égales a débouché sur
l'échec du « maître de la Békaa »,
Joseph Iskaff. La différence des voix était minime316(*) entre Joseph Iskaff et son
concurrent, Joseph Aboukhater, qui a, de plus, réussi à faire
passer deux candidats317(*) de sa liste.
Aussitôt connus, les résultats
provoquèrent un tollé général : M. Iskaff
s'est plaint de ce que ses grands électeurs avaient été
neutralisés. Le Ministre de l'Intérieur, Soleiman Frangié,
futur Président de la République, décida de
démissionner, estimant que « les mesures d'ordre
appliquées par les forces de sécurité
intérieure318(*) » jouaient contre la liste de Joseph
Iskaff et de ses alliés dans le district de la Bekaa, et que
« les prisons de la Bekaa regorgent d'agents électoraux de
Iskaff319(*) ».
- Sur le plan du pouvoir judiciaire, la seule pression directe
connue du Deuxième Bureau sur un magistrat est, toutefois, celle
exercée sur le Juge Farah Haddad. Le Président de la Cour d'appel
du Mont-Liban, Farah Haddad; a été, en effet, emmené de
son domicile à Jdita (Bekaa) par le Commandant Ahmad Hamdane qui l'a
fait arrêter dans son bureau, sous l'inculpation « d'avoir
cherché à acheter des voix320(*) » dans la région de la Bekaa, lors
de la bataille électorale du 31 mars 1968. Le Commandant Ahmed Hamdane a
affirmé le 12 mars 1973321(*), devant le Tribunal Militaire, que c'est le
Lieutenant-colonel Sami Shaykha, un des principaux responsables du
Deuxième Bureau, qui lui avait donné l'ordre d'arrêter le
Président de la Cour d'appel du Mont-Liban.
Cependant, d'après les chéhabistes, ce
rôle et ces agissements ont été exagérés ou
gonflés par les opposants au régime Chéhab pour le
discréditer et l'ébranler. En effet, Joseph
Goebbels322(*)
disait : « A force de répétitions et à
l'aide d'une bonne connaissance du psychisme des personnes concernées,
il devrait être tout à fait possible de prouver qu'un carré
est en fait un cercle. Car après tout, que sont « cercle » et
« carré » ? De simples mots. Et les mots
peuvent être façonnés jusqu'à rendre
méconnaissables les idées qu'ils véhiculent323(*). »
En effet, Bassem El Jisr écrit en
précisant324(*) :
1- le Deuxième Bureau contribua directement et
efficacement à assurer pendant plus de dix ans la sécurité
du territoire et des citoyens, et à une époque où la
région était déchirée par des guerres et des
révolutions, qui avaient leurs prolongements au Liban.
2 - Comparés aux agissements inhumains ou
antidémocratiques des services secrets arabes ou non arabes, ceux du
Deuxième Bureau libanais sont vraiment minimes.
3- C'est après la tentative du coup d'État de
1962, que le Deuxième Bureau montra ses muscles, afin de protéger
le régime. C'est sous le mandat du Président Hélou, qu'il
exerça son intervention directe dans les affaires politiques internes.
4- Quels que furent les aspects, l'intensité ou les
irrégularités de l'intervention du Deuxième Bureau, on ne
peut que constater que, pendant toute la période Chéhab, la
Constitution et le régime démocratique325(*), étaient
scrupuleusement respectés, qu'aucune loi exceptionnelle n'a
été promulgué ni un état d'urgence appliqué.
Même après la tentative du coup d'Etat, les opposants ont pu
gagner les élections en 1968, et conquérir la Présidence,
démocratiquement sous les yeux du Deuxième Bureau.
Raymond Eddé se caractérisa par son opposition
farouche au Deuxième Bureau. Le 18 octobre 1963, au nom de
l'opposition326(*), il
dénonça dans un virulent réquisitoire, les
ingérences flagrantes des services de l'Etat dans la vie politique.
« Il n'y a plus ni démocratie ni libertés. Nous vivons
sous un régime policier327(*) » dit-il.
Le 27 décembre 1963, il dénonce de nouveau
à la Chambre les violations des libertés individuelles, les
perquisitions intempestives et les arrestations arbitraires de citoyens,
menées par des agents des services de sécurité.
De nouvelles attaques sont relancées le 7
décembre par le député Nassim Majdalani qui, tout en
dégageant la responsabilité de l'armée des agissements du
Deuxième Bureau, exige d'interdire à ce dernier de se mêler
des affaires de sécurité intérieure. « Ce
service, dit-il, se mêle de plus en plus de tout et cela nous mène
vers l'instauration d'un régime policier que notre système
parlementaire rejette. Nous ne pouvons pas nous taire quand nos libertés
sont menacées et qu'un régime policier est en voie de s'instaurer
dans le pays sous le couvert de la démocratie328(*). » Des
députés accusent aussi ce service d'écouter les
conversations téléphoniques et d'ouvrir le courrier, violant le
droit des gens à la protection de leur vie privée.
Le 2 Juin 1963, accusant les services
spéciaux de s'immiscer partout, Eddé met au défi les
ministres de l'Intérieur et de la Défense de jurer sur l'honneur
que les FSI et ces services n'interviennent pas dans les élections et
demande une enquête parlementaire sur les arrestations arbitraires. Dans
sa réponse, Joumblatt, ministre de l'Intérieur, lui reproche
d'avoir abordé un sujet grave de façon non convenable et l'accuse
d'immiscer ainsi lui-même les militaires dans la politique. Estimant
normal que les attributions des services spéciaux, aient
été accrues après l'affaire du P.P.S, Joumblatt, nie toute
arrestation arbitraire et met au défi Eddé de citer un seul nom.
Quant à Bahige Takieddine, il déclare que « si les services
spéciaux n'existaient pas, il aurait fallu les inventer » et
note que le fait qu'Eddé puisse porter de telles accusations « que
la presse va publier », prouve qu'il n'existe pas de climat de
terreur dans le pays.
Denise Ammoun dans « Histoire du Liban contemporain
» affirme que les critiques de l'opposition « qui occupent les
colonnes des journaux démontrent, à tout le moins, que le Liban
pratique encore la démocratie329(*). »
Quant à l'appréciation de la gravité de
l'intervention du Deuxième Bureau, Pierre El-Gemayel considère
que le péché du mandat Chéhab n'est pas « mortel
». « Les erreurs, dit-il, le Amid330(*) peut les commettre, à une dose plus forte, et
peut les attribuer à des politiciens d'origine civile et à tous
les chefs d'Etat que le Liban a connus, d'Emile Eddé à Charles
Hélou331(*).
» Et en ce qui concerne la responsabilité du président
Chéhab, Pierre El Gemayel précise : « C'est nous, les
politiciens, qui avons politisé l'armée (...). L'armée
obéit et prend des ordres du gouvernement. Pourquoi le ministre
responsable a-t-il laissé le Deuxième Bureau agir de la
sorte ? J'étais ministre de l'Intérieur et je ne leur ai pas
permis de faire exception. Raymond Eddé était aussi ministre de
l'Intérieur et il le sait. Si vous voulez juger l'armée et
régler des comptes, faites-le d'abord avec les gouvernements332(*) »
Le silence du président Chéhab sur les
dérives du Deuxième Bureau était le résultat de sa
prise de conscience qu'un quelconque Coup d'Etat qui impliquerait des
militaires serait un grand danger sur l'unité de l'armée et
aurait des répercussions fatales sur l'ensemble du système
politique. Il considérait que l'armée constituait son seul
allié et qu'elle était seule capable de soutenir son projet
politique. Le président Chéhab avait le soutien du parti des
Phalanges (Kataêb) qui accorde son appui aux régimes de tous les
Présidents de la République, celui du parti de l'Union
Constitutionnelle (le Destour) réduit, cependant, quatre ou cinq
députés, du Front Démocratique Parlementaire ( F.D.P),
rassemblement de députés loyalistes au sein de la Chambre et du
« Club du 22 Novembre », club de technocrate, le
régime du Général représentait, en effet, un
état-major sans troupes. D'où la nécessité pour le
Général Chéhab, à défaut d'un parti
politique pluricommunautaire et centriste333(*), de substituer aux partis politiques libanais,
confessionnels et en quête de féodalisme politique, un
Deuxième Bureau, capable de consolider son régime
D'ailleurs, nous savons que le président Al-Khoury a
dû démissionner en 1952 face à l'opposition grandissante,
que le président Chamoun a achevé son mandat dans un climat de
crise et que le mandat du président Hélou coïncide avec les
premiers conflits avec la résistance palestinienne et avec des crises
ministérielles prolongées. Les crises cycliques dans l'histoire
politique du Liban depuis 1943 montrent bien que le régime libanais
souffre d'une «carence permanente de l'autorité ».
Jean Claude Douence, appliquant au cas libanais le «
modèle polyarchique »334(*), affirme que le régime libanais
« n'est pas orienté vers l'action, mais vers le maintien des
équilibres. Trop fidèle au modèle polyarchique, dit-il, le
régime libanais souffre d'une carence permanente de l'autorité.
Bien que des réformes interviennent, il existe un grand décalage
entre une évolution économique et sociale très rapide et
une modernisation politique très lente. Le pouvoir manque de
l'autorité nécessaire pour prendre certaines décisions
radicales qui engagent l'avenir. Là, se trouve certainement l'une des
causes de la crise politique que connaît le Liban, tant il est vrai que
la légitimité d'un régime est liée à son
efficacité335(*). » Antoine Messarra précise
qu' : « à la lumière de cette constatation, force
est de considérer que le chéhabisme a cherché à
affronter le problème de l'autorité par le recours au Second
Bureau pour assurer la stabilité intérieure et renforcer la
décision politique, autrement dit, ce fut une solution
paraconstitutionnelle à la crise de l'autorité. Les troubles
sanglants depuis 1975 viennent encore poser ce problème crucial :
l'autorité au Liban est-elle possible par les moyens
démocratiques classiques ?336(*) »
De même, la déclaration du 4 août 1970 du
président Chéhab laisse entendre qu'il faut une solution
radicale. Michael Hudson écrit à ce propos : « Le
général Chéhab souhaitait certainement préserver la
démocratie libérale au Liban, mais les divisions
réouvertes par la crise de 1958, la guerre froide entre les
régimes radicaux et conservateurs et les demandes intérieures
croissantes pour une justice sociale le placèrent dans une position
difficile. S'il avait compté entièrement sur le système
traditionnel de résolutions des conflits, il se serait heurté
à des crises populaires (...). Il n'y a pas de doute cependant qu'il
porta gravement atteinte au prestige des institutions parlementaires à
plusieurs occasions337(*) »
Les troubles sanglants depuis 1975 montrent, s'il en est
encore besoin, que la conciliation de l'autorité et de la
démocratie constitue le « drame » non seulement du
chéhabisme, mais du système politique libanais. Georges Naccache,
pose le problème dans cette double perspective de l'autorité et
de la liberté. « Tout le drame - toute la dialectique de
l'entreprise chéhabienne - est là : d'une part, un souci
très strict de la légalité constitutionnelle, la
conviction profonde de la nécessité du régime
parlementaire au Liban. D'autre part, cette répulsion pour les
combinaisons politiciennes, cette conscience amère de la
nécessité338(*). »
Antoine Messarra se pose la question suivante : Quelles
sont les hypothèses qui pourraient expliquer le recours au
Deuxième Bureau pour renforcer l'autorité ? A cette
question capitale Messarra avance trois hypothèses :
1- La nécessite de recourir à des organismes
spéciaux pour renforcer le pouvoir ;
2- La toute-puissance civile et militaire justifiée par
des considérations économico-sociales et
administratives ;
3- L'opportunisme personnel.
Personnellement, nous privilégions la première
hypothèse sans pour autant négliger les deux autres, puisque le
président Chéhab avait besoin d'un socle humain qui puisse
soutenir son projet politique, rétablir l'autorité et assurer
l'efficience du pouvoir. Le prestige et l'autorité exceptionnels dont il
jouissait étaient fluctuants et sur lesquels il serait irrationnel et
vain de bâtir un projet politique susceptible de se
concrétiser.
De plus, le recours à la force du Deuxième
Bureau fut pour résoudre la crise chronique de l'autorité. Car
« un gouvernement n'est fort que s'il fait de l'autorité un
but. L'autorité est nécessaire au pouvoir. Elle est
nécessaire au peuple. Sans autorité, aucune vie sociale, aucune
vie civilisée n'est possible339(*). »
Ainsi, les opposants au chéhabisme n'ont pas pu
préconiser le problème structurel et conjoncturel de
l'autorité dans le système libanais. Le
démantèlement du service de renseignement de l'armée
sous le mandat Frangié a favorisé la prolifération de
formations politiques et de services de renseignements étrangers, et a
laissé un vide jamais comblé qui amorça le
démantèlement futur de l'Etat.
D'autre part, nous croyons que toute critique sur une
période historique donnée doit prendre en considération
que la Raison est historique, c'est-à-dire que les valeurs, les
mentalités, et les vertus ne peuvent être déracinées
de leurs temps pour en exprimer la valeur dans les mesures d'un autre
temps340(*).
La disparition du Deuxième Bureau, en 1970, a
laissé un vide dans l'appareil étatique. Le jugement en mars
1973, devant le Tribunal Militaire des responsables du Deuxième Bureau
a, de plus, fait dénigrer l'organe, en tant que tel, devant l'opinion
publique.
En effet, seize officiers et sous-officiers ont
été jugés dont cinq se sont absentés. Ce sont le
Commandant Gaby Lahoud, le Commandant Sami Khatib, le Commandant Sami Shaykha,
le Commandant Kamal Abdel-Malak et le Capitaine Jean Nassif. 11 officiers et
sous-officiers se sont, par contre, présentés devant le Tribunal
Militaire : le Lieutenant-colonel Edgard Maalouf, le Lieutenant-colonel
Ahmad Hamdane, le Capitaine Naïm Farah, le Capitaine Georges Harouk,
l'adjudant-chef Philippe Khoury, l'adjudant-chef Joseph Chahine, l'adjudant
Ibrahim Mounzer, l'adjudant Philippe Kanaan et l'adjudant Sami Khoury. Ces onze
officiers et sous-officiers ont été graciés par le
Tribunal Militaire le 5 avril 1973. Les cinq autres officiers devront
être graciés ultérieurement par le Président
Frangié.
Le nouveau Deuxième Bureau, présidé, le 1
mars 1971, par le Colonel Jules Boustani, n'ayant ni la même formation,
ni la même efficacité et ne possédant pas les mêmes
prérogatives, était incapable de protéger la
sécurité même de l'Armée. Celui-ci étant
devenu un simple organe administratif, exécutant les ordres du
Président de la République, Sleiman Frangié.
Un Deuxième Bureau est nécessaire dans tout Etat
qui veut sauvegarder la sécurité de son armée et lui
relever le moral surtout dans un Etat aussi libéral que le Liban,
où la plupart des Deuxièmes Bureaux étrangers y ont
trouvé place. Le Deuxième Bureau, mis en place de 1958 à
1970, a, cependant, accru ses prérogatives en étendant son
domaine à la sécurité même de l'Etat. Cette
initiative était heureuse parce qu'elle a permis au Liban de consolider
sa symbiose islamo-chrétienne et d'être vraiment un Etat
protégé par un éloignement de la politique des axes,
à l'échelle régionale, et se préparant à une
restructuration sociale et administrative.
En sapant en 1970 le Deuxième Bureau en tant
qu'institution, au lieu de remplacer ses officiers par d'autres, l'Etat
libanais allait être sans aucune protection durant la dure épreuve
de 1975-76, d'autant plus que ce même Deuxième Bureau
contrôlait efficacement et en permanence les camps palestiniens et
exerçait une forte pression sur la Guérilla palestinienne qui
devait trouver refuge en masse au Liban après sa liquidation en Jordanie
en septembre 1970.
Section ÉÉ
L'essoufflement du projet moderniste-chéhabiste
2,1 - La solitude présidentielle face à la
classe des leaders
Bassem El-Jisr précise que pour comprendre le
chéhabisme, il faut connaître la personne de Fouad Chéhab.
Il n'était pas un politicien à la recherche du pouvoir, mais un
homme de devoir. « Fouad Chéhab était un militaire, non
un politicien, un homme de devoir rompu à la réflexion et au
travail en silence, non un tribun charismatique. » Le
président Chéhab est rentré dans le champ politique
malgré lui, « il n'a pas le profil d'un homme politique
libanais réussi341(*)» dit Hudson. Il a été
projeté par la logique des événements pour jouer un
rôle auquel il n'aspirait pas.
L'une des limites du chéhabisme est la solitude du chef
de l'Etat face à la classe des leaders, qualifié de
« l'homme au sifflet342(*) » par René Aggiouri.
L'efficience et la stabilité du système, si on se
réfère au modèle consociatif, dépendent de la
coopération des élites des groupes sociaux distincts.
Pierre Rondot relève les premières
difficultés du cabinet de coalition, peu décidé a
secondé une oeuvre de longue haleine : « Le
général Chéhab est-il destiné à demeurer
seul ? Autrement dit, les impulsions généreuses des Phalanges et
du Parti progressiste socialiste, représentées dans le conseil
des ministres lui-même par Pierre El-Gemayel et Kamal Joumblatt,
seront-elles décidément stérilisées par
l'affrontement personnel de ces deux leaders ? C'est ici que se pose le
problème politique capital : les conditions contradictoires de
l'action (...). Transposé des barricades au tapis vert, le conflit
intime du Liban restera resserré, comme entre les rares protagonistes
d'une tragédie classique, afin de mieux vider le
débat.»343(*) Le pouvoir au Liban est appelé à
être largement consensuel, voire « unanimmitaire »
donc le pouvoir ne peut être concevable que s'il est issu du plus large
consensus interconfessionnel, fondé sur le plus large respect populaire.
Sur le plan intérieur, le chef de l'Etat ne peut pas
être au Liban un chef de parti. Georges Naccache rapporte cette phrase
historique : « le Roi de France doit oublier qu'il a
été Duc d'Orléans. » C'est quand le
Président Béchara El Khoury est redevenu Khouriste, et Chamoun
Chamouniste leur autorité a été contesté et s'est
désagrégée. De même que Rondot, Naccache souligne
cette solitude présidentielle : « Est-il besoin de refaire le
tableau de cet été sinistre : les deux moitiés du
Liban retranchées derrière les barricades, et ce soldat seul,
entre les feux croisés, gardant la tête froide au milieu de la
démence générale, n'ayant d'autre stratégie que
d'empêcher un massacre confessionnel ? Dans les circonstances qui, en
1943 et 1952, les avaient amenés au Pouvoir, ses deux
prédécesseurs étaient entrés au Sérail par
la rue - avec la rue. Ils n'ont jamais pu se libérer de cette terrible
hypothèque (...). C'est dans un Beyrouth désert que le
Général d'armée Chéhab a été
élu par une Assemblée que les fureurs civiles avaient
empêché de se réunir depuis 90 jours. Il n'y a pas de
pouvoir politiquement plus solitaire (...). Non seulement il n'est
rattaché à aucun des partis traditionnels, mais il y a chez lui
une incapacité native à s'intéresser aux jeux des clans
qui passionnent tous les Libanais. Dans les conditions où il est venu,
il doit son pouvoir à tout le monde : c'est-à-dire qu'il ne
le doit à personne.» 344(*)
« Il est apparu dit le président
Chéhab que je suis incapable de concrétiser les réformes
que je veux faire. »345(*)
L'élan des réformes a été affaibli
au fur et à mesure que le président Chéhab constatait que
la réforme du système politique risquerait de faire
éclater le système tout entier. Les hommes politiques que le
président qualifiait de « fromagistes » et les
forces traditionnelles s'opposèrent farouchement à toute
réforme moderniste du système politique car cette dernière
risque de leur priver du pouvoir et de l'autorité qu'ils monopolisent
entre leurs mains. Conscient de cette réalité, mais
décidé à persévérer dans sa réforme,
le président Chéhab à travers sa démission en 1960,
tenta de contourner les hommes politiques, et de « se
ressourcer » d'une légitimité qui émane
directement du peuple. « Ce n'est pas moi que les Libanais ont
élu : je ne représente que l'impossibilité où
ils se trouvaient d'en élire un autre.»346(*) Le président
Chéhab retourna au pouvoir par la volonté du peuple et non plus
par celle des hommes politiques, il se libéra de ses derniers et redonna
à son programme politique une légitimité populaire
susceptible de lui permettre d'amorcer les réformes qu'il comptait
faire. Mais « il a trouvé autour de lui un peuple
divisé qui conserve l'allégeance à ses leaders, bien que
les intérêts de ce peuple soient grignotés par ces leaders.
Le président s'est trouvé devant le choix difficile : la
soldatesque a été son peuple et son parti347(*). »
Tenté par l'autoritarisme, Chéhab aurait
dit : « je pensais envoyer les soldats au Parlement ramasser
tous les députés et les rendre à leur maison. Mais j'y
suis revenu en disant : tant que c'est le peuple qui les a voulus, que sa
volonté soit faite. »
De même, il révéla son
« dégoût » de la réalité
à laquelle il a dû faire face, il aurait dit : « je
suis las des fromagistes et des capitalistes extrémistes. La situation
au Liban exige des réformes rapides. Le pouvoir direct serait
indiqué pour une telle réorganisation, mais le pouvoir direct ne
peut être « digéré » par le Liban. On
ne peut au Liban imposer par la force une réorganisation politique. Cela
serait en contradiction avec la Constitution et aboutirait à une
véritable dictature. J'aurais pu le faire, mais cela aurait
été contraire à la démocratie qui est la base de la
vie politique au Liban.»348(*)
La solitude du président dans le système
politique libanais est d'autant plus marquée par le peu de ressources
qu'il détient et par son identité confessionnelle
spécifique « peu compatible avec le caractère
universaliste du projet modernisateur ». Ainsi explique Antoine
Messarra, « les forces traditionnelles ne retiraient que peu
d'avantages d'une collaboration avec le président modernisateur,
à l'encontre, en Occident, de l'aristocratie de cour, des élites
financières ou des chantres du gallicanisme. La différence tient
à l'inégalité des ressources détenues par le
président, mais elle est liée surtout à la logique
d'exclusion qui anime les stratégies néo-patrimoniales et qui
conduit les divers acteurs sociaux à promouvoir leurs
intérêts hors de la scène politique et alternativement en
des espaces traditionnels.»349(*)
2,2 - L'inefficacité de l'administration du
développement.
Depuis la naissance du Liban contemporain et
précisément depuis qu'il a été doté d'une
administration publique en 1864 ; la question de la corruption et de la
nécessité d'y remédier a été et reste
toujours un des principaux obstacles devant la construction d'un Etat moderne
au Liban.350(*)
L'organisation de l'administration libanaise se
caractérise par une forte centralisation, l'exiguïté du
territoire, les composantes sociologiques du pays et l'exemple français
ont conduit à remettre au pouvoir central l'essentiel de
l'administration, sauf à reconnaître une autonomie limitée
à des collectivités locales et à des établissements
spécialisés, encore l'importance des prérogatives
laissées aux autorités étatiques leur laisse-t-elle la
véritable direction de toute l'administration. Le caractère
unitaire de l'Etat, affirmé par la Constitution libanaise (art.1) a
ainsi très fortement marqué les institutions administratives.
« Si, conformément au schéma classique
du droit administratif, il faut distinguer au Liban une administration d'Etat
et une administration décentralisée, on doit toujours garder
présente à l'esprit l'idée que, d'une manière ou
d'une autre, et dans tous les domaines, c'est autour des organes centraux
qu'est aménagée l'administration libanaise.»351(*)
Centralisée, l'administration libanaise est
également très concentrée. Les mêmes motifs qui ont
conduit à ne remettre qu'une faible autonomie à des
collectivités administratives secondaires ont entraîné, au
sein de l'administration étatique, l'attribution du pouvoir de
décision aux autorités supérieures les agents
subordonnés de l'Etat, et spécialement ses représentants
locaux, n'ont guère de liberté d'action. Si les ramifications
territoriales de l'Etat encadrent l'ensemble du pays, elles ne sont que des
structures destinées à assurer l'autorité de
l'administration centrale. Celle-ci est le pôle de toute l'organisation
administrative, l'administration locale lui est étroitement
subordonnée. On a déjà souligné la place
essentielle et le rôle décisif du président de la
République au sein des institutions politiques : ils se retrouvent de la
même manière dans l'organisation administrative.
Pièce dominante de l'édifice constitutionnel, le
chef de l'Etat est aussi l'organe capital de l'administration. La
décentralisation et la concentration de celle-ci convergent vers lui :
si l'administration d'Etat l'emporte sur les administrations autonomes, les
autorités centrales de l'Etat sur ses représentants
inférieurs, le président de la République prédomine
sur le tout. La pratique peut donner à ces pouvoirs une portée
variable; elle tend en général à leur pleine utilisation.
A côté du président, le gouvernement, les
départements ministériels et les conseils apparaissent souvent
comme des auxiliaires. Sans doute ont-ils leur rôle propre et ne
peuvent-ils être considérés comme négligeables. Mais
leur organisation et leurs fonctions s'établissent par rapport au chef
de l'Etat. L'administration territoriale de l'Etat, on la dit, est fortement
concentrée. Les services extérieurs des ministères, pour
être repartis entre les différentes régions du pays, sont
soumis à une étroite autorité de l'administration
centrale. Ils sont regroupés sur une base géographique et sous la
direction d'administrateurs à compétence générale,
représentant le gouvernement dans chaque circonscription.
Le Liban est en effet divisé, en vertu du décret
législatif no 11 du 29 décembre 1954, en cinq
mohafazats Beyrouth, Liban-Nord (chef-lieu : Tripoli), Mont-Liban
(Baabda), Liban-Sud (Sada), Bekaa (Zahlé). Les mohafazats sont
eux-mêmes subdivisés en cazas, au nombre de vingt-quatre. Ni l'une
ni l'autre de ces circonscriptions n'ont la personnalité morale; ce sont
de simples divisions administratives de l'Etat.
Cette organisation administrative a été
profondément remaniée par le décret législatif
no 116 du 12 juin 1959. Celui-ci n'a pas touché à des
circonscriptions inférieures, les villages, qui, à
côté des municipalités dotées de la
personnalité morale, ne sont que des circonscriptions territoriales de
l'Etat.
La déconcentration maintient ainsi l'unité de
l'institution et permet à la personne morale déconcentrée
de rapprocher l'action administrative des administrés. Elle permet donc
à l'État d'agir avec une plus grande efficacité et plus
rapidement. Pour garantir le principe de l'unité de la nation, l'Etat
garde un contrôle sur le fonctionnement des collectivités
territoriales par le biais de ses services déconcentrés. Il
s'agit d'une recherche d'exigence et d'une plus grande efficacité de
l'action publique, pour :352(*)
1-Trouver le niveau territorial le plus à même de
mener de manière efficace certaines politiques,
2-Recentrer les compétences de l'État sur ses
fonctions principales et fondamentales : affaires étrangères,
défense, justice, sécurité, politique économique et
sociale de la nation, législation et réglementation.
La déconcentration permet à l'État de
conserver l'unité de la nation, tout en donnant la possibilité
aux autorités de l'État de gérer efficacement les affaires
étatiques. Le caractère assez faible de la
décentralisation au Liban s'explique par la faible étendue du
pays, l'homogénéité relative de ses différentes
parties, le nombre assez limité d'agents administratifs
compétents rendent nécessaire le maintien d'une intervention
poussée du pouvoir central sur tous les aspects et toutes les parties de
l'administration. La structure municipale a été modifiée
à plusieurs reprises, notamment en 1947 et 1954, sans compter les
amendements partiels.
Sous le mandat Chéhab elle a été
fixée par la loi no 29 du 29 mai 1963. Selon la loi de 1963,
la municipalité est une personne publique, dotée de la
personnalité morale et jouissante de l'autonomie administrative et
financière elle peut donc réaliser des opérations
juridiques correspondant à ses besoins (art.1). Charles Issawi
considère l'administration locale décentralisée
« comme une école pour les électeurs et une
pépinière d'hommes d'Etat.» Car dit-il « d'un
côté, la décentralisation remet la solution des
problèmes régionaux ou municipaux à ceux qui s'y
intéressent le plus directement, les habitants de la localité
même, qui sont autrement plus qualifiées pour que des
fonctionnaires assis dans une capitale lointaine. Par ailleurs, le
développement de l'administration locale donne à des centaines ou
des milliers de personnes la possibilité de participer au gouvernement
et de s'entraîner à la marche des affaires353(*). »
L'appareil administratif dont la structure a été
exposée plus haut était-il apte à assumer les tâches
nouvelles qui lui incombaient ? Le grand effort pour « passer d'un
gouvernement existant et d'une administration existante à un
gouvernement et à une administration de développement »
354(*) a-t-il
été accompli ?
L'édifice administratif paraît impressionnant et
le pays bien encadré. Cette structure paraît cependant surtout
théorique : sa complexité et sa précision ne doivent pas
faire illusion. Les cadres constitués par les textes ne sont pas
toujours remplis - ou du moins avec efficacité. Les moyens mis en oeuvre
pour la réalisation de la planification ne sont pas non plus toujours
suffisants pour en faire une activité essentielle de
l'administration.
En effet, à la question « la planification
est-elle possible au Liban ? » que s'est posée Georges
Corm en 1964 dans l'introduction de son oeuvre « Politique
économique et planification au Liban », il y répond
dans la conclusion en ces termes : « je voudrais cependant, dans
cette conclusion, récapituler les principales lacunes qui font que la
planification telle qu'elle a été définie dans
l'introduction n'est pas encore tout à fait possible au Liban. Ces
lacunes ont trait surtout aux moyens de la planification, aussi bien les moyens
d'élaboration que les moyens d'exécution355(*). »
Pour la mission IRFED, à laquelle fut confiée en
1959 la tâche de proposer une organisation nouvelle pour l'administration
du développement au Liban, deux formules étaient
concevables356(*) :
- La première apportait une solution en profondeur :
elle consistait à réformer, en fonction du
développement, l'administration existante. En liant réforme
administrative et développement économique, on mettait
l'administration au service du développement, qu'on dotait ainsi d'un
outil d'exécution rendu approprié; en même temps qu'on
faisait du développement l'occasion et le levier de la réforme
administrative.
- La deuxième formule consistait au contraire à
récuser en bloc et d'une manière simpliste l'organisation
administrative en place, et à créer de toutes pièces un
ensemble parallèle, un corps de « janissaires » de la
planification.
« C'est hélas, cette deuxième formule
dont l'incongruité est évidente qui fut adoptée. Elle
repose sur l'erreur fondamentale résultant de ce que l'accent y est mis
sur le rôle du ministère du Plan, responsable à la fois de
la préparation et de l'exécution du plan. D'où les
conflits entre ce ministère et les autres organismes administratifs, aux
deux niveaux, central et régional.» 357(*) Le
père Lebret fait remarquer que « la réforme
administrative a été faite, avant, hélas, que le programme
de développement n'ait été défini358(*). »
Par conséquent, Charles Rizk relève les points
faibles de cette réforme administrative qui concentrait les
prémisses de son échec éventuel :
« Au niveau central tout d'abord, l'idée
même de créer un ministère spécialement
chargé de la planification est en contradiction totale avec la nature
même du développement, activité de coordination et de
synthèse globales, qui met en jeu tous les secteurs de la vie nationale
et, partant, l'ensemble de l'administration publique. Celle-ci doit, dans
toutes ses parties, participer, par ses propositions, à
l'élaboration du plan, chaque département selon sa
spécialité. Se sentant consultées et
écoutées, toutes les administrations adhéreront au plan et
l'exécuteront avec plus d'efficacité. Cette tâche
d'exécution doit d'ailleurs, en tout état de cause, leur
appartenir : que peuvent, dans un pays en voie de développement, faire
les administrations d'autre que d'administrer le développement, qui doit
éclairer d'une lumière nouvelle toutes leurs actions, même
les plus quotidiennes ?
A ces arguments d'ordre technique et psychologique s'ajoutent
des raisons politiques. Confier le plan à un ministère, c'est
donner à un ministre un droit de supervision et de contrôle sur
les autres ministères et les autres ministres, ce qui n'est guère
conforme à l'esprit du parlementarisme. C'est aussi donner à un
politicien, représentant aujourd'hui une communauté
confessionnelle, le pouvoir d'infléchir au profit de son groupe
particulier le plan national359(*). »
De même, en voulant accélérer la
réforme administrative, plusieurs étapes ont été
brûlées, ce qui entraîna des dérives dans ce
processus. En effet, le père Lebret reconnaît qu' «en
définissant le cadre de chacun des services publics, en supprimant le
recrutement arbitraire, en se rapprochant de plus en plus de la
sélection par le mérite, en fondant un Institut d'administration,
en essayant d'accélérer les processus administratifs (tours de
force en réalité), peut-être a-t-on voulu trop vite
atteindre une perfection à laquelle les pays démocratiques les
plus évolués ne sont pas encore arrivés. Peut-être
en est-il résulté quelques chocs, quelques accrocs et trop de
freins. » Mais il défend cette accélération en
disant qu' « il était a peu près fatal que ceci se
produise, la souplesse pouvant peu a peu rectifier l'excès de
rigidité d'une construction qui devait d'abord être
rigide360(*). »
Cependant, comme toute greffe sur un organisme vivant,
l'importation de l'Etat bureaucratique dans une société à
fortes traditions culturelles particularistes peut alimenter des comportements
de rejet, favoriser une intensification des tensions intérieures, bref,
introduire une forme de désordre. Bertrand Badie361(*) a souligné les effets
déstabilisateurs de cette importation du modèle étatique
occidental dans des sociétés aux univers de
références qui lui sont largement étrangers. Pour
l'essentiel, il y voit le risque d'une perte de sens des institutions
politiques et administratives. Elle affecte aussi bien les innovations
modernistes, altérées par leur milieu de réception, que
les systèmes traditionnels de légitimation politique en
péril de devenir obsolètes.
En effet, l'Orient, pourtant un journal dirigé
par un chéhabiste constate que « jamais les services publiques
n'ont été plus désorganisés et les
formalités plus lentes que depuis la promulgation des fameux
décrets-lois de 1959 ; jamais les agents de l'Etat n'ont pris moins
d'initiatives362(*). »
2,3- La tyrannie du temps et « la
révolution démocratique »
Le chéhabisme en tant que praxis et philosophie
politique ne s'appliqua réellement que durant le mandat du
Président Chéhab, donc sur une durée de six ans. Kabbara
écrit que « l'élection du président Hélou
constitue un point tournant dans l'histoire et l'expérience du
chéhabisme. Au lieu de gouverner en tant que chéhabiste,
Hélou chercha à créer un équilibre entre le camp
chéhabiste et l'opposition.363(*). » Ce qui rangea le camp chéhabiste
et le président Hélou dans une situation de conflit sur le
contrôle du pays, et ce conflit leur fit « perdre la guerre
contre l'opposition364(*). » Dorénavant, les
chéhabistes se trouvèrent dans « le camp
défensif » et non plus offensif. Ainsi, le sexennat de Charles
Hélou (1965-1970) considéré souvent comme une continuation
du chéhabisme est jugé comme étant stérile en
développements majeurs dans les domaines économiques,
administratifs et sociaux.
Cette durée était-elle suffisante pour
introduire des réformes et des transformations réelles dans le
système politique libanais ? Ici, Kabbara voit que « le
projet chéhabiste avait besoin sans le moindre doute d'un autre mandat
pour se réaliser et passer à la maturité365(*). »
En effet, le temps nécessaire à toute
réforme politique est définie par la stratégie mise en
place et suivie par les réformateurs d'un côté, et par la
réaction des forces en place avec cette stratégie de l'autre.
Juan Linz dans ses écrits366(*) est revenu constamment sur
cette dimension temporelle du politique. Il a souligné que lors des
changements de / ou dans le régime, le temps devient un facteur
important du succès ou d'échec du train des réformes. La
séquence et le rythme de celles-ci, autrement dit l'allocation du temps,
ou comme l'écrit Linz, - le timing et le tempo des réformes -,
sont des facteurs clés de succès ou d'échecs, certaines
séquences étant vertueuses et d'autres non, certaines
réformes étant engagées prématurément et
d'autres tardivement de sorte qu'il existerait également en politique
une sorte de « juste à temps » à trouver. La
politique consiste avant tout selon Weber à structurer le temps,
« l'affaire propre de l'homme politique » étant
« l'avenir et la responsabilité devant
l'avenir.»367(*)
Rejoignant les analyses de Michel Crozier et d'Erhard
Friedberg, pour lesquels « la dimension temporelle est une condition
essentielle pour qu'une relation de pouvoir puisse se
développer »368(*), autrement dit pour qu'elle puisse permettre aux
acteurs de diversifier leurs « mises », d'accepter de
perdre dans le court terme et d'espérer de gagner dans le long terme.
Linz conçoit également l'utilisation du temps comme une des
caractéristiques de l'interaction entre acteurs : « le
temps est nécessaire pour permettre aux acteurs pertinents de consolider
leurs positions et d'éluder les pressions inhérentes à la
résolution immédiate des problèmes.»369(*)
L'une des difficultés majeures de la modernisation
résiderait en cette gestion et cet agencement de la temporalité
du processus.
Une autre question afférente au problème de
l'allocation temporelle analysée par Linz est celle de la
temporalité de la démocratie elle-même. Przeworski voit que
la démocratie n'est rien d'autre que « l'institutionnalisation
de l'incertitude », donc, elle a une temporalité propre. Linz
considère qu'il s'agit essentiellement d'un régime politique dont
la caractéristique essentielle est précisément son
caractère temporaire. Jon Elster insiste également à la
suite de Tocqueville370(*), sur la faible capacité de la
démocratie à construire du futur et plus
précisément à conduire une politique de long terme.
Bassem El-Jisr affirme que « Fouad Chéhab
n'était pas un révolutionnaire mais en réalité, il
préparait une lente et profonde révolution. Cette
révolution blanche consistait à « retirer le
tapis » sous les pieds de la caste politique et politicienne, en
douceur et démocratiquement, et même avec leur assentiment. (...)
Toute l'oeuvre de Fouad Chéhab était régie par son souci
d'accomplir cette « révolution blanche », dont il
traça la voie et posa plusieurs fondements371(*). » Ainsi,
« le chéhabisme était une forme de coup d'état
démocratique à partir du système et contre ce
système même372(*). »
En même temps, le président Chéhab
était conscient que la « révolution »
« ne se fera pas en 24 heures. Sa pensée est que la
réforme institutionnelle est impossible si elle ne s'accompagne pas
d'une réforme des esprits et des moeurs. Bâtir un Etat moderne sur
les vieilles structures confessionnelles est une entreprise de longue
haleine373(*). » En effet, les pratiques et les
institutions demandent du temps, elles ne s'acquièrent ou ne se
créent pas du jour au lendemain, mais tout au long d'un apprentissage
progressif, fait de lenteurs et de mémoires.
Il ne se berçait pas d'illusions sur les
possibilités du Liban et voulait, sur le double plan intérieur et
extérieur, une politique adaptée à ses modestes moyens et
à sa structure sociologique si particulière. Ce «
pessimiste constructeur » n'était pas un utopiste et n'ignorait pas
que la patience est la clef de bien des problèmes.
Cependant, misé sur les mécanismes
démocratiques dans une société où la culture
démocratique est absente ou à la mesure faible, constitue un
nouveau problème au lieu d'être la solution requise.
Dans la déclaration du 4 mai 1970 à travers
laquelle il déclare son refus de se présenter à
l'élection présidentielle Chéhab constate que
« le pays n'est pas encore prêt à admettre ces solutions
de fond que je ne saurai d'ailleurs envisager que dans le respect de la
l'égalité et des libertés fondamentales, auxquelles j'ai
toujours été attaché. » A travers cette
révélation le président Chéhab affirme que la
« révolution démocratique » nécessite
la transformation des mentalités des Libanais et qu'une
« démocratie sans démocrates » reste
difficile à se consolider.
Le Président déclare qu'il ne voit que deux
moyens pour le relèvement du Liban : la dictature ou la
révolution populaire ; et, écartant la première, pour
des raisons qu'il suppose connues, il prévoit qu'une révolution
éclaterait, d'ici une ou deux générations, et qui
libérerait le Liban de ses fléaux. « Les souffrances du
peuple, dit-il, ne s'accumulent pas et ne fermentent pas en vain ; viendra
le jour de la grande colère.374(*) » La constatation de Chéhab rejoint
la solution du « césarisme » défendue par Kabbara
dans sa thèse. « Le césarisme est une restructuration
démocratique de la société libanaise au cours de laquelle
la pluralité identitaire et communautaire du peuple libanais est
reconnue375(*). »
Peut-on cependant rétorquer que le développement
économique et social entrepris par le président Chéhab
entraîne nécessairement la mutation politique
souhaitée ? « Seule, dit Charles Rizk, la poursuite du
chéhabisme économique et social peut nous apporter la mutation
politique dont nous sommes ici partisan. Mais avec ou sans Chéhab, le
chéhabisme continuera à nous conduire vers un nouveau
régime parlementaire, si les disciples restent dignes du maître
qui aujourd'hui s'en va.» 376(*)
Les structures politiques ont cependant, à l'instar de
toute autre structure, leurs propres lois de développement. Bien plus,
quand les structures politiques ne sont pas touchées par les
préoccupations de développement, elles peuvent freiner le
développement économique et social, compromettre la
continuité de la planification ou orienter celle-ci dans des voies non
démocratiques ou non harmonieuses. « Pour atteindre nos buts,
écrit Hamid Frangié les lois ne suffisent pas. «Pour
compléter les lois, il faut des volontés», il
faut des hommes. Et notre crise est beaucoup plus une crise d'hommes
qu'une crise d'institutions. Les hommes peuvent changer les institutions; les
institutions ne peuvent pas changer les hommes377(*). »
2,4- La résistance des monopoles économiques
et financiers et le refus de coopération du secteur privé
« Le Liban est, en effet, un pays de structure
économique très spéciale qui empêche de traiter son
développement selon les schémas appliqués ailleurs. Deux
économies, de type très différent, se juxtaposent au
Liban : l'économie de mise en valeur des ressources naturelles, ou
économique classique; et l'économie d'une fonction internationale
de liaisons, rendue possible grâce aux aptitudes spéciales de la
population et à un système complexe de présence libanaise
dans le monde. L'importation des produits étrangers et l'exportation des
produits nationaux mettent en relation continue ces deux économies qui
conditionnent, l'une comme l'autre, la vie économique
générale378(*) ».
« Pour expliquer l'échec du chéhabisme
dit Georges Corm, il faut évoquer les questions économiques qui
ont déchiré les élites dirigeantes une fois
l'indépendance acquise379(*). » Ainsi, Corm expose dans un article
intitulé « l'économie dans les conférences du
Cénacle380(*) » la synthèse des
conférences économiques prononcées au Cénacle et
relève deux principaux courants économiques libanais qui se
repartissent entre :
- Les Libéraux pour lesquelles l'Etat doit intervenir
le moins possible dans l'économie nationale. Le libéralisme
économique ne nécessite pas une régulation
économique et financière ou des marchés
compétitifs, mais implique un pouvoir central qui intervient le moins
possible dans l'économie, et permet aux forces économiques de
travailler librement sous des règles précises.
- Les réformateurs qui se déclarent en faveur de
la justice sociale et s'opposent aux relations
« anarchiques » du Liban avec son voisinage et notamment
avec la Syrie ; au système économique libéral
où le commerce n'occupe pas seulement la première place, mais
colore les autres secteurs.
« L'essence de la polémique affirme Corm,
entre ces deux courants dans les années quarante et cinquante de ce
siècle autour la croissance du Liban et la capacité du
système économique dominant à assurer une meilleure vie
pour les différentes couches de la population n'a pas
changé :
- Entre ceux qui invoque l'héritage phénicien et
le caractère levantin des Libanais excluant toute intervention de
l'Etat381(*).
- Et ceux qui veulent une économie diversifiée,
exploitant les ressources hydrauliques et agricoles du Liban à
côté de l'intervention du pouvoir politique pour empêcher la
loi de la jungle de dominer les relations entre les membres de la
société.382(*)
Dès son indépendance, le Liban a opté
pour le système économique libéral. Ce choix était
le choix naturel et évident pour l'économie d'un pays qui veut
être libre et prospère car « l'histoire du Liban
révèle que l'initiative privée et le libre marché
ont favorisé la croissance du pays depuis l'époque des
Phéniciens.» 383(*)
En effet, l'économie libanaise est dictée par
une situation géographique, une structure sociale et une conception de
la personnalité libanaise et de la société.384(*)
Les troubles économiques et politiques survenus dans la
région vont confirmer la pertinence du choix libanais. Les capitaux
arabes fuyant les nationalisations se sont réfugiés dans les
banques libanaises, de même que les fortunes de la bourgeoisie
palestinienne chassée de son pays ont renforcé l'économie
libanaise385(*). Ces
deux facteurs vont permettre à l'économie libérale
libanaise d'afficher une prospérité
« incomparable » voire « miraculeuse.»
Cependant, Toufic Gaspard remarque que le choix du pouvoir
politique libanais pour le libéralisme économique constitue le
« principal problème du jeune Etat.»386(*)
Dans le système économique libéral,
l'offre et la demande jouissent du maximum de liberté. Ce qui aboutit
aux fluctuations des prix, imprévisibles parfois, mais toujours en
rapport avec leurs changements sur le marché mondial. La liberté
d'importation et d'exportation est presque totale. La balance commerciale
accuse un déficit croissant. Le régime douanier est beaucoup plus
une source de richesse pour le trésor de l'Etat qu'un mécanisme
régulateur des différents secteurs de l'économie.
Naaman El-Azhari précise que « L'Etat
libanais se cantonnait pratiquement dans ce « rôle de
gendarme » que les tenants du laisser-faire lui avaient
assigné. Et encore, cette conception du rôle de l'Etat
était-elle interprétée dans son sens le plus restreint,
car aucun contrôle sérieux n'était effectivement
exercé jusqu'à ces derrières années, même sur
les entreprises qui drainaient l'épargne privée.»387(*) A cela s'ajoute une
dynamique spéciale au libanais, celle de l'homme qui construit sa propre
entreprise privée, là où le rendement peut être
porté au maximum. Cette dernière cesse d'être
dynamisée avec la même intensité chaque fois qu'elle se
transforme en propriété collective.
Extrapolées et combinées, ces libertés
économiques aboutirent à une discrimination qui a favorisé
la formation de catégories sociales pauvres et miséreuses. Cinq
catégories sociales se dessinèrent à la fin des
années cinquante :
« 9% de miséreux avec un plafond
budgétaire annuel de 1 200 L.L.
40% de pauvres avec un plafond budgétaire familial par
an de 2 500 L.L.
30% de gens moyens, au revenu familial de 4 000 L.L.
14% de gens aises qui approchent de 15 000L.L.
4% de riches.»388(*)
Cette catégorisation montre un écart
énorme entre les revenus. Miséreux et pauvres constituent presque
la moitié de la population. Jean-Jacques Rousseau avait prévenu
que « nul ne devrait être assez riche pour pouvoir acheter un
autre, et nul assez pauvre pour se trouver dans la nécessité de
se vendre à un autre.»
Ces
inégalités
économiques ne peuvent ne effet être légitimes selon
John Rawls389(*)que si elles sont
aménagées de sorte que :
- l'accès aux droits procurés par la
citoyenneté doit être garantie ;
- la répartition de la richesse et des revenus n'a pas
besoin d'être égale, elle doit être à l'avantage de
chacun ;
- les positions d'autorité et de responsabilité
doivent être accessibles à tous (égalité des
chances).
Le premier point constitue un principe de
liberté,
prioritaire vis-à-vis des deux points suivants qui forment un principe
de différence. Ces trois points constituent le
contrat social
établi entre les individus réunis au sein d'un même Etat.
Ainsi si l'économie de marché ne peut garantir ces trois points,
alors l'existence d'un Etat-Providence est essentielle. Puisque, toute
inégalité ne peut être justifiée que si elle profite
aux plus désavantagés.
Ainsi, l'intervention de l'Etat reste indispensable par
exigence démocratique et sociale :
- Une exigence démocratique : la solidarité
est indispensable car toute démocratie suppose l'existence d'un
sentiment d'appartenance à une communauté ; les
gouvernements doivent donc maintenir le lien social, le renforcer par la
solidarité quand une tension sociale (pauvreté, chômage,
etc.) menace l'intégrité de la Nation.
Une exigence sociale : le développement
économique ne s'est pas fait au profit de tous. La pauvreté reste
importante, le risque de chômage aussi. Les individus peuvent d'autant
moins supporter seuls ces charges que ce sont les plus faibles qui restent les
plus exposés aux risques.
Pour pallier aux conséquences néfastes d'une
telle évolution de l'économie libanaise et par souci de justice
sociale, l'Etat sous le chéhabisme s'est engagé à
dépasser son rôle de gendarme par un autre plus actif et plus
stimulant, car « les doctrines les plus sûres, dit Alfred
Sauvy, ne peuvent avoir qu'une portée limitée dans le temps et
l'espace »390(*)
En effet, le père Lebret insiste sur le fait que
« le libanais doit renoncer à son individualisme »
391(*) et que la
liberté n'est pas synonyme d'anarchie : « Qu'on ne nous
dise pas que cela fait le charme du Liban. Le désordre actuel n'est pas
ce qu'il est convenu d'appeler ce beau désordre. Ce n'est pas un effet
de l'art. C'est l'effet de la négligence et de
l'irresponsabilité. Il est temps que les Libanais comprennent que
liberté ne veut pas dire anarchie.» 392(*)
Le président Chéhab appliqua une politique
économique fidèle au libéralisme économique et au
libre marché, mais donna à la planification et au
développement harmonisé et équilibré entre les
régions et les différentes classes sociales une place
privilégiée. Sans pour autant négliger les secteurs qui
favorisent la croissance tels les services, le tourisme, le commerce,
l'agriculture, l'industrie et le secret bancaire.
Il était conscient que la réforme du
système économique serait combattue par « les
maîtres du système » si le moindre changement allait
survenir dans les bases de la structure économique libanaise à
savoir le libéralisme et le secret bancaire qui leur permet de
contourner les impôts et d'assurer leurs profits. Ces
« maîtres » sont les hommes d'affaire et les grands
commerçants, en plus du clergé qui craignaient des lois
financières susceptibles d'influencer négativement sur leur
fortune foncière.
Au fond de cette opposition bénéficiaire du
statu quo, il y a avait une cause politique qui est l'approfondissement de la
relation du Liban avec l'Occident dès lors qu'à cette
époque les musulmans étaient influencés par les
idées socialistes en vigueur en Occident.393(*)
Wadah Chararra indique que « les régions
dominées par les communautés chrétiennes »
(Mont-Liban et Beyrouth) étaient essentiellement les plus
développées économiquement et les plus perméables
à l'influence occidentale, et représentaient par le fait les
milieux modernes et libéraux. Parallèlement, les forces
économiques représentées par les industriels, les
banquiers, et les commerçants, se sont accaparés « les
postes clés du système politique libanais, à un
degré tel que leurs intérêts se sont combinés avec
les conditions de la pérennité des relations économiques
et politiques existantes394(*). »
Les chéhabistes ont compris que la
réalité libanaise est structurée aux profits des forces
économiques et que tout projet de réformes sociales et
économiques se buterait au « mur de l'argent395(*) » de plus que
« la classe politique est dominée par une solide ploutocratie
régnante depuis l'indépendance du pays396(*). ».
Le président Chéhab ne voulait pas transformer
radicalement le système économique libéral. Son but
était la construction d'institutions modernes à l'exemple de
l'Etat moderne occidental pour éloigner l'économie de
l'exploitation et limiter ses effets négatifs sur les couches
populaires.
Les hommes d'affaires et la bourgeoisie financière qui
monopolisent les bienfaits du système économique libéral
et qui se sont habitués au profit illimité s'opposèrent au
projet de la Sécurité Sociale397(*) et au chéhabisme en général
qui constituait une menace mortelle pour leurs intérêts. Abdallah
El-Yafi ancien chef de gouvernement affirme : « Quand le
président Chéhab est venu au pouvoir, il avait
bien l'idée de lutter contre la cherté de vie. Qu'est-il
arrivé ? Il a été confronté à ces
réalités. A savoir que des trusts accaparent la plupart
des denrées alimentaires. J'ai été chez lui et je lui ai
exposé le problème des accaparements. Nous échangions des
idées à propos du système et des causes de
mécontentement. Il n'a pu rien faire. Nous avions établi un
projet de loi en 1966 contre l'accaparement. Ils ne l'ont pas
laissé passer.»398(*)
De même, les banquiers ont cherché à faire
interdire l'application du code de la monnaie et du crédit qui
créa la Banque Centrale, et menèrent de larges campagnes
d'opposition. Ils considéraient que le nouveau code déroge au
secret bancaire399(*) et
confère à la Banque Centrale le droit de contrôle et de
surveillance des banques privées comme « il permet à
quelques employés de la Banque Centrale d'abuser de leur pouvoir dans la
compétition. De plus, la spécialisation bancaire à un
effet négatif au Liban puisque les banques libanaises sont
habituées à exercer toutes les fonctions bancaires, c'est
là que résident leur énergie et leur
croissance.»400(*)
Sous la pression des banquiers, le président
Chéhab s'est vu forcé de rayer quelques articles du nouveau code
de la monnaie et du crédit. Mais une campagne médiatique
opposée entamée par les chéhabistes « permis la
mise en application du nouveau code malgré l'opposition des milieux
financiers.»401(*)
Ainsi, les forces commerciales et financières au Liban
n'aidèrent point l'Etat dans la mise en application de sa politique
économique et monétaire, sous prétexte que cette politique
s'opposait aux principes du libéralisme. Rappelons ici que la Banque
centrale n'était pas capable d'intervenir comme de nos jours, puisque
son rôle débuta en 1964 à la fin du mandat
Chéhab402(*).
Ainsi, Philippe Takla précise dans son discours
d'inauguration de la Banque Centrale qu'il est conscient de ce que
nécessite le passage d'une situation à une autre « de
flexibilité, de prudence et même d'indulgence parfois (...) dans
un secteur où nous ne voulons pas toucher au secret bancaire, et nous
concluons que ceci nécessite évidemment une coopération
sincère entre la Banque Centrale et les banques
privées.»403(*) En effet, la Banque Centrale a appliqué une
politique flexible pour palier aux effets négatifs d'un passage
précipité d'une liberté presque totale à une
discipline consolidée.404(*)
A noter, que la fondation de la Banque Centrale et la mise en
application du code de la monnaie et du crédit ont joué un
rôle crucial dans la protection du secteur monétaire et financier
des crises telle que la crise de la Banque Intra.405(*)
Quant au rôle du secteur privé dans l'opposition
au chéhabisme ; il se manifeste par une relation perplexe avec la
politique de planification. La politique de palification établie par la
mission IRFED se heurtait souvent à l'opposition des hauts
fonctionnaires dont l'influence fut réduite dans l'administration.
Cette politique se balançait entre un appui populaire
général et une opposition institutionnelle continuelle. Mais la
résistance et l'opposition des milieux des hommes d'affaires aux
politiques chéhabistes restèrent solides et constantes. A ce
sujet, le père Lebret écrit le 15 mars 1963, « nous
mettons en garde le Président des manoeuvres des grands
commerçants de Beyrouth. Et il est conscient que ces derniers ne
comprennent rien de la situation» Et ajoute, « j'ai l'impression
que la lutte des hommes d'affaires contre votre détermination à
renforcer la Nation et à construire un Etat, est rentré dans une
phase déterminante.»406(*)
Nous pouvons relever deux principales causes qui expliquent
l'absence de la coopération avec le secteur privé et qui se sont
aggravées avec le dédain du président Chéhab pour
l'oligarchie commerciale et financière :
- D'une part, une méfiance agressive du secteur
privé vis-à-vis de l'intervention de l'Etat dans
l'économie nationale, concluant de façon hâtive que cette
intervention met en danger le libéralisme économique. De plus,
les milieux libéraux ont affiché des réserves envers
l'importation d'études dans le domaine de la planification, et envers
les politiques sociales pour la redistribution de la richesse.
- D'autre part, le refus des experts de la planification de
coopérer avec un secteur privé dont le seul et l'unique but est
le profit maximal.
Malgré les efforts accomplis sous le mandat
Chéhab pour réduire les effets néfastes du
libéralisme économique sur le plan de la répartition de la
richesse et de la justice sociale, les mesures prises dans ce cadre furent loin
de mettre fin à cette défaillance dans le régime libanais,
d'autant plus que l'ampleur des inégalités n'a pas tardé
à révéler sa dimension communautaire. En effet,
« le déséquilibre de la croissance économique
libanaise se répercute sur la structure sociale du pays, et les
inégalités dénoncées par le rapport de l'IRFED ne
font que croître en l'absence d'une politique de redistribution des
ressources de l'Etat et de protection des salaries.»407(*)
Toufic Gaspard rappelle que : « le pouvoir
politique n'est pas intervenu de façon significative et suffisante pour
réglementer le marché. En réalité, nous pouvons
considérer dit-il que la modernisation des infrastructures
économiques et des institutions sous le mandat Chéhab ont
crée un espace plus favorable au fonctionnement de l'économie de
marché.»408(*) Et affirme que « tous les gouvernements
libanais ont fidèlement appliqué les principes du
libéralisme économique et l'économie de marché
à savoir la libre circulation de la main d'oeuvre et des
capitaux.»409(*)
Kamal Dib précise lui que « même en
1970, les mouhazats périphériques sont restés noyés
dans leur régime traditionnel et sous-développés dans les
domaines économiques, éducatifs et sanitaires.»410(*) Il n'en demeure pas moins
que d'une manière générale, « les diverses
communautés sont inégalement intégrées au mode de
production de l'économie moderne et donc inégalement
représentées dans les diverses classes liées à ce
mode de production.»411(*)
2,5- Un projet incapable de s'imposer à long
terme : la chute de Nasser et l'irruption de la Résistance
palestinienne
La chute de Nasser en 1967, et sa défaite contre
Israël ont fait vaciller le support arabe du chéhabisme et du Pacte
National de1943. La disparition de l'ombre de Nasser qui consacrait le statu
quo dans le monde arabe a fait sombrer le Moyen-Orient dans ses querelles
historiques et intestines.
De plus, l'irruption de la Résistance palestinien
représentait un double défi pour le Liban par sa
présence au sein même du pays et surtout après 1970,
après avoir été chassé de Jordanie et par
l'attraction que les palestiniens représentaient pour la gauche
libanaise qui sortait à peine du nassérisme. C'est ainsi que le
nationalisme arabe libanais se teinta de marxisme, second défi dans le
cadre d'un Liban démocratique.
La gauche libanaise et les palestiniens ont travaillé
la base, la masse musulmane libanaise, pour les retourner contre leurs leaders.
Après 1958, le système électoral libanais était
construit de telle manière que ne pouvaient être élus que
ceux qui avaient les moyens : c'est-à-dire l'argent et la
clientèle. Une fois élus, les leaders musulmans se sentaient
obligés d'aller dans ce sens, ne fût-ce que pour justifier leur
élection.
Les Etats arabes entrent en guerre le 15 mai 1948, à la
proclamation de l'Etat d'Israël. Tout le monde pénètre en
Palestine pour la libérer et battre les Israéliens. Après
les défaites, ils signent des armistices et se donnent ainsi un temps de
réflexion. Mais ce temps de réflexion est rempli par un vide et
la poursuite des querelles intestines interarabes. Les arabes ont signés
l'armistice en attendant « de régler le sort de la
Palestine. » L'armistice n'était en effet qu'un arrêt
des hostilités en attendant le règlement de la question
palestinienne. Or, non seulement aucun règlement n'avait lieu, mais on
n'essayait même pas de s'occuper des réfugiés
entassés dans des camps miséreux, et complètement
marginalisés.
A partir de 1967, le conflit arabo-palestinien élut le
Liban comme champs de bataille, les partis et mouvements politiques, allant de
l'extrême droite chrétienne à l'extrême gauche
s'entendirent , tout en se combattant entre eux contre les chéhabistes,
et plus précisément contre l'autorité du
« Deuxième Bureau ».
Certes, les réformes et les réalisations
administratives et sociales que le chéhabisme apporta, ont
demeuré, mais sa stratégie, en vue de bâtir un État
moderne et une nouvelle conception de l'unité nationale fut
interrompue.
Les Accords du Caire de novembre 1969, en consacrant
l'extraterritorialité des camps palestiniens et la
légitimité de l'action guerrière de la Résistance
palestinienne contre Israël depuis le Sud Liban, devaient
précipiter la décomposition de la scène politique
libanaise au point que l'intérieur de sa scène et
l'extérieur des scènes régionale et mondiale devaient
désormais se confondre toute frontière estompée. C'est
ainsi que s'est constitué, par exemple, le « Fath
land » : un « territoire palestinien »
établi au sein du « territoire » libanais, avec
le consentement d'une bonne partie de la population libanaise. Le Liban perdit
alors tout semblant de souveraineté et s'ouvrit définitivement
aux grands vents des turbulences de la géopolitique.
Chapitre II :
Une seconde tentative de modernisation
avortée.
Section É
L'Accord de Taëf et le chéhabisme
1,1 - la croissance équilibrée et la
reconstruction des institutions étatiques.
L'accord de Taëf, autrement dit document d'entente
nationale, adopté par les députés libanais réunis
en Arabie saoudite en 1989, consiste une version remaniée de
l'avant-projet présenté par le Haut comité arabe
tripartite.412(*) Les
principales réformes introduites par l'accord de Taëf
comprennent : - la décentralisation de l'administration, -
le renforcement de l'indépendance de la justice, - la formation
d'un comité national chargé d'étudier et de proposer les
moyens permettant de supprimer le confessionnalisme, - la promulgation
d'une nouvelle loi électorale dans laquelle les circonscriptions
électorales correspondent aux mohafazats.
Ainsi, à travers les modifications constitutionnelles
introduites par l'accord de Taëf, nous montrerons les points qui
reflètent une vision
politique « chéhabiste » et/ou qui se basent
sur la philosophie nationale du chéhabisme. Si ces points n'ont pas
été directement puisés dans la philosophie du
chéhabisme, au moins elles ont été appliquées par
le chéhabisme en tant que praxis politique.
L'alinéa (b) du préambule (ce
préambule a été ajouté par la loi constitutionnelle
du 21/9/1991) stipule que « Le Liban est arabe dans
son identité et son appartenance ». Le président
Chéhab comme nous l'avons mentionné auparavant pratiqua une
politique étrangère pro-arabe suivant les règles de la
neutralité positive, sans pour autant déroger aux relations
historiques du Liban avec l'Occident.
L'alinéa (g) du Préambule de la Constitution
évoque clairement un des fondements principaux du chéhabisme et
c'est peut-être là que se manifeste directement la philosophie du
chéhabisme. Il est dit dans cet alinéa : « Le
développement équilibré des régions,
culturellement, socialement et économiquement constitue une
assise fondamentale de l'unité de l'Etat et de la stabilité
du système. » Cette affirmation est centrale dans la mesure
où l'accord de Taëf avait comme dessein d'être la nouvelle
base de reconstruction et d'unification des pièces
éclatées d'un pays détruit et meurtri par quinze
années de guerre civile. A savoir que la crise de 1958 et les
événements de 1974 ont pour raisons principales le
dénivellement des conditions des régions rattachées au
Grand-Liban. L'attachement des habitants de ces régions à la
souveraineté de leur pays était d'autant plus précaire
qu'ils jouissaient moins des biens de la nouvelle République. La vision
et la philosophie chéhabistes concernant la construction de l'Etat et le
renforcement de la Nation ont été avec l'accord de Taëf
transformé en doctrine politique nationale.
En effet, le Préambule engage le pays dans un projet de
développement régional dans le cadre de l'unité du
territoire, en refusant tout morcellement ou toute partition du pays. Cette
unité ne peut être reconstruite que par le développement
harmonisé et équilibré. L'unité d'un pays n'existe
que par rapport à des éléments objectifs qui
l'instaurent.
Ainsi, l'accord de Taëf appelle dans l'alinéa (g)
du Préambule à instaurer une « communauté
économique » entre les différentes régions du
Liban. Si les clivages confessionnels et régionaux ont constitué
et constituent toujours un terrain favorable aux troubles politiques et
sociaux, «le développement équilibré des
régions, culturellement, socialement et
économiquement » pourrait être un facteur de
stabilisation et d'intégration. Ceci est une autre manifestation de la
philosophie du chéhabisme qui considère que les clivages
confessionnels deviennent source de conflits lorsqu'ils sont alimentés
par les frustrations sociales, l'absence de la culture et le
sous-développement économique. En effet l'alinéa
(c) affirme que « Le Liban est une république
démocratique, parlementaire, fondée sur le respect des
libertés publiques et en premier lieu liberté d'opinion et de
conscience, sur la justice sociale413(*) et l'égalité dans les droits et
obligations entre tous les citoyens sans distinction ni
préférence. » La justice sociale a toujours
été le but primordial du chéhabisme, la fin visée
du développement harmonisé et des réformes sociales.
Cependant, ces affirmations se heurtent au problème
concernant la « juridicité » de ce préambule.
Le fait que de nombreuses formulations reste des principes philosophiques et
théoriques, dépourvus d'efficacité nous amène
à nous interroger sur sa valeur constitutionnelle. Actuellement, ce
problème reste posé malgré la mise en place d'un Conseil
Constitutionnel.414(*)
Malgré ce problème, le préambule conserve
toujours un sens et une portée politique, il comporte un ensemble de
représentations destinées à imprégner les esprits
de la croyance en la légitimité, la nécessité et le
bien-fondé de l'Etat libanais.
Il s'agit dans le préambule de la Constitution
libanaise modifiée suite aux réformes inscrites
dans l'Accord de produire l'image d'une société unie
où les diversités et les particularismes seront
dépassés, transcendés et intégrés au
pouvoir. Ce dernier en se prévalant de l'idée de la
« partie définitive », devrait être au service
de la collectivité toute entière. Le discours intégrateur
du Préambule veut affirmer la cohésion et effacer les traces des
polémiques et des divisions internes, en adoptant un ton tenace et ferme
au sujet de la nécessité de faire prévaloir
l'intérêt général. « Matrice de tous les
discours de légitimations des formes instituées
l'idéologie de l'intérêt général, (le
préambule) se présente comme une construction imaginaire,
indispensable à l'exercice de tout pouvoir.»415(*)
Quant à l'équilibre confessionnel introduit par
le chéhabisme dans les postes administratifs, il a été
élargi pour toucher la représentation politique à la
chambre des députés à travers l'article 24416(*) de la Constitution qui
stipule que les sièges parlementaires à titre transitoire seront
répartis « à égalité entre
chrétiens et musulmans.»
D'un autre côté, l'accord de Taëf a ouvert
la voie à une modernisation du système politique libanais, par le
biais du déclenchement du processus de déconfessionnalisation.
L'alinéa (h) du préambule
considère la suppression du confessionnalisme politique
comme « un but national ». Ici, l'accord de Taëf
dépasse le chéhabisme. Puisque, ce dernier a oeuvré pour
l'équilibre confessionnel en vue de son dépassement sans pour
autant le manifester alors que l'article 95 de la Constitution décrit
une stratégie de déconfessionnalisation417(*) « par
étapes.»
1,2 - la mise en pratique de Taëf et sa
retombée sur la modernisation de l'Etat
Ceci est dans les textes. Si la vérification de
l'efficacité des textes est dans la pratique, l'accord de Taëf est
loin d'avoir été pratiqué de manière
intégrale et fidèle. Pour cette raison, il est très
difficile d'évaluer les réformes introduites dans la
Constitution ; à moins que certaines réformes portent en
elle-même les germes de leur échec.
Si l'accord de Taëf a adopté de façon plus
élaborée la vision nationale et la philosophie du
chéhabisme, sa mise en pratique et son application ont trahi la
stratégie de reconstruction et de développement mentionnée
dans ses textes, notamment le développement équilibré
entre les régions.
Tous les gouvernements post-Taëf ou presque, ont
balayé l'expérience modernisatrice du chéhabisme et on
opté pour le système économique et la philosophie
politique qui furent appliquées après les années de
l'Indépendance et avant la guerre de 1975, en refusant « de
prendre acte que la morphologie économique du Moyen-Orient a
profondément changé. »418(*) Le but fut « un
retour déguisé à la vieille idéologie
économique du Liban « Monte Carlo » de la
bourgeoisie chrétienne traditionnelle commerçante,
idéologie inscrite dans le contexte plus large des critères du
« libanisme».419(*) C'est-à-dire le retour aux
mérites injustifiés du libéralisme économique.
Dans son livre publié en 2005 et intitulé :
« l'économie politique du Liban 1948-2002, dans les limites du
libéralisme économique » que nous avons
déjà mentionné, Toufic Gaspard analyse le fonctionnement
du libéralisme économique au Liban « en période
de paix » comme « en période de troubles »
et montre clairement que malgré la présence de conditions
idéales pour l'épanouissement du libéralisme
économique, ce dernier n'a pas été à la hauteur du
développement souhaité. Il en tire que « le
libéralisme économique ne peut produire du développement
lorsqu'il fonctionne dans un espace de corruption et d'institutions politiques
sous-développées. »420(*)
D'après ce qui a été
mentionné nous pouvons donner une image schématique et
générale des conceptions divergentes du système
économique et politique du Liban et de la vision de l'Etat entre le
chéhabisme et l'idéologie dominante. Par idéologie
dominante, nous entendons l'idéologie qui est soutenue,
appliquée, réellement par le pouvoir politique et qui ne peut
être contestée par les autres :
Les principes du chéhabisme
|
Les principes de « l'idéologie
dominante »
|
· Le développement équilibré et
harmonisé entre les régions.
|
· Le développement axé sur la capitale
Beyrouth
|
· Etat-Nation
|
· Ville-Etat
|
· La République humaniste
|
· La République marchande
|
· L'Etat régulateur et entrepreneur
|
· L'absence de l'Etat et le libéralisme
économique
|
· L'équilibre confessionnel
|
· La marginalisation
|
· La souveraineté
|
· L'occupation
|
Si dans les textes l'accord de Taëf constitue en quelque
sorte un dépassement du chéhabisme, et une stratégie de
modernisation plus élaborée, ils se neutralisent par
l'éclatement de la centralité du pouvoir et de l'autorité,
sources et moteurs de tout projet de modernisation et de réformes
politiques.
Ainsi, l'accord de Taëf consacre la formule communautaire
mais cette fois-ci sous une forme écrite et le Préambule est une
autre version de la démocratie consensuelle car il consiste à
créer l'équilibre communautaire. Cette opération est une
alternative jugée nécessaire à la sauvegarde d'une forme
de cohésion nationale et à la légitimation de
l'institution de nouvelles forces politiques sur la scène interne au
Liban.
Avec l'accord de Taëf, le pouvoir se caractérise
à la fois par l'absence d'une autorité supérieure et par
le refus d'une prééminence communautaire : le pouvoir
exécutif est diffusé entre les trois Présidences et plus
encore à l'intérieur du Conseil des ministres. (Article
17 : Le pouvoir exécutif est confié au
Conseil des ministres qui l'exerce conformément aux dispositions de la
présente Constitution.) Le conseil des ministres a été
incapable en tant que collège de devenir un organe d'élaboration
de politiques ou même de prises de décisions. Ses fonctions ont
souvent été assumées en pratique par une troïka
non-constitutionnelle formée des trois Présidents.
Par la philosophie même qui le sous-tend, ce triumvirat,
loin de débloquer l'impasse du centre décisionnel, consacre cette
impasse par la multiplication du centre, ce qui sur le plan fonctionnel abouti
à substituer à la dynamique de l'institution le poids inerte de
rouages prétendument régulateurs. Aucun groupe n'est plus en
mesure de s'imposer aux autres, sous peine d'éclatement de la structure
collective, mais aucune autorité libanaise n'est plus, non plus, en
mesure de réguler la compétition. En dépouillant la
Présidence de la République de l'essentiel de ses pouvoirs, le
pouvoir a été
« disséminé » et en quelque sorte
« éclaté » au sein du conseil des ministres.
Est-il possible de construire une politique de réforme
et d'élaborer une stratégie de construction avec un pouvoir
« éclaté » et une autorité
« neutralisée. » ? Albert Mansour qui a
participé aux discussions de l'accord de Taëf écrit :
« Toutes les décisions importantes et fondamentales étaient
prises en dehors du Conseil des ministres et lui étaient soumises
ultérieurement pour ratification. En fait, les décisions
n'étaient pas uniquement prises en dehors du Conseil des ministres, mais
à sa place421(*). » Sur un autre plan, Nawaf Salam voit
que : « dans le cas du Liban, le danger est que le
modèle de Taëf qui était censé neutraliser les force
centrifuges de la société pourrait avoir mis le Liban sur
« une pente à sens unique » entraînant un
système auto-alimenté «d'appétits
confessionnels422(*)». Enfin, Georges Corm constate que
« La ÉÉe République, loin
d'établir l'« entente nationale » et le
fonctionnement de la démocratie, va ressembler à une
véritable république bananière, mise sous serre par un
puissant voisin et protecteur, la Syrie, avec le plein assentiment des
nouvelles forces sociales sorties gagnantes de la guerre423(*). »
Sur la part de responsabilité des différents
protagonistes qui ont gouverné la scène politique libanaise
après l'accord de Taëf, Kamal Dib écrit que :
« le projet du premier ministre Rafic Hariri n'a été
sujet à aucune opposition susceptible de lui faire face, ni de Elias
Heraoui, ni de Walid Joumblatt ou de Nabih Berri ou du
« Hezbollah424(*) », ni de Damas ou des pays arabes, ni de
la Communauté Européenne ou des Etats-Unis. Ils ont tous à
titre personnel ou pluriel et à des degrés différents
tiré profits politiquement et financièrement de ce projet. (...)
Hariri était incapable d'imposer un autre, même s'il le voulait,
parce que ce projet était en harmonie avec les ambitions et les
objectifs des seigneurs de la guerre et des marchants du temple, avec la vision
de l'Arabie Saoudite, de la France et du système économique
mondial du début du 21éme siècle425(*). »
A ce sujet, Georges Corm critiquant la politique
économique post-Taëf constate qu' : « On se
prévaut alors de l'évolution économique internationale, de
la réduction partout dans le monde du rôle des Etats, des grandes
vagues de privatisations, etc., tout en oubliant de dire que,
déjà, l'Etat libanais, en dépit des réformes dues
à la reconstruction de type chéhabiste entre 1958 et 1964,
souffrait non pas d'un excès d'intervention dans l'économie, en
particulier dans le domaine social, mais plutôt de son effacement. Le
rappel des politiques internationales de réduction du rôle de
l'Etat dans l'économie est fort peu approprié au cas du Liban,
où jamais le secteur public n'a pris l'importance qu'il a pu
acquérir dans les pays industrialisés occidentaux ou dans les
pays du tiers monde à économie dirigiste426(*). »
Section ÉÉ :
La persistance de la disparité
socio-économique
2,1- Un contexte social difficile
Comme nous l'avons souligné, l'accord de Taëf a
porté une dimension socio-économique, afin de s'attaquer au
problème de la disparité et de doter le système d'une
nouvelle approche lui permettant de maintenir la stabilité non pas
seulement au niveau politique mais aussi au niveau social.
Cet accord a tenté de réconcilier le trait
libéral de l'économie libanaise et l'exigence d'un
développement équilibré entre les régions sur le
plan culturel, social et économique. II s'agit d'une évolution
politique considérable qui prête une attention particulière
à la dimension socio-économique et à son importance dans
le maintien de la société libanaise. Cependant, la
première expérience de la deuxième République
indique que les orientations ultra-libérales n'ont jamais pris en
considération les exigences prévues par l'accord de Taëf.
Les études réalisées en 1998 par le
Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en
coopération avec le ministère des Affaires sociales, qui classent
les régions libanaises selon leur «degré de
pauvreté», ont révélé des
inégalités redoutables entre les régions surtout en ce qui
concerne l'infrastructure principale, le niveau de revenu des ménages et
le degré de satisfaction des principaux besoins.
Par conséquent, les libanais se trouvent aujourd'hui
dans un contexte social difficile qui ressemble à celui qui
régnait dans la première République. Ce qui reflète
de façon claire l'absence d'une orientation sociale cohérente de
la part de l'Etat qui permet d'alimenter le phénomène de
l'exclusion qui s'élargit notamment dans les régions
périphériques et qui pourrait plus tard aplanir le chemin devant
une éventuelle explosion sociale. En effet, Kamal Hamdan
constate que « les obstacles qui ont freiné la croissance
dans la période d'après-guerre, ne se réduisent pas
uniquement à la faiblesse de l'impact économique des
dépenses de reconstruction. Ces obstacles tenaient d'avantage à
l'incohérence des objectifs macro-économiques affichés par
les gouvernements successifs427(*). »
« Aucune vision globale, aucun plan d'ensemble se
rapportant à la question sociale, n'ont été
élaborés ou mis en cours. La classe politique s'est
montrée, de par structure, incapable ou non disposée à
aborder cette question dans sa dimension globale, dépassant les
intérêts étroits du type communautaire, régional,
familial ou clientéliste. En fait l'idée largement
répandue au sein de l'«establishment » politique, est
toujours la même, à savoir que la solution des problèmes
sociaux est le sous-produit pur et simple de la croissance428(*). »
Ce graphe429(*) montre le déséquilibre existant entre
les dépenses et le revenu mensuel selon les régions (en milliers
de L.L.) en 1997. La plupart des ménages libanais ont un
déséquilibre dans leurs budgets. Le pourcentage des aliments dans
les dépenses des ménages est de 34% et le logement 15 %, et
l'éducation et la santé 22 % de la totalité des
dépenses des ménages. Ces taux de dépenses sur les besoins
reflètent la grandeur des contraintes de vie imposée aux
ménages libanais.
Le tableau430(*) suivant montre l'évolution de l'indice du
salaire minimum et de l'indice de la part de l'individu des taxes indirectes
prenant l'année 1992 comme base.
On remarque la croissance rapide de l'indice des taxes
indirectes comparée à celui de l'indice du salaire minimum. Ceci
montre l'effet négatif des politiques financières adoptées
dans la période d'après guerre sur la vie des ménages
à revenu minime. Et les augmentations annuelles du seuil minimal
officiel des salaires sont restés inférieures du taux des
corrections introduites sur les prix des services publiques
2,2-La concentration des activités
économiques au centre de la fracture centre-périphérie.
Il est évident que l'évolution de
l'économie libanaise s'est toujours distinguée par un
développement inégal ayant fait de Beyrouth et du Mont-Liban deux
pôles considérables. Certains économistes libanais ont
tenté d'expliquer ce phénomène d'après le
rôle historique de Beyrouth comme une zone-relais des échanges
entre l'Europe et le marché proche-oriental,431(*) et à travers le
développement économique avancé du Mont-Liban432(*). Par conséquent, le
rôle joué par Beyrouth et le Mont-Liban dans le marché
régional et les échanges avec l'Europe impliquerait la
concentration des infrastructures primordiales et des établissements
publics dans ces deux pôles, conditionnant ainsi l'organisation de
l'économie libanaise et jouant sur le développement et la
croissance de la plupart des activités économiques433(*).
En effet, l'agglomération de Beyrouth et du Mont-Liban
a regroupé 80% des établissements publics, 72% des
entreprises gérant le commerce et 80% des entreprises
industrielles, alors que 60% des hôtels étaient concentrés
au Mont-Liban434(*). Si
le rôle joué par Beyrouth et le développement
prématuré du Mont-Liban ont été à l'origine
de leur évolution considérable, le sous-développement des
différentes régions Libanaises a été
considéré comme le produit d'un système qui ne cesse de
nourrir la fracture centre-périphérie. Dés lors, un lien
est établi entre le conflit au Liban et les structures
économiques caractérisées d'un côté par une
forte concentration au centre et, de l'autre, par des marques
confessionnelles.
On constate qu'après la mise en application de l'accord
de Taëf, aucune répartition des activités économiques
n'a vu le jour. Tous les indices nous montrent que les structures
économiques considérables demeurent localisées au centre
et bénéficient toujours d'une part notable de l'ensemble des
dépenses publiques effectuées dans le cadre de la politique de la
reconstruction du pays.
La répartition des salariés libanais dans les
secteurs économiques reflète la concentration des
activités économiques et le déséquilibre entre les
secteurs de l'économie nationale. Il s'agit d'un
déséquilibre structural qui accentue l'évolution d'une
économie marchande où les secteurs du commerce et des services
abritent environ 64% de la population active estimée en 1997 à 1
362 000 personnes435(*).
Il semble que la montée de l'hégémonie de
la bourgeoisie commerciale et intermédiaire qui croît avec la
concentration des activités économiques dans le centre pousse
à reprendre la thèse de la dépendance : « le
sous-développement de la périphérie est le produit du
développement du centre»436(*). L'expérience du capitalisme montre
que l'inégalité est nécessaire à son
développement, mais il ne faut pas admettre que les niveaux
supérieurs des inégalités soient indispensables à
la prospérité de l'économie. Et si l'extension du
capitalisme dans les périphériques tend à accroître
les disparités, du fait que le niveau du travail ne
s'élève pas par rapport au degré de la
productivité437(*), son évolution implique également la
prise en considération des conditions de vie des citoyens. Ainsi, l'Etat
libanais est appelé à intervenir par de multiples moyens afin de
réduire les inégalités socio-économiques et d'aider
la recomposition de la classe moyenne.
Dans ce cadre, la classe politique de la deuxième
République n'a pas su construire des institutions capables de
maîtriser le marché ni d'établir des nouvelles
méthodes de gestion du social. L'Etat doit jouer un rôle
primordial dans la question de la justice sociale, dans la mesure où les
inégalités sociales pourraient menacer la cohésion sociale
notamment dans les sociétés multicommunautaires dans lesquelles
le phénomène de l'exclusion porte une dimension
politico-confessionnelle
Conclusion
Il est indéniable que la période appelée
« chéhabiste » et précisément le
mandat du président Fouad Chéhab fut une période
décisive dans la trajectoire historique du Liban-Etat. Le
Président a réalisé que le Liban ne peut progresser et se
développer en tant qu'Etat stable et souverain que s'il ne transcende
les causes de sa division interne qui le déchire, à savoir
l'injustice sociale dans sa dimension spatiale et populaire.
Toute la philosophie du chéhabisme était
tournée vers la création des conditions objectives et subjectives
qui permettent l'émergence du citoyen-individu. L'émergence du
« je », du subjectum, est le premier pas dans le
long cheminement de la modernité. Il en est le moyen et la fin.
Ainsi, le président Chéhab essaya de
développer et de moderniser les différents secteurs de
l'économie nationale, et en même temps d'encourager le secteur
privé à investir dans des domaines susceptibles de favoriser la
croissance économique à moyen et long terme.
De même, il réalisa que les clivages
confessionnels empêchent l'émergence d'une identité
nationale commune. Il essaya d'affaiblir les forces confessionnelles
extrémistes, et épaula de nouveaux courants et de nouvelles
forces politiques modérées, et a introduit de nouvelles figures
académiques et technocrates dans les milieux décisionnels.
Parallèlement, il tenait toujours un discours politiques
modéré et unificateur.
Tout ceci nécessite un changement dans la pratique
administrative et institutionnelle. Et c'est ce que le Président tenta
d'accomplir à travers la réforme et la rationalisation
administrative et la construction d'institutions modernes et efficaces.
Dans sa déclaration du 4 août 1970, le
président Chéhab expose les obstacles et les difficultés
qui ont barré la route à la modernisation du système
politique libanais. Voici le texte de la déclaration :
« Face aux pressions dont j'ai été l'objet
pour m'amener à poser ma candidature à la première
magistrature, j'ai estimé de mon devoir, avant de prendre une
décision définitive, de procéder à l'examen
approfondi des données de la conjoncture et de ses implications dans
tous les domaines. J'ai entrepris cela pour apprécier les
possibilités qui s'offrent à moi en vue de servir mon pays
confortement à ma conception personnelle du devoir et des
impératifs du devenir.
Me fondant sur l'expérience acquise dans l'exercice de
mes multiples responsabilités, notamment à la tête de
l'Etat; tenant compte de l'évolution politique, économique et
sociale; m'inspirant de ma conception propre de l'autorité et de la
mission de l'Etat, ainsi que du prestige qui doit s'y attacher, et me
conformant à ma méthode de travail et à ce que les
libanais attendent d'un homme qui a l'expérience du pouvoir, j'estime
que la situation se présente comme suit :
Les institutions politiques libanaises et les moeurs
traditionnelles de la vie publique ne me semblent pas constituer un instrument
adapté aux impératifs du redressement libanais tels que le
commande dans tous les domaines la décennie qui commence. Nos
institutions politiques sont, à beaucoup d'égards, en retard sur
les régimes politiques modernes, qui s'inspirent du souci d'assurer
l'efficacité de l'Etat.
Nos lois électorales répondent à des
données provisoires et passagères. Quant à notre
régime économique, les vices de son application favorisent le
développement des situations de monopole. Tout cela laisse peu de place
à une oeuvre sérieuse sur le plan national.
L'ambition d'une telle oeuvre est l'établissement d'une
démocratie parlementaire authentique et durable, la suppression des
monopoles, la garantie d'une vie digne et d'une existence meilleure pour les
libanais, dans le cadre d'une économie véritablement
libérale où sont assurés le travail et
l'égalité des chances, et où tout le monde pourra
bénéficier des bienfaits d'une démocratie
économique et sociale vraie.
Mais les nombreux contacts que j'ai établis et
l'analyse à laquelle j'ai procédé m'ont confirmé
dans ma conviction que le pays n'est pas encore prêt à admettre
ces solutions de fond que je ne saurai d'ailleurs envisager que dans le respect
de la l'égalité et des libertés fondamentales, auxquelles
j'ai toujours été attaché.
C'est pourquoi j'ai décidé que je ne serai pas
candidat à la présidence de la République : En
rendant publique cette décision, je remercie les députés,
les hommes politiques, les autorités et les citoyens qui m'ont
accordé leur confiance. Je leur souhaite de réussir au service du
Liban.»
Si les efforts entrepris par le chéhabisme pour
remédier aux carences du système politique libanais n'ont pas
aboutis, cela est dû aux « pas manqués » du
chéhabisme ; à des causes étrangères au Liban
lui-même, et à des tares introduites dans la structure de son
système politique.
En effet, l'échec du chéhabisme fut le
résultat de causes subjectives d'une part, et de causes objectives
d'autre part.
La défaite de 1967 a mené à
l'affaiblissement du nassérisme, qui était un puissant
allié du chéhabisme. L'entente avec Nasser a assuré au
chéhabisme une assise de stabilisation sociale et politique.
L'opposition et les forces nasséristes qui avait bouleversé le
mandat du président Chamoun avaient été
intégrées et encadrées par le chéhabisme.
Parallèlement à l'affaiblissement de Nasser, le
Moyen-Orient assistait à la montée en puissance de la
Résistance palestinienne. Ainsi, avec l'affaiblissement de Nasser et
l'émergence de la Résistance palestinienne, l'équilibre
politique au Liban commença à montrer des symptômes de
déstabilisation.
Les chrétiens se sentaient menacés par la
montée de la Résistance palestinienne et sentaient que le Liban
allait payer le prix d'une guerre à laquelle ils n'ont pas
assisté et que les arabes ont perdu. Suite aux changements intervenus
dans l'opinion publique chrétienne, Pierre El Gemayel s'allia avec les
deux opposants chrétiens les plus farouches du chéhabisme
à savoir Raymond Eddé et Camille Chamoun et
formèrent l'Alliance Tripartite.
Quant à Kamal Joumblatt qui avait
énormément bénéficié du règne des
chéhabistes, se transforma d'un allié puissant des
chéhabistes en un allié de la Résistance palestinienne.
Par le fait, le chéhabisme perdit deux puissants
alliés qui lui ont assuré un équilibre confessionnel,
politique et social sur une dizaine d'années. L'édifice
chéhabiste est devenu fragile face aux transformations régionales
qui allaient subvenir, d'autant plus que les sentiments confessionnels
s'exacerbaient de plus en plus.
Le Deuxième Bureau dont l'unité et la force
étaient assurées par Fouad Chéhab d'un côté
et par l'équilibre politique a perdu la protection et la couverture
confessionnelle et politique avec le ralliement de Pierre El- Gemayel à
l'alliance Tripartite et Kamal Joumblatt à la résistance
palestinienne. Les officiers du Deuxième Bureau ne se
protégeaient pas par « leurs muscles », mais par
l'armée et les hommes politiques chéhabistes tels : Sabri
Hamadé, Rachid Karamé, René Mouais, Kamal Joumblatt,
Pierre El-Gemayel qui leur assuraient une couverture politique. Cette
couverture a été retirée, ainsi, les officiers se sont
retrouvaient face à eux-mêmes et face à leurs
exagérations et dérives autoritaires.
L'Union Soviétique a exercé des pressions sur
Kamal Joumblatt pour empêcher le candidat chéhabiste de gagner les
élections présidentielles en estimant que l'élection
d'Elias Sarkis serait un facteur de renforcement du Deuxième Bureau et
de l'Armée et seraient par la suite capables de contrôler la
Résistance palestinienne et les partis de gauche, « le levain
de la Révolution arabe ». Ainsi, après deux ans du
mandat Frangié, les chéhabistes devinrent minoritaires dans
l'armée et l'administration publique, et les élections de 1972
sont venues pour diminuer le nombre des députés
chéhabistes.
Ces transformations dans la situation régionale et dans
les alliances entre les forces politiques libanaises qui ont transformé
l'espace et les conditions de survie du chéhabisme s'ajoutèrent
à ses propres limites :
- Le président Chéhab abandonna
« l'éventail » en pleine mer en refusant de
continuer lui-même ce qu'il avait commencé. Après tout, il
était un homme régulateur de conflits capable de résoudre
les crises politiques et d'amener les hommes politiques à
coopérer entre eux et avec lui, et non pas un révolutionnaire
décidé et ferme qui prendrait les risques nécessaires.
- Le chéhabisme avait cru que le développement
équilibré, la croissance économique, la redistribution de
la richesse nationale et la justice sociale suffiraient pour entamer une
modernisation politique et créer une conscience nationale. Mais ce coup
d'Etat démocratique ne peut se faire qu'à travers une nouvelle
loi électorale qui brise le monopole de la ploutocratie libanaise qui se
montrait hostile aux véritables mesures de modernisation.
- Aucune mesure ne fut prise pour absorber et introduire les
nouvelles forces sociales dans le système politique en vue de favoriser
et de générer du développement politique. Il est apparu
qu'il est plus aisé de générer du changement que de
l'absorber et de le contenir.
- L'écart entre la parole et la pratique est largement
perceptible car peu de ce qui pouvait être fait a été
réalisé.
- Lorsque les officiers du Deuxième Bureau perdirent la
couverture des hommes politiques, ils se trouvèrent face à
eux-mêmes et à leurs dérives ;
- Les chéhabistes n'ont pas pu ou voulu construire un
parti politique bien structuré, par le fait le chéhabisme s'est
essoufflé en ne bénéficiant pas d'un mouvement politique
structuré et d'une réforme constitutionnelle qui lui aurait
permis de dépasser le Pacte National.
- La plupart des hommes politiques libanais et des leaders
chéhabistes, à l'exception du président Chéhab ne
comprenaient et ne savaient pas comment réaliser le programme
chéhabiste ; les chéhabistes n'ont pas été
chéhabistes jusqu'au bout.
- Le temps n'a pas été suffisant pour introduire
des transformations réelles dans le système politique libanais et
pour que le projet chéhabiste passe à la maturité.
- L'appareil administratif n'a pas été apte
à assumer les tâches nouvelles qui lui incombaient.
- Les chéhabistes ont perdu le contrôle de la
présidence de la République qui était indispensable pour
la survie du chéhabisme.
A ces fissures dans la mise en pratique du chéhabisme
viennent se greffer les carences du système politique libanais qui
institutionnalise les clivages ; favorise et se nourrit du
clientélisme ; qui est atteint d'une crise de
l'autorité ; qui est dirigé par une ploutocratie ; et,
qui est figé dans une inertie « de rouille » qui
risque de le briser à chaque fois que l'on essaye de le
développer. En plus de ces carences, l'application des réformes
introduites dans les Accords de Taëf devront faire face à
l'éclatement de la centralité du pouvoir et de l'autorité,
sources et moteurs de tout projet de modernisation.
Il est nécessaire de préciser que tout projet de
modernisation politique au Liban est confronté après tout
à cette question cruciale soulevée par Georges Naccache au
début de l'expérience chéhabiste et qui relève d'un
certain pragmatisme aliénant : « C'est avec les
Libanais comme ils sont, avec les politiciens, valent ce qu'ils valent, c'est
avec eux et à travers eux qu'il faut faire un Etat libanais... avec
cette conscience amère de la nécessité, pour aboutir, de
passer à travers les hommes mêmes qui ont avili l'autorité
et dégradé le pouvoir.»
En effet, la modernisation au Liban est prisonnière
d'une crise sans horizons. Les décisions de la modernisation
souhaitée sont aux mains de ceux qui n'ont pas intérêt
à ce que le Liban pénètre dans la modernité. Cette
modernisation est synonyme de suicide politique pour la ploutocratie
gouvernante qui monopolise le pouvoir et par le fait la modernisation. Quant
à la société civile elle est assez dispersée et
faible. Ses composantes sont manifestement occupées et
préoccupées par des enjeux différents qui expliquent
l'absence de perspective.
Aucun moyen d'échapper à cette crise que par
l'éducation démocratique, par une prise de conscience populaire
et la création d'une opinion publique libanaise qui impose la
modernisation par la force. Et avec les interférences
étrangères dans les cercles des décisions politiques,
l'intérêt national a disparu et la cause libanaise dans la
construction d'un Etat moderne est perdue ou presque.
Annexe
1
Principales mesures de politique économique
1959-1963
Etudes et institutions
1959-1960
Etude sur les besoins et les possibilités de
développement du Liban.
Décret N0 155 du 12 Juin 1959
créant l'Office du Développement Social.
Décret du 12 Juin créant l'Office des
Fruits
Décret du 12 Juin créant le Conseil de la
monnaie et du crédit.
1961
Décret 7820 du 7 août créant
l'institut de Formation en vue du développement.
Etudes sur la sécurité sociale.
Création du conseil Exécutif des Grands
Projets.
1962
Loi du 12 Juin sur la réorganisation du
Ministère du Plan.
Schémas d'Actions Générales
(Novembre)
Transmission du projet de loi sur la Sécurité
Sociale au Parlement
Etudes sur projet de banque de développement.
1963
Dossier de base pour l'avant-projet de plan quinquennal de
développement.
Création du Conseil exécutif des Grands
Projets de la ville de Beyrouth.
Promulgation par décret de la loi sur la
sécurité Sociale.
Promulgation de code de la monnaie et du crédit
instituant la Banque centrale.
Equipes polyvalentes décret N0 12492 du 9
/ 4 / 63.
Conseil consultatif régional, décret. N0
12493 du 9 / 4 / 63.
Groupe technique régional, décret
N0 12417 du 2/ 4 / 63.
Grands Travaux
1959-1960
Six projets du Fonds Spécial des Nations Unies :
- Ecole des arts et des métiers
- Institut de la santé animale
- étude des eaux souterraines.
- éducation, formation et recherche
forestière.
- centre de sécurité de l'aviation civile.
- enquête pédologique.
Prison moderne
Foire de Tripoli
Programme d'infrastructure des 51 millions
1961
Programme des 84 millions pour les routes de
désenclavement.
Programme des 10 millions pour les silos du port de Beyrouth.
Programme d'infrastructure des 450 millions.
Programme des 60 millions pour l'extension du port de
Beyrouth.
Programme des 22 millions pour la cite gouvernementale.
Avance de 35 millions à l'Office
d'électricité.
1962
Programme d'infrastructure des 37 millions.
1963
Plan Vert
Nouvelle avance du Trésor de 85 millions l'Office National
du Litani.
La Bibliographie
Ouvrages généraux :
- ABDEL RAHMANE Aicha, La
personnalité musulmane, (en arabe) Publication de
l'Université Arabe de Beyrouth, 1972.
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développement du Liban, Etude Préliminaire, 2 vol, Beyrouth,
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Revues :
- International Political Science Review
- La Pensée
- L'Orient,
- Middle Eastern Studies
- Revue Française de Sciences Politique.
Journaux :
- Al-Anwar
- Al-Anbae'h
- Al-mustaqbal
- An-nahar
- Assafir
- Assayad
- Beyrouth-el-Massa
- Le Figaro
- l'Orient
- L'Orient-Le-Jour
* 1- Sur le concept de
l'« ennemi » et son importance capitale en politique,
Cf.Carl SCHMITT, La notion de Politique Trad. M.-L.Sreihauser.
Préface de J. Freund, Clamann-Lévy, Paris, 1972) ;
Théologie et Politique, Gallimard, 1988. Cf. aussi, Julien
FREUND, L'Essence du politique, Sirey, 1965 ; Qu'est-ce que
la politique ? Seuil, 1978. Pour ces auteurs, il ressort que la
politique a pour caractère spécifique d'opposer ami et ennemi.
C'est en cela, et en cela seulement qu'elle est politique, et se distingue de
toute autre forme d'activité humaine. Toutes les notions, vocables,
concepts vraiment politiques convergent vers un antagonisme concret, ils sont
liés à une situation concrète dont la logique ultime est
une configuration ami / ennemi. SCHMITT écrit : « La
distinction spécifique du politique, à laquelle peuvent se
ramener les actes et les mobiles politiques, c'est la discrimination de l'ami
et de l'ennemi. Elle fournit un principe d'identification qui a valeur de
critère, et non une définition exhaustive ou
compréhensive. » La notion de Politique, p. 66
* 2 - Georges CORM, Le Liban
contemporain, Histoire et Société, La Découverte,
Paris, p. 297 ( 312 pages)
* 3 - Antoine MESSARA, Le
modèle politique libanais et sa survie, essai sur la classification et
l'aménagement d'un système consociatif, Publications de
l'Université Libanaise, Beyrouth 1983, p. 223
* 4 - Max WEBER, L'Ethique
protestante et l'Esprit du capitalisme, trad. J.Chavy, Paris, 1964, p.23
* 5 -« En
dépit du fait, écrit Hamadi Redissi que la modernité a
revêtu plusieurs sens, elle a été assimilée à
un rite de passage: sur le plan religieux, du catholicisme au protestantisme
(Weber), ou de la religion historique à la « religion civile
» (Rousseau) ou à la « foi réfléchissante »
(Kant) ; philosophiquement, de la tutelle de la Tradition aux Lumières
de la raison naturelle; socialement, de la communauté
hiérarchique à la société d'individus libres et
égaux ; politiquement, de l'Etat autoritaire à l'Etat de droit
et, plus tard, à la démocratie; esthétiquement, de l'art
compromis avec les idées de bien et de vérité à
l'autonomie du beau; matériellement, de l'économie domestique et
agricole au capitalisme industriel; culturellement, de la paroisse à la
civilisation scientifique et technique planétaire. (...) En effet, que
l'on définisse la modernité fondatrice par l'époque ou
être de son temps est la valeur des valeurs, ou par la période qui
« puise sa normativité en elle-même »,
on situe la modernité dans cet esprit du temps porté par un
sujet en mesure de faire la triple distinction kantienne des sphères (la
nature, l'éthique et l'esthétique), ou à même de
reconstituer, comme le pensait Hegel, la totalité désunie. Mais,
dés lors que le culte de l'époque est transitoire, la
modernité se trouve constamment en décalage par rapport à
elle-même. ( ...) Soumise à examen, la modernité
fondatrice, celle de la supériorité des Modernes sur les Anciens,
telle qu'elle nous a été léguée, de la Renaissance
au XVÉÉÉe siècle, est aujourd'hui, en
crise. Des auteurs aussi différents que Jürgen Habermas, Manfred
Frank, Alain Touraine, Michel Foucault et les post-structuralistes l'ont
soumise à une critique qui s'est attaquée au principe de la
conscience de soi, ce sujet qui construit son rapport à lui-même,
à l'autre et au monde dans la transparence de la
subjectivité »
Hamadi REDISSI, L'exception islamique,
édition Seuil, Paris, 2004. pp.12-13 (236 pages)
* 6 - Jürgen HABERMAS,
Le discours philosophique de la modernité, trad. Christian
Bouchinhomme et Rainer Rochlitz, Gallimard, Paris, 1988, pp.2-3 (484 pages)
* 7 - Hamadi REDISSI,
L'exception islamique, op.cit. p. 13
* 8- Cf. Alain TOURAINE,
«Modernité et spécificités culturelles»,
Revue Internationale des sciences sociales, n0 118, nov.
1988, pp. 497-511.
* 9 - Hamadi REDISSI,
L'exception islamique, op.cit.p. 13
* 10 - Georges CORM,
« Géopolitique du conflit libanais »,
Editions la Découverte, Paris, 1987.
* 11 - Roger OWEN,
« The Political Economy of Grand Liban 1920-1970»,
In Essays on the crisis in lebanon, Ithaca Press, London, 1976, p.
30
* 12- Kamal SALIBI,
«Lebanon under Fouad Chéhab. 1958-1964», In Middle Eastern
Studies 2, n°3, 1966, p. 213
* 13 - Michael JOHNSON,
Class and client in Beirut : the Sunni-Muslim Community and The lebanese
State, 1940-1985 , Ithaca Press, London, 1986, Chap, 6
* 14 - Youssef SAYIGH,
« lebanon » In The Economics of the arab World :
Developpement since 1945, Croom Helm, London, 1978, p. 288.
* 15 - Youssef SAYIGH,
« lebanon » In The Economics of the arab World :
Developpement since 1945, Croom Helm, London, 1978 p. 258
* 16 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, cet inconnu ... op.cit. p. 143
* 17 - Charles RIZK, Le
régime politique libanais, LGDJ, Paris 1966.
* 18- Georges CORM, La
Méditerranée, espace de conflit, espace de rêve,
L'Harmattan, Paris 2001, pp. 227-228
* 19 - Nawaf KABBARA,
Shehabism in Lebanon 1958-1970 : The Failure of an Hegemonic Project,
Thèse de doctorat en sciences politiques, University of Essex,
England, 1988, pp 34-35 ( 331 pages)
* 20 - Antoine MESSARA,
Le modèle politique Libanais et sa survie, essai sur la
classification et l'aménagement d'un système consociatif,
Publications de l'Université Libanaise, Beyrouth 1983, p. 200
* 21 - David EASTON,
Analyse du système politique, trad., Albert Colin, Paris, 1974,
p.23
* 22 - Nahg en arabe
signifie « style», «méthode», «voie», par
allusion au style, à la méthode et à la ligne politique
poursuivie par le Président Chéhab.
* 23 - Jean-Baptiste DUROSELLE,
Tout empire périra, théorie des relations
internationales, Publications de la Sorbonne, Paris, 1981.
* 24 - Sur les millets Cf. B
BRAUDE et B LEWIS, Christians and Jews in the Ottoman Empire. The
Functioning of a Plural Society, 2 vol, New York, 1982.
* 25 - Henri LAURENS,
l'Orient arabe, l'Arabisme et islamisme de 1798 à1945, op.cit.
p. 29
* 26 - Georges CORM,
L'Europe et l'Orient.... op.cit. p. 50
* 27- Ghassan TUENI en
collaboration avec Jean LACOUTURE et Gérard D.KHOURY, «Un
siècle pour rien,.... op.cit. p. 35
* 28 -Les
débouchées maritimes ont assuré au Liban un rang
élevé sur la scène commerciale mondiale.
* 29 - La famine de 1915 a
révélé la précarité de la Montagne à
nourrir sa population.
* 30 - Henri LAURENS,
l'Orient arabe, l'Arabisme et islamisme de 1798 à 1945 ,
Armand Colin, coll. U, 2nde édition, Paris, 2002, p. 225.
(336 pages)
* 31- Ces statistiques sont
citées dans Massoud DAHER, Histoire sociale du Liban
1914-1926, (en arabe) Dar al-Farabi, Beyrouth, 1974), pp 55-56
* 32- Kamal SALIBI, Une
maison aux nombreuses demeures, l'identité Libanaise dans le creuset de
l'histoire, NAUFAL, Paris, 1989. p.190
* 33 - Georges CORM, Le
Liban contemporain, histoire et société .... op.cit.
p.59
* 34 -Cf. Albert HOURANI,
Ideologies of the Mountain and the City, in Roger OWEN (
dir.), Essays on the Crisis in lebanon, Ithaca Press, Londres, 1976
(89 pages )
* 35 - Jamil Beyhum
MOHAMMAD, Le Liban entre les partisans de l'Est et de l'Ouest. op.cit.
pp. 33-34
* 36- Michel CHIHA,
Politique intérieure, Publications de la fondation Chiha, Ed.
du Trident, Beyrouth, 1964, p. 14-16, (316 pages).
* 37 -Ralph E.CROWN, The
Lebanese Constitution, Beyrouth, 1960. ( préface)
* 38 - Michael HUDSON,
The Precarious Republic, Random House. New York 1968, p, 8-9. (364
pages)
* 39 - As-Sayad, 7
novembre 1974, N0 1572, p.21
* 40- Edmond RABBATH,
La formation historique du Liban politique et constitutionnel,
Beyrouth, publications de l'Université Libanaise, 1973, (589 pages)
* 41- Formée de 102
articles.
* 42- Dans un article
publié dans la revue Lebanon (N0 3, juin
1972, p.2), Jean Salem a souligné que « la Constitution de
1926 est essentiellement présentée comme un texte pragmatique
sans être beaucoup marqué par le caractère
idéologique ».
* 43 - Article 54 de la
Constitution.
* 44 - Editorialiste de
«l'Orient-le-Jour»à l'époque.
* 45 -
l'Orient-le-Jour du 17 août 1975.
* 46 -
l'Orient-le-Jour du 27 août 1975.
* 47 - Antoine AZAR, Les
institutions politiques Libanaises, Librairie générale de
droit et de jurisprudence, Paris, 1969, p. 162: « le président de
la République peut rendre exécutoire, par décret,
déjà pris sur l'avis conforme du conseil des ministres, tout
projet qui aura été déclaré préalablement
urgent par le gouvernement et sur lequel la Chambre n'aura pas statué
dans les quarante jours qui suivront sa transmission à
l'Assemblée ».
* 48 -Pierre ZIADE,
Histoire diplomatique de l'indépendance du Liban, Beyrouth,
1969, document n0 42 p.216 (320 pages). Voir la déclaration
ministérielle de Riad Solh devant le parlement le 8 octobre 1943. Voir
l'Article de Kamal Salibi dans « An Nahar » du 10 juin 1975,
n0 12504, p. 8
* 49 - Cette phrase est
empruntée à Lamartine.
* 50 - Cité par
Ghassan TUENI, dans Un siècle pour rien.....op.cit. pp.
155-156.
* 51 - La division de
l'armée Libanaise, en 1976, en «Armée du Liban» et
«Armée du Liban arabe» est significative.
* 52 - La crise de 1958 sera
analysée à la troisième partie de ce chapitre.
* 53 - Ahmed BAYDOUN,
L'identité des Libanais, In Fadia KIWAN (dir.), Le Liban
contemporain, CERMOC, éditions CNRS, Paris, 1994, pp. 13-30. (296
pages).
* 54- Voir à ce
propos, Aicha ABDEL RAHMANE, A-chakhsiya al-islamya (la
personnalité islamique), Publication de l'Université Arabe de
Beyrouth, 1972.
* 55 - Ahmed BAYDOUN,
L'identité des Libanais.... op.cit. pp. 13-30
* 56 - Cette expression est
empruntée à Robert Michels.
* 57- 6 et 6 bis sont les
numéros d'une double correspondance figurant en annexe du traité.
Dans cette correspondance, (suite) le président de la
République Libanaise, Emile Eddé s'engageait, à
l'égard de la puissance mandataire, à une répartition
égale des droits et des devoirs des communautés, à
l'unification et à la juste répartition de l'impôt
foncier, ainsi qu'à l'institution de la décentralisation
administrative.
* 58- Cette phrase est
empruntée à Georges CORM, Le Liban contemporain...
op.cit. p.102.
* 59 - Bassem EL-JISIR,
Misak 43, (le Pacte de 43), préface de Farid El khazen, Dar
Annahar, Beyrouth, 2nde édition, 1997 (la première
édition date de 1978), p. 452.
* 60 - Voir à ce
sujet, B.JODEH, Lebanon dynamics of conflit, Zed Books, 1985, 233
pages
* 61 -Georges NACCACHE,
L'Orient - 10 mai 1949, article reproduit dans Un rêve
libanais 1943-1972, un recueil regroupant les principaux articles de
Georges Naccache, éditions FMA 1983, pp.52-58. (La publication de cet
article sur trois colonnes à la une de
« L'Orient » a causé l'emprisonnement de
Georges Naccache ainsi que le rédacteur en chef de son journal, Kesrouan
Labaki.)
* 62 - Fouad CHEHAB,
Majmou'at khotab, ( Receuil de discours), Publications du Ministere
Libanais de l'Information, Beyrouth, s.d., pp.83-84.
* 63 - Bahige TABBARA,
Les forces actuelles au Liban, Université de Grenoble, 1954,
p.304, (331pages).
* 64 - Charles RIZK, Le
régime politique libanais, préface de Maurice Duverger,
L.G.D.J, Paris, 1966, p. 32, (170 pages)
* 65- Jacques NANTET,
Histoire du Liban, Préface de François Mauriac, Ed. de
Minuit, 1963, p.257 (358 pages)
* 66 - Hudson a repris la
typologie d'Edward Shils dans «Political development in the new
States» (1959 mimeo). ( suite) Shils avait distingué cinq
formes de gouvernements politiques: la démocratie politique classique,
la démocratie tutélaire, l'oligarchie traditionnelle,
l'oligarchie moderne et l'oligarchie totalitaire.
* 67 -«La
République libanaise est le pays le plus exceptionnel et le plus
insolite dans le monde» Hudson op.cit. p. 3.
* 68- H. et P. WILLEMART,
Dossier du Moyen-Orient Arabe , Marabout Université,
Verviers, 1969, p.187. (350 pages)
* 69 - Michel CHIHA,
Politique intérieure, Publications de la fondation Chiha,
Beyrouth, 1964, p. 234, (316 pages).
* 70 - Michael HUDSON,
The precarious Republic, op.cit.
* 71 - Pierre RONDOT,
Les communautés dans l'Etat libanais, les cahiers de
l'association France nouveau Liban n04, Ed. du Pylone, FABAG-
1er trimestre 1979, p. 7. ( 75 pages)
* 72- Idem.
* 73 - Pierre RONDOT,
Les communautés dans l'Etat libanais.... op.cit. p. 44
* 74- Pierre RONDOT, Les
institutions politiques du Liban , publications de l'institut
d'Etudes de l'Orient Contemporain, Paris, 1947.
* 75- Henri LAMMENS, La
Syrie, précis historique, publiée par la presse catholique
de Beyrouth, 1921.
* 76 - Kamal SALIBI, Une
maison aux nombreuses demeures ...... op.cit. p.170
* 77 - Idem.
* 78 - « La
réalité du Liban politique» Ed. Dar An-Nahar, 1976, p.9
* 79 - Adel ISMAIL,
History of a people, Beyrouth, 1972, p.164. ( 244 pages).
* 80 - Négib DAHDAH,
Evolution historiques du Liban, Mexico, Ed. Oasis 1964, pp. 207 et
320-325.
* 81 - Fernand L'HUILLIER,
Le Moyen-Orient contemporain (1945-1958), Marabout Université,
Verviers, 1969 p. 187 ( 350 pages)
* 82 - Michel CHIHA,
Politique intérieure ...... op.cit. p 261.
* 83 - An-Nahar, 15
janvier 1973. p.1
* 84 - Elizabeth PICARD,
Liban, Etat de dsicorde, Des fondations aux guerres fratricide,
Paris, Flammarion, 1988. p.29. ( 264 pages).
* 85 - Georges CORM, Le
Liban contemporain, histoire et société ... op.cit.
p. 60
* 86 - Joseph ABOUJAOUDE,
Les partis politiques, Bibliothèque de l'Université
Saint-Esprit, Kaslik, 1985, p.4 (445 pages)
* 87- Pierre RONDOT,
Destin du Moyen-Orient, Ed. du Centurion, Collection « Le
Poids du Jour », Paris, 1959, p. 25.
* 88 - Joseph MOUGHAIZEL,
Le Liban et la cause arabe (en arabe), Beyrouth, 1959, p. 68
* 89- R. Hrair DEKMEJIAN,
Patterns of political leadership, Lebanon, Israel,Egypt, State
University of New York Press, Albany, New York, 1975.
* 90- Yves SCHEMEIL,
« Les élites politiques au
Proche-Orient » In Revue Française de
Sciences Politique. n03, 1978, p. 555
* 91- le Liban connaît
à l'époque actuelle une épidémie de partis
politiques crées et dominés par des personnalités
politiques voulant donner à leur action politique un vernis de
modernité.
* 92- «Le Liban au
tournant », Institut de recherches et de formation en vue de
développement, Beyrouth, 1963.
* 93-
Al-Anwar - 4 avril 1975.
* 94- Joseph BITAR,
Armée de métier et service militaire au Liban,
Imprimerie Catholique, Beyrouth, 1973, p. 35 (96 pages).
* 95 - L'Orient, -
« les faits du jour », 13 septembre 1964,
N01179, p.1
* 96 - L'Orient, du
24 septembre 1952, N07757.
* 97 - Cité par Ghassan
TUENI dans, Un siecle pour rien.... op.cit. p.129
* 98 - Charles Malek (1906 -
1987) était le ministre des Affaires étrangères. Il a
présidé l'Assemblée générale des Nations
unies et a joué un rôle important dans la rédaction de la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
* 99 - Georges NACCACHE,
article publié le 5 avril 1958 «un rêve Libanais
1943-1972» op.cit.
* 100 - Jacques NANTET,
Histoire du Liban, préface de François Mauriac, Editions
de Minuit, Paris 1962, p. 314. . (342 pages)
* 101 - La troisième
force était crée et dirigée par Henri Pharaon. Georges
Naccache, un des principaux membre de la troisième force écrit le
17 janvier 1958 : « Des Libanais venus de tous les bords (et
pas de mauvais chrétiens en somme) (la parenthèse est de
l'auteur), ont vu les périls auxquelles on nous fait courir. Ils ont vu
que la reconduction présidentielle, présentée comme une
nécessite de salut public, peut être une machine à faire
éclater le Liban. Et ils ont décidé d'associer leurs
efforts, s'il en est encore temps, pour empêcher cet
éclatement. » «Un rêve Libanais
1943-1972»op.cit. p. 151
* 102 - Actuellement, par
un mouvement cyclique de la crise du système politique libanais, le pays
est divisé entre les parties du 14 mars et du 8 mars et une
troisième force présidée par l'ancien premier ministre
libanais Salim El Hoss.
* 103 - Kamal SALIBI,
«Lebanon under Fuad Chehab. 1958-1964», In Middle
Eastern Studies 2, n°3,1966. p. 1 ( It was clear from the start
of the 1958 crisis that the Egyptians were behind it.)
* 104 - Les journaux
syriens multiplient les articles, preuves à l'appui, sur le rôle
de Nasser et de Sarraj dans l'insurrection de 1958 ; sur celui de ses
leaders aux ordres de Nasser ; sur les hommes, armes et fonds qui leur
furent envoyés, sur les versements à des journaux de Beyrouth. La
presse de Damas révèle notamment que l'attentat manqué
contre Michel Abou Jaoudé fut perpétré parce qu'il refusa,
comme le voulait l'ambassadeur de la RAU Ghaleb et malgré une forte
rémunération, de quitter An Nahar pour rejoindre Al
Anwar. Que ce sont des agents Libanais de Sarraj, Akram Safadi, Abdo Hakim
et Abdel-Jawad Aabara, qui, aidés de Rachid Chehabeddine et de Mahmoud
Wehbé, ont assassiné le 8 mai 1958 Nassib Metni, pour
déclencher l'insurrection. Dans un rapport à Nasser, Sarraj lui
affirmait qu'un mois après son début, il haranguera les foules
place des Canons. Que 700 volontaires syriens et palestiniens furent
envoyés pour aider Joumblatt dans son offensive contre I'AIB...
* 105- Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, cet inconnu (en arabe), Chariqat al matbou'at lil
tawzi' wal nashr, Beyrouth, 1988. p. 22.
* 106 - Michael HUDSON,
The Precarious Republic, op.cit p.112
* 107 - A Beyrouth
également,à Basta, des tribunaux populaires sont mis en place.
* 108 - Le capitaine de
l'armée U.S. Alfred HALIM Mohamad Chéhab, cousin né en
Amérique du G. Chéhab, fait partie du commandement des troupes
américaines débarquées au Liban. - L'Orient 23
août 1958 p.7
* 109 - Opération
Blue Bat.
* 110 - Le 25 juillet, les
forces de débarquement américaines atteignent au moins 16.000
hommes, dont 4.000 soldats d'infanterie et 6.600 fusiliers marins : plus que
I'armée Libanaise tout entière. Robert MURPHY, Un diplomate
parmi les guerriers , Robert Laffont, Paris, 1965, p. 421.
Les chiffres des effectifs américains
débarqués à Beyrouth cités par Eisenhower sont
toutefois légèrement différents de ceux donnés par
Murphy : 14.357, dont 8.515 relevant de 1'infanterie et 5.842 marines (Cf.
The White House Years, Waging Peace, Op.cit. p. 286,)
* 111 - Irene L. GENDZIER
Notes from the Minefield, United States intervention in Lebanon and Middle
East 1945-1958 New York, 1997.
* 112 - Edward DE
TINGUY, Les Etats-Unis et le Liban (1957 - 1961) : Réflexion sur une
diplomatie américaine dans le monde arabe , Mémoire de
Mastère de recherche en Histoire des Relations Internationales,
présenté à Sciences Poilitiques Paris en juillet 2005,
s.d.
* 113 - le Pacte de Bagdad,
a été signé le 24 février 1955 par l'Irak, la
Turquie, le Pakistan, l'Iran, et le Royaume-Uni. Il sera rebaptisé
Traité d'Organisation Centrale (Central Treaty Organisation) ou CenTO,
après le retrait irakien le 21 août 1959.
* 114 -Voir M.S.AGWANI,
The Lebanese crisis 1958, a documentary study, Asia Publishing House,
London, 1965. (405 pages.) Et Nawaf SALAM, L'insurrection de 1958 au
Liban, Thèse de Doctorat en Histoire, 3ème cycle,
Université de Paris, 1979 s.d.
* 115 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab zalika al majhoul, op.cit. p. 27
* 116 - Kamal SALIBI,
Lebanon under Fouad Chéhab. 1958-1964...op.cit. p. 7.
* 117 - Ghassan TUENI,
Une guerre pour les autres, Dar An-nahar, Beyrouth, mai 2004. p. 27
(427 pages)
* 118 - Georges NACCACHE,
«un nouveau style: le chéhabisme», les
années Cénacle, Dar An-nahar, p. 369 ( p. 389 à 399)
* 119 - Ibid, p.369
* 120 - Voir R. Hrair
DEKMEJIAN, Patterns of Political leadership....... op.cit. p.30
* 121 - Pierre LYAUTEY,
Liban moderne , Julliard, Paris, 1964, p. 48
* 122 - Jacques NANTET,
Histoire du Liban , préface de Maurice Duverger,
éditions de Minuit, Paris 1963, p. 341. (342 pages)
* 123 - Fouad Boutros
écrit dans un article paru dans L'Orient - Le Jour, le 10 mai
1972, à l'occasion du décès de Georges NACCACHE :
«Avec lui disparaît une philosophie du journalisme et une
éthique qui en ont fait la figure de proue et le maître à
penser de toute une génération avide de s'exprimer et de prendre
position sur les problèmes de l'heure.» Fouad BOUTROS, «
Ecrits Politiques» Editions Dar An-Nahar, Beyrouth, 1997, p. 27
(199 pages).
* 124 - Le Helf
comprenait Raymond Eddé, Pierre Gemayel et Camille Chamoun.
* 125 - Fadel AKL, La
philosophie du chéhabisme, (en arabe) Publications Dar Al Akl,
1ère édition, Beyrouth 1964, p. 27, (443 pages)
* 126 - Fadel AKL, La
philosophie du chéhabisme, op.cit.p.28
* 127 - Ibid, pp. 42-43
* 128 - Cité par Toufic
KFOURY, Le chéhabisme et la politique de la décision
op.cit. p. 398
* 129 - F. BUSTANI,
cité par Nawaf KABBARA, op.cit. p. 195
* 130 - Wakim BOU LAHED,
Fouad Chéhab, le président et le commandant, op.cit. pp.
23-24.
* 131 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. p. 45
* 132- Al marounia al
siasiat, p. 58.
* 133 - Bassem EL
JISR, Fouad Chéhab , op.cit. p. 80.
* 134 - « Plusieurs
considèrent dit Bassem El Jisr, que l'appel du président pour la
justice sociale ne peut être dissocié de la
précarité qu'il avait subie dans son enfance » Bassem
EL JISR, « Fouad Chehab », op.cit. p.88
* 135 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. p. 78.
* 136 - Expression de Georges
CORM
* 137 - Nawaf KABBARA,
The Chehabism in Lebanon: The Failure of an Hegemonic Project
1958-1970, PHD, Philosophy-Politic, in University England of
Essex, 1988 .pp. 109-110-111
* 138 - Cf. Philippe
MIOCHE , Le Plan Monnet, genèse et élaboration
1941-1947 , Publications de la Sorbonne, 1987.
* 139 - Wakim BOU LAHED,
Fouad Chéhab, le président et le commandant, op.cit. p.
45
* 140 - Wakim BOU LAHED,
Fouad Chéhab, le président et le commandant, op.cit. p.
45
* 141- Mission IRFED,
Archive de la fondation des archives nationales, Beyrouth, Immeuble Piccadilly.
* 142- Kamal JOUMBLATT,
Voilà, mon testament, Première édition, stock,
Paris, 1978, traduit par la fondation Al watan al arabi, p. 71.
* 143 - Cf. François
PERROUX, L'Economie du XXième siècle , PUF,
3eme édition., 1969.
* 144 - Jean-Marc
FEVRET, L'influence française sur la politique
économique Libanaise au temps du Chéhabisme
(1958-1964) MASTER 2 de Sciences Politiques, Université de
Marne-La-Vallée 2005-2006, non publié p. 33
* 145- Louis LEBRET,
Pour une civilisation solidaire, Editions Ouvrières, Paris,
1963.
* 146 - Louis LEBRET,
Dynamique concrète du développement, Editions
Ouvrières, Paris 1961,
* 147- Mission IRFED,
op.cit.
* 148 - Malsagne STEPHANE,
Le chéhabisme sous la présidence de Fouad Chéhab,
op.cit. p.p 33-34.
* 149- Mission IRFED,
op.cit.
* 150- Ibid.
* 151 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. p.51
* 152 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. p.52
* 153 - Mission IRFED,
op.cit.
* 154 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. p. 103
* 155 - Kamal JOUMBLATT,
Voilà, mon testament, op.cit. pp. 101-102.
* 156 - Kamal JOUMBLATT,
Voilà mon testament, op.cit. pp. 103-104.
* 157 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. p. 70.
* 158 - Ibid. p. 104
* 159 - Toufic KFOURY, Le
chéhabisme et la politique de la décision.... op.cit. p. 122
* 160 - Ibid, pp. 122-123.
* 161 - Toufic KFOURY, Le
chéhabisme et la politique de la décision.... op.cit. p. 124
* 162 - Idem
* 163 - Georges NACCACHE,
op.cit. p. 391
* 164 - Toufic KFOURY, Le
chéhabisme et la politique de la décision.... op.cit. pp.
206 -207
* 165 - Robert McClintock,
ambassadeur des Etats-Unis à Beyrouth.
* 166 - James L. Holloway,
commandant en chef des forces américaines débarquées au
Liban.
* 167 - Robert MURPHY, Un
diplomate parmi les guerriers , Robert Laffont, Paris, 1965, p.423
* 168 - L'Orient - 26
mars 1959
* 169 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. pp. 108-109.
* 170 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. pp. 108-109.
* 171 - Le discours du
président Chéhab, 23 septembre 1958.
* 172 - L'Orient
- 5 août 1958, p.1
* 173 - Les discours du
président Chéhab, 20 septembre 1960.
* 174 - Les discours du
président Chéhab, 14 septembre 1962.
* 175 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab , op.cit. p. 114
* 176 - Les discours du
président Chéhab, p. 114
* 177 - Toufic KFOURY,
Le chéhabisme et la politique de la décision.... op.cit.
p.210
* 178- Idem
* 179- Bassem EL
JISR, Fouad Chéhab , op.cit. p. 114
* 180 - Elle a
été proposée par Kamal Joumblatt après la tentative
de coup d'état du P.P.S
* 181 - Toufic KFOURY,
Le chéhabisme et la politique de la décision.... op.cit.
p.225
* 182- Bassem EL
JISR, Fouad Chéhab , op.cit. p.116
* 183- Toufic KFOURY,
Le chéhabisme et la politique de la décision.... op.cit.
p. 228
* 184- Idem
* 185 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. p.117
* 186 - Les discours du
président Chéhab, 4 août 1958, op.cit.
* 187- Ibid, discours du 21
novembre 1961.
* 188 - Les discours du
président Chéhab, 21 novembre 1962.
* 189- Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. p.110
* 190 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. p. 111
* 191- Toufic KFOURY, Le
chéhabisme et la politique de la décision.... op.cit.
p.223
* 192 - Ibid p. 223
* 193 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, cet inconnu , op.cit. p. 72
* 194 - Georges NACCACHE, ,
«un nouveau style: le chéhabisme»,op.cit. p. 390
* 195 - Les discours de Fouad
Chéhab 1958-1964, pp. 9-10-11.
* 196 - Pierre LYAUTEY,
Histoire du Liban, op.cit. p. 45
* 197 - Ibid, p. 50
* 198 - Il comprend
Karamé (Intérieur et Défense nationale, en sus de la
présidence du Conseil), Philippe Takla (Affaires
étrangères), Charles Hélou (Economie nationale et
Information), Mohamed Safieddine (Education nationale et Santé), Youssef
Saouda (Justice et Affaires sociales), Rafic Najjar (Finances), Farid Trad
(Travaux publics et Plan), Fouad Najjar (Agriculture et P.T.T.).
* 199 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, cet inconnu op.cit. pp. 48-49
* 200 - Edmond RABBATH, La
formation historique et constitutionnelle du Liban, op.cit. p. 569.
* 201 - Georges NACCACHE,
un nouveau style: le chéhabisme, op.cit. p.393
* 202 -
1-RACHID KARAME 24 septembre 1958 -14 octobre 1958 Ne s'est pas
présenté devant la Chambre 2- 14 octobre 1958 - 14 mai
1960 3-AHMAD DAOUK 14 mai 1960 -1er août 1960
Cabinet d'élections. Ne s'est pas présenté devant la
Chambre, dissoute. 4- SAEB SALAM 1er août 1960 - 20 mai 1961
5- 20 mai 1961 - 31 octobre 1961 6- RACHID KARAME 31 octobre 1961 - 20
février 1964 7- HUSSEIN OUEYNI 20 février 1964 - 25 septembre
1964 Cabinets d'élections.
* 203 - Pierre RONDOT,
«Quelques réflexions sur l'expérience politique du
« chéhabisme » au Liban», In
L'Orient, N0 16, 1960, p. 49
* 204 - Kamal SALIBI,
«Lebanon under Fouad Chehab», op.cit.
* 205 - Le journal officiel,
numéro 18, 27 avril 1960, p.322.
* 206 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, cet inconnu, op.cit. pp. 55-56
* 207 - Denise AMMOUN,
Histoire du Liban contemporain 1943-1990 ,Tome 2, Fayard, Paris ,
2004, p. 307. ( 1009 pages).
* 208 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. p. 36
* 209 - Al Marounia Al
Siasiah, sira zatiah, kitab Al safir, s.d. ( centre informatique de Al
Safir) p. 58
* 210- L'Orient, 28
novembre 1959, p.2.
* 211 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, cet inconnu, op.cit. p. 71
* 212 - Toufic KFOURY,
Le chéhabisme et la politique de la décision (en arabe)
s.d. Beyrouth 1980. p. 227 (423 pages)
* 213 - Georges NACCACHE, ,
« Un nouveau style: le chéhabisme »,op.cit.
p. 395
* 214 - Idem
* 215 - Roger GEHCHAN,
Hussein Aoueini, un demi siecle d'histoire du Liban et du Moyen-Orient,
1920-1970, F.M.A, Mars 2000. pp 354-355
* 216 - Une interview
donnée à 1'agence de presse égyptienne MENA (Middle
East News Agency), reprise par la presse Libanaise le 21 octobre 1958.
Cité par Roger GEHCHAN, Hussein Aoueini.... op. cit.
* 217 - Le gouvernement du
président Chamoun avait déposé une plainte au Conseil de
Sécurité contre la RAU, pour son ingérence dans les
affaires intérieures du pays à travers son appui politique et
matériel aux insurgés.
* 218- Roger GEHCHAN,
Hussein Aoueini...op.cit. p.350
* 219 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, cet inconnu, op.cit. p. 37
* 220 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, cet inconnu, pp. 71-72.
* 221 - Georges NACCACHE,
Un rêve libanais 1943-1972 op.cit. p. 171
* 222 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, cet inconnu, op.cit. pp. 72-73
* 223 - Ibid, pp. 73-75.
* 224 - Publié dans
An-Nahar, le 26 mars 1959.
* 225 - Toufic KFOURY, Le
chéhabisme et la politique de la décision.... op.cit. p. 235
* 226 - Wakim BOU LAHED,
Fouad Chéhab, al raiis wa elkayed, (Fouad Chéhab,
le Président et le Commandant), Dar Aoun, Harissa, 1996. p. 58
* 227 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab... op. cit. p.111
* 228 -Toufic KFOURY, Le
Chéhabisme et la politique de la décision.... op.cit. p.223
* 229 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab... op. cit. p. 112
* 230 - Bassem EL
JISR, Fouad Chéhab... op. cit. p. 111
* 231 - Michael HUDSON,
The precarious Republic: Political modernization in Lebanon, Random
House, New York, 1968. ( 363 pages).
* 232 - Elie SALEM,
Modernization without Revolution: Lebanon's Experience, Indiana University
Press, 1973, ( 170 pages).
* 233 - Y. SAYIGH,
« Lebanon » in The Economies of the Arab
world : developpemnet since 1945, Croom Helm, London, 1978
* 234 - Les Discours du
président Fouad Chéhab 1958-1964, p. 13.
* 235 - Mission IRFED, op.cit.
* 236 - Georges CORM, La
Méditerranée, espace de conflit, espace de rêve,
L'Harmattan, Collection comprendre le Moyen-Orient, Paris, 2001, p. 225. (374
pages
* 237 - Antoine MESSARA,
Le modèle politique libanais et sa survie, publications de
l'Université Libanaise, Beyrouth, 1983, p. 195
* 238 - Charles RIZK, Le
régime politique libanais... op.cit. p. 50
* 239 - « On peut
estimer, dit le père Lebret que vers 1958-1960, la population Libanaise
comprenait :
- 9% de miséreux, avec un plafond budgétaire annuel
par famille de 1200 L.L.
(Suite) - 40% de pauvres, avec un plafond familial par an de 2
500 L.L.
- 30% de gens moyens, avec un revenu familial plafond de 5 000
L.L.
- 14% de gens aises, disposant d'un revenu familial jusqu'a 15
000 L.L.
- 4% de fortunes, disposant d'environ 30% du revenu total des
familles. (Ibid.)
* 240 - Cité par
Georges CORM, La Méditerranée, espace de conflit, espace de
rêve, op.cit. pp. 225-226
* 241 -
Encyclopédie de l'Economie et de la Gestion dir. A. Silem,
Hachette, 2000, p.349.
* 242- Louis-Joseph LEBRET,
«Le Liban au tournant », op.cit. p. 441
* 243 - Ibid, p. 442
* 244 - Louis-Joseph LEBRET,
«Le Liban au tournant », op.cit. p. 403
* 245 - Maurice GEMAYEL,
Le pionnier de la planification, Raîdy printing press 2001 , p.
401
* 246 -D'après les
estimations de la Mission IRFED :
4 % de la population disposerait de 30 % du revenu national
14 % de la population disposerait de 28 % du revenu national
32 % de la population disposerait de 22 % du revenu
national
41 % de la population disposerait de 16 % du revenu national
9 % de la population disposerait de 2 % du revenu national
* 247 - Arrêté
ministériel No 6839- 15 Juin 1961
* 248 - Arrêté
ministériel No 11985 - 4 Février 1963
* 249 - Georges CORM,
« Réflexions sur la politique économique
libanaise », In Action, février 1966, p. 37
* 250 - Louis-Joseph LEBRET,
«Le Liban au tournant », op.cit. .p. 440
* 251 - Albert DAGHER,
L'Etat et L'Economie au Liban, les Cahiers du CERMOC, NO
121995, P.62
* 252 - C.
INGELS, L'Administration Libanaise au sortir du conflit civil :
permanence de l'enjeu politique partisan et impératives fonctionnels de
la reconstruction a portée nationale, Thèse de Science
politique, Aix-Marseille III 1998-1999.
* 253 - Louis-Joseph LEBRET,
«Le Liban au tournant », op.cit.
* 254 - Voir Annexe pp.
212-213. CORM Georges, Politique économique et planification au
Liban, Beyrouth, Imprimerie universelle, 1964
* 255 - Albert DAGHER,
L'Etat et L'Economie au Liban, les Cahiers du CERMOC, NO
121995, P. 21, ( 217 Pages).
* 256 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab... op. cit. p.97
* 257 - Albert DAGHER,
L'Etat et L'Economie au Liban ,op.cit. ,p.53
* 258 - CORM Georges,
Politique économique et planification au Liban, Beyrouth,
Imprimerie universelle, 1964, pp.1-2
* 259 - Décret
Législatif n° 32 du 17 février 1953.
* 260 - CORM Georges,
Politique économique et planification au Liban, op.cit. p.4
* 261 - Décret
Législatif no 2 du 30 novembre 1954
* 262 - CORM Georges,
Politique économique et planification au Liban, op.cit. p. 182
* 263 -« Besoins
et possibilités de développement du Liban », 2
vol, Beyrouth ,Ministére du Plan, 1960-1961;
« Propositions d'actions générales pour
l'élaboration du plan 1964-1968 », 9 vol, Beyrouth
,Ministére du Plan, 1962 ; « Le Liban face à son
développement », Beyrouth, imprimerie catholique,
1963.
* 264 - Besoins et
possibilites du developpement du Liban, Etude Préliminaire, 2 vol,
Beyrouth ,Ministére du Plan, 1960-1961, p.. 206..
* 265 - Ibid, p. 208
* 266 - Georges CORM,
Politique économique et planification au Liban, op.cit. p. 46
* 267 - Décret.
N0 12417 du 2 avril 1963.
* 268 - Décret.
N0 12492 du 9 avril 1963.
* 269 - C.E. BLACK, The
dynamics of modernization, Harper and Row, New York, 1966, p.7
* 270 - Dankwark ROSTOW,
A world of Nations : Problems of Political
modernization , The Brookings Institutions, Washington, 1967, p.3
* 271 - Alfred DIAMANT,
«The nature of political development», in Political Development
and social change, Ed, ) (suite) Jason L. Finkle and Richard W. Gable, New
York, John Willy and Sons, 1966, p. 92.
* 272-
S.N.EISENSTADT, Political modernization Ed. Claude
Ewelch, Jr Belmort, Wadsworth, Californie, 1967. p. 252.
* 273- Masferd HALPERN,
« The Rates and Costs of Political Developement »,
Annales, Mars 1965, p. 21.
* 274- Source :
« Political Developpement and the challange of
Modernization » In Political Parties and political
developpemnt , édité par Joseph La Palombara et Myron
Weiner, Princeton Universitry Press, New Jersey, 1966, p.10
* 275 - Kamal DIB, Les
seigneurs de la guerre et les marchants du temple, les hommes du pouvoir et de
l'argent au Liban, Préface de Georges Corm, ( en arabe) Dar
Annahar, Beyrouth, 2007, p, 193, ( 605 pages)
* 276 -Charles RIZK,
Le régime politique libanais , op.cit. p. 7
* 277- Georges LAVAU, La
démocratie, traité de sciences politiques »
op.cit. Tome 2, p. 69
* 278 - DOGAN et PELASSEY,
Sociologie politique comparative, Economica, Paris, 1982, p. 93.
* 279 - Aisteindat LIJPHART,
«Consociational democracy», World Politics, 21 January 1966,
pp. 207 -225
* 280 - Pierre RONDOT,
«Quelques réflexions sur l'expérience politique du
« Chéhabisme » au Liban», In
L'Orient, N0 16, 1960, p.46
* 281 - An-Nahar, du
27 Juin 1971.
* 282 - Cette phrase est
tirée des Souvenirs d'Alexis de Tocqueville, que Dominique
Chevallier avait choisi de mettre en exergue de son classique, La
Société du Mont-Liban à l'époque de la
révolution industrielle en Europe (1971).
* 283 - C'est nous qui
soulignons
* 284 - L'Orient,
- 6 Avril 1961.
* 285 - Georges NACCACHE,
Un rêve libanais (1943-1072) op.cit. Extrait de l'article :
« que le désordre des autres ne nous fait pas un ordre»
* 286 - Toufic KFOURY, Le
chéhabisme et la politique de la décision, op.cit. pp.
221-225-230
* 287 - Georges NACCACHE,
« Un nouveau style : le chéhabisme», op.cit. p. 397
* 288 - Idem
* 289 - Cf. Jean LECA ,
Yves SHEMEIL, « Clientélisme et patrimonialisme dans le monde
arabe » In International Political Science Review, 4,
n° 4. 1983.
* 290 -Cf. Guy HERMET,
A la frontière de la démocratie P.U.F,
Paris,1983
* 291 - Antoine MESSARRA,
Le modèle politique libanais et sa survie, op. cit.
* 292 - Stéphane
MALSAGNE, op.cit. pp.238-239.
* 293 - Stéphane
MALSAGNE, op.cit. p.329
* 294 - Kamal JOUMBLATT,
Voilà mon testament, op.cit. p. 71
* 295 - Kamal JOUMBLATT,
Voilà mon testament, op.cit. 117
* 296 - Maurice DUVERGER,
Institutions politiques et droit constitutionnel, P.U.F, 11
éme édition , Paris, 1970, pp. 491-492 Cité
par Antoine Messara, op.cit.
* 297 - « Cette
appellation dérive de l'appellation des services secrets
français, qu'on appelait parfois B2 et 2B » Nicolas NASSIF,
le Deuxième Bureau, gouverneur dans l'ombre, Moukhtarat,
Beyrouth, Troisième édition, 2006 (Première édition
2005), p. 11
* 298 - Bassem EL-JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. p. 91
* 299 - Nicolas NASSIF, le
Deuxième Bureau, gouverneur dans l'ombre, op.cit. p.11
* 300- Depuis
l'indépendance du Liban, en 1943, la passation des pouvoirs n'est
intervenue dans la légalité constitutionnelle, que durant la
période chéhabiste (1958-1970). L'arrivée au pouvoir des
présidents Chamoun (1952), Chehab (1958) et Sarkis (1976) s'est, en
effet, déroulée dans une atmosphère soit de crise
politique (1952), soit d'émeute insurrectionnelle (1958) soit de guerre
civile (1976).
* 301 - « l'Alliance
Tripartite» ou le « Helf» est une formation électorale
conjoncturelle groupant les trois partis de droite : Phalanges
(Kataêb), Parti National Libéral (P.N.L.) et Bloc National (B.N.).
Le regroupement de ces trois partis, après la guerre
israélo-arabe de juin 1967, au sein d'une même formation avait
pour but sur le plan intérieur de déloger les chéhabistes
du pouvoir.
* 302 - Nawaf KABBARA,
Shehabism in Lebanon 1958-1970 : The Failure of an Hegemonic Project,
Thèse de doctorat en sciences politiques, University of Essex,
1988, p.178
* 303 - Certains d'entres
elles ont joué un rôle essentiel durant les
événements de 1958.
* 304 - Nicolas NASSIF, le
Deuxième Bureau, gouverneur dans l'ombre, op.cit. p. 7
* 305 - Expression du Figaro
magazine, 11 avril 1973.
* 306 - An-Nahar,
Numéro spécial Noël 1970, Nouvel An 1971, p.47
* 307 - Nicolas NASSIF, le
Deuxième Bureau, gouverneur dans l'ombre,op.cit. pp.371-411
* 308 - An-Nahar, du
12 mars 1973, p.10
* 309 - Idem
* 310 - An-Nahar,
du 17 mars 1973, p. 10
* 311 - Les listes des
arrestations étaient remplies dans la caserne militaire d'Ablah.
An-nahar du 27 mars 1973, p. 3.
* 312 - Le Colonel Georges
Ghrib, était assisté par le Commandant de marine Farés
Lahoud et le Commandant Zouhair Tannir. An-Nahar du 4 mars 1973.
* 313 - An-Nahar,
du 16 mars 1973, p. 4
* 314 - An-Nahar,
du 14 mars 1973
* 315 - An-Nahar, du
17 mars 1973, p.16
* 316 - 236 voix.
* 317 - Ce sont: Georges
Akl qui avec 18 105 voix a battu Elias Hraoui ( 17 599) et Michaêl Debs
qui a devancé Georges Haddad de 244 voix ( 17 778 voix contre 17
554).
* 318 - L'Orient, du
1 avril 1969
* 319 - L'Orient, du
1 avril 1969
* 320 - An-Nahar, du
16 mars 1973.
* 321 - An-Nahar, du
13 mars 1973.
* 322- Ministre nazi de
l'Information et de la Propagande
* 323 - Cité par
Normand BAILLARGEON, Petit cours d'autodéfense intellectuelle,
Edition Lux, Canada, 2006, p. 17 ( 338 pages)
* 324 - Bassem EL-JISR,
«Le chéhabisme» : une révolution
blanche» conférence prononcée au collège de
Jamhour, le 2 mai 2005
* 325 - Le 21 mai 1961
à la demande d'Albert Moukheiber, le ministre de l'information Philippe
Boulos autorise l'opposition à exposer son opinion sur les ondes de
Radio-Liban à condition de ne pas s'en prendre au chef de l'Etat ni
à un leader arabe.
* 326 - Des
députés soulevèrent d'abord les agressions contre Nassim
Majdalani et Gabriel Germanos et exigèrent toute la lumière sur
leurs instigateurs. D'autres demandèrent pourquoi le gouvernement, suite
aux révélations de la presse syrienne, ne rouvre pas
I'enquête sur I'assassinat de Toufic Metni en 1958 et Albert Moukheiber,
parlant de la disparition de Farjallah Hélou à Damas et son
probable assassinat, demanda au gouvernement de se constituer partie civile
dans cette affaire.
* 327 - An-Nahar,
du 19 Octobre 1963
* 328 - An-Nahar, du
8 Décembre 1963.
* 329 - Denise AMMOUN,
Histoire du Liban contemporain, 1943-1990, tome 2, Fayard, 2004, p.
343.
* 330 - Raymond Eddé.
* 331 - An-Nahar, du
24 mai 1971
* 332 - Idem
* 333 - Plutôt un
club politique qu'un véritable parti, le Parti Démocrate,
centriste et laïque, n'a toujours pas une assise populaire suffisante qui
lui permette d'accéder au pouvoir. Attaché à la
Constitution de 1926 et à l'approche politique du Pacte National de
1943, ce parti veut substituer l'approche confessionnelle du Pacte par la
laïcisation de l'Etat. Durant l'été 1977, le Parti
Démocrate s'est joint à d'autres formations politiques dans un
grand rassemblement, appelé le « Rassemblement
Démocrate Libanais ».
* 334 - François
BOURRICAUD, Esquisse d'une théorie de l'autorité, Plon,
Deuxième édition, Paris, 1970. (442 pages).
* 335 - Jean Claude DOUENCE,
Régime libanais et polyarchie, conférence à
l'Association Libanaise des sciences politiques, 16 Juin 1971, (27 pages),
Cité par Antoine Messara, op, cit.
* 336 - Antoine MESSARA,
Le système politique libanais et sa survie, op.cit. p. 137
* 337 - Michael HUDSON,
The Precarious Republic, op.cit. p, 307
* 338 -Georges NACCACHE,
Un nouveau style: le chéhabism ,op.cit.
* 339 - Hamid FRANGIE,
Considérations sur l'Etat, les années Cénacle,
Dar Annahar, 1997, p. 326
* 340 - Alain
FINKIELKRAUT, La défaite de la pensée, Collection
Folio/Essais, Gallimard, Paris, 1987, p. 18 (180 pages)
* 341 - Michael HUDSON,
The precarious Republic, op.cit.
* 342 - L'Orient, du
8 Août 1970.
* 343 - Pierre RONDOT,
«Quelques réflexions sur l'expérience politique du
« Chéhabisme» au Liban», In L'Orient,
n0 16, (p. 43 à 50) , 1960, p. 45
* 344 - Georges NACCACHE,
op.cit. p. 396
* 345 - Toufic KHOURY,
Le chéhabisme et la politique de la décision,
op.cit. p. 244
* 346 - Toufic KHOURY,
Le chéhabisme et la politique de la décision,
op.cit. p. 244
* 347 - Cité par
Antoine Messara, op. cit. p. 198
* 348 - L'Orient, 16
septembre 1964.
* 349 - Antoine MESSARA,
Le modèle politique libanais et sa survie, essai sur la
classification et l'aménagement d'un système consociatif,
Publications de l'Université Libanaise, Beyrouth 1983, p. 230
* 350 - Kamal JOUMBLATT,
La vérité sur la révolution Libanaise (en arabe),
Quatrième édition, Almoukhtara, Aldar altakadoumia, 1987, p.
11
* 351 - Pierre DELVOLVE,
L'Administration libanaise, Editions Berger-Levrault, Paris (
ÉVe), 1971, p. 13.
* 352 - DIEDERICHS Olivier
et LUBEN Ivan, La déconcentration PUF, coll. «
Que sais-je », 1995. p.4
* 353 - - Charles ISSAWI,
« Fondements sociaux et économiques de la démocratie»,
les années Cénacle, Dar Annahar, ( page 121 à
129), p. 127
* 354 - Louis-Joseph LEBRET,
«Le Liban au tournant », op.cit. p. 442
* 355 - Georges CORM,
Politique économique et planification au Liban, op.cit. p.129
* 356 - Charles RIZK, Le
régime politique libanais, L.G.D.J, op.cit. p. 161.
* 357 - Ibid, pp.161-162.
* 358 - Louis-Joseph LEBRET,
«Le Liban au tournant », op.cit. p. 442
* 359 - Charles RIZK, Le
régime politique libanais, L.G.D.J, op.cit. pp. 161-162-163
* 360- Louis-Joseph LEBRET,
« Le Liban au tournant », op.cit. p. 442
* 361 - Bertrand BADIE,
L'Etat importé : l'occidentalisation de l'ordre politique,
Coll. L'espace du politique, Fayard, Paris, 1992 (334 pages)
* 362 - L'Orient, du
16 mai 1960
* 363 - Nawaf KABBARA,
Shehabism in Lebanon 1958-1970 : The Failure of an Hegemonic Project,
Thèse de doctorat en sciences politiques, University of Essex,
1988, p. 9
* 364 - Nawaf KABBARA,
Shehabism in Lebanon 1958-1970 : The Failure of an Hegemonic Project,
Thèse de doctorat en sciences politiques, University of Essex,
1988, p. 290
* 365 -Idem, op.cit.
p.8
* 366 - Cf, Juan LINZ,
Crisis, breakdown and reequilibration, Johns Hopkins University,
Baltimore, Londres, 1978. « Change and continuity in the nature of
contemporary democracies », In Garry Marks, Larry Diamond,
Reexamining democracy. Essays in honour of Seymour Martin Lipset, Sage
Publications, Londres, 1992.
« Innovative leadership in the transition to
democracy and a new democracy : the case of Spain », In Gabriel
Scheffer, Innovative leaders and International Politics, University of
New York Press, New York, 1993
* 367 - Max WEBER, Le
savant et la politique, Plon, Paris, 1959, p.o168.
* 368 - Michel CROZIER, Erhard
FRIEDBERG, L'acteur et le systéme, Le Seuil , Paris 1977, p.
75.
* 369 - Juan LINZ,
« Innovative leadership in the transition to democracy and a new
democracy : the case of Spain », In Gabriel Scheffer,
Innovative leaders and International Politics, University of New York
Press, New York, 1993, p. 152
* 370 - Cf. Jhon ELSTER,
«Consequences of constitutionnal choice : reflections on
Tocqueville », In Jon Elster, Rune Slagstad, Constituionalism and
democracy, Cambidge Universiry Press, Cambridge, 1988, p. 92 et suiv.
* 371 - Bassem EL-JISR,
Le chéhabisme, un révolution blanche, conférence
prononcée au collège de Jamhour le 2 mai 2005
* 372 - Nawaf KABBARA,
Shehabism in Lebanon 1958-1970 : The Failure of an Hegemonic Project,
op.cit. p. 231
* 373 - Georges NACCACHE,
« Un nouveau style : le chéhabisme», op.cit. p. 397
* 374 - Bassem EL JISR,
Fouad Chéhab, cet inconnu ... op.cit. p. 146
* 375- Nawaf KABBARA,
Shehabism in Lebanon 1958-1970 : The Failure of an Hegemonic Project,
op.cit. p. 34
* 376 - Charles RIZK, Le
régime politique libanais... op.cit. p. 121
* 377 - Hamid FRANGIE, «
Considérations sur l'Etat», les années
Cénacle, Dar Annahar, 1997, p. 327
* 378 - IRFED, Le Liban
au tournant , Beyrouth, 1963, p. 37.
* 379 - Georges CORM, Le
Liban contemporain, Edition La Découverte, Paris, 2003, p. 111
* 380 - Georges CORM,
« l'économie dans les conférences du
Cénacle », les années Cénacle, Dar
Annahar, 1997, p. 577 à 585.
* 381 - Pierre Eddé,
ancien ministre des finances et défenseur acharné du
libéralisme économique considère que « ce qui
cache derrière la plupart des arguments contre le marché libre,
c'est le manque de foi dans la liberté elle-même» et pour lui
« la planification est synonyme de dirigisme ».
L'Orient-le-Jour, du 16 juin 1972.
* 382 - Georges CORM,
« L'économie dans les conférences du
Cénacle », op. cit. p. 577.
* 383- Toufic GASPARD,
L'économie politique du Liban 1948-2002, ( en arabe), Dar
Annahar, Beyrouth, 2005, p.73 (362 pages).
* 384 - Le père
Joseph Mouwannes propose, dans une étude publiée en 1973, de
cerner la personnalité libanaise, en décelant les
«éléments structuraux» de « l'âme
libanaise ». L'« ethnotype » libanais
décrit par Mouwannes est surtout marqué par son
«individualisme». Et «sa personnalité est un
témoignage de l'aspiration de l'homme à être fière
de ses croyances, sa pensée, ses activités et ses
aspirations.» Joseph MOUWANNES., Les Eléments structuraux
de la personnalité Libanaise: essai anthropologique , Kaslik,
1973. Joseph Oughourlian, parlant des activités économiques des
Libanais, « les a qualifiés de prodiges d'agilité,
d'intelligence, d'audace, d'ingéniosité, de souplesse et de
subtilité. » Hamid FRANGIE, « Considérations sur
l'Etat», les années Cénacle, Dar-Annahar, 1997, p.
322. De même, pour le père Selim Abou, «les facteurs
permanents, à la fois élémentaires et fondamentaux, de la
mentalité libanaise » seraient l'«héritage
phénicien» du «goût de l'aventure et de la mer, un
attachement à toutes les formes de liberté jusqu'aux plus
anarchistes, un sens poussé du négoce et des
intérêts.» Selim ABOU, Le Bilinguisme arabe
français au Liban. Essai d'anthropologie culturelle , Paris,
1962, p. 34.
* 385 - Naaman EL-AZHARI,
L'évolution du système économique libanais, LGDJ,
Beyrouth, 1970, pp. 73-74
* 386 - Toufic GASPARD,
L'économie politique du Liban 1948-2002, ( en arabe), Dar
Annahar, Beyrouth, 2005, p. 69 (362 pages).
* 387 - Naaman EL-AZHARI,
L'évolution du système économique libanais, LGDJ,
Beyrouth, 1970, p. 3.
* 388 - IRFED, Le Liban
au tournant, op.cit. p.23
* 389- John RAWLS ,
Theory of justice, Oxford University Press, Oxford Melbourne, 1980
(607 pages)
* 390- Cité dans
Naaman EL-AZHARI, L'évolution du système économique
libanais , op. cit. p. 125
* 391 - Conférence du
père Lebret le 26 juin 1963 au Phoenicia
* 392 - Idem
* 393 - Bassem EL-JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. pp. 119-120 ; et Kamal JOUMBLATT, La
vérité sur la révolution Libanaise, op.cit. p. 80.
* 394 - Wadah CHARARRA,
La paix civile froide, op.cit.Vol 2, p. 47
* 395 - Georges NACCACHE,
«Un nouveau style, le chéhabisme», op.cit. p. 398
* 396 - Toufic KFOURY, op.cit.
p. 221
* 397 - Bassem EL-JISR,
Fouad Chehab , cet inconnu, op.cit. pp. 83-84
* 398 - An-Nahar, du
14 Juin 1971.
* 399 - La loi sur le secret
bancaire au Liban fut exécutoire à partir de novembre 1956. Pour
plus de précision Cf. : Raymond FARHAT, Le secret
bancaire : étude de droit comparé, Bibliothèque
de science financière, LGDJ, (suite de la note
précédente) Paris, 1970.
* 400 - Bassem El-JISR,
Fouad Chéhab, cet inconnu, op.cit. pp. 83-84
* 401 - Ibid, p. 83
* 402 - Bassem EL-JISR,
Fouad Chéhab, op.cit. p. 120.
* 403 - Wadah CHARARRA,
La paix sociale froide, Vol 1, op.cit. p.58
* 404 - Charles HELOU,
Mémoires, pp. 237 - 254
* 405 - Cf, Kamal DIB,
Les Seigneurs de la guerre et les marchants du temple, les hommes du
pouvoir et de l'argent au Liban» (en arabe) , préface Georges
Corm, Dar Annahar, Beyrouth, 2007, Chapitre 8.
* 406 - Fonds Lebret, 45 AS,
archives nationales. Cf. Stephane MALSAGNE, op. cit, p. 235
* 407 - A. KHALIL cité
par Elizabeth PICARD, Liban Etat de discorde, Flammarion, Paris,
1988, p.152
* 408 - Toufic GASPARD,
L'économie politique du Liban 1948-2002, les limites du
libéralisme économique, op. cit. p. 77
* 409 - Idem
* 410 - Kamal DIB, Les
Seigneurs de la guerre et les marchants du temple, les hommes du pouvoir et de
l'argent au Liban» (en arabe) , préface de Georges Corm, Dar
Annahar, Beyrouth, 2007, p. 165 ( 605 pages)
* 411 - CERMOC, Etat et
perspectives de l'industrie au Liban, Publication de CERMOC, Beyrouth,
1978, p.60.
* 412 - Ce comité
s'était considérablement basé pour sa part sur les quatre
projets suivants de réformes : « Principes fondamentaux
pour résoudre la crise Libanaise» convenus au cours des discussions
Salem-Shar' à Damas (1987), le Document de travail de Hariri
élaboré en fonction du texte précédent (1987), le
non-paper américain de Glaspie (1988) et la proposition
conjointe Husseini-Hoss (1989).
* 413 - C'est nous qui
soulignons.
* 414 - La
loi No 250 du 14/7/1993 a institué le
Conseil Constitutionnel.
* 415 - Jacques CHEVALLIER,
Eléments d'analyse politique, PUF, Paris, 1985, p. 7
* 416 - Article 24
(modifié par la loi constitutionnelle du 17/10/1927 par
l'arrêté No129 du 18/3/1943 par la loi constitutionnelle du
21/1/1947 et par la loi constitutionnelle du 21/9/1990.)
La Chambre des députés est composée de
membres élus dont le nombre et les
modalités d'élection seront déterminés par les
lois électorales en vigueur. En attendant l'élaboration par la
Chambre des députés d'une loi électorale sans
contrainte confessionnelle, les sièges parlementaires seront
répartis conformément aux règles suivantes :
a) A égalité entre chrétiens et
musulmans.
b) Proportionnellement entre les communautés de
chacune de ces deux catégories.
c) Proportionnellement entre les régions.
* 417- Article 95
(Modifié par la loi constitutionnelle du 9/11/1943 et par la loi
constitutionnelle du 21/9/1990) « la Chambre des
députés élue sur une base égalitaire entre les
musulmans et les chrétiens doit prendre les dispositions
adéquates en vue d'assurer la suppression du confessionnalisme
politique, suivant un plan par étapes. Un comité national sera
constitué et présidé par le Président de la
République, comprenant en plus du Président de la Chambre des
députés et du Président du Conseil des ministres, des
personnalités politiques, intellectuelles et sociales.
La mission de ce comité consiste à
étudier et à proposer les moyens permettant de supprimer le
confessionnalisme et à les présenter à la Chambre des
députés et au Conseil des ministres ainsi qu'à poursuivre
l'exécution du plan par étapes. »
* 418 - Georges CORM, Le
Liban contemporain, op.cit. p. 244
* 419 - Ibid, p. 238
* 420 - Toufic GASPARD,
L'économie politique du Liban 1948-2002, dans les limites du
libéralisme économique op.cit. p. 23.
* 421 - Albert MANSOUR,
La négation des accords de Taëf ( en arabe) , Beyrouth,
1993, pp 188-189
* 422 - Nawaf SALAM,
L'accord de Taêf: un réexamen critique, Dar Anahar,
Beyrouth, 2003
* 423- Georges CORM,
Le Liban contemporain., op.cit. p. 230
* 424 - Les guillemets sont de
l'auteur.
* 425 - Kamal DIB, Les
seigneurs de la guerre et les marchants du temple, op.cit. p. 536
* 426 - Georges CORM,
Le Liban contemporain.. op.cit. p. 239
* 427 - Kamal HAMDAN,
«Le Social dans la Reconstruction du Liban :éléments de
réflexions » spécial juillet -septembre
publié partiellement dans Maghreb Machrek 2000
* 428 - Idem
* 429- Les conditions de
vie des ménages en 1997, étude réalisée par
l'Administration centrale de la statistique
* 430 - Al-mustaqbal,
du 27 Avril 2000
* 431 - Claude DUBAR, Salim
NASR, Les classes sociales au Liban, FNSP, Paris, 1976. pp 298-298
* 432 - Kamal HAMDAN,
« La décentralisation économique » In
L'administration civile au Jabal, Beyrouth, Dar Atakadoumia, 1990. p.
22
* 433- Kamal HAMDAN,
« La décentralisation économique » op.cit.
p. 24
* 434- Najib ISSA, « Les
stuctures et le conflit social » In Liban d'aujourd'hui,
CNRS, Paris, 1994, p. 182
* 435 - Cf. les conditions
de vie des ménages en 1997, étude réalisée par
l'Administration centrale de la statistique
* 436 - Samir AMINE,
Après le capitalisme, Centre des études de l'union
arabe, Beyrouth, 1988, p.61
* 437 - B. FONFILS, B,
ETIENNE, La science politique est-elle une science ?, Flammarion,
Paris, 1998, p.56
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