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Pratique soignante en santé mentale et psychiatrie
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AMELIORER
LES COMPETENCES INTERCULTURELLES
DE L'INFIRMIER EN PSYCHIATRIE
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MONTOISY Philippe Juin 2013
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3
Table des matières
Introduction
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1. Cadre conceptuel
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3
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1.1. Le contexte multiculturel
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.....3
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1.2. La relation soignant - soigné
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5
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1.3. L'anthropologie médicale
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.7
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2. Analyse de situations vécues
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8
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2.1. Matériel et méthode
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..8
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2.2. Description de deux situations vécues
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..8
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3. Résultats et discussions
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..12
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3.1. Première situation vécue
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..11
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3.2. Deuxième situation vécue
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..13
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3.3. Difficultés rencontrées
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15
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4. Les compétences interculturelles
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.16
|
4.1. La communication interculturelle
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16
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4.2. L'empathie
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..18
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4.3. Les connaissances spécifiques
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19
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4.4. Adapter les processus des soins infirmiers
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.19
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4.5. Ce que nous pouvons concrètement mettre en place
à l'hôpital
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22
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5. Le contexte particulier de la psychiatrie
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.23
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Conclusion
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26
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« La rencontre, vraie, authentique, avec l'autre est
donc en soi un chemin spirituel : l'autre me fait avancer en me
décentrant de moi-même, son visage m'interpelle. »
Emmanuel Levinas
« Il n'y a pas deux personnes qui ne s'entendent pas,
il y a seulement deux personnes qui n'ont pas discuté. »
4
Proverbe wolof (Sénégal).
5
Introduction
Le choix de mon sujet ne doit rien au hasard. Je suis né
en Afrique et j'ai eu l'opportunité d'effectuer de nombreux voyages
à travers cinq continents.
Depuis l'obtention de mon diplôme d'infirmier, sauf
quelques exceptions, j'ai toujours exercé mon art dans le domaine de la
psychiatrie, que ce soit en Belgique ou à l'étranger.
Outre le fait d'être infirmier, je suis également
anthropologue de formation. Ceci explique mon attachement à la
diversité des cultures humaines et à leurs richesses.
Le présent travail s'inscrit dans la volonté d'une
pratique des soins infirmiers plus
« réfléchie ». J'entends par là
que « faire des soins », cela ne se limite pas au « faire »
mais englobe aussi le « prendre soin en fonction de la singularité
du patient ». Chaque culture humaine est unique en son genre et, à
la limite, chaque patient possède une culture qui lui est propre. Il
n'existe pas de petite ou de grande maladie, il n'y a pas de petit ou de grand
professionnel, de patient qui mérite plus de considération qu'un
autre à cause de ses origines. Toute situation de soin doit donc
être envisagée comme singulière. Et c'est peut-être
cela qui fait, pour autant qu'on veuille bien en prendre conscience, toute la
richesse de notre art. C'est une sorte d'éternelle remise en question de
soi-même. On n'est donc pas prêt d'en avoir fait le tour !
Malheureusement, dans le contexte socio-économique que
nous traversons actuellement, l'éloge de la différence ne fait
pas vraiment recette. Nous voyons resurgir de vieux démons comme le
repli sur soi (le nationalisme, l'intégrisme) et le matérialisme.
L'intérêt porté à autrui, à
l'étranger, est perverti par le contexte ambiant. L'étranger est
trop souvent perçu comme un « bouc émissaire ». Cela se
répercute inévitablement au niveau de la pratique des soins
infirmiers, même si ce n'est que de manière inconsciente. Et ceci
constitue un danger pour une prise en charge que l'on souhaite de
qualité.
La problématique des patients étrangers est un
sujet qui n'a que récemment été pris en compte par les
professionnels de la santé. Bien que la littérature scientifique
en fasse mention et que des initiatives locales soient entreprises, le sujet ne
semble pas être une priorité pour de nombreux hôpitaux.
Néanmoins, force est de constater que les patients d'origine
étrangère sont de plus en plus nombreux dans nos structures de
soins : augmentation des mouvements de population à l'échelle
mondiale (guerres, réfugiés économiques et bientôt
peut-être « climatiques », demandeurs d'asile, etc.).
L'hôpital psychiatrique n'échappe pas à ce constat. Les
patients étrangers qui y sont admis sont souvent porteurs de troubles
spécifiques à leur situation (précarité, angoisses
face à l'incertitude de leur avenir, éloignement de leur culture
d'origine, éloignement de leur famille, etc.).
Selon le SPF Santé Publique, en Belgique, en 2010, «
il a été fait appel environ 90.000 fois à un
médiateur interculturel ou à un interprète (...) à
Gand, par exemple, on dénombre déjà 150
nationalités parmi les patients »1.
1 SPF SANTE PUBLIQUE, Rapport Annuel, 2010,
p. 12.
6
Ma question de départ est : Comment
améliorer la relation soignant - soigné dans un contexte
multiculturel ? Cette question découle de situations
vécues qui ont posé problème dans les différentes
unités où j'ai travaillé. Elle servira de base pour
l'élaboration de ce travail.
Mes objectifs seront :
- sensibiliser le personnel infirmier, exerçant en
psychiatrie, au fait qu'un patient d'origine étrangère ne voit
pas nécessairement les choses de la même manière que
nous
- dégager des compétences interculturelles
utiles.
Mon travail comportera cinq parties distinctes. La
première partie consistera à mettre en évidence et
à clarifier, à partir d'une consultation ciblée de la
littérature scientifique, les concepts fondamentaux utiles. Dans une
seconde partie, je décrirai mon matériel et ma méthode et
évoquerai deux situations vécues avec des patients
étrangers. La troisième partie servira à présenter
et à discuter mes résultats. Une quatrième partie mettra
en évidence les compétences interculturelles utiles à
l'infirmier. Une cinquième et dernière partie évoquera le
cas particulier de la psychiatrie. Je terminerai ce travail par une
brève conclusion.
7
1. Cadre conceptuel
La première partie de ce travail servira à mettre
en évidence et à clarifier les concepts théoriques qui
s'avèrent utiles pour comprendre ce qui entre en jeu dans la relation
infirmier - patient étranger. J'ai donc exploré la
littérature scientifique afin de mettre en évidence et de
définir ces concepts fondamentaux. J'ai, ensuite, établi un
parallèle entre ce que j'ai découvert dans cette revue
ciblée de la littérature et les connaissances que je
possédais déjà en anthropologie.
Les concepts fondamentaux que j'ai pu mettre en évidence
sont de deux types : ceux qui sont liés au contexte multiculturel et
ceux qui sont liés à la relation soignant - soigné.
1.1. Le contexte multiculturel
Je reprendrai et définirai, ici, les concepts de base qui
peuvent éclairer le contexte multiculturel.
1.1.1 La culture en général
Dans un premier temps, il convient de faire la distinction entre
« la culture en général » et les différentes
« cultures humaines ». Ces deux concepts sont néanmoins
liés entre eux. Pour Taylor E. B. (1871), la culture est « un
ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, l'art, les moeurs, le
droit, les coutumes ainsi que toute disposition ou usage acquis par l'homme
vivant en société »2. La
culture (en général) est inhérente à la condition
humaine collective.
1.1.2. Les cultures humaines
Selon Lévi-Strauss C. (1958), « Nous appelons
culture (humaine) tout ensemble ethnographique qui...présente,
par rapport à d'autres, des écarts significatifs
»3.
Pour Tison B., une culture humaine est « l'ensemble des
significations et des représentations qu'un groupe d'individus
élabore, conserve et s'efforce de transmettre
»4.
Aucune culture humaine n'est totalement isolée et chacune
procède, au cours de son histoire, à des échanges avec
d'autres. Ceci entraîne des modifications et des adaptations. Un contexte
est dit « multiculturel » lorsque nous avons au minimum deux cultures
humaines différentes qui se rencontrent.
Les cultures humaines varient dans le temps et l'espace. Ma
culture occidentale n'est pas la même que celle d'un papou vivant,
à la même époque que moi. De même, je ne
possède la même culture qu'un belge ayant vécu au Moyen
Age.
2 TAYLOR E.B., cité par BONTE P. et IZARD M.
, Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, 3ème
édition, Paris, Presses Universitaires de France, 2004, p. 190.
3 LEVI-STRAUSS C., cité par Bonte P. et Izard
M., Op Cit., p. 191.
4 TISON B., HERVE-DESIRAT E., Soins et cultures
: formation des soignants à l'approche interculturelle, Paris,
Masson, 2007, p. 20, cité par BEGHENNOU A. in : La relation
interculturelle à l'hôpital, 2011.
8
1.1.3. Rationalisme versus relativisme culturel
Dans le domaine de l'anthropologie, deux grands courants
s'opposent lorsqu'on évoque les cultures humaines. Le relativisme
culturel considère que tout est « enculturé » et que
chaque culture humaine est fondamentalement différente. À
l'opposé, le rationalisme souligne l'aspect universel des
phénomènes culturels. Le juste milieu consiste peut-être
à considérer que certains concepts sont universels mais que la
signification qu'on leur donne peut varier d'une culture humaine à
l'autre. Le concept de « la famille » existe aussi bien pour un belge
que pour un congolais mais le congolais risque de donner à ce dernier un
sens beaucoup plus large et y inclure davantage de personnes.
1.1.4. L'identité culturelle
Pour Tison B., l'identité culturelle est la manière
dont « chaque individu intègre, de façon
synthétique, la pluralité des références
identificatoires qui sont liées à son histoire
»5. Chaque individu appartient en quelque sorte à
une culture d'origine dans laquelle il naît et se développe. Il
n'empêche, qu'à l'intérieur de sa culture d'origine,
l'individu peut développer des caractéristiques qui lui sont
propres et qui forme son identité culturelle.
Mes parents et moi sommes de culture occidentale.
Néanmoins ma culture n'est pas vraiment la même que celle de mes
parents.
1.1.5. L'interculturel
L'interculturel désigne les processus qui entrent en
jeu lorsque deux cultures entrent en contact.
Pour Tison B., « l'interculturel est un passage de
caractéristiques culturelles, identifiables ou non, qui se transmet par
le biais des relations humaines »6.
Clanet C. ajoute que l'interculturel s'établit «
dans une perspective de sauvegarde d'une relative identité
culturelle des partenaires en relation »7.
S'il est assez facile de modifier ou d'adapter nos habitudes de
langue ou de politesse, il est beaucoup plus difficile de changer nos valeurs
liées à notre tradition ou à notre religion. Je reviendrai
sur l'interculturel, plus loin, dans ce travail.
1.1. 6. L'ethnocentrisme
L'ethnocentrisme est inhérent à chaque être
humain. Chaque individu s'identifie à la culture à laquelle il
appartient et dont il a assimilé les valeurs. Il fait de sa culture son
modèle de référence. Le problème est que chaque
individu aura « tendance à rejeter, critiquer ou
dévaloriser ceux qui ne sont pas comme lui »8, ceux
qui n'appartiennent pas à sa culture. L'ethnocentrisme est un handicap
à la relation avec une personne d'une autre culture. L'essentiel est
d'en avoir conscience et de ne pas porter de jugement hâtif sur un
étranger.
5 TISON B., Op. Cit., p. 33.
6 TISON B., Op. Cit., p. 33.
7 CLANET C., cité par TISON B., OP. Cit.,
p.33.
8 RIVIERE C., Introduction à
l'anthropologie, Hachette, Paris, 2002, P. 13.
9
1.2. La relation soignant - soigné
Je vais maintenant tenter de mettre en évidence les
facteurs qui entrent en jeu dans la relation que peut avoir l'infirmier avec un
patient étranger.
1.2.1. L'infirmier
L'infirmier, comme tout individu, appartient à une culture
humaine donnée. Il possède également une identité
culturelle qui lui est propre. Il faut encore lui ajouter une culture
professionnelle qui est propre à sa fonction d'infirmier. Cette
dernière a une histoire, des théories et des valeurs
spécifiques. Il y a donc de grandes chances pour qu'un infirmier
africain ne voie pas parfaitement les soins infirmiers de la même
manière qu'un infirmier belge. Les soins infirmiers ne sont donc pas si
« universels » que nous pourrions le croire à priori !
D'une fonction vouée au patient et sous les ordres du
médecin, on est progressivement passé à une profession
ayant un rôle autonome, alliant soins techniques et relationnels, et
s'exerçant en collaboration avec les autres professionnels de la
santé.
La dimension humaine et la proximité continue avec le
patient sont des caractéristiques importantes de la profession
d'infirmier.
En milieu psychiatrique, vu les besoins - demandes du patient,
l'accent est également mis sur le côté relationnel
plutôt que sur l'aspect purement technique des soins.
1.2.2. Le patient étranger
Le patient étranger possède, lui aussi, une culture
propre. Celle-ci est la résultante de sa culture humaine d'origine
(différente de la nôtre) et de son identité culturelle.
Un patient étranger aura donc des représentations
différentes des nôtres en ce qui concerne l'hôpital, la
psychiatrie, les soins, la santé, la maladie, etc. Ses conduites, dans
la relation avec le soignant, seront dictées par des croyances
liées à sa culture. Ses représentations risquent fortement
d'influencer son adhésion ou non aux soins qui lui seront
proposés. Cela est particulièrement important, en psychiatrie,
lors que le patient étranger est admis sous mesure de contrainte.
1.2.3. Le soin
Le soin aussi s'inscrit dans une culture donnée. Celle-ci
varie avec le lieu où le soignant exerce sa profession (hôpital
publique, hôpital privé, centre pour demandeurs d'asile, O.N.G.,
indépendant, etc.). À l'hôpital, c'est surtout une culture
biomédicale, scientifique et centrée sur le corps qui s'impose.
Or, un patient, étranger ou non, est une globalité (biologique +
psychologique + socioculturel + spirituel).
Cette culture du soin influencera fortement les relations que
l'infirmier aura avec les patients. Rappelons aussi que la relation «
soignant - soigné » fait partie intégrante du soin.
10
1.2.4. La relation soignant - soigné
La relation « soignant - soigné » est
composée d'une somme d'interactions qui s'étale sur une certaine
période de temps. Elle comporte des affects et des attentes de la part
de chaque protagoniste.
À la lecture de ce qui précède, nous pouvons
comprendre que l'infirmier et le patient étranger ont des
représentations culturelles qui peuvent différer de
manière plus ou moins importante. Leurs comportements et leurs attitudes
peuvent alors être source d'incompréhension réciproque si
personne n'y prend attention. Une mauvaise interprétation, le plus
souvent liée à l'ethnocentrisme, peut rapidement devenir une
source de tension voire de conflit. L'essentiel est d'en avoir au moins
conscience afin de prévenir tout stéréotype et/ou
préjugé.
La langue parlée est également une composante
culturelle qui peut représenter un obstacle majeur à la relation.
Certains concepts, propres à une culture donnée, sont
difficilement exprimables dans une autre langue. Une simple traduction mot
à mot s'avère souvent insuffisante. Une interprétation du
contexte culturel est alors nécessaire.
Un autre problème à soulever dans la relation
soignant - soigné est que le soignant sera parfois, vu la fonction du
soignant et le contexte de l'hospitalisation, en « position de force
» par rapport au soigné. Ceci, malgré l'accent mis sur les
droits du patient. On peut donc noter un certain déséquilibre en
faveur du soignant. Cet écart sera d'autant plus grand avec un patient
étranger dont les représentations culturelles sont fortement
éloignées de celles de l'hôpital et du soignant.
Exemple de relation soignant - soigné autour des
représentations de la souffrance
Pour David Lebreton, « la douleur est sans doute
l'expérience humaine la mieux partagée, avec celle de la mort
»9. Néanmoins, selon Vincent J.D., « Il
n'est pas de perception douloureuse qui soit pure et dépourvue de
contingence historique »10.
Combien de fois n'ai-je pas entendu dire que « les Africains
ne ressentent pas la douleur de la même façon que nous. Ils
souffrent moins» ! Cette affirmation résulte d'une confusion entre
la douleur (objective) et la souffrance (subjective).
L'individu africain n'est en rien plus résistant à
la douleur que l'individu européen. Ce qui se passe, c'est que «
l'Afrique ancestrale n'a pas valorisé outre mesure la souffrance ou
ne lui a pas donné un sens excessif »11. C'est le
contraire en Europe, où notre culture chrétienne a fortement
valorisé la souffrance (voir le symbole de la croix).
Les représentations de la souffrance, ainsi que
l'expression de la douleur et des émotions, d'un patient africain
risquent bien d'être différentes de celles d'un soignant
occidental. Cette différence pourra influencer la relation entre les
deux acteurs.
9 LE BRETON D., Anthropologie de la douleur,
Paris, Ed. Métaillé, 1995, p. 23.
10 VINCENT J.D., Biologie des passions, cité par
SINGLETON M., Critique de l'ethnocentrisme, Paris, Parangon, 2004, p.
177.
11 SINGLETON M., Op. Cit., p. 181.
11
1.3. L'anthropologie médicale
Même si l'efficacité de la médecine
scientifique (axée sur le corps) n'est pas contestable, elle ne
constitue cependant pas la meilleure approche d'un point de vue culturel.
Patricia Hudelson définit l'anthropologie médicale
comme étant «une branche de l'anthropologie sociale qui est
née de l'étude des croyances et rituels relatifs à la
santé et de la description de la variation biologique chez l'homme.
Aujourd'hui, les anthropologues médicaux s'intéressent à
une vaste gamme de sujets, dont les fondements culturels de la santé, de
la distribution des maladies, des croyances et des pratiques liées
à la santé ou des choix de prise en charge. L'anthropologie
clinique applique les concepts et les méthodes de l'anthropologie
médicale à la relation entre patient et soignant, au processus de
diagnostic, à l'adhérence au traitement, aux attentes des
patients, et à la satisfaction des patients et des soignants.
»12.
L'anthropologue (et psychiatre) Arthur Kleinman définit le
concept de « modèle explicatif » selon lequel «
les patients conçoivent leur maladie uniquement à travers
leurs expériences sociales et personnelles »13.
Chaque patient se forge donc son propre modèle explicatif en ce qui
concerne sa maladie, ses causes, son évolution, etc.
Ce modèle explicatif du patient peut être
influencé par des croyances plus générales mais il reste
essentiellement lié au contexte spécifique de la maladie. C'est
via ce modèle que le patient tente de donner un sens à ce qui lui
arrive.
L'infirmier a également son propre modèle
explicatif face aux soins qu'il aura à donner. Les modèles
explicatifs du patient et de l'infirmier pouvant être différents,
ils ne sont donc pas toujours sur la même « longueur d'onde
».
Le nombre de patients étrangers étant croissant au
sein de nos hôpitaux, les soignants recourront de plus en plus à
l'anthropologie médicale. Elle leur permettra de mieux cerner les soins
à donner dans un contexte multiculturel. Elle leur permettra
également d'acquérir des compétences interculturelles
utiles.
Patricia Hudelson signale14que, dans la
littérature scientifique anglophone, une distinction est faite entre
« disease » et « illness ». Le premier concept (disease)
est la maladie considérée du point de vue biomédical comme
un dysfonctionnement biologique ou psychologique. Le second concept (illness)
se rapporte à la maladie en tant que vécu.
12 HUDELSON P., Que peut apporter l'anthropologie
médicale à la pratique de la médecine ? ,
Santé Conjuguée, octobre 2008, No. 46, p. 35-39.
13 KLEINMAN A., Patients and healers in the context
of culture: An exploration of the borderland between anthropology medicine and
psychiatry, Berkeley, University of California Press, 1980.
14 HUDELSON P., Op. Cit.
12
2. Analyse de situations vécues
La deuxième partie de ce travail consistera à
décrire le matériel et la méthode utilisée pour
cette recherche. J'évoquerai également deux situations
rencontrées lors de ma pratique.
2.1. Matériel et méthode
Une revue critique et ciblée de la littérature
scientifique m'a permis de dégager certains concepts fondamentaux
pouvant intervenir dans la relation infirmier - patient étranger. Je
vais maintenant décrire deux situations rencontrées, avec des
patients étrangers, lors de ma pratique d'infirmier en psychiatrie.
Ma recherche est de type qualitative et se focalise sur
une analyse de situations vécues.
Limites :
Pour réaliser l'entièreté de ce travail, je
ne disposais de quelques mois environ ; ce qui est peu pour ce type de
recherche. J'étais dans l'obligation de faire des choix au niveau de ma
méthodologie :
- cibler de manière utile la littérature existante
sur le sujet
- limiter la présentation des cas que j'avais pu
rencontrer au cours de ma pratique - limiter la longueur du travail
écrit à 30 pages au maximum
2.2. Description de deux situations vécues
J'ai choisi d'évoquer ces deux situations car elles me
semblaient pertinentes pour ma recherche.
2.2.1. Première situation
Lorsque je travaillais encore aux urgences psychiatriques au sein
d'un hôpital luxembourgeois, nous reçûmes, un soir,
l'entrée d'un patient d'origine africaine.
13
Il avait été amené, chez nous, par la police
grand-ducale pour troubles de l'ordre public (bagarre) et propos
incohérents.
A son arrivée aux urgences, cette personne
présentait une angoisse très importante et un discours axé
sur la sorcellerie.
L'assistant en psychiatrie, de garde aux urgences, avait conclu
à des propos délirants d'ordre mystique. Il s'est
avéré, suite à une anamnèse plus approfondie, que
le patient n'était en rien délirant mystique. Il nous avait
raconté qu'il était arrivé en Europe il y a quelques mois
en provenance d'Afrique de l'Ouest. C'était un réfugié
clandestin à la recherche d'un avenir économique meilleur. C'est
un peu par hasard qu'il était finalement arrivé au Grand
Duché de Luxembourg.
Pour parvenir jusqu'en Europe et payer ses passeurs, il avait
dû emprunter, avant son départ, une somme importante auprès
de sa famille et de connaissances locales. Il était censé les
rembourser rapidement après avoir trouver un travail en Europe.
Ne trouvant pas de travail au Grand Duché de Luxembourg et
se rendant compte que l'Europe n'était pas l'eldorado
espéré, il devint de plus en plus nerveux face à
l'échéance du remboursement de sa dette. Sa famille et ses
connaissances, restées en Afrique et ne voyant pas d'argent arriver,
menacèrent de l'attaquer en sorcellerie.
Honteux de ne pouvoir honorer sa dette et convaincu d'avoir
été envoûté par un sorcier, notre patient
était devenu très instable. Cette situation délicate avait
fini par le déstabiliser et l'avait entraîné dans une
bagarre à Luxembourg ville.
Son discours ne laissait plus de doute sur le fait qu'il
était totalement convaincu d'être la victime de sorcellerie
déclenchée, depuis l'Afrique, par ses proches en terme de
représailles pour non remboursement de sa dette.
La victime de la bagarre ayant porté plainte, ce patient
devait être amené devant la justice. Comment la justice
allait-elle pouvoir juger adéquatement une personne se disant victime de
sorcellerie ? On imagine la difficulté pour l'expert psychiatre
luxembourgeois de se prononcer sur cette situation particulière.
2.2.2. Deuxième situation
Toujours lorsque je travaillais au Grand Duché de
Luxembourg, dans un service d'urgences psychiatriques, nous
reçûmes, un jour, l'admission d'une patiente marocaine. Cette
patiente était arrivée depuis trois années environ au
Luxembourg.
Comme il était dans nos habitudes, une fois les
formalités d'admission remplies, nous avions demandé à la
famille qui l'accompagnait (elle se composait de six personnes dont le mari) de
bien vouloir quitter les lieux avant de procéder, en compagnie du
médecin, à l'anamnèse.
On s'était rapidement rendu compte que la famille,
malgré notre insistance, ne souhaitait absolument pas quitter les lieux.
Elle désirait, de toute évidence, participer à cette
anamnèse. La famille semblait vouloir nous indiquer qu'elle avait son
mot à dire sur ce qui avait été à l'origine du
problème de cette patiente.
Après une courte discussion en équipe, nous avions
finalement accepté de laisser les proches participer et d'entendre ce
qu'ils avaient à nous dire.
Cela faisait plusieurs mois que cette patiente souffrait de
douleurs aux genoux. Or, plusieurs consultations et examens de médecine
somatique n'avaient rien révélé d'anormal.
14
Les médecins consultés (y compris divers
spécialistes) avaient renvoyé la patiente vers son domicile.
Certains avaient évoqué le fait que son problème
était peut-être d'origine « psy ».
Comme je le décrirai dans la suite de ce travail, le fait
d'entendre la famille de cette patiente marocaine fut bénéfique
pour la suite de son hospitalisation.
15
3. Résultats et discussions
Dans cette troisième partie du travail, j'analyserai, plus
en détail, les deux situations que j'ai rencontrées lors de ma
pratique d'infirmier.
S'il est assez facile de dire que ces deux situations
relèvent de différences culturelles. Encore faut-il comprendre ce
qui s'y joue vraiment.
3.1. Première situation
Dans la première situation, j'avais souligné que
« l'excuse » que mettait en avant le patient était le fait
d'avoir agi sous l'influence de la sorcellerie (on lui avait jeté un
sort à distance). Pour ne pas avoir remboursé sa dette, il se
retrouvait, en regard de sa culture d'origine, comme le « mauvais sujet
désigné ». On l'avait donc menacé d'attaque en
sorcellerie. Analysons, parallèlement, la manière dont la
sorcellerie est perçue par la culture africaine du patient et par notre
culture occidentale.
SORCELLERIE
Afrique de l'ouest Occident
Pratique normale Pratique anormale
Mode de fonctionnement normal Influences de l'église
catholique
(dans une société où il n'existe pas au
cours de l'histoire : inquisition,
de système de sécurité sociale) qui
sorcières étaient brûlées, etc.
peut contraindre l'individu à ? peurs, méfiance,
vision négative
redistribuer ses biens
Sorcier = être porteur d'un savoir (magique) Sorcier =
malade mental
être en relation avec la sacré
guérisseur / « psychiatrie » traditionnelle
Migrant
Sujet « coincé » entre deux mondes
Sujet de
« l'entre - deux »
16
Le migrant est un sujet qui se situe entre sa culture d'origine
et sa culture d'accueil. Tout dépend du temps qu'il a passé dans
l'une et l'autre. Il peut donc être considéré comme un
sujet de « l'entre deux » ; quelqu'un qui n'appartient pas vraiment
totalement à l'une ou à l'autre.
On parle, ici, de concept de « syncrétisme ». Le
sujet n'appartient plus vraiment, culturellement, à sa
société d'origine et éprouve souvent des
difficultés d'insertion dans sa culture d'accueil. Il sera donc plus
difficile de se prononcer sur un sujet qui est « ni l'un - ni l'autre
» mais qui se positionne dans une culture de « l'entre-deux
».
Culture d'origine Entre-deux Culture
d'accueil
? ?
>
Chemin difficile avec bouleversement des repères
En Occident, on aura tendance à mettre l'accent sur la
culpabilité du sujet. Cela vient probablement de l'importance historique
accordée au couple « Bien / Mal » (voir la religion
chrétienne et le péché originel). On se concentrera donc
surtout sur le psychisme de l'individu.
Dans d'autres cultures, on mettra l'accent sur la honte (ce
patient africain avait honte de ne pouvoir rembourser à temps sa dette).
Le problème envisagé se situera plutôt au niveau de
l'interaction du sujet avec ses proches et/ou son environnement social.
Il est donc essentiel pour l'infirmier de s'interroger sur les
représentations du patient étranger en ce qui concerne la
santé, la maladie, le soin, la souffrance, les habitudes de traitement,
etc. Ces représentations varient d'une culture à l'autre.
17
3.2. Deuxième situation
La patiente évoquée est d'origine marocaine et ne
vivait que depuis quelques années au Grand Duché de Luxembourg.
En situation de migration, la maladie, vécue hors de sa culture
d'origine, impliquait un stress supplémentaire. Elle se voyait alors
contrainte de remplacer ses stratégies jusqu'alors opérantes par
de nouvelles (phénomène d'acculturation)15.
Cette patiente marocaine se plaignait de douleurs aux genoux.
Mais, après une anamnèse plus poussée, la patiente nous
disait : « Je suis travaillée, je le sens, c'est les parents de
mon mari qui n'ont jamais accepté notre mariage, c'est eux qui font des
choses sur moi ». Elle ajoutait : « Je ne suis pas malade,
la preuve les médecins que j'ai rencontrés ne m'ont pas
donné de traitement ! ». Ce qui se passait, c'est que cette
patiente exprimait un mal-être en dirigeant ses plaintes à un
endroit de son corps. Cette manière de procéder peut
paraître assez inhabituelle pour notre culture occidentale. La
somatisation peut être différente selon les cultures. Rappelons
nous aussi qu'une plainte est en quelque sorte « une invitation
à entrer dans le monde du patient où une souffrance psychique est
présente »16.Une plainte exprimée, outre
l'aspect purement médical, peut aussi avoir un aspect symbolique. Il est
donc assez courant de voir formuler une plainte inhabituelle par un patient
étranger. Notre patiente marocaine exprimait symboliquement son
mal-être en termes de santé physique (douleurs aux genoux)
plutôt que psychique. Pour elle, son bien-être dépendait
surtout de sa place au sein de sa famille. Elle déprimait car sa
position était menacée. Mais, plutôt que d'exprimer une
dépression, elle utilisait, de part ses références
culturelles, des métaphores. Elle déviait sur son corps un
mal-être psychique.
L'infirmier se doit donc d'être prudente lorsqu'il
interprète une plainte d'un patient.
A. Sayad évoque, à juste titre, le concept de
« maladie de l'immigré » selon lequel « sa
pathologie dont on ne sait si elle est vraiment pathologique au sens
médical du terme ou si elle est sociale. (...) Les sinistroses sont des
immigrés malades précisément de leur condition de malade,
et ce qui est demandé à la thérapeutique de la
médecine (du soma ou du psyché) n'est pas tant de les
guérir d'une quelconque maladie, mais de les délivrer d'un mal en
leur restaurant l'intégrité de l'état antérieur et
en les restaurant dans l'équilibre perdu »17.
Dans notre culture occidentale (plutôt individualiste),
c'est une relation duelle (soignant versus soigné) qui sera
préférée. Par contre, dans d'autres cultures, c'est la
famille, le groupe ou le clan qui sera privilégié. Il arrive
aussi que la hiérarchie familiale d'un patient étranger soit
différente de la nôtre. Le père, l'époux, l'oncle,
le frère ou le chef de clan peuvent posséder le pouvoir de
décision en ce qui concerne les soins que l'on donnera à une
femme. Ce fut le cas pour cette patiente marocaine.
Il est donc assez courant de voir arriver, à
l'hôpital psychiatrique, un patient étranger accompagné de
sa famille ou de ses proches. La famille et/ou les proches peuvent aussi
être une aide précieuse pour traduire et/ou interpréter les
dires et/ou les comportements du patient.
15L'acculturation désigne les processus
complexes de contact culturel au travers desquels des sociétés ou
des groupes sociaux assimilent ou se voient imposer des traits ou des ensembles
de traits provenant d'autres sociétés. BONTE P. et IZARD M.,
Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, Op. Cit., p.1.
16 FERRANT L., La plainte : point de départ
d'une approche, in : Santé Conjuguée / Cahier : Patients
sans frontières : l'approche interculturelle en soins de santé
primaire, 1999.
17 SAYAD A., Vieillir dans l'immigration, in
: Migration Santé, n° 99, pp. 7-23.
Nous estimons encore trop souvent que c'est au patient
étranger à s'adapter à notre manière de percevoir
les soins. Cela est vrai en partie. La loi est la loi, même pour un
étranger. Néanmoins, pour le faire adhérer à nos
soins, il convient de ne pas nier leur culture et de ne pas rabaisser leurs
habitudes.
De même, la prise en considération de la famille du
patient étranger, dans le processus du soin, favorisera souvent la
relation qui va s'établir entre le soignant et le soigné et
permettra d'éviter de négliger certaines étiologies
auxquelles on aurait, à priori, pas pensé.
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18
Cahier - Patients Sans frontières - Santé
Conjuguée, n°7, janvier 1999
3.3. Difficultés rencontrées
De ces deux situations vécues et de mon expérience
de terrain en psychiatrie, il ressort que les difficultés les plus
couramment rencontrées par les patients étrangers et le personnel
soignant sont :
- La barrière de la langue
- Des perceptions différentes sur les concepts (de
santé, d'hôpital, de maladie mentale, de soignant, de soin, de
famille, etc.)
- Une manière différente d'exprimer un état
de mal-être (par une symbolique culturelle)
La barrière de la langue peut être résolue
par l'intermédiaire d'un traducteur - interprète ou, au pire, par
des gestes, des mimes, des interprétations, etc.
La perception des concepts découle de la culture à
laquelle appartient le patient. Cela entraîne fréquemment des
problèmes de compréhension mutuelle et des malentendus entre le
soignant et le patient étranger. Leurs cultures sont différentes
et, selon Mike Singleton18, on ne peut pas vraiment
penser hors culture.
En présence d'un patient étranger, le soignant ne
peut se limiter à une vision purement « médico-technique
» du problème rencontré19. Il se doit de revenir
à une approche plus globale (biologique, psychologique, socioculturelle
et spirituelle).
Pour information, selon une étude menée, en 2009,
dans une unité d'oncologie de l'hôpital Brugmann20, 80
% des soignants estimaient avoir une communication inadéquate avec le
patient étranger et sa famille, et donc un problème dans la prise
en charge. 50 % du personnel regrettait ne pas pouvoir disposer de ressources
adéquates pour « rencontrer ».
19
18 SINGLETON M., Critique de l'ethnocentrisme :
Du missionnaire anthropophage à l'anthropologue
post-développementiste, Paris, Parangon, 2004, p.13.
19 HOFFMAN A., Quatre continents dans la salle
d'attente, in : Santé Conjuguée / Cahier : Patients sans
frontières : l'approche interculturelle en soins de santé
primaire, 1999.
20 MACCIONI J., ETIENNE A. et EFIRA A., Le
patient étranger face au cancer : Projet d'accompagnement
multiculturel
20
4. Les compétences interculturelles
Il est humainement impossible, même pour un anthropologue
averti, de cerner l'ensemble des cultures humaines existantes. Etablir une
relation de qualité avec un patient étranger, et ainsi gagner son
adhésion, nécessite des compétences interculturelles
efficaces. Je vais donc décrire, au cours de cette dernière
partie, ces compétences interculturelles.
Pour rappel, j'avais donné, dans la première partie
de ce travail, une définition du concept « interculturel ».
De façon très générale, on pourrait
définir les compétences comme étant l'ensemble des
connaissances (théoriques et pratiques), des attitudes et des
capacités à mobiliser pour effectuer une tâche
déterminée. Dans le domaine des soins infirmiers, une bonne
définition de « compétences » serait celle de Boterf G.
: « être compétent c'est mettre en oeuvre une pratique
professionnelle pertinente tout en mobilisant une combinatoire
appropriée de ressources (savoir, savoir faire, comportement, mode de
raisonnement, ...) »21.
En présence d'un patient étranger, un soignant
devra donc faire appel à des savoirs spécifiques, à des
« savoir - faire » particuliers mais aussi et surtout à un
« savoir - être » approprié (ouverture d'esprit, respect
de la différence, etc.).
« Les compétences transculturelle (voir
ci-dessous pour la définition du terme
« transculturel ») sont un outil composé
d'attitudes, de connaissances et de savoir - faire qui permet de prodiguer des
soins de qualité à des patients divers
»22.
De notre revue critique de la littérature, il ressort
quatre compétences essentielles que le soignant se devrait
d'acquérir dans ce type de relation : la communication interculturelle,
l'empathie, des connaissances spécifiques et l'adaptation du processus
des soins infirmiers.
4.1. La communication interculturelle
La communication humaine est une chose hautement complexe. La
communication entre soignant et soigné est avant tout un échange
entre deux personnes. Cependant, de part le contexte du soin, cet
échange est généralement déséquilibré
au départ de la relation. Le soignant étant parfois en «
position de force » par rapport au soigné. À ce
déséquilibre s'ajoute le problème plus
général de l'ethnocentrisme (voir première partie du
travail). La communication interculturelle se veut, au contraire, une relation
équilibrée entre les deux sujets. Elle vise à favoriser
une compréhension réciproque. Selon Singleton M., la
communication interculturelle implique deux choses : « une
méconnaissance mutuelle qu'il s'agit de rectifier » et «
une reconnaissance réciproque à renforcer
»23.
Malheureusement, il n'existe pas de valeurs purement universelles
qui engendreraient, dès le départ, une compréhension en
parfaite harmonie. Les représentations culturelles sont fortement
liées à la culture de chacun des sujets. Leurs
représentations sont culturellement inscrites et ne sont donc pas
forcément les mêmes. Il s'agit donc de créer une sorte
d'espace de l'entre-deux où soignant et soigné pourraient se
retrouver pour dialoguer. Cet espace ne serait pas le lieu des
vérités universelles (elles n'existent tout simplement pas !)
mais un lieu de respect réciproque des différences. Cet espace
permet de rendre plus compréhensible, tant
21 BOTERF G., Repenser la compétence pour
dépasser les idées reçues - 15 propositions,
cité par BEGHENNOU A., Op. Cit., p. 14.
22 COLLECTIF, Care et compétences
transculturelles, Bruxelles, 2011, p. 17.
23 SINGELTON M., Amateurs de chiens à Dakar
: Plaidoyer pour un interprétariat anthropologique, Louvain-la-Neuve,
Bruylant-Academia, 1998, p. 119.
21
pour le soignant que pour le soigné, les
représentations de l'autre. C'est un lieu où soignant
(occidental) et patient (étranger) se verront respectés dans leur
identité respective.
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Source : Forum Med. Suisse, 2010 ; 10 (5).
Ce lieu peut être source d'avantages mais également
d'inconvénients (voir l'analyse de notre premier cas). Cet espace, c'est
aussi un peu le lieu où se retrouverait un migrant (africain, par
exemple) qui se serait installé, depuis quelques temps en Belgique. Il
possèderait à la fois des représentations émanant
de sa culture d'origine et d'autres de sa culture d'accueil. Cet espace est
aussi celui du médiateur interculturel, de l'anthropologue.
La relation « soignant - soigné » repose sur des
implicites culturellement partagés. Or, dans une relation avec un
patient d'origine culturelle différente, les présupposés
ne sont pas nécessairement partagés. Lorsque un soignant
accueille un patient de culture différente, il a souvent tendance
à attendre de ce dernier qu'il laisse de côté sa culture
d'origine et ses valeurs pour s'intégrer au milieu du soin occidental.
La conséquence, au lieu d'aller vers un partage et une meilleure
compréhension réciproque, sera souvent une résistance de
la part du patient étranger.
La communication interculturelle entre le soignant et le patient
étranger permet d'éviter les incompréhensions qui
pourraient d'écouler de leurs différences culturelles. Elle
favorise l'adhésion aux soins du patient étranger. Elle implique
un « décentrage » (= utiliser un détour afin de mieux
comprendre le discours du patient étranger) de l'infirmier par rapport
à sa propre culture.
Interculturel versus transculturel
Dans la littérature consultée, il est souvent
mentionné « transculturel » au lieu de
« interculturel ». Le terme « transculturel »
provient du concept de « transculturation » développé
par l'anthropologue cubain Fernando Ortiz Fernandez24. Le terme
« transculturel »
24 ORTIZ F., Controverse cubaine entre le tabac et le
sucre, Ed. Mémoire d'Encrier, 2011, 710 p.
22
concerne des identités culturelles plurielles. L'approche
transculturelle se situe donc au-delà des cultures. Elle permet
d'accéder à une sorte de « méta - niveau » et
offrirait de ce fait une plus-value interculturelle. Pour L.
Ferrant25, il ne s'agit pas seulement de développer des
compétences interculturelles mais « il est indispensable
d'avoir une attitude d'ouverture, une sensibilité à la culture
d'autrui ; c'est là que se situe le transculturel. L'interculturel,
c'est quand la culture de l'aidant est confrontée à la culture de
l'aidé ; le transculturel, c'est la culture qui est présente dans
les relations (...) Pour y parvenir, il faut une combinaison de connaissances,
de compétences et de comportement professionnel. ».
Développement vers des compétences
culturelles (Kripalani, 2006)26
D'une approche MULTICULTURELLE
|
CONNAISSANCE
|
Via une approche INTERCULTURELLE
|
COMPETENCES
|
Jusqu'à une attention et à une
sensibilité TRANSCULTURELLE
|
COMPORTEMENT PROFESSIONNEL
|
Interculturel, multiculturel, transculturel, pluriculturel,
interculturalité, multiculturalité, transculturalité ; il
est assez difficile de s'y retrouver parmi ces différents concepts.
D'autant plus qu'il n'y a pas toujours un consensus des chercheurs sur les
définitions.
Le Conseil de l'Europe, qui impulse depuis plusieurs
années des politiques et des actions pour favoriser le dialogue entre
les cultures privilégie le concept d'interculturalité comme
objectif de société. « Pour qu'une société
deviennent réellement interculturelle, chaque groupe social doit pouvoir
vivre dans des conditions d'égalité, quels que soient sa culture,
son mode de vie ou son origine. Cela implique non seulement de
reconsidérer notre façon d'interagir avec les cultures qui nous
paraissent étranges par rapport à la nôtre, mais aussi
notre façon d'interagir avec des minorités comme les homosexuels
ou les handicapés qui se heurtent à diverses formes
d'intolérance et de discrimination. » (Conseil de l'Europe,
1995).
4.2. L'empathie
La littérature scientifique regorge de définitions
sur l'empathie. Néanmoins, de nombreux auteurs insistent sur le fait que
ce concept est un élément essentiel pour la communication
(interculturelle). La mise en pratique de l'empathie implique une prise de
conscience de la différence individuelle et culturelle entre le soignant
et le patient (étranger).
Dans le cadre de ce travail, j'ai choisi de retenir la
définition de Tourette-Turgis C. pour qui « l'empathie est un
processus dans lequel le praticien tente de faire abstraction de son
25 FERRANT L., De l'approche multiculturelle aux
compétences transculturelles, In : Care et compétences
transculturelles, Bruxelles, 2011, p. 18.
26 KRIPALANI, Cité par FERRANT L., Op. Cit.
23
univers de référence mais sans perdre contact
avec lui, pour se centrer sur la manière dont la personne perçoit
la réalité »27.
Il y a une question essentielle à se poser
régulièrement : « Qu'est-ce qui se passe actuellement
chez la personne qui est en face de moi ? »28. Cela
nécessite une écoute (verbal, intonations, ...) et une
observation (regards, expressions, ...) poussées et continues. Cela
demande également beaucoup de patience.
Ce qui semble essentiel à prendre en considération
est le fait que le patient étranger a d'abord besoin, sauf cas
d'extrême urgence, d'un soignant qui l'aidera par sa présence et
sa compréhension plutôt que d'un soignant qui agit à sa
place.
4.3. Les connaissances spécifiques
Chaque infirmier ne peut pas nécessairement être un
anthropologue confirmé. Cependant, des connaissances spécifiques
à différentes cultures humaines (religions, habitudes
alimentaires, interdits, origines géographiques, langues, normes
d'hygiène, médecines traditionnelles, hiérarchies
familiales, croyances sur la maladie, les soins, la mort, l'importance
donnée au toucher, la distance physique optimale à conserver,
l'importance donnée au regard, la notion de temps, ...), acquises par
formation et/ou par expérience, constituent un avantage non
négligeable. Elles favorisent le compromis et la négociation, et
minimise les frustrations.
Chaque infirmier se doit d'adopter une ouverture d'esprit envers
les cultures étrangères. Il devra également laisser de
côté ses stéréotypes.
Il ne faut pas avoir peur de poser des questions par rapport
à une différence culturelle. Un minimum de compréhension
de la culture du patient étranger est essentiel à
l'établissement d'une relation de confiance.
Il convient aussi de posséder un minimum de connaissances
sur le processus de migration et ses difficultés.
4.4. Adapter le processus des soins infirmiers
Dans la relation avec un patient d'origine culturelle
différente, l'infirmier se doit d'adapter le processus des soins.
Collecte des données, planification, exécution, évaluation
et éducation à la santé devront subir des adaptations
utiles.
La collecte des données et l'énonciation
de diagnostics infirmiers
Auprès d'un patient étranger, l'infirmier devra
adapter sa collecte des données. Il devra se concentrer sur certains
items, plus spécifiques à une approche interculturelle. Ces items
sont, par exemple, la notion de temps, la notion d'espace, l'environnement
psychosocial, la maladie, la douleur, la relation thérapeutique, le
corps, les soins d'hygiène, la religion, les habitudes vestimentaires,
les habitudes alimentaires, les rapports homme - femme, etc.
27 TOURETTE-TURGIS C., Guide de prévention - Comment
conduire des actions en éducation pour la santé sur l'infection
V.I.H. auprès de jeunes en milieu scolaire, Ed. Comment Dire, 1992, p.
60.
28 Equipe ICI et AILLEURS, Consulter en
ethnopsychiatrie, 2008.
24
Outre l'observation, il est préférable de poser des
questions ouvertes au patient.
Ces items culturels sont essentiels car ce sont eux qui sont
généralement à l'origine d'une incompréhension
réciproque voire de comportements discriminatoires.
L'infirmier devra donc garder à l'esprit que les
représentations d'un patient étranger peuvent différer
significativement de ses propres représentations.
Purnell et Paulanka29 nous fournissent un tableau avec
les données à approfondir dans le cas d'une collecte de
données auprès d'un patient étranger. Le but est de
réaliser une sorte de profilage du patient étranger en mettant en
lumière ses particularités culturelles.
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Avec un patient d'origine étrangère, un diagnostic
infirmier pertinent sera :

« (Risque) Syndrome d'inadaptation à un
changement de milieu .
La définition qu'en donne Marilynn E. Doenges est : «
(Risque) Perturbations physiologiques et psychologiques résultant
d'un changement de milieu »30.
29 PURNELL et PAULANKA, cités par PHANEUF M.,
L'approche interculturelle, communication et soins dans un contexte
d'ouverture [en ligne], Canada.
30 DOENGES M. E. et al., Diagnostics infirmiers -
interventions et justifications, 3ème édition,
Bruxelles, Ed. De BOECK, 2012, pp. 498 - 505.
25
La planification des soins
Les éléments à prendre en compte, pour
planifier les soins, sont à mettre en relation avec les
éléments identifiés lors de la collecte des
données. Une attention sera portée sur les peurs et les
objections formulées par le patient étranger.
Pour l'élaboration des objectifs, il est utile d'en faire
part au patient afin de s'assurer de sa collaboration.
La réalisation des soins
La barrière de la langue engendre des difficultés
au niveau de la transmission de l'information à laquelle le patient
étranger a droit.
S'il convient de comprendre les peurs et les réticences
(pudeur, se faire soigner par un soignant de sexe opposé, ...) ainsi que
les croyances particulières (esprits, volonté de Dieu,
médecine traditionnelle, ...) d'un patient étranger, l'infirmier
ne doit pas non plus perdre de vue les responsabilités liées
à sa fonction. Le patient étranger devra comprendre qu'il est
parfois impossible pour le personnel soignant d'agir autrement.
Négociation, douceur et patience donnent
généralement de meilleurs résultats que la contrainte, les
menaces et l'autorité. Il est cependant parfois utile de rappeler
à un patient étranger les lois en vigueur dans notre pays.
Il peut arriver qu'un patient étranger finisse par refuser
(pour des raisons liées à la tradition, à la religion,
...) les soins qui lui sont proposés. Cela reste
généralement son droit, sauf circonstances particulières
(mise en observation, mesures liées aux enfants, etc.).
L'évaluation des soins
Un regard rétrospectif devra être
réalisé afin de déterminer ce qui a fonctionné et
ce qui n'a pas fonctionné lors de la réalisation des soins au
patient étranger. Un refus de soin résulte souvent d'une mauvaise
compréhension réciproque entre l'infirmier et le patient
étranger. Les conséquences peuvent alors être plus ou moins
importantes : frustrations du soignant et/ou du patient étranger, droits
du patient bafoués, etc.
Il convient de se poser la question de savoir si l'on a
été capable de s'adapter ou non à la manière dont
le patient étranger perçoit les soins. On pourra ainsi
réadapter, de manière utile, les soins qui restent à
exécuter.
L'éducation à la
santé
La culture d'un patient étranger implique des
représentations différentes (de la maladie, des soins, de la
santé, ...). À cela s'ajoute parfois la barrière de la
langue. Le travail d'éducation à la santé s'avère
donc parfois délicat. Il convient d'user de patience et de tenter de lui
expliquer les choses le plus clairement possible.
26
4.5. Ce que nous pouvons concrètement mettre en
place à l'hôpital
Les compétences (interculturelles) évoquées
ci-dessus ne sont pas exclusives. D'autres pistes peuvent également
être prise en considération pour améliorer la relation
entre l'infirmier et un patient de culture étrangère. À
titre d'exemples, citons :
- Envisager des formations utiles (discussions sur des situations
vécues, formations
spécialisées en Belgique et/ou à
l'étranger)
- Proposer des conférences et/ou des séminaires sur
la prise en charge interculturelle
- Définir les personnes ressources (interprète,
médiateur interculturel, ...)
- Adapter le service (brochure évoquant le
problème, affichage, brochures d'accueil
dans différentes langues, accès Internet pour
traducteurs automatiques, etc.)
- Création d'une cellule pluridisciplinaire
d'accompagnement des patients étrangers
- Envisager une personne « relais » au sein du
service
- Recueil avec coordonnées de personnes et ou services
spécialisés
- Collaboration en réseau avec les différentes
ressources disponibles.
- Envisager une collaboration utile avec les responsables des
différents cultes
- Etablir des liens avec le service de médiation, voire
création d'un service de médiation
interculturelle (seul ou en collaboration avec d'autres
hôpitaux)
- Réaliser un groupe de parole avec divers patients
d'origines culturelles différentes. Il y
aura confrontation de points de vue. Le patient étranger
se sentira alors moins
incompris. Cela permet aussi de regrouper des
énoncés différents sur une
problématique et de dégager une sorte de
co-construction (construire ensemble)
- Mettre en place des activités communautaires qui seront
complémentaires aux suivis
thérapeutiques individuels. Ces initiatives proposeront,
aux patients étrangers qui le
souhaitent, un lieu et des temps où ils pourront
être accueillis et reconnus dans leur
singularité, échanger et faire des rencontres
- Recourir à un soignant ayant la même origine
culturelle que le patient étranger
- Renforcer les interactions entre les spécialistes de
l'interculturel et les acteurs de
terrain.
Le but étant de mettre sur pied des solutions qui ne
seraient pas trop coûteuses pour l'hôpital.
Notons que le S.P.F. Santé Publique peut octroyer un
certain financement pour la fonction de « médiateur interculturel
» dans les hôpitaux belges qui accueillent un certain nombre de
patients étrangers.
En 2010, le SPF Santé Publique a mis en sur pied un projet
pilote de médiation interculturelle via vidéoconférence
par Internet31. Le but était d'offrir aux professionnels et
aux patients étrangers un contact rapide avec un interprète ou un
médiateur interculturel.
31 SPF SANTE PUBLIQUE, Rapport Annuel, 2010.
p 13.
27
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28
5. Le contexte particulier de la psychiatrie
L'hôpital psychiatrique véhicule encore de nos jours
de nombreux tabous. Il est un lieu de pouvoir lié à des savoirs
non partagés, aux conditions fragilisantes de la maladie mentale, aux
trajectoires individuelles et aux représentations de la souffrance
psychique. La relation entre soignant et soigné, pourtant centrale dans
le processus des soins, est parfois asymétrique (« domination
» du soignant sur le patient). Les pathologies rencontrées
(névroses, psychoses, dépressions, ...) se manifestent souvent
par des comportements assez « déconcertants » : colère,
crises, peurs, etc. Leur accompagnement par l'infirmier (même s'il est
spécialisé en psychiatrie) n'est pas chose facile.
Après les approches liées aux diverses «
écoles de pensée » (psychanalyse, comportementale,
systémique, ...), l'accent est plutôt mis, de nos jours, sur un
« patient - acteur » au centre de son parcours. On favorise donc une
dynamique de co-construction du projet thérapeutique.
Les différences culturelles sont particulièrement
marquées lorsque l'on aborde le champ de la santé mentale et de
la psychiatrie. Les patients étrangers ne comprennent pas toujours
très bien nos manières occidentales de faire. Ce qui oblige les
soignants à être particulièrement attentifs aux
sensibilités culturelles. La relation que l'infirmier peut avoir, en
psychiatrie, avec un patient d'origine étrangère est un
phénomène complexe à étudier. De nombreux facteurs
entrent en jeu.
L'entretien est un élément central du processus de
soin en psychiatrie. La parole échangée est fondamentale. Pour
Apotheloz et Grossen, en présence d'un patient étranger, «
l'entretien psychiatrique peut être vu comme une conversation au
cours de la quelle patient et soignant verbalisent un certain nombre
d'éléments en partant de leurs perspectives, et négocient
ensuite les significations en les confrontant, en les co-construisant
»32. Il est primordial que la communication fasse sens
pour l'infirmier et le patient. Cela permet d'éviter les
incompréhensions et les frustrations.
En présence d'un patient étranger, les
différences culturelles et l'éventuelle barrière de la
langue peuvent rapidement devenir des obstacles. En effet, on peut s'interroger
sur la manière dont l'infirmier et le patient étranger
échangeront, de manière efficace, sur des problèmes
liés à l'identité, au mal-être psychique, etc.
Normalement, l'entretien est un « face à face »
plutôt ritualisé. Il se déroule dans l'intimité, le
secret et la confidentialité. Il a lieu entre deux acteurs : le soignant
et le soigné. Mais dans le cas d'un patient étranger, la
présence d'un traducteur/interprète est parfois requise. Ce qui
porte la relation à trois acteurs au lieu de deux. Se pose alors la
question de savoir si la présence de cette troisième personne est
réellement souhaitable, pour le patient et/ou le soignant, dans ces
échanges assez intimes. Ne risque-t-on pas d'influencer
négativement le rôle de l'entretien ?
Régulièrement, le soignant aura d'abord recourt aux
gestes, au non verbal, à une langue intermédiaire commune (comme
l'anglais ou l'allemand), à un dessin ou éventuellement un outil
de traduction Internet. Et c'est souvent quand cette première solution
ne marche pas qu'il convoquera un traducteur/interprète. La relation
devient alors triangulaire et la présence de cet acteur
supplémentaire n'est pas neutre. Cela modifie les frontières de
la relation « soignant - soigné » et risque d'entraîner
des réticences.
32 APOTHELOZ et GROSSEN, cités par MOLINA M.
E., Communication, migration et santé : souffrances psychiques et
communication. Comment dire sa souffrance en situation
d'insécurité linguistique et socioculturelle ? , in : Actes
du VIIe Congrès de l'Association pour la Recherche Interculturelle
(ARIC), Université de Genève, 2001.
29
Le traducteur/ interprète permet une meilleure
compréhension du discours du patient étranger. Mais, en
même temps, il réinterprète aussi, d'une certaine
façon, les dires du patient. Son rôle n'est donc pas totalement
neutre au niveau de la relation.
Si cela est possible, on pourrait éventuellement faire
appel à un soignant de même origine géographique que le
patient étranger. Le patient étranger opère alors une
sorte d'identification en le voyant comme un compatriote à qui l'on peut
plus facilement se confier. Si cette solution peut faciliter la relation, elle
peut poser la question de la distance thérapeutique.
L'article qui suit (voir page suivante) est assez
révélateur du type de difficulté que l'infirmier peut
rencontrer lorsqu'il se retrouve en présence d'un patient dont la
culture est différente de la sienne.
Un simple médicament dont l'infirmier connaît, par
expérience, les effets habituels, peut très bien ne pas produire
les effets escomptés sur ce patient étranger.
La représentation que se fait une personne d'un
médicament donné peut très bien varier d'une culture
à l'autre.
|
Le beau médicament moderne
! AütubleDevo tlEPEc.11tes
|
Dominique Osso:, psychiatre, centre D'Ici et
d'Arlfeurs.
o. Quelle sottise c'était de rejeter le
fétiche dans les ténèbres de l'illusion manipulatrice,
mais quelle sottise plus grande encore ce serait de rejeter le beau
médicament moderne dans les ténèbres de la seule raison
objective».
Travailler avec des personnes venues d'ailleurs renvoie
à sa propre culture_ C est un constat que toute personne
confrontée à d'autres qui pensent différemment peut
faire.__
Quand après de longues études, on se lance dans
une carrière médicale, certain de sa tt science » apprise
à l'université, an prescrit quotidiennement des
médicaments, ce qui devient un geste presque banal.
Mais lorsqu'un jour, monsieur H_ vient nous trouver,
déballe son sac, au sens premier du terme, et en sort une boite de
SuscopanC, suivie d'une boite de Spasmomen(c), ensuite du Duspatalin(c), puis
du Dicetel(c) et enfin de la Visceralgineea et que par ailleurs, les douleurs
de ventre pour lesquelles toutes ces médications ont été
prescrites sont toujours présentes, on se pose des questions_ Et
pourtant la demande de monsieur H. est simple il ne comprend pas pourquoi ses
maux de ventre ne passent pas et demande un nouveau médicament qui
l'aidera à les faire passer. Mais prescrire un Xiême
antispasmodique ne résoudra rien...
L B111710 Latour, or Petite réflexion sur te culte
moderne des dieux Faitiehes Paris, Les empêcheurs de penser en rond,
I996, p.33_
2. Noms commerciaux de di erents médicaments
antispasmodiques_
3. Et si, ainsi que certains le proposent on utilisait une
substance qui produit des sensations dans le corps, l'effet ne serait-il pas
encore plus important ?
Tous ces médicaments sont efficaces, c'est écrit
dans les traités de médecine; la publicité le
dit; les délégués nous le
répètent en nous inondant de graphiques et d'études en
double aveugle, les congrès le confirment__.
Que penser donc lorsqu'on manie les médicaments
longueur de journée, et que l'on constate que telle substance prescrite
dans l'attente de tel effet parce qu'il y a tel ou tel symptôme, produit
tout sauf l'effet attendu ? C'est courant en médecine de tous les jours,
mais cela se constate encore plus avec les personnes d'origine
étrangère.
Cela veut-il dire que le ou les symptômes
repérés et classés « traditionnellement » sous
tel diagnostic sont peut-être le signe de quelque chose d'autre ? Est-ce
notre nosographie qui n'est pas adaptée aux symptômes des
personnes appartenant à d'autres cultures ? Ou alors nos
médicaments, ceux auxquels nous sommes habitués depuis notre plus
tendre enfance, sont-ils avant tout ce que l'an
SrFiCifte DOCraW... Se ge Yàs gts'iJlJE Sourrcni FAiTES
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pourrait appeler un « objet thérapeutique »
typiquement occidental ?
On sait en effet que lorsqu'on prescrit un médicament
à un patient, bien sûr la molécule qu'il contient agit pour
une part_ Mais ce n'est pas tout, le nom, la couleur, la forme, la
manière de le prescrire, « l'effet placebo », le
prescripteur... ont aussi leur part d'efficacité.
Mais cet effet que l'on nomme placebo, comment agit-il ? On le
retrouve dans toute étude qui concerne l'efficacité d'un
médicament et cela représente la part d'efficacité d'un
médicament qu'on ne peut finalement pas expliquer par la molécule
elle-même'. C'est donc dire que nous ne connaissons pas tout du comment
agit un médicament, du moins pour ce qui ne relève pas de la
molécule elle-même.
Cela nous ramène à la représentation que
chacun d'entre nous peut se faire du médicament. Et lorsque quelqu'un
venu d'ailleurs s'adresse à cette médecine qui manie ces «
objets thérapeutiques » aux effets qui lui apparaissent miraculeux,
il s'attend effectivement à un résultat probant. Mais est-on
vraiment sûrs que nos médicaments peuvent aider quelqu'un
frappé par le mauvais oeil ou possédé par un djinn ? Et si
monsieur H_ avait été victime de sorcellerie et qu'on lui a fait
manger « quelque chose », les antispasmodiques sont-ils vraiment
indiqués ?
Bien sûr, cet exemple, celui des maux de ventre du
patient H., semble banal, trop simple. Mais la même situation pourrait
être reprise pour les problèmes de dépression, de maux de
tête, de maux de dos, d'insomnies, de nervosité,... Il nous reste
donc beaucoup de questions concernant le mode d'action des médicaments
et aussi plus largement de notre
médecine. fi
30
56 Santé conjuguée - janvier 99 - n° 7
31
Conclusion
L'objectif de ce travail était de voir comment les
infirmiers pourraient, en psychiatrie, améliorer leur relation avec les
patients d'origine étrangère.
C'est d'autant plus important que les infirmiers se retrouvent
souvent en première ligne dans ces relations parfois difficiles.
J'ai mis en évidence le fait que le facteur culturel
était central dans la relation que développe l'infirmier avec le
patient étranger. C'est surtout vrai en psychiatrie où la parole
échangée est centrale.
Ce facteur culturel est malheureusement trop souvent
négligé et les moyens mis en oeuvre encore insuffisants.
La différence culturelle ne doit pas être
considérée comme un obstacle à la prise en charge; elle
est, au contraire, une richesse.
Le tout est de savoir quelles compétences interculturelles
l'infirmier se doit d'acquérir pour devenir compétent. Mais
acquérir ces compétences utiles relève également
d'une certaine motivation.
Le processus du soin implique un soignant et un soigné.
L'infirmier mais aussi le patient étranger devront faire un bout de
chemin dans la compréhension de la culture de l'autre.
L'ethnocentrisme est souvent à la base d'une
incompréhension réciproque entre l'infirmier et le patient
étranger. Chacun ayant tendance à croire que ce qui va de soi
pour lui va forcément de soi pour autrui. Il faut, au minimum, en avoir
conscience et être capable de se décentrer par rapport à sa
culture. Un patient reste un patient, quelles que soient ses origines et ses
représentations. Cela n'empêche cependant pas l'infirmier de
refuser certains comportements qu'il jugerait inacceptables (la violence envers
les femmes par exemple). Gardons également à l'esprit qu'un
patient étranger est un être humain à part entière.
C'est lui qu'il convent de soigner et non sa culture.
Ce travail, je l'espère, permettra au personnel infirmier
de mieux comprendre la manière dont il élabore ses
représentations et la façon dont il fonctionne lorsqu'il entre en
relation avec un patient étranger. L'hôpital, dans son ensemble,
ne pourra qu'en sortir gagnant.
Il est à parier que, tout comme notre
société, l'hôpital de demain sera de plus en plus
multiculturel. Non seulement au niveau des patients qui y seront accueillis
mais également au niveau du personnel qui y exercera.
L'intégration des patients étrangers dans le
système des soins de santé renforcera leur insertion et leur
participation à notre société.
A nous d'accepter de relever ce défi...
Pour prolonger ce travail, on pourrait analyser ce qui se passe
dans d'autres hôpitaux (en Belgique et à l'étranger) et
voir quelles collaborations éventuelles seraient possibles (partage de
ressources); mettre en route des politiques cohérentes à
l'échelle nationale et européenne. Une autre piste à
explorer serait d'étudier la problématique du respect du droit
à l'information et au consentement éclairé des patients
étrangers.
Les compétences interculturelles pourraient
également être envisagées auprès des patients
homosexuels, des patients souffrant d'un handicap physique, etc.
Pour souligner la richesse des cultures humaines, je ne peux
clôturer ce travail sans évoquer un danger qui menace,
aujourd'hui, leur diversité. Selon Claude Lévi-Strauss, on se
dirigerait apparemment, « si nous n'y sommes pas déjà
», vers une sorte de « monoculture universelle »,
avec tous les risques que cela comporte (perte de la richesse due aux
différentes cultures humaines)33.
32
33 LEVI-STRAUSS C., L'empoisonnement interne
[vidéo en ligne], 2004.
33
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