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Communiquer sur les médias sociaux ou comment réaffirmer son autorité politique.


par Lucas Honoré
Université Côte d'Azur - Master 2 Expertise politique et action publique 2020
  

Disponible en mode multipage

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1

Université de Nice Sophia Antipolis

FACULTÉ DE DROIT ET SCIENCE POLITIQUE

Master 2 - Expertise du Politique et Affaires Publiques
Année universitaire 2019-2020

Communiquer sur les médias sociaux ou

comment réaffirmer son autorité politique

Étude de la communication d'un parlementaire

Professeur encadrant : Vincent MARTIGNY
Étudiant : Lucas HONORÉ

2

« La propagande est aux démocraties ce

que la violence est aux dictatures »

3

Noam Chomsky

4

5

SOMMAIRE

SOMMAIRE 5

Remerciements 7

Introduction 9

Présentation de la méthode 17

CHAPITRE 1 - L'INTÉGRATION D'UN ETHOS COMMUNICATIONNEL 19

I. DES LOGIQUES DE MIMÉTISME 19

A. L'APPRENTISSAGE D'UNE MANIÈRE DE COMMUNIQUER 19

1. L'assimilation d'un rôle pédagogique 19

2. L'intégration d'un « parler-twitter » 20

B. ENTRE MIMÉTISME ET DISSIDENCE 22

1. La discipline comme règle primaire 22

2. Construire son identité « numérique » 23

II. LA LUTTE POUR LA VISIBILITÉ 24

A. L'INTIME COMME STRATÉGIE DE COMMUNICATION 24

1. Mettre en scène sa vie privée 24

2. Se rapprocher pour s'éloigner 26

B. DES CONTENUS PERSONNIFIÉS ET NÉGOCIÉS 27

1. Un mandat présenté comme une expérience individuelle 27

2. Une négociation dans la lutte pour la visibilité 28
CHAPITRE 2 - LA CROYANCE PERSISTANTE EN L'EFFICACITÉ DE TELS DISPOSITIFS

30

I. LES RÉSEAUX SOCIAUX COMME UNE RÉPONSE À LA CRISE DE LA

REPRÉSENTATION 30

A. L'APPORT DÉMOCRATIQUE DES MÉDIAS SOCIAUX 30

1.

6

(Re)nouer le contact avec le citoyen 30

2. L'absence d'éléments de mesure pertinents 31
B. DES DISPOSITIFS QUI VALORISENT LES PRATIQUES DÉMOCRATIQUES 32

1. Des médias sociaux rythmés par l'agenda démocratique 32

2. Une modification superficielle de la démocratie 33
II. LA RÉINCORPORATION DE PROCÉDÉS TRADITIONNELS DE DOMINATION 34

A. DES DISPOSITIFS POUR CONSERVER LE POUVOIR 35

1. Un monde social consensuel 35

2. Être à l'écoute 36

B. DES DISPOSITIFS PARTICIPATIFS LIMITÉS 37

1. Des publics spécifiques et démunis 37

2. D'autres outils de communication utilisés 39

CONCLUSION 41

BIBLIOGRAPHIE 43

ANNEXES 46

7

Remerciements

J'adresse mes remerciements à toutes les personnes qui m'ont aidé dans la réalisation de ce mémoire. Je remercie Monsieur Vincent Martigny pour ses conseils qui ont permis d'orienter mon mémoire dans la bonne direction.

Je remercie également l'ensemble de l'équipe parlementaire au sein de laquelle j'ai évolué durant mon Master 2. Merci à Christine, Marion et Pierre pour leur confiance au quotidien.

Je remercie mes parents Pascale et Xavier pour leur patience, leur soutien et leur écoute. Je remercie mes amis Léa, Ahmed et Kenza pour la relecture de mon travail.

8

9

Introduction

Pour Sandrine Roginsky, « dire le public, c'est faire exister l'activité de communication1 ». Nommer le public, c'est lui donner une consistance propre. Cette mission - faire exister des groupes au moyen de leur évocation - est la première qui incombe aux responsables politiques vis-à-vis des individus qu'ils représentent.

Informer, expliquer, communiquer, ces exercices constituent aujourd'hui une grande part de l'activité d'un député. La communication politique n'a certes pas attendu l'avénement des « médias sociaux2 » pour émerger, mais ils sont le signe - s'il en fallait - de la professionnalisation des élus et de leurs équipes.

L'expression « communication politique » désigne une forme de communication spécifique aux affaires politiques. Dans les démocraties pluralistes, elle a deux vocations qui correspondent aux deux temps de l'exercice démocratique :

- Aider à l'élection de la personne qu'elle sert avant ou pendant une campagne électorale ;

- Favoriser le soutien de l'opinion publique lors de l'exercice d'un mandat.

« Communication politique » est un euphémisme pour parler de la propagande, terme devenu extrêmement négatif depuis la fin des années 1970, car lié à la notion de totalitarisme. Pour autant, la communication n'est pas du ressort exclusif des démocraties et bien des régimes ont recours à des techniques de communication leur permettant d'assoir leur autorité et de réaffirmer constamment leur légitimité à gouverner. Pour Philippe Riutort, la communication politique a toujours existé en raison de la nature de son activité : « elle recouvre l'ensemble des actions entreprises par les gouvernants et leurs soutiens afin de légitimer leur action3 » .

Ainsi, la vie publique dans le monde hellénistique était rythmée par une théâtralité et une culture des apparences destinées à créer et à promouvoir une image des hommes politiques qui conviendrait le mieux aux attentes de leur public : « à travers l'adoption d'un langage théâtral, on

1

ROGINSKY Sandrine, « La fabrique des publics de l'Europe ou l'entre-soi de la communication publique

européenne ? », Communication & Organisation, vol. 57, no. 1, 2020, p. 65

2 Nous définirons ce terme par la suite.

3 RIUTORT Philippe, « Sociologie de la communication politique », La Découverte, 2007, p.6

10

parvenait à maîtriser le monde des sentiments et les réactions de la "masse", on parvenait, en termes courants, à contrôler l'opinion publique4 » .

Le Moyen-Âge a été marqué par des techniques de communication de la part du pouvoir central, allant de la simple diffusion d'informations à la construction complexe d'images de souverains : la figure de Louis XIV par exemple, le Roi Soleil, est le fruit de choix symboliques (le roi prend cet emblème lors de la fête du Grand Carrousel, le 5 juin 1662) qui ont vocation à améliorer l'image du gouvernant auprès de ses gouvernés. L'oralité restant une donnée fondamentale de la société médiévale, il s'agit surtout, comme le rappelle l'historienne Aude Mairey, « de discours et de rituels du pouvoir qui, dans tous les cas, ont une fonction légitimante essentielle5 » .

Mais la communication politique contemporaine prend véritablement son essor au XIXe siècle, au moment de la Révolution industrielle et de l'apparition des premiers mass media. Les leaders perçoivent le potentiel de ce nouveau moyen d'information et l'impératif croissant de s'adresser directement à la population. « L'âge où nous entrons sera véritablement l'ère des foules, écrivait Gustave Le Bon. [É] Aujourd'hui ce sont les traditions politiques, les tendances individuelles des souverains, leurs rivalités qui ne comptent plus, et, au contraire, la voix des foules qui est devenue prépondérante ».

Cette idée est reprise au sein de la toute jeune démocratie américaine par des conseillers en communication tels qu'Edward Bernays qui proviennent des secteurs de la publicité, du marketing et des agences de communication : « Le moteur à vapeur, la presse à outils et l'instruction publique, qui à eux trois forment le trio de la Révolution industrielle, ont retiré leur pouvoir aux rois pour le remettre au peuple6 ». Le métier de conseil et d'élaboration de la communication d'un individu ou d'un organisme s'institutionnalise et s'enracine au sein des cabinets politiques, même s'il faut souligner que les conseillers à temps plein se comptent sur les doigts de la main.

4 DOUKELLIS Panagiotis, « Antiquité et pratiques de communication politique », Dialogues d'histoire ancienne, vol. 38, n°2, 2012. pp. 212-213

5 MAIREY Aude, « Les langages politiques au Moyen Âge (xiie-xve siècle) », Médiévales, vol. 57, no. 2, 2009, p. 8

6 BERNAYS Edward, « Propaganda », trad. Oristelle Bonis, Zones, 2007, p. 23

11

Le peuple tout-puissant devient l'enjeu central et l'objectif premier des gouvernants. Conquérir le pouvoir passe par les urnes et nécessite de conquérir l'opinion publique. Dès lors, la communication politique vise dans un premier temps à faire connaître un candidat auprès d'un maximum d'électeurs, puis d'accroître sa popularité, afin d'obtenir le plus d'intentions de vote possible.

Les médias de masse après la Seconde guerre mondiale sont mobilisés par les pouvoirs publics et privés de manière croissante aussi bien pour communiquer et diffuser les informations gouvernementales que pour faire la campagne d'un candidat à une élection.

L'avénement de la Ve République a accentué ce phénomène de marchandisation des candidats aux élections, dans la mesure où ce régime semi-parlementaire institué par le charismatique général De Gaulle tend à faire du chef de l'État un homme providentiel, presque destiné à occuper ces fonctions exécutives suprêmes. L'enjeu pour les communicants en charge de l'élection est alors de rendre « présidentiable » le candidat à l'Élysée.

L'importance d'Internet et des médias sociaux dans le succès d'une campagne a véritablement été mis en lumière par l'élection présidentielle américaine de 2008. La publicité politique en ligne et notamment sur Facebook a représenté un poste budgétaire inédit avec 5 millions de dollars consacrés à l'e-pub par Barack Obama.

Ainsi, la communication politique a traversé l'histoire et les régimes politiques en mutant et en prenant plusieurs formes, et les acteurs politiques se sont adaptés aux innovations technologiques. Comme l'écrivait Machiavel, « un prince est heureux ou malheureux, selon que sa conduite se trouve ou ne se trouve pas conforme au temps où il règne7 ».

Aujourd'hui, cette discipline peut désigner aussi bien l'affichage politique, les rencontres sur le terrain et le tractage que les colonnes politiques dans la presse, à la radio et à la télévision, les débats politiques (notamment télévisés ou radiodiffusés) ou encore les réunions et meetings politiques.

7 MACHIAVEL Nicolas, « Le Prince », trad. de J.-L. Fournel et J.-Cl. Zancarini, Paris, Presses Universitaires de France, 2000, chapitre XXV

12

Plus récemment dans l'histoire contemporaine se sont développés les sondages d'opinion et la communication sur internet (via les sites web, les blogs ou les réseaux sociaux). L'apparition d'internet et des médias sociaux se caractérise essentiellement par le fait que la frontière entre émetteurs de médias et récepteurs tend à devenir plus poreuse, ce qui oblige par conséquent à repenser la question de la propagande autrement qu'en termes bipolaires (dominants/dominés).

L'expression « médias sociaux » s'est imposée dans la littérature scientifique pour désigner « un groupe d'applications en ligne qui se fondent sur l'idéologie et la technologie du Web 2.0 et permettent la création et l'échange du contenu généré par les utilisateurs8 ». Cette définition large laisse place à interprétation étendue de ces dispositifs ; la dimension essentielle de cette définition réside dans le fait que l'utilisateur du média est au centre de l'activité de celui-ci : il est à la fois producteur et consommateur du contenu médiatique.

Roginsky et Perrier désignent Facebook et Twitter indistinctement comme des « médias sociaux » étant donné que cette appellation « bénéficie d'une popularité qui rend illusoire son abandon9 ». Or, Coutant et Stenger nous rappellent que les médias sociaux désignent bien souvent des dispositifs différents et distincts les uns des autres. Il s'agit à la fois « de configurations sociotechniques (les communautés virtuelles, construction complexe de relations entre une certaine forme sociale et les supports sur lesquels elle se développe), de technologies (le p2p, qui peut donner lieu à des usages très disparates), de plateformes (les blogs) et d'usages (le mashup) 10 » .

Les médias sociaux désignent ainsi une multitude de dispositifs que Coutant et Stenger ont systématisé (voir Annexe 1) permettant de situer chaque média selon 4 critères (amitié, soi, intérêt, contenu).

8 KAPLAN Andréa et HAENLEIN Michael, « Users of the world, unite ! The challenges and opportunities of social media», Business Horizons, vol. 53, issue 1, 2010, p. 61

9 ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne, « La fabrique de la communication des parlementaires européens. "Tweet ton député" et les "ateliers du député 2.0" », Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 86

10 COUTANT Alexandre et STENGER Thomas, « Les médias sociaux : une histoire de participation », Le Temps des médias, vol. 18, no. 1, 2012, p. 78

13

La communication du personnel politique sur ces médias diffère selon le type de mandat (national/local), les caractéristiques de la circonscription (rural/urbain, pauvre/riche, grande/ petite), l'éloignement vis-à-vis de la capitale ou encore selon la situation personnelle du député. Cependant, certaines pratiques et usages que les députés ont des médias sociaux sont similaires en de nombreux points et des caractéristiques communes peuvent se dégager.

Un premier point commun est le nombre d'utilisateurs de ces médias sociaux parmi les parlementaires. Au sein de l'Assemblée nationale, 95% des députés étaient présents sur Twitter au 5 décembre 2019 et seuls 27 élus ne possédaient pas de compte sur l'oiseau bleu11. Selon les derniers chiffres Médiamétrie12 (septembre 2019), en France, le réseau social compte 16,8 millions d'utilisateurs mensuels et 4,26 millions d'utilisateurs par jour. Rapportés à l'ensemble de la population française, ces chiffres montrent que nos députés utilisent davantage Twitter que leurs concitoyens. Les députés utilisent ces médias sociaux pour plusieurs raisons, différentes selon le média employé (atteindre les journalistes et professionnels politiques sur Twitter, toucher les réseaux militants et bénévoles par Facebook).

Un autre point que les députés ont en commun concernant l'usage qu'ils ont des médias sociaux (et c'est ce point qui nous intéressera) est le fait que chacun semble convaincu de l'absolue nécessité à utiliser ces médias sociaux.

Cependant, mesurer l'efficacité des médias sociaux pour la communication d'un élu présente bon nombres de difficultés. Il n'y a pas d'éléments de mesure assez pertinent pour déterminer si tel ou tel support de communication aura un impact (positif ou négatif) sur le vote d'un électeur.

Car si la formule « une personne pense politiquement comme elle est socialement13 » s'applique aux éléments partisans, les élections législatives présentent parfois une dimension personnelle qui dépasse l'attachement partisan d'un électeur. La notion de « vote personnel » doit être prise en compte de manière croissante dans un univers politique marqué de plus en plus par la personnalisation des enjeux et des scrutins.

12 https://www.mediametrie.fr/sites/default/files/2019-01/2019%2001%2003%20-%20CP%20Audience%20Internet%20Global Novembre2018.pdf

13 LAZARSFELD Paul Félix, BERELSON Bernard Reuben et GAUDET Hazel, « The People's Choice », New York, Columbia University Press, 1944, p. 27

14

Constamment mobilisé comme une preuve évidente de la réussite d'une bonne communication, le nombre d'abonnés (et surtout son augmentation) est vécu par les personnalités publiques en quête de notoriété comme une obsession et un objectif à tout prix.

Le chiffre séduit parce qu'il a le prestige des apparences objectives, de l'évidence et du discours scientifique rationaliste. Il est mobilisé par tous puisqu'il peut se déplacer d'un monde social à un autre facilement.

Pour autant, la multiplication des fake accounts qui inondent les médias sociaux, notamment en période de campagne électorale, ne sont qu'un exemple de l'invalidité d'un tel indicateur comme élément de mesure de l'efficacité de la communication d'un élu ou d'une collectivité.

Alors que peu de critères et d'éléments de mesure permettent d'évaluer l'efficacité des médias sociaux afin d'accroitre la popularité et l'audience d'un élu, la grande majorité des députés persistent à utiliser des tels outils de communication qui bien souvent leur sont couteux en temps et en salariat. Nous allons démontrer que l'engouement d'un député pour développer sa communication sur les médias sociaux s'explique par une croyance en l'efficacité de tels dispositifs, notamment dans la transformation de l'augmentation du nombre d'abonnés en vote personnel.

Cette croyance se développerait d'abord par mimétisme. Tous les représentants politiques, économiques, artistiques du monde, en bref tous les grands leaders d'opinion sont présents sur les médias sociaux. Ne pas y être constituerait une mise à l'écart. Cette hypothèse ne saurait d'ailleurs être propre au personnel politique. Combien d'utilisateurs des médias sociaux les utilisent par peur d'être exclu du processus prétendument socialisant de tels dispositifs ?

Une deuxième hypothèse serait la suivante : bien que les critères tels que le nombre d'abonnés ou le nombre de « like » ne soient pas des éléments de mesure pertinents, ils restent perçus par un député comme un critère de popularité notable et/ou significatif de son poids politique. Plus ces indicateurs sont élevés, plus une communication sera jugée utile et efficace par le personnel politique et son entourage (équipe).

15

Une dernière piste consisterait à dire que les députés utilisent les médias sociaux pour expliquer, vulgariser l'actualité politique au langage parfois technique, et que cette pédagogie servirait à réaffirmer leur autorité et leur légitimité.

Afin de vérifier ces hypothèses, nous verrons que la communication politique d'un député nécessite l'intégration d'un véritable ethos communicationnel (Chapitre 1), tandis que l'utilisation de tels dispositifs répond encore à une croyance persistante en l'efficacité des médias sociaux (Chapitre 2).

16

17

Présentation de la méthode

Pour réaliser cette recherche, le dispositif méthodologique mis en place est double :

1. Une période de dix mois en tant qu'assistant parlementaire au cours de laquelle j'ai pu observer et prendre note sur un certain nombre de pratiques et d'usages par le parlementaire et son équipe des médias sociaux ;

2. Une série d'entretiens avec plusieurs membres de l'équipe parlementaire au sein de laquelle j'ai évolué, ainsi que la députée elle-même.

Notre approche est empirique dans la mesure où elle cherche à mettre en avant l'expérience d'acteurs politiques dans leur usage des médias sociaux afin de comprendre leurs perceptions de ces dispositifs et les objectifs poursuivis. Elle est aussi qualitative en raison de la nature du phénomène : les représentations d'une parlementaire et de son équipe quant aux usages qu'ils font des médias sociaux. Il aurait été peu pertinent d'utiliser une méthode quantitative, dès lors que l'étude d'une représentation ou d'une pratique ne saurait être quantifiée. La méthode qualitative permet d'étudier avec détail, précision, le cheminement de pensée qui amène ces individus à identifier les médias sociaux comme indispensables à leur communication et à l'accroissement de leur notoriété. De plus, comme le souligne Stéphane Beaud, « un entretien est aussi intéressant parce qu'il dit ou parce qu'il cache ou dit à demi-mot14 ». En tant que « caste » privilégiée et habituée à l'exercice de la parole et de la maîtrise des mots, il n'est pas démesuré d'annoncer que les parlementaires ne se livrent pas aisément à des discours sincères.

L'entretien semi-directif paraît adapté pour tenter de répondre à nos hypothèses tout en laissant la possibilité à l'interviewé de nous livrer des informations potentiellement inattendues. Les entretiens semi-directifs sont constitués de questions ouvertes, ceci pour plusieurs raisons. Premièrement, les questions peuvent être assez générales pour laisser mon enquêté répondre selon ses opinions, ses ressentis, ses représentations. De plus, lorsque l'enquêté énonçait une information intéressante, inattendue, j'ai pu « creuser » cette information en posant de nouvelles questions, ce qui m'a donné des informations plus détaillées et parfois des pistes de réflexion nouvelles.

14 BEAUD Stéphane, « L'usage de l'entretien en sciences sociales. Plaidoyer pour l'"entretien ethnographique" », Politix, vol. 9, 1996, p. 253.

Ensuite, l'avantage d'un tel entretien est qu'il est directif sur la forme, mais pas sur le fond. Ainsi, la grille d'entretien était hybride et évolutive en fonction du déroulement de l'entretien, ce qui m'a donné la possibilité de discuter de thèmes non planifiés, imprévus, éventuellement découverts au fil de l'entretien.

Enfin, nous mobiliserons des discours institutionnels produits sur les dispositifs de réseaux socio-numériques, notamment les publications de Marine Brenier sur des dispositifs tels que Facebook et Twitter. Nous désignons les médias sociaux par la terminologie « dispositif » car, comme le rappelle Sandrine Roginsky, « mobiliser le terme "dispositif" n'est pas fortuit puisque la notion amène une compréhension spécifique de ce qu'il donne à voir et amène à l'analyser en termes de relation de pouvoir 1 5 » .

18

15ROGINSKY Sandrine, « La fabrique des publics de l'Europe ou l'entre-soi de la communication publique européenne ? », Communication & Organisation, vol. 57, no. 1, 2020, p. 57

19

CHAPITRE 1 - L'INTÉGRATION D'UN ETHOS

COMMUNICATIONNEL

Cette manière de communiquer, particulière aux médias sociaux, s'explique d'abord par des logiques de mimétisme (I) et une lutte pour la visibilité (II).

I. DES LOGIQUES DE MIMÉTISME

Cette manière de communiquer est le fruit d'un apprentissage et d'une assimilation de règles et d'usages (A), tandis que la communication du parlementaire fait parfois l'objet de tensions et vogue entre discipline et désir d'émancipation (B).

A. L'APPRENTISSAGE D'UNE MANIÈRE D E COMMUNIQUER

1. L'assimilation d'un rôle pédagogique

Parlementaire est un métier dont l'apprentissage réside dans « la capacité des élus à adopter un rôle conforme à ce que l'institution parlementaire attend de ses membres 1 6 » .

Le parlementaire se sent investit d'un rôle pédagogique d'explication et de vulgarisation de la vie politique française. Il se voit comme l'intermédiaire d'une actualité politique technique qu'il conviendrait de vulgariser pour la rendre accessible à tous les citoyens.

Ainsi, à ma première question demandant de définir ce qu'était la communication politique, la réponse du parlementaire est fortement axée sur cet aspect pédagogique :

16BALOGE Martin, « Le député débutant. Apprentissage et assimilation de l'ethos parlementaire au Bundestag », Politix, vol. 113, no. 1, 2016, p. 205

20

« (La communication politique) permet de vulgariser, transmettre un message politique, une
opinion, répercuter une action au grand public. Les citoyens se disent souvent éloignés de leurs
élus. La communication politique a vocation à les en rapprocher par des messages qui doivent
être compréhensibles de tous et adaptés aux réseaux utilisés et publics visés1 7 »

Et à la question « Un député a-t-il un rôle de pédagogie/vulgarisation de la vie politique à l'égard des citoyens ? », la réponse du parlementaire fut brève et sans équivoque :

« Oui tout le temps, à l'égard de tous les publics et en particulier des plus jeunes qui sont des citoyens en devenir 1 8 »

La communication de ce parlementaire est perçue comme pédagogique et dans un esprit conciliateur, absent de tout clivage politique, dans l'objectif de montrer un travail neutre voire dépolitisé, veillant à l'intérêt général et au bien commun.

Ce rôle pédagogique peut être perçu comme une réponse à la crise de la représentation politique et permet au parlementaire d'affirmer que si le citoyen est mécontent de la classe politique, c'est avant tout parce qu'il n'a pas compris le message politique et non parce qu'il serait en désaccord avec celui-ci.

Endosser un rôle pédagogique peut à bien des égards servir d'outil légitimant pour les acteurs politiques, en infantilisant un public qui ne serait pas à même de comprendre les enjeux politiques, sociaux, sanitaires ou économiques qui traversent la société.

2. L'intégration d'un « parler-twitter»

17Entretien téléphonique avec Nadine, Députée, 25/08/2020

18

Idem.

21

Communiquer sur Twitter est une forme d'autopublication (« processus de mise en forme d'un contenu sélectionné, collecté, agrégé, synthétisé, en vue de sa diffusion sans intermédiaire19 »). Il suppose chez l'internaute un sentiment de compétence à s'exprimer sur tel réseau et tel sujet, et nécessite d'adopter un certain formalisme (les tweets sont limités à 140 caractères).

Le « parler-twitter » renvoie à toute une série de constructions syntaxiques et grammaticales qui standardisent l'élaboration d'un tweet. Ce langage standardisé et aseptisé se retrouve sous plusieurs thématiques telles que :

- L'hommage à une personne décédée

- La célébration de fêtes nationales

- La promotion d'une organisation ou d'une collectivité

Des formules telles que :

Ou encore

Ces formulations solennelles revêtent une écriture normalisée, transposable d'un élu à un autre, d'une collectivité à une autre, dès lors que certaines particularités sont modifiées.

19 GALLEZOT Gabriel et PÉLISSIER Nicolas, « Twitter, un monde en tout petit », L'Harmattan, 2013, p. 23

22

Les publics sur Twitter étant majoritairement des journalistes et des individus préalablement intéressés par la politique, le discours s'adapte en conséquence. Pierre-Jean Benghozi y voit un « double mouvement de standardisation et de "customization", analogue à celui qui fait passer du sur-mesure au prêt-à-porter20 » .

Pour autant, mon parlementaire se défend d'utiliser un langage en particulier et à la question « un parlementaire doit-il apprendre à parler un certain langage (politique) pour communiquer ? », il estime que « c'est justement l'erreur à ne pas faire », tout en ajoutant une nouvelle fois que « le rôle du politique, a fortiori dans sa communication, doit être de vulgariser son action pour qu'elle soit à la portée de tous ».

Communiquer sur les médias sociaux est donc le fruit d'une assimilation de règles et d'usages qui standardisent la communication d'un parlementaire, tandis qu'il doit suivre une certaine discipline malgré des désirs d'émancipation.

B. ENTRE MIMÉTISME ET DISSIDENCE

1. La discipline comme règle primaire

Communiquer sur les médias sociaux pour un parlementaire nécessite de s'emparer de sujets d'actualité et d'adopter une posture, un avis, une position bien particulière. Le choix de ce positionnement ne se fait pas au hasard ni sans l'influence de personnalités et du collectif auquel le parlementaire appartient.

J'ai pu observer une forme d'attentisme de mon parlementaire avant de communiquer une prise de position sur certains sujets. Plus les sujets sont cruciaux et divisent le collectif politique, plus la prudence était de mise.

Ainsi des sujets « de société », tels que la Procréation Médicalement Assistée (PMA), la laïcité, la fin de vie, la question de l'Europe et sa place dans la vie politique française, l'écologie ; il

20BENGHOZI Pierre-Jean, « De l'organisation scientifique du travail à l'organisation scientifique du client : l'orientation-client, focalisation de nouvelles pratiques managériales », Réseaux, 91, 1998, p. 18

23

s'agit là de sujets sur lesquels mon parlementaire observait au préalable une forte « discipline de parole21 » à l'égard des figures du parti politique auquel il appartient. En plus de la hiérarchie nationale, la pression de la structure locale se fait également ressentir quant au positionnement sur les sujets de premier plan. Le parlementaire doit jongler entre ces différents points de tension pour tenter d'exister « numériquement » et progressivement construire sa propre identité.

2. Construire son identité « numérique »

Il y a un mouvement croissant d'individualisation et d'émancipation des personnalités politiques à l'égard de leur formation politique d'origine. Les figures politiques d'envergure nationale (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélanchon, Emmanuel Macron, etc.) ont fait la démonstration de cette volonté d'émancipation afin de développer une relation personnelle avec l'opinion publique.

Ce mouvement, très visible pour les ténors politiques, est suivi par les personnalités politiques de seconde zone telles que mon parlementaire. Ainsi un membre de son équipe venait à développer la stratégie de communication mise en place pour le parlementaire :

« On essaye d'établir un fil conducteur entre les réseaux sociaux pour créer une réelle identité politique... et virtuelle, une sorte de marque politique quoi. Il faut un peu savoir se démarquer des autres, sinon on se fait bouffer22 »

D'autre part, la communication politique est définie comme la « mise en lumière du travail de fond de l'activité parlementaire pour créer l'identité politique de la députée23 » .

21 ROGINSKY Sandrine, « La fabrique des publics de l'Europe ou l'entre-soi de la communication publique européenne ? », Communication & Organisation, vol. 57, no. 1, 2020, p. 57

22Entretien téléphonique avec Marion, collaboratrice parlementaire, 28/08/2020

23

Idem.

24

Les chercheurs Florence Écormier-Nocca et Charles Louis-Sidois y voient une « logique d'individualisation du capital politique des députés au détriment du capital politique collectif détenu par les partis (qui) passerait par l'expression d'une forme de dissidence des députés vis-à-vis de leur formation politique24 ». Ils démontrent notamment que la dissidence dépend fortement de l'appartenance partisane, et qu'un parlementaire situé à la droite de l'échiquier politique aura plutôt tendance à respecter une certaine discipline politique plutôt qu'un parlementaire situé à gauche.

Nous l'avons vu, communiquer sur les médias sociaux nécessite pour un parlementaire d'intégrer un véritable ethos communicationnel en reproduisant des manières de communiquer similaires à ses semblables tout en cherchant à se créer sa propre identité numérique. Cette manière d'être sur les médias sociaux s'inscrit dans une lutte pour la visibilité.

II. LA LUTTE POUR LA VISIBILITÉ

La lutte que livre un parlementaire pour augmenter sa visibilité numérique place son intime au centre de sa stratégie de communication (A), et les contenus qui y sont diffusés sont, nous le verrons, personnifiés et négociés (B).

A. L'INTIME COMME STRATÉGIE DE COMMUNICATION

1. Mettre en scène sa vie privée

La mise en avant de la vie privée des élus est un phénomène croissant, global et qui n'est pas propre aux parlementaires français. Ainsi de nombreuses personnalités politiques mettent en avant leur vie privée et se présentent volontiers comme « père » ou « mère », « marie » ou « femme » avant d'être maire, parlementaire ou ministre.

24 ÉCORMIER-NOCCA Florence et LOUIS-SIDOIS Charles, « Fronde 2.0. Les députés français sur Twitter », Revue française de science politique, vol. vol. 69, no. 3, 2019, p. 481

25

Pour Philippe Riutort, l'essor d'un traitement de la politique mettant l'accent sur « la dimension privée des protagonistes ou la psychologie des personnages25 » peut être vu comme un « glissement du spectacle politique26 » .

Recourir aux animaux de compagnie pour montrer son côté humain est un grand classique de la communication politique. L'exemple de Gerald Darmanin mettant en scène son chat Boris est un véritable cas d'école. Lui-même affirmait que « les gens sont surtout sensibles à leurs animaux de compagnie27 ». Il recommandait également ceci à ses collègues : « plutôt que de mettre des choses compliquées et techniques sur vos comptes Twitter ou Instagram, mettez des photos de chats et de chiens, et, vous verrez, ça ira mieux. Vous montrerez que vous avez du coeur et de l'émotion28 » .

Ainsi la mise en scène d'éléments de la vie privée d'un élu peut participer à sa stratégie de communication. C'est le cas de mon parlementaire qui estime que la place réservée à sa vie privée sur les médias sociaux « est très modérée » et se limite à la « publication de photos perso sur Instagram pour illustrer une cause ou faire un peu de publicité à une entreprise locale29 ».

Pour autant, sa collaboratrice tient un discours moins nuancé et estime qu'« elle n'a pas assez mis en avant le capital "jeune" et "femme". Par exemple c'est moi qui lui ai dit de publier une photo de son chien pour la journée mondiale du chien. On l'incite à développer ce genre d'initiatives, ça l'humanise un peu30 ». Autant d'initiatives qui font appel aux émotions, à l'empathie et qui mettent en scène des éléments qui auparavant relevaient plutôt de la vie privée de l'élu.

À la question « considérez-vous qu'un élu puisse tirer avantage politique à diffuser du contenu de sa vie privé sur ses réseaux sociaux ? », sa réponse fut la suivante :

25 RIUTORT Philippe, « Sociologie de la communication politique », La Découverte, 2007, p. 102

26

Ibidem.

27 https://www.valeursactuelles.com/politique/contre-la-crise-darmanin-recommande-aux-ministres-de-publier-des-photos-de-chats-et-de-chiens-sur-les-reseaux-sociaux-115347

28

Ibidem.

29 Entretien téléphonique avec Nadine, Députée, 25/08/2020

30 Entretien téléphonique avec Marion, collaboratrice parlementaire, 28/08/2020

26

« Je pense que ça dépend du média. Nadine met plus en avant sa vie privée sur Instagram, au
restaurant avec ses amis, elle met beaucoup de photos de (son chien) Nouba car il y a un lien un
peu plus intime avec Instagram. Je trouve ça très déplacé de faire ça sur Twitter et Facebook.
C'est des pages publiques... Je vois pas trop l'intérêt3 1 »

La réponse de la collaboratrice permet d'entrevoir les codes et les usages afférents à chaque média social, selon la pratique que chaque élu en fait. Le dispositif de déploiement de la communication se veut adapté au contenu publié. On peut également sentir une forme d'auto-limitation dans la part de vie privée qu'il est acceptable d'utiliser pour accroître la notoriété d'un élu.

Mais paradoxalement, cette mise en scène de la vie privée, plutôt que de rapprocher le représenté de son représentant, l'éloigne un peu plus.

2. Se rapprocher pour s'éloigner

La mise en scène des éléments de la vie privée d'un élu permet d'abolir certaines frontières entre les gouvernants et les gouvernés. Les leaders politiques jouent de leur charisme pour rapprocher leurs sentiments avec ceux du public. Anthony Giddens y voit dans ce phénomène une véritable « démocratisation de l'intime 32 » .

Mais si la démocratisation suppose que le pouvoir revienne au peuple, ce rapprochement viendrait au contraire divertir, disperser le citoyen de la vie politique. Michaël Foessel explique que « les politiciens exhibent leur intimité pour éviter d'avoir à être jugés sur leurs actes. (É) La séduction l'emporte sur la pédagogie et l'ambition politiques. Le refus de traiter les citoyens

31 Entretien téléphonique avec Marion, collaboratrice parlementaire, 28/08/2020

32GIDDENS Anthony, « La Transformation de l'intimité. Sexualité, amour et érotisme dans les sociétés modernes », Paris, Hachette Littératures, 2004, p. 224

27

comme des "inconnus" (strangers), le jeu de la proximité et la mise en scène de soi concourant à maintenir le statu quo social33 » .

La lutte pour la visibilité incite mon parlementaire à mettre en avant sa vie privée, ce qui donne l'illusion d'un rapprochement gouvernant-gouverné, tandis que les contenus qui sont diffusés sur les médias sociaux sont à la fois fortement personnifiés et toujours négociés.

B. DES CONTENUS PERSONNIFIÉS ET NÉGOCIÉS

1. Un mandat présenté comme une expérience individuelle

Les contenus diffusés sur les médias sociaux par mon parlementaire prennent la tournure d'une véritable promotion des réalisations qui aboutissent. Mobilisé tous azimuts à la captation de forces économiques et politiques dans l'intérêt de son territoire, les réalisations territoriales sont personnifiées au cours des inaugurations en la personne de l'élu local.

Ce phénomène s'est développé notamment depuis les lois de décentralisation qui ont donné aux collectivités locales des compétences et « érigé la dimension gestionnaire en qualité de l'élu local. Homme de dossier et "entrepreneur", l'édile se transforme en "communicant" célébrant les réalisations territoriales qu'il se doit de personnifier34 » .

Ainsi des contenus établissant un lien de cause à effet entre une action individuelle et une réalisation concrète sont régulièrement mis en avant par mon parlementaire. Des formulations commençant par « J'ai déposé une proposition de loi... » ou « J'ai interpellé le/la Ministre... » suivi de données chiffrées mettant en valeur une évolution positive significative établissent indirectement un lien causal entre l'action entreprise par l'élu et les résultats immédiatement observables.

33 FOESSEL Michaël, « La privation de l'intime », Seuil, 2008, p. 53

34RIUTORT Philippe, « Sociologie de la communication politique », La Découverte, 2007, p.62

28

Ce type de construction syntaxique fut à de nombreuses reprises une commande de mon parlementaire et son équipe conscients de l'aspect personnifiant d'une telle formulation. Ce phénomène de personnalisation de la communication est d'ailleurs une des conséquences des médias sociaux : « les réseaux sociaux accentuent la personnalisation et favorisent les jugements à l'emporte-pièce et outranciers, au détriment des idées et des fastidieux programmes que plus personne ne lit 35 » .

Cette personnalisation de la communication est due au fait que les acteurs tels que les parlementaires en quête de visibilité adaptent leurs contenus à ceux des journalistes.

2. Une négociation dans la lutte pour la visibilité

Les médias sociaux et notamment Twitter voient se jouer une lutte pour la visibilité entre des élus qui essaient d'exister médiatiquement et des journalistes qui tentent d'obtenir les meilleures informations (celles qui auront le plus d'impact en terme d'audience). Dans cette lutte, les députés constituent des observateurs privilégiés de la vie parlementaire puisqu'ils créent la plus grande part de l'actualité politique.

Twitter est « un entre-soi dans lequel sont négociées (É) des fenêtres d'exposition médiatique à large audience contre des informations à forte valeur médiatique, objectif autour duquel les députés et les journalistes se retrouvent36 ». En tant que média social, « Twitter constitue un espace de sociabilité, où l'on négocie des contrats de médiatisation en même temps que l'on noue des rapports humains entre semblables37 ».

Les efforts de mise en scène de la vie privée de l'acteur politique est destiné à favoriser l'attraction de journalistes. « Twitter offre littéralement à ses utilisateurs, journalistes et députés,

35MARTIGNY Vincent, « Le Retour du Prince », Paris, Flammarion, 2019, chapitre III

36 CHIBOIS Jonathan, « Twitter et les relations de séduction entre députés et journalistes. La salle des Quatre Colonnes à l'ère des sociabilités numériques », Réseaux, vol. 188, no. 6, 2014, p. 222

37

Ibidem.

de mettre en corps leur identité numérique et leurs sociabilités numériques, par la personnalisation de leur profil et la gestion fine des paramètres de leur propre exposition3 8 » .

Ainsi les parlementaires intègrent, selon des logiques de mimétisme, toute une série de codes et d'usages pour apprendre à communiquer au mieux dans cette lutte pour la visibilité que constituent ces espaces médiatiques que sont les médias sociaux. Ces éléments participent à leur croyance forte en l'efficacité de tels dispositifs pour déployer leur communication.

29

38 CHIBOIS Jonathan, « Twitter et les relations de séduction entre députés et journalistes. La salle des Quatre Colonnes à l'ère des sociabilités numériques », Réseaux, vol. 188, no. 6, 2014, p. 223

30

CHAPITRE 2 - LA CROYANCE PERSISTANTE EN

L'EFFICACITÉ DE TELS DISPOSITIFS

La croyance farouche en l'efficacité de médias sociaux tels que Facebook et Twitter s'est exprimée chez mon parlementaire par une affirmation que ces réseaux constituent une réponse à la crise de la représentation (I). D'un autre côté, le fait que ces dispositifs réincorporent certains procédés de domination permettant de gagner et conserver le pouvoir (II) a tendance à séduire des acteurs politiques tels qu'un parlementaire.

I. LES RÉSEAUX SOCIAUX COMME UNE RÉPONSE À

LA CRISE DE LA REPRÉSENTATION

Le discours mobilisé par mon parlementaire justifiant sa croyance en l'efficacité de tels dispositifs évoque en premier lieu l'apport démocratique des médias sociaux (A), puis la valeur ajoutée de ces dispositifs sur les pratiques démocratiques (B).

A. L'APPORT DÉMOCRATIQUE DES MÉDIAS SOCIAUX

1. (Re)nouer le contact avec le citoyen

La démocratisation de l'accès à internet a été une condition nécessaire mais insuffisante de l'autopublication, puisque celle-ci était réservée à un nombre restreint d'individus qui maîtrisaient les langages informatiques indispensables à la publication de contenus. « Un facteur a favorisé la démocratisation de cette pratique sociale : la création d'outils simplifiés d'autopublication numérique39 » .

39BOYADJIAN Julien, « Analyser les opinions politiques sur Internet. Enjeux théoriques et défis méthodologiques », thèse de doctorat, Université Montpellier 1, 2014, p. 35

31

L'appropriation progressive de ce nouvel outil numérique par la population « ordinaire » a conduit les responsables politiques à y trouver une justification à leur manque de légitimité et à y fournir une véritable réponse à la crise de la représentation. Mon parlementaire fait des déclarations en ce sens : à la question « les réseaux sociaux sont-ils une réponse à la crise de la représentation ? », sa réponse est affirmative :

« Oui peu de personnes vont prendre la peine de se rendre dans une permanence ou d'aller à la
rencontre physique de leurs représentants. Ils attendent soit que nous allions physiquement à leur
rencontre, par exemple en porte à porte, ce que la situation sanitaire ne permet plus, soit de
pouvoir nous toucher par le biais des réseaux sociaux. C'est pour cela qu'il est fondamental de
pouvoir mettre en place le plus de facilités possibles pour qu'ils puissent nous contacter via
internet »

Mon parlementaire est frappé d'un réel cyber-optimisme qui voudrait que les outils suffiraient à mettre fin au manque de popularité de leur enceinte parlementaire en facilitant le contact direct et sans filtre avec les citoyens.

Cette croyance est alimentée par le fait qu'il n'existe aucun outil permettant d'évaluer si une campagne de communication s'est transformé en vote personnel chez un électeur.

2. L'absence d'éléments de mesure pertinents

Le déficit d'outils permettant de mesurer précisément la transformation de l'audience d'un élu en vote personnel renvoie les acteurs politiques à prendre en compte des éléments de mesure invalides tels que le nombre d'abonnés à leur compte ou encore le nombre de réactions (like, commentaire, partage) à une publication. Ainsi les comptes publics/professionnels mettent à disposition des administrateurs des statistiques techniques sur l'audience, le nombre de personnes qui ont vu telle publication passer dans leur fil d'actualité, ou encore le nombre de clics sur la publication etc.

32

Ces éléments chiffrés rassurent mon parlementaire qui a prononcé cette phrase que je m'étais empressé de noter : « si à la fin de ton contrat on dépasse les 10.000 abonnés, tu auras fait du bon boulot ». Cette simple phrase illustre l'importance de la croyance de mon parlementaire qu'une augmentation du nombre d'abonnés est synonyme d'une bonne communication.

À défaut de disposer d'éléments de mesures réellement contradictoires, les chiffres concernant le nombre d'abonnements au compte ou le nombre de réactions restent pour un parlementaire le meilleur instrument de mesure, ou du moins le moins mauvais.

Paradoxalement, le ressenti constitue également un élément de mesure de la communication comme l'évoque sa collaboratrice :

« On le fait aussi en fonction des réactions des citoyens par présence, par téléphone ou par mail.
Et notamment au moment où (Nadine) se pointe dans les séquences. Notamment toutes les prises
de position sur l'écologie... À toutes les inaugurations on en a parlé... On le sent si un sujet
passe pas40 »

L'absence d'éléments de mesure clairs et efficaces obligent mon parlementaire et son équipe à naviguer à vue, à « prendre la température » au fil des contacts avec la population et adapter la communication voire les prises de position en conséquence.

B. DES DISPOSITIFS QUI VALORISENT LES PRATIQUES DÉMOCRATIQUES

1. Des médias sociaux rythmés par l'agenda démocratique

40Entretien téléphonique avec Marion, collaboratrice parlementaire, 28/08/2020

33

Plutôt que de fragiliser la démocratie et la participation politique, les médias sociaux permettraient de mettre en lumière un certain nombre de pratiques démocratiques et notamment ses temps forts : les élections.

Roginsky et Perrier affirment en ce sens que « les messages publiés sur Twitter et Facebook par les députés européens sont ainsi rythmés par le calendrier législatif du Parlement européen41 ». Cette observation est transposable à l'échelon national pour toutes les élections. Durant cette période, les élus, candidats ou soutiens, utilisent les médias sociaux comme canaux de diffusion des programmes, idées et débats politiques.

Les semaines et les mois avec mon parlementaire sont rythmées selon l'activité parlementaire ou l'activité militante et oscillent en cadence entre ces deux moments de la démocratie. Comme le soulignent une nouvelle fois Roginsky et Perrier, « s'il devient indispensable d'apparaître sur ces dispositifs, nous constatons cependant que leur utilisation ne modifie pas fondamentalement la manière de concevoir la communication : les messages sur les médias sociaux reprennent souvent les formes et les thématiques traditionnelles Ð comme l'agenda du député, les passages radio ou télévision, l'information parlementaire et les réactions à l'actualité politique ».

Les médias sociaux constituent une sorte d'incubateur des moments forts de la démocratie et la modifient en surface.

2. Une modification superficielle de la démocratie

Les médias sociaux ont été intégrés au jeu démocratique, au moyen notamment d'une législation qui adapte leur utilisation avec les règles électorales. Cet élément semble accepté par mon parlementaire :

« La législation en terme de campagne électorale laisse peu de place à la souplesse. De plus,
l'utilisation des réseaux sociaux en politique est encore assez récente. Il y a de plus en plus de

41 ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne, « La fabrique de la communication des parlementaires européens. "Tweet ton député" et les "ateliers du député 2.0" », Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 105

34

contentieux sur ce sujet. Les élus sont donc assez frileux sur l'utilisation des réseaux sociaux en
période de campagne, pendant laquelle selon le canal utilisé, il convient de garder une certaine

neutralité42 »

La rigidité évoquée par la législation actuelle semblerait avoir placé les médias sociaux dans un cadre précis et probablement inadapté aux évolutions rapides de ces médias et de leur utilisation par les acteurs politiques.

Pour Jonathan Chibois, l'apparition des médias sociaux et notamment de Twitter ne bouleverse pas le paysage médiatique mais ne serait que la conséquence des évolutions de celui-ci : « Twitter s'intègre opportunément dans des usages médiatiques qui lui préexistaient. C'est un dispositif sociotechnique dont l'appropriation n'est pas la cause d'une évolution des usages, mais constitue plutôt une conséquence de ces usages qu'elle vient prolonger à sa manière43 » .

Les médias sociaux sont perçus par mon parlementaire comme apportant une part de la réponse à la crise de la représentation alors même que ces dispositifs sont assez bien intégrés dans les pratiques démocratiques.

Enfin, si les médias sociaux restent populaires parmi des acteurs politiques tels qu'un parlementaire, c'est parce qu'ils réincorporent certains procédés traditionnels de domination qui leur permettent de gagner et de conserver le pouvoir.

II. LA RÉINCORPORATION DE PROCÉDÉS TRADITIONNELS DE DOMINATION

Roginsky et Perrier nous disent que les médias sociaux peuvent être des outils innovants pour la démocratie même si rapidement « les acteurs réincorporent des procédés qui précèdent les

42Entretien téléphonique avec Nadine, Députée, 25/08/2020

43 CHIBOIS Jonathan, « Twitter et les relations de séduction entre députés et journalistes. La salle des Quatre Colonnes à l'ère des sociabilités numériques », Réseaux, vol. 188, no. 6, 2014, p. 220

35

outils44 ». Un acteur politique tel qu'un parlementaire, conscient des limites de ces dispositifs, utilise les médias sociaux car ils lui permettent de conserver le pouvoir (A) alors même que ces dispositifs prétendument participatifs sont très limités (B).

A. DES DISPOSITIFS POUR CONSERVER LE POUVOIR

1. Un monde social consensuel

C'est aussi parce que ces dispositifs réincorporent des procédés traditionnels de domination que les élus croient à l'efficacité des médias sociaux pour asseoir leur légitimité et leur domination.

L'ordre social des médias sociaux tend à reproduire celui du monde social existant. Ainsi un utilisateur lambda n'aura pas le même statut qu'un leader d'opinion qui se verra attribuer une certification à son compte, notifiant immédiatement la différence de statut : « la certification du compte par Twitter participe de la mise en corps. Il s'agit de garantir l'adéquation entre le profil et la personne, de garantir que - symboliquement au moins - la personne qui tweete est la personne qui prétend tweeter, c'est-à-dire l'authenticité d'une présence45 ».

La distance entre un élu et un utilisateur ordinaire est marquée et amplifiée par le manque de contact qu'il peut y avoir entre deux individus aux centres d'intérêts éloignés ou opposés. En plus des algorithmes qui tendent à constamment rapprocher les utilisateurs de leurs communautés voisines en proposant du contenu similaire aux précédents choix, certains logiciels se sont développés afin de filtrer tous les messages et contenus haineux mais aussi indésirables selon les critères de l'utilisateur.

44 ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne, « La fabrique de la communication des parlementaires européens. "Tweet ton député" et les "ateliers du député 2.0" », Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 94

45 CHIBOIS Jonathan, « Twitter et les relations de séduction entre députés et journalistes. La salle des Quatre Colonnes à l'ère des sociabilités numériques », Réseaux, vol. 188, no. 6, 2014, p. 224

36

L'utilisation de tels robots conduit l'utilisateur à s'enfermer dans un monde numérique consensuel ou toute contradiction interviendrait hors champ, hors de son cadre habituel. Les individus qui s'informent sur internet ont d'ailleurs plus tendance à choisir des sites d'information qui suivent leurs opinions : « 74% de ceux qui s'informent principalement sur internet tendent à choisir des sites qui vont dans le sens de leurs opinions, alors que la moitié seulement des utilisateurs des médias traditionnels se tournent vers des médias allant dans le sens de leurs opinions 46 » .

Internet et les médias sociaux aurait donc tendance à amplifier ce phénomène de convergence des individus selon leurs opinions. « Internet est devenu omniprésent dans notre vie sociale, mais il est en quelque sorte absorbé par celle-ci47 » .

Un autre enjeu dans l'utilisation des médias sociaux par un élu tel que mon parlementaire est d'apparaître comme étant à l'écoute de ses citoyens.

2. Être à l'écoute

La crise de la représentation est le corollaire de l'injonction qu'il est fait aux parlementaires mais à tous les représentants politiques en général d'être toujours plus à l'écoute de leurs citoyens et de leurs demandes.

Mon parlementaire estime que nous sommes « dans une période au cours de laquelle les gens ont un véritable désamour de leur politique » et « qu'il est fondamental de pouvoir mettre en place le plus de facilités possibles pour que (les citoyens) puissent nous contacter via internet : en répondant rapidement aux messages privés sur réseaux sociaux ou en mettant en place une boîte aux lettres sur le site par exemple48 » .

46KOC MICHALSKA Karolina et VEDEL Thierry, « Les pratiques informationnelles durant la campagne présidentielle » dans « Le Vote normal: les élections présidentielle et législatives d'avril-mai-juin 2012 », sous la direction de PERRINEAU Pascal, Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. 59

47

Ibidem.

48Entretien téléphonique avec Nadine, Députée, 25/08/2020

37

Cette injonction à répondre à toutes les sollicitations et tout le temps modifie l'activité parlementaire avec le besoin croissant de faire appel à des collaborateurs spécialisés dans les méthodes de communication.

Roginsky et Perrier affirment que « les acteurs politiques sont conscients que c'est la prescription qui leur est faite, et ceux qui maîtrisent le mieux l'outil technique parviennent à donner l'impression d'échanger pour donner l'impression d'être à l'écoute49 ». À l'appui d'un entretien, les deux chercheuses relatent le fait qu'un assistant parlementaire en charge de l'animation des pages Facebook et Twitter tient aussi un rôle de modérateur des échanges qui peuvent survenir entre les internautes. Il s'agit de montrer l'ouverture d'esprit et l'écoute du député en laissant les débats avoir lieu, tout en surveillant ce qu'il se dit et en vérifiant la pertinence des propos.

De cette manière, un internaute éprouvera davantage de satisfaction (voire de valorisation) si son post ou tweet a fait l'objet d'une réaction par un(e) député(e) plutôt que par un citoyen lambda. L'élu montrera à son tour davantage d'écoute et fera preuve d'une proximité avec les citoyens.

Si les médias sociaux donnent aux élus l'occasion de faire perdurer des procédés de domination (qui étaient déjà à l'oeuvre avant l'arrivée de ces dispositifs), ils restent limités et ne transforment pas fondamentalement les pratiques traditionnelles de communication politique.

B. DES DISPOSITIFS PARTICIPATIFS LIMITÉS

1. Des publics spécifiques et démunis

Pour Roginsky et Perrier ces dispositifs ne bouleversent pas de manière fondamentale et déterminante les pratiques traditionnelles de communication politique et du travail politique puisqu'ils ne modifient pas foncièrement les formes d'engagement et de participation des

49ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne, « La fabrique de la communication des parlementaires européens. "Tweet ton député" et les "ateliers du député 2.0" », Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 109

38

citoyens à la chose publique ; « ils ne permettent finalement pas aux citoyens de réellement s'investir en ligne50 » .

Une des raisons à cette désillusion est que la part de la population inscrite sur ces médias sociaux ne représente bien souvent qu'une frange infime et très spécifique. « Sur Facebook comme sur Twitter, les acteurs politiques semblent ainsi s'adresser à des publics spécifiques dans lesquels le "citoyen ordinaire" disparaît51 ». Un dispositif tel que Twitter par exemple permet de toucher des publics qui souhaitent être touchés au préalable, principalement « des citoyens engagés et des journalistes 52 » .

L'utilisation de Facebook et Twitter par mon parlementaire ne fait que solidifier sa base de soutien déjà existante. Les médias sociaux seraient inefficaces pour convaincre d'autres personnes et ne feraient qu'exacerber des comportements contestataires :

« Quelque part oui, (les médias sociaux) permettent de communiquer avec les élus. Au détriment
des échanges physiques qui sont en train d'être perdus. Pour moi c'est pas une réponse à la crise,
c'est l'inverse. Ca met en avant les 20% de mécontents permanents et essouffle la parole des
80% restants qui votent à la fin5 3 »

Le monde virtuel est un espace de « contre-public » (Nancy Fraser) où les internautes s'expriment à l'intérieur de communautés dans lesquelles ils se sentent proches et critiquent les communautés différentes, c'est-à-dire cet espace hanté par le désir de voir son opinion reconnue plutôt que d'entamer une véritable discussion avec les autres.

Cela s'est vu en analysant les personnes qui like une publication : il y a systématiquement 90 à 95% de personnes déjà abonnées à la page Facebook de mon parlementaire.

50ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne, « La fabrique de la communication des parlementaires européens. "Tweet ton député" et les "ateliers du député 2.0" », Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 86

51 ROGINSKY et PERRIER, op. citées, p. 104

52

Ibidem.

53 Entretien téléphonique avec Marion, collaboratrice parlementaire, 28/08/2020

39

En plus de s'adresser à des publics spécifiques au préalable politisés, les médias sociaux offrent une participation sans pouvoir puisque ces dispositifs introduisent des nouvelles manières de s'exprimer mais pas de nouveaux partages du pouvoir politique qui lui reste concentré dans les mains des leaders : « Twitter n'a pas fait disparaître les leaders d'opinion mais a au contraire renforcé leur visibilité 54. »

2. D'autres outils de communication utilisés

D'autres canaux sont utilisés par un parlementaire pour atteindre le plus de publics différents possibles. Roginsky et Perrier relatent le discours d'une députée européenne britannique qui estime que « la messagerie électronique reste l'outil principal de relation avec le public, plutôt que les médias sociaux qui sont davantage utilisés pour informer des publics spécifiques comme les militants, les journalistes mais aussi les membres actifs de la société civile (ONG, associations...)55 ». Elle justifie ce choix en raison du manque d'informations sur les personnes qui la contactent via Twitter ou Facebook, à la différence de la messagerie électronique qui fournit davantage de précisions sur sa personne et sa demande.

Mon parlementaire classe également la messagerie électronique comme un outil traditionnel de communication en diffusant régulièrement sa newsletter : « (ça) permet de communiquer de manière régulière à un public qui souhaite s'informer et qui sera donc en demande d'un véritable contenu. Cela permet de faire passer plus de messages, de détailler davantage, de donner des éléments de contexte politique et permettre aux destinataires de la newsletter d'être les relais de l'action de l'élu. C'est un élément essentiel dans la communication politique56 » .

Le courrier électronique reste ainsi l'outil de prédilection pour les contacts individuels avec les administrés. Plus globalement les médias sociaux ne remettent pas en cause les outils plus

54MARTIGNY Vincent, « Le Retour du Prince », Paris, Flammarion, 2019, chapitre III.

55ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne, « La fabrique de la communication des parlementaires européens. "Tweet ton député" et les "ateliers du député 2.0" », Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 107

56Entretien téléphonique avec Nadine, Députée, 25/08/2020

40

traditionnels comme le déplacement en circonscription pour aller à la rencontre des électeurs ou le communiqué de presse pour informer la presse. Ils sont davantage envisagés comme un « moyen de diffuser plus largement le communiqué de presse ou de faire savoir aux militants et journalistes le déplacement prévu 57 » .

En définitive, ces dispositifs restent limités pour plusieurs raisons, notamment car ils s'adressent à des publics spécifiques et qu'ils ne redistribuent pas le pouvoir, et les acteurs politiques tels que mon parlementaire intègrent ces médias sociaux à l'arsenal de communication déjà existants.

57ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne, « La fabrique de la communication des parlementaires européens. "Tweet ton député" et les "ateliers du député 2.0" », Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 108

41

CONCLUSION

Communiquer sur les médias sociaux nécessite pour un parlementaire d'intégrer un véritable ethos communicationnel en reproduisant des manières de communiquer similaires à ses semblables tout en cherchant à se créer sa propre identité numérique. Cette « manière d'être » sur les médias sociaux s'inscrit dans une lutte pour la visibilité s'inscrit dans une lutte pour la visibilité que constituent ces espaces médiatiques que sont les médias sociaux. Ceux-ci sont perçus par mon parlementaire comme apportant une part de la réponse à la crise de la représentation. Plutôt bien intégrés dans les pratiques démocratiques, ces dispositifs restent limités pour plusieurs raisons, notamment car ils s'adressent à des publics spécifiques et qu'ils ne redistribuent pas le pouvoir. Les acteurs politiques tels que mon parlementaire intègrent ces médias sociaux à l'arsenal de communication déjà existants car, bien que ne disposant pas d'éléments de mesure de leur efficacité et notamment la transformation de la communication en vote personnel, ils savent que les dispositifs de médias sociaux tendent à reproduire les formes de communication existant sur les dispositifs « traditionnels » comme la télévision. Mon parlementaire y voit un moyen de gagner et conserver le pouvoir.

42

43

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45

https://www.valeursactuelles.com/politique/contre-la-crise-darmanin-recommande-aux-ministres-de-publier-des-photos-de-chats-et-de-chiens-sur-les-reseaux-sociaux-115347

https://www.mediametrie.fr/sites/default/files/2019-01/2019%2001%2003%20-%20CP%20Audience%20Internet%20Global Novembre2018.pdf

ANNEXES

Annexe 1 - Cartographie des médias sociaux58

46

58 COUTANT Alexandre et STENGER Thomas, « Les médias sociaux : une histoire de participation », Le Temps des médias, vol. 18, no. 1, 2012, p. 78






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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein