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BOBEY Claude 93140 Bondy @ : claudebobey@
neuf.fr
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Faculté de Sciences Sociales et Économiques
(FASSE)
Rapport de stage pratique « Approche et
évaluation de la notion de pauvreté ; Entre besoins et
capacités des personnes, quelles attitudes pour les acteurs du
Secours Catholique ? »
Master Solidarité et Action Internationales
(SAI) Directrice de mémoire : Mme Elena Lasida Octobre 2007
« Poverty is like heat ; you cannot see it ; so to know
poverty you have to go through it. »
Adaboya, Ghana1
1 Traduction libre : « La pauvreté est comme la
chaleur ; tu ne peux la voir ; alors pour la connaître, tu devras la
traverser. »
Remerciements :
Je tiens ici à remercier le président du Secours
Catholique de Seine-Saint-Denis, Richard Vallet, qui m'a accompagné
durant cette période et accepté d'être présent pour
la présentation de ce rapport. Je remercie mes collègues
salariés ainsi que les bénévoles et les personnes
rencontrées qui m'ont aidé et m'aident encore à mieux
comprendre la lutte contre la pauvreté dans le cadre du Secours
Catholique.
Je remercie ma directrice de mémoire qui m'a
encouragé à travailler ce sujet. Je remercie ma femme et ma fille
qui m'ont laissé travailler ce mémoire tous les soirs de
plusieurs semaines et parfois le dimanche...
Extrait de « Voices of the Poor »2
:
"Poverty is like living in j ail, living under bondage, waiting
to be free"
Jamaica
"Poverty is lack of freedom, enslaved by crushing daily burden,
by depression and fear of what the future will bring."
Georgia
"If you want to do something and have no power to do it, it is
talauchi (poverty)."
Nigeria
"Lack of work worries me. My children were hungry and I told them
the rice is cooking, until they fell asleep from hunger."
An older man from Bedsa, Egypt.
"A better life for me is to be healthy, peaceful and live in love
without hunger. Love is more than anything. Money has no value in the absence
of love."
A poor older woman in Ethiopia
"When one is poor, she has no say in public, she feels inferior.
She has no food, so there is famine in her house; no clothing, and no progress
in her family."
A woman from Uganda
"For a poor person everything is terrible - illness, humiliation,
shame. We are cripples; we are afraid of everything; we depend on everyone. No
one needs us. We are like garbage that everyone wants to get rid of."
A blind woman from Tiraspol, Moldova
"I repeat that we need water as badly as we need air."
A woman from Tash-Bulak, The Kyrgyz Republic
"The waste brings some bugs; here we have cockroaches, spiders
and even snakes and scorpions."
Nova California, Brazil
2
http://www1.worldbank.org/prem/poverty/voices/
Plan du rapport de stage
Extrait de « Voices of the Poor » : 3
Introduction 6
1. Approches de la notion de pauvreté 8
1.1. Définition de la pauvreté : 8
1.1.1. La pauvreté matérielle 8
1.1.2. La pauvreté sociale 8
1.1.3. La pauvreté d'exclusion 9
1.1.4. La pauvreté de capacités 9
1.1.5. Pauvreté, identités et justice 9
1.2. La pyramide de Maslow et l'approche selon les besoins 11
1.3. L'approche à partir des capacités et la
pensée d'Amartya Sen 14
1.3.1. Le développement humain 14
1.3.2. Les formes de pauvreté. 15
1.4. L'approche pragmatique au Secours Catholique. La
pauvreté, une
notion en évolution dans les textes 17
1.4.1. L'article 1 des statuts 17
1.4.2. Les 3 axes de 1996 18
1.4.3. Les orientations 2006 19
1.4.4. Le travail d'appropriation des orientations nationales
au niveau
local durant le stage pratique 21
2. Quels indices pour évaluer la pauvreté ?
22 2.1. Évaluer une action ; des résultats et des processus
ainsi que des
impacts 22
2.2. Les indices de pauvreté du PNUD (IDH-IPH) 25
2.2.1. l'IDH et l'IDH-2 25
2.2.2. L'IPH1 et l'IPH2 27
2.3. Un indice pour la Seine-Saint-Denis, lieu du stage 28
2.3.1. I.S.S. et BIP 40 28
2.3.2. Un indice spécifique pour la Seine-Saint-Denis
à partir des
pratiques du stage 30
2.3.2.1. L'enfance (0 - 7 ans) 31
2.3.2.2. Jeunesse et adolescence 31
2.3.2.3. Age adulte 31
2.3.2.4. Les personnes âgées 32
2.3.2.5. Les limites d'un tel exercice : 32
2.4. Difficultés et opportunités des indices 32
2.4.1. Difficultés des indices 33
2.4.1.1. Indice limité au champ économique 33
2.4.1.2. Indice non reconnu institutionnellement 33
2.4.1.3. Indice où chiffres et statistiques sont
difficiles à obtenir.. 34
2.4.1.4. Indice insistant plus sur les pauvretés
d'accès que sur les pauvretés de potentialités.
34 2.4.1.5. Indice conçu sans pratique de terrain et sans
concertation
avec la population concernée 34
2.4.1.6. Avoir accès à des données locales
35
2.4.1.7. Indice regroupant des chiffres très disparates
et nombreux.
35
2.4.1.8. Choix des calculs et des pondérations 36
2.4.2. Opportunité des indices 36
2.4.2.1. Un diagnostic de la pauvreté comparatif 36
2.4.2.2. Poser les « bonnes » questions, mettre
à jour des situations
et revoir des concepts 36
2.4.2.3. Rendre compte de phénomènes complexes.
37
2.4.2.4. Approche quantitative et qualitative :
subjectivité possible
37
2.4.2.5. La place des personnes dans les indices 38
3. Quelle compréhension par les acteurs du Secours
Catholique de la lutte contre la pauvreté. Limites et
potentialités rencontrées durant le stage.. 38 3.1.
Difficultés et ouvertures face aux politiques de l'association et aux
donateurs 39
3.1.1. Communiquer aux donateurs les résultats par des
chiffres 39
3.1.2. Une institution qui se regarde 39
3.1.3. La place des personnes 40
3.2. Difficultés et ouvertures face aux salariés.
41
3.2.1. Une identité à trouver dans les
résultats 41
3.2.2. Un capital humain en décalage avec les personnes
accompagnées 41
3.2.3. Un pont entre la réalité et le discours
42
3.3. Difficultés et ouvertures face aux
bénévoles. 42
3.3.1. Le choc de la rencontre 43
3.3.2. La volonté de changer/sauver le monde (tentation de
la toute-
puissante) 44
3.3.3. Le résignement 44
3.3.4. Une autre démarche où l'autre est au centre
45
3.3.5. Des nouveaux types de bénévolats qui ouvrent
des pistes 45
3.3.5.1. Les jeunes de 18-30 ans 45
3.3.5.2. Les personnes de communautés d'origines
étrangères 46
3.4. Difficultés et ouvertures face aux personnes en
difficultés. 46
3.4.1. L'essentialisation d'un statut d'accueilli,
d'assisté 46
3.4.2. Des responsabilités lourdes à porter 47
3.4.3. Un contexte d'assistance 47
3.4.4. Des personnes et des structures prennent le parti d'une
autre relation et place des personnes vulnérables 48 Conclusion : Les
personnes au coeur du processus, moteur du changement
social et sociétal 49
Bibliographie 51
Annexes 52
Annexe 1 52
Annexe 2 53
Annexe 3 55
Introduction
La notion de pauvreté est travaillée chaque
année par un nombre important d'ouvrages pour adapter, revoir ou changer
de paradigme de compréhension cette notion complexe mais essentielle
à la société. Les termes de pauvreté,
misère, exclusion, accessibilité, potentialité et
développement sont liés et reviennent sur le devant de la
scène sociale régulièrement. Le stage pratique a eu lieu
au Secours Catholique. Cette institution de 60 ans a aussi revu ce terme tout
au long de son parcours et de ses actions. Aujourd'hui, les enjeux autour de ce
terme sont multiples. La pauvreté est-elle à envisager seulement
économiquement pour la comprendre et l'évaluer ? Sur cette voie,
le développement de la croissance est la réponse adéquate
à sa suppression. La pauvreté peut même être
envisagée comme multidimensionnelle dans ce système de
compréhension mais il reste que la croissance est envisagée comme
l'unique outil de son éradication. Si la pauvreté est comprise
comme multidimensionnelle et son évaluation ainsi que les indicateurs
pouvant la mesurer comme complexe alors la place de la personne
individuellement et collectivement doit être pensée. Une place qui
est au sein du processus comme du résultat. Une place qui demande
d'accepter le subjectif, la place du sujet dans l'action et son
évaluation. Ceci comprend donc une approche tout autant qualitative que
quantitative. Les résultats sont alors tant dans le processus que dans
les résultats. Ils mesurent l'objectif réalisé mais aussi
la satisfaction des personnes ayant exercé leur liberté de choix.
La question de l'équité va aussi surgir sur le devant de la
scène. Allons nous aider les plus pauvres seulement ? Ceci peut avoir
une vision utilitaire de réduire les inégalités pour la
paix sociale et donc sauvegarder la croissance économique. Ici,
l'équité est envisagée non pas dans l'objectif d'une
société paisible mais pour le bien-être et faire de
l'individu. L'utilité économique n'est pas l'unique prisme de
compréhension. Il peut être un effet mais n'est pas le but
recherché. La recherche est celle d'une société juste.
Notre rapport de stage se divise en trois parties. Une
première qui explore les définitions actuelles de la
pauvreté et un bref regard sur les textes fondateurs et actuels du
Secours Catholique. Ceci nous montrera que la définition qu'en donne le
Secours Catholique se base sur sa pratique. Il ne donne d'ailleurs pas de
définition mais des pistes de travail pour lutter contre la
pauvreté et l'exclusion.
Nous envisagerons ensuite l'évaluation de cette
pauvreté à l'aune des définitions retenues. Nous verrons
que le champ des indices est vaste et fécond. Les notions de
temporalité et de spatialité des indices nous
donnera un nouveau regard sur la problématique. De même que pour
la définition de la pauvreté, les indices posent la question de
la place de la Personne ainsi que de l'équité
envisagée.
Une dernière partie essaiera de montrer, sur la base de
notre expérience, la difficulté du changement de regard sur la
pauvreté pour les acteurs et les personnes concernées. Le
changement de culture est long et ne dépend pas seulement de
l'institution qui l'initie. Il y a un
contexte qui peut être porteur ou non. Soit le contexte va
dans le sens des besoins à combler et risque de tomber dans l'assistanat
et l'utilité, sois dans le sens du refus de l'aide sous prétexte
d'une responsabilité du pauvre pour sa misère. Travailler avec la
Personne à bâtir un chemin de développement est complexe,
long et pas forcément couronné de réussite. La parole des
pauvres peut être entendue dans une institution mais pour qu'elle trouve
sa place et que celle- ci puisse être accepter peut prendre du temps ou
même échouer.
Nous essaierons de donner des pistes d'ouverture pour continuer
à approcher, définir et évaluer la pauvreté dans le
but d'une relation aux personnes qui rentre dans le cadre d'une
société plus juste et fraternelle. Avoir commencé par une
première page de paroles des personnes, c'est prendre le parti de leur
donner place et parole dès le départ de notre
réflexion.
1. Approches de la notion de pauvreté
Dans cette première partie, nous regarderons les grands
courants qui définissent la pauvreté. Nous serons attentifs
à la place de l'Homme dans ces définitions. Nous regardons
d'abord des définitions puis la théorie de Maslow et la notion de
développement humain. Cette dernière nous donnera un tableau des
pauvretés. Enfin, nous regarderons ce que l'association où nous
avons effectué notre stage dit de la pauvreté dans ses statuts et
ses orientations récentes.
1.1. Définition de la pauvreté :
Bref aperçu des notions définissant la
pauvreté :
1.1.1. La pauvreté matérielle
Une première définition dans Le Petit Robert est
source d'enseignement : « 1. État d'une personne qui manque de
moyens matériels, d'argent ; insuffisances de ressources.
»3 La pauvreté se cantonne aux moyens et surtout aux
moyens financiers et matériels. La personne est pauvre d'un manque qui
ferait d'elle, une fois comblée, une riche. Ce n'est qu'au
deuxième niveau de définition que le petit Robert note : «
2. Insuffisance matérielle ou morale. »4. Ici, la
pauvreté prend une nouvelle dimension mais elle reste envisagée
en terme de manques. La pauvreté n'est ni subie ni choisie, elle est.
Selon cette définition, la pauvreté disparaîtrait en
comblant les manques.
1.1.2. La pauvreté sociale
Une autre définition donne un autre point de vue : «
L'insuffisance de ressources disponibles, la précarité du statut
social et l'exclusion d'un mode de vie (matériel et culturel) dominant.
»5 Ici, la pauvreté est aussi envisagé avec le
monde environnant la personne. Un pauvre en France ne sera pas le même
qu'un pauvre au Kenya. Un pauvre est aussi caractérisé par
rapport aux autres personnes et à la société (statut
social). Il y a donc un rapport entre des inclus, ayant un statut social leur
donnant accès à une mode vie et des exclus privés de ce
statut social et de l'accessibilité à un mode de vie
communément admis.
3 Le Petit Robert, article « pauvreté »,
édition 1993.
4 Idem.
5 Elianne Mossé (économiste), cité par Alain
Durand, « la cause des pauvres », Paris, 1992, p.20.
1.1.3. La pauvreté d'exclusion
Depuis les années 1990, un paradigme est apparu, celui
d'exclusion. Il caractérise le rapport des personnes à la
société. Une société des inclus et une
société des exclus. Il résulte de la crise des
années 80 quant à l'emploi et la nouveauté d'un
chômage de masse. D'une pauvreté d'oppression, nous serions
passés à une société d'exclusion. Nous sommes
là face à une pauvreté d'identité. Le travail qui
était la source principale d'identité des personnes est en crise.
Cette pauvreté d'identité recouvre en partie le
phénomène d'exclusion. En France, le paradigme rentrera dans la
loi de 1998 de lutte contre toutes les grandes exclusions. Cependant, toute
exclusion n'est pas pauvreté et vice-versa. Par exemple, un
pré-retraité non volontaire est exclu d'une identité de
travailleur mais n'est pas forcément pauvre au sens du manque de moyens
financiers et matériels. De même, toute pauvreté n'est pas
exclusion. Un étudiant peut manquer de moyens mais ne pas être
exclu. L'exclusion est une forme de pauvreté dans une
société qui est à la fois marquée par le
chômage et l'abondance des biens de consommation. C'est une
société où la recherche d'identité des personnes ne
se concentre plus sur le travail uniquement mais explore des zones
alternatives.
1.1.4. La pauvreté de capacités
« La pauvreté des potentialités ou des
capacités exprime le manque de moyens permettant de sortir de la
pauvreté. »6 Ici, la personne est envisagée comme
pouvant sortir de la pauvreté mais n'ayant pas les capacités ou
les potentialités. De la même manière, le PNUD (Programme
des Nations Unies pour le Développement) définie la
pauvreté à travers un critère, l'IPH (Indice de
pauvreté humaine) qui intègre trois dimensions de
capacités manquantes. Nous développerons ce point plus en
détails dans le chapitre sur cette approche définissant la
pauvreté de capacité en terme d'accessibilité et de
potentialités. Pour sortir de la pauvreté, la personne doit avoir
accès à des biens essentiels pour mettre en oeuvre ses
potentialités. Faire ce travail, c'est développer les
capacités de la personne et de son environnement.
1.1.5. Pauvreté, identités et justice
Nous pouvons donc noter dans ce brève aperçu que la
pauvreté est d'abord comprise comme un manque multidimensionnel. En ce
sens, combler les manques, c'est lutter contre la pauvreté. Les
politiques d'aide classique rentrent assez bien dans ce schéma.
6
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pauvret%C3%A9
La pauvreté est parfois appelée aujourd'hui «
exclusion » en référence au monde des
« inclus ». Ici, la lutte contre la pauvreté va
se baser sur un travail d'identité. Le R.M.I. est une tentative de
réponse. Le gouvernement et aujourd'hui les conseils
généraux proposent un contrat d'insertion par le travail. La
pensée sous-jacente est que la personne retrouvera une identité
par le travail et donc réintégrera le monde des inclus. D'autres
pistes de retour à une identité passe par les parcours d'ateliers
créatifs, groupes conviviaux, etc. Ici, l'idée est que la
personne a besoin de reprendre confiance en elle, d'aller chercher les sources
en elle pour retrouver une identité au sein de la société.
Les religions proposent aussi des expériences de retour vers soi pour
retrouver une identité. Enfin, il y a les tentatives d'identité
de rébellion où l'identité se veut contre-identitaire. Ces
mouvements minoritaires se retrouvent dans les mouvements politiques, religieux
ou musicaux extrêmes. Refusant le monde des inclus par l'insertion via
l'économique ou l'humain, ils trouvent leur identité dans le
refus, la contestation. Nous pourrions décrire une autre source
d'identité qui serait la « sur-identité ». Ici, le but
est de sur-consommer, sur-paraître dans la société pour
avoir l'impression d'être ! Voulant être, les personnes rentrent
dans un schéma d'avoir, de pouvoir et de paraître. Non
satisfaisant en terme d'identité personnalisante, cette stratégie
permet néanmoins d'appartenir au monde des inclus.
Enfin, la pauvreté peut être envisagée en
terme de potentialités, capacités en manque. Cette approche
utilise moins les termes de pauvreté ou d'exclusion mais celui
d'inégalités. Ici, la justice est en cause. La dimension
économique est recouverte par la pauvreté, la dimension humaine
par l'exclusion et la dimension morale par l'approche des «
capabilités » (traduction littérale de capabilities). Que
puis-je faire avec l'argent que j'ai ? Nous savons qu'un être humain
ayant été à l'école, aura une meilleure
santé, un meilleur travail, éduquera ses enfants... « Au
lieu de mesurer la pauvreté d'après les revenus, Sen
préconise de calculer ce que l'on peut réaliser avec ces revenus,
tout en prenant en compte le fait que ces réalisations peuvent varier
d'un individu à l'autre et d'un endroit à l'autre.
»7 Cette définition de la pauvreté
s'écarte des précédentes car elle ne mesurera pas un
minimum vital universel mais ce que l'on peut faire avec ce que l'on a
là où l'on réside. De plus, elle ajoute la notion de
liberté dans la réalisation de ses capacités. Nous
reviendrons sur ces notions dans la partie consacrée à Amartya
Sen.
Essayons maintenant de regarder deux approches pour les
comparer et tirer les
7
http://www.iadb.org/idbamerica/index.cfm?thisid=860
(publication pour la BID, Banque inter-américaine de
développement.)
enseignements quant à une possible définition de la
pauvreté ou de critères l'approchant. La première approche
se fera à travers la pyramide de Maslow et la deuxième à
travers les approches de l'économiste Amartya Sen et les travaux du
PNUD. Nous regarderons alors l'approche du Secours Catholique dans les textes
fondateurs de l'association.
1.2. La pyramide de Maslow et l'approche selon les
besoins.
« La pyramide des besoins est une théorie
élaborée à partir des observations réalisées
dans les années 1940 par le psychologue Abraham Maslow sur la
motivation. L'article où Maslow expose sa théorie de la
motivation, A Theory of Human Motivation, est paru en 1943. Il ne
représente pas cette hiérarchie sous la forme d'une pyramide,
mais cette représentation s'est imposée pour sa commodité.
»8
Les besoins primaires, physiologiques que peuvent être la
nourriture, le logement, la santé,... sont à la base de la
pyramide. Ici, la lutte contre la pauvreté est centrée sur le
fait de combler les manques. Selon Maslow, sans avoir rempli ce besoin ou ces
besoins physiologiques, nous ne pouvons penser au deuxième niveau.
Le deuxième stade, le besoin de sécurité
demande aussi une action sur les manques repérés. Puis le
troisième stade est celui de l'appartenance, de l'amour. Nous avons
besoin ici de sociabilisation. Les lieux pour cela sont le travail, la famille,
les associations, les Églises,
8
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_des_besoins
etc. Imaginez un chômeur divorcé... Sa
pauvreté n'est peut être pas encore une question d'argent (quoi
que) mais plutôt celle de se retrouver seul... Un célibataire
retraité qui n'a plus de famille ou qui en est loin,... Le niveau
suivant est celui de l'estime de soi, de l'autre. Combien de gens qui ne
s'aiment pas et se détruisent humainement ? Finalement, nous avons la
réalisation de soi, être soi, pouvoir dire « je » devant
ce que nous avons réalisé. Ceci me fait être moi ! C'est
tellement important pour tout un chacun dans sa vie. Cela passe par des
centaines de choses très différentes mais qui me font être
moi car elle me donne de donner le meilleur de moi-même. Bon chemin dans
la réponse à nos besoins, nos désirs d'être. Nous
percevons que l'argent va lutter contre des niveaux de pauvretés mais
pas tous. Des gens auront besoin d'autre chose, des lieux pour parler, pour
rencontrer, se rencontrer, pour être estimés, enfin pour se
réaliser, se prouver à eux-mêmes qu'ils sont et ainsi
s'aimer, se reconnaître, être !
L'approche de Maslow a de nombreux avantages. Elle lie les
besoins entre eux. Elle montre que les besoins physiologiques ne sont pas les
seuls. Cela veut dire, entre autre, qu'un bon salaire ne suffira pas à
faire le bonheur d'un Homme si celui-ci n'est pas reconnu dans son travail,
n'est pas sur de le garder, etc. Lutter contre la pauvreté n'est donc
plus qu'une question monétaire ou économique.
Cependant cette approche a des limites. Par expérience,
nous savons qu'un être humain démuni financièrement,
n'ayant pas à manger ou se loger souhaitera quand même parfois la
reconnaissance ou l'appartenance à un groupe autant que le fait de
manger. Nous citons parfois l'exemple de communautés africaines qui
fêtent les évènements de la vie en pleine pénurie
alimentaire. Vouloir prioriser les besoins est compréhensible et peut-
paraître logique intellectuellement mais ne rentre pas forcément
dans une logique humaine et culturelle donnée.
La pyramide de Maslow ne distingue pas les catégories
de besoins et de désirs. En ce sens, Maslow ne prend pas en compte la
notion de liberté de l'individu. Il reste cantonné à une
approche selon les besoins. Il y a là une différence capitale
avec l'approche du développement humain qui le comprend comme la mise en
oeuvre de la liberté de choix.
Certains ont développé la pensée de Maslow
en distinguant les deux notions de désirs (appelés ici
aspirations) et de besoins9.
Ces tentatives complètent la théorie historique
d'Abraham Maslow mais il reste néanmoins l'handicap de se centrer sur
l'homme comme le but de l'action et non la solution ou l'acteur de celle-ci. En
ce sens, la liberté de l'homme, sa capacité à faire des
choix n'est pas évaluée, souhaitée ou
considérée. Le titre du dernier schéma est
évocateur : « Où se situe la satisfaction du besoin ? »
Les auteurs restent centrés sur la satisfaction des besoins et nullement
sur les possibilités, les capacités des personnes à
évaluer leurs besoins. Comme nous l'avons vu, Maslow impose une
hiérarchisation des besoins universels. Il serait pertinent de l'adapter
à l'âge, aux contextes politiques, culturels et
géographiques. Regardons maintenant une approche similaire mais qui se
distingue par la place qui est faite à l'être humain. Ici, l'Homme
n'est pas le but mais le centre de l'action. La lutte contre la pauvreté
n'est pas seulement un but mais un processus.
9 Schéma conçu avec Gérard Proisy,
Quadrature, organisme de formation en management.
http://membres.lycos.fr/papidoc/573besoinsmaslow.html
1.3. L'approche à partir des capacités et la
pensée d'Amartya Sen.
Amartya Sen est un économiste qui a reçu le prix
Nobel d'économie en 1988 pour son approche sur les capacités. Sa
théorie s'applique à repenser ce qui guide les individus dans
leur vie, leur choix. « Ce n'est pas la seule recherche de la satisfaction
personnelle, en termes de consommation de biens et services, qui guide les
individus, mais plutôt le niveau de leur intégration sociale.
»10 Cette pensée se démarque de la pensée
actuelle que nous rencontrons chez nos politiques qui se base sur la
consommation. Nous pourrions la caricaturer en disant : « Je consomme donc
je suis ! ». Avec A. Sen, le but est de s'insérer dans la
société.
A. Sen s'appuie sur une éthique de la liberté. Le
développement est celui de la liberté d'où l'importance du
choix des personnes et du travail à développer ce choix, à
rendre aux personnes la capacité de choisir leur vie. « Mieux vaut
s'appuyer sur une éthique qui accroisse la liberté des personnes,
insérées dans leurs réseaux sociaux de droits et
obligations, et qui leur donne les moyens de mieux fonctionner et d'être
capables de choisir la vie qu'elles souhaitent vivre. »11
Finalement, cette pensée donnera naissance au concept de
développement humain. L'humain n'est plus l'objet du
développement, celui qui va permettre la croissance, la richesse mais le
sujet du développement. Il y a un déplacement du point central de
la pensée. De la consommation et la croissance économique comme
centres du développement, nous passons à l'Homme . «
L'intérêt excessif portée à la croissance
économique, à la création de richesses et la
prospérité matérielle a occulté le fait que le
développement est avant tout centré sur la personne humaine, ce
qui a comme effet regrettable de refouler l'être humain à la
périphérie des débats sur le développement.
»12
1.3.1. Le développement humain
Le développement humain s'appuie sur le
développement des capacités des personnes qui ont besoin
d'opportunités pour les développer. Un personne peut vouloir se
nourrir et en avoir la capacité mais celle-ci peut être
améliorée par l'accès à une alimentation de
qualité. L'opportunité d'un crédit pour produire mieux est
alors un appui à son développement. Les opportunités ne
sont pas seulement économiques comme ici le crédit mais elles
peuvent être politiques ou sociales.
10 Justice et Paix France, « Notre mode de vie est-il
durable », Paris, Khartala 2005, p.1 64.
11 Idem.
12 Rapport arabe sur le développement humain 2002, «
Chapitre 1, développement humain : définition, concept et
aperçu général » p.17
http://www.undp.org/arabstates/ahdr2002.shtml
La croissance est alors un moyen du développement mais non
une fin, elle va promouvoir un développement des capacités et
donner des opportunités.
Le développement humain met en exergue la liberté
de choix des personnes. « Les êtres humains doivent pouvoir influer
sur les processus qui orientent leur vie. [...] le développement humain
est le développement des individus, pour les individus et par les
individus. »13
Par rapport à la théorie de Maslow, nous pourrions
dire à la suite du rapport du PNUD : « Le concept de
développement humain va plus loin que d'autres modèles de
développement centrés sur l'individu. Le modèle
basé sur la mise en valeur des ressources humaines met en avant
uniquement le capital humain et traite l'être humain comme un apport
au processus de développement, et non comme son
bénéficiaire. Le concept visant à combler les besoins
fondamentaux met l'accent sur les besoins minimaux des êtres humains mais
non sur leur choix. Celui qui vise à promouvoir le bien-être
humain considère l'individu comme un bénéficiaire, mais
non comme un participant actif au processus qui détermine les conditions
de son existence. »14 En ce sens, le développement
humain est tout autant un processus qu'une fin pour l'Homme. La lutte contre la
pauvreté va lutter contre le manque de
capacités des personnes et de liberté de choix dans
la mise en oeuvre des capacités offertes par les potentialités en
présences. « La pauvreté est ainsi définie comme une
privation de capabilités et l'inégalité comme le fait
d'une distribution inégale de ces capabilités. Dans ce cadre
d'analyse, le développement, lorsqu'il combat la pauvreté,
cherche à renforcer les capabilités des agents ou, plus
précisément, les libertés réelles d'agir et
d'être qui sont conférées par leur statut de personne ou
d'acteur social. »15 Il y aura aussi l'effort d'assurer une
équité collective dans la détention des
capabilités. « Cette vision alternative du développement
permet, de manière très pertinente, d'envisager
différemment le combat contre la pauvreté, en se
préoccupant plus des restrictions dans la liberté d'agir et
d'être, dues à la pauvreté, que du niveau de revenu ou de
consommation qui en résulte. »16
1.3.2. Les formes de pauvreté.
L'approche en terme de capacités définit deux
formes de pauvreté : pauvreté
13 Idem, p.18.
14 Idem, p.20. Nous avons souligné la phrase.
15
http://www.afd.fr/jahia/webdav/site/myjahiasite/users/Romain/public/Publications/N30_Amartya_Sen.pdf,
p.200.
16 Idem; p. 201.
d'accessibilité et pauvreté de
potentialités. 17
Dimensions du bien-être et formes de
pauvreté
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Dimensions économiques
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Dimension sociale
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Dimension culturelle
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Dimensions politiques
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Dimension éthique
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Monétaire
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Conditions de vie
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Pauvreté
d'accessibilité
(manques et absence de satisfaction)
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Manque d'accès à l'emploi. Absence
de revenu. Impossibilité d'acheter des Produits.
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Manque d'accès à la santé, à une
alimentation équilibrée, à l'éducation, au
logement, etc.
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Exclusion sociale. Rupture du lien
social. Problèmes de genre.
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Non reconnaissance identitaire. Déracinement.
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Absence de démocratie, de participation aux
décisions.
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Absence de normes. Corruption. Violence. Valeurs
niées.
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Pauvreté
de potentialités
(absence d'opportunités d'accumulation)
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Absence de capital
physique (équipement, terrains, biens durables)
et financier (épargne, crédit)
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Insuffisance de capital humain (peu d'éducation,
mauvaise santé)
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Insuffisance de capital social (manque de cohésion
sociale, relations de faible niveau)
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Insuffisance de « capital culturel ». Absence de
fond culturel commun.. Sous-culture.
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Absence ou insuffisance de « pouvoir »,
de moyens d'expression, d'informations.
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Insuffisance de normes ou valeurs partagées
:
« capital d'éthique »
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Les pauvretés d'accessibilité et de
potentialités recouvrent toutes les dimensions de la pauvreté.
Nous gardons dans ce schéma la dimension plurielle de la
pauvreté. L'exclusion sociale est intégrée au
schéma et n'est plus une dimension « autre » de la
pauvreté.
La pauvreté d'accessibilité va conditionner la
pauvreté de potentialité. Si vous n'avez pas accès
à la santé, vous ne pouvez avoir accès au potentiel de vie
qui est en vous. Mais ayant accès à la santé, vous n'avez
pas forcément l'éducation ou eu une transmission de valeurs
collectives qui vous donnera le potentiel de mettre en oeuvre une vie saine.
Ici, les pauvretés sont donc liées même si
hiérarchisées.
La lutte contre la pauvreté va donc prendre le nom de
« renforcement des capacités » qui va articuler un
renforcement de l'accessibilité et un renforcement des
potentialités. Ceci pourra se traduire par un travail d'accès aux
droits ou d'éducation aux droits des personnes
17 Justice et Paix France, o.c., tableau p.1 66.
mais aussi de programmes de santé, alimentaire, mise en
place d'un corpus législatif, etc. Pour les potentialités, un
travail sur le capital environnemental sera nécessaire. Le terme
environnemental compris dans un sens large, incluant l'environnement social,
politique, culturel, religieux, éthique et économique.
Même si ce travail est nécessaire, il ne peut
être insuffisant. Nous pouvons donner accès à la lecture
à une population, lui donner accès à des diplômes.
Par exemple, ayant accès à une formation professionnelle, un
« RMIste »18 va accroître son capital social et
économique. Il pourra mieux être et faire. Cependant, il lui
restera le poids de l'étiquette
« RMIste » à l'embauche. Même s'il
développe son potentiel d'employabilité, il reste
vulnérable. « Autrement dit, une personne peut se voir
empêcher d'utiliser à bon escient ses propres atouts car des
contraintes l'empêchent de saisir les opportunités qui se
présentent à elle. »19 Lutter contre la
pauvreté doit prendre en compte l'environnement des personnes pour
planifier des stratégies de réduction de ses formes diverses.
1.4. L'approche pragmatique au Secours Catholique. La
pauvreté, une notion en évolution dans les textes.
1.4.1. L'article 1 des statuts
Le Secours Catholique est une association régie par la loi
de 1901 et créée en 1946 par l'Abbé Rodhain. La valeur
fondatrice de l'association pourrait sembler être la lutte contre la
pauvreté et l'exclusion. Dans les statuts du Secours Catholique de 1946,
nous lisons :
« Apporter, partout où le besoin s 'en
fera sentir, à l'exclusion de tout particularisme national ou
confessionnel, tout secours et toute aide directe ou indirecte, morale
ou matérielle, quelles que soient les options philosophiques ou
religieuses des bénéficiaires. » Art. 1.
Les texte est centré sur les besoins de la personne et non
sur son capital humain. La valeur est celle de l'assistance et non de
développer les capacités de la personne. Ceci se ressent
fortement dans la structure des équipes locales du Secours Catholique et
dans l'environnement de l'association. « Nous sommes là pour aider
» me répète t-on lors de visites sur le terrain durant le
stage pratique.
Ces statuts de 1946 datent. Ils n'ont pas été
revus par l'association et ceci serait difficile ou ferait naître des
débats compliqués, coûteux et longs. L'association a pris
le parti
18 Personne vivant avec le R.M.I. (Revenu Minimum d'Insertion)
19 Justice et Paix France, o.c., tableau p.1 69.
de revoir ses objectifs périodiquement et non ses statuts.
C'est ainsi qu'en 1986, l'association a mis en avant « la place et la
parole des pauvres » au sein de l'association. En 1996, l'association
proclamait les « axes ». Au nombre de trois, ils voulaient mettre en
oeuvre cette phrase emblématique « S'associer avec les personnes
pour construire une société juste et fraternelle. ». Cette
phrase mériterait des développements. Le 's' de « s'associer
» est là pour rappeler que la personne est présente
dès le début et jusqu'à la fin du projet d'une
société juste. Nous n'associons pas les personnes une fois le
projet lancé mais elles sont au commencement, elles sont les
instigatrices du projet. Cette phrase s'appuie sur la pensée du
Père Joseph Wresinski, fondateur du mouvement ATD Quart Monde. «
Les pauvres sont nos maîtres en humanité ». L'idée
centrale est que les pauvres vivant la pauvreté la connaissent. Ils ont
les armes pour la combattre. Le Secours Catholique n'adhérera que
difficilement à cette vision qui repositionne le bénévole
autrement. Il n'est plus celui qui donne mais celui qui accompagne, qui
s'associe. Cpauvree nouveau positionnement déroute le
bénévole, lui fait changer de positionnement. La personne
accompagnée aussi. De quelqu'un qui vient remettre la
responsabilité d'un problème à quelqu'un d'autre, il
repart avec sa responsabilité dans ce nouveau schéma. La personne
n'est plus à « aider » mais à soutenir, à
renforcer son accessibilité aux besoins essentiels et à renforcer
son capital humain. Nos réponses alimentaires et financières
classiques deviennent assez vite caduques. Il faut alors inventer d'autres
réponses à partir des personnes. Nous n'avons plus « nous
» les solutions mais elles sont partagées avec les personnes qui
sont au centre du processus et non plus à la
périphérie.
1.4.2. Les 3 axes de 1996.
« 1. Promouvoir dans un réseau ouvert à tous,
la place et la parole des pauvres par des actes créateurs de
dignité, de solidarité et de partage. »
Nous retrouvons l'intuition de 1986 de la place et de la parole
des pauvres. L'association reconnaît aux pauvres la potentialité
de poser des actes créateurs et ainsi renforcer leur capacité. Le
pauvre n'est plus « une bouche à nourrir » mais a d'autres
besoins que l'on reconnaît. Il a le besoin de créer, d'aimer,
d'être solidaire, de partager. Nous rejoignons les niveaux
supérieurs de la pyramide de Maslow. L'idée de réseau est
là aussi intéressante. Nous ne sommes plus seulement dans un
accueil individuel qui avait été l'idée phare de
l'institution dans les années 80. La personne a vocation à
s'insérer dans un réseau. Elle n'est plus seulement un individu
en dehors de tout contexte mais une personne ayant des communautés
d'appartenance.
« 2. Agir pour la transformation sociale et la justice
à partir de l'échange avec les pauvres, par la réalisation
de projets et l'action institutionnelle, au plan local, national, et au sein du
réseau Caritas au plan international. »
Ce deuxième axe valide le tournant de l'association.
D'une association de réponses aux besoins comme le mentionne l'article 1
des statuts, le Secours Catholique veut agir sur les causes. « A partir de
l'échange avec les pauvres » : ceci laisse présager que le
pauvre est associé à la démarche mais que c'est le Secours
Catholique qui mène l'action. Ceci se vérifie dans les faits. Par
exemple, la campagne de plaidoyer au moment des élections
présidentielles et législatives de 2002 « Candidats, tu
m'écoutes » a été pilotée par le siège
national, mise en oeuvre par les délégations et les pauvres ont
participé. Malgré cet écueil, ce nouvel axe lutte contre
la pauvreté d'accessibilité. Il développe une action
institutionnelle qui veut affronter les causes de la pauvreté.
Là-encore, l'action n'est pas seulement individuelle mais
envisagée au niveau sociétal ; « transformation sociale
». Elle est aussi envisagée dans une globalité
planétaire. Le terme de mondialisation n'est pas encore dans les textes
mais cet axe le présage pour la suite.
« 3. Vivre, par l'action et la parole des pauvres, la
mission reçue en Eglise, pour rendre Dieu présent dans la vie des
hommes et témoigner de l'Evangile. » Le troisième axe veut
prendre en compte la dimension spirituelle des personnes.
En 2006, l'association entre dans une stratégie
d'association des acteurs et met en place la construction d'une planification
stratégique. Si celle-ci a associé un nombre important d'acteurs
au sein de la structure, les personnes en difficulté n'étaient
que peu présentes et associées au processus. Il en
résultera la promulgation des 6 orientations nationales.
1.4.3. Les orientations 2006
« Orientation N° 1 : Renforcer notre
soutien aux personnes et territoires les plus marginalisés ou
isolés, par la mise en réseau et le partenariat.
Orientation N° 2 : S'associer avec les
personnes rencontrées, par un accompagnement fraternel et par l'action
collective.
Orientation N° 3 : Agir sur les causes de
la pauvreté en s'engageant avec les personnes qui la subissent.
Orientation N° 4 : Renforcer l'engagement
international de tous les acteurs du réseau, en développant
notamment, des collaborations concrètes entre les
délégations et les Caritas.
Orientation N° 5 : Favoriser et soutenir
l'engagement solidaire de tous en adaptant nos actions, nos formations et notre
communication.
Orientation N° 6 : Oser vivre la
fraternité avec les pauvres en Eglise et partager ensemble la recherche
de sens. »
Au nombre de six, l'association perd de la lisibilité par
rapport aux axesqui étaient au nombre de trois. Elles n'ont pas de
phrase emblématique. De plus, ces orientations ont fait naître une
réorganisation des territoires non achevée à ce jour. Plus
d'une année a passé et la mise en oeuvre concrète n'est
guère programmée, accompagnée et évaluée.
Elle reste au bon vouloir des acteurs locaux. Aucune directive, aucun plan
d'action officiel, aucun planning de réalisation et d'indicateurs de
résultats. La culture de l'association est en but à sa structure
bénévole. Son siège composé majoritairement de
salariés est en but à des structures décentralisées
majoritairement bénévoles. Le siège de l'association n'ose
et ne peut imposer des directives. Les orientations incarnent la pensée
du siège mais pas forcément du terrain. Nous le verrons dans
notre troisième partie.
La première orientation fait état d'une richesse et
d'une faiblesse de l'association. Elle se base majoritairement sur le
bénévolat : « un réseau de bénévoles
». Ceux-ci sont presque exclusivement des français d'origine et
Catholique ce qui constitue des forces vives et unies dans un même but et
des valeurs communes. Le résultat est aussi la présence
d'équipes locales dans des zones plutôt protégées
socialement et des territoires traditionnellement catholiques. Par exemple, la
Vendée a plus de 2000 bénévoles pour un territoire de 539
664 habitants20 quand la Seine-Saint-Denis a 500
bénévoles pour un département de 1 382 861
habitants.21 Le Secours Catholique décide dans cette
première orientation de renforcer sa présence en fonction d'une
analyse territoriale. Connaissant la difficulté de recruter des
bénévoles dans ces territoires marginalisés, il
décide d'agir par la mise en réseau et le partenariat. C'est
aussi la première fois qu'apparaît le terme de « territoire
» dans un texte officiel. C'est approche
« territoire » veut faire droit au contexte dans lequel
est une personne. Nous n'accompagnons plus une personne individuellement mais
dans un contexte territorial particulier. En ce sens, le
20 orientationemploiChiffre de l'INSEE :
http://www.insee.fr/fr/insee_regions/pays-de-laloire/zoom/chif_cles/fregdep/fdep85.htm
21
http://www.insee.fr/fr/insee_regions/idf/zoom/chif_cles/fregdep/fdep93.htm
Secours Catholique rejoint les approches actuels du
développement local.
Les orientations 2 et 3 reprennent les intuitions des axes de
1996. Les orientations 4 et5 font droit au soutien du réseau Caritas
mais dans un partenariat concret pour sortir du soutien financier simple. La
volonté est d'appliquer aux Caritas ce que nous essayons de vivre avec
les pauvres en France. L'orientation 5 fait état d'un changement dans le
bénévolat. Une professionnalisation22 est
inéluctable ainsi qu'une meilleur communication pour se faire
connaître mais aussi éduquer à la charité.
1.4.4. Le travail d'appropriation des orientations
nationales au niveau local
durant le stage pratique.
Le travail du stage a été de traduire ces
orientations, les faire connaître, les promouvoir, découvrir leur
potentialités. Nous sommes partis des pauvretés
repérées, rencontrées par les bénévoles.
Ceci a donné lieu à un écrit.23 Nous remarquons
assez vite que ce texte décrit les pauvres comme des gens « sans
». Des sans papiers, sans emploi, sans formation, etc. A aucun moment, ces
personnes nommées sont notées comme ayant un capital humain,
social, économique ou politique. Leur capacité n'est pas
envisagée. Elles sont perçues en terme de manques et
d'incapacités. La réponse sera donc de les combler sans
forcément renforcer leur capacité. Nous avons alors mis les
réponses que nous apportons en face des pauvretés
rencontrées. A ce stade, les bénévoles ont
été invités à réagir et voir ce qui pouvait
être amélioré. Nous avons alors eu des groupes de
paroles24. Ces moments se sont fait avec les responsables
d'équipes dans un premier temps puis avec tous les
bénévoles de l'association pour compléter, amender,
transformer le travail ainsi fait. Ceci a donné lieu à des
orientations diocésaines25. Nous nous apercevons que
là, la place des personnes n'est plus envisagée dans les
mêmes termes. Les orientations ne varient guère des orientations
nationales mais elles sont basées sur leurs propres mots d'où une
appropriation plus grande. La mise en place des objectifs locaux
d'équipes découlera de cette mise en orientations
diocésaines. Les orientations nationales étaient restées
comme de belles affiches dans quelques salles d'accueil
22 « Les bénévoles sont souvent
présentés comme des « non professionnels » (au sens de
non contractuels et non rémunérés) mais ils aspirent et
revendiquent « la capacité d'agir comme des pros » (au sens de
savoir gérer une situation professionnelle complexe). »
www.cg49.fr/medias/PDF/themes/culture_sports/bdp/boite_outils/Professionnalisation%20des%20b%E9n
%E9voles.pdf
23 Annexe 1
24 Notion courante au Secours Catholique que nous
définirons comme groupe d'échange animé par un animateur
repéré.
25 Annexe 2
ou de réunions, elles ont commencé à
s'incarner dans l'action des équipes. Nous restons cependant en
deçà d'une dynamique de cycle de projet qui associeraient les
personnes à l'analyse des pauvretés pour construire avec elles
des projets de lutte contre la pauvreté. C'est pour cela que les
premiers objectifs des équipes qui apparaissent se focalisent sur la
relation aux personnes plus que des projets de personnes. Ce sera une
étape à franchir dans les années à venir. Nous
restons sur les manques des pauvres et non sur leur capital, leur
potentialité. Les bénévoles restent sur le « Qu'as-tu
besoin ? » et non « J'ai besoin de toi, Lève-toi et marche! Ou
quel projet ensemble ? ». Cependant cette exercice a
révélé une chose essentielle. Quand les
bénévoles sont mis en face des personnes, le discours change, le
diagnostic change. Des personnes vues comme des « sans » mises en
face des actions ou des tentatives de réponses, les
bénévoles acquiescent sur le fait de la non correspondance des
actions et des manques des personnes. Nous reviendrons sur la place des
personnes dans la lutte contre la pauvreté au sein du Secours Catholique
comme moteur de transformations personnelle et institutionnelle.
2. Quels indices pour évaluer la pauvreté
?
Après avoir défini la pauvreté, une
évaluation est possible. Il nous faut cependant des indicateurs. Nous
regarderons du côté du PNUD (Programme des Nations Unies pour le
Développement) les indices qu'il développe pour les
contextualiser à notre réalité et faire des
propositions.
Une seconde préoccupation est la relation que nous aurons
à la définition. Prenant le parti d'une vision de la
pauvreté selon les capacités, la vision que nous avons du travail
à faire est centrée sur la personne, son bien-être, entendu
comme capacité à être et faire, et non plus sur la seule
réponse à ses besoins, soient-il envisagés comme
pluridimensionnels et essentiels. Le bien-être est le concept central de
la finalité recherchée. Le bien-être n'est pas
envisagé comme un hédonisme creux mais comme comme la
capacité d'exercer sa liberté d'Homme au sein d'une
communauté de personne.
2.1. Évaluer une action ; des résultats et
des processus ainsi que des impacts.
Si nous pouvons penser que la croissance améliore le
niveau de vie, nous savons aujourd'hui qu'elle ne diminue pas
nécessairement la pauvreté en raison des
inégalités. La France en est un exemple : « Au cours de la
dernière année connue, 2005, le taux de pauvreté s'est
sensiblement aggravé passant de 11,7% à 12,1%. [...] Pour
être clair, 260 000 personnes
sont devenues pauvres. »26 Alors que le PIB
(Produit Intérieur Brut) de la France a augmenté la même
année.
Nous pouvons donc avancer que l'évaluation des politiques
publiques nécessite une refonte de leurs indices. Les politiques
publiques évaluent traditionnellement les résultats de leurs
actions et peu les processus. De ce fait, les évaluations se concentrent
sur le quantitatif. Ceci est cohérent avec la pensée qui
est sous-jacente. La croissance permet de lutter contre la pauvreté.
C'est le facteur essentiel de développement.
« Sen construit son approche en réaction à
l'utilitarisme classique : il remet en cause la mesure du bien-être,
fondée sur l'utilité qui, appliquée au
développement, ne prendrait en compte que le revenu disponible
permettant à l'individu de consommer. Selon Sen, cette approche est
restrictive. [...] L'évaluation du niveau de vie comprend aussi des
composantes non monétaires (sociales, environnementales, etc.)
»27 Ici, l'évaluation ne se concentrera pas
exclusivement sur des indicateurs quantitatifs mais aussi qualitatifs qui
permettent de rendre compte de la complexité du contexte.
Cette ouverture dans le champ de l'évaluation
apportée par l'approche selon les capacités nous amène
à aller encore plus loin en ce qui concerne la place des
bénéficiaires de l'action. Dans une approche par la
quantité, les commanditaires de l'action fixent les objectifs et les
indicateurs de résultats. Ils sont donc les évaluateurs de leurs
indicateurs. « L'évaluation dite « par le bas » (ou
down top), sans refuser l'analyse des dispositifs administratifs, met
précisément l'accent sur les comportements et les
représentations des « cibles sociales » au moyen d'«
ethno-méthodes », qui décrivent les comportements des
acteurs. »28
Cette ouverture dans la compréhension de
l'évaluation porte à envisager l'impact des politiques publiques,
des impacts économiques et sociaux désormais liés.
La Banque Mondiale a retenu l'analyse sociale en regroupant en
trois catégories les objectifs du développement social :
l'inclusion sociale, l'autonomisation individuelle et collective et la
sécurité comme « gestion améliorée des risques
sociaux résultant des interventions de développement. »29
Cette démarche a amené la Banque Mondiale à
publier en 2003, le guide des impacts sur la pauvreté et le social (le
PSIA, Poverty and Social Impact Analysis)30. «
L'analyse des
26 Martin Hirsh, dans Le Monde, « Objectif : - 2 million de
pauvres », édition du 01.09.2007.
27 Agence Française du Développement, Sous la
direction de Valérie Reboud, « Amartya Sen, un économiste du
développement ? », 2006, p.1 87-188.
28 Idem, p.189.
29 Idem, p.190.
30
www.worldbank.org/psia
impacts sur la pauvreté et le social (AIPS) se
réfère à l'analyse de l'impact distributionnel qu'ont les
réformes politiques sur le niveau de vie ou le bien-être de
différents groupes de personnes concernées par les
réformes, tout en accordant une attention particulière aux
populations pauvres et vulnérables. »31 Les
bénéficiaires sont présents dans l'action. Les
éléments économiques et sociaux sont liés et les
parties prenantes sont envisagées dans leur ensemble. L'impact est
pensé avant même le projet, pendant celui-ci et après,
c'est à dire, tout au long du cycle de vie du projet. Les impacts sur le
mode de vie, les impacts culturels, communautaires, sur les
commodités/qualité de vie et sur la santé sont pris en
compte. Les analyses essaient de prévoir les changements potentiels pour
tenter de réparer les injustices prévues ou les
déséquilibres. Le but étant de regarder les impacts
sociaux du développement économique et les impacts
économiques des développements sociaux en considérant et
portant attention aux bénéficiaires et parties prenantes du
projet.
Au cours du stage, nous avons rencontré la volonté
de travailler à la problématique des Rroms. Ces populations
d'Europe de l'Est bénéficient actuellement d'une MOUS
(Maîtrise d'Oeuvre Urbaine et Sociale) sur la ville d'Aubervilliers. La
mairie a donc mise à disposition des populations qui étaient dans
des « cabanes » de bois des caravanes puis des mobil-homes pour
intégrer ces populations à la France. Sans avoir fait
d'évaluation d'impact, nous pouvons décrire le projet comme ayant
considéré que ces populations sont sédentaires et que
travailler sur le logement est un point positif. Cependant, le projet n'a pas
pris en compte la culture communautaire de ces populations. De fait, le projet
vise à faire sortir des mobil-homes les populations dans les trois ans
en vue d'un logement pérenne. Les populations n'auront alors plus de
contacts entre elles. Elle n'auront plus de « chef » qui est un
élément de leur structuration commune. Enfin, les mobil-homes
sont occupés à conditions très favorables. Qu'aura
à gagner une famille à intégrer un appartement plus cher
et à payer des charges de copropriété avec des
colocataires inconnus et sans chef. L'analyse d'impact sur la pauvreté
et le social (AIPS) se doit de le prévoir et mettre en place des mesures
de corrections des problématiques produites par le projet ainsi que
l'association des populations concernées. Nous voyons que l'analyse
sociale n'annule pas le projet prévu mais lui demande des
réorientations au cours du processus. Il ne gage pas forcément de
réussite l'action mais permet d'éviter des
déséquilibres sociaux qui pourraient mettre à mal la
durabilité du projet. Ces
31 Guide pour l'Analyse des Impacts sur la Pauvreté et le
Social,
P.
1.
wwwwds.worldbank.org/.../000090341_20041104122952/Rendered/PDF/304050FRENCH0PSIA0Users0Guide01
may020031.pdf
approches permettent d'envisager les droits des personnes, un
niveau de vie respectant la satisfaction des besoins et l'autonomie
individuelle et collective. Là-encore, l'évaluation ne se fera
pas seulement sur le résultat mais tout autant sur la qualité du
processus mis en oeuvre et en associant les personnes concernées.
« Maintenant, les autres dimensions du bien-être et de
la pauvreté tels que les indicateurs de développement humain et
de développement social abordant le risque, la
vulnérabilité et, le capital social font l'objet d'une
réflexion plus approfondie. En entreprenant l'AIPS, l'analyste devra
choisir les indicateurs appropriés du bien-être et de la
pauvreté basés sur le pays et le contexte des politiques et
réformes. » 32 Ayant vu dans notre première partie une
possible définition de la pauvreté à partir de l'approche
selon les capacités, nous venons de regarder l'évaluation de ce
qui peut se faire pour lutter contre elle. Nous ne pouvons agir sur la
pauvreté sans prendre en compte les conséquences liées
entre les secteurs économiques et sociaux. Nous ajoutons aussi le
secteur environnemental pour une durabilité tant écologique que
sociale et économique du mode de développement mis en oeuvre.
Regardons maintenant quelques indices synthétiques33.
2.2. Les indices de pauvreté du PNUD
(IDH-IPH)
2.2.1. l'IDH et l'IDH-2
Le premier indice connu est le PIB (Produit Intérieur
Brut). Il se concentre sur la production et l'accumulation des biens d'une
société. Celui-ci se concentrant uniquement sur
l'économie, il ne permet pas d'évaluer entièrement la
pauvreté. Même s'il est complété par le PIB en PPA
(Parité de Pouvoir d'Achat) pour essayer de lui rendre une
vérité plus grande en fonction du contexte de la population, il
reste un déficit d'angle de repérage du caractère
pluridimensionnel de la pauvreté. C'est aussi un indice qui se focalise
uniquement sur le quantitatif. A partir des travaux d'Amartya Sen, le PNUD a
développé un autre indice à la fin des années 1980
; l'IDH (Indice de développement humain).
Cet indice veut répondre à la pauvreté
d'accessibilité et de potentialités, à une vision de la
pauvreté à partir des capacités. Trois capacités
à acquérir sont mises en avant : les capacités à
bénéficier d'une longue et saine vie, d'accéder à
une éducation et aux connaissances et d'avoir accès aux moyens
financiers permettant de répondre à ses besoins
32 Idem, p.4
33 « Un indice synthétique est une grandeur composite
qui résume un ensemble d'indices simples basés sur des grandeurs
hétérogènes »
essentiels. L'IDH retient trois dimensions : « L'indicateur
du développement humain (IDH) est un indicateur composite qui mesure
l'évolution d'un pays selon trois critères de base du
développement humain : santé et longévité
(mesurées d'après l'espérance de vie à la
naissance), savoir (mesuré par le taux d'alphabétisation des
adultes et le taux brut de scolarisation combiné du primaire, du
secondaire et du supérieur), et un niveau de vie décent
(mesuré par le PIB par habitant en parité de pouvoir d'achat en
dollars US (PPA)). »34
Pour notre contexte de Seine-saint-Denis et plus globalement de
Région Ile de France : « L'application de cet indice à
l'échelle régionale est apparue peu adaptée pour plusieurs
raisons. Le taux d'alphabétisation qui a une signification dans le cas
d'une comparaison
internationale perd de sa pertinence à l'échelle de
la région et plus largement dans le cas des pays
développés. La deuxième limite tient à la «
perméabilité » des limites régionales et à la
signification des indicateurs calculés à l'échelle
régionale. Ainsi, le PIB régional reflète-t-il moins le
niveau de vie des Franciliens que la forte concentration de sièges
sociaux et d'entreprises en Ile-de-France. Il en va de même du taux de
scolarisation surévalué du fait de l'attractivité et de la
concentration des structures universitaires et des écoles dans la
région capitale. »35 Nous verrons les atouts des indices
synthétiques mais nous devons reconnaître que l'IDH est peu
adapté à l'Ile de France. Il reste néanmoins un indicateur
pertinent et s'imposant au niveau international et en particulier pour les pays
les moins avancés selon les catégorisations du PNUD (pays
développés/pays moyennement avancés et pays les moins
avancés).
C'est en ce sens que le rapport de l'IAURIF propose un indice de
développement humain adapté à notre contexte, l'IDH-2. Ce
nouvel indice pour « pays riches » reprend les trois dimensions de
l'IDH historique mais diffère parfois dans les méthodes de calcul
et dans les indicateurs retenus.
Pour la capacité à une vie longue et saine,
l'espérance de vie, le même indicateur est
retenu.
Pour la capacité d'accès à
l'éducation et aux connaissances, « il s'agit du pourcentage de la
population de plus de 15 ans (non scolarisée) diplômée.
»36 Cela permet d'évaluer l'efficacité du
système éducatif en vigueur d'une part et d'autre part nous avons
accès à des
34 Rapport mondial sur le développement humain, P.226.
http://hdr.undp.org/reports/global/2005/francais/
Nous mettons en annexe 3 le mode de calcul des indicateurs synthétique
du PNUD (P.352 du rapport 2005).
35 Institut d'aménagement et d'urbanisme de la
région d'Ile-de-France (IAURIF), « Les indices synthétiques
du PNUD : IDH, IPH, IPF en région Ile-de-France », Paris, 2007.
36 « Les indices synthétiques du PNUD : IDH, IPH, IPF
en région Ile-de-France », o.c., p.34
données très fines allant jusqu'au niveau
communal.
Pour la capacité d'accès aux moyens financiers
permettant de répondre à ses besoins essentiels et avoir un
niveau de vie décent, « la médiane des revenus fiscaux des
ménages par unité de consommation, exprimé en euros, et
que nous avons décidé de traduire en dollars US et en
parité de pouvoir d'achat (par soucis de mimétisme avec l'IDH)
» est l'indicateur retenu. L'avantage est de se concentrer sur les
familles plus que les entreprises qui contribuent au calcul du PIB. Avec cette
méthode de calcul, l'IDH-2 des départements d'Ile de France est
calculable et donne des résultats probants quand aux territoires. La
Seine-Saint-Denis est le département avec l'IDH-2 le plus faible (0,624)
derrière la moyenne nationale, elle-même derrière tous les
autres départements d'Ile de France. Ceci permet de
révèler les inégalités de territoires au sein d'une
même région. Le rapport va même plus loin pour les communes
de la petit couronne parisienne. Les inégalités se
révèlent être parfois très forte. « En l'an
2000, au sein de la petite couronne, la médiane communale des revenus
des ménages (par unité de consommation) allait de 8.155 euros sur
la commune de Clichy-sous-Bois à 34.143 euros à
Neuilly-sur-Seine... soit un rapport de 1 à 4,2 ! »37
Ceci révèle que la Seine-Saint-Denis, en dessous de
la moyenne nationale, demande un traitement à part. Nous pouvons
comparer les autres départements entre eux mais la Seine- Saint-Denis
pourrait avoir un indicateur spécifique du à sa situation
particulière. Nous y reviendrons dans notre prochain chapitre.
2.2.2. L'IPH1 et l'IPH2
L'IPH ou indice de pauvreté humaine. Cette indice est
né après l'IDH. Il existe sous deux formes. L'IPH-2 pour certains
pays de l'OCDE38 et l'IPH-1 pour les pays en développement.
Il révèle les difficultés que nous avons pu rencontrer
avec l'IDH, indice révélateur de dysfonctionnement et/ou
d'avancée pour les pays moyennement développés mais
difficilement applicable dans un contexte de pays avancés comme
peut-être la France aujourd'hui.
L'IPH est comme l'IDH à l'envers. Il se focalise sur ceux
qui ne profitent pas du développement. Il est donc central dans notre
réflexion sur la pauvreté et le développement. «
Alors que l'IDH mesure le niveau moyen atteint par un pays donné,
l'IPH-1 s'attache aux carences ou manques observables dans les trois dimensions
fondamentales déjà envisagées
37 Idem, p.43
38 Organisation de coopération et de développement
économiques.
par l'indicateur du développement humain. [...]L'IPH-2
mesure les carences sous les mêmes aspects que l'IPH-1, en y ajoutant
l'exclusion. Il comporte donc quatre variables : »39
Les indicateurs retenus pour chacune des dimensions sont :
- La probabilité à la naissance de ne pas atteindre
60 ans (vie longue et saine)
- Le taux d'illettrisme des adultes (16-65 ans) (éducation
et connaissances)
- Le pourcentage de la population en dessous du seuil de
pauvreté (moyens pour répondre à ses besoins et niveau de
vie)
- L'exclusion est mesuré par le taux de chômage de
longue durée (plus d'1 an) L'IPH-2 en Ile de France :
Là encore, la Seine Saint Denis se retrouve en
dernière position derrière la moyenne nationale.
L'IPH comme l'IDH sont intéressant pour comparer des
territoires. En ce sens, ils nous révèlent les difficultés
d'un département comme la Seine-Saint-Denis dans sa région et
même au niveau français. Cependant, ces indices ne nous ont pas
permis d'avoir une vue temporelle. Nous sommes restés sur des
comparaisons territoriales.
2.3. Un indice pour la Seine-Saint-Denis, lieu du
stage.
D'autres indices que ceux du PNUD existent. Nous pensons ici
à l'ISS (Indice de Santé Sociale) et au BIP 40.
2.3.1. I.S.S. et BIP 40
L'I.S.S. a été développé aux
Etats-Unis. L'intuition qui a prévalu à l'élaboration de
cet indice est le fait que nous ne savons pas évaluer la pauvreté
autrement qu'avec le PIB. Nous parlons de santé économique d'un
pays mais comment pourrions nous envisager la santé sociale d'un pays ?
L'intuition, ici, n'est pas de comparer des territoires comme ce fut le cas des
indices du PNUD mais d'envisager la santé sociale sur un territoire et
son évaluation dans le temps40. Un des avantages de l'indice
est de provoquer le débat et de mettre en lumière des zones de
pauvreté dans un contexte d'abondance, en l'occurrence, les Etats-Unis.
Les auteurs de l'indice ont développé 16 indicateurs en fonction
de l'âge. Ils ont retenu quatre tranches
39 Rapport mondial sur le développement humain, o.c.,
p.354
40 Les données planchers et plafonds retenues sont
élaborées en fonction du temps et non en fonction de comparaison
territoriale.
d'âges : enfance, jeunes et adolescence, âge adulte
et personnes âgées. L'idée est que chaque tranche
d'âge rencontre des difficultés différentes.
Ce tableau publié en 1995 dans la revue Challenge a
amené une popularité à l'indice41. Quand on
voit chuter l'ISS, le PIB « s'envole » ! Ce tableau ne dit pas que
l'ISS est plafonné à 100 par la méthode de calcul quand le
PIB ne l'est pas. Les méthodes de calcul ne les rendent pas comparables
mais de fait, le tableau pose question et c'est là son objet. De plus,
l'ISS peut être évalué dans le temps. Il peut être
analysé, savoir quels indicateurs évoluent positivement ou non.
Cela donne des tendances qui donnent lieu à des commentaires et des
débats.
En France, il a été développé un
autre indice, le BIP 40. Il fonctionne de la même manière que
l'ISS ou presque. C'est un peu comme l'IDH et l'IPH. Si l'ISS est la mesure de
la santé sociale, le BIP40 (en référence provocante au PIB
et au CAC40) mesure la pauvreté et les inégalités. C'est
l'ISS à l'envers mais construit différemment. Les tranches
d'âge ne sont pas retenues. L'indice recherche à couvrir tous les
domaines de la pauvreté et des inégalités. Il y a six
catégories retenues : Emploi, Logement, Pauvreté, Revenus,
Travail et Santé. Ces six catégories sont alors
agrémentées d'indicateurs42. Le problème que
nous rencontrons avec le BIP40 comme avec d'autres indices est sa
contextualisation à la région Île de France. Non pas que
l'indice ne soit pas adapté mais ses sources de données sont
nationales et ne sont pas
41 Cité par « Les indices synthétiques du PNUD
: IDH, IPH, IPF en région Ile-de-France », o.c., p.82
42 Pour l'ensemble des indicateurs :
www.BIP40.org
régionalisables. Le BIP40 est un indice national
uniquement. Il se peut qu'un jour, des travaux soient entrepris pour pallier
cette ennui mais dans l'état actuel des publications du Réseau
d'Alertes sur les Inégalités (RAI) qui édite le BIP 40, il
n'y a pas de données disponibles pour les régions.
2.3.2. Un indice spécifique pour la
Seine-Saint-Denis à partir des pratiques du stage.
Le rapport de l'IAURIF que nous avons suivi propose un
schéma pour la mise en place d'un indice43.
A partir de ce que nous avons expérimenté durant le
stage nous pensons que certaines données mériteraient de rentrer
dans un tel schéma. La différenciation en fonction des classes
d'âge comme le propose l'ISS nous paraît très
intéressante et correspond aux thèmes du schéma. Ceci
permet de prendre en compte l'accès à différentes
structures des tranches d'âge considérées ce qui correspond
aux indicateurs.
Indice de pauvreté en Seine-Saint-Denis
Indicateur (I)
EnfanceAdolescence Adulte Personnes
âgées
I
I
I
I
I
I
I
I
I
I
43 p. 90
2.3.2.1. L'enfance (0 - 7 ans)
- Les places de crèches pondérées avec le
nombre d'assistances maternelles. Ces données
sont disponibles à l'échelle
départementale et depuis plusieurs années. Cela est d'autant
plus capital dans le cas de familles mono-parentales de plus en
plus nombreuses. - L'accès à l'école dès 3 ans. Ce
n'est pas une évidence dans le département.
- L'accès des enfants à une alimentation
équilibrée et diversifiée, l'accès aux jeux.
2.3.2.2. Jeunesse et adolescence
- L'accès aux centres de jeunesse, aux maisons de la
culture ou aux structures leur étant destinés. Sachant qu'un
jeune sur 3 à moins de 20 ans en Seine-Saint-Denis, ce point aurait une
pondération importante.
- L'accès à l'école et le choix de
l'école. Comme nous l'avons dit dans notre première partie, il y
a la question de l'accès mais aussi celle du choix dans la
pauvreté. Maintenant que la carte scolaire est remise en cause, il
pourrait être intéressant de regarder l'effet d'une telle mesure
en Seine-Saint-Denis.
- La présence d'une école de la deuxième
chance et son accès.
- L'accès aux communications internet qui conditionne
aujourd'hui l'insertion dans la société.
- L'accès au premier emploi et le nombre de stages
effectués avant celui-ci.
- Le taux de suicide des jeunes et la participation à la
vie associative.
- Le taux de satisfaction quant aux lieux de vie.
2.3.2.3. Age adulte
- L'accès aux transports, stations de métro, de
RER, de Bus sur la commune, les communes limitrophes, le département. Le
focus sur la commune est primordial dans des villes comme Clichy-sous-Bois
où pour aller à Paris ou en Seine-Saint-Denis, il n'y a aucun
RER, tram ou train mais seulement un bus pour rejoindre un RER qui rejoindra un
métro !
- L'accès au logement et le choix du logement. En
Seine-Saint-Denis, la question est majeure. Il faudra prendre en compte la
question épineuse et controversée des sans- papiers.
- L'accès à la santé. L'hôpital le
plus proche et le choix de l'hôpital. Le nombre de lits et de services
disponibles.
- L'accès au travail et/ou aux minima sociaux. La
corrélation des deux est importante quand on sait que de plus en plus de
travailleurs n'ont pas de logements par faute de revenus conséquents.
Dans ce cas précis, le travail en contrat précaire offre des
données capitales.
- L'accès aux papiers pour les étrangers et le
choix du lieu/pays de résidence.
- L'accès à une religion et à une
Église sur son territoire. La Seine-Saint-Denis compte 197
nationalités repérées44. Sachant que la plupart
des pays du monde ont des pratiques religieuses importantes, cette
accessibilité et ce choix sont importants pour le bonheur des gens afin
de bien-être et faire.
2.3.2.4. Les personnes
âgées.
- Les places en maison de retraite, long séjour et maison
médicalisée pour les personnes âgées.
- L'accès à un niveau de revenu suffisant pour se
loger et se nourrir. De fait, si la pauvreté monétaire a beaucoup
chuté après les années 1970 grâce aux retraites, le
problème revient
sur le devant de la scène avec les petites retraites, les
pensions de reversions, certaines branches comme les agriculteurs, les
artisans, etc45.
- L'accès à une mutuelle de santé en
considérant l'âge de la personne.
2.3.2.5. Les limites d'un tel exercice
:
Elles sont nombreuses et inhérentes à ce genre
d'exercice. Nous regarderons celles-ci dans le point suivant ainsi que les
opportunités que cela donnent. Il nous faudra évoquer la place
des personnes concernées par l'indice retenu. Il nous faudra aussi
revenir sur notre définition de la pauvreté : pauvreté
d'accessibilité et pauvreté de potentialités. Sur ce
dernier point, nous devrons évoquer l'évaluation de la
liberté. Ici la philosophie croise l'éthique
économique.
2.4. Difficultés et opportunités des
indices
Les indices que nous avons évoqués pour mesurer la
pauvreté présentent des avantages
44 Nombre évoqué par le préfet de Seine
Saint Denis en septembre 2007 lors du départ du préfet à
l'égalité des chances.
45 « Même si elle est sous-estimée, la
pauvreté a indéniablement régressé depuis le
début des années 1970. Cette évolution est
particulièrement nette pour les personnes âgées. Leurs
ressources se sont, en effet, améliorées, "grâce à
la maturité du système de retraite par répartition",
souligne le rapport. Résultat : moins de 4 % des retraités
étaient pauvres en 2001, contre 30 % trente et un ans auparavant. »
Bertrand Bissuel, Le Monde, édition du 10/04/2004.
mais aussi des inconvénients. Un de ceux-ci est leur
nombre. Lequel retenir ? Cela peut-aussi être une chance pour ne pas
normaliser un indice hors de tout contexte comme nous avons pu le voir avec
l'IDH-2 et l'IPH-2 ou encore l'ISS et le BIP 40.
2.4.1. Difficultés des indices
Pour évaluer toute la difficulté de l'exercice nous
citons une étude récente sur la mesure du développement
social : « En ce qui concerne l'aide au développement, il ne s'agit
plus de 'plaquer' une conception du bien-être axée sur la mise
à disposition de biens matériels sans s'intéresser
à leur impact effectif sur la vie quotidienne des gens, mais bien de
construire avec ces derniers à la fois les indicateurs de leur
bien-être et les instruments de son amélioration. »46
2.4.1.1. Indice limité au champ
économique
Nous l'avons vu lors de l'analyse rapide du PIB. Cette indice se
limite au champ économique et à l'intérieur de celui-ci ne
considère que certains domaines. Aucune prise en compte du secteur
non-marchand, une partie des activités des associations par exemple. Il
n'inclut guère les impacts négatifs de la consommation des
ressources pour les populations futures. Enfin, cet indice est le même
pour tous les pays et les personnes de ces pays. Il ne prend pas en compte les
inégalités à l'intérieur d'un pays. L' indice de
Gini développé par la Banque Mondiale peut à ce titre
être un complément important pour l'analyse47. Cet
indice est cependant limité à une vision utilitariste du
développement.
2.4.1.2. Indice non reconnu
institutionnellement.
Si aujourd'hui l'IDH est reconnu, c'est grâce au rapport
annuel du PNUD, au prix nobel d'économie d'Amartya Sen. Il acquiert
alors une valeur subjective qui le rend crédible et utilisable. Un
indice comme le BIP40 n'a pas ce poids même si la transparence de sa
mesure ne peut être remis en cause. Un indice a besoin de
notoriété pour atteindre le but recherché, la mobilisation
en faveur du développement humain, juste et durable.
46 Groupement d'Intérêt Public
Santé-Protection Sociale Internationale (GIP SPSI), « mesurer le
développement social », avril 2007, p.1 :
http://www.gipspsi.org/GIP_FR/content/download/3176/26460/version/1/file/Mesure%20du%20d
%C3%A9veloppement%20social.pdf
47 Indice de Gini (mesure de l'inégalité de la
répartition des revenus), Source : Banque Mondiale, Human Development
Network,
http://devdata.worldbank.org/hnpstats/
2.4.1.3. Indice où chiffres et statistiques
sont difficiles à obtenir.
Certains indices se basent sur la comparaison territoriale ou
spatiale comme l'IDH. D'autres se basent sur la temporalité comme l'ISS
ou le BIP40. Ces indices acquiert de la valeur avec des statistiques et des
indicateurs qui leur permettent d'avoir une pertinence et d'avoir du sens pour
l'action. Dans notre tentative de proposition, certains chiffres sont
conjoncturels et auront du mal à être collectés et
restés valables sur une période de temps assez longue. Nous
pouvons penser à la question des sans-papiers comme problématique
conjoncturelle.
2.4.1.4. Indice insistant plus sur les
pauvretés d'accès que sur les pauvretés de
potentialités.
La problématique est ici de retomber dans le travers de
l'utilitarisme économique. Nous pouvons à ce niveau rester
centrés sur les pauvretés de besoins. Une lecture de l'IDH peut
tomber dans ce travers. Nous sommes alors dans la perspective d'une
société de droit mais pas forcément de justice. Les
personnes ont accès à un capital humain mais n'ont pas
forcément d'opportunité de le mettre en oeuvre. Nous pourrions
imaginer un pays où l'on a construit des écoles, des
hôpitaux, des dispensaires, creusé des puits et des retenues d'eau
avec possibilité d'irrigation mais sans prévoir de personnels
formés. Les gens ont accès à la santé,
l'éducation, l'agriculture mais ne peuvent les mettre en oeuvre. En
Seine-Saint-Denis, nous pouvons donner accès et inciter les entreprises
à s'établir par des zones franches, des avantages fiscaux. Mais
a-t-on prévu le logement des salariés? L'entreprise pourra
s'établir mais ne pas trouver de travailleur-cadres pour faire
fonctionner l'usine. Les indices doivent prendre en compte une
réalité contextuelle complexe et en même temps avoir pour
certains d'entre eux une capacité de comparaison territoriale.
2.4.1.5. Indice conçu sans pratique de terrain
et sans concertation avec la population
concernée.
C'est l'écueil de la plupart des indices et de celui que
nous avons proposé. Ils sont formulés par ceux qui les utilisent.
Cela reste une approche « top-down » alors que l'approche que nous
avons voulu développer est une tentative d'associer les personnes
dès le début des calculs et du processus. Un exemple est ici
important à noter, c'est celui de la Banque Mondiale avec « voices
of the poor »48 en l'an 2000 : « Des équipes de la
Banque et de
48 « I would like to say that, as far as the Bank is
concerned, this listening to the voices [of the poor] and acting on the focus
of their remarks is going to be central to our work as we move forward. Both
institutionally and as individuals, we have to judge what we are doing
vis-à-vis these voices. -- World Bank President James Wolfensohn,
September 1999 Address to the Board of Governors
certaines organisations non gouvernementales ont recueilli les
témoignages de 60 000 pauvres, hommes et femmes, dans 60 pays.
»49 Ce travail gigantesque a fait jaillir un élan
nouveau à l'intérieur de l'institution pour remettre en cause les
principes très centrés sur l'économie afin de lutter
contre la pauvreté. Si les résultats de cette étude sur le
changement de stratégie de la structure peuvent être
discutés, la méthode a le mérite d'être
notée. Elle a certainement permis à l'institution de sortir d'une
vision uniquement économique de la pauvreté. Sa récente
vision centrée sur la lutte contre la corruption peut faire penser que
la lutte contre la pauvreté à partir de la parole des pauvres a
été laissée pour compte... Nous pouvons avancer que la
parole des pauvres a été entendue par la Banque mais que les
pauvres n'y ont pas trouvé place. En ce sens, l'écoute de la
parole des pauvres, le diagnostic partagé est une étape du
processus mais non le sésame de la réussite.
2.4.1.6. Avoir accès à des
données locales.
L'OCDE propose des indices multiples comme ceux-ci : Niveau moyen
de satisfaction de vie et variation de satisfaction de vie des personnes contre
PIB par habitant (lien revenu et bien-être), Fréquence de contacts
des personnes dans des milieux différents (mesure de
sociabilité), Proportion des personnes déclarant être
membre actif ou inactif d'une association, par type d'association, suicides
pour 100 000 personnes, par groupe d'âge,
etc50. Ce type de données seraient propices
à des indicateurs locaux pertinents mais les données ne sont pas
accessibles au niveau local. Les contextualiser au niveau départemental
pourrait être un apport important à la prise de conscience de la
valeur subjective de nos regards sur le bien-être mais nous n'avons pas
les données.
2.4.1.7. Indice regroupant des chiffres très
disparates et nombreux.
Dans la plupart des indices, les données sont disparates
et ne sont pas forcément de même nature. Comparer la richesse avec
le bien-être. L'éducation avec la santé, etc. Ceci peut
remettre en cause la pertinence de l'indice concerné comme étant
composite et non cohérent. Ceci peut aussi être l'inverse, nous le
verrons. Le danger est le nombre d'indicateurs. Ceci peut être le cas du
BIP40 qui contient tellement d'indicateurs que le poids de l'un par rapport
à l'autre est discutable. Un indicateur du BIP40 peut changer d'une
année sur l'autre sans que l'ensemble n'en soit perturbé. Sans
une analyse fine des résultats, le changement peut passer à
côté de l'interprétation de l'indice.
49
http://www.worldbank.org/html/extdr/am99/jdw-sp/jdwsp-fr.htm
50
http://www.oecd.org/dataoecd/34/13/34542721.xls
2.4.1.8. Choix des calculs et des
pondérations.
Objectifs et subjectifs, des choix sont à opérer
pour la pondération des indicateurs
« En effet, la difficulté inhérente aux
indices synthétiques tient aux valeurs et aux conventions qui les
soutiennent : qu'entend-on par développement, bien-être,
santé sociale, progrès
social ? Où s'arrêtent les inégalités
et où commence la différence ? Quels taux plancher, plafond, et
quel mode de pondération retenir ? Toutes ces questions renvoient
à des choix subjectifs et à des conventions discutables. Les
débats autour du calcul du PIB par habitant ou celui autour de l'indice
des prix qui, pour beaucoup, reflète de moins en moins bien
l'évolution du niveau de vie, montrent que même les indicateurs
économiques « sérieux » reposent sur des conventions et
des choix. »51 C'est certainement l'objection majeur. En ce
sens, l'indice prend du sens une fois reconnu. Nous avons vu que l'IDH a fait
la « gloire » du PNUD ou le PNUD celle de l'IDH. L'ISS a
été révélé par la revue Challenge.
Les indices se basent sur des données objectives dans la
majorité des cas mais leur agrégation et leur appréciation
ne le sont pas.
2.4.2. Opportunité des indices
2.4.2.1. Un diagnostic de la pauvreté
comparatif.
Les indices permettent de faire des choix d'action. Quand on
remarque la proportion de pays d'Afrique subsaharienne parmi la liste des pays
les moins avancés (PMA) du PNUD, il est des choix qui se font en
étant fondés. Un indice permet de mettre la lumière sur
une pauvreté que l'on peut ignorer. Nous pensons ici à l'ISS qui
a révélé que le PIB des USA ne voulait pas
forcément dire que la richesse était également
répartie et utilisée entre les citoyens. C'est une fonction
première des indices, ils indiquent !
Ils permettent enfin d'opérer un diagnostique territorial
à l'échelle d'une région, d'un département, d'une
ville. Comme nous l'avons déjà dit, en fonction de l'indice, des
comparaisons peuvent être faites. Celles-ci peuvent être spatiales
ou temporelles.
2.4.2.2. Poser les « bonnes » questions,
mettre à jour des situations et revoir des concepts.
Les indices, de par le choix qu'il faut opérer pour leur
agrégation, demandent de se poser des questions cruciales. Les notions
envisagées sont reconsidérées, définies à
nouveaux frais. Les notions que nous avons approchées au long de notre
première partie : pauvreté et
51 « Les indices synthétiques du PNUD : IDH, IPH, IPF
en région Ile-de-France », o.c., p.10
développement sont portées au devant de la
scène, y compris de la scène politique. Elles rendent visibles
aux yeux des politiques des notions parfois occultées. L'exemple de
l'impact de l'ISS aux USA et du BIP 40 en France est frappant. Quand le Niger
est devenu le pays classé dernier du rapport sur le développement
humain du PNUD en 2005, le gouvernement Nigérien a fait connaître
son mécontentement et contesté le calcul52. Si passer
de la position de 174° à 177° n'a pas fondamentalement
changé la vie des nigériens, la position de dernier sur les
statistiques du PNUD a pu amener la communauté internationale et la pays
concerné à se poser des questions sur la situation du
développement dans ce pays.
2.4.2.3. Rendre compte de phénomènes
complexes.
Comme nous l'avons vu dans les critiques, les indicateurs sont un
agrégat de données rassemblées mais pouvant provenir de
domaines différents. La popularité de la notion de
développement durable aidant, les indices rassemblent de plus en plus de
données provenant de différents domaines ; social,
économique, environnemental et politique sans oublier les domaines
culturels que les populations des pays en développement demandent
à voir faire partis des calculs et des indices. Ceci serait aussi
à prendre en compte dans un département comme la
Seine-Saint-Denis qui compte 197 nationalités différentes comme
nous l'avons déjà noté.
2.4.2.4. Approche quantitative et qualitative :
subjectivité possible
C'est certainement le point fort des indices composites. Ils nous
permettent d'avancer sur le chemin d'une évaluation de la
pauvreté comme subie par les populations de manière objective
mais aussi subjective. Les données collectées par l'OCDE par
exemple sont très prometteuses. La tentative de la Banque Mondiale
« Voices of the poor » est là aussi novatrice et indique des
changements dans l'approche et l'évaluation de la pauvreté. Si
elle est multidimensionnelle la pauvreté fait aussi partie d'un
ressenti, d'une émotion : « Poverty is like living in jail, living
under bondage, waiting to be free »53. Pouvoir associer des
données objectives et subjectives donnent aux indices une plus grande
analyse de la situation au regard de l'approche par les capacités comme
nous avons voulu le faire.
52 « Dès la publication de ce Rapport, le
Gouvernement nigérien a élevé une "vive protestation" ;
l'année dernière, le Niger était classé 174e sur
les 177 pays du Monde. »
http://www.sahariens.info/spip_sahara/spip.php?breve265
53 Voices of the poor
2.4.2.5. La place des personnes dans les
indices
Aujourd'hui, nous pouvons donner place aux personnes dans
l'établissement des indices. Ceci ne se fait pas encore. La tentative de
la Banque Mondiale est une première dans le domaine international. En
France, le BIP 40 n'est pas fait par des personnes en situation de
pauvreté. Au cours du stage, nous avons pu avoir connaissance d'une
enquête du Secours Catholique sur la pauvreté des familles et
enfants en difficulté. Celle-ci comporte des questions dont les
réponses proposées sont des reprises des paroles des personnes
elles- mêmes. Ces démarches se multiplient aujourd'hui. Nous
n'envisageons plus de faire sans les personnes même si cela reste encore
bien souvent du domaine de l'utopie. Un décentrement du point focal de
notre attention est à opérer. Nous essaierons de le
conceptualiser dans notre prochaine partie et la relation des
bénévoles avec les personnes. Une approche philosophique de
l'être avec l'autre comme partant de notre vulnérabilité
pour rejoindre la sienne sera une piste importante.
3. Quelle compréhension par les acteurs du
Secours Catholique de la lutte contre la pauvreté. Limites et
potentialités rencontrées durant le stage.
Une fois établie une approche de la pauvreté selon
les capacités, nous avons essayé d'esquisser le contour d'un
indice contextualisé. Nous avons vu la difficulté de l'approche
avec des objections qu'il nous faut prendre en compte. Cependant la tentative
doit être menée. L'obstacle ne sera pas forcément la juste
critique des données de l'indice ou de la subjectivité du choix
de la pondération de l'agrégation. L'obstacle majeur nous semble
être la place des personnes dans le processus d'analyse et
d'évaluation. Nous verrons que les acteurs sont mues par des
visées différentes et parfois opposées. L'avenir de
l'association passe par le croisement de ces regards pour une cohérence
renforcée et dynamisante.
Nous proposerons une analyse du regard des acteurs de
l'association. Nous ne prétendons pas porter quelque jugement que ce
soit. Une association vit des mutations permanentes. Vivant au coeur de
l'association, nous avons conscience du manque de recul pour analyser celle-ci
de manière sereine et le plus objectivement possible. Nous tenterons
d'avoir un certain recul par rapport à notre place au sein de la
structure. Nous pouvons aussi regretter de ne pas avoir eu le temps de
questionner les différents acteurs pour avoir la parole des personnes
concernées.
3.1. Difficultés et ouvertures face aux
politiques de l'association et aux donateurs.
3.1.1. Communiquer aux donateurs les résultats par
des chiffres.
Le Secours Catholique fonctionne grâce à ses
donateurs nombreux et qui représentent 44% de ses ressources en 2006 et
66% si l'on y ajoute les legs54. Cet état de fait donne au
Secours Catholique des droits et des devoirs. Il doit expliquer aux donateurs
ce qu'il est fait de leur argent mais aussi l'utiliser en fonction de l'appel
qui a été envoyé pour cela. La Cour des comptes qui a
audité le Secours Catholique en 2006-2007 l'a
vérifié55. Le donateur donne pour une cause qui doit
être mise en oeuvre par l'association. La structure doit donc communiquer
sur ses résultats. Ceux-ci sont souvent centrés sur les chiffres.
« 1 600 000 personnes accompagnées par le Secours Catholique en
2006 : là est le coeur de l'activité de
l'association. »56 : C'est la première
phrase de l'éditorial du rapport d'activité qui ne vient que
renforcer la présentation de l'action en page 2 du rapport «
Actions En France : 1 600 000 personnes accueillies et accompagnées
chaque année dans plus de 2 000 lieux d'accueil. A l'international : 574
opérations menées en 2006 dans plus de 80 pays, en lien avec le
réseau Caritas Internationalis (162 Caritas nationales) ; 5 800 000
bénéficiaires directs de l'aide internationale. ». Sans
contester les chiffres, leurs présences semblent cacher la relation des
acteurs du réseau face à leur résultats. Ou encore, que
les résultats ne sont pas l'accompagnement mais le nombre de personnes
accompagnées. La suite du rapport va dans le sens inverse. Plutôt
que de décrire des chiffres ou donner des tableaux, il développe
des actions et la pédagogie du Secours Catholique tant en France
qu'à l'international. Il n'en reste pas moins que ce qui est mis en
avant n'est pas la réussite des personnes mais celle du Secours
Catholique !
3.1.2. Une institution qui se regarde.
Si nous regardons les 4 actions de l'année mises en
avant, il y a : la réorganisation de la structure, l'enracinement
évangélique, le 60° anniversaire de l'association et un
paragraphe sur les choix. Tout ceci est symptomatique d'un « auto-regard
» ne parlant peu de la place et de la parole des personnes
accompagnées ou mieux, associées avec le Secours Catholique. En
page
54 Bilan financier 2006, disponible en ligne :
http://www.secourscatholique.asso.fr/telechargements/bilan_financier_2006.pdf
55
http://www.ccomptes.fr/CC/documents/COFAGP/SecoursCatholique.pdf
56 Rapport d'activité 2006, disponible en ligne à
la même adresse.
6, nous lisons : « Le Secours Catholique pèse de tout
son poids institutionnel pour agir sur les causes, alerter sur les
conséquences et proposer, le cas échéant, les changements
nécessaires pour des situations rencontrées par ses 4 200
équipes en France. Le Secours Catholique confirme sa présence
dans de nombreuses instances et sa participation aux rencontres
institutionnelles, associatives et gouvernementales. Transversale à
toutes les activités, l'action institutionnelle implique le plus souvent
la mobilisation des délégations locales et des actions
concertées avec d'autres organismes. » Nous ne pouvons que nous
réjouir que l'action sur les causes et pour l'accès des personnes
à un capital humain nécessaire à la lutte contre la
pauvreté soit mis en avant. Mais là encore le seul Secours
Catholique est acteur avec parfois la mobilisation des
délégations et la concertation avec d'autres. Où est la
place des personnes dans ces actions ? En quoi portons-nous la parole des
pauvres ? Cela se fait concrètement au niveau local, pas
forcément au niveau national mais ceci n'est pas mis en avant dans le
début de ce rapport. Le rapport continue en page 13 sur les modes
d'action en France: « En 2006, 87 dossiers inférieurs à 20
000 euros ont pu être examinés en GEP et 64 dossiers
supérieurs à 20 000 euros ont été soumis au Conseil
d'administration. » Nous restons encore sur les chiffres et l'utilisation
de l'argent des donateurs.
3.1.3. La place des personnes
Il faut attendre la page 14 du rapport pour avoir des actions
où les personnes sont motrices : « Opération
«Boîtes aux lettres» au Grand Trou (Vizille) Dans cette petite
cité où vivre ensemble est un défi, une quinzaine de
personnes ont passé deux après-midi à décaper et
repeindre leurs boîtes aux lettres dégradées, créant
une émulation conviviale entre générations et entre
personnes de différentes cultures.
Des fleurs dans le béton (Champfleuri à
Bourgoin-Jallieu) La présence d'une animatrice habitant le quartier a
permis une réalisation commune dans le cadre d'un concours d'initiatives
proposé par le bailleur social. Les habitants de quatre immeubles ont
obtenu le premier prix en plantant ensemble des rosiers pour embellir leur
environnement. » Ces deux paragraphes du rapport mettent en avant l'action
des personnes. Nous voyons aussi le résultat sur les personnes et non
sur le Secours Catholique « émulation conviviale entre
générations et entre personnes [...] Les habitants .. .ont
obtenu... ».
Nous percevons à travers ce rapport d'activité la
difficulté de l'association à mettre en avant la parole et la
place des personnes. Cependant des ouvertures sont réalisées et
possibles.
La tendance est plus à mettre les réalisations
de l'association plus que celles des personnes ou de l'association en
partenariat avec les personnes. Une structure dépendant de dons
privés se doit de montrer ses réussites. Nous pouvons penser que
montrer les réussites de personnes est une ouverture à
développer ainsi que les processus de ces réussites comme nous
avons pu le voir avec la façon de traiter l'évaluation de
processus et de résultats.
3.2. Difficultés et ouvertures face aux
salariés.
3.2.1. Une identité à trouver dans les
résultats.
La place des salariés est spécifique dans une
association. Les cadres diocésains sont sous la direction de
présidents bénévoles. Les animateurs, sous la
responsabilité des délégués (cadres
diocésains), encadrent des équipes de bénévoles
locaux. Comme dans toute institution les salariés doivent trouver une
partie de leur identité au travail. « Que fais-tu dans la vie ? Je
suis animatrice au Secours Catholique. » Nous savons que la
société ne pose pas souvent la question : « Qui es-tu ?
» mais « Que fais-tu ? ». Le salarié doit donc remplir
des objectifs que le cadre devra évaluer. Il doit produire un travail :
la mise en oeuvre des orientations nationales et locales. La moyenne
d'âge des animateurs étant relativement jeune (environ 30 ans),
les résultats sont importants pour une bonne intégration et une
valorisation de l'action menée. Pour cela les difficultés se
situent au niveau de l'accompagnement des bénévoles et des
personnes. Ils saisissent le sens des orientations qui est en phase avec leur
propre approche et langage. En ce sens, ils sont aptes à les comprendre,
les assimiler mais rencontrent souvent des difficultés avec les
bénévoles plus âgés. La tentation est alors d'aller
« en direct » avec les personnes. Ils peuvent passer outre les
bénévoles mais les personnes en difficulté ne
répondent pas forcément mieux à leurs initiatives. Ils
sont en but aux renforcement des capacités. Ils vont directement aux
opportunités sans passer par l'accessibilité. Ils ne prennent pas
toujours en compte les vulnérabilités des personnes de part leur
tendance à se fixer sur les résultats à obtenir pour
renforcer une identité à construire.
3.2.2. Un capital humain en décalage avec les
personnes accompagnées
Ayant un capital humain important (la majorité des
animateurs et des délégués ont un niveau de type bac+5),
il est difficile de travailler avec des personnes ayant un déficit de
capital. Le salarié vit alors l'échec de réalisations
exceptionnelles. Il est projeté dans un travail à long terme
où la réussite est plus dans le processus que le résultat.
La qualité du travail est
importante quand son cadre va l'évaluer sous l'angle des
processus. L'importance est donc à mettre sur le « comment »
plus que sur le « qu'as-tu fait, réalisé ? ».
3.2.3. Un pont entre la réalité et le
discours
Une ouverture est visible aujourd'hui dans la prise de conscience
de certains animateurs d'un décalage entre le discours
énoncé et la réalité des bénévoles et
des personnes accompagnées. Le discours favorise l'action collective et
la place des personnes à tous les niveaux. Les animateurs
réalisent que l'action collective est plus un moyen qu'une fin. Il vient
en complément, sans se substituer, à l'accompagnement global
individuel. Enfin, la méthode du développement local, à
laquelle ils ont été formés, rappelle fortement la place
du processus dans le résultat final. En ce sens, l'association
bénéficierait à plus écouter ses animateurs sur
cette approche. Il est, par exemple, symptomatique que le terme « urgence
» ne soit pas présent dans le texte des orientations alors que les
accueils sociaux présents dans presque toutes les équipes
traitent de cette problématique. L'animateur doit alors répondre
aux demandes de bénévoles qui ne sont pas dans une
démarche de développement mais d'urgence devant des populations
sans ressources comme peut être celle des sans-papiers. Ici, l'animateur
doit inventer car l'institution donne une ligne de conduite
générale sans rentrer dans les cas concrets.
3.3. Difficultés et ouvertures face aux
bénévoles.
Le bénévolat est complexe et change : «
[...]un nomadisme associatif croissant, le passage d'une logique militante
à une logique plus contractuelle, nous obligent à tempérer
l'euphorie de ceux qui s'appuient sur des chiffres globaux (13 millions de
bénévoles - plus d'un million d'associations...) pour en tirer
des conclusions hâtives sur la bonne santé du
bénévolat... »57 Cette citation nous
révèle deux choses. Le bénévolat est en
perpétuel mouvement. Ce mémoire n'est pas le lieu de l'analyse du
bénévolat aujourd'hui mais des difficultés à
appréhender la lutte contre la pauvreté pour ce public. En ce
sens, la perte de la logique militante peut être une difficulté
dans le temps. Comme nous l'avons noté, renforcer les capacités
des personnes, en terme d'accessibilité et de potentialités est
long, s'insère dans un processus. Un bénévolat «
nomade associatif » et « contractuel » peut ne pas rentrer dans
cette logique à long terme. Aujourd'hui le bénévolat a la
volonté de réaliser une action plus
57 Sous la direction de de Jacques MALET, « La France
Bénévole », Cerphi, Quatrième édition - mars
2007, p 3
http://www.francebenevolat.org/PDF/La_France_Benevole_2007.pdf
qu'adhérer à un projet associatif : « En
effet, l'« utilité sociale » est aujourd'hui le moteur
principal des engagements bénévoles, plus encore que la cause
défendue »58. Le Secours Catholique est une structure
avec un projet fort, les orientations. Nous présentons celles-ci comme
fondamentales et incontournables pour l'action. Les bénévoles
demandent de l'action à faire. Où est la place des personnes
quand les bénévoles sont centrées sur l'action ? Ce n'est
pas incompatible mais peut vite dériver vers des chantiers d'actions
balisées dans le temps où le point focal sera mis sur les
résultats. Une bénévole me disait récemment :
« Quand j'étais au 'petit'dèj', j'en ai sorti un, au moins
un ! ». Elle se centrait sur les résultats uniquement et non sur
les accompagnements réalisés. Nous n'avons pas questionné
ce que voulait dire « sortir » mais cela aurait certainement
décrit une vision de la pauvreté et du développement des
personnes. La vision reste ici utilitariste et non centrée sur le
renforcement des capacités des personnes.
Le bénévole exerce un métier avec une
approche altruiste au départ. Cependant, les bénévoles du
Secours Catholique sont majoritairement des retraités et la motivation
première est la reconnaissance sociale en tant que retraité.
« Si vous ne faites rien, vous ne servez à rien ». Ici encore
l'utilitarisme est de mise et risque de se centrer sur les résultats.
Une autre difficulté est le manque de capital humain des
bénévoles au départ de l'action. Les nouveaux
bénévoles veulent agir vite et obtenir des résultats. Une
fois formés et à la rencontre des personnes, des
évolutions s'opèrent. Par exemple, les bénévoles du
monde de l'entreprise, marqués par le progrès comme seul horizon
et fondamentalement bon, appréhendent la lutte contre la pauvreté
comme une question technique. La pauvreté ainsi que le pauvre deviennent
réifiés. Le bénévole va alors devoir faire un
chemin de « conversion » pour développer une approche
altruiste et gratuite. Cette démarche est une véritable ouverture
et un chemin pour donner place et parole aux personnes en difficulté.
3.3.1. Le choc de la rencontre
Pour beaucoup de nouveaux bénévoles, le pauvre a la
figure du SDF crasseux et dormant dehors. Il le voit dans le métro ou
à la télévision. Au Secours Catholique, ils le rencontrent
lui et bien d'autres visages de la pauvreté. Ils vont rencontrer des
familles, des étrangers, des Rroms et des enfants. Ils rentrent dans un
processus de découverte. Parfois il y a la volonté de vouloir
voir qui pourrait paraître malsaine, elle est plus à la
découverte pour
58 Idem, p. 17.
comprendre, se rendre compte, analyser, etc. C'est
déjà se mettre dans une attitude de rencontre avec l'autre qui
pose problème à des représentations d'une
société qui s'appelle la France, pays des Droits de l'Homme, de
la devise : « Liberté, égalité et fraternité.
»
3.3.2. La volonté de changer/sauver le monde
(tentation de la toute-
puissante)
Même si les étapes que nous décrivons ne
s'enchaînent pas forcément dans le temps, le
bénévole aura tendance à vouloir agir s'il n'est pas parti
après la première étape. Rencontrer des personnes en
situation de précarité peut nous renvoyer des situations que nous
ne pouvons accepter ou refuser de voir. Une fois le stade du choc passé,
nous restons sur nos prérogatives de résoudre la pauvreté.
Alors, nous pensons mettre en oeuvre des stratégies hautement
élaborées. Ces gens ont des manques, des besoins, nous allons les
combler, les remplir et tout ira bien... Le bénévole obtient des
résultats et cela est normal. Cependant il va être dans
l'obligation de se rendre compte que cela ne marche pas à chaque fois et
que plus les échec arrivent plus il se pose la question de la
pauvreté. Il ressent douloureusement son non-pouvoir sur certaines
personnes. Il peut même être confronté à des
accompagnements de personnes qui s'enfoncent plus dans la misère que de
s'en relever. Ici, deux pistes peuvent s'ouvrir. Une première est de
rejeter la responsabilité sur les pauvres. Ils refusent le
développement qui est proposé et nous entendons des phrases comme
« Ils sont feignants, ils ne veulent pas s'en sortir, ce sont des
anarchistes, etc. ». Certaines tentatives versent dans l'affectif et le
déraisonnable, dans une fuite en avant où sa famille est mise en
péril au nom de la solidarité avec les plus pauvres qui n'ont
rien demandé. Une autre qui peut en découler est de se
résigner.
3.3.3. Le résignement
Du bénévole sachant comment faire, nous arrivons au
stade du doute. De la lutte contre la pauvreté programmée et
encadrée, on passe à la relativisation « à quoi cela
sert-
il ? ». Cela arrive souvent quand un accompagnement a
été couronné de « succès » et que la
personne « rechute ». Le bénévole est en plein doute.
En quoi ai-je failli ? Comment faire ? D'ailleurs, faut-il faire ? Le
bénévole va faire ici une expérience humaine de vivre avec
la personne dans sa vulnérabilité.
3.3.4. Une autre démarche où l'autre est au
centre.
Il va rencontrer sa propre vulnérabilité chez
l'autre vulnérable « l'indice d'une capacité à
être affecté par autrui, disposition à s'exposer à
la vulnérabilité de l'autre, où je découvre ma
propre vulnérabilité. « Bien avec toi » : esquisse de
la rencontre de l'autre à partir de ma propre
vulnérabilité. »59. C'est au prix de cette
rencontre que son bénévolat va devenir non pas efficace mais
fécond. Il rentre dans la gratuité de l'accompagnement. « Je
ne t'accompagne pas pour t'en sortir mais par ce que l'on est frère en
humanité ». Cette fraternité fondamentale va devenir le
moteur de l'engagement. Lors d'une rencontre de bénévoles, nous
questionnions l'engagement des bénévoles sur leur relation
à l'association et aux pauvres. Des bénévoles
récents témoignaient ainsi : « Nous sommes venus au Secours
Catholique pour donner, pour aider, etc. » Des bénévoles qui
étaient au sein de l'association depuis plusieurs années
témoignaient ainsi « Nous avons beaucoup reçues des
personnes rencontrées. » Elles ne disaient pas que les pauvres
étaient des gens formidables mais que l'accompagnement de ces personnes
les avaient transformées. Elles étaient devenues plus humaines et
fraternelles, plus justes. Elles témoignaient que la relation aux
personnes n'était plus centrée sur leur pauvreté mais sur
leur personne. Leur relation n'était plus centrée sur leur propre
réussite, résultat mais sur l'autre. « Le souci face aux
choses n'est pas le souci pour autrui : préoccupation contre
sollicitude. Dans l'un je m'épuise besogneusement, dans l'autre me voici
décentré : le monde s'organise autour d'un autre que
moi-même et, ce faisant, s'élargit de façon inattendue.
Autrui m'offre un point de vue inédit sur le monde familier.
»60 Dans cette approche l'autre devient ce qu'il est et non pas
ce que je souhaite qu'il soit. Il y a un réel décentrement dans
l'approche de l'accompagnement. Dans cette relation, le renforcement des
capacités va avoir une grande force car la personne sera
réellement au centre du processus dans un accompagnement ou sa place
n'est plus à la périphérie de la relation.
3.3.5. Des nouveaux types de bénévolats qui
ouvrent des pistes
3.3.5.1. Les jeunes de 18-30 ans.
Aujourd'hui, des jeunes arrivent au Secours Catholique. 50 jeunes
de 18-30 ans sont partis au festival Jeunes Solidaires à Lourdes en
juillet 2007. Un autre festival s'organise pour juin 2008 et la
délégation de Seine-Saint-Denis est pilote pour l'Ile de France.
Cette
59 Agata Zielinski, « Avec l'autre, la
vulnérabilité en partage », revue Etudes, Paris, juin 2007,
p. 769
60 Idem, p.770
population ne vient pas au Secours Catholique pour avoir une
utilité sociale mais pour être solidaire sans trop savoir comment.
Ces bénévoles sont dans une attitude d'apprentissage et de
découvertes. La responsabilité de l'association est grande. Ces
jeunes sont prêts à rentrer dans un projet associatif si nous leur
en laissons la place61. Les jeunes dépassent les
frontières. Ils aident le Secours Catholique à s'ouvrir aux
cultures et aux religions. Ils ne défendent pas une identité mais
se la construisent.
3.3.5.2. Les personnes de communautés
d'origines étrangères
Ces nouveaux bénévoles qui arrivent encore peu dans
nos structures amènent de nouvelles formes de solidarité avec
eux. L'utilité sociale n'est souvent pas première mais seconde.
Ils sont majoritairement mues par des valeurs chrétiennes fortes et
enracinées. La « toute-puissance » n'est pas une tentation
naturelle. Leur motivation est ailleurs, c'est bien souvent celle de rentrer
dans un cercle de relations, une seconde famille. Ils répondent à
une demande en bénévolat tout en attendant un retour. Ce retour
n'est pas mécanique mais culturel. Tu es mon ami, je te fais confiance,
je te la donne et en ce sens, celle-ci s'incarne dans un retour le jour
où j'ai besoin de toi. Ces personnes sont donc précieuses pour
donner place aux personnes accompagnées. Elles leur donneront et leur
demanderont des services. Elles ne sont pas dans une logique d'assistance mais
d'échange. Elle pourront dire : « J'ai besoin de toi ! ». La
personne en face rentre dans une autre attitude où rôle du fait du
rôle
proposé qui change. En ce sens, ces
bénévoles sont des porteurs de la vision d'une lutte contre la
pauvreté s'inspirant d'une démarche selon les capacités.
Ils vont chercher en l'autre ce dont ils ont besoin. Ils font appellent
à leur capital humain pour bâtir une communauté humaine et
solidaire.
3.4. Difficultés et ouvertures face aux
personnes en difficultés.
Ce dernier point est complexe tant la population des personnes
est à l'image de la pauvreté, multidimensionnelle. Ils ont aussi
tous les âges et viennent d'origines sociales très diverses. Nous
pouvons cependant avancer quelques indicateurs de difficultés et
certaines ouvertures.
3.4.1. L' essentialisation d'un statut d'accueilli,
d'assisté.
« L'essentialisation d'autrui repose sur le jugement d'une
personne en fonction de son
61 Le Festival est préparé par les jeunes et pour
les jeunes.
appartenance à un groupe plutôt qu'en fonction de
ses qualités propres, uniques et différentes de celles d'autres
personnes. »62 Ici, la personne n'est pas vue pour ce qu'elle
est (son existence, sa nature) mais pour ce qu'elle représente.
L'individu n'a pas d'identité propre mais répond à des
déterminismes. Sa liberté n'est d'ailleurs pas envisagée.
Les personnes accueillies au Secours Catholique sont parfois
considérées comme telles et peuvent se considérer comme
telle, « s'essentialiser ». Elles deviennent ce que nous voulons
qu'elles soient. Elles rentrent alors dans la forme que nous voulons. Elles
deviennent « nos assistés » comme nous avons pu l'entendre
dans une équipe locale du nord du département. La personne a
alors le statut qui lui est donnée. Elle existe aussi pour les personnes
comme cela. Comme nous l'avions fait remarquer, l'exclusion provoque une
recherche d'identité. Ici, une forme d'identité est
proposée et répond en partie à la problématique.
J'existe pour quelqu'un, fusse comme accueilli.
3.4.2. Des responsabilités lourdes à
porter.
Les personnes arrivent avec des problèmes parfois
très lourds à porter, à gérer et à
résoudre. Elles désirent donner la responsabilité de ce(s)
problème(s) aux bénévoles qui l'acceptent bien souvent. La
personne devient soulagée de son problème que le
bénévole prend à « bras le corps ». La personne
est alors dépendante du bénévole. Nous sommes à
l'inverse du renforcement des capacités. Le capital humain de la
personne n'est pas envisagée mais ses manques et ses besoins. Aucune
action est faite pour agir sur l'accessibilité et les
potentialités de mise en oeuvre d'une solution. Sa liberté est
annihilée par la prise de responsabilité de son ou ses
problèmes. La solution n'est pas libre mais prise en
responsabilité et imposée comme seule possible et valable. Ceci
correspond parfois à ce que nous avons évoquer de la toute
puissance du bénévole. Ici, nous sommes proches de notre premier
point quant à l'essentialisation de la personne, à ce que l'on
attend d'elle.
3.4.3. Un contexte d'assistance
Le contexte départemental est à l'assistance. Lors
d'un déplacement à Tremblay en France, un bénévole
me lance : « Ici la mairie est communiste, nous devons donc donner les
vêtements du vestiaire aux personnes qui viennent ! ». Cet artifice
de langage n'est qu'un signe mais il révèle une attitude dans le
département. Le niveau des revenus de la population étant
très bas par rapport aux autres départements de l'Ile de France,
la tentation de l'assitance est
62 http://piihecs.blogspot.com/
grande. A Saint-Denis, les jours d'ouverture des « Restos du
coeur », 500 personnes attendent leur colis. Etant présents le jour
de l'évaluation annuelle de l'action de solidarité des
associations avec la présence de la mairie, il a été fait
mention de la violence des
« accueillis ». Nul n'a prononcé le terme
d'assistance mais il était présent dans la tête de quelques
uns. Nul n'a osé proposer son analyse. « Vous avez le devoir de
nous nourrir car vous recevez les produits de la banque alimentaire pour nous .
Ces produits nous sont donc dûs. » Il y a donc non pas une
charité du don mais un devoir de donner pour les « restos » et
un dû du don pour les « accueillis ». Nous retrouvons
l'essentialisation de la personne et la prise de responsabilité d'une
structure à la place des personnes qui ne sont plus reponsables de leur
alimentation mais l'ont dévolue aux « restos » qui en ont pris
la charge.
3.4.4. Des personnes et des structures prennent le parti
d'une autre relation
et place des personnes vulnérables.
Au Secours Catholique, sans avoir pris le parti d'une action en
faveur des capacités, les permanents et le bureau de l'association,
motivés par les orientations nationales ont le désir et la
volonté de proposer d'autres formes de solidarité. Certaines
personnes le demandent ou questionnent nos attitudes. Une personne d'un de nos
accueils nous a dit littérallement : « Ici, vous vous nourrissez de
la pauvreté ! ». Cette phrase provocante revèle beaucoup de
nos attitudes et de nos difficultés à donner à la personne
sa place. Elle a été bénévole mais sans que cette
démarche soit accompagné. Elle avait pris du pouvoir devant les
autres personnes accueillies. Aujourd'hui, elle est redevenue « accueillie
» ! Elle demande une place à laquelle elle a droit. Le Secours
Catholique met en avant depuis 20 ans la place et la parole des personnes,
c'est un défi mais c'est également l'unique piste pour grandir
avec les personnes. De plus en plus de personnes le souhaitent et le demandent.
Des activités culturelles se développent en ce sens. Il n'y a
plus accueillants et accueillis mais nous faisons ensemble. Des chercheurs
d'emplois accompagnent d'autres vers le même but à notre
plateforme emploi appelée « Carrières ». Ces nouvelles
pistes vont dans le sens de s'appuyer sur un capital humain vulnérable.
L'accessibilité et les potentialités peuvent être là
mais une vulnérabilité doit être combattue.
Essayons maintenant de conclure ce mémoire en se centrant
sur notre sujet, entre besoins et capacités des personnes, quelles
attitudes pour les acteurs du Secours Catholique ?
Conclusion : Les personnes au coeur du processus,
moteur du changement social et sociétal.
Un pauvreté multidimensionnelle
Notre mémoire a voulu se centrer en un premier temps
à définir la pauvreté. Nous avons vu que celle-ci est
multidimensionnelle. Elle ne peut se limiter à une dimension fut-elle
économique ? Ayant regarder les différentes dimensions de la
pauvreté, la proposition d'Amarty Sen de conceptualiser la
pauvreté à travers deux angles est riche de sens. Une
pauvreté d'accessibilité et une pauvreté de
potentialités sans oublier la vulnérabilité des
situations. Ce double regard sur la pauvreté nous oblige à
rentrer dans une vision complexe de la problématique et remettre en
cause nos approches habituelles. La question devient alors celle de
l'évaluation de la pauvreté.
Des indices pour évaluer la pauvreté
Les indices nombreux nous permettent de comparer des situations
temporelles et spatiales. Cependant, des limites sont à prendre en
compte. Un indice ne dit pas tout et quand il a vocation universelle, il ne
rend compte que partiellement d'une réalité territoriale
définie comme peut l'être celle de Seine Saint Denis. Il nous faut
donc bâtir notre propre indice. Ici, la tentation est de le faire par
ceux là-même qui bâtissent les programmes de lutte contre la
pauvreté et concernent les personnes pauvres. Les personnes doivent
être associées dès le début de l'action. «
S'associer avec les personnes » dit le Secours Catholique. Cette phrase
centrale des « axes » de 1996 est fondamentale pour l'action et la
lutte envisagée par la structure. Bâtir les indicateurs avec les
personnes, c'est prendre en compte l'évaluation que font les personnes
de leur propre pauvreté. C'est un chantier à ouvrir au Secours
Catholique. La Banque Mondiale (BM) l'a fait, qui ne pourrait le faire ?
Être à l'écoute des pauvres est une première
étape essentielle. La seconde est de donner place aux pauvres dans la
structure. Le Secours Catholique en parle depuis 21 ans. Il faudra franchir des
barrières.
La place des personnes
Nous avons parlé d'accès et de
potentialités. Les pauvres n'ont pas aujourd'hui accès au Secours
Catholique et leurs potentialités ne sont que difficilement reconnues
pour plusieurs raisons. L'une d'entre elle est que cela nous renvoie à
notre propre vulnérabilité. Nous voulons rester riche et eux
pauvres, nous bénévoles et eux accueillis. Ces clivages rassurent
et encadrent l'action. Quant un évêque d'un pays du Sud ose dire :
« C'est le problème de la richesse qui crée celui de la
pauvreté ! »63, nous sommes déstabilisés
car pris de revers. La
63 Mgr Aldo M. Etchegoyen, dans Dial , Lyon, N° D 2508,
15-31 Octobre 2001.
place des personnes n'est pas facile à faire car c'est un
retournement, un changement de méthode, de stratégie et de
culture. C'est passer de la préoccupation de l'autre à la
sollicitation. L'autre n'est plus à la périphérie mais au
centre de l'action. Il n'y a d'ailleurs plus centre et périphérie
mais être ensemble à lutter pour un monde plus juste.
Un travail en réseau de partenaires
Dans cette direction,un travail sur la mise en réseau
national et mondial est une piste à construire. Le Secours Catholique
est une association qui peut, de part sa taille et ses finances, se suffire
à elle-même. Le travail en réseau est gage de prise de
recul, de partenariat, d'actions démultipliées et
questionnées quant à sa pertinence aux yeux d'autres structures.
Le partenariat doit être envisagé à l'image de la place des
personnes, en « s'associant avec ».
Les personnes au centre du changement
Les difficultés et ouvertures des acteurs du Secours
Catholique face aux personnes pauvres nous ont révélé que
la place de la personne est source de changement ; passer du chiffre à
la méthode employée, de la toute puissance au compagnonnage, de
la responsabilité prise sur soi à la responsabilisation
accompagnée. Tous ces changements nous font percevoir un monde plus
juste et fraternel. Il restera des actions à mener pour l'accès
des personnes à un capital humain suffisant pour donner des
potentialités tout en prenant en compte les
vulnérabilités. Tout ceci se fera dans le but d'un autre
monde.
Définir un monde juste
Nous finirons notre mémoire par cette question : «
Qu'est-ce qu'un monde juste ? » Si tous les acteurs du Secours Catholique
réunis lutte contre la pauvreté et l'exclusion en
renforçant les capacités des personnes, c'est pour un monde plus
juste. Mais quel est ce monde juste ? Comment définir cette justice ? Le
Secours Catholique aurait bénéfice à se poser cette
question centrale. Non pas seulement dénoncer les
inégalités mais avancer des pistes de la construction d'un monde
juste. Nous pouvons dire que l'accessibilité de tous aux besoins
essentiels est une première pierre à l'édifice mais selon
quels processus ? Nous parlons d'un autre monde possible mais quel est-il ?
Cette réflexion construite avec les personnes, avec leurs mots, peut
être une piste forte de sens et d'engagement vers un monde juste. Ce ne
sera pas un monde parfait au sens où il n'y aurait plus de pauvres mais
un monde où les personnes auront leur place et seront entendues pour ce
qu'elles sont, des êtres humains. Il restera alors à
conceptualiser le rapport justice-charité. Tout un programme, non pas
pour le Secours Catholique, mais ses acteurs multiples et variés.
Bibliographie
Livres :
- Justice et Paix France, « Notre mode de vie est-il durable
», Paris, Khartala 2005.
- Wresinski Joseph, « les pauvres, rencontre du vrai Dieu
», Paris, Editions du Cerf, 1986.
- Agence Française du Développement, Sous la
direction de Valérie Reboud, « Amartya Sen, un économiste du
développement ? », Paris, 2006.
- Rapport mondial sur le développement humain 2005, «
la coopération internationale à la croisée des chemins
», New-York, Ed. Economica.
- Sous la direction de Jacques MALET, « La France
Bénévole », Cerphi, Quatrième édition - mars
2007
(disponible en ligne :
http://www.francebenevolat.org/PDF/La_France_Benevole_2007.pdf
) - Mipes, « Recueil statistique relatif à la pauvreté et la
précarité en Ile de France. », Paris, Edition de la
Région IDF, 3 1/12/2005.
Sites et documents sur Internet :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_des_besoins
http://www.iadb.org/idbamerica/index.cfm?thisid=860
(publication pour la BID, Banque inter-américaine de
développement.)
Rapport arabe sur le développement humain 2002, «
Chapitre 1, développement humain : définition, concept et
aperçu général »
http://www.undp.org/arabstates/ahdr2002.shtml
http://www.afd.fr/jahia/webdav/site/myjahiasite/users/Romain/public/Publications/N30_Amar
tya_Sen.pdf.
Articles :
- Bertrand Bissuel, Le Monde, article « Après trente
ans de recul, la pauvreté menace de regagner du terrain »,
édition du 10/04/2004.
- Martin Hirsh dans Le Monde, article « Objectif : - 2
million de pauvres », édition du 01.09.2007.
- Agata Zielinski, « Avec l'autre, la
vulnérabilité en partage », dans la revue Etudes, Paris,
juin 2007.
- Mgr Aldo M. Etchegoyen, Dial, « C'est le problème
de la richesse qui crée celui de la pauvreté », Lyon,
N° D 2508, 15-3 1 Octobre 2001
Annexes
Annexe 1
Les pauvretés que nous identifions, a qui nous
adressons-nous ? (conseil de délégation du 19 janvier 2007)
A qui s'adresse-t-on aujourd'hui ?
· Familles monoparentales souvent mères seules avec
enfants
· Familles recomposées
· Familles vivant avec les minima sociaux
· Familles sans emploi ou emploi précaire ou temps
partiel (travailleurs pauvres)
· Familles vivant avec moins de 900 € par mois (seuil
de pauvreté)
· Familles hébergées par des amis ou de la
famille
· Familles hébergées en résidence
sociale
· Retraités pauvres (entre 700 et 1000 € par
mois)
· Personnes seules sans domicile fixe
· Personnes isolées, pas de relais familial ni
Amical
· Personnes ayant des problèmes de santé, en
souffrance psychologique
· Personnes d'origine étrangère : plus de
pakistanais, sri lankais, Bengladesh, roumains, polonais, bulgares, ukrainiens.
Les personnes qui viennent d'Europe de l'Est sont souvent jeunes (moins de 30
ans) et ne parlent pas Français.
· Haïtiens, africains et maghrébins sont en
nombre stable
· Moins de demandeurs d'asile mais plus de personnes en
situation irrégulière (sans papier).
Problématiques rencontrées :
- Le manque de logement
- Le manque de ressource dû au manque d'emploi, à
une situation irrégulière, à une difficulté
administrative (accès aux droits, difficulté pour remplir les
papiers...)
- Le manque de statut (sans papier)
- L'isolement (besoin de parler et d'être
écouté)
- La nécessité de parler français
(alphabétisation)
- Le manque de nourriture surtout pour les familles avec des
enfants en bas âge (lait, couches...)
Les points d'attention aujourd'hui :
· Le travail qui dans certains cas ne permet pas de
subvenir aux besoins vitaux
(se loger, se nourrir, se soigner, se cultiver...)
· Idem pour la retraite
· L'isolement qui entraîne des troubles
psychologiques
· Le manque de logement et le coût des loyers (de
plus en plus de personnes mal logées, en collocation, à plusieurs
dans le même logement, dans les squats...)
· Les migrants des pays d'Europe de l'Est et de l'Asie.
Annexe 2
Nos orientations (conseil de délégation du 9 mars
2007)
Nous avons eu quatre groupes qui ont identifié ces actions
et avancées souhaitées. Nous les avons organisées en
quatre orientations. Celles-ci peuvent être changées et
reformulées. Elles sont importantes car elles vont guidées notre
action pour les trois années à venir. Nous les retravaillerons
une par une au cours des prochains conseils de délégation ainsi
que localement dans les équipes.
Orientation 1 : Vivre l'accompagnement fraternel ensemble
(bénévoles et personnes en difficulté) par des lieux
d'écoute et par l'action collective.
« Avoir des lieux de parole et d'écoute (à
travailler pour répondre au problème d'isolement). » «
Comment organiser des visites pour rencontrer les personnes les plus
isolées ? »
« Développer des actions hors accueil d'urgence pour
favoriser l'expression, la reprise de confiance en soi, comme le Mandala ou les
sorties conviviales, ou l'expression sur différents thèmes.
»
« Des actions répondant aux besoins d'amitié,
de fraternité, de sourire / gommer les différences. »
« Il faut qu'ils parlent. Ils ont besoin de parler entre
eux. (Alpha) »
« L'importance d'avoir des espaces de parole, d'expression,
de « rompre la solitude ». Les conséquences (moyens pour y
arriver) sont encore floues (pas de référence directe à
des actions conviviales, groupes de parole ou autre). La solution individuelle
(accueil social) reste prônée. »
Orientation 2 : Accueillir les situations d'urgence par
un accompagnement global qui prenne en compte toutes les dimensions de la
personne.
« Analyser les situations de manière globale
»
« Pour bien me rendre compte, je suis allée voir ce
qu'ils vivent. « Ils en étaient heureux ».
» « Au vestiaire, les mamans viennent comme dans un magasin : elles
regardent, choisissent. On a vu des femmes qui ne souriaient jamais devenir
gracieuses. Elles viennent même si elles n'ont pas de RDV pour l'accueil
social. Elles parlent entre elles dans la salle d'attente, au pré-
accueil. »
Orientation 3 : Travailler en partenariat avec d'autres
associations et les institutions publiques.
« Faire appel aux professionnels quand les situations nous
dépassent. »
« Lien entre le SC et la CIMADE. »
« Orientation vers les bébés du coeur (restos
du coeur) »
« Partenariat existant ou à développer avec
d'autres association (par ex : Secours Populaire) » « Il faudrait une
meilleure connaissance des possibilités des différentes
équipes du Secours Catholique, un croisement au sein de notre
association. »
Orientation 4 : Agir sur les causes de pauvreté
par l'action institutionnelle grâce et avec la parole des personnes et
l'analyse des situations rencontrées
« Travailler avec les institutions sur la
problématique des domiciliations »
« Surendettement. »
« De plus en plus de demande de domiciliation. Normalement
travail de l'Etat et pas l'objectif du S.C. »
« Notamment pour les maman seules et sans papiers : Que
faire en plus de l'aide d'urgence ? que proposer d'autre ? On peut le faire un
temps limité, et après ? Une action
institutionnelle ? »
« La confrontation à des problèmes qui nous
dépassent (en particulier le logement et l'accueil des sans-papiers).
»
Annexe 3
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