Mékoné Tolrom Sous la direction de Maurice
Ourtau
Ingénieur de recherche au
LIRHE (Laboratoire Interdisciplinaire de recherche sur
les Ressources Humaines et l'Emploi, CNRS)
Diplôme d'Université Université de Toulouse
1, Sciences Sociales
« Ingénierie Appliquée aux Systèmes
Master pro Sciences Economiques
de Formation et d'Emplois» Année Académique
2007-2008
A tous ces Jeunes Tchadiens qui,
par ignorance et amour du gain facile de leurs propres
géniteurs et leaders,
vendus aux syndicats capitalistes internationaux, ont peine
à s'Epanouir.
SOMMAIRE
Page de couverture page 001
Dédicace page 002
Sommaire page 003
Résumé page 004
Présentation du Master pro IFSE page 005
Présentation du Collège Charles Lwanga de Sarh page
006
Liste des abréviations page 007
Introduction page 008
Chapitre 1 Problématique
Section 1 Clarification de la notion de « rendement
interne» page 009
Section 2 Théorie sociologique sur le rendement scolaire
page 015
Section 3 Revue des critiques et questions page 019
Chapitre 2 Méthodologie
Section 1 Lectures exploratoires et découverte du terrain
page 022
Section 2 Délimitation du sujet et choix des outils page
024
Section 3 Analyse des statistiques et interprétation page
025
Chapitre 3 Analyse
Section 1 Présentation des données relatives
à la cohorte page 027
Section 2 Calcul des taux et indices relatifs au rendement
interne page 031
Section 3 Interprétation des indices et taux de rendement
interne page 038
Chapitre 4 Discussion
Section 1 Contextualisation des théories page 049
Section 2 Le paradoxe du rendement scolaire fondé sur
l'origine sociale page 051
Section 3 Le rôle central du revenu dans le rendement
scolaire page 053
Section 4 Vers un modèle systémique
expérimental page 056
Conclusion page 066
Bibliographie page 067
RÉSUMÉ
Dans le mémoire de recherche en sciences sociales qui
suit, nous confrontons la théorie déterministe de Pierre Bourdieu
et de Jean-Claude Passeron au rendement scolaire du Collège Charles
Lwanga de Sarh, un établissement d'enseignement général
secondaire géré par des prêtres jésuites. Cette
théorie postule que « les enfants issus des classes sociales
dominantes ont une meilleure réussite scolaire et universitaire parce
qu'il y a concordance entre leur culture familiale et les savoirs et les
savoir-faire requis par le système
éducatif»1, écrit Jean Claude Lugan.
En dépit du choix que nous avons opéré en
considérant uniquement les élèves provenant des zones
rurales où le niveau des revenus est très faible et en excluant
les élèves issus des zones urbaines pour lesquels nous ne
possédons pas les données exactes sur le revenu familial, le
résultat est éclatant. En pondérant ce dernier par le
nombre des élèves directement admis dans les classes
intermédiaires, le pourcentage des élèves provenant des
zones rurales varie de 33% à 38% de la classe de Sixième en
Terminale pour la cohorte 1987-1994 que nous avons étudiée. En
classe de Sixième, les ruraux constituent 33% de l'effectif de la
classe, en Terminale, ils représentent environ 33% aussi.
Pour Bourdieu qui affirme que ces élèves issus
des milieux populaires ont plus de chance de se voir orienter dans les
séries littéraires, les chiffres lui tournent le dos: 26% de
ruraux en Première scientifique contre 33% en classe de Sixième,
23% de ruraux en Terminale scientifique contre 33% de ruraux en classe de
Sixième. Nous n'oublions pas que ces chiffres excluent les
élèves issus des familles des zones urbaines à faible
revenu.
Allant plus loin que Bourdieu qui s'indigne contre le surplus
d'effort consenti par les élèves issus des classes populaires
pour obtenir les mêmes résultats que leurs condisciples des
classes dominantes, nous pensons qu'il n'y a ni gloire ni surprise à
obtenir un résultat sans effort. La combativité du pauvre
née des difficultés de son environnement et le relâchement
du riche occasionnée par le luxe dans lequel il baigne doivent nuancer
les conclusions de ses travaux.
Enfin, l'appréciation de la performance des
élèves doit être systémique pour être
équitable et peut conduire à l'expérimentation d'un
modèle systémique qui représente une méthode
d'apprentissage plus naturelle.
1 Jean Claude Lugan, Approche Systémique
des Organisations de Formation, UT1, 2007
PRESENTATION DU MASTER IFSE
Créé en 1992, le DESS «
Ingénierie de la Formation et des Systèmes
d'Emploi» de l'Université de Toulouse 1, Sciences Sociales
(France), a vocation à couvrir les processus de « Conception,
Réalisation, Evaluation et Régulation » dans les fonctions
de Gestion des Ressources Humaines et de « Politiques de Formation [J
allant du local à l'international »2. A la faveur
de l'uniformisation des diplômes dans l'espace européen, l'UT1 a
reçu l'habilitation à le délivrer comme Master
professionnel en Sciences Economiques. Il est réalisé en
partenariat avec plusieurs universités et laboratoires de recherche en
sciences sociales (LIHRE, laboratoire du CNRS entre autres). A
l'intérieur du programme existe un Diplôme d'Université
« Ingénierie Appliquée aux Systèmes de Formation
et d'Emplois» qui peut constituer un parcours tout autant
indépendant qu'articulé au Master.
Les enseignements sont interdisciplinaires et renferment les
disciplines suivantes: économie, sociologie, droit, sciences de
l'éducation et gestion. Un premier bloc d'enseignement vise à
donner des bases théoriques à l'étudiant et lui permettre
de comprendre les enjeux liés aux systèmes de formation et
d'emplois. Il s'agit de la sociologie de l'éducation, de
l'économie du travail et des ressources humaines et de l'économie
de l'éducation. Trois unités d'enseignement professionnalisantes
traitent de l'Ingénierie pédagogique, de la gestion des
ressources humaines et de l'évaluation à la prospective.
Le Master est offert en local au campus de Toulouse et en mode
Formation Ouverte et À Distance (FOAD). Le contenu des enseignements
ainsi que les examens de validation demeurent les mêmes dans les deux
cas. L'admission au programme est réservée aux titulaires d'un
diplôme universitaire de niveau bac+4 et aux personnes jouissant d'une
expérience professionnelle pouvant leur permettre de valider les Acquis
Professionnels. Ces derniers sont alors tenus de suivre le parcours
Diplôme d'Université et prouver leur capacité à
mener des recherches en sciences sociales et articuler les unités
capitalisées à la suite du programme de Master. C'est dans ce
cadre que nous sommes tenu de réaliser le présent mémoire
portant sur le « rendement interne du Collège Charles Lwanga de
Sarh », (Tchad).
2 Source
http://foad.univ-
tlse1.fr
PRESENTATION DU COLLEGE CHARLES LWANGA DE
SARH
Fondé par le Père Raymond de Fenoyl, sj. en
1960, à l'indépendance du Tchad, ancienne colonie
française, le Collège Charles Lwanga de Sarh,
établissement privé d'enseignement secondaire, est une
propriété de l'Eglise Catholique du Tchad et
précisément du diocèse de Sarh, une des principales villes
du Tchad située au sud du pays faisant frontière avec la
République Centrafricaine. Il est confié par convention à
la Compagnie de Jésus (une congrégation catholique) qui en assure
le management pédagogique. Il a pour objectif d' « offrir un
enseignement secondaire et l'éducation à un plus grand nombre de
Tchadiens dans un esprit évangélique pour faire d'eux des hommes
pour les autres et en même temps susciter des vocations sacerdotales et
religieuses parmi ces jeunes»3.
Les enseignements sont ceux recommandés par le
Ministère tchadien de l'Education Nationale majorée d'autres
enseignements et activités spécifiques fondées sur la
pédagogie ignatienne. Celle-ci, ayant fait ses preuves pendant cinq
siècles d'existence, « vise la formation intégrale de
l'homme ouvert au monde et au service des autres et la recherche du «ma
gis » c'est-a-dire de l'excellence »4. Les
enseignements sont assurés par des prêtres jésuites, des
coopérants expatriés et des enseignants tchadiens. L'admission
des élèves se fait par test au début de chaque
année scolaire et à travers le pays. Plus de 70% des
élèves proviennent des familles rurales et urbaines à
très faible revenu. Ils appartiennent à toutes les religions
existant dans le pays. Un grand nombre de postes de haut niveau au Tchad est
occupé par les ressortissants de l'établissement.
Le Collège Charles Lwanga a fonctionné pendant
plusieurs années en régime internat, semi-internat et externat.
Cette oeuvre sociale fait partie du dispositif national de développement
et d'encadrement de l'Eglise catholique au Tchad qui comprend entre autres
l'Institut National de Développement Economique et Social (INADES), le
Centre d'Etudes et de Formation pour le Développement (CEFOD), le Bureau
d'Etudes, de Liaison des Actions Caritatives de Développement (BELACD),
le Centre d'Apprentissage et de Perfectionnement (CTAP), le Service
Audio-Visuel pour l'Education (SAVE), etc.
3 Présentation du
Lycée-Collège Charles Lwanga, Année scolaire
2001-2002, P. N'Guessan Sess Julien, sj. 4idem
LISTE DES ABREVIATIONS
UT1 Université de Toulouse 1, Sciences Sociales, France
IFSE Ingénierie de la Formation et des Systèmes
d'Emplois
DU Diplôme d'Université
CCL Collège Charles Lwanga de Sarh, Tchad
OCDE Organisation de Coopération et de
Développement Economique
INADES Institut National de Développement Economique et
Social
CEFOD Centre d'Etudes et de Formation pour le
Développement
CTAP Centre Technique d'Apprentissage et de Perfectionnement
BELACD Bureau d'Etudes, de Liaison et des Actions Caritatives de
Développement
SAVE Service Audio-Visuel pour l'Education
CEG Collège d'Enseignement Général
CEPE Certificat d'Etudes Primaires Elémentaires
BEPC Brevet d'Etudes du Premier Cycle
DESS Diplôme d'Etudes Supérieures
Spécialisées
VAP Validation des Acquis Professionnels
ENFA Ecole Nationale de Formation Agricole
CNRS Centre National de Recherche Scientifique
LIRHE Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les RH et
l'Emploi
FOAD Formation Ouverte et À Distance
INTRODUCTION
Le rendement des établissements de formation qu'il soit
de base ou supérieur s'affirme comme un épine bien coriace dans
le pied des politiques d'éducation nationale partout dans le monde. En
dépit des théories sociologiques et anthropologiques qui
attribuent très peu d'intelligence aux enfants issus des classes
populaires, les pays développés aussi bien que ceux en voie de
développement s'efforcent de mettre les moyens dans la balance pour
atténuer les inégalités subsistant dans le succès
scolaire. Les faits le montrent au fil des années: accédant aux
opportunités d'éducation dans un environnement adapté, les
enfants issus des milieux à faible revenu réussissent aussi
lorsque l'autorité responsable de leur éducation n'appartient pas
à une politique d'ensemble de façade.
Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, dans leurs oeuvres
Les Héritiers et La Reproduction montrent,
statistiques à l'appui, que les enfants issus des classes populaires
sont moins aptes à réussir que ceux des classes aisées et
que s'ils réussissent quand même, c'est au prix de beaucoup
d'efforts et plus dans des filières peu rentables comme les
littéraires. A l'encontre de cette théorie, nous
présentons ici les faits tirés de l'expérience du
Collège Charles Lwanga de Sarh, un établissement d'enseignement
général secondaire situé au Tchad. L'origine des
élèves à dominante rurale et des familles à
très faible revenu ne les a ni envoyés dans les
établissements secondaires d'enseignement technique «
réservés aux pauvres» ni conduit à
l'échec scolaire. Ceci nous amène à nous poser la question
qui est celle de savoir quel est le facteur prépondérant dans le
succès scolaire au Collège Charles Lwanga de Sarh?
Usant de l'approche systémique, nous placerons les
termes « rendement scolaire », « valeur
ajoutée », « productivité» et
«inégalité des chances» dans leur contexte
économique et sociologique selon les cas dans le plan de travail qui
suit.
Un premier chapitre nous permettra de préciser la
problématique de la recherche. Un deuxième chapitre
présentera la justification de la méthodologie. Un
troisième chapitre restituera les résultats de nos recherches
thématiques avec interprétation. Et Dans un dernier chapitre
consacré à la discussion, nous porterons au devant de la
scène le paradoxe du rendement scolaire fondé sur l'origine
sociale en proposant un modèle d'éducation systémique qui
représente une méthode naturelle d'apprentissage.
CHAPITRE 1 Problématique
Le rendement interne de l'éducation s'apprécie
différemment soit que l'on se place du point de vue de l'investissement
réalisé par le bénéficiaire de l'éducation
soit qu'on l'examine sous l'angle d'un établissement de formation qui
cherche à participer au développement économique de son
environnement. Après avoir clarifié cette notion, nous
présenterons les théories sociologiques majeures sur le rendement
scolaire et poserons les questions qui nous intéressent dans la cadre de
cette recherche.
Section 1 Clarification de la notion de « rendement
interne»
Selon le point de vue du bénéficiaire de
l'investissement éducatif, le rendement interne ou privé
représente l'élément clef de la théorie du capital
humain développé par Becker. Nous présentons ici les
principes, les applications et les limites.
Paragraphe 1 Théorie du capital humain (Becker)
Becker considère que l'éducation constitue un
investissement impliquant couts, gains et donc rentabilité. D'autres
auteurs qui le suivent atténuent cette vue très
économique.
A. Principes et applications
Lorsqu'on parle de taux interne de rendement de
l'éducation en économie, on fait exclusivement allusion aux gains
et espérance de gains que le bénéficiaire de
l'éducation compte réaliser ou réalise quand il franchit
l'étape d'acquisition des connaissances. Ce processus est similaire
à celui de l'entreprise qui investit un capital dans une activité
et en retire un bénéfice financier. Avant de passer à
l'acte d'investissement, l'entreprise met sur la balance plusieurs options de
rentabilisation du capital qu'il possède. Il utilisera alors la
technique de capitalisation qui consiste à effectuer des calculs pour
obtenir la valeur future d'une somme possédée aujourd'hui. La
technique est fondée sur les taux d'intérêt du
marché et se traduit mathématiquement par la formule suivante:
Be=Bo(1 + i)t
Où Be représente la somme que
l'investisseur est supposé gagner dans le futur, B0 représente la
valeur actuelle de la somme considérée, i le taux
d'intérêt sur le marché et t le nombre d'années
d'investissement envisagé. Plus le taux d'intérêt i est
élevé, plus la somme Be est élevée ainsi
que la rentabilité.
L'investisseur procède alors par comparaison. Il met
sur la balance deux projets d'investissement et compare leur rentabilité
grâce à la technique de capitalisation. Il choisira donc
naturellement le projet pour lequel le taux de rendement est plus
élevé. Pour Becker, il en va de même de l'investisseur en
matière d'éducation. La théorie du capital humain postule
que le niveau de salaire est la conséquence de la qualification de
l'individu éduqué. Ce postulat justifie alors un salaire
élevé pour une qualification élevée. Ceci implique
un autre argument: l'éducation augmente la productivité de
l'individu car cela représente une perte pour l'investisseur de
rémunérer un individu non productif. Avant Becker, Adam Smith
postulait: « On peut s'attendre à ce que le métier que
l'homme qualifié apprend lui rapporte un salaire supérieur
à celui du travail non qualifié et rembourse sa dépense
totale d'éducation majorée au minimum du profit habituellement
rapporté par un capital d'égal montant»5.
Tous ces postulats sont empreints de beaucoup de «
mécanicité» et c'est à juste titre que les
auteurs qui suivront feront évoluer l'idée de rentabilité
éducative.
B. Limites et contributions
Pour les tenants de la théorie du signal et du filtre,
la validité de la relation qualification-productivité et donc
éducation-revenu résultant du diplôme est à revoir
pour une meilleure appréciation du rendement éducatif. Pour les
tenants de la théorie du signal comme Spencer, l'employeur ignore la
productivité de l'individu qu'il cherche à recruter. Il utilise
comme indices de productivité potentielle le sexe, la race, l'âge
et le niveau
5 Cité dans le Cours d'Economie de
l'Education, Pierre Gravot, UT 1, 2007
d'éducation. Etant donné, comme le pensent
beaucoup d'auteurs, que l'école développe les aptitudes conformes
aux attentes du système capitaliste, l`employeur se fonde sur cette
conviction pour attribuer un certain signal à l'individu
éduqué. C'est ainsi que Arrow pense que «
l'éducation n'a pas d'effet sur la productivité mais indique
que l'individu est capable d'être plus efficace dans son emploi
»6. Cette thèse se rapproche de la théorie
du filtre qui affirme que l'école ne sert qu'à
sélectionner les individus qui détiennent de leur milieu
d'origine les talents nécessaires pour être productif. Tous
acceptent cependant que l'école ne peut qu'améliorer cette
productivité.
Par ailleurs, en plus de la dimension monétaire, les
dimensions culturelles, intellectuelles et sociales viennent renforcer
l'appréciation de l'investissement éducatif et produisent la
notion de rendement social. Dans son cours d'Economie de l'éducation,
Pierre Gravot retient quelques une de ces dimensions. Le statut, la
responsabilité, l'indépendance, la stabilité, la
localisation, la pénibilité constituent une première
dimension très importante de l'éducation. L'individu n'investit
pas seulement pour des motifs de retour monétaire mais aussi pour
pouvoir jouir de ces facteurs sociaux. L'éducation est aussi un bien de
consommation pour lequel le bénéficiaire tente de maximiser
l'utilité en tenant compte de son revenu. En reconnaissant qu'elle est
un bien de consommation, ce point de vue anéantit l'idée de
rentabilité du capital humain. Dans le cas du système
français à scolarité obligatoire en primaire et
secondaire, l'éducation représente un bien collectif qui
bénéficie à la communauté entière. Ici
aussi, le calcul en terme de rendement interne s'émousse. Enfin,
l'incertitude dans le choix, incertitude née de l'aléa
inhérent aux perspectives de gain, de l'information imparfaite et de la
rationalité limitée ne joue pas non plus en faveur du capital
humain.
Cette présentation de la théorie du capital
humain nous permet simplement de clarifier la notion de rendement interne ou
privé dans sa définition. Nous proposerons maintenant une autre
conception du « rendement interne» qui nous intéresse
dans ce mémoire.
6 Cité dans le Cours d'Economie de
l'Education, Pierre Gravot, UT 1, 2007
Paragraphe 2 Rendement scolaire
La notion de rendement que nous allons circonscrire dans les
lignes qui suivent est celle qui sera retenue dans le cadre de la
rédaction de ce mémoire. Elle fait appel à deux notions
connexes que sont la productivité et la valeur ajoutée.
A. Productivité
En économie marchande, la productivité est le
« rapport entre le rendement effectif (production des biens) et
l'unité de l'un ou plusieurs des facteurs de production
choisie»7 selon le Lexique des sciences sociales de
Grawitz. Mathématiquement parlant:
Où P représente la productivité
recherchée, r le rendement etf les facteurs de
production. Plus la valeur des facteurs est élevée, plus la
productivité diminue. Le bon gestionnaire marchand tentera de produire
le maximum de biens avec une quantité de facteurs donnée. Il
augmentera alors la productivité de son entreprise.
Dans le cas des établissements de formation, ce
comportement du bon gestionnaire marchand est l'inverse de celui du
gestionnaire d'établissement car l'augmentation de la
productivité de son établissement signifie soit la production de
plus de diplômés à moyens constants ou de
diplômés en nombre constant en minimisant les facteurs de
production. Concrètement, augmenter la productivité signifie
dégrader les conditions d'encadrement et produire des
diplômés au moindre cout.
Cette clarification de la notion de productivité nous
permet donc de préciser quelles sont les conditions positives pour un
établissement de formation pour générer un output
acceptable, output que nous retrouvons aussi dans la notion de valeur
ajoutée.
7 Madeleine GRAWITZ, Lexique des sciences sociales,
Editions DALLOZ 2004
B. Valeur ajoutée
En sciences sociales, la valeur ajoutée
représente la «différence entre l'input et
l'output» selon le Lexique des sciences sociales de Grawitz. Nous
avons préféré cette définition car elle n'est pas
très spécifiquement économique et nous permet de traiter
du rendement scolaire. L'approche systémique des établissements
de formation qui use du concept de « système» pour
analyser les organisations est plus apte à définir la notion de
valeur ajoutée.
Plusieurs définitions sont données du concept
« système»; nous retiendrons ici la définition
simplifiée de Jean-William Lapierre et nous y ajouterons pour
clarification les éléments proposés par Jean-Claude Lugan.
Pour Lapierre, « le système est un ensemble organisé de
processus liés entre eux par un ensemble d'interactions à la fois
assez cohérents et assez souples pour le rendre capable d'un certain
degré d'autonomie »8. L'accent est mis ici sur
« processus », « interactions », «
autonomie ». Lugan9 a proposé une
définition qui ajoute les concepts de « actions »,
« effets », « permanence », « existence
», « dynamique », « temporel »,
« téléonomie », « congruence
», « performance », « sous-système
», « adaptation », « échange
», « input », « output» et
« transformation ». Lugan, se basant sur ces concepts clefs,
cite alors trois caractéristiques essentielles d'une organisation
concrète de formation : « une organisation éducative est
une boite noire avec des entrées et des sorties»; c'est un
« système plus ou moins ouvert»; c'est un
système complexe parce qu'elle « conjugue des faits, des
artefacts, des acteurs qui sont déjà en eux-mêmes des
systèmes complexes ». Schématiquement, l'organisation
éducative en tant que système peut être
représentée de la façon suivante:
8 Cité dans le Cours d'Economie de
l'Education, Pierre Gravot, UT 1, 2007
9 Jean Claude Lugan, Approche Systémique
des Organisations de Formation, UT1
Etudiants
ut/Intrants
· Inp
Candidats
Diplomés
urs de
· Facte
production
· Matières
ières
p re m
· Ouptut/
· Valeur a
Extra nts
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uée plus h aut. En con et le social profite à
ents de for mation, il y puisque n e bénéficia ment inter
ne. Le ren recherche du travail o
lissement de format ort les ress ources em roduits.
C' est sa cont vironneme nt
Avant de traiter, chiffres à l'appui, de ce rendement
pour le Collège Charles Lwanga de Sarh, examinons les théories
sociologiques majeures qui ont tenté de diagnostiquer le
phénomène du rendement scolaire.
Section 2 Théorie sociologique sur le rendement
scolaire
Il existe deux courants sociologiques essentiels, l'un
attribuant le succès à l'origine de l'élève et
l'autre le faisant dépendre d'un ensemble de stratégies actives,
se disputent le terrain.
Paragraphe 1 Théories déterministes
Dans cette catégorie peuvent être classées la
théorie sociolinguistique de Bernstein et la théorie culturaliste
de Bourdieu et Passeron.
A. Théorie sociolinguistique de Bernstein
Selon Cherkaoui, « Bernstein prend au sérieux
la thèse qu'il existe une correspondance entre modes d'expression
cognitive et la structure de classes, qui retentit sur la réussite et
plus généralement sur les conduites scolaires et sociales de
l'individu. Bernstein part de la conclusion selon laquelle le niveau
linguistique est indépendant du potentiel intellectuel mesuré par
les tests chez les enfants issus de la classe ouvrière. Selon Bernstein,
la différence résulte entièrement de l'existence de deux
langages, chacun étant typique d'une classe sociale : l'un formel,
utilisé par les individus appartenant à la classe
bourgeoise, est riche en qualifications personnelles et individuelles; sa forme
implique des ensembles d'opérations logiques, avancés, langage
pour qui l'intensité, le ton et d'autres moyens d'expression non
verbaux, bien qu'importants, ne prennent qu'une place secondaire; l'autre
public, propre aux individus appartenant à la classe ouvrière
où l'accent est mis sur les termes émotifs, emploie un symbolisme
concret, descriptif, tangible et visuel dont la nature tend à limiter
l'expression verbale du sentiment dans la mesure où l'expression de
celui-ci est opéré par des moyens non verbaux: gestes,
expressions corporelles, changement et variations dans le ton de la voix, en un
mot, par ce que Bernstein appelle « le symbolisme
expressif». Dans le premier, le verbe
médiatise les intentions, exerce par la-même l'enfant aux modes de
perception relationnel et facilite la considération des chaines causales
entre le présent et l'avenir. Dans le second, l'accent mis sur le
présent par les moyens de communication inhibe toute maitrise de
médiation. [J Les phrases du langage public ne permettent pas
l'expression et la communication d'idées. Elle contraste en cela avec
les phrases du langage formel dont l'élaboration grammaticale complexe
due à l'utilisation de subordonnés, de conjonctions et de
prépositions permet de traduire les relations logiques. Du point de vue
des normes scolaires, il y a supériorité du langage public sur le
langage formel »10 . (p61)
La conclusion est clairement tirée: « Du point de
vue des normes scolaires, il y a supériorité du langage public
sur le langage formel». Qu'en est-il de la théorie
culturaliste?
B. Théorie culturaliste de Bourdieu/Passeron
Dans La reproduction, pour Bourdieu et Passeron,
« toute action pédagogique est objectivement une violence
symbolique en tant qu'imposition, par un pouvoir arbitraire, d'un arbitraire
culturel» (p19). C'est dans leur oeuvre Les héritiers
qu'ils vont donner les facteurs qui expliquent le taux d'échec
élevé des élèves issus des classes populaires.
S'appuyant sur les résultats chiffrés des enquêtes d'Alain
Girard sur les rendements scolaires basés sur l'origine familiale,
Bourdieu et Passeron11 constatent que « le retard et le
piétinement des classes les plus défavorisées peut
être saisis à tous les niveaux du cursus ». Ils
confirment leur thèse d'origine sociale en affirmant que « de
tous les facteurs de différenciation, l'origine sociale est sans doute
celui dont l'influence s'exerce le plus fortement sur le milieu
étudiant, plus fortement en tout cas que le sexe et l'âge et
surtout plus tel ou tel facteur clairement aperçu, l'affiliation
religieuse par exemple» (p22). Ces auteurs voient dans « le
fait que la part des étudiants qui disent avoir suivi le conseil de leur
famille pour le choix d'une section [J croit en même temps que
s'élève l'origine familiale, cependant que le rôle
du
10 Mohamed CHERKAOUI, Sociologie de l'Education,
Edition PUF, 1986
11 Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON, Les
Héritiers - Les Etudiants et la culture, Les Editions de Minuit, 1964,
1966, 1985
professeur décroit parallèlement»
est un « indice de l'influence du milieu familial ». La
suprématie des élèves bourgeois se manifestent aussi par
le fait qu'ils « sont assurés de garder une place, même
fictive, au moins dans une discipline refuge, ils peuvent sans risque
réel, manifester un détachement qui suppose
précisément une plus grande sécurité »,
ce que ne peuvent oser les élèves issus des classes populaires.
« L'homme cultivé est bien né qui sait sans avoir peine
pour acquérir son savoir et qui, assuré de son présent et
de son avenir, peut donner l'élégance du détachement et
prendre les risques de la virtuosité ». Ceux-ci
héritent de leur milieu d'origine « des savoirs et un
savoir-faire et un « bon gout » dont la rentabilité scolaire,
pour être indirecte, n'en est pas moins certaine ». Pour ces
auteurs, la culture scolaire est même inférieure à la
culture générale que détiennent les élèves
bourgeois, une « culture [générale]
héritée qui ne porte pas la marque routinière de l'effort
et a, de ce fait, toutes les apparences de la facilité et de la
grâce ». Aussi, « pour les fils de paysans,
d'ouvriers, d'employés ou de petits commerçants, l'acquisition de
la culture scolaire est acculturation ». Les auteurs concluent que
« c'est sous le double rapport de la facilité à
assimiler la culture et de la propension à l'acquérir que les
étudiants originaires des classes paysannes et ouvrières sont
désavantagés ».
En dépit des références sous-adjacentes
faites aux causes économiques de l'inégalité devant
l'école, ils écartent toute idée d'imputation de manque de
ressources par cette phrase : « Croire que l'on donne à tous
les chances égales d'accéder à l'enseignement le plus
élevé et à la culture la plus haute lorsque l'on assure
les mêmes moyens à tous ceux qui ont les « dons »
indispensables, c'est rester à mi-chemin dans l'analyse des obstacles et
ignorer que les aptitudes mesurées au critère scolaire tiennent,
plus qu' à des « dons » naturelles (qui restent
hypothétiques tant qu'on peut imputer à d'autres causes les
inégalités scolaires), à la plus ou moins grande
affinité entre les habitudes culturelles d'une classe et les exigences
du système d'enseignement ou les critères qui y
définissent la réussite.»
Pour toute solution aux problèmes de
l'inégalité devant l'école, les auteurs considèrent
qu'« une pédagogie réellement rationnelle,
c'est-à-dire fondée sur une sociologie des
inégalités culturelles contribuerait sans doute à
réduire les inégalités devant l'Ecole et la culture, mais
elle ne pourrait entrer réellement dans les faits que si se
trouvaient
données toutes les conditions d'une
démocratisation réelle du recrutement des maîtres et des
élèves, à commencer par l'instauration d'une
pédagogie rationnelle ».
Paragraphe 2 Théorie actionaliste ou
néo-individualiste
Pour les tenants de la théorie actionaliste, «
ce n'est plus le passé qui détermine à lui seul la
réussite ou l'échec, mais c'est surtout l'avenir ou le projet
élaboré par l'individu et sa famille. » (Cherkaoui,
196). Pour ces auteurs, l'influence de l'héritage n'est sensible qu'au
cours des premières années scolaires. Raymond Boudon pense qu'il
faut prendre en compte la « dimension de la comparaison
couts-avantages dans l'analyse des processus d'orientation scolaire».
Voici quelques conclusions tirées de son livre
L'inégalité des chances12:
« L'inégalité de chance devant
l'enseignement résulte principalement de la stratification sociale
elle-même. L'existence de positions sociales distinctes entraine
l'existence de système d'attentes et de décisions distinctes dont
les effets sur l'inégalité des chances devant l'enseignement sont
multiplicatifs ».
« Les différences dans la qualité de
l'héritage culturel en fonction de la classe sociale n'explique que dans
une mesure très limitée l'inégalité de chance
devant l'enseignement. Elles expliquent les différences dans la
réussite scolaire en fonction de l'origine sociale au jeune âge.
Par contre, elles n'expliquent guère les disparités du niveau
scolaire en fonction de l'origine sociale. [] Les réformes
pédagogiques visant à compenser les disparités culturelles
dues au milieu familial ne peuvent atténuer les inégalités
devant l'enseignement que de façon modérée».
« Les inégalités économiques
sont une dimension majeure de la stratification. []Si on affirme que les
inégalités économiques sont la dimension la plus
importante de la stratification, il résulte de l'analyse qu'une
réduction des inégalités économiques doit avoir des
effets importants sur l'égalité des chances devant
l'enseignement. Une réduction même
12 Raymond BOU DON, L'Inégalité des
chances, Editions Hachette Littératures 1984
modérée des inégalités
économiques peut avoir des effets non négligeables puisque
exponentiels».
Boudon propose comme solution un « curriculum
unique» qu'il reconnait « contradictoire avec la norme d'une
adaptation du curriculum aux gouts et aptitudes des enfants ».
Section 3 Revue des théories et questions
Nous passons en revue, dans cette section, les théories
sociologiques ci-dessus afin de spécifier les questions qui nous
préoccupent dans le cadre de cette recherche.
Paragraphe 1 Revue des théories
Les faits semblent montrer un point un consensus mais les
diagnostiques posés ne révèlent pas de la même
logique.
A. La nudité de faits
Toutes ces théories sociologiques s'appuient sur des
données statistiques réelles et concordantes avec une observation
directe des faits dans les sociétés concernées.
L'héritage culturel a un poids élevé dans le rendement
scolaire. Les élèves issus des milieux populaires proviennent
d'un environnement où le savoir scolaire ne relève pas du
vécu quotidien. Au lieu de vivre des avantages octroyés par leurs
parents, ils s'efforcent, en voulant se faire une place dans la
société globale, de bâtir un nouveau cadre de vie
grâce à l'école. Il est donc normal que l'école
constitue pour eux une « acculturation ». Du même
coup, ils doivent lutter seuls sans l'appui des parents. Ce n'est pas le cas
pour les élèves issus des milieux bourgeois qui ont des parents
informés de la chose scolaire et suivent de près le
progrès de leurs enfants, les aident à réaliser les
travaux scolaires. L'assurance environnementale et économique dont
jouissent les élèves bourgeois fait défaut à leurs
condisciples des milieux populaires. Ces derniers ne peuvent pas s'octroyer des
aires de liberté et se démarquer du savoir scolaire que les
bourgeois considèrent finalement comme inferieur à leur «
culture
héritée ». Le piétinement
et le taux d'échec est élevé parmi les
élèves issus des classes populaires. On les retrouve plus
nombreux dans les filières littéraires que dans les
filières rentables. Tous les auteurs reconnaissent
l'inégalité économique qui règne entre les deux
classes. Si les faits présentés ont une allure consensuelle, il
n'en va pas de même du diagnostic que chaque auteur propose à ce
sujet.
B. La divergence des diagnostics
Comme décrit ci-dessus, le diagnostic des
théories déterministes s'oppose à celui des
théories actionalistes. Pour l'aile culturaliste extrémiste tenue
par Bourdieu, la « culture savante» appartient à la
bourgeoisie. Les enfants issus de ce milieu en héritent. Les enfants
issus des milieux populaires sont étrangers à cette culture.
C'est ce qui explique leur « piétinement» dans un
domaine où ils doivent fournir de l'effort pour en assimiler les
fragments. Bourdieu exclut toute cause économique dans cette
inégalité devant l'école. Pour lui, c'est presque un
destin lorsqu'il affirme qu'il ne faut pas perdre du temps à vouloir
réduire les inégalités économiques pour
espérer améliorer la performance des élèves issus
des milieux populaires. Bernstein va dans le même sens avec sa
théorie sociolinguistique. Le langage « public »,
celui des milieux populaires, est très pauvre et ne permet pas de
communiquer les idées. Il est « inférieur »,
du point de vue scolaire, au langage formel employé par les milieux
bourgeois. Il ne permet pas de communiquer les idées ! C'est donc
à juste titre que l'élève issu des milieux populaires
échoue.
Boudon, du courant actionaliste ou néo-individualiste,
en se basant sur les données microsociologiques, n'est pas
entièrement de ce point de vue. Tout en reconnaissant le poids non
négligeable de l'héritage culturel, il n'est pas d'accord sur le
fait que l'échec des classes populaires lui soit entièrement
imputable. Pour le courant dont il fait partie, l'enjeu du rendement scolaire
n'est pas le passé mais le futur. C'est par rapport au projet futur et
aux décisions présentes pour réaliser ce projet que le
rendement scolaire doit s'apprécier. Pour lui, la stratification sociale
oriente les décisions mais celles-ci sont aussi basées sur les
inégalités économiques. Il affirme que le poids de
l'héritage culturel ne joue que dans les années scolaires, au
jeune âge, mais pas après ces années.
Cette synthèse des diagnostics du rendement scolaire
nous permet de poser les questions qui orienterons l'analyse du rendement
scolaire du Collège Charles Lwanga de Sarh ainsi qu'une réflexion
approfondie sur le sujet.
Paragraphe 2 Questions
Au vu du destin des élèves issus des milieux
populaires selon Bourdieu, Bernstein et les autres tenants de la théorie
déterministe, destin qui les condamne à l'échec scolaire
et partant les voue à un avenir peu glorieux, est-il encore
justifié que les politiques publiques d'éducation qui puissent
naturellement et paisiblement investir dans le succès naturel et
héréditaire des élèves bourgeois et se donnent du
mal à vouloir promouvoir le succès « impossible
» des élèves issus des classes populaires?
Etant donné que l'école est venue d'ailleurs et
s'est imposée à tous les élèves africains de la
même manière, sont-ils donc tous considérés comme
étrangers à la « culture savante» et partant
égaux devant le rendement scolaire? Ou bien cette même distinction
« classe populaire » et « classe
bourgeoise» doit-il s'appliquer aux milieux africains l'un à
revenu acceptable et l'autre à revenu très faible et justifier le
succès des uns et l'échec des autres?
Sous réserve des réponses qui seront
ultérieurement apportées à ces deux questions, pourquoi le
rendement scolaire au Collège Charles Lwanga de Sarh s'opère-t-il
sans distinction de classes sociales? Et comme ce rendement est positif,
à quels facteurs prépondérants est-il dû?
CHAPITRE 2 Méthodologie
Outre la restitution du contexte de cette recherche à
travers la présentation du Master Ingénierie de la Formation et
des Systèmes d'Emploi de l'Université de Toulouse 1 et celle du
Collège Charles Lwanga de Sarh dans l'introduction à ce
mémoire, ce chapitre est consacré à plus de détails
sur la méthodologie que nous avons adoptée afin de mieux
apprécier l'analyse. Il s'agit de l'agencement relatif aux lectures
exploratoires, à la délimitation du sujet et au traitement des
données statistiques.
Section 1 Lectures exploratoires et découverte du
terrain
Lors des lectures exploratoires et la découverte du
Collège Charles Lwanga de Sarh, nous avons passé en revue toutes
les disciplines universitaires au programme de Master et avons consulté
les résultats d'enquêtes et divers articles relatifs au sujet.
Paragraphe 1 Sciences de l'éducation
Il s'agit essentiellement des disciplines qui entrent dans le
cadre des études en sciences de l'éducation à savoir
l'économie, la sociologie et toutes les sciences connexes
étudiant les comportements individuels et collectifs.
A. Sciences économiques
Le cours d'Economie de l'éducation dispensé par
Pierre Gravot à l'Université de Toulouse 1 nous a enseigné
que depuis les origines de cette discipline avec l'économiste de renom
Adam Smith, beaucoup de choses ont évolué. En effet, Adam Smith a
été à la source de la notion de « capital
humain» même s'il n'a pas expressément utilisé le
terme13. Des auteurs pour la plupart britanniques et
américains ont fait le tour de la question qui peut se résumer en
deux grands chapitres conformément à la méthode
économique employée pour analyser un marché: l'offre et la
demande. L'offre étudie les activités des établissements
de
13 Pierre Gravot, Cours d'Economie de
l'Education, UT1, 2007
formation, leur performance, leur mode de sélection,
d'affectation de ressources, leur productivité et leur méthode
d'évaluation. La demande étudie les différentes dimensions
dans lesquelles s'insère la demande des individus, des
collectivités et des entreprises des besoins de formation. Etant
donné la spécificité de ce marché, classifié
par la loi comme bien « sous tutelle », une analyse de la
politique éducative est également faite intégrant la
justification de l'intervention de l'Etat dans le domaine de
l'éducation. Une lecture sommaire de l'oeuvre de Marc Gurgand a
diversifié notre connaissance du sujet.
Par ailleurs, l'apparition du « labor
economics» en 1940 aux Etats Unis étudiant les aspects
économiques du travail a permis de mieux comprendre la valeur des
qualifications acquises dans le système éducatif. Il en est de
même des autres disciplines sociales.
B. Sociologie et sciences connexes
Contrairement à l'économie qui étudie le
système éducatif depuis peu, la sociologie a fait de celui-ci son
domaine d'étude de prédilection il y a longtemps. Selon Mohamed
Cherkaoui dont nous avons consulté l'oeuvre, le terme «
sociologie de l'éducation» est utilisé dans son
acception restreinte empruntée au terme anglais « sociology of
education qui désigne de fait, la sociologie des systèmes
d'enseignement ». Cherkaoui précise que « si la
sociologie est centrée sur les phénomènes scolaires, elle
n'exclue pas pour autant de son champ d'intérêt l'étude des
relations entre l'école et les autres institutions, notamment la
famille, la politique, l'économie. Selon une métaphore bien
connue de l'analyse des systèmes, elle a pour objet les
mécanismes scolaires, les entrées et les sorties
»14 . La consultation de son précis a
été d'un très grand apport dans la compréhension
globale de notre sujet surtout que son approche est celle qu'a adoptée
Jean-Claude Lugan dans son cours d' « Approche Systémique des
Organisations de Formation» dispensé à
l'Université de Toulouse 1. Celui-ci a d'abord présenté
les notions nécessaires à la compréhension des
systèmes de formation avant d'en faire une application aux
établissements concrets de formation.
14 Mohamed CHERKAOUI, Sociologie de l'Education,
Edition PUF, 1986
Notre curiosité ne s'est pas arrêtée
à la sociologie de l'éducation car si
l'interdisciplinarité est une qualité hautement
appréciée dans l'étude des systèmes, en science de
l'éducation, elle est une nécessité. Nous avons donc tenu
à effectuer une lecture sommaire sur la psychopédagogie que
Gaston Mialaret définit comme « soit une théorie, soit
une méthode, soit un ensemble de pratiques pédagogiques qui se
réfèrent, soit pour les fonder, soit pour les expliquer, soit
pour les mettre en oeuvre sur le plan de l'action, aux données de la
psychologie de l'éducation ». Enfin « l'enquête
philosophique» présentée par Franc Morandi nous a
éclairé sur « le lien fondateur qui légitime
l'oeuvre de l'éducation, fonde la naissance du sujet à l'essence
et à l'existence »15.
Paragraphe 2 Résultats d'enquêtes et article
divers
Nous avons parcouru des réflexions faisant suite
à des enquêtes sur le rendement scolaire en France, en Grande
Bretagne et aux Etats Unis. Nous nous sommes particulièrement
intéressés à l'article de Robert Campbell et Barry N.
Siegel portant sur la demande d'éducation supérieure aux Etats
Unis publié dans The American Economic Review. L'article de
Marc Frênette sur les « probabilités pour les jeunes
Canadiens provenant des familles à faible revenu de poursuite des
études universitaires» a retenu notre attention et
contribué à forger notre opinion sur le sujet. Sur l'Afrique
quelques articles glanés sur Internet ne nous ont vraiment pas permis de
procéder à une analyse scientifique.
Section 2 Délimitation du sujet et choix des outils
Nous avons dû délimiter notre sujet et faire le
choix de nos outils d'investigation et d'analyse en tenant compte des moyens et
données statistiques dont nous disposons.
Paragraphe 1 Limitation due aux moyens d'investigation
limités
Nos recherches ont été entièrement
menées à distance grâce à internet. Certaines
données ont été directement imprimées des sites
internet ressources, d'autres ont été
15 Gaston MIALARET, La Psychopédagogie,
Editions PUF 1987
repérées et commandées auprès des
libraires en ligne. Compte tenu du temps et des ressources matérielles
dont nous disposons, nous avons limité notre champ d'étude au
rendement interne de l'établissement de formation choisi : le
Collège Charles Lwanga de Sarh. Initialement, il s'agissait
d'étudier le rendement interne et externe des établissements, ce
qui devrait nous conduire à récolter plus de données
statistiques sur ce que sont devenus les anciens de l'établissement
choisi, chose qu'ont même peine à réaliser des institutions
de formation des pays bien nantis. Nous nous sommes alors contenté
d'étudier le rendement interne en nous servant des données
fournies par la direction du Collège Charles Lwanga et de l'avis de
quelques anciens. Retrouver tous les anciens de la cohorte
étudiée et pourquoi pas un nombre suffisant d'anciens CCLois et
leur soumettre des questionnaires de sondage aurait été
souhaitable mais l'expérience que nous avons eu avec le sondage en ligne
que nous avons réalisé auprès d'une centaine d'anciens est
une preuve de la difficulté de l'entreprise. Sur une centaine de
questionnaires envoyés, une quarantaine ont reçu un écho
favorable. Les raisons pour ce taux de retour peuvent être diverses et
nous avons simplement décidé de ne pas utiliser les
résultats correspondants.
Paragraphe 2 Statistiques internes et avis des anciens
La cohorte que nous avons choisie d'étudier dans le
cadre de cette recherche est celle qui est entrée pendant l'année
scolaire 1987-1988 en classe de Sixième pour finir en classe de
Terminale l'année scolaire 1993-1994. La direction du Collège
Charles Lwanga a pu donc nous fournir tous les effectifs par classe y compris
ceux des redoublants, nouveaux admis, internes, externes et départs pour
des motifs divers. Des questions spécifiques ont été
adressées à quelques anciens ayant étudié les
sciences sociales et aux anciens directeurs ayant dirigé le
Collège. Encore une fois, la matière collectée ne permet
pas une appréciation étendue et a permis simplement de mieux
comprendre l'environnement de la recherche. Ce sont donc essentiellement sur
les données internes fournies par le Collège que nous nous sommes
basé pour effectuer nos analyses et interprétations.
Section 3 Analyse des statistiques et
interprétation sociologique
Pour réaliser une analyse élémentaire des
statistiques reçues et interpréter les résultats, nous
avons procédé à une présentation graphique des
données pour y ajouter ensuite les éléments sociologiques
tel que le sexe, l'âge, la région d'origine, etc.
Paragraphe 1 Analyse des statistiques
Deux séries de présentation seront faites des
données sur la cohorte 1987-1994: une générale et l'autre
thématique. La présentation générale montrera
comment les effectifs ont évolué de la classe de Sixième
en classe de Terminale. Elle sera exprimée en pyramide et graphique
révélant des pourcentages. Une deuxième
présentation thématique s'attachera à faire voir
graphiquement les données sur les redoublements, les
élèves admis en internat, les élèves provenant des
zones rurales, ceux provenant des zones urbaines, les filles, les
garçons, etc. Cette présentation permettra aux lecteurs de suivre
le calcul des différents taux de rendement que nous allons
opérer. Ces taux de rendement seront interprétés en termes
de valeur ajoutée pour montrer le travail que fournit le Collège
Charles Lwanga de Sarh pour aboutir à ces produits que sont les
bacheliers.
Paragraphe 2 Interprétation sociologique
Les chiffres seuls, vu sous l'angle économique, ne
parlent pas bien d'une voie sociale. Ils ne montrent que les aspects
matériels. C'est donc à juste titre que nous allons utiliser les
données sociologiques tel que le sexe, l'origine sociale, l'âge
pour comprendre les résultats scolaires de cette cohorte. Nous allons
toujours le faire sous l'optique de valeur ajoutée. En effet, le
rendement interne d'un établissement doit être vu sous l'angle
socioéconomique. Quelle est la contribution que l'établissement
apporte à la construction de son environnement par le biais de la
formation? Nos comparaisons auront pour données de cadrage les
informations tirées du site internet de Pole Dakar, une agence
spécialisée de l'UNESCO basée à Dakar et
chargée des analyses sur les politiques éducatives en Afrique.
Une autre source qui nous a aussi des informations de base sur le
système éducatif tchadien est le Rapport National
présenté à la 45e session de la
Conférence internationale de l'Education (Genève, 30 septembre-5
Octobre 1996) tiré du site internet de l'UNESCO.
CHAPITRE 3 Analyse
Ce chapitre est consacré à la
présentation des données statistiques de la cohorte
étudiée, du calcul des taux et indices relatifs au rendement
interne et à l'interprétation de ces différentes
données.
Section 1 Présentation des données relatives
à la cohorte
Nous présenterons un tableau synthétique et
graphique de toutes les données et un tableau représentant
différentes thématiques liées au sujet.
Paragraphe 1 Tableau synthétique des statistiques de la
cohorte
Le tableau synthétique générale offre une
vue d'ensemble des effectifs de la cohorte 1987-1994. Entre la classe de
Sixième et celle de la Troisième, il y a une variation assez
importante lorsqu'on prend l'ensemble des effectifs pour les deux cycles. Le
sommet est la classe de Cinquième avec 89 élèves et la
base la classe de Terminale avec 39 élèves. Entre la
Sixième et la Troisième, on remarque qu'il n'y a pas une grande
variation car les effectifs vont de 87 à 84. Si vous constatez que
l'effectif dans la classe qui suit est supérieur à celle de la
classe précédente, c'est dû à la présence des
redoublants et/ou de nouveaux élèves admis, au collège,
directement dans ces classes.
Effectif General16
6e
|
5e
|
4e
|
3e
|
2d
|
1o
L
|
1o S
|
TA
|
TC
|
Effectif Total
|
87
|
89
|
83
|
84
|
70
|
31
|
38
|
22
|
17
|
Internes
|
13
|
16
|
26
|
29
|
33
|
10
|
17
|
8
|
9
|
Externes
|
74
|
73
|
57
|
55
|
37
|
21
|
21
|
14
|
8
|
Redoublants
|
10
|
4
|
4
|
6
|
8
|
6
|
6
|
0
|
0
|
Effectif des filles
|
13
|
10
|
3
|
7
|
5
|
4
|
1
|
1
|
0
|
Effectif des Garcons
|
74
|
79
|
80
|
77
|
65
|
27
|
37
|
21
|
17
|
Effectif des élèves ruraux
|
29
|
31
|
31
|
32
|
25
|
14
|
10
|
9
|
4
|
Effectif des élèves urbains
|
58
|
58
|
52
|
52
|
45
|
17
|
28
|
13
|
13
|
16 Extrait des données fournies par la
direction du Collège Charles Lwanga de Sarh, 2007
Effectif
100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0
|
|
|
|
6e 5e 4e 3e 2d 1ereL TA
|
Effectif
Exprimée en pyramide, cette graphique n'aura pas un sommet
très pointu. Voyons maintenant en détails les différents
éléments que constituent ces effectifs.
Paragraphe 2 Tableau thématique des statistiques de la
cohorte
Pourcentage des élèves ruraux
50 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0
|
|
|
|
6e 5e 4e 3e 2d 1ereL 1ereS TA TC
|
Dans cette première représentation
thématique, regardons l'origine urbaine et rurale des
élèves pour l'ensemble des effectifs, de la Sixième
à la Terminale. Remarquez que l'effectif des élèves issus
des zones rurales est presque toujours en-dessous de 50%. Si nous y ajoutons la
part des élèves provenant des zones urbaines mais des
ménages à très faible revenu, le total sera suffisamment
élevé.
Dans cette deuxième représentation
thématique, regardons la part des élèves admis à
vivre à l'internat et ceux qui sont restés à l'externat.
Le graphique montre une figure avec à son sommet la classe de Seconde et
à la base la classe de Sixième.
Pourcentage des élèves en
internat
60 50 40 30 20 10 0
|
|
|
|
6e 5e 4e 3e 2d 1ereL 1ereS TA TC
|
Pourcentage des redoublants
25 20 15 10 5 0
|
|
|
|
6e 5e 4e 3e 2d 1ereL 1ereS TA TC
|
Dans cette troisième représentation
thématique, regardons la part des redoublants par classe. Les
redoublants de la classe de Sixième ne sont pas des primo entrants de la
cohorte que nous étudions. Voici ce que cela représente:
Le sommet montre 19% et 15% dans les classes de Seconde
scientifique et Seconde littéraire et la base zéro redoublant en
Terminale. On observe la chute du nombre de redoublants dans les classes de
Quatrième et Cinquième ainsi que la montée en classe de
Seconde et Première.
Dans ce mémoire, nous n'avons pas prévu
étudier spécifiquement la part des filles dans le rendement mais
nous présentons néanmoins cette graphique pour information. La
part est dramatiquement faible pour devenir nulle en classe de Terminale,
série scientifique.
Pourcentage des filles
16
14 12 10 8 6
4 2 0
|
|
|
|
6e 5e 4e 3e 2d 1ereL 1ereS TA TC
|
Tranche d'age
30 25 20
15 10
5 0
|
|
|
|
1970 1971 1972 1973 1974 1975
|
Concernant la tranche d'âge de la cohorte, voici un
graphique représentantatif. Les plus jeunes sont nés en 1975 et
les plus âgés en 1970.
Nous faisons l'économie d'une représentation des
effectifs par ethnie car nous n'y voyons aucun intérêt
différentiel.
Section 2 Calcul des taux et indices relatifs au rendement
interne
Dans cette section, nous calculons les taux et indices relatifs
au rendement scolaire de la cohorte 1987-1994.
Paragraphe 1 Calcul de l'indice de sélectivité
L'indice de sélectivité comprend des taux
d'accès, de réussite et d'efficacité. A. Taux
d'accès
En économie de l'éducation, le taux
d'accès d'une cohorte « mesure le pourcentage d'une cohorte de
primo entrants qui accédera [au diplôme final] dans
l'établissement ». Dans le cas du Collège Charles
Lwanga, cela représente le pourcentage des 77 primo entrants de
l'année académique 1987-1988 accédant au
baccalauréat en 7 ans. La difficulté qui se pose ici est
l'identification exacte de ces primo entrant de classe en classe en
séparant les redoublants qui n'appartiennent pas à la cohorte et
les élèves admis directement dans les classes
intermédiaires.
Si nous nous accordons à pondérer virtuellement
nos résultats du nombre des élèves admis directement dans
les classes intermédiaires, le taux d'accès au
baccalauréat pour cette cohorte sera de :
Eff admis au bac en 7 ans * 100
Taux d'acces =
Effectif en classe de Sixieme
Ce qui nous donne dans l'application numérique :
Taux d'acces =
|
39 * 100
|
= 44,83%
|
77
|
Ce pourcentage de 44,83% ne nous dit absolument rien si nous
ne le plaçons pas dans un contexte plus large des résultats dans
le système éducatif tchadien. Nous tenterons de le faire dans
l'interprétation des résultats.
B. Tauxderéussite
Pierre Gravot montre, dans son cours, la complexité du
calcul du taux de réussite : « Le cursus des étudiants
peut être très différencié. Certains atteindront la
fin du cursus sans échec; d'autres « doubleront » une ou
plusieurs fois; d'autres abandonneront au bout d'une ou plusieurs tentatives,
etc.». Il fait remarquer à juste titre que même si l'on
se contente de calculer le taux de réussite par année en
utilisant la formule suivante:
R=
DIP INS
Où R représente le taux de réussite, DIP
le nombre d'élèves ayant obtenu le baccalauréat en 7 ans
de scolarité au Collège et INS l'effectif de la cohorte en classe
de Sixième, se pose le problème du choix du numérateur et
du dénominateur. S'agit-il des primo inscrits seulement ou des
redoublants aussi, des inscrits en début de l'année sans tenir
compte des élèves présents à l'examen? Gravot pense
même que les taux par année pourraient être
indépendants et donc rendre partiellement inéquitable le
résultat final17.
Considérons tout l'effectif de la classe de
Sixième à l'année académique 1987-1988 et celui des
admis au baccalauréat en 1994 en omettant les situations
intermédiaires ci- dessus énumérées, on peut dire
que le taux de réussite pour cette promotion sera donc de:
39
17 Pierre Gravot, Cours d'Economie de
l'Education, UT1, 2007
Pour l'enseignement supérieur français, Gravot
propose que soient éliminés les étudiants inscrits «
pour ordre », non présents à l'examen «
pour ne calculer que le taux de réussite ou d'échec pour les
étudiants a priori motivés puisqu'ils font le choix de continuer
dans le même établissement s'ils ont réussi leurs examens
ou de redoubler s'ils ont échoué».
Le taux de réussite attendu est la prise en compte des
critères âge, sexe, origine sociale, passé scolaire. Ces
différents taux n'ont de sens que si l`on possède des taux de
référence nationale et « correspondant aux
différentes sous-populations d'élèves et que l'on connait
par ailleurs la structure effective des élèves d'un
établissement selon les mêmes critères »,
précise Gravot. C'est la problématique des données de
cadrage.
C. Taux d'efficacité
Le taux d'efficacité mesure globalement « la
transformation d'une cohorte de primo entrants en diplômés finaux
». Dans le calcul de ce taux entrent en jeu le nombre
d'années- diplôme et le nombre d'années-études. Le
nombre d'années-diplôme est celui durant lequel un candidat peut
accéder au diplôme et y réussir sans redoublement. Dans le
cas du Collège Charles Lwanga de Sarh, le nombre
d'années-diplôme est 7, allant de la classe de Sixième
à celle de la Terminale. Le nombre d'années-études est le
nombre d'années que prend effectivement un candidat pour obtenir le
diplôme de référence, le bac dans le cas du CCL.
Selon G ravot, « une filière est «
absolument efficace » si tous les primo inscrits obtiennent, sans
redoublement leur diplôme, auquel cas le nombre
d'années-diplôme sera égal au nombre
d'années-études et le coefficient égal à un. Plus
il y a d'échecs, de redoublements et d'abandons, plus ce coefficient est
faible»18.
La formule pour calculer le taux d'efficacité est la
suivante :
18 Pierre Gravot, Cours d'Economie de
l'Education, UT1, 2007
Annees diplomes
E_ annees etudes
Dans le cas du Collège Charles Lwanga, nous ne pouvons
valablement calculer ce taux même si nous assumons la
pondération relative aux admissions dans les classes
intermédiaires comme réduisant la portée
scientifique du résultat qui sera obtenu car nous ne
disposons pas des renseignements sur les différents groupes
d'élèves et le nombre
d'années-étude qui leur correspond. Nous ne connaissons
que les 39 arrivés en Terminale en sept ans moins le
petit nombre qui est admis directement dans les classes
intermédiaires et les différentes
catégories de redoublants.
Paragraphe 2 Calculs des indices de sélection et de
productivité
Nous consacrons ce paragraphe au calcul des indices de
sélection et de productivité. A. Indice de
sélection
La sélection « est le résultat de toute
une série de décisions qui peuvent être prises,
soit par l'étudiant, soit par les enseignants, mais aussi par
les employeurs » (OCDE) sur des critères
préalablement fixés par ces différents centres de
décision en vue de ne laisser accéder à
un point donné que ceux qu'on estime éligibles. A ce titre, la
sélection ne peut avoir pour effet que de produire une
pyramide avec à la base les candidats et au sommet les
prétendus éligibles qui ont pu arriver au point choisi.
Dans le cas du Collège Charles Lwanga de Sarh, les
tests d'admission, les examens, le respect de la discipline sont autant de
points de sélection qui réduisent au fur et
à mesure le nombre des candidats éligibles.
Levy-Garboua, cité par
Gravot19, distingue trois stades principaux de la sélection :
la sélection initiale à l'intérieur de
laquelle on trouve l'auto-sélection, la présélection,
la sélection en début de cursus et la
sélection finale, la sélection terminale ou
post-sélectivité et la
sélection postscolaire. Au premier stade, l'auto-sélection
consiste pour le candidat à
19 Pierre Gravot, Cours d'Economie de
l'Education, UT1, 2007
l'entrée d'un établissement à abandonner
son choix d'y entrer ou de quitter l'établissement en cours
d'étude pour toute une série de raisons. La
présélection consiste à admettre les candidats
après consultation de leur dossier. La présélection
géographique (l'établissement de formation ne se trouvant pas
à proximité du lieu de résidence du candidat) et
monétaire peut aussi éliminer certains candidats. La
sélection en début du cursus correspond au fort taux
d'échec qu'on constate souvent dans le premier cycle de
l'université, le taux de réussite au DEUG de droit en est un
exemple. Au deuxième stade, La post-sélectivité se situe
à l'examen final de référence, le baccalauréat pour
le cas du Collège Charles Lwanga avec cette nuance que ce diplôme
est national et ne dépend donc plus de l'établissement qui a
formé. Au troisième stade, la sélection postscolaire - qui
ne nous intéresse pas dans le cadre de cette recherche - est faite par
le marché du travail
Pour calculer le taux de post-sélectivité en
supposant que le baccalauréat est le diplôme final de
référence, on emploiera la formule suivante :
e2 e3 e4
n2 * n3 + n4 + ~
Où les n mesurent les effectifs d'inscrits
dans l'année i et les échecs au même niveau.
Considérons le nombre de redoublants en classe de Cinquième comme
e2 et remontons jusqu'en classe de Terminale que nous notons
e7. Faisons de même avec les effectifs de la classe de
Cinquième (n2) à la classe de Terminale (n7).
Le taux de post-sélectivité du Collège Charles Lwanga
serait égal à :
e2 e3 e4 e5 e6 e7 n2 + n3 + n4 + n5
+ n6 + n7
Application numérique:
4 4 6 8 12 0
89+ 83+ 84+ 70+
69+ 39 = 0,45
Le résultat ici ne nous sert vraiment pas car il est
biaisé par le fait que des 87 élèves entrant nouvellement
en classe de Sixième ajoutés au 10 redoublants, nous ne savons
pas lesquels sont admis, lesquels ont repris leur classe, lesquels ont
abandonné, etc. L'exercice n'aura servi qu'à montrer à
quoi pourrait ressembler le taux de post-sélectivité pour une
cohorte donnée. Gravot20 nous fait remarquer « qu'en
multipliant ce taux de post-sélectivité par le taux de
sélection initiale, on obtient le taux de sélectivité
totale de la filière correspondante ».
B. Indice de productivité
La détermination du taux de productivité des
établissements de formation varie selon l'angle sous lequel on se place.
Sous l'angle des activités, il est égal au rapport des
effectifs-élèves sur les effectifs-enseignants. C'est l'inverse
du taux d'encadrement. Dans l'enseignement supérieur, on distingue dans
l'effectif des enseignants l'effectif physique, le potentiel et la charge
effective d'enseignement. Cette considération n'est pas
transférable à l'enseignement secondaire où les taux sont
fixés statutairement par le ministère de l'éducation et ne
nous intéresse donc pas. Nous retenons simplement que lorsque la
productivité augmente, cela signifie que le taux d'encadrement baisse et
que cela entraine une diminution de la qualité de la formation offerte
par les établissements.
La détermination du taux de productivité en termes
de valeur ajoutée est ce qui nous intéresse ici. Sous cet angle,
elle égale:
DIP ENS
Si on considère R, le rapport
diplômés/inscrits:
DIP INS
20 Pierre Gravot, Cours d'Economie de
l'Education, UT1, 2007
et E le rapport enseignement/inscrits :
ENS INS
sachant que R exprime le taux de réussite et E le taux
d'encadrement, la nouvelle expression de la productivité sera :
R
P= E
L'égalité est parfaitement démontrée
si on procède à la décomposition suivante :
Equation qui égale :
DIP INS
P= INS * ENS
Dans cette nouvelle expression où nous avons
multiplié le premier terme par l'inverse du second, le
dénominateur du premier terme (INS) divise le numérateur du
second (INS) et nous retrouvons l'égalité initiale :
DIP
P= ENS
Dans le cas du Collège Charles Lwanga de Sarh, nous
pouvons calculer le taux de réussite global ou par niveau connaissant
l'effectif des inscrits et celui des diplômés. En revanche, nous
ne pouvons pas calculer le taux d'encadrement car ne possédant pas des
données exactes sur cet aspect, ce qui nous empêche du coup de
calculer le taux de productivité de l'établissement. Le taux de
réussite globale négligeant l'effectif des admis en classe
intermédiaire et des redoublants de la classe de Sixième est
égale à:
39
87 = 0,44
Le taux de réussite par niveau, s'il est
calculé, sera exagérément biaisé par le nombre des
admis en classe intermédiaire ou des redoublants car on peut remarquer
par exemple que l'effectif en classe de Cinquième est supérieur
à celui de la Sixième. C'est qui veut dire
qu'arithmétiquement, le nombre des personnes ayant réussi
dépasse celui des personnes inscrites !
Section 2 Interprétation des indices et taux de rendement
interne
Dans cette section, nous tenterons d'interpréter
objectivement les taux calculés en nous référant aux
données nationales pour ensuite verser dans une interprétation
conditionnelle en déplaçant le principal argument des
ressources.
Paragraphe 1 Interprétation par référence
Après avoir repéré les
références nationales sur lesquelles peuvent être
fondée l'interprétation des taux calculés, nous tenterons
d'opérer une comparaison entre le système général
tchadien et le Collège Charles Lwanga et nous prononcer sur la fonction
« sélection » de cet établissement.
A. Données de référence
»21
Il s'agit en premier lieu de montrer la « pyramide
éducative du Tchad tirée du site
internet Pole-Dakar. Cette pyramide montre la progression des
effectifs du primaire au secondaire.
21
http://www.poledakar.org
Selon ce document de source originale Banque Mondiale:
Division de la Population des Nations Unis, ONUSIDA publié en 2002-2003,
la « pyramide éducative» du Tchad pour l'année
académique 1990-1991 a un sommet très pointu. Avec 59% de taux de
scolarisation brut à l'entrée au primaire, l'atteinte de la fin
de ce cycle n'est que de 19%. Des 10% seulement des élèves
provenant des 19% du primaire, 5% arrivent en fin de cycle secondaire. Des 5%,
3% seulement arrivent au second cycle pour finir à 2% enfin de ce
cycle.
1er
Globalement, 58% vont du primaire au secondaire cycle et 57% du
premier cycle au
second cycle.
Selon le rapport national présenté à la
45e session de la Conférence internationale de l'Education
(Genève, 30 septembre-5 Octobre 1996), le taux de passage du secondaire
1er cycle au secondaire général 2e cycle est de 51,4%
au total dont 52,9% pour les filles pour l'année académique
1994-1995. Le taux de redoublement au secondaire est de 23,1% dont 21,7% pour
les filles pour la même année. Le taux d'abandon pour le
même cycle et la
même année est de 12,8% dont 13,5% pour les
filles. Selon le rapport, l'âge de recrutement dans le secondaire
progresse de 12 à 15 ans dans le même cycle. La norme horaire
prévue par la législation nationale est de 18 heures à 21
heures dans le secondaire général. Du point de vue de
l'encombrement dans les classes, le rapport donne 74,3 « avec des
contrastes de 16 élèves par classe dans les zones peu
peuplées à 130 élèves par classe dans les grandes
agglomérations ».
B. Comparaison avec le système
Sur 77 élèves qui entrent au Collège
Charles Lwanga de Sarh en classe de Sixième et les 10 redoublants qui
s'y sont ajoutés l'année académique 1987-1988, 84 ont
atteint la classe de Troisième soit un taux de 96,55% en
précisant que le taux d'admission directe dans les classes
intermédiaire fera varier en moins ce résultat. Le taux de survie
montrée par la pyramide éducative de 1990-1991 est de 50% sachant
que 10% entrent en Sixième pour finir à 5% en Troisième,
ce qui est presque conforme à la source gouvernementale qui indique
51,4% comme taux de passage du premier cycle au second cycle. Dans le calcul
des taux de réussite, nous avons renoncé à calculer les
taux par niveau à cause de l'effet des admissions dans les classes
intermédiaires qui sera très important. Néanmoins, le taux
de réussite entre la Sixième et la Troisième nous a permis
d'effectuer la comparaison qui nous intéresse.
Pour le second cycle, sur 70 élèves admis en
classe de Seconde y compris les redoublants, 39 arrivent en Terminale soit un
taux de réussite de 55,71%. La pyramide éducative montre 3%
à la base du second cycle et 2% au sommet soit un taux de
réussite de 66,66%. Deux remarques: d'une part, nous employons
indifféremment les termes « taux de passage » et
« taux de réussite» pour les progressions de cycle en
cycle ou à l'intérieur des cycles, d'autre part si nous utilisons
la formule du nombre de « diplômes» sur «
inscrits », nous obtiendrons des chiffres dans l'ordre de 0,55,
ce qui égalise le résultat lorsque l'on procède simplement
par la règle de trois en obtenant 55%.
Le rapport national indique un taux de redoublement de 23,1% au
secondaire. Le tableau que nous avons précédemment
présente un taux de redoublement moyen de
10,64% pour les deux cycles du secondaire. Le nombre moyen de
74 élèves par classe avec un maximum de 130 et un minimum de 16
est inférieur à celui du CCL qui est de 74,42. La comparaison
offre un chiffre supérieur pour le CCL (85,75) si l'on prend en compte
uniquement le premier cycle. La moyenne au second cycle de
l'établissement est de 44,7 avec le chiffre le plus élevé
de 70 en classe de Seconde, les autres ne dépassant guère la
quarantaine.
A première vue, les chiffres sont très proches.
Mais méfiez-vous ! Le Tchad est un pays très vaste, très
peuplé dans certaines zones et peu peuplé dans d'autres comme
l'indique le rapport. Aussi, une moyenne n'a que peu de sens dans cette
analyse. Il en est de même des chiffres relatifs au taux de
réussite. La qualité de la formation au Collège Charles
Lwanga de Sarh est largement supérieure à celle des autres
établissements. Le baccalauréat est une belle preuve qui montre
la réussite à 100% presque chaque année dans toutes les
séries alors que le taux national plane en dessous de 50%.
L'âge des élèves et le taux d'abandon ne
pourront pas être comparés ici car les données dont nous
disposons ne divulguent pas l'âge réel des élèves
dans le secondaire tchadien ainsi que le taux d'abandon pour le Collège
Charles Lwanga de Sarh qui n'est pas disponible.
Comparé aux données nationales, l'effectif des
filles au CCL est très bas. Ceci peut avoir pour raison la
sélection à l'entrée en classe de Sixième mais
l'effet de l'offre doit être une des raisons majeures. Les
élèves de l'établissement proviennent de presque toutes
les régions du Tchad. Les filles connaissent un taux de scolarisation
plus bas que les garçons et les pesanteurs sociales traditionnelles
constituent pour elles un grand frein à l'accès aux
établissements de formation spécialement lorsqu'ils se situent
dans des régions distantes de leur région de résidence. De
Moundou, une ville située à 300 km de la ville de Sarh où
se situe le CCL, un collège catholique féminin (Collège
Notre Dame de Moundou) arrive à faire admettre ses
diplômées mais en nombre très restreint.
En conclusion, le rendement scolaire du Collège Charles
Lwanga de Sarh n'est pas une question d'intelligence de classe mais de
ressources socioéconomiques que nous
tenterons de circonscrire dans le paragraphe suivant. Mais avant
cela, examinons la fonction « sélection » de cet
établissement.
C. Sélection et rendement du CCL
Quelle est la part de la sélection dans le rendement
scolaire du CCL? Il n'y a pas de barème standard pour mesurer le niveau
de sélection d'un établissement. Dans le cas du CCL, nous voyons
simplement qu'il y a environ 90 élèves au départ du
premier cycle et 37 en Terminale. Est-ce cette forte sélection qui a
facilité le succès à 100% des élèves
parvenus en 7 ans en Terminale? Pour une part, oui. Cette sélection est
essentiellement fondée sur le mérite académique et en
partie sur les ressources économiques. Ceux qui travaillent bien et en
mesure de payer les frais de scolarité ne rencontrent aucune
barrière. Ceux qui travaillent bien mais ne peuvent payer changent
d'établissement même s'il existe un système d'aide sociale
qui peut appuyer dans ce sens. Les ressources du CCL étant
limité, tout le monde ne peut recevoir cette aide. La limitation des
ressources est aussi l'argument qui a rendu cette sélection si forte.
Nous estimons que si plus d'élèves étaient admis à
l'internat ou plus d'élèves disposaient des ressources pour
étudier convenablement, le nombre d'étudiants arrivés en
Terminale serait plus élevé.
Paragraphe 2 Interprétation conditionnelle
A supposer que l'on mette à la disposition des autres
établissements les ressources à la hauteur de celles dont dispose
le Collège Charles Lwanga de Sarh, arriveront-ils au même niveau
de rendement scolaire ? Sinon, pourquoi?
A. Ressources disponibles
Pour parler des ressources dont dispose le Collège
Charles Lwanga de Sarh pour la réalisation de sa mission,
commençons par énoncer la ressource pédagogique centrale
à savoir la « pédagogie ignatienne» qui donne
l'élan à toutes les autres ressources. Selon Denis DELOBRE s.j.,
prêtre jésuite, responsable de la Formation Humaine à
l'Ecole Supérieure d'Agriculture de Purpan - Toulouse (France), cette
pédagogie n'a rien de mystérieux comme certains pourraient le
penser. « Son objectif, écrit-il, est d'aider au
développement le plus complet possible de tous les
talents donnés à chaque personne. Le succès de la
pédagogie ignatienne ne se mesure pas d'abord en termes de succès
scolaires ou de compétence technique des professeurs, mais bien
plutôt en termes définissant la qualité d'être. [JIl
désigne bien plutôt le développement le plus complet des
possibilités de chaque individu à chaque étape de la vie,
uni au désir de poursuivre ce développement pendant toute la vie
et à la volonté de mettre au service des autres les dons
développés. Chacun est invité à rechercher et
atteindre des objectifs à un rythme adapté à ses
possibilités propres ainsi qu'aux caractéristiques de sa
personnalité. [J Elle comprend une formation à des valeurs
(respect, ouverture aux autres, partage de ses dons), à des attitudes et
à la volonté. Elle inclut une relecture du vécu qui permet
de prendre en compte sa propre expérience et d'en tirer profit. Cette
réflexion sur les expériences personnelles est le point central
de cette pédagogie. Chacun est ainsi conduit à accepter les dons
personnels, à les développer, mais à accepter aussi les
limites et à les dépasser autant que possible. Ce cheminement se
fait tout au long de la vie dans le cadre d'un accompagnement fraternel
où la parole confiante, échangée en vérité,
apporte beaucoup de lumière. [JA l'évidence, cette
pédagogie ne s'adresse pas à une "élite". Elle est
accessible à tous ceux et celles qui désirent oeuvrer avec
rigueur et vigueur pour que l'homme soit vraiment homme
»22.
Tel qu'énoncé, la pédagogie ignatienne
donne sens, comme nous l'avons dit, à toutes les autres ressources. Le
Collège Charles Lwanga de Sarh est financé à plus de 50%
par la Compagnie de Jésus, une congrégation catholique
d'où viennent les prêtres jésuites. La contribution des
parents d'élèves représente moins de 20% du budget total.
Le reste des ressources financières proviennent du diocèse du
Sarh, propriétaire du Collège, des autres collèges
jésuites amis et donateurs divers. Il ne reçoit aucun fond public
de la part de l'Etat tchadien. Ce budget permet au Collège de disposer
des professeurs permanents, la plupart ressortissants du même
Collège, des manuels scolaires pour tous les niveaux, de deux
bibliothèques, d'un laboratoire scientifique, d'un internat accueillant
une faible part des effectifs, d'une salle de dactylographie, de jeux de table,
le tout logé sur un espace foncier personnel comprenant des terrains de
jeux de basketball, volleyball, football, handball et un logement de 3 villas
pour professeurs. Une équipe de prêtres jésuites
expatriés et nationaux assure la direction générale et
pédagogique.
Du point de vue analyse sectorielle, c'est l'ensemble de ces
ressources qui rend possible le rendement scolaire du Collège Charles de
Sarh tel que nous l'avons présenté.
22
http://www.ndj.edu.lb/jesuites/pedignat.htm
Mais du point de vue systémique, il y existe un fil
conducteur plus puissant que toutes ces ressources.
B. A égalité de ressources
Nous avons démontré dans cette analyse que la
disponibilité des ressources économiques est une condition
nécessaire au succès indifférencié des
élèves. Voyons dans quelle mesure un autre établissement,
public ou privé commercial, pourrait produire les mêmes
résultats s'il disposait des mêmes ressources.
Prenons un établissement d'enseignement secondaire
public ou privé qui ne dispose pas de ressources économiques
suffisantes pour offrir un encadrement adéquat à ses
élèves. Mettons à sa disposition un budget suffisant pour
s'équiper en matériel pédagogique, payer son personnel et
s'assurer tous les services utiles au bon fonctionnement.
Pour le cas d'un établissement public, le premier
problème qui se posera est celui de l'autonomie. Les
établissements publics vivent sous la coupe directe du ministère
de l'éducation et doivent donc respecter l'orthodoxie managériale
publique. Même si un tel établissement dispose des ressources
économiques suffisantes, aucune flexibilité n'est permise pour
ajuster soit les programmes soit les aspects administratifs de la gestion de
l'établissement. La gestion des ressources humaines, par exemple,
relève entièrement de l'autorité de tutelle qui recrute,
paie et révoque. A cette allure, les ressources n'affecteront pas le
rendement scolaire à la hauteur de celui du CCL et pourrait parfois
créer, à défaut d'une meilleure organisation, un
désordre général dû au blocage de conflit
d'intérêts.
Pour un établissement privé commercial, c'est
son isolement qui l'empêchera d'atteindre un meilleur rendement scolaire.
En effet, en dehors de respecter les normes minimales d'enseignement, contenu
et équipement, fixées par les autorités de tutelle, le
propriétaire de cet établissement ne fournit des efforts que pour
augmenter sa productivité - au prix, parfois, d'un encadrement
médiocre - et faire des recettes. S'il cherche à améliorer
son enseignement et placer ses diplômés sur le marché de
l'emploi, c'est pour en
retour obtenir la bonne réputation qui lui attirera
plus de candidats et donc plus de recettes. Pour un tel établissement,
lui assurer d'office le renflouement de ses effectifs par la mise à la
disposition automatique des ressources va entrainer un relâchement
général puisque ses efforts portent vers l'attrait des candidats.
Il ne se préoccupera plus de la qualité et produire les
diplômés en nombre demandé par le bailleur.
Ces deux exemples montrent que la suffisance des ressources
n'est pas gage de succès. Au-delà donc des ressources
économiques se profile la dynamique que l'approche systémique
perçoit clairement. Cette approche privilégie une étude
globale allant au-delà de la simple analyse et tient pour non
égal le tout et la somme des parties. Elle va au-delà de la
pensée « analytique dans la lignée cartésienne
»23. Selon Jean-Claude Lugan, elle dépasse la
« sectorisation disciplinaire» et voit sous l'angle de
« système ». Comme nous l'avons défini dans la
problématique, contrairement à une structure qui demeure
invariante, un système est dynamique. Pour comprendre ledit
système, une étude doit porter sur toutes les interactions qui
s'opèrent en son sein. Nous avions aussi dit que l'environnement d'un
système a une forte influence sur lui car lui offrant «
contraintes » et « ressources ».
C'est dans ce sens qu'i faut comprendre le succès
à long terme d'un établissement qu'elle soit de formation ou non.
Le Collège Charles de Sarh n'est pas un établissement
isolé de son environnement. A la tête du système se trouve
l'Eglise catholique du Tchad. Cette Eglise ne s'occupe pas seulement du «
salut des âmes» en de termes purement spirituels mais
travaille aussi au développement socioéconomique. Elle s'est
dotée des organisations tel que le Belacd, le Secadev, l'Inades qui
oeuvre dans le développement intégré des structures
sociales et économiques du pays. On retrouve des antennes de ces
organisations dans les plus petites paroisses rurales. Les écoles
catholiques primaires font partie également du système. C'est cet
environnement « externe» qui permet un recrutement
aisé des élèves de toutes les régions du pays.
Aussi, cet environnement et la diversité d'origine des
élèves contribuent-ils grandement au rendement
élevé du Collège Charles Lwanga de Sarh.
23 Jean Claude Lugan, Approche Systémique
des Organisations de Formation, UT1, 2007
L'environnement interne aussi possède sa part de
contribution dans le rendement du CCL. Nous entendons par «
environnement interne» les divers mouvements qui côtoient
l'enseignement des disciplines purement scolaires. Il s'agit des mouvements
associatifs tels que la Jeunesse Etudiante Chrétienne (JEC), la
Génération Nouvelle (GEN), etc. Bourdieu le souligne à
juste titre dans son livre : « Sans doute, la participation à
des groupes ou à des mouvements confessionnels (surtout catholiques),
procure-t-elle aux étudiants et surtout aux étudiantes,
l'occasion de contacts organisés et réguliers au sein des groupes
secondaires relativement intégrés, « cercles », «
foyers » ou « associations » qui prennent le relais du milieu
familial; sans doute les étudiants catholiques sont-ils les plus
nombreux à avoir fait leurs études secondaires dans des
établissements privés (51% contre 7% pour les non- catholiques.
[J Sans doute enfin, les étudiants catholiques semblent engager dans
leurs études et dans la représentation qu'ils se font de leur
carrière future une éthique de la bonne volonté et du
service d'autrui qui trouve une expression particulièrement lyrique chez
les jeunes filles »24. Il ajoute, cependant, que
« dans les conduites et les attitudes proprement scolaires,
l'appartenance religieuse ne détermine jamais de différences
statistiquement significatives ». Le sport et les jeux constituent
aussi des lieux de développement de la personne. La responsabilisation
des élèves pour la gestion des diverses activités du
Collège tel que la cantine scolaire, les équipements, le journal
interne (« Lueur ») et le tutorat assuré par les
élèves seniors au profit des cadets participent au mouvement.
Cette stratégie systémique, «
holistique », diront les prêtres jésuites, croise ou
sous- tend la pédagogie ignatienne. Denis Delobre présente ses
trois caractéristiques en ces termes: « elle insiste sur le
soin donné à chacun et le souci de chaque individu; elle souligne
l'activité de la part des élèves; elle encourage une
ouverture de toute la vie au progrès »25.
Enfin, l'autonomie technique dont jouit le Collège
Charles Lwanga de Sarh est un avantage sur les autres établissements
concurrents. En effet, un système, pour assurer sa survie, doit
être à mesure de réguler son ouverture sur
l'extérieur. Il doit se «finaliser»
24 Pierre BOURDIEU et Jean-Claude PASSERON, Les
Héritiers - Les Etudiants et la culture, Les Editions de Minuit, 1964,
1966, 1985
25
http://www.ndj.edu/lb/jesuites/pedignat.htm
c'est-à-dire « décider de sa
décision », ne pas laisser l'environnement externe lui dicter
simplement les comportements. Ainsi, il pourra assurer sa stabilité,
c'est-à-dire la capacité à maintenir l'unité dans
la diversité, à « changer à l'intérieur de
certaines limites ». Il doit également posséder l'ultra
stabilité c'est-à-dire la capacité de changer en restant
lui-même. Le Collège Charles Lwanga pourra alors évoluer
tout en demeurant fidèle aux principes directeurs qui fondent son
succès. Enfin, la multi stabilité. S'il est menacé
d'envahissement par l'extérieur et perdre son identité, la multi
stabilité lui permet de changer pour rétablir
l'équilibre.
Pour éviter donc l'entropie, le désordre
croissant, ses éléments ci-haut cités constituent une
néguentropie efficace. Le Collège Charles Lwanga a
intérêt à mettre l'accent sur la mise à niveau avec
le système de tutorat et l'implication des membres de la
communauté socioéconomique de son environnement. L'existence des
mouvements de jeunes est d'une importance capitale ainsi que la
responsabilisation des élèves. Dans l'approche systémique
des organisations de formation, Lugan nous apprend qu'il existe 7 étapes
importantes que les établissements doivent suivre pour améliorer
leur rendement.
En premier lieu, l'établissement doit mettre en place
un système qui permet l'autoévaluation des élèves,
un bilan de personnalité, des connaissances, des aptitudes, des
motivations, des modes cognitifs avant tout autre action académique. La
deuxième fonction concerne le conseil d'orientation et la
détermination des objectifs éducatifs généraux. La
troisième fonction emploie la mémorisation et la constitution
d'un dossier pour chaque élève. La quatrième fonction doit
identifier les besoins éducatifs spécifiques sur un plan
général et/ou professionnel. La cinquième fonction
détermine les méthodes d'acquisition des connaissances et
savoir-faire. La sixième définit les processus d'acquisition des
connaissances et l'engagement des moyens ad hoc. La septième
conçoit les méthodes d'évaluation des connaissances et
valeurs. La huitième est une fonction qui permet la correction et la
régulation du système. La neuvième fonction planifie les
processus de certification et d'interface avec les autres systèmes. La
dixième fonction assure la maintenance générale, de
l'administration en fait.
Si les différentes fonctions citées sont prises
en compte par l'établissement, les chances pour un rendement
élevé sont grandes. Le Collège Charles Lwanga assume
toutes
ces fonctions mais peut-être pas méthodiquement
comme le veut cette logique. Il est vrai que son application intégrale
requiert beaucoup de moyens. Même les pays disposant de plus de moyens ne
sont pas à mesure de le faire. Il est cependant important de comprendre
la philosophie et l'adapter. Les outils informatiques doivent être d'un
apport non négligeable dans la mise en pratique de la méthode. Le
Collège peut l'expérimenter aussi avec un petit groupe de primo
entrants et juger des résultats.
CHAPITRE 4 Discussion
Après avoir démontré que le rendement
scolaire du Collège Charles Lwanga de Sarh est fondé en partie
sur la disponibilité des ressources économiques et en partie sur
la vision systémique de la pédagogie ignatienne, nous allons
replacer les théories sociologiques qui nous intéressent dans le
contexte de l'Afrique noire avant de nous livrer à une discussion
approfondie sur les enjeux du rendement scolaire.
Section 1 Contextualisation des théories
Paragraphe 1 Ecole et propriété de la culture
savante
Bourdieu considérait l'assimilation de la «
culture savante» par les élèves issus des milieux
populaires comme « acculturation ». Il le fait ainsi car,
pour lui, cette culture appartient à la bourgeoisie et qu'elle est
corrélativement étrangère aux milieux bourgeois. Qu'en
est-il des étudiants africains?
Dans L'aventure ambiguë, le roman de Cheik
Hamidou Khane26, qui est une oeuvre de fiction mais reflétant
des points de vue très pertinents sur la rencontre entre la culture
occidentale et la culture africaine, un des personnages, Le Chevalier, posait
en ces termes la raison de l'école : « Une plaie qu'on
néglige ne guérit pas, mais s'infecte jusqu'à la
gangrène. Un enfant qu'on n'éduque pas régresse. Une
société qu'on ne gouverne pas se détruit. L'Occident
érige la science contre ce chaos envahissant, il l'érige comme
une barricade» (p91). Le Chevalier a bien précisé
« L'Occident érige...» et attribue, par
la-même, la propriété de l'école, de cette «
culture savante », à l'Occident. Pour confirmer
l'acculturation, un autre personnage, La Grande Royale, dit: «
L'école où je pousse nos enfants tuera en eux ce
qu'aujourd'hui nous aimons et conservons avec soin à juste titre.
Peut-être notre souvenir lui-même mourra en eux. Quand ils nous
reviendront de l'école, il en est qui ne nous reconnaitrons
pas». (p57). Ce que les Diallobés « aiment et
conservent avec soin» dans leurs enfants, c'est l'identité
Diallobé. Ceci implique deux choses: d'une part
26 Cheikh Hamidou KANE, L'Aventure ambigüe,
domaine étranger 10/18, Julliard 1961
que l'identité Diallobé n'est pas innée
mais elle est acquise par un processus de socialisation similaire à
celui de l'école, d'autre part que l'école occidentale, usant du
même processus et avec plus de force, réduira fortement voire
supprimera la place de la première identité.
De cette analyse se dégage une inquiétude
fondamentale. Etant donné que les élèves africains,
étrangers à la culture de l'école, peuvent l'assimiler,
sous violence symbolique ou sous toute autre pression, au point d'en faire
leurs les valeurs qui en sont issues, la « culture savante»
de Bourdieu appartient-elle réellement à une classe? N'est-il pas
une question d'opportunités historiques favorisant plus vite
l'accès des uns à la culture savante et reléguant les
autres dans la cour populaire, lieu de prédilection du «
symbolisme expressif» du sociolinguiste Bernstein?
Paragraphe 2 Inégalité des
élèves africains devant l'école
Tous les étudiants africains ne disposent pas des
mêmes atouts pour affronter la culture savante. Même au premier
jour de l'école en Afrique, l'environnement dans lequel chaque enfant a
vécu lui permet de briller dans telle ou telle discipline et occuper une
place particulière dans le classement généré par la
diversité des aptitudes, à plus forte raison après un
demi-siècle de cheminement avec la culture savante. Ils l'ont
assimilé au point d'effacer la frontière entre les connaissances
acquises par le fils du bourgeois et eux. Mais assimiler n'est pas synonyme
d'en profiter à la même hauteur que les autres qui, même
sans assimilation (au sens de maitrise), s'en sortent mieux profitant des
réseaux de relations tissées au fil du temps. On voit aussi ici
se dessiner en filigrane le poids des ressources économiques. A cet
effet, La Bible dit avec justesse : « A qui en a, on donnera
encore...». C'est l'expression du capitalisme bancaire qui n'octroie
du crédit qu'aux riches car disposant de solides garanties.
Le savoir n'est pas alors la propriété d'une
classe.; il est à équidistance de toutes les classes, et comme
nous l'avons dit, ce sont les opportunités historiques qui en
gèrent les enjeux. Le savoir d'hier n'est pas resté stagnant.
Ceux qui sont issus des classes populaires y ont fait des contributions
notables. Puisqu'il n'est pas immuable et d'accès libre, pourrait-il
être la propriété juridique d'une entité?
Aussi, la distinction classe bourgeoise et classe populaire
puisque non fondée sur l'appartenance du savoir à un camp mais
sur des considérations économiques peut aussi s'appliquer aux
élèves africains.
Section 2 Le paradoxe du rendement scolaire
fondé sur l'origine sociale
Les élèves issus des milieux bourgeois peuvent tout
aussi connaître l'échec autant que ceux issus des milieux
populaires le succès. Pourquoi ce paradoxe?
Paragraphe 1 Combativité du pauvre
générée
Le pauvre, dans son environnement dépourvu de
ressources appropriées pour mener une vie sans tension, ne se croise pas
les bras. Il est en perpétuel combat même si l'adage populaire dit
que « la vie est un combat» incluant riches et pauvres dans
le même diagramme. L'intensité de son combat est plus
élevée. Comme il se trouve à la frontière de
l'acceptable et de l'inacceptable, son combat a pour objectif de basculer dans
l'acceptable d'abord et d'envisager des objectifs plus avancés. La
psychologie, par la voie de Michel Flayol dit: « Le meilleur moyen
d'apprendre, c'est déjà de savoir beaucoup
»27. C'est sur cette logique que se focalise Bourdieu en
mettant de côté toute autre motivation qui peut muer les
élèves issus des classes populaires. « Savoir
beaucoup» n'est pas inné mais acquis. Cela signifie qu'avec
plus d'effort, les populaires peuvent arriver au niveau des bourgeois.
Prenons l'exemple des jeux d'enfant. Les familles bien nantis
offrent à leurs enfants des jeux électroniques ou non, sortis des
usines, en « prêt-à-jouer ». Les enfants qui le
recevoir se contentent de toucher un bouton par ici, un autre par là
pour le mettre en marche et satisfaire leur désir de jouer. Que fait le
fils du pauvre ? A défaut de se voir offrir une voiture en miniature ou
tout autre jeu électronique, il va décider de se fabriquer lui-
même ce jeu. Dans ce processus de fabrication et de son l'utilisation
avec tous les manquements et difficultés que cela comporte, l'enfant
pauvre apprend plus d'ingénierie
27 Cité par Gaston MIALARET, La
Psychopédagogie, Editions PUF 1987
que l`enfant bourgeois. Dans une classe d'ingénierie,
il sera plus habile que l'autre à construire. Bourdieu dira que c'est
bien là le travail du fils d'ouvrier qui le conduira aux «
collèges techniques ». S'il est orienté vers un
collège technique, ce n'est pas parce qu'il n'a pas le niveau
intellectuel à la hauteur des autres qui poursuivent leur cursus dans
les lycées. Pour les élèves nantis, c'est peut-être
pour entrer dans une école renommée comme Ponts et
Chaussées où tout est affaire d'ingénierie que le fils du
pauvre maitrise mieux! Rien ne peut empêcher les élèves
issus des milieux populaires d'arriver au succès si ce n'est la
volonté affichée de l'autorité enseignante à le
juger sur la base de son appartenance à une classe, chose que Bourdieu
reconnait volontiers.
Paragraphe 2 Relâchement généré
par le luxe
Un proverbe Ngambaye, une ethnie de la région
méridionale du Tchad, dit: « Ngolo ndje may tel
mbeu», ce qui peut se traduire par: « Le fils du bourgeois
ne réussit pas ». Ce proverbe, bien que de portée
très limitée, exprime bien ce phénomène qui peut
être généré dans les milieux bourgeois. Les Ngambaye
ont remarqué que beaucoup d'enfants issus des milieux aisés, se
sentant matériellement en sécurité, prennent de
liberté avec les travaux scolaires. C'est la même chose qui se
passe en France et reporté par Bourdieu dans son livre. Ce
détachement de la chose scolaire ne va pas sans conséquences
négatives pour tous les élèves qui le pratiquent. En
dépit du soutien qui leur est officieusement accordé en raison de
leur appartenance à la bourgeoisie, certains échouent. Au Tchad,
l'effet de l'environnement social amplifie ce phénomène. Certains
enfants issus des familles aisées disposent de ce dont ils ont besoin,
aujourd'hui et demain. N'est-ce pas l'école a pour but de s'assurer un
avenir meilleur? Or, cet avenir meilleur est déjà assuré
par les parents. Pourquoi les enfants consentiront-ils encore autant de
sacrifices pour ce qui est déjà acquis? Contre parfois leur
médiocrité, ils brandissent leur héritage social et
finissent par abandonner l'école.
Ce paradoxe montre une fois de plus que le savoir n'est pas la
propriété d'une classe et que les échecs et les
succès ne découlent pas de la simple appartenance à une
classe. Mais Bourdieu, fidèle à sa logique de condamnation des
classes populaires, diabolise l'idée de l'effort. Il officie le culte de
l'héritage, du don, de la grâce. C'est même une
justification
de la paresse sinon comprendre que quelqu'un qui reçoit
sans effort soit plus « adoré» que quelqu'un qui
fournit de l'effort pour produire? Sans se laisser impressionner par sa
théorie, nous allons examiner le rôle du revenu qu'il
sous-estime.
Section 3 Le rôle central du revenu dans le rendement
scolaire
Comme le pensent Siegel et Campbell dans leur étude,
l'effet du revenu sur l'éducation est supérieur à celui de
l'éducation sur le revenu. Pour permettre de corriger les insuffisances
nées du déséquilibre occasionnées par
l'insuffisance des ressources économiques, l'appréciation du
rendement scolaire doit être systémique;
Paragraphe 1 L'appréciation du rendement doit
être globale
Lorsqu'à l'université on se plaint du manque de
niveau des étudiants et des échecs en masse au premier cycle, ce
n'est que distraction. Ce sont les effets pernicieux des manquements dans les
études secondaires. Aucune précaution n'est prise à
l'entrée de l'université et à l'université pour
s'assurer le succès de ceux qui y entrent. Le baccalauréat a un
objectif politique et non académique. Il ne sélectionne donc pas
les élèves au mérite académique. Si l'on remonte au
lycée, les élèves ne disposent pas des mêmes atouts
à cause de ce qu'ils proviennent d'un autre cycle d'enseignement qui ne
leur a pas fourni les mêmes outils intellectuels. Si l'on remonte au
cycle primaire, les enfants n'ont pas vécu les mêmes
expériences dans leur environnement familial et ne disposent donc pas
des mêmes aptitudes scolaires. Et si l'on remonte toute la chaine, on
retrouve le revenu. De sa retraite, il pilote la machine des devenirs, il dicte
les attentes, il rend orgueilleux, il rend humble. Cette toute puissance peut
être réduite à sa simple expression si toute la
société s'arme de volonté pour la vaincre.
La mobilité sociale est ici en jeu. Raymond Boudon
définit celle-ci comme « la différence, en fonction des
origines sociales, dans les probabilités d'accès aux
différents niveaux socioprofessionnels »28. La
mobilité sociale appelle à son tour la lutte des classes.
28 Raymond BOU DON, L'Inégalité des
chances, Editions Hachette Littératures 1984
Celle-ci a été portée sur la grande place
publique par Marx et plusieurs autres auteurs. Malgré les
révolutions et les vouloirs politiques démocratiques, elle a
existé, elle existe et elle existera. De ce point de vue, qui
croyez-vous troquera sa place de noble d'aujourd'hui contre celle du
prolétaire d'hier ou même lui en céder un peu ? C'est une
lutte perpétuelle car le pouvoir appelle le pouvoir.
Conséquemment, l'inconscient des prétendants détenteurs de
la culture savante, synonyme de la détention du pouvoir
économique et leur volonté de perpétuer le mouvement
capitaliste qui leur est favorable, conditionne les finalités de
transfert des savoirs. Car, comme le constate Joël de Rosnay: «
Avec la réussite viennent les honneurs, la considération, le
respect, la situation, la sécurité, l'aisance matérielle,
le pouvoir aussi. Valeurs essentiellement égoïstes d'une
civilisation fondée sur la conquête et la domination de la nature;
l'asservissement de l'homme par l'homme ». Le savoir
transféré aux masses populaires, même étant fait
dans une même classe où se trouvent les élèves issus
de la bourgeoisie, a pour finalité de servir le capitalisme en demeurant
à leur place, la classe populaire. Il y va du maintient de la division
du travail. C'est ici que certains auteurs pensent, comme l'écrit Pierre
Gravot, qu' « elle est inévitable dans la mesure où
l'économie a besoin pour fonctionner d'une main d'oeuvre
diversifiée aux qualifications différentes et qu'il n'est
évidemment pas question que tout le monde accède aux hautes
qualifications d'où la nécessité d'un filtrage
». Qui, croyez-vous, a le droit d'accéder aux hautes
qualifications?
Il est vrai que c'est un leurre de proclamer la fin d'une gestion
partisane des savoirs, mais accepter la mobilité sociale est un
début à un rééquilibrage du rendement scolaire.
Paragraphe 2 Corrections possibles aux insuffisances scolaires
Une fois la mobilité sociale acceptée, deux
catégories de corrections peuvent être apportées aux
insuffisances scolaires: économiques et académiques. La
correction économique est celle qui consiste à appliquer un
slogan comme celui en cours aux Etats Unis: « No child left
behind». Dans notre cas, le slogan serait: « Aucun
élève ne doit piétiner à l'école pour des
motifs économiques ». Du primaire au supérieur, l'Etat
doit mettre en place des mécanismes financiers pour assurer la
scolarité complète à tous les citoyens qui disposent d'un
faible revenu. Nous disons bien « au supérieur» car
beaucoup pensent que
le supérieur ne relevant pas de la scolarité
obligatoire, celui qui veut y accéder doit s'en fournir les moyens.
C'est une erreur car le fils de l'ouvrier n'en bénéficiera jamais
et le fils de ce dernier à son tour et l'objectif fixé par la
bourgeoisie, jaloux de ses acquis, est atteint: pas de mobilité sociale,
chacun reste à sa place. C'est ainsi que les élèves issus
des milieux populaires, qui s'étaient surpassés pour obtenir un
niveau académique même meilleur que celui des élèves
bourgeois sont condamnés à s'arrêter en chemin et servir la
division du travail à la place qui leur est réservée.
La correction académique est nécessaire pour
combler les manquements occasionnés ça et là par les
avatars de divers ordres. Prenons le cas des « Community
Colleges» américains. Ce sont deux années qui forment
les élèves arrivés du lycée avant de les envoyer
à l'université où il passe encore deux ans pour obtenir le
bachelor (l'équivalent du Master I européen). A la
différence du DEUG français qui se concentre sur une branche
générale, le droit ou l'économie par exemple, ces deux
années offrent une formation pluridisciplinaire à chaque
étudiant. Ces Collèges pratiquent le « open enrollment
». Il n'existe pas de sélection qui peut écarter un
candidat à l'entrée dans ces collèges. Certains
s'étonneront en croyant que c'est une promotion officielle de la baisse
de niveau. En réalité, c`est plutôt une source
d'équité. Le problème de revenu pour payer la
scolarité est largement résolu pour les élèves
issus des « low income families29 ». Pour ce qui
est du niveau scolaire, un test du genre TOEFL30, le
COMPASS31 ou l'ASSET32, où il n'y a ni
échec ni succès « universel» est
administré aux candidats. Les points obtenus lors de ces tests
permettent de placer les élèves dans les classes où ils
sont aptes à réussir et progresser. Le cas des
mathématiques et de l'Anglais est plus facile d'explication.
Lorsqu'un élève veut préparer un «
Associate of Sciences» où les disciplines scientifiques
dominent, un bon score lui permet de se placer en Maths 123 par exemple et de
progresser à travers Maths 124, 125, 126 et ainsi décrocher son
« Associate of Sciences» en complétant bien sûr
sa formation avec les autres disciplines qui suivent le même principe. A
supposer qu'à l'issue du test, il soit placé en Maths 085, ce qui
est très loin du
29 Familles à faible revenu
30 Test of English as Foreign Language
31 Comprehensive Computerized Placement and Diagnostic
Assessment System
32 Advanced mathematics test in college algebra
« College level », il pourra toujours
prétendre préparer un « Associate of Sciences
». Il travaillera à sa mise à niveau en parcourant avec
succès Maths 85, 98, 101, 122, 123,
etc. et finir en Maths 126 comme celui qui a
obtenu le bon score. Il le fait avec retard mais néanmoins il accomplit
l'oeuvre de son désir
Aussi, l'étudiant américain du premier cycle, en
principe, ne peut être « laissé
derrière» ni pour des motifs économiques ni pour des
motifs académiques. Il a le soutien du système éducatif,
soutien qui se prolonge dans plusieurs domaines sociaux. Cette méthode
mettra à nu la grossièreté de la théorie
sociolinguistique de Bernstein. Quand il dit que le langage public ne permet
pas de communiquer les idées, il dénie aux hommes l'aptitude
naturelle à communiquer. Il fait primer l'expression orale sur
l'objectif de la communication alors que la communication sans parole est
suffisante tandis que la parole sans communication ne remplit pas son
rôle social. Il en est de même du cas de Bourdieu. La
pédagogie rationnelle qu'il propose est loin d'être
réalisable parce qu'il faudrait préalablement changer la logique
capitaliste, ce qui est tout aussi irréalisable. Balayer du revers de la
main l'argument du revenu qui peut faire changer beaucoup de choses et proposer
un projet complètement irréalisable, ce n'est rien moins que
préférer le statut quo pour valider sa théorie au fil du
temps.
Section 4 Vers un modèle systémique
d'éducation
Dans les pays qui disposent des moyens économiques
suffisants, de nouvelles voies d'éducation sont explorées et
portent des fruits. Le modèle systémique d'éducation,
même s'il est encore à l'état d'expérimentation dans
les grandes institutions éducatives, peut être testé par
les établissements de formation en Afrique noire pour mieux
intégrer le rendement scolaire dans les objectifs
socioéconomiques.
Paragraphe 1 Approche systémique de
l'éducation
Nous présentons d'abord la méthode
systémique et son expérimentation dans l'histoire avant de nous
pencher sur les enjeux de l'évaluation et du mérite, point
central de tout progrès dans un système d'apprentissage.
A. Circonscription de la méthode systémique
Dans la conclusion à son livre La Systémique
sociale, Jean-Claude Lugan écrit: « Les facilités
d'appréhension des interdépendances que procure indiscutablement
l'approche systémique impliquent en contrepartie certains
appauvrissements, un choix obligé de certaines relations par rapport
à d'autres, un certain réductionnisme comparativement à
une étude monographique. []Le dilemme est classique dans les sciences
sociales: modéliser, donc appauvrir la réalité, afin de
rechercher les relations fondamentales entre éléments et, ainsi,
aboutir à des schémas plus compréhensibles, mais qui ne
permettent pas de rendre compte de toute
l'hétérogénéité de la formation sociale
étudiée. Pour dépasser cette contradiction, il ne faudrait
admettre que les clarifications justifiées du point de vue du projet du
modélisateur »33.
A coté de ces réserves, il présente aussi
les avantages de l'approche systémique comme suit: « La prise
en compte de la globalité et de la partie et leurs rapports
dialectiques; la prise en compte des insuffisances de la méthode
analytique ou disjonctive, sans pour autant l'écarter, et la recherche
synthétique ou conjonctive adaptée aux phénomènes
complexes; Pour les sciences sociales, la systémique apparait
aujourd'hui comme le chemin privilégié pour construire un nouvel
espace mental capable de réparer les dégâts de la
disjonction disciplinaire, fruit de la démarche
analytique».
Lugan présente ainsi les avantages et les
inconvénients de l'approche systémique. Nous allons proposer une
modélisation fondée sur cette approche en nous éclairant
des propos de Joël de Rosnay dans Le Macroscope, propos
fondés eux-mêmes sur l'expérience américaine.
Joël de Rosnay pose le problème de l'education
traditionnelle en ces termes: «Notre éducation est
désespérément analytique, centrée sur quelques
disciplines comme un puzzle dont les pièces ne s'imbriquent pas les une
dans les autres. Elle ne prépare ni à l'approche global des
problèmes ni au jeu de leurs interdépendances. []La nouvelle
vision du monde
33Jean-Claude LUGAN, La Systémique sociale,
Editions PUF 1083
n'est pas l'effet d'une seule cause, mais résulte
de la convergence, de l'intégration et de l'interdépendance d'un
grand nombre de facteurs. []Plus que jamais, les jeunes mesurent l'écart
entre leurs attentes et l'inertie des institutions; le décalage entre ce
qu'ils ont appris à l'école, le monde tel qu'il le voit et ce
qu'il pourrait être». Rosnay présente l'éducation
traditionnelle comme « méthodes et principes inspirés de
ceux que l'on utilise pour accroître la productivité dans les
ateliers ou dans les usines. La division du travail ici est remplacée
par la division du savoir »34. Il cite ses méthodes
qui sont entre autres les différentes manières de transmission et
d'acquisition des savoirs, les filières, les examens, etc.
Rosnay reconnait que l'éducation systémique doit
être complémentaire et non remplacer l'education traditionnelle.
Mais il propose qu'on simplifie les choses en abandonnant la voie analytique de
l'enseignement car il y aurait trop de choses à apprendre et qu'on
l'enrichisse aussi « car l'approche systémique, en reliant les
faits dans un ensemble cohérent, crée un cadre conceptuel de
référence, susceptible de faciliter l'acquisition des
connaissances par les méthodes classiques ». S'appuyant sur
une expérience américaine, Massachussetts Institute of
Technology, faite entre 1967 et 1972, à laquelle il a participé
en qualité d'enseignant, expérience pendant laquelle les
étudiants entrant en première année de l'université
apprennent un ensemble de disciplines à partir d'un projet
disciplinaire, s'organisent pour faire des recherches bibliographiques et en
laboratoire, ne passent pas des examens formels mais sont évalués
sur la base d'une mini-thèse ou d'une proposition d'étude,
pratiquent l'apprentissage par la simulation et les jeux usant des «
auto-quizz », il pose les cinq principes de base de
l'éducation systémique: « Eviter l'approche
linéaire et séquentielle; Se garder des définitions trop
précises qui risquent de polariser et de scléroser l'imagination;
Faire ressortir l'importance de la causalité mutuelle, de
l'interdépendance et de la dynamique propre des systèmes
complexes; Utiliser les thèmes d'intégration verticale; Enfin,
l'acquisition des faits ne peut être séparée de la
compréhension qui existe entre eux ».
L'auto-instruction, la simulation, l'apprentissage de la
création, la liaison avec la vie, enseigner pour mieux comprendre sont
les méthodes qu'il recommande pour l'application
34Joël de ROSNAY, Le Macroscope - Vers une vision
globale, Edition du Seuil 1975
de l'éducation systémique. Mais avant d'en proposer
une expérimentation concrète, voyons comment il est possible
d'améliorer l'évaluation qui est le noeud de tout processus
éducatif.
B. Les enjeux de l'évaluation et du
mérite
Selon Gaston Mialaret35, s'inspirant des travaux de
docimologie, « tout apprentissage, quel qu'il soit, est
favorisé lorsque le sujet connait les résultats qu'il obtient. []
En lui donnant la connaissance des résultats qu'il obtient, on lui
apporte des informations qui vont l'aider dans son apprentissage. []Le sujet
peut se situer aussi bien par rapport à ses propres performances que par
rapport à celle du groupe auquel il appartient. []Dans cette
perspective, l'évaluation, ainsi comprise comme un vaste système
d'appui à l'apprentissage, peut devenir encore plus dynamique si l'on
joue sur ce que les psychologues appellent le « niveau d'aspiration
». L'effort se rapproche alors de l'effort du type sportif et
l'organisation d'équipes dans la classe peut matérialiser cette
situation ». En deuxième point, Mialaret distingue l' «
évaluation diagnostique» qui part du principe que «
toute production d'élève est un témoin de son
activité et révèle ses points forts et ses points faibles;
les fautes commises sont de natures différentes et apportent des
indications très précieuses pour comprendre comment s'est
reconstruit le processus d'apprentissage. De plus, l'ensemble des erreurs
commises dans un groupe permet à l'éducateur de se rendre compte
de l'efficacité ou de la non-efficacité de son message
». En troisième position, il souligne que « tout en
corrigeant en vue d'une évaluation habituelle, il cherche à
comprendre le pourquoi des fautes de chacun de ses élèves, et
l'appréciation qu'il porte pour accompagner la note témoigne de
ce souci de connaissance individuelle ». Il propose enfin un tableau
récapitulatif pour diagnostiquer les fautes commises par les
élèves. Ce tableau montre les fautes communes à tous les
élèves, les fautes communes à des groupes et les fautes
spécifiques à chaque élève. L'analyse du tableau
permet de «faire le point général mais aussi de savoir
comment évolue la formation reçue ».
Après avoir rappelé ces principes
d'évaluation, voyons avec François Dubet la question de
mérite qui se rapporte à l'évaluation. En effet, celui-ci
pose, dans les premières
35 Gaston MIALARET, Les Sciences de l'Education,
Editions PUF 1976
lignes de son livre, L'Ecole des chances, qu'est-ce qu'une
école juste ?,36 ce qu'il pense du système
méritoire tel qu'appliqué en France : «
L'égalité des chances peut être d'une grande
cruauté pour les perdants d'une compétition scolaire
chargée de distinguer les individus selon leur mérite. Une
école juste ne peut se borner à sélectionner ceux qui ont
le plus de mérite, elle doit aussi se soucier du sort des vaincus. [J La
méritocratie peut s'avérer parfaitement intolérable quand
elle associe l'orgueil des gagnants au mépris pour les perdants
». Dubet clarifie cependant que l' « égalité
méritocratique reste la figure cardinale de la justice scolaire
désignant le modèle de justice permettant à chacun de
concourir dans une même compétition sans que les
inégalités de fortune et de la naissance ne détermine
directement ses chances de succès et d'accès à des
qualifications scolaires relativement rares ».
Il poursuit plus loin que « si
l'égalité des chances ne se réalise pas, ce n'est pas
seulement parce que la société est inégalitaire, c'est
aussi parce que le jeu scolaire est plus favorable aux plus favorisés.
Ilfaut donc développer l'égalité distributive des chances,
c'est- à -dire veiller à l'équité de l'offre
scolaire, parfois en donnant plus au moins favorisés, en tout cas, en
essayant d'atténuer les effets les plus brutaux de la compétition
pure. Ilfaudrait aussi accroître l'information des acteurs et leur
capacité de circuler et de se mobiliser ne rompant avec certaines des
formes les plus banales de l'hypocrisie scolaire, celles dont les faibles sont
victimes parce que ne maitrisant pas les jeux subtils de hiérarchie
entre les établissements, les filières, les finesses des
orientations, toutes ces petites différences qui finissent par faire les
grands écarts ».
Ce sont là des observations qui rendent encore complexe
la question d'égalité des chances, d'évaluation et de
mérite entre autres. Pour notre part, nous allons revenir au
thème d'éducation systémique et proposer un modèle
que le Collège Charles de Sarh ou tout autre établissement peut
expérimenter.
Paragraphe 2 Expérimentation de l'éducation
systémique
36 François DUBET, L'Ecole des chances -
Qu'est-ce qu'une école juste?, Editions du Seuil et La République
des Idées, Octobre 2004
L'objectif de ce modèle systémique
d'éducation est de recruter une cohorte spéciale
d'élèves en classe de Sixième et les conduire selon la
méthode préconisée jusqu'en classe de Terminale.
Soulignons d'avance que le projet va entrainer trois grandes implications:
implications académiques, implications politiques et implications
financières. Nous allons présenter la méthode de
recrutement de la promotion et d'apprentissage avant de revenir sur les trois
implications.
La méthode de recrutement de la cohorte sera
essentiellement basée sur la diversité qui favorise
l'égalité des chances. Cette diversité a aussi fait ses
preuves du point de vue scolaire au Collège Charles Lwanga de Sarh.
Ensuite, il ne s'agit pas nécessairement de recruter des
élèves brillants. Ce sont des élèves provenant du
cycle primaire. Les différences de niveau académique serviront
à expérimenter une éducation qui ne néglige pas
ceux qui, pour des raisons diverses, ont accumulé du retard dans
certaines disciplines. La cohorte sera recrutée à travers tout le
pays, du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest. La base géographique,
sexuelle, religieuse, sociale et d'âge sera aussi large que possible.
Voici un tableau qui peut décrire la diversité d'une cohorte de
15 élèves:
|
AGE
|
SEXE
|
RELIGION
|
SOCIAL
|
REGION
|
Élève 01
|
12
|
Féminin
|
Catholique
|
Rural
|
Préfecture 01
|
Élève 02
|
13
|
Masculin
|
Musulman
|
Urbain +
|
Préfecture 02
|
Élève 03
|
14
|
Féminin
|
Protestant
|
Rural
|
Préfecture 03
|
Élève 04
|
15
|
Masculin
|
Catholique
|
Autre
|
Préfecture 04
|
Élève 05
|
12
|
Féminin
|
Protestant
|
Urbain -
|
Préfecture 05
|
Élève 06
|
12
|
Masculin
|
Musulman
|
Rural
|
Préfecture 06
|
Élève 07
|
13
|
Féminin
|
Autre
|
Urbain +
|
Préfecture 07
|
Élève 08
|
14
|
Masculin
|
Catholique
|
Urbain -
|
Préfecture 08
|
Élève 09
|
15
|
Féminin
|
Protestant
|
Rural
|
Préfecture 09
|
Élève 10
|
12
|
Masculin
|
Musulman
|
Urbain -
|
Préfecture 10
|
Élève 11
|
13
|
Féminin
|
Autre
|
Urbain +
|
Préfecture 11
|
Élève 12
|
12
|
Masculin
|
Catholique
|
Autre
|
Préfecture 12
|
Élève 13
|
15
|
Féminin
|
Protestant
|
Urbain +
|
Préfecture 13
|
Élève 14
|
12
|
Masculin
|
Autre
|
Rural
|
Préfecture 14
|
Élève 15
|
Autre
|
Féminin
|
Catholique
|
Urbain -
|
Préfecture 15
|
|
|
|
|
|
|
Retenez que les combinaisons peuvent être
affinées pour ne pas que qu'un groupe important d'élèves
donné (7 par exemple) appartenant à une catégorie
donnée (sexe masculin par exemple) se retrouvent tous dans une autre
catégorie (protestant par exemple). « Rural»
désigne les élèves issus des zones rurales que nous
présumons à très faible revenu. « Urbain + »
désigne les élèves issus des zones urbaines, des familles
à revenu élevé; « Urbains -», les
élèves issus des zones urbaines à faible revenu. «
Autre» dans « Religion» désigne ceux
qui n'appartiennent pas aux religions citées. «
Autre» dans « Social» indique une origine
particulière, qu'on ne peut inclure dans les catégories
citées. « Autre» dans « Age»
indique un élève dont l'âge est inférieur à
12 ans ou supérieur à 15 ans.
Un test de recrutement est organisé lorsque la cohorte
est déjà recrutée. Cela parait bizarre de prime à
bord. La sélection des élèves est faite par les relais du
Collège Charles Lwanga dans les différentes régions du
pays notamment les paroisses et les organisations caritatives de
développement. La sélection doit être basée sur les
indications et critères de diversité qui doivent être
fournis par le CCL pour maximiser l'effet recherché à travers
l'expérimentation. Le test qui est organisé à
l'arrivée des élèves au Collège permet donc de
déterminer le niveau de chacun dans les différentes disciplines
scolaires. Les élèves, appuyés par les professeurs,
s'entraident pour la remise à niveau des uns et des autres. Un accent
particulier doit être mis sur le tutorat car il a plusieurs fonctions.
Fonction communautaire: il permet aux élèves de se familiariser
avec les méthodes d'entraide, d'appui, de secours mutuels, de
construction d'une communauté solidaire, du travail d'équipe
entre autres. Fonction pédagogique: on comprend soi-même mieux ce
qu'on est en mesure d`enseigner à autrui. Les difficultés et les
questions poussent à la recherche de solutions et les connaissances
s'accumulent sous cet effet. Il faut également encourager les membres de
la communauté (médecins, fermiers, comptables, mécanicien,
etc.) à intervenir dans le tutorat. Car la vie en société
à laquelle l'école prépare, c'est tout cela, ce n'est pas
seulement la classe et l'enseignant.
Du point de vue pédagogique, le Collège
créera des projets d'étude autour desquels seront
regroupées les disciplines par blocs. Pour ne pas être trop
à l'écart des programmes officiels du Ministère de
l'Education Nationale, chaque niveau scolaire sera remplacé par un ou
plusieurs projets d'étude de même niveau de difficulté. Les
disciplines seront enseignées alors selon la progression du projet et
non selon l'emploi du temps traditionnel. Les élèves
travailleront en groupe, individuellement, en laboratoire,
s'auto-évalueront, présenteront les résultats du
sous-groupe pour permettre son intégration dans le grand projet et
recevront l'appréciation des professeurs. L'implication
pédagogique est alors que les enseignants vont changer d'habitude et
pratiquer un enseignement d'équipe. Donc, ce n'est pas simplement les
élèves qui vont travailler intensément en groupe mais
leurs accompagnateurs aussi. L'implication politique est que le Collège
Charles Lwanga doit obtenir une autorisation expresse du Ministère de
l'Education Nationale avant d'engager un tel mouvement académique
révolutionnaire.
Prenons un projet d'étude comme « La gestion
familiale» pour la classe de Sixième. La gestion familiale va
impliquer par exemple la santé, l'alimentation, le logement,
l'hygiène, l'estimation des besoins, l'éducation des enfants. Cet
ensemble divers sera posé, dans le cas de notre méthode
systémique, en termes de problèmes à résoudre. La
santé et l'alimentation iront chercher dans l'étude des plantes,
le sport, la chimie; l'éducation cherchera les éléments de
réponse dans l'histoire, la géographie, le civisme, les langues;
le logement aura des éléments de la physique; la
résolution des problèmes chiffrés va appeler les
mathématiques, l'économie, etc. Bien sûr, l'équipe
enseignante doit envisager le projet et bien le mûrir mais il ne sera pas
présenté dans les détails aux élèves
à leur arrivée. Des méthodes interrogatives seront
utilisées pour leur permettre de révéler eux-mêmes
certains aspects du projet ainsi que les plans de résolution. Ils auront
ainsi participer à la conception dudit projet. Aux recherches
bibliographiques et en laboratoire vont s'ajouter des descentes sur le terrain
pour explorer la nature et poser des questions aux acteurs communautaires.
Dans le cas d'une cohorte comportant plus de 15 ou 20
étudiants, il peut y avoir plusieurs projets pour le même niveau.
Ainsi, chaque classe, de la Sixième en Terminale, comportera plusieurs
projets qui feront appel aux mêmes enseignements que
l'éducation
traditionnelle. Les projets vont remplacer les séries.
Les élèves choisissent les projets selon leurs
intérêts et non selon leur capacité étant entendu
que le travail de mise à niveau doit être continu pour permettre
à chaque élève de participer à la
réalisation du projet qui lui tient à coeur. C'est une
très mauvaise idée de réserver les disciplines comme
l'économie, la sociologie, la comptabilité pour les écoles
spécialisées. Dans la vie pratique, la résolution d'un
problème se fait avec plus d'aisance lorsque l'on dispose de plus de
ressources. Toutes les disciplines utiles à la réalisation des
projets doivent être adaptées et enseignées. Après
la réalisations de 7 grands projets durant les années au
secondaire, il faut avouer que le nouveau bachelier sera mieux outillé
que l'actuel titulaire d'une licence de l'université qui doit entrer
dans une entreprise et apprendre la résolution des problèmes.
Ce système ne connaitra pas de redoublement. Dans une
entreprise, tous les employés n'ont pas la même intelligence mais
l'entreprise tourne quand même et produit bien. La vérité
est que chaque employé a un talent que le gestionnaire valorise pour
arriver à ce résultat. Il faudra faire de même pour
l'éducation scolaire. Mais l'encouragement à la polyvalence n'est
pas à négliger. L'intérêt pour une technique
augmente lorsqu'on sait plus sur cette technique et qu'on est à mesure
de la pratiquer. Aussi, faut-il exposer les élèves au savoir,
leur en faire découvrir les facettes pour qu'ils expriment le
désir de se l'approprier.
Pour élargir le débat sur le redoublement des
classes, prenons le cas de l'initiation au pays Ngambaye (une partie de la zone
méridionale du Tchad). Elle a pour objectif d'inculquer les aptitudes
nécessaires à la vie d'adulte dans la société
Ngambaye. Les jeunes y entrent par vague, pas forcément le même
jour comme la rentrée scolaire, prennent quelques mois d'apprentissage
et sont libérés ensuite. C'est une école mais une
école sanctionnant avec un diplôme qui valorise la
diversité et les talents. Pour avoir un diplôme de
comptabilité, il faut entrer dans une école de
comptabilité. Mais dans le cas du pays Ngambaye, de la même
école sortent des personnes avec plusieurs aptitudes pas
forcément acquises mais parfois simplement encouragées et
confirmées. Un simple nom remplace le diplôme; «
Laoukoura» par exemple signifie celui qui maitrise l'art du
beau37. C'est une personne qui fait tout avec art,
esthétique. C'est une méthode systémique
d'apprentissage.
37
http://www.laoukoura.org/francais/laoukoura.html
Il est naturel, pas mécanique comme dans le cas des
syndications des disciplines. On ne redouble pas dans un tel système.
Dans le cadre de cette expérimentation, la formation
d'une année sera consacrée, non pas à des disciplines
théoriques qui ne resteront pas dans les cahiers au retour des
élèves chez eux, mais à des connaissances qui exciteront
la curiosité. Tel que présenté, si le projet de
résolution de la gestion familiale est assimilé, les
élèves commenceront à prendre part à la gestion
familiale parce qu'ils savent, globalement, de quoi il s'agit et qu'ils savent
aussi concrètement comment résoudre les problèmes
familiaux. En ce moment là, même si les parents ne sont pas
scolarisés, ils vont vite percevoir l'utilité de l'école
et seront encouragés à y envoyer leurs enfants. En plus, chaque
année scolaire sera une expérience de vie rentable socialement et
pourquoi pas économiquement aussi. Une telle éducation est
intégrative de son environnement et remplira son rôle
d'intégration sociale.
Pour l'implication financière, il nous est difficile de
demander au Collège de harceler ces bailleurs traditionnels pour un tel
projet novateur. Les anciens qui, ayant bénéficié de la
formation de qualité de cet établissement, peuvent décider
librement de faire bénéficier des mêmes atouts à
leurs enfants en s'engageant. Ils peuvent décider de prendre en charge
les frais de scolarité des élèves qui seront au-dessus des
frais réguliers vu les implications techniques du projet. C'est pour
eux, non seulement une manière de soutenir cette oeuvre louable que
représente le CCL mais faire triompher l'éducation des jeunes
Tchadiens car « l'école façonne dans une large mesure la
société de demain» pour reprendre les termes de
François de Dainville.
CONCLUSION
En conclusion, les données chiffrées extraites
des statistiques du Collège Charles de Sarh que nous avons
analysées nous permettent d'affirmer sans ambages que le succès
scolaire ne s'opère pas selon que l'on appartienne à une classe
ou à une autre. C'est le résultat des efforts pédagogiques
et économiques fournis par des hommes animés de la volonté
de faire des jeunes, des adultes responsables, pleinement hommes. Nous avons
souligné le rôle moteur de la pédagogie ignatienne qui
représente un modèle de gestion éducative proche de
l'éducation systémique proposée par Joël de Rosnay.
La modélisation que nous avons tirée de ce dernier peut inspirer
les politiques éducatives en quête d'efficacité et
d'efficience. Celles-ci ont encore des possibilités à explorer.
De l'éducation systémique à l'usage des technologies
informatiques, la gamme de choix est large. La seule limite à
l'élargissement doit être les ressources économiques qui
sont limitées. Les théories que nous avons examinées, peu
favorables à certaines élèves, ne doivent en aucun cas
prendre le dessus à moins que fidèles à leur logique de
domination, les capitalistes décident de ne laisser aucune chance aux
classes populaires.
En Afrique Noire, la contextualisation doit être de rigueur
pour ne pas faire de l'école une entité séparée des
réalités socioéconomiques.
Seattle, janvier2008
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