L'union africaine face aux graves violations des droits de l'homme.par Paul Sékou Yaradouno Université Général Lansana Conté Sonfonia Conakry - Master 2 Droits de l'Homme et droit humanitaire 2019 |
B - La compétence contentieuse de la Cour africaineLe protocole de Ouagadougou ne mentionne aucune limitation par rapport au choix laissé aux Etats membres face aux moyens de mise en oeuvre de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. En réalité, ces derniers sont libres de saisir autre juridiction comme (la Cour internationale de justice (CIJ) ou les Cours sous régionales qui, développent aussi une jurisprudence interprétant la Charte) à défaut une instance arbitrale de leurs choix. La convention européenne des droits de l'homme71(*) est, contrairement à la Charte restrictive sur ce point en ce sens qu'elle rejette tout autre moyen de règlement des différents que ceux qu'elle prévoit72(*). Il faut noter que la compétence rationae materiae est assez large. L'article 3 du Protocole de Ouagadougou énonce que : « La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés »73(*). L'image libérale de cette disposition est confirmée par l'article du même Protocole, qui prévoit que la Cour africaine «applique les dispositions de la Charte ainsi que tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par l'État concerné74(*) ». Il n'existe pas une telle disposition dans le système européen ou interaméricain et dans ces deux ordres juridiques, les Cours se limitent à l'interprétation de leurs Conventions régionales respectives. L'extension d'une telle compétence n'existe pas dans la Charte africaine en ce qui est de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples75(*) qui, a pour mandat d'interpréter la Charte. Par ailleurs, cette compétence matérielle de la Cour est d'autant étendue que la Charte juxtapose à la fois droits individuels et collectifs, droits civils et politiques, droits économiques, sociaux et culturels. D'où, la problématique du champ d'application matériel se posera nécessairement devant la Cour. Déjà, dans l'affaire Mtikila c. Tanzanie76(*), les requérants avaient soulevé comme acte pertinent le traité portant création de la Communauté des États de l'Afrique de l'Est77(*). Le défendeur objectait que ce traité n'est pas un acte pertinent de protection des droits de l'homme au sens des articles 3 (1) et 7 du Protocole de Ouagadougou. La Cour africaine n'a pas tranché ce point, elle s'est plutôt contentée d'étudier s'il y a eu violation de la Charte ou non, considérant que cela suffisait en l'espèce et qu'il n'était pas nécessaire de se prononcer sur un autre instrument invoqué par les requérants78(*). Une telle interprétation de l'article 3(1) laisserait penser à la réunion de trois conditions cumulatives c'est-à-dire la présence d'un traité international ayant valeur contraignante. Par conséquent la question se pose alors sur la valeur contraignante ou non de la Déclaration Universelle des droits de l'homme qui est une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies. A priori, la réponse parait négative mais la Cour africaine n'a pas hésité de l'assimiler à un traité au même titre que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques79(*). En clair, il ne s'agit pas de l'assimiler à l'image d'un traité mais comme un texte à valeur coutumière constituant de base à l'ensemble des instruments de protection des droits de l'homme y compris la Charte africaine qui la cite expressément dans son préambule80(*). En effet, le rôle de la Cour africaine ne se limite pas à l'interprétation de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et les autres instruments relatifs aux droits de l'homme ratifiés par les Etats africains81(*), ni à en contrôler le respect. Son mandat est beaucoup plus large et consiste à instaurer une véritable culture non seulement du respect des droits de l'homme et de la justice, mais aussi de la responsabilité. Dès lors, l'article 3(2) note clairement qu'en cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, elle peut décider. Selon le juge africain, cette opposition « ouvre toutes les affaires et tous les différends en matière des droits de l'homme concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme ratifiés par les Etats concernés82(*). Ainsi, dans l'affaire Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c Grande Jamahiriya arabe Libyenne populaire et socialiste, concernant les violations des droits de l'homme commises lors du primptemps arabe, alors que la requérante ne l'envisageait pas, la Cour en mettant en application sa compétence prima facies a ordonné83(*), de toute urgence sans autre procédure, des mesures provisoires. Selon la Cour : « dès lors qu'il existe une situation de gravité et d'urgence, de même qu'un risque de dommages irréparable aux personnes qui sont l'objet de la requête, en particulier pour ceux qui est des droits de celles-ci à la vie et à l'intégrité physique, tels que garantis par la Charte84(*), » elle n'avait pas d'autre choix que d'agir et c'est le lieu où la jurisprudence sur les mesures conservatoires ont été sollicitées. Ensuite, en ce qui est de l'appréciation de la mise en oeuvre de la règle de l'épuisement des voies de recours interne, la Cour exerce un réel contrôle des systèmes juridiques et juridictionnels des Etats sur le fondement des critères de disponibilité, d'efficacité et suffisance. C'est ainsi dans l'affaire Konaté c Burkina Faso85(*), la Cour après avoir contrôlé le système juridictionnel Burkinabé, a indiqué que si le pourvoi en cassation, dont le délai est de cinq jours, est bien disponible, il ne vise qu'annuler le jugement et non la loi. Dès lors, selon la Cour, « dans de telle circonstances, il est clair que le requérant dans la présente affaire ne pouvait rien attendre de la cour de cassation, s'agissant de la demande en annulation des lois Burkinabés en application desquelles il avait été condamné »86(*). Par ailleurs, la Cour ne manque pas de rappeler aux Etats leur obligation internationale en ce qui concerne la mise en oeuvre des mesures internes visant à respecter et à garantir les droits de l'homme en organisant des recours judiciaires suffisants. Par exemple dans l'affaire Zongo et autre c Burkina Faso87(*), la Cour a censuré l'Etat pour violation de son obligation face aux garantis d'un procès équitable mais aussi garantir le droit des journalistes. De même, dans l'affaire Konaté,88(*) la Cour a indiqué que le Burkina Faso a manqué à son obligation de respecter la liberté d'expression qui est un droit de l'homme. Dans l'affaire APDH c Côte d'Ivoire, la Cour a aussi jugé que lorsqu'un Etat devient partie à un traité relatif aux droits de l'homme, le droit international l'oblige à prendre des mesures positives pour assurer la mise en oeuvre de ces droits89(*). La Cour peut rappeler aussi aux Etats membres leur obligation de se conformer aux arrêts qu'elle a rendus90(*). Les compétences de la Cour africaine, tant contentieuse que consultative, connaissent une extension généreuse rationae materiae et rationae personae. Toutefois, leur mise en oeuvre présente des difficultés, et seule la jurisprudence ultérieure nous permettra de les réduire ou de les supprimer. Ce qu'il faut retenir pour l'instant, c'est que les pères fondateurs ont voulu doter la Cour africaine de moyens juridiques pour lui permettre d'être la cheville ouvrière du système africain de protection des droits de l'homme. Les juges l'ont aussi compris, car ils ont saisi la première occasion qui leur a été présentée pour s'ériger en garants de la démocratie, des droits de l'homme et de l'État de droit en Afrique. Dès lors, la nouvelle Organisation s'est vu dans la nécessité de joindre aux avancées normatives, les avancées institutionnelles en vue de rendre effective toutes les mesures envisagées et prises dans le cadre de l'UA face aux graves violations des droits de l'homme. * 71 Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, .4 novembre 1950, S.T.E. no 5 (entrée en vigueur le 3 septembre 1953) (ci-après « Convention européenne des droits de l'homme »). * 72 Ibid., art. 55, intitulé « Renonciation à d'autres modes de règlement des différends ». * 73 Protocole de Ouagadougou, art. 3. * 74 Ibid., art. 7. * 75 Charte, préc., note 1, art. 45 (2). * 76 Affaires jointes : Tanganyika Law Society & The Legal and Human Rights Centre c. République-Unie de Tanzanie et Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Uniede Tanzanie, CADHP no 009/2011 et no 011/2011, [En ligne], [www.african-court.org/fr/images/documents/case/Jugment %20- %20 %20Rev %20Christopher %20Mtikila %20v. %20Tanzania.pdf] (3 avril 2014) (ci-après « affaire Mtikila »). * 77 Traité établissant la Communauté de l'Afrique de l'Est, 30 novembre 1999, (2000) 2144R.T.N.U. 255. * 78 Affaire Mtikila, préc. Note 22, par. 87. * 79 Affaire Mtikila, préc, note 22, par. 122. * 80 Charte, préc. Note 1, préambule par. 4 (l'italique est de nous) : Réaffirmant l'engagement qu'ils ont solennellement pris à l'Article 2 de ladite Charte, d'éliminer sous toutes ses formes le colonialisme de l'Afrique, de coordonner et d'intensifier leur coopération et leurs efforts pour offrir de meilleures conditions d'existence aux peuples d'Afrique, de favoriser la coopération internationale en tenant dûment compte de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. * 81 Art 3(1) du protocole * 82 Mkandawire c République du Malawi (arrêt, 21 juin 2003) par 34. * 83 Ordonnance en indication des mesures provisoires (25 mars 2011) Requête 4/2011 * 84 Ordonnance (n° 15 ci-dessus) par 22 * 85 Konaté c Burkina Faso, Requête 4/2003 (5décembre 2014) para 107. * 86 Op.cit, (n°19 ci-dessus) para 111. * 87 Arrêt du 28 mars 2014 para 150 et para 186-187. * 88 Op.cit, (n°19 ci-dessus) para 170. * 89 APDH c Cote d'Ivoire (n°29 ci-dessus) para 61. * 90 Abubakari c Tanzanie, Requete7/2013 (3juin 2016) Onyachi et autres c Tanzanie, Requête 3/2015 (28 septembre 2017). |
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