II. LA RÉINCORPORATION DE
PROCÉDÉS TRADITIONNELS DE DOMINATION
Roginsky et Perrier nous disent que les médias sociaux
peuvent être des outils innovants pour la démocratie même si
rapidement « les acteurs réincorporent des procédés
qui précèdent les
42Entretien téléphonique avec Nadine,
Députée, 25/08/2020
43 CHIBOIS Jonathan, « Twitter et les relations de
séduction entre députés et journalistes. La salle des
Quatre Colonnes à l'ère des sociabilités numériques
», Réseaux, vol. 188, no. 6, 2014, p. 220
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outils44 ». Un acteur politique tel qu'un
parlementaire, conscient des limites de ces dispositifs, utilise les
médias sociaux car ils lui permettent de conserver le pouvoir (A) alors
même que ces dispositifs prétendument participatifs sont
très limités (B).
A. DES DISPOSITIFS POUR CONSERVER LE POUVOIR
1. Un monde social consensuel
C'est aussi parce que ces dispositifs réincorporent des
procédés traditionnels de domination que les élus croient
à l'efficacité des médias sociaux pour asseoir leur
légitimité et leur domination.
L'ordre social des médias sociaux tend à
reproduire celui du monde social existant. Ainsi un utilisateur lambda n'aura
pas le même statut qu'un leader d'opinion qui se verra attribuer une
certification à son compte, notifiant immédiatement la
différence de statut : « la certification du compte par Twitter
participe de la mise en corps. Il s'agit de garantir l'adéquation entre
le profil et la personne, de garantir que - symboliquement au moins - la
personne qui tweete est la personne qui prétend tweeter,
c'est-à-dire l'authenticité d'une présence45
».
La distance entre un élu et un utilisateur ordinaire
est marquée et amplifiée par le manque de contact qu'il peut y
avoir entre deux individus aux centres d'intérêts
éloignés ou opposés. En plus des algorithmes qui tendent
à constamment rapprocher les utilisateurs de leurs communautés
voisines en proposant du contenu similaire aux précédents choix,
certains logiciels se sont développés afin de filtrer tous les
messages et contenus haineux mais aussi indésirables selon les
critères de l'utilisateur.
44 ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne, « La
fabrique de la communication des parlementaires européens. "Tweet ton
député" et les "ateliers du député 2.0" »,
Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 94
45 CHIBOIS Jonathan, « Twitter et les relations de
séduction entre députés et journalistes. La salle des
Quatre Colonnes à l'ère des sociabilités numériques
», Réseaux, vol. 188, no. 6, 2014, p. 224
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L'utilisation de tels robots conduit l'utilisateur à
s'enfermer dans un monde numérique consensuel ou toute contradiction
interviendrait hors champ, hors de son cadre habituel. Les individus qui
s'informent sur internet ont d'ailleurs plus tendance à choisir des
sites d'information qui suivent leurs opinions : « 74% de ceux qui
s'informent principalement sur internet tendent à choisir des sites qui
vont dans le sens de leurs opinions, alors que la moitié seulement des
utilisateurs des médias traditionnels se tournent vers des médias
allant dans le sens de leurs opinions 46 » .
Internet et les médias sociaux aurait donc tendance
à amplifier ce phénomène de convergence des individus
selon leurs opinions. « Internet est devenu omniprésent dans notre
vie sociale, mais il est en quelque sorte absorbé par
celle-ci47 » .
Un autre enjeu dans l'utilisation des médias sociaux
par un élu tel que mon parlementaire est d'apparaître comme
étant à l'écoute de ses citoyens.
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