CONCLUSION
« Mauvais accommodement vaut mieux que bon procès
».
537. Le présent mémoire a voulu énoncer les
différents Modes Alternatifs de Règlement des Conflits et les
confronter au droit spécifique qu'est le droit locatif.
538. Afin d'être tout à fait clair, ce dernier
développement s'axera sur les points les plus confus préjudiciant
à l'application des MARCS.
Deux catégories de remarques peuvent être
dégagées celles propres à l'aspect procédural des
modes alternatifs (A) et celles propres au droit locatif (B).
A. Aspects juridiques et procéduraux
préjudiciant à une parfaite maîtrise des MARC.
1) Les délais.
539. Les délais sont invoqués au soutien du mauvais
fonctionnement des MARC.
Bien qu'en matière de litiges locatifs, les
prescriptions extinctives d'action soient suffisamment longues pour ne pas
préjudicier aux justiciables. Il faut reconnaître que la plupart
des saisines des modes alternatifs de règlement des conflits en droit
locatif connaissent des délais aussi longs que ceux des juridictions.
540. Ainsi saisir la Commission Départementale de
Conciliation des rapports locatifs peut s'avérer aussi long que de
saisir le tribunal d'instance. En cas d'échec de résolution
amiable par la commission, la perte de temps peut-être
considérable.
541. C'est un réel dysfonctionnement de ces structures
de règlement amiable, puisque l'objectif premier était de trouver
une entente avec la partie adverse, mais également d'avoir une
réponse rapide.
542. Nombreux sont les justiciables, acceptant de se diriger
vers ce type de structure, qui espèrent régler plus rapidement le
litige. La personne qui refusera l'issue du mode alternatif devra de nouveau
attendre, puisque la seule possibilité restera la voie judiciaire.
De ce fait, la volonté de désengorger les tribunaux
n'est peut être pas toujours atteint en pratique.
2) Existences éparses et non coordonnées des modes
alternatifs de règlement des conflits.
543. On peut constater qu'il existe actuellement beaucoup de
structures de règlement amiable dont les compétences se
recoupent. Cela a un effet pervers puisque, si elles ont vocation à
aider le justiciable, celui-ci ne sait pas à qui s'adresser.
544. En droit locatif, comme dans les autres litiges
juridiques, les modes alternatifs ne font pas l'objet de beaucoup de
publicité. Cependant la multitude de « médiateurs » ou
de commissions spécialisées dans la résolution de conflits
rendrait de toute manière difficile une campagne de publicité.
545. L'ancien Bâtonnier de Toulouse, Me
Forget232, soulevait à juste titre différentes
critiques à l'encontre des Modes Alternatifs de Règlement des
Conflits :
V' Un émiettement des institutions de règlement
amiable, doublé d'un éparpillement du mouvement
consumériste.
Les institutions sont nombreuses mais elles ne se concertent pas,
de plus beaucoup d'entre elles interviennent sur les mêmes litiges.
En matière locative, les litiges sont quantitativement
importants donc l'existence d'une multitude de MARC devrait se
révéler nécessaire. Un travail de concertation entre ces
différents modes rendrait ces derniers peut-être plus efficaces et
plus cohérents.
V' Un manque de pérennité,
Nous faisons référence ici au défaut de
soutien financier. Ainsi l'État a mis en place un certain nombre de
Modes Alternatifs de Règlement des Conflits, qui ont connu une
réussite non négligeable telle que la boîte postale 5000 ou
les Commissions Départementales de Règlement des Litiges de
Consommation (CRLC)233. Ces modes ont pourtant vu leurs
activités et leurs existences déclinées en raison d'un
désengagement financier de l'État.
La CRLC de Haute-Garonne s'est arrêtée en raison
du retrait des crédits étatiques, la majorité des
commissions n'ont pas fonctionné en France dues aux mauvaises conditions
de travail découlant d'un manque de moyens financiers.
Il y a eu des tentatives de la faire continuer, mais sans aide
de l'Etat. D'ailleurs, trois commissions fonctionnent encore : Rennes,
Perpignan, Alsace. En Haute-Garonne, il n'y a eu aucune volonté de
continuer l'expérience, sauf de la part des professionnels qui ont
essayé de la relancer.
232 Auditionné le 11 mai 2004 par Mlle J. Hoarau et M Y.
Garot dans le cadre de l'« Etude de faisabilité d'une structure
de règlement amiable des litiges de consommation »
réalisée en avril-juin 2004 pour la DRCCRF
Midi-Pyrénées.
233 Ce sont des commissions qui ont été mises en
place à titre expérimental en 1994 dans dix départements,
dont la Haute- Garonne ; département dans lequel elle a cessé
d'exister en 1997.
Créées par l'arrêté du 20
décembre 1994 Les CRLC ont pour objectif la simplicité, la
rapidité, la facilité d'accès et la gratuité. Ce
sont des MARC, des commissions conciliatrices rattachées aux
Comités Départementaux de la Consommation instituées.
Composée d'un président (un magistrat en
général, dans la Haute-Garonne l'ancien directeur de la DRCCRF),
son suppléant, deux assesseurs : un « professionnel »
(représentant de la Chambre des métiers), et un «
consommateur » représentant d'une association de consommateurs
(élu par l'ensemble des associations de consommateurs) et des
suppléants (de la Chambre du Commerce et de l'Industrie, de la Chambre
des Métiers, et de la Chambre d'Agriculture pour le collège
« professionnels », et de la même manière trois
suppléants étaient désignés pour le collège
« consommateurs »).
La procédure normale est la suivante :
Désignation du rapporteur pour qu'il fasse une enquête,
Dépôt du rapport, Discussion sur la base de ce rapport entre les
trois personnes composant la commission, Audience : sorte de petit tribunal :
le professionnel et le consommateur présents peuvent se faire assister
(proches, avocats...rarement). Le rapporteur est présent à
l'audience. Soit se contente de concilier, soit propose une solution.
Au niveau de leurs compétences : ils connaissent de
tous les litiges de consommation (meuble, assurances, logement, achats de
produits divers, différentes prestations...). Il est cependant
prévu dans les règlement interne qu'elles se dessaisissent quand
un Modes Alternatifs de Règlement des Conflits spécialisé
existe, tel que Commission Départementale de Conciliation des Rapports
Locatifs.
V' Un manque de publicité et de communication conduisant
à une non-information du public.
En sus de la diminution voir de la suppression des
financements directs, ces modes, et plus particulièrement la BP 5000 et
les CLRC, n'ont bénéficié de quasiment aucune
publicité auprès des justiciables.
3) Une confusion entre les Modes Alternatifs de Règlement
des Conflits.
546. Deux constatations essentielles peuvent être
faites.
547. Premièrement, il y a en pratique une constante
confusion entre médiation et conciliation qui ont une filiation commune,
entretenue par les textes récents.
Cette confusion qui existe aussi bien pour les justiciables que
pour bon nombre de juristes.
548. Deuxièmement, l'utilisation inappropriée du
terme accord « transactionnel ». Puisque dans la plupart de ces
accords, on note l'absence de concessions réciproques.
B. Les aspects du droit locatif défavorables à
l'utilisation
des MARC.
1) Une information juridique non maîtrisée.
549. Les citoyens, les justiciables, sont insuffisamment
informés de leurs droits et de leurs devoirs. Ce constat indubitablement
mis à jour en droit locatif s'applique à tous les droits. Trop
nombreux sont les justiciables ignorants en droit.
550. Le constat est si alarmant que la première
question en droit locatif est de savoir si les parties ont lu le contrat de
bail. Une trop grande majorité répond par la négative. Il
en est de même pour tous les contrats de la vie quotidienne : contrats
d'assurance, contrats bancaires, contrat d'achat de biens et de services. Seul
peut-être le contrat travail fait l'objet d'un effort plus important par
les justiciables quant à la prise de connaissance de son contenu.
551. On pourrait hâtivement penser que les justiciables
se désintéressent du droit et du contenu de ces contrats.
Cependant quelques explications simples permettent de relativiser sur ses
conclusions précipitées.
552. Même si le propos est connu de tous, il est
important de rappeler que les institutions éducatives quelques qu'elles
soient, l'éducation nationale principalement, ne délivrent aucune
instruction juridique réelle. Combien de justiciables savent que les
contrats peuvent être négociés ? Et que l'écrit
n'est nécessaire qu'à titre de preuve ? Le consensualisme
étant un mot inconnu pour la plupart d'entre.
553. Les justiciables sont confrontés à des
situations ne disposant d'aucune marge de manoeuvre, les contrats
proposés dans la vie quotidienne sont pour la plupart des contrats
d'adhésion. Cette catégorie de contrat est devenue la
règle.
Pour renforcer ce propos, il faut souligner l'absence trop
répétée de juriste, ou simplement de personnes
qualifiées juridiquement, au sein des services de contentieux ou de
gestion des litiges dans la plupart des entreprises.
554. L'application du droit en amont semble compromise,
l'engorgement des tribunaux pourrait être diminué uniquement par
une meilleure application et connaissance du droit. La mise en place d'une
structure formelle d'encadrement des relations bailleurs/locataires pourrait
être opportune.
2) L'inexistence d'une institution régulatrice des
rapports bailleurs locataires intervenant sur le terrain.
555. Un des litiges les plus fréquents est la
réalisation des états des lieux locatifs. Une réponse,
à ce type de litige, serait la mise en place d'agents habilités
et spécialisés pour la réalisation de ces états des
lieux, ils seraient nécessairement impartiaux et tiers aux relations
locatives. Ce type de tiers existe en Belgique, nous les distinguons des
huissiers de justice.
556. Certes, l'article trois de la loi du 6 juillet 1989
prévoit l'intervention d'un huissier de justice en cas de
difficultés. Cependant cette intervention reste lourde et
génère d'autres difficultés.
557. Premièrement, les parties méconnaissent ou
redoutent l'utilisation de cette alternative : le partage des coûts de
l'intervention d'un huissier entre les parties est soumis à la
signification de l'autre partie 7 jours avant la réalisation de ce
constat d'état des lieux.
En pratique, ce délai de sept jours envenime la
situation puisqu'elle repousse le moment de la remise des clés et donc
de la fin du contrat de bail. Ce qui repousse aussi la date de l'obligation de
paiement des loyers et charges locatives. Le désaccord sur l'état
des lieux contradictoire, résultant de la part de parties sur une
anticipation des coûts des réparations locatives,
génère par l'intervention d'un huissier une augmentation des
sommes à débourser. Le but recherché par les parties n'est
pas atteint.
558. Deuxièmement, ce constat d'état des lieux
réalisé par huissier est réglementé quant à
sa facturation par le décret n° 96-1080 du 12 décembre
1996234. Le tableau 104 sur les tarifications des frais d'huissier
distingue une rémunération particulière pour les constats
locatifs de la loi du 6 juillet 1989, or en pratique les huissiers annoncent
tous des tarifs différents pour la réalisation de ce constat
locatif estimant à tort que les honoraires sont libres en matière
de constat d'état des lieux locatifs.
559. Selon les huissiers de justice, ainsi que de la Chambre
nationale des huissiers, la réalisation de ce constat locatif est
soumise à une tarification libre. Le décret n° 96-1080 du 12
décembre 1996 semble souffrir d'une importante méconnaissance par
ces praticiens, alors que l'article 16-I du décret réglementant
les honoraires libres est parfaitement clair : il exclut expressément
les honoraires libres en matière de constat locatif de l'article 3 de la
loi de 1989.
234 Portant fixation des tarifs des huissiers de justice en
matière civile et commerciale.
560. La mise en place d'une structure et d'agents
habilités à réaliser ces états des lieux
contribuerait à prévenir les litiges en la matière, qui
sont quantitativement très important. Les modes alternatifs de
règlement des conflits des rapports locatifs sont saisis à 80 %
sur des litiges de restitution de dépôt de garantie et de
réparations locatives. Ces litiges découlent pour la plupart des
difficultés résultant de la réalisation des états
des lieux locatifs.
561. Ces quelques situations n'ont pas pour objectif de
résumer de façon simpliste cette méconnaissance par une
démonstration consumériste. Les professionnels restent des
consommateurs, les bailleurs restent des justiciables et nous sommes tous un
jour ou l'autre « une partie faible ».
562. Les modes alternatifs de règlement des conflits
contribuent à une vision nouvelle du droit et de sa connaissance par des
profanes. Il faut souhaiter qu'ils permettront la venue de mécanismes
nouveaux contribuant à la paix sociale et que ceux déjà
existants sauront se perfectionner.
La réalisation de tels objectifs repose sur chacun :
une meilleure application et maîtrise du droit par les sachants, une
mobilisation par les profanes sur la recherche d'information juridique et une
collaboration entre tous les intervenants des rapports locatifs.
|