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Rendement Interne du College Charles Lwanga de Sarh (Tchad): Cas de la cohorte 1987-1994

( Télécharger le fichier original )
par Mekone Tolrom
Universite de Toulouse 1, Sciences Sociales - Diplome d'Universite: Ingenierie de la Formation et des Systemes d'Emploi 2007
  

Disponible en mode multipage

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Mékoné Tolrom Sous la direction de Maurice Ourtau

Ingénieur de recherche au LIRHE
(Laboratoire Interdisciplinaire de recherche
sur les Ressources Humaines et l'Emploi, CNRS)

Diplôme d'Université Université de Toulouse 1, Sciences Sociales

« Ingénierie Appliquée aux Systèmes Master pro Sciences Economiques

de Formation et d'Emplois» Année Académique 2007-2008

A tous ces Jeunes Tchadiens qui,

par ignorance et amour du gain facile de leurs propres géniteurs et leaders,

vendus aux syndicats capitalistes internationaux, ont peine à s'Epanouir.

SOMMAIRE

Page de couverture page 001

Dédicace page 002

Sommaire page 003

Résumé page 004

Présentation du Master pro IFSE page 005

Présentation du Collège Charles Lwanga de Sarh page 006

Liste des abréviations page 007

Introduction page 008

Chapitre 1 Problématique

Section 1 Clarification de la notion de « rendement interne» page 009

Section 2 Théorie sociologique sur le rendement scolaire page 015

Section 3 Revue des critiques et questions page 019

Chapitre 2 Méthodologie

Section 1 Lectures exploratoires et découverte du terrain page 022

Section 2 Délimitation du sujet et choix des outils page 024

Section 3 Analyse des statistiques et interprétation page 025

Chapitre 3 Analyse

Section 1 Présentation des données relatives à la cohorte page 027

Section 2 Calcul des taux et indices relatifs au rendement interne page 031

Section 3 Interprétation des indices et taux de rendement interne page 038

Chapitre 4 Discussion

Section 1 Contextualisation des théories page 049

Section 2 Le paradoxe du rendement scolaire fondé sur l'origine sociale page 051

Section 3 Le rôle central du revenu dans le rendement scolaire page 053

Section 4 Vers un modèle systémique expérimental page 056

Conclusion page 066

Bibliographie page 067

RÉSUMÉ

Dans le mémoire de recherche en sciences sociales qui suit, nous confrontons la théorie déterministe de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron au rendement scolaire du Collège Charles Lwanga de Sarh, un établissement d'enseignement général secondaire géré par des prêtres jésuites. Cette théorie postule que « les enfants issus des classes sociales dominantes ont une meilleure réussite scolaire et universitaire parce qu'il y a concordance entre leur culture familiale et les savoirs et les savoir-faire requis par le système éducatif»1, écrit Jean Claude Lugan.

En dépit du choix que nous avons opéré en considérant uniquement les élèves provenant des zones rurales où le niveau des revenus est très faible et en excluant les élèves issus des zones urbaines pour lesquels nous ne possédons pas les données exactes sur le revenu familial, le résultat est éclatant. En pondérant ce dernier par le nombre des élèves directement admis dans les classes intermédiaires, le pourcentage des élèves provenant des zones rurales varie de 33% à 38% de la classe de Sixième en Terminale pour la cohorte 1987-1994 que nous avons étudiée. En classe de Sixième, les ruraux constituent 33% de l'effectif de la classe, en Terminale, ils représentent environ 33% aussi.

Pour Bourdieu qui affirme que ces élèves issus des milieux populaires ont plus de chance de se voir orienter dans les séries littéraires, les chiffres lui tournent le dos: 26% de ruraux en Première scientifique contre 33% en classe de Sixième, 23% de ruraux en Terminale scientifique contre 33% de ruraux en classe de Sixième. Nous n'oublions pas que ces chiffres excluent les élèves issus des familles des zones urbaines à faible revenu.

Allant plus loin que Bourdieu qui s'indigne contre le surplus d'effort consenti par les élèves issus des classes populaires pour obtenir les mêmes résultats que leurs condisciples des classes dominantes, nous pensons qu'il n'y a ni gloire ni surprise à obtenir un résultat sans effort. La combativité du pauvre née des difficultés de son environnement et le relâchement du riche occasionnée par le luxe dans lequel il baigne doivent nuancer les conclusions de ses travaux.

Enfin, l'appréciation de la performance des élèves doit être systémique pour être équitable et peut conduire à l'expérimentation d'un modèle systémique qui représente une méthode d'apprentissage plus naturelle.

1 Jean Claude Lugan, Approche Systémique des Organisations de Formation, UT1, 2007

PRESENTATION DU MASTER IFSE

Créé en 1992, le DESS « Ingénierie de la Formation et des Systèmes d'Emploi» de l'Université de Toulouse 1, Sciences Sociales (France), a vocation à couvrir les processus de « Conception, Réalisation, Evaluation et Régulation » dans les fonctions de Gestion des Ressources Humaines et de « Politiques de Formation [J allant du local à l'international »2. A la faveur de l'uniformisation des diplômes dans l'espace européen, l'UT1 a reçu l'habilitation à le délivrer comme Master professionnel en Sciences Economiques. Il est réalisé en partenariat avec plusieurs universités et laboratoires de recherche en sciences sociales (LIHRE, laboratoire du CNRS entre autres). A l'intérieur du programme existe un Diplôme d'Université « Ingénierie Appliquée aux Systèmes de Formation et d'Emplois» qui peut constituer un parcours tout autant indépendant qu'articulé au Master.

Les enseignements sont interdisciplinaires et renferment les disciplines suivantes: économie, sociologie, droit, sciences de l'éducation et gestion. Un premier bloc d'enseignement vise à donner des bases théoriques à l'étudiant et lui permettre de comprendre les enjeux liés aux systèmes de formation et d'emplois. Il s'agit de la sociologie de l'éducation, de l'économie du travail et des ressources humaines et de l'économie de l'éducation. Trois unités d'enseignement professionnalisantes traitent de l'Ingénierie pédagogique, de la gestion des ressources humaines et de l'évaluation à la prospective.

Le Master est offert en local au campus de Toulouse et en mode Formation Ouverte et À Distance (FOAD). Le contenu des enseignements ainsi que les examens de validation demeurent les mêmes dans les deux cas. L'admission au programme est réservée aux titulaires d'un diplôme universitaire de niveau bac+4 et aux personnes jouissant d'une expérience professionnelle pouvant leur permettre de valider les Acquis Professionnels. Ces derniers sont alors tenus de suivre le parcours Diplôme d'Université et prouver leur capacité à mener des recherches en sciences sociales et articuler les unités capitalisées à la suite du programme de Master. C'est dans ce cadre que nous sommes tenu de réaliser le présent mémoire portant sur le « rendement interne du Collège Charles Lwanga de Sarh », (Tchad).

2 Source http://foad.univ- tlse1.fr

PRESENTATION DU COLLEGE CHARLES LWANGA DE SARH

Fondé par le Père Raymond de Fenoyl, sj. en 1960, à l'indépendance du Tchad, ancienne colonie française, le Collège Charles Lwanga de Sarh, établissement privé d'enseignement secondaire, est une propriété de l'Eglise Catholique du Tchad et précisément du diocèse de Sarh, une des principales villes du Tchad située au sud du pays faisant frontière avec la République Centrafricaine. Il est confié par convention à la Compagnie de Jésus (une congrégation catholique) qui en assure le management pédagogique. Il a pour objectif d' « offrir un enseignement secondaire et l'éducation à un plus grand nombre de Tchadiens dans un esprit évangélique pour faire d'eux des hommes pour les autres et en même temps susciter des vocations sacerdotales et religieuses parmi ces jeunes»3.

Les enseignements sont ceux recommandés par le Ministère tchadien de l'Education Nationale majorée d'autres enseignements et activités spécifiques fondées sur la pédagogie ignatienne. Celle-ci, ayant fait ses preuves pendant cinq siècles d'existence, « vise la formation intégrale de l'homme ouvert au monde et au service des autres et la recherche du «ma gis » c'est-a-dire de l'excellence »4. Les enseignements sont assurés par des prêtres jésuites, des coopérants expatriés et des enseignants tchadiens. L'admission des élèves se fait par test au début de chaque année scolaire et à travers le pays. Plus de 70% des élèves proviennent des familles rurales et urbaines à très faible revenu. Ils appartiennent à toutes les religions existant dans le pays. Un grand nombre de postes de haut niveau au Tchad est occupé par les ressortissants de l'établissement.

Le Collège Charles Lwanga a fonctionné pendant plusieurs années en régime internat, semi-internat et externat. Cette oeuvre sociale fait partie du dispositif national de développement et d'encadrement de l'Eglise catholique au Tchad qui comprend entre autres l'Institut National de Développement Economique et Social (INADES), le Centre d'Etudes et de Formation pour le Développement (CEFOD), le Bureau d'Etudes, de Liaison des Actions Caritatives de Développement (BELACD), le Centre d'Apprentissage et de Perfectionnement (CTAP), le Service Audio-Visuel pour l'Education (SAVE), etc.

3 Présentation du Lycée-Collège Charles Lwanga, Année scolaire 2001-2002, P. N'Guessan Sess Julien, sj. 4idem

LISTE DES ABREVIATIONS

UT1 Université de Toulouse 1, Sciences Sociales, France

IFSE Ingénierie de la Formation et des Systèmes d'Emplois

DU Diplôme d'Université

CCL Collège Charles Lwanga de Sarh, Tchad

OCDE Organisation de Coopération et de Développement Economique

INADES Institut National de Développement Economique et Social

CEFOD Centre d'Etudes et de Formation pour le Développement

CTAP Centre Technique d'Apprentissage et de Perfectionnement

BELACD Bureau d'Etudes, de Liaison et des Actions Caritatives de Développement

SAVE Service Audio-Visuel pour l'Education

CEG Collège d'Enseignement Général

CEPE Certificat d'Etudes Primaires Elémentaires

BEPC Brevet d'Etudes du Premier Cycle

DESS Diplôme d'Etudes Supérieures Spécialisées

VAP Validation des Acquis Professionnels

ENFA Ecole Nationale de Formation Agricole

CNRS Centre National de Recherche Scientifique

LIRHE Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les RH et l'Emploi

FOAD Formation Ouverte et À Distance

INTRODUCTION

Le rendement des établissements de formation qu'il soit de base ou supérieur s'affirme comme un épine bien coriace dans le pied des politiques d'éducation nationale partout dans le monde. En dépit des théories sociologiques et anthropologiques qui attribuent très peu d'intelligence aux enfants issus des classes populaires, les pays développés aussi bien que ceux en voie de développement s'efforcent de mettre les moyens dans la balance pour atténuer les inégalités subsistant dans le succès scolaire. Les faits le montrent au fil des années: accédant aux opportunités d'éducation dans un environnement adapté, les enfants issus des milieux à faible revenu réussissent aussi lorsque l'autorité responsable de leur éducation n'appartient pas à une politique d'ensemble de façade.

Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, dans leurs oeuvres Les Héritiers et La Reproduction montrent, statistiques à l'appui, que les enfants issus des classes populaires sont moins aptes à réussir que ceux des classes aisées et que s'ils réussissent quand même, c'est au prix de beaucoup d'efforts et plus dans des filières peu rentables comme les littéraires. A l'encontre de cette théorie, nous présentons ici les faits tirés de l'expérience du Collège Charles Lwanga de Sarh, un établissement d'enseignement général secondaire situé au Tchad. L'origine des élèves à dominante rurale et des familles à très faible revenu ne les a ni envoyés dans les établissements secondaires d'enseignement technique « réservés aux pauvres» ni conduit à l'échec scolaire. Ceci nous amène à nous poser la question qui est celle de savoir quel est le facteur prépondérant dans le succès scolaire au Collège Charles Lwanga de Sarh?

Usant de l'approche systémique, nous placerons les termes « rendement scolaire », « valeur ajoutée », « productivité» et «inégalité des chances» dans leur contexte économique et sociologique selon les cas dans le plan de travail qui suit.

Un premier chapitre nous permettra de préciser la problématique de la recherche. Un deuxième chapitre présentera la justification de la méthodologie. Un troisième chapitre restituera les résultats de nos recherches thématiques avec interprétation. Et Dans un dernier chapitre consacré à la discussion, nous porterons au devant de la scène le paradoxe du rendement scolaire fondé sur l'origine sociale en proposant un modèle d'éducation systémique qui représente une méthode naturelle d'apprentissage.

CHAPITRE 1 Problématique

Le rendement interne de l'éducation s'apprécie différemment soit que l'on se place du point de vue de l'investissement réalisé par le bénéficiaire de l'éducation soit qu'on l'examine sous l'angle d'un établissement de formation qui cherche à participer au développement économique de son environnement. Après avoir clarifié cette notion, nous présenterons les théories sociologiques majeures sur le rendement scolaire et poserons les questions qui nous intéressent dans la cadre de cette recherche.

Section 1 Clarification de la notion de « rendement interne»

Selon le point de vue du bénéficiaire de l'investissement éducatif, le rendement interne ou privé représente l'élément clef de la théorie du capital humain développé par Becker. Nous présentons ici les principes, les applications et les limites.

Paragraphe 1 Théorie du capital humain (Becker)

Becker considère que l'éducation constitue un investissement impliquant couts, gains et donc rentabilité. D'autres auteurs qui le suivent atténuent cette vue très économique.

A. Principes et applications

Lorsqu'on parle de taux interne de rendement de l'éducation en économie, on fait exclusivement allusion aux gains et espérance de gains que le bénéficiaire de l'éducation compte réaliser ou réalise quand il franchit l'étape d'acquisition des connaissances. Ce processus est similaire à celui de l'entreprise qui investit un capital dans une activité et en retire un bénéfice financier. Avant de passer à l'acte d'investissement, l'entreprise met sur la balance plusieurs options de rentabilisation du capital qu'il possède. Il utilisera alors la technique de capitalisation qui consiste à effectuer des calculs pour obtenir la valeur future d'une somme possédée aujourd'hui. La technique est fondée sur les taux d'intérêt du marché et se traduit mathématiquement par la formule suivante:

Be=Bo(1 + i)t

Où Be représente la somme que l'investisseur est supposé gagner dans le futur, B0 représente la valeur actuelle de la somme considérée, i le taux d'intérêt sur le marché et t le nombre d'années d'investissement envisagé. Plus le taux d'intérêt i est élevé, plus la somme Be est élevée ainsi que la rentabilité.

L'investisseur procède alors par comparaison. Il met sur la balance deux projets d'investissement et compare leur rentabilité grâce à la technique de capitalisation. Il choisira donc naturellement le projet pour lequel le taux de rendement est plus élevé. Pour Becker, il en va de même de l'investisseur en matière d'éducation. La théorie du capital humain postule que le niveau de salaire est la conséquence de la qualification de l'individu éduqué. Ce postulat justifie alors un salaire élevé pour une qualification élevée. Ceci implique un autre argument: l'éducation augmente la productivité de l'individu car cela représente une perte pour l'investisseur de rémunérer un individu non productif. Avant Becker, Adam Smith postulait: « On peut s'attendre à ce que le métier que l'homme qualifié apprend lui rapporte un salaire supérieur à celui du travail non qualifié et rembourse sa dépense totale d'éducation majorée au minimum du profit habituellement rapporté par un capital d'égal montant»5. Tous ces postulats sont empreints de beaucoup de « mécanicité» et c'est à juste titre que les auteurs qui suivront feront évoluer l'idée de rentabilité éducative.

B. Limites et contributions

Pour les tenants de la théorie du signal et du filtre, la validité de la relation qualification-productivité et donc éducation-revenu résultant du diplôme est à revoir pour une meilleure appréciation du rendement éducatif. Pour les tenants de la théorie du signal comme Spencer, l'employeur ignore la productivité de l'individu qu'il cherche à recruter. Il utilise comme indices de productivité potentielle le sexe, la race, l'âge et le niveau

5 Cité dans le Cours d'Economie de l'Education, Pierre Gravot, UT 1, 2007

d'éducation. Etant donné, comme le pensent beaucoup d'auteurs, que l'école développe les aptitudes conformes aux attentes du système capitaliste, l`employeur se fonde sur cette conviction pour attribuer un certain signal à l'individu éduqué. C'est ainsi que Arrow pense que « l'éducation n'a pas d'effet sur la productivité mais indique que l'individu est capable d'être plus efficace dans son emploi »6. Cette thèse se rapproche de la théorie du filtre qui affirme que l'école ne sert qu'à sélectionner les individus qui détiennent de leur milieu d'origine les talents nécessaires pour être productif. Tous acceptent cependant que l'école ne peut qu'améliorer cette productivité.

Par ailleurs, en plus de la dimension monétaire, les dimensions culturelles, intellectuelles et sociales viennent renforcer l'appréciation de l'investissement éducatif et produisent la notion de rendement social. Dans son cours d'Economie de l'éducation, Pierre Gravot retient quelques une de ces dimensions. Le statut, la responsabilité, l'indépendance, la stabilité, la localisation, la pénibilité constituent une première dimension très importante de l'éducation. L'individu n'investit pas seulement pour des motifs de retour monétaire mais aussi pour pouvoir jouir de ces facteurs sociaux. L'éducation est aussi un bien de consommation pour lequel le bénéficiaire tente de maximiser l'utilité en tenant compte de son revenu. En reconnaissant qu'elle est un bien de consommation, ce point de vue anéantit l'idée de rentabilité du capital humain. Dans le cas du système français à scolarité obligatoire en primaire et secondaire, l'éducation représente un bien collectif qui bénéficie à la communauté entière. Ici aussi, le calcul en terme de rendement interne s'émousse. Enfin, l'incertitude dans le choix, incertitude née de l'aléa inhérent aux perspectives de gain, de l'information imparfaite et de la rationalité limitée ne joue pas non plus en faveur du capital humain.

Cette présentation de la théorie du capital humain nous permet simplement de clarifier la notion de rendement interne ou privé dans sa définition. Nous proposerons maintenant une autre conception du « rendement interne» qui nous intéresse dans ce mémoire.

6 Cité dans le Cours d'Economie de l'Education, Pierre Gravot, UT 1, 2007

Paragraphe 2 Rendement scolaire

La notion de rendement que nous allons circonscrire dans les lignes qui suivent est celle qui sera retenue dans le cadre de la rédaction de ce mémoire. Elle fait appel à deux notions connexes que sont la productivité et la valeur ajoutée.

A. Productivité

En économie marchande, la productivité est le « rapport entre le rendement effectif (production des biens) et l'unité de l'un ou plusieurs des facteurs de production choisie»7 selon le Lexique des sciences sociales de Grawitz. Mathématiquement parlant:

Où P représente la productivité recherchée, r le rendement etf les facteurs de production. Plus la valeur des facteurs est élevée, plus la productivité diminue. Le bon gestionnaire marchand tentera de produire le maximum de biens avec une quantité de facteurs donnée. Il augmentera alors la productivité de son entreprise.

Dans le cas des établissements de formation, ce comportement du bon gestionnaire marchand est l'inverse de celui du gestionnaire d'établissement car l'augmentation de la productivité de son établissement signifie soit la production de plus de diplômés à moyens constants ou de diplômés en nombre constant en minimisant les facteurs de production. Concrètement, augmenter la productivité signifie dégrader les conditions d'encadrement et produire des diplômés au moindre cout.

Cette clarification de la notion de productivité nous permet donc de préciser quelles sont les conditions positives pour un établissement de formation pour générer un output acceptable, output que nous retrouvons aussi dans la notion de valeur ajoutée.

7 Madeleine GRAWITZ, Lexique des sciences sociales, Editions DALLOZ 2004

B. Valeur ajoutée

En sciences sociales, la valeur ajoutée représente la «différence entre l'input et l'output» selon le Lexique des sciences sociales de Grawitz. Nous avons préféré cette définition car elle n'est pas très spécifiquement économique et nous permet de traiter du rendement scolaire. L'approche systémique des établissements de formation qui use du concept de « système» pour analyser les organisations est plus apte à définir la notion de valeur ajoutée.

Plusieurs définitions sont données du concept « système»; nous retiendrons ici la définition simplifiée de Jean-William Lapierre et nous y ajouterons pour clarification les éléments proposés par Jean-Claude Lugan. Pour Lapierre, « le système est un ensemble organisé de processus liés entre eux par un ensemble d'interactions à la fois assez cohérents et assez souples pour le rendre capable d'un certain degré d'autonomie »8. L'accent est mis ici sur « processus », « interactions », « autonomie ». Lugan9 a proposé une définition qui ajoute les concepts de « actions », « effets », « permanence », « existence », « dynamique », « temporel », « téléonomie », « congruence », « performance », « sous-système », « adaptation », « échange », « input », « output» et « transformation ». Lugan, se basant sur ces concepts clefs, cite alors trois caractéristiques essentielles d'une organisation concrète de formation : « une organisation éducative est une boite noire avec des entrées et des sorties»; c'est un « système plus ou moins ouvert»; c'est un système complexe parce qu'elle « conjugue des faits, des artefacts, des acteurs qui sont déjà en eux-mêmes des systèmes complexes ». Schématiquement, l'organisation éducative en tant que système peut être représentée de la façon suivante:

8 Cité dans le Cours d'Economie de l'Education, Pierre Gravot, UT 1, 2007

9 Jean Claude Lugan, Approche Systémique des Organisations de Formation, UT1

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Avant de traiter, chiffres à l'appui, de ce rendement pour le Collège Charles Lwanga de Sarh, examinons les théories sociologiques majeures qui ont tenté de diagnostiquer le phénomène du rendement scolaire.

Section 2 Théorie sociologique sur le rendement scolaire

Il existe deux courants sociologiques essentiels, l'un attribuant le succès à l'origine de l'élève et l'autre le faisant dépendre d'un ensemble de stratégies actives, se disputent le terrain.

Paragraphe 1 Théories déterministes

Dans cette catégorie peuvent être classées la théorie sociolinguistique de Bernstein et la théorie culturaliste de Bourdieu et Passeron.

A. Théorie sociolinguistique de Bernstein

Selon Cherkaoui, « Bernstein prend au sérieux la thèse qu'il existe une correspondance entre modes d'expression cognitive et la structure de classes, qui retentit sur la réussite et plus généralement sur les conduites scolaires et sociales de l'individu. Bernstein part de la conclusion selon laquelle le niveau linguistique est indépendant du potentiel intellectuel mesuré par les tests chez les enfants issus de la classe ouvrière. Selon Bernstein, la différence résulte entièrement de l'existence de deux langages, chacun étant typique d'une classe sociale : l'un formel, utilisé par les individus appartenant à la classe bourgeoise, est riche en qualifications personnelles et individuelles; sa forme implique des ensembles d'opérations logiques, avancés, langage pour qui l'intensité, le ton et d'autres moyens d'expression non verbaux, bien qu'importants, ne prennent qu'une place secondaire; l'autre public, propre aux individus appartenant à la classe ouvrière où l'accent est mis sur les termes émotifs, emploie un symbolisme concret, descriptif, tangible et visuel dont la nature tend à limiter l'expression verbale du sentiment dans la mesure où l'expression de celui-ci est opéré par des moyens non verbaux: gestes, expressions corporelles, changement et variations dans le ton de la voix, en un mot, par ce que Bernstein appelle « le symbolisme

expressif». Dans le premier, le verbe médiatise les intentions, exerce par la-même l'enfant aux modes de perception relationnel et facilite la considération des chaines causales entre le présent et l'avenir. Dans le second, l'accent mis sur le présent par les moyens de communication inhibe toute maitrise de médiation. [J Les phrases du langage public ne permettent pas l'expression et la communication d'idées. Elle contraste en cela avec les phrases du langage formel dont l'élaboration grammaticale complexe due à l'utilisation de subordonnés, de conjonctions et de prépositions permet de traduire les relations logiques. Du point de vue des normes scolaires, il y a supériorité du langage public sur le langage formel »10 . (p61)

La conclusion est clairement tirée: « Du point de vue des normes scolaires, il y a supériorité du langage public sur le langage formel». Qu'en est-il de la théorie culturaliste?

B. Théorie culturaliste de Bourdieu/Passeron

Dans La reproduction, pour Bourdieu et Passeron, « toute action pédagogique est objectivement une violence symbolique en tant qu'imposition, par un pouvoir arbitraire, d'un arbitraire culturel» (p19). C'est dans leur oeuvre Les héritiers qu'ils vont donner les facteurs qui expliquent le taux d'échec élevé des élèves issus des classes populaires. S'appuyant sur les résultats chiffrés des enquêtes d'Alain Girard sur les rendements scolaires basés sur l'origine familiale, Bourdieu et Passeron11 constatent que « le retard et le piétinement des classes les plus défavorisées peut être saisis à tous les niveaux du cursus ». Ils confirment leur thèse d'origine sociale en affirmant que « de tous les facteurs de différenciation, l'origine sociale est sans doute celui dont l'influence s'exerce le plus fortement sur le milieu étudiant, plus fortement en tout cas que le sexe et l'âge et surtout plus tel ou tel facteur clairement aperçu, l'affiliation religieuse par exemple» (p22). Ces auteurs voient dans « le fait que la part des étudiants qui disent avoir suivi le conseil de leur famille pour le choix d'une section [J croit en même temps que s'élève l'origine familiale, cependant que le rôle du

10 Mohamed CHERKAOUI, Sociologie de l'Education, Edition PUF, 1986

11 Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON, Les Héritiers - Les Etudiants et la culture, Les Editions de Minuit, 1964, 1966, 1985

professeur décroit parallèlement» est un « indice de l'influence du milieu familial ». La suprématie des élèves bourgeois se manifestent aussi par le fait qu'ils « sont assurés de garder une place, même fictive, au moins dans une discipline refuge, ils peuvent sans risque réel, manifester un détachement qui suppose précisément une plus grande sécurité », ce que ne peuvent oser les élèves issus des classes populaires. « L'homme cultivé est bien né qui sait sans avoir peine pour acquérir son savoir et qui, assuré de son présent et de son avenir, peut donner l'élégance du détachement et prendre les risques de la virtuosité ». Ceux-ci héritent de leur milieu d'origine « des savoirs et un savoir-faire et un « bon gout » dont la rentabilité scolaire, pour être indirecte, n'en est pas moins certaine ». Pour ces auteurs, la culture scolaire est même inférieure à la culture générale que détiennent les élèves bourgeois, une « culture [générale] héritée qui ne porte pas la marque routinière de l'effort et a, de ce fait, toutes les apparences de la facilité et de la grâce ». Aussi, « pour les fils de paysans, d'ouvriers, d'employés ou de petits commerçants, l'acquisition de la culture scolaire est acculturation ». Les auteurs concluent que « c'est sous le double rapport de la facilité à assimiler la culture et de la propension à l'acquérir que les étudiants originaires des classes paysannes et ouvrières sont désavantagés ».

En dépit des références sous-adjacentes faites aux causes économiques de l'inégalité devant l'école, ils écartent toute idée d'imputation de manque de ressources par cette phrase : « Croire que l'on donne à tous les chances égales d'accéder à l'enseignement le plus élevé et à la culture la plus haute lorsque l'on assure les mêmes moyens à tous ceux qui ont les « dons » indispensables, c'est rester à mi-chemin dans l'analyse des obstacles et ignorer que les aptitudes mesurées au critère scolaire tiennent, plus qu' à des « dons » naturelles (qui restent hypothétiques tant qu'on peut imputer à d'autres causes les inégalités scolaires), à la plus ou moins grande affinité entre les habitudes culturelles d'une classe et les exigences du système d'enseignement ou les critères qui y définissent la réussite.»

Pour toute solution aux problèmes de l'inégalité devant l'école, les auteurs considèrent qu'« une pédagogie réellement rationnelle, c'est-à-dire fondée sur une sociologie des inégalités culturelles contribuerait sans doute à réduire les inégalités devant l'Ecole et la culture, mais elle ne pourrait entrer réellement dans les faits que si se trouvaient

données toutes les conditions d'une démocratisation réelle du recrutement des maîtres et des élèves, à commencer par l'instauration d'une pédagogie rationnelle ».

Paragraphe 2 Théorie actionaliste ou néo-individualiste

Pour les tenants de la théorie actionaliste, « ce n'est plus le passé qui détermine à lui seul la réussite ou l'échec, mais c'est surtout l'avenir ou le projet élaboré par l'individu et sa famille. » (Cherkaoui, 196). Pour ces auteurs, l'influence de l'héritage n'est sensible qu'au cours des premières années scolaires. Raymond Boudon pense qu'il faut prendre en compte la « dimension de la comparaison couts-avantages dans l'analyse des processus d'orientation scolaire». Voici quelques conclusions tirées de son livre L'inégalité des chances12:

« L'inégalité de chance devant l'enseignement résulte principalement de la stratification sociale elle-même. L'existence de positions sociales distinctes entraine l'existence de système d'attentes et de décisions distinctes dont les effets sur l'inégalité des chances devant l'enseignement sont multiplicatifs ».

« Les différences dans la qualité de l'héritage culturel en fonction de la classe sociale n'explique que dans une mesure très limitée l'inégalité de chance devant l'enseignement. Elles expliquent les différences dans la réussite scolaire en fonction de l'origine sociale au jeune âge. Par contre, elles n'expliquent guère les disparités du niveau scolaire en fonction de l'origine sociale. [] Les réformes pédagogiques visant à compenser les disparités culturelles dues au milieu familial ne peuvent atténuer les inégalités devant l'enseignement que de façon modérée».

« Les inégalités économiques sont une dimension majeure de la stratification. []Si on affirme que les inégalités économiques sont la dimension la plus importante de la stratification, il résulte de l'analyse qu'une réduction des inégalités économiques doit avoir des effets importants sur l'égalité des chances devant l'enseignement. Une réduction même

12 Raymond BOU DON, L'Inégalité des chances, Editions Hachette Littératures 1984

modérée des inégalités économiques peut avoir des effets non négligeables puisque exponentiels».

Boudon propose comme solution un « curriculum unique» qu'il reconnait « contradictoire avec la norme d'une adaptation du curriculum aux gouts et aptitudes des enfants ».

Section 3 Revue des théories et questions

Nous passons en revue, dans cette section, les théories sociologiques ci-dessus afin de spécifier les questions qui nous préoccupent dans le cadre de cette recherche.

Paragraphe 1 Revue des théories

Les faits semblent montrer un point un consensus mais les diagnostiques posés ne révèlent pas de la même logique.

A. La nudité de faits

Toutes ces théories sociologiques s'appuient sur des données statistiques réelles et concordantes avec une observation directe des faits dans les sociétés concernées. L'héritage culturel a un poids élevé dans le rendement scolaire. Les élèves issus des milieux populaires proviennent d'un environnement où le savoir scolaire ne relève pas du vécu quotidien. Au lieu de vivre des avantages octroyés par leurs parents, ils s'efforcent, en voulant se faire une place dans la société globale, de bâtir un nouveau cadre de vie grâce à l'école. Il est donc normal que l'école constitue pour eux une « acculturation ». Du même coup, ils doivent lutter seuls sans l'appui des parents. Ce n'est pas le cas pour les élèves issus des milieux bourgeois qui ont des parents informés de la chose scolaire et suivent de près le progrès de leurs enfants, les aident à réaliser les travaux scolaires. L'assurance environnementale et économique dont jouissent les élèves bourgeois fait défaut à leurs condisciples des milieux populaires. Ces derniers ne peuvent pas s'octroyer des aires de liberté et se démarquer du savoir scolaire que les bourgeois considèrent finalement comme inferieur à leur « culture

héritée ». Le piétinement et le taux d'échec est élevé parmi les élèves issus des classes populaires. On les retrouve plus nombreux dans les filières littéraires que dans les filières rentables. Tous les auteurs reconnaissent l'inégalité économique qui règne entre les deux classes. Si les faits présentés ont une allure consensuelle, il n'en va pas de même du diagnostic que chaque auteur propose à ce sujet.

B. La divergence des diagnostics

Comme décrit ci-dessus, le diagnostic des théories déterministes s'oppose à celui des théories actionalistes. Pour l'aile culturaliste extrémiste tenue par Bourdieu, la « culture savante» appartient à la bourgeoisie. Les enfants issus de ce milieu en héritent. Les enfants issus des milieux populaires sont étrangers à cette culture. C'est ce qui explique leur « piétinement» dans un domaine où ils doivent fournir de l'effort pour en assimiler les fragments. Bourdieu exclut toute cause économique dans cette inégalité devant l'école. Pour lui, c'est presque un destin lorsqu'il affirme qu'il ne faut pas perdre du temps à vouloir réduire les inégalités économiques pour espérer améliorer la performance des élèves issus des milieux populaires. Bernstein va dans le même sens avec sa théorie sociolinguistique. Le langage « public », celui des milieux populaires, est très pauvre et ne permet pas de communiquer les idées. Il est « inférieur », du point de vue scolaire, au langage formel employé par les milieux bourgeois. Il ne permet pas de communiquer les idées ! C'est donc à juste titre que l'élève issu des milieux populaires échoue.

Boudon, du courant actionaliste ou néo-individualiste, en se basant sur les données microsociologiques, n'est pas entièrement de ce point de vue. Tout en reconnaissant le poids non négligeable de l'héritage culturel, il n'est pas d'accord sur le fait que l'échec des classes populaires lui soit entièrement imputable. Pour le courant dont il fait partie, l'enjeu du rendement scolaire n'est pas le passé mais le futur. C'est par rapport au projet futur et aux décisions présentes pour réaliser ce projet que le rendement scolaire doit s'apprécier. Pour lui, la stratification sociale oriente les décisions mais celles-ci sont aussi basées sur les inégalités économiques. Il affirme que le poids de l'héritage culturel ne joue que dans les années scolaires, au jeune âge, mais pas après ces années.

Cette synthèse des diagnostics du rendement scolaire nous permet de poser les questions qui orienterons l'analyse du rendement scolaire du Collège Charles Lwanga de Sarh ainsi qu'une réflexion approfondie sur le sujet.

Paragraphe 2 Questions

Au vu du destin des élèves issus des milieux populaires selon Bourdieu, Bernstein et les autres tenants de la théorie déterministe, destin qui les condamne à l'échec scolaire et partant les voue à un avenir peu glorieux, est-il encore justifié que les politiques publiques d'éducation qui puissent naturellement et paisiblement investir dans le succès naturel et héréditaire des élèves bourgeois et se donnent du mal à vouloir promouvoir le succès « impossible » des élèves issus des classes populaires?

Etant donné que l'école est venue d'ailleurs et s'est imposée à tous les élèves africains de la même manière, sont-ils donc tous considérés comme étrangers à la « culture savante» et partant égaux devant le rendement scolaire? Ou bien cette même distinction « classe populaire » et « classe bourgeoise» doit-il s'appliquer aux milieux africains l'un à revenu acceptable et l'autre à revenu très faible et justifier le succès des uns et l'échec des autres?

Sous réserve des réponses qui seront ultérieurement apportées à ces deux questions, pourquoi le rendement scolaire au Collège Charles Lwanga de Sarh s'opère-t-il sans distinction de classes sociales? Et comme ce rendement est positif, à quels facteurs prépondérants est-il dû?

CHAPITRE 2 Méthodologie

Outre la restitution du contexte de cette recherche à travers la présentation du Master Ingénierie de la Formation et des Systèmes d'Emploi de l'Université de Toulouse 1 et celle du Collège Charles Lwanga de Sarh dans l'introduction à ce mémoire, ce chapitre est consacré à plus de détails sur la méthodologie que nous avons adoptée afin de mieux apprécier l'analyse. Il s'agit de l'agencement relatif aux lectures exploratoires, à la délimitation du sujet et au traitement des données statistiques.

Section 1 Lectures exploratoires et découverte du terrain

Lors des lectures exploratoires et la découverte du Collège Charles Lwanga de Sarh, nous avons passé en revue toutes les disciplines universitaires au programme de Master et avons consulté les résultats d'enquêtes et divers articles relatifs au sujet.

Paragraphe 1 Sciences de l'éducation

Il s'agit essentiellement des disciplines qui entrent dans le cadre des études en sciences de l'éducation à savoir l'économie, la sociologie et toutes les sciences connexes étudiant les comportements individuels et collectifs.

A. Sciences économiques

Le cours d'Economie de l'éducation dispensé par Pierre Gravot à l'Université de Toulouse 1 nous a enseigné que depuis les origines de cette discipline avec l'économiste de renom Adam Smith, beaucoup de choses ont évolué. En effet, Adam Smith a été à la source de la notion de « capital humain» même s'il n'a pas expressément utilisé le terme13. Des auteurs pour la plupart britanniques et américains ont fait le tour de la question qui peut se résumer en deux grands chapitres conformément à la méthode économique employée pour analyser un marché: l'offre et la demande. L'offre étudie les activités des établissements de

13 Pierre Gravot, Cours d'Economie de l'Education, UT1, 2007

formation, leur performance, leur mode de sélection, d'affectation de ressources, leur productivité et leur méthode d'évaluation. La demande étudie les différentes dimensions dans lesquelles s'insère la demande des individus, des collectivités et des entreprises des besoins de formation. Etant donné la spécificité de ce marché, classifié par la loi comme bien « sous tutelle », une analyse de la politique éducative est également faite intégrant la justification de l'intervention de l'Etat dans le domaine de l'éducation. Une lecture sommaire de l'oeuvre de Marc Gurgand a diversifié notre connaissance du sujet.

Par ailleurs, l'apparition du « labor economics» en 1940 aux Etats Unis étudiant les aspects économiques du travail a permis de mieux comprendre la valeur des qualifications acquises dans le système éducatif. Il en est de même des autres disciplines sociales.

B. Sociologie et sciences connexes

Contrairement à l'économie qui étudie le système éducatif depuis peu, la sociologie a fait de celui-ci son domaine d'étude de prédilection il y a longtemps. Selon Mohamed Cherkaoui dont nous avons consulté l'oeuvre, le terme « sociologie de l'éducation» est utilisé dans son acception restreinte empruntée au terme anglais « sociology of education qui désigne de fait, la sociologie des systèmes d'enseignement ». Cherkaoui précise que « si la sociologie est centrée sur les phénomènes scolaires, elle n'exclue pas pour autant de son champ d'intérêt l'étude des relations entre l'école et les autres institutions, notamment la famille, la politique, l'économie. Selon une métaphore bien connue de l'analyse des systèmes, elle a pour objet les mécanismes scolaires, les entrées et les sorties »14 . La consultation de son précis a été d'un très grand apport dans la compréhension globale de notre sujet surtout que son approche est celle qu'a adoptée Jean-Claude Lugan dans son cours d' « Approche Systémique des Organisations de Formation» dispensé à l'Université de Toulouse 1. Celui-ci a d'abord présenté les notions nécessaires à la compréhension des systèmes de formation avant d'en faire une application aux établissements concrets de formation.

14 Mohamed CHERKAOUI, Sociologie de l'Education, Edition PUF, 1986

Notre curiosité ne s'est pas arrêtée à la sociologie de l'éducation car si l'interdisciplinarité est une qualité hautement appréciée dans l'étude des systèmes, en science de l'éducation, elle est une nécessité. Nous avons donc tenu à effectuer une lecture sommaire sur la psychopédagogie que Gaston Mialaret définit comme « soit une théorie, soit une méthode, soit un ensemble de pratiques pédagogiques qui se réfèrent, soit pour les fonder, soit pour les expliquer, soit pour les mettre en oeuvre sur le plan de l'action, aux données de la psychologie de l'éducation ». Enfin « l'enquête philosophique» présentée par Franc Morandi nous a éclairé sur « le lien fondateur qui légitime l'oeuvre de l'éducation, fonde la naissance du sujet à l'essence et à l'existence »15.

Paragraphe 2 Résultats d'enquêtes et article divers

Nous avons parcouru des réflexions faisant suite à des enquêtes sur le rendement scolaire en France, en Grande Bretagne et aux Etats Unis. Nous nous sommes particulièrement intéressés à l'article de Robert Campbell et Barry N. Siegel portant sur la demande d'éducation supérieure aux Etats Unis publié dans The American Economic Review. L'article de Marc Frênette sur les « probabilités pour les jeunes Canadiens provenant des familles à faible revenu de poursuite des études universitaires» a retenu notre attention et contribué à forger notre opinion sur le sujet. Sur l'Afrique quelques articles glanés sur Internet ne nous ont vraiment pas permis de procéder à une analyse scientifique.

Section 2 Délimitation du sujet et choix des outils

Nous avons dû délimiter notre sujet et faire le choix de nos outils d'investigation et d'analyse en tenant compte des moyens et données statistiques dont nous disposons.

Paragraphe 1 Limitation due aux moyens d'investigation limités

Nos recherches ont été entièrement menées à distance grâce à internet. Certaines données ont été directement imprimées des sites internet ressources, d'autres ont été

15 Gaston MIALARET, La Psychopédagogie, Editions PUF 1987

repérées et commandées auprès des libraires en ligne. Compte tenu du temps et des ressources matérielles dont nous disposons, nous avons limité notre champ d'étude au rendement interne de l'établissement de formation choisi : le Collège Charles Lwanga de Sarh. Initialement, il s'agissait d'étudier le rendement interne et externe des établissements, ce qui devrait nous conduire à récolter plus de données statistiques sur ce que sont devenus les anciens de l'établissement choisi, chose qu'ont même peine à réaliser des institutions de formation des pays bien nantis. Nous nous sommes alors contenté d'étudier le rendement interne en nous servant des données fournies par la direction du Collège Charles Lwanga et de l'avis de quelques anciens. Retrouver tous les anciens de la cohorte étudiée et pourquoi pas un nombre suffisant d'anciens CCLois et leur soumettre des questionnaires de sondage aurait été souhaitable mais l'expérience que nous avons eu avec le sondage en ligne que nous avons réalisé auprès d'une centaine d'anciens est une preuve de la difficulté de l'entreprise. Sur une centaine de questionnaires envoyés, une quarantaine ont reçu un écho favorable. Les raisons pour ce taux de retour peuvent être diverses et nous avons simplement décidé de ne pas utiliser les résultats correspondants.

Paragraphe 2 Statistiques internes et avis des anciens

La cohorte que nous avons choisie d'étudier dans le cadre de cette recherche est celle qui est entrée pendant l'année scolaire 1987-1988 en classe de Sixième pour finir en classe de Terminale l'année scolaire 1993-1994. La direction du Collège Charles Lwanga a pu donc nous fournir tous les effectifs par classe y compris ceux des redoublants, nouveaux admis, internes, externes et départs pour des motifs divers. Des questions spécifiques ont été adressées à quelques anciens ayant étudié les sciences sociales et aux anciens directeurs ayant dirigé le Collège. Encore une fois, la matière collectée ne permet pas une appréciation étendue et a permis simplement de mieux comprendre l'environnement de la recherche. Ce sont donc essentiellement sur les données internes fournies par le Collège que nous nous sommes basé pour effectuer nos analyses et interprétations.

Section 3 Analyse des statistiques et interprétation sociologique

Pour réaliser une analyse élémentaire des statistiques reçues et interpréter les résultats, nous avons procédé à une présentation graphique des données pour y ajouter ensuite les éléments sociologiques tel que le sexe, l'âge, la région d'origine, etc.

Paragraphe 1 Analyse des statistiques

Deux séries de présentation seront faites des données sur la cohorte 1987-1994: une générale et l'autre thématique. La présentation générale montrera comment les effectifs ont évolué de la classe de Sixième en classe de Terminale. Elle sera exprimée en pyramide et graphique révélant des pourcentages. Une deuxième présentation thématique s'attachera à faire voir graphiquement les données sur les redoublements, les élèves admis en internat, les élèves provenant des zones rurales, ceux provenant des zones urbaines, les filles, les garçons, etc. Cette présentation permettra aux lecteurs de suivre le calcul des différents taux de rendement que nous allons opérer. Ces taux de rendement seront interprétés en termes de valeur ajoutée pour montrer le travail que fournit le Collège Charles Lwanga de Sarh pour aboutir à ces produits que sont les bacheliers.

Paragraphe 2 Interprétation sociologique

Les chiffres seuls, vu sous l'angle économique, ne parlent pas bien d'une voie sociale. Ils ne montrent que les aspects matériels. C'est donc à juste titre que nous allons utiliser les données sociologiques tel que le sexe, l'origine sociale, l'âge pour comprendre les résultats scolaires de cette cohorte. Nous allons toujours le faire sous l'optique de valeur ajoutée. En effet, le rendement interne d'un établissement doit être vu sous l'angle socioéconomique. Quelle est la contribution que l'établissement apporte à la construction de son environnement par le biais de la formation? Nos comparaisons auront pour données de cadrage les informations tirées du site internet de Pole Dakar, une agence spécialisée de l'UNESCO basée à Dakar et chargée des analyses sur les politiques éducatives en Afrique. Une autre source qui nous a aussi des informations de base sur le système éducatif tchadien est le Rapport National présenté à la 45e session de la Conférence internationale de l'Education (Genève, 30 septembre-5 Octobre 1996) tiré du site internet de l'UNESCO.

CHAPITRE 3 Analyse

Ce chapitre est consacré à la présentation des données statistiques de la cohorte étudiée, du calcul des taux et indices relatifs au rendement interne et à l'interprétation de ces différentes données.

Section 1 Présentation des données relatives à la cohorte

Nous présenterons un tableau synthétique et graphique de toutes les données et un tableau représentant différentes thématiques liées au sujet.

Paragraphe 1 Tableau synthétique des statistiques de la cohorte

Le tableau synthétique générale offre une vue d'ensemble des effectifs de la cohorte 1987-1994. Entre la classe de Sixième et celle de la Troisième, il y a une variation assez importante lorsqu'on prend l'ensemble des effectifs pour les deux cycles. Le sommet est la classe de Cinquième avec 89 élèves et la base la classe de Terminale avec 39 élèves. Entre la Sixième et la Troisième, on remarque qu'il n'y a pas une grande variation car les effectifs vont de 87 à 84. Si vous constatez que l'effectif dans la classe qui suit est supérieur à celle de la classe précédente, c'est dû à la présence des redoublants et/ou de nouveaux élèves admis, au collège, directement dans ces classes.

Effectif General16

6e

5e

4e

3e

2d

1o

L

1o S

TA

TC

Effectif Total

87

89

83

84

70

31

38

22

17

Internes

13

16

26

29

33

10

17

8

9

Externes

74

73

57

55

37

21

21

14

8

Redoublants

10

4

4

6

8

6

6

0

0

Effectif des filles

13

10

3

7

5

4

1

1

0

Effectif des Garcons

74

79

80

77

65

27

37

21

17

Effectif des élèves ruraux

29

31

31

32

25

14

10

9

4

Effectif des élèves urbains

58

58

52

52

45

17

28

13

13

16 Extrait des données fournies par la direction du Collège Charles Lwanga de Sarh, 2007

Effectif

100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0

 
 
 

6e 5e 4e 3e 2d 1ereL TA

Effectif

Exprimée en pyramide, cette graphique n'aura pas un sommet très pointu. Voyons maintenant en détails les différents éléments que constituent ces effectifs.

Paragraphe 2 Tableau thématique des statistiques de la cohorte

Pourcentage des élèves ruraux

50 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0

 
 
 

6e 5e 4e 3e 2d 1ereL 1ereS TA TC

Dans cette première représentation thématique, regardons l'origine urbaine et rurale des élèves pour l'ensemble des effectifs, de la Sixième à la Terminale. Remarquez que l'effectif des élèves issus des zones rurales est presque toujours en-dessous de 50%. Si nous y ajoutons la part des élèves provenant des zones urbaines mais des ménages à très faible revenu, le total sera suffisamment élevé.

Dans cette deuxième représentation thématique, regardons la part des élèves admis à vivre à l'internat et ceux qui sont restés à l'externat. Le graphique montre une figure avec à son sommet la classe de Seconde et à la base la classe de Sixième.

Pourcentage des élèves en internat

60 50 40 30 20 10 0

 
 
 

6e 5e 4e 3e 2d 1ereL 1ereS TA TC

Pourcentage des redoublants

25 20 15 10 5 0

 
 
 

6e 5e 4e 3e 2d 1ereL 1ereS TA TC

Dans cette troisième représentation thématique, regardons la part des redoublants par classe. Les redoublants de la classe de Sixième ne sont pas des primo entrants de la cohorte que nous étudions. Voici ce que cela représente:

Le sommet montre 19% et 15% dans les classes de Seconde scientifique et Seconde littéraire et la base zéro redoublant en Terminale. On observe la chute du nombre de redoublants dans les classes de Quatrième et Cinquième ainsi que la montée en classe de Seconde et Première.

Dans ce mémoire, nous n'avons pas prévu étudier spécifiquement la part des filles dans le rendement mais nous présentons néanmoins cette graphique pour information. La part est dramatiquement faible pour devenir nulle en classe de Terminale, série scientifique.

Pourcentage des filles

16

14 12 10 8 6

4
2
0

 
 
 

6e 5e 4e 3e 2d 1ereL 1ereS TA TC

Tranche d'age

30
25
20

15
10

5
0

 
 
 

1970 1971 1972 1973 1974 1975

Concernant la tranche d'âge de la cohorte, voici un graphique représentantatif. Les plus jeunes sont nés en 1975 et les plus âgés en 1970.

Nous faisons l'économie d'une représentation des effectifs par ethnie car nous n'y voyons aucun intérêt différentiel.

Section 2 Calcul des taux et indices relatifs au rendement interne

Dans cette section, nous calculons les taux et indices relatifs au rendement scolaire de la cohorte 1987-1994.

Paragraphe 1 Calcul de l'indice de sélectivité

L'indice de sélectivité comprend des taux d'accès, de réussite et d'efficacité. A. Taux d'accès

En économie de l'éducation, le taux d'accès d'une cohorte « mesure le pourcentage d'une cohorte de primo entrants qui accédera [au diplôme final] dans l'établissement ». Dans le cas du Collège Charles Lwanga, cela représente le pourcentage des 77 primo entrants de l'année académique 1987-1988 accédant au baccalauréat en 7 ans. La difficulté qui se pose ici est l'identification exacte de ces primo entrant de classe en classe en séparant les redoublants qui n'appartiennent pas à la cohorte et les élèves admis directement dans les classes intermédiaires.

Si nous nous accordons à pondérer virtuellement nos résultats du nombre des élèves admis directement dans les classes intermédiaires, le taux d'accès au baccalauréat pour cette cohorte sera de :

Eff admis au bac en 7 ans * 100

Taux d'acces =

Effectif en classe de Sixieme

Ce qui nous donne dans l'application numérique :

Taux d'acces =

39 * 100

= 44,83%

77

Ce pourcentage de 44,83% ne nous dit absolument rien si nous ne le plaçons pas dans un contexte plus large des résultats dans le système éducatif tchadien. Nous tenterons de le faire dans l'interprétation des résultats.

B. Tauxderéussite

Pierre Gravot montre, dans son cours, la complexité du calcul du taux de réussite : « Le cursus des étudiants peut être très différencié. Certains atteindront la fin du cursus sans échec; d'autres « doubleront » une ou plusieurs fois; d'autres abandonneront au bout d'une ou plusieurs tentatives, etc.». Il fait remarquer à juste titre que même si l'on se contente de calculer le taux de réussite par année en utilisant la formule suivante:

R=

DIP
INS

Où R représente le taux de réussite, DIP le nombre d'élèves ayant obtenu le baccalauréat en 7 ans de scolarité au Collège et INS l'effectif de la cohorte en classe de Sixième, se pose le problème du choix du numérateur et du dénominateur. S'agit-il des primo inscrits seulement ou des redoublants aussi, des inscrits en début de l'année sans tenir compte des élèves présents à l'examen? Gravot pense même que les taux par année pourraient être indépendants et donc rendre partiellement inéquitable le résultat final17.

Considérons tout l'effectif de la classe de Sixième à l'année académique 1987-1988 et celui des admis au baccalauréat en 1994 en omettant les situations intermédiaires ci- dessus énumérées, on peut dire que le taux de réussite pour cette promotion sera donc de:

39

 

= 0,44

87

17 Pierre Gravot, Cours d'Economie de l'Education, UT1, 2007

Pour l'enseignement supérieur français, Gravot propose que soient éliminés les étudiants inscrits « pour ordre », non présents à l'examen « pour ne calculer que le taux de réussite ou d'échec pour les étudiants a priori motivés puisqu'ils font le choix de continuer dans le même établissement s'ils ont réussi leurs examens ou de redoubler s'ils ont échoué».

Le taux de réussite attendu est la prise en compte des critères âge, sexe, origine sociale, passé scolaire. Ces différents taux n'ont de sens que si l`on possède des taux de référence nationale et « correspondant aux différentes sous-populations d'élèves et que l'on connait par ailleurs la structure effective des élèves d'un établissement selon les mêmes critères », précise Gravot. C'est la problématique des données de cadrage.

C. Taux d'efficacité

Le taux d'efficacité mesure globalement « la transformation d'une cohorte de primo entrants en diplômés finaux ». Dans le calcul de ce taux entrent en jeu le nombre d'années- diplôme et le nombre d'années-études. Le nombre d'années-diplôme est celui durant lequel un candidat peut accéder au diplôme et y réussir sans redoublement. Dans le cas du Collège Charles Lwanga de Sarh, le nombre d'années-diplôme est 7, allant de la classe de Sixième à celle de la Terminale. Le nombre d'années-études est le nombre d'années que prend effectivement un candidat pour obtenir le diplôme de référence, le bac dans le cas du CCL.

Selon G ravot, « une filière est « absolument efficace » si tous les primo inscrits obtiennent, sans redoublement leur diplôme, auquel cas le nombre d'années-diplôme sera égal au nombre d'années-études et le coefficient égal à un. Plus il y a d'échecs, de redoublements et d'abandons, plus ce coefficient est faible»18.

La formule pour calculer le taux d'efficacité est la suivante :

18 Pierre Gravot, Cours d'Economie de l'Education, UT1, 2007

Annees diplomes

E_
annees etudes

Dans le cas du Collège Charles Lwanga, nous ne pouvons valablement calculer ce taux même si nous assumons la pondération relative aux admissions dans les classes intermédiaires comme réduisant la portée scientifique du résultat qui sera obtenu car nous ne disposons pas des renseignements sur les différents groupes d'élèves et le nombre d'années-étude qui leur correspond. Nous ne connaissons que les 39 arrivés en Terminale en sept ans moins le petit nombre qui est admis directement dans les classes intermédiaires et les différentes catégories de redoublants.

Paragraphe 2 Calculs des indices de sélection et de productivité

Nous consacrons ce paragraphe au calcul des indices de sélection et de productivité. A. Indice de sélection

La sélection « est le résultat de toute une série de décisions qui peuvent être prises, soit par l'étudiant, soit par les enseignants, mais aussi par les employeurs » (OCDE) sur des critères préalablement fixés par ces différents centres de décision en vue de ne laisser accéder à un point donné que ceux qu'on estime éligibles. A ce titre, la sélection ne peut avoir pour effet que de produire une pyramide avec à la base les candidats et au sommet les prétendus éligibles qui ont pu arriver au point choisi. Dans le cas du Collège Charles Lwanga de Sarh, les tests d'admission, les examens, le respect de la discipline sont autant de points de sélection qui réduisent au fur et à mesure le nombre des candidats éligibles.

Levy-Garboua, cité par Gravot19, distingue trois stades principaux de la sélection : la sélection initiale à l'intérieur de laquelle on trouve l'auto-sélection, la présélection, la sélection en début de cursus et la sélection finale, la sélection terminale ou post-sélectivité et la sélection postscolaire. Au premier stade, l'auto-sélection consiste pour le candidat à

19 Pierre Gravot, Cours d'Economie de l'Education, UT1, 2007

l'entrée d'un établissement à abandonner son choix d'y entrer ou de quitter l'établissement en cours d'étude pour toute une série de raisons. La présélection consiste à admettre les candidats après consultation de leur dossier. La présélection géographique (l'établissement de formation ne se trouvant pas à proximité du lieu de résidence du candidat) et monétaire peut aussi éliminer certains candidats. La sélection en début du cursus correspond au fort taux d'échec qu'on constate souvent dans le premier cycle de l'université, le taux de réussite au DEUG de droit en est un exemple. Au deuxième stade, La post-sélectivité se situe à l'examen final de référence, le baccalauréat pour le cas du Collège Charles Lwanga avec cette nuance que ce diplôme est national et ne dépend donc plus de l'établissement qui a formé. Au troisième stade, la sélection postscolaire - qui ne nous intéresse pas dans le cadre de cette recherche - est faite par le marché du travail

Pour calculer le taux de post-sélectivité en supposant que le baccalauréat est le diplôme final de référence, on emploiera la formule suivante :

e2 e3 e4

n2 * n3 + n4 + ~

Où les n mesurent les effectifs d'inscrits dans l'année i et les échecs au même niveau. Considérons le nombre de redoublants en classe de Cinquième comme e2 et remontons jusqu'en classe de Terminale que nous notons e7. Faisons de même avec les effectifs de la classe de Cinquième (n2) à la classe de Terminale (n7). Le taux de post-sélectivité du Collège Charles Lwanga serait égal à :

e2 e3 e4 e5 e6 e7
n2 + n3 + n4 + n5 + n6 + n7

Application numérique:

4 4 6 8 12 0

89+ 83+ 84+ 70+ 69+ 39 = 0,45

Le résultat ici ne nous sert vraiment pas car il est biaisé par le fait que des 87 élèves entrant nouvellement en classe de Sixième ajoutés au 10 redoublants, nous ne savons pas lesquels sont admis, lesquels ont repris leur classe, lesquels ont abandonné, etc. L'exercice n'aura servi qu'à montrer à quoi pourrait ressembler le taux de post-sélectivité pour une cohorte donnée. Gravot20 nous fait remarquer « qu'en multipliant ce taux de post-sélectivité par le taux de sélection initiale, on obtient le taux de sélectivité totale de la filière correspondante ».

B. Indice de productivité

La détermination du taux de productivité des établissements de formation varie selon l'angle sous lequel on se place. Sous l'angle des activités, il est égal au rapport des effectifs-élèves sur les effectifs-enseignants. C'est l'inverse du taux d'encadrement. Dans l'enseignement supérieur, on distingue dans l'effectif des enseignants l'effectif physique, le potentiel et la charge effective d'enseignement. Cette considération n'est pas transférable à l'enseignement secondaire où les taux sont fixés statutairement par le ministère de l'éducation et ne nous intéresse donc pas. Nous retenons simplement que lorsque la productivité augmente, cela signifie que le taux d'encadrement baisse et que cela entraine une diminution de la qualité de la formation offerte par les établissements.

La détermination du taux de productivité en termes de valeur ajoutée est ce qui nous intéresse ici. Sous cet angle, elle égale:

DIP
ENS

Si on considère R, le rapport diplômés/inscrits:

DIP
INS

20 Pierre Gravot, Cours d'Economie de l'Education, UT1, 2007

et E le rapport enseignement/inscrits :

ENS
INS

sachant que R exprime le taux de réussite et E le taux d'encadrement, la nouvelle expression de la productivité sera :

R

P= E

L'égalité est parfaitement démontrée si on procède à la décomposition suivante :

DIP

P = /

INS

ENS
INS

Equation qui égale :

DIP INS

P= INS * ENS

Dans cette nouvelle expression où nous avons multiplié le premier terme par l'inverse du second, le dénominateur du premier terme (INS) divise le numérateur du second (INS) et nous retrouvons l'égalité initiale :

DIP

P= ENS

Dans le cas du Collège Charles Lwanga de Sarh, nous pouvons calculer le taux de réussite global ou par niveau connaissant l'effectif des inscrits et celui des diplômés. En revanche, nous ne pouvons pas calculer le taux d'encadrement car ne possédant pas des données exactes sur cet aspect, ce qui nous empêche du coup de calculer le taux de productivité de l'établissement. Le taux de réussite globale négligeant l'effectif des admis en classe intermédiaire et des redoublants de la classe de Sixième est égale à:

39

87 = 0,44

Le taux de réussite par niveau, s'il est calculé, sera exagérément biaisé par le nombre des admis en classe intermédiaire ou des redoublants car on peut remarquer par exemple que l'effectif en classe de Cinquième est supérieur à celui de la Sixième. C'est qui veut dire qu'arithmétiquement, le nombre des personnes ayant réussi dépasse celui des personnes inscrites !

Section 2 Interprétation des indices et taux de rendement interne

Dans cette section, nous tenterons d'interpréter objectivement les taux calculés en nous référant aux données nationales pour ensuite verser dans une interprétation conditionnelle en déplaçant le principal argument des ressources.

Paragraphe 1 Interprétation par référence

Après avoir repéré les références nationales sur lesquelles peuvent être fondée l'interprétation des taux calculés, nous tenterons d'opérer une comparaison entre le système général tchadien et le Collège Charles Lwanga et nous prononcer sur la fonction « sélection » de cet établissement.

A. Données de référence

»21

Il s'agit en premier lieu de montrer la « pyramide éducative du Tchad tirée du site

internet Pole-Dakar. Cette pyramide montre la progression des effectifs du primaire au secondaire.

21 http://www.poledakar.org

Selon ce document de source originale Banque Mondiale: Division de la Population des Nations Unis, ONUSIDA publié en 2002-2003, la « pyramide éducative» du Tchad pour l'année académique 1990-1991 a un sommet très pointu. Avec 59% de taux de scolarisation brut à l'entrée au primaire, l'atteinte de la fin de ce cycle n'est que de 19%. Des 10% seulement des élèves provenant des 19% du primaire, 5% arrivent en fin de cycle secondaire. Des 5%, 3% seulement arrivent au second cycle pour finir à 2% enfin de ce cycle.

1er

Globalement, 58% vont du primaire au secondaire cycle et 57% du premier cycle au

second cycle.

Selon le rapport national présenté à la 45e session de la Conférence internationale de l'Education (Genève, 30 septembre-5 Octobre 1996), le taux de passage du secondaire 1er cycle au secondaire général 2e cycle est de 51,4% au total dont 52,9% pour les filles pour l'année académique 1994-1995. Le taux de redoublement au secondaire est de 23,1% dont 21,7% pour les filles pour la même année. Le taux d'abandon pour le même cycle et la

même année est de 12,8% dont 13,5% pour les filles. Selon le rapport, l'âge de recrutement dans le secondaire progresse de 12 à 15 ans dans le même cycle. La norme horaire prévue par la législation nationale est de 18 heures à 21 heures dans le secondaire général. Du point de vue de l'encombrement dans les classes, le rapport donne 74,3 « avec des contrastes de 16 élèves par classe dans les zones peu peuplées à 130 élèves par classe dans les grandes agglomérations ».

B. Comparaison avec le système

Sur 77 élèves qui entrent au Collège Charles Lwanga de Sarh en classe de Sixième et les 10 redoublants qui s'y sont ajoutés l'année académique 1987-1988, 84 ont atteint la classe de Troisième soit un taux de 96,55% en précisant que le taux d'admission directe dans les classes intermédiaire fera varier en moins ce résultat. Le taux de survie montrée par la pyramide éducative de 1990-1991 est de 50% sachant que 10% entrent en Sixième pour finir à 5% en Troisième, ce qui est presque conforme à la source gouvernementale qui indique 51,4% comme taux de passage du premier cycle au second cycle. Dans le calcul des taux de réussite, nous avons renoncé à calculer les taux par niveau à cause de l'effet des admissions dans les classes intermédiaires qui sera très important. Néanmoins, le taux de réussite entre la Sixième et la Troisième nous a permis d'effectuer la comparaison qui nous intéresse.

Pour le second cycle, sur 70 élèves admis en classe de Seconde y compris les redoublants, 39 arrivent en Terminale soit un taux de réussite de 55,71%. La pyramide éducative montre 3% à la base du second cycle et 2% au sommet soit un taux de réussite de 66,66%. Deux remarques: d'une part, nous employons indifféremment les termes « taux de passage » et « taux de réussite» pour les progressions de cycle en cycle ou à l'intérieur des cycles, d'autre part si nous utilisons la formule du nombre de « diplômes» sur « inscrits », nous obtiendrons des chiffres dans l'ordre de 0,55, ce qui égalise le résultat lorsque l'on procède simplement par la règle de trois en obtenant 55%.

Le rapport national indique un taux de redoublement de 23,1% au secondaire. Le tableau que nous avons précédemment présente un taux de redoublement moyen de

10,64% pour les deux cycles du secondaire. Le nombre moyen de 74 élèves par classe avec un maximum de 130 et un minimum de 16 est inférieur à celui du CCL qui est de 74,42. La comparaison offre un chiffre supérieur pour le CCL (85,75) si l'on prend en compte uniquement le premier cycle. La moyenne au second cycle de l'établissement est de 44,7 avec le chiffre le plus élevé de 70 en classe de Seconde, les autres ne dépassant guère la quarantaine.

A première vue, les chiffres sont très proches. Mais méfiez-vous ! Le Tchad est un pays très vaste, très peuplé dans certaines zones et peu peuplé dans d'autres comme l'indique le rapport. Aussi, une moyenne n'a que peu de sens dans cette analyse. Il en est de même des chiffres relatifs au taux de réussite. La qualité de la formation au Collège Charles Lwanga de Sarh est largement supérieure à celle des autres établissements. Le baccalauréat est une belle preuve qui montre la réussite à 100% presque chaque année dans toutes les séries alors que le taux national plane en dessous de 50%.

L'âge des élèves et le taux d'abandon ne pourront pas être comparés ici car les données dont nous disposons ne divulguent pas l'âge réel des élèves dans le secondaire tchadien ainsi que le taux d'abandon pour le Collège Charles Lwanga de Sarh qui n'est pas disponible.

Comparé aux données nationales, l'effectif des filles au CCL est très bas. Ceci peut avoir pour raison la sélection à l'entrée en classe de Sixième mais l'effet de l'offre doit être une des raisons majeures. Les élèves de l'établissement proviennent de presque toutes les régions du Tchad. Les filles connaissent un taux de scolarisation plus bas que les garçons et les pesanteurs sociales traditionnelles constituent pour elles un grand frein à l'accès aux établissements de formation spécialement lorsqu'ils se situent dans des régions distantes de leur région de résidence. De Moundou, une ville située à 300 km de la ville de Sarh où se situe le CCL, un collège catholique féminin (Collège Notre Dame de Moundou) arrive à faire admettre ses diplômées mais en nombre très restreint.

En conclusion, le rendement scolaire du Collège Charles Lwanga de Sarh n'est pas une question d'intelligence de classe mais de ressources socioéconomiques que nous

tenterons de circonscrire dans le paragraphe suivant. Mais avant cela, examinons la fonction « sélection » de cet établissement.

C. Sélection et rendement du CCL

Quelle est la part de la sélection dans le rendement scolaire du CCL? Il n'y a pas de barème standard pour mesurer le niveau de sélection d'un établissement. Dans le cas du CCL, nous voyons simplement qu'il y a environ 90 élèves au départ du premier cycle et 37 en Terminale. Est-ce cette forte sélection qui a facilité le succès à 100% des élèves parvenus en 7 ans en Terminale? Pour une part, oui. Cette sélection est essentiellement fondée sur le mérite académique et en partie sur les ressources économiques. Ceux qui travaillent bien et en mesure de payer les frais de scolarité ne rencontrent aucune barrière. Ceux qui travaillent bien mais ne peuvent payer changent d'établissement même s'il existe un système d'aide sociale qui peut appuyer dans ce sens. Les ressources du CCL étant limité, tout le monde ne peut recevoir cette aide. La limitation des ressources est aussi l'argument qui a rendu cette sélection si forte. Nous estimons que si plus d'élèves étaient admis à l'internat ou plus d'élèves disposaient des ressources pour étudier convenablement, le nombre d'étudiants arrivés en Terminale serait plus élevé.

Paragraphe 2 Interprétation conditionnelle

A supposer que l'on mette à la disposition des autres établissements les ressources à la hauteur de celles dont dispose le Collège Charles Lwanga de Sarh, arriveront-ils au même niveau de rendement scolaire ? Sinon, pourquoi?

A. Ressources disponibles

Pour parler des ressources dont dispose le Collège Charles Lwanga de Sarh pour la réalisation de sa mission, commençons par énoncer la ressource pédagogique centrale à savoir la « pédagogie ignatienne» qui donne l'élan à toutes les autres ressources. Selon Denis DELOBRE s.j., prêtre jésuite, responsable de la Formation Humaine à l'Ecole Supérieure d'Agriculture de Purpan - Toulouse (France), cette pédagogie n'a rien de mystérieux comme certains pourraient le penser. « Son objectif, écrit-il, est d'aider au

développement le plus complet possible de tous les talents donnés à chaque personne. Le succès de la pédagogie ignatienne ne se mesure pas d'abord en termes de succès scolaires ou de compétence technique des professeurs, mais bien plutôt en termes définissant la qualité d'être. [JIl désigne bien plutôt le développement le plus complet des possibilités de chaque individu à chaque étape de la vie, uni au désir de poursuivre ce développement pendant toute la vie et à la volonté de mettre au service des autres les dons développés. Chacun est invité à rechercher et atteindre des objectifs à un rythme adapté à ses possibilités propres ainsi qu'aux caractéristiques de sa personnalité. [J Elle comprend une formation à des valeurs (respect, ouverture aux autres, partage de ses dons), à des attitudes et à la volonté. Elle inclut une relecture du vécu qui permet de prendre en compte sa propre expérience et d'en tirer profit. Cette réflexion sur les expériences personnelles est le point central de cette pédagogie. Chacun est ainsi conduit à accepter les dons personnels, à les développer, mais à accepter aussi les limites et à les dépasser autant que possible. Ce cheminement se fait tout au long de la vie dans le cadre d'un accompagnement fraternel où la parole confiante, échangée en vérité, apporte beaucoup de lumière. [JA l'évidence, cette pédagogie ne s'adresse pas à une "élite". Elle est accessible à tous ceux et celles qui désirent oeuvrer avec rigueur et vigueur pour que l'homme soit vraiment homme »22.

Tel qu'énoncé, la pédagogie ignatienne donne sens, comme nous l'avons dit, à toutes les autres ressources. Le Collège Charles Lwanga de Sarh est financé à plus de 50% par la Compagnie de Jésus, une congrégation catholique d'où viennent les prêtres jésuites. La contribution des parents d'élèves représente moins de 20% du budget total. Le reste des ressources financières proviennent du diocèse du Sarh, propriétaire du Collège, des autres collèges jésuites amis et donateurs divers. Il ne reçoit aucun fond public de la part de l'Etat tchadien. Ce budget permet au Collège de disposer des professeurs permanents, la plupart ressortissants du même Collège, des manuels scolaires pour tous les niveaux, de deux bibliothèques, d'un laboratoire scientifique, d'un internat accueillant une faible part des effectifs, d'une salle de dactylographie, de jeux de table, le tout logé sur un espace foncier personnel comprenant des terrains de jeux de basketball, volleyball, football, handball et un logement de 3 villas pour professeurs. Une équipe de prêtres jésuites expatriés et nationaux assure la direction générale et pédagogique.

Du point de vue analyse sectorielle, c'est l'ensemble de ces ressources qui rend possible le rendement scolaire du Collège Charles de Sarh tel que nous l'avons présenté.

22 http://www.ndj.edu.lb/jesuites/pedignat.htm

Mais du point de vue systémique, il y existe un fil conducteur plus puissant que toutes ces ressources.

B. A égalité de ressources

Nous avons démontré dans cette analyse que la disponibilité des ressources économiques est une condition nécessaire au succès indifférencié des élèves. Voyons dans quelle mesure un autre établissement, public ou privé commercial, pourrait produire les mêmes résultats s'il disposait des mêmes ressources.

Prenons un établissement d'enseignement secondaire public ou privé qui ne dispose pas de ressources économiques suffisantes pour offrir un encadrement adéquat à ses élèves. Mettons à sa disposition un budget suffisant pour s'équiper en matériel pédagogique, payer son personnel et s'assurer tous les services utiles au bon fonctionnement.

Pour le cas d'un établissement public, le premier problème qui se posera est celui de l'autonomie. Les établissements publics vivent sous la coupe directe du ministère de l'éducation et doivent donc respecter l'orthodoxie managériale publique. Même si un tel établissement dispose des ressources économiques suffisantes, aucune flexibilité n'est permise pour ajuster soit les programmes soit les aspects administratifs de la gestion de l'établissement. La gestion des ressources humaines, par exemple, relève entièrement de l'autorité de tutelle qui recrute, paie et révoque. A cette allure, les ressources n'affecteront pas le rendement scolaire à la hauteur de celui du CCL et pourrait parfois créer, à défaut d'une meilleure organisation, un désordre général dû au blocage de conflit d'intérêts.

Pour un établissement privé commercial, c'est son isolement qui l'empêchera d'atteindre un meilleur rendement scolaire. En effet, en dehors de respecter les normes minimales d'enseignement, contenu et équipement, fixées par les autorités de tutelle, le propriétaire de cet établissement ne fournit des efforts que pour augmenter sa productivité - au prix, parfois, d'un encadrement médiocre - et faire des recettes. S'il cherche à améliorer son enseignement et placer ses diplômés sur le marché de l'emploi, c'est pour en

retour obtenir la bonne réputation qui lui attirera plus de candidats et donc plus de recettes. Pour un tel établissement, lui assurer d'office le renflouement de ses effectifs par la mise à la disposition automatique des ressources va entrainer un relâchement général puisque ses efforts portent vers l'attrait des candidats. Il ne se préoccupera plus de la qualité et produire les diplômés en nombre demandé par le bailleur.

Ces deux exemples montrent que la suffisance des ressources n'est pas gage de succès. Au-delà donc des ressources économiques se profile la dynamique que l'approche systémique perçoit clairement. Cette approche privilégie une étude globale allant au-delà de la simple analyse et tient pour non égal le tout et la somme des parties. Elle va au-delà de la pensée « analytique dans la lignée cartésienne »23. Selon Jean-Claude Lugan, elle dépasse la « sectorisation disciplinaire» et voit sous l'angle de « système ». Comme nous l'avons défini dans la problématique, contrairement à une structure qui demeure invariante, un système est dynamique. Pour comprendre ledit système, une étude doit porter sur toutes les interactions qui s'opèrent en son sein. Nous avions aussi dit que l'environnement d'un système a une forte influence sur lui car lui offrant « contraintes » et « ressources ».

C'est dans ce sens qu'i faut comprendre le succès à long terme d'un établissement qu'elle soit de formation ou non. Le Collège Charles de Sarh n'est pas un établissement isolé de son environnement. A la tête du système se trouve l'Eglise catholique du Tchad. Cette Eglise ne s'occupe pas seulement du « salut des âmes» en de termes purement spirituels mais travaille aussi au développement socioéconomique. Elle s'est dotée des organisations tel que le Belacd, le Secadev, l'Inades qui oeuvre dans le développement intégré des structures sociales et économiques du pays. On retrouve des antennes de ces organisations dans les plus petites paroisses rurales. Les écoles catholiques primaires font partie également du système. C'est cet environnement « externe» qui permet un recrutement aisé des élèves de toutes les régions du pays. Aussi, cet environnement et la diversité d'origine des élèves contribuent-ils grandement au rendement élevé du Collège Charles Lwanga de Sarh.

23 Jean Claude Lugan, Approche Systémique des Organisations de Formation, UT1, 2007

L'environnement interne aussi possède sa part de contribution dans le rendement du CCL. Nous entendons par « environnement interne» les divers mouvements qui côtoient l'enseignement des disciplines purement scolaires. Il s'agit des mouvements associatifs tels que la Jeunesse Etudiante Chrétienne (JEC), la Génération Nouvelle (GEN), etc. Bourdieu le souligne à juste titre dans son livre : « Sans doute, la participation à des groupes ou à des mouvements confessionnels (surtout catholiques), procure-t-elle aux étudiants et surtout aux étudiantes, l'occasion de contacts organisés et réguliers au sein des groupes secondaires relativement intégrés, « cercles », « foyers » ou « associations » qui prennent le relais du milieu familial; sans doute les étudiants catholiques sont-ils les plus nombreux à avoir fait leurs études secondaires dans des établissements privés (51% contre 7% pour les non- catholiques. [J Sans doute enfin, les étudiants catholiques semblent engager dans leurs études et dans la représentation qu'ils se font de leur carrière future une éthique de la bonne volonté et du service d'autrui qui trouve une expression particulièrement lyrique chez les jeunes filles »24. Il ajoute, cependant, que « dans les conduites et les attitudes proprement scolaires, l'appartenance religieuse ne détermine jamais de différences statistiquement significatives ». Le sport et les jeux constituent aussi des lieux de développement de la personne. La responsabilisation des élèves pour la gestion des diverses activités du Collège tel que la cantine scolaire, les équipements, le journal interne (« Lueur ») et le tutorat assuré par les élèves seniors au profit des cadets participent au mouvement.

Cette stratégie systémique, « holistique », diront les prêtres jésuites, croise ou sous- tend la pédagogie ignatienne. Denis Delobre présente ses trois caractéristiques en ces termes: « elle insiste sur le soin donné à chacun et le souci de chaque individu; elle souligne l'activité de la part des élèves; elle encourage une ouverture de toute la vie au progrès »25.

Enfin, l'autonomie technique dont jouit le Collège Charles Lwanga de Sarh est un avantage sur les autres établissements concurrents. En effet, un système, pour assurer sa survie, doit être à mesure de réguler son ouverture sur l'extérieur. Il doit se «finaliser»

24 Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON, Les Héritiers - Les Etudiants et la culture, Les Editions de Minuit, 1964, 1966, 1985

25 http://www.ndj.edu/lb/jesuites/pedignat.htm

c'est-à-dire « décider de sa décision », ne pas laisser l'environnement externe lui dicter simplement les comportements. Ainsi, il pourra assurer sa stabilité, c'est-à-dire la capacité à maintenir l'unité dans la diversité, à « changer à l'intérieur de certaines limites ». Il doit également posséder l'ultra stabilité c'est-à-dire la capacité de changer en restant lui-même. Le Collège Charles Lwanga pourra alors évoluer tout en demeurant fidèle aux principes directeurs qui fondent son succès. Enfin, la multi stabilité. S'il est menacé d'envahissement par l'extérieur et perdre son identité, la multi stabilité lui permet de changer pour rétablir l'équilibre.

Pour éviter donc l'entropie, le désordre croissant, ses éléments ci-haut cités constituent une néguentropie efficace. Le Collège Charles Lwanga a intérêt à mettre l'accent sur la mise à niveau avec le système de tutorat et l'implication des membres de la communauté socioéconomique de son environnement. L'existence des mouvements de jeunes est d'une importance capitale ainsi que la responsabilisation des élèves. Dans l'approche systémique des organisations de formation, Lugan nous apprend qu'il existe 7 étapes importantes que les établissements doivent suivre pour améliorer leur rendement.

En premier lieu, l'établissement doit mettre en place un système qui permet l'autoévaluation des élèves, un bilan de personnalité, des connaissances, des aptitudes, des motivations, des modes cognitifs avant tout autre action académique. La deuxième fonction concerne le conseil d'orientation et la détermination des objectifs éducatifs généraux. La troisième fonction emploie la mémorisation et la constitution d'un dossier pour chaque élève. La quatrième fonction doit identifier les besoins éducatifs spécifiques sur un plan général et/ou professionnel. La cinquième fonction détermine les méthodes d'acquisition des connaissances et savoir-faire. La sixième définit les processus d'acquisition des connaissances et l'engagement des moyens ad hoc. La septième conçoit les méthodes d'évaluation des connaissances et valeurs. La huitième est une fonction qui permet la correction et la régulation du système. La neuvième fonction planifie les processus de certification et d'interface avec les autres systèmes. La dixième fonction assure la maintenance générale, de l'administration en fait.

Si les différentes fonctions citées sont prises en compte par l'établissement, les chances pour un rendement élevé sont grandes. Le Collège Charles Lwanga assume toutes

ces fonctions mais peut-être pas méthodiquement comme le veut cette logique. Il est vrai que son application intégrale requiert beaucoup de moyens. Même les pays disposant de plus de moyens ne sont pas à mesure de le faire. Il est cependant important de comprendre la philosophie et l'adapter. Les outils informatiques doivent être d'un apport non négligeable dans la mise en pratique de la méthode. Le Collège peut l'expérimenter aussi avec un petit groupe de primo entrants et juger des résultats.

CHAPITRE 4 Discussion

Après avoir démontré que le rendement scolaire du Collège Charles Lwanga de Sarh est fondé en partie sur la disponibilité des ressources économiques et en partie sur la vision systémique de la pédagogie ignatienne, nous allons replacer les théories sociologiques qui nous intéressent dans le contexte de l'Afrique noire avant de nous livrer à une discussion approfondie sur les enjeux du rendement scolaire.

Section 1 Contextualisation des théories

Paragraphe 1 Ecole et propriété de la culture savante

Bourdieu considérait l'assimilation de la « culture savante» par les élèves issus des milieux populaires comme « acculturation ». Il le fait ainsi car, pour lui, cette culture appartient à la bourgeoisie et qu'elle est corrélativement étrangère aux milieux bourgeois. Qu'en est-il des étudiants africains?

Dans L'aventure ambiguë, le roman de Cheik Hamidou Khane26, qui est une oeuvre de fiction mais reflétant des points de vue très pertinents sur la rencontre entre la culture occidentale et la culture africaine, un des personnages, Le Chevalier, posait en ces termes la raison de l'école : « Une plaie qu'on néglige ne guérit pas, mais s'infecte jusqu'à la gangrène. Un enfant qu'on n'éduque pas régresse. Une société qu'on ne gouverne pas se détruit. L'Occident érige la science contre ce chaos envahissant, il l'érige comme une barricade» (p91). Le Chevalier a bien précisé « L'Occident érige...» et attribue, par la-même, la propriété de l'école, de cette « culture savante », à l'Occident. Pour confirmer l'acculturation, un autre personnage, La Grande Royale, dit: « L'école où je pousse nos enfants tuera en eux ce qu'aujourd'hui nous aimons et conservons avec soin à juste titre. Peut-être notre souvenir lui-même mourra en eux. Quand ils nous reviendront de l'école, il en est qui ne nous reconnaitrons pas». (p57). Ce que les Diallobés « aiment et conservent avec soin» dans leurs enfants, c'est l'identité Diallobé. Ceci implique deux choses: d'une part

26 Cheikh Hamidou KANE, L'Aventure ambigüe, domaine étranger 10/18, Julliard 1961

que l'identité Diallobé n'est pas innée mais elle est acquise par un processus de socialisation similaire à celui de l'école, d'autre part que l'école occidentale, usant du même processus et avec plus de force, réduira fortement voire supprimera la place de la première identité.

De cette analyse se dégage une inquiétude fondamentale. Etant donné que les élèves africains, étrangers à la culture de l'école, peuvent l'assimiler, sous violence symbolique ou sous toute autre pression, au point d'en faire leurs les valeurs qui en sont issues, la « culture savante» de Bourdieu appartient-elle réellement à une classe? N'est-il pas une question d'opportunités historiques favorisant plus vite l'accès des uns à la culture savante et reléguant les autres dans la cour populaire, lieu de prédilection du « symbolisme expressif» du sociolinguiste Bernstein?

Paragraphe 2 Inégalité des élèves africains devant l'école

Tous les étudiants africains ne disposent pas des mêmes atouts pour affronter la culture savante. Même au premier jour de l'école en Afrique, l'environnement dans lequel chaque enfant a vécu lui permet de briller dans telle ou telle discipline et occuper une place particulière dans le classement généré par la diversité des aptitudes, à plus forte raison après un demi-siècle de cheminement avec la culture savante. Ils l'ont assimilé au point d'effacer la frontière entre les connaissances acquises par le fils du bourgeois et eux. Mais assimiler n'est pas synonyme d'en profiter à la même hauteur que les autres qui, même sans assimilation (au sens de maitrise), s'en sortent mieux profitant des réseaux de relations tissées au fil du temps. On voit aussi ici se dessiner en filigrane le poids des ressources économiques. A cet effet, La Bible dit avec justesse : « A qui en a, on donnera encore...». C'est l'expression du capitalisme bancaire qui n'octroie du crédit qu'aux riches car disposant de solides garanties.

Le savoir n'est pas alors la propriété d'une classe.; il est à équidistance de toutes les classes, et comme nous l'avons dit, ce sont les opportunités historiques qui en gèrent les enjeux. Le savoir d'hier n'est pas resté stagnant. Ceux qui sont issus des classes populaires y ont fait des contributions notables. Puisqu'il n'est pas immuable et d'accès libre, pourrait-il être la propriété juridique d'une entité?

Aussi, la distinction classe bourgeoise et classe populaire puisque non fondée sur l'appartenance du savoir à un camp mais sur des considérations économiques peut aussi s'appliquer aux élèves africains.

Section 2 Le paradoxe du rendement scolaire fondé sur l'origine sociale

Les élèves issus des milieux bourgeois peuvent tout aussi connaître l'échec autant que ceux issus des milieux populaires le succès. Pourquoi ce paradoxe?

Paragraphe 1 Combativité du pauvre générée

Le pauvre, dans son environnement dépourvu de ressources appropriées pour mener une vie sans tension, ne se croise pas les bras. Il est en perpétuel combat même si l'adage populaire dit que « la vie est un combat» incluant riches et pauvres dans le même diagramme. L'intensité de son combat est plus élevée. Comme il se trouve à la frontière de l'acceptable et de l'inacceptable, son combat a pour objectif de basculer dans l'acceptable d'abord et d'envisager des objectifs plus avancés. La psychologie, par la voie de Michel Flayol dit: « Le meilleur moyen d'apprendre, c'est déjà de savoir beaucoup »27. C'est sur cette logique que se focalise Bourdieu en mettant de côté toute autre motivation qui peut muer les élèves issus des classes populaires. « Savoir beaucoup» n'est pas inné mais acquis. Cela signifie qu'avec plus d'effort, les populaires peuvent arriver au niveau des bourgeois.

Prenons l'exemple des jeux d'enfant. Les familles bien nantis offrent à leurs enfants des jeux électroniques ou non, sortis des usines, en « prêt-à-jouer ». Les enfants qui le recevoir se contentent de toucher un bouton par ici, un autre par là pour le mettre en marche et satisfaire leur désir de jouer. Que fait le fils du pauvre ? A défaut de se voir offrir une voiture en miniature ou tout autre jeu électronique, il va décider de se fabriquer lui- même ce jeu. Dans ce processus de fabrication et de son l'utilisation avec tous les manquements et difficultés que cela comporte, l'enfant pauvre apprend plus d'ingénierie

27 Cité par Gaston MIALARET, La Psychopédagogie, Editions PUF 1987

que l`enfant bourgeois. Dans une classe d'ingénierie, il sera plus habile que l'autre à construire. Bourdieu dira que c'est bien là le travail du fils d'ouvrier qui le conduira aux « collèges techniques ». S'il est orienté vers un collège technique, ce n'est pas parce qu'il n'a pas le niveau intellectuel à la hauteur des autres qui poursuivent leur cursus dans les lycées. Pour les élèves nantis, c'est peut-être pour entrer dans une école renommée comme Ponts et Chaussées où tout est affaire d'ingénierie que le fils du pauvre maitrise mieux! Rien ne peut empêcher les élèves issus des milieux populaires d'arriver au succès si ce n'est la volonté affichée de l'autorité enseignante à le juger sur la base de son appartenance à une classe, chose que Bourdieu reconnait volontiers.

Paragraphe 2 Relâchement généré par le luxe

Un proverbe Ngambaye, une ethnie de la région méridionale du Tchad, dit: « Ngolo ndje may tel mbeu», ce qui peut se traduire par: « Le fils du bourgeois ne réussit pas ». Ce proverbe, bien que de portée très limitée, exprime bien ce phénomène qui peut être généré dans les milieux bourgeois. Les Ngambaye ont remarqué que beaucoup d'enfants issus des milieux aisés, se sentant matériellement en sécurité, prennent de liberté avec les travaux scolaires. C'est la même chose qui se passe en France et reporté par Bourdieu dans son livre. Ce détachement de la chose scolaire ne va pas sans conséquences négatives pour tous les élèves qui le pratiquent. En dépit du soutien qui leur est officieusement accordé en raison de leur appartenance à la bourgeoisie, certains échouent. Au Tchad, l'effet de l'environnement social amplifie ce phénomène. Certains enfants issus des familles aisées disposent de ce dont ils ont besoin, aujourd'hui et demain. N'est-ce pas l'école a pour but de s'assurer un avenir meilleur? Or, cet avenir meilleur est déjà assuré par les parents. Pourquoi les enfants consentiront-ils encore autant de sacrifices pour ce qui est déjà acquis? Contre parfois leur médiocrité, ils brandissent leur héritage social et finissent par abandonner l'école.

Ce paradoxe montre une fois de plus que le savoir n'est pas la propriété d'une classe et que les échecs et les succès ne découlent pas de la simple appartenance à une classe. Mais Bourdieu, fidèle à sa logique de condamnation des classes populaires, diabolise l'idée de l'effort. Il officie le culte de l'héritage, du don, de la grâce. C'est même une justification

de la paresse sinon comprendre que quelqu'un qui reçoit sans effort soit plus « adoré» que quelqu'un qui fournit de l'effort pour produire? Sans se laisser impressionner par sa théorie, nous allons examiner le rôle du revenu qu'il sous-estime.

Section 3 Le rôle central du revenu dans le rendement scolaire

Comme le pensent Siegel et Campbell dans leur étude, l'effet du revenu sur l'éducation est supérieur à celui de l'éducation sur le revenu. Pour permettre de corriger les insuffisances nées du déséquilibre occasionnées par l'insuffisance des ressources économiques, l'appréciation du rendement scolaire doit être systémique;

Paragraphe 1 L'appréciation du rendement doit être globale

Lorsqu'à l'université on se plaint du manque de niveau des étudiants et des échecs en masse au premier cycle, ce n'est que distraction. Ce sont les effets pernicieux des manquements dans les études secondaires. Aucune précaution n'est prise à l'entrée de l'université et à l'université pour s'assurer le succès de ceux qui y entrent. Le baccalauréat a un objectif politique et non académique. Il ne sélectionne donc pas les élèves au mérite académique. Si l'on remonte au lycée, les élèves ne disposent pas des mêmes atouts à cause de ce qu'ils proviennent d'un autre cycle d'enseignement qui ne leur a pas fourni les mêmes outils intellectuels. Si l'on remonte au cycle primaire, les enfants n'ont pas vécu les mêmes expériences dans leur environnement familial et ne disposent donc pas des mêmes aptitudes scolaires. Et si l'on remonte toute la chaine, on retrouve le revenu. De sa retraite, il pilote la machine des devenirs, il dicte les attentes, il rend orgueilleux, il rend humble. Cette toute puissance peut être réduite à sa simple expression si toute la société s'arme de volonté pour la vaincre.

La mobilité sociale est ici en jeu. Raymond Boudon définit celle-ci comme « la différence, en fonction des origines sociales, dans les probabilités d'accès aux différents niveaux socioprofessionnels »28. La mobilité sociale appelle à son tour la lutte des classes.

28 Raymond BOU DON, L'Inégalité des chances, Editions Hachette Littératures 1984

Celle-ci a été portée sur la grande place publique par Marx et plusieurs autres auteurs. Malgré les révolutions et les vouloirs politiques démocratiques, elle a existé, elle existe et elle existera. De ce point de vue, qui croyez-vous troquera sa place de noble d'aujourd'hui contre celle du prolétaire d'hier ou même lui en céder un peu ? C'est une lutte perpétuelle car le pouvoir appelle le pouvoir. Conséquemment, l'inconscient des prétendants détenteurs de la culture savante, synonyme de la détention du pouvoir économique et leur volonté de perpétuer le mouvement capitaliste qui leur est favorable, conditionne les finalités de transfert des savoirs. Car, comme le constate Joël de Rosnay: « Avec la réussite viennent les honneurs, la considération, le respect, la situation, la sécurité, l'aisance matérielle, le pouvoir aussi. Valeurs essentiellement égoïstes d'une civilisation fondée sur la conquête et la domination de la nature; l'asservissement de l'homme par l'homme ». Le savoir transféré aux masses populaires, même étant fait dans une même classe où se trouvent les élèves issus de la bourgeoisie, a pour finalité de servir le capitalisme en demeurant à leur place, la classe populaire. Il y va du maintient de la division du travail. C'est ici que certains auteurs pensent, comme l'écrit Pierre Gravot, qu' « elle est inévitable dans la mesure où l'économie a besoin pour fonctionner d'une main d'oeuvre diversifiée aux qualifications différentes et qu'il n'est évidemment pas question que tout le monde accède aux hautes qualifications d'où la nécessité d'un filtrage ». Qui, croyez-vous, a le droit d'accéder aux hautes qualifications?

Il est vrai que c'est un leurre de proclamer la fin d'une gestion partisane des savoirs, mais accepter la mobilité sociale est un début à un rééquilibrage du rendement scolaire.

Paragraphe 2 Corrections possibles aux insuffisances scolaires

Une fois la mobilité sociale acceptée, deux catégories de corrections peuvent être apportées aux insuffisances scolaires: économiques et académiques. La correction économique est celle qui consiste à appliquer un slogan comme celui en cours aux Etats Unis: « No child left behind». Dans notre cas, le slogan serait: « Aucun élève ne doit piétiner à l'école pour des motifs économiques ». Du primaire au supérieur, l'Etat doit mettre en place des mécanismes financiers pour assurer la scolarité complète à tous les citoyens qui disposent d'un faible revenu. Nous disons bien « au supérieur» car beaucoup pensent que

le supérieur ne relevant pas de la scolarité obligatoire, celui qui veut y accéder doit s'en fournir les moyens. C'est une erreur car le fils de l'ouvrier n'en bénéficiera jamais et le fils de ce dernier à son tour et l'objectif fixé par la bourgeoisie, jaloux de ses acquis, est atteint: pas de mobilité sociale, chacun reste à sa place. C'est ainsi que les élèves issus des milieux populaires, qui s'étaient surpassés pour obtenir un niveau académique même meilleur que celui des élèves bourgeois sont condamnés à s'arrêter en chemin et servir la division du travail à la place qui leur est réservée.

La correction académique est nécessaire pour combler les manquements occasionnés ça et là par les avatars de divers ordres. Prenons le cas des « Community Colleges» américains. Ce sont deux années qui forment les élèves arrivés du lycée avant de les envoyer à l'université où il passe encore deux ans pour obtenir le bachelor (l'équivalent du Master I européen). A la différence du DEUG français qui se concentre sur une branche générale, le droit ou l'économie par exemple, ces deux années offrent une formation pluridisciplinaire à chaque étudiant. Ces Collèges pratiquent le « open enrollment ». Il n'existe pas de sélection qui peut écarter un candidat à l'entrée dans ces collèges. Certains s'étonneront en croyant que c'est une promotion officielle de la baisse de niveau. En réalité, c`est plutôt une source d'équité. Le problème de revenu pour payer la scolarité est largement résolu pour les élèves issus des « low income families29 ». Pour ce qui est du niveau scolaire, un test du genre TOEFL30, le COMPASS31 ou l'ASSET32, où il n'y a ni échec ni succès « universel» est administré aux candidats. Les points obtenus lors de ces tests permettent de placer les élèves dans les classes où ils sont aptes à réussir et progresser. Le cas des mathématiques et de l'Anglais est plus facile d'explication.

Lorsqu'un élève veut préparer un « Associate of Sciences» où les disciplines scientifiques dominent, un bon score lui permet de se placer en Maths 123 par exemple et de progresser à travers Maths 124, 125, 126 et ainsi décrocher son « Associate of Sciences» en complétant bien sûr sa formation avec les autres disciplines qui suivent le même principe. A supposer qu'à l'issue du test, il soit placé en Maths 085, ce qui est très loin du

29 Familles à faible revenu

30 Test of English as Foreign Language

31 Comprehensive Computerized Placement and Diagnostic Assessment System

32 Advanced mathematics test in college algebra

« College level », il pourra toujours prétendre préparer un « Associate of Sciences ». Il travaillera à sa mise à niveau en parcourant avec succès Maths 85, 98, 101, 122, 123, etc. et finir en Maths 126 comme celui qui a obtenu le bon score. Il le fait avec retard mais néanmoins il accomplit l'oeuvre de son désir

Aussi, l'étudiant américain du premier cycle, en principe, ne peut être « laissé derrière» ni pour des motifs économiques ni pour des motifs académiques. Il a le soutien du système éducatif, soutien qui se prolonge dans plusieurs domaines sociaux. Cette méthode mettra à nu la grossièreté de la théorie sociolinguistique de Bernstein. Quand il dit que le langage public ne permet pas de communiquer les idées, il dénie aux hommes l'aptitude naturelle à communiquer. Il fait primer l'expression orale sur l'objectif de la communication alors que la communication sans parole est suffisante tandis que la parole sans communication ne remplit pas son rôle social. Il en est de même du cas de Bourdieu. La pédagogie rationnelle qu'il propose est loin d'être réalisable parce qu'il faudrait préalablement changer la logique capitaliste, ce qui est tout aussi irréalisable. Balayer du revers de la main l'argument du revenu qui peut faire changer beaucoup de choses et proposer un projet complètement irréalisable, ce n'est rien moins que préférer le statut quo pour valider sa théorie au fil du temps.

Section 4 Vers un modèle systémique d'éducation

Dans les pays qui disposent des moyens économiques suffisants, de nouvelles voies d'éducation sont explorées et portent des fruits. Le modèle systémique d'éducation, même s'il est encore à l'état d'expérimentation dans les grandes institutions éducatives, peut être testé par les établissements de formation en Afrique noire pour mieux intégrer le rendement scolaire dans les objectifs socioéconomiques.

Paragraphe 1 Approche systémique de l'éducation

Nous présentons d'abord la méthode systémique et son expérimentation dans l'histoire avant de nous pencher sur les enjeux de l'évaluation et du mérite, point central de tout progrès dans un système d'apprentissage.

A. Circonscription de la méthode systémique

Dans la conclusion à son livre La Systémique sociale, Jean-Claude Lugan écrit: « Les facilités d'appréhension des interdépendances que procure indiscutablement l'approche systémique impliquent en contrepartie certains appauvrissements, un choix obligé de certaines relations par rapport à d'autres, un certain réductionnisme comparativement à une étude monographique. []Le dilemme est classique dans les sciences sociales: modéliser, donc appauvrir la réalité, afin de rechercher les relations fondamentales entre éléments et, ainsi, aboutir à des schémas plus compréhensibles, mais qui ne permettent pas de rendre compte de toute l'hétérogénéité de la formation sociale étudiée. Pour dépasser cette contradiction, il ne faudrait admettre que les clarifications justifiées du point de vue du projet du modélisateur »33.

A coté de ces réserves, il présente aussi les avantages de l'approche systémique comme suit: « La prise en compte de la globalité et de la partie et leurs rapports dialectiques; la prise en compte des insuffisances de la méthode analytique ou disjonctive, sans pour autant l'écarter, et la recherche synthétique ou conjonctive adaptée aux phénomènes complexes; Pour les sciences sociales, la systémique apparait aujourd'hui comme le chemin privilégié pour construire un nouvel espace mental capable de réparer les dégâts de la disjonction disciplinaire, fruit de la démarche analytique».

Lugan présente ainsi les avantages et les inconvénients de l'approche systémique. Nous allons proposer une modélisation fondée sur cette approche en nous éclairant des propos de Joël de Rosnay dans Le Macroscope, propos fondés eux-mêmes sur l'expérience américaine.

Joël de Rosnay pose le problème de l'education traditionnelle en ces termes: «Notre éducation est désespérément analytique, centrée sur quelques disciplines comme un puzzle dont les pièces ne s'imbriquent pas les une dans les autres. Elle ne prépare ni à l'approche global des problèmes ni au jeu de leurs interdépendances. []La nouvelle vision du monde

33Jean-Claude LUGAN, La Systémique sociale, Editions PUF 1083

n'est pas l'effet d'une seule cause, mais résulte de la convergence, de l'intégration et de l'interdépendance d'un grand nombre de facteurs. []Plus que jamais, les jeunes mesurent l'écart entre leurs attentes et l'inertie des institutions; le décalage entre ce qu'ils ont appris à l'école, le monde tel qu'il le voit et ce qu'il pourrait être». Rosnay présente l'éducation traditionnelle comme « méthodes et principes inspirés de ceux que l'on utilise pour accroître la productivité dans les ateliers ou dans les usines. La division du travail ici est remplacée par la division du savoir »34. Il cite ses méthodes qui sont entre autres les différentes manières de transmission et d'acquisition des savoirs, les filières, les examens, etc.

Rosnay reconnait que l'éducation systémique doit être complémentaire et non remplacer l'education traditionnelle. Mais il propose qu'on simplifie les choses en abandonnant la voie analytique de l'enseignement car il y aurait trop de choses à apprendre et qu'on l'enrichisse aussi « car l'approche systémique, en reliant les faits dans un ensemble cohérent, crée un cadre conceptuel de référence, susceptible de faciliter l'acquisition des connaissances par les méthodes classiques ». S'appuyant sur une expérience américaine, Massachussetts Institute of Technology, faite entre 1967 et 1972, à laquelle il a participé en qualité d'enseignant, expérience pendant laquelle les étudiants entrant en première année de l'université apprennent un ensemble de disciplines à partir d'un projet disciplinaire, s'organisent pour faire des recherches bibliographiques et en laboratoire, ne passent pas des examens formels mais sont évalués sur la base d'une mini-thèse ou d'une proposition d'étude, pratiquent l'apprentissage par la simulation et les jeux usant des « auto-quizz », il pose les cinq principes de base de l'éducation systémique: « Eviter l'approche linéaire et séquentielle; Se garder des définitions trop précises qui risquent de polariser et de scléroser l'imagination; Faire ressortir l'importance de la causalité mutuelle, de l'interdépendance et de la dynamique propre des systèmes complexes; Utiliser les thèmes d'intégration verticale; Enfin, l'acquisition des faits ne peut être séparée de la compréhension qui existe entre eux ».

L'auto-instruction, la simulation, l'apprentissage de la création, la liaison avec la vie, enseigner pour mieux comprendre sont les méthodes qu'il recommande pour l'application

34Joël de ROSNAY, Le Macroscope - Vers une vision globale, Edition du Seuil 1975

de l'éducation systémique. Mais avant d'en proposer une expérimentation concrète, voyons comment il est possible d'améliorer l'évaluation qui est le noeud de tout processus éducatif.

B. Les enjeux de l'évaluation et du mérite

Selon Gaston Mialaret35, s'inspirant des travaux de docimologie, « tout apprentissage, quel qu'il soit, est favorisé lorsque le sujet connait les résultats qu'il obtient. [] En lui donnant la connaissance des résultats qu'il obtient, on lui apporte des informations qui vont l'aider dans son apprentissage. []Le sujet peut se situer aussi bien par rapport à ses propres performances que par rapport à celle du groupe auquel il appartient. []Dans cette perspective, l'évaluation, ainsi comprise comme un vaste système d'appui à l'apprentissage, peut devenir encore plus dynamique si l'on joue sur ce que les psychologues appellent le « niveau d'aspiration ». L'effort se rapproche alors de l'effort du type sportif et l'organisation d'équipes dans la classe peut matérialiser cette situation ». En deuxième point, Mialaret distingue l' « évaluation diagnostique» qui part du principe que « toute production d'élève est un témoin de son activité et révèle ses points forts et ses points faibles; les fautes commises sont de natures différentes et apportent des indications très précieuses pour comprendre comment s'est reconstruit le processus d'apprentissage. De plus, l'ensemble des erreurs commises dans un groupe permet à l'éducateur de se rendre compte de l'efficacité ou de la non-efficacité de son message ». En troisième position, il souligne que « tout en corrigeant en vue d'une évaluation habituelle, il cherche à comprendre le pourquoi des fautes de chacun de ses élèves, et l'appréciation qu'il porte pour accompagner la note témoigne de ce souci de connaissance individuelle ». Il propose enfin un tableau récapitulatif pour diagnostiquer les fautes commises par les élèves. Ce tableau montre les fautes communes à tous les élèves, les fautes communes à des groupes et les fautes spécifiques à chaque élève. L'analyse du tableau permet de «faire le point général mais aussi de savoir comment évolue la formation reçue ».

Après avoir rappelé ces principes d'évaluation, voyons avec François Dubet la question de mérite qui se rapporte à l'évaluation. En effet, celui-ci pose, dans les premières

35 Gaston MIALARET, Les Sciences de l'Education, Editions PUF 1976

lignes de son livre, L'Ecole des chances, qu'est-ce qu'une école juste ?,36 ce qu'il pense du système méritoire tel qu'appliqué en France : « L'égalité des chances peut être d'une grande cruauté pour les perdants d'une compétition scolaire chargée de distinguer les individus selon leur mérite. Une école juste ne peut se borner à sélectionner ceux qui ont le plus de mérite, elle doit aussi se soucier du sort des vaincus. [J La méritocratie peut s'avérer parfaitement intolérable quand elle associe l'orgueil des gagnants au mépris pour les perdants ». Dubet clarifie cependant que l' « égalité méritocratique reste la figure cardinale de la justice scolaire désignant le modèle de justice permettant à chacun de concourir dans une même compétition sans que les inégalités de fortune et de la naissance ne détermine directement ses chances de succès et d'accès à des qualifications scolaires relativement rares ».

Il poursuit plus loin que « si l'égalité des chances ne se réalise pas, ce n'est pas seulement parce que la société est inégalitaire, c'est aussi parce que le jeu scolaire est plus favorable aux plus favorisés. Ilfaut donc développer l'égalité distributive des chances, c'est- à -dire veiller à l'équité de l'offre scolaire, parfois en donnant plus au moins favorisés, en tout cas, en essayant d'atténuer les effets les plus brutaux de la compétition pure. Ilfaudrait aussi accroître l'information des acteurs et leur capacité de circuler et de se mobiliser ne rompant avec certaines des formes les plus banales de l'hypocrisie scolaire, celles dont les faibles sont victimes parce que ne maitrisant pas les jeux subtils de hiérarchie entre les établissements, les filières, les finesses des orientations, toutes ces petites différences qui finissent par faire les grands écarts ».

Ce sont là des observations qui rendent encore complexe la question d'égalité des chances, d'évaluation et de mérite entre autres. Pour notre part, nous allons revenir au thème d'éducation systémique et proposer un modèle que le Collège Charles de Sarh ou tout autre établissement peut expérimenter.

Paragraphe 2 Expérimentation de l'éducation systémique

36 François DUBET, L'Ecole des chances - Qu'est-ce qu'une école juste?, Editions du Seuil et La République des Idées, Octobre 2004

L'objectif de ce modèle systémique d'éducation est de recruter une cohorte spéciale d'élèves en classe de Sixième et les conduire selon la méthode préconisée jusqu'en classe de Terminale. Soulignons d'avance que le projet va entrainer trois grandes implications: implications académiques, implications politiques et implications financières. Nous allons présenter la méthode de recrutement de la promotion et d'apprentissage avant de revenir sur les trois implications.

La méthode de recrutement de la cohorte sera essentiellement basée sur la diversité qui favorise l'égalité des chances. Cette diversité a aussi fait ses preuves du point de vue scolaire au Collège Charles Lwanga de Sarh. Ensuite, il ne s'agit pas nécessairement de recruter des élèves brillants. Ce sont des élèves provenant du cycle primaire. Les différences de niveau académique serviront à expérimenter une éducation qui ne néglige pas ceux qui, pour des raisons diverses, ont accumulé du retard dans certaines disciplines. La cohorte sera recrutée à travers tout le pays, du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest. La base géographique, sexuelle, religieuse, sociale et d'âge sera aussi large que possible. Voici un tableau qui peut décrire la diversité d'une cohorte de 15 élèves:

 

AGE

SEXE

RELIGION

SOCIAL

REGION

Élève 01

12

Féminin

Catholique

Rural

Préfecture 01

Élève 02

13

Masculin

Musulman

Urbain +

Préfecture 02

Élève 03

14

Féminin

Protestant

Rural

Préfecture 03

Élève 04

15

Masculin

Catholique

Autre

Préfecture 04

Élève 05

12

Féminin

Protestant

Urbain -

Préfecture 05

Élève 06

12

Masculin

Musulman

Rural

Préfecture 06

Élève 07

13

Féminin

Autre

Urbain +

Préfecture 07

Élève 08

14

Masculin

Catholique

Urbain -

Préfecture 08

Élève 09

15

Féminin

Protestant

Rural

Préfecture 09

Élève 10

12

Masculin

Musulman

Urbain -

Préfecture 10

Élève 11

13

Féminin

Autre

Urbain +

Préfecture 11

Élève 12

12

Masculin

Catholique

Autre

Préfecture 12

Élève 13

15

Féminin

Protestant

Urbain +

Préfecture 13

Élève 14

12

Masculin

Autre

Rural

Préfecture 14

Élève 15

Autre

Féminin

Catholique

Urbain -

Préfecture 15

 
 
 
 
 
 

Retenez que les combinaisons peuvent être affinées pour ne pas que qu'un groupe important d'élèves donné (7 par exemple) appartenant à une catégorie donnée (sexe masculin par exemple) se retrouvent tous dans une autre catégorie (protestant par exemple). « Rural» désigne les élèves issus des zones rurales que nous présumons à très faible revenu. « Urbain + » désigne les élèves issus des zones urbaines, des familles à revenu élevé; « Urbains -», les élèves issus des zones urbaines à faible revenu. « Autre» dans « Religion» désigne ceux qui n'appartiennent pas aux religions citées. « Autre» dans « Social» indique une origine particulière, qu'on ne peut inclure dans les catégories citées. « Autre» dans « Age» indique un élève dont l'âge est inférieur à 12 ans ou supérieur à 15 ans.

Un test de recrutement est organisé lorsque la cohorte est déjà recrutée. Cela parait bizarre de prime à bord. La sélection des élèves est faite par les relais du Collège Charles Lwanga dans les différentes régions du pays notamment les paroisses et les organisations caritatives de développement. La sélection doit être basée sur les indications et critères de diversité qui doivent être fournis par le CCL pour maximiser l'effet recherché à travers l'expérimentation. Le test qui est organisé à l'arrivée des élèves au Collège permet donc de déterminer le niveau de chacun dans les différentes disciplines scolaires. Les élèves, appuyés par les professeurs, s'entraident pour la remise à niveau des uns et des autres. Un accent particulier doit être mis sur le tutorat car il a plusieurs fonctions. Fonction communautaire: il permet aux élèves de se familiariser avec les méthodes d'entraide, d'appui, de secours mutuels, de construction d'une communauté solidaire, du travail d'équipe entre autres. Fonction pédagogique: on comprend soi-même mieux ce qu'on est en mesure d`enseigner à autrui. Les difficultés et les questions poussent à la recherche de solutions et les connaissances s'accumulent sous cet effet. Il faut également encourager les membres de la communauté (médecins, fermiers, comptables, mécanicien, etc.) à intervenir dans le tutorat. Car la vie en société à laquelle l'école prépare, c'est tout cela, ce n'est pas seulement la classe et l'enseignant.

Du point de vue pédagogique, le Collège créera des projets d'étude autour desquels seront regroupées les disciplines par blocs. Pour ne pas être trop à l'écart des programmes officiels du Ministère de l'Education Nationale, chaque niveau scolaire sera remplacé par un ou plusieurs projets d'étude de même niveau de difficulté. Les disciplines seront enseignées alors selon la progression du projet et non selon l'emploi du temps traditionnel. Les élèves travailleront en groupe, individuellement, en laboratoire, s'auto-évalueront, présenteront les résultats du sous-groupe pour permettre son intégration dans le grand projet et recevront l'appréciation des professeurs. L'implication pédagogique est alors que les enseignants vont changer d'habitude et pratiquer un enseignement d'équipe. Donc, ce n'est pas simplement les élèves qui vont travailler intensément en groupe mais leurs accompagnateurs aussi. L'implication politique est que le Collège Charles Lwanga doit obtenir une autorisation expresse du Ministère de l'Education Nationale avant d'engager un tel mouvement académique révolutionnaire.

Prenons un projet d'étude comme « La gestion familiale» pour la classe de Sixième. La gestion familiale va impliquer par exemple la santé, l'alimentation, le logement, l'hygiène, l'estimation des besoins, l'éducation des enfants. Cet ensemble divers sera posé, dans le cas de notre méthode systémique, en termes de problèmes à résoudre. La santé et l'alimentation iront chercher dans l'étude des plantes, le sport, la chimie; l'éducation cherchera les éléments de réponse dans l'histoire, la géographie, le civisme, les langues; le logement aura des éléments de la physique; la résolution des problèmes chiffrés va appeler les mathématiques, l'économie, etc. Bien sûr, l'équipe enseignante doit envisager le projet et bien le mûrir mais il ne sera pas présenté dans les détails aux élèves à leur arrivée. Des méthodes interrogatives seront utilisées pour leur permettre de révéler eux-mêmes certains aspects du projet ainsi que les plans de résolution. Ils auront ainsi participer à la conception dudit projet. Aux recherches bibliographiques et en laboratoire vont s'ajouter des descentes sur le terrain pour explorer la nature et poser des questions aux acteurs communautaires.

Dans le cas d'une cohorte comportant plus de 15 ou 20 étudiants, il peut y avoir plusieurs projets pour le même niveau. Ainsi, chaque classe, de la Sixième en Terminale, comportera plusieurs projets qui feront appel aux mêmes enseignements que l'éducation

traditionnelle. Les projets vont remplacer les séries. Les élèves choisissent les projets selon leurs intérêts et non selon leur capacité étant entendu que le travail de mise à niveau doit être continu pour permettre à chaque élève de participer à la réalisation du projet qui lui tient à coeur. C'est une très mauvaise idée de réserver les disciplines comme l'économie, la sociologie, la comptabilité pour les écoles spécialisées. Dans la vie pratique, la résolution d'un problème se fait avec plus d'aisance lorsque l'on dispose de plus de ressources. Toutes les disciplines utiles à la réalisation des projets doivent être adaptées et enseignées. Après la réalisations de 7 grands projets durant les années au secondaire, il faut avouer que le nouveau bachelier sera mieux outillé que l'actuel titulaire d'une licence de l'université qui doit entrer dans une entreprise et apprendre la résolution des problèmes.

Ce système ne connaitra pas de redoublement. Dans une entreprise, tous les employés n'ont pas la même intelligence mais l'entreprise tourne quand même et produit bien. La vérité est que chaque employé a un talent que le gestionnaire valorise pour arriver à ce résultat. Il faudra faire de même pour l'éducation scolaire. Mais l'encouragement à la polyvalence n'est pas à négliger. L'intérêt pour une technique augmente lorsqu'on sait plus sur cette technique et qu'on est à mesure de la pratiquer. Aussi, faut-il exposer les élèves au savoir, leur en faire découvrir les facettes pour qu'ils expriment le désir de se l'approprier.

Pour élargir le débat sur le redoublement des classes, prenons le cas de l'initiation au pays Ngambaye (une partie de la zone méridionale du Tchad). Elle a pour objectif d'inculquer les aptitudes nécessaires à la vie d'adulte dans la société Ngambaye. Les jeunes y entrent par vague, pas forcément le même jour comme la rentrée scolaire, prennent quelques mois d'apprentissage et sont libérés ensuite. C'est une école mais une école sanctionnant avec un diplôme qui valorise la diversité et les talents. Pour avoir un diplôme de comptabilité, il faut entrer dans une école de comptabilité. Mais dans le cas du pays Ngambaye, de la même école sortent des personnes avec plusieurs aptitudes pas forcément acquises mais parfois simplement encouragées et confirmées. Un simple nom remplace le diplôme; « Laoukoura» par exemple signifie celui qui maitrise l'art du beau37. C'est une personne qui fait tout avec art, esthétique. C'est une méthode systémique d'apprentissage.

37 http://www.laoukoura.org/francais/laoukoura.html

Il est naturel, pas mécanique comme dans le cas des syndications des disciplines. On ne redouble pas dans un tel système.

Dans le cadre de cette expérimentation, la formation d'une année sera consacrée, non pas à des disciplines théoriques qui ne resteront pas dans les cahiers au retour des élèves chez eux, mais à des connaissances qui exciteront la curiosité. Tel que présenté, si le projet de résolution de la gestion familiale est assimilé, les élèves commenceront à prendre part à la gestion familiale parce qu'ils savent, globalement, de quoi il s'agit et qu'ils savent aussi concrètement comment résoudre les problèmes familiaux. En ce moment là, même si les parents ne sont pas scolarisés, ils vont vite percevoir l'utilité de l'école et seront encouragés à y envoyer leurs enfants. En plus, chaque année scolaire sera une expérience de vie rentable socialement et pourquoi pas économiquement aussi. Une telle éducation est intégrative de son environnement et remplira son rôle d'intégration sociale.

Pour l'implication financière, il nous est difficile de demander au Collège de harceler ces bailleurs traditionnels pour un tel projet novateur. Les anciens qui, ayant bénéficié de la formation de qualité de cet établissement, peuvent décider librement de faire bénéficier des mêmes atouts à leurs enfants en s'engageant. Ils peuvent décider de prendre en charge les frais de scolarité des élèves qui seront au-dessus des frais réguliers vu les implications techniques du projet. C'est pour eux, non seulement une manière de soutenir cette oeuvre louable que représente le CCL mais faire triompher l'éducation des jeunes Tchadiens car « l'école façonne dans une large mesure la société de demain» pour reprendre les termes de François de Dainville.

CONCLUSION

En conclusion, les données chiffrées extraites des statistiques du Collège Charles de Sarh que nous avons analysées nous permettent d'affirmer sans ambages que le succès scolaire ne s'opère pas selon que l'on appartienne à une classe ou à une autre. C'est le résultat des efforts pédagogiques et économiques fournis par des hommes animés de la volonté de faire des jeunes, des adultes responsables, pleinement hommes. Nous avons souligné le rôle moteur de la pédagogie ignatienne qui représente un modèle de gestion éducative proche de l'éducation systémique proposée par Joël de Rosnay. La modélisation que nous avons tirée de ce dernier peut inspirer les politiques éducatives en quête d'efficacité et d'efficience. Celles-ci ont encore des possibilités à explorer. De l'éducation systémique à l'usage des technologies informatiques, la gamme de choix est large. La seule limite à l'élargissement doit être les ressources économiques qui sont limitées. Les théories que nous avons examinées, peu favorables à certaines élèves, ne doivent en aucun cas prendre le dessus à moins que fidèles à leur logique de domination, les capitalistes décident de ne laisser aucune chance aux classes populaires.

En Afrique Noire, la contextualisation doit être de rigueur pour ne pas faire de l'école une entité séparée des réalités socioéconomiques.

Seattle, janvier2008

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