1
Université de Nice Sophia Antipolis
FACULTÉ DE DROIT ET SCIENCE POLITIQUE
Master 2 - Expertise du Politique et Affaires
Publiques Année universitaire 2019-2020
Communiquer sur les médias sociaux
ou
comment réaffirmer son autorité
politique
Étude de la communication d'un
parlementaire
Professeur encadrant : Vincent
MARTIGNY Étudiant : Lucas HONORÉ
2
« La propagande est aux démocraties
ce
que la violence est aux dictatures »
3
Noam Chomsky
4
5
SOMMAIRE
SOMMAIRE 5
Remerciements 7
Introduction 9
Présentation de la méthode 17
CHAPITRE 1 - L'INTÉGRATION D'UN ETHOS COMMUNICATIONNEL
19
I. DES LOGIQUES DE MIMÉTISME 19
A. L'APPRENTISSAGE D'UNE MANIÈRE DE COMMUNIQUER 19
1. L'assimilation d'un rôle pédagogique 19
2. L'intégration d'un « parler-twitter » 20
B. ENTRE MIMÉTISME ET DISSIDENCE 22
1. La discipline comme règle primaire 22
2. Construire son identité « numérique
» 23
II. LA LUTTE POUR LA VISIBILITÉ 24
A. L'INTIME COMME STRATÉGIE DE COMMUNICATION 24
1. Mettre en scène sa vie privée 24
2. Se rapprocher pour s'éloigner 26
B. DES CONTENUS PERSONNIFIÉS ET NÉGOCIÉS
27
1. Un mandat présenté comme une
expérience individuelle 27
2. Une négociation dans la lutte pour la
visibilité 28 CHAPITRE 2 - LA CROYANCE PERSISTANTE EN
L'EFFICACITÉ DE TELS DISPOSITIFS
30
I. LES RÉSEAUX SOCIAUX COMME UNE RÉPONSE
À LA CRISE DE LA
REPRÉSENTATION 30
A. L'APPORT DÉMOCRATIQUE DES MÉDIAS SOCIAUX
30
1.
6
(Re)nouer le contact avec le citoyen 30
2. L'absence d'éléments de mesure pertinents
31 B. DES DISPOSITIFS QUI VALORISENT LES PRATIQUES
DÉMOCRATIQUES 32
1. Des médias sociaux rythmés par l'agenda
démocratique 32
2. Une modification superficielle de la démocratie
33
II. LA RÉINCORPORATION DE
PROCÉDÉS TRADITIONNELS DE DOMINATION 34
A. DES DISPOSITIFS POUR CONSERVER LE POUVOIR 35
1. Un monde social consensuel 35
2. Être à l'écoute 36
B. DES DISPOSITIFS PARTICIPATIFS LIMITÉS 37
1. Des publics spécifiques et démunis 37
2. D'autres outils de communication utilisés 39
CONCLUSION 41
BIBLIOGRAPHIE 43
ANNEXES 46
7
Remerciements
J'adresse mes remerciements à toutes les personnes qui
m'ont aidé dans la réalisation de ce mémoire. Je remercie
Monsieur Vincent Martigny pour ses conseils qui ont permis d'orienter mon
mémoire dans la bonne direction.
Je remercie également l'ensemble de l'équipe
parlementaire au sein de laquelle j'ai évolué durant mon Master
2. Merci à Christine, Marion et Pierre pour leur confiance au
quotidien.
Je remercie mes parents Pascale et Xavier pour leur patience,
leur soutien et leur écoute. Je remercie mes amis Léa, Ahmed et
Kenza pour la relecture de mon travail.
8
9
Introduction
Pour Sandrine Roginsky, « dire le public, c'est faire
exister l'activité de communication1 ». Nommer le
public, c'est lui donner une consistance propre. Cette mission - faire exister
des groupes au moyen de leur évocation - est la première qui
incombe aux responsables politiques vis-à-vis des individus qu'ils
représentent.
Informer, expliquer, communiquer, ces exercices constituent
aujourd'hui une grande part de l'activité d'un député. La
communication politique n'a certes pas attendu l'avénement des «
médias sociaux2 » pour émerger, mais ils sont le
signe - s'il en fallait - de la professionnalisation des élus et de
leurs équipes.
L'expression « communication politique »
désigne une forme de communication spécifique aux affaires
politiques. Dans les démocraties pluralistes, elle a deux vocations qui
correspondent aux deux temps de l'exercice démocratique :
- Aider à l'élection de la personne qu'elle sert
avant ou pendant une campagne électorale ;
- Favoriser le soutien de l'opinion publique lors de l'exercice
d'un mandat.
« Communication politique » est un euphémisme
pour parler de la propagande, terme devenu extrêmement négatif
depuis la fin des années 1970, car lié à la notion de
totalitarisme. Pour autant, la communication n'est pas du ressort exclusif des
démocraties et bien des régimes ont recours à des
techniques de communication leur permettant d'assoir leur autorité et de
réaffirmer constamment leur légitimité à gouverner.
Pour Philippe Riutort, la communication politique a toujours existé en
raison de la nature de son activité : « elle recouvre l'ensemble
des actions entreprises par les gouvernants et leurs soutiens afin de
légitimer leur action3 » .
Ainsi, la vie publique dans le monde hellénistique
était rythmée par une théâtralité et une
culture des apparences destinées à créer et à
promouvoir une image des hommes politiques qui conviendrait le mieux aux
attentes de leur public : « à travers l'adoption d'un langage
théâtral, on
1
|
ROGINSKY Sandrine, « La fabrique des publics de l'Europe ou
l'entre-soi de la communication publique
|
européenne ? », Communication &
Organisation, vol. 57, no. 1, 2020, p. 65
2 Nous définirons ce terme par la suite.
3 RIUTORT Philippe, « Sociologie de la communication
politique », La Découverte, 2007, p.6
10
parvenait à maîtriser le monde des sentiments et
les réactions de la "masse", on parvenait, en termes courants, à
contrôler l'opinion publique4 » .
Le Moyen-Âge a été marqué par des
techniques de communication de la part du pouvoir central, allant de la simple
diffusion d'informations à la construction complexe d'images de
souverains : la figure de Louis XIV par exemple, le Roi Soleil, est le fruit de
choix symboliques (le roi prend cet emblème lors de la fête du
Grand Carrousel, le 5 juin 1662) qui ont vocation à améliorer
l'image du gouvernant auprès de ses gouvernés. L'oralité
restant une donnée fondamentale de la société
médiévale, il s'agit surtout, comme le rappelle l'historienne
Aude Mairey, « de discours et de rituels du pouvoir qui, dans tous les
cas, ont une fonction légitimante essentielle5 » .
Mais la communication politique contemporaine prend
véritablement son essor au XIXe siècle, au moment de la
Révolution industrielle et de l'apparition des premiers mass
media. Les leaders perçoivent le potentiel de ce nouveau moyen
d'information et l'impératif croissant de s'adresser directement
à la population. « L'âge où nous entrons sera
véritablement l'ère des foules, écrivait Gustave Le Bon.
[É] Aujourd'hui ce sont les traditions politiques, les tendances
individuelles des souverains, leurs rivalités qui ne comptent plus, et,
au contraire, la voix des foules qui est devenue prépondérante
».
Cette idée est reprise au sein de la toute jeune
démocratie américaine par des conseillers en communication tels
qu'Edward Bernays qui proviennent des secteurs de la publicité, du
marketing et des agences de communication : « Le moteur à vapeur,
la presse à outils et l'instruction publique, qui à eux trois
forment le trio de la Révolution industrielle, ont retiré leur
pouvoir aux rois pour le remettre au peuple6 ». Le
métier de conseil et d'élaboration de la communication d'un
individu ou d'un organisme s'institutionnalise et s'enracine au sein des
cabinets politiques, même s'il faut souligner que les conseillers
à temps plein se comptent sur les doigts de la main.
4 DOUKELLIS Panagiotis, « Antiquité et pratiques de
communication politique », Dialogues d'histoire ancienne, vol.
38, n°2, 2012. pp. 212-213
5 MAIREY Aude, « Les langages politiques au Moyen Âge
(xiie-xve siècle) », Médiévales, vol. 57,
no. 2, 2009, p. 8
6 BERNAYS Edward, « Propaganda », trad. Oristelle
Bonis, Zones, 2007, p. 23
11
Le peuple tout-puissant devient l'enjeu central et l'objectif
premier des gouvernants. Conquérir le pouvoir passe par les urnes et
nécessite de conquérir l'opinion publique. Dès lors, la
communication politique vise dans un premier temps à faire
connaître un candidat auprès d'un maximum d'électeurs, puis
d'accroître sa popularité, afin d'obtenir le plus d'intentions de
vote possible.
Les médias de masse après la Seconde guerre
mondiale sont mobilisés par les pouvoirs publics et privés de
manière croissante aussi bien pour communiquer et diffuser les
informations gouvernementales que pour faire la campagne d'un candidat à
une élection.
L'avénement de la Ve République a
accentué ce phénomène de marchandisation des candidats aux
élections, dans la mesure où ce régime semi-parlementaire
institué par le charismatique général De Gaulle tend
à faire du chef de l'État un homme providentiel, presque
destiné à occuper ces fonctions exécutives suprêmes.
L'enjeu pour les communicants en charge de l'élection est alors de
rendre « présidentiable » le candidat à
l'Élysée.
L'importance d'Internet et des médias sociaux dans le
succès d'une campagne a véritablement été mis en
lumière par l'élection présidentielle américaine de
2008. La publicité politique en ligne et notamment sur Facebook a
représenté un poste budgétaire inédit avec 5
millions de dollars consacrés à l'e-pub par Barack Obama.
Ainsi, la communication politique a traversé l'histoire
et les régimes politiques en mutant et en prenant plusieurs formes, et
les acteurs politiques se sont adaptés aux innovations technologiques.
Comme l'écrivait Machiavel, « un prince est heureux ou malheureux,
selon que sa conduite se trouve ou ne se trouve pas conforme au temps où
il règne7 ».
Aujourd'hui, cette discipline peut désigner aussi bien
l'affichage politique, les rencontres sur le terrain et le tractage que les
colonnes politiques dans la presse, à la radio et à la
télévision, les débats politiques (notamment
télévisés ou radiodiffusés) ou encore les
réunions et meetings politiques.
7 MACHIAVEL Nicolas, « Le Prince », trad. de J.-L.
Fournel et J.-Cl. Zancarini, Paris, Presses Universitaires de France,
2000, chapitre XXV
12
Plus récemment dans l'histoire contemporaine se sont
développés les sondages d'opinion et la communication sur
internet (via les sites web, les blogs ou les réseaux sociaux).
L'apparition d'internet et des médias sociaux se caractérise
essentiellement par le fait que la frontière entre émetteurs
de médias et récepteurs tend à devenir plus
poreuse, ce qui oblige par conséquent à repenser la question de
la propagande autrement qu'en termes bipolaires (dominants/dominés).
L'expression « médias sociaux » s'est
imposée dans la littérature scientifique pour désigner
« un groupe d'applications en ligne qui se fondent sur l'idéologie
et la technologie du Web 2.0 et permettent la création et
l'échange du contenu généré par les
utilisateurs8 ». Cette définition large laisse place
à interprétation étendue de ces dispositifs ; la dimension
essentielle de cette définition réside dans le fait que
l'utilisateur du média est au centre de l'activité de celui-ci :
il est à la fois producteur et consommateur du contenu
médiatique.
Roginsky et Perrier désignent Facebook et Twitter
indistinctement comme des « médias sociaux » étant
donné que cette appellation « bénéficie d'une
popularité qui rend illusoire son abandon9 ». Or,
Coutant et Stenger nous rappellent que les médias sociaux
désignent bien souvent des dispositifs différents et distincts
les uns des autres. Il s'agit à la fois « de configurations
sociotechniques (les communautés virtuelles, construction complexe de
relations entre une certaine forme sociale et les supports sur lesquels elle se
développe), de technologies (le p2p, qui peut donner lieu à des
usages très disparates), de plateformes (les blogs) et d'usages (le
mashup) 10 » .
Les médias sociaux désignent ainsi une multitude
de dispositifs que Coutant et Stenger ont systématisé (voir
Annexe 1) permettant de situer chaque média selon 4 critères
(amitié, soi, intérêt, contenu).
8 KAPLAN Andréa et HAENLEIN Michael, « Users of
the world, unite ! The challenges and opportunities of social media»,
Business Horizons, vol. 53, issue 1, 2010, p. 61
9 ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne, « La
fabrique de la communication des parlementaires européens. "Tweet ton
député" et les "ateliers du député 2.0" »,
Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 86
10 COUTANT Alexandre et STENGER Thomas, « Les médias
sociaux : une histoire de participation », Le Temps des
médias, vol. 18, no. 1, 2012, p. 78
13
La communication du personnel politique sur ces médias
diffère selon le type de mandat (national/local), les
caractéristiques de la circonscription (rural/urbain, pauvre/riche,
grande/ petite), l'éloignement vis-à-vis de la capitale ou encore
selon la situation personnelle du député. Cependant, certaines
pratiques et usages que les députés ont des médias sociaux
sont similaires en de nombreux points et des caractéristiques communes
peuvent se dégager.
Un premier point commun est le nombre d'utilisateurs de ces
médias sociaux parmi les parlementaires. Au sein de l'Assemblée
nationale, 95% des députés étaient présents sur
Twitter au 5 décembre 2019 et seuls 27 élus ne possédaient
pas de compte sur l'oiseau bleu11. Selon les derniers chiffres
Médiamétrie12 (septembre 2019), en France, le
réseau social compte 16,8 millions d'utilisateurs mensuels et 4,26
millions d'utilisateurs par jour. Rapportés à l'ensemble de la
population française, ces chiffres montrent que nos
députés utilisent davantage Twitter que leurs concitoyens. Les
députés utilisent ces médias sociaux pour plusieurs
raisons, différentes selon le média employé (atteindre les
journalistes et professionnels politiques sur Twitter, toucher les
réseaux militants et bénévoles par Facebook).
Un autre point que les députés ont en commun
concernant l'usage qu'ils ont des médias sociaux (et c'est ce point qui
nous intéressera) est le fait que chacun semble convaincu de l'absolue
nécessité à utiliser ces médias sociaux.
Cependant, mesurer l'efficacité des médias
sociaux pour la communication d'un élu présente bon nombres de
difficultés. Il n'y a pas d'éléments de mesure assez
pertinent pour déterminer si tel ou tel support de communication aura un
impact (positif ou négatif) sur le vote d'un électeur.
Car si la formule « une personne pense politiquement
comme elle est socialement13 » s'applique aux
éléments partisans, les élections législatives
présentent parfois une dimension personnelle qui dépasse
l'attachement partisan d'un électeur. La notion de « vote personnel
» doit être prise en compte de manière croissante dans un
univers politique marqué de plus en plus par la personnalisation des
enjeux et des scrutins.
12
https://www.mediametrie.fr/sites/default/files/2019-01/2019%2001%2003%20-%20CP%20Audience%20Internet%20Global
Novembre2018.pdf
13 LAZARSFELD Paul Félix, BERELSON Bernard Reuben et
GAUDET Hazel, « The People's Choice », New York, Columbia
University Press, 1944, p. 27
14
Constamment mobilisé comme une preuve évidente
de la réussite d'une bonne communication, le nombre d'abonnés (et
surtout son augmentation) est vécu par les personnalités
publiques en quête de notoriété comme une obsession et un
objectif à tout prix.
Le chiffre séduit parce qu'il a le prestige des
apparences objectives, de l'évidence et du discours scientifique
rationaliste. Il est mobilisé par tous puisqu'il peut se déplacer
d'un monde social à un autre facilement.
Pour autant, la multiplication des fake accounts qui
inondent les médias sociaux, notamment en période de campagne
électorale, ne sont qu'un exemple de l'invalidité d'un tel
indicateur comme élément de mesure de l'efficacité de la
communication d'un élu ou d'une collectivité.
Alors que peu de critères et d'éléments
de mesure permettent d'évaluer l'efficacité des médias
sociaux afin d'accroitre la popularité et l'audience d'un élu, la
grande majorité des députés persistent à utiliser
des tels outils de communication qui bien souvent leur sont couteux en temps et
en salariat. Nous allons démontrer que l'engouement d'un
député pour développer sa communication sur les
médias sociaux s'explique par une croyance en l'efficacité de
tels dispositifs, notamment dans la transformation de l'augmentation du nombre
d'abonnés en vote personnel.
Cette croyance se développerait d'abord par
mimétisme. Tous les représentants politiques, économiques,
artistiques du monde, en bref tous les grands leaders d'opinion sont
présents sur les médias sociaux. Ne pas y être
constituerait une mise à l'écart. Cette hypothèse ne
saurait d'ailleurs être propre au personnel politique. Combien
d'utilisateurs des médias sociaux les utilisent par peur d'être
exclu du processus prétendument socialisant de tels dispositifs ?
Une deuxième hypothèse serait la suivante : bien
que les critères tels que le nombre d'abonnés ou le nombre de
« like » ne soient pas des éléments de mesure
pertinents, ils restent perçus par un député comme un
critère de popularité notable et/ou significatif de son poids
politique. Plus ces indicateurs sont élevés, plus une
communication sera jugée utile et efficace par le personnel politique et
son entourage (équipe).
15
Une dernière piste consisterait à dire que les
députés utilisent les médias sociaux pour expliquer,
vulgariser l'actualité politique au langage parfois technique, et que
cette pédagogie servirait à réaffirmer leur
autorité et leur légitimité.
Afin de vérifier ces hypothèses, nous verrons
que la communication politique d'un député nécessite
l'intégration d'un véritable ethos communicationnel
(Chapitre 1), tandis que l'utilisation de tels dispositifs répond encore
à une croyance persistante en l'efficacité des médias
sociaux (Chapitre 2).
16
17
Présentation de la méthode
Pour réaliser cette recherche, le dispositif
méthodologique mis en place est double :
1. Une période de dix mois en tant qu'assistant
parlementaire au cours de laquelle j'ai pu observer et prendre note sur un
certain nombre de pratiques et d'usages par le parlementaire et son
équipe des médias sociaux ;
2. Une série d'entretiens avec plusieurs membres de
l'équipe parlementaire au sein de laquelle j'ai évolué,
ainsi que la députée elle-même.
Notre approche est empirique dans la mesure où elle
cherche à mettre en avant l'expérience d'acteurs politiques dans
leur usage des médias sociaux afin de comprendre leurs perceptions de
ces dispositifs et les objectifs poursuivis. Elle est aussi qualitative en
raison de la nature du phénomène : les représentations
d'une parlementaire et de son équipe quant aux usages qu'ils font des
médias sociaux. Il aurait été peu pertinent d'utiliser une
méthode quantitative, dès lors que l'étude d'une
représentation ou d'une pratique ne saurait être
quantifiée. La méthode qualitative permet d'étudier avec
détail, précision, le cheminement de pensée qui
amène ces individus à identifier les médias sociaux comme
indispensables à leur communication et à l'accroissement de leur
notoriété. De plus, comme le souligne Stéphane Beaud,
« un entretien est aussi intéressant parce qu'il dit ou parce qu'il
cache ou dit à demi-mot14 ». En tant que « caste
» privilégiée et habituée à l'exercice de la
parole et de la maîtrise des mots, il n'est pas démesuré
d'annoncer que les parlementaires ne se livrent pas aisément à
des discours sincères.
L'entretien semi-directif paraît adapté pour
tenter de répondre à nos hypothèses tout en laissant la
possibilité à l'interviewé de nous livrer des informations
potentiellement inattendues. Les entretiens semi-directifs sont
constitués de questions ouvertes, ceci pour plusieurs raisons.
Premièrement, les questions peuvent être assez
générales pour laisser mon enquêté répondre
selon ses opinions, ses ressentis, ses représentations. De plus, lorsque
l'enquêté énonçait une information
intéressante, inattendue, j'ai pu « creuser » cette
information en posant de nouvelles questions, ce qui m'a donné des
informations plus détaillées et parfois des pistes de
réflexion nouvelles.
14 BEAUD Stéphane, « L'usage de l'entretien en
sciences sociales. Plaidoyer pour l'"entretien ethnographique" »,
Politix, vol. 9, 1996, p. 253.
Ensuite, l'avantage d'un tel entretien est qu'il est directif
sur la forme, mais pas sur le fond. Ainsi, la grille d'entretien était
hybride et évolutive en fonction du déroulement de l'entretien,
ce qui m'a donné la possibilité de discuter de thèmes non
planifiés, imprévus, éventuellement découverts au
fil de l'entretien.
Enfin, nous mobiliserons des discours institutionnels produits
sur les dispositifs de réseaux socio-numériques, notamment les
publications de Marine Brenier sur des dispositifs tels que Facebook et
Twitter. Nous désignons les médias sociaux par la terminologie
« dispositif » car, comme le rappelle Sandrine Roginsky, «
mobiliser le terme "dispositif" n'est pas fortuit puisque la notion
amène une compréhension spécifique de ce qu'il donne
à voir et amène à l'analyser en termes de relation de
pouvoir 1 5 » .
18
15ROGINSKY Sandrine, « La fabrique des publics
de l'Europe ou l'entre-soi de la communication publique européenne ?
», Communication & Organisation, vol. 57, no. 1, 2020, p.
57
19
CHAPITRE 1 - L'INTÉGRATION D'UN ETHOS
COMMUNICATIONNEL
Cette manière de communiquer, particulière aux
médias sociaux, s'explique d'abord par des logiques de mimétisme
(I) et une lutte pour la visibilité (II).
I. DES LOGIQUES DE MIMÉTISME
Cette manière de communiquer est le fruit d'un
apprentissage et d'une assimilation de règles et d'usages (A), tandis
que la communication du parlementaire fait parfois l'objet de tensions et vogue
entre discipline et désir d'émancipation (B).
A. L'APPRENTISSAGE D'UNE MANIÈRE D E COMMUNIQUER
1. L'assimilation d'un rôle pédagogique
Parlementaire est un métier dont l'apprentissage
réside dans « la capacité des élus à adopter
un rôle conforme à ce que l'institution parlementaire attend de
ses membres 1 6 » .
Le parlementaire se sent investit d'un rôle
pédagogique d'explication et de vulgarisation de la vie politique
française. Il se voit comme l'intermédiaire d'une
actualité politique technique qu'il conviendrait de vulgariser pour la
rendre accessible à tous les citoyens.
Ainsi, à ma première question demandant de
définir ce qu'était la communication politique, la réponse
du parlementaire est fortement axée sur cet aspect pédagogique
:
16BALOGE Martin, « Le député
débutant. Apprentissage et assimilation de l'ethos parlementaire au
Bundestag », Politix, vol. 113, no. 1, 2016, p. 205
20
« (La communication politique) permet de vulgariser,
transmettre un message politique, une opinion, répercuter une action
au grand public. Les citoyens se disent souvent éloignés de
leurs élus. La communication politique a vocation à les en
rapprocher par des messages qui doivent être compréhensibles de
tous et adaptés aux réseaux utilisés et publics
visés1 7 »
Et à la question « Un député a-t-il
un rôle de pédagogie/vulgarisation de la vie politique à
l'égard des citoyens ? », la réponse du parlementaire fut
brève et sans équivoque :
« Oui tout le temps, à l'égard de tous les
publics et en particulier des plus jeunes qui sont des citoyens en devenir 1 8
»
La communication de ce parlementaire est perçue comme
pédagogique et dans un esprit conciliateur, absent de tout clivage
politique, dans l'objectif de montrer un travail neutre voire
dépolitisé, veillant à l'intérêt
général et au bien commun.
Ce rôle pédagogique peut être perçu
comme une réponse à la crise de la représentation
politique et permet au parlementaire d'affirmer que si le citoyen est
mécontent de la classe politique, c'est avant tout parce qu'il n'a
pas compris le message politique et non parce qu'il serait en
désaccord avec celui-ci.
Endosser un rôle pédagogique peut à bien
des égards servir d'outil légitimant pour les acteurs politiques,
en infantilisant un public qui ne serait pas à même de comprendre
les enjeux politiques, sociaux, sanitaires ou économiques qui traversent
la société.
2. L'intégration d'un «
parler-twitter»
17Entretien téléphonique avec Nadine,
Députée, 25/08/2020
21
Communiquer sur Twitter est une forme d'autopublication
(« processus de mise en forme d'un contenu sélectionné,
collecté, agrégé, synthétisé, en vue de sa
diffusion sans intermédiaire19 »). Il suppose chez
l'internaute un sentiment de compétence à s'exprimer sur tel
réseau et tel sujet, et nécessite d'adopter un certain formalisme
(les tweets sont limités à 140 caractères).
Le « parler-twitter » renvoie à toute une
série de constructions syntaxiques et grammaticales qui standardisent
l'élaboration d'un tweet. Ce langage standardisé et
aseptisé se retrouve sous plusieurs thématiques telles que :
- L'hommage à une personne décédée
- La célébration de fêtes nationales
- La promotion d'une organisation ou d'une collectivité
Des formules telles que :
Ou encore
Ces formulations solennelles revêtent une écriture
normalisée, transposable d'un élu à un autre, d'une
collectivité à une autre, dès lors que certaines
particularités sont modifiées.
19 GALLEZOT Gabriel et PÉLISSIER Nicolas, « Twitter,
un monde en tout petit », L'Harmattan, 2013, p. 23
22
Les publics sur Twitter étant majoritairement des
journalistes et des individus préalablement intéressés par
la politique, le discours s'adapte en conséquence. Pierre-Jean Benghozi
y voit un « double mouvement de standardisation et de "customization",
analogue à celui qui fait passer du sur-mesure au
prêt-à-porter20 » .
Pour autant, mon parlementaire se défend d'utiliser un
langage en particulier et à la question « un parlementaire doit-il
apprendre à parler un certain langage (politique) pour communiquer ?
», il estime que « c'est justement l'erreur à ne pas faire
», tout en ajoutant une nouvelle fois que « le rôle du
politique, a fortiori dans sa communication, doit être de vulgariser son
action pour qu'elle soit à la portée de tous ».
Communiquer sur les médias sociaux est donc le fruit
d'une assimilation de règles et d'usages qui standardisent la
communication d'un parlementaire, tandis qu'il doit suivre une certaine
discipline malgré des désirs d'émancipation.
B. ENTRE MIMÉTISME ET DISSIDENCE
1. La discipline comme règle primaire
Communiquer sur les médias sociaux pour un
parlementaire nécessite de s'emparer de sujets d'actualité et
d'adopter une posture, un avis, une position bien particulière. Le choix
de ce positionnement ne se fait pas au hasard ni sans l'influence de
personnalités et du collectif auquel le parlementaire appartient.
J'ai pu observer une forme d'attentisme de mon parlementaire
avant de communiquer une prise de position sur certains sujets. Plus les sujets
sont cruciaux et divisent le collectif politique, plus la prudence était
de mise.
Ainsi des sujets « de société », tels
que la Procréation Médicalement Assistée (PMA), la
laïcité, la fin de vie, la question de l'Europe et sa place dans la
vie politique française, l'écologie ; il
20BENGHOZI Pierre-Jean, « De l'organisation
scientifique du travail à l'organisation scientifique du client :
l'orientation-client, focalisation de nouvelles pratiques managériales
», Réseaux, 91, 1998, p. 18
23
s'agit là de sujets sur lesquels mon parlementaire
observait au préalable une forte « discipline de
parole21 » à l'égard des figures du parti
politique auquel il appartient. En plus de la hiérarchie nationale, la
pression de la structure locale se fait également ressentir quant au
positionnement sur les sujets de premier plan. Le parlementaire doit jongler
entre ces différents points de tension pour tenter d'exister «
numériquement » et progressivement construire sa propre
identité.
2. Construire son identité «
numérique »
Il y a un mouvement croissant d'individualisation et
d'émancipation des personnalités politiques à
l'égard de leur formation politique d'origine. Les figures politiques
d'envergure nationale (Marine Le Pen, Jean-Luc Mélanchon, Emmanuel
Macron, etc.) ont fait la démonstration de cette volonté
d'émancipation afin de développer une relation personnelle avec
l'opinion publique.
Ce mouvement, très visible pour les ténors
politiques, est suivi par les personnalités politiques de seconde zone
telles que mon parlementaire. Ainsi un membre de son équipe venait
à développer la stratégie de communication mise en place
pour le parlementaire :
« On essaye d'établir un fil conducteur entre les
réseaux sociaux pour créer une réelle identité
politique... et virtuelle, une sorte de marque politique quoi. Il faut un peu
savoir se démarquer des autres, sinon on se fait bouffer22
»
D'autre part, la communication politique est définie
comme la « mise en lumière du travail de fond de l'activité
parlementaire pour créer l'identité politique de la
députée23 » .
21 ROGINSKY Sandrine, « La fabrique des publics de l'Europe
ou l'entre-soi de la communication publique européenne ? »,
Communication & Organisation, vol. 57, no. 1, 2020, p. 57
22Entretien téléphonique avec Marion,
collaboratrice parlementaire, 28/08/2020
24
Les chercheurs Florence Écormier-Nocca et Charles
Louis-Sidois y voient une « logique d'individualisation du capital
politique des députés au détriment du capital politique
collectif détenu par les partis (qui) passerait par l'expression d'une
forme de dissidence des députés vis-à-vis de leur
formation politique24 ». Ils démontrent notamment que la
dissidence dépend fortement de l'appartenance partisane, et qu'un
parlementaire situé à la droite de l'échiquier politique
aura plutôt tendance à respecter une certaine discipline politique
plutôt qu'un parlementaire situé à gauche.
Nous l'avons vu, communiquer sur les médias sociaux
nécessite pour un parlementaire d'intégrer un véritable
ethos communicationnel en reproduisant des manières de
communiquer similaires à ses semblables tout en cherchant à se
créer sa propre identité numérique. Cette manière
d'être sur les médias sociaux s'inscrit dans une lutte pour la
visibilité.
II. LA LUTTE POUR LA
VISIBILITÉ
La lutte que livre un parlementaire pour augmenter sa
visibilité numérique place son intime au centre de sa
stratégie de communication (A), et les contenus qui y sont
diffusés sont, nous le verrons, personnifiés et
négociés (B).
A. L'INTIME COMME STRATÉGIE DE
COMMUNICATION
1. Mettre en scène sa vie privée
La mise en avant de la vie privée des élus est
un phénomène croissant, global et qui n'est pas propre aux
parlementaires français. Ainsi de nombreuses personnalités
politiques mettent en avant leur vie privée et se présentent
volontiers comme « père » ou « mère », «
marie » ou « femme » avant d'être maire, parlementaire ou
ministre.
24 ÉCORMIER-NOCCA Florence et LOUIS-SIDOIS Charles, «
Fronde 2.0. Les députés français sur Twitter »,
Revue française de science politique, vol. vol. 69, no. 3,
2019, p. 481
25
Pour Philippe Riutort, l'essor d'un traitement de la politique
mettant l'accent sur « la dimension privée des protagonistes ou la
psychologie des personnages25 » peut être vu comme un
« glissement du spectacle politique26 » .
Recourir aux animaux de compagnie pour montrer son
côté humain est un grand classique de la communication politique.
L'exemple de Gerald Darmanin mettant en scène son chat Boris est un
véritable cas d'école. Lui-même affirmait que « les
gens sont surtout sensibles à leurs animaux de compagnie27
». Il recommandait également ceci à ses collègues :
« plutôt que de mettre des choses compliquées et techniques
sur vos comptes Twitter ou Instagram, mettez des photos de chats et de chiens,
et, vous verrez, ça ira mieux. Vous montrerez que vous avez du coeur et
de l'émotion28 » .
Ainsi la mise en scène d'éléments de la
vie privée d'un élu peut participer à sa stratégie
de communication. C'est le cas de mon parlementaire qui estime que la place
réservée à sa vie privée sur les médias
sociaux « est très modérée » et se limite
à la « publication de photos perso sur Instagram pour illustrer une
cause ou faire un peu de publicité à une entreprise
locale29 ».
Pour autant, sa collaboratrice tient un discours moins
nuancé et estime qu'« elle n'a pas assez mis en avant le capital
"jeune" et "femme". Par exemple c'est moi qui lui ai dit de publier une photo
de son chien pour la journée mondiale du chien. On l'incite à
développer ce genre d'initiatives, ça l'humanise un
peu30 ». Autant d'initiatives qui font appel aux
émotions, à l'empathie et qui mettent en scène des
éléments qui auparavant relevaient plutôt de la vie
privée de l'élu.
À la question « considérez-vous qu'un
élu puisse tirer avantage politique à diffuser du contenu de sa
vie privé sur ses réseaux sociaux ? », sa réponse fut
la suivante :
25 RIUTORT Philippe, « Sociologie de la communication
politique », La Découverte, 2007, p. 102
27
https://www.valeursactuelles.com/politique/contre-la-crise-darmanin-recommande-aux-ministres-de-publier-des-photos-de-chats-et-de-chiens-sur-les-reseaux-sociaux-115347
29 Entretien téléphonique avec Nadine,
Députée, 25/08/2020
30 Entretien téléphonique avec Marion,
collaboratrice parlementaire, 28/08/2020
26
« Je pense que ça dépend du média.
Nadine met plus en avant sa vie privée sur Instagram, au restaurant
avec ses amis, elle met beaucoup de photos de (son chien) Nouba car il y a un
lien un peu plus intime avec Instagram. Je trouve ça très
déplacé de faire ça sur Twitter et Facebook. C'est des
pages publiques... Je vois pas trop l'intérêt3 1 »
La réponse de la collaboratrice permet d'entrevoir les
codes et les usages afférents à chaque média social, selon
la pratique que chaque élu en fait. Le dispositif de déploiement
de la communication se veut adapté au contenu publié. On peut
également sentir une forme d'auto-limitation dans la part de vie
privée qu'il est acceptable d'utiliser pour accroître la
notoriété d'un élu.
Mais paradoxalement, cette mise en scène de la vie
privée, plutôt que de rapprocher le représenté de
son représentant, l'éloigne un peu plus.
2. Se rapprocher pour s'éloigner
La mise en scène des éléments de la vie
privée d'un élu permet d'abolir certaines frontières entre
les gouvernants et les gouvernés. Les leaders politiques jouent de leur
charisme pour rapprocher leurs sentiments avec ceux du public. Anthony Giddens
y voit dans ce phénomène une véritable «
démocratisation de l'intime 32 » .
Mais si la démocratisation suppose que le pouvoir
revienne au peuple, ce rapprochement viendrait au contraire divertir, disperser
le citoyen de la vie politique. Michaël Foessel explique que « les
politiciens exhibent leur intimité pour éviter d'avoir à
être jugés sur leurs actes. (É) La séduction
l'emporte sur la pédagogie et l'ambition politiques. Le refus de traiter
les citoyens
31 Entretien téléphonique avec Marion,
collaboratrice parlementaire, 28/08/2020
32GIDDENS Anthony, « La Transformation de
l'intimité. Sexualité, amour et érotisme dans les
sociétés modernes », Paris, Hachette
Littératures, 2004, p. 224
27
comme des "inconnus" (strangers), le jeu de la
proximité et la mise en scène de soi concourant à
maintenir le statu quo social33 » .
La lutte pour la visibilité incite mon parlementaire
à mettre en avant sa vie privée, ce qui donne l'illusion d'un
rapprochement gouvernant-gouverné, tandis que les contenus qui sont
diffusés sur les médias sociaux sont à la fois fortement
personnifiés et toujours négociés.
B. DES CONTENUS PERSONNIFIÉS ET
NÉGOCIÉS
1. Un mandat présenté comme une
expérience individuelle
Les contenus diffusés sur les médias sociaux par
mon parlementaire prennent la tournure d'une véritable promotion des
réalisations qui aboutissent. Mobilisé tous azimuts à la
captation de forces économiques et politiques dans
l'intérêt de son territoire, les réalisations territoriales
sont personnifiées au cours des inaugurations en la personne de
l'élu local.
Ce phénomène s'est développé
notamment depuis les lois de décentralisation qui ont donné aux
collectivités locales des compétences et «
érigé la dimension gestionnaire en qualité de l'élu
local. Homme de dossier et "entrepreneur", l'édile se transforme en
"communicant" célébrant les réalisations territoriales
qu'il se doit de personnifier34 » .
Ainsi des contenus établissant un lien de cause
à effet entre une action individuelle et une réalisation
concrète sont régulièrement mis en avant par mon
parlementaire. Des formulations commençant par « J'ai
déposé une proposition de loi... » ou « J'ai
interpellé le/la Ministre... » suivi de données
chiffrées mettant en valeur une évolution positive significative
établissent indirectement un lien causal entre l'action entreprise par
l'élu et les résultats immédiatement observables.
33 FOESSEL Michaël, « La privation de l'intime »,
Seuil, 2008, p. 53
34RIUTORT Philippe, « Sociologie de la
communication politique », La Découverte, 2007, p.62
28
Ce type de construction syntaxique fut à de nombreuses
reprises une commande de mon parlementaire et son équipe conscients de
l'aspect personnifiant d'une telle formulation. Ce phénomène de
personnalisation de la communication est d'ailleurs une des conséquences
des médias sociaux : « les réseaux sociaux accentuent la
personnalisation et favorisent les jugements à l'emporte-pièce et
outranciers, au détriment des idées et des fastidieux programmes
que plus personne ne lit 35 » .
Cette personnalisation de la communication est due au fait que
les acteurs tels que les parlementaires en quête de visibilité
adaptent leurs contenus à ceux des journalistes.
2. Une négociation dans la lutte pour la
visibilité
Les médias sociaux et notamment Twitter voient se jouer
une lutte pour la visibilité entre des élus qui essaient
d'exister médiatiquement et des journalistes qui tentent d'obtenir les
meilleures informations (celles qui auront le plus d'impact en terme
d'audience). Dans cette lutte, les députés constituent des
observateurs privilégiés de la vie parlementaire puisqu'ils
créent la plus grande part de l'actualité politique.
Twitter est « un entre-soi dans lequel sont
négociées (É) des fenêtres d'exposition
médiatique à large audience contre des informations à
forte valeur médiatique, objectif autour duquel les
députés et les journalistes se retrouvent36 ». En
tant que média social, « Twitter constitue un espace de
sociabilité, où l'on négocie des contrats de
médiatisation en même temps que l'on noue des rapports humains
entre semblables37 ».
Les efforts de mise en scène de la vie privée de
l'acteur politique est destiné à favoriser l'attraction de
journalistes. « Twitter offre littéralement à ses
utilisateurs, journalistes et députés,
35MARTIGNY Vincent, « Le Retour du Prince »,
Paris, Flammarion, 2019, chapitre III
36 CHIBOIS Jonathan, « Twitter et les relations de
séduction entre députés et journalistes. La salle des
Quatre Colonnes à l'ère des sociabilités numériques
», Réseaux, vol. 188, no. 6, 2014, p. 222
de mettre en corps leur identité numérique et
leurs sociabilités numériques, par la personnalisation de leur
profil et la gestion fine des paramètres de leur propre exposition3 8
» .
Ainsi les parlementaires intègrent, selon des logiques
de mimétisme, toute une série de codes et d'usages pour apprendre
à communiquer au mieux dans cette lutte pour la visibilité que
constituent ces espaces médiatiques que sont les médias sociaux.
Ces éléments participent à leur croyance forte en
l'efficacité de tels dispositifs pour déployer leur
communication.
29
38 CHIBOIS Jonathan, « Twitter et les relations de
séduction entre députés et journalistes. La salle des
Quatre Colonnes à l'ère des sociabilités numériques
», Réseaux, vol. 188, no. 6, 2014, p. 223
30
CHAPITRE 2 - LA CROYANCE PERSISTANTE EN
L'EFFICACITÉ DE TELS DISPOSITIFS
La croyance farouche en l'efficacité de médias
sociaux tels que Facebook et Twitter s'est exprimée chez mon
parlementaire par une affirmation que ces réseaux constituent une
réponse à la crise de la représentation (I). D'un autre
côté, le fait que ces dispositifs réincorporent certains
procédés de domination permettant de gagner et conserver le
pouvoir (II) a tendance à séduire des acteurs politiques tels
qu'un parlementaire.
I. LES RÉSEAUX SOCIAUX COMME UNE RÉPONSE
À
LA CRISE DE LA REPRÉSENTATION
Le discours mobilisé par mon parlementaire justifiant
sa croyance en l'efficacité de tels dispositifs évoque en premier
lieu l'apport démocratique des médias sociaux (A), puis la valeur
ajoutée de ces dispositifs sur les pratiques démocratiques
(B).
A. L'APPORT DÉMOCRATIQUE DES MÉDIAS SOCIAUX
1. (Re)nouer le contact avec le citoyen
La démocratisation de l'accès à internet
a été une condition nécessaire mais insuffisante de
l'autopublication, puisque celle-ci était réservée
à un nombre restreint d'individus qui maîtrisaient les langages
informatiques indispensables à la publication de contenus. « Un
facteur a favorisé la démocratisation de cette pratique sociale :
la création d'outils simplifiés d'autopublication
numérique39 » .
39BOYADJIAN Julien, « Analyser les opinions
politiques sur Internet. Enjeux théoriques et défis
méthodologiques », thèse de doctorat, Université
Montpellier 1, 2014, p. 35
31
L'appropriation progressive de ce nouvel outil
numérique par la population « ordinaire » a conduit les
responsables politiques à y trouver une justification à leur
manque de légitimité et à y fournir une véritable
réponse à la crise de la représentation. Mon parlementaire
fait des déclarations en ce sens : à la question « les
réseaux sociaux sont-ils une réponse à la crise de la
représentation ? », sa réponse est affirmative :
« Oui peu de personnes vont prendre la peine de se rendre
dans une permanence ou d'aller à la rencontre physique de leurs
représentants. Ils attendent soit que nous allions physiquement à
leur rencontre, par exemple en porte à porte, ce que la situation
sanitaire ne permet plus, soit de pouvoir nous toucher par le biais des
réseaux sociaux. C'est pour cela qu'il est fondamental de pouvoir
mettre en place le plus de facilités possibles pour qu'ils puissent nous
contacter via internet »
Mon parlementaire est frappé d'un réel
cyber-optimisme qui voudrait que les outils suffiraient à mettre fin au
manque de popularité de leur enceinte parlementaire en facilitant le
contact direct et sans filtre avec les citoyens.
Cette croyance est alimentée par le fait qu'il n'existe
aucun outil permettant d'évaluer si une campagne de communication s'est
transformé en vote personnel chez un électeur.
2. L'absence d'éléments de mesure
pertinents
Le déficit d'outils permettant de mesurer
précisément la transformation de l'audience d'un élu en
vote personnel renvoie les acteurs politiques à prendre en compte des
éléments de mesure invalides tels que le nombre d'abonnés
à leur compte ou encore le nombre de réactions (like,
commentaire, partage) à une publication. Ainsi les comptes
publics/professionnels mettent à disposition des administrateurs des
statistiques techniques sur l'audience, le nombre de personnes qui ont vu telle
publication passer dans leur fil d'actualité, ou encore le nombre de
clics sur la publication etc.
32
Ces éléments chiffrés rassurent mon
parlementaire qui a prononcé cette phrase que je m'étais
empressé de noter : « si à la fin de ton contrat on
dépasse les 10.000 abonnés, tu auras fait du bon boulot ».
Cette simple phrase illustre l'importance de la croyance de mon parlementaire
qu'une augmentation du nombre d'abonnés est synonyme d'une bonne
communication.
À défaut de disposer d'éléments de
mesures réellement contradictoires, les chiffres concernant le nombre
d'abonnements au compte ou le nombre de réactions restent pour un
parlementaire le meilleur instrument de mesure, ou du moins le moins
mauvais.
Paradoxalement, le ressenti constitue également un
élément de mesure de la communication comme l'évoque sa
collaboratrice :
« On le fait aussi en fonction des réactions des
citoyens par présence, par téléphone ou par mail. Et
notamment au moment où (Nadine) se pointe dans les séquences.
Notamment toutes les prises de position sur l'écologie... À
toutes les inaugurations on en a parlé... On le sent si un
sujet passe pas40 »
L'absence d'éléments de mesure clairs et
efficaces obligent mon parlementaire et son équipe à naviguer
à vue, à « prendre la température » au fil des
contacts avec la population et adapter la communication voire les prises de
position en conséquence.
B. DES DISPOSITIFS QUI VALORISENT LES PRATIQUES
DÉMOCRATIQUES
1. Des médias sociaux rythmés par
l'agenda démocratique
40Entretien téléphonique avec Marion,
collaboratrice parlementaire, 28/08/2020
33
Plutôt que de fragiliser la démocratie et la
participation politique, les médias sociaux permettraient de mettre en
lumière un certain nombre de pratiques démocratiques et notamment
ses temps forts : les élections.
Roginsky et Perrier affirment en ce sens que « les
messages publiés sur Twitter et Facebook par les députés
européens sont ainsi rythmés par le calendrier législatif
du Parlement européen41 ». Cette observation est
transposable à l'échelon national pour toutes les
élections. Durant cette période, les élus, candidats ou
soutiens, utilisent les médias sociaux comme canaux de diffusion des
programmes, idées et débats politiques.
Les semaines et les mois avec mon parlementaire sont
rythmées selon l'activité parlementaire ou l'activité
militante et oscillent en cadence entre ces deux moments de la
démocratie. Comme le soulignent une nouvelle fois Roginsky et Perrier,
« s'il devient indispensable d'apparaître sur ces dispositifs, nous
constatons cependant que leur utilisation ne modifie pas fondamentalement la
manière de concevoir la communication : les messages sur les
médias sociaux reprennent souvent les formes et les thématiques
traditionnelles Ð comme l'agenda du député, les passages
radio ou télévision, l'information parlementaire et les
réactions à l'actualité politique ».
Les médias sociaux constituent une sorte d'incubateur
des moments forts de la démocratie et la modifient en surface.
2. Une modification superficielle de la
démocratie
Les médias sociaux ont été
intégrés au jeu démocratique, au moyen notamment d'une
législation qui adapte leur utilisation avec les règles
électorales. Cet élément semble accepté par mon
parlementaire :
« La législation en terme de campagne
électorale laisse peu de place à la souplesse. De
plus, l'utilisation des réseaux sociaux en politique est encore assez
récente. Il y a de plus en plus de
41 ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne, « La
fabrique de la communication des parlementaires européens. "Tweet ton
député" et les "ateliers du député 2.0" »,
Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 105
34
contentieux sur ce sujet. Les élus sont donc assez
frileux sur l'utilisation des réseaux sociaux en période de
campagne, pendant laquelle selon le canal utilisé, il convient de garder
une certaine
neutralité42 »
La rigidité évoquée par la
législation actuelle semblerait avoir placé les médias
sociaux dans un cadre précis et probablement inadapté aux
évolutions rapides de ces médias et de leur utilisation par les
acteurs politiques.
Pour Jonathan Chibois, l'apparition des médias sociaux
et notamment de Twitter ne bouleverse pas le paysage médiatique mais ne
serait que la conséquence des évolutions de celui-ci : «
Twitter s'intègre opportunément dans des usages
médiatiques qui lui préexistaient. C'est un dispositif
sociotechnique dont l'appropriation n'est pas la cause d'une évolution
des usages, mais constitue plutôt une conséquence de ces usages
qu'elle vient prolonger à sa manière43 » .
Les médias sociaux sont perçus par mon
parlementaire comme apportant une part de la réponse à la crise
de la représentation alors même que ces dispositifs sont assez
bien intégrés dans les pratiques démocratiques.
Enfin, si les médias sociaux restent populaires parmi
des acteurs politiques tels qu'un parlementaire, c'est parce qu'ils
réincorporent certains procédés traditionnels de
domination qui leur permettent de gagner et de conserver le pouvoir.
II. LA RÉINCORPORATION DE
PROCÉDÉS TRADITIONNELS DE DOMINATION
Roginsky et Perrier nous disent que les médias sociaux
peuvent être des outils innovants pour la démocratie même si
rapidement « les acteurs réincorporent des procédés
qui précèdent les
42Entretien téléphonique avec Nadine,
Députée, 25/08/2020
43 CHIBOIS Jonathan, « Twitter et les relations de
séduction entre députés et journalistes. La salle des
Quatre Colonnes à l'ère des sociabilités numériques
», Réseaux, vol. 188, no. 6, 2014, p. 220
35
outils44 ». Un acteur politique tel qu'un
parlementaire, conscient des limites de ces dispositifs, utilise les
médias sociaux car ils lui permettent de conserver le pouvoir (A) alors
même que ces dispositifs prétendument participatifs sont
très limités (B).
A. DES DISPOSITIFS POUR CONSERVER LE POUVOIR
1. Un monde social consensuel
C'est aussi parce que ces dispositifs réincorporent des
procédés traditionnels de domination que les élus croient
à l'efficacité des médias sociaux pour asseoir leur
légitimité et leur domination.
L'ordre social des médias sociaux tend à
reproduire celui du monde social existant. Ainsi un utilisateur lambda n'aura
pas le même statut qu'un leader d'opinion qui se verra attribuer une
certification à son compte, notifiant immédiatement la
différence de statut : « la certification du compte par Twitter
participe de la mise en corps. Il s'agit de garantir l'adéquation entre
le profil et la personne, de garantir que - symboliquement au moins - la
personne qui tweete est la personne qui prétend tweeter,
c'est-à-dire l'authenticité d'une présence45
».
La distance entre un élu et un utilisateur ordinaire
est marquée et amplifiée par le manque de contact qu'il peut y
avoir entre deux individus aux centres d'intérêts
éloignés ou opposés. En plus des algorithmes qui tendent
à constamment rapprocher les utilisateurs de leurs communautés
voisines en proposant du contenu similaire aux précédents choix,
certains logiciels se sont développés afin de filtrer tous les
messages et contenus haineux mais aussi indésirables selon les
critères de l'utilisateur.
44 ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne, « La
fabrique de la communication des parlementaires européens. "Tweet ton
député" et les "ateliers du député 2.0" »,
Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 94
45 CHIBOIS Jonathan, « Twitter et les relations de
séduction entre députés et journalistes. La salle des
Quatre Colonnes à l'ère des sociabilités numériques
», Réseaux, vol. 188, no. 6, 2014, p. 224
36
L'utilisation de tels robots conduit l'utilisateur à
s'enfermer dans un monde numérique consensuel ou toute contradiction
interviendrait hors champ, hors de son cadre habituel. Les individus qui
s'informent sur internet ont d'ailleurs plus tendance à choisir des
sites d'information qui suivent leurs opinions : « 74% de ceux qui
s'informent principalement sur internet tendent à choisir des sites qui
vont dans le sens de leurs opinions, alors que la moitié seulement des
utilisateurs des médias traditionnels se tournent vers des médias
allant dans le sens de leurs opinions 46 » .
Internet et les médias sociaux aurait donc tendance
à amplifier ce phénomène de convergence des individus
selon leurs opinions. « Internet est devenu omniprésent dans notre
vie sociale, mais il est en quelque sorte absorbé par
celle-ci47 » .
Un autre enjeu dans l'utilisation des médias sociaux
par un élu tel que mon parlementaire est d'apparaître comme
étant à l'écoute de ses citoyens.
2. Être à l'écoute
La crise de la représentation est le corollaire de
l'injonction qu'il est fait aux parlementaires mais à tous les
représentants politiques en général d'être toujours
plus à l'écoute de leurs citoyens et de leurs demandes.
Mon parlementaire estime que nous sommes « dans une
période au cours de laquelle les gens ont un véritable
désamour de leur politique » et « qu'il est fondamental de
pouvoir mettre en place le plus de facilités possibles pour que (les
citoyens) puissent nous contacter via internet : en répondant rapidement
aux messages privés sur réseaux sociaux ou en mettant en place
une boîte aux lettres sur le site par exemple48 » .
46KOC MICHALSKA Karolina et VEDEL Thierry, « Les
pratiques informationnelles durant la campagne présidentielle »
dans « Le Vote normal: les élections présidentielle et
législatives d'avril-mai-juin 2012 », sous la direction de
PERRINEAU Pascal, Paris, Presses de Sciences Po, 2013, p. 59
48Entretien téléphonique avec Nadine,
Députée, 25/08/2020
37
Cette injonction à répondre à toutes les
sollicitations et tout le temps modifie l'activité parlementaire avec le
besoin croissant de faire appel à des collaborateurs
spécialisés dans les méthodes de communication.
Roginsky et Perrier affirment que « les acteurs
politiques sont conscients que c'est la prescription qui leur est faite, et
ceux qui maîtrisent le mieux l'outil technique parviennent à
donner l'impression d'échanger pour donner l'impression d'être
à l'écoute49 ». À l'appui d'un entretien,
les deux chercheuses relatent le fait qu'un assistant parlementaire en charge
de l'animation des pages Facebook et Twitter tient aussi un rôle de
modérateur des échanges qui peuvent survenir entre les
internautes. Il s'agit de montrer l'ouverture d'esprit et l'écoute du
député en laissant les débats avoir lieu, tout en
surveillant ce qu'il se dit et en vérifiant la pertinence des propos.
De cette manière, un internaute éprouvera
davantage de satisfaction (voire de valorisation) si son post ou tweet a fait
l'objet d'une réaction par un(e) député(e) plutôt
que par un citoyen lambda. L'élu montrera à son tour davantage
d'écoute et fera preuve d'une proximité avec les citoyens.
Si les médias sociaux donnent aux élus
l'occasion de faire perdurer des procédés de domination (qui
étaient déjà à l'oeuvre avant l'arrivée de
ces dispositifs), ils restent limités et ne transforment pas
fondamentalement les pratiques traditionnelles de communication politique.
B. DES DISPOSITIFS PARTICIPATIFS LIMITÉS
1. Des publics spécifiques et démunis
Pour Roginsky et Perrier ces dispositifs ne bouleversent pas
de manière fondamentale et déterminante les pratiques
traditionnelles de communication politique et du travail politique puisqu'ils
ne modifient pas foncièrement les formes d'engagement et de
participation des
49ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne,
« La fabrique de la communication des parlementaires européens.
"Tweet ton député" et les "ateliers du député 2.0"
», Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 109
38
citoyens à la chose publique ; « ils ne permettent
finalement pas aux citoyens de réellement s'investir en
ligne50 » .
Une des raisons à cette désillusion est que la
part de la population inscrite sur ces médias sociaux ne
représente bien souvent qu'une frange infime et très
spécifique. « Sur Facebook comme sur Twitter, les acteurs
politiques semblent ainsi s'adresser à des publics spécifiques
dans lesquels le "citoyen ordinaire" disparaît51 ». Un
dispositif tel que Twitter par exemple permet de toucher des publics qui
souhaitent être touchés au préalable, principalement «
des citoyens engagés et des journalistes 52 » .
L'utilisation de Facebook et Twitter par mon parlementaire ne
fait que solidifier sa base de soutien déjà existante. Les
médias sociaux seraient inefficaces pour convaincre d'autres personnes
et ne feraient qu'exacerber des comportements contestataires :
« Quelque part oui, (les médias sociaux) permettent
de communiquer avec les élus. Au détriment des échanges
physiques qui sont en train d'être perdus. Pour moi c'est pas une
réponse à la crise, c'est l'inverse. Ca met en avant les 20%
de mécontents permanents et essouffle la parole des 80% restants qui
votent à la fin5 3 »
Le monde virtuel est un espace de « contre-public »
(Nancy Fraser) où les internautes s'expriment à
l'intérieur de communautés dans lesquelles ils se sentent proches
et critiquent les communautés différentes, c'est-à-dire
cet espace hanté par le désir de voir son opinion reconnue
plutôt que d'entamer une véritable discussion avec les autres.
Cela s'est vu en analysant les personnes qui like une
publication : il y a systématiquement 90 à 95% de personnes
déjà abonnées à la page Facebook de mon
parlementaire.
50ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne,
« La fabrique de la communication des parlementaires européens.
"Tweet ton député" et les "ateliers du député 2.0"
», Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 86
51 ROGINSKY et PERRIER, op. citées, p. 104
53 Entretien téléphonique avec Marion,
collaboratrice parlementaire, 28/08/2020
39
En plus de s'adresser à des publics spécifiques
au préalable politisés, les médias sociaux offrent une
participation sans pouvoir puisque ces dispositifs introduisent des nouvelles
manières de s'exprimer mais pas de nouveaux partages du pouvoir
politique qui lui reste concentré dans les mains des leaders : «
Twitter n'a pas fait disparaître les leaders d'opinion mais a au
contraire renforcé leur visibilité 54. »
2. D'autres outils de communication utilisés
D'autres canaux sont utilisés par un parlementaire pour
atteindre le plus de publics différents possibles. Roginsky et Perrier
relatent le discours d'une députée européenne britannique
qui estime que « la messagerie électronique reste l'outil principal
de relation avec le public, plutôt que les médias sociaux qui sont
davantage utilisés pour informer des publics spécifiques comme
les militants, les journalistes mais aussi les membres actifs de la
société civile (ONG, associations...)55 ». Elle
justifie ce choix en raison du manque d'informations sur les personnes qui la
contactent via Twitter ou Facebook, à la différence de la
messagerie électronique qui fournit davantage de précisions sur
sa personne et sa demande.
Mon parlementaire classe également la messagerie
électronique comme un outil traditionnel de communication en diffusant
régulièrement sa newsletter : « (ça) permet
de communiquer de manière régulière à un public qui
souhaite s'informer et qui sera donc en demande d'un véritable contenu.
Cela permet de faire passer plus de messages, de détailler davantage, de
donner des éléments de contexte politique et permettre aux
destinataires de la newsletter d'être les relais de l'action de
l'élu. C'est un élément essentiel dans la communication
politique56 » .
Le courrier électronique reste ainsi l'outil de
prédilection pour les contacts individuels avec les administrés.
Plus globalement les médias sociaux ne remettent pas en cause les outils
plus
54MARTIGNY Vincent, « Le Retour du Prince »,
Paris, Flammarion, 2019, chapitre III.
55ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne,
« La fabrique de la communication des parlementaires européens.
"Tweet ton député" et les "ateliers du député 2.0"
», Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 107
56Entretien téléphonique avec Nadine,
Députée, 25/08/2020
40
traditionnels comme le déplacement en circonscription
pour aller à la rencontre des électeurs ou le communiqué
de presse pour informer la presse. Ils sont davantage envisagés comme un
« moyen de diffuser plus largement le communiqué de presse ou de
faire savoir aux militants et journalistes le déplacement prévu
57 » .
En définitive, ces dispositifs restent limités
pour plusieurs raisons, notamment car ils s'adressent à des publics
spécifiques et qu'ils ne redistribuent pas le pouvoir, et les acteurs
politiques tels que mon parlementaire intègrent ces médias
sociaux à l'arsenal de communication déjà existants.
57ROGINSKY Sandrine et PERRIER Valérie-Jeanne,
« La fabrique de la communication des parlementaires européens.
"Tweet ton député" et les "ateliers du député 2.0"
», Politiques de communication, vol. 3, no. 2, 2014, p. 108
41
CONCLUSION
Communiquer sur les médias sociaux nécessite
pour un parlementaire d'intégrer un véritable ethos
communicationnel en reproduisant des manières de communiquer
similaires à ses semblables tout en cherchant à se créer
sa propre identité numérique. Cette « manière
d'être » sur les médias sociaux s'inscrit dans une lutte pour
la visibilité s'inscrit dans une lutte pour la visibilité que
constituent ces espaces médiatiques que sont les médias sociaux.
Ceux-ci sont perçus par mon parlementaire comme apportant une part de la
réponse à la crise de la représentation. Plutôt bien
intégrés dans les pratiques démocratiques, ces dispositifs
restent limités pour plusieurs raisons, notamment car ils s'adressent
à des publics spécifiques et qu'ils ne redistribuent pas le
pouvoir. Les acteurs politiques tels que mon parlementaire intègrent ces
médias sociaux à l'arsenal de communication déjà
existants car, bien que ne disposant pas d'éléments de mesure de
leur efficacité et notamment la transformation de la communication en
vote personnel, ils savent que les dispositifs de médias sociaux tendent
à reproduire les formes de communication existant sur les dispositifs
« traditionnels » comme la télévision. Mon
parlementaire y voit un moyen de gagner et conserver le pouvoir.
42
43
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https://www.mediametrie.fr/sites/default/files/2019-01/2019%2001%2003%20-%20CP%20Audience%20Internet%20Global
Novembre2018.pdf
ANNEXES
Annexe 1 - Cartographie des médias sociaux58
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58 COUTANT Alexandre et STENGER Thomas, « Les
médias sociaux : une histoire de participation », Le Temps des
médias, vol. 18, no. 1, 2012, p. 78
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