Elections et transition démocratique en République centrafricaine( Télécharger le fichier original )par Blaise Zalagoye Université catholique d'Afrique centrale - Master droits de l'homme et action humanitaire 2005 |
CONCLUSION GENERALE« Tous les hommes ont également droit aux nécessités de la vie (...) Et comme chaque droit s'assortit à la fois d'un devoir et d'un moyen de résister aux attaques dirigées contre ce droit, il suffit de trouver quels sont les devoirs qui nous incombent et les moyens dont nous disposons pour assurer l'égalité fondamentale élémentaire. Notre devoir est de travailler de nos mains et le moyen que nous avons de résister à celui qui nous prive du fruit de notre labeur est de ne pas coopérer avec lui... » MAHÂTMA GANDHI 1869-1948 Il y a quelques années, un homme politique centrafricain qualifiait la situation de la République centrafricaine comme relevant du mythe de Sisyphe2(*)12 en ce sens qu'elle serait condamnée dans sa quête de stabilité politique et institutionnelle à un éternel recommencement sans arriver à hisser ses institutions sur la montagne de la démocratie. L'analyse de ces quinze dernières années de la situation politique du pays avec ses multiples crises pourrait confirmer cette hypothèse si nous considérons la démocratie comme une fin en soi. Or, le Prix Nobel 1988 de l'économie, Amartya Sen, nous rappelle que c'est mal poser la question lorsqu'on cherche à savoir si tel ou tel pays est mûr pour la démocratie : « un pays ne doit pas être jugé mûr pour la démocratie, mais plutôt mûrir par la pratique démocratique. C'est un changement capital2(*)13 ». Les expériences mitigées des élections disputées dans ce pays montrent que ce processus, dont la finalité est d'approfondir la démocratie et la rendre plus tangible2(*)14, est encore à ses débuts. En effet, la démocratisation de la société politique centrafricaine serait beaucoup plus un processus d'« accroissement de la participation citoyenne à l'exercice du pouvoir, hier, et peut-être aujourd'hui encore, chasse gardée 2(*)15» d'une certaine caste d'hommes politiques. L'importance nouvelle des élections comme vecteur de transition politique serait alors un signe encourageant si l'on arrive à faire prendre conscience au citoyen de son rôle dans l'édification de cette démocratie. Car, si l'esprit démocratique s'apprend, il serait désespérant de croire que la démocratie ne se consolidera que lorsque les citoyens en auront acquis toutes les subtilités. En fait, c'est la pratique même de cette démocratie qui préside à son apprentissage et à son ancrage. Reste qu'au-delà des principes, cette pratique doit se fonder sur ce que Hermet appelle une « alphabétisation politique 2(*)16», sur les connaissances minimales de l'histoire et de l'environnement politique du pays. Le citoyen doit s'ouvrir sur l'extérieur, ne plus se confiner dans son voisinage ethnique immédiat et ne plus obéir à la loi d'éternel hier comme si ce qui s'est toujours fait devrait demeurer immuable. L'enfermement exclusif dans l'identité tribale bloque l'émergence de la citoyenneté. Car, cette identité n'est en soi ni positive ni négative. Elle est neutre mais pas nulle. Ainsi, la démocratie élective court des risques si l'on veut la fonder sur une base ethnique2(*)17. La citoyenneté exige l'acquisition des règles d'une conduite démocratique véritable. Plus précisément, la question ne revient pas seulement de savoir si le citoyen possède des droits, mais qu'il se trouve aussi soumis à des obligations qui requiert qu'il les exerce de façon assidue et raisonnable. Il conviendrait donc pour lui tout autant de n'obéir qu'à des normes acceptables, de se sentir solidaire des autres dans la quête de la prospérité nationale. Il ne devrait surtout pas exiger l'impossible des gouvernants et considérer l'Etat comme un pourvoyeur des bénéfices personnels. Cette déviation pourrait se révéler menaçante pour la jeune démocratie2(*)18. Cependant, si les citoyens doivent consentir au nom de l'obligation citoyenne certains sacrifices personnels au bien commun, il importe que les gouvernants se persuadent de leur côté de ce que l'Etat n'est pas leur propriété ; en bref, qu'ils essaient de renoncer à la conception patrimoniale du pouvoir. La démocratie est universelle et il suffirait de la domestiquer normalement en Centrafrique en respectant ses principes élémentaires en corrélation avec le vécu quotidien de chaque citoyen. La démocratie élective, un luxe pour les centrafricains ? Nous ne le pensons pas. Et si les dirigeants de ce pays pouvaient se désolidariser de la politique politicienne pour se consacrer au secteur social, en améliorant par exemple, les conditions de vie de la population ? Une possibilité plausible dans un pays riche en ressources comme la RCA. Et s'ils pouvaient également développer les secteurs culturel et sanitaire et revaloriser le SMIG des travailleurs qui, dans la plupart des cas, ne respecte pas le pouvoir d'achat des citoyens ? En effet, la démocratie ne conquiert les hommes que lorsqu'elle prend figure de valeur sûre pour la promotion de la population dans son ensemble. Le citoyen ne se convainc de le devenir au sens plein que lorsqu'il cesse de se percevoir comme un électeur réduit à avaliser des choix par avance, en dehors de lui2(*)19. Tout comme l'hirondelle ne fait pas à elle seule le printemps, les élections ne sauraient être, à elles seules, gage d'une véritable transition démocratique. Car, la démocratisation « ne garantit pas plus la justice sociale qu'elle n'est une assurance de croissance économique, de paix sociale, d'efficience administrative ou d'harmonie politique2(*)20 ». Mais, les institutions, les pratiques et les idéaux de la démocratie ont les moyens de défier la concentration du pouvoir et d'empêcher son détournement à des fins personnelles. Ils jouent ainsi un rôle crucial dans l'élaboration d'une gouvernance qui procède du peuple ou du moins qui puisse être à son service. Même dans les grandes démocraties du monde, les élections n'ont pas toujours été régulières, mais la force de ces démocraties réside dans la capacité de tous les acteurs à surmonter ce qui pourrait être un obstacle du moment pour préserver l'intérêt de la nation. Le danger pour l'Afrique en général et la Centrafrique en particulier est que, dans un contexte de précarité économique et de pauvreté, les institutions démocratiques ont difficilement de marge de manoeuvre pour démocratiser l'environnement social. De plus, la majorité des citoyens perçoivent le droit de vote comme quelque chose d'abstrait, bien moins indispensable à leurs yeux que d'autres biens considérés comme essentiels. Dès lors, le bulletin de vote peut devenir monnaie d'échange et les suffrages « négociables » lors des élections2(*)21. Mais ce qu'ils oublient souvent c'est que, des urnes, peuvent tant sortir un gouvernement respectueux des droits des citoyens qu'un démagogue ou un dictateur qui n'a de projet de société que ses démagogies électoralistes. L'enjeu serait peut être d'imaginer, d'exprimer et de faire comprendre à toutes les couches sociales qu'elles ont intérêt, au-delà des élections, à participer à la vie publique soit individuellement soit en association pour défendre leurs intérêts. Il serait également intéressant d'innover dans la gestion du pouvoir au plan national pour « déconfisquer » l'Etat au profit de la société toute entière en réduisant les déficits démocratiques analysés dans ce travail. Le développement d'une solidarité basée sur des intérêts mutuels et le respect des principes démocratiques au plan international et sous régional pourrait favoriser également la stabilité politique dont le pays a tant besoin. En définitive, la démocratie en RCA devrait, comme l'écrit Prera Flores, réhabiliter l'Etat et réinventer la notion d'intérêt public « dans un cadre éthique socialement consensuel pour concilier dans un nouvel équilibre, la justice et l'expression de nos différences ». La réussite de la transition démocratique dans ce pays passerait par cette voie2(*)22. * 212 J. P. Ngoupandé, op. cit. p. 14 * 213 PNUD, Rapport 2002, op. cit., p. 63 * 214 Idem. * 215 D. Maugesnet, op. cit., p. 22 * 216 G. Hermet, op. cit., p. 114 * 217 M. Mbonimpa, Ethnicité et démocratie en Afrique : l'Homme tribal contre l'Homme citoyen ?, Paris, Harmattan, 1994, p. 95 * 218 G. Hermet, op. cit. p. 115 * 219 Idem. p. 116 * 220 PNUD, Rapport 2002, op. cit., p. 63 * 221 A. P. Flores, op. cit. p. 1289 * 222 Idem, p. 1290 |
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