V. -UN PIED ROMAIN =296 MM (296,2 OU 296, 4)CONCLUSION
Apollodore de Damas et ses successeurs ont contribué
à la réalisation d'un Forum irréprochable sous bien des
angles. Au cours de l'élaboration de ce travail, nous avons pu constater
combien la planimétrie est recherchée. L'analyse de la
fonctionnalité indique que celle-ci était clairement
programmée dans le projet originel. Différents
éléments facilitent et orientent le cheminement du visiteur. Si
l'entrée principale devait déjà se détacher au loin
du paysage par son luxe, la Victoire et la ligne de lecture en
résumé de la frise de la Columna annoncent l'envers du
décor. Le visiteur erre alors dans un espace qui se révèle
à lui de manière surprenante par d'incessants changements
volumétriques. Enfin, outre leur usage comme indices de richesse, les
marbres polychromes semblent collaborer au bon fonctionnement de la circulation
interne du Forum Traiani.
CONCLUSION GÉNÉRALE
Au coeur du centre historique de la capitale italienne, le
Forum Traiani capte l'attention des passants par la splendeur de ses
vestiges et tout particulièrement par sa vertigineuse Columna
Traiana. Cependant, un site archéologique d'une telle ampleur n'a
pu être dégagé en un jour et chaque nouvelle investigation
a donné lieu à d'autres interprétations et reconstitutions
planimétriques. S'en remettant aux sources antiques ainsi qu'à
l'existence de colonnes imposantes, les chercheurs gardaient l'espoir de
découvrir sous les églises Santa Maria di Loreto et
Santissimo Nome di Maria ainsi que sous le Palazzo
Valentini un édifice cultuel colossal proportionnel à la
grandeur du Forum et de son bâtisseur. Les fondations de ce temple
répondant au nom de Templum Divi Traiani ne seront jamais
déblayées. Cette énigme architecturale a suscité de
nombreux débats. Toutefois, les attentes des archéologues se sont
avérées vaines, mais les dernières
révélations des ruines trajaniennes ne furent pas pour leur
déplaire. En effet, l'importance des moyens mis en oeuvre pour le Grand
Jubilé de l'an 2000 cède devant l'immensité des
découvertes. Grâce à cette campagne de fouilles, le site
s'est vu amputé des deux terminaisons proposées jusqu'alors pour
se voir octroyé un schéma innovant et hors du commun. Par
conséquent, les nouvelles données confèrent au groupe un
caractère d'exception et font du Forum de Trajan un unicum.
Retraçons désormais les grands axes majeurs que nous avons pu
dégager au cours de notre enquête.
Si une nouvelle planimétrie s'offre à nous, elle
s'accompagne également d'une réminiscence d'incertitudes. Bien
qu'il soit globalement admis depuis 2000 que le site est dépourvu d'un
temple canonique, la configuration topographique des lieux sous Trajan et
Hadrien reste difficilement identifiable pour le secteur nord. Les
édifices modernes entravent une recherche pointue et limitent les
découvertes à quelques structures architecturales et
décoratives. Toutes les suppositions sont dès lors possibles.
Inversement, le dégagement d'infrastructures au sud assure aujourd'hui
la fiabilité du nouveau plan. R. MENEGHINI, en charge du projet
jubilaire, nous propose alors d'adjoindre au site un propylon
d'entrée au nord en vis-à-vis du Campus Martius. Une
aula portiquée et absidiée, prouvée
archéologiquement, domine, quant à elle, la terminaison sud.
Dès lors, est-il encore possible aujourd'hui de
décoder le plan d'un forum normatif tripartite pour le complexe
trajanien ? S'il peut paraître difficile de répondre
positivement d'un point de vue planimétrique, nous retrouvons
néanmoins les composantes de base d'un complexe architectural
dénommé « forum » : une place
bordée de portiques et une basilique judiciaire. Elles sont donc ici
intégrées, mais certes remaniées. Peut-être
pouvons-nous amputer le complexe d'un temple colossal à l'instar de
celui de Mars Ultor du Forum augustéen, il n'en demeure pas
moins qu'il pourrait subsister une salle cultuelle au sud, un
sacellum. L'attribution d'une fonction cultuelle à
l'aula (nous y reviendrons dans un instant) impliquerait la
présence du dernier élément constitutif des fora
dits tripartites. Nous pourrions alors penser que l'option planimétrique
toute particulière employée dans notre cas renvoie à un
souhait de filiation - pas catégorique, mais surtout symbolique - avec
les principia. De fait, la confrontation du Forum de Trajan avec le
plan des quartiers généraux a souligné des similitudes
troublantes que nous ne pouvons écarter. Tant l'attribution
fonctionnelle des pièces que la thématique décorative qui
gravite autour de la Victoria Dacica, mais encore la
personnalité de Trajan et l'idéologie du pouvoir qu'il s'est
voué à mettre en place renvoient à un impérialisme
et à une forte militarisation. Pour l'édification de son Forum
éponyme, Trajan fait aussi appel à Apollodore de Damas
réputé pour ses qualités d'ingénieur militaire. Le
dessein de l'empereur n'est autre que d'indiquer clairement l'ascendance de la
Nation romaine jusqu'aux frontières de l'Empire. Véritable outil
de propagande, il intègre au sein de l'urbs Romana un
« forum bellum » qui prend des allures de
principia marmorea. Certes, si ce rapprochement ne devait pas se
manifester instantanément aux yeux du visiteur, il devait revêtir
une valeur idéologique forte pour son dirigeant antoninien.
Cependant, il n'en reste pas moins certain qu'il existe
incontestablement un Templum Divi Traiani lié au groupe puisque
des sources antiques fiables le mentionnent comme tel. La preuve majeure nous
est communiquée par une double épigraphe de dédicace
signée d'Hadrien (121/122-127/128 apr. J.-C.) et issue des deux
extrémités du site. L'édifice se retrouve aussi
cité dans des textes littéraires qui sont naturellement
postérieurs à l'époque de Trajan puisque toute
construction en l'honneur de son divus est prohibée de son
vivant. Par ailleurs, nous ne détenons aucune information contemporaine
du règne de l'Optimus Princeps pouvant confirmer ou infirmer la
présence d'un édifice cultuel dans le Forum sous son principat.
Tout au contraire, les sources nous indiquent qu'un Templum devait
assurément être associé au groupe, mais seulement à
partir d'Hadrien. Enfin, l'analyse du terme
« templum » nous a permis également de
revoir nos préjugés et d'éviter de limiter notre recherche
à la découverte d'un temple canonique (templum Italicum sine
postico) au profit d'une enceinte à la physionomie variable
consacrée par une procédure rituelle. Du reste, cette approche
semble concorder avec les vestiges découverts tout récemment qui
ont exclu toute probabilité de trouver l'imposant temple octostyle
espéré depuis le XVIème siècle.
Après avoir fixé les fondements d'une bonne
argumentation, nous nous sommes donc tournés vers l'analyse des deux
limites du site nouvellement reconstituées à la recherche de
notre objet d'étude. Au sud, l'entrecroisement des portiques trajanien
et augustéen impose de conférer à l'aula le
rôle de liaison entre les deux forums. Tel le vorhof de
l'Asklepieion de Pergame, la structure devait servir d'entrée,
uniquement secondaire, au groupe. Si cette fonction peut paraître
évidente, l'agencement des structures, de même que l'union du
cipolin au portasanta, constitue une innovation architecturale sans
précédent dans un forum. Je n'ai pu établir aucun
rapprochement précis si ce n'est avec une construction privée
telle que l'atrium d'une domus. Une comparaison plus
pertinente par la présence de statues impériales a aussi
été soumise avec le chalcidicum de l'agora
d'Éphèse. En effet, à ce propos, R. MENEGHINI nous indique
que le point focal de l'aula est occupé par une niche. Une
telle structure axiale concentre tous les regards et devait, par
conséquent, jouer un rôle important. L'étude a permis
notamment d'y voir peut-être une effigie de Iupiter, ce qui
viendrait transformer cette portion du site en sacellum. Nous avons pu
dégager l'impact de cette divinité dans l'idéologie
impériale trajanienne (« théologie
jovienne ») de même que des concordances iconographiques. Une
autre possibilité serait de placer au centre de cette cavité une
statue de la Victoire ou encore un trophée. Partant des propos de Dion
Cassius et de la similarité avec ses voisins impériaux, nous
pensons également pouvoir proposer que les butins ramenés de
Dacie comblent l'environnement. Exposés dans les portiques, ces
spolia belli viennent rappeler que le complexe a été
payé ex manubiis. Il m'a paru très difficile
d'émettre une interprétation du dénivellement central. La
seule explication serait d'en faire un bassin. Mais, au jour d'aujourd'hui,
très peu d'éléments vont dans ce sens (utilisation de
cipolin et présence d'eau dans les autres Fora Imperialia).
Finalement, mises à part ces incertitudes, nous avons pu établir
que le Templum Divi Traiani peut difficilement être
identifié avec la structure méridionale. Nous constatons, en
effet, une incompatibilité chronologique tout d'abord, mais ensuite
d'ordre stratégique. La limite sud date indubitablement du vivant de
Trajan, ce qui impliquerait une reconversion des lieux en Templum sous
Hadrien, or, les sources semblent lui attribuer l'ensemble de la construction.
Dans ce sens, tant le plan de l'aula que les marbres colorés
utilisés dans ce secteur ne concordent pas avec une telle
interprétation.
La terminaison septentrionale s'est avérée
d'autant plus complexe à analyser que la reconstitution
planimétrique avancée par R. MENEGHINI n'est pas encore
établie formellement. Toutefois, nous avons pu dégager des
constatations intéressantes. Ce secteur est principalement dominé
par des interrogations d'ordre chronologique. Hadrien semble être le
continuateur du projet apollodorien et même celui qui a oeuvré
majoritairement pour les constructions qui entourent la Colonne
historiée. Placer l'entrée principale au nord du complexe a
également pu être proposé sans trop de contraintes. R.
MENEGHINI soumet l'hypothèse de transformer le Temple de Trajan
divinisé en un édifice à cella barlongue
inséré dans le propylon. Bien que la proposition de ce
dernier semble peu s'accorder avec l'analyse du concept de
« templum », j'adhère néanmoins au
fait que nous devrions rechercher en ces lieux le Templum Divi
Traiani. La combinaison d'une structure cultuelle avec la sépulture
de l'empereur et lesdites Bibliothèques peut être
confrontée notamment avec le complexe éphésien de Celsus.
Sur la base de diverses comparaisons, nous sommes parvenus à noter que
l'amalgame fonctions cultuelle et culturelle ne constitue pas une
particularité dans le monde romain. Nous pourrions dès lors
présumer que l'ensemble Bibliothèques-Colonne
coclide-propylon s'assimile à un temenos
précédé d'un pronaos d'entrée pour ne plus
faire qu'un avec notre objet d'étude. Les sources semblent
également aller dans le sens de cette hypothèse. À l'image
du Templum Pacis de Vespasien, une seconde option pour
résoudre notre question initiale serait de conférer à la
totalité du Forum le titre de Templum Divi Traiani sous
Hadrien. Ceci viendrait expliquer la localisation des deux inscriptions de
dédicace. Bien que les sources littéraires rejoignent moins cette
interprétation, il m'est impossible de faire pencher la balance vers
l'une ou l'autre de ces attributions.
L'étude des deux effigies monétaires
énigmatiques a permis d'hypothéquer toute liaison entre
l'édifice octostyle et le complexe. La structure légendée
FORVM TRAIAN(I) pourrait quant à elle se positionner au sud du groupe.
De fait, des similitudes typologiques de même qu'une concordance
chronologique ont pu être dégagées. Si cette attribution se
trouvait confortée, il faudrait alors revoir l'élévation
de la façade tripartite sise au sud ainsi que la statuaire qui occupe
l'attique de ce secteur.
Enfin, mise à part notre question de départ,
j'ai tenu à aborder brièvement la fonctionnalité
engendrée par la nouvelle planimétrie des lieux. Au terme de
cette analyse, j'ai pu constater combien le projet était mûrement
réfléchi. En effet, aucun aspect ne paraît avoir
été négligé. Nous sommes face à un ensemble
architectural peu perméable et relativement fermé qui
répond au concept de « bloc forum ». La circulation
des visiteurs au sein du site est confrontée à d'incessantes
révélations volumétriques. L'agencement des espaces
architecturaux et des pavements, de même que la polychromie
marmoréenne, viennent également guider le cheminement des
usagers. Du dehors, la Victoire au bouclier de la Colonne Trajane annonce
déjà l'atmosphère des lieux.
Au terme de cette enquête, nous pouvons établir
sans conteste que le leitmotiv de la construction du Forum est une
exaltation de la Victoria Dacica et par conséquent de la
Virtus du dirigeant de l'Empire. Le parcours pédestre du
visiteur est ponctué d'évocation du triomphe de l'empereur.
Via un urbanisme d'apparat, on apporte au visiteur la garantie de la
pérennité de l'Urbs. Il ne peut dès lors
qu'acquiescer à la politique de gestion du pouvoir mise en place par son
Imperator. Le point le plus problématique porte sur la
configuration des lieux sous l'ère trajanienne. En effet, il
paraît très difficile de fixer le plan originel établi par
Apollodore de Damas. Cette défaillance entrave la lecture du message
idéologie que Trajan voulait faire passer à ses concitoyens. Les
remaniements de son successeur Hadrien en ont très certainement
modifié les données lors de l'insertion du Templum Divi
Traiani et Plotinae.
En dépit de toutes les incertitudes qui subsistent
encore sur le dernier des Forums Impériaux, la conclusion essentielle
qui se dégage de cette analyse est que le prestige des constructions
nouvellement exhumées in situ en appelle à revoir
radicalement notre conception de l'ensemble du Forum Traiani. En
somme, quel compte-rendu pouvons-nous apporter à notre
problématique? Nous sommes désormais à même de
répondre à notre question initiale comme suit. Il me paraît
possible de résoudre le problème de la localisation du
Templum Divi Traiani en s'appuyant sur quatre points essentiels.
Tout d'abord, les sources datent le Temple de l'époque d'Hadrien.
Ensuite, l'analyse du terme « templum »
révèle que nous pouvons rejeter toute recherche acharnée
d'un édifice colossal. Aussi, il émane de l'étude du
secteur méridional que le Templum ne peut être
fixé en ce lieu. Enfin, l'examen de la limite septentrionale
privilégie une intervention massive d'Hadrien pour les structures
environnant la Columna. Par conséquent, le Templum
Divi Traiani pourrait bien rechercher son attribution en ce
secteur. Ce serait alors le groupe qui fait dos à la Basilique qui
remplirait cette fonction. Toutefois, une autre hypothèse envisageable
serait de conférer à l'ensemble du groupe trajanien le rôle
de Templum Divi Traiani.
J'espère que les résultats de mon enquête
permettent d'apporter quelques éclaircissements sur cette
problématique et que cet essai d'explication s'avère concluant.
Il reste dorénavant à attendre les prochaines publications sur le
sujet. Elles nous apporteront, je le souhaite, des données
supplémentaires permettant d'accréditer l'une ou l'autre de ces
interprétations.
Claire RICHARD
TABLES DES
FIGURES
BIBLIOGRAPHIE
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