UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE L'OUEST - ANGERS
Mémoire professionnel de recherche
Titre du mémoire :
Partage de gouvernance et démocratie participative dans
les projets pour adolescents : de nouveaux enjeux pour les professionnels du
spectacle vivant.
Master : Arts, lettres, langues
Mention : Direction de projets ou établissements culturels
Spécialité : Action culturelle et spectacle vivant
Sous la direction de BOIVINEAU Pauline
Session : Octobre 2021
CORRIEU Marguerite
Faculté des Humanités
Département des Sciences Humaines Année
universitaire 2020-2021
CHARTE DE NON PLAGIAT
Protection de la propriété
intellectuelle
Tout travail universitaire doit être
réalisé dans le respect intégral de la
propriété intellectuelle d'autrui. Pour tout travail personnel,
ou collectif, pour lequel le candidat est autorisé à utiliser des
documents (textes, images, musiques, films etc.), celui-ci devra très
précisément signaler le crédit (référence
complète du texte cité, de l'image ou de la bande-son
utilisés, sources internet incluses) à la fois dans le corps du
texte et dans la bibliographie. Il est précisé que l'UCO dispose
d'un logiciel anti-plagiat dans
lms.uco.fr, aussi est-il demandé
à tout étudiant de remettre à ses enseignants un double de
ses travaux lourds sur support informatique.
Cf. « Prévention des fraudes à l'attention
des étudiants »
Je soussigné(e), CORRIEU Marguerite, étudiante en
M2 Direction de projets ou établissements culturels, m'engage à
respecter cette charte.
Fait à Nantes, le 25 septembre 2021 Signature (pour la
version imprimée) :
CORRIEU, Marguerite
Remerciements
Pour avoir accepté de suivre ce travail de fin
d'études, pour ses conseils, ses encouragements et sa
disponibilité, je tiens à remercier tout particulièrement
Pauline Boivineau, ma directrice de mémoire.
Je remercie également l'équipe de Bain
Public : ma maitre de stage Anne Guillou et mes collègues Jeanne
Menguy et Aurélia Bourgueil. Je tiens à leur exprimer toute ma
gratitude pour leur accompagnement, leur pédagogie, leur patience et
tout ce qu'elles ont pu me faire découvrir durant ce stage.
Je souhaite aussi remercier les différents
professionnels ayant contribué, de près ou de loin, à la
réalisation de ce mémoire: Gurval Reto, Anne Courel, Edith
Coutant, Catherine Le Moullec, Nicolas Drouet, Nathalie Jan, Carmen Camboulas,
l'équipe du Labo des culture, celle des relations publiques du
CDN Le Préau, du Théâtre de Lorient,
...
Pour finir, pour leur soutien et leurs encouragements, je
tiens remercier mes proches et plus particulièrement mon père,
Jean-Michel Corrieu, pour ses nombreuses relectures et ses conseils.
1
Sommaire
Prologue : présentation de Bain Public 2
Introduction 4
1. Les adolescents : les publics en questions 16
1.1. Une structuration récente de la notion
d'adolescence 16
1.2. La prise en compte des adolescents dans le secteur
culturel 26
1.3 Un double enjeu : le cadre scolaire et le cadre
volontaire 34
2. La gouvernance et la démocratie participative en
tant qu'enjeux contemporains 47
2.1. La place des différents acteurs au sein de ces
défis 47
2.2. L'articulation des enjeux du partage de la gouvernance
avec les adolescents dans des
projets qui leurs sont destinés. 60
2.3. Les limites et les contradictions du partage de la
gouvernance lors de projets
participatifs 67
3. Mon expérience à Bain Public : la mise en
partage de la gouvernance avec les jeunes
nazairiens. 74 3.1. Les enjeux et les difficultés de
la co-construction entre Jeunes en Ville et Bain Public.
76
3.2. Retour sur expérience : les différents
points que j'ai été amenée à appréhender.
85
Conclusion 96
Bibliographie 99
Sitographie 105
Table des matières 106
Annexes 108
2
Prologue : présentation de Bain Public
A la suite d'un appel à projet1 confiant la
gestion et la programmation des anciens bains-douches2 de
Saint-Nazaire, l'association des Chantiers Nouveaux3 put
investir ce bâtiment. En référence à sa plus
ancienne activité4, le lieu fut rebaptisé Bain
Public. Etant donné le temps de rénovation du
bâtiment, inexistante depuis en 19535, son ouverture ne fut
effective qu'en mars 20216. Bain Public est un lieu de
travail et de recherche pour des artistes. Il est pensé comme un espace
de création artistique, d'expérimentation et de transmission. La
structure porte une attention particulière aux formes
pluridisciplinaires et projette d'accueillir chaque année une dizaine de
compagnies professionnelles issues du spectacle vivant. « Bain Public
est un outil dédié à la création artistique. Il
accueille des compagnies professionnelles à différentes
étapes de leur création et propose un accompagnement sur-mesure
»7. Bain Public valorise la mise en partage de
sujets de société traités par les artistes accueillis. Des
groupes d'habitants nazairiens sont régulièrement conviés
à rencontrer et à échanger avec ces derniers sur
différentes thématiques. « Devenir Père »,
« Faire corps » et « Travail et savoir-faire » furent les
trois thématiques explorées en 2021.
L'association s'attache à penser Bain Public
comme un lieu convivial et hospitalier. L'équipe souhaite donc
prolonger cette tradition du soin que proposait le projet initial des
bains-douches. Dans cette optique, Bain Public projette de proposer le
plus rapidement possible un service de bar-restauration8.
1 Lancé par la ville de Saint-Nazaire à
la fin de l'année 2018.
2 Rue des Halles. Ce bâtiment figure parmi le
premier lot de la reconstruction et s'inscrit dans un ensemble avec les HLM
Gambetta et l'école Jean Jaurès. A cette
époque, le droit à un logement sain, à l'éducation
et à l'hygiène se présentent comme les grands enjeux de
cette reconstruction.
3 Structure juridique portant le projet de Bain
Public. Cette association fut créée fin 2018 dans l'optique
de répondre à l'appel à projet lancé par la ville
de Saint-Nazaire.
4 Les différentes activités
qu'hébergea le bâtiment : bains-douches (1953-1977), permanence
d'accueil, d'information et d'orientation (1982), bibliothèque
provisoire (1989-1990), mise à disposition du bâtiment pour le
Théâtre Icare (1994-2017).
5 Année d'ouverture des bains-douches.
6 Date à laquelle les équipements
culturels étaient dans l'incapacité de recevoir du public. La
conférence de presse accueillit donc exclusivement des journalistes et
des élus.
7 Site internet de Bain Public. Page : Bain Public
?
8 Ce service sera dans l'idéal assuré
en dehors des créneaux dédiés à la programmation
artistique (sortie de résidence, diffusion, ...).
3
Forme hybride et innovante, Bain Public est dans un
même temps un outil pour les artistes et un lieu où l'on pense la
médiation dans l'optique de partager et d'échanger avec des
citoyens sur les thématiques abordées dans les spectacles en
cours de création.
L'équipe souhaite développer des actions en
faveur de publics divers et voue un intérêt particulier aux jeunes
nazairiens, tant adolescents que jeunes adultes. Il est pertinent de
préciser, qu'hormis les lieux institutionnels, ces publics disposent de
peu d'espaces où se réunir à Saint-Nazaire. C'est à
la suite de ce constat, que l'équipe de Bain Public formula
l'envie de devenir un lieu de référence pour les jeunes
nazairiens. En ce qui me concerne, j'eus la chance de rejoindre cette
équipe en janvier 2021 dans le cadre d'un service civique de six mois,
prolongé par la suite d'un stage de deux mois. Certaines des missions
qui me furent confiées seront présentées et
analysées dans ce travail et plus largement dans la dernière
partie Mon expérience à Bain Public : la mise en partage de
la gouvernance avec les jeunes nazairiens.
4
Introduction
« Parce que le théâtre est un outil
sensible et lucide d'apprentissage et d'écoute de la vie, parce qu'il
doit rester un acte citoyen et politique, un atout essentiel de la
diversité culturelle, le Théâtre du
Pélican9 développe depuis plus de dix-sept ans une
démarche artistique engagée aux cotés de la jeunesse.
[...] Créer une véritable dynamique d'éducation par la
parole et l'acte théâtrale : voici ce qui motive notre action, la
création de nos cycles de réflexion et notre désir du
faire ensemble. L'objectif du Théâtre du Pélican
est d'accompagner des jeunes de treize à vingt-deux ans dans des
projets artistiques exigeants, durables, en leur proposant des aventures
théâtrales professionnelles. [...] Le décloisonnement de la
culture passe par la mixité des publics, faisant en sorte que des jeunes
de différents milieux sociaux et culturels apprennent à se
découvrir, à se connaitre et à fabriquer ensemble. Il
s'agit de faire tomber le mur des a priori et de vivifier la valeur
rassembleuse de nos projets.»10
Dans son ouvrage Un théâtre et des
adolescents tome 2, Jean-Claude Gal11 s'attache à faire
entendre l'idée suivante : les enseignements que tirent les adolescents
de leur participation à des projets théâtraux
dépassent ceux relatifs aux compétences artistiques12.
En effet, de ces actions découlent l'acquisition d'autonomie, de
confiance en soi, des découvertes multiples ... Ce fut donc une
volonté de la part de ce metteur en scène de se positionner en
tant qu'accompagnateur de « ces jeunes gens », surnom par lequel il
aime affectueusement les nommer, vers cette discipline artistique. Cette
dernière a selon lui le mérite de favoriser l'entrée de
ces publics dans leur vie d'adulte et de citoyen. En tant que précurseur
français des actions théâtrales en faveur des adolescents,
les deux ouvrages13 rédigés par Jean-Claude Gal
avaient, et ont toujours comme objectif premier de défendre
l'intérêt de mettre en place des actions avec ces publics
auprès d'autres metteurs en scène.
9 Association loi 1901 créée en 1973 et
basée à Clermont Ferrand.
10 GAL, Jean-Claude. Un théâtre et
des adolescents, Tome 2. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires
Blaise
Pascal, Service Universités Culture, 2019. Parcours
Pluriels. P17-18.
11 Jean-Claude Gal est un metteur en scène
français. Il a dirigé le Théâtre de l'Ombre du
soir (1983-2000) et le Théâtre du Pélican
(2001-2020) à Clermont Ferrand. En parallèle de ses mises en
scènes professionnelles, il se dédie à travailler avec des
classes d'adolescents.
12 Jeu d'acteurs, montage de vidéos, ...
13 GAL, Jean-Claude. Un théâtre et
des adolescents Tome 1 et 2. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires
Blaise Pascal, Service Universités Culture, 2019. Parcours Pluriels.
5
Aujourd'hui, rares sont les professionnels du spectacle vivant
négligeant les questions liées à l'intégration et
la place des publics adolescents au sein de leur structure, de leurs actions et
de leur programmation. Force est même de constater que ces
problématiques sont partagées au sein de ce corps de
métier et qu'elles ont irrigué diverses initiatives : une
série de réunions autour de la question « Comment donner
envie aux publics adolescents de se rendre dans une institution culturelle par
eux-mêmes ? »14 menées en 2017 par les
chargés des relations publiques du Théâtre
Dunois15, un Réseau national des comités de
jeunes développé par Le Labo des cultures dans
l'optique de partager ces réflexions entre professionnels,
universitaires et bénéficiaires, ...
La mobilisation des professionnels du spectacle vivant autour
de ces enjeux est donc réelle. Cependant, à l'exception des
ouvrages rédigés par Jean-Claude Gal, peu d'écrits
français se sont pour l'instant emparés de ces
problématiques. A l'inverse, d'autres pays, comme notamment la
région du Québec16 au Canada, s'en sont saisis depuis
de nombreuses années. Plusieurs de leurs écrits mettent en
perspective la notion de « théâtre » avec celle d'
« adolescence », tout en y apportant une contribution
théorique. Déjà en 1998, la théoricienne
québécoise Hélène Beauchamps17 mettait
en lumière les similitudes entre ces deux concepts. Dans son texte
Le théâtre adolescent, elle qualifiait les actions
artistiques en faveur de ces publics de « laboratoire du social
»18. « L'adolescence est un temps fort de la
représentation sensible de soi et de l'interprétation
imagée du monde. Culture théâtrale et culture adolescente
ont plusieurs points communs »19.
Si l'on se tourne dorénavant vers les publics sur
lesquels s'attardent ce mémoire, nombreux sont les adolescents qui
perçoivent le théâtre à travers les clichés
qu'il véhicule : un art élitiste négligeant les publics
compris entre 12 et 18 ans, une activité exclusivement scolaire, ... En
ce
14 Théâtre Dunois. Comment donner
envie aux publics adolescents de se rendre dans une institution culturelle par
eux-mêmes ? Compte-rendu de réunions des chargés des
relations publiques, 2017.
15 Théâtre parisien ouvert en 1999 et
spécialisé dans les spectacles à destination des jeunes
publics.
16 Province majoritairement francophone à l'est
du Canada.
17Professeur au département de
théâtre de l'UQAM. Spécialisée dans l'histoire et
l'évolution de théâtre professionnel du XXème
siècle au Canada français et au Québec, elle publia
différentes études sur l'éducation par le
théâtre.
18 BEAUCHAMP, Hélène. Le
théâtre adolescent : Une pratique artistique d'affirmation.
Montréal : les éditions Logiques, 1998. P72.
19Ibid. P79.
6
sens, des professionnels peuvent avoir tendance à
penser la mobilisation de ces jeunes exclusivement par la captivité.
« Public captif est celui qui suit un apprentissage20 par
imposition ou par obligation de quelqu'un d'autre. Public non captif est celui
qui suit un apprentissage par une question de choix et de volonté
personnelle »21. Les publics dit captifs désignent
communément ceux dont la présence, lors d'une action artistique
ou d'une représentation, ne serait pas le fruit d'un choix personnel. A
l'inverse, elle résulterait de celui d'une tierce personne : parents,
professeurs, ...
Ce fut donc une volonté de comprendre ces
différents points : la distorsion des points de vue entre professionnels
du théâtre et adolescents, les difficultés liées
à la mobilisation de ces publics, l'injonction entre ce qui peut leur
être proposé en terme d'art (représentations, actions
culturelles, ...) et les clichés que les adolescents projettent, ...
S'intéresser à un public, l'appréhender
et s'y confronter témoignent également de l'intérêt
qu'on lui porte. Mes différentes expériences en tant
qu'animatrice et directrice pour la jeunesse22 m'ont apporté
une bonne connaissance de ces publics. En ce qui concerne le secteur
théâtral, la connaissance que j'en ai s'est construite grâce
à une appétence personnelle ainsi que par mes études de
comédienne23. S'y ajoutent deux années d'enseignement
de l'art dramatique à des jeunes publics (enfants et adolescents). Mon
cursus scolaire et mes expériences professionnelles peuvent donc en
partie justifier le choix de mon sujet. En effet, c'est confrontée au
terrain que j'ai perçu un intérêt à étudier
les relations entre publics adolescents et secteur théâtral.
Si j'insiste sur le terme « publics adolescents » au
pluriel, c'est parce qu'il ne pourrait exister un seul et même public
adolescent manifestant les mêmes goûts, les mêmes envies et
la même appétence vis-à-vis des disciplines artistiques.
C'est donc une volonté de mettre en évidence la pluralité
des profils qu'englobent cette tranche d'âge. Un autre facteur qui
distingue les adolescents voire crée une scission entre eux est leur
capacité en ce qui concerne l'accès à la
20 Dans sa définition, Christine Tagliante
parle d'individus intégrés dans un processus d'apprentissage de
la langue française. Cependant, cette définition peut tout
à fait s'appliquer dans le cas présent.
21Citation de TANGLIANTE, Christine. Issue du
mémoire : SUJA, Ibramo. Pour une bonne exploitation des textes
littéraires dans le processus d'enseignement et l'apprentissage du
FLE. Université Pédagogique Mozambique-Nampula. 2015.
22 3 à 18 ans.
23 Théâtre du Jour (2015-2016) et
Académie Supérieure de Théâtre d'Angers
(2016-2018).
7
culture24. En effet, force est de constater que les
différents adolescents sont confrontés à une série
de difficultés les éloignant plus ou moins de ce secteur. Elles
peuvent être de plusieurs ordres : économiques, sociales,
géographiques, ... En ce sens, il est donc fréquent que les
publics adolescents soient considérés en tant que « publics
éloignés »25 car ils se retrouvent en
incapacité à se rendre de manière autonome à une
représentation théâtrale (dépendance
financière, difficulté à se déplacer seul, ...). Un
accompagnateur et le financement par les parents ou la collectivité sont
donc requis. Si la question des publics éloignés n'est pas la
spécificité de ce mémoire, c'est pourtant l'une des
problématiques soulevées par les publics ici
étudiés. Avoir conscience de ces inégalités et de
l'hétérogénéité de l'accès à
la culture semblent donc primordial avant même d'approfondir ce sujet.
Par ailleurs, mes recherches mirent rapidement en
évidence le constat suivant : les adolescents inclus entre 12-15
ans26 se retrouvent fréquemment oubliés voire exclus
des initiatives théâtrales. En effet, en ce qui concerne les
spectacles dits « jeune public »27, leur coeur de cible a
tendance à être les enfants de 3 à 12 ans28.
L'entrée au collègue marque un tournant. A l'inverse, la plupart
des initiatives recensées et des ouvrages sur le «
théâtre » et « les adolescents » se focalisent sur
les jeunes à partir de 15 ans. La tranche d'âge des 12-15 ans se
retrouve victime d'un manque de transition entre les propositions « jeune
public » et « tout public »29. S'y ajoutent les
grandes enquêtes culturelles dont les limites inférieures ciblent
les jeunes à partir de 15 ans. Je fais notamment référence
à Cinquante ans de pratiques culturelles en
France30, une enquête ministérielle nationale
menée le long de l'année 2018, ou alors à Les
24 Droit inscrit dans la Déclaration
universelle des droits de l'Homme (article 27) et la Convention
relative aux personnes handicapées (article 30). Il vise à
réduire les discriminations, les barrières physiques et
sensorielles pour que chacun puisse jouir d'un accès à la
culture.
25 Aussi appelés publics
empêchés, les publics éloignés rencontrent des
difficultés pour accéder à la culture. Le terme de «
publics éloignés » englobe donc des publics très
différents (personnes handicapées, incarcérées, en
situation d'exclusion sociale ou géographique, ....).
26 Tranche d'âge correspondant à la
période du collège.
27La page Publictionnaire
dédiée au terme « Jeunes Publics » souligne que ce
terme gagnerait à être systématiquement
précisé pour que le destinataire ait connaissance de la tranche
d'âge qu'il désigne. 28Quelques exemples : Anne Gablin
dans son mémoire Le théâtre jeune public : un espace en
débat, dédie une partie au « théâtre pour
enfant » devenu par la suite « théâtre jeune public
». Cyrille Planson dans son ouvrage Le spectacle jeune public :
histoire et esthétique développe une partie sur le
théâtre pour la petite enfance. A l'inverse, des propositions
s'adressant aux adolescents ne sont pas inclus dans ce travail.
29 Qui peut être vu par tous les publics.
Généralement, ce terme désigne les offres n'ayant pas de
contre-indications en ce qui concerne l'âge du spectateur (exemple :
interdit au moins de 12 ans). Cela fait donc référence à
une représentation dont la thématique, les scènes et les
propos ne nuiront pas à un jeune spectateur.
30 LOMBARDO, Philippe et Loup WOLFF. Cinquante
ans de pratiques culturelles en France. Ministère de la culture.
Culture études. 2020. Cette enquête fut la 6ème
édition d'une série initiée en 1970 visant à
analyser l'évolution des pratiques culturelles en France.
8
chiffres clefs de la jeunesse 202131,
réalisée par l'INJEP32. Il y a de fortes chances
pour que ce manque de données soit le résultat d'une absence de
questionnement en ce qui concerne les préférences des
différents enfants et adolescents d'âge inférieur à
15 ans. En effet, il est possible de supposer que les pratiques culturelles de
ces publics sont sensiblement identiques à celles de leurs parents.
Autrement, elles peuvent être régies par l'institution scolaire.
C'est-à-dire que les envies et les préférences des enfants
et des adolescents ne sont pas forcément prises en compte lors du choix
de l'activité culturelle. Cependant, force est de constater que ce
manque de données amplifie, surement malgré lui, le statut captif
de ces publics voire peut sous-entendre que chacun hérite des
mêmes goûts et de la même sensibilité à l'art
que ses parents respectifs. En ce sens, une injonction s'impose à nous
car ce constat insinuerait que la transmission culturelle33 est une
reproduction identique. L'intérêt que vouent de nombreux
professionnels du spectacle vivant aux jeunes publics et aux publics
adolescents est incontestable. Cependant, le questionnement sur les
préférences de ces publics en terme d'activités
culturelles se retrouve limité car il se résume
généralement aux sorties effectuées avec leur famille ou
dans le cadre scolaire.
Ce fut donc une volonté de faire de ce mémoire
une occasion de me pencher plus largement sur les adolescents entre 12 et 15
ans. De plus, il m'importait de les confronter directement à la
discipline théâtrale. C'est par la suite que j'eus la
volonté de mettre ces notions en perspective avec une autre : celle de
démocratie participative. En effet, en me penchant sur les questions
liées à ces publics, de nombreux professionnels me
témoignèrent de l'importance de responsabiliser les adolescents
en leur proposant, par exemple, des projets participatifs voire en partageant
avec eux certains aspects de leur gouvernance.
C'est au début des années 1960 que les
premières expériences de démocratie participative se
mirent en place. Ce terme désigne « dans sa définition
la plus simple et la plus englobante, l'ensemble des démarches et des
procédures qui visent à associer les citoyens « ordinaires
» au processus de décision politique, ce qui permet de renforcer le
caractère démocratique du régime politique
»34. En ce sens, ces expériences eurent le
mérite d'accroitre l'idée d'un
31 DE SAINT POL, Thibaut (dir. de publication).
Les chiffres clefs de la jeunesse 2021. INJEP. République
Française. 2021.
32 Institut National de la Jeunesse et de l'Education
Populaire.
33 Processus de transmutation de biens, de pratiques,
d'usages et de goût culturels.
34 BLONDIAUX, Loïc. Citation issue de
l'entretien : CHÂTEAUNEUF-MALCLES, Anne. La démocratie
participative : entretien avec Loïc Blondiaux. SES-ENS, ressources en
sciences économique et sociales. 2018.
9
rapprochement entre le monde politique et le monde citoyen
mais à l'inverse, questionnaient sur l'authenticité de la
participation35. C'est en 1989 que la consultante américaine
Sherry R. Arnstein élabora sa grille d'analyse, L'échelle de
la participation d'Arnstein36. Ses objectifs premiers
étaient d'identifier la démagogie et d'analyser les façons
dont les pouvoirs publics informent et incluent les citoyens dans la prise de
décisions. Force est de constater que cet outil, toujours utilisé
par les sociologues actuels, fut perçu comme extrêmement pertinent
et efficace.
Ce fut à partir des années 70 que la
démocratie participative commence à s'ancrer dans une logique
professionnelle37. Le désir d'accompagner des citoyens ou des
groupes identifiés vers des formes participatives crût et fut
formulé par différents corps de métier. S'y
ajoutèrent les jalons qui furent posés à ce concept.
Aujourd'hui la démocratie participative ne s'affiche plus seulement dans
les discours. Au contraire, elle est régie par des règles
juridiques38 et s'incarne dans divers dispositifs. Transversale,
elle irrigue, s'articule et s'ancre dans des activités et des corps de
métiers auxquels elle n'est pas intimement liée. Concertation,
budget participatif, boîte à idées sont des exemples
d'outils fréquemment utilisés pour recueillir la parole des
citoyens et les mettre à contribution lors d'un projet. S'y ajoute le
numérique dont la montée en puissance rend les limites de la
participation d'autant plus poreuses. Il est donc pertinent de souligner
qu'aujourd'hui, notre société aspire à plus de
participation des citoyens dans l'espoir d'accroitre la transparence de
l'action publique.
Pour revenir plus spécifiquement au sujet qui fait
l'objet de ce mémoire, la culture se révèle être un
secteur propice pour mettre en place des projets participatifs et partager sa
gouvernance. Tout d'abord, il est pertinent de se référer
à la Déclaration universelle de droits de
l'Homme39. Cette dernière stipule que « [t]oute
personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la
communauté »40. Pour aller encore plus loin, en
2007 fut signée la Déclaration de Fribourg sur les
droits culturels. Cette notion fait référence à une vision
de la culture qui serait fondée sur les concepts de créance, de
diversité et d'identité. « Les droits culturels,
c'est
35 Manipulation des citoyens.
36 Echelle composée de huit niveaux
détaillant plusieurs stades de la participation : Le plus bas
s'intitulant la manipulation désigne un degré de
non-participation (public passif, démagogie, politique, ...). Le
contrôle des citoyens (délégation totale) est le
degré le plus haut.
37 Les premiers profils s'intéressant
à la démocratie participative étaient plutôt des
militants issus de l'éducation populaire.
38 Quelques exemples : loi relative à la
Démocratie de proximité (27 février 2002), le
code Des relations entre le public et l'administration (entrée
en vigueur 2016), ...
39 Texte fondateur adopté en 1948 par le 58
Etats membres constituant à cette date l'Assemblée
générale.
40 NATIONS UNIS. Déclaration universelle
des droits de l'Homme. Article 27. Grand 1. 10 décembre 1948.
Accueil ONU. Volet Documents.
10
un droit d'accéder et de participer à des
ressources culturelles, c'est-à-dire des savoirs [...], d'avoir de la
vulgarisation scientifique, d'avoir effectivement des activités
artistiques de toute sorte mais aussi de connaitre la géographie de son
milieu, d'avoir la mémoire de sa famille, de son pays [...] autrement
dit c'est tout ce qui fait qu'un être humain peut être libre en
réalité. »41 S'y ajoute aussi le droit de participer
à la vie culturelle et de coconstruire les politiques l'englobant. En ce
sens, proposer à des publics des actions par le prisme des droits
culturels permettrait de tendre vers un continuum amassant les
différentes formes d'expressions : références, ressources,
cultures ... Il est également pertinent de mettre en évidence que
les droits culturels sont inclus parmi les droits fondamentaux, de même
que l'ensemble des Droits de l'Homme42.
Dans le texte Vers la démocratie culturelle,
Marie-Claire Martel43 souligne que « [l]a démarche
participative ne relève pas automatiquement de la mise en oeuvre des
droits culturels, mais peut y contribuer lorsqu'elle débouche sur une
volonté de faire société à travers la culture
»44. La culture est donc bien l'un des secteurs dans
lesquels la démocratie participative et le partage de la
gouvernance45 s'incarnent.
« C'est aussi des évolutions
générationnelles. Ceux qu'on a appelé « les barons de
la culture » sont maintenant à la retraite et la
génération qui est maintenant à la tête des
institutions et des projets culturels a appris plus longtemps qu'il fallait
coconstruire, co-porter avec les équipes aussi. Moi j'ai un vrai
questionnement de la gouvernance au sein de l'équipe. Un partage, une
réflexion globale. Les questions des fonds sont partagées
»46 A travers cette précédente citation,
Gurval Reto, aujourd'hui directeur et programmateur du THV47
souligne que le partage de la gouvernance constitue un des nouveaux leviers du
secteur culturel. Précisons toutefois que ces
41MEYER-BISCH, Patrice. In : Les droits
culturels dans les politiques publiques. Le Transfo. 27 octobre 2014.
Disponible sur Youtube.
42 La liberté, la propriété, la
sureté, la résistance à l'oppression, ...
43 Présidente actuelle de la
Coordination des Fédérations et des associations de Culture
(COFAC).
44MARTEL, Marie-Claire. Vers la
démocratie culturelle. Les avis du conseil économique,
social et environnemental. Novembre 2017. P11.
45Ce mot d'origine anglaise « governance
», nous vient du latin « gubernare » signifiant « diriger
un navire ». Selon IT Governance Institute, la gouvernance a «
pour but de fournir l'orientation stratégique, de s'assurer que les
objectifs sont atteints, que les risques sont gérés [...] ».
La gouvernance est donc une notion transversale, nécessitant le
besoin d'être affinée et explicitée par rapport au contexte
dans laquelle on l'utilise. John Pitseys soulignera que « la
gouvernance représente davantage une manière de penser l'action
publique qu'un dispositif précis ». En ce qui concerne la
gouvernance dans le monde de la culture et du spectacle vivant, aucune
définition n'est disponible.
46 RETO, Gurval. Entretien annexe 1 p 110.
47 Théâtre de L'Hôtel de Ville,
Saint-Barthélemy d'Anjou (49).
11
problématiques ne se limitent pas à une action
spécifique. Au contraire, elles s'intègrent et irriguent le
projet global d'une structure. La participation est même aujourd'hui au
coeur de la pratique professionnelle de plusieurs d'entre elles. D'un
côté, elle interagit en interne, au sein des équipes :
certains dossiers sont co-portés, différentes décisions
sont prises collectivement, ... A l'inverse, le partage de la gouvernance peut
s'ouvrir en direction des publics afin de leur proposer des projets
participatifs et de les inclure dans la prise de décisions. Dans le
deuxième cas, il peut s'agir de spectacles participatifs : ces derniers
sont coconstruits et interprétés par des amateurs et des
professionnels. Autrement, ces projets peuvent s'incarner à travers des
actions de médiation. Cette dernière « vise à
faire accéder un public à des oeuvres (ou des savoirs) et son
action consiste à construire une interface entre ces deux univers
étrangers l'un à l'autre (celui du public et celui disons, de
l'objet culturel) dans le but précisément de permettre une
appropriation du second par le premier »48 mais dans la
pratique « elle n'en couvre pas moins des choses aussi diverses que la
pratique professionnelle des médiateurs (de musée ou de
patrimoine, par exemple) ; une forme d'action culturelle [...] ; la
construction d'une relation d'organisations et de produits destinés
à présenter ou à expliquer l'art au public ; etc.
»49 Ces précédentes citations du sociologue
Jean Davallon constituent l'une des nombreuses définitions de la
médiation culturelle. Bien qu'elles soient multiples, elles s'entendent
et se rejoignent respectivement sur le point suivant : l'approche humaine se
retrouve au centre des actions de médiation. Avant de me lancer plus
largement dans l'argumentaire à venir, il est important de remettre en
perspective un point de vigilance. L'objectif premier des actions en faveur des
publics n'est pas de contribuer à ce que ces derniers deviennent des
spectateurs réguliers. En effet, bien que les deux missions, «
médiation » et « diffusion »50 évoluent
conjointement, les problématiques respectives qu'elles soulèvent
ne sont pas forcément liées. Développement des publics et
action culturelle ne font pas appel aux mêmes stratégies. En ce
qui concerne les actions participatives, une de leurs particularités
réside dans le mode d'apprentissage qu'elles véhiculent. En
effet, elles se détachent de la logique descendante fréquemment
instaurée entre professionnels et amateurs.
48 DAVALLON, Jean. La médiation : la
communication en procès ? MEI : Médiation et information.
N°19. 2003. P38.
49 Ibid. P38.
50 Représentation d'un spectacle achevé
devant un public.
12
Cependant, malgré la contemporanéité des
enjeux de démocratie participative et de partage de la gouvernance, les
écrits51 les abordant ou les mettant en corrélation
avec le secteur culturel, demeurent peu nombreux. Si je reviens plus
spécifiquement au sujet de ce mémoire, théâtre et
adolescence, il me fut impossible d'en identifier. Camille
Schaefer52, étudiante en master d'Ingénierie de
projets culturels et interculturels53 rendra en septembre 2022
un mémoire mettant en perspective les enjeux du partage de la
gouvernance dans les projets à destination des publics adolescents.
Cependant, à cette exception près, je n'ai pas été
en mesure d'identifier d'autres travaux universitaires s'emparant de ces
enjeux. Il est indéniable que les questions de démocratie
participative sont actuellement au centre des préoccupations dans le
secteur du spectacle vivant « jeune public » et « adolescent
». Cependant cette participation manque encore cruellement d'assises
théoriques.
Ce sont donc ces précédentes constatations et
ces différents questionnements qui m'ont amenée à
m'emparer de ce sujet. A partir de là, deux angles d'attaques se
présentaient à moi : traiter ce sujet du point de vue des publics
bénéficiaires ou de celui des professionnels. Mon choix, qui
allait déterminer ma méthodologie de travail, s'est porté
sur la deuxième proposition.
Etant donné que le terme médiation fut
défini préalablement, il est pertinent de faire un focus sur le
métier qui l'incarne. Issu du latin Medius54 le
médiateur est « celui qui se met entre, dont l'action
intervient entre deux entités, de manière équidistante,
afin de les relier et par le moyen duquel la rencontre peut advenir
»55. Etablir des liens, mettre en relation figurent dans
les missions du médiateur. Avant d'être professionnalisée
dans les années 198056, la médiation se mettait
auparavant en place de manière informelle57. En ce sens, un
de mes parti-pris que je tenterai de développer dans ce mémoire
sera le suivant : les professionnels de la culture58 ne sont pas les
seuls à pouvoir faire office de médiateurs. Professeurs,
animateurs socioculturels, éducateurs peuvent également
revêtir cette fonction. La médiation culturelle est alors
perçue comme transversale. Mon souci sera alors de démontrer que
ces différents corps de métier ont
51 Universitaires ou professionnels.
52 En plus de ses études, Camille est
alternante au sein du Labo des cultures.
53 Université Bordeaux-Montaigne.
54 Signification : milieu.
55 NASSIM ABOUDRAR, Bruno et François MAIRESSE.
La médiation culturelle. 2éme édition
corrigée. Paris : Presse
Universitaire de France/Humensis, 2018. Que sais-je ?
56 Il fallut attendre l'arrivée du
gouvernement Jospin en 1997 (instaurant un régime d'emplois-jeunes) pour
que le terme « médiateur culturel » se développe et
soit reconnu.
57 Par un proche par exemple.
58 Médiateurs culturels, artistes, ...
13
des fonctions miroirs et complémentaires. C'est donc
une volonté d'utiliser, dans les pages qui vont suivre le terme «
les médiateurs » comme faisant référence à
cette diversité de profils. S'y ajoutera un argumentaire sur la
nécessité de la co-construction entre les différents
acteurs.
Ces constats, mes hypothèses et mes interrogations
m'ont alors amenée à articuler et à structurer ce travail
de mémoire autour de la problématique suivante : comment les
différents médiateurs et les professionnels du spectacle vivant,
et plus particulièrement du théâtre, peuvent-ils s'emparer
des enjeux du partage de la gouvernance et de la démocratie
participative pour imaginer et coconstruire des actions pour et avec des
adolescents ?
Pour répondre à cette problématique, mon
parti-pris était de resserrer cette étude sur le territoire
français. En ce qui concerne ma méthodologie, elle s'est
articulée selon plusieurs étapes en commençant dans un
premier temps par un travail bibliographique approfondi. Etant donné le
peu d'ouvrages et d'articles mettant en perspective les trois grandes notions
présentes dans mon sujet (adolescence, théâtre et
démocratie participative), mon souci fut de croiser les
différentes données : ouvrages sur la psychologie des
adolescents, essais sur la démocratie participative, ... De par ces
lectures, je me suis forgée un bagage de concepts clef pouvant
étayer ma réflexion. Mes postulats de départ se sont
progressivement affinés, soutenus ou non par des paroles
déjà affirmées. Conjointement, j'ai mené une
série d'entretiens : Gurval Reto, Anne Courel59, Camille
Monmège-Geneste60, Edith Coutant61, ... Ces
derniers étaient pour la plupart en visioconférence étant
donné le contexte actuel62. Cette méthodologie de
recherche me permit de faire émerger, d'analyser et de comprendre quels
étaient les grands enjeux et les problématiques englobant le
sujet choisi. Un des objectifs était de déceler les divers
leviers permettant de mettre en place des projets participatifs avec les
publics adolescents : qu'est-ce que le partage de la gouvernance? Comment et
pourquoi le mettre en place ? Jusqu'à quel point ? Quelles en sont les
limites ? Les adolescents sont-ils des publics pertinents pour partager sa
gouvernance ? Qu'est-ce que cela implique pour les différents acteurs ?
Quelles sont leurs places respectives dans la co-construction de ces actions
?
59 Metteuse en scène et directrice
artistique de la compagnie Ariadne. Elle est également
directrice de l'Espace 600 à Grenoble.
60 Directrice et responsable du développement
du Labo des cultures.
61 Chargée de l'éducation artistique et
culturelle et du plan Grandir avec la culture en Loire-Atlantique.
62 Mémoire rédigé en 2021 lors de
la pandémie liée au Covid 19.
14
Travailler sur les projets participatifs m'a rapidement
amenée à en recenser voire à en sélectionner
quelques-uns. Les invoquer par petites touches dans ce travail me permettrait
d'assoir et d'étayer ma réflexion. En ce sens, j'ai donc
passé en revue les différents projets participatifs
français à destination des publics adolescents. Mon souci
était d'identifier des objets de natures différentes,
portés par des structures diverses. De plus il était primordial,
étant donné mon parti-pris concernant la pluralité des
profils de médiateurs, de mettre en lumière des projets
coconstruits par plusieurs corps de métier. Les actions
sélectionnées devaient donc inclure divers professionnels et ne
pas se focaliser seulement sur les artistes et les médiateurs culturels.
Au final, j'ai cristallisé mon choix autour de quatre projets :
· Le Festival A Vif, porté par le
CDN63 Le Préau au Vire,
· Ce soir je sors mon prof, la
MJC64 de Rodez/Théâtre des deux points,
· Les printemps théâtraux,
l'association Comète en Loire Atlantique,
· Les Choses en face, le collectif Lacavale.
A la suite de cette sélection, j'ai contacté
les professionnels concernés pour des entretiens individuels. Ces
derniers portaient plus généralement sur leurs structures, leurs
manières de travailler avec les publics adolescents et de partager leur
gouvernance. S'y ajoutaient des focus plus précis sur les projets en
question. Ces multiples rencontres apportèrent des exemples concrets
à mes hypothèses et élargirent mes pistes de
réflexion.
Mon expérience au sein de Bain Public m'y a
également grandement aidé. Témoin des
problématiques en lien avec l'ouverture d'une nouvelle structure, ce
stage m'a permis d'éprouver les questionnements et d'appréhender
mon sujet de l'intérieur. A l'inverse, les recherches effectuées
et les exemples recensés en amont me permirent d'anticiper la mise en
place de projets et de les mettre en perspective avec des réflexions
théoriques. Cette expérience m'a donc aidé à
affiner mon sujet et à confronter mes idées à
l'épreuve du terrain. Cependant, j'ai longtemps hésité
à la mettre en perspective dans ce travail. Les facteurs de ces
hésitations étaient multiples : crise sanitaire, ouverture d'un
nouveau lieu, projets avortés ou reportés, ... L'évoquer
par petites touches tout au long de ce mémoire pouvait être plus
judicieux.
63 Centre dramatique national.
64 Maison des Jeunes et de la Culture.
Finalement, j'ai pris le parti de l'analyser et de me
focaliser pour cela sur les actions menées avec Jeunes en
Ville65.
L'objectif premier de cette étude sera d'apporter une
contribution théorique en ce qui concerne les projets participatifs
adolescents dans le secteur théâtral. Elle sera
étayée de citations tirées d'ouvrages ou d'entretiens
professionnels réalisés. S'y ajouteront des observations
personnelles issues de mon stage à Bain Public. Ce
mémoire se présentera en trois parties. La première se
concentrera plus largement sur le point de départ de ma
réflexion, sur les publics adolescents. Y sera abordé
l'historique de la notion, les spécificités de ces publics, une
comparaison de leur prise en compte entre deux pays (la France et le
Québec) dans le secteur culturel et pour finir, les enjeux qu'ils
soulèvent. Forte de ces premières constatations, l'analyse se
poursuivra en mettant en évidence comment la démocratie
participative s'incarne dans les différents projets culturels. Le
rôle des différents acteurs y sera alors détaillé et
une analyse des quatre projets sélectionnés sera
réalisée. Cette partie finira par mettre en évidence les
limites et les contradictions que peuvent irriguer la mise en place des projets
participatifs. Pour finir, la dernière partie sera dédiée
à mettre en évidence et à analyser le travail
effectué lors de mon stage au sein de Bain Public au regard de
la problématique et des réflexions soulevées. Ayant
intégré durant un temps cette structure, cette partie aura le
mérite de montrer le processus et les étapes nécessaires
pour mettre en place ces projets.
15
65 Instance participative nazairienne pour le 15-25
ans.
16
1. Les adolescents : les publics en questions
Avant même de me focaliser sur les enjeux de
gouvernance, ma réflexion s'est penchée et s'est
structurée autour d'un public en particulier : les adolescents. Mon
souci était de comprendre pourquoi ce public semblait si
compliqué à sensibiliser, à intégrer au sein des
projets culturels et pourquoi si peu d'oeuvres dramatiques avaient
été pensées pour eux. C'est donc une volonté de
consacrer la première partie de cette étude à ces publics.
Elle contribuera à répondre à ces différentes
questions, à identifier les diverses problématiques qui sont
propres à ces publics sans pour autant en oublier les enjeux de
gouvernance et de démocratie participative. Trois axes distincts seront
alors développés dans cette partie. Le premier sera
dédié à présenter comment la notion d'adolescence a
émergé et à identifier les besoins de ces publics. Le
second présentera comment les adolescents furent pris en compte en sein
de la culture au Québec, puis en France. Cette partie se clôturera
en développant deux des cadres quand lesquels se dessinent les enjeux de
la culture pour ces publics : le cadre scolaire et le cadre volontaire. Elle
présentera dans un même temps quatre projets participatifs sur
lesquels ce mémoire s'appuiera.
1.1. Une structuration récente de la notion
d'adolescence
Comme souligné en introduction, l'objectif de ce
travail n'est pas d'apporter une contribution aux connaissances psychologiques
des 12-15 ans ou même de dresser un historique de la notion
d'adolescence. Cependant, comprendre d'où est issu « cette notion
», quelle fut son évolution et identifier les besoins relatifs
à cette tranche d'âge semble primordial pour amorcer un travail
pour et avec les adolescents. Ces différents points, une fois mis en
lumière, serviront d'outils, dont il sera possible de s'emparer pour
comprendre les particularités de ces publics et développer des
actions pertinentes pour et avec eux.
1.1.1. Du concept de jeunesse à celui d'adolescence
Etymologiquement « Adolescence » vient du latin
adolescentia. Ce terme signifiant « grandir vers »,
« croitre », désigne donc un moment de transition
entre l'enfant, du latin Infans (« celui qui ne parle pas
») et l'adulte, adultus (« qui a grandi
»). Il peut alors être surprenant de constater que la
signification du terme « enfant » renvoie directement à un
être peu et mal considéré, auquel on ne donne pas la
possibilité de s'exprimer. Aujourd'hui, notre regard sur l'enfance a
réellement évolué et plus personne ne contesterait que les
enfants sont des êtres à part entière. Pourtant, force est
de constater que cela ne fut pas, de tout temps, une vérité. Il
est
17
pertinent de souligner qu'auparavant, rares étaient les
enfants qui survivaient à la naissance. Si par chance ils y parvenaient,
ils étaient très rapidement contraints de travailler et de
devenir productifs. La place attribuée aux enfants était donc
sensiblement la même que celle des adultes. « Cela montre bien
que l'enfant est à la fois quelque chose de pas si précieux que
ça car probablement amené à ne pas survivre et en
même temps dès lors qu'il avait survécu,
immédiatement placé dans une situation qui été
quasi celle d'un adulte.»66 Cette absence de transition,
ici mise en lumière par Sylvie Octobre67, rendait les
rencontres entres jeunes du même âge impossibles. C'est à
partir du XIX et du XXe siècle que les regards portés sur
l'enfant évoluèrent et permirent à la notion d'adolescence
de naitre pour ensuite se cristalliser.
« Si la puberté est universelle et se
retrouve à toutes les époques et dans toutes les espèces
de mammifères, le concept même d'adolescence est relativement
récent, propre aux sociétés occidentales, apparue au
milieu du XIXe siècle ».68 En effet, la
puberté fut depuis toujours considérée et
identifiée comme passage fondamental du développement humain,
autant chez la femme que chez l'homme. Il est intéressant de noter que,
de tout temps, des réflexions sur la jeunesse et le passage à
l'âge adulte furent amorcées. En effet, Aristote69 se
questionnait déjà sur les différentes périodes
constituant le développement de l'Homme entre la petite enfance et
l'âge adulte.
En ce qui concerne plus spécifiquement le sujet de
cette étude, les auteurs du théâtre grec antique
cherchaient à laisser s'exprimer la jeunesse à travers leurs
écrits. Cette dernière se trouvait alors dépeinte de
manières multiples et était personnifiée à travers
des héros tel qu'Antigone70 ou OEdipe Roi71.
« Les dieux grecs n'ont-ils pas été les premiers
à s'en prendre
66 OCTOBRE, Sylvie. In : Rencontre avec la
sociologue Sylvie Octobre. Scènes d'enfance ASSITEJ France. 28
janvier 2021.
67 Sociologue spécialisée dans les
pratiques culturelles des enfants et des adolescents.
68 CANNARD, Christine. Le développement de
l'adolescent : l'adolescent à la recherche de son identité.
3eme
édition. Louvain-La-Neuve : De Boeck Supérieur,
2019. Ouvertures psychologiques. P31.
69 Philosophe grecque ayant vécu entre 384 et
322 av. JC.
70 Issue de la mythologie grecque, Antigone fut
l'héroïne d'une tragédie éponyme de l'auteur
athénien Sophocle (495-406 av. JC)
71 Héros d'une autre tragédie
éponyme de Sophocle, OEdipe est dans la mythologie grecque le
père d'Antigone.
18
à l'adolescence, plus exactement au corps
adolescent, insolente image de fragilité d'une jeunesse cependant
éternelle ? »72.
Au Moyen-Âge, une séparation plus distincte
entre les deux tranches d'âges, enfance et âge adulte,
s'opère. « De 476 à 1476, la population est simplement
divisée en deux phases de l'existence séparant enfants et adultes
autour de l'âge naturel de la puberté »73.
Cependant, il est important de préciser que les femmes vivent ce passage
de manière brutale : l'arrivée de leurs premières
règles ponctue immédiatement leur majorité et elles se
retrouvent alors aussitôt mariées. En ce qui concerne les jeunes
hommes, cette transition est vécue différemment selon leur
condition :
· A l'instar de leurs parents, les fils de paysans et
d'artisans sont contraints de devenir très tôt productifs et de
travailler. Cette entrée précoce dans la vie active rend la
transition entre l'enfance et la majorité compliquée à
observer et à identifier.
· Ayant la possibilité de passer quelques
années à l'université, les fils de bourgeois multiplient
les rencontres entre pairs, permettant alors d'identifier un passage entre
l'enfance et l'âge adulte.
· Lors de sa dix-septième année,
l'adoubement74 marque l'entrée dans l'âge adulte pour
le fils noble.
Le concept de jeunesse continua d'évoluer au fil des
siècles et il fallut attendre le XVIIe siècle pour que le terme
« adolescent » apparaisse dans les dictionnaires. Désignant
alors exclusivement les jeunes garçons, il était utilisé
dans une intention comique voire parfois dégradante. Il est donc
possible de constater que cette précédente définition se
trouve très éloignée voire radicalement opposée de
l'emploi que nous en faisons aujourd'hui. C'est à partir du
XIXème que le concept d'adolescent commence à se rapprocher de la
signification que nous lui connaissons. Selon Agnès
Thiercé75, cette période se décline en deux
parties autour d'une date pivot qu'est 1890 : en amont de cette date, la
docteure en histoire parle donc d'un « âge de classe » car
seuls les jeunes garçons issus de catégories aisées sont
scolarisés dans
72 GAL, Jean-Claude. Un théâtre
et des adolescents. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise
Pascal, Service Universités Culture, 2006. Parcours Pluriels. P86.
73 CANNARD, Christine.,op.cit., P17.
74 Cérémonie permettant au jeune noble
de devenir chevalier.
75Docteur en histoire, Agnès Thiercé
consacre son travail à l'histoire de l'adolescence. Elle a notamment
écrit la Thèse Histoire de l'adolescence et des adolescents :
France 1850-1914 : un âge de classe à une classe
d'âge.
19
l'enseignement secondaire. Résidant la semaine à
l'internat, une séparation naturelle s'opère entre leurs espaces
familiaux respectifs et les espaces scolaires. Les rencontres entre pairs,
facteur primordial pour discerner une étape de transition entre
l'enfance et l'âge adulte, sont alors possibles. Dans un même
temps, le monde rural ne regroupe pas encore les conditions propices à
l'éclosion d'une « adolescence » car les jeunes du même
âge sont, très tôt, toujours contraints de travailler pour
subvenir aux besoins de leurs familles. Les jeunes filles, toutes classes
sociales confondues, ne sont pas concernées. En effet, leur
éducation s'effectuant exclusivement au sein des foyers est un facteur
rendant les rencontres entre pairs impossibles. Ce ne fut qu'à la fin
des années 1880 que chaque jeune, indépendamment de son sexe et
de sa classe, se voit inclure dans la notion d'adolescence. Bien que le terme
soit inscrit préalablement dans les dictionnaires, la date de naissance
du concept d'adolescence, tel que nous le connaissons est fixée à
1904. Adolescence : Its psychology and it's relations to physiology,
anthropology, sociology, sex, crime, religion and education76,
ouvrage du psychologue américain Stanley Hall77
officialisa alors cette notion en tant qu'objet de réflexion, irriguant
une science de l'adolescence. Il peut être pertinent de souligner
qu'auparavant d'autres auteurs, à l'instar de Freud, parlaient dans
leurs écrits de « puberté »78, et non
d'adolescence.
La notion d'adolescence continua donc de s'affiner et
d'évoluer conjointement aux réformes scolaires. Les
premières colonies de vacances françaises créées en
1880, dix ans après la Suisse, devinrent également un espace de
rencontres pour les jeunes du même âge. En 1959, l'école
devient obligatoire jusqu'à 16 ans. Dans un même temps, les
collèges d'enseignements secondaires79 et
généraux80 ainsi que les IUT81 se
créèrent. Les espaces de rencontres pour les adolescents et les
étudiants se multiplièrent et les conditions furent alors
réunies pour voir naitre une communauté adolescente
développant une culture et un langage commun.
Aujourd'hui, l'adolescence reste toujours extrêmement
difficile à définir. Bien que les transformations, notamment du
corps, sont l'une des grandes caractéristiques de cette transition
76 Traduction : L'adolescence : sa psychologie
dans sa relation à la physiologie, l'anthropologie, la sociologie, le
sexe, le crime, le religion, l'éducation. Cette ouvrage ne fut pas
traduit en français.
77 Philosophe et psychologue américain
(1844-1928).
78 Période de la vie entre l'enfance et
l'âge adulte caractérisée par le développement des
organes et des caractères sexuels.
79 CES.
80 CEG.
81 Instituts universitaires et techniques.
20
entre enfance et âge adulte, la tranche d'âge
exacte qui constitue l'adolescence reste extrêmement difficile à
définir. En ce qui concerne la limite inférieure de la tranche
d'âge, les premiers signes de la puberté ont tendance à
être pris comme repère du début de l'adolescence. «
Aujourd'hui, avec la massification scolaire et l'allongement des
études, il est difficile de fixer les bornes d'âges qui encadrent
l'adolescence »82. En revanche, les études plus
longues, l'entrée dans le monde professionnel retardé sont des
facteurs rendant les frontières entre l'adolescence et âge adulte
extrêmement poreuses.
1.1.2. Les adolescents en tant qu'individus : les besoins et
les
spécificités de cette population.
Après avoir dressé un historique succinct de la
notion d'adolescence, cette sous-partie se destine à identifier et
à analyser les besoins de cette tranche d'âge. L'introduction a
d'ores et déjà soulevé ma volonté de me pencher,
pour ce travail, sur les 12-15 ans. Il est important de préciser que
l'objectif n'est pas de contribuer à dresser des barrières entre
cette tranche d'âge et les autres adolescents, plus ou moins jeunes
qu'eux. Dresser une typologie de l'adolescent peut en effet se montrer
dangereux car cela pourrait contribuer à cristalliser une
réalité qu'il ne devrait pas exister. En mettant en
lumière les 12-15 ans, mon objectif n'est pas de les présenter
comme déconnectés des autres publics et il faut souligner
qu'aucune scission ne s'opère entre cette tranche d'âge et les
autres adolescents, plus jeunes (jusqu'à 11 ans) ou plus
âgés (à partir de 16 ans). De plus, le terme «
typologie » sous-entend qu'il existerait un adolescent « type »
ayant la même culture, les mêmes goûts, alors qu'il n'est
plus à démontrer que chaque jeune possède des
caractéristiques, un tempérament et des habitudes qui lui sont
propres. Ces différents points mettent donc en lumière que ce
vocabulaire doit être employé avec vigilance. Cependant, depuis
l'ouvrage de Stanley Hall, nombreuses sont les études qui se sont
penchées sur le passage de l'enfance à l'âge adulte. Ces
différents travaux, tant théoriques que pratiques,
témoignent de certaines grandes tendances et ont identifié des
besoins caractéristiques de cette tranche d'âge. Cette partie
tentera d'exposer et d'expliciter ces différents besoins dans l'optique
de proposer des outils aux professionnels souhaitant travailler avec cette
tranche d'âge.
82 DAHAN, Chantal. Les adolescents et la
culture. Institut national de la jeunesse et de l'éducation
populaire. « Cahier de l'action ». 2013, n°38. P9.
21
D'après le site Ado Zen83 les
besoins spécifiques aux adolescents sont au nombre de sept : le besoin
d'affection (que je regrouperai ci-dessous avec la sociabilisation), de
sécurité, de confiance, de dialogue, d'autonomie, de
responsabilité et pour conclure, le besoin d'espoir84.
Pour commencer, il est indéniable que l'adolescence se
caractérise par un besoin de sociabilisation très fort.
S'écartant progressivement de la sphère familiale, l'adolescent
se regroupe entre pairs autour de passions communes. Evidemment, il peut
être souligné que ces interactions entre pairs sont effectives
dès la crèche. Cependant, la valorisation et la revendication de
ce réseau secondaire sont, à l'adolescence, perçues comme
indispensable dans la construction identitaire et la quête d'autonomie.
« L'adolescence est le temps des copains. Elle le devient en deux
temps : le premier, dans les collèges est marqué par l'homolalie,
c'est-à-dire la fréquentation des copains et des copines du
même sexe, avant un deuxième temps davantage ouvert vers la
mixité. »85 L'adolescent se voit donc
intégré dans plusieurs groupes86 parfois sans aucune
interconnexion entre eux. Par ailleurs, ce besoin d'affection et de
sociabilisation entre en résonance avec un autre besoin cité :
celui de sécurité, véhiculé par l'appartenance
à un groupe. Force est de constater que le groupe rassure. Au contraire,
un jugement négatif porté par ses pairs à son égard
ou pire, se voire rejeté du groupe font partie des angoisses des
adolescents.
Pour approfondir plus largement ce point, il est pertinent de
noter que lors de la mise en place de projets avec des adolescents, la
cohésion du groupe se révèle être l'un des facteurs
de réussite. Dans son texte Projets participatifs avec des
adolescents : les conditions de leur implication, Laure Ciosi87
souligne que « l'appartenance au groupe est une dimension
indispensable qui conditionne l'accès aux bénéficiaires du
projet. Inversement, le fait de ne pas s'y intégrer empêche
d'adhérer au projet. »88 La sociologue
précise notamment avoir réalisé
83 Site Adozen.fr. Les 7 besoins capitaux des
adolescents. 10 novembre 2017.
84 Le besoin d'espoir ne sera pas
développé dans cette partie car il s'avère moins pertinent
pour travailler sur ce sujet.
85 DETREZ, Christine. Les loisirs à
l'adolescence : une affaire sérieuse. Caisse nationale d'allocation
familiales. 2014/1 n°181. P12.
86 Définition groupe (psychologie sociale)
: « un ensemble social identifiable et structuré,
caractérisé par un nombre restreint d'individus et à
l'intérieur duquel ceux-ci établissent des liens
réciproques, jouent des rôles selon des normes de conduites et des
valeurs communes, dans la poursuite de leurs objectifs ».
Définition du philosophe Kuno Fischer tirée du site internet :
Cours de psychologie. Qu'est-ce que le groupe ?
87 Sociologue française
spécialisée en étude des publics de l'art et de la
culture.
88 CIOSI, Laure. Projets participatifs avec
des adolescents : les conditions de leur implication. Caisse nationales
d'allocation familiales. 2014/1 n°181. P45.
22
une série d'entretiens89, individuels et
collectifs, avec des adolescents engagés dans des projets participatifs.
Chacun a spontanément souligné avoir élargi son «
réseau de socialisation amicale »90 grâce
à cette expérience. Construire un projet avec et pour des
adolescents demande donc aux différents médiateurs d'être
extrêmement vigilants à la composition du groupe, souvent garant
de la réussite du projet. L'adolescent doit dans un même temps se
sentir appartenir à la dynamique interne du groupe et être
identifié en tant qu'individu à part entière pouvant se
démarquer de ses pairs.
Une autre caractéristique liée à
l'adolescence est le besoin grandissant d'autonomie, terme dont le dictionnaire
Larousse donne la définition suivante : «
Capacité de quelqu'un à être autonome, à ne pas
être dépendant d'autrui. »91. Cette notion
peut également devenir paradoxale et pour cause : l'adolescent en
rencontre rapidement les limites. En effet, si cette autonomie reste
extrêmement subjective, c'est parce qu'elle se retrouve tiraillée
entre le fait de vouloir l'acquérir et le fait de le pouvoir.
C'est-à-dire que les adolescents souhaitent se détacher de leur
sphère familiale mais se retrouvent rapidement bloqués à
cause de plusieurs contraintes : finances, transports, autorité
parentale, ... Il peut être intéressant de s'interroger sur la
manière dont les adultes peuvent prendre en compte voire concilier ces
deux notions lorsqu'ils proposent des actions aux adolescents. De plus, en
terme d'encadrement, il est indéniable que les adolescents ne
revendiquent pas les mêmes envies que la tranche d'âge des 3-12
ans. « Ils ont confirmé le manque d'attrait, pour les
adolescents âgés de plus de 11 ans, des activités de
loisirs « clés en main » que proposent les structures
d'animation, tels que les centres de loisirs pour les plus jeunes.
»92 Bien que les différences entre ces deux publics
semblent indéniables, cette idée eut, et a toujours parfois, du
mal à se faire entendre. Les professionnels ont tendance à
multiplier les propositions d'activités, alors que les adolescents
souhaitent se voir proposer « des activités à pratiquer
librement mais non hors cadre »93. En effet, comme
l'explique Chantal Dahan94 dans Les adolescents et la
culture, l'informel, pourtant indispensable dans la construction et la
socialisation des adolescents, n'est pas toujours pris en considération.
« La réaction des adultes en général est de
multiplier les offres pour attirer les adolescents, sans
89 Entre 2011 et 2012.
90 Ibid. P45.
91 Larousse. Langue française. Page
internet consultée le 20 février 2021.
92 CEROUX, Benoît. Construire une offre
de loisirs avec des adolescents. Etude d'un dispositif de la CNAF.
Avec [la collaboration de Christine Crépin]. Presses de Sciences Po
« Agora débat/jeunesses ». 2014/1, n°66. P109.
93 Ibid. P109.
94 Chargée d'études à l'institut
national de la jeunesse et de l'éducation populaire.
23
penser, à les laisser disposer d'espaces non
dédiés, non institutionnels dont ils pourraient s'emparer.
»95 C'est-à-dire que les professionnels doivent
aussi créer des espaces où les adolescents peuvent se retrouver
entre pairs pour discuter, ne rien faire, ...
Evoquer l'autonomie invoque un autre besoin
caractéristique de l'adolescence : celui de responsabilité. En
effet, ce nouveau besoin soulève, une fois de plus, la question de
l'accompagnement des adolescents et du positionnement de l'adulte
référent du projet. En effet, si je propose une action clef en
main à des adolescents, je ne leur demande pas, par définition,
d'en être responsables et de la co-porter. Solliciter les participants
dès la conception du projet, dans l'optique qu'ils s'en emparent,
favorise l'engagement des jeunes et permet de les responsabiliser. Cependant,
il est important de souligner que la présence d'un adulte reste
indispensable car « seuls quelques jeunes dotés de
compétences et d'expériences exceptionnelles peuvent sans aucune
aide, initier un projet. »96 L'adulte doit donc se
questionner sur son positionnement pour accompagner et faciliter les prises de
décisions du groupe de jeunes. Il doit être force de proposition
mais ne pas imposer son point de vue ou ses idées. « Si la
démarche voire parfois l'idée du projet est initiée par un
animateur et non par les jeunes, cela n'empêche pas que par la suite le
projet devienne le leur. »97 Dans son texte Laure Ciosi
mentionne que selon les jeunes interrogés « le bon
accompagnateur est celui qui sait dire « ce qui va et ce qui ne va pas
», qui sait « rigoler et encadrer et nous laisser autonome
».98 Responsabiliser les jeunes au sein d'un projet
s'avère bénéfique car cela valorise leurs idées et
leur permet de prendre conscience du travail nécessaire pour
réaliser ces actions. L'adulte référent doit donc les
accompagner dans leur quête d'autonomie, leur confiance et leur estime de
soi.
Pour finir, il est indispensable de se pencher sur les
besoins de dialogue et de confiance. L'adolescent aspire à une relation
plus horizontale entre lui et les adultes qui l'entourent. Lorsque je parle
d'horizontalité, je ne veux pas sous-entendre que l'une des deux
entités serait supérieure à l'autre mais insister sur la
complicité qui doit se mettre en place entre les deux. Il est donc
important que l'adulte n'affirme pas une relation descendante. En effet, cela
pourrait empêcher l'adolescent de s'exprimer ou de développer les
projets qu'il a envie. Ce dernier
95 DAHAN, Chantal., op.cit., P11.
96 CIOSI, Laure.,op.cit., P44.
97 Ibid. P44.
98 Ibid. P47.
24
ressentirait un manque de confiance à son égard
de la part de l'adulte référent. Pour aborder ces publics, il
peut également être recommandé de ne pas passer par un
intermédiaire (parents, professeurs, ...) mais de s'adresser directement
à lui, en adaptant son discours et ses outils. « Pour qu'un
véritable espace de socialisation se crée, la relation doit
tendre à l'égalité dans le dialogue, malgré
l'inégalité des places. »99 L'adolescent
ressent donc le besoin de nouer une relation de confiance avec l'adulte qui
l'accompagne.
Les paragraphes précédents ont donc
contribué à souligner les caractéristiques et les besoins
des adolescents. Solliciter les adolescents et leur permettre de participer
à la conception des projets semblent répondre directement aux
besoins de cette tranche d'âge. Cependant, ces caractéristiques
n'ont pas toujours été intégrées aux projets
menés pour et avec ces publics.
1.1.3. La prise en compte des adolescents dans les projets qui
leurs sont
destinés.
« Ils100 ont également permis de
mesurer le désarroi des élus locaux vis-à-vis d'une
population adolescente essentiellement repérée au travers des
dégradations qu'elle cause ou des problèmes qu'elle
révèle. Au-delà d'une vision caricaturale, les élus
admettent mal connaitre les adolescents ou ne pas savoir répondre
à leur attentes.»101 Cette citation, issue de
l'article Construire une offre de loisirs avec les adolescents,
souligne le manque de connaissances en ce qui concerne les besoins et les
envies de cette tranche d'âge. En effet, de nombreux professionnels se
retrouvent alors démunis lorsqu'ils mettent en place, par envie ou par
obligation, un projet à destination de ces publics. Cela est d'autant
plus étonnant de constater que cet article est relativement
récent102. Pourtant, force est de reconnaitre que depuis
maintenant de nombreuses années des dispositifs et des fléchages
financiers en faveur des adolescents sont mis en place dans plusieurs domaines.
La volonté de travailler avec ces publics, de les découvrir et de
les engager dans des projets n'est donc pas une nouveauté. Cependant, le
problème a longtemps résidé dans une distorsion entre les
projets proposés à ces publics et ses
99COTTIN, Patrick (dir). Accompagner les
adolescents : nouvelles pratiques, nouveaux défis pour les
professionnels. Avec [la collaboration de] Anne LANCHON et Anne LE PENNEC.
Toulouse : Editions érès, 2019. L'école des parents.
P29.
100 Travaux autour du dispositif d'évaluation du volet
enfance jeunesse du contrat enfance jeunesse.
101 CEROUX, Benoit., op.cit., P109.
102 2014.
25
envies. Du manque de connaissances des professionnels, en ce
qui concerne les adolescents, émergèrent des méthodologies
pas toujours très pertinentes. « Typiquement se retrouver
debout sur un pupitre devant une classe assise à dire des trucs sur une
pièce. Moi je sais qu'en tant qu'adolescent ça m'aurait
ennuyé. Et que du coup nous ce que l'on a toujours défendu, c'est
d'amener les enfants à découvrir le théâtre en en
faisant.»103 Pour clôturer cette sous-partie,
j'aimerais présenter Les Assises de la jeunesse car ces
instances aspirent, depuis maintenant une dizaine d'année, à la
prise en considération des besoins et des propositions des jeunes dans
les politiques publiques et les projets qui leurs sont destinés.
C'est en 2010 que la Croix Rouge, grâce à la
Déclaration Jeunesse104, mit en place les
premières Assises Nationales de la Jeunesse. Cet
événement fut particulièrement important et pour cause,
les jeunes présents eurent l'occasion de porter leur propre parole, de
s'exprimer et de recenser les champs d'actions dans lesquels ils souhaitaient
s'engager et être sollicités : le sport, la citoyenneté, la
culture, ... D'autres instances découlèrent de cet
événement et différentes villes françaises mirent
en place leurs Assises de la Jeunesse respectives : Poitiers,
Fougères, Saint-Sulpice, ... Ces échanges entre jeunes,
élus et professionnels ont pour vocation de co-imaginer et coconstruire
les nouvelles politiques jeunesses. Les principaux objectifs de ces instances
sont au nombre de trois : identifier et comprendre les besoins de ces jeunes,
leur permettre de se réapproprier les différentes questions
liées à la citoyenneté et les faire participer aux
différentes problématiques de leur ville. De plus, ces temps
permettent de mettre en lumière les difficultés multiples
auxquels ces publics sont confrontés (inégalités,
recherches d'emplois et de stages, ...). « Un jeune qui a envie
à un moment donné de participer, il faut qu'il puisse le faire et
qu'il ait les outils pour le faire, les clefs pour comprendre [...]
»105
En ce qui concerne Saint-Nazaire106, ville
où se déroule mon stage de fin d'études, l'engagement
citoyen et l'implication des jeunes est depuis longtemps un
élément central du projet de la ville. Le 26 février 2016,
les Assises de la Jeunesse furent l'événement propice
pour soumettre la proposition suivante : mettre en place un conseil nazairien
de la jeunesse. C'est donc à partir de cette proposition, soumise par
les jeunes participants que découla et fut mis en
103 DROUET, Nicolas. Collectif Lacavale. Entretien annexe 3 p
116.0
104 Un des deux textes fondateurs de la Croix Rouge
française pour la jeunesse. La Déclaration Jeunesse
fut exclusivement rédigée pour les jeunes.
105 ASSOULINE, Tania. In : Lancement des assises de la
jeunesse. Ville de Montreuil. Vidéo Youtube. 2017.
106 Commune du département Loire-Atlantique et de la
région Pays de la Loire.
26
place Jeunes en Ville107. Il s'agit d'une
instance de participation citoyenne permettant aux jeunes de 15 à 25
ans, vivant, étudiant ou travaillant à Saint-Nazaire de
s'exprimer et de construire des projets avec différents partenaires. La
participation des jeunes est donc bien l'un des objectifs
véhiculés par cette instance.
Bien que le public visé soit ici les adolescents plus
âgés et les jeunes adultes, la mise en place des Assises de la
jeunesse contribue à repenser la participation des jeunes aux sein
des politiques publiques. Cette attention portée aux besoins et aux
envies des 15-25 ans peut irriguer la prise en compte des adolescents plus
jeunes, et donc notre cible : les 12-15 ans. Il semble aujourd'hui primordial
de pérenniser les outils et les dispositifs destinés aux jeunes
car cela reflète une marque de sérieux de la part des
professionnels et des élus envers eux. Bain Public pour sa
première année d'exploitation fut l'une des structures
partenaires de Jeunes en ville. Les réflexions autour de cette
co-construction et les projets imaginés seront exposés et
analysés dans la troisième et dernière partie de ce
travail : Mon expérience à Bain Public : La mise en place du
partage de la gouvernance avec les jeunes nazairiens.
Cette partie souleva différents points importants
à discerner pour la suite de cette analyse. Bien que cette tranche
d'âge est maintenant bien identifiée, le terme adolescent eut du
mal à émerger et à être reconnu. C'est en grande
partie grâce aux réformes scolaires que ce terme put
progressivement évoluer et qu'une communauté adolescente
émergea. Cependant, il est probable que cette reconnaissance tardive
provoqua la conséquence suivante : les besoins propres à cette
tranche d'âge mirent du temps avant d'être identifiés. Les
différents projets à destination des adolescents et des jeunes
gagneraient donc à les prendre davantage en considération. Les
politiques publiques en faveur de la jeunesse s'affinent et commencent
progressivement à se coconstruire avec ses
bénéficiaires.
1.2. La prise en compte des adolescents dans le secteur
culturel
Après avoir analysé brièvement les
besoins des adolescents et leur inclusion progressivement au sein des projets
qui leur sont destinés, il est intéressant de se pencher plus
largement sur
107 Mis en place par la mission jeunesse de la ville et
animation confiée à la Fédération
d'éducation populaire Léo Lagrange.
27
comment le secteur culturel a intégré cette
tranche d'âge au sein de ses programmations, de ses actions et de ses
structures. En ce qui concerne plus particulièrement le
théâtre, sujet d'étude de ce mémoire, il est
important de se pencher notamment sur les textes de ce répertoire afin
d'analyser s'ils se destinent ou non à des publics adolescents. Mon
souci sera donc de mettre en lumière ces différents points. Pour
cela, je commencerai par dresser brièvement un aperçu du
théâtre adolescent québécois, de sa naissance
jusqu'à aujourd'hui. En effet, les professionnels de ce pays sont
largement en avance sur ces enjeux. Cela permettra donc dans un second temps de
faire un parallèle avec la France où les textes dramatiques pour
adolescents ont émergé bien plus tardivement. Ce pays
étant le sujet d'étude de ce mémoire, il sera pertinent
d'introduire une caractéristique de la politique culturelle
française : la conservation de ces institutions. Cela permettra entre
autre de se pencher sur la relation qu'elles entretiennent avec les publics
adolescents. C'est donc dans cette optique que je finirai par analyser le
Studio 13/16 du Centre Pompidou, prescripteur en ce qui concerne les
enjeux de la gouvernance et des besoins des adolescents dans le secteur
culturel.
1.2.1. Le cas Québécois : une avance importante
sur ces enjeux.
Que ce soit au Québec ou en Belgique, artistes,
médiateurs et programmateurs se sont penchés de manière
extrêmement précoce, en comparaison à la France, sur la
question des publics adolescents. Non seulement, des compagnies et des auteurs
se sont spécialisés dans ce type de théâtre afin de
répondre aux besoins de ces publics naissants, mais ils ont
été progressivement soutenus par les programmateurs et les
financeurs. « En France on ne disait pas qu'il y avait du
théâtre ados, et beaucoup de gens le pensent toujours : un
adolescent peut voir n'importe quel spectacle. Donc identifier un
théâtre pour les adolescents ça a été fait
par les belges et les québécois il y a largement vingt-cinq ans
alors que nous, on a encore du retard. Ils ont aussi travaillé sur le
théâtre pédagogique bien avant
nous.»108
Cet axe sera donc exclusivement dédié à
la prise en compte des adolescents dans le secteur théâtral
Québécois. C'est à partir des années 1970, alors
que la tendance était de produire et de diffuser des spectacles
destinés aux 6-12 ans, que des compagnies se sont
intéressées aux publics adolescents jusqu'alors
négligés. Il est important de préciser que les compagnies
spécialisées en théâtre jeune public connaissaient
des conditions de diffusion plus confortables
108 COUREL, Anne. Entretien annexe 2 p 114.
28
que celles spécialisées pour les adolescents. En
effet, alors que les spectacles pour les 6-12 ans étaient
programmés dans les salles, les compagnies pour adolescents se
produisaient dans des gymnases et des salles de cours. Créer des
spectacles à destination de ces nouveaux publics était donc
encore à la marge mais les différents obstacles
n'empêchèrent pas diverses compagnies de s'emparer de ce
créneau. C'était une volonté, de la part ces
dernières, de dépeindre sur scène une nouvelle
réalité sociale et de permettre aux publics visés de
trouver des héros auxquels s'identifier.
En 1989 à Montréal, Le Théâtre
Le Clou, une compagnie codirigée par Monique Gisselin, Sylvain
Scott et Benoît Vermeulen, fut créée. Au projet artistique
du collectif, possédant une valeur pédagogique, s'ajoutait une
grande exigence. Ce fut donc une volonté, de la part des artistes, de
démontrer que le théâtre pour adolescent pouvait «
allier qualité, recherche et succès
»109. Le Théâtre Le Clou fut alors
très rapidement repéré pour ses spectacles innovants et
qualitatifs, jusqu'à devenir la première compagnie
québécoise à destination des adolescents à
être subventionnée au fonctionnement110. De plus, les
membres du collectif comprirent que leurs spectacles se devaient d'être
accompagnés d'actions de médiation111 dans l'optique
de faciliter la rencontre entre artistes et adolescents et les sensibiliser au
théâtre. Aujourd'hui, Le Théâtre Le Clou est
encore extrêmement actif et pérennise son travail de recherche et
de réflexion à destination des adolescents. Créé il
y a maintenant plus de trente ans, ce collectif précurseur en
matière de théâtre pour adolescents jouit aujourd'hui d'une
notoriété nationale. De plus, d'autres points sont à
souligner pour analyser l'implication des professionnels
québécois en ce qui concerne le théâtre pour
adolescents. Dès les années 1990, de nombreux colloques et des
conférences mettent en perspective ces questions. S'y ajoutent dans un
même temps divers écrits sur ces sujets (études
professionnelles, travaux universitaires, ...). En 1998, dans son ouvrage
Le Théâtre adolescent, Hélène Beauchamp
propose une pédagogie théâtrale en corrélation avec
les besoins et les envies des adolescents. « Notre hypothèse
est que le théâtre
109 NADEAU, Anne. Les quinze ans du théâtre
du Clou : portrait d'une compagnie de théâtre de création
pour adolescents, dans le contexte du théâtre pour l'enfance et la
jeunesse au Québec de 1989 à 2004. Mémoire de la
maitrise : Théâtre : Université du Québec à
Montréal, 2006. p69.
110 Allouées par des collectivités, ces
subventions permettent de financer la gestion courante et globale de la
structure.
111 Le Scriptorium est l'une des actions que le
Théâtre Le Clou met en place chaque année.
29
adolescent, celui créé par eux, existe dans
ses caractéristiques propres et qu'il peut être
considéré comme une création théâtrale de
plein droit et comme une pratique d'affirmation »112 En ce qui
concerne la création des festivals à destination des adolescents,
le précurseur Rencontre Théâtre Ados113
vit le jour pratiquement quinze ans avant le Festival
ADO114, premier festival de théâtre pour
adolescents en France. Référence pancanadienne115 de
la création théâtrale pour et avec les adolescents,
RTA116 pilote également la plus grande ligue d'improvisation
du Québec à destination des jeunes du secondaire : La
LIRTA117. De plus, la médiation culturelle occupe une place
privilégiée au sein de ces rencontres et les participants se
voient proposer de nombreuses actions innovantes. Extrem'ados est ici
un exemple pertinent, d'autant plus qu'il a été repris bien plus
tard par la MJC de Rodez/Théâtre des deux Points,
structure que j'introduirai par la suite. Ce qui est innovant dans ce projet
est qu'il repousse les limites de la création collective: un groupe
d'adolescents, accompagné d'un metteur en scène professionnel,
dispose de vingt-quatre heures, réparties entre le mercredi et le
samedi, pour créer un spectacle dont la représentation aura lieu
le samedi soir de la même semaine118. « Moi je veux
fonctionner avec vous sur le principe de la création collective. Donc,
je n»ai aucun texte d'écrit d'avance, on part de vous
»119.
Ces précédents exemples contribuent donc
à démontrer que les professionnels du théâtre
québécois se sont depuis un certain temps
intéressés aux publics adolescents. D'une part, les spectacles
qui leurs sont proposés sont en corrélation avec leur
réalité : ils parlent de leur quotidien, les personnages leur
ressemblent et il devient possible de s'y identifier, ... D'autre part, les
conférences et les ouvrages se démultiplient, apportant alors une
contribution théorique sur ces problématiques. Bien que cela fut
souligné en introduction, il est pertinent de rappeler que Un
théâtre et des adolescents est l'un des seuls ouvrages
français mettant, comme son nom l'indique, en parallèle ce
secteur et ces publics. Outre cette absence de théorie, il est important
de se pencher sur les autres points qui différencient la France du
Québec sur ce sujet. L'axe
112 BEAUCHAMP, Hélène. Le
théâtre adolescent : Une pratique artistique d'affirmation.
Montréal : les éditions Logiques, 1998. P12.
113 Créé en 1996 par Sylvie Lessard, Pierre-Yves
Bernard, Sarto Gendron et François Hurtubise.
114 2010.
115 Relatif à l'ensemble du Canada.
116 Rencontres Théâtre Ados.
117 Ligue d'Improvisation Rencontre Théâtre
Ados. Créée en 2002, la LIRTA regroupe aujourd'hui plus d'une
vingtaine d'école situées aux alentours de Montréal,
Laval, des Laurentides et de Lanaudière.
118 Les représentations se déroulent la Maison
des arts de Laval.
119 ROY, Jean-Stéphane. Reportage Radio-Canada.
Rencontre théâtre ados. 2016.
30
suivant sera donc dédié à analyser la
prise en compte des adolescents dans le secteur culturel français, pays
se lequel se focalise ce travail.
1.2.2. Le cas français : notre terrain d'analyse
En France, au contraire, les textes dramatiques à
destination des publics adolescents tardèrent à apparaitre.
Cyrille Planson120 soulève d'ailleurs le manque de transition
entre les pièces « jeune public » et celles à
destination du « tout-public » dans un dossier du magazine La
Scène121 : « Longtemps, seul le
théâtre dit classique a été proposé aux
adolescents dans les programmations de théâtre
».122 Certains auteurs, tels que Fabrice
Melquiot123, Sylvain Levey124 ou Luc Tartar125
commencent progressivement à s'emparer de cette littérature et y
développent des héros auxquels les adolescents peuvent
s'identifier. Lors des entretiens menés, j'ai pu constater un
écart palpable et une différence de point de vue entre les
professionnels : alors que certains soulignent que les adolescents devaient
avoir un théâtre qui est dédié, d'autres mentionnent
qu'ils peuvent se diriger vers les pièces tout public.
Pour sa part, le cinéma français s'interroge
depuis plusieurs décennies sur les spécificités, les
envies et la vie quotidienne des adolescents. La Boum126,
film générationnel sorti en salle en 1980 illustre parfaitement
ce propos car « les jeunes filles et les jeunes garçons qui
l'ont vu à l'époque, et parfois plusieurs fois, se sont largement
projetés dans le personnage de Vick127, son
héroïne et sa bande de copains pourtant issus d'un milieu
privilégiés parisiens. »128 Les
réalisateurs et scénaristes français se sont donc
rapidement penchés les questions liées à l'adolescence en
leur proposant des créations dont ils étaient le coeur de
cible.
Afin de comprendre comment les adolescents furent
intégrés, du moins en France, au sein de la culture et des enjeux
de la participation, il semble pertinent de se pencher sur le Studio
13/16
120Rédacteur en chef du magazine La
Scène. Cyrille Planson est également co-directeur du
festival jeune public Petits et Grands et des Biennales
Internationales du Spectacle (BIS).
121Le magazine La Scène est un
magazine destiné aux professionnels du spectacle vivant. Il est
dirigé par Nicolas Marc et a pour rédacteur en chef Cyrille
Planson.
122PLANSON, Cyrille. Les ados, un public
à enchanter. La scène septembre, octobre, novembre 2019,
n° 94, p. 80.
123 Metteur en scène, interprète, pédagogue
et dramaturge contemporain.
124 Auteur dramatique et acteur.
125 Auteur et comédien.
126 Comédie romantique réalisée par
Claude Pinotteau mettant en scène les émois d'une adolescente de
treize ans.
127 Héroïne interprétée par l'actrice
Sophie Marceau.
128 LAURENTIN, Emmanuel. Episode 2 : La Boum
génération. France culture. La fabrique de l'histoire.
Série : une histoire de l'adolescence. 23/08/2019.
31
du Centre Pompidou129, premier espace au monde
dédié aux jeunes dans un musée. Il faut préciser
que la politique culturelle française se caractérise par
plusieurs particularités et que la préservation de ses
institutions à travers les siècles est l'une d'entre elles. Dans
les années 90 des lieux pouvant être qualifiés «
d'alternatifs » commencèrent à voir le jour car des
artistes, privés de lieux où travailler, s'emparèrent de
structures abandonnées. L'exemple du Théâtre
Icare, compagnie s'installant en 1994 au sein des anciens bains-douches
nazairiens130, illustre parfaitement ce propos. Pourtant,
l'émergence des friches culturelles131, et par la suite des
tiers-lieux132, ne remit que peu en cause la place et la
visibilité des institutions culturelles. En effet, ces dernières,
à l'origine de la professionnalisation du secteur, sont toujours
conservées et labellisées par l'Etat. Dans un même temps,
ces institutions peuvent, aujourd'hui encore, véhiculer l'image d'une
culture élitiste, dont la fréquentation est
réservée à des publics privilégiés.
Pourtant, le ministère de la culture lui-même souligne que «
ces institutions ont pour mission de s'adresser à toutes les
populations, de combattre les inégalités territoriales et
sociales d'accès à la culture et leurs services des publics
assurent un travail de médiation pour toucher les populations les plus
éloignées »133.
Dans un même temps, il est important de préciser
que le développement des nouvelles technologies a profondément
remis en cause notre perception de la culture qui « se présente
désormais comme solidaire des notions de loisir, de divertissement et de
communication ».134 Que ce soit en France ou ailleurs, une
culture dite de « chambre »135 émergea. Elle
s'accompagna de nombreuses pratiques ne nécessitant ni l'intervention
d'un tiers ni celle d'une structure : écoute de podcast et
d'émissions radio, visionnage de vidéos Youtube, ...
129 Musée parisien orienté vers la
création moderne et contemporaine dont la création fut
impulsée par le Président Georges Pompidou.
130 Le bâtiment est maintenant réinvesti par le
projet de l'association des Chantiers Nouveaux : Bain Public.
131 Lieux qui par essence n'étaient pas
dédiés à accueillir des projets culturels. Leurs mises en
place sont souvent à l'initiative de collectifs d'artistes ou de
citoyens.
132 Issu de l'anglais « The Third Place » (la
troisième place), les tiers-lieux font référence à
un environnement où l'on viendrait après la maison et le travail.
Emblématique de la participation citoyenne, les tiers-lieux prennent des
formes multiples mais se veulent des lieux chaleureux croisant diverses
activités.
133 Le ministère de la culture. Les partenaires
(1/6) Les institutions culturelles. Culture.gouv. le développement
culturel en France. 05/04/2016.
134 DAHAN, Chantal. ,op. cit., P15
135 Désigne les activités culturelles que chacun
peut faire depuis son espace personnel. Ce terme est également issu d'un
processus récent d'individualisation. Il est pertinent de souligner que
la chambre constitue un lieu emblématique de la construction de la
culture propre des enfants et des adolescents.
32
Dans son article Les adolescents et les
musées, Noëlle Timbart136 souligne que «
Les adolescents sont perçus comme peu présents et peu demandeurs,
voire réticents à l'idée même de
pénétrer dans une institution culturelle
»137. Pourtant, force est de constater que ces derniers
sont bel et bien présents dans les musées tout comme dans les
autres structures culturelles. Cette présence est cependant régie
principalement par deux instances : l'école et la sphère
familiale. Elle résulte donc rarement d'une volonté
formulée par l'adolescent. Cette absence de choix renvoie directement
à la notion de public captif. Il est important de souligner, comme
l'exprime Noëlle Timbart, que rares sont les musées mettant en
place des activités pour les adolescents en dehors du cadre scolaire.
Pour cause, de nombreux médiateurs sont démunis face à ces
publics et supposent que les adolescents rejetteraient les actions qui leur
seraient proposées.
Ces différents constats m'amènent à me
pencher sur l'exemple du Studio 13/16 du Centre Pompidou. Soucieux
d'offrir à chaque public une médiation adaptée, les
actions à destination des jeunes publics furent dès son ouverture
en 1977, positionnées au coeur du projet du musée. C'est en 2010
que le Centre Pompidou mit en place, dans son sous-sol, le premier espace au
monde dédié aux jeunes dans un musée : le Studio
13/16. « Rompre avec le présupposé que les
adolescents n'auraient aucun intérêt pour
l'art»138 devient rapidement l'un des objectifs à
atteindre. Pour cela, le Studio 13/16 se devait, sans pour autant
s'écarter des activités et des propos portés par
l'institution, répondre aux besoins et aux envies de ces publics. La
réussite de ce lieu résulte de plusieurs facteurs :
· Une entrée et une participation aux ateliers
gratuites et sans réservations.
· Des horaires flexibles, pensés en
corrélation avec l'emploi du temps des jeunes (mercredi
après-midi, après les cours, les week-ends, ...).
· La possibilité d'appréhender le lieu
comme l'adolescent en a envie : des ateliers et des événements
sont organisés mais les jeunes ont aussi la possibilité de venir
se poser et discuter.
· Des actions développées en liens avec
les centres d'intérêts des adolescents.
Le Studio 13/16 se présente alors comme un
lieu convivial permettant à chaque adolescent d'appréhender l'art
et le musée d'une manière qui lui est propre. Ce fut une
volonté, de la part
136 Chercheuse en muséologie, science et
société. Elle est l'auteure de la thèse Adolescents et
musées : états des lieux et perspectives (2007).
137 TIMBART, Noëlle. Les adolescents et les
musées. Institut national de la jeunesse et de l'éducation
populaire. « Cahiers de l'action ». 2013/1, n°38. P21.
138 Centre Pompidou, Médiation, Faire
l'expérience du Centre Pompidou. Numéro 1. P6.
33
du Centre Pompidou, de se pencher sur les tendances, les
habitudes et les envies des adolescents. « Nous avons fait le choix de
nous adresser directement aux ados, trop souvent délaissés par
les institutions et par conséquent absents des grands rendez-vous
culturels »139 Force est de constater que les jeunes sont
au rendez-vous et revendiquent une appétence pour les arts. Il est
également pertinent de mentionner que les participants sont
sollicités dans la conception des différentes actions voire en
sont à l'initiative.
Le cas du Studio 13/16 est particulièrement
intéressant pour comprendre la prise en compte des publics adolescents
dans les arts en France. En plus d'en être précurseur, cet espace
illustre la nécessité de penser les actions de médiations
en corrélation avec les besoins et les envies des publics auxquelles
elles sont destinées. Développer cet exemple m'a d'ores et
déjà permis d'amorcer le besoin de désacralisation des
institutions, axe que j'analyserai plus largement dans un second temps.
Grâce au Studio 13/16, le Centre Pompidou put, tout en
conservant son propos et son activité première, permettre aux
adolescents de s'exprimer et de s'emparer des projets. Ces publics, s'ils se
sentent concernés par le propos de l'institution, ne sont donc pas
réticents à participer aux différentes actions qu'elle
propose. Le Centre Pompidou a donc su répondre à diverses
problématiques propres aux institutions culturelles dont : «
les adolescents ont des caractéristiques qui leur sont propres que
le musée devrait prendre en considération afin de leur proposer
des activités qui soient au plus proche de leurs besoins
»140.
La présente partie se focalisa sur les manières
dont les publics adolescents furent pris en compte au sein du secteur culturel.
Elle présenta successivement le cas du Québec, en
révélant une avance considérable sur ces enjeux, puis le
cas de la France, sur lequel se penche cette étude. Alors que les
professionnels québécois ont identifié depuis plus de
trente-cinq ans un théâtre pour adolescents, les oeuvres et les
représentations à destination de ces publics sont encore, en
France, en émergence. S'y ajoutent qu'elles ne sont pas portées
ou même reconnues par l'ensemble de la profession. L'analyse s'est
poursuivie sur l'une des caractéristiques de la politique culturelle
française : les institutions. La responsabilité de ces
établissements vis-à-vis des différents publics, dont les
adolescents, est d'ailleurs précisée dans leurs cahiers des
charges141. En retour, la précédente analyse a
notamment insisté sur l'image que les institutions
139 CHAZOTTES, Patrice. Musée 21, le magazine de
culturespaces. Le nouveau paradis des ados : Studio 13/16.
16/10/2015.
140 TIMBART, Noëlle., op. cit., P22.
141 Document contractuel à respecter pour la mise en
place d'un projet.
34
peuvent renvoyer aux adolescents actuels. La suite de cette
étude montra que le Studio 13/16 est un modèle qui fut
repris sensiblement dans un même temps par le secteur
théâtral.
1.3 Un double enjeu : le cadre scolaire et le cadre
volontaire
Pour clôturer cette partie, il est intéressant
de se pencher sur certains enjeux que peuvent présenter les publics
adolescents. En effet, ces derniers soulèvent plus que tout autre public
la question de la fracture entre l'obligation scolaire et le choix personnel.
Ils se voient d'une part proposer des projets au sein de leurs
établissements respectifs, renforçant leur statut de public
captif, et d'autre part se retrouvent sollicités pour s'engager
volontairement dans des actions. Au premier abord, ces deux démarches
semblent évoluer parallèlement. En effet, elles s'articulent sur
des temps distincts. Après avoir présenté
séparément ces deux types de projets, mon souci sera de
démontrer en quoi ces deux temps peuvent avoir un intérêt
à évoluer conjointement et quels sont les défis à
articuler. Chaque axe me permettra également d'introduire les quatre
différents projets sur lesquels j'ai choisi de m'appuyer pour cette
étude :
· Les printemps des collèges, association
Comète 44,
· Ce soir je sors mon prof, MJC de
Rodez/Théâtre des deux points,
· Les Choses en face, collectif Lacavale,
· Le Festival à Vif, CDN Le
Préau.
1.3.1. L'enjeu des projets dans le cadre scolaire
Tout d'abord, mon souci sera de montrer les
spécificités des projets se déroulant dans le cadre
scolaire en m'appuyant sur deux projets. Aujourd'hui, la
nécessité d'une action culturelle en milieu scolaire n'est plus
à démontrer. Pourtant, jusque dans les années 70, elle
n'allait pas de soi et de nombreuses dates significatives permirent à
l'éducation artistique et culturelle142 d'émerger. En
1988, la loi relative aux enseignements artistiques143
précise que « des enseignements artistiques obligatoires sont
dispensés dans les établissements visés aux articles 3 et
4 de la loi n° 75-620 du 11 juillet 1975 relative à
l'éducation »144 et que « ces
enseignements
142 Action développée dans le cadre scolaire ayant
pour objectif d'encourager la participation de chaque enfant.
143 Loi n°88-20 du 6 janvier 1988, relative aux
enseignements artistiques.
144 République Française, Légifrance.
Loi n°88-20 du 6 janvier 1988, relative aux enseignements artistiques.
Article 3. Abrogé par l'ordonnance n°2000-549 du 15 juin
2000-art 7 (V).
35
comportent au moins un enseignement de la musique et un
enseignement des arts plastiques. »145
Pour sa part, l'éducation artistique et culturelle est
le fruit d'une coopération entre deux ministères : celui de la
Culture et celui de l'Education nationale. Dès lors, l'EAC146
fut perçue comme « indispensable à la
démocratisation culturelle et à l'égalité des
chances »147. Chaque élève de la maternelle
au lycée bénéficie de ces parcours. Cela veut donc dire
que l'EAC permet d'inclure et de sensibiliser des enfants et des adolescents
issus de milieux extrêmement différents : zones
géographiques, classes sociales, ... En effet, il peut être
pertinent de souligner qu'en France, la démocratisation148
est régulièrement associée à la culture au sein de
l'école. Cette idée fut d'autant plus renforcée avec la
création, en 2005, du Haut Conseil de l'Education Artistique et
Culturelle149, ayant pour objectif premier « d'accompagner
le développement de la politique de généralisation du 100%
EAC »150. Proposer des actions d'EAC au sein des
établissements scolaires a donc le mérite de démocratiser
la culture auprès de multiples élèves : son objectif est
de sensibiliser autant des élèves ayant une appétence pour
la culture que ceux n'en n'ayant pas.
Cela me permet donc d'introduire Les Printemps
théâtraux. Ce projet permet à des élèves
de différents collèges ou lycées de pratiquer la
discipline théâtrale au sein de leurs établissements avant
de se rencontrer pour ce temps de festival. Historiquement, les premiers
Printemps théâtraux furent portés par
l'association Vendéenne Vents et Marées à partir
1982151. Force fut de constater que l'initiative rencontra
rapidement un grand succès auprès des établissements
scolaires de la région Pays de la Loire152. Répondre
favorablement à l'ensemble de ces sollicitations se révéla
complexe. C'est à la suite de ce constat que quatre autres associations,
représentant chacune un département des Pays de la Loire, se
développèrent au courant de l'année scolaire 1986-1987
dans l'optique de pérenniser et de renforcer l'action initiée par
Vents
145 Ibid.
146 Education artistique et culturelle.
147 Education.gouv. L'éducation artistique et
culturelle. Ministère de l'éducation nationale, de la
jeunesse et des sports.
148 Issu du grec ancien, ce terme signifie littéralement
« évolution vers le pouvoir du peuple ».
149 HCEAC.
150
Education.gouv.fr. Le Haut
Conseil de l'Education Artistique et Culturelle. Ministère de
l'éducation nationale de la jeunesse et des sports.
151Créée sous l'impulsion de Michel
Pasotti, alors inspecteur de l'éducation nationale.
152 Région située à l'ouest de la
France.
36
et Marées : Théâtre pour
l'avenir (72), Enjeu (49), Amlet (53), et
Comète (44). Compte tenu que la Loire-Atlantique153
met en place de nombreux dispositifs154 pour initier et soutenir la
mise en place de parcours d'éducation artistique et culturelle, c'est
sur cette dernière association que cette étude se penchera.
Dès sa création,
Comète155 se donna comme objectif de «
contribuer au développement des activités
théâtrales en milieu scolaire, en privilégiant les
partenariats artistiques et culturels avec le soutien des institutions et des
collectivités territoriales »156. Elle
développe plusieurs types d'actions en faveur du théâtre au
sein des collèges et des lycéens de Loire-Atlantique. Ces
dernières peuvent se regrouper en trois catégories :
· Présenter l'association comme un relai
d'informations entre les élèves, leurs parents et les
institutions, scolaires ou culturelles.
· Favoriser le partenariat : organisation de formations
à destinations de professeurs et d'artistes désireux de
coconstruire des actions théâtrales dans le cadre scolaire,
· Développer et mettre en place des rencontres
théâtrales scolaires.
C'est donc dans cette troisième et dernière
catégorie que sont inclus Les printemps théâtraux.
Il s'agit de rencontres hébergées où les groupes scolaires
invités se retrouvent à Guérande157 pour une
durée de trois jours. Chaque groupe est engagé dans un parcours
théâtre et dans le processus d'un spectacle. Recevant de
nombreuses sollicitations de la part de professeurs souhaitant y inscrire leurs
groupes, Comète développa plus récemment des
rencontres à la journée se déroulant soit au Grand
T158, soit à la
Gobinière159.
En ce qui les concerne, Les printemps des collèges
réunissent différents groupes de Loire-Atlantique au mois de
juin. Chaque jour, les participants bénéficient d'un atelier de
pratique théâtrale pris en charge par un comédien
professionnel. Les élèves d'une même école sont
153 Département situé en Pays de la Loire.
154 Le plan Grandir avec la culture sera
développé dans une deuxième partie.
155 Acronyme de COMmunication, Expression,
Théâtre à L'Ecole, par la suite devenu
COMmunication, Expression, Théâtre, Education.
156 Comète théâtre 44, site
internet, page Objectifs.
157 Commune de Loire-Atlantique.
158 Salle de spectacles nantaise essentiellement orientée
vers la discipline théâtrale et gérée par l'EPCC
Le Grand T, théâtre de Loire-Atlantique.
159 Situé à Orvault, ce théâtre fait
partie intégrante du centre culturel composé également
d'un lieu d'exposition dans le château du parc et d'un atelier d'art
plastique.
37
répartis dans les différents groupes de
façon à favoriser la rencontre entre les adolescents. Durant le
temps du festival, chaque établissement aura l'opportunité de
présenter son spectacle répété durant
l'année scolaire au sein de la salle Athanor160. S'y
ajoutent divers temps qui ponctuent le festival : fanfare et
déambulation de l'ensemble des participants dans la ville de
Guérande, représentations professionnelles, rencontres avec des
artistes, temps de débats, le coup de coeur des
lycéens161, ...
Les printemps théâtraux illustrent donc
bien que le milieu scolaire peut sensibiliser des adolescents très
différents à la discipline théâtrale. Les ateliers
d'art dramatique dispensés dans les divers établissements sont
proposés sur le temps scolaire. C'est-à-dire que les parents ou
tout autre adulte référent de l'adolescent ne sont pas contraints
de réorganiser leur emploi du temps en fonction de cette
activité. De plus, autant ces ateliers que Les Printemps
théâtraux162 sont proposés gracieusement et
sans contrepartie aux participants. Cette capacité à sensibiliser
et à mobiliser des élèves aussi différents est donc
l'une des spécificités de l'environnement scolaire.
Une autre particularité de l'EAC ou du cadre scolaire
réside dans le fait que les projets proposés ont vocation
à mettre en lumière le cours d'un professeur, extrait du
programme imposé par l'éducation nationale. En ce qui concerne le
théâtre, secteur sur lequel se penche la présente
étude, il rentre généralement en résonance avec le
cours de français. La page de Eduscol, enseigner le
théâtre163, mentionne la classification
suivante:
· En 6ème , les élèves
étudient une pièce du XVIIème siècle à nos
jours.
· En 5ème, une comédie du
XVIIème siècle.
· En 4ème, une pièce du genre
choisi par le professeur164 mais s'étendant
impérativement du XVII au XIXème siècle.
Bien que les écritures dramatiques contemporaines
à destination des publics adolescents sont, du moins en France, assez
récentes, il est indéniable que le programme imposé par
l'éducation
160 Salle de spectacle Guérandaise.
161 Ce temps fut mis en place spécifiquement pour les
lycéens mais les organisateurs cherchent depuis quelques années
à travailler avec les collégiens autour du 1er
juin des écritures théâtrales.
162 Financé par le département.
163 EDUSCOL. Programmes de Français au
collège. Enseigner le théâtre. Ministère de
l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports. 2016.
164 Tragédie, tragi-comédie, comédie ou un
drame.
38
nationale les laisse à la marge. Les collégiens
appréhendent donc ce secteur principalement par le prisme d'une
littérature particulièrement ancienne. Les sujets
évoqués peuvent être perçus comme obsolètes
et les élèves parviennent difficilement à s'identifier aux
personnages. Ce constat est l'un des éléments pouvant expliquer
pourquoi de nombreux élèves ne perçoivent le
théâtre que comme un objet scolaire. « Il suffirait
d'intégrer un parcours de formation adéquate auprès de ces
enseignant.e.s- et des décideurs des programmes- pour que l'école
redevienne le lieu d'un apprentissage fondateur, faisant un parallèle
entre les textes fondamentaux de théâtre et leur pertinence de
perception sur le monde actuel »165
Ce constat peut également digresser sur l'idée
suivante : dans le but de mettre en perspective son cours, un professeur peut
être amené à proposer à son groupe
d'élèves une sortie au théâtre. La
représentation, devant par définition faire écho aux
apprentissages acquis en classe, est choisie par l'enseignant. Cependant, il
est possible que cette obligation gâche l'expérience des
élèves. En se voyant forcer de se rendre au théâtre,
l'adolescent peut avant même d'y être, être réticent
à cette sortie. Force est donc de constater que l'éducation
nationale accorde aux institutions scolaires un rôle majeur en terme de
démocratisation culturelle auprès des publics jeunes. Cependant,
nous sommes ici face à une contradiction car « la
pédagogisation des activités culturelles sert certes leur
démocratisation obligée puisque les élèves sont des
publics captifs mais rarement la construction durable d'un goût pour
l'activité »166. En effet, il est indéniable
que le cadre scolaire sensibilise les adolescents aux disciplines artistiques
et que ces derniers sont présents dans l'enceinte des lieux culturels.
Cependant, en associant ces sorties à une obligation scolaire, leur
désamour pour ce secteur peut s'amplifier et les empêcher de
cultiver une appétence durable pour ces activités.
Pour illustrer ce propos, il peut être pertinent de se
pencher sur le projet Ce soir, je sors mon prof mis en place par la
MJC de Rodez/Théâtre des deux points. Les professeurs
désireux d'amener leur classe à des représentations se
tournent vers cette structure pour les inscrire au projet. Cependant, ce qui
rend cette action particulièrement intéressante et novatrice est
que l'enseignant ne choisira pas, lors de l'inscription, les différents
spectacles. Ce sera aux médiateurs du Théâtre des deux
points de se rendre, par la suite, dans les classes pour
présenter
165 GAL, Jean-Claude. Un théâtre et des
adolescents, Tome 2. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise
Pascal, Service Universités Culture, 2019. Parcours Pluriels. P46.
166 OCTOBRE, Sylvie. Pratiques culturelles chez les
jeunes et institutions de transmission : un choc des cultures ?
Ministère de la Culture-DEPS « Culture Prospective ».
2009/n°1. P7.
39
la programmation de la saison. Alors, les élèves
eux-mêmes auront la possibilité de choisir les spectacles auxquels
ils désirent assister. Le professeur sera alors contraint de s'adapter
à leurs choix : il devra revoir ses outils, adapter son cours, ...
Ce soir, je sors mon prof requestionne bien la construction des
projets en faveur des adolescents. En effet, il semblait incontestable, lors
d'une sortie scolaire au théâtre, que le spectacle se devait
d'être choisi par un professeur. En inversant ce rapport, les
élèves sortent progressivement de leur posture de public captif :
le choix du spectacle ne leur est plus imposé et leurs envies sont
prises en considération. Leur offrir la possibilité de soumettre
leur choix éveille la curiosité des adolescents. Ces derniers se
placent dans une posture d'attente et sont généralement
enthousiastes à l'idée de découvrir le spectacle
sélectionné.
Cet axe a donc illustré certaines
caractéristiques propres aux projets dans le cadre scolaire. Les deux
projets ici présentés, Les printemps théâtraux
et Ce soir, je sors mon prof, seront repris et
détaillés dans la deuxième partie de ce travail La
gouvernance et la démocratie participative en tant qu'enjeux
contemporains. Au-delà de ces exemples, cet axe a mis en
évidence les contradictions et les enjeux à concilier dans les
actions durant le cadre scolaire. En effet, l'école est
incontestablement perçue comme un des leviers de démocratisation
culturelle et sa nécessité n'est plus à prouver. Les
actions qui y sont déployées ont la capacité de
sensibiliser des élèves très différents et tentent
alors de réduire les inégalités en terme
d'accessibilité à la culture. Cependant, force est de constater
que cette mobilisation rendue obligatoire pose la question de la
durabilité et de l'impact de ces actions. Dans le cadre scolaire,
l'engagement et la motivation du groupe sont également des leviers de
réussite de l'action. Ce constat souligne qu'il y a de la
porosité entre les projets dans le cadre scolaire et ceux dans le cadre
volontaire.
1.3.2. L'enjeu des projets dans le cadre volontaire
L'engagement et la motivation des adolescents sont davantage
valorisés dans les projets dans le cadre volontaire car par
définition, les adolescents sortent de leur statut de public captif et
formulent eux-mêmes le souhait de participer ou non à une action.
Cet axe sera dédié à présenter ce que peut
impliquer les projets dans le cadre volontaire. Il s'appuiera exclusivement sur
le projet Les choses en face, mis en place par le collectif
Lacavale.
Cette compagnie créée en 2010 a pour
particularité d'être composée de vidéastes issus
d'une formation de cinéma documentaire et de comédiens. Ensemble,
ils créent ce qu'ils appellent du théâtre documentaire :
interviews, témoignages, objets divers sont récoltés dans
l'optique de
40
nourrir la réflexion des artistes et leur travail. Leur
démarche est documentaire car elle a comme particularité de
s'ancrer dans la vie des gens. Une fois sur scène, la vidéo
demeure un élément essentiel de leur création au
même titre que le jeu des acteurs. La deuxième
particularité du collectif est la dimension participative qu'ils
intègrent dans leurs créations. « Nous avons la
volonté d'ouvrir les portes des théâtres à des
personnes dont ce n'est pas le métier en les invitant à
s'inscrire dans le processus de création.»167 C'est
dans cette optique que la compagnie a commencé à travailler avec
des adolescents « Nous sommes persuadé.e.s qu'il est
nécessaire de créer des espaces-temps de parole, hors des flux
d'images et de bruits qui remplissent le monde. Et les ados, contrairement aux
clichés qu'on peut avoir sur elles.eux, ne sont pas du tout
réfractaires à vivre ces moments. »168 Ce
mémoire se penche plus particulièrement sur Les choses en
face, processus de travail que le collectif a reproduit trois
fois169 entre 2016 et 2020. A partir de la question « C'est
quoi être adultes ? » les adolescents sont invités à
s'interroger. « Les choses en faces, on vient et on discute de plus de
trucs. C'est quoi être adulte ? Vous vous imaginez comment dans vingt ans
? De là on se dit : qui on pourrait interviewer pour poser ces
questions-là ?.»170 Les adolescents sont presque
omniprésents durant le projet, de sa conception à sa valorisation
: temps de discussion en amont, récoltes de témoignages,
réalisation des entretiens, répétitions,
représentation où ils seront eux-mêmes acteurs, ... «
Le spectacle fera dialoguer les vidéos réalisées par
ces adolescent.e.s avec une partition théâtrale qu'ils.elles
interprètent. »171
L'aboutissement du projet est bel et bien un spectacle
professionnel et pas une action de médiation. Seulement ce genre de
projet réoriente et transforme la place des artistes car il
réaffirme leur fonction sociale : le collectif partage son expertise
avec les adolescents, les forment à différents outils et sur
plusieurs aspects. En instaurant cette relation, les membres du collectif se
retrouvent accompagnateurs de ces jeunes le temps d'un projet. A l'image des
autres médiateurs, ils leur permettent de mettre en place un projet qui
leur correspond.
167 Site internet du collectif Lacavale. Page Lacavale.
168 DROUET, Nicolas, D'HEYGERE, Antoine, MARION, Erwan,
MENARD, Julie. PUEYO, Clara-Luce et Chloé SIMONNEAU. Les choses en
face. Projet artistique. Collectif Lacavale. Théâtre
documentaire & participatif. Le Préau CDR. P6.
169 La première version fut créée en
2016 avec 80 adolescents issus du département du Nord dans le cadre du
projet Paroles d'ados 2016. La deuxième fut créée
en 2018 avec 60 jeunes des Hauts de France. La dernière en 2020
créée à Vire avec 19 adolescents, vit ses
représentations annulées (cause : crise sanitaire Covid 19).
170 DROUET, Nicolas. Entretien annexe 3 p 119.
171Collectif Lacavale. Les choses en face #2.
Site internet. Créations. 2018
41
Par essence, les adolescents qui s'engagent dans les projets
en dehors du cadre scolaire sont volontaires. Participer à ce projet
résulte donc d'un choix personnel n'ayant pas été
régi par l'école ou la sphère familiale. En sachant que
les différents participants sont volontaires, il semble possible de
mettre en place des projets plus longs et ambitieux. « Je pense qu'un
projet comme J'aurais aimé que le monde soit parfait, ça
engage tellement que si les jeunes ne sont pas volontaires ça peut
être beaucoup trop de souffrance.[...]. Mais là c'est quand
même un engagement très important, ça leur prend toutes
leurs vacances, ils vont rater quasiment une semaine de cours qu'ils vont
devoir rattraper, ils vont jouer cinq fois sur un grand plateau. [...] Donc si
certains n'ont pas envie ça peut devenir un cauchemar, c'est un coup
à les dégouter de toute forme d'expression
»172.
En ce qui concerne le recrutement des jeunes, il est
important de souligner qu'aucun casting ou entretien n'est mis en place. Le
collectif tente de sortir les jeunes du monde de compétition dans lequel
ils évoluent et ouvrent leurs projets à chaque adolescent
volontaire compris entre 12 et 17 ans. Cela est donc l'une des grandes
différences avec le cadre scolaire où les projets engagent les
élèves d'une même classe et par définition du
même âge. Les adolescents de 12 et de 17 ans sont donc rarement
amenés à se rencontrer et plus encore, à conduire des
projets ensemble.
Cet axe a donc permis d'introduire Les Choses en Face
du collectif Lacavale, projet qui sera repris par la suite dans l'optique
d'illustrer mon raisonnement. Cet exemple a également souligné ce
que les projets dans un cadre volontaire impliquaient. La motivation et l'envie
des jeunes permettent donc aux professionnels de se projeter et de mettre en
place des actions plus longues et plus engageantes. S'y ajoute la
possibilité de réunir des adolescents d'âges divers,
rarement amenés à se rencontrer et à se côtoyer.
1.3.3. Des enjeux pouvant être complémentaires
Chacun de ces deux enjeux a été
présenté de manière distincte. C'est donc une
volonté de finaliser cette partie en démontrant qu'ils peuvent
devenir complémentaires et que certains projets leur permettent
d'évoluer conjointement.
Lors de la mise en place de projets participatifs, notamment
dans le cadre volontaire, les adultes référents de l'action
doivent consacrer du temps au recrutement des adolescents.
C'est-à-dire
172 DROUET, Nicolas. Entretien annexe 3 p 118.
42
que les médiateurs devront sensibiliser ces publics
à l'action qu'ils sont en train de mettre en place dans le but qu'ils
s'y intéressent et peut-être s'y inscrivent. Comme expliqué
précédemment, la constitution du groupe est extrêmement
importante voire peut devenir un facteur de réussite du projet en
question. Le recrutement est donc un temps extrêmement
stratégique: les adultes multiplient les rencontres avec les jeunes dans
divers endroits (MJC173, CRIJ174, clubs de sport, ...) et
diversifient les médias qu'ils utilisent (flyers, réseaux
sociaux, ...). De nombreux médiateurs et professionnels se tournent
donc, entre autre, vers les établissements scolaires dans l'optique de
sensibiliser rapidement un grand nombre d'adolescents. C'est notamment le cas
du collectif Lacavale. Ces derniers s'appuient grandement sur les professeurs
et investissent les établissements scolaires pour présenter leurs
projets aux potentiels futurs participants. En passant par les collèges
et les lycées, le collectif parvient à sensibiliser davantage
d'adolescents et de plus très différents. En négligeant ce
relai, le collectif pourrait s'adresser et sensibiliser exclusivement des
adolescents ayant déjà une appétence pour la culture et de
ce fait, favoriser l'entre-soi.
Un autre projet que j'aimerais présenter est le
festival A Vif du CDN175 Le Préau à
Vire. Pionnier en France des festivals de théâtre adolescents, il
témoigne de la porosité possible entre les enjeux dans le cadre
scolaire et ceux dans le cadre volontaire. C'est en 1978 que le centre
dramatique national Enfance Jeunesse de Basse-Normandie fut
créé sous l'impulsion d'Yves Graffey, alors directeur du Gros
Caillou à Caen. Éric de Dadelsen lui succéda en 1992
et le centre dramatique fut alors rebaptisé Le Théâtre
du Préau. Ce ne fut qu'à partir de 1995 que ce centre
dramatique fut délocalisé à Vire. Cette structure
enchaîna ensuite les différents statuts : CDNEJ176,
ENPDA177 et Centre Dramatique Régional de
Basse-Normandie178. En 2017, Le Préau devient un
Centre Dramatique National179, implanté en milieu rural,
caractéristique assez rare pour être mentionnée. Son autre
particularité est son intérêt et son projet
spécifique pour les publics adolescents, impulsés lors la
première édition du festival ADO180 en 2010 et
depuis
173 Maison des jeunes et de la culture.
174 Centre régional d'informations jeunesse.
175 Centre dramatique national.
176 Centre Dramatique National pour l'Enfance et la Jeunesse.
Statut obtenu en 1995. Ce statut a aujourd'hui disparu.
177 Établissement National de Production et de Diffusion
Artistique. Statut obtenu en 2002.
178 Statut obtenu en 2006.
179 Label attribué par l'état et
créé dans la continuité de la décentralisation
culturelle. Les CDN sont des institutions théâtrales publiques.
180 Rebaptisé depuis 2021 Festival A Vif.
43
pérennisés. Cet événement, qui il
faut le rappeler est le premier festival de théâtre
français créé pour et avec des adolescents, fut mis en
place sous la direction de Pauline Salles181 et de Vincent
Garanger182. Sa création irrigua alors l'ensemble des
activités de la structure. En effet, force est de constater qu'à
partir de cet événement ce CDN, dont la programmation
était auparavant tournée vers le spectacle jeune public,
multiplia les représentations et les actions en faveur des adolescents.
La mise en place du festival s'est donc pérennisée : une dizaine
de jours lui sont dédiés tous les ans au mois de mai.
C'est en janvier 2019 que Lucie Berelowitsch183,
nouvelle directrice du Préau, arriva à la tête de
l'établissement, en formulant d'emblée sa volonté de
positionner la jeunesse et les écritures contemporaines au centre de son
projet. « Je tiens à amplifier ce travail remarquable
effectué pour les adolescents, en leur donnant davantage de portes
d'entrées dans la participation au projet, leur permettant de s'exprimer
individuellement, en dehors du cadre scolaire ».184 Cette
envie évoluait donc conjointement avec les différentes actions
amorcées par l'ancienne équipe. A partir de l'édition
2021, le Festival ADO fut rebaptisé Festival A Vif.
« On a aussi changé ce nom Festival à Vif pour
répéter, réitérer notre souhait que ce festival
soit un moment d'échange entre adolescents et adultes. Un échange
intergénérationnel pour rencontrer cette nouvelle
génération »185.
Ce festival développe de manière
simultanée et complémentaire, des actions dans le cadre scolaire
et dans le cadre volontaire. Tout d'abord, le spectacle d'ouverture du festival
est une représentation où des adolescents sont sur scène
en tant que comédiens. Pour l'édition 2021, il s'agit de
J'aurais aimé que le monde soit parfait186, nouveau
projet participatif du collectif Lacavale. En plus d'y intégrer
pleinement des adolescents de Vire, la représentation est
diffusée devant un grand nombre de spectateurs ayant sensiblement le
même âge que les comédiens. En y assistant, les jeunes
peuvent avoir envie de participer ou de s'investir dans des projets similaires.
Hélène Beauchamp le soulignera à juste titre : «
c'est le spectacle de leurs pairs qui
181 Metteuse en scène, dramaturge et comédienne
française, Pauline Salles fut directrice du CDN Le Préau
de 2009 à 2018.
182 Metteur en scène et comédien français,
il dirigea le CDN Le Préau de 2009 à 2018.
183 Formée au conservatoire de Moscou (GITIS) et
à l'école de Chaillot, Lucie Berelowitsh est comédienne et
metteuse en scène.
184 BERELOWITSCH, Lucie. Projet artistique. P14
185 BERELOWITSCH, Lucie. Présentation de la saison
2020-2021 au Préau. Le Préau CDN de Normandie - Vire.
Théâtre
contemporain.net, 25/06/2020.
186 Théâtre documentaire. Création 2021.
Production : Le Préau-CDN de Normandie à Vire.
44
les pousse à tenter l'expérience
»187 en constituant « un effet
d'entraînement positif sur plusieurs jeunes qui voudront faire ce qu'ils
auront vu d'autres réussir »188.
Autre aspect important, le CDN de Vire a la
particularité d'ouvrir ses portes et son espace bar aux spectateurs en
dehors des temps de programmation. Sur leur temps libre, les adolescents des
alentours s'y retrouvent fréquemment. A l'approche du festival,
l'équipe des relations publiques se tourne vers ces jeunes
présents. Ces derniers ont alors la possibilité de s'investir et
d'aider à préparer cet événement, notamment pour
tout ce qui est relatif à la décoration du hall. Le Village
Ados est également un temps fort du festival dont les adolescents
peuvent s'emparer, autant dans sa conception que dans sa valorisation. Il
s'agit d'une scène ouverte se déroulant le mercredi de la semaine
de festival dans le jardin de la médiathèque de Vire. Les
adolescents volontaires peuvent d'une part participer à sa
préparation (fabrication de mobiliers, signalétique, ...) et
d'autre part faire partie de la programmation (lecture de texte, chant, danse,
...) ou encore être présents pour les autres aspects
organisationnels (placement du public, présentation de la programmation,
...).
Il est également important de souligner que le
festival se structure en corrélation avec les établissements
scolaires. L'équipe du Préau propose à l'ensemble
des collèges et des lycées des alentours des journées
parcours : les professeurs désireux d'y participer inscrivent leur
classe soit à deux spectacles prenant place sur la même
journée, soit à une représentation le matin et une
activité artistique l'après-midi. Ces dernières sont
imaginées et animées par divers partenaires de la ville de Vire:
musée, MJC, conservatoire, cinéma, ... Les élèves
d'une même classe ont alors le choix entre divers ateliers. L'objectif
est que chacun puisse participer à une activité qui
l'intéresse, tout en mélangeant les différentes classes et
donc en favorisant la rencontre. « Lorsqu'on fournit le nombre de
places aux profs, on leur donne un nombre de places limité. Si par
exemple il y a un atelier danse avec dix places, on ne va pas proposer les dix
places à une seule classe. On va proposer une place par classe
différente comme ça il y aura dix personnes qui ne se connaissent
pas dans l'atelier. Donc c'est aussi l'idée de rencontre et de partage
qui nous intéresse »189.
187 BEAUCHAMP, Hélène. Le théâtre
adolescent : Une pratique artistique d'affirmation. Montréal : les
éditions Logiques, 1998. P23.
188 Ibid. P23.
189 DAVODEAU, Adèle et Enora THIVILLIER. Chargées
des relations publiques au CDN Le Préau. Entretien en annexe 4
p 124.
45
Bien que le point focal du festival reste le CDN Le
Préau, il prend également place dans diverses structures de
la ville et du Bocage190. S'y ajoutent les établissements
scolaires dans lesquels le festival s'intègre. Un des temps forts dans
lequel les adolescents peuvent s'investir sont les Befores. Comme
l'indique son équivalent en anglais, ces temps ont lieu avant les
spectacles du soir. Se déroulant dans l'enceinte des
établissements scolaires, les formes que peuvent prendre ces temps sont
multiples : restitutions d'ateliers faits l'après-midi ou durant
l'année, représentations publiques, prise de parole un peu libre,
... Les Befores sont alors un autre temps fort du festival car ils
permettent aux adolescents de s'emparer de leur lieu de travail quotidien en y
proposant des actions diverses.
Le Préau propose donc bien durant le temps du
festival A Vif, des projets dans le cadre scolaire mais aussi des
actions permettant aux adolescents de s'engager volontairement. En se
structurant ainsi, le festival interagit et prend place sur une grande partie
des temps de la vie de l'adolescent : temps scolaires, extra-scolaires, ... En
irriguant les classes et les établissements scolaires, le festival
permet aux adolescents de s'emparer de leur lieu de travail. Proposer des
actions dans le cadre scolaire peut éveiller la curiosité des
adolescents et les amener à s'intéresser aux autres aspects du
festival : projets hors-cadre scolaire, Journée
Marathon191 du samedi, ...
Les publics adolescents soulèvent donc bien un double
enjeu en se voyant proposer dans un même temps des projets dans le cadre
scolaire et dans le cadre volontaire. Bien que les temps scolaire et
extra-scolaire peuvent présenter des spécificités
différentes, les besoins des adolescents et les enjeux de la gouvernance
restent les mêmes. Cependant, proposer des projets associant les deux
cadres peut avoir de nombreux bénéfices. En effet, c'est en
multipliant les rencontres et en croisant les projets que les adolescents vont
se sentir sollicités et que leur participation deviendra alors plus
spontanée. Pour la dixième édition du Festival
ADO, deux adolescentes ont écrit et prononcé le texte
d'ouverture. Ces dernières avaient elles-mêmes formulé
cette demande. Il est important de souligner qu'elles avaient participé
auparavant à de multiples actions avec Le Préau, autant
dans le cadre scolaire que volontaire et qu'elles avaient
190 Le bocage normand s'étend sur l'ensemble du flanc
ouest de la région Basse Normandie.
191 Le samedi du festival, quatre spectacles sont
proposés au sein du Préau. Il est alors
possible de prendre un pass journée ou d'acheter ses places
séparément.
46
une bonne connaissance du fonctionnement du festival. Si elles
ont osé formuler une telle demande c'est que leurs
précédentes expériences au sein du Préau
ont mis en évidence que l'équipe prenait en
considération les envies des adolescents et qu'elles étaient
légitimes à s'investir dans des actions.
Cette partie a donc soulevé plusieurs
problématiques propres à la notion d'adolescence. Elle
commença par mettre en évidence l'émergence de ce terme et
les besoins de ces publics. S'y est ajouté l'articulation et la prise en
compte des caractéristiques des adolescents lors de la conception des
projets qui leur sont destinés. La deuxième sous-partie se
focalisa davantage sur le secteur culturel et proposa une comparaison entre le
Québec et la France en ce qui concerne la considération des
publics adolescents au sein des programmations, des actions de médiation
et des structures. Pour finir, la dernière sous-partie souleva un double
enjeu que présente ces publics : les projets dans le cadre scolaire et
ceux dans le cadre volontaire. Bien qu'ils puissent au premier abord sembler
contradictoires, ces deux types de projets peuvent évoluer
conjointement.
47
2. La gouvernance et la démocratie participative en tant
qu'enjeux contemporains
Les différents points précédemment
développés peuvent devenir des outils de réflexions pour
les professionnels désireux de mettre en place des projets avec des
adolescents. Cette deuxième partie se devra de prolonger les
questionnements soulevés durant la première. Pour cela, elle
identifiera comment les enjeux de la gouvernance et de la démocratie
participative s'intègrent et s'articulent dans les projets
théâtraux en faveur des publics adolescents. Il est pertinent de
rappeler que le partage de la gouvernance dépasse largement les actions
de médiation. Au contraire, elle participe à une réflexion
plus vaste en s'ancrant et en irriguant l'intégralité du projet
d'une structure. D'ailleurs, force est de constater que de nombreuses
actions192 impliquent les différents professionnels de la
structure et pas seulement les médiateurs de celle-ci. En ce qui
concerne ce travail de mémoire, c'est une volonté de m'attarder
plus spécifiquement sur certaines actions. Toutefois, il est primordial
de ne pas perdre de vue le projet artistique dans lequel elles s'inscrivent. La
présente partie se découpera donc de la manière suivante :
la première sous-partie présentera successivement les
différents acteurs en interactions lors de ces projets. S'y ajoutera le
positionnement que chacun peut adopter pour faciliter l'émergence du
partage de la gouvernance lors des actions développées. La
deuxième sous-partie se penchera quant à elle sur les quatre
projets sélectionnés et exposera comment chacun parvient à
intégrer les enjeux de démocratie participative. Pour finir, il
importe de souligner que mettre en place des projets participatifs
présentent des limites et mêmes certaines contraintes. L'objectif
de la dernière sous-partie sera de les analyser pour permettre aux
professionnels d'en être conscients et transparents envers les jeunes
qu'ils accompagnent dans ces projets. Le but définitif serait, dans la
mesure du possible, de parvenir à dépasser ces limites et ces
contraintes.
2.1. La place des différents acteurs au sein de ces
défis
Cette première sous-partie se propose donc de
présenter et d'analyser le rôle des différents acteurs,
qu'ils soient en interactions ou non, lors de ces projets. Leur positionnement
et les échelles auxquelles ils appartiennent les uns et les autres sont
multiples. Cette sous-partie se découpera donc comme suit :
192 Festival A Vif, les spectacles participatifs,
... Il est pertinent aussi de mentionner le projet Les Infiltrés
mis en place par le THV et dont le directeur fut à l'initiative.
·
48
Le rôle des adolescents : cet axe mettra en
évidence que les projets participatifs permettent aux
bénéficiaires de devenir acteurs de ces actions. Etant
donné que cette étude adopte le point de vue des
médiateurs et non des adolescents, mon souci sera de mettre en
évidence comment les professionnels peuvent faciliter un tel
positionnement de la part des participants.
· Le rôle des médiateurs : cet axe mettra
en lumière la complémentarité des différents
professionnels (médiateurs culturels, professeurs, animateurs, ...) et
renforcera l'idée que ces différents corps de métier
peuvent faire office de médiateurs. De ce fait, une co-construction des
projets peut se montrer pertinente voire nécessaire.
· Le rôle des institutions : la
nécessité de désacraliser ces structures sera alors
abordée, tout en s'appuyant sur l'exemple du CDN Le
Préau.
· Le rôle du département : responsable de
la construction et de la rénovation des collèges, le
département peut aussi avoir un rôle crucial au sein de ces
enjeux. Cette dernière sous-partie s'appuiera alors sur le plan
Grandir avec la culture.
2.1.1. Les adolescents : acteurs et non consommateurs
Durant les différents entretiens que j'ai eu
l'occasion de mener, l'idée suivante est très
régulièrement revenue : faire participer les publics permet de
les rendre acteurs et par conséquent, les sortir du simple rôle de
consommateurs. Il est pertinent de rappeler que cela fut souligner en
première partie dans l'axe Les adolescents en tant qu'individus :
les besoins et les spécificités de cette population. «
Cela est d'autant plus flagrant aujourd'hui193. Moi je n'ai pas
envie que les gens viennent consommer du spectacle. Ils viennent partager un
moment, vivre un moment, échanger avec... ».194 Il
semble important de préciser cette démarche et de comprendre ce
qu'elle implique, autant pour les adultes engagés dans un projet que
pour les adolescents concernés.
Pour commencer, il faut reprendre L'échelle de
participation d'Arstein, outil présenté en introduction. Son
objectif premier est d'identifier et d'alerter contre ce que Sherry Arstein
nomme la « non-participation »195, s'apparentant donc
à de la démagogie. Cependant, cet outil
193 Gurval Reto fait référence à la crise
sanitaire liée au Covid 19 et à la fermeture des salles de
spectacles.
194 RETO, Gurval. Directeur du THV. Entretien annexe 1 p 110.
195 S'oppose à la vraie participation. Sherry Arstein
parle alors de manipulation.
49
peut également permettre aux différents
médiateurs d'évaluer leur action et donc de se poser des
questions pertinentes en ce qui concerne la participation des publics
adolescents : jusqu'où suis-je capable de lâcher-prise ?
Jusqu'à quel stade suis-je capable et prêt à ce que le
projet m'échappe ? En effet, être à l'initiative et mettre
en place un projet participatif, c'est dans un premier temps dresser un cadre
d'action. Je parle volontairement de cadre d'action et non seulement d'action,
car le cadre sous-entend une certaine souplesse permettant aux
bénéficiaires, n'étant pas à l'initiative du
projet, de s'en emparer. « Si l'on dit à des gens : je vous
propose une action, et bien par excellence je ne vous demande pas d'en
être responsable.»196 Les projets participatifs
doivent donc être, par essence, assez souples pour permettre aux
participants de proposer eux même des actions et de participer activement
à sa mise en place. Permettre à ces adolescents de devenir
acteurs des projets demande donc une remise en cause et une prise de conscience
de la part des médiateurs. Réussir à lâcher prise
signifie que le projet n'aura peut-être pas la finalité attendue,
qu'il ne partira pas dans la direction imaginée initialement. Il faut
alors s'attendre à de potentielles digressions. Il est donc important,
bien que cela puisse être difficile, de ne pas projeter sur ces publics
nos désirs de médiation ou plus encore, les assommer avec les
objectifs qui sont les nôtres. « C'est comme une grande
échelle sur lequel on va plus ou moins se positionner et pour certains
se positionner au barreau numéro deux c'est énorme et ils ont
l'impression d'être dans une grande participation. Et d'autres vont
être presque jusqu'au sommet de l'échelle. Et pour moi ce qui
bloque c'est des personnes qui f...] vont se dire : ce n'est pas ce que je
projetais, ce n'est pas ce que je pensais en terme de contenu. Ça peut
venir bousculer des principes qu'on avait qui sont très forts et
très ancrés. »197
En développant la partie sur les besoins propres aux
adolescents, il fut souligné que la présence d'un adulte
était obligatoire. Il doit accompagner, proposer mais surtout donner aux
adolescents les moyens de réaliser leurs projets car les jeunes ne
possèdent pas les outils que les différents médiateurs
connaissent et ont déjà pu expérimenter : connaissances
des différents financements, des personnes à contacter, des
possibilités techniques, ... Lors de la rencontre professionnelle
Projets participatifs par et pour les adolescent.e.s198 un
jeune engagé dans le
196COUREL, Anne. Entretien annexe 2, p 112.
197 MONMEGE-GENESTE, Camille. Directrice du Labo des
cultures. Entretien annexe 6, p 134.
198 Occitanie en scène. Rencontre Be Spectative.
En trio, on participe : Projets participatifs par et pour les adolescent.e.s.
Visioconférence. 31 mars 2021.
50
projet Un après-midi avec George Romero à
regarder mourir les dinosaures199 souligna que la participation
des adolescents s'était mise en place très naturellement.
C'est-à-dire que les professionnels référents du projet
ont réussi à mettre place un cadre propice favorisant la prise de
parole et la participation des adolescents. Cela met donc en lumière les
deux idées qui viennent d'être développées ci-dessus
: en dressant un cadre d'action, les médiateurs du projet se sont
questionnés sur la place qu'ils souhaitaient attribuer aux adolescents.
Ces derniers une fois engagés dans le projet, ont pu exprimer ce qu'ils
avaient envie de faire et de valoriser. Les adultes référents
purent donc ensuite, sans jamais imposer leur point de vue, les conseiller et
leur proposer des « outils » pour faciliter la mise en place de leurs
idées et créer un projet qui leur correspond.
Partir des envies des adolescents, de leurs
référentiels et de leur culture reprend une nouvelle fois
l'idée suivante : ces projets n'ont pas pour objectifs de contribuer
à transformer ces jeunes en de fidèles spectateurs, ou alors de
leur permettre d'accéder à « la culture ». J'entends
par là une culture qui pourrait être qualifiée
d'élitiste et qui se devrait d'être la même pour tous.
« Il faut se dire que nos référentiels ne doivent pas
devenir les leur, mais aussi comment je les imprègne de ma culture, et
ils m'imprègnent de la leur»200. Les enfants comme
les adolescents, lorsqu'ils s'engagent dans des projets, sont chargés
d'une culture qui leur est propre. Ils se sont d'ores et déjà
constitués un imaginaire, des références et revendiquent
une appétence pour certains domaines. Leurs références
sont donc à valoriser dans les projets et cette culture, qu'elle soit
collective ou individuelle, est aussi légitime qu'une autre. De plus,
coconstruire un projet avec des adolescents ne sous-entend pas qu'il est moins
qualitatif qu'une autre action. Les choses en face, spectacle du
collectif Lacavale présenté en première partie est un
spectacle professionnel co-porté avec des adolescents. Rendre ces
adolescents acteurs des projets consiste donc également à
valoriser leur travail, leurs références et leurs cultures.
Plus encore, rendre le participant acteur d'un projet
sous-entend qu'il sera amené à en comprendre les rouages et
confronté aux potentielles difficultés. Les adolescents, à
l'exception des classes spécialisées en art, ont une connaissance
très partielle, voire nulle des métiers qui composent le secteur
du spectacle vivant. Certains sont facilement identifiables :
comédiens,
199 Projet mis en place et co-construit par la scène
conventionnée Derrière le Hublot et le Collectif
Balle Perdue.
200 MONMEGE-GENESTE, Camille. Directrice du Labo des
cultures. Entretien annexe 6 p 134.
51
metteurs en scène, éclairagistes, ... D'autres
au contraire sont méconnus de ces publics car ils sont
généralement moins visibles : programmateurs, médiateurs
culturels, administrateurs, ... Avec la mise en place de son projet, Les
infiltrés, Gurval Reto souhaite amener le groupe de pré-ados
participants à se confronter à ces questions : Qu'est-ce que cela
veut dire programmer ? Pour qui je le fais ? Quelle action de médiation
je peux mettre en place ? Après avoir participé à
Avignon, enfants à l'honneur201, mis en place par
Scènes d'enfance-Assitej France202, le groupe
d'enfants s'accordera et désignera lequel des spectacles auxquels ils
ont assisté sera programmé au sein du THV lors de la saison
suivante. Ils seront aussi impliqués et responsables des autres missions
gravitant autour de la venue de la compagnie choisie : la rédaction des
textes pour la plaquette avec la personne en charge de la communication, la
mise en place de l'installation son et lumière avec le technicien, ...
Devenir acteurs d'un projet implique donc d'amener ces publics à en
comprendre les rouages ainsi que les difficultés, démarche assez
rare dans les projets structurés entièrement en amont et servis
clef en main aux bénéficiaires.
Le précèdent exemple me permet donc de faire
une transition avec une autre idée : permettre à des adolescents
de devenir acteurs au sein d'un projet c'est aussi les responsabiliser en leur
permettant d'assumer leurs décisions. En effet, lors de ces projets,
l'adolescent participe à la prise de décision et est amené
à assumer ses choix. « On essaie de les impliquer totalement
dans la prise de décision et d'assumer le choix d'un spectacle.
Peut-être que demain certains de leurs camarades leur diront « je
n'ai pas aimé » et oui, ça veut dire quoi « je n'ai pas
aimé » ? ».203 Rendre les adolescents acteurs
permet donc bien de les responsabiliser et de les amener à assumer leurs
choix.
2.1.2. Les différents médiateurs : la
nécessité de la co-construction
Comme souligné en introduction, une des thèses
que je souhaite défendre à travers ce mémoire est la
suivante : les professionnels de la culture ne sont pas les seuls à
pouvoir faire office de médiateurs. Professeurs, animateurs
socioculturels, éducateurs peuvent également revêtir cette
fonction. J'entends ici que leurs fonctions sont complémentaires et que
la médiation peut être vue comme un objet transversal. «
En fait un éducateur est autant un médiateur culturel
qu'un
201 Initié en 2015 dans le cadre de la Belle
Saison avec l'enfance et la jeunesse, ce projet réunit chaque
année 500 enfants venus de toute la France durant trois jours au
festival d'Avignon.
202 Association professionnelle du spectacle vivant jeune
public.
203 RETO, Gurval Reto. Entretien annexe 1 p 109.
52
chargé des relations publiques dans un
théâtre. Ils font la même chose, ce n'est pas le
médiateur qui va faire un pont. Ils ont des fonctions miroirs et
complémentaires »204. Il y aurait donc un
réel intérêt pour les professionnels du spectacle vivant
à coconstruire des projets avec d'autres corps de métiers.
Evidemment, force est de reconnaitre que les différentes entités
inclues dans ce processus ne disposent pas toutes du même temps à
consacrer à ce projet. S'y ajoutent des objectifs respectifs qui ne
concordent pas forcément. Co-porter chaque projet serait alors une
lourde tâche. L'un des médiateurs est donc
régulièrement à la genèse de l'action. Mais en
proposant des réunions régulières, en communiquant avec
ses partenaires sur l'avancée du projet, le médiateur ayant
impulsé cette action permet aux autres adultes référents
de s'emparer du projet. Cela peut notamment permettre à chacun de
formuler ses objectifs respectifs et ses envies afin d'essayer de les faire
concorder pour qu'ils évoluent dans la même direction. «
C'est à deux, même à trois avec l'artiste, que l'on va
pouvoir coconstruire un projet cohérent. Ce qui marche c'est les projets
qui ont été conçus, portés et imaginés
dès le début par l'ensemble et ce qui ne marche pas c'est lorsque
nous, médiateurs, on a un projet clef en main que l'on veut absolument
que ça rentre dans notre cadre rond alors qu'eux, ont un carré.
Alors que dès qu'on le construit en sur mesure et que chaque membre
s'empare du projet et se sent co-médiateur du projet de A à Z,
c'est là que ça fonctionne. »205
Dans les projets participatifs, notamment avec des
adolescents, une co-construction peut s'avérer efficace, voire
nécessaire. « Si à un moment on souhaite que le
spectacle vivant entre dans [la] vie [du jeune], il faut que tout
l'écosystème aille dans le même
sens.»206 En effet, chaque entité incluse dans le
projet dispose d'outils, de compétences et de connaissances qui lui sont
propres. Alors que le médiateur culturel connait parfaitement la
structure dans laquelle il travaille, le professeur de son côté
côtoie ses élèves. Par exemple, il peut supposer quel
adolescent est susceptible d'être un élément moteur du
projet ou quel type d'action peut fonctionner avec cette classe. Mais le
professeur peut à l'inverse exprimer le souhait d'acquérir des
outils lui permettant de faire un lien pertinent entre l'action proposée
et son cours. Il est donc réellement pertinent de travailler sur ces
binômes. Dans le cadre du dispositif Grandir avec la culture, Le
Grand T207 met en place différentes formations
à destination des professeurs
204 MONMEGE-GENESTE, Camille. Directrice du Labo des
cultures. Entretien annexe 6, p 130.
205 Ibid. p 134.
206 COUREL, Anne. Entretien annexe 2 p 114.
207 Le Grand T est principalement financé par
le département de Loire-Atlantique et met en place de nombreuses actions
en faveur des collégiens.
53
en collèges. Chacune d'elle est menée par et
avec les artistes d'un des spectacles auquel le professeur participant
amènera sa classe. L'objectif est donc bien, comme soulève
Jean-Claude Gal de reconnaitre le professeur en tant que médiateur :
« Un professionnel du rapport avec les adolescents, compétent
dans son domaine particulier, mais pas « omniscient »
»208. Au-delà de la fonction du professeur, un des
facteurs qui rend possible la co-construction est son appétence et son
engagement dans ces actions. S'y ajoute parfois le projet de
l'établissement scolaire qui peut lui-même aller dans ce sens.
Il faut également souligner que les artistes, qu'ils
soient danseurs, comédiens, musiciens ou autres sont des
spécialistes de leur discipline et que les formations qu'ils suivirent
n'eurent pas pour vocation de les former à la mise en place d'actions de
médiation. Leur connaissance des publics est donc extrêmement
partielle. Bien que cela puisse paraitre limpide, force est de reconnaitre que
les compagnies auxquelles il est demandé d'être attentives
à ces enjeux de médiation sont de plus en plus nombreuses. Ainsi,
Marie-Christine Bordeaux209 dans son texte La médiation
culturelle dans les arts de la scène : avancées et
résistances emploie le terme d'auto-médiation : «
Je désigne par ce terme la médiation réalisée
par les acteurs eux-mêmes à propos de leur création. Alors
que la communication est confiée de bout en bout à des
professionnels spécifiques, le temps de la rencontre avec des publics
potentiels ou des publics déjà présents dans les salles
est mis en place par les chargés de médiation mais pris en charge
par les artistes. »210 Il faut souligner que ces derniers
ne possèdent pas forcément les compétences en interne pour
répondre à ces sollicitations de médiation. Le collectif
Lacavale, compagnie que j'ai choisi d'analyser pour ce travail, s'avère
être un contre-exemple car les artistes qui la composent manifestent
depuis leur début une appétence pour les publics adolescents :
Julie Ménard prit en charge durant plusieurs années des ateliers
avec des enfants et des adolescents, plusieurs membres de l'équipe
furent animateurs jeunesse, ... En plus de valoriser à juste titre leur
travail, ces expériences diverses ont apporté au collectif
Lacavale une réelle connaissance de ce public. Cependant, les compagnies
du spectacle vivant ne disposent
208GAL, Jean-Claude. Un théâtre
et des adolescents. Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise
Pascal, Service Universités Culture, 2006. Parcours Pluriels. P48.
209 Chercheuse au Gresec, maitre de
conférence et chargée de mission pour la culture et la culture
scientifique à l'Université de Grenoble.
210 BORDEAUX, Marie-Christine. La médiation
culturelle dans les arts de la scène : avancées et
résistances. In Fanny Serain, François Vaisse, Patrice
Chazottes, Elisabeth Caillet (dir). La médiation culturelle,
cinquième roue du carrosse ? , 2016, Paris : L'Harmattan
(collection Patrimoines et sociétés). P134.
54
pas toutes de cette expertise et des compétences
relatives aux médiateurs culturels, aux animateurs ou même aux
éducateurs. « Les artistes ne peuvent pas tout faire, c'est
aussi pour cela qu'il faut des médiateurs. [...] C'est tellement un
énorme boulot qu'il faut forcément une alliance, des gens qui
rendent possible la rencontre, qui la suivent, qui la prolongent, qui soient
très ouverts et performants au moment de la rencontre. Il faut un monde
fou pour que ça marche tout cela. On ne peut pas demander aux artistes
de tout faire. »211
Coconstruire un projet permet également de croiser et
de multiplier les regards. S'y ajoute la possibilité de se requestionner
sur ses pratiques respectives. Le médiateur culturel est par essence
convaincu de la nécessité de son poste. Proposer des actions
à des publics qui peuvent être éloignés des lieux de
culture lui semble donc évident. Pourtant, éducateurs,
professeurs, animateurs peuvent être dans d'autres
réalités. Croiser les regards semble alors pertinent car cela
permet d'entendre le point de vue de chaque entité et de comprendre dans
quelle réalité elle évolue, quels sont ses objectifs et
ses priorités. De plus, la co-construction permet de se questionner sur
le vocabulaire utilisé souvent spécifique à chaque
secteur. Les mots « résidences »212 ou encore
« processus de création »213 sont
fréquemment utilisés par les professionnels des secteurs du
spectacle vivant et de la culture. Cependant, force est de reconnaitre qu'ils
n'évoquent rien pour d'autres corps de métier. « Il faut
se former ensemble , apprendre à se connaitre, à avoir un
vocabulaire commun, à bien dessiner un projet avec les
disponibilités des uns et des autres»214.
Cette partie a donc souligné que
l'intersectorialité était pertinente dans la construction de
projet participatif avec des adolescents. Co-porter des projets avec des corps
de métiers n'ayant, en temps normal, par forcément l'occasion de
travailler ensemble s'avère intéressant. Bien entendu, il est
important de préciser que cette analyse est encore assez
théorique voire utopique. Ce fut une volonté de mettre en
lumière des éléments pouvant être utiles voire
décisifs dans une bonne co-construction. Cependant, il faut souligner
que la co-construction est souvent liée à une question de
personne. En effet, elle repose énormément sur l'engagement et la
capacité à travailler ensemble des différents
partenaires.
211 COUREL, Anne. Entretien annexe 2 p 114.
212 Désigne un laps de temps où un artiste ou
un collectif d'artiste est accueilli dans un endroit dédié afin
de créer ou de mettre au point un futur travail : écriture,
spectacle, tableaux, ...
213 Désignant l'intégralité des
étapes permettant de mettre au point une oeuvre.
214 MONMEGE-GENESTE, Camille. Directrice du Labo des
cultures. Entretien annexe 6 p 134.
55
2.1.3. Les institutions : un besoin de désacralisation
Depuis le début de ma réflexion, j'ai
formulé une volonté de me pencher sur la place des institutions
dans le partage de la gouvernance. C'est ainsi que j'ai pu déceler et
identifier un besoin de désacralisation215 irrigué par
un désir de démocratisation culturelle. Lors des réunions
que le Théâtre Dunois a menées durant l'année 2017,
il fut soulevé qu'une communication et qu'une action de médiation
pertinente n'était pas suffisantes pour susciter l'envie et la
curiosité des adolescents216. Ouvrir les lieux culturels en
dehors des programmations peut permettre à ces publics de les
découvrir librement et de se réapproprier ces espaces. La
première partie a mis en évidence que la continuité et le
désir de conservation des institutions culturelles était l'une
des caractéristiques de la politique culturelle française et que
les publics adolescents sont peu demandeurs voire parfois réticents au
fait d'aller dans une institution culturelle. C'est en 1973 que Francis
Jeanson217 théorisa la notion de « non-public
»218 qui est « même assez contesté
aujourd'hui, dans la mesure où elle a pour conséquence de faire
porter le poids de la « faute culturelle » sur les individus absents
des lieux institutionnels de culture »219. En effet, de
nombreux adolescents ne perçoivent ces institutions qu'à travers
les clichés qu'elles véhiculent. De fait, ces publics ont
régulièrement été considérés comme
des « non-publics ». Pourtant force est de constater que les
adolescents multiplient les activités culturelles mais l'essentiel de
ces pratiques se déroule dans le cadre privé.
Si les structures culturelles souhaitent mobiliser et
sensibiliser ces publics, il semble pertinent de s'interroger sur la logique de
construction et le type de gouvernance qu'elles affirment. C'est donc à
ces dernières de se questionner sur l'image qu'elles souhaitent
véhiculer et la place qu'elles veulent attribuer aux différents
publics. « Moi je travaillais pour le TNBA220. Souvent on
disait : « c'est le théâtre de la cité, il appartient
à tous ». Sauf qu'il appartient à tous mais finalement qui
est ce qui décide de ce qu'il y a dans ce TNBA, qui le dirige et qui
choisit les
215 Dépouiller quelque chose de son côté
sacré.
216 Théâtre Dunois. Comment donner envie aux
publics adolescents de se rendre dans une institution culturelle par
eux-mêmes ? Compte-rendu de réunions des chargés des
relations publiques, 2017. Première réunion datant du 16/01/2017.
P1.
217 Philosophe français.
218 « [U]ne immensité humaine composée
de tous ceux qui n'ont aucun accès ni aucune chance d'accéder
prochainement au phénomène culturel. » Issu de :
JEANSON, Francis. L'action culturelle dans la cité. Seuil, 1973.
219 BORDEAUX, Marie-Christine. Il n'y a pas de public
spécifique. In Françoise Liot (dir). Projets culturel et
participation citoyenne. Le rôle de la médiation et de l'animation
en question, 2010, Paris : l'Harmattan. Animation et territoires. 2010.
P38.
220 Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine.
56
projets et les spectacles ? Ce sont des experts qui ont
été labellisés comme ayant une expertise pour programmer
ce qui se passe à l'intérieur. Et les gens n'ont pas de pouvoir
pour dire ce qui se passe à l'intérieur et n'ont pas d'espace
pour s'exprimer et pour changer les directions que pourrait avoir un
théâtre ».221
Pour nous questionner sur cette logique de construction et
sur le besoin de désacralisation de la part des institutions, et plus
spécifiquement des théâtres, j'ai choisi de m'appuyer sur
l'exemple du Préau. Ce CDN a comme caractéristique de partager
son hall avec un cinéma. Cette particularité favorise l'ouverture
de la structure en journée et permet aux publics d'accéder au
hall en dehors de la programmation du théâtre. A l'image du nom
qu'il porte, Le Préau est devenu un réel foyer collectif
où les jeunes des établissements scolaires voisins viennent en
journée pour profiter de l'espace bar, du piano mis à
disposition, des expositions dans les coursives, ... « L'idée
c'était vraiment ça : les ados venaient au Préau
pas dans l'idée que c'est un théâtre mais parce que
c'est sympa [...] c'était l'endroit où tu retrouvais tout le
monde. Ils ne se rendaient pas forcément compte qu'ils étaient
dans un théâtre donc il y avait tout un travail de l'équipe
sur comment utiliser cette présence-là. La plupart des lieux
communiquent mais n'ont pas ce public-là dans le hall. Au
Préau c'était différent, il y avait ce public
dans le hall mais il était indifférent à l'objet
théâtral ».222 Devenu un espace de
cohabitation entre adolescents et professionnels, ce CDN s'avère
être un espace familier pour ces jeunes. Sous l'ancienne direction,
Pascal Banning, alors responsable de l'équipe des relations publiques,
mettait en place ce qu'il qualifiait de « médiation directe »
: il discutait avec les adolescents présents, les amenait voir des
répétitions, leur montrait les coulisses, ...
Ouvrir les institutions en dehors des programmations est bien
l'un des facteurs pouvant permettre aux institutions de désacraliser
l'image qu'elles véhiculent. Cela illustre également que les
institutions n'ont pas comme objectif premier de faire accéder chaque
public à une culture élitiste et universelle. Elles doivent au
contraire, comprendre et valoriser les envies de chacun des différents
publics en leur proposant des actions adaptées à leurs besoins.
De plus, en permettant à ces adolescents d'accéder
continuellement au hall, l'équipe de ce CDN a favorisé la mise en
place d'une relation pérenne entre ces publics et les adultes qui y
travaillent.
221 MONMEGE-GENESTE, Camille. Directrice du Labo des
cultures. Entretien annexe 6 p 131.
222 BODEREAU, Solène. Anciennement chargée des
relations publiques au CDN Le Préau. Entretien annexe 5 p
126.
57
Dans la même lignée, Lucie Berelowitsch
désire elle aussi instaurer une relation privilégiée entre
ces adolescents et l'équipe artistique. Elle a également
identifié que ce hall pouvait être un espace propice pour
favoriser la rencontre entre ces deux entités. « C'est une
volonté aussi de Lucie Berelowitsch d'intégrer ces ados, que ce
ne soit pas seulement une salle de permanence, une annexe à
l'établissement scolaire mais que ce soit des jeunes qui se rendent
compte qu'ils sont dans un théâtre aussi et qu'ils peuvent faire
vivre ce lieu en dépassant ce côté
accueil».223 L'équipe actuelle aimerait notamment
profiter de cet espace pour mettre en place en amont du festival A
Vif, un stand animé par les membres de l'équipe des
relations publiques. Ce dernier aurait pour objectif d'informer et de
sensibiliser les jeunes à cet événement. «
Cà s'inscrit dans de la médiation directe mais assez informelle
aussi. S'ils n'ont pas envie de parler du festival mais juste
d'échanger, et de créer du lien c'est aussi
çà.»224 C'est donc une volonté de
l'équipe actuelle de pérenniser la relation entre adolescents et
adultes, illustrée ici par cet exemple de médiation In situ.
L'exemple du Préau est donc révélateur
car il met en lumière l'intérêt que peuvent avoir les
institutions à se questionner sur l'image qu'elles véhiculent.
Plus encore, il souligne que lorsque les adolescents se sentent invités
à investir les institutions, ils sont capables assez naturellement de
s'approprier par eux-mêmes des espaces et des projets.
2.1.4. La place du département : l'articulation de son
rôle au sein de ces
enjeux
« Quand on est dans la posture de celui qui
coordonne les dispositifs, que ce soit à l'échelle d'un
établissement scolaire, d'un bassin de formation, d'un
département, d'une académie et plus encore, on est plus dans
l'émotion première de la création avec des jeunes et des
artistes, pas non plus dans la vanité d'un deus ex machina, d'un
marionnettiste qui détiendrait toutes les ficelles par
l'éphémère pouvoir de budgets à répartir, on
est dans la recherche d'une co-construction permanente, avec les services de
l'Etat, les collectivités territoriales et les partenaires associatifs
pour l'équité des parcours d'éducation artistique et
culturelle qui pourront être proposés aux jeunes des territoires
dont on a la charge »225
223 DAVODEAU, Adèle et Enora THIVILLIER.
Chargées des relations publiques au CDN Le Préau.
Entretien annexe 4 p 121.
224 Ibid. p 225.
225 PEREZ, Andrée. IN : GAL, Jean-Claude. Un
théâtre et des adolescents, Tome 2. Clermont-Ferrand :
Presses Universitaires Blaise Pascal, Service Universités Culture, 2019.
Parcours Pluriels. P41.
58
Dans Un théâtre et des adolescents tome 2,
c'est ainsi qu'Andrée Perez, cheffe d'un établissement
scolaire qualifie la responsabilité des différents professionnels
coordonnant les dispositifs. Pour clôturer cette partie portant sur les
différents acteurs, j'aimerais me pencher sur le département et
la place qu'il peut occuper au sein de ces enjeux. Afin de m'aider dans mon
analyse, je m'appuierai sur celui de Loire-Atlantique et plus
spécifiquement sur le dispositif Grandir avec la culture.
Rédiger une partie sur cet acteur peut sembler surprenant, car le
département agit à une toute autre échelle que ceux
précédemment présentés. Contrairement aux
médiateurs, les responsables des dispositifs départementaux n'ont
pas la possibilité d'interagir avec les publics adolescents. Cependant,
comme souligné par Andrée Perez ci-dessus, mettre en place des
dispositifs demande de comprendre les besoins des différents acteurs et
des publics bénéficiaires dans l'optique de leur proposer des
actions pertinentes. En effet, il est possible d'identifier un écueil
dans le sens où l'influence des différents financeurs est souvent
oubliée dans les réflexions sur la co-construction et le partage
de la gouvernance. Cependant, elle est considérable car elle a des
répercussions sur les projets globaux, les cahiers des charges et les
actions des structures. Inscrire une analyse du département dans mon
mémoire contribue donc à développer une vision plus large
de l'articulation des enjeux du partage de la gouvernance.
Il est important de souligner qu'à partir de 2015, la
loi NOtre226 supprima la clause de compétences
générales227 des départements.
C'est-à-dire que depuis cette date, la culture est incluse dans le champ
des compétences qu'il partage avec les communes et les régions.
Cependant, en ce qui concerne l'éducation, les
collèges228 font parties des compétences obligatoires
du département. Les élèves compris entre la sixième
et la troisième constituent l'intégralité de la tranche
d'âge à laquelle s'intéresse ce travail. Favoriser
l'accès des collégiens à la culture s'avère
être depuis plusieurs années au coeur du projet du
département de Loire-Atlantique. Sur le plan scolaire229,
cette volonté se traduit à travers le plan Grandir avec la
culture. Bien que la Loire-Atlantique ne soit pas le seul
département à disposer d'un plan en faveur de l'éducation
artistique et culturelle, force est de constater mais le sien est
particulièrement bien structuré. S'y ajoutent de nombreux
partenariats avec de grandes têtes de
226 Loi du 7 août 2015. Nouvelle organisation territoriale
de la République.
227 Accordant aux départements une large
capacité à justifier leur décisions et à intervenir
sur de nombreux domaines.
228 Construction, entretien, ...
229 Sur les temps extra-scolaires, le département
soutient d'autres actions notamment avec Le plan départemental des
enseignements et pratiques artistiques en amateur.
59
réseaux : Le Grand T, le VIP230,
... « Grandir avec la culture c'est vraiment un dispositif qui est
très connu et qui irrigue tous les collèges de Loire-Atlantique.
»231 Depuis 2006, ce dispositif propose des offres
gratuites d'EAC. Ces dernières sont généralement à
destination des collégiens mais certaines, dans l'optique de
répondre aux mieux aux différents besoins, s'élargissent
à d'autres établissement scolaires232.
« Aujourd'hui on est dans un plan 2018-2022 et notre
collectivité se questionne, tout comme vous, sur la participation
citoyenne et comment l'adolescent, les collégiens, les
collégiennes pourraient mieux participer à nos dispositifs EAC.
Cette question, elle s'est posée par Perrine Châtelet233.
»234 En effet, en novembre 2019, un document recensant les
objectifs de Mon parcours collège, démarche
initiée par Perrine Chatelet, parut à la suite d'une concertation
lancée en janvier de la même année. Un questionnaire en
ligne permettait alors aux collégiens de Loire-Atlantique et à
leurs parents de mentionner les manques et leurs attentes relatives à
leur parcours entre la 6ème et la 3ème.
L'objectif était non seulement de comprendre les besoins et les attentes
de ces publics, mais aussi de se questionner sur comment le département
et les structures partenaires pouvaient y répondre. Dans le bilan de
cette étude, la culture constitue l'un des quatre grands thèmes
sur lesquels le département s'interroge. Cette démarche mit
également en lumière que les collégiens aspiraient
à la mise en place de dispositifs moins verticaux et professoraux.
« Renforcer les modalités d'implication des
collègien.ne.s
dans les actions qui leur sont destinées, en les associant à leur
conception et à leur évaluation »235 fait
partie des objectifs inclus dans l'axe 5 de ce dossier : poursuivre la
démarche participative. Dans cette optique, Edith
Coutant236 se questionne actuellement sur le plan 2022-2026 de
Grandir avec la culture. C'est lors de notre entretien qu'elle
m'exprima sa volonté de multiplier les projets participatifs à
destination de ces publics. « Il faut qu'on travaille à quel
stade ils [les adolescents] sont associés : à un stade
d'information, de consultation, de décision... C'est important de pas se
leurrer et d'embarquer dans un faux participatif des élèves.
»237
230 Scène de musiques actuelles de Saint-Nazaire.
231 COUTANT, Edith. Entretien annexe 8 p 140.
232 Lycées, écoles primaire, ...
233 Chargée du projet éducatif
départemental
234 Ibid. P140.
235 Dir. Châtelet Perrine. Mon Parcours
collège. Le projet éducatif départemental. Un
engagement du département Loire-Atlantique. Novembre 2019. P11.
236 Chargée de l'éducation artistique et
culturelle en Loire-Atlantique.
237 COUTANT, Edith. Entretien annexe 8 p 141.
60
Des projets incluant les enjeux de la participation commencent
progressivement à être imaginés. Deux furent
mentionnés durant notre entretien :
· Participation des collèges aux 1%
artistiques238
· En cour(s) d'utopies239.
Le département a donc bien un rôle à
jouer dans les projets participatifs à destination des adolescents et
peut même devenir un soutien pour les autres professionnels
désireux de travailler avec ces publics. Les différents niveaux
dialoguent entre eux et les enjeux du partage de la gouvernance s'y croisent.
Une co-construction entre financeurs et financés pourrait donc
être possible mais s'articulerait différemment que celles
proposées dans l'axe Les différents médiateurs : la
nécessité de la co-construction.
Cette partie a donc présenté et analysé
la place des différents acteurs au sein des projets participatifs
à destination des adolescents. L'objectif des divers professionnels lors
de la mise en place d'actions de ce type est de permettre aux publics
bénéficiaires de devenir acteurs des projets. Les
médiateurs, qu'ils soient issus de la culture ou du social, gagnent
à échanger et à travailler ensemble afin de mettre en
place des projets pertinents. D'un autre côté, les institutions
sont garantes de l'image qu'elles véhiculent auprès des jeunes.
Ouvrir ces structures en dehors des horaires de la programmation peut permettre
aux différents publics de s'y intéresser et de s'approprier les
espaces. Pour finir, le dernier axe a souligné que le département
avait lui aussi un rôle à jouer dans les enjeux de participation
au sein des projets à destination des collégiens.
2.2. L'articulation des enjeux du partage de la
gouvernance avec les adolescents dans des projets qui leurs sont
destinés.
Après avoir présenté les
différents acteurs mobilisés lors des projets participatifs avec
des adolescents, cette sous-partie sera dédiée à analyser
comment les enjeux du partage de la gouvernance s'y développe. Pour
cela, elle s'appuiera sur les quatre actions sélectionnées et
238 Des représentants des élèves seront
invités à participer aux comités artistiques dans le but
de co-construire le cahier des charges et déterminer, à partir
des projets auditionnés, l'artiste ou l'équipe artistique qui
sera sélectionné.
239 Démarche basée sur une réflexion et
une conception participative mêlant des élèves de
6ème et de 3ème d'un même établissement.
61
exposées en première partie. Les projets
participatifs avec des adolescents se mettent en place sous des formes
multiples : festivals, spectacles participatifs, conseils des jeunes,
ambassadeurs jeunes au sein des structures, ... En réalité, il
n'existe pas d'outil type ou même de démarche idéale pour
intégrer des adolescents dans la conception des différents
projets. La mise en place et la réussite de ces projets résident
dans le rapport que les professionnels souhaitent instaurer avec les
adolescents et la place qu'ils leur dédient au sein des projets.
Cependant, force est de constater que certaines tendances se dégagent.
En effet, il est possible de retrouver des similitudes entre les
différents projets participatifs. Mon souci sera donc de mettre en
évidence ces aspects favorisant la mise en place du partage de la
gouvernance. Ils seront largement étayés par les quatre projets
sélectionnés.
2.2.1. Repenser la relation entre adultes et adolescents
Tout d'abord, il me semble pertinent de repenser la relation
entre adultes et adolescents durant les projets à destination de ces
publics. Aspirer à plus d'horizontalité semble être un
aspect primordial voire un facteur de réussite au sein des projets
participatifs. En effet, les professionnels que j'ai pu rencontrer et les
divers ouvrages que j'ai eu l'occasion de lire mettaient largement cela en
évidence. « Avec un adolescent, il faut être encore plus
complice qu'avec un comédien professionnel car, au moment où il
« s'oublie », où il s'abandonne vraiment à son
personnage, son investissement est d'une intensité unique.
»240 Pour illustrer cet aspect, j'aimerais me pencher sur
l'exemple du collectif Lacavale. Bien évidemment, ils ne sont pas les
seuls professionnels à repenser cette relation mais les outils qu'ils
utilisent sont, à mon sens, particulièrement inspirants. A la
suite de nombreuses années à côtoyer ce public, les membres
du collectif Lacavale sont arrivés au constat suivant : la parole des
adolescents continue à être mise en doute et la prise en
considération de leurs avis reste partiel. Ce sont les adultes qui
régissent et gouvernent leur vie et rares sont les occasions qui
permettent un dialogue « d'égal à égal » entre
ces deux entités. « Il nous semble aussi nécessaire
d'écouter ce que les jeunes ont à dire. De les prendre au
sérieux, de les stimuler et de les accompagner dans la prise de la
parole. Le monde qui se dessine pour les ados est inquiétant : les
réformes scolaires, l'état de la planète, la
précarité du travail. Les ados d'aujourd'hui sont loin
d'être insensibles à ces questions et nous considérons
Les choses en face comme un moyen de faire
240 GAL, Jean-Claude. Un
théâtre et des adolescents. Clermont-Ferrand : Presses
Universitaires Blaise Pascal, Service Universités Culture, 2006.
Parcours Pluriels. P38.
62
entendre leurs voix, leurs cris, leurs colères,
leurs espoirs et leurs croyances. »241 Ce fut donc une
volonté, de la part des artistes du collectif, d'engager
réellement des adolescents sur leurs projets et de leur permettre de
s'exprimer sur des sujets d'ordre social et politique : les violences
conjugales, le racisme, le terrorisme, ... Leur volonté était la
suivante : ne pas laisser les adultes s'exprimer à la place de ces
jeunes.
En ce qui concerne la relation qu'entretiennent adolescents
et adultes, il est important de souligner que les participants ne sont pas
seulement des comédiens-exécutants au service de la mise en
scène des artistes. Au contraire, le collectif tente d'engager
pleinement les adolescents dans le processus de création. C'est donc une
volonté que de leur transmettre des outils, de les former sur des
aspects techniques : prise de son, montage vidéos, mise en scène,
... Les différentes versions des Choses en face ont donc permis
aux jeunes participants d'entrer et de s'approprier le processus de
création d'une production, et à l'inverse, au collectif de se
nourrir de la pertinence des réflexions des adolescents. Il est
également important de noter que durant les temps de débats et de
recherches, les artistes du collectif se livrent autant que les adolescents sur
les sujets traités : ils expriment aux jeunes leurs doutes, leurs
questionnements... La prise de décision est donc commune et n'est pas
subie par les adolescents. Montrer aux participants que leurs voix et leurs
idées ont de la valeur est donc extrêmement important lorsqu'ils
sont engagés dans un projet.
Lors de la première rencontre avec les jeunes, les
membres du collectif ont également instauré un temps
d'échange individuel filmé avec chaque adolescent. «
Déjà on va toujours interviewer chaque adolescent
individuellement. C'est toujours en parallèle. C'est-à-dire qu'il
y a le groupe qui est souvent avec Chloé et Julie qui viennent vraiment
du théâtre. Et en parallèle on va s'entretenir avec un
jeune durant trente minutes. A la fois, une partie de l'équipe rencontre
un groupe et commence à fabriquer un truc en groupe avec eux. Et nous
individuellement on fabrique un autre truc. »242 Si j'ai
souhaité mentionner et même souligner ce point, c'est qu'il m'a
paru particulièrement innovant. D'une part, les membres du collectif
parviennent à constituer un nouveau groupe et dans un même temps,
commence à instaurer une relation privilégiée avec chaque
participant. Cet aspect, assez rare pour être mentionné, favorise
la mise
241 DROUET, Nicolas, D'HEYGERE, Antoine, MARION, Erwan, MENARD,
Julie. PUEYO, Clara-Luce et Chloé SIMONNEAU. Les choses en face.
Projet artistique. Collectif Lacavale. Théâtre documentaire
& participatif. Le Préau CDR. P7.
242 DROUET, Nicolas. Collectif Lacavale. Entretien annexe 3 p
119.
63
en place d'une relation horizontale avec l'adolescent. Ce
dernier commence, dès la genèse du projet, à se sentir en
confiance avec les artistes référents et à se construire
des souvenirs individuels avec eux. Dans le premier tome d' Un
théâtre et des adolescents, Jean-Claude Gal fait part au
lecteur de sa volonté de consacrer des moments individuellement avec les
différents adolescents engagés dans ses projets. Il était
conscient que cet aspect renforcerait la relation qu'il entretenait avec chacun
d'eux et lui permettrait d'identifier leurs besoins et leurs envies respectifs.
Cependant, le temps lui manquait pour consacrer des moments
privilégiés à chacun. C'est donc en multipliant le nombre
d'adultes référents sur Les choses en face que le
collectif Lacavale peut mettre en place ces rencontres individuelles avec les
participants. Elles contribuent entre autre à renforcer la relation
entre adultes et adolescents et à la pérenniser. Il est pertinent
de rappeler que lors des projets à destination des adolescents, la
construction du groupe est primordiale. Le jeune participant revendique le
besoin de se sentir appartenir au groupe, mais dans un même temps
souhaite être identifié en tant d'individu à part
entière par les adultes du projet et les autres adolescents. La relation
entre adultes et adolescents instaurée par le collectif est bien l'un
des facteurs qui a favorisé la mise en place des enjeux de la
gouvernance et de la démocratie participative au sein de ce projet.
2.2.2. Responsabiliser les adolescents
Un autre facteur important pouvant favoriser la
réussite d'un projet participatif est la responsabilisation des
participants. Force est de constater que ce point résonne
forcément avec le paragraphe ci-dessus mais également avec la
sous-partie les adolescents : acteurs et non consommateurs. Cependant,
les différents projets sélectionnés proposent
également des pistes de réflexions dont il est possible de
s'inspirer pour un potentiel futur projet. Si je me tourne une nouvelle fois
vers l'exemple du collectif Lacavale, je peux constater que mobiliser des
adolescents sur des sujets de sociétés contribue à les
responsabiliser.
« Pour Les choses en face 2, on avait
interviewé la présidente des femmes maliennes du quartier dans
lequel on était et donc elle nous parle de pleins de trucs super
intéressants sur la place des femmes, [...] Et là l'interview
finit par une remarque extrêmement homophobe de sa part. [...] Mais face
à cela les jeunes assurent, ils sont outrés mais toujours dans
l'échange, la discussion. Sauf qu'après nous on se dit : on fait
un spectacle qui va être diffusé dans différents endroits
[...]. Alors qu'est-ce qu'on fait de cette parole ? Qu'est-ce qu'on a envie de
montrer ?
64
Et çà, çà a été
en discussion avec les jeunes et c'est le genre de moment qui les
responsabilise »243.
Cet exemple mis en lumière par Nicolas Drouet souligne
que les adolescents sont autant exposés que les adultes au racisme, aux
violences, au terrorisme ainsi qu'à d'autres sujets de
société. Le nier peut indéniablement
déresponsabiliser ces publics. En intégrant les adolescents lors
de ce temps de parole, les membres du collectif leur indiquent qu'ils ont eux
aussi une responsabilité face à ces sujets et qu'ils peuvent
émettre un avis.
Pour terminer avec l'exemple de ce collectif, accueillir au
sein des projets des adolescents d'âges divers (entre 11 et 17 ans) peut
générer la possibilité suivante : responsabiliser les
participants plus âgés vis-à-vis des plus jeunes. Les plus
grands peuvent aider sur certains aspects, et à l'inverse, les plus
petits s'inspirer de l'expérience des plus âgés. Les
membres du collectif s'appuient donc sur les plus âgés et mettent
en place des binômes mélangeant les différentes tranches
d'âges.
En ce qui concerne l'association Comète,
c'est une volonté de pérenniser les printemps
hébergés244. C'est-à-dire que l'ensemble des
participants et leurs professeurs sont logés sur place, en auberge de
jeunesse ou au camping. « C'est aussi une expérience de vie
pour les élèves. [...] Et puis une expérience de vie
collective avec une certaine liberté vu qu'ils doivent aller d'un lieu
à l'autre : le lieu de l'atelier à la cantine, à
Athanor à pied entre eux,... Ils s'organisent. [...] Les
collégiens qui vivent ces printemps grandissent parce qu'ils font du
théâtre, parce qu'ils en voient, et parce qu'ils ont plus
d'autonomie. »245 Bien que ce point ne soit pas
directement lié aux enjeux de gouvernance, force est de constater qu'il
favorise la responsabilisation des élèves, indispensable pour les
engager par la suite dans un processus de participation. Qu'ils soient inclus
ou qu'ils clôturent un projet, les voyages solidifient grandement le
groupe d'adolescents. En les coupant durant quelques jours de leur quotidien et
de leur famille, ces expériences favorisent la rencontre entre les
adolescents. S'y ajoute la
243 Ibid. p 120.
244 Les printemps hébergés furent
impulsés par l'association Vents et Marées. Plusieurs
associations ne mettent plus en place ces hébergements.
245 LE MOULLEC, Catherine. Comète. Entretien
annexe 7 p 137.
65
création de souvenirs. Le metteur en scène Wajdi
Mouawad246 avait d'ailleurs élaboré et pensé
son projet Avoir 20 ans en 2015247 autour de
différents voyages avec les jeunes participants.
Pour finir avec cette notion, j'aimerais me tourner vers le
projet Ce soir, je sors mon prof. Lorsque des élèves se
retrouvent contraints d'aller au théâtre dans le cadre scolaire,
il peut arriver qu'ils apprécient peu voire pas du tout la
représentation. Etant donné que cette dernière est
généralement choisie par l'enseignant, les élèves
déclinent, à juste titre, toute forme de responsabilité en
ce qui concerne le choix de la représentation. A l'inverse, dans le
projet Ce soir, je sors mon prof, les élèves ont
eux-mêmes sélectionné le spectacle auquel ils souhaitaient
assister. C'est-à-dire que si ce dernier ne leur plait pas, ils ne
pourront pas rejeter la faute sur le professeur car ils seront garants d'un tel
choix. Ils devront alors l'assumer et ne pourront pas décliner leur
responsabilité.
Cet axe a donc souligné la nécessité de
responsabiliser les adolescents lors des projets. Bien que la partie sur les
adolescents acteurs, avait d'ores et déjà abordé cet
aspect, le paragraphe ci-dessus a pu l'étayer en s'appuyant sur les
projets sélectionnés.
2.2.3. Mettre en place des temps spécifiques
J'ai également pu constater que diverses actions
mettaient en place des temps et des espaces pleinement dédiés
à la participation des adolescents. En effet, certains projets
sélectionnés ou recensés n'intègrent pas dans leur
ensemble les enjeux liés à la gouvernance et à la
démocratie participative. C'est notamment le cas des Printemps
théâtraux. En effet, ces projets peuvent sembler, au premier
abord, hors-sujet car la conception et la structuration du festival sont
entièrement pensées par des adultes et non par des adolescents.
Il est donc indéniable que la participation des élèves au
sein des Printemps théâtraux est plus partielle que dans
d'autres projets. Cependant, force est de constater que les différentes
journées du festival sont ponctuées par divers temps plus souples
et informels. C'est-à-dire des moments où les adultes
référents n'imposent ou ne proposent pas d'activités : les
élèves ont la possibilité de se balader dans la ville, de
se rencontrer... Inscrire des temps informels dans la journée de
l'adolescent est, comme mentionné en première partie,
extrêmement important dans la construction identitaire de ces publics.
S'ajoutent aux journées de ce festival d'autres moments que Catherine Le
Moullec
246 Homme de théâtre français, dirigeant le
Théâtre national de la Colline (Paris) depuis 2016.
247 Ce projet qui se déroula de 2011 à 2015
mobilisa 50 adolescents de cinq villes francophones. Il fut rythmé par
un voyage chaque année au mois de juillet.
66
qualifie de « temps spécifiques ». «
C'est des temps de pratique [...] on essaie de les mettre le plus possible
en groupe pour créer quelque chose par exemple tout seul pour rendre
compte de la journée [...]. Parfois dans Les Printemps des
lycéens, c'est les lycéens qui viennent nous demander : on
aimerait faire ça entre deux spectacles. Donc oui quand on voit qu'ils
sont à l'initiative de quelque chose on se dit
super.»248 L'équipe organisatrice est donc
extrêmement vigilante à laisser des temps plus souples aux
élèves afin de développer la prise de décisions et
les initiatives.
Bien que sur de nombreux aspects Les printemps
théâtraux n'intègrent pas les enjeux de la gouvernance
et de la participation des élèves, ce fut une volonté de
m'appuyer sur cet exemple. En effet, il démontre qu'il est possible dans
divers projets d'instaurer des temps de paroles, des moments que les
élèves peuvent organiser, ... Sans pour autant digresser et
remettre en cause la structuration du festival, les adultes
référents du projet sont attentifs à ces aspects. C'est
une volonté de leur part que les adolescents s'emparent de ces
Printemps selon leurs envies.
En ce qui concerne le festival A Vif, il est
perçu par Lucie Berelowitsch comme une opportunité pour renforcer
les temps participatifs et le partage de la gouvernance avec les adolescents.
« Le Festival ADO peut être un formidable outil pour
leur donner la parole et un cadre pour s'exprimer, en leur permettant
d'être acteurs, au centre de temps de rencontres, de confrontations
à d'autres adolescents, adultes et artistes, et à d'autres
disciplines. Il peut leur offrir une sortie hors du prisme pédagogique,
la possibilité de s'affranchir de la position d'élèves,
d'inventer, participer, créer ».249 Pour cela, elle
choisit de renforcer les actions donnant la possibilité à ces
publics de s'investir et en propose de nouvelles :
· Mise en place d'un jury des lycéens : des
adolescents choisiront certaines pièces qu'ils souhaiteraient programmer
au Préau durant le festival.
· Ouverture des outils numériques aux adolescents
: partage des réseaux sociaux avec les jeunes, rédaction du
contenu du site internet, ...
· Mise en place d'un groupe d'ambassadeurs d'adolescents
: communication auprès d'autres jeunes, accompagnement des artistes,
...
248 Ibid. p 138.
249 BERELOWITSCH, Lucie. Projet artistique. P14
67
Dans des projets préalables pensés entre
professionnels, il est donc tout à fait possible d'inclure des temps
dédiés à la participation des publics. A mon sens, chaque
projet, qu'il soit participatif ou non, peut identifier des moments propices au
partage de la gouvernance, au débat, à la prise en
considération des idées des participants, ... Ces deux exemples
sont donc pertinents car ils illustrent ce propos.
La présente sous-partie a donc détaillé
les outils utilisés par les projets choisis pour partager leur
gouvernance avec des adolescents. Bien que de grandes tendances se
dégagent, un outil ou même une démarche idéale pour
travailler avec ces publics n'existe pas. La méthodologie, l'envie de
travailler avec ces publics et de lâcher prise sont les premiers facteurs
de réussite de ces projets.
2.3. Les limites et les contradictions du partage de la
gouvernance lors de projets participatifs
Les différents entretiens que j'ai pu mener m'ont
permis d'affiner mon regard, d'identifier les enjeux propres aux projets
participatifs et le positionnement que pouvaient adopter les différents
acteurs. Cependant, ils ont aussi mis en lumière les limites que le
partage de la gouvernance pouvait présenter. Co-porter des projets, que
ce soit au sein d'une même équipe ou en direction de groupes
identifiés, fait partie intégrante des évolutions propres
au secteur culturel. Bien que ces initiatives soient appréciées
et démultipliées sur différentes échelles, elles
sont indéniablement plus compliquées et plus longues à
mettre en oeuvre qu'un projet proposé clef en main aux
bénéficiaires. C'est donc sur les différents facteurs
pouvant limiter l'action des projets participatifs que se clôturera cette
partie. La place de l'expertise au sein de ces projets sera dans un premier
temps mise en avant. Y sera ensuite développé la question du
temps et pour finir celle du cadre de l'action, notion se
révélant primordiale pour penser un projet.
2.3.1. Entre l'expertise et le partage de la gouvernance avec
les
adolescents : un juste équilibre à trouver
Il fut démontré, tout au long de ce travail,
que les projets participatifs engagent conjointement deux entités
différentes : des professionnels et des amateurs. Cela peut sembler
surprenant au premier abord car ces deux termes s'avèrent être des
antonymes. En effet, le professionnel est spécialiste de son
métier, a effectué des études en corrélation avec
son poste et évolue constamment au sein du secteur artistique. L'amateur
au contraire ne fait pas partie de ce corps de métier et s'engage dans
ces actions en parallèle de ses autres activités, qu'elles
soient
68
professionnelles ou scolaires. Lorsque ces deux entités
sont réunies au sein d'un même projet, elles sont
généralement assez facilement identifiables. Les professionnels
grâce à leur expertise, leurs études et leur connaissance
du terrain ont des capacités d'analyses plus développées
en ce qui concerne le secteur artistique. « Sur la notion de
programmation partagée par exemple, mon métier c'est directeur de
lieu mais aussi programmateur. Quand quelqu'un vient me dire « Tu dois
programmer çà parce que je l'ai vu et c'est génial !
» et bien je me dis : « Tu as vu combien de spectacles pour pouvoir
le comparer et me dire que c'est super ? » « Et bien un seul »
« Et bien moi j'en vois 250 des spectacles par an et je suis capable de
dire pourquoi je programme cela. »250 En effet, force est
de reconnaitre que le professionnel est davantage armé pour mettre en
place et penser ces projets. Il s'avère donc primordial de
réfléchir à quelle est la place de l'expertise dans les
projets mis en place afin de répartir intelligemment les pouvoirs.
« Dans la gouvernance et le travail commun, il faut que chacun ait les
mêmes capacités et les mêmes armes d'échanges. Il n'y
a rien de pire qu'une pseudo gouvernance partagée et
déguisée entre les sachants et les
non-sachants.»251 En effet, les différents projets
que j'ai pu recenser, qu'ils soient présentés ou non dans cette
étude, n'intègrent jamais les adolescents dès leurs
genèses. Il est donc indéniable que ces actions
nécessitent un temps de réflexion en amont par les professionnels
les encadrant. Ces derniers doivent, dans un premier temps, identifier les
publics auxquels ils dédient ce projet et poser un cadre permettant par
la suite aux participants de s'emparer de cette action.
En plus d'être repensée, la place de l'expertise
peut être amenée à être valorisée. En effet,
tenter de la radier de ces projets serait contre-productif, d'autant plus si
les adultes référents revendiquent la mise en place d'une action
qualitative. Il est pertinent de mentionner que la plupart des actions de
médiation se résume en un apport de connaissances et de
compétences pour les publics y participant : visites guidées,
conférences, ... Ces actions de médiation réaffirment donc
une relation descendante entre celui qui sait et celui qui ne sait pas. Lors de
projets participatifs, la relation entre ces deux entités devient plus
horizontale : les publics prennent part à la construction de l'action,
apportent eux aussi des compétences aux autres participants, ... La
transmission de savoir-faire et de connaissances peut être émise
par plusieurs entités du projet et les rapports entre professionnels et
amateurs sont donc fortement requestionnés. Cependant, co-porter un
projet ne sous-entend pas que le médiateur ou le
250 RETO, Gurval. Directeur du THV. Entretien annexe 1 p 110.
251 Ibid. p 110.
69
professionnel oublie ses compétences afin de
s'amalgamer au reste du groupe. Au contraire, sans pour autant
réaffirmer une gouvernance descendante, le médiateur se doit
d'imaginer comment associer les envies des participants et son savoir-faire.
L'exemple du collectif Lacavale est pertinent car les artistes sont attentifs
aux envies des adolescents et à ce qu'ils ont envie de valoriser. Bien
que les membres du collectif leur permettent de s'emparer du projet, ils
désirent dans un même temps leur apporter des savoir-faire
relatifs aux formations qu'ils ont reçues : prise de son, montage, mise
en scène, ... La professionnalisation des projets constitue l'un des
enjeux actuels de la participation. Valoriser les compétences des
adultes référents et les transmettre aux participants peut
contribuer à mettre en place de projets de qualités.
Pour continuer à développer l'exemple du
collectif Lacavale, Nicolas Drouet souligna durant notre entretien qu'impliquer
les jeunes sur l'intégralité du projet pouvait s'avérer
compliqué. «Sur certains projets on le capte assez vite. Il y a
certains jeunes qu'on amènera pas avec nous au montage donc on va faire
une sorte de montage papier sur le mur avec les différentes
séquences en essayant de leur expliquer qu'en fait le film on peut le
mettre dans ce sens-là mais on peut aussi le mettre dans ce
sens-là. On souhaite qu'ils saisissent un peu ces enjeux-là.
»252 Bien que l'une des caractéristiques des projets
participatifs est de repenser les rapports entre les amateurs et les
professionnels, les paragraphes précédents ont
démontré que la place de l'expertise était à
équilibrer voire à valoriser. Renier complètement les
compétences des médiateurs durant les projets pourrait entrainer
la conséquence suivante : la mise en place de projets qui ne sont pas
aboutis ou qui n'ont pas vocation à se professionnaliser.
2.3.2. Le temps : une notion clef dans la participation des
publics
Le temps est une notion extrêmement importante dans la
participation des publics et il me semblait pertinent de la mettre en
lumière. Comme expliqué précédemment, partager sa
gouvernance permet entre autre de multiplier et de croiser les regards sur une
action. Cependant, co-porter des projets est indéniablement plus long
que de présenter des actions déjà imaginées et
construites de toutes pièces aux publics bénéficiaires.
Cette notion du temps intervient donc sous de nombreux aspects au sein des
projets participatifs.
Tout d'abord, il faut rappeler que les différents
médiateurs et les participants engagés au sein d'un même
projet évoluent dans des temporalités différentes. Prendre
en compte les calendriers
252 DROUET, Nicolas. Collectif Lacavale. Entretien annexe 3 p
117.
70
de chacun peut rapidement devenir fastidieux et empêcher
les adolescents participants d'intégrer le projet dès sa
genèse. « Quand on fait des demandes de subventions, on est
obligé de rentrer dans des cases et on est obligé de rentrer dans
des calendriers qui correspondent très rarement aux calendriers
scolaires. Parce que justement ce sont des projets qui se
réfléchissent en amont, par exemple là en mars-avril pour
des projets qui auront lieu durant la saison 2021-2022. Donc en fait les
élèves ne seront pas les mêmes l'année
prochaine.»253 Les médiateurs sont alors contraints
d'anticiper les projets et ne peuvent pas toujours intégrer les
adolescents dans les décisions prises.
De plus, il semble complexe de chiffrer en amont le nombre
d'heures nécessaires pour la mise en place d'un projet participatif. En
effet, si les adultes référents souhaitent réellement
jouer le jeu du participatif et donc partir des envies des adolescents,
élaborer à l'avance un rétroplanning semble
compliqué. La motivation des participants, leurs envies et leurs
décisions seront primordiales et feront évoluer le projet. «
Parce que ça veut dire que si vous avez de l'argent pour faire un
projet d'EAC de 12 heures dans un collège, il faut que ces 12 heures
deviennent s'il le faut 18 ou 22 heures. C'est cela qui est compliqué,
il faut pouvoir suivre et inventer sans avoir en permanence la barrière
du cadre.»254 Les projets participatifs demandent donc une
grande disponibilité et une capacité à rebondir de la part
des adultes référents.
La citation d'Anne Courel nous permet également de
souligner que les dossiers de subventions auxquels répondent les
différents porteurs de projets peuvent aller à l'encontre des
projets participatifs. En effet, ces derniers se présentent
généralement comme rigides car ils demandent de nombreuses
informations : durée de l'action, nombres d'heures, montant
nécessaire pour son bon déroulé, les objectifs, les
finalités, ... Par essence, les projets participatifs doivent permettre
aux publics bénéficiaires de s'en emparer. Le porteur de projet
contraint de remplir cette demande avant même de connaitre les envies des
participants se retrouve alors bloqué : il ignore quelle action les
adolescents souhaiteront mettre en place et par conséquent, il est
incapable de la chiffrer et de donner une estimation du nombre d'heures
nécessaire. Ces demandes laissant peu de place à l'improvisation
et aux projets participatifs rendent la tâche du porteur de projet
253 DAVODEAU, Adèle et Enora THIVILLIER.
Chargées des relations publiques au CDN Le
Préau. Entretien annexe 4 p 123.
254 COUREL, Anne. Entretien annexe 2 p 113.
71
extrêmement complexe. Il se retrouve contraint
malgré lui d'imaginer certaines modalités du projet, aspects
qu'il aurait surement souhaité coconstruire avec les participants.
Pour finir, qu'il soit participatif ou non, un projet est par
essence limité dans le temps et une grande partie se clôture par
une valorisation : représentation, restitution orale devant un groupe,
... Cette date butoir est généralement connue et
évoquée dès le début du projet. Le groupe est alors
contraint d'avoir finalisé le projet pour cette occasion. De par son
expertise et son expérience, le médiateur a conscience de la
temporalité et de la capacité du groupe à organiser et
mettre en forme ses idées. « Les jeunes ne se rendent pas
compte des difficultés d'un texte, ni du temps nécessaire pour le
montrer, ni de leurs capacités et disponibilités réelles
»255. L'approche de la date butoir peut donc devenir une
source de stress pour l'adulte référent du groupe qui se retrouve
parfois contraint au sein de projets participatifs, de réaffirmer une
gouvernance descendante afin que le projet puisse être finalisé
à temps.
La temporalité est bien un facteur déterminant
dans les diverses actions mais elle se révèle d'autant plus
complexe au sein des projets participatifs.
2.3.3. Le prise en compte du cadre de l'action
Pour finir, il est important de souligner que le cadre dans
lequel s'inscrit un projet participatif détermine grandement sa
structure et la manière dont il est mené. En effet, il est
indéniable qu'un projet s'il est initié par une association
plutôt que par une collectivité, par une institution plutôt
que par une MJC, ne sera pas pensé de la même façon et mis
en place de manières similaires. Pour cause, les objectifs et les
contraintes des différents acteurs déterminent la mise en place
du projet. Le cadre de l'action impose donc d'emblée des
référentiels dans lesquels le médiateur ou le porteur de
projet doit s'ancrer. « Lorsque je travaillais au TNBA, il y avait
aussi mon cahier des charges et ça par exemple je ne peux pas non plus
faire comme s'il n'existait pas.[...J Par exemple un budget qui est
alloué à çà on ne peut pas non plus aller à
contresens.»256 Ces différentes actions sont donc
toujours pensées voir reconnectées à un contexte. Inscrire
un projet participatif dans une mairie peut sembler par exemple plus complexe
que dans d'autres structures. En effet, ces collectivités sont par
définition administrées par un
255 BEAUCHAMP, Hélène. Le
théâtre adolescent : Une pratique artistique d'affirmation.
Montréal : les éditions Logiques, 1998. P21.
256 MONMEGE-GENESTE, Camille. Directrice du Labo des cultures.
Entretien annexe 6 p 135.
72
maire et la gouvernance peut être verticale. Le
modèle associatif peut au contraire paraitre plus propice à la
mise en place de ces projets car la gouvernance de ces structures est
partagée avec des bénévoles. Ce modèle a donc su
s'affirmer comme un acteur important de la démocratisation
culturelle.
Cet axe s'est donc clôturé par la mise en
lumière de certaines limites dans les projets participatifs :
l'équilibre de la notion d'expertise au sein de ces projets, la prise en
compte de la temporalité et du cadre de l'action. Partager sa
gouvernance peut donc s'avérer compliqué et n'est pas
forcément possible tout le temps. L'horizontalité doit être
extrêmement structurée et réfléchie au risque de
tomber dans une forme de démagogie. L'échelle de
participation d'Arstein peut être un outil pertinent pour situer et
structurer les actions proposées aux publics. Il s'avère
compliqué voire même parfois impossible de passer outre ces
différentes contraintes citées ci-dessus. Les différents
professionnels doivent alors s'en emparer pour, dans la mesure du possible,
parvenir à les contourner. A mon sens, la participation contribue
à accroitre la transparence de l'action publique et il me semble
indispensable que les personnes référentes d'un projet expriment,
dès son commencement, les aspects où les participants pourront
s'investir et donner leur avis et là où ils ne pourront pas le
faire. « Parfois il faut savoir dire que ce n'est pas possible. Il
faut à chaque fois être transparents et expliquer et être
clairs sur les règles du jeu dès le début
»257.
Cette deuxième partie a exposé les
modalités permettant au partage de la gouvernance et à la
démocratie participative d'interagir au sein des projets
théâtraux en faveur des adolescents. Ces enjeux constituent en
partie les problématiques contemporaines de la médiation
culturelle. Après avoir identifié les différents acteurs
et comment ils pouvaient se positionner lors de ces actions, cette partie
s'attarda sur la mise en place et l'articulation de ces enjeux dans les
différents projets sélectionnés. Ces deux points peuvent
notamment permettre à des professionnels de se projeter et de penser
leurs actions en corrélation avec les enjeux développés.
D'une part, la première sous-partie leur permettra de comprendre comment
interagir avec les différents acteurs et la seconde, de penser le cadre
de leur action et la méthodologie qu'ils souhaitent mettre en place.
Pour finir, il semble primordial d'être conscient en amont des limites
des projets participatifs, présentées dans la dernière
sous-partie. Il semble
257 ASSOULINE, Tania. In : Lancement des assises de la
jeunesse. Ville de Montreuil. Vidéo Youtube. 2017.
73
complexe de ne pas prendre en compte les limites
imposées par la gouvernance. Être transparents envers les publics
semble primordiale afin de ne pas générer de frustration.
74
3. Mon expérience à Bain Public : la mise en
partage de la gouvernance avec les jeunes nazairiens.
Les réflexions précédemment
exposées étaient principalement illustrées par des
éléments théoriques ou par des propos de professionnels.
Pour cette troisième et dernière partie, mon souci sera, de
manière complémentaire, de mettre en perspective les actions
développées lors de mon stage à Bain Public. De
par la problématique choisie, cette partie se concentrera une nouvelle
fois sur le partage de la gouvernance envers les publics. Cependant, il est
pertinent de mentionner que mon immersion dans cette structure me permit
d'appréhender cette question en interne car la gouvernance est
partagée au sein de l'équipe. De par la récente ouverture
de cette structure, il est encore trop tôt pour envisager un partage
significatif de la gouvernance avec des publics. A ce stade, le souci de
l'équipe est d'affiner et de veiller à la bonne
répartition des différents sujets et des missions en interne. Il
est alors plus pertinent de parler, dans un premier temps, de participation
active des publics aux projets de création et à certaines
actions. Cette partie reviendra sur différents projets et la place
occupée par les publics jeunes durant cette première année
d'exploitation. En ce sens, elle se focalisera en grande majorité sur le
partenariat avec Jeunes en ville.
Il est pertinent de rappeler que la rédaction de ce
mémoire intervient au sein d'une crise majeure qui a
ébranlé sur de nombreux aspects258 le secteur culturel
et de l'événementiel. L'équipe que j'ai
intégrée fut contrainte, à l'image de nombreuses autres,
de travailler sur des scénarios divers, d'improviser, d'annuler ou de
reporter des projets, ... En ce sens, certaines actions259 que je
projetais d'intégrer et d'analyser dans mon mémoire ne purent
être mises en place cette année.
La crainte de ne pas disposer de suffisamment
d'éléments à analyser est un des facteurs pouvant
justifier mes hésitations vis-à-vis du fait de présenter
mon stage au sein de ce mémoire. S'y ajoutait celle de dénaturer
mon propos initial. En effet, en amorçant un travail sur les publics
adolescents, mon souhait était de me pencher sur la tranche d'âge
des 12-15 ans. La raison
258 financiers, annulation d'événements, ...
259 Par exemple Jeanne Menguy, co-directrice de la structure,
désirait coconstruire une programmation partagée avec un groupe
d'enfants.
75
principale résidait dans le fait que la majorité
des projets participatifs adolescents s'adressaient aux jeunes à partir
de 15 ans. La réalité de la ville de Saint-Nazaire et ses
politiques jeunesses m'amenaient également à me focaliser sur les
15-25 ans (lycéens, étudiants, jeunes diplômés) et
non sur la tranche d'âge initialement choisie. Au fil de mes
réflexions, j'ai finalement décidé d'intégrer cette
expérience au sein de ce travail et même de lui dédier
l'entièreté d'une partie. Les raisons qui motivèrent mon
choix furent les suivantes : tout d'abord, les besoins des adolescents
développés en première partie, sont sensiblement les
mêmes pour les deux tranches d'âges. En effet, cet argumentaire
peut assez facilement être intégré dans un travail se
penchant sur les 15-25 ans. De plus, il est pertinent de rappeler qu'aucune
scission ne s'opère entre les 12-15 ans et leurs ainés. Pour
finir, il y avait un réel intérêt à mettre en
lumière dans ce mémoire mon expérience professionnelle.
Analyser la mise en place de certaines actions se révélait
complémentaire aux autres projets présentés dans ce
mémoire. En effet, c'est parce que j'ai eu la chance de les coordonner
et de les animer que j'étais en capacité de détailler en
profondeur ces actions et ce processus qui illustre bien les enjeux du partage
de la gouvernance et de la participation des publics. C'est donc une
volonté que de revenir sur cette année de partenariat en
confrontant les points de vue des acteurs y ayant participé. S'y ajoute
également l'envie de valoriser et d'analyser des projets que j'ai
moi-même développés.
Introduit d'ores et déjà en première
partie, Jeunes en ville est une instance citoyenne et participative
à destination des 15 à 25 ans vivant, travaillant et
étudiant à Saint-Nazaire. « On a travaillé sur la
conception de Jeunes en ville, conseil nazairien de la jeunesse, qu'on
a défendu auprès des élus, c'est-à-dire que
ça ne soit pas un conseil municipal, que ce soit une libre
adhésion, que ce soit un investissement à la hauteur de ce que
les jeunes souhaitent, qu'ils aient des cartes blanches, qu'il y ait une
itinérance, qu'ils puissent s'approprier des lieux et aussi qu'il y ait
un fort levier culturel. C'était ce que voulaient les jeunes. Et donc
cinq ans plus tard, on n'a pas dévié. Et les jeunes, ils ne
représentent personne sauf eux-mêmes. Enfin tout cela
c'était très important et pour nous et pour eux.
»260 Depuis 2011261, la jeunesse est devenue
l'un des leviers des politiques publiques nazairiennes. Cette volonté
fut par la suite renforcée
260 JAN, Nathalie. Entretien annexe 10 p 144.
261 Date de la création de la mission jeunesse. La
municipalité a fait le choix que la jeunesse fasse l'objet d'une mission
et non d'un service pour faciliter la transversalité.
76
avec l'arrivée en 2014 de la nouvelle
municipalité262 prônant une politique
volontariste263 en faveur de la jeunesse.
En ce qui concerne Bain Public, travailler,
mobiliser et recueillir l'avis des jeunes figurent parmi les
envies264 de l'équipe. S'y ajoute également le souhait
que la structure devienne un lieu de référence pour ces publics
en les accueillant soit lors d'événements soit pour boire un
verre en dehors de la programmation. Le partenariat de Bain Public
avec JEV265 fut le fruit d'une entente entre Anne
Guillou266 et Carmen Camboulas, alors animatrice
référente267 du dispositif. Cette dernière
était intéressée par le projet de Bain public et
à l'inverse, l'équipe que j'ai intégrée projetait
de travailler avec des publics jeunes et s'attachait à mettre en place
des actions et des temps d'échanges avec eux. A l'image de plusieurs
projets développés cette année, le déroulé
des actions avec Jeunes en ville connut de nombreux scénarios
et fut soumis à de multiples rebondissements. De plus, compte tenu de la
récente ouverture de Bain Public, j'ai été
amenée à appréhender une réflexion neuve,
vouée à être développée et
pérennisée par l'équipe.
Mon souci sera donc, à travers cette partie, de mettre
en évidence les actions développées avec les publics
jeunes durant mon stage. Elle s'appuiera principalement sur le partenariat avec
Jeunes en ville et s'articulera comme suit : la première
sous-partie exposera les jalons qui furent posés à ce partenariat
et les rebondissements qu'ils subirent. Elle développera
également deux aspects primordiaux dans la mise en place d'une
co-construction : le positionnement des différents acteurs et
l'engagement des participants. La deuxième sous-partie se focalisera sur
certains enseignements tirés grâce aux différentes actions
développées.
3.1. Les enjeux et les difficultés de la
co-construction entre Jeunes en Ville et Bain Public.
« C'est une démarche participative et civique
qui doit permettre aux jeunes de s'impliquer dans la vie locale tout en
établissant un lien direct avec les élus et les acteurs locaux,
avec également
262 Arrivée du maire David Samzun, parti socialiste.
263 La « jeunesse » n'est pas une politique
obligatoire pour les communes.
264 Cette envie est motivée par le fait que les jeunes
(12-25 ans) disposent de peu de lieux qui leur sont destinés (bars,
boites de nuits, lieux de rencontre, ...) à Saint-Nazaire.
265 Jeunes en ville.
266 Codirectrice de Bain Public, Anne Guillou fut
également ma tutrice durant mon stage au sein de la structure.
267 Carmen Camboulas fut remplacée par Coralie Patrel
à partir de mai 2021.
77
pour objectif d'élaborer et de réaliser des
projets concrets ayant un impact sur l'environnement des nazairiens
»268
Dans le Projet Stratégique de Mandat
initié par la DGA Ville Educative Jeunesse, c'est ainsi
qu'est présentée la démarche de Jeunes en ville.
Il y est souligné que l'accompagnement des jeunes doit être
pensé en s'appuyant sur des dispositifs existants et des
équipements municipaux. Comme le précise la
précédente citation, le « lien avec [...] les acteurs
locaux » est un des leviers de ce projet. C'est d'ailleurs dans cette
perspective que s'est mis en place le partenariat avec Bain Public.
Cette sous-partie se destine alors à mettre en
lumière certains aspects de la co-construction entre les deux
structures. Pour la rédiger, mon parti-pris fut d'interroger les
différentes professionnelles ayant travaillé ou influencé
la mise en place de ce partenariat. De cette analyse croisée,
émerge le développement d'un exemple concret de co-construction.
Il tentera d'enrichir voire de nuancer de précédentes parties
comme notamment Les différents médiateurs : la
nécessité de la co-construction. Cette sous-partie se
présentera sous trois axes distincts. Le premier exposera les jalons qui
furent posés à ce projet et les éléments qui le
remirent en cause. Par la suite, le deuxième axe questionnera le
positionnement des différents médiateurs inclus dans le projet.
Pour finir, sera exposé comment le libre engagement des jeunes, aspect
prépondérant du projet de JEV, a pu avoir un impact sur la
co-construction avec Bain Public.
3.1.1. Comprendre les jalons posés à ce
partenariat et ses rebondissements.
Les prémices et les premières discussions
autour de ce partenariat furent effectifs dès les mois de septembre et
d'octobre 2020. Etant donné que mon stage ne commençait qu'en
janvier 2021, je ne fus pas au centre de ces réflexions. Il y avait,
comme souligné précédemment, une volonté et un
intérêt commun à travailler conjointement.
Il est important de rappeler que l'une des
caractéristiques du dispositif de JEV est l'itinérance.
C'est-à-dire que le groupe de participants et la coordinatrice ne
disposent pas de lieu physique où se réunir. La grande
majorité des rencontres se déroulent à La
Source269 et les autres, dans différentes structures de
la ville ou en extérieur. Compte tenu de la crise sanitaire en
vigueur
268 DGA Ville Educative et créative Mission Jeunesse.
Projet Stratégique de Mandat. Schéma Directeur Jeunesse
(12-25 ans). Dossier de présentation. 10 mars 2021. Saint-Nazaire.
P3.
269 Centre d'informations jeunesse inauguré le 25 avril
2018.
78
cette année, l'itinérance s'annonçait
complexe. Carmen Camboulas proposa alors qu'une structure nazairienne devienne,
exceptionnellement, le lieu de rassemblement privilégié de JEV
pour sa saison 2020-2021. Le lieu en question était donc Bain
Public. Au fil des échanges entre Carmen Camboulas et Anne Guillou,
émergèrent les jalons de ce partenariat. Le groupe de JEV
pourrait se retrouver plusieurs fois par mois au sein de l'équipement.
Bain Public accueillerait et accompagnerait cette «
résidence de jeunes »270 tout au long de cette
première saison. Les ateliers, les discussions, les sujets
abordés durant cette occupation pouvaient soit être directement en
lien avec les activités de Bain Public ou à l'inverse,
n'avoir aucune porosité avec elles.
Accueillir JEV s'avérait être une
opportunité intéressante pour la première année
d'exploitation de Bain Public. En effet, il est important de
préciser que l'engagement des participants dans JEV est totalement
libre. Chacun peut venir selon son envie et sa motivation à une
rencontre ou à une activité. En positionnant Bain Public
comme partenaire privilégié de JEV, les jeunes pouvaient
développer, au sein même de la structure, des actions sans
porosité avec le secteur culturel. La diversité des propositions
auraient donc pu sensibiliser des profils multiples de jeunes. En ce sens,
l'objectif premier de cette résidence n'était pas de se focaliser
et de mobiliser exclusivement des jeunes s'intéressant
préalablement à la culture. Au contraire, l'idée
était d'ouvrir à des profils divers. De par cette
résidence aurait pu émerger des liens privilégiés
entre artistes accueillis, équipe de Bain Public et jeunes de
JEV. Une des autres propositions qui fut imaginée était la
suivante : que les jeunes deviennent un relais pour les actualités de
Bain Public et ambassadeurs auprès des artistes accueillis
(visites de la ville menées par les participants, ...). A ce
partenariat, s'ajoutait une semaine de Workshop271 avec Radio
Live272. Il se serait ensuite clôturé en octobre
2021 pour une carte blanche273 imaginée par les jeunes. Cette
coopération allait dans le sens d'un partage de gouvernance avec ces
participants qui auraient alors eu une place de choix dans l'ouverture de la
structure.
270 Carmen Camboulas et Anne Guillou utilisaient ce terme en
référence à l'activité de Bain Public. Cet
accueil récurrent de JEV durant l'année 2020-2021 figurait donc
parmi les différentes résidences de la structure.
271 Atelier collaboratif.
272 Aurélie Charon, Caroline Gillet et Amélie
Bonnin mettent en place des séries radio et vidéo autour du
récit documentaire. Ce workshop devait se dérouler autour de la
notion des récits sensibles et de la transmission entre les
générations.
273 Rendu publique imaginé et animé par les
jeunes participants. Carmen avait proposé que la question suivante soit
leur point de départ de réflexion : « quelle est la place
des jeunes dans une structure culturelle ? »
79
Ce partenariat, dont le pilotage me fut
délégué au commencement de mon stage, fut alors
jalonné bien en amont de mon arrivée. Cependant, en janvier
dernier, Nathalie Jan274 le remit en cause dans son
intégralité. En ce sens, la résidence imaginée
à Bain public n'était plus d'actualité. Le groupe
continuerait de se réunir ponctuellement dans différents lieux
nazairiens. Ce rebondissement fut d'autant plus surprenant étant
donné que c'était Nathalie Jan elle-même qui avait
indiqué à Carmen Camboulas de se tourner vers Bain
Public. La demande de ce partenariat avait bien été
formulée par JEV. Compte tenu de ce rebondissement, il se vit
dépossédé de ses jalons. Il est indéniable que les
co-constructions demandent d'être régulièrement
réajustées dans l'optique de répondre aux objectifs et aux
attentes de différents partenaires. Cependant, en ce qui concerne le cas
précédemment exposé, nous ne disposions d'aucune clef pour
comprendre ce revirement. Ignorant les points de vue de Nathalie Jan et de
Carmen Camboulas, ma connaissance de ce déroulé s'était
construite à partir des échanges avec ma tutrice. C'est donc
motivée par Anne Guillou que je pris le parti de croiser les
différents regards et de recouper les informations. Mon objectif
était de comprendre pourquoi ce partenariat avait été
sujet à des remises en cause.
L'entretien avec Nathalie Jan fut particulièrement
intéressant. Il me permit de nuancer mon point de vue et d'identifier
ses motivations. De cet entretien découla la nécessité,
selon Nathalie Jan, de l'itinérance de JEV. « Nous c'est pas
forcément un lieu qu'on recherche, c'est la rencontre.
»275 Elle souligna que l'idée n'était pas de
disposer d'un espace dédié « car un lieu ça
serait un parti-pris. »276. Pour aller plus loin dans cet
argumentaire, elle précisa que le rôle de l'animatrice de JEV,
auparavant Carmen Camboulas et maintenant Coralie Patrel, était
d'être « une facilitatrice ». C'est-à-dire qu'elle ne
devait pas projeter ses envies avant même d'avoir interrogé les
jeunes. Au contraire, sa mission est de proposer des angles d'attaques, des
idées de partenariats et des actions sans jamais imposer. « Il
faut toujours travailler les équilibres pour ne pas projeter sur les
jeunes ce qu'on voudrait que ce soit. Et là je pense qu'à un
moment ça s'est fait comme ça. [...] Il faut que les jeunes
fassent ce qu'ils ont envie de faire, pas les envies de la professionnelle.
»277 Pour expliquer plus concrètement cette
démarche, Nathalie Jan revint sur le partenariat avec la
médiathèque Etienne Caux278. En amont de sa
mise en place,
274 Responsable de la mission jeunesse à la ville de
Saint-Nazaire.
275 JAN, Nathalie Jan. Entretien annexe 10 p 144
276 Ibid. P 144.
277 Ibid. P 145.
278 Médiathèque nazairienne.
80
l'animatrice avait exposé aux jeunes la programmation
de la structure. C'est à partir de celle-ci que les participants de JEV
avaient verbalisé les sujets, les thématiques ou les
événements qui les intéressaient et dont ils
souhaiteraient s'emparer ou intégrer. La carte blanche finale
était également orientée en fonction de leurs choix. En ce
qui concerne le partenariat avec Bain Public, il s'avérait
qu'il déviait trop largement du projet initial de JEV :
itinérance, laisser les jeunes s'emparer des thématiques, ... La
raison principale qui motiva Nathalie Jan à remettre en cause ce
partenariat résidait dans le fait que la proposition de disposer d'un
lieu avait été initiée par Carmen Camboulas et non par les
jeunes participants.
Cette partie mit en évidence les jalons initiaux de ce
partenariat et les raisons pour lesquelles il fit l'objet de rebondissements.
Des rencontres avec JEV furent tout de même mises en place durant cette
année. Cependant elles furent beaucoup plus clairsemées. Il fut
donc plus complexe, pour les jeunes comme pour l'équipe de Bain
Public, de se connaitre les uns les autres et de coconstruire des actions.
Il est important de préciser que certains JEV, dont je fis par la suite
connaissance, ignoraient l'existence du partenariat mis en place voire de
Bain Public.
3.1.2. La question du positionnement des deux acteurs dans cette
co-construction.
Croiser les différents entretiens me permit
d'identifier les objectifs et le positionnement de chacun dans cette
co-construction. En effet, ce qui selon moi figure parmi les écueils de
celle-ci est le manque de clarté de JEV vis-à-vis de son
positionnement.
Tout d'abord, il est important de souligner que mon analyse
m'a confortée dans l'idée qu'il était primordial de
jalonner les projets coconstruits. Permettre aux jeunes de s'emparer seuls des
différentes actions est au coeur du projet de JEV. C'est-à-dire
que le professionnel en ayant la charge doit faciliter la mise en place de
leurs envies sans pour autant se projeter ou leur imposer des axes de
réflexions. Cependant, la mise en place de projets participatifs ne
sous-entend pas que ces actions ne doivent pas être jalonnées en
amont. Au contraire, avant l'arrivée des participants, multiplier les
rencontres entre les adultes partenaires reste nécessaire, voire
primordial. Les printemps théâtraux sont des exemples
pertinents car de nombreux professionnels (acteurs, professeurs, équipe
de Comète, ...) partagent des réflexions et jalonnent le
projet avant même sa présentation aux élèves. Des
réflexions et des problématiques soulevées en
préambule émergent un déroulé et un cadre de
travail. Elles ont aussi le mérite de définir des
81
outils et une méthodologie commune. Dans le cas
contraire, il est fréquent que cette dernière devienne, par
défaut, celle d'une des partenaires de l'action. Il ne s'agit donc plus
tout à fait selon moi, d'une co-construction car les différents
acteurs s'appuient exclusivement sur les outils mis en place par l'une des
structures. Des échanges préliminaires émergent
également les missions et le positionnement de chaque partenaire durant
l'action. En effet, il est primordial d'identifier collectivement sur quels
axes chacun doit intervenir : mobilisation des jeunes, prise de contact avec un
autre partenaire, ....
Dans le cas présent, ces échanges devaient
mettre en évidence les missions sur lesquelles interviendraient
respectivement Bain Public et Jeunes en Ville. Etant
donné que les jalons du projet furent brisés, la
méthodologie commune était donc inexistante. De plus, le manque
de transparence concernant la remise en cause de ce partenariat ne permettait
pas à l'équipe de Bain Public de saisir clairement les
objectifs de JEV. De ce manque de positionnement résultat, en ce qui me
concerne, la cause suivante : je me suis inconsciemment appropriée des
missions qui n'étaient pas les miennes. En effet, travailler avec JEV
permettait à Bain Public de s'appuyer sur une tête de
réseau. La mobilisation des jeunes durant ces actions communes
était donc la mission de l'animatrice référente. Or il fut
important à plusieurs reprises que je me positionne en tant
qu'élément moteur sur cet axe afin de sensibiliser et de
mobiliser les jeunes. De plus, il faut préciser que la prise de poste de
Coralie Patrel, en tant d'animatrice de JEV, s'est faite alors que cette
dernière ignorait l'existence d'un partenariat avec Bain
Public.
Si je reviens sur la partie Les différents
médiateurs : la nécessité de la co-construction, il y
était mis en évidence le besoin de se questionner collectivement
sur le vocabulaire utilisé. En effet, lors d'un projet en
co-construction, en utiliser un commun s'avère primordial. Ces
précédents éléments de réflexions
m'amenèrent à me questionner sur l'aspect suivant : pour le
partenariat avec la médiathèque Etienne Caux, JEV s'est
appuyé sur la programmation déjà établie de la
structure dans l'optique que les jeunes mettent en place leurs projets à
partir de celle-ci. Or une des définitions du terme «
co-construction » est la suivante : « La co-construction est un
processus reposant sur une mise en forme d'interactions entre les acteurs afin
que ceux-ci élaborent au fil de leurs interactions des accords visant
à rendre compatibles des définitions
82
relatives à un changement, à un projet,
à une méthode de travail »279. Selon moi, le
cas de JEV ne correspond pas à la définition
précédente car elle souligne que les partenaires travaillent
conjointement dans le but de mettre en place un projet commun. Or le projet
entre JEV et la médiathèque se divise en deux temps distincts :
la mise en place de la programmation concerne exclusivement la
médiathèque, et c'est par la suite que l'animatrice de JEV en
prend connaissance et l'expose aux jeunes. Ce second temps ne mobilise donc pas
réellement la médiathèque. Les partenariats mis en place
par JEV ne sont donc pas des co-constructions car la programmation et la
méthodologie de la structure partenaire irriguent le déroulement
des futures actions.
Cet axe fut dédié à mettre en
évidence l'importance de jalonner les projets et d'identifier les
missions des divers partenaires de la co-construction. Dans le cas
présent, les remises en causes du déroulé et des missions
des différents professionnels a provoqué une
inégalité de positionnement.
3.2.3. Le libre engagement des jeunes : un impact sur la
co-construction.
Pour clôturer cette réflexion sur la
co-construction entre Jeunes en ville et Bain Public, cette
sous-partie s'attardera sur le libre engagement des jeunes, aspect au coeur du
projet de JEV. Lors de l'entretien avec Carmen Camboulas, cette dernière
souligna qu'« [elle pensait] que ce n'[était] pas facile pour
un partenaire comme Bain public de travailler avec Jeunes en
ville car le groupe n'[était] jamais le même.
»280
En effet, au libre engagement des jeunes s'ajoute au projet
de JEV une dimension partenariale très importante. En ce sens, les
participants peuvent adhérer librement à des actions, venir ou
non aux différentes rencontres, arrêter un projet en cours de
route, ... Ce libre engagement des jeunes est selon Carmen Camboulas assez
concluant et figure parmi les points forts du projet. Cependant, elle y
décèle également un écueil assez marqué :
« parfois [les jeunes] ne sont plus là pour poursuivre [le
projet]. Est-ce qu'on l'abandonne ? Est-ce que c'est l'animatrice qui poursuit
? Même si je ne leur remets pas dessus car ça permet d'ouvrir au
plus de jeunes possibles »281. Ce libre engagement peut
donc devenir une source de frustration pour le
279 FOUDRIAT, Michel. Le management des chefs de service
dans le secteur social et médico-social. Paris : Dunod. «
Guide santé social », 2014. Chap 13 : La co-construction. Une
option managériale pour les chefs de services. P 229.
280 CAMBOULAS, Carmen. Annexe 9 p 142.
281 Ibid. P 142.
83
professionnel responsable de JEV car plusieurs projets se sont
déjà retrouvés avortés. Cependant, lors d'un projet
coconstruit avec une autre structure, il peut s'avérer complexe à
mon sens de l'arrêter pour une question d'engagement des participants. En
effet par définition, la co-construction demande un minimum de deux
partenaires inclus dans le projet. En ce sens, si ce dernier doit
s'arrêter brutalement, cette décision doit dans l'idéal
être partagée entre eux deux. Or dans le cas où des jeunes
de JEV ne poursuivent pas un projet, la décision de sa suspension est
indépendante de la volonté d'une des deux parties. Pire, le
partenaire en question n'est alors pas en capacité de reprendre seul le
projet ou de convaincre JEV de le poursuivre.
A mon sens, l'engagement des participants est un des aspects
primordiaux de la mise en place d'actions avec des jeunes ou des adolescents.
Cela avait d'ailleurs été mis de nombreuses fois en
évidence durant les entretiens que j'ai pu mener. Si je prends l'exemple
de J'aurais aimé que le monde soit parfait, l'équipe des
relations publiques du Préau avaient été en charge du
recrutement des participants. Adèle Thivillier et Enora Davodeau avaient
donc longuement insisté auprès d'eux sur ce point : s'ils
s'engageaient sur ce projet, ils devraient le faire jusqu'à la
représentation finale. Pour cela, elles leur avaient exposé le
temps de travail nécessaire mais également les objectifs à
atteindre. En effet, l'engagement des jeunes figure selon moi parmi les leviers
de la mise en place de projets participatifs. Ce sont également des
valeurs extrêmement importantes à transmettre à cette
tranche d'âge. Identifier des objectifs communs à atteindre est
également un facteur de motivation pour les jeunes. De plus, poursuivre
l'intégralité d'une action ensemble permet aux adolescents de se
sentir appartenir à un groupe. En voir certains arrêter le projet
ou y venir seulement ponctuellement peut générer de la
frustration chez les professionnels et les autres participants. Cet aspect a
donc une répercussion sur la motivation de chacun et peut mettre
à mal le projet.
En ce qui concerne les rendez-vous avec JEV, la
première visite à Bain public mobilisa une dizaine de
jeunes, tandis que la deuxième, autour du travail d'Anne
Merceron282, seulement trois. L'objectif de ces rencontres
n'était pas purement quantitatif. Or il est important de préciser
qu'il y avait un engagement réciproque entre les deux structures. De
plus, étant donné que les jeunes n'étaient pas
engagés sur le « parcours » mis en place avec Bain
Public, nous étions contraintes, l'animatrice
référente et moi-même, de déployer
énormément d'énergie pour mobiliser les jeunes pour la
moindre rencontre. De plus, il était d'autant plus difficile
282 Artiste de la compagnie Diabolo Menthe, compagnie
nazairienne de spectacle jeune public.
84
d'imaginer des prolongements aux différentes actions
car nous ignorions avec qui nous travaillerions à moyen et long
terme.
De plus, ce libre engagement soulève certaines
injonctions au coeur même du projet de Jeunes en Ville. En
effet, Nathalie Jan positionne le libre engagement et la prise en compte des
envies des jeunes comme étant des leviers de JEV. A mon sens, ces
aspects peuvent être assez pertinents vis-à-vis de cette tranche
d'âge, d'autant plus que ce projet tend vers du participatif. Cependant,
il se trouve qu'ils ne sont pas compatibles avec la réalité du
terrain. Par exemple, les jeunes de JEV devaient imaginer et mettre en place
Le Youth St Naz Tour283. De nombreux jeunes
s'étaient inscrits en janvier 2021 pour organiser et animer cet
événement. Au final, la majorité des jeunes se sont
désistés et Coralie Patrel fut amenée à le mettre
en place seule. Cet exemple met donc en évidence une injonction au sein
du projet même de JEV. En effet, la personne qui est garante du projet,
Nathalie Jan et celle qui l'incarne auprès des jeunes, Coralie Patrel,
ne peuvent l'appréhender de la même manière. Ce projet et
sa méthodologie n'ont donc pas été réajustés
à l'épreuve du terrain.
Cet axe a souligné la nécessité de
l'engagement des participants dans la mise en place d'un projet participatif ou
coconstruit. Il est selon moi un facteur primordial pour le bon
déroulement voire la réussite de l'action. En effet, cet aspect a
des répercussions sur la motivation des différents acteurs du
projet : participants, professionnels, ... Il peut s'avérer
compliqué de travailler de manière pérenne si l'engagement
de certains d'entre eux est bancal.
Cette partie se pencha donc sur la co-construction entre
Bain Public et Jeunes en Ville. Le premier axe permit de
contextualiser, de comprendre quels jalons furent posés et comment ils
furent remis en cause. L'argumentaire se poursuivit en analysant le
positionnement des deux partenaires durant ce travail. Pour finir, le dernier
axe se focalisa sur l'engagement des jeunes, aspect selon moi essentiel pour la
mise en place de projets avec ces publics. La co-construction de ce partenariat
ne fut finalement pas aussi concluante qu'espéré alors que
l'outil qu'était JEV était intéressant. Il est important
de préciser qu'aller chercher des individualités284
est au coeur du projet de Bain Public. Cependant, il peut
s'avérer intéressant par moment de s'appuyer sur des têtes
de réseaux. Travailler avec JEV permettait également à
l'équipe de Bain Public de se
283 Evénement ayant eu lieu le 9 juillet 2021 sur la
Grande plage de Saint-Nazaire dans le cadre de Saint-Nazaire coté
plage.
284 Aspect qui sera détaillé dans l'axe sur le
recrutement.
85
référer à l'expertise de Carmen Camboulas
et inversement. Cette partie fut davantage centrée sur la notion de
co-construction que sur celles de démocratie participative et de partage
de gouvernance. Cependant, cette réflexion est indispensable pour la
bonne analyse du sujet choisi. En effet, jalonner les projets et pouvoir
s'appuyer sur l'expertise de ses partenaires figurent parmi les facteurs de
réussite des projets participatifs.
3.2. Retour sur expérience : les différents points
que j'ai été amenée à appréhender.
Bien que le scénario initial de ce partenariat connut
divers rebondissements, cette première année fut tout de
même concluante sur divers aspects et les enseignements que j'en tire
sont riches et formateurs. En ce qui concerne les rencontres entre JEV
et Bain Public, l'envie commune de les multiplier fut
formulée. Ainsi, diverses occasions d'aborder et d'être en contact
avec des artistes et l'équipe de Bain Public se
présenteraient aux jeunes. Cette première année s'est donc
articulée de la manière suivante :
· La visite de Bain Public285.
· La rencontre286 avec l'artiste Anne
Merceron: atelier autour de son spectacle Fénix287.
L'idée était alors de proposer aux jeunes une rencontre
s'adressant aux plus grands nombre avant de développer des propositions
plus individuelles et ciblées.
· La formation d'un groupe de jeunes pour participer
à différentes rencontres durant la semaine de résidence
avec Lucien Fradin : cette action sera plus largement développée
dans une suivante sous-partie se focalisant sur la notion du recrutement.
Une précédente sous-partie de ce mémoire
L'articulation des enjeux du partage de la gouvernance dans
différentes actions co-réalisées avec des adolescents,
se focalisait sur les grandes tendances qui se dégagent des projets
participatifs. Les démarches et les outils les plus fréquents
furent recensés et analysés : repenser la relation entre adultes
et adolescents, responsabiliser les participants, ... Cette présente
partie approfondira cette analyse. Pour cela, elle se tournera vers certains
aspects représentatifs de mon expérience à Bain
Public. Il est important de souligner que mes lectures et les entretiens
professionnels menés m'avaient auparavant permis de les identifier.
Cependant, ce fut une volonté de ne pas m'attarder sur ces
285 26 février 2021.
286 5 mai 2021.
287 Spectacle de théâtre de papier traitant des
thèmes de la reconstruction et de la résilience. Spectacle
prévu pour 2022-2023.
86
différents points dans les précédentes
parties. En effet, il me semblait judicieux de les mettre en perspective
directement avec mon expérience personnelle, tout en les alimentant
d'exemples théoriques. Cette présente partie se devra donc
d'augmenter l'analyse réalisée précédemment. Elle
se découpera en trois axes. Le premier mettra en évidence la
notion du « prendre soin », aspect devant être central au sein
des projets en faveur des adolescents. L'analyse se poursuivra sur un axe
dédié au recrutement des jeunes en amont d'une action. Pour cela,
il s'appuiera sur la résidence de Lucien Fradin accueillie au mois de
juin 2021 au sein de Bain Public. Pour finir, le dernier axe
soulignera l'importance de valoriser ces projets auprès des jeunes, de
leurs proches et des élus.
3.2.1. Une vigilance particulière à la notion du
prendre soin
« Souhaitant prolonger la tradition du soin et de
l'accueil qui régnait dans le bâtiment à l'époque
des bains-douches, l'association288 s'attache à penser un
lieu convivial et hospitalier»289. Cette citation extraite
du dossier de presse de l'inauguration de Bain Public, souligne une
des intentions que la structure projette. Il s'agit de celle de « prendre
soin » des diverses personnes accueillies dans son enceinte : publics,
artistes, ... Il est important de souligner que cet aspect est pleinement
inscrit dans le projet de Bain Public et irrigue ses
différentes actions et activités. Evoquer la notion du «
prendre soin » c'est instantanément invoquer celle du « care
». « Le « care » désigne l'ensemble des gestes
et des paroles essentielles visant le maintien de la vie et de la
dignité des personnes, bien au-delà des seuls soins de
santé. »290 : sollicitude, attention à
autrui, réconforter, laver, panser... Il est important de
préciser que l'intégration de cette notion au coeur du projet de
Bain Public fut effective et défendue dès son
préambule. Cependant, de la crise sanitaire et des divers confinements
émergea une revalorisation et une mise en lumière de cette
notion. Cette dernière irrigua plusieurs secteurs d'activités
dont le culturel. Cynthia Fleury291 fut notamment l'une des grandes
figures à la replacer récemment en tant qu'élément
central de notre société. S'y ajoutait une remise en perspective
avec la situation exceptionnelle que nous traversons. Cette théoricienne
souligne « [qu'Jon voit bien qu'aujourd'hui, sans le care, la
société
288 Les Chantiers Nouveaux.
289 Ibid. P7
290 GAGNON, Eric. Care. Anthropen. Le dictionnaire
francophone d'anthropologie ancré dans le contemporain.
Université de Laval. 2016. P1.
291 Philosophe et psychanalyste française. Elle est
aussi professeur dans plusieurs grandes écoles et membre du conseil
d'administration de l'ONG Santé Diabète.
87
s'effondre »292. Elle qualifie la
société du care « comme une société du
« prendre soin », où l'on comprend que nos
interdépendances sont des forces. Des forces qui nous permettent de
transformer le monde de la façon la plus créative possible et de
la façon la plus solidaire »293. Ce fut une
volonté d'invoquer cette notion car elle se trouve être pertinente
voire nécessaire au sein des projets participatifs. Transversale, elle
fut mise en évidence dans plusieurs parties de ce mémoire. En
effet, « prendre soin » sous-entend que la personne est prise en
considération dans son individualité : culture,
références individuelles, .... « On a un peu
abandonné cette vision d'intérêt général,
avec un besoin à combler qui serait le même pour tous.
L'idée est pour nous de faciliter des désirs, de partir des
désirs des personnes »294 Sans pour autant qu'il y
fut invoqué la notion du « care », je retrouve dans la
démarche de Bain Public des similitudes avec celle du Labo
des cultures. Le collectif Lacavale est également un exemple
pertinent à citer. Bien que le projet soit jalonné en amont,
l'équipe s'attache à entendre et à comprendre les envies
des jeunes participants. Mon expérience à Bain Public
m'a confortée dans l'idée qu'il était primordial, en
tant que professionnels du secteur culturel, d'être au plus proche des
besoins et des envies des différents publics. Ce fut donc davantage des
études qualitatives que quantitatives qui firent l'objet de mon travail
lors des actions à Bain Public. Chacune d'elles se devait
d'identifier et d'accompagner des personnes pertinentes. En utilisant ce terme
je désigne des personnes formulant un réel intérêt
pour la thématique développée par la compagnie en
résidence. L'objectif premier n'était donc pas de contribuer
à remplir une jauge ou à atteindre le même nombre de
participants pour chaque action de la saison. Ce constat prolonge et renforce
les aspects développés en amont dans ce mémoire : tisser
des liens avec les adolescents, prendre en compte leur culture, s'adresser
à des individualités et pas exclusivement à des groupes
constitués, ...
Travailler par le prisme du « prendre soin »
contribue également à développer l'appétence des
personnes mobilisées pour l'art et les lieux culturels. Sortir d'une
logique descendante entre professionnel et public permet de laisser plus de
place aux envies des personnes accueillies. L'équipe de Bain public
s'attache donc à travailler de cette manière.
292 FLEURY, Cynthia. In : La société du Care
selon Cynthia Fleury. Brut. Penser demain épisode 1. 9 mai 2020.
293 Ibid.
294MONMEGE-GENESTE, Camille. Entretien annexe 6, p
130.
88
Cette notion du prendre soin est donc l'un des leviers du
projet de Bain Public. Elle illustre également parfaitement le
propos de ce mémoire. J'ai eu la chance de faire l'expérience
sensible de son importance durant l'intégralité de mon stage.
Elle est selon moi au coeur de nos pratiques de médiation et se doit
d'être incluse dans les différents projets
développés en faveurs des publics.
3.2.2. Le recrutement : un travail nécessaire,
enrichissant mais chronophage
Un des aspects que j'ai été amené
à expérimenter et à appréhender durant mon stage
fut la notion de recrutement. Cette dernière fut d'ores et
déjà introduite dans la première partie de ce travail
Un double enjeu : le cadre scolaire et le cadre volontaire. Elle
s'incarne dans les divers projets avec des adolescents mais plus
spécifiquement dans ceux mobilisant des jeunes volontaires, et donc par
définition non captifs. En effet, les projets dans le cadre volontaire
demandent inévitablement aux professionnels de passer et de mettre en
place une phase de « recrutement » des participants. Il faut
préciser qu'en employant ce terme, mon idée n'est pas de faire
référence à une mise en concurrence entre adolescents dans
le but d'être sélectionnés parmi d'autres pour
intégrer un projet. En aucun cas ces derniers ne sont amenés
à passer une audition, un entretien ou une épreuve quelconque. Le
souci du professionnel missionné est de multiplier les rencontres avec
des groupes d'adolescents en identifiant et en se rendant par exemple dans des
lieux qu'ils fréquentent. Un des objectifs
opérationnels295 propre au recrutement est donc de constituer
un groupe de jeunes sensibles au projet proposé et assez volontaires
pour y participer. L'équipe des relations avec les publics du
Préau avait notamment évoqué, durant notre
entretien, les différents lieux qu'elles investissent pour mobiliser des
jeunes : MJC, écoles, club de sport, ... Il est important de souligner
que l'accompagnement de publics vers des formes participatives s'exprime
également par le fait de faciliter et de provoquer la rencontre avec des
personnes pertinentes.
Pour revenir plus spécifiquement à
l'expérience qui fait l'objet de cette partie, mon stage à
Bain Public, je fus amenée à appréhender cette
notion de recrutement à plusieurs reprises par le biais des missions de
médiation qui me furent confiées. Aller chercher des
individualités est incontestablement au coeur de la démarche de
Bain Public. Réaliser des benchmark par le prisme des
thématiques développées par les artistes, identifier et
prendre contact avec les personnes pertinentes avec l'action fut central dans
mes missions de médiatrice. La mise en
295 Précise clairement les résultats attendus.
89
lumière des droits culturels dans la pratique de la
médiation fait donc partie intégrante de projets de Bain
Public. « L'idée est bien d'aller chercher ce qu'il y a de
culturel dans chaque personne, sa singularité, sa propre histoire. Nous
cherchons à faire du sur-mesure »296 Dans cette
citation, Anne Guillou souligne que Bain Public s'attache à
replacer les individualités au coeur des projets
développés. La logique déployée est donc la
reconnaissance des différentes références personnelles.
Les rencontres artistes-citoyens développées permettent aux
équipes artistiques de sortir de l'entre-soi et de se nourrir
d'expériences sensibles et individuelles, et à l'inverse, aux
diverses personnes mobilisées de mettre en partage leur
réflexions et leurs convictions. S'y ajoutait la possibilité
d'appréhender l'univers d'artistes.
Cette méthodologie s'incarne donc dans les
différentes actions développées par Bain Public.
Elle est spécifique au projet de la structure et pas seulement à
des actions à destination des adolescents et des jeunes. Cependant, il
est donc pertinent d'interroger cette méthodologie en invoquant et en
analysant un projet qui était adressé à ces publics.
L'objectif est de comprendre en quoi cette manière de procéder
peut être intéressante dans le travail avec des adolescents.
Mon souci sera donc de revenir sur un projet qui les a
impliqués. C'est pour cela que je m'appuierai sur le projet de Lucien
Fradin, metteur en scène et comédien de la compagnie La
Ponctuelle297. En effet, dans la perspective de son accueil en
résidence, je fus amenée à constituer un groupe de jeunes
qui seraient pertinents vis-à-vis de la thématique de son
prochain spectacle : Portraits Détaillés. Pour ce
dernier, Lucien Fradin se penche sur des questions liées au genre et
souhaite « proposer f...] des lectures non-hétérocrates
des vécus de [sa] communauté LGBTQ+298
»299. Le sous-titre de Portraits
Détaillés est d'ailleurs le suivant : performance-montage
à propos des gays, homosexuels, bis et pédés. Dans ce
cadre, Lucien cherche à multiplier les rencontres, les échanges,
à récolter de la matière comme des chants, des images, des
anecdotes ... Sa démarche est assez singulière car Lucien ne
dispose pas d'outils « types » ou de méthodologie
déjà définie. Il crée et invente avec les personnes
qu'il rencontre un nouveau protocole d'artiste dans chaque ville où il
est accueilli. Ce travail de
296 GUILLOU, Anne. Citation issue d'une conversation informelle
datant du 15 juin 2021.
297 Compagnie lilloise formée en 2019 par Lucien Fradin et
Aurore Magnier.
298 Acronyme de Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Trans, Queers. Le
« + » est régulièrement rajouté dans une
volonté inclusive signifiant « et les autres ».
299 FRADIN, Lucien. La Ponctuelle. Dossier artistique
Portraits Détaillés et Je suis une sirène. Note
d'intention, contexte et prémices. P12.
90
terrain permet à Lucien de comprendre comment se
manifeste la communauté LGBT dans les différentes villes et quels
sont les lieux où elle se rassemble et s'exprime.
De notre première rencontre avec Lucien émergea
une envie commune d'appréhender cette thématique par le prisme
des 15-25 ans. Dans la perspective de résidence de La
Ponctuelle, mon souci s'articulait en deux étapes. La
première était donc de comprendre comment se développait
et s'exprimait cette communauté au sein de la ville de Saint-Nazaire :
lieux de rencontres, réseaux formels et informels, .... Quant à
la seconde, elle consistait à d'identifier des individualités
compris entre 15 et 25 ans, se considérant appartenir à la
communauté LGBT. En effet, la semaine de résidence de la
compagnie La Ponctuelle fut l'un des temps fort de la première
saison de Bain Public, en ce qui concerne la mise en partage de la
gouvernance avec les publics jeunes. Il est pertinent de rappeler que la
cohésion du groupe est l'un des facteurs de réussite des projets
participatifs. Cette affirmation est même renforcée lorsque ces
actions se déroulent avec des adolescents ou de jeunes adultes car ces
instants de sociabilisation sont perçus comme indispensables à
leur développement. Dans le cadre de ce projet, mon objectif
n'était pas de me tourner vers des groupes de jeunes déjà
constitués. Au contraire, mon souci était d'en créer un
nouveau en identifiant des jeunes n'ayant pas au préalable
d'interconnexions entre eux. Evidemment, il n'était pas exclu que chacun
d'eux ouvre son réseau respectif à Lucien Fradin et au reste du
groupe au courant de la semaine de résidence de La
ponctuelle.
En amont de cette phase de recrutement, je disposais
d'éléments théoriques qui m'aidèrent à
appréhender cette mission. Durant un des webinaires300 du
Réseau national des comités des jeunes, Aude
Romedenne301 avait souligné que le recrutement des
adolescents pour des projets participatifs était assez chronophage et
avait insisté sur le fait qu'il ne fallait pas minimiser le temps que
demandait cette mission. Force est de constater que cet aspect figure parmi les
tensions de la participation car il y a une injonction entre le volume d'heures
qu'il serait nécessaire de passer pour effectuer un bon recrutement et
celui qui est accordé aux professionnels missionnés.
Hélène Balazard302 le mit d'ailleurs en
évidence durant la
300 Réseau national des comités des
jeunes. Webinaire #2. Sujets abordés : les financements et le
recrutement. Mardi 27 avril 2021.
301 Anciennement médiatrice culturelle de la scène
nationale Carré-Colonnes.
302 Chercheuse en science politique au laboratoire EVS de
l'université de Lyon et ingénieure des travaux publics de
l'Etat.
91
conférence-débat L'accompagnement à
la participation303 organisée par l'INJEP : le
recrutement des participants est une phase particulièrement chronophage
et elle gagnerait à être valorisée car elle figure parmi
les temps indispensables à la réussite d'un projet.
J'eus donc la chance de pouvoir mettre mon expérience
en perspective avec d'autres. Ce temps de recrutement fut extrêmement
enrichissant. Cependant, la fermeture des lieux de rencontres, le manque de
visibilité et d'identification de Bain Public rendit ce travail
d'autant plus long. En effet, étant donné que nous n'avions
encore jamais eu l'opportunité d'ouvrir aux publics, le réseau
nazairien de l'équipe se limitait aux structures institutionnelles.
N'étant pas nazairienne moi-même, il m'était d'autant plus
complexe de communiquer et de mobiliser des réseaux informels sur ce
projet.
Cette mission a également souligné la pertinence
d'aller chercher des individualités pour les différents projets.
Cependant, elle me permit également de comprendre les limites et les
avantages de considérer les adolescents comme des publics captifs. En
effet, ce travail de recrutement m'a amenée à prendre conscience
du temps que ce dernier représentait. Il est parfois impossible pour le
médiateur culturel de disposer du même nombre d'heures. S'appuyer
sur une tête de réseau (professeur, animateur, ...) peut donc
avoir comme avantage de mobiliser un groupe en étant en contact avec
seulement un seul intermédiaire.
Cet axe est donc revenu sur l'une de mes missions au sein de
Bain Public : le recrutement
d' « individualités » pour les actions de
médiations. Cet aspect est indispensable pour la mise en place de
projets participatifs. « C'est important de partager, coconstruire
mais avec des groupes repérés et pas dans une construction
globale avec « qui vient fait » parce que là on arrive dans la
démagogie »304. Comme le souligne Gurval Reto, la
mise en place d'un projet s'accompagne toujours d'une réflexion sur la
composition du groupe bénéficiaire. Pour rédiger cette
partie, je me suis appuyée sur la résidence de Lucien Fradin pour
la raison qu'elle mobilisait des publics en lien avec mon sujet de
mémoire. Les enseignements que j'en tire sont riches et pertinents. En
effet, malgré le fort nombre heures que nécessite cette mission,
approfondir et identifier des personnes motivées et cohérentes
avec l'action développée
303 L'Institut National de la Jeunesse et de l'Education
Populaire. L'accompagnement à la participation. Les cahiers de
l'action. Conférence-débat en présentiel (Paris) et en
ligne. 24 Juin 2021.
304 RETO, Gurval. Entretien annexe 1 p 111.
92
présente un réel intérêt. Dans le
cas contraire, il se pourrait qu'elle ne soit pas aussi concluante
qu'espérée.
3.2.3. La valorisation des projets avec les jeunes
Le troisième et dernier point qui sera abordé
dans cette partie est l'importance de la valorisation des projets, aspect
intégré par petites touches au sein des deux premières
parties de ce mémoire. Elle peut se traduire sous différentes
formes : spectacles, présentations, comptes-rendus, création
d'outils collectifs, bilans avec les participants , ... De plus, il est
important de préciser que cette valorisation figure parmi les facteurs
indispensables de réussite d'un projet participatif. En effet, elle
permet de clôturer l'action et également de lui donner du sens.
Lorsqu'il en résulte un spectacle ou une présentation du travail
achevé, comme notamment pour Les choses en face du collectif
Lacavale, les participants ont connaissance dès le début du
projet de sa finalité voire parfois de sa date butoir. Ils ont donc
conscience des objectifs à atteindre collectivement. En ce qui concerne
les temps de bilans en fin de projet, ils peuvent tout à fait
s'additionner à une présentation publique et permettent de faire
une rétrospective de l'action (apprentissages collectifs ou individuels,
...), de la clôturer et d'y donner du sens. En effet, si ces temps sont
primordiaux dans un projet c'est qu'ils permettent aux participants prendre
conscience du chemin parcouru au fil du projet, collectivement et
personnellement. Il est également important de souligner que des liens
se sont construits entre les différents participants et le porteur de
projet. La mise en place d'un temps de bilan ludique est un moment propice pour
se dire au revoir et imaginer les prolongements qui peuvent exister à
cette action.
D'une autre part, lorsqu'il s'agit d'une présentation
publique, la valorisation a le mérite d'ouvrir vers l'extérieur
en mettant en avant le travail finalisé des participants auprès
d'adultes (proches des participants, élus, professionnels de la
structure accueillantes, ...) ainsi qu'auprès d'autres jeunes de leur
âge. « Cette reconnaissance des institutions, des élus,
des habitants, des parents et des pairs est importante pour motiver les jeunes
mais également pour aboutir à des impacts positifs sur le
territoire »305. En effet, force est de constater que
cette reconnaissance est extrêmement bénéfique pour les
adolescents inscrits dans un projet car elle renforce leur confiance en eux.
Laure Ciosi profitera même de cet argumentaire306 pour mettre
en lumière que la reconnaissance et le regard bienveillant des
différents adultes (parents, élus, ...) sur les
305 CIOSI, Laure. Projets participatifs avec des
adolescents : les conditions de leur implication. Caisse nationales
d'allocation familiales. 2014/1 n°181. P 47.
306 Ibid. P 47.
93
projets participatifs adolescents permettent
d'appréhender les deux valeurs qui selon elle sont indispensables
à leur mise en place. La première est de privilégier la
qualité à la quantité, aspect mis en évidence dans
le premier axe de cette partie Une vigilance particulière à
la notion du prendre soin. Pour Laure Ciosi, il est crucial de ne pas
démultiplier ces projets sans réels objectifs. Au contraire, elle
considère qu'ils doivent être murement et intelligemment
réfléchis afin d'être pertinents et permettre aux jeunes
d'en tirer divers apprentissages. « [L]aisser du temps au temps
»307 est la deuxième valeur indispensable que
développe Laure Ciosi dans Projets participatifs avec des
adolescents : les conditions de leur implication. Par cette idée,
elle entend que le temps et l'expérience sont nécessaires pour
que les adolescents puissent aisément s'emparer des différents
sujets et se sentir légitimes à participer à des projets.
C'est donc en accompagnant ces publics, en permettant à chaque jeune de
trouver « sa porte d'entrée », le sujet et le projet qui
l'intéressent que les professionnels arriveront à des
résultats concluants.
Si je reviens plus précisément au partenariat
entre Bain Public et JEV, mettre en place un temps de
valorisation dans l'idée de clôturer cette première
année de partenariat était primordial. Initialement cette action
devait avoir lieu le 9 juillet 2021 durant le Youth Saint-Naz tour.
Finalement, à la suite d'un souci lié au calendrier, elle se
déroulera fin octobre. Il est évident que le travail entre les
deux structures est voué à se pérenniser et les projets en
faveur des jeunes et des adolescents à se développer au sein de
Bain Public. Cependant, mettre en place ce temps se devait de donner
un sens aux différentes actions réalisées et d'insister
sur l'envie de Bain Public de travailler avec ces publics. S'y ajoute
la valorisation des participants ayant rencontré et
échangé avec des artistes accueillis. Lorsqu'Anne Guillou et
moi-même avons pensé cette action, il nous semblait important
qu'elle ressemble à Bain Public tout en pouvant servir à
Jeunes en ville. En ce qui concerne ce dernier, un des objectifs de
son projet est de recueillir la parole des jeunes. Force est de constater que
le partage de la gouvernance commence par cet aspect. En effet, recueillir la
parole des publics permet de connaitre leurs sensations, leurs envies et
d'identifier leurs besoins. Ce travail est donc pertinent voire
nécessaire pour débuter un projet participatif. Cependant, la
difficulté réside dans le fait que prendre la parole en public,
se confier sur ses sensations demeurent extrêmement complexes pour des
publics qui n'y sont pas habitués ou qui n'ont pas été
correctement accompagnés. Recueillir une parole authentique
s'avère parfois compliqué. Nous avons donc souhaité nous
pencher sur cet aspect en mettant en
307 Ibid. P47.
94
place une action qui tendait vers la logique participative.
C'est donc pour cela que nous nous sommes tournées vers les banques de
questions de François Deck, un artiste dont la pratique est
principalement centrée sur la rencontre, la relation et l'échange
avec autrui. « Depuis les performances de la question, les banques de
questions sont nées du désir de garder disponible la
mémoire d'une lecture ou d'une conversation. Il s'agit d'abord d'un
format d'écriture. Dans un second temps des protocoles de débat
ont été développés. Ces protocoles modifient les
conditions de la rencontre. »308 A travers ces banques de
questions, François Deck avait la volonté de développer un
outil ludique et participatif. Les différents participants à
l'atelier doivent choisir une question parmi une liste qui leur est
présentée. Il est important de préciser qu'elle est
écrite soit en amont de l'action soit par les différents
participants, tout en étant en corrélation avec la
thématique développée. Ce qui rend ce travail original est
que l'objectif n'est pas que les participants répondent à la
question choisie. Au contraire, ces derniers devront exposer en quoi celle-ci
les a interpellés : réflexion intéressante, question
liée à une expérience personnelle, .... « Ces
transactions questionnent les rôles et les places de chacun dans la
production esthétique 309et la production des connaissances,
dans un contexte mis en mouvement par les techniques de communication
».310 Ce travail est donc particulièrement
intéressant pour recueillir une parole authentique des participants. En
effet, le but n'est pas de demander aux participants de convoquer les
connaissances ou de démontrer qu'ils sont en capacité de
répondre à la question. Au contraire, aucune réponse n'est
mauvaise et l'un des objectifs est bien de dédramatiser la prise de
paroles en public.
Ce dernier axe a donc mis en évidence l'importance de
la valorisation dans les projets participatifs. Ces temps peuvent soit
être dirigés vers l'extérieur et mobiliser d'autres publics
(présentations publiques, spectacles, ...) ou alors être mis en
place en interne (bilan avec les participants). Il est possible de constater la
compatibilité de ces deux pratiques et de leurs objectifs. Chacune peut
donc être mise en place au sein d'un même projet. Par la suite, cet
axe s'est focalisé sur le temps de valorisation imaginé pour
clôturer la première année de partenariat avec
JEV.
308 DECK, François.
Elaboratoire. Banque de questions. L'évolution des
représentations du travail. P1.
309 Questions imaginées pour l'atelier avec JEV dans
l'annexe 11 : Bilan de la première année de partenariat avec JEV.
P140.
310 DECK, Francois. Avant l'intention, juste avant.
Brouillon général. Fondcommun. 11 mars 2011. P2
95
Cette dernière partie s'est donc tournée vers un
aspect plus professionnel que théorique dans le sens où elle
s'est appuyée sur mon expérience au sein de Bain Public.
Pour cela, j'ai resserré mon analyse sur les actions menées avec
les publics qui m'intéressaient pour ce mémoire. En effet, il y
avait un intérêt à revenir, notamment, sur le partenariat
avec Jeunes en ville. De plus cette expérience illustre bien de
nombreux aspects et des réflexions déjà abordées
dans ce travail.
Malgré quelques difficultés et les
réajustements nécessaires, cette première année
d'exploitation conforta l'équipe de Bain Public dans son
idée de devenir un lieu privilégié pour les jeunes
nazairiens. S'y ajoute l'envie de multiplier les actions pour ces publics. Ce
partenariat avec JEV fut donc le point de départ d'une
réflexion encore neuve mais vouée à être
pérennisée. A travers ce stage, j'eus également
l'opportunité de rencontrer de nombreux jeunes nazairiens dont certains
seraient motivés pour devenir bénévoles à Bain
Public. Le travail amorcé cette année, que ce soit avec
Jeunes en ville ou avec les jeunes nazairiens au sens plus large, aura
très certainement des répercussions positives sur les futures
saisons de Bain Public et permettra à l'équipe,
salariées comme futurs stagiaires, de pérenniser les initiatives
en faveur de la jeunesse. Malgré de nombreux rebondissements, je prends
conscience avec le recul des enseignements précieux que cette
expérience m'a apportés. Elle a également su
élargir et nuancer ma réflexion. Le travail que j'ai
effectué depuis maintenant un an (recherches théoriques,
recensement d'exemples concrets, entretiens avec des professionnels, ...) m'a
permis d'anticiper la mise en place d'actions, de les mettre en perspectives
avec d'autres et de prendre de la hauteur dans le but de les analyser. Cet
exemple complémentaire aux quatre projets sélectionnés
souligne la complexité et la diversité des questionnements
liés à la mise en place de projets participatifs. Une telle
analyse fut possible grâce à mon intégration au sein de
Bain Public car ma posture devient alors celle d'une professionnelle
active. Ce stage me donna la possibilité d'appréhender ces
questionnements en interne, contrairement aux quatre autres projets où
mes conclusions émergeaient des constats des professionnels y ayant
participés.
96
Conclusion
La présente étude a tenté de
répondre à la problématique suivante : comment les
différents médiateurs et les professionnels du spectacle vivant,
et plus particulièrement du théâtre, peuvent-ils s'emparer
des enjeux du partage de la gouvernance et de la démocratie
participative pour imaginer et coconstruire des actions pour et avec des
adolescents ?
Elle s'est articulée selon un plan en trois parties.
Mon souci fut dans un premier temps de comprendre et d'analyser les
spécificités des publics bénéficiaires : les
adolescents. L'histoire et l'émergence de ce terme, les besoins
spécifiques à ces publics, leurs prises en compte dans le secteur
culturel et les enjeux qu'ils soulèvent alors furent exposés et
développés. L'analyse se poursuivit en démontrant comment
les enjeux du partage de la gouvernance et de la démocratie
participative prennent place et s'articulent dans les projets pour adolescents.
Elle mit en évidence la place des différents acteurs dans la
co-construction de projets et les démarches utilisées dans les
quatre actions sélectionnées. S'y ajoutait l'analyse des limites
que présentent les enjeux de la démocratie participative dans des
projets. Alors que les deux premières parties de ce mémoire
étaient agrémentées d'exemples théoriques issus
d'ouvrages ou de propos de professionnels, la troisième s'appuya sur mon
expérience au sein de Bain Public. Il peut être pertinent
de rappeler que mon souci initial était de développer un
argumentaire autour des adolescents compris entre 12 et 15 ans. Or, la
réalité du terrain nazairien m'amena à élargir ces
réflexions et à me pencher sur les 15-25 ans.
Au fil de cette année, je remis de nombreuses fois en
cause le fait de m'attarder exclusivement sur les adolescents compris entre 12
et 15 ans. Bien qu'aucune scission ne s'opère avec leurs ainés,
les projets participatifs recensés, les éléments
théoriques sur lesquels je m'appuyais se penchaient en priorité
sur les adolescents à partir de 15 ans. Il est indéniable que les
lycéens sont plus à même d'intégrer un projet
participatif que des enfants ou des collégiens : plus autonomes, plus
habitués à intégrer ce genre de projet, ... S'y ajoute le
facteur de la professionnalisation de certains projets. En effet, dans les
spectacles participatifs311 il peut arriver que les adolescents
soient payés et en ce qui concerne les démarches
administratives,
311 Derrière le Hublot a mis en place des
contrats pour les jeunes participants du spectacle Un après-midi
avec George Romero à regarder mourir les dinosaures. Le
Théâtre de Lorient a également inscrit plusieurs
spectacles participatifs adolescents dans une démarche de
professionnalisation.
97
elles sont plus simples lorsque les participants ont au
minimum 16 ans312. Cependant il me semblait important de mettre en
évidence les adolescents de 12 à 15 ans dans l'idée de
leur donner de la visibilité et de souligner l'écueil en ce qui
concerne les projets participatifs qui leur sont destinés. Il est
indéniable que ce travail a transmis des clefs d'analyses englobant les
différents projets participatifs, et pas seulement ceux ayant une
entrée adolescents. Il est donc primordial pour les professionnels
d'identifier précisément le groupe et le public auquel leur
projet s'adresse. De là il est possible de recenser les
différents besoins et les caractéristiques liés aux
publics mobilisés.
Pour conclure, la participation des publics s'incarne à
travers des actions multiples : groupe d'ambassadeurs, programmation
partagée, spectacle participatif ... Il s'avère donc complexe de
proposer une liste exhaustive des outils à mettre en place pour
développer des projets participatifs avec des adolescents. Certaines
démarches et méthodes récurrentes furent mises en
lumière durant ce travail : responsabiliser l'adolescent, mettre en
place une relation plus horizontale entre lui et le professionnel, valoriser le
projet, prendre en compte leurs besoins, ... La participation réside
donc principalement dans le rapport que les professionnels souhaitent instaurer
avec les publics mobilisés, leur capacité à «
lâcher prise » et à ne pas trop se projeter. Dans le cas
contraire, il peut s'avérer complexe pour les participants de s'emparer
du projet. Les outils utilisés ne doivent donc pas être
figés en amont de ce dernier. Au contraire, ils doivent continuer
à s'inventer et à se développer en même temps que
son exécution. En m'emparant de ces questionnements, j'ai
été amenée à constater et à comprendre
qu'une des difficultés de la participation résidait dans
l'équilibre des places accordées entre professionnels et publics
mobilisés. La question du temps s'avère également
être l'une des notions clefs, irriguant l'ensemble des projets de ce
type.
A travers cette étude, mon parti-pris fut de
développer un argumentaire par le prisme des professionnels inclus dans
les projets participatifs. Il peut donc être intéressant par la
suite de la confronter à un travail porté sur les mêmes
problématiques mais dont l'angle d'attaque serait le point de vue des
adolescents313.
312 Le code du travail français donne la
possibilité de travailler à partir de 16 ans. Embaucher un jeune
inférieur à cet âge présente des démarches
beaucoup plus lourdes pour les professionnels : uniquement sur les vacances
scolaire, temps de repos devant être égal au temps
travaillé, ... De manière générale, le travail des
mineurs est extrêmement réglementé. Informations
tirées de :
Service-public.fr. A partir
de quel âge peut-on travailler ? Page : recrutement dans le secteur
privé. Vérifié le 12 avril 2021.
313 Agrémenté d'entretiens et de questionnaires
d'adolescents.
98
Mes réflexions me permirent également de
constater que les profils de médiateurs voire la vision de la
médiation elle-même s'élargissait. Par exemple, «
animation » et « médiation » sont des notions de moins en
moins opposées314. Il y a en effet dorénavant un
questionnement sur la complémentarité de ces pratiques. En ce
sens, les portes d'entrées vers les projets participatifs et l'art
proposées aux jeunes publics et aux adolescents s'élargissent. De
plus, lorsque la question du partage de la gouvernance est posée au sein
du champ artistique, force est de constater que les impacts ne se limitent pas
seulement au secteur culturel. Sociabilisation, acquisition d'autonomie,
apprentissage de la vie en collectivité, ... Les retombées sont
multiples. Les nombreuses passerelles avec les divers sujets contemporains sont
également un facteur présentant la culture comme un outil propice
à la mise en place de projets avec des adolescents.
Bien que les projets évoluent dans le sens contraire,
de nombreux enseignements, à l'instar de l'école, sont encore
descendants. Dans la participation, il n'y a pas de « bonnes » ou de
« mauvaises » réponses, il est possible de se tromper et de
réessayer. Les participants sortent donc d'un rapport concurrentiel les
uns avec les autres pour entrer dans une logique de confiance vis-à-vis
de leurs pairs et des professionnels les encadrant. C'est donc pour cela
qu'à mon sens, il y a un intérêt à valoriser ces
projets pour adolescents au sein des différents secteurs. Plus il y aura
d'espaces dédiés à l'expression des jeunes plus ils auront
de facilités à le faire. Les différentes formes de
participations se trouvent donc être complémentaires.
Les réflexions sur la démocratie participative
et le partage de la gouvernance questionnent les professionnels du spectacle
vivant. Cependant, ces problématiques ne peuvent être
pensées comme des utopies. Au contraire, elles s'ancrent dans des
projets et des dispositifs régis par des cadres et des limites.
Certaines injonctions persistent et demandent à être
conciliées. Ce qui est par exemple imposé par les politiques
publiques (cahiers des charges, évaluations des dispositifs, ...) entre
en contradiction avec les désirs actuels des publics et des
professionnels du spectacle vivant (médiateurs, artistes, directeur,
...).
314 Dans l'introduction de l'ouvrage Projets culturels et
participation citoyenne, le rôle de la médiation et de
l'animation en question, Françoise Liot souligne la porosité
entre ces deux pratiques. S'y ajoute un argumentaire sur comment et pourquoi
elles sont encore opposées.
99
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105
Sitographie
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le 31 juillet 2021] Disponible à l'adresse :
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1649
Bain Public. Disponible à l'adresse :
https://www.bainpublic.eu/ Collectif Lacavale. Disponible à
l'adresse : https://collectiflacavale.fr/
Comète Théâtre. Disponible à l'adresse
: http://comete-theatre.org/
Le Préau Centre Dramatique National de Normandie-Vire.
Disponible à l'adresse : https://www.lepreaucdn.fr/
MJC Rodez : maison des jeunes et de la culture de Rodez.
Disponible à l'adresse : https://mjcrodez.fr/
Rencontre Théâtre Ados. Disponible à
l'adresse : https://rtados.qc.ca/ Théâtre des 2 points
Rodez. Disponible à l'adresse : https://theatrerodez.fr/
Théâtre Le Clou. Disponible à l'adresse :
https://leclou.qc.ca/
106
Table des matières
Prologue : présentation de Bain Public 2
Introduction 4
1. Les adolescents : les publics en questions 16
1.1. Une structuration récente de la notion
d'adolescence 16
1.1.1. Du concept de jeunesse à celui d'adolescence 16
1.1.2. Les adolescents en tant qu'individus : les besoins et les
spécificités de cette
population. 20
1.1.3. La prise en compte des adolescents dans les projets qui
leurs sont destinés 24
1.2. La prise en compte des adolescents dans le secteur culturel
26
1.2.1. Le cas Québécois : une avance importante
sur ces enjeux. 27
1.2.2. Le cas français : notre terrain d'analyse 30
1.3 Un double enjeu : le cadre scolaire et le cadre volontaire
34
1.3.1. L'enjeu des projets dans le cadre scolaire 34
1.3.2. L'enjeu des projets dans le cadre volontaire 39
1.3.3. Des enjeux pouvant être complémentaires
41
2. La gouvernance et la démocratie participative en tant
qu'enjeux contemporains 47
2.1. La place des différents acteurs au sein de ces
défis 47
2.1.1. Les adolescents : acteurs et non consommateurs 48
2.1.2. Les différents médiateurs : la
nécessité de la co-construction 51
2.1.3. Les institutions : un besoin de désacralisation
55
2.1.4. La place du département : l'articulation de son
rôle au sein de ces enjeux 57
2.2. L'articulation des enjeux du partage de la gouvernance avec
les adolescents dans des
projets qui leurs sont destinés. 60
2.2.1. Repenser la relation entre adultes et adolescents 61
2.2.2. Responsabiliser les adolescents 63
2.2.3. Mettre en place des temps spécifiques 65
107
2.3. Les limites et les contradictions du partage de la
gouvernance lors de projets
participatifs 67
2.3.1. Entre l'expertise et le partage de la gouvernance avec les
adolescents : un juste
équilibre à trouver 67
2.3.2. Le temps : une notion clef dans la participation des
publics 69
2.3.3. Le prise en compte du cadre de l'action 71
3. Mon expérience à Bain Public : la mise en
partage de la gouvernance avec les jeunes
nazairiens. 74 3.1. Les enjeux et les difficultés de la
co-construction entre Jeunes en Ville et Bain Public.
76
3.1.1. Comprendre les jalons posés à ce partenariat
et ses rebondissements. 77
3.1.2. La question du positionnement des deux acteurs dans cette
co-construction. 80
3.2.3. Le libre engagement des jeunes : un impact sur la
co-construction. 82
3.2. Retour sur expérience : les différents points
que j'ai été amenée à appréhender. 85
3.2.1. Une vigilance particulière à la notion du
prendre soin 86
3.2.2. Le recrutement : un travail nécessaire,
enrichissant mais chronophage 88
3.2.3. La valorisation des projets avec les jeunes 92
Conclusion 96
Bibliographie 99
Sitographie 105
Table des matières 106
Annexes 108
108
Annexes
Table des annexes
ANNEXE 1 : Entretien avec Gurval Reto 109
ANNEXE 2 : Entretien avec Anne Courel 112
ANNEXE 3 : Entretien avec Nicolas Drouet
116
ANNEXE 4 : Entretien avec Enora Davodeau et
Adèle Thivillier 121
ANNEXE 5 : Entretien avec Solène
Bodereau 126
ANNEXE 6 : Entretien avec l'équipe du
Labo des cultures 129
ANNEXE 7 : Entretien avec Catherine Le
Moullec 136
ANNEXE 8 : Entretien avec Edith Coutant
140
ANNEXE 9 : Entretien avec Carmen Camboulas
142
ANNEXE 10 : Entretien avec Nathalie Jan
144
ANNEXE 11 : Bilan de la première
année de partenariat avec JEV 146
109
ANNEXE 1 : Entretien avec Gurval Reto
Date : 27 janvier 2021
Présentation : Gurval Reto est le directeur et
le programmateur du THV, Théâtre de l'Hôtel de Ville
à Saint-Barthélémy-d'Anjou315.
Gurval Reto : « Je suis arrivé il y a deux ans au
THV et il y a toujours ce qui s'appelle le spectacle des abonnés qui est
un spectacle choisi avec les abonnés. On leur propose trois spectacles
et la population doit choisir. C'est un projet qui me questionne depuis que je
suis arrivé car comment est-ce qu'on choisit un spectacle sur un bout de
vidéo, sur un bout de document ? çà veut dire quoi ? Moi
c'est mon métier par exemple, je vois beaucoup de spectacles, j'ai une
réflexion globale sur comment programmer. [...] Et donc du coup, on est
arrivé sur un projet qui s'appelle Les infiltrés. C'est
un projet qui va se mettre en oeuvre là, [...] C'est dix pré-ados
de 9 à 12 ans qu'on rencontrera au mois de juin. C'est un projet sur un
an et demi, ils rencontrent l'équipe, visitent le
théâtre,... Le 3 juillet moi je les vois, je leur explique c'est
quoi programmer, pourquoi programmer, comment j'en sais rien, chacun fait comme
il veut, comme il peut, ... Après ces enfants je les amène
à Avignon avec moi durant quatre jours. C'est au sein d'Avignon,
enfants à l'honneur avec Assitej-France. Ils verront cinq
spectacles et vivront donc l'Assitej « classique ». Au mois de
septembre moi je les réinvite ici et ils vont choisir un des cinq
spectacles qu'ils auront vus. On va débattre : Pourquoi ils le
choisissent, pour quelle tranche d'âge, à quel moment dans la
saison, quelles actions de médiation à mettre autour et là
on commence le travail vraiment avec eux. Ils auront les clefs du
théâtre pour ce spectacle. Ils seront en lien avec
l'administrateur pour les contrats, en lien avec la médiatrice pour
l'action de médiation à mettre en oeuvre, en lien avec la
chargée de communication pour écrire les textes de la plaquette,
du site internet ... Il seront présents lors de la présentation
de saison aux habitants, c'est eux qui viendront présenter,
défendre leur projet. Ils seront présents aussi sur l'accueil du
spectacle dans un an et demi, soit la saison d'après, et comment
à un moment donné c'est un projet de A à Z où ils
sont infiltrés à l'équipe parce qu'ils vont voir tous les
postes. A la technique, c'est eux qui seront là aussi. Donc avec les
professionnels de l'équipe [...] Ils ont été actifs
vraiment, ils ne sont pas venus juste pour une médiation, ils ont
compris l'ensemble du cheminement de qu'est-ce que programmer [...] On essaie
de les impliquer totalement dans la prise de décision et dans assumer le
choix d'un spectacle. Peut-être que demain certains de leurs camarades
leur diront « je n'ai pas aimé » et oui, que veut dire «
je n'ai pas aimé » et que veut dire « j'ai aimé ».
Eux ils auront compris, ils auront vu cinq spectacles et sur les cinq il y en
aura un qui sera le leur. Et moi je m'engage que sur cinq spectacles il y en
est un qui soit le leur. Et çà sera le leur mais avec l'ensemble
de l'équipe qui sera derrière pour y travailler. On est vraiment
sur un projet de citoyen de demain et de compréhension de l'ensemble du
secteur culturel. [...]
315 Commune située dans le département de
Maine-et-Loire.
110
Marguerite Corrieu : J'aurais voulu savoir d'où est
venue l'impulsion du partage de la gouvernance ? Des projets existaient-ils
déjà avant votre arrivée au THV? Est-ce la mairie qui a
impulsé cette dynamique ?
Gurval Reto : Ce choix de programmation avait
été impulsé avant mon arrivée. On est dans une
volonté à inviter le public à être acteur et pas
seulement consommateur. Cela est d'autant plus flagrant aujourd'hui. Moi je
n'ai pas envie que les gens viennent consommer du spectacle. Ils viennent
partager un moment, vivre un moment, échanger avec les artistes, ...
Qu'est-ce que l'oeuvre qu'ils auront croisée leur apporte à eux,
les questionne ? [...] C'est facile de diriger, c'est beaucoup plus complexe et
long de partager la gouvernance. Après c'est aussi des évolutions
générationnelles. Ce qu'on a appelé les barons de la
culture sont maintenant à la retraite et la génération qui
est maintenant à la tête des institutions et des projets culturels
a appris plus longtemps qu'il fallait coconstruire, co-porter avec les
équipes aussi. Moi j'ai une vraie question de la gouvernance au sein de
l'équipe. Un partage, une réflexion globale. Les questions des
fonds sont partagées. Là on va être une scène
conventionnée d'intérêt nationale et il faut donc
déposer un dossier au ministère. Ces dossiers c'est le projet du
directeur ou de la directrice. J'ai eu du mal à l'écrire car on
me demandait de dire « je » et j'ai appris depuis longtemps à
dire « nous ». J'ai donc mis longtemps à l'écrire car
cela me demandait de comprendre où était la place de chacun dans
cet équilibre du THV. Donc à un moment donné, le projet du
THV ce n'est pas le projet de Gurval Reto. Alors que oui c'est mon projet et
cette notion de gouvernance en fait partie mais j'écrivais « nous
». Et le ministère de la culture m'a dit : « Gurval, il faut
que tu écrives en « je » ». Donc j'ai
réécrit en « je », et çà
été pour moi un vrai questionnement car d'un coup c'était
réaffirmer une gouvernance descendante. Et les outils aujourd'hui sont
de plus en plus des outils de gouvernance partagée. En même temps,
la gouvernance veut quand même dire à un moment les connaissances
et les capacités : Nous sommes des professionnels. Sur la notion de
programmation partagée par exemple, mon métier c'est directeur de
lieu mais aussi programmateur. Quand quelqu'un vient me dire « Tu dois
programmer çà parce que je l'ai vu et c'est génial !
» et bien je me dis : « Tu as vu combien de spectacles pour pouvoir
le comparer et me dire que c'est super ? », « et bien un seul »
« eh bien moi j'en vois 250 des spectacles par an et je suis capable de
dire pourquoi je programme cela ». Ce que je veux avec ces enfants qu'on
amène à Avignon c'est qu'ils soit eux aussi en capacité
d'affirmer leurs choix, de les expliciter, et dans la gouvernance et le travail
commun il faut que chacun ait les même capacités et les
mêmes armes d'échanges. Il n'y a rien de pire qu'une pseudo
gouvernance partagée et déguisée entre les sachants et les
non-sachants.
Marguerite Corrieu : Quels sont selon vous les autres enjeux
et les limites de la gouvernance ?
Gurval Reto : Les limites elles sont dans la personnification
et la confiance. Si l'on prend le THV, c'est 900 abonnés qui à un
moment donné me font confiance. Je suis contractuel et pas fonctionnaire
et le jour où j'ai été recruté j'ai dit aux
élus « laissez-moi programmer ». Parce que si la programmation
ne convient pas, c'est moi le responsable. Et les limites elles sont dans la
notion de responsabilité et que dans la relation, il y a cette confiance
envers les gens. On n'est pas dans un théâtre de tête
d'affiche, au contraire on est sur un théâtre de découverte
et que la
111
programmation, l'équipe est en confiance avec les gens.
[...] Donc çà pour moi c'est un questionnement et encore une fois
ca a beaucoup bougé. On n'est pas dans les années 80 où on
était dans une personnification complète du directeur qui avait
« La culture ». La culture à la Malraux elle est finie, avec
ceux qui sont détenteurs de la culture. Je ne crois plus en ça.
Et en même temps, j'ai besoin de créer une relation de confiance
avec les gens.
Marguerite Corrieu : Il y a encore peu d'équipes
artistiques qui partagent leur gouvernance avec les publics. Selon vous
pourquoi ?
Gurval Reto : Alors c'est très politique. J'y ai
beaucoup réfléchi car je travaillais sur l'agenda des cultures
à Angers. Je pense que c'est une peur aussi. Et il faut faire attention
selon moi à une certaine démagogie. Les limites elles sont dans
la démagogie. C'est important de partager, coconstruire mais avec des
groupes repérés et pas dans une construction globale avec «
qui vient fait » parce que là on arrive dans la
démagogie.
Marguerite Corrieu : Plus spécifiquement sur le jeune
public et les publics adolescents : quand dans votre parcours vous
êtes-vous intéressé à ces publics ? Quels sont selon
vous les enjeux que soulèvent adolescence et théâtre ?
Gurval Reto : Le titre du festival du THV c'est Zone de
Turbulence et l'adolescence est une période de turbulence. C'est
l'une des périodes où l'on a le plus envie et besoin de se
confronter aux interdits, à nos propres limites, de tester nos limites
et comment à un moment donné, le spectacle vivant permet
ça. On est sur des périodes où lorsqu'on est adolescent,
on a envie de vivre sans limite et le spectacle va ouvrir de nouveaux horizons.
On ne gère pas forcement nos émotions quand on est adolescent.
C'est une période de possible total et le spectacle vivant peut les
ouvrir. Il faut se dire que c'est possible. [...]
112
ANNEXE 2 : Entretien avec Anne Courel
Date : le 9 janvier 2021
Présentation : Anne Courel est metteuse en
scène et directrice artistique de la compagnie Ariadne,
compagnie qu'elle créa en 1990. Elle est également directrice de
l'Espace 600316 à Grenoble depuis 2019. La compagnie
Ariadne et Anne Courel vouent un réel intérêt aux
publics adolescents. La compagnie fut d'ailleurs à l'initiative de
plusieurs projets à destination des adolescents : plateformes
théâtre ados317, Roulez jeunesse, LAB
ados318, ...
Anne Courel : « Mon idée c'est qu'un
théâtre doit être un lieu dans lequel les personnes se
sentent en familiarité. Ce qui n'est pas une mince affaire. J'ai mis en
place un certain nombre d'idées et assez rapidement il m'est apparu que
si je ne travaillais pas avec les jeunes, je n'irai nulle part. Cela n'allait
pas être le plus facile mais c'est par là que çà
passe. Il faut compter sur eux et travailler avec eux. Entre autre parce que
dans les théâtres, enfin c'est quelque chose avec laquelle je suis
d'accord et pas d'accord, il y a une énorme part du public qui est un
public scolaire et pour moi cela est impossible d'imaginer que le
théâtre est une discipline scolaire. A partir de là on est
dans une incompréhension, on se dit n'importe quoi. Si pour des
élèves c'est un endroit où l'on va avec des professeurs,
où l'on vous demande d'être sages, de ne pas faire
l'imbécile et d'apprendre quelque chose dont il va falloir faire un
compte rendu, on est complètement battu dans le rapport à
l'artistique.
Marguerite Corrieu : Je me permets de rebondir sur ce que vous
disiez : que le théâtre soit un endroit familier pour tous.
Quelles actions mettez-vous en place pour y parvenir ?
Anne Courel : J'ai pris les choses à l'inverse. Ce sont
des cadres qu'on pose et non pas des actions que l'on met en place. Tout ce
qu'on fait en tant qu'artistes c'est proposer des actions. Pourtant si l'on dit
à des gens : je vous propose une action, et bien par excellence je ne
vous demande pas d'en être responsables. Dès que je prends le
problème en disant « je vous propose une action », directement
je fais l'inverse de ce que je vous propose précédemment. Donc
çà veut dire qu'il faut trouver des cadres qui permettent
eux-mêmes aux gens de proposer des actions, de participer à la vie
d'un théâtre. C'est relativement simple ce qui se passe dans un
théâtre, on va faire en sorte que des personnes et des oeuvres se
rencontrent. Sauf que les présupposés de la rencontre sont
posés de manière concrètes et ne donnent pas envie aux
adolescents de participer. Parce que dans un premier temps il y a cette
proposition qui vient du scolaire donc une action scolaire. Ou alors c'est une
action familiale : cela fait partie de la vie de la famille d'aller au
théâtre, ce qui marche encore moins bien avec les adolescents.
Même dans les familles les plus cultivées, c'est rare qu'on arrive
à le faire entre 12 et 16 ans. Donc là on est de nouveau battu.
Ou il y a des propositions des théâtres qui vont s'appeler «
démarches participatives », « chantiers de création
», ... Le problème, c'est que s'il faut s'inscrire par
316 Scène régionale tournée vers le
spectacle jeune public.
317 Espace numérique collaboratif.
318 Laboratoire adolescents de recherches et d'écritures
contemporaines.
113
exemple « avant mardi 16h » on est battu aussi. Donc
j'ai essayé de bâtir un projet et de faire des propositions de
façon à ce qu'il y ait plusieurs entrées possibles, qu'on
ait envie de voir, de s'impliquer, de multiplier les entrées et
d'interconnecter tout ce qui se passe. C'est ce que j'ai appelé La
fabrique où des artistes commencent par être là tout
le temps, augmentant le nombre de jours où la rencontre peut se faire.
[...] Et les artistes sont présents quand un jeune homme ou une jeune
fille a envie de faire quelque chose. Et ensemble les artistes peuvent voir
à quel endroit la personne peut rentrer dans un processus. Et avec trois
d'entre eux on va dire : « Vous avez envie de faire du
théâtre le mardi ? Super, mardi prochain tu viens et on fait.
» Si cela ne se passe pas et que c'est juste l'aider à monter des
tables, et bien il va monter des tables. Mais tous les prétextes sont
bons pour favoriser la rencontre et l'envie et on est nombreux et on se parle.
Et avec eux on invente des rendez-vous. Donc cela a donné La
fabrique avec énormément de rendez-vous. Des rendez-vous
pour les petits, les moyens, les grands, ... Et tout ce qui est proposé
sur le terrain en terme d'action culturelle est connecté avec des
artistes qui viennent au plateau, ou des auteurs qui viennent en
résidence pour écrire, .... Donc on interconnecte tout en
fait.
Marguerite Corrieu : Selon vous, quels sont les enjeux
aujourd'hui de la médiation culturelle ?
Anne Courel : Ce qui est important c'est la souplesse, la
capacité à rebondir et à construire avec. Cela tout le
monde le dit mais personne ne le fait. Parce que c'est très dur à
faire. Parce que çà veut dire que si vous avez de l'argent pour
faire un projet d'EAC de 12 heures dans un collège, il faut que ces 12
heures deviennent, s'il faut 18 ou 22 heures. C'est cela qui est
compliqué, il faut pouvoir suivre et inventer sans avoir en permanence
la barrière du cadre. Donc c'est complexe. Après les enjeux c'est
la participation, c'est se sentir exister à l'intérieur de
quelque chose. Se sentir avec une place, c'est vraiment la question de la
place. Ces adolescents n'ont pas de place.
Marguerite Corrieu : Quels sont pour vous aujourd'hui, les
enjeux de la corrélation entre « adolescence » et «
théâtre » ?
Anne Courel : Il y a quelque chose dans l'énergie qui
m'intéresse. Il y a une énergie créatrice énorme
chez ces jeunes gens. En tant que directrice de théâtre on a pas
envie que cette énergie soit canalisée mais plutôt
boostée par leur créativité. Donc en tant que directrice
d'un théâtre c'est çà qui m'intéresse et en
tant que metteuse en scène, c'est que çà m'oblige à
trouver des solutions. En tant qu'adulte, je suis
désespérée du monde dans lequel on vit. M'adresser aux
jeunes c'est une manière de chercher des fenêtres, c'est une
manière de parler de ce monde. [...] L'histoire de
l'horizontalité cela me met très rapidement hors de moi. Parler
tout le temps de co-construction et d'horizontalité cela me met
très en colère car cela supposerait que les choses aient une
hiérarchie. Oui il y a des gens qui savant plus de choses que d'autres,
oui il y a des gens qui sont plus vieux, des gens qui ont plus de pouvoirs.
Mais moi la mise en évidence de la différence cela me met hors de
moi et je pense qu'on ne peut pas travailler ensemble. Il y a des enseignants
qui arrivent à l'intérieur de leur classe à créer
des espaces de dialogues absolument ouverts [...] et puis des professeurs qui
les empêchent de s'exprimer. La seule
114
généralité qu'on peut dire par rapport
à l'éducation nationale c'est que c'est un projet qui a
forcément une histoire et que le projet d'éducation artistique et
culturelle est extrêmement vieillot dans sa construction. Il faut
renseigner, avant même d'avoir l'argent, à qui on va s'adresser,
combien ils vont être, quel va être le thème et quels vont
être les résultats attendus. Mais çà c'est la
vieillerie de l'éducation nationale. Il y a des enseignants qui savent
jongler avec, il y a des enseignants qui savent sortir des cadres. Pour le coup
à l'éducation nationale ce n'est pas horizontal.
Marguerite Corrieu : J'ai pu constater que dans votre
compagnie, il y avait une personne à part entière
dédiée à la médiation ...
Anne Courel : Ce n'est pas quelqu'un qui est aussi
comédien ou comédienne mais c'est quelqu'un qui est très
proche de l'artistique. Et ces postes-là sont indispensables. Parce que
sortir des cadres, penser autrement, faire en sorte que des adultes travaillent
ensemble, .... Ce que j'ai dit tout à l'heure sur les entrées
multiples. Cela permet à un moment donné d'avoir autour d'un
jeune, un artiste, un professeur, ... On sait très bien que nous quand
on va voir un film, on y va car on a eu plusieurs avis différents. C'est
pas seulement un article dans un journal qui va nous amener à aller voir
un film. Donc un jeune si à un moment on souhaite que le spectacle
vivant entre dans sa vie, il faut que tout l'écosystème aille
dans le même sens. Si l'animateur qui l'accompagne envoie des textos
durant le spectacle ou sort en disant « de toute façon le
théâtre c'est nul », vous avez beau travailler avec l'enfant
depuis je ne sais combien de temps, il y a tout qui s'écroule car devant
ses copains il ne va plus vouloir y aller. Donc c'est tout un énorme
travail qui fait qu'il y a des alliances entre les adultes. Et cela prend
énormément de temps, car ces adultes ne sont pas censés se
voir, travailler ensemble, .... C'est des postes vitaux. Le fait qu'un enfant
se sente bien un soir de spectacle c'est une cerise sur le gâteau mais
tout ce qu'il y a dessous c'est énorme. Donc la médiation c'est
un énorme boulot.
Marguerite Corrieu : Trouvez-vous que les artistes sont
suffisamment armés pour s'adresser aux publics et pour mettre en place
ces actions ?
Anne Courel : Les artistes ne peuvent pas tout faire, c'est
aussi pour cela qu'il faut des médiateurs. J'ai commencé ma
carrière en pensant qu'il n'en fallait pas mais maintenant je suis
sûre qu'il en faut. C'est tellement un énorme boulot pour mettre
en place ces alliances, rendre possible la rencontre, la suivre, la prolonger,
... Il faut un monde fou pour que çà marche tout cela. On ne peut
pas demander aux artistes de tout faire. [...]
Marguerite Corrieu : Par rapport au Lab ado [...] Le
Québec et la Belgique sont-ils plus avancés que la France sur les
problématiques liées aux publics adolescents ?
Anne Courel : Maintenant on les a entre guillemets
rattrapés mais c'est vrai que le Québec et la Belgique
travaillent depuis longtemps sur le théâtre ados. En France, on ne
disait pas qu'il y avait du théâtre ados, et beaucoup de gens le
pensent toujours, qu'un adolescent peut voir
115
n'importe quel spectacle. Donc identifier un
théâtre pour les adolescents, çà été
fait par les belges et les québécois il y a largement 25 ans
alors que nous, on a encore du retard. »
116
ANNEXE 3 : Entretien avec Nicolas Drouet
Date : le 22 janvier 2021
Présentation : Nicolas Drouet est l'un des
membres fondateurs du Collectif Lacavale. Cette compagnie voue un
intérêt particulier aux formes participatives et aux publics
adolescents.
Marguerite Corrieu : « J'aurais voulu savoir quand vous
aviez commencé à vous pencher sur les publics adolescents et
pourquoi ?
Nicolas Drouet : On est six et on n'a pas eu tous et toutes
les mêmes parcours. Il y a plusieurs réponses. On a
questionné à un moment le pourquoi des ados et ce que
çà nous faisait et on s'est rendu compte, surtout ces
dernières années, que les raisons pour lesquelles on a
commencé ne sont pas les mêmes pour lesquelles on continuait. En
fait, on est quatre du collectif à venir d'une formation du
cinéma documentaire, les autres viennent du théâtre. [...]
Et nous on s'est plutôt tournés vers l'éducation à
l'image. Après moi j'étais animateur et c'est quelque chose que
j'ai pas mal amorcé au sein du collectif. Le public adolescent, je le
connaissais depuis longtemps et même quand j'étais animateur et
étudiant en sociologie plus jeune, j'avais déjà
essayé de faire des films avec des adolescents. Pour moi c'était
assez naturel et le fait est qu'il y a des budgets pour. Il y a une
économie à créer autour des ateliers, des pratiques, ...
C'est une porte d'entrée à la fois dans la réalisation
audiovisuelle, dans les problématiques sociales avec des publics qu'on
appelle publics empêchés. Dans le cas de Julie, elle a fait un
conservatoire d'arrondissement et a fait beaucoup de projets avec des enfants
pour vivre. Pour nous il y a un souffle propre à l'adolescence. C'est
quelque chose auquel on a beaucoup réfléchi. En étant avec
des adolescents, il y a quelque chose de miroir qui s'opère car nous
même on vit une sorte d'adolescence de l'âge adulte où l'on
se fabrique quelque chose de très beau. Donc il y a cet espèce de
souffle des possibles à gravir dans lequel on trouve beaucoup de joie.
Les ados, ils sont hyper graves et hyper dramatiques en même temps, et
cela de façon simultanée. Et quelque chose bien sûr
à ne pas ignorer, il y a des fléchages financiers propres
à cela. On a eu plein d'idées dans les premières
années du collectif et lorsqu'on a commencé à se dire
qu'on allait faire quelque chose mêlant vidéo et
théâtre, et bien on a répondu à un appel à
projet qui émanait du département du nord qui s'appelait
Paroles d'ados et c'est là qu'on a créé Les
choses en face qui est un dispositif de création qu'on a repris
plusieurs fois après et du coup çà a été la
date de naissance du collectif au niveau du théâtre.
Marguerite Corrieu : Avez-vous la sensation que dans d'autres
compagnies ou dans des structures, il y a un oubli au niveau de ce
public-là ? (actions de médiation, représentations
proposées, ...)
Nicolas Drouet : Moi je connais beaucoup de compagnies qui
travaillent avec des adolescents car c'est aussi un moyen de financer des
projets, il ne faut pas se mentir. Alors des fois, je trouve que
çà tombe à côté car il y a des distorsions,
des envies de créations qui vont aller vers des dispositifs pas
adaptés et parfois c'est un peu malheureux. Parce que çà
distord la création et ce n'est pas réellement en lien avec les
adolescents. Après il y a pleins de choses supers qui se
117
font avec des adolescents. Au niveau des oublis je vais plus
penser aux théâtres, aux lieux qui existent avec des personnes
permanentes. Ce n'est pas un oubli vu que c'est quand même au coeur du
projet, surtout dans les lieux que l'on fréquente nous, vu que l'on a
une entrée ado assez forte. Donc les lieux où on va vont dans la
même direction. Je ne pense pas sinon que c'est un oubli mais c'est au
niveau des méthodes que je trouve un peu « old school ». Comme
typiquement se retrouver debout sur un pupitre devant une classe assise
à dire des trucs sur une pièce. Moi je sais qu'en tant
qu'adolescent çà m'aurait ennuyé et du coup nous, ce que
l'on a toujours défendu c'est d'amener les enfants à
découvrir le théâtre en en faisant. Je pense que
découvrir le théâtre de l'intérieur, les coulisses
comment cela se construit, je pense que c'est la meilleure manière pour
leur donner envie d'y retourner. En se rendant compte que c'est un travail.
Marguerite Corrieu : Vos projets s'adressent plutôt
à des « adolescents-collégiens », des «
adolescents-lycéens », ou est-ce que c'est un mixte entre les deux
?
Nicolas Drouet : C'est un mixte. Après maintenant on
est un peu malin. On sait que les premières-terminales sont un peu
embêtants sauf si tu as des jeunes qui sont en option
théâtre. Au début on était un peu frileux sur les
options théâtre. On se disait qu'on voulait des jeunes beaucoup
plus éloignés du théâtre que ça. Et puis
Julie nous a un peu calmés là-dessus en nous disant qu'il y avait
plein d'options théâtre dans des petites villes et où ce
n'est pas parce que tu es en option théâtre que cela t'ouvre
réellement des portes. Il y a des jeunes qui sont en option
théâtre et qui sont finalement assez éloignés. Donc
on aime bien les groupes mixtes et aussi au niveau des âges. On aime bien
les collégiens. C'est pas exactement le même travail mais disons
qu'avoir des groupes allant de la 4ème à la
1ère c'est assez marrant. Les 4ème vont un
peu s'identifier aux 1ère.
Marguerite Corrieu : Est-ce que selon vous, il est
envisageable de mettre en place les mêmes projets avec des adolescents
plus jeunes (12-15 ans) et des plus grands (15-20 ans) ?
Nicolas Drouet : Oui carrément ! Tu peux
responsabiliser les plus grands au niveau de l'accompagnement. Avec des statuts
différents. On sait très bien que les 5ème
à un moment ils vont devoir jouer, mais jouer au sens le plus
littérale qui soit. Et que sur les choses plus « intellectuelles
» on pourra aller moins loin là-dessus. Il faut des choses plus
ludiques [...].
Marguerite Corrieu : Quelles sont selon vous les
difficultés pour mettre en place des actions participatives avec des
adolescents ?
Nicolas Drouet : Ce n'est pas forcément des blocages ou
des difficultés mais cela va se référer à la
question du temps. En moyenne en cinéma documentaire, une
création prend plusieurs années. Donc forcément, nous on
fait des trucs beaucoup plus ramassés, qui donnent des choses pas
inintéressantes mais oui c'est le rapport au temps la difficulté.
Et puis en vidéos c'est l'aspect post production, montage. [...] Donc
sur certains projets on le capte assez vite : il y a certains jeunes qu'on
amènera pas avec nous au montage donc on va faire une sorte de
montage
118
papier sur le mur avec les différentes séquences
en essayant de leur expliquer qu'en fait le film on peut le mettre dans ce
sens-là mais on peut aussi le mettre dans ce sens-là. On souhaite
qu'ils saisissent un peu ces enjeux-là. Depuis le temps qu'on fait
çà il y a quelques jeunes qu'on a embarqué avec nous en
montage et c'était super [...] mais çà c'est assez rare.
Et il y a le rapport au groupe aussi. Quand on fait ce genre de projet c'est
compliqué d'être plus de 10-12 et parfois les gens ont du mal
à comprendre que ce n'est pas possible, dans le rapport à la
parole, à l'intimité, dans le rapport de confiance qu'il faut
mettre en place, ...Là on a eu çà cette année dans
le projet L'âge de nos pères, un projet où l'on
est tous les six au plateau. Dans ce cadre-là on a eu un financement
d'Ile et Vilaine pour une résidence en collège. On s'est
retrouvé dans un groupe classe de 28 jeunes. Et la professeur avait du
mal à comprendre que pour nous c'était compliqué de
travailler avec un groupe aussi important. En plus on parle des violences
physiques et sexuelles [...]. Nous on savait que statistiquement on allait
avoir 5-6 jeunes touchés de près par la question de la violence.
Et donc ça, çà nécessite d'avoir des temps à
moins où la bienveillance est plus simple. [...]
Marguerite Corrieu : Tout à l'heure, vous me parliez
d'un projet que vous aviez mis en place dans une classe de 28 jeunes. J'aurais
aimé savoir quelle avait été la place de la professeur
dans le processus de création? Ce projet a-t-il été
coconstruit ? Comment la communication a -t-elle pu se mettre en place ?
Nicolas Drouet : [...] Là la place de la prof
c'était un peu compliqué. Aussi à cause de la situation
mais c'était quand même un petit raté. Pourtant j'ai
l'impression que l'on avait laissé la place à la co-construction,
à l'interconnexion, à la possibilité de faire du lien avec
les programmes scolaires. [...] C'est jamais très simple, moi je n'aime
pas trop être avec des profs, alors là elle était
là, on ne lui a pas demandé de partir. Mais c'est
compliqué la place des profs. Souvent on travaille avec des gens qui
sont là en médiation culturelle et qui sont là lors des
labo, ateliers. Des fois c'est cool parfois c'est pas cool. çà
dépend des gens, les professeurs çà peut amener une
présence très scolaire. Après parfois c'est chouette parce
que le ou la professeur peut amener un aspect relationnel avec les
élèves. Mais même sur le langage, moi je montre aux jeunes
qu'on peut dire des gros mots, ce n'est pas dramatique. L'enjeu c'est de
s'écouter, d'être très premier degré dans ce qu'on
dit et parfois la présence d'un professeur ne permet pas ça.
[...]
Marguerite Corrieu : Avez-vous une préférence
entre travailler avec des adolescents dans un cadre volontaire ou dans un cadre
scolaire ?
Nicolas Drouet : C'est une question qui est compliquée.
C'était tout l'enjeu avec Suzanne du Théâtre de Poche
à Hédé où l'on fait juste la résidence
en milieu scolaire. Elle, elle a commencé en disant : « moi je
veux un groupe classe ». Parce que l'idée c'est de toucher des
jeunes qui à la base n'auraient pas envie. Je suis complètement
d'accord avec cette idée. Mais c'est beaucoup plus compliqué et
surtout quand il sont nombreux. 28 c'est énorme. Moi je n'ai pas de
préférence. Je pense qu'un projet comme J'aurais aimé
que le monde soit parfait, çà engage tellement que si les
jeunes ne sont pas volontaires çà peut être beaucoup trop
de souffrance. Çà
119
peut être génial pour des jeunes qui
découvrent en fait. Mais là c'est quand même un engagement
très important, çà leur prend toutes leurs vacances, ils
vont rater quasiment une semaine de cours qu'ils vont devoir rattraper, ils
vont jouer cinq fois sur un grand plateau. Donc c'est quand même
important. Donc si certains n'ont pas envie, çà peut devenir un
cauchemar, c'est un coup à les dégouter de toutes formes
d'expressions. Et puis après il y a d'autres questions qu'on se pose.
Bien évidemment quand on fait ce travail-là et on est
persuadé que c'est très important pour la vie, la
société, ... Mais c'est à relativiser. Il y a plein de
gens qui vivent très bien sans avoir jamais fait de théâtre
et c'est pas une obligation. [...]
Marguerite Corrieu: Quels sont pour vous aujourd'hui les
enjeux que soulèvent théâtre et adolescence ou
cinéma documentaire et adolescence ?
Nicolas Drouet: C'est d'être ensemble [...] Trouver ses
propres mots, ne laisser personne parler à leur place et en même
temps être très ouverts au monde. C'est permettre à ces
jeunes de s'emparer du monde et des enjeux qui les dépassent. On est
dans quelque chose de très intime et en même temps politique et
très collectif. Il faut continuer cela. En plus on a constaté des
choses avec l'école, ces dernières années. Quand on a
commencé à travailler avec des adolescents, parcours sup
n'existait pas et on a remarqué en quelques années, avec parcours
sup et la réforme du bac, qu'on a une entrée dans l'âge
adulte qui est quand même assez différente. Aujourd'hui les jeunes
je les trouve soumis à quelque chose qui est très lourd avec une
pression très importante dès la troisième. [...] Nous on
essaie de fabriquer un truc où il n'y a pas de casting, il n'y a pas de
sélection, on est inclusif, on ne reproduit pas un monde de
compétition. Je pense que le théâtre et les arts en
général, il faudrait que çà puisse continuer
à être çà dans les projets adolescents [...]
Marguerite Corrieu : Quels sont vos outils pour mettre en
place une relation plus horizontale et faire participer les adolescents?
Nicolas Drouet : Il y a plusieurs choses. Déjà
on va toujours interviewer chaque adolescent individuellement. C'est toujours
en parallèle. C'est-à-dire que le groupe est souvent avec
Chloé et Julie qui viennent vraiment du théâtre. Et en
parallèle on va s'entretenir avec un jeune durant 30 minutes. A la fois,
une partie de l'équipe rencontre un groupe et commence à
fabriquer un truc en groupe avec des jeux. Et nous individuellement on fabrique
un autre truc qui est quand même un peu raide, c'est un face
caméra un peu dur. Et en même temps çà permet de
montrer aux jeunes ce que çà veut dire être devant une
caméra. Après on fait des micros de paroles, c'est-à-dire
comme un bâton de parole, sauf qu'on enregistre parce que
çà peut être des matières sonores qu'on
réutilise après. Et puis montrer aux ados que l'on se livre, on
se mouille autant qu'eux dans les projets.
Marguerite Corrieu : Avez-vous des méthodes pour mieux
responsabiliser les jeunes ?
Nicolas Drouet : Je ne sais pas. Les choses en face,
on vient et on discute de plus de trucs. C'est quoi être adulte ?
Vous vous imaginez comment dans 20 ans ? De là on se dit : qui on
pourrait
120
interviewer pour poser ces questions-là. [...] C'est
les jeunes qui décident et qui font les interviews. On leur dit : vous
téléphonez et vous expliquez le projet. Et çà pour
un jeune de 15 ans, passer un coup de fil c'est hyper dur en fait. Du coup le
fait qu'il le fasse c'est super. Après on va les former pour les
entretiens. [...] C'est toujours les adultes qui choisissent pour eux et
là çà change tout. Les adultes ne sont pas à la
même place et ils se retrouvent avec des jeunes qui les écoutent
vraiment. [...] Et après la responsabilité c'est d'avoir
vécu ce moment et que la parole des gens, on ne va pas faire n'importe
quoi avec ça. Pour te dire des cas concrets pour Les choses en face
2, on avait interviewé la présidente des femmes maliennes du
quartier dans lequel on était et donc elle nous parle de pleins de trucs
super intéressants sur la place des femmes, des choses qui te font
relativiser culturellement sur l'émancipation en tant que femme. Tu sens
que cela donne de la force et de l'espoir aux adolescentes avec lesquelles on
est. Et là l'interview finit par une remarque extrêmement
homophobe de sa part. [...] Mais face à cela les jeunes assurent, ils
sont outrés mais toujours dans l'échange, la discussion. Sauf
qu'après nous on se dit, on fait un spectacle qui va être
diffusé dans différents endroits, pas que dans le quartier. Alors
qu'est-ce qu'on fait de cette parole ? Qu'est-ce qu'on a envie de montrer ? Et
çà, çà a été en discussion avec les
jeunes et c'est le genre de moment qui les responsabilise. Là on est
dans le réel, c'est pas juste une idée comme çà.
Finalement, on a choisi de ne pas diffuser çà, on a gardé
que ce qui était très chouette chez cette dame et pas du tout
l'aspect hyper homophobe. [...]
Marguerite Corrieu : Comme il y a eu plusieurs versions des
Choses en face, j'aurais aimé savoir si avant la
première version, vous aviez préparé des choses, fait des
hypothèses sur comment allait se dérouler le projet ?
Nicolas Drouet : On se questionne toujours. On a fait
plusieurs fois un dispositif qui était le même et on ne le refera
pas car nous avons fait le tour. En début de projet on interviewe
toujours les jeunes pour que çà crée une première
matière. Donc çà c'était plutôt en
début de projet, en octobre. Et ce qui est génial c'est que ces
jeunes, entre octobre et juin, changent énormément. Mais sinon la
structure, le déroulé est posé avant car vu le temps
qu'on, a on n'a pas le temps de se demander ce qu'on va faire, ... Des fois on
sent que c'est important de se remettre plutôt à discuter, que
parfois dans le jeu, il y a des choses qui ne marchent pas. [...] A Vire,
c'était un peu particulier parce qu'on a monté Les choses en
face avec un seul groupe alors que d'habitude on a toujours
travaillé sur Les choses en face avec plusieurs groupe qui ne
se connaissaient pas et qui finissaient par jouer ensemble pour une seule date
à la fin. Et parfois avec eux, on avait l'impression d'être dans
une cellule psy donc on leur a dit, donc parfois on s'adapte et parfois on leur
dit : c'est çà qu'on a prévu et on va le faire. [...]
»
121
ANNEXE 4 : Entretien avec Enora Davodeau et
Adèle Thivillier
Date : 31 mars 2021
Présentation : Enora Davodeau est
chargée de la communication et des relations avec les publics et
Adèle Thivillier, attachée aux relations avec les publics au
Préau. Elles sont arrivées dans cette équipe sensiblement
en même temps que le confinement de mars 2020.
Marguerite Corrieu : « J'aurais voulu savoir pourquoi le
choix d'ouvrir continuellement le hall et quels étaient les enjeux
derrière cette ouverture ?
Enora Davodeau : Lucie Berelowitsch est arrivée
à la tête du Préau en janvier 2019 et çà fait
vraiment partie du projet du théâtre du Préau et du projet
qu'elle a proposé : mettre la jeunesse au coeur du territoire en
continuité avec ce qui avait été fait auparavant. [...]
Adèle Thivillier : C'est l'ancienne direction qui est
arrivée en janvier 2009 qui a créé le festival A Vif,
enfin le festival ADO. Et il y a depuis cette
époque-là une vraie motivation à travailler avec les
adolescents. Avant ça, le Préau était
spécialisé jeune public, donc il faisait tout un travail sur
l'enfance et l'adolescence. çà fait partie de l'historique du
lieu, et c'est vrai que nous on a un espace dans le hall qu'on appelle «
l'espace bar » [...] et c'est un espace qui normalement est tout le temps
ouvert et effectivement il y a souvent des ados qui y trainent parce que c'est
un espace agréable. Il y a des canapés. Il y a du café.
Sachant qu'il y a un lycée juste à côté, il y a
d'autres établissements scolaires pas très loin, ... Et c'est une
volonté aussi de Lucie Berelowitsch d'intégrer ces ados, que ce
ne soit pas seulement une salle de permanence, une annexe à
l'établissement scolaire mais que ce soit des jeunes qui se rendent
compte qu'ils sont dans un théâtre aussi et qu'ils peuvent faire
vivre ce lieu en dépassant ce côté accueil. Donc c'est en
réflexion et çà va s'activer dès qu'ils auront le
droit de revenir.
Marguerite Corrieu : Et comment pensez-vous mettre en place
cette réflexion ? Est-ce que ce sera au travers des actions de
médiation ? Sur d'autres aspects de l'accueil ? [...]
Enora Davodeau : C'est un peu particulier cette année
parce que le théâtre est fermé au public. Mais ce qu'on
voulait mettre en place l'année dernier, ce qu'on a pas pu faire vu
qu'il y a eu le gros confinement, c'était de faire un petit stand
festival A Vif, et que l'équipe des relations publiques, on
puisse aller à ce poste, qu'il soit identifié, qu'il permette de
discuter avec les jeunes. Et de les sensibiliser à ce que c'est ce
festival. Donc çà c'était vraiment une sorte de
médiation In situ. Un petit pôle ados tout simple pour les
informer sur ce que c'est ce festival, qu'est ce qui va s'y passer, est ce
qu'ils peuvent participer à des choses, ...
Adèle Thivillier : Ca s'inscrit dans de la
médiation directe mais assez informelle aussi. S'ils n'ont pas envie de
parler du festival mais juste d'échanger, et de créer du lien
c'est aussi çà. C'est l'occasion de parler des spectacles. Que ce
soit vraiment un lieu d'échange et de partage. Donc çà
normalement, çà sera mis en place l'année prochaine.
122
Marguerite Corrieu: En quoi ces temps informels et ces temps
d'accueils peuvent avoir des répercussions sur d'autres aspects ?
[...]
Adèle Thivillier : Alors çà on ne l'a pas
trop vécu [...] mais effectivement c'est la volonté par la suite
de créer un vrai lien et que quand ils viennent, ils prennent
connaissances des spectacles. [...]
Marguerite Corrieu : Quels sont pour vous les enjeux de la
médiation ou de vos postes de relations avec les publics ? [...]
Adèle Thivillier : Moi je rajouterai que, de
manière générale, avec les ados c'est aussi les rencontrer
et discuter avec eux pour leur faire comprendre que le théâtre
[...] les concerne et peut les intéresser et que ce n'est pas seulement
un truc que leur prof de français leur impose. C'est aussi des choses
qui peuvent eux leur plaire et dans lesquels ils peuvent s'investir et prendre
des initiatives, que ce soit de participer à un atelier quand on en
propose, ou jusqu'à aller à un spectacle sans leur enseignant.
Moi s'il y a un message que j'aime bien faire passer et surtout aux ados, c'est
que le théâtre aujourd'hui est extrêmement multiple. Et il
parle de sujets qui les concernent en fait. Et nous au Préau on a quand
même une forte programmation contemporaine. [...]. Et quand on est ados,
on a une image du théâtre assez scolaire. Ce qui est
enseigné au collège et au lycée c'est plus les classiques
: Molière, Racine, ... Et très peu le théâtre
contemporain. Et donc çà peut paraitre un peu lointain pour des
ados. [...]
Marguerite Corrieu : Parvenez-vous à coconstruire ces
projets avec le triangle artiste, médiateur culturel et professeur ?
Enora Davodeau: Oui, pour les projets de résidences.
Disons qu'à la base c'est plus nous et les artistes qui mettons en place
des choses qui pourraient fonctionner et après on intègre les
professeurs.
Adèle Thivillier : Après çà arrive
selon les établissements scolaires que l'équipe enseignante
s'empare du projet et plus largement parfois que juste les professeurs de
français. Cà peut être aussi trouver du lien avec le cours
d'histoire par exemple, le cours d'art plastique, ... Et il y a parfois des
établissements qui nous proposent des ateliers théâtre et
des résidence d'artistes. Ils s'emparent du projet et nous on peut aussi
les aider, les mettre en lien, ...
Marguerite Corrieu : Dans le cadre scolaire, comment
parvenez-vous à coconstruire ces projets tout en laissant la place aux
adolescents de s'en emparer à un moment ou à un autre ?
Enora Davodeau : Sur les projets participatifs ou en
résidence en milieu scolaire, c'est quand même assez rodé
à l'avance. C'est peut être sur le festival A Vif qu'il y
a plus de liberté mais sur les projets il y a pas mal de contraintes. On
a besoin d'inventer le projet en amont et pas toujours avec les ados.
123
Adèle Thivillier : Par exemple les projets de
résidence pour l'année prochaine sont en train d'être
préparés actuellement. C'est aussi des projets qui demandent des
subventions. [...] Mais c'est à chaque fois avec des artistes qui ont
une approche pédagogique, une volonté de s'adresser à des
adolescents. Donc aussi le travail avec des adolescents leur permet de
s'inspirer, d'enrichir leur travail de création. Et c'est arrivé
aussi parfois que les artistes travaillent sur un format de spectacle qui est
jouable dans une salle de classe. [...]
Enora Davodeau: Et c'est le cas à chaque fois, le fait
de travailler avec des ados fait que c'est aussi eux qui deviennent la
matière du projet ou du spectacle. Donc le projet n'est pas
forcément coconstruit avec eux en amont mais par contre il est
complètement construit par eux, en partie, dans certains processus.
[...] C'est évident que dans tous ces projets-là, les ados, ils
ont une part énorme de création, et c'est eux qui font que
çà se transforme en quelque chose d'unique avec eux. [...] Quand
on fait des demandes de subventions, on est obligé de rentrer dans des
cases et on est obligé de rentrer dans des calendriers qui correspondent
très rarement aux calendriers des subventions scolaires. Parce que
justement c'est des projets qui se réfléchissent en amont, par
exemple là en mars avril pour des projets qui auront lieu durant la
saison 20212022. Donc en fait les élèves ne seront pas les
mêmes l'année prochaine. [...]
Adèle Thivillier : Par rapport aux projets
participatifs, je pense que le projet qui correspond le plus à
çà au Préau c'est durant le festival A Vif. C'est
Le village ados qui est en fait le mercredi après-midi du
festival. Il y a la rue en face du théâtre qui est
banalisée, piétonnisée. Une scène est
installée dans le jardin de la médiathèque qui est dans
cette rue. Et en fait, les ados en amont, ceux qui ont réussi à
être mobilisés, et moi j'interviens dans les établissements
pour chercher des ados motivés, peuvent participer à la
fabrication de mobiliers, à la signalétique, s'ils ont envie de
créer un mur d'expression, ils peuvent créer ce genre de choses.
Donc il y a tout un travail de préparation, en amont avec des ados sur
ce qu'ils veulent imaginer, et le jour même il y a aussi une prise de
paroles un peu libre sur la scène du coup, c'est une scène
ouverte. Il y en a qui vont préparer en avance en disant : « Moi je
veux danser avec trois copines ». [...] C'est vraiment leur espace qui
leur est dédié, c'est pour eux et fait par eux. Donc comme le
festival c'est fin mai, çà se met en place à partir de
février. Et donc là les ados sont vraiment au coeur du processus.
Encore une fois je parle de manière théorique vu que je ne l'ai
pas vécu et que cette année encore çà sera
limité. La scène ouverte sera moins ouverte. Et si on a le droit
de la faire on devra élaborer un programme.
Marguerite Corrieu : Et dans le festival A Vif,
avez-vous déjà imaginé d'autres temps où les ados
peuvent s'exprimer ?
Enora Davodeau : Alors il y a le temps de l'ouverture
où il y a la parade. Là selon les années, les ados sont
plus ou moins investis. Pour le 10ème anniversaire du
festival, c'est deux ados qui ont écrit le texte d'ouverture et qui
l'ont lu, parce qu'elles étaient intéressées et qu'elles
avaient déjà vécu le festival avant. Et sinon les autres
moments où les jeunes peuvent s'investir c'est dans les befores. En fait
le festival A Vif se déroule pas mal dans les
établissements scolaires [...]. Et donc dans certains
établissements scolaires il y a des befores qui sont organisés
qui sont
124
des petits temps avant les spectacles du soir dans les
établissements scolaires. Cà peut être une restitution
d'ateliers qu'ils ont fait à l'année ou même une prise de
paroles un peu libre. Parfois il y a des ateliers en lien avec le spectacle du
soir qui ont été faits durant l'après-midi et il y a une
restitution ouverte au public. Comme c'est dans leur établissement
scolaire c'est aussi une manière pour eux de s'emparer de leur lieu de
vie ou de travail un peu différemment. Donc çà peut
être aussi dans l'accueil du public, certains aussi vont s'investir
là-dedans.
Adèle Thivillier : Il y a des spectacles en
journée mais qui sont réservés aux scolaires. Les profs
inscrivent leur classe à 10 heures ou à 14 heures. Et du coup il
y a des spectacles le soir et il y à la journée marathon du
samedi où il y a quatre spectacles qui s'enchainent. Il y a un pass
journée pour aller voir les quatre spectacles.
Enora Davodeau : Et çà c'est ouvert au tout
public.
Adèle Thivillier: Et avant il y avait deux
journées mais à partir de cette année il y aura trois
journées parcours où en fait les enseignants choisissent
d'inscrire leur classe à deux spectacles, soit un le matin, soit un
l'après-midi. Soit un spectacle le matin et un atelier
l'après-midi. Et les ateliers c'est avec tous nos partenaires culturels
de Vire, donc il y a la conservatoire, la MJC, le musée de Vire, ... Et
en fait il y avait un atelier d'écriture théâtral, un
atelier cinéma, un atelier danse, plein de trucs comme çà
qui peuvent s'imaginer. Et les ados inscrits à cette journée
parcours choisissaient l'atelier qu'ils voulaient selon le nombre de places
disponibles. [...]
Enora Davodeau : Une fois qu'on a déterminé
quels ateliers sont disponibles pour les jeunes, nous on transmet ces
informations-là aux profs et eux les transmettent aux
élèves qui ont la possibilité de choisir l'atelier qui les
intéresse dans la limite des places disponibles. [...] Donc il y a une
petite marge de choix pour les adolescents.
Adèle Thivillier : Et l'objectif c'est aussi de
mêler les classes. Parce que lorsqu'on fournit le nombre de places aux
profs, on leur donne un nombre de places limité. Si par exemple il y a
un atelier danse avec 10 places, on ne va pas proposer les 10 places à
une seule classe. On va proposer une place par classe différente comme
çà il y aura 10 personnes qui ne se connaissent pas dans
l'atelier. Donc c'est aussi l'idée de rencontre et de partage qui nous
intéresse.
Marguerite Corrieu : Il me semble que dans son projet, Lucie
Berelowitsch orientait beaucoup vers la participation et le
théâtre participatif. En quoi cette notion de participation est
particulièrement intéressante avec les adolescents ?
Adèle Thivillier : Chaque année, au festival il
y avait un spectacle avec des ados sur scène. Donc cette année,
c'était le projet avec Lacavale. Et c'est le spectacle qui doit jouer
sur le grand plateau du Préau. Et donc çà c'est quelque
chose d'assez régulier. Donc le sens où ils participent au
festival dans des conditions professionnelles. Donc çà,
çà les met vraiment dans un statut d'amateurs mais dans des
conditions professionnelles. Et donc là sur ces spectacles-là
çà demande un vrai engagement de la part des adolescents. Donc la
première fois qu'on les a
125
rencontrés c'était durant les vacances de la
Toussaint et on leur a dit : Si vous vous engagez dans ce projet, il faut
être là tous les jours. C'est trois fois une semaine de
répétition durant les vacances. Et c'est pas je viens quand je
veux. çà demande du coup un engagement et une mobilisation qui
leur apprend aussi beaucoup de choses. [...]
Enora Davodeau : Pour le participatif comme dit Adèle
il y a plusieurs niveaux : il y a cet apprentissage de travail en
équipe, de respecter ses engagements, ... Et en fait il y a une part
assez importante à cette d'âge-là d'ouverture et de se
rapprocher de choses qui ne sont pas très connues d'eux. [...]
126
ANNEXE 5 : Entretien avec Solène Bodereau
Date : 22 avril 2021
Présentation : Solène Bodereau est une
ancienne chargée des relations publiques du Préau. Elle
occupe aujourd'hui un poste similaire au Théâtre de
Lorient319. Après m'être entretenue une
première fois avec elle et ses collègues, Léna Le
Guével et Julie Cabrespines, j'ai souhaité revenir vers elle pour
connaitre son expérience au Préau.
Solène Bodereau : « [...] J'étais beaucoup
en lien avec Pascal Banning, ancien responsable des relations avec les publics
et alors coordinateur du festival ADO. [...] Parce qu'en fait je n'ai
travaillé que 6 mois au Préau, donc ce n'est pas très long
mais j'y ai travaillé sur la période du festival. Je suis
arrivée de mars 2018 jusqu'en juillet dans le but de ce
festival-là. [...] donc la 9ème édition.
Marguerite Corrieu : Lorsque nous nous étions
rencontrées avec vos collègues, vous m'aviez dit que le hall au
Préau était ouvert continuellement. Pourquoi ce choix ?
Solène Bodereau : Alors déjà le hall est
partagé avec le cinéma donc un cinéma est ouvert en
journée. C'était aussi très lié à un projet
artistique. Là avec la covid, le confinement, je ne sais pas trop
comment cela va se passer, potentiellement çà peut être
différent en vue du nouveau projet. Là avec Pauline, Vincent et
Pascal Banning, çà devait être quelque chose de totalement
ouvert et partagé. Donc on se faisait une sorte de roulement, il y avait
toujours une personne qui arrivait à 9 heures. Le Préau c'est
quand même un petit lieu. L'équipe des relations publiques avait
un bureau un peu au-dessus du hall et on entendait tout. Donc dès que tu
entendais un peu de bruit tu y allais, tu essaies de manger avec eux sur place
le midi, ... C'était vraiment l'idée de cohabiter avec ce public
adolescents, qu'il n'y soit pas libre et complètement sauvage mais bien
qu'il en prenne possession en le partageant avec le public adulte et qu'il y
ait une vraie relation. Et qu'il y ait vraiment une responsabilisation de ce
groupe-là. Pascal Banning lorsqu'il était dans le hall, il
connaissait pratiquement tous les adolescents, il leur parlait, parfois il en
prenait trois pour les emmener voir une répétition, ou les
coulisses. L'idée c'était vraiment çà : les ados
venaient au Préau pas dans l'idée que c'est un
théâtre mais parce que c'est sympa [...] c'était l'endroit
où tu retrouvais tout le monde. Ils ne se rendaient pas forcément
compte qu'ils étaient dans un théâtre donc il y avait tout
un travail de l'équipe de comment utiliser cette
présence-là. La plupart des lieux communiquent mais n'ont pas ce
public-là dans le hall. Au Préau c'était différent,
il y avait ce public dans le hall mais il était indifférent
à l'objet théâtral. Donc comment faire pour que ce public,
qui vient de manière très volontaire soit sensibilisé ?
Donc çà peut être avec ce que Pascal Banning appelait la
relation publique directe, la médiation directe. Donc sans
forcément de relais. Les gens sont présents donc ils viennent
aussi discuter. [...] Donc c'est comme çà que tous les mercredis
après-midi, à partir de mars-avril en vue du festival ADO, ont
été dédiés à l'organisation du festival.
Donc on donnait rendez-vous à des ados mais surtout on se tournait vers
les ados qui étaient présents.
319 Centre dramatique national dirigé par Rodolphe
Dana.
127
On prenait un bout du hall pour que les adolescents commencent
à dessiner, à créer des choses pour le festival. [...] Au
bout d'un moment c'était du bouche à oreille. Les ados savaient
que le mercredi ils allaient pouvoir faire des petites choses. [...] La
manière dont Pascal Banning avait mené çà
c'était très éducation populaire. Donc c'était
aussi propre à une personne. Ce n'est peut-être pas le cas avec
Lucie Berelowitsch. Parfois on avait l'impression d'être dans un centre
socioculturel. Le festival ADO il avait une couleur. Tous les ans, les
jeunes décidaient soit jaune, soit bleu, ... Ce n'était pas
l'idée qu'il y ait forcément un truc beau mais que les ados se
saisissent de quelque chose en vue de ce rendez-vous. Et donc durant le
festival on mettait ce qui avait été créé sur le
parvis pour qu'ils puissent se poser. [...] Donc voilà : un lieu ouvert
avec un piano accessible, ce qui fait qu'il y avait du monde tout le temps.
Donc parfois tu avais une sorte de négociation avec les ados et tu
étais obligé de leur dire « désolé mais
là vous allez libérer les tables » parce que le lieu
était tellement petit qu'il fallait qu'on fasse nos réunions
à l'endroit du restaurant. Mais le nombre de réunions qu'on a
fait où on était entouré d'ados... Mais c'est
çà aussi qui est beau. On faisait beaucoup de réunions
avec nos partenaires pour le festival ADO, donc les profs, les MJC ...
Et du coup ils venaient et il y avait les ados autour de nous. Donc tout
dépend d'un projet. [...] Il y avait une liberté dans ce
théâtre qui était beaucoup moins contrainte que dans
n'importe quel théâtre. [...] Il faut savoir que cet espace de
l'accueil, moi çà ne me dérangeait pas parce que je n'y
suis pas restée longtemps, mais Pascal Banning pouvait avoir un
côté un peu « extrême » dans sa relation avec les
ados. Lui il pouvait venir et il mangeait à la table des ados et
incitait les gens à se mélanger aux tables et tout
çà. Chose que tu n'as pas toujours envie non plus, tu es en pause
repas. Après moi j'allais quand même manger dans le hall, je
discutais avec les adultes mais il y avait des ados à ma table. Et puis
par exemple j'avais quelqu'un que je connaissais à Vire, et bien il
venait manger avec moi. C'est un lieu ouvert où tu peux venir manger.
Alors que là ce n'est pas possible, si je mange au
Théâtre de Lorient, et bien c'est mon lieu de travail,
c'est fermé. [...] Mais par contre çà c'est un dialogue
que j'ai beaucoup eu avec Pascal parce qu'avec ce côté un peu
extrémiste, il pouvait être en opposition avec pas mal de ses
collègues. Parce qu'à partir du moment où il y a ce
choix-là, il faut que ce soit un projet porté par le collectif.
Et ce n'était pas une mission relativement relation publique. Sauf qu'en
fait la plupart des autres salariés n'allaient pas manger avec les ados
en bas donc ils allaient dans une salle à part. Alors que l'idée
c'était qu'il y ait un mélange, mais ce n'est pas possible tout
le temps. Mais après çà se travaille, en tout cas c'est
intéressant dans la manière dont c'est fait.
Marguerite Corrieu: Et Pauline Salles et Vincent Garanger,
où est ce qu'ils se situaient par rapport à çà ?
Solène Bodereau : Ben eux ils étaient à
fond. C'est eux qui ont fait naitre le festival ADO. Avant qu'ils
prennent la direction du Préau c'était un théâtre
jeune public. Et ils savaient qu'ils n'allaient pas en faire [...] En revanche,
l'adolescence çà leur plaisait bien. [...] Ce qu'ils ont fait
avec l'équipe du Préau est incroyable. C'est l'un des plus petits
CDN et c'est eux qui ont lancé le festival ADO. Même le
Théâtre de Lorient, pour le festival Eldorado
s'est un peu basé là-dessus. Moi ce que j'aimais avec le
Préau c'était cette émulation qu'il y avait durant le
festival. C'était juste incroyable. [...] Et donc quand j'y
étais, je m'occupais beaucoup du
128
territoire sur toute la partie décentralisation. [...]
Il y avait une semaine à Vire et une semaine dans le bocage. Et ce
festival ADO a été extrêmement important pour ce
bocage car ils en ont créé des maisons des ados. [...] Pour les
créer, ils se sont beaucoup inspirés du festival ADO, il
y a le directeur technique qui a beaucoup aidé pour la création
de petite salle. [...] Et cela a été possible parce qu'il y avait
une envie d'ouverture complète, de désacralisation par Pauline et
Vincent. [...] Le festival ADO c'était un peu le bazar et ce
n'était pas forcément beau parce qu'en fait c'était
complètement auto-géré par des ados. Durant une semaine,
et même un peu plus que ça, le hall du théâtre
pouvait être dégoutant parce qu'ils avaient mis de la
décoration partout, des sortes de guirlandes. Quand c'était la
thématique rose, c'était l'année où moi j'y
étais, il y avait des guirlandes en papier toilettes. Il faut assumer
quand même devant tes invités, les professionnels, les élus
Drac, ... mais c'était l'idée. Ca désacralise,
çà restait un CDN mais qui laissait les clefs du
théâtre à des ados.
Marguerite Corrieu : [...] Comment vous, vous vous êtes
sentie là-dedans ?
Solène Bodereau : La particularité quand
même c'est que Pauline et Vincent étaient à la fin de leur
mandat. Lucie Berelowitsch on savait que c'était elle qui avait
été nommée. [...] Mais ce n'est pas toujours facile cette
vision très participative, éducation populaire parce que ce n'est
pas forcément ton travail ou comment tu veux le mener. C'est très
dans l'animation, ce que Pascal Banning voulait beaucoup, ce qui peut avoir un
côté assez plaisant donc tu te dis, si c'est pour un
événement pourquoi pas. Mais là çà prenait
beaucoup de place et pas toujours pour une vision artistique. Parce que pour le
coup, le festival Eldorado, le club ELDO est chapoté
par des artistes, il y a un vrai travail avec la communication. Donc c'est
aussi intéressant parce qu'on est tous là. Moi j'y retrouve un
petit truc qu'il y avait à Vire, les ados sont présents parce
qu'ils ont participé à des projets, il y a cette boom de fin. Et
pourtant j'ai l'impression d'avoir eu une meilleure place et de faire mieux mon
travail. A Vire, c'était vraiment crevant. Le mercredi tu montais des
tours, des chaises, tu faisais l'animation avec les ados. Quand ils partaient,
tu devais tout ranger, tout nettoyer dans le hall et du coup c'était
çà tous les mercredis. A un moment tu te dis : c'est la
volonté de Pascal Banning mais comment elle est partagée ? [...]
Comme c'était tout au début, je pense que le festival
ADO aurait dû se professionnaliser. Il a été
précurseur mais au fur et à mesure il aurait dû se
professionnaliser. Ce que maintenant les nouvelles initiatives prennent un peu
le relais. On peut s'inspirer de ce modèle participatif mais en faire
quelque chose de beau. C'est les limites un peu pour Vire. [...] »
129
ANNEXE 6 : Entretien avec l'équipe Le labo des
cultures
Date : 27 novembre 2020. Suivi d'une seconde rencontre le
5 mars 2021. Présentation :
Camille Monmège-Geneste : Responsable du
développement du labo des cultures, Camille est à l'initiative de
ce projet. C'est à la suite d'une dizaine d'année
d'expérience en tant que médiatrice culturelle au Centre
dramatique national le TnBA et à la direction de la culture de la ville
de Pessac, qu'elle souhaita mettre en place cette association. Elle intervient
également au sein de formations universitaires et professionnelles.
Camille Schaefer : Etudiante en master
d'Ingénierie de projets culturels et interculturels à
l'université Bordeaux Montaigne, Camille est en parallèle en
alternance au sein du Labo des cultures. Elle est la chargée de
développement des projets d'interactions culturelles.
Camille Monmège-Geneste : « C'est une association
assez jeune. Elle a un peu plus d'un an maintenant. Elle a été
mise en place par un collectif de girondins. Même au-delà en
nouvelle aquitaine. Elle a été mise en place à partir de
plusieurs constats. Des constats que j'ai pu faire en tant que
médiatrice culturelle. J'étais une médiatrice culturelle,
chargée de relations avec les publics un peu frustrée à
certains moments de ma carrière où j'avais très peu de
temps pour faire de la recherche-action pour interroger mes pratiques de
médiation culturelle et je trouvais qu'on manquait d'espaces et de temps
pour expérimenter, tenter des choses. On avait une tendance à
copier-coller les dispositifs de médiation culturelle et d'avoir peu de
place pour votre sujet par exemple. Il y a aussi des compagnies, des artistes
à qui l'on demande de plus en plus d'être attentifs à ces
enjeux de médiation et c'est pas forcément leur coeur de
métier, ils n'ont pas forcément les compétences en interne
pour pouvoir répondre à toutes ces sollicitations de
médiations. On trouvait intéressant d'avoir une structure qui
pouvait venir donner un coup de pouce, prêter main forte, donner une
expertise et venir coconstruire des choses avec eux. Et aussi on trouvait
intéressant d'être à un endroit qui ne défende pas
une programmation mais qui défende les enjeux, les finalités de
la médiation culturelle. Ce qu'on cherche, c'est faire des actions entre
des arts en général et des personnes et pas forcément de
défendre son propre petit théâtre et sa programmation. Dans
un théâtre ou un musée, l'idée c'est que le public
vienne à nous alors que là l'idée c'était de
travailler avec n'importe quelle structure artistique et culturelle à
partir des désirs des gens et réinventer les façons dont
l'on pense la médiation. Cette association a donc été
construite autour de deux dimensions. La première c'est la recherche
action, l'idée d'expérimenter et de tester des choses et la
deuxième dimension c'est l'intersectorialité car elle a
été construite avec des personnes qui ne viennent pas du milieu
artistique. On trouvait intéressant de penser nos projets avec des
personnes qui n'ont pas l'habitude d'aller au théâtre, d'aller au
musée et de s'interroger sur nos vocabulaires, les contenus qu'on peut
proposer, et faire plus de frottements entre des mondes qui ne se rencontrent
pas toujours et se dire que cette médiation, c'est une fonction qui se
doit d'être partagée et que ce n'est pas que le champ culturel et
artistique qui doit la porter mais autant le champ éducatif, du
handicap, de la santé, socio culturelle... Comme vous l'avez vu, nous
avons
130
trois types d'activités: la médiation
culturelle, l'enseignement et le soutien à l'accompagnement de
projet.
Camille Schaefer : Par rapport à votre sujet, un des
aspects qui peut vous intéresser est le réseau national des
comités jeunesses au sein des structures de spectacle vivant et des
collectivités territoriales. C'est un réseau qui vise à
mettre en lien les référents et les jeunes et de partager sur les
problématiques, les enjeux communs de ces comités. On y
développe beaucoup les enjeux autour de la gouvernance et de la
démocratie participative. C'est une nouvelle vision de la
médiation et de ce que peut être la médiation. On se rend
compte avec le labo que les questions de la médiation
s'élargissent énormément et que les portes
d'entrées pour le jeunes s'élargissent énormément
aussi, [...] sans vouloir faire des jeunes « les spectateurs de demain
». Cela aussi on sent que cette idée commence à être
déconstruite. Qu'ils puissent découvrir ces lieux autrement,
qu'ils puissent être acteurs des projets, ce qu'on donne peut-être
moins la chance de faire dans la vie de tous les jours, la vie scolaire, ...
[...] La vision de la médiation qui est, selon moi, partagée par
le labo, c'est d'éviter de dire : il y a la culture d'un
côté et le social de l'autre et de temps en temps on fait des
ponts. Au final il faut moins marcher dans les définitions par secteur
et rester dans cette idée de globalité et comment la
médiation s'insère et est le socle de toute cette
intersectorialité.
Camille Monmège-Geneste : c'est une vision transversale
qu'on attend. Bien sûr qu'on est découpé en secteur
d'activité. Nous on aime à dire qu'on aimerait que cette fonction
soit partagée, appropriée et vécue par tous. En fait un
éducateur est autant un médiateur culturel qu'un chargé
des relations publiques dans un théâtre. Il font la même
chose, ce n'est pas le médiateur qui va faire un pont. Ils ont une
fonction miroir et complémentaire. Il y a cette notion transversale.
Nous au fur et à mesure on essaie d'évacuer ce mot là et
plutôt de parler d'interactions. C'est cette notion-là qui nous
intéresse : comment fait-on interagir des arts et des personnes ? Cette
idée de faciliter cette relation entre des arts et des personnes, c'est
plutôt comme un facilitateur de relations. On a un peu abandonné
cette vision d'intérêt général, avec un besoin
à combler qui serait le même pour tous. L'idée est pour
nous de faciliter des désirs, de partir des désirs des personnes.
Partir de l'inverse. Si on prend l'idée des pré-ados par rapport
à votre sujet d'étude, ce n'est pas faire en sorte que ces
pré-ados viennent dans notre théâtre mais faire des
expériences artistiques ou partir de leurs propres expressions
culturelles et de la culture de ces adolescents. Ce sont peut-être les
ados qui peuvent passer commande aux artistes. Comment changer ces
cadres-là ? C'est cela qui nous intéresse.
Marguerite Corrieu : Pouvez-vous me donner des exemples
d'interactions culturelles que vous avez pu mettre en place avec des
adolescents ?
Camille Monmège-Geneste : On peut parler des projets
concrets mais après on peut aussi parler des conseils comités
jeunesse dont parlait Camille. Je suis en train d'écrire une note
d'intention pour un projet destiné à des lycéens en CAP
carrosserie-peinture et on leur propose de réaliser un chef-oeuvre pour
travailler autour du travail d'une compagnie à partir de leurs propres
compétences. C'est eux qui viennent agrémenter l'oeuvre
déjà créée par la compagnie. C'est une
véritable collaboration entre leur savoir-faire et l'univers artistique
d'une compagnie. çà se
131
passe dans une caravane ce spectacle. Je suis allée
avec dans leur atelier. Le spectacle était chez eux, et ils ne me
posaient que des questions sur la carrosserie de cette caravane alors que
j'étais incapable de leur répondre. Moi ce que j'aimais
c'était ce qui se passait à l'intérieur de cette caravane
et ils m'ont fait complètement changer mon point de vue et mon approche.
Je n'ai pas vécu l'oeuvre de la même manière parce qu'ils
la regardaient avec des yeux de spécialistes de la carrosserie. [...]
C'est là où l'on voit vraiment la complémentarité
entre les deux. Avec cette compagnie, Léna d'Azy, on essaie de
travailler sur des objets à la croisée des arts plastiques, de la
scénographie, de la maquette et du spectacle vivant. Avec cette
compagnie lorsque l'on fait des interventions de médiation culturelle,
souvent on part des cultures des jeunes et des ados. On a fait plusieurs
projets avec des classes notamment, avec une diversité culturelle
très forte, des classes allophones. Et on part du pays ou de ce que sont
les gens, de leur références, de leurs images, pour créer
des maquettes à partir de leur propre culture et on tisse des liens
entre notre savoir-faire qui est de l'ordre de la pratique, de l'animation, de
l'atelier d'écriture et à partir de ce qu'ils sont et de ce
qu'ils ont envie de valoriser de leur propre culture. En ce qui concerne les
comités jeunesse, Cette idée a germé il y a 3-4 ans
lorsque nous étions sur les enjeux des crises de la
représentativité de la pratique mais plutôt
côté politique. Et je me disais comment on peut repenser ces
pratiques. Moi je travaillais pour le TnBA. Souvent on disait, c'est le
théâtre de la cité, il appartient à tous. Sauf qu'il
appartient à tous mais finalement qui est-ce qui décide de ce
qu'il y a dans ce TnBA et qui le dirige et qui choisit les projets et les
spectacles ? Ce sont des experts qui ont été labellisés
comme ayant une expertise pour programmer ce qui se passe à
l'intérieur. Et les gens n'ont pas de pouvoir pour dire ce qui se passe
à l'intérieur et n'ont pas d'espace pour s'exprimer et pour
changer les directions que pourraient avoir un théâtre. Il y avait
quelque chose d'intéressant à se demander : comment je donne plus
d'espaces à ces jeunes dans les théâtres ? Comment je peux
changer les principes de gouvernance de ma structure ? Est-ce que j'ai envie
d'aller jusque-là ? Est-ce que même la programmation j'ai envie de
la partager avec ces jeunes ? Est-ce que je peux leur donner des enveloppes
financières et qu'ils mettent en place leurs projets ? On essaie
d'être dans toutes ces réflexions-là. Comme tu l'as vu on
est dans la recherche-action et on est toujours en lien avec
l'université. [...]
Marguerite Corrieu : Les actions que vous menez à
destination des ados se déroulent-elles toujours dans le cadre scolaire
?
Camille Monmège-Geneste : On peut répondre
à des commandes mais on peut être aussi force de propositions et
développer des partenariats. L'idée est que l'on puisse aussi
développer des supports au coeur du labo. Ce ne sont pas toujours des
publics scolaires mais aussi des volontaires, des familles. Ce que j'observe
c'est qu'en théâtre adolescent, c'est comme le très jeune
public, c'est très compliqué au niveau du répertoire. Il y
a un creux. Je le voyais bien au TnBA. C'était une structure qui
était là pour promouvoir les écritures
théâtrales contemporaines à la fois pour le jeune public et
les plus grands mais la plupart du temps il n'y avait rien à proposer
aux ados. Bien que le jeune public ce soit « à partir de ...
», on sait bien que parfois çà va dénoter si on
propose cela à des pré-ados. S'ils se retrouvent dans une salle
avec des 8 ou des 9 ans ils peuvent mal le prendre. Il y a aussi des
propositions qui ne peuvent pas avoir lieu
132
en journée. Vous choisissez un public qui a des
contraintes. Donc ce n'est pas si simple de faire des soirées au
théâtre en autonomie car ils ne sont pas encore autonomes comme
les plus grands. Les artistes en parlent aussi. Ils trouvent qu'il y a un
manque pour ce public-là. Quand on regarde les plaquettes de toutes les
saisons, bien qu'il y ait des spectacles plus larges, on peut constater un
creux pour ce public. Les professeurs se plaignaient aussi souvent que pour
leur classe, il n'y avait pas grand-chose. Pour les 6ème cela
allait mais pour les 5ème-4ème, il n'y
avait pas beaucoup de propositions. Mais bien sûr on ne fait pas que des
choses dans le cadre scolaire, bien que cela soit intéressant de faire
des croisements avec différentes disciplines et le projet
pédagogique [...]
Marguerite Corrieu : Pour chacune d'entre vous, quelles
seraient les pistes de réflexions pour donner envie aux pré-ados
d'aller dans des institutions théâtrales ?
Camille Monmège-Geneste : La première chose,
c'est qu'il faut que ce soit l'institution qui se pose la question.
Peut-être qu'il faut voir avec les jeunes ce qu'ils ont envie eux et pas
à tout prix se dire : le jeune doit venir à moi. C'est cette
logique de construction qui est à interroger. On comprend bien
l'intérêt des théâtres et que la direction ne
souhaite pas que le médiateur passe des heures à travailler sur
les projets pour les ados de son quartier sans qu'il y ait de retombées
dans les salles après. C'est toujours un peu le premier problème.
Sauf que si on prenait plus en considération les envies des jeunes,
naturellement, ils prendraient plus de places dans cet espace. Au Préau
à Vire c'était intéressant ce qui se passait, la structure
était devenue un véritable préau car les jeunes
s'étaient totalement approprié les lieux et c'est devenu leur
cour de récréation. C'était devenu leur espace à
eux. C'est cela qui est intéressant ! Quand les jeunes d'eux-mêmes
peuvent s'approprier cet espace-là et pas seulement « on vous
invite à venir au théâtre de manière ponctuelle
». Il faut travailler cette relation dans la durée. Après il
y a plein de recettes : ambassadeurs, ... Moi je pense que çà
part de la méthodologie et du rapport que l'on a envie d'instituer avec
eux !
Camille Schaefer : Effectivement c'est une meilleure
horizontalité à créer pour construire un rapport plus
privilégié avec le jeune. C'est les rendre acteurs et leur faire
confiance. Dès qu'on leur fait confiance, qu'on les responsabilise, ils
savent en faire quelque chose. Le problème souvent c'est qu'on ne les
engage pas véritablement [...]. C'est la période
compliquée pour nous, animateurs et médiateurs. Ils sont à
la fois adultes et enfants et on ne sait pas sur quel pied danser et même
le jeune ne sait pas. Surtout ne pas l'obliger. Ce sont des retours qui nous
parviennent de tous les comités de jeunes. On doit être force de
propositions mais si parfois il n'est pas là, il n'a pas envie, ce n'est
pas grave. Cà évite de tout sacraliser. Il faut arriver à
simplifier pour l'adolescent, à lui ouvrir une porte de dialogue plus
simple. On parle beaucoup aujourd'hui des institutions mais qu'est-ce qu'une
institution ? Qu'est-ce qu'il y a en dehors des institutions ? Cà me
fait penser aux tiers-lieux. Pourquoi les tiers-lieux arrivent-ils plus
facilement à attirer des jeunes alors que les institutions en tant que
tel beaucoup moins. Comment eux ont-ils réussi ce pari ? C'est aussi
lié au fait que ce soit pour et avec les habitants.
133
Camille Monmège-Geneste : Il faut trouver comment tu
fais évoluer ton institution par rapport à çà et
par rapport aux référentiels que peuvent avoir les jeunes. Il
faut se dire que nos référentiels ne doivent pas devenir les
leurs mais aussi comment je les imprègne de ma culture, et ils
m'imprègnent de la leur. La problématique est selon moi : est-on
prêt à faire évoluer nos institutions ? Partir des
références aussi des institutions parfois. On va pas se dire
qu'on va tout réinventer et qu'on ne peut faire que comme
çà. C'est important aussi que des jeunes voient un Antigone
un soir. Serge Saada320 parle de cela dans un de ces livres. Si
tu viens en classe en leur expliquant tout l'historique d'Antigone tu vas
passer à côté. Mais si tu leur dis : as-tu
déjà eu envie de tuer par amour ? Ou d'être
extrêmement déçu ou en colère ? Et de partir de
thématiques qu'ils vont traverser et vivre pour faire ce
chemin-là. C'est aussi comment le médiateur peut mettre en place
cela pour investir un champ qui leur parle et adapter son discours, et amener
des outils qui vont fonctionner avec ce public-là spécifiquement
pour faire des croisements entre l'offre artistique que j'ai dans mes murs et
un public ado que j'ai sur mon territoire. J'adapte mon discours et mes
outils.
Camille Schaefer : Selon moi, la notion
d'intersectorialité est importante et a sa place. Relier les outils du
médiateur culturel et du médiateur social est très
important. Il y a beaucoup d'entrées qu'on prend aujourd'hui qui
viennent du social. Et c'est intéressant de voir comment faire
aujourd'hui pour faire découvrir autrement les cultures.
Camille Monmège-Geneste : On réconcilie enfin
l'éducation populaire, l'éducation sociale et la culture avec un
grand C. On est enfin, pour une grande majorité, en train de se dire
qu'il faut travailler ensemble et pas de manière séparée.
On est victime de çà, surtout avec ce public-là. [...] Par
rapport au constat que vous être en train d'indiquer vous pouvez vous
référer au dispositif Ce soir je sors mon prof . C'est
trop souvent les professeurs qui choisissent les spectacles que vont voir les
élèves. Il va à coup sûr choisir le spectacle de
répertoire et ne pas prendre de risque avec un texte contemporain ou une
jeune compagnie. Il ne saura pas faire de lien avec son cours de
français. Et donc comment peut-on inverser cette pratique du professeur
qui choisit pour les élèves ? Il y a donc eu un dispositif de
créé qui s'appelle Ce soir je sors mon prof :
l'idée c'est l'inverse. Nous on vient en tant que spécialistes
dans les classes et on leur dit : c'est vous, les élèves qui
allez choisir les spectacles de la saison. Les élèves imposent
donc au professeur les spectacles qu'ils iront voir. Et çà ce
sont des choses qui sont intéressantes car on les rend acteurs de la
sortie. Ce sont les jeunes qui ont choisi les spectacles et le professeur se
doit d'adapter son programme au choix des jeunes.
Marguerite Corrieu : Vous qui avez travaillez au TnBA et qui
avez été en relation avec des professeurs, trouvez-vous que les
relations soient simples et qu'ils soient formés à accompagner
des jeunes au théâtre ?
Camille Monmège-Geneste : Je ne fais pas de
différences encore les différentes personnes. Cela dépend
des expériences, du vécu, de l'appétence de la personne
que je vais avoir en face. [...]
320 Médiateur culturel et enseignant
à l'université Paris III.
134
On ne peut pas faire de généralités mais
ce qui est intéressant c'est de travailler sur ces
binômes-là. Je pense qu'on est très complémentaire
entre une personne spécialiste de son théâtre et lui qui
connait par coeur ses élèves. Mais il peut aussi être
surpris dans certaines aventures et redécouvrir sa classe. Mais c'est
à deux, même à trois avec l'artiste que l'on va pouvoir
coconstruire un projet cohérent. Ce qui marche c'est les projets qui ont
été conçus, portés et imaginés dès le
début par l'ensemble et ce qui ne marche pas c'est lorsque nous
médiateurs, on a un projet clef en main que l'on veut absolument qu'il
rentre dans notre cadre rond alors qu'eux, ont un carré. Alors que
dès qu'on le construit en sur mesure et que chaque membre s'empare du
projet et se sent co-médiateur du projet de A à Z c'est là
que çà fonctionne. C'est comment on associe nos partenaires
dès le début et qu'on s'implique les uns et les autres dans la
mise en place du projet. Il faut se former ensemble, apprendre à se
connaitre, à avoir un vocabulaire commun, à bien dessiner un
projet avec les disponibilités de l'un et de l'autre, ... [...]
Deuxième rencontre avec Camille
Monmège-Geneste
Date : le 5 mars 2021
Marguerite Corrieu : « [...] J'ai l'impression qu'on
utilise énormément le terme démocratie participative mais
que ces projets sont difficilement ou rarement mis en place. J'aurais voulu
savoir ce qui selon vous pouvez bloquer au niveau de ces enjeux ?
Camille Monmège-Geneste : Tout simplement
jusqu'où on est prêt à lâcher en fait. Moi je pense
que çà vient de là. Et jusqu'où on est prêt
à partager, jusqu'à quel degré ? C'est où on place
le curseur de jusqu'où on est prêt à ce que les choses nous
échappent ? C'est juste çà l'enjeu, le point le vue il va
être là. C'est comme une grande échelle sur laquelle on va
plus ou moins se positionner et il y en a certains, se positionner au barreau
numéro 2 c'est énorme et ils ont l'impression d'être dans
une grande participation. Et d'autres vont être presque jusqu'au sommet
de l'échelle. Et pour moi ce qui bloque c'est des personnes qui [...]
vont se dire : ce n'est pas ce que je projetais, ce n'est pas ce que je pensais
en terme de contenu, ... çà peut venir bousculer des principes
qu'on avait qui sont très forts et très ancrés. Donc c'est
aussi là, ce sont des points de ruptures entre : j'ai envie d'ouvrir,
j'ai envie de partager et en même temps j'ai bien envie de partager ce
qui va se passer. C'est çà l'enjeu c'est jusqu'où on a
envie d'être. [...] Donc voilà il faut accepter les prises de
positions qui vont être prises. Après il y a différents
niveaux.
Marguerite : Où selon vous s'arrête le partage de
la gouvernance ? Quelles sont les limites possibles ?
Camille Monmège-Geneste : Alors c'est impossible de
répondre parce que çà dépend du cadre et dans quel
contexte se déroule le projet. Il y a des situations où tout peut
se partager dès le début et jusqu'à même
l'évaluation, jusqu'à la communication, le montage du projet, ...
Après çà met beaucoup plus de temps. Mais cela
dépend tellement du contexte. C'est hyper dur de
135
répondre à cette question. [...] Je ne peux pas
répondre en étant hors cadre car c'est pas comme s'il n'y avait
qu'une seule et même méthode. [...] En soi on peut tout partager
si c'est une règle qu'on s'est mis dès le début. Bien
sûr si c'est une municipalité, il y a quand même un maire
derrière. Après si c'est un collectif que l'on a
créé exprès pour ça, que les statuts ont
été créés dans ce sens-là. [...] Un cadre
différent par exemple, lorsque je travaillais au TnBA, il y avait aussi
mon cahier des charges et çà par exemple je ne peux pas non plus
faire comme s'il n'existait pas. Donc à chaque fois, il y a des
référentiels dans lesquels on doit s'ancrer. Par exemple un
budget qui est alloué à çà on ne peut pas non plus
aller à contre sens. Les limites se créent en fonction de cela.
Après c'est plus une question de règle de départ.
136
ANNEXE 7 : Entretien avec Catherine Le Moullec
Date : le 4 mars 2021.
Présentation : Catherine Le Moullec figure parmi
les membres fondateurs de l'association Comète. Il s'agit d'une
structure juridique portant diverses rencontres scolaires dont Les
printemps théâtraux en Loire-Atlantique.
Marguerite Corrieu : « Pouvez-vous me présenter un
peu plus l'association ?
Catherine Le Moullec: Alors l'association
Comète, c'est une association qui a plus de trente ans
maintenant, qui est née en même temps que les autres associations
départementales des Pays de la Loire. Avant cela il y avait les premiers
printemps théâtraux qui avaient été initiés
par un ancien inspecteur général de l'éducation nationale,
Michel Pasotti. Ils se passaient en Vendée et comme il y avait de plus
en plus de participants, il y a eu l'initiative de créer une association
pour chaque département. Donc l'association Comète a
été créée pour la Loire-Atlantique. C'est une
association qui regroupe des enseignants, des artistes qui sont engagés
dans des projets d'éducation artistique et culturelle et il y a aussi
des parents d'élèves qui peuvent faire partie de l'association et
même du bureau de l'association. Alors elle se donne pour but de
développer et de valoriser les projets partenariaux artistes-enseignants
ou éducation nationale autour du théâtre. [...] Donc
valoriser ces projets c'est développer plusieurs types d'actions. En
premier des actions d'informations. On essaie d'être un relais
d'information entre les différentes institutions [...]. Deuxième
forme pour privilégier le partenariat, nous mettons en place des actions
de formations avec des professeurs et des artistes qui sont
intéressés par le travail théâtral en lien avec les
scolaires. Et autre action qui nous mobilise beaucoup c'est donc les actions de
rencontres théâtrales scolaires. Donc dans ces rencontres, on
rencontre des lycéens, des collégiens. Nous on est pas
organisateurs de rencontres théâtres en primaire [...].
L'essentiel de notre public ce sont les établissements scolaires.
[...]
Marguerite Corrieu : Etant donné que la première
association de ce type était Vents et Marées, quand
est-ce que les autres associations sont nées ? Y a-t-il des aspects qui
ont été renforcés ou alors qui ont disparus par rapport au
modèle proposé par Vents et Marées.
Catherine Le Moullec : On est parti sur le même
schéma dans l'organisation des rencontres. [...] Avec l'idée de
la pratique commune, des temps d'ateliers où l'on mélange les
différents groupe, des temps de formations pour les enseignants, des
temps de rencontres, des temps d'école du
spectacle321 donc de retours sur le spectacle [...]. Mais
chaque association on le voit bien, a développé des
manières de faire différentes. Nous par exemple avec Vents et
Marées on est assez proches. Cà veut dire qu'on continue
à faire des rencontres hébergées par exemple. Nos
rencontres à Guérande de trois jours sont avec hébergement
alors qu'il y a des associations où ils ne font plus du tout cela. Mais
on a développé des rencontres d'une journée aussi car
c'était une demande des enseignants. Il y a des enseignants qui ont des
groupes d'élèves jeunes,
321 Débat et analyse collective des spectacles vus en
groupe.
137
en sixième par exemple et ils aiment bien parfois que
cette rencontre se déroule sur une journée. Un de nos principes
c'est le partenariat avec des professionnels donc des comédiens qui
interviennent pour animer des ateliers de jeux mais aussi un spectacle
professionnel qui est proposé en fin de journée pour que les
élèves voient aussi des spectacles professionnels. [...] Nous,
cela nous semble toujours important qu'il y ait un temps collectif où
l'on voit ensemble un spectacle suivi d'un bord plateau322. Mais on
a développé des choses diverses. Dans le cadre du Printemps
Théâtral des Lycéens on a développé ce qu'on
appelle un coup de coeur, donc un travail autour de la littérature
dramatique contemporaine. Et puis au niveau des collèges on a
développé autre chose autour du 1er juin des
écritures théâtrales323 donc on fait aussi
un travail avec les auteurs. On développe aussi ce travail qui va dans
le sens du mouvement national en faveur des écritures nationales
contemporaines. On a donc développé les printemps à
Guérande, et ensuite comme on avait plus de demandes on a
développé des printemps théâtraux en lien avec le
Grand T, la structure avec laquelle Comète a pas mal
de liens. Donc on a deux journées de rencontres, et puis on avait aussi
développé une journée de rencontre à Orvault avec
La Gobinière. Cà aussi c'est spécifique à
la Loire-Atlantique car la demande est assez importante. Il y a pas mal
d'établissements scolaires, le département insiste aussi pas mal
à mener des projets d'éducation artistique et culturelle, ce qui
fait qu'on a aussi des groupes qui ont pu participer à des projets avec
Grandir avec la culture et qui viennent participer aux rencontres
à la fin de l'année. [...] Nous on continue les printemps
hébergés parce que c'est aussi une expérience de vie pour
les élèves. Les collégiens en particulier. Moi, j'ai
souvent amené des groupes de collégiens. Pour certains
c'était la première fois qu'ils vivaient une expérience
aussi loin de chez eux en fait. Il y en a qui n'étaient jamais partis
trois jours comme ça. Et puis une expérience de vie collective
avec une certaine liberté vu qu'ils doivent aller d'un lieu à
l'autre : le lieu de l'atelier à la cantine, à Athanor
à pied entre eux, ... Ils s'organisent. Alors ils grandissent et
ils apprennent beaucoup. Les collégiens qui vivent ces printemps
grandissent parce qu'ils font du théâtre, parce qu'ils en voient,
et parce qu'ils ont plus d'autonomie. [...]
Marguerite Corrieu : J'aurais voulu savoir quels
étaient les enjeux selon vous du théâtre pour adolescents
en milieu scolaire ?
Catherine Le Moullec : De façon très
personnelle, c'est un grand moyen d'épanouissement pour eux. [...] Cela
permet aussi de tisser du lien entre adultes et adolescents. Quand on va jouer,
on a la trouille comme eux, on est investi comme eux...Et donc çà
ils le sentent bien. Ils sentent aussi que c'est important pour nous. [...]
C'est un endroit où il y a un rapport adulte-ados qui n'est pas
codifié et qui fait qu'il y a aussi un rapport de confiance. [...] C'est
un gros apprentissage de la solidarité aussi. Il y en a qui vont
s'investir beaucoup au début et quand ils voient qu'il y a beaucoup de
travail, ils lâchent un peu. Et quand un d'entre eux dit : « je ne
viendrai pas à la répétition parce que je vais faire autre
chose », ce n'est pas l'adulte qui intervient, c'est les autres du groupe
qui disent : « mais tu ne peux pas nous laisser tomber, il
322 Rencontre et échange avec les artistes à la
suite d'une représentation.
323 Manifestation autour des écritures dramatiques enfance
et jeunesse mise en place par Scènes d'enfance-ASSITEJ France.
138
faut que tu sois là, on a besoin de toi. » Donc
au-delà du théâtre je trouve que çà apprend
aussi des valeurs. [...]
Marguerite Corrieu : Avez-vous déjà eu le
sentiment que ce public pouvait être oublié de ce secteur ? Soit
dans les présentations soit les actions de médiation
proposées ?
Catherine Le Moullec : Alors moi je ne le pense pas.
Peut-être qu'à un moment oui, la création jeune public
ciblait plus les plus jeunes mais çà n'est plus vrai aujourd'hui.
Il y a beaucoup de spectacles et d'auteurs qui s'adressent aux
collégiens, ou même des dispositifs. Après c'est vrai que
moi je vis dans un département où il y a Collège au
théâtre324, etc, ... Donc moi j'ai passé ma
vie à développer des projets pour les collégiens. J'aurais
du mal à dire que c'est un public oublié. Mais c'est une
expérience spécifique parce que je sais qu'avec les
médiatrices du Grand T, on a été amené
à aller dans d'autres départements, d'autres régions, et
c'est vrai que nous sommes assez privilégiés là-dessus.
[...] On a cherché comment les enseignants pouvaient aussi être
acteurs du projet et pas seulement consommateurs. Et en çà on a
toujours eu l'écoute plus qu'attentive du conseil départemental
qui était très engagé dans toutes ces actions. [...] Mais
à un moment on trouvait que c'était plus compliqué de
trouver des spectacles pour les collégiens. Il y avait un circuit jeune
public, les lycéens allaient voir les spectacles tout public et les
collégiens c'est venu ces dix dernières années je dirais.
[...]
Marguerite Corrieu : Je me permets de rebondir car vous disiez
qu'avec Comète vous vouliez que ces adolescents ne soient pas
consommateurs mais bien acteurs : c'est quelque chose qui m'intéresse
réellement par rapport à mon sujet. J'aurais aimé savoir
s'il y avait des outils que vous mettiez spécifiquement en place pour
que ces adolescents deviennent acteurs de ces rencontres.
Catherine Le Moullec : Des outils non. Il y a des temps
spécifiques comme celui de l'école du spectateur. Donc
çà c'est des temps en pratique, donc comme ils sont en pratique
on essaie de les mettre le plus possible en groupe pour créer quelque
chose par exemple tout seul pour rendre compte de la journée ou rendre
compte du spectacle [...]. Ils sont habitués à ce genre de
pratique en ateliers. Parfois dans les printemps des lycéens, c'est les
lycéens qui viennent nous demander : on aimerait faire çà
entre deux spectacles. Donc oui quand on voit qu'ils sont à l'initiative
de quelque chose on se dit super. Après il y a l'idée de
valoriser la prise de parole, donc comme ce que je disais, les petits papiers,
donc pareil à la sortie d'un spectacle ils écrivent un message
à l'équipe qui a joué. [...]
Marguerite Corrieu : Est-ce que çà pourrait
être envisageable que les adolescents interviennent avant Le
Printemps pour aider dans la préparation, soumettre leurs
idées, ...
Catherine Le Moullec : Cela, nous, on ne l'a pas fait. Pour
les temps des collégiens c'est plus compliqué. Pour les
lycéens par exemple, le temps de rencontre avec l'auteur, on confie
çà a un
324 Dispositif permettant à des
collégiens d'assister à des représentations et des actions
de médiation.
139
groupe. Donc avec leur prof ils se débrouillent. En
général, les lycéens sont assez autonomes. Les
collégiens c'est un peu plus difficile mais on essaie. [...]
Marguerite Corrieu : Donc selon vous, les limites de ces
enjeux résideraient dans ces questions de temps et de plannings qu'il
faut anticiper ?
Catherine Le Moullec : Oui, c'est ça. Il y a des
contraintes dont il faut tenir compte. On sait qu'il y a des temps qui sont
plus flexibles comme les temps entre les spectacles. Donc là on propose
des temps de paroles, on propose parfois des temps créatifs, ... Mais
par exemple dans l'association il n'y a pas de représentant des
élèves. Peut-être que çà pourrait s'envisager
mais çà serait plus compliqué. [...]
Marguerite Corrieu : J'ai encore quelques questions qui sont
plus tournées vers la place du département et sur le plan
Grandir avec la culture. J'aurais voulu savoir s'il y avait des
demandes particulières du département concernant le partage de la
gouvernance avec les élèves.
Catherine Le Moullec : Non il n'y a pas de demande, il y a une
grande confiance. Une grande confiance parce qu'on se voit souvent, les
médiateurs, les personnes responsables du secteur culturel, des projets
EAC, du département, ... On se connait très bien donc ils
viennent voir ce qui se passe, ils soutiennent. On travaille dans le même
sens.
Marguerite Corrieu: J'ai l'impression que la co-construction
est vraiment essentielle dans ce dispositif.
Catherine Le Moullec : Oui tout à fait. On voit par
exemple que pour cette année on est confronté à plein de
problèmes. [...] On se retrouve très souvent ensemble. Même
pour le choix des spectacles.
Marguerite Corrieu : Sentez-vous que le plan Grandir avec
la culture vous apporte quelque chose en plus par rapport à
d'autres Printemps théâtraux ?
Catherine Le Moullec : Ce qu'on sait c'est que
çà a développé la pratique théâtrale
dans le département : la possibilité de voir des spectacles, de
se former pour les enseignants. [...] J'ai vu pleins de profs arriver sans
réellement avoir l'idée de faire du théâtre avec des
élèves et qui montaient après des projets. »
140
ANNEXE 8 : Entretien avec Edith Coutant
Date : 19 avril 2021
Présentation : Edith Coutant est chargée
de l'éducation artistique et culturelle et du plan Grandir avec la
culture en Loire-Atlantique.
Edith Coutant : « Je vais vous présenter le plan
Grandir avec la culture. Donc c'est un plan départemental,
là on est dans le 4ème plan Grandir avec la
Culture, qui porte une politique d'éducation artistique et
culturelle qui est structurée depuis 2006. Donc aujourd'hui c'est le
4ème plan 2018-2022. C'est un plan partenarial qui est
contractualisé, [...] partagé avec des grandes têtes de
réseaux [...]. On favorise l'accès à l'éducation
artistique et culturelle à tous les collégiens,
collégiennes de Loire-Atlantique. Et puis tous les publics adolescents
[...] C'est une offre gratuite, on les accompagne dans cet accès
à la culture. [...] On s'appuie également sur un partenaire que
vous connaissez, le Grand T, partenaire privilégié du
département qui doit être financé à 95 ou à
97% par le département. Il propose de l'EAC pour les lycéens et
les collégiens et puis on travaille aussi très fortement avec
l'autre satellite départemental Musique et Danse en Loire
Atlantique325. [...] En Loire-Atlantique c'est assez
structuré. Notre offre on l'a structurée en
référence à ce que peut dire la charte : Voir, rencontrer
des oeuvres et des artistes, pratiquer... Et nous nos propositions d'EAC on va
les qualifier en niveaux 1, 2 ou 3. On a un niveau qui est un niveau
d'initiation qui s'appelle la sensibilisation. On a un niveau 2 qui s'appelle
la pratique accompagnée et enfin on a un niveau 3 qui s'approche d'une
mini résidence. [...] On a quelques critères d'analyses des
projets. [...] On souhaite que ces actions se déroulent durant des temps
scolaires avec les classes entières, donc des élèves pas
volontaires. [...] Et puis on ne peut pas être spécialiste en
tout, moi je suis une spécialiste de l'éducation et des
adolescents comme j'ai pu vous le dire. En revanche, je ne suis pas une
spécialiste de toutes les esthétiques, [...] et donc pour
expertiser toutes les thématiques esthétique par
esthétique, je m'appuie sur un corps d'experts. Pour le
théâtre, je m'appuie sur le regard de Manon Albert326.
[...] Moi je suis chargée d'un dispositif transversal : l'EAC. [...]
Grandir avec la culture c'est vraiment un dispositif qui est
très connu et qui irrigue tous les collèges de Loire-Atlantique.
[...] Aujourd'hui on est dans un plan 2018-2022 et notre collectivité se
questionne, tout comme vous, sur la participation citoyenne et comment
l'adolescent, les collégiens, les collégiennes pourraient mieux
participer à nos dispositifs EAC. Cette question, elle a
été posée par Perrine Chatelet. [...] On essaie d'aller
vers ces formats-là mais la contrainte de nos critères c'est :
durant le temps scolaire et tout le groupe classe. Cela peut être un
frein à la participation. Aujourd'hui c'est un prof qui choisit
d'inscrire son groupe à un projet, de faire intervenir un artiste pour
que çà résonne avec sa pédagogie. Donc aujourd'hui
les élèves ne choisissent pas l'EAC car l'EAC comme on le porte
nous aujourd'hui, il doit être en résonnance avec les programmes
de l'éducation nationale. [...] On est là parce que
çà résonne, çà fait acquérir des
compétences. Donc c'est çà qui est compliqué entre
participer, choisir, consommer et puis suivre les programmes
pédagogiques pour aller plus loin.
325 Agence ayant pour mission de rendre accessible la musique et
la danse en Loire-Atlantique.
326 Responsable de la médiation au Grand T, secteur
éducation artistique et culturelle.
141
Ceci dit, on y réfléchit et on a aussi des
offres qui permettent d'aller plus loin. [...] Donc aujourd'hui sur la
participation, moi j'ai eu une demande institutionnelle pour savoir comment on
pouvait favoriser la participation des élèves et autour de l'EAC.
Aujourd'hui on a plusieurs pistes et on verra comment on pourra les traduire de
manière plus concrète dans nos projets. Le département il
construit des collèges et il les rénove et à chaque fois
il y a un pourcentage artistique qui est versé et qui est un pourcentage
du coût de construction donc dans les collèges, il y a des oeuvres
qui sont créées. [...] Il faut qu'on travaille à quels
stades les ados sont associés : à un stage d'information, de
consultation, de décision, ... C'est important de pas se leurrer et de
s'embarquer dans un faux participatif des élèves. [...] En tout
cas on l'a pas encore construit mais on cherche. [...] J'ai une autre vignette
sur laquelle on va solliciter la participation des élèves. Notre
plan il va se terminer et ma directrice m'a demandé de voir comment dans
l'évaluation du plan ou dans la mise en place de nouvelles actions, on
pouvait aller sur la mise en oeuvre de quelque chose de plus participatif. Donc
on a deux pistes pour le moment on va voir si on arrivera à les mettre
en oeuvre l'année prochaine. [...] On voudrait aussi mettre en place des
projets en dehors des groupes classe qui ne seraient pas pilotés par les
enseignants habituels qui pourraient être l'infirmière, le CPE,
...
142
ANNEXE 9 : Entretien avec Carmen Camboulas
Date : 28 juin 2021
Présentation : Carmen Camboulas fut l'animatrice de
Jeunes en ville entre février 2020 à mai
2021.
Carmen Camboulas : « Par rapport à JEV, moi
j'étais assez emballée au départ par rapport à
l'enjeu de développement du pouvoir d'agir des jeunes et leur
inscription sur leur territoire parce que je trouvais que çà
réunissait des choses qui me semblait pertinentes : que JEV soit mobile,
qu'il y ait différents formats d'engagement qui puissent correspondre
à différents profils de jeunes et aussi que l'engagement soit
souple et libre. Ces trois critères font pour moi que JEV est pertinent
par rapport aux jeunes. J'ai le sentiment que c'est quelque chose qui est
concluant dans le fait que les jeunes qui s'engagent y trouvent un
intérêt c'est-à-dire rencontrent d'autres jeunes qu'ils
n'auraient pas forcément rencontrés ailleurs,
s'intéressent à des sujets auxquels ils ne se seraient pas
intéressés par eux-mêmes, ... Je trouve que
çà permet une ouverture assez chouette que je ne retrouve pas
forcément dans d'autres dispositifs. Après je trouve qu'il y a
quand même des écueils dans ce que je viens de te nommer comme
choses positives : le fait que ce soit une personne en total autonomie, le fait
que les jeunes soit librement engagés fait que tu ne sais pas
forcément avec qui tu vas travailler sur le moyen et le long terme, et
aussi les moyens qui sont mis en terme d'information de l'existence de
Jeunes en ville [...]. Il y a peu de moyens qui sont mis pour que le
dispositif soit connu et ce libre engagement fait que d'un côté
les jeunes mènent des actions mais d'un autre que des fois dans le
temps, elles ne sont pas forcément tenues par les jeunes et
çà fait que c'est compliqué de pouvoir porter des projets
d'une certaine ampleur qui demanderaient un engagement dans la durée qui
ne correspond pas forcément à la temporalité et la
disponibilité des jeunes qui peuvent vite évoluer. Je ne pense
pas que c'est une question de volonté et d'engagement mais vraiment une
question de calendrier. [...] Ce qui fait que les partenariats sur le long
court ne sont pas forcément facile à tenir. Il y a une autre
chose pour moi, c'est que le lien aux politiques publiques. Je pense que des
fois c'est un peu déconnecté [...] alors que c'est l'un des
enjeux de Jeunes en ville aussi. [...]
Marguerite Corrieu : Je voulais revenir sur le partenariat
avec Bain Public et les jalons qui furent posés [...].
Carmen Camboulas : [...] Et donc on est venu avec Anne
à quel pouvait être le lien entre Bain Public et JEV et petit
à petit on s'est dit que les jeunes pourraient visiter la structure
avant l'ouverture, discuter avec l'équipe, les artistes, ... [...] Il y
avait une volonté de travailler ensemble et que les jeunes puissent
avoir une place de choix dans ce lieu.
Marguerite Corrieu : Quelles différences avec le
partenariat à la Médiathèque ?
Carmen Camboulas : Moi ce que je pense c'est qu'on
était très vite dans le concret. Là à Bain
Public, aussi de l'ouverture du lieu et de la disponibilité de
l'équipe, çà s'est étendu dans le temps je pense
qu'on a perdu des jeunes. Dans le sens où en interne, Anne et moi, la
place des jeunes n'était pas suffisamment claire. Plus la crise
sanitaire, plus mon départ, ... [...]
143
Marguerite Corrieu : Quelles sont pour toi les limites de JEV
?
Carmen Camboulas : JEV c'est vraiment un terrain
d'expérimentation. Moi ce que j'en retiens c'est que je pense que pour
un conseil jeunesse qui n'est pas un conseil municipal. Si on veut vraiment
pouvoir recueillir la parole des jeunes, les moyens tant financiers qu'humains
ne permettent pas de développer JEV. [...] Pour le professionnel il y a
quelque chose qui est assez difficile à coupler par l'isolement du
poste, ... [...]. Et puis ensuite il faut que les jeunes soient acteurs du
projet et en même temps c'est un libre engagement. Donc parfois ils ne
sont plus là pour le poursuivre. Est-ce qu'on l'abandonne ? Est-ce que
c'est l'animatrice qui poursuit ? Même si je ne leur remets pas dessus
car çà permet d'ouvrir au plus de jeunes possible. [...]
»
144
ANNEXE 10 : Entretien avec Nathalie Jan
Date : 6 juillet 2021.
Présentation : Nathalie Jan est la responsable
de la mission jeunesse de la ville de Saint Nazaire.
Nathalie Jan : « Moi je suis responsable des politiques
jeunesse dans la ville de Saint-Nazaire. Donc çà recouvre les
12-25 ans. On est une mission et non un service car on souhaitait travailler
dans la transversalité. Parce que pour nous la jeunesse elle se trouve
aussi bien dans la thématique sportive, culturelle,
événementielle, etc. Donc c'est très atypique à la
ville de ne pas être un service même si j'ai la
responsabilité de la mission et qu'on est une petite équipe. On
est 10. Mais la particularité pour travailler cette
transversalité, c'est qu'on fasse affaire à des partenaires avec
lesquels on conventionne. Moi je pars du principe qu'il faut croiser les
regards. Et c'est aussi avec les partenaires. C'est notre postulat de
départ. [...] Après la genèse de JEV çà
s'est passé en deux temps. En 2011, il n'y avait pas de mission jeunesse
à la ville. Il y avait Prévention de la
délinquance. Cà me faisait un peu de peine que la jeunesse
passe par là. Avant de créer la mission jeunesse, nous avons
interviewé 500 jeunes pour voir ce qu'ils attendaient d'une politique
jeunesse. [...] En 2014 on a voulu aller plus loin et il y a eu une
volonté politique pour que la priorité soit jeunesse de 2014
à 2020. [...] On a travaillé sur la conception de JEV, conseil
nazairien de la jeunesse, qu'on a défendu auprès des élus,
c'est-à-dire que çà ne soit pas un conseil municipal, que
ce soit une libre adhésion, que ce soit un investissement à la
hauteur de ce que les jeunes souhaitent, qu'ils aient des cartes blanches,
qu'il y ait une itinérance, qu'ils puissent s'approprier des lieux et
aussi qu'il y ait un fort levier culturel. C'était ce que voulaient les
jeunes. Et donc cinq ans plus tard, on a pas dévié. Et les
jeunes, ils ne représentent personne sauf eux-mêmes. Enfin tout
cela c'était très important et pour nous et pour eux. [...]
L'idée c'est toujours de créer des opportunités et
après c'est eux qui s'en emparent ou pas.
Marguerite Corrieu: Je voulais revenir sur les cartes
blanches. Carmen me disait qu'il y en avait eu une l'année
dernière à la Médiathèque. Les jeunes
étaient plusieurs fois dans l'année à la
médiathèque dans la perspective de mettre en place une carte
blanche à la fin. Normalement, il y avait aussi cette idée de
carte blanche à Bain public, que cette année Bain public soit
aussi le lieu de référence pour JEV.
Nathalie Jan : Peut-être que je me trompe, c'est un
positionnement personnel, je pense qu'il y a une confusion. Nous c'est pas
forcément un lieu qu'on recherche, c'est la rencontre. Et là je
pense qu'il y a eu une ambiguïté. Parce qu'à la
médiathèque, c'est pas le lieu, c'est la rencontre d'un artiste,
d'une action, avec une équipe ... [...] Nous l'idée c'est pas de
se mettre dans un lieu, çà n'a aucun sens pour moi. [...]
Marguerite Corrieu : Parce que de mon côté
j'avais cru comprendre que Bain Public deviendrait le lieu de résidence
pour JEV durant une année.
Nathalie Jan : Mais çà c'était l'envie de
Carmen. C'est pas la commande. L'idée pour moi ce n'est pas d'avoir un
lieu car un lieu çà serait un parti-pris. Et c'est pas l'objet.
L'objet c'est
145
vraiment l'itinérance. [...] Parce que la
résidence c'était pour elle, c'était son point de vue
professionnel. Et pas le point de vue des jeunes. Et le COVID a fait que
c'était très compliqué de faire de l'itinérance. Il
a fallu qu'elle rebondisse. Mais c'était l'idée de la
professionnelle et pas l'idée des jeunes. C'est un dispositif
très difficile. C'est comme à La Source, on est pas des
animateurs, on est des facilitateurs donc il faut toujours travailler les
équilibres pour ne pas projeter sur les jeunes ce qu'on voudrait que ce
soit. Et là je pense qu'à un moment çà s'est fait
comme ça. Et donc moi à un moment j'ai dit non. Moi je suis
garante du projet. Dès que l'adulte projette c'est mort. Il faut que les
jeunes fassent ce qu'ils ont envie de faire, pas les envies de la
professionnelle. [...] La politique jeunesse c'est toujours un peu complexe
parce que ce n'est pas une politique obligatoire. Une politique obligatoire
à la ville c'est enfance. [...] La compétence jeunesse c'est une
politique publique volontariste. On a la chance que le maire et les élus
soient volontaristes sur les questions de jeunesse. [...] »
146
ANNEXE 11 : Bilan de la première année de
partenariat avec JEV
Déroulement :
- Choix avec image du dixit - Choix de la question
Liste des questions :
· Comment les structures culturelles peuvent-elles prendre
en compte la parole des jeunes ?
· Pourquoi partager l'art ?
· L'artistique peut-il apporter des réponses
à mes questions ?
· Pourquoi mon récit et mon avis est-il important
?
· Avez-vous des envies ?
· Bain Public, vous faites quoi ?
· Bain public et jeunes en ville, Et après ?
· Qu'est-ce qui nous réunit ?
· L'imaginaire est-il un savoir ?
· L'artiste est-il un être inaccessible ?
· Pourquoi l'art parait-il élitiste ?
· Être ambassadeur pour un artiste, oui mais pourquoi
?
· Faire une place aux jeunes au sein des structures
culturelles, est-ce mettre de côté les autres publics ?
· L'artistique peut-il aujourd'hui être
déconnecté de notre réalité sociale ?
· Les rencontres avec les citoyens sont-elles
nécessaires lors de la création d'une oeuvre ?
· Participer, oui mais pourquoi ?
UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE L'OUEST |Angers
|
3 place André Leroy |BP 10808- 49008 Angers cedex 01
|
Résumé et mots clés
Résumé:
Ce travail s'articule autour de la problématique
suivante : comment les différents médiateurs et les
professionnels du spectacle vivant, et plus particulièrement du
théâtre, peuvent-ils s'emparer des enjeux du partage de la
gouvernance et de la démocratie participative pour imaginer et
coconstruire des actions pour et avec des adolescents ?
En ce sens, il identifie les spécificités
liées à ces publics : historique du terme « adolescence
», besoins de cette tranche d'âge, ... Par la suite, la
problématique est analysée par le prisme de quatre projets
participatifs préalablement sélectionnés. Ce travail
revient, pour finir, sur différents aspects de mon expérience de
stage au sein de Bain Public, une structure d'expérimentations
artistiques et citoyennes à Saint-Nazaire.
Une des spécificités de ce mémoire est sa
volonté de développer une réflexion autour de la
co-construction des projets. Les différents corps de métiers
(professionnels du spectacle vivant, animateurs, professeurs,
éducateurs, ...) auraient des fonctions complémentaires et donc
un intérêt à travailler ensemble.
Mots clefs : publics adolescents - médiateurs -
théâtre - partage de gouvernance - démocratie participative
- projets participatifs - co-construction - Collectif Lacavale - Printemps
théâtraux - Ce soir je sors mon prof - CDN Le Préau- Bain
Public.
Abstract:
This work is organized around the following issue: how the
various mediators and performing arts professionals, and specially the theatre
professionals, can they take up the challenges of governance sharing and the
participatory democracy to imagine and co-construct actions for and with the
teenagers?
In that way, it identifies the specificities linked to these
audiences: history of the term «teenager», needs of this age group,
... Thereafter, the issue is analyzed through the prism of four participatory
projects previously selected. At the end, this work come back on various
aspects of my internship experience within Bain Public, a structure
for artistic and citizen experiments in Saint-Nazaire.
One of the particularity of this dissertation is its desire to
develop a reflection around the co-construction of projects. The different
trades (performing arts professionals, animators, teachers, educators, ...)
would have complementary functions and therefore an interest in working
together.
Key words: Publics teens- mediators- theater - governance
sharing- participative democracy-participatory projects- co-construction
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