La régionalisation du maintien de la paix et de la sécurité internationales. étude appliquée au conflit en république centrafricaine.par Chrisogone Ignace MENEHOUL KOBALE Université de Yaoundé II (Cameroun) - Master recherche en Droit public 2016 |
B. La sanction à l'encontre des individus, manoeuvre tendant à contenir le conflit par le basL'UA s'est dotée d'un arsenal normatif considérable en matière de condamnation et de rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement. Cet arsenal s'est principalement développé dans la deuxième moitié des années 1990 comme une réaction ferme de l'OUA puis de l'UA contre les coups d'État220(*). La Déclaration de Harare221(*) de 1997, ou mieux la position unanime de l'OUA condamnant le coup d'État perpétré en Sierra Leone contre le président démocratiquement élu (Ahmad TEJAN KABBAH), marque la volonté des dirigeants africains de promouvoir l'accession au pouvoir par des moyens démocratiques en rapport avec la légalité constitutionnelle des États222(*). À la suite de l'initiative de la CEDEAO - un embargo décrété contre le gouvernement anticonstitutionnel - avec l'appui des NU et surtout grâce à la campagne militaire menée par l'Economic Community of West African States Cease fire Monitoring Group (ECOMOG)223(*), le président démocratiquement élu a été réinstallé au pouvoir au début du mois de mars 1998. Cette volonté constitue le prolongement des obligations des Etats membres découlant des instruments des droits de l'homme en général et particulièrement de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples224(*) prescrivant le mode d'accession au pouvoir225(*). Pour la RCA, les sanctions ci-après ont été envisagées et adoptées contre des dirigeants de la SELEKA : des restrictions de voyage constitueraient une atteinte « volontariste » et relativement justifiable au principe de la liberté de mouvement (1) et le gel des avoirs qui, lui, une atteinte « volontariste » et relativement justifiable au principe de la libre disposition des richesses (2). 1- Des restrictions de voyage, une atteinte « volontariste » et relativement justifiable au principe de la liberté de mouvement La liberté de circulation226(*) constitue dans le contexte actuel de globalisation un instrument essentiel par lequel se matérialisent les politiques d'intégration régionale à travers le monde, et dont le modèle le mieux achevé à ce jour est celui de l'UE227(*). Si ce modèle d'intégration a été suivi dans le cadre de l'ASEAN et du MERCOSUR qui sont essentiellement des espaces de libre-échange, la CEMAC ainsi que la CEDEAO, également l'UA ont fait du principe de la libre-circulation des personnes un objectif prioritaire pour la marche vers l'intégration des Etats qu'elles regroupent. Droit inhérent à tout individu au sens du droit naturel tel que le définit notamment John LOCKE228(*), la liberté de circulation n'est autre chose que la faculté qu'a tout être humain de se mouvoir à l'intérieur de l'espace de juridiction de l'Etat dont il est ressortissant. Il s'agit concrètement de cette faculté physique de l'individu de se déplacer à l'intérieur du territoire national, s'y fixer, le quitter et le retrouver à son gré ; c'est donc une sorte de sûreté229(*) que l'Etat ou les organisations régionales aménagent à l'individu. Dès lors même si la libre circulation des personnes est une prérogative inhérente à toute personne bénéficiant du statut du citoyen d'un Etat ou d'une organisation communautaire, cette prérogative peut être retirée en cas d'entrave au droit national ou communautaire en vigueur230(*). C'est ce qui a été fait dans le dernier cas par l'UA dans le cadre de la crise centrafricaine. En effet, le CPS a frappé d'interdiction de voyager sept membres de la mouvance SELEKA dont son chef Michel DJOTODJA, qui a renversé François BOZIZE le président démocratiquement élu. Il convient de rappeler que ces restrictions de voyages ne constituent pas l'unique sanction qui a été imposée. 2- Le gel des avoirs, une atteinte « volontariste » et relativement justifiable au principe de la libre disposition des richesses « Pour atteindre leurs fins, tous les [« individus »] peuvent disposer librement de leurs richesses231(*)... » ; telle est la consécration qui est faite par le PIDESC sur le principe de la libre disposition des richesses et donc des avoirs financiers et ressources économiques. Mais cet instrument juridique n'en demeure cependant pas le seul, car la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH) en a également fait mention dans son article 22 en ces termes « Toute personne... est fondée à obtenir la satisfaction des droit économiques... ». S'il s'avère que ce droit fasse partie des droits fondamentaux de l'homme, il existe également un régime de sanction diversement consacré par les ordres juridiques nationaux ou communautaires. L'on peut se convaincre de cette affirmation en lisant l'article 25 paragraphe 7 de la CADEG qui dispose que « La Conférence peut décider d'appliquer d'autres formes de sanctions à l'encontre des auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement, y compris des sanctions économiques ». Cette possibilité a été mise en oeuvre en RCA, car à la suite du coup d'Etat, le CPS a décidé de geler les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques de quelques membres de la SELEKA concourant, d'une manière ou d'une autre, au maintien du statu quo anticonstitutionnel et qui font obstacle aux efforts de l'UA et de la CEEAC visant à restaurer l'ordre constitutionnel. Pour assurer le plein effet à ses sanctions (restrictions de voyage et gel des avoirs), l'UA a demandé dans un communiqué à « tous les Etats-membres de prendre les mesures requises pour isoler totalement les auteurs du changement anticonstitutionnel en RCA ». Même si la question de la productivité de ces sanctions demeure pendante, il ne faut pas désespérer de son objectif qui est celui de contribuer à restaurer l'ordre constitutionnel et donc la paix en RCA. Mais qu'en est-il de l'usage de la coercition par la CEEAC et l'UA ? * 220À titre illustratif, l'Afrique a connu entre 1990 et 2013 plus ou moins vingt coups d'État et ce, sans compter les tentatives des coups d'État qui sont également nombreuses. Par contre, en prenant uniquement en considération l'Afrique francophone - car les coups d'État ont plus concerné cet espace que d'autres - il a été observé qu'entre 1990 et 2009, environ quinze coups d'États ont été perpétrés dans cette partie du continent africain. Dans d'autres États comme les Comores, la Guinée-Bissau ou la RCA (dont le dernier coup d'État remonte au 24 mars 2013), la Mauritanie, le Niger, les coups d'État s'y sont réalisés à deux reprises au cours de la même période et à intervalle très rapproché. Si nous y ajoutons les coups d'État fomentés à Madagascar et au Mali en 2012 et qui n'ont pas été pris en compte dans l'étude précitée, le nombre s'accroît davantage. * 221Conférence intergouvernementale des ministres sur les politiques linguistiques en Afrique, Déclaration de Harare, 21 mars 1997, en ligne : <http://ocpa.irmo.hr/resources/docs/Harare_Language _Declaration-fr.pdf> [« Déclaration de Harare »]. * 222La Déclaration de Harare ne figure pas parmi les décisions et déclarations adoptées lors de la 33e session de la Conférence des Chefs d'État et de gouvernement tenue à Harare du 2 au 4 juin 1997. Et pourtant cette Déclaration (position commune) est entourée de beaucoup d'éloges comme la première pierre à l'édifice du rejet des changements anticonstitutionnels en Afrique. Elle est rappelée par ailleurs par la Conférence de l'Union (des chefs d'État et de gouvernement) dans la Déclaration de Lomé lors de la 36e session tenue du 10 au 12 juillet 2000. À l'ONU, l'innovation introduite par cette position de l'OUA fut positivement accueillie : « Cette position unanime des pays africains représente sans aucun doute un tournant dans l'histoire moderne de l'Afrique [...]. Cela indique bien qu'il existe une position africaine unanime nouvelle, qui s'est concrétisée, face au coup d'État militaire sur le continent ». Intervention de Nabil ELARABY, alors représentant de l'Égypte à l'ONU, au cours de la session du Conseil de sécurité adoptant les sanctions contre la Sierra Leone, cité par TEHINDRAZANARIVELO (Djacoba Liva), « Les sanctions de l'Union africaine contre les coups d'État et autres changements anticonstitutionnels de gouvernement : potentialités et mesures de renforcement »,Annuaire Africain de Droit International (AADI), Vol. 12, 2004, pp. 255-308. * 223Lire sur ce point notamment Suyash Paliwal, « The Primacy of Regional Organizations in International Peacekeeping : The African Example » (2010) 51 V J Int'l L 185, spécialement à la p 210 [Paliwal]. * 224Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, 27 juin 1981, 1520 RTNU 218 (entrée en vigueur : 21 octobre 1986) [CADHP]. * 225L'article 13 (1) de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples dispose que : « [t]ous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis ». CADHP, ibid, art 13 (1). Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, en son article 25 précise et amplifie la portée de l'article 13 (1) de la CADHP : « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables: a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis; b) De voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs; c) D'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays ». Pacte international relatif aux droits civilset politiques, 19 décembre 1966, 999 RTNU 171, art 25 (entrée en vigueur : 23 mars 1976) [PIDCP]. Ces dispositions sont complétées par le droit à l'autodétermination prévu à l'article 20 (1) de la CADHP et à l'article premier du PIDCP. Ces dispositions procèdent également de l'article 21 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, Rés AG 217 (III), Doc. off AGNU, 3e sess, supp n° 13, Doc NUA/810 (1948) [DUDH]. * 226 Cette liberté est consacrée dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et la CADHP respectivement aux articles 13 et 12. * 227 ZOGO NKADA (Simon-Pierre), « La libre circulation des personnes : réflexions sur l'expérience de la C.E.M.A.C et de la C.E.D.E.A.O », Revue Internationale de Droit Economique (RIDE), 2011/1, tome XXV, p. 2. * 228 Reprenant à leur compte la conception de l'école dite « jusnaturaliste », LOCKE dans son Essai sur le gouvernement civil tout comme ROUSSEAU dans son contrat social s'attachent à découvrir le droit naturel dans la nature primitive de l'homme antérieure à l'apparition de toute société, donc avant le pacte social qui la fonde. * 229 ZOGO NKADA (Simon-Pierre), Idem. * 230 L'article 12 (2) de la CADHP stipule que « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. Ce droit ne peut faire l'objet de restrictions que celles-ci sont prévues... ». * 231 Article 1 (2) du Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels(PIDESC), adopté par l'Assemblée générale des NU le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976. |
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