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Envoyé Spécial : une approche de l'environnement à la télévision française (1990-2000).

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par Yannick Sellier
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 2 Histoire et Audiovisuel 2007
  

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CONCLUSION

> Envoyé spécial et la fabrication d'une histoire de l'environnement.

De 1990 à 2000, Envoyé spécial a fabriqué, par l'intermédiaire des reportages diffusés sur le sujet, une histoire de l'environnement. Il convient à présent de l'écrire, en la condensant, pour en faire ressortir les idées directrices.

Au début de cette histoire, il y a la Terre, et l'idéal que l'on s'en fait, la Nature. Les hommes paraissent unis par un destin commun qui conditionne le sort des générations futures. Localement, des hommes et des femmes essaient de se battre contre la fatalité de l'histoire. Les anciennes « démocraties populaires » doivent faire face au désarroi des populations asphyxiées par des usines en état d'obsolescence et surtout à l'héritage écologique laissé par l'Union Soviétique : zonage des activités économiques, manque de moyens pour maîtriser la production d'énergie nucléaire. D'autres hommes, d'autres femmes luttent aussi dans des combats, présentés par les journalistes comme perdus d'avance. Les uns veulent préserver quelques hectares de forêts, propriété d'une entreprise. Les autres s'opposent au tracé d'un TGV ou au maintien d'une décharge de déchets industriels.

Les journalistes apportent alors leur soutien ainsi que potentiellement celui, moral ou financier, des téléspectateurs. Par delà les exagérations et la maladresse des journalistes, la réalité des difficultés auxquelles se confronte la population, est exposée et l'on ne peut l'ignorer. Or la population dispose alors rarement d'autres moyens, logistiques ou juridiques, pour enrayer rapidement les problèmes de leur environnement. Les reportages constituent donc une sorte de palliatif temporaire et surtout, un moyen, pour la population concernée par des problèmes d'environnement, de s'exprimer. C'est pourquoi les journalistes déplorent souvent jusqu'en 1995, le manque de compétences des pouvoirs locaux en France. Ils rappellent aussi, dans le cas des pays de l'ex-Union Soviétique, l'aveuglement et les déficiences d'un pouvoir bureaucratique et centralisé. En France, c'est la haute administration, et son corollaire, la technocratie, qui sont visés.

Au début des années 1990, les écologistes se voient dépossédés des thématiques qu'ils défendaient, par des journalistes soucieux de ne pas leur laisser le monopole de la communication environnementale. Le rôle des journalistes s'affirme avec d'autant plus de vigueur que les écologistes sont soupçonnés d'agir d'abord pour eux et ensuite contre la démocratie et les droits de l'homme. Les écologistes que l'on dit radicaux, privilégieraient trop l'environnement au détriment des activités humaines, et donc de la survie de l'espèce humaine. Autrement dit, les journalistes prennent peu à peu conscience de la responsabilité qui leur incombe vis à vis de l'environnement. Avec l'adoption d'une législation plus contraignante, c'est à dire après 1992, les journalistes deviennent les garants d'une certaine transparence des décisions. Pour se distinguer du militantisme écologique, ils tentent d'adopter - et y parviennent parfois - un minimum d'esprit critique. Le ton se fait plus apaisé et des solutions sont enfin aussi envisagées.

En parallèle, les journalistes décèlent un ensemble de poisons, de substances toxiques ou dangereuses, qui menacent la vie sur Terre, et d'abord celle des hommes. Dès le début des années 1990, les campagnes françaises sont concernées par la découverte de substances toxiques dans les nappes phréatiques. Les villes de France semblent, dans un premier temps, épargnées, à l'inverse des centres urbains des pays « en développement » ou « émergeants », là où les problèmes liés à l'environnement sont visibles. Puis, à partir de 1995, alors que les problèmes liés à l'environnement étaient contenus, jusque là, à la périphérie des villes, ils investissent l'espace urbain, voire l'espace domestique. Ils deviennent enfin perceptibles grâce au perfectionnement des instruments de mesure. L'environnement alors n'est plus simplement considéré comme un espace à préserver et à défendre, mais comme un répertoire de menaces potentielles pour la santé, voire pour la survie des populations.

Enfin, la gestion de l'environnement révèle, après 1997, les discordances de la société française. Une première ligne de partage, la plus évidente, s'établit entre les tenants de la modernité et ceux de la tradition138(*). En l'occurrence, les écologistes, et surtout les naturalistes sont alors le plus souvent considérés par les journalistes, comme des progressistes. Ainsi, un certain consensus rassemble les deux parties en présence, à propos de la possible conservation d'une faune sauvage et corrélative au développement d'un « tourisme vert ». En dépit de ce consensus, de vives oppositions persistent car les éleveurs, les chasseurs et certaines collectivités réduites sentent leur ancien domaine de prérogative contrarié, voire contesté par ce que l'on pose et qui s'imposent comme des progressiste. Les journalistes jouent alors les conciliateurs : ils essaient de rassembler dans un même reportage, des points de vue divergents, auxquels les téléspectateurs peuvent se confronter d'une manière ou d'une autre.

La deuxième ligne de partage pourrait amener certains historiens engagés à considérer l'appellation « trente glorieuses » comme au moins aussi cynique que l'appellation « belle époque ». Elle oppose les tenants du conservatisme à ceux de l'innovation. D'un côté, du mauvais côté selon les journalistes d'Envoyé spécial, se trouvent les industriels, ayant établie leur fortune et leur pérennité, sur la consommation, en masse, de voitures, d'électroménager, de toutes sortes d'objets et de nourriture. A ceux là, il faut ajouter tous ceux qui ont pu fournir l'énergie nécessaire à ce développement, à savoir les gérants de l'industrie pétrochimique et de la production d'énergie nucléaire - même si ces derniers sont moins directement visés par Envoyé spécial. De l'autre côté, du côté des ingénieurs, se retrouvent tous ceux qui s'occupent du recyclage, du développement et de la propagation des énergies nouvelles et renouvelables, ou encore des modes de transport propres et de production agricole respectueux des écosystèmes. Les journalistes se montrent, ici, beaucoup plus partisans et beaucoup moins conciliants. Ce qui apparaît dans tous les cas, c'est qu'après l'amélioration des conditions de vie en terme de confort, les Français aspirent désormais à l'amélioration de la qualité de leur vie, c'est à dire à un perfectionnement de l'amélioration première des conditions de vie.

> La construction à l'écran d'un espace de discussion sur l'environnement.

Envoyé spécial oscille, au sein même des reportages que le magazine diffuse, entre plusieurs approches de l'environnement : une approche naturaliste, une approche événementielle et une approche plus technique mêlant économie, science et politique. A ce propos, nous pourrions même ajouter qu'Envoyé spécial, par la diversité de ses approches, a pu constituer un « brouillon » de l'environnement en France, d'abord pour les écologistes et leur sympathisants, ensuite pour les responsables politiques et économiques. Au cours des années 1990 et pour le dire familièrement, Envoyé spécial est là pour mettre le doigt où ça fait mal. Autrement dit, le magazine renseigne surtout les téléspectateurs sur les symptômes d'un environnement défaillant, afin de les prévenir et à défaut de pouvoir le guérir.

En cela, Paul Nahon et Bernard Benyamin rejoignent les aspirations du rapport Notre avenir à tous qui déplorait, en 1987, que les pratiques en matière d'environnement n'interviennent le plus souvent qu'a posteriori : le reboisement, la restauration d'un centre urbain, la réhabilitation d'un espace industriel... L'ensemble des reportages d'Envoyé spécial peuvent être considérés sous l'angle de la prévention, de l'alerte et donc de l'anticipation d'une éventuelle dégradation de l'environnement. Il serait pourtant injuste de considérer les reportages d'Envoyé spécial seulement comme des gardes fous de l'environnement. Au delà des faits, importent les discours, témoignages, explications, observations de personnes que l'on aurait peut être pas pu entendre si les journalistes ne leur avaient donné la parole. Au delà de l'information brute, importe donc la création d'un espace public audiovisuel dans lequel on découvre toutes les opinions sur l'environnement, françaises, européennes ou étrangères.

Dressons à présent une typologie des rapports que les journalistes entretiennent avec les téléspectateurs vis à vis de l'environnement. Ce sont pour la plupart, des rapports indirects. Les journalistes conseillent, préviennent et parfois sermonnent. Ils souhaitent implicitement rendre le téléspectateur responsable de ses actes et que ce dernier se départisse de ses réticences à agir au quotidien pour l'environnement. Agir pour l'environnement, cela peut aller de l'économie d'énergie à l'utilisation de produits moins polluants, en passant par l'intérêt que suscitent les propositions en matière d'environnement de tel ou tel candidat à une élection.

Les journalistes entretiennent ensuite des rapports plus directs avec les téléspectateurs. Bien que nous n'en n'ayons pas trouvé de traces, Paul Nahon et Bernard Benyamin se font l'écho du courrier et des messages minitels qu'on leur envoie. Ils ont fait des émissions en fonction de sujets que les téléspectateurs pouvaient leur suggérer ou de sujets que les téléspectateurs avaient envie de revoir. Enfin, comme à la Rochelle, les journalistes peuvent agir sur le réel en initiant des expériences originales, puis en observant et rendant compte à tous des résultats de l'expérience.

Les journalistes font alors presque office de sociologues, en tant qu'analystes des mutations contemporaines des sociétés humaines. Presque avons-nous dit, car les journalistes confondent souvent la hiérarchisation des idées propre à une explication avec celle des valeurs. Est-ce à dire que les journalistes sont des intellectuels139(*) ? S'ils le sont, ils ne l'assument ou ne l'avouent pas toujours. Quoiqu'il en soit la méthode des journalistes d'Envoyé spécial est souvent très proche de celle d'Emile Zola qui intitulait, un siècle auparavant, un article dénonçant la défaillance du jugement ayant condamné le capitaine Dreyfus : « J'accuse... ». Les journalistes sont en effet prompts à vouloir déceler le mensonge et proclamer haut et fort la vérité, en oubliant souvent que c'est avant tout leur vérité. La prise en compte de l'environnement recèle par ailleurs à une certaine éthique que les journalistes n'ont eu de cesse de valoriser en la présentant, nous l'avons vu, par eux comme progressiste. A ce propos, Yves Michaud écrit :

Nous jugeons en fait très peu de situations concrètes et vécues [...] mais sur image et sur récit constitués en séquence et tout prêts pour la médiatisation. [...] Les principe général de condamnation de la violence [à laquelle on peut rattacher les problèmes touchant l' environnement] perd son caractère de généralité abstraite destinée à commander l'appréciation des cas concrets : il devient un cas particulier dans la série des cas particuliers, celui de l'engagement moral en soi ou, selon l'expression de Hegel dans la Phénoménologie de l'esprit, celui de la vision morale du monde, qui trouve sa concrétisation dans la personne de l'intellectuel médiatique.140(*)

Les journalistes se sont, plus ou moins directement, affrontés aux réticences d'autres intellectuels plus conventionnels tels Luc Ferry, et d'autres membres de la société française. Inversement, ils ont pu soutenir les thèses défendues par des membres de cette société, en premier lieu les sympathisants des écologistes, et des intellectuels tels Michel Serre ou Serge Moscovici. Certes, leur mode d'interpellation ne passe pas par l'écrit. Néanmoins, le montage des reportage prend souvent l'allure, non pas tant d'une enquête comme on a pu le dire, mais plutôt d'une argumentation. Ainsi, certains reportages ressemblent à des pamphlets, d'autres sont didactiques, d'autres encore travaillent à la promotion de telle ou telle idée. L'environnement a finalement permis aux journalistes d'Envoyé spécial d'assurer la crédibilité et la légitimité de leur propos et de leur pratique du journalisme. Inversement, les journalistes ont pu assurer la légitimité et la crédibilité qui manquaient à l'environnement pour qu'il soit enfin pris en considération, par une majeure partie de la population française et donc, par l'ensemble des responsables économiques et politiques du pays.

* 138 Cf. conclusion de Borne Dominique, Histoire de la société française depuis 1945, Paris, Armand Colin, Coll. « Cursus », 2002, pp.. 175-178

* 139 Winock Michel, « L'avènement des intellectuels » dans La fièvre hexagonale, Les grandes crises politiques (1871-1968), Paris, Ed. du Seuil, Coll. « Points Histoire », 2001, pp. 158-175

* 140 Michaud Yves, Changements dans la violence, essai sur la bienveillance universelle et la peur, Paris, Ed. Odile Jacob, 2002, p. 143

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