1.2.Une typologie des locuteurs migrants
Au cours des dernières années, le
phénomène de la migration a été
caractérisé par différentes typologies. Ce qui rend compte
de la pluralité des contextes de mobilité. En nous
intéressant à cet aspect, notre objectif est de sortir du cadre
étroit de l'inventaire des migrations en termes d'espace, de milieu ou
de civilisation (Dumont, 1995).
Mais la meilleure typologie est sans doute celle qui, loin
d'être construite artificiellement autour de critères abstraits, a
une valeur explicative utilisable pour le contexte que l'on étudie.
À l'heure de la mondialisation, une typologie distinguant les formes,
les facteurs et les objectifs de la mobilité est peut-être la plus
pertinente (Wihtol de Wenden, 2001: 12).
Aborder le concept de locuteur non confirmé depuis la
perspective migratoire revient à s'interroger sur les agents qui
engendrent cette expérience, les desseins envisagés et la nature
des déplacements. Nous l'avons évoqué, la migration «
c'est une recherche d'équilibre, dans
17 Dans le sens où l'entend Benveniste
c'est-à-dire un sujet qui est conscient de la nature et de la
signification de son activité langagière.
17
un monde où le bien-être, la
sécurité, les ressources, les droits, sont inégalement
répartis » (CIRE, 2012: 4). Grâce aux lectures et aux
investigations de terrain réalisées, nous avons
repéré sept facteurs propices au voyage.
- économique : les migrations liées aux usages
du commerce et du tourisme, à la planification budgétaire
actuelle, aux situations d'indigence des pays tiers ;
- professionnel : les déplacements en vue de l'obtention
d'un emploi vital ou amélioré ; - familial : les liens affectifs
tels que le mariage exogame ou le rapprochement parental ; - de genre : les
mobilités qui sont les corollaires de la condition féminine dans
certains
pays du Maghreb ;
- de sécurité publique : les situations de
conflits ainsi que l'instabilité politique qui touchent plusieurs
nations ;
- de formation / apprentissage : les convictions des migrants
qui organisent leurs projets professionnels et humains à l'horizon d'une
migration de retour ;
- utopique : l'attrait culturel et linguistique qui empaquette
le pays d'accueil comme une référence à « la
volonté nue de l'homme » (Lacroix, 1994: 105).
En pratique, on constate que les multiples causes du
départ s'entrecroisent, avec une tendance à la superposition des
raisons qui conduit à ce choix. Vis-à-vis de cette étape
de vie, il y a à la fois une idéalisation incontestable et une
angoisse de la nouvelle société nourricière. Alors vers
quoi tendent les nouveaux nomades18 ? Telle est la question que pose
la récurrence des mouvements de populations.
Dans le rapport à autrui et pour l'estime de soi, pour
s'expatrier, il faut émettre des objectifs valables, ou à
défaut, être confiant en ses projets. Voilà donc un
élément qui pèse dans la balance : celui du projet en tant
qu'être social qui facilitera, ultérieurement, l'« être
» en langue in posse.
Si l'on reprend la logique précédente, nous
relevons sept intentions de mobilité :
- aspirer à une vie économiquement décente
;
- acquérir des compétences professionnelles,
obtenir un ou plusieurs emplois ;
18 Dans la mesure où un groupe humain ne se
déplace plus au rythme des saisons, de façon permanente et
organisée, mais selon les aléas des conjonctures modernes.
18
- retrouver l'unité avec ses proches au travers du
regroupement familial ;
- s'émanciper en tant que femme, en termes
d'indépendances sociale et affective ;
- vivre sans la peur du régime politique en vigueur ;
- se préparer en terre d'accueil pour un retour triomphant
chez soi ;
- échapper à son identité et se
réinventer dans un espace physique où tout reste encore
possible.
« Immigrer vers quoi ? » apparaît comme une
expression chargée d'émotions, de déterminations, de
croyances et d'espoirs. Elle s'inscrit dans un tissu de représentations
liées au vécu collectif et individuel. Néanmoins, la
décision de partir s'effectue envers cette réalité, au
motif qu'il n'y a plus d'autres options envisageables et cela se
décèle dans les diverses natures de migrations
rencontrées.
L'exode international va de pair avec les
évènements économiques, politiques, démographiques
et sociaux. Est-ce la structure des déplacements qui permet au locuteur
de s'intégrer ou est-ce que ce sont les intérêts du pays
amphitryon qui engendrent les troubles identitaires des nouveaux arrivants ? On
ne saurait le dire. Cependant il est certain que le mouvement des peuples ne
s'exprime pas de façon unilatérale en Belgique. En liaison avec
les besoins de main d'oeuvre, une migration comprenant surtout des travailleurs
s'est développée. Se déplaçant tout d'abord
isolément, les immigrés, après avoir stabilisé leur
situation, ont permis la venue en terre d'accueil de leur femme et de leurs
enfants. On parle alors de regroupement familial, la démarche la plus
notable en matière d'accès au Royaume. De nos jours, ce sont
majoritairement les Guinéens, les Camerounais et les Ougandais qui
sollicitent cette procédure. À présent, la loi s'est
durcie et de nouvelles conditions d'ordre économique et familial sont
entrées en vigueur19. Un autre aspect de la mobilité
se rapporte à la dualité voyage choisi/voyage subi. L'asile
politique est le second recours pour peu que l'on réponde aux
critères liés à cette situation particulière
c'est-à-dire craindre pour sa vie et celle de ses proches dans son pays
natal. Ainsi, en 2013, les demandeurs Russes étaient, en
général, déboutés du droit d'asile alors que les
Afghans, les Guinéens, les Congolais et les Syriens
19 International Organization for Migration (IOM)
Country Office for Belgium and Luxembourg, 2012: 14.
19
bénéficiaient du statut20. Quant au
visa de courte durée (de trois mois) dit « touristique », il
reste difficile à acquérir si l'on vient d'un pays de
l'hémisphère Sud. Enfin, la forte migration illicite actuelle
concerne des personnes qui ne possèdent pas de document de séjour
en règle (« les sans-papiers ») ainsi que des individus qui ne
remplissent pas les conditions nécessaires pour accéder au
territoire (« les irréguliers »). Les principaux citoyens
touchés sont ceux en provenance des continents d'Afrique subsaharienne,
d'Europe de l'est et d'Asie de l'ouest (Vause, 2014: 154).
Du reste, certains entretiens à réaliser pour
notre travail de recherche impliquaient des sujets parlant aux origines et
répertoires langagiers divers. Arrivés d'Algérie, du Liban
ou de Slovaquie, en situation irrégulière, ils furent
expulsés en novembre 2013 vers des hébergements d'urgence ou vers
l'Office des Étrangers21. En effet, ils occupaient, avec
quelques deux cents personnes, un ancien couvent du quartier Saint-Josse. Ces
locuteurs « illicites » s'étaient inscrits dès
septembre, à l'association Avenir, avec le projet d'apprendre le
français.
Certes, le nombre de ressortissants étrangers n'a de
cesse de croître en Belgique mais force est de constater qu'il
s'accélère fermement à Bruxelles.
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