Le Forum de Trajan à Rome. Templum Divi Traiani. Etat de la question et tentative d'interprétation. I. Commentaires et analyse( Télécharger le fichier original )par Claire Richard Université Catholique de Louvain (Belgique). Faculté de Philosophie et Lettres. Département d'Histoire de l'Art et d'Arché - Licence en Histoire de l'Art et Archéologie 2005 |
I. INTRODUCTIONTant les découvertes archéologiques réalisées dans le cadre du Jubilé de l'an 2000 que l'analyse des deux extrémités du groupe ont démontré combien la physionomie ou encore les fonctions du site sont bouleversées. De tels changements en appellent à revoir un autre aspect : la fonctionnalité. En effet, à l'inverse du plan d'I. GISMONDI (fig. 4), l'entrée principale occuperait aujourd'hui la limite septentrionale. La circulation du visiteur et sa perception visuelle des structures architecturales sont, par conséquent, à reconsidérer. L'usage de polychromie marmoréenne se conjugue également à la planimétrie pour aiguiller le public. Afin d'ôter tout problème chronologique, nous nous en tiendrons à la situation du Forum sous Hadrien. Le plan proposé par R. MENEGHINI servira de base pour l'élaboration de ce chapitre. II. L'ENTRÉE : LA VICTOIRE AU BOUCLIERComme nous avons déjà pu en discuter dans le précédent chapitre, le visiteur antique peut rejoindre le Forum de deux manières : en traversant le Forum Augusti pour rejoindre l'aula méridionale ou en franchissant le propylon du côté du Campus Martius (fig. 128). Dans le premier cas, le point de départ du parcours est alors le Forum Romanum. Notons que nous sommes au IIème siècle apr. J.-C. et que l'ensemble des Fora Imperialia est en place. Entre la Curie et la Basilica Aemilia, le promeneur doit emprunter l'argiletum pour rejoindre un « carrefour » transitoire (probablement par un arc en l'honneur de Janus200(*)), le Forum Transitorium (fig. 129). De là, trois possibilités s'offrent à lui : prendre directement sur sa gauche vers le chalcidicum du Forum Iulium, rejoindre l'entrée du Templum Pacis à l'est ou enfin franchir le portique augustéen à l'ouest. Une fois au Forum Augusti, le visiteur doit passer la place publique pour parvenir au second portique et arriver enfin au Forum Traiani (fig. 128). L'accès, de ce côté, se limite à deux couloirs de 5 m de largeur. Leur revêtement de sol selon une trame « en escalier » invite le Romain à une progression rapide vers l'area forensis. Cependant, comme nous le présumons, l'étroitesse de l'entrée méridionale lui confère une fonction secondaire, mais il semble indiscutable qu'il existe un lien entre le Forum de Trajan et ses homologues impériaux. Peut-être, avant l'édification du groupe, la voie antique dégagée par G. BONI sous la Colonne Trajane en 1906 constituait déjà une communication entre le Champ de Mars et le centre administratif (voir le premier chapitre). Dans le second cas, le visiteur doit longer la Via Lata (fig. 130). Artère privilégiée au nord, il s'agit du prolongement urbain de l'antique Via Flaminia (lieu présumé de la pompa triumphalis de Trajan, voir l'analyse du secteur septentrional). Il peut ensuite dévier plus à l'est en empruntant une via transversale et arriver enfin devant l'imposant propylée qui constitue l'accès majeur au site. Même si la physionomie du porche reste indéterminée, la Colonne Trajane devait se dégager du propylon. La hauteur de ce dernier est estimée à 22-30 m contre environ 42-45 m pour la Colonne (100 pieds/29,65 m pour le fût avec base et chapiteau, 5,40 m pour le socle et environ 7 m pour la statue et son support). Cette visibilité de la Columna hors complexe pourrait s'avérer déterminante dans l'attribution du rôle d'entrée principale à ce secteur201(*). De fait, le relief historié de la Colonne coclide offre, au nord, un résumé de son vaste programme iconographique. Comme nous pouvons aisément l'observer encore aujourd'hui, la lecture du récit dace est rendue difficile par la structure spiralée de la Columna (fig. 101). Dès lors, pour faciliter la compréhension du visiteur, il semblait indispensable d'en favoriser la lisibilité. C'est pourquoi son concepteur a agencé sur un même axe les scènes principales de la frise. Les études ont parfaitement mis en évidence cette construction ingénieuse (fig. 131)202(*). Un seul et même axe vertical tourné vers le nord regroupe les épisodes suivants. Au bas, la scène IX illustre l'omen victoriae : un homme tombe de son mulet et l'empereur, de son estrade, donne l'ordre de lever le camps. Il réalise ensuite une adlocutio aux troupes. Ceci constituerait un présage de victoire203(*). À la moitié exacte de la Colonne, une Victoire paraît écrire sur son bouclier. La divinité est entourée de deux trophées (scène LXXVIII). Cette scène vient séparer le premier conflit dace (101-102) du second (105-106). Enfin, la scène CXLV reprend le suicide de Décébale et symbolise la victoire effective de Trajan sur les populations barbares. E. LA ROCCA ajoute entre les deux premières scènes deux épisodes majeurs : la mort probable du fils du chef dace (scène XXIV) et la soumission de la population dace à l'empereur (scène XXXVIII)204(*). Une telle disposition sur un axe vertical, qui débute au bas du fût pour s'achever au sommet, facilite la compréhension du message qui doit être délivré par la Colonne. La narration renvoie à une valeur symbolique et idéologique forte. Pour reprendre les termes de L. MARINESCU-NICOLAJSEN, nous pouvons parler d'un véritable « triptyque de la Victoire » dans lequel la divinité au bouclier constitue le « pivot »205(*). Ce n'est donc pas un hasard si cette synthèse du conflit se situe de ce côté. Il semblerait que ce soit précisément la Victoire et les deux trophées qui devaient capter le regard du visiteur du dehors du groupe206(*). Néanmoins, pourquoi cette scène est-elle aussi capitale pour la narration ? La Victoire est représentée sous l'apparence d'une femme ailée drapée (fig. 132). Elle s'apprête à écrire avec un caelum (burin) sur un bouclier soutenu par un pilier, mais rien n'y est indiqué. La mention de la Victoria Dacica pouvait être notée par des rehauts de peinture ou par l'ajout d'un bouclier en bronze gravé. La divinité est flanquée de deux trophées. Ils ont l'allure d'une statue équipée comme un soldat. Au pied, les armes prises aux vaincus sont amassées. Cette déesse se retrouve aisément sur les monnaies de Trajan avec la légende VIC(TORIA) DAC(ICA) (fig. 133)207(*). Je ne vais pas ici développer le rôle joué par cette divinité dans l'idéologie impériale. Sur ce point, je m'en remets aux études approfondies sur le sujet208(*). Toutefois, je tiens à noter que pour G. C. PICARD l'Empire est fondé sur la Victoire, mais cette dernière dépend essentiellement de la Virtus de l'Optimus Princeps209(*). Pour l'auteur, la Victoire de la Colonne est une illustration de cette Virtus. Il parle alors du bas-relief comme une représentation de la Virtus Augusti. Ce concept renvoie à la Vertu de l'Auguste, c'est-à-dire au mérite, au caractère de l'empereur. Il a pour emblème le clipeus virtutis (bouclier) qui devient aussi le symbole de la Victoire sous Trajan. La Victoire de la Columna est ainsi accompagnée de deux trophées de la Virtus. Si le point de vue le plus important du monumentum se situe au nord, face à l'entrée, nous allons, dès à présent, tenter de trouver des exemples similaires par la situation de la Victoire. Un premier rapprochement est à rechercher sous Auguste. Après le succès remporté à Actyum, la Victoire prend une place plus importante pour devenir la divinité protectrice de l'Empire. Le Forum Romain connaît à ce moment une réélaboration pour être complété par le Templum Divi Iulii. Auguste poursuit également la construction de la Curia Iulia en lui conférant un aspect victorieux. En effet, il orne la façade d'une figure d'acrotère : une Victoire portant une couronne sur un globe (fig. 134). De même, en l'an 29, il agrémente le fond de la salle sénatoriale d'une statue. Il s'agit encore d'une effigie de la Victoire qui provient de Tarente. Élevée sur un globe et tenant couronne et trophée, elle surplombe un autel (Ara Victoriae) et semble présider les séances (fig. 135). À proximité, se situait un clipeus virtutis en or, un bouclier commémoratif offert à Auguste par le Sénat en 27 av. J.-C. pour exalter ses vertus. Nous en connaissons une copie en marbre à Arles (fig. 136). Nous retrouvons donc ici le même type d'agencement que notre objet d'étude. La Victoire connaît une situation axiale tant sur le fronton que dans le fond de la Curie où elle est en rapport avec un bouclier. Elle est donc visible directement par quiconque entre dans l'édifice. La Columna Marci Aurelii Antonini constitue un second exemple d'autant plus caractéristique. Le monument a été réalisé entre 180, date de décès de Marcus Aurelius, et 193 apr. J.-C. Il commémore sa victoire contre le peuple germain des Marcomans et les Sarmates. Il semble aussi que le Sénat édifie un temple en sa mémoire (Histoire Auguste, Marc-Aurèle, CLXXXVIII). La Colonne dite centenaria (100 pieds) occupe aujourd'hui la Piazza Colonna, le long de l'antique Via Flaminia (fig. 105). Nous pouvons la considérer comme une réplique morphologique de la Trajane. De fait, des similitudes essentiellement d'ordre typologique se retrouvent avec une construction tripartite (socle, fût, statue sommitale). Le socle d'origine notamment présentait globalement, sur sa face principale, la même apparence selon la reconstitution proposée par M. JORDAN-RUWE (fig. 137) : Victoires tenant l'inscription de dédicace et bas-reliefs illustrant des armes de part et d'autre d'une scène de soumission des barbares210(*). Le fût est aussi décoré d'une frise hélicoïdale. En son centre, une personnification de la Victoire au bouclier est entourée de deux trophées (entre les scènes LV et LVI) (fig. 138)211(*). Elle marque la séparation entre l'expédition contre les Germains (171-173) et la campagne contre les Sarmates (174-175). L'entourage architectural reste indéterminé. Cependant, le monument commémoratif (qui n'est pas une tombe, les cendres de l'empereur sont dans le Mausolée d'Hadrien) devait occuper le centre d'une place surélevée de 3 m par rapport au niveau de la rue. Elle était bordée de portiques au nord et au sud (fig. 139-140). L'accès au site se faisait par un escalier monumental du côté de la Via Flaminia à l'est. Nous situons aujourd'hui le Templum Divi Marci, érigé par Commode pour son père, à l'ouest. Il est certain que la face principale de la Colonne était tournée à l'est, c'est-à-dire vers l'entrée et non vers le temple. La frise comportait également de ce côté une ligne de lecture préférentielle, probablement avec la Victoire212(*). Néanmoins, la porte du socle devait se situer aussi face à l'entrée contrairement à la Colonne Trajane puisque l'accès à la chambre sépulcrale se fait du côté de la Basilica Ulpia. Ces deux exemples révèlent le caractère incontournable que revêt une telle iconographie. La disposition des effigies de la Victoire dans la Curie et celle de la frise aurélienne favorise un contact direct avec le visiteur qui entre dans les lieux. Leur situation axiale en renforce le caractère imposant, la valeur idéologique et crée un impact plus important sur le public. Dès lors, nous pourrions penser qu'il en va de même pour la Columna Traiana. Au nord face au propylon, un résumé du récit dace avec, en son centre, la Victoire viendrait accueillir le visiteur pour le plonger directement dans l'atmosphère triomphale qui domine le Forum où tout renvoie à la Victoria Dacica. Cette approche, par conséquent, va dans le sens d'une interprétation fonctionnelle du secteur septentrional comme entrée principale. Notre visiteur se retrouve donc à l'intérieur de cette structura singularis sub omni caelo213(*). Qu'en est-il maintenant de son cheminement interne ?-la colonne était-elle bien visible de la place : il semble que non car prédominance de la basilique -victoire d'Actium pour Auguste dans la curie = victoire sur les Daces pour Trajan sur la colonne = voir pour les autres victoires sur les autres colonnes --si la victoire qui écrit sur le bouclier et aussi représentée sur des monnaies, c'est qu'elle devait être importante, et donc bien visible du forum, mise en exergue -la victoire n'est pas visible des biblio ou de la terrasse de la basilique, pourtant ce serait un élément essentiel -voir ryberg marc aurèle * 200 GROS P., 2001, p. 131. * 201 LA ROCCA E., 2000, p. 275; idem, 2001, p. 208. * 202 FARINELLA V., 1981, p. 2-9; LA ROCCA E., 1998, p. 168; idem, 2000, p. 275; MARINESCU-NICOLAJSEN L., 1999, p. 309-310; SETTIS S., 1991, p. 186-198. * 203 AMPOLO C., 1995, p. 317-327; MARINESCU-NICOLAJSEN L., 1999, p. 273-310. * 204 LA ROCCA E., 1998, p. 168 ; idem, 2000, p. 275. * 205 MARINESCU-NICOLAJSEN L., 1999, p. 309. * 206 LA ROCCA E., 2001, p. 207-208. * 207 MATTINGLY H. M. A., 1966, p. 172, 812-815. * 208 BEAUJEU J., 1955, p. 59-68 ; GRAILLOT H., 1877, p. 830-854 ; HÖLSCHER T., 1967, p. 99-112; VOLLKOMMER R., 1997, p. 237-269. * 209 PICARD G. C., 1957, p. 371-418. * 210 DAVIES P. J., E., 2000, p. 46. * 211 VOLLKOMMER R., 1997, p. 243. * 212 Malheureusement, je n'ai pas pu trouver d'ouvrages qui indiquent clairement les scènes qui occupent cet axe oriental. Toutefois, E. LA ROCCA le mentionne. Je m'en remets donc entièrement à lui : LA ROCCA E., 2002, p. 275. * 213 Ammien Marcellin, Histoire, XVI, 15. |
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