21 5.3 LE LECTEUR OCCASIONNEL
Il lit par curiosité pour voir ce qui se fait en
Algérie. La lecture n'est chez lui que support. Support d'un mal
être. Il lit des journaux algériens et se surprend à ne pas
réagir à la réalité du pays de ses parents.
Même si logiquement (il) devrait lire.
Les lecteurs de cette catégorie ne sont pas convaincus
par la presse algérienne quelle que soit sa tendance, son style...Ils
lui préfèrent la presse française même si celle-ci
ne les satisfait pas.
I La plupart I des journaux sont complètement acquis au
pouvoir quoi. Je ne les lis pas. Ca sert à rien parce que je pense que
je donne de l'argent...enfin pour moi ce serait interprété comme
donner de l'argent à des gens qui ne le méritent pas quoi...
(...) Ils ont une vision manichéenne. Un type de discours qui conforte
l'opinion française. C'est une façon de renforcer les
clichés. Je les perçois comme ça.
* Etudiante en Sciences Politiques. 27 ans. Née
à Lyon.
Y a quelque chose dont je me suis rendu compte il n'y a
pas tellement longtemps, c'est que finalement je ne lisais plus les
articles...bon moi je lis Le Monde normalement tous les jours. C'est
à dire je l'achète tous les jours quoi. Mais alors je sais pas si
je vais continuer mais c'est pour une histoire de fric. Donc je lis Le
Monde tous les jours depuis...Je pense qu'à Paris j'ai du le rater
10 fois ou 20 fois mais pas plus. Et...je me suis aperçu à un
certain moment que je ne lisais pas ou je ne lisais plus les articles
concernant l'Algérie. Alors j'y vois plusieurs raisons (...) Des, des
blocages en fait, hein, ça, je pense qu'il y a des choses aussi
là dessus hein, comme ça. Lesquelles...Je sais pas en fait
hein...Je ne sais pas mais je pense qu'il y a quelque
chose...sinon...sinon...ouais...Non quand même je lis un petit peu. Je me
tiens...Enfin bon, le minimum hein. Surtout que, ça dépend des
gens, des gens comme Saïd qui est très très branché
sur l'Algérie...Saïd BOUAMAMA. là, le mec de Lille. Donc qui
est très très branché sur l'Algérie donc, bon.
Sinon y a...bon...alors les journaux algériens Je les achète pas.
M. de temps en temps me fait...me passe des journaux algériens
quoi...Nation, je sais pas quoi tout ça donc bon je peux les
lire...et le...Enfin il y a comme un para...pas un paradoxe mais, le seul
article que j'ai découpé, le seul, c'est un article qui parlait
du village où je suis né. C'est quand même...Mais...Il
serait logique à tout point de vue que je lise...ça devrait
être un centre d'intérêt. Bon. (...) Logiquement je devrais
lire. Et puis moi y a un pote un jour qui m'a dit, il m'a dit « c'est
bizarre, tu réagis pas..."(...). Donc la presse, y a M. donc qui me les
passe très régulièrement d'ailleurs. Il me les passe. Bon
je les feuillette mais...d'ailleurs comme ça en fait pour me...me, entre
guillemets pour me baigner dedans. Voir un peu de quoi on parle dans...dans les
journaux algériens bons. C'était peut-être un peu pour
savoir qu'est-ce-que c'était...Qu'est-ce-que c'était enfin une
certaine réalité de l'Algérie... (...) Je sais qu'il
existe hein tout ça. Je sais même ce que ça veut dire, hein
mais...El-Watan c'est la nation ?...Donc...j'ai dû le
lire...sans plus quoi. Je peux pas dire quoi...par exemple je connais pas les
différentes tendances, alors que je devrais, je veux dire, je devrais
logiquement.
* 33 ans. Je ne suis pas un immigré. Je suis d'ici.
Ancien animateur d'une association "d'arabes de France" à Salon de
Provence.
Lorsqu'il y a un événement important qui s'est
passé en Algérie (...) j'essaie de prendre un peu tous les
journaux.
* Né en France. Employé de grande surface.
Je lis El-Watan, il est assez crédible
quoi. Sinon à part El-Watan non franchement. Non. Si, La
Nation. Il a un message différent. Moi je ne suis pas un mordu
non.
* 49 ans dont 44 en France. 4 enfants. Expert en automobile
(brevet de technicien automobile.)
Ce sont des paroles d'algériens ayant grandi en France
ou qui y sont nés. Ce discours des locuteurs nés en France ou
venus très jeunes est fortement marqué par leur environnement.
Environnement hostile à leur égard. Environnement qui tente de
les marginaliser.
Contrairement à leurs parents ils réagissent
à cet environnement non " par la résignation " mais par
des revendications de citoyenneté à part entière (U),
par des manifestations diverses. Ainsi (S) fait-il allusion
aux J.A.L.B. (Jeunes Arabes de Lyon et Banlieues) des années 1983, 84.
C'était la période des 100 fleurs !
Leur discours relatif à la presse algérienne ou
à l'environnement social qui est le leur, est fortement teinté,
idéologisé, particulièrement pour ceux dont le capital
culturel est élevé.
CITOYENNE DE SECONDE ZONE
U est étudiante. Elle est née
à Lyon. Y a grandi. Elle est née « dedans »,
il y a 27 ans. Réside à Saint-Denis depuis peu. Est inscrite
à l'université en année de licence.
« Depuis mon plus jeune âge je me suis
toujours...intéressée à...à la...aux
événements qui se situent de l'autre côté de la
Méditerranée. Donc ça les a pas étonné I les
parents I, c'est un cursus tout à fait logique. (...) Quant au fait de
vivre maintenant à Saint-Denis ils le...ils le vivent très bien
au contraire, ils m'encouragent beaucoup dans ce sens là. Ils sont
même contents que j'ai quitté Vaulx-en-Velin. (...)
J'ai l'impression qu'il existe une multitude
d'Algéries. (...) Et l'Algérie fermée, rurale,
traditionnelle, rude...c'est elle qui s'est installée en France dans les
années 60. (...) Nos parents s'acharnent à nous enseigner les
coutumes, la tradition, à nous renfermer dedans. Et je pense qu'ils font
une profonde confusion (...) à mon avis pour eux, toutes ces coutumes,
toutes ces traditions...tout ce qu'on vit, nous en tant que...enfin qu'on
considère comme des handicaps, pour eux ils le vénèrent
parce que... (...) Ils ne savent même pas distinguer la langue arabe de
l'Islam (...). La coutume de...d'une...de...je...enfin je sais pas avec quoi la
mettre en opposition le mot coutume mais...la coutume qui pourrait être
dépassée, ils n'arrivent pas à la balayer au profit d'un
comportement qui est nécessaire dans l'espace dans lequel on vit. (...)
Cela fait huit ans que je ne suis pas allée en Algérie. Ca me
manque beaucoup (...). Dès que j'ai un peu d'argent j'y vais.
Elle vit pleinement le pays de ses parents qu'elle tente - et
s'efforce - de faire sien. Elle ne le connaît que par les récits
qu'en font ses parents. Récits qui alimentent sa conception de l'
"Être" bien que parfois ce qui lui paraît relever de handicaps soit
perçu par ses parents comme des éléments de
"vénération". Socialisée en France sa préoccupation
essentielle est la question de l'intégration. Question dont dit-elle on
parle beaucoup mais en réalité on se préoccupe peu des
mille et une composantes culturelles, confessionnelles qui peuplent la
France.
(...) I ses parents I ne connaissaient pas la France.
Ils la connaissaient uniquement en tant que pouvoir répressif parce
qu'ils ont été colonisés et ils ont soufferts de la
colonisation. Et...en s'installant en France ils avaient peut-être besoin
de la connaître autrement. D'un point de vue culturel plutôt, d'un
point de vue historique. De voir que la France aussi c'était un pays qui
avait de bons côtés qui n'avait pas que la barbarie coloniale et
cetera...Et moi je suis née en France ; Je suis née dedans.
Je suis née dedans. Nous les jeunes issus de l'immigration on est
nés dedans. Donc on est français en fait. (...) Donc en fait moi
ce...enfin ce qui me préoccupe c'est la question citoyenne, la question
de la citoyenneté. Parce qu'on n'a pas une citoyenneté active. On
a une citoyenneté complètement passive. Et...on existe que...hors
des campagnes électorales...Et en dehors de ça on n'existe pas.
On n'existe pas. On est une population hors zone. Moi personnellement je me
considère comme une citoyenne de seconde zone. Etre citoyen ce n'est pas
uniquement apporter une voix. Etre citoyen c'est avoir droit au logement. Le
citoyen ce n'est pas simplement un rapport de devoirs envers l'autre. C'est
aussi...la contrepartie. Des droits c'est le logement, c'est le travail, c'est
la scolarité, c'est...la possibilité d'être respecté
dans l'espace public. Quel que soit notre faciès. Bon moi je le vis pas
ce problème là du faciès. Du contrôle du
faciès parce que bien souvent les femmes...elles ne sont pas
perçues de la même manière que les hommes. Et les hommes en
souffrent beaucoup. C'est eux qu'on va contrôler en premier...qu'on va
malmener...Enfin bon. Quand on voit l'application du plan vigi-pirates
...A qui on demande les papiers ? Aux maghrébins...ou au faciès
maghrébin car bien souvent y a des gens qui ont une tête, une
tête arabe, qui sont contrôlés et qui sont pas arabes mais
antillais par exemple. Ca c'est le plan vigi-pirates. Au vu et au su
de tous. Mais en dehors de ça bon...y a le problème du
logement...moi même je l'ai vécu.... »
Q : Tu l'as vécu comment ?
« Je l'ai vécu au travers ma soeur qui avait
demandé un appartement et on lui a dit : on vous le donne pas parce
que vous êtes arabe... Ils l'ont dit. Ils l'écrivent pas. Ils
l'ont dit. Vous êtes arabe. C'était une régie
privée...bien souvent...donc être citoyen...c'est aussi avoir la
possibilité de ...parce que (...) qu'est-ce qu'un Etat, qu'est-ce qu'une
citoyenneté, qu'est-ce qu'une nationalité...Parce que la France
...parce que en France on fait la confusion. C'est dans son essence. C'est...on
ne peut pas être sans être national. Ben justement peut-être
qu'il faudrait remettre ça en question. Ca peut être une
série de mesures qui permettraient à la population...dans sa
globalité de mieux vivre dans son espace. Et peut-être de mieux
vivre avec l'autre. Ceci dit il faudrait peut-être aussi compléter
ce travail par la connaissance culturelle. Il y a mille et une
composantes...culturelles, confessionnelles en France...donc...On parle
beaucoup de leur intégration mais...on ne sait même pas
comment...comment elles sont...On ne connaît même pas l'histoire de
ces gens là. Peut-être qu'il faudrait les faire connaître
davantage. »
S a 33 ans. " J'avais un an quand mes
parents m'ont amené (...) j'avais la taille d'une boite de
chaussures ". Il a vécu jusqu'en 1995 dans le sud de la France. Il
ne connait pratiquement pas le pays de ses parents auquel il est
néanmoins attaché.
Ce locuteur a cité pas moins de quinze noms
d'intellectuels (ou célébrités) maghrébins ou
arabes, durant l'entretien. Malek HADDAD, KATEB Yacine, IBN-KHALDUN, Omar
KHAYYAM, FELLAG, RIMITTI...que lui fait connaître sa soeur. Leur
connaissance révèle un attachement -bien que symbolique- à
la sphère culturelle de ses parents, de ses origines. Un attachement
à cette sphère culturelle qu'il ne reproduit pas ou peu dans ses
pratiques au quotidien. C'est un attachement symbolique. Sa
réalité comme celle de l'interviewée U,
se nourrit de son quotidien en France, hinc et nunc avec les
références
qu' (ils) peuvent. Avec des valeurs véhiculées
en France. Valeurs qu'ils intériorisent plus facilement en dépit
des réactions de leurs parents.
S crée une association de jeunes
maghrébins de la ZUP (dans maghrébins
c'était aussi nos parents hein...), lit des ouvrages sur
le Maghreb, s'inscrit à l'Université pour suivre des
études sur le monde arabe. Il ne travaille pas.
Mes parents c'est mes parents dit-il. Mais aussi :
Je suis pas un immigré.Toutes mes attaches sont à Salon.
J'AI PAS IMMIGRE MOI. JE SUIS PAS UN
IMMIGRE
On était dans un groupe de jeunes, une bande de
jeunes et dans cette bande de jeunes, il y a des franç...il y avait,
pardon ; il y avait des arabes et des non arabes...Cette bande de jeunes
elle était...on était que des potes...je veux dire...y a pas de
problèmes. Moi j'allais chez eux, ils venaient chez moi, enfin bon.
C'était vraiment...Y avait pas de problème. Mais il
n'empêche il y avait des clivages... (...). Je veux dire, quand t'es
jeune, quand je dis jeune hein, c'est on avait vingt ans. Vingt ans, l'un des
trucs c'est faire la fête, c'est sortir en boite. Donc on sort en boite.
On est cinq disons. Pour une voiture quoi. Une voiture, on est trois et deux,
je veux dire...et les deux arabes ou les trois arabes selon, hé ben, ils
se font refouler de la boite. C'est clair, c'est précis, c'est net. Je
veux dire, au bout de cinq fois ; ça se passe comme ça,
bon les mecs ils nous disent bon c'est bon on va plus en boite. Mais
je veux dire tout le monde à envie d'aller en boite, bon on leur dit
non, allez-y en boite nous on...
Donc de fait, des clivages comme ça se sont
retrouvés qui ont fait que un jour à trois on était sur un
mur qu'on appelle le mur de la misère et on était trois
et on s'est dit tiens si on faisait une association et on a
créé une association qui s'appelle NEDJMA. (...)
Je veux dire, par ailleurs c'était aussi pendant
la...C'était 84 donc la marche de 83 c'est aussi dans cette, dans cette
mouvance là (...) et donc nous c'est tout ça. MOA j'appelle cette
période I sourire et clin d'oeil I la période des 100
fleurs
voilà donc.1 (...) Nous on
est plein de références, je veux dire, NEDJMA, par exemple. Je
veux dire NEDJMA...ce qui a de, de...donc pourquoi NEDJMA ? Un, parce que c'est
un nom arabe et nous on voulait d'une certaine manière pouvoir dire
on est des arabes, mais sans avoir à le dire. Donc NEDJMA, c'est
clair. On n'a pas besoin de...de faire des discours là dessus et tout,
donc c'est NEDJMA (...). Deux, NEDJMA ça veut dire l'étoile.
Alors l'étoile...l'étoile rouge, les pays de l'est et
tout ça ! (...).Mais tous ça c'est pour jouer hein...on s'est
jamais pris la tête. Sinon, le nom il vient de Carte de
séjour. Une chanson de Carte de séjour. (...).
Très souvent quand on dit NEDJMA les gens ils
répondent Ah ! KATEB Yacine. Et nous on dit :
malheureusement non, ou on dit : non c'est pas KATEB Yacine c'est
Carte de séjour en rajoutant...parce que...on a les
références qu'on peut.
Et donc nous c'est pas KATEB Yacine (...) et nous notre
référence c'était Carte de séjour. Une
chanson qui s'appelle Echems -W-Nedjma et où il dit
Où est l'étoile, où est l'étoile, je la
cherche et tout ça... (...) Nous notre définition
c'était jeunes. Jeunes maghrébins de la Z.U.P. Et les
trois dimensions étaient importantes (...). Je veux dire dans
maghrébins c'était aussi nos parents hein...parce que
nous il est hors de question...alors nous, on refuse l'appellation
Beur. Beur par exemple. C'est, bon c'est une appellation
parisienne (...) c'était une manière, de pas dire arabe. Je veux
dire bon, moi ça me dérange pas. Je suis un bougnoule, ça
me...Enfin je veux dire c'est ça...je le suis, je le suis. Donc j'ai pas
envie qu'on euphémise. J'ai pas envie d'être
euphémisé. Moi j'ai pas envie d'être blanchi. Un. Deux, il
y avait aussi ça, c'est que c'était une manière de faire
la coupure avec les parents. Y a les bons Beurs. Et y a les mauvais ar... les
mauvais travailleurs immigrés, donc nous c'était quelque chose
qu'on refuse, mes parents c'est mes parents...C'est mes parents ! C'est une des
choses qui s'impose...C'est comme ça... (...).Moi je suis pas un
immigré. J'ai pas immigré moi.
Q : Fils d'immigré
Issu de, mais je suis pas un immigré
moi. Moi je suis un mec d'ici. Alors oui, depuis que je suis à Paris ici
je suis immigré à Paris. Ca pour moi c'est clair. (...)
Mais...mais enfin bon...mais si on était là maintenant à
Salon, que vous faisiez cet interview...je veux dire...je, je, ça
dépend qui, mais...si on me dit bon tu es un immigré et
tout je dis...enfin je laisse pas passer ça !...Parce que...toutes mes
raci... toutes mes attaches et cetera...mais alors TOUTES ! (...) sont du sud.
Je veux dire mais tout. Le climat, mes repères visuels, mes
repères lumineux (...) mes repères climatiques...bon, sans parler
des gens ! »
Toutes ses attaches sont du sud, de Salon dit-il mais aussi
mes parents c'est mes parents. C'est comme ça. Il précise comme
pour combiner ses propres attaches à celles de ses parents :
Nous notre définition c'était jeunes
maghrébins de la ZUP. Il pose en fait en des termes clairs la
question de l'identité des jeunes issus de l'immigration. Ces jeunes qui
veulent aussi bien écouter Carte de séjour, que lire et
Mao (MOA) et Kateb Yacine ou parcourir la presse ; Indifféremment
française ou algérienne. Ou les deux.
1- La marche pour l'égalité et contre le racisme
commencée le 15 novembre 1983 à Marseille arrive le 3
décembre à Paris.
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