Introduction
« Parce que le théâtre est un outil
sensible et lucide d'apprentissage et d'écoute de la vie, parce qu'il
doit rester un acte citoyen et politique, un atout essentiel de la
diversité culturelle, le Théâtre du
Pélican9 développe depuis plus de dix-sept ans une
démarche artistique engagée aux cotés de la jeunesse.
[...] Créer une véritable dynamique d'éducation par la
parole et l'acte théâtrale : voici ce qui motive notre action, la
création de nos cycles de réflexion et notre désir du
faire ensemble. L'objectif du Théâtre du Pélican
est d'accompagner des jeunes de treize à vingt-deux ans dans des
projets artistiques exigeants, durables, en leur proposant des aventures
théâtrales professionnelles. [...] Le décloisonnement de la
culture passe par la mixité des publics, faisant en sorte que des jeunes
de différents milieux sociaux et culturels apprennent à se
découvrir, à se connaitre et à fabriquer ensemble. Il
s'agit de faire tomber le mur des a priori et de vivifier la valeur
rassembleuse de nos projets.»10
Dans son ouvrage Un théâtre et des
adolescents tome 2, Jean-Claude Gal11 s'attache à faire
entendre l'idée suivante : les enseignements que tirent les adolescents
de leur participation à des projets théâtraux
dépassent ceux relatifs aux compétences artistiques12.
En effet, de ces actions découlent l'acquisition d'autonomie, de
confiance en soi, des découvertes multiples ... Ce fut donc une
volonté de la part de ce metteur en scène de se positionner en
tant qu'accompagnateur de « ces jeunes gens », surnom par lequel il
aime affectueusement les nommer, vers cette discipline artistique. Cette
dernière a selon lui le mérite de favoriser l'entrée de
ces publics dans leur vie d'adulte et de citoyen. En tant que précurseur
français des actions théâtrales en faveur des adolescents,
les deux ouvrages13 rédigés par Jean-Claude Gal
avaient, et ont toujours comme objectif premier de défendre
l'intérêt de mettre en place des actions avec ces publics
auprès d'autres metteurs en scène.
9 Association loi 1901 créée en 1973 et
basée à Clermont Ferrand.
10 GAL, Jean-Claude. Un théâtre et
des adolescents, Tome 2. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires
Blaise
Pascal, Service Universités Culture, 2019. Parcours
Pluriels. P17-18.
11 Jean-Claude Gal est un metteur en scène
français. Il a dirigé le Théâtre de l'Ombre du
soir (1983-2000) et le Théâtre du Pélican
(2001-2020) à Clermont Ferrand. En parallèle de ses mises en
scènes professionnelles, il se dédie à travailler avec des
classes d'adolescents.
12 Jeu d'acteurs, montage de vidéos, ...
13 GAL, Jean-Claude. Un théâtre et
des adolescents Tome 1 et 2. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires
Blaise Pascal, Service Universités Culture, 2019. Parcours Pluriels.
5
Aujourd'hui, rares sont les professionnels du spectacle vivant
négligeant les questions liées à l'intégration et
la place des publics adolescents au sein de leur structure, de leurs actions et
de leur programmation. Force est même de constater que ces
problématiques sont partagées au sein de ce corps de
métier et qu'elles ont irrigué diverses initiatives : une
série de réunions autour de la question « Comment donner
envie aux publics adolescents de se rendre dans une institution culturelle par
eux-mêmes ? »14 menées en 2017 par les
chargés des relations publiques du Théâtre
Dunois15, un Réseau national des comités de
jeunes développé par Le Labo des cultures dans
l'optique de partager ces réflexions entre professionnels,
universitaires et bénéficiaires, ...
La mobilisation des professionnels du spectacle vivant autour
de ces enjeux est donc réelle. Cependant, à l'exception des
ouvrages rédigés par Jean-Claude Gal, peu d'écrits
français se sont pour l'instant emparés de ces
problématiques. A l'inverse, d'autres pays, comme notamment la
région du Québec16 au Canada, s'en sont saisis depuis
de nombreuses années. Plusieurs de leurs écrits mettent en
perspective la notion de « théâtre » avec celle d'
« adolescence », tout en y apportant une contribution
théorique. Déjà en 1998, la théoricienne
québécoise Hélène Beauchamps17 mettait
en lumière les similitudes entre ces deux concepts. Dans son texte
Le théâtre adolescent, elle qualifiait les actions
artistiques en faveur de ces publics de « laboratoire du social
»18. « L'adolescence est un temps fort de la
représentation sensible de soi et de l'interprétation
imagée du monde. Culture théâtrale et culture adolescente
ont plusieurs points communs »19.
Si l'on se tourne dorénavant vers les publics sur
lesquels s'attardent ce mémoire, nombreux sont les adolescents qui
perçoivent le théâtre à travers les clichés
qu'il véhicule : un art élitiste négligeant les publics
compris entre 12 et 18 ans, une activité exclusivement scolaire, ... En
ce
14 Théâtre Dunois. Comment donner
envie aux publics adolescents de se rendre dans une institution culturelle par
eux-mêmes ? Compte-rendu de réunions des chargés des
relations publiques, 2017.
15 Théâtre parisien ouvert en 1999 et
spécialisé dans les spectacles à destination des jeunes
publics.
16 Province majoritairement francophone à l'est
du Canada.
17Professeur au département de
théâtre de l'UQAM. Spécialisée dans l'histoire et
l'évolution de théâtre professionnel du XXème
siècle au Canada français et au Québec, elle publia
différentes études sur l'éducation par le
théâtre.
18 BEAUCHAMP, Hélène. Le
théâtre adolescent : Une pratique artistique d'affirmation.
Montréal : les éditions Logiques, 1998. P72.
19Ibid. P79.
6
sens, des professionnels peuvent avoir tendance à
penser la mobilisation de ces jeunes exclusivement par la captivité.
« Public captif est celui qui suit un apprentissage20 par
imposition ou par obligation de quelqu'un d'autre. Public non captif est celui
qui suit un apprentissage par une question de choix et de volonté
personnelle »21. Les publics dit captifs désignent
communément ceux dont la présence, lors d'une action artistique
ou d'une représentation, ne serait pas le fruit d'un choix personnel. A
l'inverse, elle résulterait de celui d'une tierce personne : parents,
professeurs, ...
Ce fut donc une volonté de comprendre ces
différents points : la distorsion des points de vue entre professionnels
du théâtre et adolescents, les difficultés liées
à la mobilisation de ces publics, l'injonction entre ce qui peut leur
être proposé en terme d'art (représentations, actions
culturelles, ...) et les clichés que les adolescents projettent, ...
S'intéresser à un public, l'appréhender
et s'y confronter témoignent également de l'intérêt
qu'on lui porte. Mes différentes expériences en tant
qu'animatrice et directrice pour la jeunesse22 m'ont apporté
une bonne connaissance de ces publics. En ce qui concerne le secteur
théâtral, la connaissance que j'en ai s'est construite grâce
à une appétence personnelle ainsi que par mes études de
comédienne23. S'y ajoutent deux années d'enseignement
de l'art dramatique à des jeunes publics (enfants et adolescents). Mon
cursus scolaire et mes expériences professionnelles peuvent donc en
partie justifier le choix de mon sujet. En effet, c'est confrontée au
terrain que j'ai perçu un intérêt à étudier
les relations entre publics adolescents et secteur théâtral.
Si j'insiste sur le terme « publics adolescents » au
pluriel, c'est parce qu'il ne pourrait exister un seul et même public
adolescent manifestant les mêmes goûts, les mêmes envies et
la même appétence vis-à-vis des disciplines artistiques.
C'est donc une volonté de mettre en évidence la pluralité
des profils qu'englobent cette tranche d'âge. Un autre facteur qui
distingue les adolescents voire crée une scission entre eux est leur
capacité en ce qui concerne l'accès à la
20 Dans sa définition, Christine Tagliante
parle d'individus intégrés dans un processus d'apprentissage de
la langue française. Cependant, cette définition peut tout
à fait s'appliquer dans le cas présent.
21Citation de TANGLIANTE, Christine. Issue du
mémoire : SUJA, Ibramo. Pour une bonne exploitation des textes
littéraires dans le processus d'enseignement et l'apprentissage du
FLE. Université Pédagogique Mozambique-Nampula. 2015.
22 3 à 18 ans.
23 Théâtre du Jour (2015-2016) et
Académie Supérieure de Théâtre d'Angers
(2016-2018).
7
culture24. En effet, force est de constater que les
différents adolescents sont confrontés à une série
de difficultés les éloignant plus ou moins de ce secteur. Elles
peuvent être de plusieurs ordres : économiques, sociales,
géographiques, ... En ce sens, il est donc fréquent que les
publics adolescents soient considérés en tant que « publics
éloignés »25 car ils se retrouvent en
incapacité à se rendre de manière autonome à une
représentation théâtrale (dépendance
financière, difficulté à se déplacer seul, ...). Un
accompagnateur et le financement par les parents ou la collectivité sont
donc requis. Si la question des publics éloignés n'est pas la
spécificité de ce mémoire, c'est pourtant l'une des
problématiques soulevées par les publics ici
étudiés. Avoir conscience de ces inégalités et de
l'hétérogénéité de l'accès à
la culture semblent donc primordial avant même d'approfondir ce sujet.
Par ailleurs, mes recherches mirent rapidement en
évidence le constat suivant : les adolescents inclus entre 12-15
ans26 se retrouvent fréquemment oubliés voire exclus
des initiatives théâtrales. En effet, en ce qui concerne les
spectacles dits « jeune public »27, leur coeur de cible a
tendance à être les enfants de 3 à 12 ans28.
L'entrée au collègue marque un tournant. A l'inverse, la plupart
des initiatives recensées et des ouvrages sur le «
théâtre » et « les adolescents » se focalisent sur
les jeunes à partir de 15 ans. La tranche d'âge des 12-15 ans se
retrouve victime d'un manque de transition entre les propositions « jeune
public » et « tout public »29. S'y ajoutent les
grandes enquêtes culturelles dont les limites inférieures ciblent
les jeunes à partir de 15 ans. Je fais notamment référence
à Cinquante ans de pratiques culturelles en
France30, une enquête ministérielle nationale
menée le long de l'année 2018, ou alors à Les
24 Droit inscrit dans la Déclaration
universelle des droits de l'Homme (article 27) et la Convention
relative aux personnes handicapées (article 30). Il vise à
réduire les discriminations, les barrières physiques et
sensorielles pour que chacun puisse jouir d'un accès à la
culture.
25 Aussi appelés publics
empêchés, les publics éloignés rencontrent des
difficultés pour accéder à la culture. Le terme de «
publics éloignés » englobe donc des publics très
différents (personnes handicapées, incarcérées, en
situation d'exclusion sociale ou géographique, ....).
26 Tranche d'âge correspondant à la
période du collège.
27La page Publictionnaire
dédiée au terme « Jeunes Publics » souligne que ce
terme gagnerait à être systématiquement
précisé pour que le destinataire ait connaissance de la tranche
d'âge qu'il désigne. 28Quelques exemples : Anne Gablin
dans son mémoire Le théâtre jeune public : un espace en
débat, dédie une partie au « théâtre pour
enfant » devenu par la suite « théâtre jeune public
». Cyrille Planson dans son ouvrage Le spectacle jeune public :
histoire et esthétique développe une partie sur le
théâtre pour la petite enfance. A l'inverse, des propositions
s'adressant aux adolescents ne sont pas inclus dans ce travail.
29 Qui peut être vu par tous les publics.
Généralement, ce terme désigne les offres n'ayant pas de
contre-indications en ce qui concerne l'âge du spectateur (exemple :
interdit au moins de 12 ans). Cela fait donc référence à
une représentation dont la thématique, les scènes et les
propos ne nuiront pas à un jeune spectateur.
30 LOMBARDO, Philippe et Loup WOLFF. Cinquante
ans de pratiques culturelles en France. Ministère de la culture.
Culture études. 2020. Cette enquête fut la 6ème
édition d'une série initiée en 1970 visant à
analyser l'évolution des pratiques culturelles en France.
8
chiffres clefs de la jeunesse 202131,
réalisée par l'INJEP32. Il y a de fortes chances
pour que ce manque de données soit le résultat d'une absence de
questionnement en ce qui concerne les préférences des
différents enfants et adolescents d'âge inférieur à
15 ans. En effet, il est possible de supposer que les pratiques culturelles de
ces publics sont sensiblement identiques à celles de leurs parents.
Autrement, elles peuvent être régies par l'institution scolaire.
C'est-à-dire que les envies et les préférences des enfants
et des adolescents ne sont pas forcément prises en compte lors du choix
de l'activité culturelle. Cependant, force est de constater que ce
manque de données amplifie, surement malgré lui, le statut captif
de ces publics voire peut sous-entendre que chacun hérite des
mêmes goûts et de la même sensibilité à l'art
que ses parents respectifs. En ce sens, une injonction s'impose à nous
car ce constat insinuerait que la transmission culturelle33 est une
reproduction identique. L'intérêt que vouent de nombreux
professionnels du spectacle vivant aux jeunes publics et aux publics
adolescents est incontestable. Cependant, le questionnement sur les
préférences de ces publics en terme d'activités
culturelles se retrouve limité car il se résume
généralement aux sorties effectuées avec leur famille ou
dans le cadre scolaire.
Ce fut donc une volonté de faire de ce mémoire
une occasion de me pencher plus largement sur les adolescents entre 12 et 15
ans. De plus, il m'importait de les confronter directement à la
discipline théâtrale. C'est par la suite que j'eus la
volonté de mettre ces notions en perspective avec une autre : celle de
démocratie participative. En effet, en me penchant sur les questions
liées à ces publics, de nombreux professionnels me
témoignèrent de l'importance de responsabiliser les adolescents
en leur proposant, par exemple, des projets participatifs voire en partageant
avec eux certains aspects de leur gouvernance.
C'est au début des années 1960 que les
premières expériences de démocratie participative se
mirent en place. Ce terme désigne « dans sa définition
la plus simple et la plus englobante, l'ensemble des démarches et des
procédures qui visent à associer les citoyens « ordinaires
» au processus de décision politique, ce qui permet de renforcer le
caractère démocratique du régime politique
»34. En ce sens, ces expériences eurent le
mérite d'accroitre l'idée d'un
31 DE SAINT POL, Thibaut (dir. de publication).
Les chiffres clefs de la jeunesse 2021. INJEP. République
Française. 2021.
32 Institut National de la Jeunesse et de l'Education
Populaire.
33 Processus de transmutation de biens, de pratiques,
d'usages et de goût culturels.
34 BLONDIAUX, Loïc. Citation issue de
l'entretien : CHÂTEAUNEUF-MALCLES, Anne. La démocratie
participative : entretien avec Loïc Blondiaux. SES-ENS, ressources en
sciences économique et sociales. 2018.
9
rapprochement entre le monde politique et le monde citoyen
mais à l'inverse, questionnaient sur l'authenticité de la
participation35. C'est en 1989 que la consultante américaine
Sherry R. Arnstein élabora sa grille d'analyse, L'échelle de
la participation d'Arnstein36. Ses objectifs premiers
étaient d'identifier la démagogie et d'analyser les façons
dont les pouvoirs publics informent et incluent les citoyens dans la prise de
décisions. Force est de constater que cet outil, toujours utilisé
par les sociologues actuels, fut perçu comme extrêmement pertinent
et efficace.
Ce fut à partir des années 70 que la
démocratie participative commence à s'ancrer dans une logique
professionnelle37. Le désir d'accompagner des citoyens ou des
groupes identifiés vers des formes participatives crût et fut
formulé par différents corps de métier. S'y
ajoutèrent les jalons qui furent posés à ce concept.
Aujourd'hui la démocratie participative ne s'affiche plus seulement dans
les discours. Au contraire, elle est régie par des règles
juridiques38 et s'incarne dans divers dispositifs. Transversale,
elle irrigue, s'articule et s'ancre dans des activités et des corps de
métiers auxquels elle n'est pas intimement liée. Concertation,
budget participatif, boîte à idées sont des exemples
d'outils fréquemment utilisés pour recueillir la parole des
citoyens et les mettre à contribution lors d'un projet. S'y ajoute le
numérique dont la montée en puissance rend les limites de la
participation d'autant plus poreuses. Il est donc pertinent de souligner
qu'aujourd'hui, notre société aspire à plus de
participation des citoyens dans l'espoir d'accroitre la transparence de
l'action publique.
Pour revenir plus spécifiquement au sujet qui fait
l'objet de ce mémoire, la culture se révèle être un
secteur propice pour mettre en place des projets participatifs et partager sa
gouvernance. Tout d'abord, il est pertinent de se référer
à la Déclaration universelle de droits de
l'Homme39. Cette dernière stipule que « [t]oute
personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la
communauté »40. Pour aller encore plus loin, en
2007 fut signée la Déclaration de Fribourg sur les
droits culturels. Cette notion fait référence à une vision
de la culture qui serait fondée sur les concepts de créance, de
diversité et d'identité. « Les droits culturels,
c'est
35 Manipulation des citoyens.
36 Echelle composée de huit niveaux
détaillant plusieurs stades de la participation : Le plus bas
s'intitulant la manipulation désigne un degré de
non-participation (public passif, démagogie, politique, ...). Le
contrôle des citoyens (délégation totale) est le
degré le plus haut.
37 Les premiers profils s'intéressant
à la démocratie participative étaient plutôt des
militants issus de l'éducation populaire.
38 Quelques exemples : loi relative à la
Démocratie de proximité (27 février 2002), le
code Des relations entre le public et l'administration (entrée
en vigueur 2016), ...
39 Texte fondateur adopté en 1948 par le 58
Etats membres constituant à cette date l'Assemblée
générale.
40 NATIONS UNIS. Déclaration universelle
des droits de l'Homme. Article 27. Grand 1. 10 décembre 1948.
Accueil ONU. Volet Documents.
10
un droit d'accéder et de participer à des
ressources culturelles, c'est-à-dire des savoirs [...], d'avoir de la
vulgarisation scientifique, d'avoir effectivement des activités
artistiques de toute sorte mais aussi de connaitre la géographie de son
milieu, d'avoir la mémoire de sa famille, de son pays [...] autrement
dit c'est tout ce qui fait qu'un être humain peut être libre en
réalité. »41 S'y ajoute aussi le droit de participer
à la vie culturelle et de coconstruire les politiques l'englobant. En ce
sens, proposer à des publics des actions par le prisme des droits
culturels permettrait de tendre vers un continuum amassant les
différentes formes d'expressions : références, ressources,
cultures ... Il est également pertinent de mettre en évidence que
les droits culturels sont inclus parmi les droits fondamentaux, de même
que l'ensemble des Droits de l'Homme42.
Dans le texte Vers la démocratie culturelle,
Marie-Claire Martel43 souligne que « [l]a démarche
participative ne relève pas automatiquement de la mise en oeuvre des
droits culturels, mais peut y contribuer lorsqu'elle débouche sur une
volonté de faire société à travers la culture
»44. La culture est donc bien l'un des secteurs dans
lesquels la démocratie participative et le partage de la
gouvernance45 s'incarnent.
« C'est aussi des évolutions
générationnelles. Ceux qu'on a appelé « les barons de
la culture » sont maintenant à la retraite et la
génération qui est maintenant à la tête des
institutions et des projets culturels a appris plus longtemps qu'il fallait
coconstruire, co-porter avec les équipes aussi. Moi j'ai un vrai
questionnement de la gouvernance au sein de l'équipe. Un partage, une
réflexion globale. Les questions des fonds sont partagées
»46 A travers cette précédente citation,
Gurval Reto, aujourd'hui directeur et programmateur du THV47
souligne que le partage de la gouvernance constitue un des nouveaux leviers du
secteur culturel. Précisons toutefois que ces
41MEYER-BISCH, Patrice. In : Les droits
culturels dans les politiques publiques. Le Transfo. 27 octobre 2014.
Disponible sur Youtube.
42 La liberté, la propriété, la
sureté, la résistance à l'oppression, ...
43 Présidente actuelle de la
Coordination des Fédérations et des associations de Culture
(COFAC).
44MARTEL, Marie-Claire. Vers la
démocratie culturelle. Les avis du conseil économique,
social et environnemental. Novembre 2017. P11.
45Ce mot d'origine anglaise « governance
», nous vient du latin « gubernare » signifiant « diriger
un navire ». Selon IT Governance Institute, la gouvernance a «
pour but de fournir l'orientation stratégique, de s'assurer que les
objectifs sont atteints, que les risques sont gérés [...] ».
La gouvernance est donc une notion transversale, nécessitant le
besoin d'être affinée et explicitée par rapport au contexte
dans laquelle on l'utilise. John Pitseys soulignera que « la
gouvernance représente davantage une manière de penser l'action
publique qu'un dispositif précis ». En ce qui concerne la
gouvernance dans le monde de la culture et du spectacle vivant, aucune
définition n'est disponible.
46 RETO, Gurval. Entretien annexe 1 p 110.
47 Théâtre de L'Hôtel de Ville,
Saint-Barthélemy d'Anjou (49).
11
problématiques ne se limitent pas à une action
spécifique. Au contraire, elles s'intègrent et irriguent le
projet global d'une structure. La participation est même aujourd'hui au
coeur de la pratique professionnelle de plusieurs d'entre elles. D'un
côté, elle interagit en interne, au sein des équipes :
certains dossiers sont co-portés, différentes décisions
sont prises collectivement, ... A l'inverse, le partage de la gouvernance peut
s'ouvrir en direction des publics afin de leur proposer des projets
participatifs et de les inclure dans la prise de décisions. Dans le
deuxième cas, il peut s'agir de spectacles participatifs : ces derniers
sont coconstruits et interprétés par des amateurs et des
professionnels. Autrement, ces projets peuvent s'incarner à travers des
actions de médiation. Cette dernière « vise à
faire accéder un public à des oeuvres (ou des savoirs) et son
action consiste à construire une interface entre ces deux univers
étrangers l'un à l'autre (celui du public et celui disons, de
l'objet culturel) dans le but précisément de permettre une
appropriation du second par le premier »48 mais dans la
pratique « elle n'en couvre pas moins des choses aussi diverses que la
pratique professionnelle des médiateurs (de musée ou de
patrimoine, par exemple) ; une forme d'action culturelle [...] ; la
construction d'une relation d'organisations et de produits destinés
à présenter ou à expliquer l'art au public ; etc.
»49 Ces précédentes citations du sociologue
Jean Davallon constituent l'une des nombreuses définitions de la
médiation culturelle. Bien qu'elles soient multiples, elles s'entendent
et se rejoignent respectivement sur le point suivant : l'approche humaine se
retrouve au centre des actions de médiation. Avant de me lancer plus
largement dans l'argumentaire à venir, il est important de remettre en
perspective un point de vigilance. L'objectif premier des actions en faveur des
publics n'est pas de contribuer à ce que ces derniers deviennent des
spectateurs réguliers. En effet, bien que les deux missions, «
médiation » et « diffusion »50 évoluent
conjointement, les problématiques respectives qu'elles soulèvent
ne sont pas forcément liées. Développement des publics et
action culturelle ne font pas appel aux mêmes stratégies. En ce
qui concerne les actions participatives, une de leurs particularités
réside dans le mode d'apprentissage qu'elles véhiculent. En
effet, elles se détachent de la logique descendante fréquemment
instaurée entre professionnels et amateurs.
48 DAVALLON, Jean. La médiation : la
communication en procès ? MEI : Médiation et information.
N°19. 2003. P38.
49 Ibid. P38.
50 Représentation d'un spectacle achevé
devant un public.
12
Cependant, malgré la contemporanéité des
enjeux de démocratie participative et de partage de la gouvernance, les
écrits51 les abordant ou les mettant en corrélation
avec le secteur culturel, demeurent peu nombreux. Si je reviens plus
spécifiquement au sujet de ce mémoire, théâtre et
adolescence, il me fut impossible d'en identifier. Camille
Schaefer52, étudiante en master d'Ingénierie de
projets culturels et interculturels53 rendra en septembre 2022
un mémoire mettant en perspective les enjeux du partage de la
gouvernance dans les projets à destination des publics adolescents.
Cependant, à cette exception près, je n'ai pas été
en mesure d'identifier d'autres travaux universitaires s'emparant de ces
enjeux. Il est indéniable que les questions de démocratie
participative sont actuellement au centre des préoccupations dans le
secteur du spectacle vivant « jeune public » et « adolescent
». Cependant cette participation manque encore cruellement d'assises
théoriques.
Ce sont donc ces précédentes constatations et
ces différents questionnements qui m'ont amenée à
m'emparer de ce sujet. A partir de là, deux angles d'attaques se
présentaient à moi : traiter ce sujet du point de vue des publics
bénéficiaires ou de celui des professionnels. Mon choix, qui
allait déterminer ma méthodologie de travail, s'est porté
sur la deuxième proposition.
Etant donné que le terme médiation fut
défini préalablement, il est pertinent de faire un focus sur le
métier qui l'incarne. Issu du latin Medius54 le
médiateur est « celui qui se met entre, dont l'action
intervient entre deux entités, de manière équidistante,
afin de les relier et par le moyen duquel la rencontre peut advenir
»55. Etablir des liens, mettre en relation figurent dans
les missions du médiateur. Avant d'être professionnalisée
dans les années 198056, la médiation se mettait
auparavant en place de manière informelle57. En ce sens, un
de mes parti-pris que je tenterai de développer dans ce mémoire
sera le suivant : les professionnels de la culture58 ne sont pas les
seuls à pouvoir faire office de médiateurs. Professeurs,
animateurs socioculturels, éducateurs peuvent également
revêtir cette fonction. La médiation culturelle est alors
perçue comme transversale. Mon souci sera alors de démontrer que
ces différents corps de métier ont
51 Universitaires ou professionnels.
52 En plus de ses études, Camille est
alternante au sein du Labo des cultures.
53 Université Bordeaux-Montaigne.
54 Signification : milieu.
55 NASSIM ABOUDRAR, Bruno et François MAIRESSE.
La médiation culturelle. 2éme édition
corrigée. Paris : Presse
Universitaire de France/Humensis, 2018. Que sais-je ?
56 Il fallut attendre l'arrivée du
gouvernement Jospin en 1997 (instaurant un régime d'emplois-jeunes) pour
que le terme « médiateur culturel » se développe et
soit reconnu.
57 Par un proche par exemple.
58 Médiateurs culturels, artistes, ...
13
des fonctions miroirs et complémentaires. C'est donc
une volonté d'utiliser, dans les pages qui vont suivre le terme «
les médiateurs » comme faisant référence à
cette diversité de profils. S'y ajoutera un argumentaire sur la
nécessité de la co-construction entre les différents
acteurs.
Ces constats, mes hypothèses et mes interrogations
m'ont alors amenée à articuler et à structurer ce travail
de mémoire autour de la problématique suivante : comment les
différents médiateurs et les professionnels du spectacle vivant,
et plus particulièrement du théâtre, peuvent-ils s'emparer
des enjeux du partage de la gouvernance et de la démocratie
participative pour imaginer et coconstruire des actions pour et avec des
adolescents ?
Pour répondre à cette problématique, mon
parti-pris était de resserrer cette étude sur le territoire
français. En ce qui concerne ma méthodologie, elle s'est
articulée selon plusieurs étapes en commençant dans un
premier temps par un travail bibliographique approfondi. Etant donné le
peu d'ouvrages et d'articles mettant en perspective les trois grandes notions
présentes dans mon sujet (adolescence, théâtre et
démocratie participative), mon souci fut de croiser les
différentes données : ouvrages sur la psychologie des
adolescents, essais sur la démocratie participative, ... De par ces
lectures, je me suis forgée un bagage de concepts clef pouvant
étayer ma réflexion. Mes postulats de départ se sont
progressivement affinés, soutenus ou non par des paroles
déjà affirmées. Conjointement, j'ai mené une
série d'entretiens : Gurval Reto, Anne Courel59, Camille
Monmège-Geneste60, Edith Coutant61, ... Ces
derniers étaient pour la plupart en visioconférence étant
donné le contexte actuel62. Cette méthodologie de
recherche me permit de faire émerger, d'analyser et de comprendre quels
étaient les grands enjeux et les problématiques englobant le
sujet choisi. Un des objectifs était de déceler les divers
leviers permettant de mettre en place des projets participatifs avec les
publics adolescents : qu'est-ce que le partage de la gouvernance? Comment et
pourquoi le mettre en place ? Jusqu'à quel point ? Quelles en sont les
limites ? Les adolescents sont-ils des publics pertinents pour partager sa
gouvernance ? Qu'est-ce que cela implique pour les différents acteurs ?
Quelles sont leurs places respectives dans la co-construction de ces actions
?
59 Metteuse en scène et directrice
artistique de la compagnie Ariadne. Elle est également
directrice de l'Espace 600 à Grenoble.
60 Directrice et responsable du développement
du Labo des cultures.
61 Chargée de l'éducation artistique et
culturelle et du plan Grandir avec la culture en Loire-Atlantique.
62 Mémoire rédigé en 2021 lors de
la pandémie liée au Covid 19.
14
Travailler sur les projets participatifs m'a rapidement
amenée à en recenser voire à en sélectionner
quelques-uns. Les invoquer par petites touches dans ce travail me permettrait
d'assoir et d'étayer ma réflexion. En ce sens, j'ai donc
passé en revue les différents projets participatifs
français à destination des publics adolescents. Mon souci
était d'identifier des objets de natures différentes,
portés par des structures diverses. De plus il était primordial,
étant donné mon parti-pris concernant la pluralité des
profils de médiateurs, de mettre en lumière des projets
coconstruits par plusieurs corps de métier. Les actions
sélectionnées devaient donc inclure divers professionnels et ne
pas se focaliser seulement sur les artistes et les médiateurs culturels.
Au final, j'ai cristallisé mon choix autour de quatre projets :
· Le Festival A Vif, porté par le
CDN63 Le Préau au Vire,
· Ce soir je sors mon prof, la
MJC64 de Rodez/Théâtre des deux points,
· Les printemps théâtraux,
l'association Comète en Loire Atlantique,
· Les Choses en face, le collectif Lacavale.
A la suite de cette sélection, j'ai contacté
les professionnels concernés pour des entretiens individuels. Ces
derniers portaient plus généralement sur leurs structures, leurs
manières de travailler avec les publics adolescents et de partager leur
gouvernance. S'y ajoutaient des focus plus précis sur les projets en
question. Ces multiples rencontres apportèrent des exemples concrets
à mes hypothèses et élargirent mes pistes de
réflexion.
Mon expérience au sein de Bain Public m'y a
également grandement aidé. Témoin des
problématiques en lien avec l'ouverture d'une nouvelle structure, ce
stage m'a permis d'éprouver les questionnements et d'appréhender
mon sujet de l'intérieur. A l'inverse, les recherches effectuées
et les exemples recensés en amont me permirent d'anticiper la mise en
place de projets et de les mettre en perspective avec des réflexions
théoriques. Cette expérience m'a donc aidé à
affiner mon sujet et à confronter mes idées à
l'épreuve du terrain. Cependant, j'ai longtemps hésité
à la mettre en perspective dans ce travail. Les facteurs de ces
hésitations étaient multiples : crise sanitaire, ouverture d'un
nouveau lieu, projets avortés ou reportés, ... L'évoquer
par petites touches tout au long de ce mémoire pouvait être plus
judicieux.
63 Centre dramatique national.
64 Maison des Jeunes et de la Culture.
Finalement, j'ai pris le parti de l'analyser et de me
focaliser pour cela sur les actions menées avec Jeunes en
Ville65.
L'objectif premier de cette étude sera d'apporter une
contribution théorique en ce qui concerne les projets participatifs
adolescents dans le secteur théâtral. Elle sera
étayée de citations tirées d'ouvrages ou d'entretiens
professionnels réalisés. S'y ajouteront des observations
personnelles issues de mon stage à Bain Public. Ce
mémoire se présentera en trois parties. La première se
concentrera plus largement sur le point de départ de ma
réflexion, sur les publics adolescents. Y sera abordé
l'historique de la notion, les spécificités de ces publics, une
comparaison de leur prise en compte entre deux pays (la France et le
Québec) dans le secteur culturel et pour finir, les enjeux qu'ils
soulèvent. Forte de ces premières constatations, l'analyse se
poursuivra en mettant en évidence comment la démocratie
participative s'incarne dans les différents projets culturels. Le
rôle des différents acteurs y sera alors détaillé et
une analyse des quatre projets sélectionnés sera
réalisée. Cette partie finira par mettre en évidence les
limites et les contradictions que peuvent irriguer la mise en place des projets
participatifs. Pour finir, la dernière partie sera dédiée
à mettre en évidence et à analyser le travail
effectué lors de mon stage au sein de Bain Public au regard de
la problématique et des réflexions soulevées. Ayant
intégré durant un temps cette structure, cette partie aura le
mérite de montrer le processus et les étapes nécessaires
pour mettre en place ces projets.
15
65 Instance participative nazairienne pour le 15-25
ans.
16
1. Les adolescents : les publics en questions
Avant même de me focaliser sur les enjeux de
gouvernance, ma réflexion s'est penchée et s'est
structurée autour d'un public en particulier : les adolescents. Mon
souci était de comprendre pourquoi ce public semblait si
compliqué à sensibiliser, à intégrer au sein des
projets culturels et pourquoi si peu d'oeuvres dramatiques avaient
été pensées pour eux. C'est donc une volonté de
consacrer la première partie de cette étude à ces publics.
Elle contribuera à répondre à ces différentes
questions, à identifier les diverses problématiques qui sont
propres à ces publics sans pour autant en oublier les enjeux de
gouvernance et de démocratie participative. Trois axes distincts seront
alors développés dans cette partie. Le premier sera
dédié à présenter comment la notion d'adolescence a
émergé et à identifier les besoins de ces publics. Le
second présentera comment les adolescents furent pris en compte en sein
de la culture au Québec, puis en France. Cette partie se clôturera
en développant deux des cadres quand lesquels se dessinent les enjeux de
la culture pour ces publics : le cadre scolaire et le cadre volontaire. Elle
présentera dans un même temps quatre projets participatifs sur
lesquels ce mémoire s'appuiera.
1.1. Une structuration récente de la notion
d'adolescence
Comme souligné en introduction, l'objectif de ce
travail n'est pas d'apporter une contribution aux connaissances psychologiques
des 12-15 ans ou même de dresser un historique de la notion
d'adolescence. Cependant, comprendre d'où est issu « cette notion
», quelle fut son évolution et identifier les besoins relatifs
à cette tranche d'âge semble primordial pour amorcer un travail
pour et avec les adolescents. Ces différents points, une fois mis en
lumière, serviront d'outils, dont il sera possible de s'emparer pour
comprendre les particularités de ces publics et développer des
actions pertinentes pour et avec eux.
1.1.1. Du concept de jeunesse à celui d'adolescence
Etymologiquement « Adolescence » vient du latin
adolescentia. Ce terme signifiant « grandir vers »,
« croitre », désigne donc un moment de transition
entre l'enfant, du latin Infans (« celui qui ne parle pas
») et l'adulte, adultus (« qui a grandi
»). Il peut alors être surprenant de constater que la
signification du terme « enfant » renvoie directement à un
être peu et mal considéré, auquel on ne donne pas la
possibilité de s'exprimer. Aujourd'hui, notre regard sur l'enfance a
réellement évolué et plus personne ne contesterait que les
enfants sont des êtres à part entière. Pourtant, force est
de constater que cela ne fut pas, de tout temps, une vérité. Il
est
17
pertinent de souligner qu'auparavant, rares étaient les
enfants qui survivaient à la naissance. Si par chance ils y parvenaient,
ils étaient très rapidement contraints de travailler et de
devenir productifs. La place attribuée aux enfants était donc
sensiblement la même que celle des adultes. « Cela montre bien
que l'enfant est à la fois quelque chose de pas si précieux que
ça car probablement amené à ne pas survivre et en
même temps dès lors qu'il avait survécu,
immédiatement placé dans une situation qui été
quasi celle d'un adulte.»66 Cette absence de transition,
ici mise en lumière par Sylvie Octobre67, rendait les
rencontres entres jeunes du même âge impossibles. C'est à
partir du XIX et du XXe siècle que les regards portés sur
l'enfant évoluèrent et permirent à la notion d'adolescence
de naitre pour ensuite se cristalliser.
« Si la puberté est universelle et se
retrouve à toutes les époques et dans toutes les espèces
de mammifères, le concept même d'adolescence est relativement
récent, propre aux sociétés occidentales, apparue au
milieu du XIXe siècle ».68 En effet, la
puberté fut depuis toujours considérée et
identifiée comme passage fondamental du développement humain,
autant chez la femme que chez l'homme. Il est intéressant de noter que,
de tout temps, des réflexions sur la jeunesse et le passage à
l'âge adulte furent amorcées. En effet, Aristote69 se
questionnait déjà sur les différentes périodes
constituant le développement de l'Homme entre la petite enfance et
l'âge adulte.
En ce qui concerne plus spécifiquement le sujet de
cette étude, les auteurs du théâtre grec antique
cherchaient à laisser s'exprimer la jeunesse à travers leurs
écrits. Cette dernière se trouvait alors dépeinte de
manières multiples et était personnifiée à travers
des héros tel qu'Antigone70 ou OEdipe Roi71.
« Les dieux grecs n'ont-ils pas été les premiers
à s'en prendre
66 OCTOBRE, Sylvie. In : Rencontre avec la
sociologue Sylvie Octobre. Scènes d'enfance ASSITEJ France. 28
janvier 2021.
67 Sociologue spécialisée dans les
pratiques culturelles des enfants et des adolescents.
68 CANNARD, Christine. Le développement de
l'adolescent : l'adolescent à la recherche de son identité.
3eme
édition. Louvain-La-Neuve : De Boeck Supérieur,
2019. Ouvertures psychologiques. P31.
69 Philosophe grecque ayant vécu entre 384 et
322 av. JC.
70 Issue de la mythologie grecque, Antigone fut
l'héroïne d'une tragédie éponyme de l'auteur
athénien Sophocle (495-406 av. JC)
71 Héros d'une autre tragédie
éponyme de Sophocle, OEdipe est dans la mythologie grecque le
père d'Antigone.
18
à l'adolescence, plus exactement au corps
adolescent, insolente image de fragilité d'une jeunesse cependant
éternelle ? »72.
Au Moyen-Âge, une séparation plus distincte
entre les deux tranches d'âges, enfance et âge adulte,
s'opère. « De 476 à 1476, la population est simplement
divisée en deux phases de l'existence séparant enfants et adultes
autour de l'âge naturel de la puberté »73.
Cependant, il est important de préciser que les femmes vivent ce passage
de manière brutale : l'arrivée de leurs premières
règles ponctue immédiatement leur majorité et elles se
retrouvent alors aussitôt mariées. En ce qui concerne les jeunes
hommes, cette transition est vécue différemment selon leur
condition :
· A l'instar de leurs parents, les fils de paysans et
d'artisans sont contraints de devenir très tôt productifs et de
travailler. Cette entrée précoce dans la vie active rend la
transition entre l'enfance et la majorité compliquée à
observer et à identifier.
· Ayant la possibilité de passer quelques
années à l'université, les fils de bourgeois multiplient
les rencontres entre pairs, permettant alors d'identifier un passage entre
l'enfance et l'âge adulte.
· Lors de sa dix-septième année,
l'adoubement74 marque l'entrée dans l'âge adulte pour
le fils noble.
Le concept de jeunesse continua d'évoluer au fil des
siècles et il fallut attendre le XVIIe siècle pour que le terme
« adolescent » apparaisse dans les dictionnaires. Désignant
alors exclusivement les jeunes garçons, il était utilisé
dans une intention comique voire parfois dégradante. Il est donc
possible de constater que cette précédente définition se
trouve très éloignée voire radicalement opposée de
l'emploi que nous en faisons aujourd'hui. C'est à partir du
XIXème que le concept d'adolescent commence à se rapprocher de la
signification que nous lui connaissons. Selon Agnès
Thiercé75, cette période se décline en deux
parties autour d'une date pivot qu'est 1890 : en amont de cette date, la
docteure en histoire parle donc d'un « âge de classe » car
seuls les jeunes garçons issus de catégories aisées sont
scolarisés dans
72 GAL, Jean-Claude. Un théâtre
et des adolescents. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise
Pascal, Service Universités Culture, 2006. Parcours Pluriels. P86.
73 CANNARD, Christine.,op.cit., P17.
74 Cérémonie permettant au jeune noble
de devenir chevalier.
75Docteur en histoire, Agnès Thiercé
consacre son travail à l'histoire de l'adolescence. Elle a notamment
écrit la Thèse Histoire de l'adolescence et des adolescents :
France 1850-1914 : un âge de classe à une classe
d'âge.
19
l'enseignement secondaire. Résidant la semaine à
l'internat, une séparation naturelle s'opère entre leurs espaces
familiaux respectifs et les espaces scolaires. Les rencontres entre pairs,
facteur primordial pour discerner une étape de transition entre
l'enfance et l'âge adulte, sont alors possibles. Dans un même
temps, le monde rural ne regroupe pas encore les conditions propices à
l'éclosion d'une « adolescence » car les jeunes du même
âge sont, très tôt, toujours contraints de travailler pour
subvenir aux besoins de leurs familles. Les jeunes filles, toutes classes
sociales confondues, ne sont pas concernées. En effet, leur
éducation s'effectuant exclusivement au sein des foyers est un facteur
rendant les rencontres entre pairs impossibles. Ce ne fut qu'à la fin
des années 1880 que chaque jeune, indépendamment de son sexe et
de sa classe, se voit inclure dans la notion d'adolescence. Bien que le terme
soit inscrit préalablement dans les dictionnaires, la date de naissance
du concept d'adolescence, tel que nous le connaissons est fixée à
1904. Adolescence : Its psychology and it's relations to physiology,
anthropology, sociology, sex, crime, religion and education76,
ouvrage du psychologue américain Stanley Hall77
officialisa alors cette notion en tant qu'objet de réflexion, irriguant
une science de l'adolescence. Il peut être pertinent de souligner
qu'auparavant d'autres auteurs, à l'instar de Freud, parlaient dans
leurs écrits de « puberté »78, et non
d'adolescence.
La notion d'adolescence continua donc de s'affiner et
d'évoluer conjointement aux réformes scolaires. Les
premières colonies de vacances françaises créées en
1880, dix ans après la Suisse, devinrent également un espace de
rencontres pour les jeunes du même âge. En 1959, l'école
devient obligatoire jusqu'à 16 ans. Dans un même temps, les
collèges d'enseignements secondaires79 et
généraux80 ainsi que les IUT81 se
créèrent. Les espaces de rencontres pour les adolescents et les
étudiants se multiplièrent et les conditions furent alors
réunies pour voir naitre une communauté adolescente
développant une culture et un langage commun.
Aujourd'hui, l'adolescence reste toujours extrêmement
difficile à définir. Bien que les transformations, notamment du
corps, sont l'une des grandes caractéristiques de cette transition
76 Traduction : L'adolescence : sa psychologie
dans sa relation à la physiologie, l'anthropologie, la sociologie, le
sexe, le crime, le religion, l'éducation. Cette ouvrage ne fut pas
traduit en français.
77 Philosophe et psychologue américain
(1844-1928).
78 Période de la vie entre l'enfance et
l'âge adulte caractérisée par le développement des
organes et des caractères sexuels.
79 CES.
80 CEG.
81 Instituts universitaires et techniques.
20
entre enfance et âge adulte, la tranche d'âge
exacte qui constitue l'adolescence reste extrêmement difficile à
définir. En ce qui concerne la limite inférieure de la tranche
d'âge, les premiers signes de la puberté ont tendance à
être pris comme repère du début de l'adolescence. «
Aujourd'hui, avec la massification scolaire et l'allongement des
études, il est difficile de fixer les bornes d'âges qui encadrent
l'adolescence »82. En revanche, les études plus
longues, l'entrée dans le monde professionnel retardé sont des
facteurs rendant les frontières entre l'adolescence et âge adulte
extrêmement poreuses.
1.1.2. Les adolescents en tant qu'individus : les besoins et
les
spécificités de cette population.
Après avoir dressé un historique succinct de la
notion d'adolescence, cette sous-partie se destine à identifier et
à analyser les besoins de cette tranche d'âge. L'introduction a
d'ores et déjà soulevé ma volonté de me pencher,
pour ce travail, sur les 12-15 ans. Il est important de préciser que
l'objectif n'est pas de contribuer à dresser des barrières entre
cette tranche d'âge et les autres adolescents, plus ou moins jeunes
qu'eux. Dresser une typologie de l'adolescent peut en effet se montrer
dangereux car cela pourrait contribuer à cristalliser une
réalité qu'il ne devrait pas exister. En mettant en
lumière les 12-15 ans, mon objectif n'est pas de les présenter
comme déconnectés des autres publics et il faut souligner
qu'aucune scission ne s'opère entre cette tranche d'âge et les
autres adolescents, plus jeunes (jusqu'à 11 ans) ou plus
âgés (à partir de 16 ans). De plus, le terme «
typologie » sous-entend qu'il existerait un adolescent « type »
ayant la même culture, les mêmes goûts, alors qu'il n'est
plus à démontrer que chaque jeune possède des
caractéristiques, un tempérament et des habitudes qui lui sont
propres. Ces différents points mettent donc en lumière que ce
vocabulaire doit être employé avec vigilance. Cependant, depuis
l'ouvrage de Stanley Hall, nombreuses sont les études qui se sont
penchées sur le passage de l'enfance à l'âge adulte. Ces
différents travaux, tant théoriques que pratiques,
témoignent de certaines grandes tendances et ont identifié des
besoins caractéristiques de cette tranche d'âge. Cette partie
tentera d'exposer et d'expliciter ces différents besoins dans l'optique
de proposer des outils aux professionnels souhaitant travailler avec cette
tranche d'âge.
82 DAHAN, Chantal. Les adolescents et la
culture. Institut national de la jeunesse et de l'éducation
populaire. « Cahier de l'action ». 2013, n°38. P9.
21
D'après le site Ado Zen83 les
besoins spécifiques aux adolescents sont au nombre de sept : le besoin
d'affection (que je regrouperai ci-dessous avec la sociabilisation), de
sécurité, de confiance, de dialogue, d'autonomie, de
responsabilité et pour conclure, le besoin d'espoir84.
Pour commencer, il est indéniable que l'adolescence se
caractérise par un besoin de sociabilisation très fort.
S'écartant progressivement de la sphère familiale, l'adolescent
se regroupe entre pairs autour de passions communes. Evidemment, il peut
être souligné que ces interactions entre pairs sont effectives
dès la crèche. Cependant, la valorisation et la revendication de
ce réseau secondaire sont, à l'adolescence, perçues comme
indispensable dans la construction identitaire et la quête d'autonomie.
« L'adolescence est le temps des copains. Elle le devient en deux
temps : le premier, dans les collèges est marqué par l'homolalie,
c'est-à-dire la fréquentation des copains et des copines du
même sexe, avant un deuxième temps davantage ouvert vers la
mixité. »85 L'adolescent se voit donc
intégré dans plusieurs groupes86 parfois sans aucune
interconnexion entre eux. Par ailleurs, ce besoin d'affection et de
sociabilisation entre en résonance avec un autre besoin cité :
celui de sécurité, véhiculé par l'appartenance
à un groupe. Force est de constater que le groupe rassure. Au contraire,
un jugement négatif porté par ses pairs à son égard
ou pire, se voire rejeté du groupe font partie des angoisses des
adolescents.
Pour approfondir plus largement ce point, il est pertinent de
noter que lors de la mise en place de projets avec des adolescents, la
cohésion du groupe se révèle être l'un des facteurs
de réussite. Dans son texte Projets participatifs avec des
adolescents : les conditions de leur implication, Laure Ciosi87
souligne que « l'appartenance au groupe est une dimension
indispensable qui conditionne l'accès aux bénéficiaires du
projet. Inversement, le fait de ne pas s'y intégrer empêche
d'adhérer au projet. »88 La sociologue
précise notamment avoir réalisé
83 Site Adozen.fr. Les 7 besoins capitaux des
adolescents. 10 novembre 2017.
84 Le besoin d'espoir ne sera pas
développé dans cette partie car il s'avère moins pertinent
pour travailler sur ce sujet.
85 DETREZ, Christine. Les loisirs à
l'adolescence : une affaire sérieuse. Caisse nationale d'allocation
familiales. 2014/1 n°181. P12.
86 Définition groupe (psychologie sociale)
: « un ensemble social identifiable et structuré,
caractérisé par un nombre restreint d'individus et à
l'intérieur duquel ceux-ci établissent des liens
réciproques, jouent des rôles selon des normes de conduites et des
valeurs communes, dans la poursuite de leurs objectifs ».
Définition du philosophe Kuno Fischer tirée du site internet :
Cours de psychologie. Qu'est-ce que le groupe ?
87 Sociologue française
spécialisée en étude des publics de l'art et de la
culture.
88 CIOSI, Laure. Projets participatifs avec
des adolescents : les conditions de leur implication. Caisse nationales
d'allocation familiales. 2014/1 n°181. P45.
22
une série d'entretiens89, individuels et
collectifs, avec des adolescents engagés dans des projets participatifs.
Chacun a spontanément souligné avoir élargi son «
réseau de socialisation amicale »90 grâce
à cette expérience. Construire un projet avec et pour des
adolescents demande donc aux différents médiateurs d'être
extrêmement vigilants à la composition du groupe, souvent garant
de la réussite du projet. L'adolescent doit dans un même temps se
sentir appartenir à la dynamique interne du groupe et être
identifié en tant qu'individu à part entière pouvant se
démarquer de ses pairs.
Une autre caractéristique liée à
l'adolescence est le besoin grandissant d'autonomie, terme dont le dictionnaire
Larousse donne la définition suivante : «
Capacité de quelqu'un à être autonome, à ne pas
être dépendant d'autrui. »91. Cette notion
peut également devenir paradoxale et pour cause : l'adolescent en
rencontre rapidement les limites. En effet, si cette autonomie reste
extrêmement subjective, c'est parce qu'elle se retrouve tiraillée
entre le fait de vouloir l'acquérir et le fait de le pouvoir.
C'est-à-dire que les adolescents souhaitent se détacher de leur
sphère familiale mais se retrouvent rapidement bloqués à
cause de plusieurs contraintes : finances, transports, autorité
parentale, ... Il peut être intéressant de s'interroger sur la
manière dont les adultes peuvent prendre en compte voire concilier ces
deux notions lorsqu'ils proposent des actions aux adolescents. De plus, en
terme d'encadrement, il est indéniable que les adolescents ne
revendiquent pas les mêmes envies que la tranche d'âge des 3-12
ans. « Ils ont confirmé le manque d'attrait, pour les
adolescents âgés de plus de 11 ans, des activités de
loisirs « clés en main » que proposent les structures
d'animation, tels que les centres de loisirs pour les plus jeunes.
»92 Bien que les différences entre ces deux publics
semblent indéniables, cette idée eut, et a toujours parfois, du
mal à se faire entendre. Les professionnels ont tendance à
multiplier les propositions d'activités, alors que les adolescents
souhaitent se voir proposer « des activités à pratiquer
librement mais non hors cadre »93. En effet, comme
l'explique Chantal Dahan94 dans Les adolescents et la
culture, l'informel, pourtant indispensable dans la construction et la
socialisation des adolescents, n'est pas toujours pris en considération.
« La réaction des adultes en général est de
multiplier les offres pour attirer les adolescents, sans
89 Entre 2011 et 2012.
90 Ibid. P45.
91 Larousse. Langue française. Page
internet consultée le 20 février 2021.
92 CEROUX, Benoît. Construire une offre
de loisirs avec des adolescents. Etude d'un dispositif de la CNAF.
Avec [la collaboration de Christine Crépin]. Presses de Sciences Po
« Agora débat/jeunesses ». 2014/1, n°66. P109.
93 Ibid. P109.
94 Chargée d'études à l'institut
national de la jeunesse et de l'éducation populaire.
23
penser, à les laisser disposer d'espaces non
dédiés, non institutionnels dont ils pourraient s'emparer.
»95 C'est-à-dire que les professionnels doivent
aussi créer des espaces où les adolescents peuvent se retrouver
entre pairs pour discuter, ne rien faire, ...
Evoquer l'autonomie invoque un autre besoin
caractéristique de l'adolescence : celui de responsabilité. En
effet, ce nouveau besoin soulève, une fois de plus, la question de
l'accompagnement des adolescents et du positionnement de l'adulte
référent du projet. En effet, si je propose une action clef en
main à des adolescents, je ne leur demande pas, par définition,
d'en être responsables et de la co-porter. Solliciter les participants
dès la conception du projet, dans l'optique qu'ils s'en emparent,
favorise l'engagement des jeunes et permet de les responsabiliser. Cependant,
il est important de souligner que la présence d'un adulte reste
indispensable car « seuls quelques jeunes dotés de
compétences et d'expériences exceptionnelles peuvent sans aucune
aide, initier un projet. »96 L'adulte doit donc se
questionner sur son positionnement pour accompagner et faciliter les prises de
décisions du groupe de jeunes. Il doit être force de proposition
mais ne pas imposer son point de vue ou ses idées. « Si la
démarche voire parfois l'idée du projet est initiée par un
animateur et non par les jeunes, cela n'empêche pas que par la suite le
projet devienne le leur. »97 Dans son texte Laure Ciosi
mentionne que selon les jeunes interrogés « le bon
accompagnateur est celui qui sait dire « ce qui va et ce qui ne va pas
», qui sait « rigoler et encadrer et nous laisser autonome
».98 Responsabiliser les jeunes au sein d'un projet
s'avère bénéfique car cela valorise leurs idées et
leur permet de prendre conscience du travail nécessaire pour
réaliser ces actions. L'adulte référent doit donc les
accompagner dans leur quête d'autonomie, leur confiance et leur estime de
soi.
Pour finir, il est indispensable de se pencher sur les
besoins de dialogue et de confiance. L'adolescent aspire à une relation
plus horizontale entre lui et les adultes qui l'entourent. Lorsque je parle
d'horizontalité, je ne veux pas sous-entendre que l'une des deux
entités serait supérieure à l'autre mais insister sur la
complicité qui doit se mettre en place entre les deux. Il est donc
important que l'adulte n'affirme pas une relation descendante. En effet, cela
pourrait empêcher l'adolescent de s'exprimer ou de développer les
projets qu'il a envie. Ce dernier
95 DAHAN, Chantal., op.cit., P11.
96 CIOSI, Laure.,op.cit., P44.
97 Ibid. P44.
98 Ibid. P47.
24
ressentirait un manque de confiance à son égard
de la part de l'adulte référent. Pour aborder ces publics, il
peut également être recommandé de ne pas passer par un
intermédiaire (parents, professeurs, ...) mais de s'adresser directement
à lui, en adaptant son discours et ses outils. « Pour qu'un
véritable espace de socialisation se crée, la relation doit
tendre à l'égalité dans le dialogue, malgré
l'inégalité des places. »99 L'adolescent
ressent donc le besoin de nouer une relation de confiance avec l'adulte qui
l'accompagne.
Les paragraphes précédents ont donc
contribué à souligner les caractéristiques et les besoins
des adolescents. Solliciter les adolescents et leur permettre de participer
à la conception des projets semblent répondre directement aux
besoins de cette tranche d'âge. Cependant, ces caractéristiques
n'ont pas toujours été intégrées aux projets
menés pour et avec ces publics.
1.1.3. La prise en compte des adolescents dans les projets qui
leurs sont
destinés.
« Ils100 ont également permis de
mesurer le désarroi des élus locaux vis-à-vis d'une
population adolescente essentiellement repérée au travers des
dégradations qu'elle cause ou des problèmes qu'elle
révèle. Au-delà d'une vision caricaturale, les élus
admettent mal connaitre les adolescents ou ne pas savoir répondre
à leur attentes.»101 Cette citation, issue de
l'article Construire une offre de loisirs avec les adolescents,
souligne le manque de connaissances en ce qui concerne les besoins et les
envies de cette tranche d'âge. En effet, de nombreux professionnels se
retrouvent alors démunis lorsqu'ils mettent en place, par envie ou par
obligation, un projet à destination de ces publics. Cela est d'autant
plus étonnant de constater que cet article est relativement
récent102. Pourtant, force est de reconnaitre que depuis
maintenant de nombreuses années des dispositifs et des fléchages
financiers en faveur des adolescents sont mis en place dans plusieurs domaines.
La volonté de travailler avec ces publics, de les découvrir et de
les engager dans des projets n'est donc pas une nouveauté. Cependant, le
problème a longtemps résidé dans une distorsion entre les
projets proposés à ces publics et ses
99COTTIN, Patrick (dir). Accompagner les
adolescents : nouvelles pratiques, nouveaux défis pour les
professionnels. Avec [la collaboration de] Anne LANCHON et Anne LE PENNEC.
Toulouse : Editions érès, 2019. L'école des parents.
P29.
100 Travaux autour du dispositif d'évaluation du volet
enfance jeunesse du contrat enfance jeunesse.
101 CEROUX, Benoit., op.cit., P109.
102 2014.
25
envies. Du manque de connaissances des professionnels, en ce
qui concerne les adolescents, émergèrent des méthodologies
pas toujours très pertinentes. « Typiquement se retrouver
debout sur un pupitre devant une classe assise à dire des trucs sur une
pièce. Moi je sais qu'en tant qu'adolescent ça m'aurait
ennuyé. Et que du coup nous ce que l'on a toujours défendu, c'est
d'amener les enfants à découvrir le théâtre en en
faisant.»103 Pour clôturer cette sous-partie,
j'aimerais présenter Les Assises de la jeunesse car ces
instances aspirent, depuis maintenant une dizaine d'année, à la
prise en considération des besoins et des propositions des jeunes dans
les politiques publiques et les projets qui leurs sont destinés.
C'est en 2010 que la Croix Rouge, grâce à la
Déclaration Jeunesse104, mit en place les
premières Assises Nationales de la Jeunesse. Cet
événement fut particulièrement important et pour cause,
les jeunes présents eurent l'occasion de porter leur propre parole, de
s'exprimer et de recenser les champs d'actions dans lesquels ils souhaitaient
s'engager et être sollicités : le sport, la citoyenneté, la
culture, ... D'autres instances découlèrent de cet
événement et différentes villes françaises mirent
en place leurs Assises de la Jeunesse respectives : Poitiers,
Fougères, Saint-Sulpice, ... Ces échanges entre jeunes,
élus et professionnels ont pour vocation de co-imaginer et coconstruire
les nouvelles politiques jeunesses. Les principaux objectifs de ces instances
sont au nombre de trois : identifier et comprendre les besoins de ces jeunes,
leur permettre de se réapproprier les différentes questions
liées à la citoyenneté et les faire participer aux
différentes problématiques de leur ville. De plus, ces temps
permettent de mettre en lumière les difficultés multiples
auxquels ces publics sont confrontés (inégalités,
recherches d'emplois et de stages, ...). « Un jeune qui a envie
à un moment donné de participer, il faut qu'il puisse le faire et
qu'il ait les outils pour le faire, les clefs pour comprendre [...]
»105
En ce qui concerne Saint-Nazaire106, ville
où se déroule mon stage de fin d'études, l'engagement
citoyen et l'implication des jeunes est depuis longtemps un
élément central du projet de la ville. Le 26 février 2016,
les Assises de la Jeunesse furent l'événement propice
pour soumettre la proposition suivante : mettre en place un conseil nazairien
de la jeunesse. C'est donc à partir de cette proposition, soumise par
les jeunes participants que découla et fut mis en
103 DROUET, Nicolas. Collectif Lacavale. Entretien annexe 3 p
116.0
104 Un des deux textes fondateurs de la Croix Rouge
française pour la jeunesse. La Déclaration Jeunesse
fut exclusivement rédigée pour les jeunes.
105 ASSOULINE, Tania. In : Lancement des assises de la
jeunesse. Ville de Montreuil. Vidéo Youtube. 2017.
106 Commune du département Loire-Atlantique et de la
région Pays de la Loire.
26
place Jeunes en Ville107. Il s'agit d'une
instance de participation citoyenne permettant aux jeunes de 15 à 25
ans, vivant, étudiant ou travaillant à Saint-Nazaire de
s'exprimer et de construire des projets avec différents partenaires. La
participation des jeunes est donc bien l'un des objectifs
véhiculés par cette instance.
Bien que le public visé soit ici les adolescents plus
âgés et les jeunes adultes, la mise en place des Assises de la
jeunesse contribue à repenser la participation des jeunes aux sein
des politiques publiques. Cette attention portée aux besoins et aux
envies des 15-25 ans peut irriguer la prise en compte des adolescents plus
jeunes, et donc notre cible : les 12-15 ans. Il semble aujourd'hui primordial
de pérenniser les outils et les dispositifs destinés aux jeunes
car cela reflète une marque de sérieux de la part des
professionnels et des élus envers eux. Bain Public pour sa
première année d'exploitation fut l'une des structures
partenaires de Jeunes en ville. Les réflexions autour de cette
co-construction et les projets imaginés seront exposés et
analysés dans la troisième et dernière partie de ce
travail : Mon expérience à Bain Public : La mise en place du
partage de la gouvernance avec les jeunes nazairiens.
Cette partie souleva différents points importants
à discerner pour la suite de cette analyse. Bien que cette tranche
d'âge est maintenant bien identifiée, le terme adolescent eut du
mal à émerger et à être reconnu. C'est en grande
partie grâce aux réformes scolaires que ce terme put
progressivement évoluer et qu'une communauté adolescente
émergea. Cependant, il est probable que cette reconnaissance tardive
provoqua la conséquence suivante : les besoins propres à cette
tranche d'âge mirent du temps avant d'être identifiés. Les
différents projets à destination des adolescents et des jeunes
gagneraient donc à les prendre davantage en considération. Les
politiques publiques en faveur de la jeunesse s'affinent et commencent
progressivement à se coconstruire avec ses
bénéficiaires.
1.2. La prise en compte des adolescents dans le secteur
culturel
Après avoir analysé brièvement les
besoins des adolescents et leur inclusion progressivement au sein des projets
qui leur sont destinés, il est intéressant de se pencher plus
largement sur
107 Mis en place par la mission jeunesse de la ville et
animation confiée à la Fédération
d'éducation populaire Léo Lagrange.
27
comment le secteur culturel a intégré cette
tranche d'âge au sein de ses programmations, de ses actions et de ses
structures. En ce qui concerne plus particulièrement le
théâtre, sujet d'étude de ce mémoire, il est
important de se pencher notamment sur les textes de ce répertoire afin
d'analyser s'ils se destinent ou non à des publics adolescents. Mon
souci sera donc de mettre en lumière ces différents points. Pour
cela, je commencerai par dresser brièvement un aperçu du
théâtre adolescent québécois, de sa naissance
jusqu'à aujourd'hui. En effet, les professionnels de ce pays sont
largement en avance sur ces enjeux. Cela permettra donc dans un second temps de
faire un parallèle avec la France où les textes dramatiques pour
adolescents ont émergé bien plus tardivement. Ce pays
étant le sujet d'étude de ce mémoire, il sera pertinent
d'introduire une caractéristique de la politique culturelle
française : la conservation de ces institutions. Cela permettra entre
autre de se pencher sur la relation qu'elles entretiennent avec les publics
adolescents. C'est donc dans cette optique que je finirai par analyser le
Studio 13/16 du Centre Pompidou, prescripteur en ce qui concerne les
enjeux de la gouvernance et des besoins des adolescents dans le secteur
culturel.
1.2.1. Le cas Québécois : une avance importante
sur ces enjeux.
Que ce soit au Québec ou en Belgique, artistes,
médiateurs et programmateurs se sont penchés de manière
extrêmement précoce, en comparaison à la France, sur la
question des publics adolescents. Non seulement, des compagnies et des auteurs
se sont spécialisés dans ce type de théâtre afin de
répondre aux besoins de ces publics naissants, mais ils ont
été progressivement soutenus par les programmateurs et les
financeurs. « En France on ne disait pas qu'il y avait du
théâtre ados, et beaucoup de gens le pensent toujours : un
adolescent peut voir n'importe quel spectacle. Donc identifier un
théâtre pour les adolescents ça a été fait
par les belges et les québécois il y a largement vingt-cinq ans
alors que nous, on a encore du retard. Ils ont aussi travaillé sur le
théâtre pédagogique bien avant
nous.»108
Cet axe sera donc exclusivement dédié à
la prise en compte des adolescents dans le secteur théâtral
Québécois. C'est à partir des années 1970, alors
que la tendance était de produire et de diffuser des spectacles
destinés aux 6-12 ans, que des compagnies se sont
intéressées aux publics adolescents jusqu'alors
négligés. Il est important de préciser que les compagnies
spécialisées en théâtre jeune public connaissaient
des conditions de diffusion plus confortables
108 COUREL, Anne. Entretien annexe 2 p 114.
28
que celles spécialisées pour les adolescents. En
effet, alors que les spectacles pour les 6-12 ans étaient
programmés dans les salles, les compagnies pour adolescents se
produisaient dans des gymnases et des salles de cours. Créer des
spectacles à destination de ces nouveaux publics était donc
encore à la marge mais les différents obstacles
n'empêchèrent pas diverses compagnies de s'emparer de ce
créneau. C'était une volonté, de la part ces
dernières, de dépeindre sur scène une nouvelle
réalité sociale et de permettre aux publics visés de
trouver des héros auxquels s'identifier.
En 1989 à Montréal, Le Théâtre
Le Clou, une compagnie codirigée par Monique Gisselin, Sylvain
Scott et Benoît Vermeulen, fut créée. Au projet artistique
du collectif, possédant une valeur pédagogique, s'ajoutait une
grande exigence. Ce fut donc une volonté, de la part des artistes, de
démontrer que le théâtre pour adolescent pouvait «
allier qualité, recherche et succès
»109. Le Théâtre Le Clou fut alors
très rapidement repéré pour ses spectacles innovants et
qualitatifs, jusqu'à devenir la première compagnie
québécoise à destination des adolescents à
être subventionnée au fonctionnement110. De plus, les
membres du collectif comprirent que leurs spectacles se devaient d'être
accompagnés d'actions de médiation111 dans l'optique
de faciliter la rencontre entre artistes et adolescents et les sensibiliser au
théâtre. Aujourd'hui, Le Théâtre Le Clou est
encore extrêmement actif et pérennise son travail de recherche et
de réflexion à destination des adolescents. Créé il
y a maintenant plus de trente ans, ce collectif précurseur en
matière de théâtre pour adolescents jouit aujourd'hui d'une
notoriété nationale. De plus, d'autres points sont à
souligner pour analyser l'implication des professionnels
québécois en ce qui concerne le théâtre pour
adolescents. Dès les années 1990, de nombreux colloques et des
conférences mettent en perspective ces questions. S'y ajoutent dans un
même temps divers écrits sur ces sujets (études
professionnelles, travaux universitaires, ...). En 1998, dans son ouvrage
Le Théâtre adolescent, Hélène Beauchamp
propose une pédagogie théâtrale en corrélation avec
les besoins et les envies des adolescents. « Notre hypothèse
est que le théâtre
109 NADEAU, Anne. Les quinze ans du théâtre
du Clou : portrait d'une compagnie de théâtre de création
pour adolescents, dans le contexte du théâtre pour l'enfance et la
jeunesse au Québec de 1989 à 2004. Mémoire de la
maitrise : Théâtre : Université du Québec à
Montréal, 2006. p69.
110 Allouées par des collectivités, ces
subventions permettent de financer la gestion courante et globale de la
structure.
111 Le Scriptorium est l'une des actions que le
Théâtre Le Clou met en place chaque année.
29
adolescent, celui créé par eux, existe dans
ses caractéristiques propres et qu'il peut être
considéré comme une création théâtrale de
plein droit et comme une pratique d'affirmation »112 En ce qui
concerne la création des festivals à destination des adolescents,
le précurseur Rencontre Théâtre Ados113
vit le jour pratiquement quinze ans avant le Festival
ADO114, premier festival de théâtre pour
adolescents en France. Référence pancanadienne115 de
la création théâtrale pour et avec les adolescents,
RTA116 pilote également la plus grande ligue d'improvisation
du Québec à destination des jeunes du secondaire : La
LIRTA117. De plus, la médiation culturelle occupe une place
privilégiée au sein de ces rencontres et les participants se
voient proposer de nombreuses actions innovantes. Extrem'ados est ici
un exemple pertinent, d'autant plus qu'il a été repris bien plus
tard par la MJC de Rodez/Théâtre des deux Points,
structure que j'introduirai par la suite. Ce qui est innovant dans ce projet
est qu'il repousse les limites de la création collective: un groupe
d'adolescents, accompagné d'un metteur en scène professionnel,
dispose de vingt-quatre heures, réparties entre le mercredi et le
samedi, pour créer un spectacle dont la représentation aura lieu
le samedi soir de la même semaine118. « Moi je veux
fonctionner avec vous sur le principe de la création collective. Donc,
je n»ai aucun texte d'écrit d'avance, on part de vous
»119.
Ces précédents exemples contribuent donc
à démontrer que les professionnels du théâtre
québécois se sont depuis un certain temps
intéressés aux publics adolescents. D'une part, les spectacles
qui leurs sont proposés sont en corrélation avec leur
réalité : ils parlent de leur quotidien, les personnages leur
ressemblent et il devient possible de s'y identifier, ... D'autre part, les
conférences et les ouvrages se démultiplient, apportant alors une
contribution théorique sur ces problématiques. Bien que cela fut
souligné en introduction, il est pertinent de rappeler que Un
théâtre et des adolescents est l'un des seuls ouvrages
français mettant, comme son nom l'indique, en parallèle ce
secteur et ces publics. Outre cette absence de théorie, il est important
de se pencher sur les autres points qui différencient la France du
Québec sur ce sujet. L'axe
112 BEAUCHAMP, Hélène. Le
théâtre adolescent : Une pratique artistique d'affirmation.
Montréal : les éditions Logiques, 1998. P12.
113 Créé en 1996 par Sylvie Lessard, Pierre-Yves
Bernard, Sarto Gendron et François Hurtubise.
114 2010.
115 Relatif à l'ensemble du Canada.
116 Rencontres Théâtre Ados.
117 Ligue d'Improvisation Rencontre Théâtre
Ados. Créée en 2002, la LIRTA regroupe aujourd'hui plus d'une
vingtaine d'école situées aux alentours de Montréal,
Laval, des Laurentides et de Lanaudière.
118 Les représentations se déroulent la Maison
des arts de Laval.
119 ROY, Jean-Stéphane. Reportage Radio-Canada.
Rencontre théâtre ados. 2016.
30
suivant sera donc dédié à analyser la
prise en compte des adolescents dans le secteur culturel français, pays
se lequel se focalise ce travail.
1.2.2. Le cas français : notre terrain d'analyse
En France, au contraire, les textes dramatiques à
destination des publics adolescents tardèrent à apparaitre.
Cyrille Planson120 soulève d'ailleurs le manque de transition
entre les pièces « jeune public » et celles à
destination du « tout-public » dans un dossier du magazine La
Scène121 : « Longtemps, seul le
théâtre dit classique a été proposé aux
adolescents dans les programmations de théâtre
».122 Certains auteurs, tels que Fabrice
Melquiot123, Sylvain Levey124 ou Luc Tartar125
commencent progressivement à s'emparer de cette littérature et y
développent des héros auxquels les adolescents peuvent
s'identifier. Lors des entretiens menés, j'ai pu constater un
écart palpable et une différence de point de vue entre les
professionnels : alors que certains soulignent que les adolescents devaient
avoir un théâtre qui est dédié, d'autres mentionnent
qu'ils peuvent se diriger vers les pièces tout public.
Pour sa part, le cinéma français s'interroge
depuis plusieurs décennies sur les spécificités, les
envies et la vie quotidienne des adolescents. La Boum126,
film générationnel sorti en salle en 1980 illustre parfaitement
ce propos car « les jeunes filles et les jeunes garçons qui
l'ont vu à l'époque, et parfois plusieurs fois, se sont largement
projetés dans le personnage de Vick127, son
héroïne et sa bande de copains pourtant issus d'un milieu
privilégiés parisiens. »128 Les
réalisateurs et scénaristes français se sont donc
rapidement penchés les questions liées à l'adolescence en
leur proposant des créations dont ils étaient le coeur de
cible.
Afin de comprendre comment les adolescents furent
intégrés, du moins en France, au sein de la culture et des enjeux
de la participation, il semble pertinent de se pencher sur le Studio
13/16
120Rédacteur en chef du magazine La
Scène. Cyrille Planson est également co-directeur du
festival jeune public Petits et Grands et des Biennales
Internationales du Spectacle (BIS).
121Le magazine La Scène est un
magazine destiné aux professionnels du spectacle vivant. Il est
dirigé par Nicolas Marc et a pour rédacteur en chef Cyrille
Planson.
122PLANSON, Cyrille. Les ados, un public
à enchanter. La scène septembre, octobre, novembre 2019,
n° 94, p. 80.
123 Metteur en scène, interprète, pédagogue
et dramaturge contemporain.
124 Auteur dramatique et acteur.
125 Auteur et comédien.
126 Comédie romantique réalisée par
Claude Pinotteau mettant en scène les émois d'une adolescente de
treize ans.
127 Héroïne interprétée par l'actrice
Sophie Marceau.
128 LAURENTIN, Emmanuel. Episode 2 : La Boum
génération. France culture. La fabrique de l'histoire.
Série : une histoire de l'adolescence. 23/08/2019.
31
du Centre Pompidou129, premier espace au monde
dédié aux jeunes dans un musée. Il faut préciser
que la politique culturelle française se caractérise par
plusieurs particularités et que la préservation de ses
institutions à travers les siècles est l'une d'entre elles. Dans
les années 90 des lieux pouvant être qualifiés «
d'alternatifs » commencèrent à voir le jour car des
artistes, privés de lieux où travailler, s'emparèrent de
structures abandonnées. L'exemple du Théâtre
Icare, compagnie s'installant en 1994 au sein des anciens bains-douches
nazairiens130, illustre parfaitement ce propos. Pourtant,
l'émergence des friches culturelles131, et par la suite des
tiers-lieux132, ne remit que peu en cause la place et la
visibilité des institutions culturelles. En effet, ces dernières,
à l'origine de la professionnalisation du secteur, sont toujours
conservées et labellisées par l'Etat. Dans un même temps,
ces institutions peuvent, aujourd'hui encore, véhiculer l'image d'une
culture élitiste, dont la fréquentation est
réservée à des publics privilégiés.
Pourtant, le ministère de la culture lui-même souligne que «
ces institutions ont pour mission de s'adresser à toutes les
populations, de combattre les inégalités territoriales et
sociales d'accès à la culture et leurs services des publics
assurent un travail de médiation pour toucher les populations les plus
éloignées »133.
Dans un même temps, il est important de préciser
que le développement des nouvelles technologies a profondément
remis en cause notre perception de la culture qui « se présente
désormais comme solidaire des notions de loisir, de divertissement et de
communication ».134 Que ce soit en France ou ailleurs, une
culture dite de « chambre »135 émergea. Elle
s'accompagna de nombreuses pratiques ne nécessitant ni l'intervention
d'un tiers ni celle d'une structure : écoute de podcast et
d'émissions radio, visionnage de vidéos Youtube, ...
129 Musée parisien orienté vers la
création moderne et contemporaine dont la création fut
impulsée par le Président Georges Pompidou.
130 Le bâtiment est maintenant réinvesti par le
projet de l'association des Chantiers Nouveaux : Bain Public.
131 Lieux qui par essence n'étaient pas
dédiés à accueillir des projets culturels. Leurs mises en
place sont souvent à l'initiative de collectifs d'artistes ou de
citoyens.
132 Issu de l'anglais « The Third Place » (la
troisième place), les tiers-lieux font référence à
un environnement où l'on viendrait après la maison et le travail.
Emblématique de la participation citoyenne, les tiers-lieux prennent des
formes multiples mais se veulent des lieux chaleureux croisant diverses
activités.
133 Le ministère de la culture. Les partenaires
(1/6) Les institutions culturelles. Culture.gouv. le développement
culturel en France. 05/04/2016.
134 DAHAN, Chantal. ,op. cit., P15
135 Désigne les activités culturelles que chacun
peut faire depuis son espace personnel. Ce terme est également issu d'un
processus récent d'individualisation. Il est pertinent de souligner que
la chambre constitue un lieu emblématique de la construction de la
culture propre des enfants et des adolescents.
32
Dans son article Les adolescents et les
musées, Noëlle Timbart136 souligne que «
Les adolescents sont perçus comme peu présents et peu demandeurs,
voire réticents à l'idée même de
pénétrer dans une institution culturelle
»137. Pourtant, force est de constater que ces derniers
sont bel et bien présents dans les musées tout comme dans les
autres structures culturelles. Cette présence est cependant régie
principalement par deux instances : l'école et la sphère
familiale. Elle résulte donc rarement d'une volonté
formulée par l'adolescent. Cette absence de choix renvoie directement
à la notion de public captif. Il est important de souligner, comme
l'exprime Noëlle Timbart, que rares sont les musées mettant en
place des activités pour les adolescents en dehors du cadre scolaire.
Pour cause, de nombreux médiateurs sont démunis face à ces
publics et supposent que les adolescents rejetteraient les actions qui leur
seraient proposées.
Ces différents constats m'amènent à me
pencher sur l'exemple du Studio 13/16 du Centre Pompidou. Soucieux
d'offrir à chaque public une médiation adaptée, les
actions à destination des jeunes publics furent dès son ouverture
en 1977, positionnées au coeur du projet du musée. C'est en 2010
que le Centre Pompidou mit en place, dans son sous-sol, le premier espace au
monde dédié aux jeunes dans un musée : le Studio
13/16. « Rompre avec le présupposé que les
adolescents n'auraient aucun intérêt pour
l'art»138 devient rapidement l'un des objectifs à
atteindre. Pour cela, le Studio 13/16 se devait, sans pour autant
s'écarter des activités et des propos portés par
l'institution, répondre aux besoins et aux envies de ces publics. La
réussite de ce lieu résulte de plusieurs facteurs :
· Une entrée et une participation aux ateliers
gratuites et sans réservations.
· Des horaires flexibles, pensés en
corrélation avec l'emploi du temps des jeunes (mercredi
après-midi, après les cours, les week-ends, ...).
· La possibilité d'appréhender le lieu
comme l'adolescent en a envie : des ateliers et des événements
sont organisés mais les jeunes ont aussi la possibilité de venir
se poser et discuter.
· Des actions développées en liens avec
les centres d'intérêts des adolescents.
Le Studio 13/16 se présente alors comme un
lieu convivial permettant à chaque adolescent d'appréhender l'art
et le musée d'une manière qui lui est propre. Ce fut une
volonté, de la part
136 Chercheuse en muséologie, science et
société. Elle est l'auteure de la thèse Adolescents et
musées : états des lieux et perspectives (2007).
137 TIMBART, Noëlle. Les adolescents et les
musées. Institut national de la jeunesse et de l'éducation
populaire. « Cahiers de l'action ». 2013/1, n°38. P21.
138 Centre Pompidou, Médiation, Faire
l'expérience du Centre Pompidou. Numéro 1. P6.
33
du Centre Pompidou, de se pencher sur les tendances, les
habitudes et les envies des adolescents. « Nous avons fait le choix de
nous adresser directement aux ados, trop souvent délaissés par
les institutions et par conséquent absents des grands rendez-vous
culturels »139 Force est de constater que les jeunes sont
au rendez-vous et revendiquent une appétence pour les arts. Il est
également pertinent de mentionner que les participants sont
sollicités dans la conception des différentes actions voire en
sont à l'initiative.
Le cas du Studio 13/16 est particulièrement
intéressant pour comprendre la prise en compte des publics adolescents
dans les arts en France. En plus d'en être précurseur, cet espace
illustre la nécessité de penser les actions de médiations
en corrélation avec les besoins et les envies des publics auxquelles
elles sont destinées. Développer cet exemple m'a d'ores et
déjà permis d'amorcer le besoin de désacralisation des
institutions, axe que j'analyserai plus largement dans un second temps.
Grâce au Studio 13/16, le Centre Pompidou put, tout en
conservant son propos et son activité première, permettre aux
adolescents de s'exprimer et de s'emparer des projets. Ces publics, s'ils se
sentent concernés par le propos de l'institution, ne sont donc pas
réticents à participer aux différentes actions qu'elle
propose. Le Centre Pompidou a donc su répondre à diverses
problématiques propres aux institutions culturelles dont : «
les adolescents ont des caractéristiques qui leur sont propres que
le musée devrait prendre en considération afin de leur proposer
des activités qui soient au plus proche de leurs besoins
»140.
La présente partie se focalisa sur les manières
dont les publics adolescents furent pris en compte au sein du secteur culturel.
Elle présenta successivement le cas du Québec, en
révélant une avance considérable sur ces enjeux, puis le
cas de la France, sur lequel se penche cette étude. Alors que les
professionnels québécois ont identifié depuis plus de
trente-cinq ans un théâtre pour adolescents, les oeuvres et les
représentations à destination de ces publics sont encore, en
France, en émergence. S'y ajoutent qu'elles ne sont pas portées
ou même reconnues par l'ensemble de la profession. L'analyse s'est
poursuivie sur l'une des caractéristiques de la politique culturelle
française : les institutions. La responsabilité de ces
établissements vis-à-vis des différents publics, dont les
adolescents, est d'ailleurs précisée dans leurs cahiers des
charges141. En retour, la précédente analyse a
notamment insisté sur l'image que les institutions
139 CHAZOTTES, Patrice. Musée 21, le magazine de
culturespaces. Le nouveau paradis des ados : Studio 13/16.
16/10/2015.
140 TIMBART, Noëlle., op. cit., P22.
141 Document contractuel à respecter pour la mise en
place d'un projet.
34
peuvent renvoyer aux adolescents actuels. La suite de cette
étude montra que le Studio 13/16 est un modèle qui fut
repris sensiblement dans un même temps par le secteur
théâtral.
1.3 Un double enjeu : le cadre scolaire et le cadre
volontaire
Pour clôturer cette partie, il est intéressant
de se pencher sur certains enjeux que peuvent présenter les publics
adolescents. En effet, ces derniers soulèvent plus que tout autre public
la question de la fracture entre l'obligation scolaire et le choix personnel.
Ils se voient d'une part proposer des projets au sein de leurs
établissements respectifs, renforçant leur statut de public
captif, et d'autre part se retrouvent sollicités pour s'engager
volontairement dans des actions. Au premier abord, ces deux démarches
semblent évoluer parallèlement. En effet, elles s'articulent sur
des temps distincts. Après avoir présenté
séparément ces deux types de projets, mon souci sera de
démontrer en quoi ces deux temps peuvent avoir un intérêt
à évoluer conjointement et quels sont les défis à
articuler. Chaque axe me permettra également d'introduire les quatre
différents projets sur lesquels j'ai choisi de m'appuyer pour cette
étude :
· Les printemps des collèges, association
Comète 44,
· Ce soir je sors mon prof, MJC de
Rodez/Théâtre des deux points,
· Les Choses en face, collectif Lacavale,
· Le Festival à Vif, CDN Le
Préau.
1.3.1. L'enjeu des projets dans le cadre scolaire
Tout d'abord, mon souci sera de montrer les
spécificités des projets se déroulant dans le cadre
scolaire en m'appuyant sur deux projets. Aujourd'hui, la
nécessité d'une action culturelle en milieu scolaire n'est plus
à démontrer. Pourtant, jusque dans les années 70, elle
n'allait pas de soi et de nombreuses dates significatives permirent à
l'éducation artistique et culturelle142 d'émerger. En
1988, la loi relative aux enseignements artistiques143
précise que « des enseignements artistiques obligatoires sont
dispensés dans les établissements visés aux articles 3 et
4 de la loi n° 75-620 du 11 juillet 1975 relative à
l'éducation »144 et que « ces
enseignements
142 Action développée dans le cadre scolaire ayant
pour objectif d'encourager la participation de chaque enfant.
143 Loi n°88-20 du 6 janvier 1988, relative aux
enseignements artistiques.
144 République Française, Légifrance.
Loi n°88-20 du 6 janvier 1988, relative aux enseignements artistiques.
Article 3. Abrogé par l'ordonnance n°2000-549 du 15 juin
2000-art 7 (V).
35
comportent au moins un enseignement de la musique et un
enseignement des arts plastiques. »145
Pour sa part, l'éducation artistique et culturelle est
le fruit d'une coopération entre deux ministères : celui de la
Culture et celui de l'Education nationale. Dès lors, l'EAC146
fut perçue comme « indispensable à la
démocratisation culturelle et à l'égalité des
chances »147. Chaque élève de la maternelle
au lycée bénéficie de ces parcours. Cela veut donc dire
que l'EAC permet d'inclure et de sensibiliser des enfants et des adolescents
issus de milieux extrêmement différents : zones
géographiques, classes sociales, ... En effet, il peut être
pertinent de souligner qu'en France, la démocratisation148
est régulièrement associée à la culture au sein de
l'école. Cette idée fut d'autant plus renforcée avec la
création, en 2005, du Haut Conseil de l'Education Artistique et
Culturelle149, ayant pour objectif premier « d'accompagner
le développement de la politique de généralisation du 100%
EAC »150. Proposer des actions d'EAC au sein des
établissements scolaires a donc le mérite de démocratiser
la culture auprès de multiples élèves : son objectif est
de sensibiliser autant des élèves ayant une appétence pour
la culture que ceux n'en n'ayant pas.
Cela me permet donc d'introduire Les Printemps
théâtraux. Ce projet permet à des élèves
de différents collèges ou lycées de pratiquer la
discipline théâtrale au sein de leurs établissements avant
de se rencontrer pour ce temps de festival. Historiquement, les premiers
Printemps théâtraux furent portés par
l'association Vendéenne Vents et Marées à partir
1982151. Force fut de constater que l'initiative rencontra
rapidement un grand succès auprès des établissements
scolaires de la région Pays de la Loire152. Répondre
favorablement à l'ensemble de ces sollicitations se révéla
complexe. C'est à la suite de ce constat que quatre autres associations,
représentant chacune un département des Pays de la Loire, se
développèrent au courant de l'année scolaire 1986-1987
dans l'optique de pérenniser et de renforcer l'action initiée par
Vents
145 Ibid.
146 Education artistique et culturelle.
147 Education.gouv. L'éducation artistique et
culturelle. Ministère de l'éducation nationale, de la
jeunesse et des sports.
148 Issu du grec ancien, ce terme signifie littéralement
« évolution vers le pouvoir du peuple ».
149 HCEAC.
150
Education.gouv.fr. Le Haut
Conseil de l'Education Artistique et Culturelle. Ministère de
l'éducation nationale de la jeunesse et des sports.
151Créée sous l'impulsion de Michel
Pasotti, alors inspecteur de l'éducation nationale.
152 Région située à l'ouest de la
France.
36
et Marées : Théâtre pour
l'avenir (72), Enjeu (49), Amlet (53), et
Comète (44). Compte tenu que la Loire-Atlantique153
met en place de nombreux dispositifs154 pour initier et soutenir la
mise en place de parcours d'éducation artistique et culturelle, c'est
sur cette dernière association que cette étude se penchera.
Dès sa création,
Comète155 se donna comme objectif de «
contribuer au développement des activités
théâtrales en milieu scolaire, en privilégiant les
partenariats artistiques et culturels avec le soutien des institutions et des
collectivités territoriales »156. Elle
développe plusieurs types d'actions en faveur du théâtre au
sein des collèges et des lycéens de Loire-Atlantique. Ces
dernières peuvent se regrouper en trois catégories :
· Présenter l'association comme un relai
d'informations entre les élèves, leurs parents et les
institutions, scolaires ou culturelles.
· Favoriser le partenariat : organisation de formations
à destinations de professeurs et d'artistes désireux de
coconstruire des actions théâtrales dans le cadre scolaire,
· Développer et mettre en place des rencontres
théâtrales scolaires.
C'est donc dans cette troisième et dernière
catégorie que sont inclus Les printemps théâtraux.
Il s'agit de rencontres hébergées où les groupes scolaires
invités se retrouvent à Guérande157 pour une
durée de trois jours. Chaque groupe est engagé dans un parcours
théâtre et dans le processus d'un spectacle. Recevant de
nombreuses sollicitations de la part de professeurs souhaitant y inscrire leurs
groupes, Comète développa plus récemment des
rencontres à la journée se déroulant soit au Grand
T158, soit à la
Gobinière159.
En ce qui les concerne, Les printemps des collèges
réunissent différents groupes de Loire-Atlantique au mois de
juin. Chaque jour, les participants bénéficient d'un atelier de
pratique théâtrale pris en charge par un comédien
professionnel. Les élèves d'une même école sont
153 Département situé en Pays de la Loire.
154 Le plan Grandir avec la culture sera
développé dans une deuxième partie.
155 Acronyme de COMmunication, Expression,
Théâtre à L'Ecole, par la suite devenu
COMmunication, Expression, Théâtre, Education.
156 Comète théâtre 44, site
internet, page Objectifs.
157 Commune de Loire-Atlantique.
158 Salle de spectacles nantaise essentiellement orientée
vers la discipline théâtrale et gérée par l'EPCC
Le Grand T, théâtre de Loire-Atlantique.
159 Situé à Orvault, ce théâtre fait
partie intégrante du centre culturel composé également
d'un lieu d'exposition dans le château du parc et d'un atelier d'art
plastique.
37
répartis dans les différents groupes de
façon à favoriser la rencontre entre les adolescents. Durant le
temps du festival, chaque établissement aura l'opportunité de
présenter son spectacle répété durant
l'année scolaire au sein de la salle Athanor160. S'y
ajoutent divers temps qui ponctuent le festival : fanfare et
déambulation de l'ensemble des participants dans la ville de
Guérande, représentations professionnelles, rencontres avec des
artistes, temps de débats, le coup de coeur des
lycéens161, ...
Les printemps théâtraux illustrent donc
bien que le milieu scolaire peut sensibiliser des adolescents très
différents à la discipline théâtrale. Les ateliers
d'art dramatique dispensés dans les divers établissements sont
proposés sur le temps scolaire. C'est-à-dire que les parents ou
tout autre adulte référent de l'adolescent ne sont pas contraints
de réorganiser leur emploi du temps en fonction de cette
activité. De plus, autant ces ateliers que Les Printemps
théâtraux162 sont proposés gracieusement et
sans contrepartie aux participants. Cette capacité à sensibiliser
et à mobiliser des élèves aussi différents est donc
l'une des spécificités de l'environnement scolaire.
Une autre particularité de l'EAC ou du cadre scolaire
réside dans le fait que les projets proposés ont vocation
à mettre en lumière le cours d'un professeur, extrait du
programme imposé par l'éducation nationale. En ce qui concerne le
théâtre, secteur sur lequel se penche la présente
étude, il rentre généralement en résonance avec le
cours de français. La page de Eduscol, enseigner le
théâtre163, mentionne la classification
suivante:
· En 6ème , les élèves
étudient une pièce du XVIIème siècle à nos
jours.
· En 5ème, une comédie du
XVIIème siècle.
· En 4ème, une pièce du genre
choisi par le professeur164 mais s'étendant
impérativement du XVII au XIXème siècle.
Bien que les écritures dramatiques contemporaines
à destination des publics adolescents sont, du moins en France, assez
récentes, il est indéniable que le programme imposé par
l'éducation
160 Salle de spectacle Guérandaise.
161 Ce temps fut mis en place spécifiquement pour les
lycéens mais les organisateurs cherchent depuis quelques années
à travailler avec les collégiens autour du 1er
juin des écritures théâtrales.
162 Financé par le département.
163 EDUSCOL. Programmes de Français au
collège. Enseigner le théâtre. Ministère de
l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. 2016.
164 Tragédie, tragi-comédie, comédie ou un
drame.
38
nationale les laisse à la marge. Les collégiens
appréhendent donc ce secteur principalement par le prisme d'une
littérature particulièrement ancienne. Les sujets
évoqués peuvent être perçus comme obsolètes
et les élèves parviennent difficilement à s'identifier aux
personnages. Ce constat est l'un des éléments pouvant expliquer
pourquoi de nombreux élèves ne perçoivent le
théâtre que comme un objet scolaire. « Il suffirait
d'intégrer un parcours de formation adéquate auprès de ces
enseignant.e.s- et des décideurs des programmes- pour que l'école
redevienne le lieu d'un apprentissage fondateur, faisant un parallèle
entre les textes fondamentaux de théâtre et leur pertinence de
perception sur le monde actuel »165
Ce constat peut également digresser sur l'idée
suivante : dans le but de mettre en perspective son cours, un professeur peut
être amené à proposer à son groupe
d'élèves une sortie au théâtre. La
représentation, devant par définition faire écho aux
apprentissages acquis en classe, est choisie par l'enseignant. Cependant, il
est possible que cette obligation gâche l'expérience des
élèves. En se voyant forcer de se rendre au théâtre,
l'adolescent peut avant même d'y être, être réticent
à cette sortie. Force est donc de constater que l'éducation
nationale accorde aux institutions scolaires un rôle majeur en terme de
démocratisation culturelle auprès des publics jeunes. Cependant,
nous sommes ici face à une contradiction car « la
pédagogisation des activités culturelles sert certes leur
démocratisation obligée puisque les élèves sont des
publics captifs mais rarement la construction durable d'un goût pour
l'activité »166. En effet, il est indéniable
que le cadre scolaire sensibilise les adolescents aux disciplines artistiques
et que ces derniers sont présents dans l'enceinte des lieux culturels.
Cependant, en associant ces sorties à une obligation scolaire, leur
désamour pour ce secteur peut s'amplifier et les empêcher de
cultiver une appétence durable pour ces activités.
Pour illustrer ce propos, il peut être pertinent de se
pencher sur le projet Ce soir, je sors mon prof mis en place par la
MJC de Rodez/Théâtre des deux points. Les professeurs
désireux d'amener leur classe à des représentations se
tournent vers cette structure pour les inscrire au projet. Cependant, ce qui
rend cette action particulièrement intéressante et novatrice est
que l'enseignant ne choisira pas, lors de l'inscription, les différents
spectacles. Ce sera aux médiateurs du Théâtre des deux
points de se rendre, par la suite, dans les classes pour
présenter
165 GAL, Jean-Claude. Un théâtre et des
adolescents, Tome 2. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise
Pascal, Service Universités Culture, 2019. Parcours Pluriels. P46.
166 OCTOBRE, Sylvie. Pratiques culturelles chez les
jeunes et institutions de transmission : un choc des cultures ?
Ministère de la Culture-DEPS « Culture Prospective ».
2009/n°1. P7.
39
la programmation de la saison. Alors, les élèves
eux-mêmes auront la possibilité de choisir les spectacles auxquels
ils désirent assister. Le professeur sera alors contraint de s'adapter
à leurs choix : il devra revoir ses outils, adapter son cours, ...
Ce soir, je sors mon prof requestionne bien la construction des
projets en faveur des adolescents. En effet, il semblait incontestable, lors
d'une sortie scolaire au théâtre, que le spectacle se devait
d'être choisi par un professeur. En inversant ce rapport, les
élèves sortent progressivement de leur posture de public captif :
le choix du spectacle ne leur est plus imposé et leurs envies sont
prises en considération. Leur offrir la possibilité de soumettre
leur choix éveille la curiosité des adolescents. Ces derniers se
placent dans une posture d'attente et sont généralement
enthousiastes à l'idée de découvrir le spectacle
sélectionné.
Cet axe a donc illustré certaines
caractéristiques propres aux projets dans le cadre scolaire. Les deux
projets ici présentés, Les printemps théâtraux
et Ce soir, je sors mon prof, seront repris et
détaillés dans la deuxième partie de ce travail La
gouvernance et la démocratie participative en tant qu'enjeux
contemporains. Au-delà de ces exemples, cet axe a mis en
évidence les contradictions et les enjeux à concilier dans les
actions durant le cadre scolaire. En effet, l'école est
incontestablement perçue comme un des leviers de démocratisation
culturelle et sa nécessité n'est plus à prouver. Les
actions qui y sont déployées ont la capacité de
sensibiliser des élèves très différents et tentent
alors de réduire les inégalités en terme
d'accessibilité à la culture. Cependant, force est de constater
que cette mobilisation rendue obligatoire pose la question de la
durabilité et de l'impact de ces actions. Dans le cadre scolaire,
l'engagement et la motivation du groupe sont également des leviers de
réussite de l'action. Ce constat souligne qu'il y a de la
porosité entre les projets dans le cadre scolaire et ceux dans le cadre
volontaire.
1.3.2. L'enjeu des projets dans le cadre volontaire
L'engagement et la motivation des adolescents sont davantage
valorisés dans les projets dans le cadre volontaire car par
définition, les adolescents sortent de leur statut de public captif et
formulent eux-mêmes le souhait de participer ou non à une action.
Cet axe sera dédié à présenter ce que peut
impliquer les projets dans le cadre volontaire. Il s'appuiera exclusivement sur
le projet Les choses en face, mis en place par le collectif
Lacavale.
Cette compagnie créée en 2010 a pour
particularité d'être composée de vidéastes issus
d'une formation de cinéma documentaire et de comédiens. Ensemble,
ils créent ce qu'ils appellent du théâtre documentaire :
interviews, témoignages, objets divers sont récoltés dans
l'optique de
40
nourrir la réflexion des artistes et leur travail. Leur
démarche est documentaire car elle a comme particularité de
s'ancrer dans la vie des gens. Une fois sur scène, la vidéo
demeure un élément essentiel de leur création au
même titre que le jeu des acteurs. La deuxième
particularité du collectif est la dimension participative qu'ils
intègrent dans leurs créations. « Nous avons la
volonté d'ouvrir les portes des théâtres à des
personnes dont ce n'est pas le métier en les invitant à
s'inscrire dans le processus de création.»167 C'est
dans cette optique que la compagnie a commencé à travailler avec
des adolescents « Nous sommes persuadé.e.s qu'il est
nécessaire de créer des espaces-temps de parole, hors des flux
d'images et de bruits qui remplissent le monde. Et les ados, contrairement aux
clichés qu'on peut avoir sur elles.eux, ne sont pas du tout
réfractaires à vivre ces moments. »168 Ce
mémoire se penche plus particulièrement sur Les choses en
face, processus de travail que le collectif a reproduit trois
fois169 entre 2016 et 2020. A partir de la question « C'est
quoi être adultes ? » les adolescents sont invités à
s'interroger. « Les choses en faces, on vient et on discute de plus de
trucs. C'est quoi être adulte ? Vous vous imaginez comment dans vingt ans
? De là on se dit : qui on pourrait interviewer pour poser ces
questions-là ?.»170 Les adolescents sont presque
omniprésents durant le projet, de sa conception à sa valorisation
: temps de discussion en amont, récoltes de témoignages,
réalisation des entretiens, répétitions,
représentation où ils seront eux-mêmes acteurs, ... «
Le spectacle fera dialoguer les vidéos réalisées par
ces adolescent.e.s avec une partition théâtrale qu'ils.elles
interprètent. »171
L'aboutissement du projet est bel et bien un spectacle
professionnel et pas une action de médiation. Seulement ce genre de
projet réoriente et transforme la place des artistes car il
réaffirme leur fonction sociale : le collectif partage son expertise
avec les adolescents, les forment à différents outils et sur
plusieurs aspects. En instaurant cette relation, les membres du collectif se
retrouvent accompagnateurs de ces jeunes le temps d'un projet. A l'image des
autres médiateurs, ils leur permettent de mettre en place un projet qui
leur correspond.
167 Site internet du collectif Lacavale. Page Lacavale.
168 DROUET, Nicolas, D'HEYGERE, Antoine, MARION, Erwan,
MENARD, Julie. PUEYO, Clara-Luce et Chloé SIMONNEAU. Les choses en
face. Projet artistique. Collectif Lacavale. Théâtre
documentaire & participatif. Le Préau CDR. P6.
169 La première version fut créée en
2016 avec 80 adolescents issus du département du Nord dans le cadre du
projet Paroles d'ados 2016. La deuxième fut créée
en 2018 avec 60 jeunes des Hauts de France. La dernière en 2020
créée à Vire avec 19 adolescents, vit ses
représentations annulées (cause : crise sanitaire Covid 19).
170 DROUET, Nicolas. Entretien annexe 3 p 119.
171Collectif Lacavale. Les choses en face #2.
Site internet. Créations. 2018
41
Par essence, les adolescents qui s'engagent dans les projets
en dehors du cadre scolaire sont volontaires. Participer à ce projet
résulte donc d'un choix personnel n'ayant pas été
régi par l'école ou la sphère familiale. En sachant que
les différents participants sont volontaires, il semble possible de
mettre en place des projets plus longs et ambitieux. « Je pense qu'un
projet comme J'aurais aimé que le monde soit parfait, ça
engage tellement que si les jeunes ne sont pas volontaires ça peut
être beaucoup trop de souffrance.[...]. Mais là c'est quand
même un engagement très important, ça leur prend toutes
leurs vacances, ils vont rater quasiment une semaine de cours qu'ils vont
devoir rattraper, ils vont jouer cinq fois sur un grand plateau. [...] Donc si
certains n'ont pas envie ça peut devenir un cauchemar, c'est un coup
à les dégouter de toute forme d'expression
»172.
En ce qui concerne le recrutement des jeunes, il est
important de souligner qu'aucun casting ou entretien n'est mis en place. Le
collectif tente de sortir les jeunes du monde de compétition dans lequel
ils évoluent et ouvrent leurs projets à chaque adolescent
volontaire compris entre 12 et 17 ans. Cela est donc l'une des grandes
différences avec le cadre scolaire où les projets engagent les
élèves d'une même classe et par définition du
même âge. Les adolescents de 12 et de 17 ans sont donc rarement
amenés à se rencontrer et plus encore, à conduire des
projets ensemble.
Cet axe a donc permis d'introduire Les Choses en Face
du collectif Lacavale, projet qui sera repris par la suite dans l'optique
d'illustrer mon raisonnement. Cet exemple a également souligné ce
que les projets dans un cadre volontaire impliquaient. La motivation et l'envie
des jeunes permettent donc aux professionnels de se projeter et de mettre en
place des actions plus longues et plus engageantes. S'y ajoute la
possibilité de réunir des adolescents d'âges divers,
rarement amenés à se rencontrer et à se côtoyer.
1.3.3. Des enjeux pouvant être complémentaires
Chacun de ces deux enjeux a été
présenté de manière distincte. C'est donc une
volonté de finaliser cette partie en démontrant qu'ils peuvent
devenir complémentaires et que certains projets leur permettent
d'évoluer conjointement.
Lors de la mise en place de projets participatifs, notamment
dans le cadre volontaire, les adultes référents de l'action
doivent consacrer du temps au recrutement des adolescents.
C'est-à-dire
172 DROUET, Nicolas. Entretien annexe 3 p 118.
42
que les médiateurs devront sensibiliser ces publics
à l'action qu'ils sont en train de mettre en place dans le but qu'ils
s'y intéressent et peut-être s'y inscrivent. Comme expliqué
précédemment, la constitution du groupe est extrêmement
importante voire peut devenir un facteur de réussite du projet en
question. Le recrutement est donc un temps extrêmement
stratégique: les adultes multiplient les rencontres avec les jeunes dans
divers endroits (MJC173, CRIJ174, clubs de sport, ...) et
diversifient les médias qu'ils utilisent (flyers, réseaux
sociaux, ...). De nombreux médiateurs et professionnels se tournent
donc, entre autre, vers les établissements scolaires dans l'optique de
sensibiliser rapidement un grand nombre d'adolescents. C'est notamment le cas
du collectif Lacavale. Ces derniers s'appuient grandement sur les professeurs
et investissent les établissements scolaires pour présenter leurs
projets aux potentiels futurs participants. En passant par les collèges
et les lycées, le collectif parvient à sensibiliser davantage
d'adolescents et de plus très différents. En négligeant ce
relai, le collectif pourrait s'adresser et sensibiliser exclusivement des
adolescents ayant déjà une appétence pour la culture et de
ce fait, favoriser l'entre-soi.
Un autre projet que j'aimerais présenter est le
festival A Vif du CDN175 Le Préau à
Vire. Pionnier en France des festivals de théâtre adolescents, il
témoigne de la porosité possible entre les enjeux dans le cadre
scolaire et ceux dans le cadre volontaire. C'est en 1978 que le centre
dramatique national Enfance Jeunesse de Basse-Normandie fut
créé sous l'impulsion d'Yves Graffey, alors directeur du Gros
Caillou à Caen. Éric de Dadelsen lui succéda en 1992
et le centre dramatique fut alors rebaptisé Le Théâtre
du Préau. Ce ne fut qu'à partir de 1995 que ce centre
dramatique fut délocalisé à Vire. Cette structure
enchaîna ensuite les différents statuts : CDNEJ176,
ENPDA177 et Centre Dramatique Régional de
Basse-Normandie178. En 2017, Le Préau devient un
Centre Dramatique National179, implanté en milieu rural,
caractéristique assez rare pour être mentionnée. Son autre
particularité est son intérêt et son projet
spécifique pour les publics adolescents, impulsés lors la
première édition du festival ADO180 en 2010 et
depuis
173 Maison des jeunes et de la culture.
174 Centre régional d'informations jeunesse.
175 Centre dramatique national.
176 Centre Dramatique National pour l'Enfance et la Jeunesse.
Statut obtenu en 1995. Ce statut a aujourd'hui disparu.
177 Établissement National de Production et de Diffusion
Artistique. Statut obtenu en 2002.
178 Statut obtenu en 2006.
179 Label attribué par l'état et
créé dans la continuité de la décentralisation
culturelle. Les CDN sont des institutions théâtrales publiques.
180 Rebaptisé depuis 2021 Festival A Vif.
43
pérennisés. Cet événement, qui il
faut le rappeler est le premier festival de théâtre
français créé pour et avec des adolescents, fut mis en
place sous la direction de Pauline Salles181 et de Vincent
Garanger182. Sa création irrigua alors l'ensemble des
activités de la structure. En effet, force est de constater qu'à
partir de cet événement ce CDN, dont la programmation
était auparavant tournée vers le spectacle jeune public,
multiplia les représentations et les actions en faveur des adolescents.
La mise en place du festival s'est donc pérennisée : une dizaine
de jours lui sont dédiés tous les ans au mois de mai.
C'est en janvier 2019 que Lucie Berelowitsch183,
nouvelle directrice du Préau, arriva à la tête de
l'établissement, en formulant d'emblée sa volonté de
positionner la jeunesse et les écritures contemporaines au centre de son
projet. « Je tiens à amplifier ce travail remarquable
effectué pour les adolescents, en leur donnant davantage de portes
d'entrées dans la participation au projet, leur permettant de s'exprimer
individuellement, en dehors du cadre scolaire ».184 Cette
envie évoluait donc conjointement avec les différentes actions
amorcées par l'ancienne équipe. A partir de l'édition
2021, le Festival ADO fut rebaptisé Festival A Vif.
« On a aussi changé ce nom Festival à Vif pour
répéter, réitérer notre souhait que ce festival
soit un moment d'échange entre adolescents et adultes. Un échange
intergénérationnel pour rencontrer cette nouvelle
génération »185.
Ce festival développe de manière
simultanée et complémentaire, des actions dans le cadre scolaire
et dans le cadre volontaire. Tout d'abord, le spectacle d'ouverture du festival
est une représentation où des adolescents sont sur scène
en tant que comédiens. Pour l'édition 2021, il s'agit de
J'aurais aimé que le monde soit parfait186, nouveau
projet participatif du collectif Lacavale. En plus d'y intégrer
pleinement des adolescents de Vire, la représentation est
diffusée devant un grand nombre de spectateurs ayant sensiblement le
même âge que les comédiens. En y assistant, les jeunes
peuvent avoir envie de participer ou de s'investir dans des projets similaires.
Hélène Beauchamp le soulignera à juste titre : «
c'est le spectacle de leurs pairs qui
181 Metteuse en scène, dramaturge et comédienne
française, Pauline Salles fut directrice du CDN Le Préau
de 2009 à 2018.
182 Metteur en scène et comédien français,
il dirigea le CDN Le Préau de 2009 à 2018.
183 Formée au conservatoire de Moscou (GITIS) et
à l'école de Chaillot, Lucie Berelowitsh est comédienne et
metteuse en scène.
184 BERELOWITSCH, Lucie. Projet artistique. P14
185 BERELOWITSCH, Lucie. Présentation de la saison
2020-2021 au Préau. Le Préau CDN de Normandie - Vire.
Théâtre
contemporain.net, 25/06/2020.
186 Théâtre documentaire. Création 2021.
Production : Le Préau-CDN de Normandie à Vire.
44
les pousse à tenter l'expérience
»187 en constituant « un effet
d'entraînement positif sur plusieurs jeunes qui voudront faire ce qu'ils
auront vu d'autres réussir »188.
Autre aspect important, le CDN de Vire a la
particularité d'ouvrir ses portes et son espace bar aux spectateurs en
dehors des temps de programmation. Sur leur temps libre, les adolescents des
alentours s'y retrouvent fréquemment. A l'approche du festival,
l'équipe des relations publiques se tourne vers ces jeunes
présents. Ces derniers ont alors la possibilité de s'investir et
d'aider à préparer cet événement, notamment pour
tout ce qui est relatif à la décoration du hall. Le Village
Ados est également un temps fort du festival dont les adolescents
peuvent s'emparer, autant dans sa conception que dans sa valorisation. Il
s'agit d'une scène ouverte se déroulant le mercredi de la semaine
de festival dans le jardin de la médiathèque de Vire. Les
adolescents volontaires peuvent d'une part participer à sa
préparation (fabrication de mobiliers, signalétique, ...) et
d'autre part faire partie de la programmation (lecture de texte, chant, danse,
...) ou encore être présents pour les autres aspects
organisationnels (placement du public, présentation de la programmation,
...).
Il est également important de souligner que le
festival se structure en corrélation avec les établissements
scolaires. L'équipe du Préau propose à l'ensemble
des collèges et des lycées des alentours des journées
parcours : les professeurs désireux d'y participer inscrivent leur
classe soit à deux spectacles prenant place sur la même
journée, soit à une représentation le matin et une
activité artistique l'après-midi. Ces dernières sont
imaginées et animées par divers partenaires de la ville de Vire:
musée, MJC, conservatoire, cinéma, ... Les élèves
d'une même classe ont alors le choix entre divers ateliers. L'objectif
est que chacun puisse participer à une activité qui
l'intéresse, tout en mélangeant les différentes classes et
donc en favorisant la rencontre. « Lorsqu'on fournit le nombre de
places aux profs, on leur donne un nombre de places limité. Si par
exemple il y a un atelier danse avec dix places, on ne va pas proposer les dix
places à une seule classe. On va proposer une place par classe
différente comme ça il y aura dix personnes qui ne se connaissent
pas dans l'atelier. Donc c'est aussi l'idée de rencontre et de partage
qui nous intéresse »189.
187 BEAUCHAMP, Hélène. Le théâtre
adolescent : Une pratique artistique d'affirmation. Montréal : les
éditions Logiques, 1998. P23.
188 Ibid. P23.
189 DAVODEAU, Adèle et Enora THIVILLIER. Chargées
des relations publiques au CDN Le Préau. Entretien en annexe 4
p 124.
45
Bien que le point focal du festival reste le CDN Le
Préau, il prend également place dans diverses structures de
la ville et du Bocage190. S'y ajoutent les établissements
scolaires dans lesquels le festival s'intègre. Un des temps forts dans
lequel les adolescents peuvent s'investir sont les Befores. Comme
l'indique son équivalent en anglais, ces temps ont lieu avant les
spectacles du soir. Se déroulant dans l'enceinte des
établissements scolaires, les formes que peuvent prendre ces temps sont
multiples : restitutions d'ateliers faits l'après-midi ou durant
l'année, représentations publiques, prise de parole un peu libre,
... Les Befores sont alors un autre temps fort du festival car ils
permettent aux adolescents de s'emparer de leur lieu de travail quotidien en y
proposant des actions diverses.
Le Préau propose donc bien durant le temps du
festival A Vif, des projets dans le cadre scolaire mais aussi des
actions permettant aux adolescents de s'engager volontairement. En se
structurant ainsi, le festival interagit et prend place sur une grande partie
des temps de la vie de l'adolescent : temps scolaires, extra-scolaires, ... En
irriguant les classes et les établissements scolaires, le festival
permet aux adolescents de s'emparer de leur lieu de travail. Proposer des
actions dans le cadre scolaire peut éveiller la curiosité des
adolescents et les amener à s'intéresser aux autres aspects du
festival : projets hors-cadre scolaire, Journée
Marathon191 du samedi, ...
Les publics adolescents soulèvent donc bien un double
enjeu en se voyant proposer dans un même temps des projets dans le cadre
scolaire et dans le cadre volontaire. Bien que les temps scolaire et
extra-scolaire peuvent présenter des spécificités
différentes, les besoins des adolescents et les enjeux de la gouvernance
restent les mêmes. Cependant, proposer des projets associant les deux
cadres peut avoir de nombreux bénéfices. En effet, c'est en
multipliant les rencontres et en croisant les projets que les adolescents vont
se sentir sollicités et que leur participation deviendra alors plus
spontanée. Pour la dixième édition du Festival
ADO, deux adolescentes ont écrit et prononcé le texte
d'ouverture. Ces dernières avaient elles-mêmes formulé
cette demande. Il est important de souligner qu'elles avaient participé
auparavant à de multiples actions avec Le Préau, autant
dans le cadre scolaire que volontaire et qu'elles avaient
190 Le bocage normand s'étend sur l'ensemble du flanc
ouest de la région Basse Normandie.
191 Le samedi du festival, quatre spectacles sont
proposés au sein du Préau. Il est alors
possible de prendre un pass journée ou d'acheter ses places
séparément.
46
une bonne connaissance du fonctionnement du festival. Si elles
ont osé formuler une telle demande c'est que leurs
précédentes expériences au sein du Préau
ont mis en évidence que l'équipe prenait en
considération les envies des adolescents et qu'elles étaient
légitimes à s'investir dans des actions.
Cette partie a donc soulevé plusieurs
problématiques propres à la notion d'adolescence. Elle
commença par mettre en évidence l'émergence de ce terme et
les besoins de ces publics. S'y est ajouté l'articulation et la prise en
compte des caractéristiques des adolescents lors de la conception des
projets qui leur sont destinés. La deuxième sous-partie se
focalisa davantage sur le secteur culturel et proposa une comparaison entre le
Québec et la France en ce qui concerne la considération des
publics adolescents au sein des programmations, des actions de médiation
et des structures. Pour finir, la dernière sous-partie souleva un double
enjeu que présente ces publics : les projets dans le cadre scolaire et
ceux dans le cadre volontaire. Bien qu'ils puissent au premier abord sembler
contradictoires, ces deux types de projets peuvent évoluer
conjointement.
47
2. La gouvernance et la démocratie participative en tant
qu'enjeux contemporains
Les différents points précédemment
développés peuvent devenir des outils de réflexions pour
les professionnels désireux de mettre en place des projets avec des
adolescents. Cette deuxième partie se devra de prolonger les
questionnements soulevés durant la première. Pour cela, elle
identifiera comment les enjeux de la gouvernance et de la démocratie
participative s'intègrent et s'articulent dans les projets
théâtraux en faveur des publics adolescents. Il est pertinent de
rappeler que le partage de la gouvernance dépasse largement les actions
de médiation. Au contraire, elle participe à une réflexion
plus vaste en s'ancrant et en irriguant l'intégralité du projet
d'une structure. D'ailleurs, force est de constater que de nombreuses
actions192 impliquent les différents professionnels de la
structure et pas seulement les médiateurs de celle-ci. En ce qui
concerne ce travail de mémoire, c'est une volonté de m'attarder
plus spécifiquement sur certaines actions. Toutefois, il est primordial
de ne pas perdre de vue le projet artistique dans lequel elles s'inscrivent. La
présente partie se découpera donc de la manière suivante :
la première sous-partie présentera successivement les
différents acteurs en interactions lors de ces projets. S'y ajoutera le
positionnement que chacun peut adopter pour faciliter l'émergence du
partage de la gouvernance lors des actions développées. La
deuxième sous-partie se penchera quant à elle sur les quatre
projets sélectionnés et exposera comment chacun parvient à
intégrer les enjeux de démocratie participative. Pour finir, il
importe de souligner que mettre en place des projets participatifs
présentent des limites et mêmes certaines contraintes. L'objectif
de la dernière sous-partie sera de les analyser pour permettre aux
professionnels d'en être conscients et transparents envers les jeunes
qu'ils accompagnent dans ces projets. Le but définitif serait, dans la
mesure du possible, de parvenir à dépasser ces limites et ces
contraintes.
2.1. La place des différents acteurs au sein de ces
défis
Cette première sous-partie se propose donc de
présenter et d'analyser le rôle des différents acteurs,
qu'ils soient en interactions ou non, lors de ces projets. Leur positionnement
et les échelles auxquelles ils appartiennent les uns et les autres sont
multiples. Cette sous-partie se découpera donc comme suit :
192 Festival A Vif, les spectacles participatifs,
... Il est pertinent aussi de mentionner le projet Les Infiltrés
mis en place par le THV et dont le directeur fut à l'initiative.
·
48
Le rôle des adolescents : cet axe mettra en
évidence que les projets participatifs permettent aux
bénéficiaires de devenir acteurs de ces actions. Etant
donné que cette étude adopte le point de vue des
médiateurs et non des adolescents, mon souci sera de mettre en
évidence comment les professionnels peuvent faciliter un tel
positionnement de la part des participants.
· Le rôle des médiateurs : cet axe mettra
en lumière la complémentarité des différents
professionnels (médiateurs culturels, professeurs, animateurs, ...) et
renforcera l'idée que ces différents corps de métier
peuvent faire office de médiateurs. De ce fait, une co-construction des
projets peut se montrer pertinente voire nécessaire.
· Le rôle des institutions : la
nécessité de désacraliser ces structures sera alors
abordée, tout en s'appuyant sur l'exemple du CDN Le
Préau.
· Le rôle du département : responsable de
la construction et de la rénovation des collèges, le
département peut aussi avoir un rôle crucial au sein de ces
enjeux. Cette dernière sous-partie s'appuiera alors sur le plan
Grandir avec la culture.
2.1.1. Les adolescents : acteurs et non consommateurs
Durant les différents entretiens que j'ai eu
l'occasion de mener, l'idée suivante est très
régulièrement revenue : faire participer les publics permet de
les rendre acteurs et par conséquent, les sortir du simple rôle de
consommateurs. Il est pertinent de rappeler que cela fut souligner en
première partie dans l'axe Les adolescents en tant qu'individus :
les besoins et les spécificités de cette population. «
Cela est d'autant plus flagrant aujourd'hui193. Moi je n'ai pas
envie que les gens viennent consommer du spectacle. Ils viennent partager un
moment, vivre un moment, échanger avec... ».194 Il
semble important de préciser cette démarche et de comprendre ce
qu'elle implique, autant pour les adultes engagés dans un projet que
pour les adolescents concernés.
Pour commencer, il faut reprendre L'échelle de
participation d'Arstein, outil présenté en introduction. Son
objectif premier est d'identifier et d'alerter contre ce que Sherry Arstein
nomme la « non-participation »195, s'apparentant donc
à de la démagogie. Cependant, cet outil
193 Gurval Reto fait référence à la crise
sanitaire liée au Covid 19 et à la fermeture des salles de
spectacles.
194 RETO, Gurval. Directeur du THV. Entretien annexe 1 p 110.
195 S'oppose à la vraie participation. Sherry Arstein
parle alors de manipulation.
49
peut également permettre aux différents
médiateurs d'évaluer leur action et donc de se poser des
questions pertinentes en ce qui concerne la participation des publics
adolescents : jusqu'où suis-je capable de lâcher-prise ?
Jusqu'à quel stade suis-je capable et prêt à ce que le
projet m'échappe ? En effet, être à l'initiative et mettre
en place un projet participatif, c'est dans un premier temps dresser un cadre
d'action. Je parle volontairement de cadre d'action et non seulement d'action,
car le cadre sous-entend une certaine souplesse permettant aux
bénéficiaires, n'étant pas à l'initiative du
projet, de s'en emparer. « Si l'on dit à des gens : je vous
propose une action, et bien par excellence je ne vous demande pas d'en
être responsable.»196 Les projets participatifs
doivent donc être, par essence, assez souples pour permettre aux
participants de proposer eux même des actions et de participer activement
à sa mise en place. Permettre à ces adolescents de devenir
acteurs des projets demande donc une remise en cause et une prise de conscience
de la part des médiateurs. Réussir à lâcher prise
signifie que le projet n'aura peut-être pas la finalité attendue,
qu'il ne partira pas dans la direction imaginée initialement. Il faut
alors s'attendre à de potentielles digressions. Il est donc important,
bien que cela puisse être difficile, de ne pas projeter sur ces publics
nos désirs de médiation ou plus encore, les assommer avec les
objectifs qui sont les nôtres. « C'est comme une grande
échelle sur lequel on va plus ou moins se positionner et pour certains
se positionner au barreau numéro deux c'est énorme et ils ont
l'impression d'être dans une grande participation. Et d'autres vont
être presque jusqu'au sommet de l'échelle. Et pour moi ce qui
bloque c'est des personnes qui f...] vont se dire : ce n'est pas ce que je
projetais, ce n'est pas ce que je pensais en terme de contenu. Ça peut
venir bousculer des principes qu'on avait qui sont très forts et
très ancrés. »197
En développant la partie sur les besoins propres aux
adolescents, il fut souligné que la présence d'un adulte
était obligatoire. Il doit accompagner, proposer mais surtout donner aux
adolescents les moyens de réaliser leurs projets car les jeunes ne
possèdent pas les outils que les différents médiateurs
connaissent et ont déjà pu expérimenter : connaissances
des différents financements, des personnes à contacter, des
possibilités techniques, ... Lors de la rencontre professionnelle
Projets participatifs par et pour les adolescent.e.s198 un
jeune engagé dans le
196COUREL, Anne. Entretien annexe 2, p 112.
197 MONMEGE-GENESTE, Camille. Directrice du Labo des
cultures. Entretien annexe 6, p 134.
198 Occitanie en scène. Rencontre Be Spectative.
En trio, on participe : Projets participatifs par et pour les adolescent.e.s.
Visioconférence. 31 mars 2021.
50
projet Un après-midi avec George Romero à
regarder mourir les dinosaures199 souligna que la participation
des adolescents s'était mise en place très naturellement.
C'est-à-dire que les professionnels référents du projet
ont réussi à mettre place un cadre propice favorisant la prise de
parole et la participation des adolescents. Cela met donc en lumière les
deux idées qui viennent d'être développées ci-dessus
: en dressant un cadre d'action, les médiateurs du projet se sont
questionnés sur la place qu'ils souhaitaient attribuer aux adolescents.
Ces derniers une fois engagés dans le projet, ont pu exprimer ce qu'ils
avaient envie de faire et de valoriser. Les adultes référents
purent donc ensuite, sans jamais imposer leur point de vue, les conseiller et
leur proposer des « outils » pour faciliter la mise en place de leurs
idées et créer un projet qui leur correspond.
Partir des envies des adolescents, de leurs
référentiels et de leur culture reprend une nouvelle fois
l'idée suivante : ces projets n'ont pas pour objectifs de contribuer
à transformer ces jeunes en de fidèles spectateurs, ou alors de
leur permettre d'accéder à « la culture ». J'entends
par là une culture qui pourrait être qualifiée
d'élitiste et qui se devrait d'être la même pour tous.
« Il faut se dire que nos référentiels ne doivent pas
devenir les leur, mais aussi comment je les imprègne de ma culture, et
ils m'imprègnent de la leur»200. Les enfants comme
les adolescents, lorsqu'ils s'engagent dans des projets, sont chargés
d'une culture qui leur est propre. Ils se sont d'ores et déjà
constitués un imaginaire, des références et revendiquent
une appétence pour certains domaines. Leurs références
sont donc à valoriser dans les projets et cette culture, qu'elle soit
collective ou individuelle, est aussi légitime qu'une autre. De plus,
coconstruire un projet avec des adolescents ne sous-entend pas qu'il est moins
qualitatif qu'une autre action. Les choses en face, spectacle du
collectif Lacavale présenté en première partie est un
spectacle professionnel co-porté avec des adolescents. Rendre ces
adolescents acteurs des projets consiste donc également à
valoriser leur travail, leurs références et leurs cultures.
Plus encore, rendre le participant acteur d'un projet
sous-entend qu'il sera amené à en comprendre les rouages et
confronté aux potentielles difficultés. Les adolescents, à
l'exception des classes spécialisées en art, ont une connaissance
très partielle, voire nulle des métiers qui composent le secteur
du spectacle vivant. Certains sont facilement identifiables :
comédiens,
199 Projet mis en place et co-construit par la scène
conventionnée Derrière le Hublot et le Collectif
Balle Perdue.
200 MONMEGE-GENESTE, Camille. Directrice du Labo des
cultures. Entretien annexe 6 p 134.
51
metteurs en scène, éclairagistes, ... D'autres
au contraire sont méconnus de ces publics car ils sont
généralement moins visibles : programmateurs, médiateurs
culturels, administrateurs, ... Avec la mise en place de son projet, Les
infiltrés, Gurval Reto souhaite amener le groupe de pré-ados
participants à se confronter à ces questions : Qu'est-ce que cela
veut dire programmer ? Pour qui je le fais ? Quelle action de médiation
je peux mettre en place ? Après avoir participé à
Avignon, enfants à l'honneur201, mis en place par
Scènes d'enfance-Assitej France202, le groupe
d'enfants s'accordera et désignera lequel des spectacles auxquels ils
ont assisté sera programmé au sein du THV lors de la saison
suivante. Ils seront aussi impliqués et responsables des autres missions
gravitant autour de la venue de la compagnie choisie : la rédaction des
textes pour la plaquette avec la personne en charge de la communication, la
mise en place de l'installation son et lumière avec le technicien, ...
Devenir acteurs d'un projet implique donc d'amener ces publics à en
comprendre les rouages ainsi que les difficultés, démarche assez
rare dans les projets structurés entièrement en amont et servis
clef en main aux bénéficiaires.
Le précèdent exemple me permet donc de faire
une transition avec une autre idée : permettre à des adolescents
de devenir acteurs au sein d'un projet c'est aussi les responsabiliser en leur
permettant d'assumer leurs décisions. En effet, lors de ces projets,
l'adolescent participe à la prise de décision et est amené
à assumer ses choix. « On essaie de les impliquer totalement
dans la prise de décision et d'assumer le choix d'un spectacle.
Peut-être que demain certains de leurs camarades leur diront « je
n'ai pas aimé » et oui, ça veut dire quoi « je n'ai pas
aimé » ? ».203 Rendre les adolescents acteurs
permet donc bien de les responsabiliser et de les amener à assumer leurs
choix.
2.1.2. Les différents médiateurs : la
nécessité de la co-construction
Comme souligné en introduction, une des thèses
que je souhaite défendre à travers ce mémoire est la
suivante : les professionnels de la culture ne sont pas les seuls à
pouvoir faire office de médiateurs. Professeurs, animateurs
socioculturels, éducateurs peuvent également revêtir cette
fonction. J'entends ici que leurs fonctions sont complémentaires et que
la médiation peut être vue comme un objet transversal. «
En fait un éducateur est autant un médiateur culturel
qu'un
201 Initié en 2015 dans le cadre de la Belle
Saison avec l'enfance et la jeunesse, ce projet réunit chaque
année 500 enfants venus de toute la France durant trois jours au
festival d'Avignon.
202 Association professionnelle du spectacle vivant jeune
public.
203 RETO, Gurval Reto. Entretien annexe 1 p 109.
52
chargé des relations publiques dans un
théâtre. Ils font la même chose, ce n'est pas le
médiateur qui va faire un pont. Ils ont des fonctions miroirs et
complémentaires »204. Il y aurait donc un
réel intérêt pour les professionnels du spectacle vivant
à coconstruire des projets avec d'autres corps de métiers.
Evidemment, force est de reconnaitre que les différentes entités
inclues dans ce processus ne disposent pas toutes du même temps à
consacrer à ce projet. S'y ajoutent des objectifs respectifs qui ne
concordent pas forcément. Co-porter chaque projet serait alors une
lourde tâche. L'un des médiateurs est donc
régulièrement à la genèse de l'action. Mais en
proposant des réunions régulières, en communiquant avec
ses partenaires sur l'avancée du projet, le médiateur ayant
impulsé cette action permet aux autres adultes référents
de s'emparer du projet. Cela peut notamment permettre à chacun de
formuler ses objectifs respectifs et ses envies afin d'essayer de les faire
concorder pour qu'ils évoluent dans la même direction. «
C'est à deux, même à trois avec l'artiste, que l'on va
pouvoir coconstruire un projet cohérent. Ce qui marche c'est les projets
qui ont été conçus, portés et imaginés
dès le début par l'ensemble et ce qui ne marche pas c'est lorsque
nous, médiateurs, on a un projet clef en main que l'on veut absolument
que ça rentre dans notre cadre rond alors qu'eux, ont un carré.
Alors que dès qu'on le construit en sur mesure et que chaque membre
s'empare du projet et se sent co-médiateur du projet de A à Z,
c'est là que ça fonctionne. »205
Dans les projets participatifs, notamment avec des
adolescents, une co-construction peut s'avérer efficace, voire
nécessaire. « Si à un moment on souhaite que le
spectacle vivant entre dans [la] vie [du jeune], il faut que tout
l'écosystème aille dans le même
sens.»206 En effet, chaque entité incluse dans le
projet dispose d'outils, de compétences et de connaissances qui lui sont
propres. Alors que le médiateur culturel connait parfaitement la
structure dans laquelle il travaille, le professeur de son côté
côtoie ses élèves. Par exemple, il peut supposer quel
adolescent est susceptible d'être un élément moteur du
projet ou quel type d'action peut fonctionner avec cette classe. Mais le
professeur peut à l'inverse exprimer le souhait d'acquérir des
outils lui permettant de faire un lien pertinent entre l'action proposée
et son cours. Il est donc réellement pertinent de travailler sur ces
binômes. Dans le cadre du dispositif Grandir avec la culture, Le
Grand T207 met en place différentes formations
à destination des professeurs
204 MONMEGE-GENESTE, Camille. Directrice du Labo des
cultures. Entretien annexe 6, p 130.
205 Ibid. p 134.
206 COUREL, Anne. Entretien annexe 2 p 114.
207 Le Grand T est principalement financé par
le département de Loire-Atlantique et met en place de nombreuses actions
en faveur des collégiens.
53
en collèges. Chacune d'elle est menée par et
avec les artistes d'un des spectacles auquel le professeur participant
amènera sa classe. L'objectif est donc bien, comme soulève
Jean-Claude Gal de reconnaitre le professeur en tant que médiateur :
« Un professionnel du rapport avec les adolescents, compétent
dans son domaine particulier, mais pas « omniscient »
»208. Au-delà de la fonction du professeur, un des
facteurs qui rend possible la co-construction est son appétence et son
engagement dans ces actions. S'y ajoute parfois le projet de
l'établissement scolaire qui peut lui-même aller dans ce sens.
Il faut également souligner que les artistes, qu'ils
soient danseurs, comédiens, musiciens ou autres sont des
spécialistes de leur discipline et que les formations qu'ils suivirent
n'eurent pas pour vocation de les former à la mise en place d'actions de
médiation. Leur connaissance des publics est donc extrêmement
partielle. Bien que cela puisse paraitre limpide, force est de reconnaitre que
les compagnies auxquelles il est demandé d'être attentives
à ces enjeux de médiation sont de plus en plus nombreuses. Ainsi,
Marie-Christine Bordeaux209 dans son texte La médiation
culturelle dans les arts de la scène : avancées et
résistances emploie le terme d'auto-médiation : «
Je désigne par ce terme la médiation réalisée
par les acteurs eux-mêmes à propos de leur création. Alors
que la communication est confiée de bout en bout à des
professionnels spécifiques, le temps de la rencontre avec des publics
potentiels ou des publics déjà présents dans les salles
est mis en place par les chargés de médiation mais pris en charge
par les artistes. »210 Il faut souligner que ces derniers
ne possèdent pas forcément les compétences en interne pour
répondre à ces sollicitations de médiation. Le collectif
Lacavale, compagnie que j'ai choisi d'analyser pour ce travail, s'avère
être un contre-exemple car les artistes qui la composent manifestent
depuis leur début une appétence pour les publics adolescents :
Julie Ménard prit en charge durant plusieurs années des ateliers
avec des enfants et des adolescents, plusieurs membres de l'équipe
furent animateurs jeunesse, ... En plus de valoriser à juste titre leur
travail, ces expériences diverses ont apporté au collectif
Lacavale une réelle connaissance de ce public. Cependant, les compagnies
du spectacle vivant ne disposent
208GAL, Jean-Claude. Un théâtre
et des adolescents. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise
Pascal, Service Universités Culture, 2006. Parcours Pluriels. P48.
209 Chercheuse au Gresec, maitre de
conférence et chargée de mission pour la culture et la culture
scientifique à l'Université de Grenoble.
210 BORDEAUX, Marie-Christine. La médiation
culturelle dans les arts de la scène : avancées et
résistances. In Fanny Serain, François Vaisse, Patrice
Chazottes, Elisabeth Caillet (dir). La médiation culturelle,
cinquième roue du carrosse ? , 2016, Paris : L'Harmattan
(collection Patrimoines et sociétés). P134.
54
pas toutes de cette expertise et des compétences
relatives aux médiateurs culturels, aux animateurs ou même aux
éducateurs. « Les artistes ne peuvent pas tout faire, c'est
aussi pour cela qu'il faut des médiateurs. [...] C'est tellement un
énorme boulot qu'il faut forcément une alliance, des gens qui
rendent possible la rencontre, qui la suivent, qui la prolongent, qui soient
très ouverts et performants au moment de la rencontre. Il faut un monde
fou pour que ça marche tout cela. On ne peut pas demander aux artistes
de tout faire. »211
Coconstruire un projet permet également de croiser et
de multiplier les regards. S'y ajoute la possibilité de se requestionner
sur ses pratiques respectives. Le médiateur culturel est par essence
convaincu de la nécessité de son poste. Proposer des actions
à des publics qui peuvent être éloignés des lieux de
culture lui semble donc évident. Pourtant, éducateurs,
professeurs, animateurs peuvent être dans d'autres
réalités. Croiser les regards semble alors pertinent car cela
permet d'entendre le point de vue de chaque entité et de comprendre dans
quelle réalité elle évolue, quels sont ses objectifs et
ses priorités. De plus, la co-construction permet de se questionner sur
le vocabulaire utilisé souvent spécifique à chaque
secteur. Les mots « résidences »212 ou encore
« processus de création »213 sont
fréquemment utilisés par les professionnels des secteurs du
spectacle vivant et de la culture. Cependant, force est de reconnaitre qu'ils
n'évoquent rien pour d'autres corps de métier. « Il faut
se former ensemble , apprendre à se connaitre, à avoir un
vocabulaire commun, à bien dessiner un projet avec les
disponibilités des uns et des autres»214.
Cette partie a donc souligné que
l'intersectorialité était pertinente dans la construction de
projet participatif avec des adolescents. Co-porter des projets avec des corps
de métiers n'ayant, en temps normal, par forcément l'occasion de
travailler ensemble s'avère intéressant. Bien entendu, il est
important de préciser que cette analyse est encore assez
théorique voire utopique. Ce fut une volonté de mettre en
lumière des éléments pouvant être utiles voire
décisifs dans une bonne co-construction. Cependant, il faut souligner
que la co-construction est souvent liée à une question de
personne. En effet, elle repose énormément sur l'engagement et la
capacité à travailler ensemble des différents
partenaires.
211 COUREL, Anne. Entretien annexe 2 p 114.
212 Désigne un laps de temps où un artiste ou
un collectif d'artiste est accueilli dans un endroit dédié afin
de créer ou de mettre au point un futur travail : écriture,
spectacle, tableaux, ...
213 Désignant l'intégralité des
étapes permettant de mettre au point une oeuvre.
214 MONMEGE-GENESTE, Camille. Directrice du Labo des
cultures. Entretien annexe 6 p 134.
55
2.1.3. Les institutions : un besoin de désacralisation
Depuis le début de ma réflexion, j'ai
formulé une volonté de me pencher sur la place des institutions
dans le partage de la gouvernance. C'est ainsi que j'ai pu déceler et
identifier un besoin de désacralisation215 irrigué par
un désir de démocratisation culturelle. Lors des réunions
que le Théâtre Dunois a menées durant l'année 2017,
il fut soulevé qu'une communication et qu'une action de médiation
pertinente n'était pas suffisantes pour susciter l'envie et la
curiosité des adolescents216. Ouvrir les lieux culturels en
dehors des programmations peut permettre à ces publics de les
découvrir librement et de se réapproprier ces espaces. La
première partie a mis en évidence que la continuité et le
désir de conservation des institutions culturelles était l'une
des caractéristiques de la politique culturelle française et que
les publics adolescents sont peu demandeurs voire parfois réticents au
fait d'aller dans une institution culturelle. C'est en 1973 que Francis
Jeanson217 théorisa la notion de « non-public
»218 qui est « même assez contesté
aujourd'hui, dans la mesure où elle a pour conséquence de faire
porter le poids de la « faute culturelle » sur les individus absents
des lieux institutionnels de culture »219. En effet, de
nombreux adolescents ne perçoivent ces institutions qu'à travers
les clichés qu'elles véhiculent. De fait, ces publics ont
régulièrement été considérés comme
des « non-publics ». Pourtant force est de constater que les
adolescents multiplient les activités culturelles mais l'essentiel de
ces pratiques se déroule dans le cadre privé.
Si les structures culturelles souhaitent mobiliser et
sensibiliser ces publics, il semble pertinent de s'interroger sur la logique de
construction et le type de gouvernance qu'elles affirment. C'est donc à
ces dernières de se questionner sur l'image qu'elles souhaitent
véhiculer et la place qu'elles veulent attribuer aux différents
publics. « Moi je travaillais pour le TNBA220. Souvent on
disait : « c'est le théâtre de la cité, il appartient
à tous ». Sauf qu'il appartient à tous mais finalement qui
est ce qui décide de ce qu'il y a dans ce TNBA, qui le dirige et qui
choisit les
215 Dépouiller quelque chose de son côté
sacré.
216 Théâtre Dunois. Comment donner envie aux
publics adolescents de se rendre dans une institution culturelle par
eux-mêmes ? Compte-rendu de réunions des chargés des
relations publiques, 2017. Première réunion datant du 16/01/2017.
P1.
217 Philosophe français.
218 « [U]ne immensité humaine composée
de tous ceux qui n'ont aucun accès ni aucune chance d'accéder
prochainement au phénomène culturel. » Issu de :
JEANSON, Francis. L'action culturelle dans la cité. Seuil, 1973.
219 BORDEAUX, Marie-Christine. Il n'y a pas de public
spécifique. In Françoise Liot (dir). Projets culturel et
participation citoyenne. Le rôle de la médiation et de l'animation
en question, 2010, Paris : l'Harmattan. Animation et territoires. 2010.
P38.
220 Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine.
56
projets et les spectacles ? Ce sont des experts qui ont
été labellisés comme ayant une expertise pour programmer
ce qui se passe à l'intérieur. Et les gens n'ont pas de pouvoir
pour dire ce qui se passe à l'intérieur et n'ont pas d'espace
pour s'exprimer et pour changer les directions que pourrait avoir un
théâtre ».221
Pour nous questionner sur cette logique de construction et
sur le besoin de désacralisation de la part des institutions, et plus
spécifiquement des théâtres, j'ai choisi de m'appuyer sur
l'exemple du Préau. Ce CDN a comme caractéristique de partager
son hall avec un cinéma. Cette particularité favorise l'ouverture
de la structure en journée et permet aux publics d'accéder au
hall en dehors de la programmation du théâtre. A l'image du nom
qu'il porte, Le Préau est devenu un réel foyer collectif
où les jeunes des établissements scolaires voisins viennent en
journée pour profiter de l'espace bar, du piano mis à
disposition, des expositions dans les coursives, ... « L'idée
c'était vraiment ça : les ados venaient au Préau
pas dans l'idée que c'est un théâtre mais parce que
c'est sympa [...] c'était l'endroit où tu retrouvais tout le
monde. Ils ne se rendaient pas forcément compte qu'ils étaient
dans un théâtre donc il y avait tout un travail de l'équipe
sur comment utiliser cette présence-là. La plupart des lieux
communiquent mais n'ont pas ce public-là dans le hall. Au
Préau c'était différent, il y avait ce public
dans le hall mais il était indifférent à l'objet
théâtral ».222 Devenu un espace de
cohabitation entre adolescents et professionnels, ce CDN s'avère
être un espace familier pour ces jeunes. Sous l'ancienne direction,
Pascal Banning, alors responsable de l'équipe des relations publiques,
mettait en place ce qu'il qualifiait de « médiation directe »
: il discutait avec les adolescents présents, les amenait voir des
répétitions, leur montrait les coulisses, ...
Ouvrir les institutions en dehors des programmations est bien
l'un des facteurs pouvant permettre aux institutions de désacraliser
l'image qu'elles véhiculent. Cela illustre également que les
institutions n'ont pas comme objectif premier de faire accéder chaque
public à une culture élitiste et universelle. Elles doivent au
contraire, comprendre et valoriser les envies de chacun des différents
publics en leur proposant des actions adaptées à leurs besoins.
De plus, en permettant à ces adolescents d'accéder
continuellement au hall, l'équipe de ce CDN a favorisé la mise en
place d'une relation pérenne entre ces publics et les adultes qui y
travaillent.
221 MONMEGE-GENESTE, Camille. Directrice du Labo des
cultures. Entretien annexe 6 p 131.
222 BODEREAU, Solène. Anciennement chargée des
relations publiques au CDN Le Préau. Entretien annexe 5 p
126.
57
Dans la même lignée, Lucie Berelowitsch
désire elle aussi instaurer une relation privilégiée entre
ces adolescents et l'équipe artistique. Elle a également
identifié que ce hall pouvait être un espace propice pour
favoriser la rencontre entre ces deux entités. « C'est une
volonté aussi de Lucie Berelowitsch d'intégrer ces ados, que ce
ne soit pas seulement une salle de permanence, une annexe à
l'établissement scolaire mais que ce soit des jeunes qui se rendent
compte qu'ils sont dans un théâtre aussi et qu'ils peuvent faire
vivre ce lieu en dépassant ce côté
accueil».223 L'équipe actuelle aimerait notamment
profiter de cet espace pour mettre en place en amont du festival A
Vif, un stand animé par les membres de l'équipe des
relations publiques. Ce dernier aurait pour objectif d'informer et de
sensibiliser les jeunes à cet événement. «
Cà s'inscrit dans de la médiation directe mais assez informelle
aussi. S'ils n'ont pas envie de parler du festival mais juste
d'échanger, et de créer du lien c'est aussi
çà.»224 C'est donc une volonté de
l'équipe actuelle de pérenniser la relation entre adolescents et
adultes, illustrée ici par cet exemple de médiation In situ.
L'exemple du Préau est donc révélateur
car il met en lumière l'intérêt que peuvent avoir les
institutions à se questionner sur l'image qu'elles véhiculent.
Plus encore, il souligne que lorsque les adolescents se sentent invités
à investir les institutions, ils sont capables assez naturellement de
s'approprier par eux-mêmes des espaces et des projets.
2.1.4. La place du département : l'articulation de son
rôle au sein de ces
enjeux
« Quand on est dans la posture de celui qui
coordonne les dispositifs, que ce soit à l'échelle d'un
établissement scolaire, d'un bassin de formation, d'un
département, d'une académie et plus encore, on est plus dans
l'émotion première de la création avec des jeunes et des
artistes, pas non plus dans la vanité d'un deus ex machina, d'un
marionnettiste qui détiendrait toutes les ficelles par
l'éphémère pouvoir de budgets à répartir, on
est dans la recherche d'une co-construction permanente, avec les services de
l'Etat, les collectivités territoriales et les partenaires associatifs
pour l'équité des parcours d'éducation artistique et
culturelle qui pourront être proposés aux jeunes des territoires
dont on a la charge »225
223 DAVODEAU, Adèle et Enora THIVILLIER.
Chargées des relations publiques au CDN Le Préau.
Entretien annexe 4 p 121.
224 Ibid. p 225.
225 PEREZ, Andrée. IN : GAL, Jean-Claude. Un
théâtre et des adolescents, Tome 2. Clermont-Ferrand :
Presses Universitaires Blaise Pascal, Service Universités Culture, 2019.
Parcours Pluriels. P41.
58
Dans Un théâtre et des adolescents tome 2,
c'est ainsi qu'Andrée Perez, cheffe d'un établissement
scolaire qualifie la responsabilité des différents professionnels
coordonnant les dispositifs. Pour clôturer cette partie portant sur les
différents acteurs, j'aimerais me pencher sur le département et
la place qu'il peut occuper au sein de ces enjeux. Afin de m'aider dans mon
analyse, je m'appuierai sur celui de Loire-Atlantique et plus
spécifiquement sur le dispositif Grandir avec la culture.
Rédiger une partie sur cet acteur peut sembler surprenant, car le
département agit à une toute autre échelle que ceux
précédemment présentés. Contrairement aux
médiateurs, les responsables des dispositifs départementaux n'ont
pas la possibilité d'interagir avec les publics adolescents. Cependant,
comme souligné par Andrée Perez ci-dessus, mettre en place des
dispositifs demande de comprendre les besoins des différents acteurs et
des publics bénéficiaires dans l'optique de leur proposer des
actions pertinentes. En effet, il est possible d'identifier un écueil
dans le sens où l'influence des différents financeurs est souvent
oubliée dans les réflexions sur la co-construction et le partage
de la gouvernance. Cependant, elle est considérable car elle a des
répercussions sur les projets globaux, les cahiers des charges et les
actions des structures. Inscrire une analyse du département dans mon
mémoire contribue donc à développer une vision plus large
de l'articulation des enjeux du partage de la gouvernance.
Il est important de souligner qu'à partir de 2015, la
loi NOtre226 supprima la clause de compétences
générales227 des départements.
C'est-à-dire que depuis cette date, la culture est incluse dans le champ
des compétences qu'il partage avec les communes et les régions.
Cependant, en ce qui concerne l'éducation, les
collèges228 font parties des compétences obligatoires
du département. Les élèves compris entre la sixième
et la troisième constituent l'intégralité de la tranche
d'âge à laquelle s'intéresse ce travail. Favoriser
l'accès des collégiens à la culture s'avère
être depuis plusieurs années au coeur du projet du
département de Loire-Atlantique. Sur le plan scolaire229,
cette volonté se traduit à travers le plan Grandir avec la
culture. Bien que la Loire-Atlantique ne soit pas le seul
département à disposer d'un plan en faveur de l'éducation
artistique et culturelle, force est de constater mais le sien est
particulièrement bien structuré. S'y ajoutent de nombreux
partenariats avec de grandes têtes de
226 Loi du 7 août 2015. Nouvelle organisation territoriale
de la République.
227 Accordant aux départements une large
capacité à justifier leur décisions et à intervenir
sur de nombreux domaines.
228 Construction, entretien, ...
229 Sur les temps extra-scolaires, le département
soutient d'autres actions notamment avec Le plan départemental des
enseignements et pratiques artistiques en amateur.
59
réseaux : Le Grand T, le VIP230,
... « Grandir avec la culture c'est vraiment un dispositif qui est
très connu et qui irrigue tous les collèges de Loire-Atlantique.
»231 Depuis 2006, ce dispositif propose des offres
gratuites d'EAC. Ces dernières sont généralement à
destination des collégiens mais certaines, dans l'optique de
répondre aux mieux aux différents besoins, s'élargissent
à d'autres établissement scolaires232.
« Aujourd'hui on est dans un plan 2018-2022 et notre
collectivité se questionne, tout comme vous, sur la participation
citoyenne et comment l'adolescent, les collégiens, les
collégiennes pourraient mieux participer à nos dispositifs EAC.
Cette question, elle s'est posée par Perrine Châtelet233.
»234 En effet, en novembre 2019, un document recensant les
objectifs de Mon parcours collège, démarche
initiée par Perrine Chatelet, parut à la suite d'une concertation
lancée en janvier de la même année. Un questionnaire en
ligne permettait alors aux collégiens de Loire-Atlantique et à
leurs parents de mentionner les manques et leurs attentes relatives à
leur parcours entre la 6ème et la 3ème.
L'objectif était non seulement de comprendre les besoins et les attentes
de ces publics, mais aussi de se questionner sur comment le département
et les structures partenaires pouvaient y répondre. Dans le bilan de
cette étude, la culture constitue l'un des quatre grands thèmes
sur lesquels le département s'interroge. Cette démarche mit
également en lumière que les collégiens aspiraient
à la mise en place de dispositifs moins verticaux et professoraux.
« Renforcer les modalités d'implication des
collègien.ne.s
dans les actions qui leur sont destinées, en les associant à leur
conception et à leur évaluation »235 fait
partie des objectifs inclus dans l'axe 5 de ce dossier : poursuivre la
démarche participative. Dans cette optique, Edith
Coutant236 se questionne actuellement sur le plan 2022-2026 de
Grandir avec la culture. C'est lors de notre entretien qu'elle
m'exprima sa volonté de multiplier les projets participatifs à
destination de ces publics. « Il faut qu'on travaille à quel
stade ils [les adolescents] sont associés : à un stade
d'information, de consultation, de décision... C'est important de pas se
leurrer et d'embarquer dans un faux participatif des élèves.
»237
230 Scène de musiques actuelles de Saint-Nazaire.
231 COUTANT, Edith. Entretien annexe 8 p 140.
232 Lycées, écoles primaire, ...
233 Chargée du projet éducatif
départemental
234 Ibid. P140.
235 Dir. Châtelet Perrine. Mon Parcours
collège. Le projet éducatif départemental. Un
engagement du département Loire-Atlantique. Novembre 2019. P11.
236 Chargée de l'éducation artistique et
culturelle en Loire-Atlantique.
237 COUTANT, Edith. Entretien annexe 8 p 141.
60
Des projets incluant les enjeux de la participation commencent
progressivement à être imaginés. Deux furent
mentionnés durant notre entretien :
· Participation des collèges aux 1%
artistiques238
· En cour(s) d'utopies239.
Le département a donc bien un rôle à
jouer dans les projets participatifs à destination des adolescents et
peut même devenir un soutien pour les autres professionnels
désireux de travailler avec ces publics. Les différents niveaux
dialoguent entre eux et les enjeux du partage de la gouvernance s'y croisent.
Une co-construction entre financeurs et financés pourrait donc
être possible mais s'articulerait différemment que celles
proposées dans l'axe Les différents médiateurs : la
nécessité de la co-construction.
Cette partie a donc présenté et analysé
la place des différents acteurs au sein des projets participatifs
à destination des adolescents. L'objectif des divers professionnels lors
de la mise en place d'actions de ce type est de permettre aux publics
bénéficiaires de devenir acteurs des projets. Les
médiateurs, qu'ils soient issus de la culture ou du social, gagnent
à échanger et à travailler ensemble afin de mettre en
place des projets pertinents. D'un autre côté, les institutions
sont garantes de l'image qu'elles véhiculent auprès des jeunes.
Ouvrir ces structures en dehors des horaires de la programmation peut permettre
aux différents publics de s'y intéresser et de s'approprier les
espaces. Pour finir, le dernier axe a souligné que le département
avait lui aussi un rôle à jouer dans les enjeux de participation
au sein des projets à destination des collégiens.
2.2. L'articulation des enjeux du partage de la
gouvernance avec les adolescents dans des projets qui leurs sont
destinés.
Après avoir présenté les
différents acteurs mobilisés lors des projets participatifs avec
des adolescents, cette sous-partie sera dédiée à analyser
comment les enjeux du partage de la gouvernance s'y développe. Pour
cela, elle s'appuiera sur les quatre actions sélectionnées et
238 Des représentants des élèves seront
invités à participer aux comités artistiques dans le but
de co-construire le cahier des charges et déterminer, à partir
des projets auditionnés, l'artiste ou l'équipe artistique qui
sera sélectionné.
239 Démarche basée sur une réflexion et
une conception participative mêlant des élèves de
6ème et de 3ème d'un même établissement.
61
exposées en première partie. Les projets
participatifs avec des adolescents se mettent en place sous des formes
multiples : festivals, spectacles participatifs, conseils des jeunes,
ambassadeurs jeunes au sein des structures, ... En réalité, il
n'existe pas d'outil type ou même de démarche idéale pour
intégrer des adolescents dans la conception des différents
projets. La mise en place et la réussite de ces projets résident
dans le rapport que les professionnels souhaitent instaurer avec les
adolescents et la place qu'ils leur dédient au sein des projets.
Cependant, force est de constater que certaines tendances se dégagent.
En effet, il est possible de retrouver des similitudes entre les
différents projets participatifs. Mon souci sera donc de mettre en
évidence ces aspects favorisant la mise en place du partage de la
gouvernance. Ils seront largement étayés par les quatre projets
sélectionnés.
2.2.1. Repenser la relation entre adultes et adolescents
Tout d'abord, il me semble pertinent de repenser la relation
entre adultes et adolescents durant les projets à destination de ces
publics. Aspirer à plus d'horizontalité semble être un
aspect primordial voire un facteur de réussite au sein des projets
participatifs. En effet, les professionnels que j'ai pu rencontrer et les
divers ouvrages que j'ai eu l'occasion de lire mettaient largement cela en
évidence. « Avec un adolescent, il faut être encore plus
complice qu'avec un comédien professionnel car, au moment où il
« s'oublie », où il s'abandonne vraiment à son
personnage, son investissement est d'une intensité unique.
»240 Pour illustrer cet aspect, j'aimerais me pencher sur
l'exemple du collectif Lacavale. Bien évidemment, ils ne sont pas les
seuls professionnels à repenser cette relation mais les outils qu'ils
utilisent sont, à mon sens, particulièrement inspirants. A la
suite de nombreuses années à côtoyer ce public, les membres
du collectif Lacavale sont arrivés au constat suivant : la parole des
adolescents continue à être mise en doute et la prise en
considération de leurs avis reste partiel. Ce sont les adultes qui
régissent et gouvernent leur vie et rares sont les occasions qui
permettent un dialogue « d'égal à égal » entre
ces deux entités. « Il nous semble aussi nécessaire
d'écouter ce que les jeunes ont à dire. De les prendre au
sérieux, de les stimuler et de les accompagner dans la prise de la
parole. Le monde qui se dessine pour les ados est inquiétant : les
réformes scolaires, l'état de la planète, la
précarité du travail. Les ados d'aujourd'hui sont loin
d'être insensibles à ces questions et nous considérons
Les choses en face comme un moyen de faire
240 GAL, Jean-Claude. Un
théâtre et des adolescents. Clermont-Ferrand : Presses
Universitaires Blaise Pascal, Service Universités Culture, 2006.
Parcours Pluriels. P38.
62
entendre leurs voix, leurs cris, leurs colères,
leurs espoirs et leurs croyances. »241 Ce fut donc une
volonté, de la part des artistes du collectif, d'engager
réellement des adolescents sur leurs projets et de leur permettre de
s'exprimer sur des sujets d'ordre social et politique : les violences
conjugales, le racisme, le terrorisme, ... Leur volonté était la
suivante : ne pas laisser les adultes s'exprimer à la place de ces
jeunes.
En ce qui concerne la relation qu'entretiennent adolescents
et adultes, il est important de souligner que les participants ne sont pas
seulement des comédiens-exécutants au service de la mise en
scène des artistes. Au contraire, le collectif tente d'engager
pleinement les adolescents dans le processus de création. C'est donc une
volonté que de leur transmettre des outils, de les former sur des
aspects techniques : prise de son, montage vidéos, mise en scène,
... Les différentes versions des Choses en face ont donc permis
aux jeunes participants d'entrer et de s'approprier le processus de
création d'une production, et à l'inverse, au collectif de se
nourrir de la pertinence des réflexions des adolescents. Il est
également important de noter que durant les temps de débats et de
recherches, les artistes du collectif se livrent autant que les adolescents sur
les sujets traités : ils expriment aux jeunes leurs doutes, leurs
questionnements... La prise de décision est donc commune et n'est pas
subie par les adolescents. Montrer aux participants que leurs voix et leurs
idées ont de la valeur est donc extrêmement important lorsqu'ils
sont engagés dans un projet.
Lors de la première rencontre avec les jeunes, les
membres du collectif ont également instauré un temps
d'échange individuel filmé avec chaque adolescent. «
Déjà on va toujours interviewer chaque adolescent
individuellement. C'est toujours en parallèle. C'est-à-dire qu'il
y a le groupe qui est souvent avec Chloé et Julie qui viennent vraiment
du théâtre. Et en parallèle on va s'entretenir avec un
jeune durant trente minutes. A la fois, une partie de l'équipe rencontre
un groupe et commence à fabriquer un truc en groupe avec eux. Et nous
individuellement on fabrique un autre truc. »242 Si j'ai
souhaité mentionner et même souligner ce point, c'est qu'il m'a
paru particulièrement innovant. D'une part, les membres du collectif
parviennent à constituer un nouveau groupe et dans un même temps,
commence à instaurer une relation privilégiée avec chaque
participant. Cet aspect, assez rare pour être mentionné, favorise
la mise
241 DROUET, Nicolas, D'HEYGERE, Antoine, MARION, Erwan, MENARD,
Julie. PUEYO, Clara-Luce et Chloé SIMONNEAU. Les choses en face.
Projet artistique. Collectif Lacavale. Théâtre documentaire
& participatif. Le Préau CDR. P7.
242 DROUET, Nicolas. Collectif Lacavale. Entretien annexe 3 p
119.
63
en place d'une relation horizontale avec l'adolescent. Ce
dernier commence, dès la genèse du projet, à se sentir en
confiance avec les artistes référents et à se construire
des souvenirs individuels avec eux. Dans le premier tome d' Un
théâtre et des adolescents, Jean-Claude Gal fait part au
lecteur de sa volonté de consacrer des moments individuellement avec les
différents adolescents engagés dans ses projets. Il était
conscient que cet aspect renforcerait la relation qu'il entretenait avec chacun
d'eux et lui permettrait d'identifier leurs besoins et leurs envies respectifs.
Cependant, le temps lui manquait pour consacrer des moments
privilégiés à chacun. C'est donc en multipliant le nombre
d'adultes référents sur Les choses en face que le
collectif Lacavale peut mettre en place ces rencontres individuelles avec les
participants. Elles contribuent entre autre à renforcer la relation
entre adultes et adolescents et à la pérenniser. Il est pertinent
de rappeler que lors des projets à destination des adolescents, la
construction du groupe est primordiale. Le jeune participant revendique le
besoin de se sentir appartenir au groupe, mais dans un même temps
souhaite être identifié en tant d'individu à part
entière par les adultes du projet et les autres adolescents. La relation
entre adultes et adolescents instaurée par le collectif est bien l'un
des facteurs qui a favorisé la mise en place des enjeux de la
gouvernance et de la démocratie participative au sein de ce projet.
2.2.2. Responsabiliser les adolescents
Un autre facteur important pouvant favoriser la
réussite d'un projet participatif est la responsabilisation des
participants. Force est de constater que ce point résonne
forcément avec le paragraphe ci-dessus mais également avec la
sous-partie les adolescents : acteurs et non consommateurs. Cependant,
les différents projets sélectionnés proposent
également des pistes de réflexions dont il est possible de
s'inspirer pour un potentiel futur projet. Si je me tourne une nouvelle fois
vers l'exemple du collectif Lacavale, je peux constater que mobiliser des
adolescents sur des sujets de sociétés contribue à les
responsabiliser.
« Pour Les choses en face 2, on avait
interviewé la présidente des femmes maliennes du quartier dans
lequel on était et donc elle nous parle de pleins de trucs super
intéressants sur la place des femmes, [...] Et là l'interview
finit par une remarque extrêmement homophobe de sa part. [...] Mais face
à cela les jeunes assurent, ils sont outrés mais toujours dans
l'échange, la discussion. Sauf qu'après nous on se dit : on fait
un spectacle qui va être diffusé dans différents endroits
[...]. Alors qu'est-ce qu'on fait de cette parole ? Qu'est-ce qu'on a envie de
montrer ?
64
Et çà, çà a été
en discussion avec les jeunes et c'est le genre de moment qui les
responsabilise »243.
Cet exemple mis en lumière par Nicolas Drouet souligne
que les adolescents sont autant exposés que les adultes au racisme, aux
violences, au terrorisme ainsi qu'à d'autres sujets de
société. Le nier peut indéniablement
déresponsabiliser ces publics. En intégrant les adolescents lors
de ce temps de parole, les membres du collectif leur indiquent qu'ils ont eux
aussi une responsabilité face à ces sujets et qu'ils peuvent
émettre un avis.
Pour terminer avec l'exemple de ce collectif, accueillir au
sein des projets des adolescents d'âges divers (entre 11 et 17 ans) peut
générer la possibilité suivante : responsabiliser les
participants plus âgés vis-à-vis des plus jeunes. Les plus
grands peuvent aider sur certains aspects, et à l'inverse, les plus
petits s'inspirer de l'expérience des plus âgés. Les
membres du collectif s'appuient donc sur les plus âgés et mettent
en place des binômes mélangeant les différentes tranches
d'âges.
En ce qui concerne l'association Comète,
c'est une volonté de pérenniser les printemps
hébergés244. C'est-à-dire que l'ensemble des
participants et leurs professeurs sont logés sur place, en auberge de
jeunesse ou au camping. « C'est aussi une expérience de vie
pour les élèves. [...] Et puis une expérience de vie
collective avec une certaine liberté vu qu'ils doivent aller d'un lieu
à l'autre : le lieu de l'atelier à la cantine, à
Athanor à pied entre eux,... Ils s'organisent. [...] Les
collégiens qui vivent ces printemps grandissent parce qu'ils font du
théâtre, parce qu'ils en voient, et parce qu'ils ont plus
d'autonomie. »245 Bien que ce point ne soit pas
directement lié aux enjeux de gouvernance, force est de constater qu'il
favorise la responsabilisation des élèves, indispensable pour les
engager par la suite dans un processus de participation. Qu'ils soient inclus
ou qu'ils clôturent un projet, les voyages solidifient grandement le
groupe d'adolescents. En les coupant durant quelques jours de leur quotidien et
de leur famille, ces expériences favorisent la rencontre entre les
adolescents. S'y ajoute la
243 Ibid. p 120.
244 Les printemps hébergés furent
impulsés par l'association Vents et Marées. Plusieurs
associations ne mettent plus en place ces hébergements.
245 LE MOULLEC, Catherine. Comète. Entretien
annexe 7 p 137.
65
création de souvenirs. Le metteur en scène Wajdi
Mouawad246 avait d'ailleurs élaboré et pensé
son projet Avoir 20 ans en 2015247 autour de
différents voyages avec les jeunes participants.
Pour finir avec cette notion, j'aimerais me tourner vers le
projet Ce soir, je sors mon prof. Lorsque des élèves se
retrouvent contraints d'aller au théâtre dans le cadre scolaire,
il peut arriver qu'ils apprécient peu voire pas du tout la
représentation. Etant donné que cette dernière est
généralement choisie par l'enseignant, les élèves
déclinent, à juste titre, toute forme de responsabilité en
ce qui concerne le choix de la représentation. A l'inverse, dans le
projet Ce soir, je sors mon prof, les élèves ont
eux-mêmes sélectionné le spectacle auquel ils souhaitaient
assister. C'est-à-dire que si ce dernier ne leur plait pas, ils ne
pourront pas rejeter la faute sur le professeur car ils seront garants d'un tel
choix. Ils devront alors l'assumer et ne pourront pas décliner leur
responsabilité.
Cet axe a donc souligné la nécessité de
responsabiliser les adolescents lors des projets. Bien que la partie sur les
adolescents acteurs, avait d'ores et déjà abordé cet
aspect, le paragraphe ci-dessus a pu l'étayer en s'appuyant sur les
projets sélectionnés.
2.2.3. Mettre en place des temps spécifiques
J'ai également pu constater que diverses actions
mettaient en place des temps et des espaces pleinement dédiés
à la participation des adolescents. En effet, certains projets
sélectionnés ou recensés n'intègrent pas dans leur
ensemble les enjeux liés à la gouvernance et à la
démocratie participative. C'est notamment le cas des Printemps
théâtraux. En effet, ces projets peuvent sembler, au premier
abord, hors-sujet car la conception et la structuration du festival sont
entièrement pensées par des adultes et non par des adolescents.
Il est donc indéniable que la participation des élèves au
sein des Printemps théâtraux est plus partielle que dans
d'autres projets. Cependant, force est de constater que les différentes
journées du festival sont ponctuées par divers temps plus souples
et informels. C'est-à-dire des moments où les adultes
référents n'imposent ou ne proposent pas d'activités : les
élèves ont la possibilité de se balader dans la ville, de
se rencontrer... Inscrire des temps informels dans la journée de
l'adolescent est, comme mentionné en première partie,
extrêmement important dans la construction identitaire de ces publics.
S'ajoutent aux journées de ce festival d'autres moments que Catherine Le
Moullec
246 Homme de théâtre français, dirigeant le
Théâtre national de la Colline (Paris) depuis 2016.
247 Ce projet qui se déroula de 2011 à 2015
mobilisa 50 adolescents de cinq villes francophones. Il fut rythmé par
un voyage chaque année au mois de juillet.
66
qualifie de « temps spécifiques ». «
C'est des temps de pratique [...] on essaie de les mettre le plus possible
en groupe pour créer quelque chose par exemple tout seul pour rendre
compte de la journée [...]. Parfois dans Les Printemps des
lycéens, c'est les lycéens qui viennent nous demander : on
aimerait faire ça entre deux spectacles. Donc oui quand on voit qu'ils
sont à l'initiative de quelque chose on se dit
super.»248 L'équipe organisatrice est donc
extrêmement vigilante à laisser des temps plus souples aux
élèves afin de développer la prise de décisions et
les initiatives.
Bien que sur de nombreux aspects Les printemps
théâtraux n'intègrent pas les enjeux de la gouvernance
et de la participation des élèves, ce fut une volonté de
m'appuyer sur cet exemple. En effet, il démontre qu'il est possible dans
divers projets d'instaurer des temps de paroles, des moments que les
élèves peuvent organiser, ... Sans pour autant digresser et
remettre en cause la structuration du festival, les adultes
référents du projet sont attentifs à ces aspects. C'est
une volonté de leur part que les adolescents s'emparent de ces
Printemps selon leurs envies.
En ce qui concerne le festival A Vif, il est
perçu par Lucie Berelowitsch comme une opportunité pour renforcer
les temps participatifs et le partage de la gouvernance avec les adolescents.
« Le Festival ADO peut être un formidable outil pour
leur donner la parole et un cadre pour s'exprimer, en leur permettant
d'être acteurs, au centre de temps de rencontres, de confrontations
à d'autres adolescents, adultes et artistes, et à d'autres
disciplines. Il peut leur offrir une sortie hors du prisme pédagogique,
la possibilité de s'affranchir de la position d'élèves,
d'inventer, participer, créer ».249 Pour cela, elle
choisit de renforcer les actions donnant la possibilité à ces
publics de s'investir et en propose de nouvelles :
· Mise en place d'un jury des lycéens : des
adolescents choisiront certaines pièces qu'ils souhaiteraient programmer
au Préau durant le festival.
· Ouverture des outils numériques aux adolescents
: partage des réseaux sociaux avec les jeunes, rédaction du
contenu du site internet, ...
· Mise en place d'un groupe d'ambassadeurs d'adolescents
: communication auprès d'autres jeunes, accompagnement des artistes,
...
248 Ibid. p 138.
249 BERELOWITSCH, Lucie. Projet artistique. P14
67
Dans des projets préalables pensés entre
professionnels, il est donc tout à fait possible d'inclure des temps
dédiés à la participation des publics. A mon sens, chaque
projet, qu'il soit participatif ou non, peut identifier des moments propices au
partage de la gouvernance, au débat, à la prise en
considération des idées des participants, ... Ces deux exemples
sont donc pertinents car ils illustrent ce propos.
La présente sous-partie a donc détaillé
les outils utilisés par les projets choisis pour partager leur
gouvernance avec des adolescents. Bien que de grandes tendances se
dégagent, un outil ou même une démarche idéale pour
travailler avec ces publics n'existe pas. La méthodologie, l'envie de
travailler avec ces publics et de lâcher prise sont les premiers facteurs
de réussite de ces projets.
2.3. Les limites et les contradictions du partage de la
gouvernance lors de projets participatifs
Les différents entretiens que j'ai pu mener m'ont
permis d'affiner mon regard, d'identifier les enjeux propres aux projets
participatifs et le positionnement que pouvaient adopter les différents
acteurs. Cependant, ils ont aussi mis en lumière les limites que le
partage de la gouvernance pouvait présenter. Co-porter des projets, que
ce soit au sein d'une même équipe ou en direction de groupes
identifiés, fait partie intégrante des évolutions propres
au secteur culturel. Bien que ces initiatives soient appréciées
et démultipliées sur différentes échelles, elles
sont indéniablement plus compliquées et plus longues à
mettre en oeuvre qu'un projet proposé clef en main aux
bénéficiaires. C'est donc sur les différents facteurs
pouvant limiter l'action des projets participatifs que se clôturera cette
partie. La place de l'expertise au sein de ces projets sera dans un premier
temps mise en avant. Y sera ensuite développé la question du
temps et pour finir celle du cadre de l'action, notion se
révélant primordiale pour penser un projet.
2.3.1. Entre l'expertise et le partage de la gouvernance avec
les
adolescents : un juste équilibre à trouver
Il fut démontré, tout au long de ce travail,
que les projets participatifs engagent conjointement deux entités
différentes : des professionnels et des amateurs. Cela peut sembler
surprenant au premier abord car ces deux termes s'avèrent être des
antonymes. En effet, le professionnel est spécialiste de son
métier, a effectué des études en corrélation avec
son poste et évolue constamment au sein du secteur artistique. L'amateur
au contraire ne fait pas partie de ce corps de métier et s'engage dans
ces actions en parallèle de ses autres activités, qu'elles
soient
68
professionnelles ou scolaires. Lorsque ces deux entités
sont réunies au sein d'un même projet, elles sont
généralement assez facilement identifiables. Les professionnels
grâce à leur expertise, leurs études et leur connaissance
du terrain ont des capacités d'analyses plus développées
en ce qui concerne le secteur artistique. « Sur la notion de
programmation partagée par exemple, mon métier c'est directeur de
lieu mais aussi programmateur. Quand quelqu'un vient me dire « Tu dois
programmer çà parce que je l'ai vu et c'est génial !
» et bien je me dis : « Tu as vu combien de spectacles pour pouvoir
le comparer et me dire que c'est super ? » « Et bien un seul »
« Et bien moi j'en vois 250 des spectacles par an et je suis capable de
dire pourquoi je programme cela. »250 En effet, force est
de reconnaitre que le professionnel est davantage armé pour mettre en
place et penser ces projets. Il s'avère donc primordial de
réfléchir à quelle est la place de l'expertise dans les
projets mis en place afin de répartir intelligemment les pouvoirs.
« Dans la gouvernance et le travail commun, il faut que chacun ait les
mêmes capacités et les mêmes armes d'échanges. Il n'y
a rien de pire qu'une pseudo gouvernance partagée et
déguisée entre les sachants et les
non-sachants.»251 En effet, les différents projets
que j'ai pu recenser, qu'ils soient présentés ou non dans cette
étude, n'intègrent jamais les adolescents dès leurs
genèses. Il est donc indéniable que ces actions
nécessitent un temps de réflexion en amont par les professionnels
les encadrant. Ces derniers doivent, dans un premier temps, identifier les
publics auxquels ils dédient ce projet et poser un cadre permettant par
la suite aux participants de s'emparer de cette action.
En plus d'être repensée, la place de l'expertise
peut être amenée à être valorisée. En effet,
tenter de la radier de ces projets serait contre-productif, d'autant plus si
les adultes référents revendiquent la mise en place d'une action
qualitative. Il est pertinent de mentionner que la plupart des actions de
médiation se résume en un apport de connaissances et de
compétences pour les publics y participant : visites guidées,
conférences, ... Ces actions de médiation réaffirment donc
une relation descendante entre celui qui sait et celui qui ne sait pas. Lors de
projets participatifs, la relation entre ces deux entités devient plus
horizontale : les publics prennent part à la construction de l'action,
apportent eux aussi des compétences aux autres participants, ... La
transmission de savoir-faire et de connaissances peut être émise
par plusieurs entités du projet et les rapports entre professionnels et
amateurs sont donc fortement requestionnés. Cependant, co-porter un
projet ne sous-entend pas que le médiateur ou le
250 RETO, Gurval. Directeur du THV. Entretien annexe 1 p 110.
251 Ibid. p 110.
69
professionnel oublie ses compétences afin de
s'amalgamer au reste du groupe. Au contraire, sans pour autant
réaffirmer une gouvernance descendante, le médiateur se doit
d'imaginer comment associer les envies des participants et son savoir-faire.
L'exemple du collectif Lacavale est pertinent car les artistes sont attentifs
aux envies des adolescents et à ce qu'ils ont envie de valoriser. Bien
que les membres du collectif leur permettent de s'emparer du projet, ils
désirent dans un même temps leur apporter des savoir-faire
relatifs aux formations qu'ils ont reçues : prise de son, montage, mise
en scène, ... La professionnalisation des projets constitue l'un des
enjeux actuels de la participation. Valoriser les compétences des
adultes référents et les transmettre aux participants peut
contribuer à mettre en place de projets de qualités.
Pour continuer à développer l'exemple du
collectif Lacavale, Nicolas Drouet souligna durant notre entretien qu'impliquer
les jeunes sur l'intégralité du projet pouvait s'avérer
compliqué. «Sur certains projets on le capte assez vite. Il y a
certains jeunes qu'on amènera pas avec nous au montage donc on va faire
une sorte de montage papier sur le mur avec les différentes
séquences en essayant de leur expliquer qu'en fait le film on peut le
mettre dans ce sens-là mais on peut aussi le mettre dans ce
sens-là. On souhaite qu'ils saisissent un peu ces enjeux-là.
»252 Bien que l'une des caractéristiques des projets
participatifs est de repenser les rapports entre les amateurs et les
professionnels, les paragraphes précédents ont
démontré que la place de l'expertise était à
équilibrer voire à valoriser. Renier complètement les
compétences des médiateurs durant les projets pourrait entrainer
la conséquence suivante : la mise en place de projets qui ne sont pas
aboutis ou qui n'ont pas vocation à se professionnaliser.
2.3.2. Le temps : une notion clef dans la participation des
publics
Le temps est une notion extrêmement importante dans la
participation des publics et il me semblait pertinent de la mettre en
lumière. Comme expliqué précédemment, partager sa
gouvernance permet entre autre de multiplier et de croiser les regards sur une
action. Cependant, co-porter des projets est indéniablement plus long
que de présenter des actions déjà imaginées et
construites de toutes pièces aux publics bénéficiaires.
Cette notion du temps intervient donc sous de nombreux aspects au sein des
projets participatifs.
Tout d'abord, il faut rappeler que les différents
médiateurs et les participants engagés au sein d'un même
projet évoluent dans des temporalités différentes. Prendre
en compte les calendriers
252 DROUET, Nicolas. Collectif Lacavale. Entretien annexe 3 p
117.
70
de chacun peut rapidement devenir fastidieux et empêcher
les adolescents participants d'intégrer le projet dès sa
genèse. « Quand on fait des demandes de subventions, on est
obligé de rentrer dans des cases et on est obligé de rentrer dans
des calendriers qui correspondent très rarement aux calendriers
scolaires. Parce que justement ce sont des projets qui se
réfléchissent en amont, par exemple là en mars-avril pour
des projets qui auront lieu durant la saison 2021-2022. Donc en fait les
élèves ne seront pas les mêmes l'année
prochaine.»253 Les médiateurs sont alors contraints
d'anticiper les projets et ne peuvent pas toujours intégrer les
adolescents dans les décisions prises.
De plus, il semble complexe de chiffrer en amont le nombre
d'heures nécessaires pour la mise en place d'un projet participatif. En
effet, si les adultes référents souhaitent réellement
jouer le jeu du participatif et donc partir des envies des adolescents,
élaborer à l'avance un rétroplanning semble
compliqué. La motivation des participants, leurs envies et leurs
décisions seront primordiales et feront évoluer le projet. «
Parce que ça veut dire que si vous avez de l'argent pour faire un
projet d'EAC de 12 heures dans un collège, il faut que ces 12 heures
deviennent s'il le faut 18 ou 22 heures. C'est cela qui est compliqué,
il faut pouvoir suivre et inventer sans avoir en permanence la barrière
du cadre.»254 Les projets participatifs demandent donc une
grande disponibilité et une capacité à rebondir de la part
des adultes référents.
La citation d'Anne Courel nous permet également de
souligner que les dossiers de subventions auxquels répondent les
différents porteurs de projets peuvent aller à l'encontre des
projets participatifs. En effet, ces derniers se présentent
généralement comme rigides car ils demandent de nombreuses
informations : durée de l'action, nombres d'heures, montant
nécessaire pour son bon déroulé, les objectifs, les
finalités, ... Par essence, les projets participatifs doivent permettre
aux publics bénéficiaires de s'en emparer. Le porteur de projet
contraint de remplir cette demande avant même de connaitre les envies des
participants se retrouve alors bloqué : il ignore quelle action les
adolescents souhaiteront mettre en place et par conséquent, il est
incapable de la chiffrer et de donner une estimation du nombre d'heures
nécessaire. Ces demandes laissant peu de place à l'improvisation
et aux projets participatifs rendent la tâche du porteur de projet
253 DAVODEAU, Adèle et Enora THIVILLIER.
Chargées des relations publiques au CDN Le
Préau. Entretien annexe 4 p 123.
254 COUREL, Anne. Entretien annexe 2 p 113.
71
extrêmement complexe. Il se retrouve contraint
malgré lui d'imaginer certaines modalités du projet, aspects
qu'il aurait surement souhaité coconstruire avec les participants.
Pour finir, qu'il soit participatif ou non, un projet est par
essence limité dans le temps et une grande partie se clôture par
une valorisation : représentation, restitution orale devant un groupe,
... Cette date butoir est généralement connue et
évoquée dès le début du projet. Le groupe est alors
contraint d'avoir finalisé le projet pour cette occasion. De par son
expertise et son expérience, le médiateur a conscience de la
temporalité et de la capacité du groupe à organiser et
mettre en forme ses idées. « Les jeunes ne se rendent pas
compte des difficultés d'un texte, ni du temps nécessaire pour le
montrer, ni de leurs capacités et disponibilités réelles
»255. L'approche de la date butoir peut donc devenir une
source de stress pour l'adulte référent du groupe qui se retrouve
parfois contraint au sein de projets participatifs, de réaffirmer une
gouvernance descendante afin que le projet puisse être finalisé
à temps.
La temporalité est bien un facteur déterminant
dans les diverses actions mais elle se révèle d'autant plus
complexe au sein des projets participatifs.
2.3.3. Le prise en compte du cadre de l'action
Pour finir, il est important de souligner que le cadre dans
lequel s'inscrit un projet participatif détermine grandement sa
structure et la manière dont il est mené. En effet, il est
indéniable qu'un projet s'il est initié par une association
plutôt que par une collectivité, par une institution plutôt
que par une MJC, ne sera pas pensé de la même façon et mis
en place de manières similaires. Pour cause, les objectifs et les
contraintes des différents acteurs déterminent la mise en place
du projet. Le cadre de l'action impose donc d'emblée des
référentiels dans lesquels le médiateur ou le porteur de
projet doit s'ancrer. « Lorsque je travaillais au TNBA, il y avait
aussi mon cahier des charges et ça par exemple je ne peux pas non plus
faire comme s'il n'existait pas.[...J Par exemple un budget qui est
alloué à çà on ne peut pas non plus aller à
contresens.»256 Ces différentes actions sont donc
toujours pensées voir reconnectées à un contexte. Inscrire
un projet participatif dans une mairie peut sembler par exemple plus complexe
que dans d'autres structures. En effet, ces collectivités sont par
définition administrées par un
255 BEAUCHAMP, Hélène. Le
théâtre adolescent : Une pratique artistique d'affirmation.
Montréal : les éditions Logiques, 1998. P21.
256 MONMEGE-GENESTE, Camille. Directrice du Labo des cultures.
Entretien annexe 6 p 135.
72
maire et la gouvernance peut être verticale. Le
modèle associatif peut au contraire paraitre plus propice à la
mise en place de ces projets car la gouvernance de ces structures est
partagée avec des bénévoles. Ce modèle a donc su
s'affirmer comme un acteur important de la démocratisation
culturelle.
Cet axe s'est donc clôturé par la mise en
lumière de certaines limites dans les projets participatifs :
l'équilibre de la notion d'expertise au sein de ces projets, la prise en
compte de la temporalité et du cadre de l'action. Partager sa
gouvernance peut donc s'avérer compliqué et n'est pas
forcément possible tout le temps. L'horizontalité doit être
extrêmement structurée et réfléchie au risque de
tomber dans une forme de démagogie. L'échelle de
participation d'Arstein peut être un outil pertinent pour situer et
structurer les actions proposées aux publics. Il s'avère
compliqué voire même parfois impossible de passer outre ces
différentes contraintes citées ci-dessus. Les différents
professionnels doivent alors s'en emparer pour, dans la mesure du possible,
parvenir à les contourner. A mon sens, la participation contribue
à accroitre la transparence de l'action publique et il me semble
indispensable que les personnes référentes d'un projet expriment,
dès son commencement, les aspects où les participants pourront
s'investir et donner leur avis et là où ils ne pourront pas le
faire. « Parfois il faut savoir dire que ce n'est pas possible. Il
faut à chaque fois être transparents et expliquer et être
clairs sur les règles du jeu dès le début
»257.
Cette deuxième partie a exposé les
modalités permettant au partage de la gouvernance et à la
démocratie participative d'interagir au sein des projets
théâtraux en faveur des adolescents. Ces enjeux constituent en
partie les problématiques contemporaines de la médiation
culturelle. Après avoir identifié les différents acteurs
et comment ils pouvaient se positionner lors de ces actions, cette partie
s'attarda sur la mise en place et l'articulation de ces enjeux dans les
différents projets sélectionnés. Ces deux points peuvent
notamment permettre à des professionnels de se projeter et de penser
leurs actions en corrélation avec les enjeux développés.
D'une part, la première sous-partie leur permettra de comprendre comment
interagir avec les différents acteurs et la seconde, de penser le cadre
de leur action et la méthodologie qu'ils souhaitent mettre en place.
Pour finir, il semble primordial d'être conscient en amont des limites
des projets participatifs, présentées dans la dernière
sous-partie. Il semble
257 ASSOULINE, Tania. In : Lancement des assises de la
jeunesse. Ville de Montreuil. Vidéo Youtube. 2017.
73
complexe de ne pas prendre en compte les limites
imposées par la gouvernance. Être transparents envers les publics
semble primordiale afin de ne pas générer de frustration.
74
3. Mon expérience à Bain Public : la mise en
partage de la gouvernance avec les jeunes nazairiens.
Les réflexions précédemment
exposées étaient principalement illustrées par des
éléments théoriques ou par des propos de professionnels.
Pour cette troisième et dernière partie, mon souci sera, de
manière complémentaire, de mettre en perspective les actions
développées lors de mon stage à Bain Public. De
par la problématique choisie, cette partie se concentrera une nouvelle
fois sur le partage de la gouvernance envers les publics. Cependant, il est
pertinent de mentionner que mon immersion dans cette structure me permit
d'appréhender cette question en interne car la gouvernance est
partagée au sein de l'équipe. De par la récente ouverture
de cette structure, il est encore trop tôt pour envisager un partage
significatif de la gouvernance avec des publics. A ce stade, le souci de
l'équipe est d'affiner et de veiller à la bonne
répartition des différents sujets et des missions en interne. Il
est alors plus pertinent de parler, dans un premier temps, de participation
active des publics aux projets de création et à certaines
actions. Cette partie reviendra sur différents projets et la place
occupée par les publics jeunes durant cette première année
d'exploitation. En ce sens, elle se focalisera en grande majorité sur le
partenariat avec Jeunes en ville.
Il est pertinent de rappeler que la rédaction de ce
mémoire intervient au sein d'une crise majeure qui a
ébranlé sur de nombreux aspects258 le secteur culturel
et de l'événementiel. L'équipe que j'ai
intégrée fut contrainte, à l'image de nombreuses autres,
de travailler sur des scénarios divers, d'improviser, d'annuler ou de
reporter des projets, ... En ce sens, certaines actions259 que je
projetais d'intégrer et d'analyser dans mon mémoire ne purent
être mises en place cette année.
La crainte de ne pas disposer de suffisamment
d'éléments à analyser est un des facteurs pouvant
justifier mes hésitations vis-à-vis du fait de présenter
mon stage au sein de ce mémoire. S'y ajoutait celle de dénaturer
mon propos initial. En effet, en amorçant un travail sur les publics
adolescents, mon souhait était de me pencher sur la tranche d'âge
des 12-15 ans. La raison
258 financiers, annulation d'événements, ...
259 Par exemple Jeanne Menguy, co-directrice de la structure,
désirait coconstruire une programmation partagée avec un groupe
d'enfants.
75
principale résidait dans le fait que la majorité
des projets participatifs adolescents s'adressaient aux jeunes à partir
de 15 ans. La réalité de la ville de Saint-Nazaire et ses
politiques jeunesses m'amenaient également à me focaliser sur les
15-25 ans (lycéens, étudiants, jeunes diplômés) et
non sur la tranche d'âge initialement choisie. Au fil de mes
réflexions, j'ai finalement décidé d'intégrer cette
expérience au sein de ce travail et même de lui dédier
l'entièreté d'une partie. Les raisons qui motivèrent mon
choix furent les suivantes : tout d'abord, les besoins des adolescents
développés en première partie, sont sensiblement les
mêmes pour les deux tranches d'âges. En effet, cet argumentaire
peut assez facilement être intégré dans un travail se
penchant sur les 15-25 ans. De plus, il est pertinent de rappeler qu'aucune
scission ne s'opère entre les 12-15 ans et leurs ainés. Pour
finir, il y avait un réel intérêt à mettre en
lumière dans ce mémoire mon expérience professionnelle.
Analyser la mise en place de certaines actions se révélait
complémentaire aux autres projets présentés dans ce
mémoire. En effet, c'est parce que j'ai eu la chance de les coordonner
et de les animer que j'étais en capacité de détailler en
profondeur ces actions et ce processus qui illustre bien les enjeux du partage
de la gouvernance et de la participation des publics. C'est donc une
volonté que de revenir sur cette année de partenariat en
confrontant les points de vue des acteurs y ayant participé. S'y ajoute
également l'envie de valoriser et d'analyser des projets que j'ai
moi-même développés.
Introduit d'ores et déjà en première
partie, Jeunes en ville est une instance citoyenne et participative
à destination des 15 à 25 ans vivant, travaillant et
étudiant à Saint-Nazaire. « On a travaillé sur la
conception de Jeunes en ville, conseil nazairien de la jeunesse, qu'on
a défendu auprès des élus, c'est-à-dire que
ça ne soit pas un conseil municipal, que ce soit une libre
adhésion, que ce soit un investissement à la hauteur de ce que
les jeunes souhaitent, qu'ils aient des cartes blanches, qu'il y ait une
itinérance, qu'ils puissent s'approprier des lieux et aussi qu'il y ait
un fort levier culturel. C'était ce que voulaient les jeunes. Et donc
cinq ans plus tard, on n'a pas dévié. Et les jeunes, ils ne
représentent personne sauf eux-mêmes. Enfin tout cela
c'était très important et pour nous et pour eux.
»260 Depuis 2011261, la jeunesse est devenue
l'un des leviers des politiques publiques nazairiennes. Cette volonté
fut par la suite renforcée
260 JAN, Nathalie. Entretien annexe 10 p 144.
261 Date de la création de la mission jeunesse. La
municipalité a fait le choix que la jeunesse fasse l'objet d'une mission
et non d'un service pour faciliter la transversalité.
76
avec l'arrivée en 2014 de la nouvelle
municipalité262 prônant une politique
volontariste263 en faveur de la jeunesse.
En ce qui concerne Bain Public, travailler,
mobiliser et recueillir l'avis des jeunes figurent parmi les
envies264 de l'équipe. S'y ajoute également le souhait
que la structure devienne un lieu de référence pour ces publics
en les accueillant soit lors d'événements soit pour boire un
verre en dehors de la programmation. Le partenariat de Bain Public
avec JEV265 fut le fruit d'une entente entre Anne
Guillou266 et Carmen Camboulas, alors animatrice
référente267 du dispositif. Cette dernière
était intéressée par le projet de Bain public et
à l'inverse, l'équipe que j'ai intégrée projetait
de travailler avec des publics jeunes et s'attachait à mettre en place
des actions et des temps d'échanges avec eux. A l'image de plusieurs
projets développés cette année, le déroulé
des actions avec Jeunes en ville connut de nombreux scénarios
et fut soumis à de multiples rebondissements. De plus, compte tenu de la
récente ouverture de Bain Public, j'ai été
amenée à appréhender une réflexion neuve,
vouée à être développée et
pérennisée par l'équipe.
Mon souci sera donc, à travers cette partie, de mettre
en évidence les actions développées avec les publics
jeunes durant mon stage. Elle s'appuiera principalement sur le partenariat avec
Jeunes en ville et s'articulera comme suit : la première
sous-partie exposera les jalons qui furent posés à ce partenariat
et les rebondissements qu'ils subirent. Elle développera
également deux aspects primordiaux dans la mise en place d'une
co-construction : le positionnement des différents acteurs et
l'engagement des participants. La deuxième sous-partie se focalisera sur
certains enseignements tirés grâce aux différentes actions
développées.
3.1. Les enjeux et les difficultés de la
co-construction entre Jeunes en Ville et Bain Public.
« C'est une démarche participative et civique
qui doit permettre aux jeunes de s'impliquer dans la vie locale tout en
établissant un lien direct avec les élus et les acteurs locaux,
avec également
262 Arrivée du maire David Samzun, parti socialiste.
263 La « jeunesse » n'est pas une politique
obligatoire pour les communes.
264 Cette envie est motivée par le fait que les jeunes
(12-25 ans) disposent de peu de lieux qui leur sont destinés (bars,
boites de nuits, lieux de rencontre, ...) à Saint-Nazaire.
265 Jeunes en ville.
266 Codirectrice de Bain Public, Anne Guillou fut
également ma tutrice durant mon stage au sein de la structure.
267 Carmen Camboulas fut remplacée par Coralie Patrel
à partir de mai 2021.
77
pour objectif d'élaborer et de réaliser des
projets concrets ayant un impact sur l'environnement des nazairiens
»268
Dans le Projet Stratégique de Mandat
initié par la DGA Ville Educative Jeunesse, c'est ainsi
qu'est présentée la démarche de Jeunes en ville.
Il y est souligné que l'accompagnement des jeunes doit être
pensé en s'appuyant sur des dispositifs existants et des
équipements municipaux. Comme le précise la
précédente citation, le « lien avec [...] les acteurs
locaux » est un des leviers de ce projet. C'est d'ailleurs dans cette
perspective que s'est mis en place le partenariat avec Bain Public.
Cette sous-partie se destine alors à mettre en
lumière certains aspects de la co-construction entre les deux
structures. Pour la rédiger, mon parti-pris fut d'interroger les
différentes professionnelles ayant travaillé ou influencé
la mise en place de ce partenariat. De cette analyse croisée,
émerge le développement d'un exemple concret de co-construction.
Il tentera d'enrichir voire de nuancer de précédentes parties
comme notamment Les différents médiateurs : la
nécessité de la co-construction. Cette sous-partie se
présentera sous trois axes distincts. Le premier exposera les jalons qui
furent posés à ce projet et les éléments qui le
remirent en cause. Par la suite, le deuxième axe questionnera le
positionnement des différents médiateurs inclus dans le projet.
Pour finir, sera exposé comment le libre engagement des jeunes, aspect
prépondérant du projet de JEV, a pu avoir un impact sur la
co-construction avec Bain Public.
3.1.1. Comprendre les jalons posés à ce
partenariat et ses rebondissements.
Les prémices et les premières discussions
autour de ce partenariat furent effectifs dès les mois de septembre et
d'octobre 2020. Etant donné que mon stage ne commençait qu'en
janvier 2021, je ne fus pas au centre de ces réflexions. Il y avait,
comme souligné précédemment, une volonté et un
intérêt commun à travailler conjointement.
Il est important de rappeler que l'une des
caractéristiques du dispositif de JEV est l'itinérance.
C'est-à-dire que le groupe de participants et la coordinatrice ne
disposent pas de lieu physique où se réunir. La grande
majorité des rencontres se déroulent à La
Source269 et les autres, dans différentes structures de
la ville ou en extérieur. Compte tenu de la crise sanitaire en
vigueur
268 DGA Ville Educative et créative Mission Jeunesse.
Projet Stratégique de Mandat. Schéma Directeur Jeunesse
(12-25 ans). Dossier de présentation. 10 mars 2021. Saint-Nazaire.
P3.
269 Centre d'informations jeunesse inauguré le 25 avril
2018.
78
cette année, l'itinérance s'annonçait
complexe. Carmen Camboulas proposa alors qu'une structure nazairienne devienne,
exceptionnellement, le lieu de rassemblement privilégié de JEV
pour sa saison 2020-2021. Le lieu en question était donc Bain
Public. Au fil des échanges entre Carmen Camboulas et Anne Guillou,
émergèrent les jalons de ce partenariat. Le groupe de JEV
pourrait se retrouver plusieurs fois par mois au sein de l'équipement.
Bain Public accueillerait et accompagnerait cette «
résidence de jeunes »270 tout au long de cette
première saison. Les ateliers, les discussions, les sujets
abordés durant cette occupation pouvaient soit être directement en
lien avec les activités de Bain Public ou à l'inverse,
n'avoir aucune porosité avec elles.
Accueillir JEV s'avérait être une
opportunité intéressante pour la première année
d'exploitation de Bain Public. En effet, il est important de
préciser que l'engagement des participants dans JEV est totalement
libre. Chacun peut venir selon son envie et sa motivation à une
rencontre ou à une activité. En positionnant Bain Public
comme partenaire privilégié de JEV, les jeunes pouvaient
développer, au sein même de la structure, des actions sans
porosité avec le secteur culturel. La diversité des propositions
auraient donc pu sensibiliser des profils multiples de jeunes. En ce sens,
l'objectif premier de cette résidence n'était pas de se focaliser
et de mobiliser exclusivement des jeunes s'intéressant
préalablement à la culture. Au contraire, l'idée
était d'ouvrir à des profils divers. De par cette
résidence aurait pu émerger des liens privilégiés
entre artistes accueillis, équipe de Bain Public et jeunes de
JEV. Une des autres propositions qui fut imaginée était la
suivante : que les jeunes deviennent un relais pour les actualités de
Bain Public et ambassadeurs auprès des artistes accueillis
(visites de la ville menées par les participants, ...). A ce
partenariat, s'ajoutait une semaine de Workshop271 avec Radio
Live272. Il se serait ensuite clôturé en octobre
2021 pour une carte blanche273 imaginée par les jeunes. Cette
coopération allait dans le sens d'un partage de gouvernance avec ces
participants qui auraient alors eu une place de choix dans l'ouverture de la
structure.
270 Carmen Camboulas et Anne Guillou utilisaient ce terme en
référence à l'activité de Bain Public. Cet
accueil récurrent de JEV durant l'année 2020-2021 figurait donc
parmi les différentes résidences de la structure.
271 Atelier collaboratif.
272 Aurélie Charon, Caroline Gillet et Amélie
Bonnin mettent en place des séries radio et vidéo autour du
récit documentaire. Ce workshop devait se dérouler autour de la
notion des récits sensibles et de la transmission entre les
générations.
273 Rendu publique imaginé et animé par les
jeunes participants. Carmen avait proposé que la question suivante soit
leur point de départ de réflexion : « quelle est la place
des jeunes dans une structure culturelle ? »
79
Ce partenariat, dont le pilotage me fut
délégué au commencement de mon stage, fut alors
jalonné bien en amont de mon arrivée. Cependant, en janvier
dernier, Nathalie Jan274 le remit en cause dans son
intégralité. En ce sens, la résidence imaginée
à Bain public n'était plus d'actualité. Le groupe
continuerait de se réunir ponctuellement dans différents lieux
nazairiens. Ce rebondissement fut d'autant plus surprenant étant
donné que c'était Nathalie Jan elle-même qui avait
indiqué à Carmen Camboulas de se tourner vers Bain
Public. La demande de ce partenariat avait bien été
formulée par JEV. Compte tenu de ce rebondissement, il se vit
dépossédé de ses jalons. Il est indéniable que les
co-constructions demandent d'être régulièrement
réajustées dans l'optique de répondre aux objectifs et aux
attentes de différents partenaires. Cependant, en ce qui concerne le cas
précédemment exposé, nous ne disposions d'aucune clef pour
comprendre ce revirement. Ignorant les points de vue de Nathalie Jan et de
Carmen Camboulas, ma connaissance de ce déroulé s'était
construite à partir des échanges avec ma tutrice. C'est donc
motivée par Anne Guillou que je pris le parti de croiser les
différents regards et de recouper les informations. Mon objectif
était de comprendre pourquoi ce partenariat avait été
sujet à des remises en cause.
L'entretien avec Nathalie Jan fut particulièrement
intéressant. Il me permit de nuancer mon point de vue et d'identifier
ses motivations. De cet entretien découla la nécessité,
selon Nathalie Jan, de l'itinérance de JEV. « Nous c'est pas
forcément un lieu qu'on recherche, c'est la rencontre.
»275 Elle souligna que l'idée n'était pas de
disposer d'un espace dédié « car un lieu ça
serait un parti-pris. »276. Pour aller plus loin dans cet
argumentaire, elle précisa que le rôle de l'animatrice de JEV,
auparavant Carmen Camboulas et maintenant Coralie Patrel, était
d'être « une facilitatrice ». C'est-à-dire qu'elle ne
devait pas projeter ses envies avant même d'avoir interrogé les
jeunes. Au contraire, sa mission est de proposer des angles d'attaques, des
idées de partenariats et des actions sans jamais imposer. « Il
faut toujours travailler les équilibres pour ne pas projeter sur les
jeunes ce qu'on voudrait que ce soit. Et là je pense qu'à un
moment ça s'est fait comme ça. [...] Il faut que les jeunes
fassent ce qu'ils ont envie de faire, pas les envies de la professionnelle.
»277 Pour expliquer plus concrètement cette
démarche, Nathalie Jan revint sur le partenariat avec la
médiathèque Etienne Caux278. En amont de sa
mise en place,
274 Responsable de la mission jeunesse à la ville de
Saint-Nazaire.
275 JAN, Nathalie Jan. Entretien annexe 10 p 144
276 Ibid. P 144.
277 Ibid. P 145.
278 Médiathèque nazairienne.
80
l'animatrice avait exposé aux jeunes la programmation
de la structure. C'est à partir de celle-ci que les participants de JEV
avaient verbalisé les sujets, les thématiques ou les
événements qui les intéressaient et dont ils
souhaiteraient s'emparer ou intégrer. La carte blanche finale
était également orientée en fonction de leurs choix. En ce
qui concerne le partenariat avec Bain Public, il s'avérait
qu'il déviait trop largement du projet initial de JEV :
itinérance, laisser les jeunes s'emparer des thématiques, ... La
raison principale qui motiva Nathalie Jan à remettre en cause ce
partenariat résidait dans le fait que la proposition de disposer d'un
lieu avait été initiée par Carmen Camboulas et non par les
jeunes participants.
Cette partie mit en évidence les jalons initiaux de ce
partenariat et les raisons pour lesquelles il fit l'objet de rebondissements.
Des rencontres avec JEV furent tout de même mises en place durant cette
année. Cependant elles furent beaucoup plus clairsemées. Il fut
donc plus complexe, pour les jeunes comme pour l'équipe de Bain
Public, de se connaitre les uns les autres et de coconstruire des actions.
Il est important de préciser que certains JEV, dont je fis par la suite
connaissance, ignoraient l'existence du partenariat mis en place voire de
Bain Public.
3.1.2. La question du positionnement des deux acteurs dans cette
co-construction.
Croiser les différents entretiens me permit
d'identifier les objectifs et le positionnement de chacun dans cette
co-construction. En effet, ce qui selon moi figure parmi les écueils de
celle-ci est le manque de clarté de JEV vis-à-vis de son
positionnement.
Tout d'abord, il est important de souligner que mon analyse
m'a confortée dans l'idée qu'il était primordial de
jalonner les projets coconstruits. Permettre aux jeunes de s'emparer seuls des
différentes actions est au coeur du projet de JEV. C'est-à-dire
que le professionnel en ayant la charge doit faciliter la mise en place de
leurs envies sans pour autant se projeter ou leur imposer des axes de
réflexions. Cependant, la mise en place de projets participatifs ne
sous-entend pas que ces actions ne doivent pas être jalonnées en
amont. Au contraire, avant l'arrivée des participants, multiplier les
rencontres entre les adultes partenaires reste nécessaire, voire
primordial. Les printemps théâtraux sont des exemples
pertinents car de nombreux professionnels (acteurs, professeurs, équipe
de Comète, ...) partagent des réflexions et jalonnent le
projet avant même sa présentation aux élèves. Des
réflexions et des problématiques soulevées en
préambule émergent un déroulé et un cadre de
travail. Elles ont aussi le mérite de définir des
81
outils et une méthodologie commune. Dans le cas
contraire, il est fréquent que cette dernière devienne, par
défaut, celle d'une des partenaires de l'action. Il ne s'agit donc plus
tout à fait selon moi, d'une co-construction car les différents
acteurs s'appuient exclusivement sur les outils mis en place par l'une des
structures. Des échanges préliminaires émergent
également les missions et le positionnement de chaque partenaire durant
l'action. En effet, il est primordial d'identifier collectivement sur quels
axes chacun doit intervenir : mobilisation des jeunes, prise de contact avec un
autre partenaire, ....
Dans le cas présent, ces échanges devaient
mettre en évidence les missions sur lesquelles interviendraient
respectivement Bain Public et Jeunes en Ville. Etant
donné que les jalons du projet furent brisés, la
méthodologie commune était donc inexistante. De plus, le manque
de transparence concernant la remise en cause de ce partenariat ne permettait
pas à l'équipe de Bain Public de saisir clairement les
objectifs de JEV. De ce manque de positionnement résultat, en ce qui me
concerne, la cause suivante : je me suis inconsciemment appropriée des
missions qui n'étaient pas les miennes. En effet, travailler avec JEV
permettait à Bain Public de s'appuyer sur une tête de
réseau. La mobilisation des jeunes durant ces actions communes
était donc la mission de l'animatrice référente. Or il fut
important à plusieurs reprises que je me positionne en tant
qu'élément moteur sur cet axe afin de sensibiliser et de
mobiliser les jeunes. De plus, il faut préciser que la prise de poste de
Coralie Patrel, en tant d'animatrice de JEV, s'est faite alors que cette
dernière ignorait l'existence d'un partenariat avec Bain
Public.
Si je reviens sur la partie Les différents
médiateurs : la nécessité de la co-construction, il y
était mis en évidence le besoin de se questionner collectivement
sur le vocabulaire utilisé. En effet, lors d'un projet en
co-construction, en utiliser un commun s'avère primordial. Ces
précédents éléments de réflexions
m'amenèrent à me questionner sur l'aspect suivant : pour le
partenariat avec la médiathèque Etienne Caux, JEV s'est
appuyé sur la programmation déjà établie de la
structure dans l'optique que les jeunes mettent en place leurs projets à
partir de celle-ci. Or une des définitions du terme «
co-construction » est la suivante : « La co-construction est un
processus reposant sur une mise en forme d'interactions entre les acteurs afin
que ceux-ci élaborent au fil de leurs interactions des accords visant
à rendre compatibles des définitions
82
relatives à un changement, à un projet,
à une méthode de travail »279. Selon moi, le
cas de JEV ne correspond pas à la définition
précédente car elle souligne que les partenaires travaillent
conjointement dans le but de mettre en place un projet commun. Or le projet
entre JEV et la médiathèque se divise en deux temps distincts :
la mise en place de la programmation concerne exclusivement la
médiathèque, et c'est par la suite que l'animatrice de JEV en
prend connaissance et l'expose aux jeunes. Ce second temps ne mobilise donc pas
réellement la médiathèque. Les partenariats mis en place
par JEV ne sont donc pas des co-constructions car la programmation et la
méthodologie de la structure partenaire irriguent le déroulement
des futures actions.
Cet axe fut dédié à mettre en
évidence l'importance de jalonner les projets et d'identifier les
missions des divers partenaires de la co-construction. Dans le cas
présent, les remises en causes du déroulé et des missions
des différents professionnels a provoqué une
inégalité de positionnement.
3.2.3. Le libre engagement des jeunes : un impact sur la
co-construction.
Pour clôturer cette réflexion sur la
co-construction entre Jeunes en ville et Bain Public, cette
sous-partie s'attardera sur le libre engagement des jeunes, aspect au coeur du
projet de JEV. Lors de l'entretien avec Carmen Camboulas, cette dernière
souligna qu'« [elle pensait] que ce n'[était] pas facile pour
un partenaire comme Bain public de travailler avec Jeunes en
ville car le groupe n'[était] jamais le même.
»280
En effet, au libre engagement des jeunes s'ajoute au projet
de JEV une dimension partenariale très importante. En ce sens, les
participants peuvent adhérer librement à des actions, venir ou
non aux différentes rencontres, arrêter un projet en cours de
route, ... Ce libre engagement des jeunes est selon Carmen Camboulas assez
concluant et figure parmi les points forts du projet. Cependant, elle y
décèle également un écueil assez marqué :
« parfois [les jeunes] ne sont plus là pour poursuivre [le
projet]. Est-ce qu'on l'abandonne ? Est-ce que c'est l'animatrice qui poursuit
? Même si je ne leur remets pas dessus car ça permet d'ouvrir au
plus de jeunes possibles »281. Ce libre engagement peut
donc devenir une source de frustration pour le
279 FOUDRIAT, Michel. Le management des chefs de service
dans le secteur social et médico-social. Paris : Dunod. «
Guide santé social », 2014. Chap 13 : La co-construction. Une
option managériale pour les chefs de services. P 229.
280 CAMBOULAS, Carmen. Annexe 9 p 142.
281 Ibid. P 142.
83
professionnel responsable de JEV car plusieurs projets se sont
déjà retrouvés avortés. Cependant, lors d'un projet
coconstruit avec une autre structure, il peut s'avérer complexe à
mon sens de l'arrêter pour une question d'engagement des participants. En
effet par définition, la co-construction demande un minimum de deux
partenaires inclus dans le projet. En ce sens, si ce dernier doit
s'arrêter brutalement, cette décision doit dans l'idéal
être partagée entre eux deux. Or dans le cas où des jeunes
de JEV ne poursuivent pas un projet, la décision de sa suspension est
indépendante de la volonté d'une des deux parties. Pire, le
partenaire en question n'est alors pas en capacité de reprendre seul le
projet ou de convaincre JEV de le poursuivre.
A mon sens, l'engagement des participants est un des aspects
primordiaux de la mise en place d'actions avec des jeunes ou des adolescents.
Cela avait d'ailleurs été mis de nombreuses fois en
évidence durant les entretiens que j'ai pu mener. Si je prends l'exemple
de J'aurais aimé que le monde soit parfait, l'équipe des
relations publiques du Préau avaient été en charge du
recrutement des participants. Adèle Thivillier et Enora Davodeau avaient
donc longuement insisté auprès d'eux sur ce point : s'ils
s'engageaient sur ce projet, ils devraient le faire jusqu'à la
représentation finale. Pour cela, elles leur avaient exposé le
temps de travail nécessaire mais également les objectifs à
atteindre. En effet, l'engagement des jeunes figure selon moi parmi les leviers
de la mise en place de projets participatifs. Ce sont également des
valeurs extrêmement importantes à transmettre à cette
tranche d'âge. Identifier des objectifs communs à atteindre est
également un facteur de motivation pour les jeunes. De plus, poursuivre
l'intégralité d'une action ensemble permet aux adolescents de se
sentir appartenir à un groupe. En voir certains arrêter le projet
ou y venir seulement ponctuellement peut générer de la
frustration chez les professionnels et les autres participants. Cet aspect a
donc une répercussion sur la motivation de chacun et peut mettre
à mal le projet.
En ce qui concerne les rendez-vous avec JEV, la
première visite à Bain public mobilisa une dizaine de
jeunes, tandis que la deuxième, autour du travail d'Anne
Merceron282, seulement trois. L'objectif de ces rencontres
n'était pas purement quantitatif. Or il est important de préciser
qu'il y avait un engagement réciproque entre les deux structures. De
plus, étant donné que les jeunes n'étaient pas
engagés sur le « parcours » mis en place avec Bain
Public, nous étions contraintes, l'animatrice
référente et moi-même, de déployer
énormément d'énergie pour mobiliser les jeunes pour la
moindre rencontre. De plus, il était d'autant plus difficile
282 Artiste de la compagnie Diabolo Menthe, compagnie
nazairienne de spectacle jeune public.
84
d'imaginer des prolongements aux différentes actions
car nous ignorions avec qui nous travaillerions à moyen et long
terme.
De plus, ce libre engagement soulève certaines
injonctions au coeur même du projet de Jeunes en Ville. En
effet, Nathalie Jan positionne le libre engagement et la prise en compte des
envies des jeunes comme étant des leviers de JEV. A mon sens, ces
aspects peuvent être assez pertinents vis-à-vis de cette tranche
d'âge, d'autant plus que ce projet tend vers du participatif. Cependant,
il se trouve qu'ils ne sont pas compatibles avec la réalité du
terrain. Par exemple, les jeunes de JEV devaient imaginer et mettre en place
Le Youth St Naz Tour283. De nombreux jeunes
s'étaient inscrits en janvier 2021 pour organiser et animer cet
événement. Au final, la majorité des jeunes se sont
désistés et Coralie Patrel fut amenée à le mettre
en place seule. Cet exemple met donc en évidence une injonction au sein
du projet même de JEV. En effet, la personne qui est garante du projet,
Nathalie Jan et celle qui l'incarne auprès des jeunes, Coralie Patrel,
ne peuvent l'appréhender de la même manière. Ce projet et
sa méthodologie n'ont donc pas été réajustés
à l'épreuve du terrain.
Cet axe a souligné la nécessité de
l'engagement des participants dans la mise en place d'un projet participatif ou
coconstruit. Il est selon moi un facteur primordial pour le bon
déroulement voire la réussite de l'action. En effet, cet aspect a
des répercussions sur la motivation des différents acteurs du
projet : participants, professionnels, ... Il peut s'avérer
compliqué de travailler de manière pérenne si l'engagement
de certains d'entre eux est bancal.
Cette partie se pencha donc sur la co-construction entre
Bain Public et Jeunes en Ville. Le premier axe permit de
contextualiser, de comprendre quels jalons furent posés et comment ils
furent remis en cause. L'argumentaire se poursuivit en analysant le
positionnement des deux partenaires durant ce travail. Pour finir, le dernier
axe se focalisa sur l'engagement des jeunes, aspect selon moi essentiel pour la
mise en place de projets avec ces publics. La co-construction de ce partenariat
ne fut finalement pas aussi concluante qu'espéré alors que
l'outil qu'était JEV était intéressant. Il est important
de préciser qu'aller chercher des individualités284
est au coeur du projet de Bain Public. Cependant, il peut
s'avérer intéressant par moment de s'appuyer sur des têtes
de réseaux. Travailler avec JEV permettait également à
l'équipe de Bain Public de se
283 Evénement ayant eu lieu le 9 juillet 2021 sur la
Grande plage de Saint-Nazaire dans le cadre de Saint-Nazaire coté
plage.
284 Aspect qui sera détaillé dans l'axe sur le
recrutement.
85
référer à l'expertise de Carmen Camboulas
et inversement. Cette partie fut davantage centrée sur la notion de
co-construction que sur celles de démocratie participative et de partage
de gouvernance. Cependant, cette réflexion est indispensable pour la
bonne analyse du sujet choisi. En effet, jalonner les projets et pouvoir
s'appuyer sur l'expertise de ses partenaires figurent parmi les facteurs de
réussite des projets participatifs.
3.2. Retour sur expérience : les différents points
que j'ai été amenée à appréhender.
Bien que le scénario initial de ce partenariat connut
divers rebondissements, cette première année fut tout de
même concluante sur divers aspects et les enseignements que j'en tire
sont riches et formateurs. En ce qui concerne les rencontres entre JEV
et Bain Public, l'envie commune de les multiplier fut
formulée. Ainsi, diverses occasions d'aborder et d'être en contact
avec des artistes et l'équipe de Bain Public se
présenteraient aux jeunes. Cette première année s'est donc
articulée de la manière suivante :
· La visite de Bain Public285.
· La rencontre286 avec l'artiste Anne
Merceron: atelier autour de son spectacle Fénix287.
L'idée était alors de proposer aux jeunes une rencontre
s'adressant aux plus grands nombre avant de développer des propositions
plus individuelles et ciblées.
· La formation d'un groupe de jeunes pour participer
à différentes rencontres durant la semaine de résidence
avec Lucien Fradin : cette action sera plus largement développée
dans une suivante sous-partie se focalisant sur la notion du recrutement.
Une précédente sous-partie de ce mémoire
L'articulation des enjeux du partage de la gouvernance dans
différentes actions co-réalisées avec des adolescents,
se focalisait sur les grandes tendances qui se dégagent des projets
participatifs. Les démarches et les outils les plus fréquents
furent recensés et analysés : repenser la relation entre adultes
et adolescents, responsabiliser les participants, ... Cette présente
partie approfondira cette analyse. Pour cela, elle se tournera vers certains
aspects représentatifs de mon expérience à Bain
Public. Il est important de souligner que mes lectures et les entretiens
professionnels menés m'avaient auparavant permis de les identifier.
Cependant, ce fut une volonté de ne pas m'attarder sur ces
285 26 février 2021.
286 5 mai 2021.
287 Spectacle de théâtre de papier traitant des
thèmes de la reconstruction et de la résilience. Spectacle
prévu pour 2022-2023.
86
différents points dans les précédentes
parties. En effet, il me semblait judicieux de les mettre en perspective
directement avec mon expérience personnelle, tout en les alimentant
d'exemples théoriques. Cette présente partie se devra donc
d'augmenter l'analyse réalisée précédemment. Elle
se découpera en trois axes. Le premier mettra en évidence la
notion du « prendre soin », aspect devant être central au sein
des projets en faveur des adolescents. L'analyse se poursuivra sur un axe
dédié au recrutement des jeunes en amont d'une action. Pour cela,
il s'appuiera sur la résidence de Lucien Fradin accueillie au mois de
juin 2021 au sein de Bain Public. Pour finir, le dernier axe
soulignera l'importance de valoriser ces projets auprès des jeunes, de
leurs proches et des élus.
3.2.1. Une vigilance particulière à la notion du
prendre soin
« Souhaitant prolonger la tradition du soin et de
l'accueil qui régnait dans le bâtiment à l'époque
des bains-douches, l'association288 s'attache à penser un
lieu convivial et hospitalier»289. Cette citation extraite
du dossier de presse de l'inauguration de Bain Public, souligne une
des intentions que la structure projette. Il s'agit de celle de « prendre
soin » des diverses personnes accueillies dans son enceinte : publics,
artistes, ... Il est important de souligner que cet aspect est pleinement
inscrit dans le projet de Bain Public et irrigue ses
différentes actions et activités. Evoquer la notion du «
prendre soin » c'est instantanément invoquer celle du « care
». « Le « care » désigne l'ensemble des gestes
et des paroles essentielles visant le maintien de la vie et de la
dignité des personnes, bien au-delà des seuls soins de
santé. »290 : sollicitude, attention à
autrui, réconforter, laver, panser... Il est important de
préciser que l'intégration de cette notion au coeur du projet de
Bain Public fut effective et défendue dès son
préambule. Cependant, de la crise sanitaire et des divers confinements
émergea une revalorisation et une mise en lumière de cette
notion. Cette dernière irrigua plusieurs secteurs d'activités
dont le culturel. Cynthia Fleury291 fut notamment l'une des grandes
figures à la replacer récemment en tant qu'élément
central de notre société. S'y ajoutait une remise en perspective
avec la situation exceptionnelle que nous traversons. Cette théoricienne
souligne « [qu'Jon voit bien qu'aujourd'hui, sans le care, la
société
288 Les Chantiers Nouveaux.
289 Ibid. P7
290 GAGNON, Eric. Care. Anthropen. Le dictionnaire
francophone d'anthropologie ancré dans le contemporain.
Université de Laval. 2016. P1.
291 Philosophe et psychanalyste française. Elle est
aussi professeur dans plusieurs grandes écoles et membre du conseil
d'administration de l'ONG Santé Diabète.
87
s'effondre »292. Elle qualifie la
société du care « comme une société du
« prendre soin », où l'on comprend que nos
interdépendances sont des forces. Des forces qui nous permettent de
transformer le monde de la façon la plus créative possible et de
la façon la plus solidaire »293. Ce fut une
volonté d'invoquer cette notion car elle se trouve être pertinente
voire nécessaire au sein des projets participatifs. Transversale, elle
fut mise en évidence dans plusieurs parties de ce mémoire. En
effet, « prendre soin » sous-entend que la personne est prise en
considération dans son individualité : culture,
références individuelles, .... « On a un peu
abandonné cette vision d'intérêt général,
avec un besoin à combler qui serait le même pour tous.
L'idée est pour nous de faciliter des désirs, de partir des
désirs des personnes »294 Sans pour autant qu'il y
fut invoqué la notion du « care », je retrouve dans la
démarche de Bain Public des similitudes avec celle du Labo
des cultures. Le collectif Lacavale est également un exemple
pertinent à citer. Bien que le projet soit jalonné en amont,
l'équipe s'attache à entendre et à comprendre les envies
des jeunes participants. Mon expérience à Bain Public
m'a confortée dans l'idée qu'il était primordial, en
tant que professionnels du secteur culturel, d'être au plus proche des
besoins et des envies des différents publics. Ce fut donc davantage des
études qualitatives que quantitatives qui firent l'objet de mon travail
lors des actions à Bain Public. Chacune d'elles se devait
d'identifier et d'accompagner des personnes pertinentes. En utilisant ce terme
je désigne des personnes formulant un réel intérêt
pour la thématique développée par la compagnie en
résidence. L'objectif premier n'était donc pas de contribuer
à remplir une jauge ou à atteindre le même nombre de
participants pour chaque action de la saison. Ce constat prolonge et renforce
les aspects développés en amont dans ce mémoire : tisser
des liens avec les adolescents, prendre en compte leur culture, s'adresser
à des individualités et pas exclusivement à des groupes
constitués, ...
Travailler par le prisme du « prendre soin »
contribue également à développer l'appétence des
personnes mobilisées pour l'art et les lieux culturels. Sortir d'une
logique descendante entre professionnel et public permet de laisser plus de
place aux envies des personnes accueillies. L'équipe de Bain public
s'attache donc à travailler de cette manière.
292 FLEURY, Cynthia. In : La société du Care
selon Cynthia Fleury. Brut. Penser demain épisode 1. 9 mai 2020.
293 Ibid.
294MONMEGE-GENESTE, Camille. Entretien annexe 6, p
130.
88
Cette notion du prendre soin est donc l'un des leviers du
projet de Bain Public. Elle illustre également parfaitement le
propos de ce mémoire. J'ai eu la chance de faire l'expérience
sensible de son importance durant l'intégralité de mon stage.
Elle est selon moi au coeur de nos pratiques de médiation et se doit
d'être incluse dans les différents projets
développés en faveurs des publics.
3.2.2. Le recrutement : un travail nécessaire,
enrichissant mais chronophage
Un des aspects que j'ai été amené
à expérimenter et à appréhender durant mon stage
fut la notion de recrutement. Cette dernière fut d'ores et
déjà introduite dans la première partie de ce travail
Un double enjeu : le cadre scolaire et le cadre volontaire. Elle
s'incarne dans les divers projets avec des adolescents mais plus
spécifiquement dans ceux mobilisant des jeunes volontaires, et donc par
définition non captifs. En effet, les projets dans le cadre volontaire
demandent inévitablement aux professionnels de passer et de mettre en
place une phase de « recrutement » des participants. Il faut
préciser qu'en employant ce terme, mon idée n'est pas de faire
référence à une mise en concurrence entre adolescents dans
le but d'être sélectionnés parmi d'autres pour
intégrer un projet. En aucun cas ces derniers ne sont amenés
à passer une audition, un entretien ou une épreuve quelconque. Le
souci du professionnel missionné est de multiplier les rencontres avec
des groupes d'adolescents en identifiant et en se rendant par exemple dans des
lieux qu'ils fréquentent. Un des objectifs
opérationnels295 propre au recrutement est donc de constituer
un groupe de jeunes sensibles au projet proposé et assez volontaires
pour y participer. L'équipe des relations avec les publics du
Préau avait notamment évoqué, durant notre
entretien, les différents lieux qu'elles investissent pour mobiliser des
jeunes : MJC, écoles, club de sport, ... Il est important de souligner
que l'accompagnement de publics vers des formes participatives s'exprime
également par le fait de faciliter et de provoquer la rencontre avec des
personnes pertinentes.
Pour revenir plus spécifiquement à
l'expérience qui fait l'objet de cette partie, mon stage à
Bain Public, je fus amenée à appréhender cette
notion de recrutement à plusieurs reprises par le biais des missions de
médiation qui me furent confiées. Aller chercher des
individualités est incontestablement au coeur de la démarche de
Bain Public. Réaliser des benchmark par le prisme des
thématiques développées par les artistes, identifier et
prendre contact avec les personnes pertinentes avec l'action fut central dans
mes missions de médiatrice. La mise en
295 Précise clairement les résultats attendus.
89
lumière des droits culturels dans la pratique de la
médiation fait donc partie intégrante de projets de Bain
Public. « L'idée est bien d'aller chercher ce qu'il y a de
culturel dans chaque personne, sa singularité, sa propre histoire. Nous
cherchons à faire du sur-mesure »296 Dans cette
citation, Anne Guillou souligne que Bain Public s'attache à
replacer les individualités au coeur des projets
développés. La logique déployée est donc la
reconnaissance des différentes références personnelles.
Les rencontres artistes-citoyens développées permettent aux
équipes artistiques de sortir de l'entre-soi et de se nourrir
d'expériences sensibles et individuelles, et à l'inverse, aux
diverses personnes mobilisées de mettre en partage leur
réflexions et leurs convictions. S'y ajoutait la possibilité
d'appréhender l'univers d'artistes.
Cette méthodologie s'incarne donc dans les
différentes actions développées par Bain Public.
Elle est spécifique au projet de la structure et pas seulement à
des actions à destination des adolescents et des jeunes. Cependant, il
est donc pertinent d'interroger cette méthodologie en invoquant et en
analysant un projet qui était adressé à ces publics.
L'objectif est de comprendre en quoi cette manière de procéder
peut être intéressante dans le travail avec des adolescents.
Mon souci sera donc de revenir sur un projet qui les a
impliqués. C'est pour cela que je m'appuierai sur le projet de Lucien
Fradin, metteur en scène et comédien de la compagnie La
Ponctuelle297. En effet, dans la perspective de son accueil en
résidence, je fus amenée à constituer un groupe de jeunes
qui seraient pertinents vis-à-vis de la thématique de son
prochain spectacle : Portraits Détaillés. Pour ce
dernier, Lucien Fradin se penche sur des questions liées au genre et
souhaite « proposer f...] des lectures non-hétérocrates
des vécus de [sa] communauté LGBTQ+298
»299. Le sous-titre de Portraits
Détaillés est d'ailleurs le suivant : performance-montage
à propos des gays, homosexuels, bis et pédés. Dans ce
cadre, Lucien cherche à multiplier les rencontres, les échanges,
à récolter de la matière comme des chants, des images, des
anecdotes ... Sa démarche est assez singulière car Lucien ne
dispose pas d'outils « types » ou de méthodologie
déjà définie. Il crée et invente avec les personnes
qu'il rencontre un nouveau protocole d'artiste dans chaque ville où il
est accueilli. Ce travail de
296 GUILLOU, Anne. Citation issue d'une conversation informelle
datant du 15 juin 2021.
297 Compagnie lilloise formée en 2019 par Lucien Fradin et
Aurore Magnier.
298 Acronyme de Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Trans, Queers. Le
« + » est régulièrement rajouté dans une
volonté inclusive signifiant « et les autres ».
299 FRADIN, Lucien. La Ponctuelle. Dossier artistique
Portraits Détaillés et Je suis une sirène. Note
d'intention, contexte et prémices. P12.
90
terrain permet à Lucien de comprendre comment se
manifeste la communauté LGBT dans les différentes villes et quels
sont les lieux où elle se rassemble et s'exprime.
De notre première rencontre avec Lucien émergea
une envie commune d'appréhender cette thématique par le prisme
des 15-25 ans. Dans la perspective de résidence de La
Ponctuelle, mon souci s'articulait en deux étapes. La
première était donc de comprendre comment se développait
et s'exprimait cette communauté au sein de la ville de Saint-Nazaire :
lieux de rencontres, réseaux formels et informels, .... Quant à
la seconde, elle consistait à d'identifier des individualités
compris entre 15 et 25 ans, se considérant appartenir à la
communauté LGBT. En effet, la semaine de résidence de la
compagnie La Ponctuelle fut l'un des temps fort de la première
saison de Bain Public, en ce qui concerne la mise en partage de la
gouvernance avec les publics jeunes. Il est pertinent de rappeler que la
cohésion du groupe est l'un des facteurs de réussite des projets
participatifs. Cette affirmation est même renforcée lorsque ces
actions se déroulent avec des adolescents ou de jeunes adultes car ces
instants de sociabilisation sont perçus comme indispensables à
leur développement. Dans le cadre de ce projet, mon objectif
n'était pas de me tourner vers des groupes de jeunes déjà
constitués. Au contraire, mon souci était d'en créer un
nouveau en identifiant des jeunes n'ayant pas au préalable
d'interconnexions entre eux. Evidemment, il n'était pas exclu que chacun
d'eux ouvre son réseau respectif à Lucien Fradin et au reste du
groupe au courant de la semaine de résidence de La
ponctuelle.
En amont de cette phase de recrutement, je disposais
d'éléments théoriques qui m'aidèrent à
appréhender cette mission. Durant un des webinaires300 du
Réseau national des comités des jeunes, Aude
Romedenne301 avait souligné que le recrutement des
adolescents pour des projets participatifs était assez chronophage et
avait insisté sur le fait qu'il ne fallait pas minimiser le temps que
demandait cette mission. Force est de constater que cet aspect figure parmi les
tensions de la participation car il y a une injonction entre le volume d'heures
qu'il serait nécessaire de passer pour effectuer un bon recrutement et
celui qui est accordé aux professionnels missionnés.
Hélène Balazard302 le mit d'ailleurs en
évidence durant la
300 Réseau national des comités des
jeunes. Webinaire #2. Sujets abordés : les financements et le
recrutement. Mardi 27 avril 2021.
301 Anciennement médiatrice culturelle de la scène
nationale Carré-Colonnes.
302 Chercheuse en science politique au laboratoire EVS de
l'université de Lyon et ingénieure des travaux publics de
l'Etat.
91
conférence-débat L'accompagnement à
la participation303 organisée par l'INJEP : le
recrutement des participants est une phase particulièrement chronophage
et elle gagnerait à être valorisée car elle figure parmi
les temps indispensables à la réussite d'un projet.
J'eus donc la chance de pouvoir mettre mon expérience
en perspective avec d'autres. Ce temps de recrutement fut extrêmement
enrichissant. Cependant, la fermeture des lieux de rencontres, le manque de
visibilité et d'identification de Bain Public rendit ce travail
d'autant plus long. En effet, étant donné que nous n'avions
encore jamais eu l'opportunité d'ouvrir aux publics, le réseau
nazairien de l'équipe se limitait aux structures institutionnelles.
N'étant pas nazairienne moi-même, il m'était d'autant plus
complexe de communiquer et de mobiliser des réseaux informels sur ce
projet.
Cette mission a également souligné la pertinence
d'aller chercher des individualités pour les différents projets.
Cependant, elle me permit également de comprendre les limites et les
avantages de considérer les adolescents comme des publics captifs. En
effet, ce travail de recrutement m'a amenée à prendre conscience
du temps que ce dernier représentait. Il est parfois impossible pour le
médiateur culturel de disposer du même nombre d'heures. S'appuyer
sur une tête de réseau (professeur, animateur, ...) peut donc
avoir comme avantage de mobiliser un groupe en étant en contact avec
seulement un seul intermédiaire.
Cet axe est donc revenu sur l'une de mes missions au sein de
Bain Public : le recrutement
d' « individualités » pour les actions de
médiations. Cet aspect est indispensable pour la mise en place de
projets participatifs. « C'est important de partager, coconstruire
mais avec des groupes repérés et pas dans une construction
globale avec « qui vient fait » parce que là on arrive dans la
démagogie »304. Comme le souligne Gurval Reto, la
mise en place d'un projet s'accompagne toujours d'une réflexion sur la
composition du groupe bénéficiaire. Pour rédiger cette
partie, je me suis appuyée sur la résidence de Lucien Fradin pour
la raison qu'elle mobilisait des publics en lien avec mon sujet de
mémoire. Les enseignements que j'en tire sont riches et pertinents. En
effet, malgré le fort nombre heures que nécessite cette mission,
approfondir et identifier des personnes motivées et cohérentes
avec l'action développée
303 L'Institut National de la Jeunesse et de l'Education
Populaire. L'accompagnement à la participation. Les cahiers de
l'action. Conférence-débat en présentiel (Paris) et en
ligne. 24 Juin 2021.
304 RETO, Gurval. Entretien annexe 1 p 111.
92
présente un réel intérêt. Dans le
cas contraire, il se pourrait qu'elle ne soit pas aussi concluante
qu'espérée.
3.2.3. La valorisation des projets avec les jeunes
Le troisième et dernier point qui sera abordé
dans cette partie est l'importance de la valorisation des projets, aspect
intégré par petites touches au sein des deux premières
parties de ce mémoire. Elle peut se traduire sous différentes
formes : spectacles, présentations, comptes-rendus, création
d'outils collectifs, bilans avec les participants , ... De plus, il est
important de préciser que cette valorisation figure parmi les facteurs
indispensables de réussite d'un projet participatif. En effet, elle
permet de clôturer l'action et également de lui donner du sens.
Lorsqu'il en résulte un spectacle ou une présentation du travail
achevé, comme notamment pour Les choses en face du collectif
Lacavale, les participants ont connaissance dès le début du
projet de sa finalité voire parfois de sa date butoir. Ils ont donc
conscience des objectifs à atteindre collectivement. En ce qui concerne
les temps de bilans en fin de projet, ils peuvent tout à fait
s'additionner à une présentation publique et permettent de faire
une rétrospective de l'action (apprentissages collectifs ou individuels,
...), de la clôturer et d'y donner du sens. En effet, si ces temps sont
primordiaux dans un projet c'est qu'ils permettent aux participants prendre
conscience du chemin parcouru au fil du projet, collectivement et
personnellement. Il est également important de souligner que des liens
se sont construits entre les différents participants et le porteur de
projet. La mise en place d'un temps de bilan ludique est un moment propice pour
se dire au revoir et imaginer les prolongements qui peuvent exister à
cette action.
D'une autre part, lorsqu'il s'agit d'une présentation
publique, la valorisation a le mérite d'ouvrir vers l'extérieur
en mettant en avant le travail finalisé des participants auprès
d'adultes (proches des participants, élus, professionnels de la
structure accueillantes, ...) ainsi qu'auprès d'autres jeunes de leur
âge. « Cette reconnaissance des institutions, des élus,
des habitants, des parents et des pairs est importante pour motiver les jeunes
mais également pour aboutir à des impacts positifs sur le
territoire »305. En effet, force est de constater que
cette reconnaissance est extrêmement bénéfique pour les
adolescents inscrits dans un projet car elle renforce leur confiance en eux.
Laure Ciosi profitera même de cet argumentaire306 pour mettre
en lumière que la reconnaissance et le regard bienveillant des
différents adultes (parents, élus, ...) sur les
305 CIOSI, Laure. Projets participatifs avec des
adolescents : les conditions de leur implication. Caisse nationales
d'allocation familiales. 2014/1 n°181. P 47.
306 Ibid. P 47.
93
projets participatifs adolescents permettent
d'appréhender les deux valeurs qui selon elle sont indispensables
à leur mise en place. La première est de privilégier la
qualité à la quantité, aspect mis en évidence dans
le premier axe de cette partie Une vigilance particulière à
la notion du prendre soin. Pour Laure Ciosi, il est crucial de ne pas
démultiplier ces projets sans réels objectifs. Au contraire, elle
considère qu'ils doivent être murement et intelligemment
réfléchis afin d'être pertinents et permettre aux jeunes
d'en tirer divers apprentissages. « [L]aisser du temps au temps
»307 est la deuxième valeur indispensable que
développe Laure Ciosi dans Projets participatifs avec des
adolescents : les conditions de leur implication. Par cette idée,
elle entend que le temps et l'expérience sont nécessaires pour
que les adolescents puissent aisément s'emparer des différents
sujets et se sentir légitimes à participer à des projets.
C'est donc en accompagnant ces publics, en permettant à chaque jeune de
trouver « sa porte d'entrée », le sujet et le projet qui
l'intéressent que les professionnels arriveront à des
résultats concluants.
Si je reviens plus précisément au partenariat
entre Bain Public et JEV, mettre en place un temps de
valorisation dans l'idée de clôturer cette première
année de partenariat était primordial. Initialement cette action
devait avoir lieu le 9 juillet 2021 durant le Youth Saint-Naz tour.
Finalement, à la suite d'un souci lié au calendrier, elle se
déroulera fin octobre. Il est évident que le travail entre les
deux structures est voué à se pérenniser et les projets en
faveur des jeunes et des adolescents à se développer au sein de
Bain Public. Cependant, mettre en place ce temps se devait de donner
un sens aux différentes actions réalisées et d'insister
sur l'envie de Bain Public de travailler avec ces publics. S'y ajoute
la valorisation des participants ayant rencontré et
échangé avec des artistes accueillis. Lorsqu'Anne Guillou et
moi-même avons pensé cette action, il nous semblait important
qu'elle ressemble à Bain Public tout en pouvant servir à
Jeunes en ville. En ce qui concerne ce dernier, un des objectifs de
son projet est de recueillir la parole des jeunes. Force est de constater que
le partage de la gouvernance commence par cet aspect. En effet, recueillir la
parole des publics permet de connaitre leurs sensations, leurs envies et
d'identifier leurs besoins. Ce travail est donc pertinent voire
nécessaire pour débuter un projet participatif. Cependant, la
difficulté réside dans le fait que prendre la parole en public,
se confier sur ses sensations demeurent extrêmement complexes pour des
publics qui n'y sont pas habitués ou qui n'ont pas été
correctement accompagnés. Recueillir une parole authentique
s'avère parfois compliqué. Nous avons donc souhaité nous
pencher sur cet aspect en mettant en
307 Ibid. P47.
94
place une action qui tendait vers la logique participative.
C'est donc pour cela que nous nous sommes tournées vers les banques de
questions de François Deck, un artiste dont la pratique est
principalement centrée sur la rencontre, la relation et l'échange
avec autrui. « Depuis les performances de la question, les banques de
questions sont nées du désir de garder disponible la
mémoire d'une lecture ou d'une conversation. Il s'agit d'abord d'un
format d'écriture. Dans un second temps des protocoles de débat
ont été développés. Ces protocoles modifient les
conditions de la rencontre. »308 A travers ces banques de
questions, François Deck avait la volonté de développer un
outil ludique et participatif. Les différents participants à
l'atelier doivent choisir une question parmi une liste qui leur est
présentée. Il est important de préciser qu'elle est
écrite soit en amont de l'action soit par les différents
participants, tout en étant en corrélation avec la
thématique développée. Ce qui rend ce travail original est
que l'objectif n'est pas que les participants répondent à la
question choisie. Au contraire, ces derniers devront exposer en quoi celle-ci
les a interpellés : réflexion intéressante, question
liée à une expérience personnelle, .... « Ces
transactions questionnent les rôles et les places de chacun dans la
production esthétique 309et la production des connaissances,
dans un contexte mis en mouvement par les techniques de communication
».310 Ce travail est donc particulièrement
intéressant pour recueillir une parole authentique des participants. En
effet, le but n'est pas de demander aux participants de convoquer les
connaissances ou de démontrer qu'ils sont en capacité de
répondre à la question. Au contraire, aucune réponse n'est
mauvaise et l'un des objectifs est bien de dédramatiser la prise de
paroles en public.
Ce dernier axe a donc mis en évidence l'importance de
la valorisation dans les projets participatifs. Ces temps peuvent soit
être dirigés vers l'extérieur et mobiliser d'autres publics
(présentations publiques, spectacles, ...) ou alors être mis en
place en interne (bilan avec les participants). Il est possible de constater la
compatibilité de ces deux pratiques et de leurs objectifs. Chacune peut
donc être mise en place au sein d'un même projet. Par la suite, cet
axe s'est focalisé sur le temps de valorisation imaginé pour
clôturer la première année de partenariat avec
JEV.
308 DECK, François.
Elaboratoire. Banque de questions. L'évolution des
représentations du travail. P1.
309 Questions imaginées pour l'atelier avec JEV dans
l'annexe 11 : Bilan de la première année de partenariat avec JEV.
P140.
310 DECK, Francois. Avant l'intention, juste avant.
Brouillon général. Fondcommun. 11 mars 2011. P2
95
Cette dernière partie s'est donc tournée vers un
aspect plus professionnel que théorique dans le sens où elle
s'est appuyée sur mon expérience au sein de Bain Public.
Pour cela, j'ai resserré mon analyse sur les actions menées avec
les publics qui m'intéressaient pour ce mémoire. En effet, il y
avait un intérêt à revenir, notamment, sur le partenariat
avec Jeunes en ville. De plus cette expérience illustre bien de
nombreux aspects et des réflexions déjà abordées
dans ce travail.
Malgré quelques difficultés et les
réajustements nécessaires, cette première année
d'exploitation conforta l'équipe de Bain Public dans son
idée de devenir un lieu privilégié pour les jeunes
nazairiens. S'y ajoute l'envie de multiplier les actions pour ces publics. Ce
partenariat avec JEV fut donc le point de départ d'une
réflexion encore neuve mais vouée à être
pérennisée. A travers ce stage, j'eus également
l'opportunité de rencontrer de nombreux jeunes nazairiens dont certains
seraient motivés pour devenir bénévoles à Bain
Public. Le travail amorcé cette année, que ce soit avec
Jeunes en ville ou avec les jeunes nazairiens au sens plus large, aura
très certainement des répercussions positives sur les futures
saisons de Bain Public et permettra à l'équipe,
salariées comme futurs stagiaires, de pérenniser les initiatives
en faveur de la jeunesse. Malgré de nombreux rebondissements, je prends
conscience avec le recul des enseignements précieux que cette
expérience m'a apportés. Elle a également su
élargir et nuancer ma réflexion. Le travail que j'ai
effectué depuis maintenant un an (recherches théoriques,
recensement d'exemples concrets, entretiens avec des professionnels, ...) m'a
permis d'anticiper la mise en place d'actions, de les mettre en perspectives
avec d'autres et de prendre de la hauteur dans le but de les analyser. Cet
exemple complémentaire aux quatre projets sélectionnés
souligne la complexité et la diversité des questionnements
liés à la mise en place de projets participatifs. Une telle
analyse fut possible grâce à mon intégration au sein de
Bain Public car ma posture devient alors celle d'une professionnelle
active. Ce stage me donna la possibilité d'appréhender ces
questionnements en interne, contrairement aux quatre autres projets où
mes conclusions émergeaient des constats des professionnels y ayant
participés.
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