République Algérienne
Démocratique et Populaire
MINISTÈRE DE
L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
ET DE LA RECHERCHE
SCIENTIFIQUE
Université Mouloud Mammeri de
Tizi-Ouzou
Faculté des Lettres et des Langues
Département de Français
N° d'Ordre : ............... Domaine : Lettres et
langues.
N° de série : ...............
Filière : Langue française.
MÉMOIRE DE MASTER
- en lettres -
Spécialité :
Littérature et Civilisation.
Option : Langue
et cultures francophones.
Présenté par :
Amar MAHMOUDI
Sous la direction de :
M. Hakim MAHMOUDI
Sujet
Le malaise identitaire et sa quête dans L'enfant
des deux mondes de Karima Berger : Vers une représentation
romanesque de l'hybride.
Devant le jury composé de :
Mme. Fatima-Malika Boukhelou ; Pr. ;
U/Tizi-Ouzou Présidente.
M. Hakim Mahmoudi ; M.C.A ;
U/Tizi-Ouzou Rapporteur.
M. Mehdi Hamdi ;
M.C.B ; U/Tizi-Ouzou Examinateur.
Octobre 2021.REMERCIEMENTS
Ce travail de réflexion est le fruit d'une
recherche entamée depuis mars 2020, alors qu'on était en
période de confinement. Elle n'a pu être réalisée
qu'une fois le relâchement des mesures de sécurité
approuvé, soit une année plus tard, [en mars 2021], pour aboutir
à la forme présente. Nous avons donc accumulé un fonds
documentaire suffisamment important, que nous avons exploité par la
suite au cours de ces deux dernières étapes : prospection et
intégration. Les deux requièrent un maximum de temps et
d'engagements.
- Mes premiers remerciements vont donc à mon directeur
de recherche, M. Hakim Mahmoudi, pour l'ensemble de ses efforts investis en la
matière, à l'exemple de ses précieuses recommandations et
de ses notables conseils. Comme je lui sais également gré de
m'avoir conféré une certaine marge d'autonomie vis-à-vis
de ce travail.
- Un grand Merci à Émilie Pézard, notre
inspiratrice.
- À Fatima-Malika Boukhelou, professeure
émérite à l'université de Tizi-Ouzou.
- À MM. mes enseignants, qu'ils trouvent ici
l'expression de ma parfaite gratitude. Je pense plus particulièrement
à M. Hamdi, A. Khati, B. Oumeddah (ex-chef de département), qui
font la richesse et la fierté de notre département. Enfin
à ces enseignants qui, à l'instar de bien d'autres, ont
été d'une aide remarquable.
- À Monsieur R. Elhocine, l'actuel chef de
département, de nous avoir accrédité d'une plateforme
d'étude richement garnie en ouvrages, documents et manuels techniques.
- À mon ami T. Ibelaidene, pour avoir eu la
bienveillante idée de mettre à ma disposition une partie de sa
bibliothèque numérique.
- À mes parents, pour leur soutient de toujours et leur
aide financière.
- À mes soeurs, support moral et lien
indéfectible.
- À mes amis Y. Boucelkha et S. Seddiki, qui sont une
véritable source d'inspiration, tant pour leur amour des mots que pour
nos débats philosophiques.
- À mes camarades, pour leur assistance chaleureuse et
aimable.
- Enfin, il y a lieu de remercier tous ceux qui ont
contribué, d'une manière ou d'une autre, à la
réalisation de ce modeste travail.
À Khalida,
l'éternelle absence.
DÉDICACE
À tous les bi-ballad du monde qui, en
étant doublement penchés sur leur sort, trouvent écho dans
le goulet terrestre et le vacarme résiliant de l'astre boréal.
EXERGUE
C'était présent en moi depuis longtemps. Je
tournais autour... je crois que je peux dire que ces dernières
années m'ont poussée... Pas dans le sens d'un témoignage
sur l'actualité. Non. Mais j'ai eu envie de dire ce que j'avais à
dire pour qu'on le lise comme un des éléments de ce qui se passe,
comme une part de l'histoire inconsciente de ce pays. Jai hésité
entre un essai ou une fiction car je souhaitais faire un essai sur le dualisme,
sur l'identité. Mais j'avais abandonné la recherche universitaire
depuis de nombreuses années et un tel essai aurait
nécessité des lectures, tout un travail de synthèse. Jai
donc opté pour la fiction. Et c'est cette écriture qui est
venue...
Karima Berger, juin 1998.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
« Se situer au seuil, à la frontière
d'une culture, d'une identité, d'un pays, voilà le destin du
narrateur colonisé, de l'écrivain [...] de langue
française à qui le contexte colonial a fait croire qu'il avait
deux patries et qui prend maintenant conscience qu'il n'en a
aucune. »
Ching Selao
Aborder de nos jours avec quelque aspect de recul la
problématique en cours des identités au Maghreb et, plus
précisément en Algérie, relève du domaine du
circonspect. C'est pourquoi nous voulons définir d'emblée une
approche raisonnable située à mi-chemin de la vie sociale et
politique, de façon à concilier le fait littéraire avec
nombre de données historiques permanentes : de ce fait,
l'identité apparaît toujours en relation contigüe et/ou en
rupture avec une structure politique donnée. Cela est d'autant plus vrai
que la modernisation du pays devient à terme une entreprise instruite
sur les bords de la politique anticoloniale de l'Algérie
française (consécration des moyens politiques et accession au
rang de Nation)1(*), avec
l'émergence puis l'institution de courants de résistance
expressément dédiés à la lutte des peuples. Ainsi,
durant cette première phase de revendication,
« l'entrée en modernité se fera, comme dans toutes
les sociétés dominées, en réaction à la
colonisation, c'est-à-dire au déni des droits politiques des
Algériennes et des Algériens. »2(*).
Au-delà de la seconde phase des
indépendances, c'est toute une idéologie de réduction, de
par son profond remaniement de masse, qui est mise en place par le pouvoir
politique afin de se soustraire durablement à l'héritage
colonial, et de là à l'influence croissante de la culture
libérale, individualiste... que renferme une certaine tendance envers la
sécularisation des constantes morales et sociales : en effet,
l'évacuation des identités spirituelles en Occident a
généré, ipso facto, une forte mobilisation de la
classe intellectuelle en faveur du paradigme des appartenances nationales et de
l'individualisme « destructeur » (entendu par
là de l'éclatement de la cellule familiale en Occident et, somme
toute conséquente, de la désagrégation des structures
sociales au Maghreb), et signe de la même manière son
entrée à la modernité. C'est dans cette disposition
empreinte au capital spirituel symbolique que sont
récupérées, à fortiori, les principes d'un
nationalisme traditionnel en face de se substituer aux exigences du monde
pluriel. Ce projet de modernisation de la société coïncide
en Algérie avec l'affirmation de la crise culturelle et
économique3(*), dans
la mesure où il y a modernisation sans modernité : en somme,
« on veut bien [d]es effets de la mondialisation
matérielle mais pas de la modernité »4(*) culturelle à proprement
parler.
Il en est résulté, tout au long de ce
processus, un programme compact de vulgarisation hétéronomique
où le cumul de bon nombre de valeurs hétérogènes
débouche sur une sorte de continuum infernal et
palingénésique (ce que, à l'initiative de H. K. Bhabha,
nous appelons ici le Tiers-espace). Tout ceci crée,
vis-à-vis de la communauté nationale, un certain écart de
conduite, un mouvement de décentralisation allant jusqu'à la
rupture généalogique des traits communautaires établis. La
question généalogique et celle des évolutions occupent de
ce fait un espace relativement ambigu que le gouvernement s'efforce de
rationner non plus dans la logique dualisante de l'époque mais à
travers une démarche de revendication analogue à celle de
Bugeaud, où le seul rapport à la modernité emprunte
davantage à la « Renaissance
Identitaire 5(*)», c'est-à-dire à un retour
effréné aux mythes fondateurs de la nation musulmane
(l'Umma), ainsi qu'aux lois qui la fédèrent. De ce fait,
s'interroger sur l'identité en temps de « reconstruction»
nationale, revient à établir de manière permanente des
traits de culture suffisamment avancés/disproportionnés pour
être altérés, mais qui se répartissent toutefois
selon une vision tautologique et processionnelle de l'appartenance.
La littérature n'est pas en reste cependant.
Lorsqu'on s'intéresse aux liens existants entre identité et
littérature, il faut d'abord prendre en considération un certain
nombre de facteurs nous permettant de visualiser l'identité comme un
concept non plus statique que dynamique. « Il ne peut
s'agir, affirme Rinner, que d'une identité en
métamorphose, dynamique, en devenir, dont la fin serait non pas
d'atteindre une identification du Même mais plutôt, comme dirait
Gilles Deleuze, de « trouver la zone de voisinage,
d'indiscernabilité ou d'indifférenciation « que l'on peut
instaurer « avec n'importe quoi, à condition d'en créer les
moyens littéraires «. »6(*). À travers elle, ce n'est
donc pas tant le rôle du colonisateur français qui est mis en
exergue que la fâcheuse tendance des nationalistes à briguer des
manoeuvres en vue de communier leur idéologie restrictive.
En effet, une des spécificités de cette
littérature qui réinvestie cette dynamique du dédoublement
est la quête de la stabilité altérée ou du
« provisoire définitif ». Dans un cas comme
dans l'autre s'opère une rupture de filiation involontaire qui traduit
un certain écart, sinon une déviance dans leur cadre conceptuel
aux prises avec le paradigme de la modernité. À partir donc de
l'écriture dite « double » ou
« inachevée », il s'agira de voir au
préalable comment ces deux extrémités façonnent une
aire géographique mentale éventuellement conçue par le
sujet comme autant d'espaces indissociables de son champ d'appartenance
ambigu7(*), à
mi-chemin entre Tradition et Modernité. Ce qui s'apparente alors
à une formule rhizomatique de l'identité sert en fait à
introduire l'idée d'une discontinuité qui se situe hors de la
linéarité, dans les méandres de l'accomplissement
transversal de l'événement protéiforme8(*). Cette « vision du
monde », déjà introduite par Gilles Deleuze et
Félix Guattari en 1972, débouche sur un terrain neutre et
idéal tentant d'accréditer l'idée d'une appartenance
gouvernée non plus tant par un
« territoire-espace » que prônent les
nationalistes, mais par un « territoire-temps »,
entre autres événementiel. Ce cas d'espèce partant, l'on
voit s'établir la crise de la généalogie
géo-ethnique qui procède à la formation de
minorités modernes de subjectivation : ce principe des
appartenances, bien que longtemps clamé sous la bannière des
nationalismes, préfigure le dépérissement de
l'État-Nation et rompt la marque de son identité assignée
devant la montée des conjonctures historiques charriées par la
consécration du sujet à l'actualisation ou
« l'agencement » de ses repères. La
« carte » de ce nouvel ordre mondial fait que
« L'identité n'est plus que subsidiairement liée
à une terre, une langue ; elle est avant tout une
conscience9(*) » qui sert à l'émergence de
nouveaux espaces identitaires de plus en plus insistants ou, difficiles
à contenir selon une politique nationale unique et indivise.
L'écriture issue de cette dynamique ne fixe pas
les origines d'une quelconque filiation rivée sur l''univocité,
pour ainsi dire le « calque » substantiel convenu
dans le modèle de gouvernance ethno-religieux, mais puise en
elle-même la substance de sa créativité altruiste,
entraînant ainsi une ouverture sur le fameux « Third
space » de HOMI. K. Bhabha10(*). En d'autres termes, le recours assidu aux attributs
de la modernité, que préfigure le contact avec la culture de
l'Autre (notamment en matière d'écriture / la
« poétique de l'errance » selon Lise
Gauvin), signe l'avènement d'une littérature transnationale qui
tarde cependant à s'épanouir dans l'espace local suite au
centralisme de l'État et de ses structures auxiliaires, car portant
atteinte à la légitimité légitimante de la
Nation : nous avons affaire, d'une part, à l'exacerbation des
minorités locales en vue de se soustraire au jacobinisme de
l'État (qui plus est reproduit les mêmes schèmes
comportementaux de la tendance patriarcale), conscients mais aussi, et d'une
certaine façon, porteurs de l'ambivalence caractéristique de
leurs identités propres (y compris de celles de leurs leaders politiques
ou artistiques) ; d'autre part, à la position somme toute immuable
adoptée par les autorités publiques en vue de soumettre
l'activité citoyenne aux exigences nationales (que caractérise la
célébration ostentatoire des rites orthodoxes en Algérie
comme dans la plupart des pays du Maghreb).
Ce cas d'ambivalence admis, il est
préférable de parler en termes de
« dualisme » pour désigner l'état de
précarité culturelle dans lequel gis le sujet
« biculturel », notamment par rapport aux
exigences axiomatiques qui découlent des deux systèmes culturels
(traditionnel/moderne - oriental/occidental) en proie à leur
antagonisme11(*),
s'agissant de la présence simultanée de deux objets de nature
exclusive ou ne pouvant tout simplement pas figurer parallèlement dans
le même axe relationnel, appelant, par conséquent, à une
économie de transition. De là le rôle quasi intransigeant
que peut revêtir l'éducation (famille, société,
école ...) dans le poids de l'héritage culturel dont
bénéficie, généralement à son insu, tout
individu. Cependant, les deux axiomes formulés à la fois ne
peuvent que s'exclure mutuellement ou, chose plus rare, s'étendre sur
l'axe temporel, c'est-à-dire évolutif dans le cas de la
modernité. À contrario, l'on assiste, à
défaut d'un métissage culturel plus adapté, à
l'affirmation d'un syncrétisme rationnel noué autour de valeurs
séculaires et contradictoires, notamment en raison de l'accumulation de
facteurs socioculturels intrusifs de la structure culturelle endogène
(à l'instar de la civilisation occidentale qui n'en demeure pas la
seule)12(*). Ce cas
d'espèce partant, la mise en vigueur, au XIX éme siècle,
du principe des nationalismes a vraisemblablement tracé la voie de
libération pour certains peuples - principalement européens - et
pour d'autres, les ayant à tout le moins confinés dans une
posture sensible de l'histoire et des enjeux que porte en son sein la
modernité13(*). En
effet, la culture « ayant perdu de sa vitalité, les
valeurs qui la forment perdront proportionnellement de leur
particularité pour s'amalgamer au bout du compte en un ensemble culturel
original où se mêlent des modèles et symboles
antithétiques. »14(*).
Ces dispositions étant assimilées à
un plus haut point de la vie quotidienne au sein même de la colonie,
elles débouchent sur une vision erronée de ce qu'est
vraisemblablement une culture nationale. Celle-ci, devant à tout le
moins discréditer les thèses exorbitantes et assimilationnistes,
s'engouffre dans des perspectives anhistoriques reproduites sur les bases d'un
savoir monolithique, univoque et passéiste, fondamentaliste et
exclusivement nationaliste15(*). Or, l'usage limité et
indéterminé des attributs de la modernité (se rapportant
au seul aspect politique) en bute à ceux de la loi religieuse
préétablis, constituera, au lendemain de l'indépendance,
un syncrétisme culturel des plus virulents. On ne peut que constater
dès à présent l'échec des efforts
aménagés par les instances locales en vue de contenir
rigoureusement, par le biais de l'oppression tout au moins, les abus de la
modernité constatée. En ce sens, la production littéraire
de ces dernières décennies reflète véritablement la
charge de tous ces contresens survenus aux confluents des mondes traditionnel
et moderne. Cette thématique de l'anéantissement identitaire ou
de l'exil en soi permanent, quoique déjà largement
sillonnée, permet d'entrevoir la somme de ces identités
naissantes ou en métamorphose, à mi-chemin de
l'hégémonisme politique. Cet amas de dispositions
hétéroclites signe en l'occurrence l'entrée en vigueur de
la mondialisation telle qu'annoncée par la troisième
génération des écrivains algériens et renvoie
à la littérature de l'entre-deux identitaire.
De ce fait, comme toutes les littératures
africaines de la période postcoloniale, celle de la troisième
génération en Algérie inscrit son parcours dans une longue
tradition littéraire dite « de
désenchantement »16(*). On a affaire ici à une littérature
militante, d'engagement, en faveur d'une construction efficiente de la
modernité. L'échec de la pensée nationaliste au sein
même des discours politique et médiatique mobilise, à
contrario, les visées citoyennes du plus grand nombre de la
sphère intellectuelle. Cela étant, elle préside à
l'éveil puis à la formation d'une conscience nationale en
cédant plus de relief à la notion d'hybridité et aux
valeurs conséquentes de la modernisation, entraînant, de suite, un
passage vers le domaine de la transculturalité. « Mais le
déchirement entre orient et occident est très perceptible ;
les intellectuels sont réduits par les deux espaces civilisationnels
qu'ils transcrivent dans leurs textes. »17(*). C'est la mise en perspective
de la dualité de l'ambivalence culturelle contractée dans la
conjoncture historique de la colonisation à travers les
générations d'écrivains qui se sont
succédées au Maghreb, mais également à travers la
frange des bénéficiaires de la formation scolaire
française et de sa politique d'assimilation18(*). Entendons que, si
assimilation il y a, on parle aussi de résurgences dans les milieux de
la culture indigène, à défaut de les résorber in
extenso. De ce fait, « la problématique du
conflit tradition-modernité est déjà posée et qui
surgira très clairement durant le mouvement national et après
l'indépendance à travers le choix des modèles de
reconstruction. »19(*).
En effet, pour les écrivains de cette
« génération identitaire », il
devient définitivement malaisé d'arborer avec un semblant de
quiétude et d'assurance leur statut d'intellectuels, encore moins
d'afficher leur marque d'appartenance dûment assignée, sans faire
l'objet d'un préavis portant réglementation et atteinte à
la sûreté nationale (et donc aux symboles de la Nation acquise au
capital religieux), si tant est que, dans le cadre de la citoyenneté,
ces pratiques ne dérogent nullement aux décrets de la
constitution de 1963 (1976, 1979 et supra) officiellement instruise
aux idéaux de l'universalité20(*). C'est là tout le problème des
appartenances pourvues d'un fond d'interaction communautaire divergent avec les
idéaux de la Nation qui est mis en avant dans les textes de ces
écrivains qui sont autant d'indices et d'éléments
révélateurs d'une société en crise juridiquement -
du moins tenue comme telle par tous les moyens, aussi bien par
« en-bas » que par
« en-haut »21(*) - et qui coïncide de moins en moins avec
l'idée d'une nation moderne portant valeurs républicaines.
C'est en tout cas dans cette perspective que nombre
d'écrivains - à l'instar de Karima Berger - mettent en
scène des textes humainement tragiques pour dénoncer, sous forme
de récits enclins à l'historicité et à la
mémoire, les vices et leurres de l'État unitaire jacobin hostile
à toutes les démarches libérales qui, d'une manière
ou d'une autre, se dérobent à ce modèle de gouvernance
désuet. Notre attention s'est donc volontairement rivée sur une
oeuvre équivoque de la littérature algérienne
contemporaine, de ce qu'elle met en scène un univers de tension et
d'écartèlement entre des idéologies de
l' « ici » et de
l' « ailleurs », avec, en outre, l'idée de
capitalisation de l'expérience face à la montée
exacerbante de la mondialisation, à savoir : L'enfant des deux
mondes22(*).
La rupture apparente avec l'héritage commun
traditionnel toujours en vigueur à l'ère de la mondialisation et
de ce qu'elle implique de valeurs prométhéennes
(l'affranchissement de la pensée, le droit à la
citoyenneté et l'exercice des libertés individuelles,
l'intégration des minorités locales selon un processus
démocratique préétabli ou encore l'accès à
la modernité critique ou intellectuelle, etc.) entraîne de
nouvelles réflexions sur la question identitaire, qui semble
déboucher sur un compromis. Comme on le verra, notre corpus se
démarque moins par ses qualités esthétiques plutôt
modestes23(*) que par le
fait que son protagoniste semble tenir le juste-milieu : sa quête de
l'identité, quoique subjective, n'exclut pas la présence du
groupe et ce qu'il incarne (sur le volet culturel tout au moins) dans la
conscience du personnage de valeurs communautaires inhérentes à
la vie du sujet qui ne demeure pas moins l'acteur de sa destiné. Or il
s'avère que ce type de construction identitaire englobe dans un
état parallèle les valeurs de la modernité et celles de la
tradition comprises. Ce faisant, peut-on réellement envisager la
consécration d'un juste-milieu en parallèle à l'entre-deux
de la métamorphose identitaire, où le passage vers une
identité contractuelle (identité-sujet) semble continuellement
muré dans une position de repli susceptible d'accentuer les effets de la
dynamique ascendante ?
Mais, fondamentalement, la question essentielle reste
cependant le problème du déni identitaire (absence des
libertés démocratiques) et des moyens investis en ce sens pour y
parvenir ; ou encore, pour reprendre A. BERERHI et B. CHIKHI :
« comment peut-on accepter que, sous prétexte de
non-correspondance linguistique ou religieuse avec les idéologies
dominantes, autant de belles expressions littéraires et artistiques,
générées par des enfants de cette terre qu'on appelle
aujourd'hui l'Algérie, ont fait et continuent24(*) de faire l'objet d'un tel
déni institutionnel ? »25(*). Quels sont, dans ce cas, les
principaux facteurs de l'ambivalence culturelle contenus dans notre corpus, et
qu'est-ce que la modernité pour le roman algérien
francophone ?
Est-il possible d'être Algérien dans la
diversité et la différence ? Dans la négative, que
signifie donc, sur le fond de la question morale et généalogique,
le refoulement des diversités culturelles historiquement
attestées ? Et comment le sujet, l'acteur pris dans la tourmente de
la métempsychose et des évolutions culturelles,
procède-t-il pour réajuster son identité et recouvrer son
essence propre ? Quelles sont, enfin, les
« stratégies identitaires »
déployées à son égard ?
En somme, des questions qui empruntent au registre de la
modernité intellectuelle et idéologique, auxquelles nous
essayerons tant bien que mal d'y répondre, tout en favorisant une
approche littéraire décentrée.
En raison de cet état de choses, il n'est pas
anodin de quêter en profondeur les stratégies identitaires
déployées au sein de notre corpus afin de contenir, implicitement
ou explicitement, toute forme de discours (littéraire, politique,
citoyen, artistique, etc.) ayant trait à l'identité dans des
situations de métissages culturels et multilingues, favorisant ainsi
l'espace à la rupture en somme d'avec l'idée de foyer
d'appartenance à une culture nationale unique et de la maintenir,
synchroniquement parlant, par tous les moyens susceptibles de l'y extraire au
gouffre décentralisateur (la mondialisation) par lequel une Nation est
dès lors vouée aux gémonies.
Nous sommes particulièrement convaincus que ce
travail de longue haleine, d'emblée situé dans le flux majestueux
d'idées confluentes au Maghreb, passe par le droit fil de ces
questionnements parmi lesquels et au vu de leurs intérêts la
question identitaire occupe, comme à son temps déjà
jaugée par les nombreuses enquêtes qui nous
précèdent, le grand avantage de nos considérations
empiriques. Aussi bien tenterons-nous d'exploiter dans le même
état d'esprit, sinon dans une disposition hétéroclite
certes mais frôlant la jonction de leur variabilité, des
éléments convergents vers l'ultime prétention de la
recherche. Ce pour quoi nous avons pris le parti d'inscrire ce travail, autant
ce faire que peut, dans le creuset de la littérature sociale où
le roman, alors épris de ses exploits génériques, sert une
fonction majeure outre sa finalité artistique : celle de
« miroir à la société » selon
la perspective stendhalienne, où la recherche de la vérité
enfile des apparences similaires à la quête dite de
l'identité.
En effet, pour notre auteure - Karima Berger26(*) -, l'écriture de ces
dernières décennies est porteuse, de par son idéologie de
libération, d'enjeux véritables à la limite de la crise
culturelle et politique contractée, et est subsidiairement
engagée en faveur de l'affranchissement des populations
dépositaires d'un brassage culturel et multi-séculaire27(*). Il sera ainsi question de
revoir, au moins en partie, les dispositions sociétales et culturelles
d'un peuple réellement éprouvé par les revers de son
histoire propre, jalonnée de tant de mésaventures ayant trait,
les unes, à l'entreprise coloniale longtemps en vigueur sous le joug de
l'impérialisme exogène ; d'autres, suivant la période
plus ou moins macabre des indépendances et plus au-delà, aux
processus d'endoctrinement engendrés par des organismes à
vocation endogène et qu'on pourrait, à la suite de Rachid
Ali-Yahia, qualifier d'« aliénation
nationale »28(*).
Enfin, toutes ces raisons nous amènent à
aborder ce fait littéraire de surcroît sous l'angle de la
domination institutionnelle qu'induit la consécration officielle de
l'oeuvre littéraire en fonction de son
« comportement » orthodoxe ou subversif avec,
entre autres, la rigueur de cette dichotomie qui fonde « l'espace
complémentaire » pour reprendre les mots de Michel
Foucault. Une brève incursion en terrain socio-politique (le contexte
qui renseigne l'espace référentiel de l'oeuvre) nous paraît
sans contexte la démarche idoine nous permettant de mener à terme
cette réflexion autour de la crise identitaire dans l'oeuvre de Karima
Berger.
Ainsi donc, pour donner plus de consistance à ce
questionnement, nous souhaitons l'inscrire parmi une pluralité
d'approches pluridisciplinaires, au sein desquelles et à titre
principal, l'ensemble des théories dites postcoloniales (de Sartre
à Fanon, de Balandier à Glissant, en passant par Bhabha et bien
d'autres théoriciens du Tiers-Monde).
Notre analyse s'institue donc en deux parties distinctes
mais complémentaires. Deux chapitres sont également
disposés dans chacune de ces deux parties. Ainsi, par le biais de cet
enchaînement, nous entendons fixer l'idée selon laquelle le texte
obéit à des règles externes, et dont il tient à peu
près son essence. Or, l'objectif que nous nous efforcerons de bien
retenir, c'est de faire en sorte que l'identité dans L'enfant des
deux mondes soit appréhendée à la fois dans son volet
poétique et idéologique.
En effet, la partie inaugurale de ce travail
établit (partiellement) l'état de la recherche autour de quelques
notions-clés théoriques, nécessaires à la
compréhension de ces identités complexes. Le premier
chapitre de la présente partie s'élabore Autour de la notion
d'identité, suivant une approche préliminaire
différente. Le second chapitre, lui, consistant en une mise en relation
de ces termes dans notre roman et rétablissant quelques traits
d'ambivalence Sur la question nationale en Algérie.
La seconde partie s'intéresse quant à elle
aux Processus de l'hybride. De même que la première, elle
est elle aussi composée de deux chapitres. Le premier porte sur La
dimension poétique et s'attache plus particulièrement
à la manifestation des formes hybrides dans le texte suivant les
différents niveaux d'hybridation, générique,
linguistique... comme il tient compte également de la
problématique de l'espace-temps relative à notre corpus. Le
second quant à lui, toujours dans une logique de progression, est en
quelque sorte le rebondissement des trois autres qui se déclinent ainsi
sous l'effet des Stratégies postcoloniales.
Tel est notre plan aménagé en vue de
souscrire convenablement aux exigences de cette étude, le but
étant de s'étendre à la richesse et à la
diversité de ce roman.
C'est donc à ce thème précis des
ambivalences qu'il nous paraît urgent de réaliser un
premier temps de réflexion, accompagné aussitôt par une
analyse approfondie de l'oeuvre et de ses processus investis dans la
problématique de l'hybride.
PARTIE PREMIÈRE : L'identité, entre
processus et interaction
« Le plus court chemin de soi à soi passe par
autrui. »
Paul Ricoeur
« On ne se baigne jamais deux fois dans le même
fleuve. »
Héraclite d'Éphèse
? Approches
préliminaires :
S'interroger sur les différentes constructions de
l'identité comme processus itératif de la vie communautaire,
régissant, à contrario, tout idéalisme émanant de
la sphère individuelle ou privée, nous confère une
tâche des plus difficiles, dans la mesure où notre corpus prend
part à la grande problématique de la colonisation qui voit
s'intensifier par ailleurs le problème du recyclage historique - la mise
en évidence de son règne acculturatif vis-à-vis de
l'appartenance nationale et de son auto-détermination -, en passant par
les conflits essentiellement identitaires caractérisant les
sociétés de l'après-indépendance (postcoloniales).
Cette partie liminaire du travail, comprenant
l'état de la recherche, se veut en soi une discussion des visées
et concepts retenus vis-à-vis de la notion de l'identité, telle
qu'elle apparaît durablement dans les champs de la recherche
scientifique. De fait, l'imperméabilité de l'univers au sein
duquel évolue cette notion établit une situation
particulièrement analogue au paradoxe de Zénon sur la
pluralité numérique et la pluralité des lieux, tant la
contradiction (l'ambivalence) qui la caractérise gagne en acuité.
Dans le cas présent, nous souhaitons montrer tout en les confrontant,
les divers aspects de l'identité individuelle et collective, passant par
les compromis de l'une et l'intransigeance de l'autre. Cette partie du travail,
dite théorique, s'institue d'emblée en deux chapitres :
l'un, intitulé Autour de la notion de l'identité a pour
principal objectif d'asseoir une analyse discursive ; l'autre consistant
en une mise en relation de ces termes et rétablissant quelques traits
d'ambivalence Sur la question nationale en Algérie.
? CHAPITRE PREMIER : Autour de la notion
d'identité - approche socio-historique.
L'essence des choses ne se modifie pas par leurs rapports
externes, et ce qui, abstraction faite de ces derniers, suffit à
constituer la valeur absolue de l'homme, est aussi la mesure d'après
laquelle il doit être jugé par qui que ce soit, même par
l'Être suprême.
Emmanuel Kant.
Avant d'établir une approche du
fait identitaire susceptible de définir au mieux cet univers de
disgrâce caractérisant la notion de l'identité, il importe
de redessiner son horizon d'attente et d'offrir, si possible, un visuel de son
apparition en tant que phénomène social largement partagé
par la majorité constituante de la communauté humaine. Il s'agira
pour nous de franchir les limites du virtuel et de concentrer notre analyse sur
des points variables et contradictoires, l'enjeu étant d'affirmer ou
d'infirmer sa consistance dans l'être absolu ou le dasein29(*).
Afin de saisir toute l'envergure de ce sujet, gageons
qu'il n'y a pas de sentiment d'identité sans crise d'identité
apparente. Cette dernière étant le fruit d'une rencontre avec
l'étranger30(*) (le
colon), la conquête de l'Algérie - plurielle -, son long processus
de libération seuls ont forgé une conscience nationale et
constituent, de ce fait, l'origine d'une première affirmation
concrète de l'identité. Naturellement, ce processus primaire
d'identification passe par l'expression et l'émergence de mouvements
nationalistes érigés en partis politiques et statuant sur
l'identité nationale algérienne - identité à sens
unique aux lendemains de l'échec des pseudo-assimilationnistes31(*). C'est donc sur le terrain de
la collectivité que se positionnent tout particulièrement des
modèles de gouvernance communautaires élaborés sous le
double signe de l'arabo-islamisme - à défaut de sonder les
particularités environnantes - et qui vont être à l'origine
du prolongement de la crise identitaire nationale. Or, qu'est-ce que
l'identité nationale (une et indivise à l'heure de la
mondialisation) ? Afin de mieux exploiter l'enjeu de ce questionnement
décisif, nous optons pour une expression de Nathalie Heinich32(*) dans sa tournure
négative : « ce que n'est pas
l'identité ».
En effet, suivant les travaux pionniers de Pierre
Bourdieu (notamment dans La Reproduction qui donne sur
l'« habitus » et sa relation au macrocosme),
l'identité s'apparente en vrai et avant tout à une notion
temporelle qui va s'épanouissant sur l'axe pluridimensionnel, et qui
tôt ou tard, semble échapper à l'entendement
théorique et rationnel, d'autant qu'elle est un
« piège » dans un débat
saturé de positionnement en passe de conclure aux seuls
« bénéfices intellectuels, sinon
politiques ». L'identité n'est donc pas une
évidence, et, en tant que telle, suppose des connotations
problématiques ayant arpenté, dans les champs de connaissances,
jusqu'aux domaines de la sociologie et de la philosophie, en passant par la
littérature et la politique.
1. L'identité, essai de définition.
1.1. L'identité nationale (collective) :
En tant que concept opérant dans
l'ensemble des disciplines académiques, la problématique de
l'identité s'affirme plus nettement dans l'entre-deux-guerres 33(*)(mondiales) exclusivement en
tant qu'identité nationale définie sous une autorité
politique affiliée aux idéaux officiels de la Nation. Elle est
donc, et premièrement, une définition dans le tas,
dis-cernée parmi le plus grand nombre d'adhérents à la
vaste communauté nationale à travers le temps filial de la
poursuite des origines. Identification au même
(l'« idem » selon Paul Ricoeur) ;
identité prescrite dans le destin originel d'une nation autour de
valeurs (refuges) désignées comme étant les mêmes en
dépit de l'épreuve temporelle qui les incarne, et constituant les
invariants itératifs d'une dynamique culturelle : la
personnalité de base qui fonde l'identité collective. Face
à ce trait réactionnaire de l'identité nationale, P.
Bourdieu parle d« illusions essentialistes » pour
désigner ces identités collectives telles qu'elles sont
véhiculées et reproduites au sein des modèles
nationalistes. La critique moderne et même postmoderne d'une conception
substantialiste de l'identité (ou de l'« illusion
essentialiste34(*)
») s'appuie essentiellement sur trois constats :
« celui de la temporalité, qui soumet toute
identité au changement [interdisant de `concevoir' des
éléments de culture comme étant une substance
inaltérable] », de la « médiation d'une
mise en forme », sorte de « continuité
remémorée », ou tout simplement de récit
(Paul Ricoeur). Celui enfin de la
« pluralité » sans cesse renouvelée
dans la personne qui la porte. C'est donc une conception erronée que
celle « soumise aux aléas du temps, du récit et de
la pluralité. » (Heinich, 2018, 19.).
« Identité malheureuse - embarras de
l'identité - malaise identitaire - énigme de l'identité -
piège de l'identité - hystérie identitaire
... », tout laisse entendre à la suite de Nathalie
Heinich que le mythe de l'identité nationale, telle que la donne
à lire P. Bourdieu, n'est ni une donnée objective ni un processus
en soi illusoire, mais participe bel et bien de la norme historique et
processuelle :
Mais ce n'est pas parce que l'identité nationale est
variable et historiquement construite qu'elle est une pure illusion sans aucune
consistance [Bourdieu] : ni illusion ni, à l'opposé,
réalité objective, elle est une représentation mentale -
une représentation largement partagée, exactement comme le sont
les valeurs (et la nation est d'ailleurs bien, elle-même, une valeur,
pour peu qu'elle fasse l'objet d'une valorisation. Autrement dit,
l'identité nationale est une représentation que se font les
individus de ce qu'est, ou de ce que doit être, un pays - donc une
idée, au sens cognitif, en même temps qu'un idéal, au sens
normatif.35(*)
De ce fait, l'identité ne se réduit pas
à la seule identité nationale (idem, chap. 3) comme en
Algérie, décrétée sur le modèle
archétypal de l'arabo-islamisme - car l'ensemble des coutumes dont
dispose le pays, généralement indistinctes et
protéiformes, forment une culture et un patrimoine (parfois
étranger dans le cas de la langue) qu'il conviendrait d'ériger en
identité nationale. Au titre de ces composantes de l'identité,
l'historien Pierre Nora énumère : l'État, la langue,
la conscience historique - encore qu'inégalement répartie -, le
patrimoine, la mémoire collective ..., ce qui, encore une fois, demeure
uniquement envisageable sous le prisme du politique en matière des
droits nationaux. Ce qui favorise le repli sur soi dès l'abord de
l'indépendance du mouvement national de libération où
prime, face à l'héritage colonial, une conception - un
idéal - portée systématiquement sur le rejet de l'autre
(étant particulièrement différent de soi et donc
corruptible à son égard et à celui de la
personnalité de base), mais aussi par bon nombre de préventions
frôlant le cadre de l'anomie : l'instauration de nation
séculaire et ancestrale sur le seul modèle de l'arabisme - que
préfigure le culte du religieux -, la mise en place d'une politique
mono-linguistique, l'uniformisation du patrimoine culturel, l'ancrage
institutionnel ... et beaucoup d'autres stratagèmes36(*).
Irréversiblement, l'identité se confond en
Algérie avec la seule « mémoire
militante », laquelle est d'emblée située sous le
joug d'un positionnement ultra-nationaliste :
Il existe cependant, parallèlement à cette
réduction du monde à l'alternative entre réalité et
illusion, une autre réduction préjudiciable à la
compréhension de la question de l'identité : c'est sa
réduction à la seule identité nationale -
corrélative d'ailleurs de la réduction au politique.37(*)
Mais peut-on dès lors appréhender cette
conception de l'identité (nationale) suivant le contexte d'assimilation
dans lequel est sommée d'évoluer - d'agir tout au plus - une
catégorie de personnes biculturelles ? Pour contrer
l'identité psychologique d'obédience étrangère
contractée dans le giron de l'humanisme occidental, l'État,
à travers son institution, reconfigure le « paysage
mental38(*) », ou la logique d'adhésion
à la vaste communauté nationale. En effet, l'usage de la notion
d'identité recouvre deux domaines encastrés de la vie
quotidienne : d'une part le domaine traditionnel et moderne, de l'autre
les appartenances multiples et variées, individuelle et collective mais
qui, suivant une certaine logique, se retrouve réduite à la seule
dimension nationale.
Face à la dualité caractéristique de
l'identité collective, la culture nationale et son idéologie
attenante ne peut prêter à une définition
« d'en-haut », mais est l'expression d'une
collectivité ou de plusieurs en voie de consensus paritaire, notamment
en termes de pensée et d'organisation. Une problématique qui ne
relève guère plus de l'opposition binaire
colonisé/colonisateur, mais de la confrontation de ces cultures et
idéologies dans l'espace national fortifié, livrant passage aux
tensions qui ne cessent de croître entre les personnes d'une même
famille ou entre des membres de la même société
dédaignant les balises d'une culture étroite et sélective,
caractéristique également de cette génération
d'écrivains affrontant les déboires de l'édification
nationale en matière de modernité et de droits de l'Homme. Ce
propos est explicité par Frantz Fanon dans les damnés de la
terre :
La culture nationale est l'ensemble des efforts faits par un
peuple sur le plan de la pensée pour décrire, justifier et
chanter l'action à travers laquelle il s'est constitué et s'est
maintenu.39(*)
On ne peut que constater, en termes de
« construction de l'appartenance », l'échec
relatif de l'identité nationale comme héritage
républicain, devant la nécessité impérieuse d'un
ancrage culturel et affectif pour l'individu (l'originalité de son
appartenance) où toutes les particularités sont dissoutes en
faveur d'une appartenance commune. Pour référer une fois de plus
à l'excellente synthèse de Nathalie Heinich, on dira que
l'identité (nationale) n'est pas offerte selon le degré
d'unilatéralisation caractérisant le modèle
étatique, ni même constructible à partir du seul
héritage commun traditionnel ; elle est ou n'est pas. Les lieux de
la culture s'affirment non plus comme l'expression d'un bloc homogène,
mais sont désignés dans un vaste mouvement traversé par
des courants concordants mais aussi contradictoires40(*). Pour illustrer ce trait
d'ambivalence référant à l'ordre symbolique de
l'organisation identitaire, notons que la culture en Algérie (à
dominante phallocentrique) est traversée de courants novateurs en
matière de progrès qui sont non moins nocifs pour l'ancienne
structure sociale et familiale, d'où son incohérence à
coexister durant le passage du sacré (traditionnel) à
l'historique (moderne)41(*). Ce passage de Platon à Kant42(*) inaugure une nouvelle
voie d'affirmation pour l'identité nationale, hors de la violence
stratégique consacrée aux dépens des évolutions
sociales :
Mais il faut pour cela accepter de renoncer à une
définition unilatérale, au profit d'une pluralité
d'approches, dont la combinaison compose le sentiment de ce qu'on peut appeler
« identité ». Bref, il faut accepter de prendre au
sérieux la complexité du monde vécu, pour en faire non
seulement la clé théorique de son déchiffrement mais
aussi, concrètement, le cadre d'analyse des données
observées.43(*)
Parallèlement à ces propos, il est
évident que la nouvelle voie de progrès et de modernisation,
influant sur la crise culturelle en Algérie, passe par la théorie
du changement social et inclut, malgré soi, une psychologie de
l'interculturel par rapport à la variation du patrimoine identitaire
jusque-là implicitement désigné. Néanmoins, et face
à la reconduction des ambivalences Tradition / Modernité, le
choix est volontairement porté sur la revivification du discours
confessionnel (et ontologique) à l'origine de la lutte anticoloniale. Ce
procédé d'affirmation et de ré-enracinement de
l'être dans sa perspective essentielle de globalisation semble tenir, en
partie grâce à sa prééminence dans le passé,
d'une stratégie revendicative (selon le triptyque : islamité
- arabité - ancestralité), et ce pour une raison bien
particulière :
Le fait qu'ici, la quête de l'origine, légitime
au départ, soit déviée vers l'originalité
psychologique par le truchement de la modernité, explique
l'incapacité de l'identité ainsi réduite, à
résister au déracinement et à restaurer l'équilibre
dans l'être de l'homme.44(*)
Face à ce phénomène
général de socialisation de l'identité, selon une
perspective plus ou moins commune à l'ensemble des individus, il y a
lieu de poser le problème de l'aliénation de l'identité
individuelle, ou minoritaire, par celle majoritairement constituante du
« groupe dominant » et établissant des
rapports de force strictement univoques, ou en provenance du noyau central
idéologique agissant sous le prisme de déterminismes sociaux et
caractérisant les assignations identitaires, en fonction de leur
rôle ou des idéologies établies. La remise en question de
ces structures sociales telle que supposée par A. Touraine, devient,
à terme, « un appel contre les rôles sociaux, à
la vie, à la liberté, à la
créativité. », au sens que lui confère par la
suite A. Erikson en forgeant le concept de
l'« identité-Harmonie », soit comme un
« sentiment subjectif et tonique d'une unité
personnelle » sur l'axe diachronique, préfigurant par
là-même l'idée d'une continuité personnelle
affective.
Mais sommes-nous concrètement, au jour
d'aujourd'hui, en mesure d'affirmer que la culture - ses reliefs tout au moins
- constitue un patrimoine qu'il convient de préserver tout entier
vis-à-vis du fulgurant éclat de la modernité ? Si les
troubles occasionnés par ce concept de l'identité relèvent
pour une bonne partie de la psychopathologie individuelle (A. Adler), la crise
qui s'en suit, témoigne sur le refus de l'acteur (sujet personnel) de se
conformer au rôle qui lui est signifié par les instances
collectives et sociales. En outre, face à la sinuosité du
pluralisme culturel, l'accent est ici établi sur cet état de
confrontation où l'identité (dans tous ses états) serait
conjointement menacée de la tradition comme de la modernité.
Demeure l'idée d'un juste-milieu, à l'heure actuelle où
sont engagés des processus d'ordre naturel, capable de situer ce
sentiment de l'identité comme une manifestation supposée de
l'organique et du virtuel, nonobstant l'accumulation effrénée de
facteurs idéologiquement succincts.
L'idée qu'on puisse ainsi avoir et donner (au sens
de renvoyer, réfléchir, etc.) de l'identité n'est en soi
pas importante, en tant que construction [pas plus abstraite qu'objective]
sociale de l'ensemble des opérations par lesquelles « un
prédicat est affecté à un sujet »45(*) ; le fait est
que : « ni la famille, ni la nation, ni la religion, ni
la langue n'assure au sujet le sentiment intérieur de son
identité. »46(*). En ce sens, on pourrait dire que
l'élément le plus concret de cette manifestation de l'être
en particulier, réside dans son à-priori relatif
à l'environnement de crise dans lequel les tensions entre
l'Ipse et l'Idem stagnent sur le modèle de la
stato-nationalité, et qui est donc une raison majeure de distorsion du
« travail identitaire » dont se réclame le
sujet, notamment en termes d'identification ou de présentation
vis-à-vis des dispositions communautaires. Ce qui, de fait, rompt la
particularité nationale et fonde une autre voie d'affirmation,
divergente, celle-ci, du pacte intégral de reproduction, dite :
l'identité personnelle.
1.2. L'identité-sujet (individuelle) :
Appréhender cette notion de l'identité
personnelle dans son aspect dynamique avec soi-même et avec l'autre,
donne matière à réfléchir sur les valeurs
fondamentales de l'être en particulier et la diversité de la
culture en général. Telles sont, entre autres : la
liberté, l'individualisme et la possibilité du
développement personnel. C'est également l'occasion de renouveler
ses impressions, porter un regard dynamique sur l'autre, dès lors qu'il
n'est plus question de penser l'identité comme un sentiment infus, ou
quasi intangible dans ses rapports réduits à l'interculturel.
Derrière cette conception type de l'identité (stato)nationale, se
dissimule en fait le problème, résiduel, de l'ambivalence de
l'identité culturelle dans ses particularités environnantes.
Face à ce trait intangible de la culture, le
philosophe François Jullien estime qu'« il n'y a pas
d'identité culturelle » au sens archaïque du
terme47(*) (supposé
de ?racine') mais tout au plus des « ressources
culturelles » à déployer, en tant qu'elles
n'appartiennent à personne dans leur état brut et qu'elles ne se
réfèrent à la collectivité que dans l'esprit
d'évacuer ces racines. L'avantage qu'il y a à parler ainsi, c'est
que les ressources changent ou évoluent, tandis que la racine d'une
propriété d'ensemble ne fait que permuter la
caractéristique d'une nature première : l'on sait, de
manière sûre, que les ressources progressent là où
la racine aspire à la mort et au figement.
Le fait est que, pas de racines (spirituelles ou
ethniques) authentiques donc au sens de valeurs communément admises,
dans la mesure où celles-ci ne reflètent aucunement la chose
vécue sur le plan individuel, et laisse penser à un
travestissement général de la pensée48(*). De sorte que, aujourd'hui, la
tâche la plus ardue sûrement consiste dans la manière de
« délocaliser [cette]
pensée » ennemie qui gît à même le
pays, c'est-à-dire à ce bouillonnement fébrile des
nationalistes qui naquît en dedans des frontières. La culture
nationale est, selon ce même philosophe, affaire de positionnement
(politique) au même titre que semble le suggérer davantage ce
concept des « stratégies
identitaires »49(*) cher à tout conservatisme. Partant de cette
logique, figer la culture revient à envisager - chose non plus possible
- « le tarissement des ressources » et des
processus naturels et historiques, pour aboutir à une identité
morale se complaisant dans le passif.
La question qui peut d'ores et déjà se
poser en dehors de tout idéologisme est : peut-on être
multinational (dans le cas de l'enfant des deux mondes) au même
titre que sujet biculturel au service de la nation (algérienne) ?
Ou encore, quelles sont à cet égard les ressources culturelles
caractéristiques de l'identité individuelle et personnelle ?
Qu'est-ce que l'identité personnelle par rapport à
l'identité d'affirmation sociale ?
Pour répondre à ces questions d'ordre
théorique, mais non moins dénuées de pragmatisme, nombreux
sont les penseurs qui récusent la thèse de l'ethnocentrisme et
privilégient une approche décentrée au profit de
l'individu auquel ils confèrent une certaine marge d'autonomie :
L'identité se joue non seulement dans la relation entre
le présent et le passé du sujet, mais aussi dans la relation
entre ce qu'il est au présent et ce qu'il sera ou, plutôt, ce
qu'il vise à devenir, ce qu'il projette de lui-même dans un futur
plus ou moins défini.50(*)
De ce fait, l'identité du sujet demeure largement
incrustée dans la « culture réelle »
et différente, « mais que nous devons
nécessairement accommoder » eu égard aux autres
qui se rapportent à une catégorie d'affirmation Sui
generis et qui lui octroient le statut d'identité d'aspiration, car
alors réduite à sa seule composante de base. Cependant, il y a,
précisément, processus subjectif d'identification quand
l'identification du sujet n'emprunte guère plus davantage la voie de
légitimation objective tracée par l'organe collectif assidu.
« L'identité, affirme François Jullien,
est toujours singulière » du point de vue de la
différence minimale (l'identification au père, aux traits de
caractère personnels, à la psyché, etc.) propre au sujet,
et qui malgré les circonstances qui peuvent les unir, entre individus,
n'a rien de commun avec les autres. L'« écart »
est ainsi une composante de base de la personnalité individuelle,
à travers lequel toute tentative d'identification dans la
pluralité culturelle est admise. Si identité collective il y
a, elle serait finalement la somme commune de tous ces écarts
établissant « la mise en tension de la
culture » entre sujets et individus. Il demeure, le risque
majeur qui pèse à l'encontre du sujet et qui est probablement
cette standardisation de la culture sur les modèles national
versus universel : tous deux visant à l'uniformité
de l'action culturelle, au durcissement des ressources jusque-là en
interaction.
La raison et le rationnel en identité ne sauraient
constituer une voie d'affirmation légitime pour l'homme moderne. Il
existe, selon Albert Camus, des systèmes paradoxaux où le truisme
par vocation des autres crée, à l'évidence, une multitude
de mécanismes visant à supplanter la connaissance de soi. Une
connaissance certes limitée mais située à une part du
subjectivisme conscient chez le sujet :
Mais cela n'est point tant une preuve de l'efficacité
de la raison que de la vivacité de ses espoirs. Sur le plan de
l'histoire, cette constance de deux attitudes illustre la passion essentielle
de l'homme déchiré entre son appel vers l'unité et la
vision claire qu'il peut avoir des murs qui l'enserrent.51(*)
L'identité personnelle du sujet, loin d'être
une manifestation simple de l'esprit, converge avec la réalité
concrète de la personne qui la conçoit, de l'autre qui la
reçoit et du groupe qui les désigne. Cette tripartition de
l'identité personnelle par un système complexe de perception
reçoit l'appellation de « travail
identitaire », de ce qu'il est le plus à même de
lui dicter ses états de rupture. En effet, « toute forme
de dissociation entre l'autoperception, la présentation et la
désignation ouvre une crise identitaire » en lieu de la
liaison rompue qui fait que le courant ne passe plus entre des
éléments du dedans et du dehors (comme cela est fréquent
chez le sujet biculturel pris de dédoublement) :
L'autoperception ne se manifeste qu'à la condition d'un
dédoublement réflexif amenant le sujet à faire retour sur
soi : retour qui opère et signale à la fois une rupture dans
l'immédiateté et l'évidence du rapport au monde,
symptomatique d'une tension, d'une contradiction, d'une incohérence
entre les moments de l'identité.52(*)
Face à un certain nombre de repères
privilégiés de la cellule collective (au même titre que
l'épuration du sang filial en famille), l'individu, en tant que sujet,
conçoit sa présence par rapport à l'autre sur les bases
d'une cohérence qu'il a - malgré les idéologies
intrinsèques de reproduction - incrustée au sein de
lui-même. Ces « paramètres » comme on
tend à les appeler, constituent l'essentiel de sa personne et de son
être social : paramètres sociodémographiques entre
autres (âges, orientations sexuelles, idéaux politiques et
spirituels, statuts matrimoniaux ou professionnels...), en fonction desquels on
appréhende sa propre valeur paradigmatique. Le sujet vit en fonction de
ces paramètres qu'il considère dès lors comme
émanant de lui et tient pour être distincts des autres, ceux
relatifs à tout un chacun. Ce sont là quelques exemples de
marqueurs identitaires sur lesquels se fonde l'identité du sujet propre
à lui seul, en tant qu'elle est parallèlement ce qui le distingue
des autres et ce qui l'en rapproche (en termes de différence) : de
sorte qu'une personne peut avoir déjà acquis au préalable
un certain nombre de marqueurs, qu'elle se reconnaît en commun avec
quelque autre personne non reconnue, isolée ou éloignée
(l'âge, le sexe, la profession, les idées...) ; et d'autres,
qui la distinguent simultanément des individus qu'elle a pu
côtoyer, s'en prenant à la dimension fondamentale de la
personnalité individuelle (les croyances, la psyché, l'humeur, la
caractéristique physique et génétique...).
Nous pourrons dire que l'identité, dans ce cas,
« est tout à la fois ce qui distingue un individu des
autres et ce qui l'assimile à d'autres. »53(*). En d'autres termes, qu'elle
dépend de l'usage que l'on fait de ces facteurs, comme d'une
catégorisation abstraite de signes :
La pertinence de ces différents paramètres
identitaires dépend du contexte dans lequel un individu est amené
à se définir. [...] l'importance de ces différentes
façons de se définir est donc relative à la situation dans
laquelle se pose la question de l'identité individuelle.54(*)
Il demeure que, d'un côté, cette
manifestation sporadique de l'identité est entièrement
réduite à son caractère mineur, par celle majoritaire et
nationale. L'identité individuelle - la plus minoritaire qui soit - est
à l'image de ce qui est fortuit et se réclame, pour subsister
tout au moins, des pouvoirs de sa contingence : elle est, dans ses
rapports à elle-même et à autrui, aujourd'hui instable et
joue sur sa signification tant à passer d'un sens à l'autre, d'un
regard à l'autre, d'une différence
(l'Ipséité55(*)) à l'autre. Si individuelle est
l'identité, elle ne peut s'empêcher toutefois de se confronter,
voire de se conforter aux dépens de l'être social qu'incarne
implicitement l'autre. Là réside sa particularité
aporétique, supposée par le truchement de l'individu (acteur) et
de la société (spectateur, critique, juge). En outre :
Ce dualisme méconnaît deux réalités
fondamentales : d'une part, l'identité n'est pas faite seulement de
ce que le sujet perçoit ou présente de lui-même, mais aussi
de ce qui lui est renvoyé par autrui (ce que nous nommons le moment de
la « désignation » ; d'autre part il existe,
chez le sujet lui-même, un clivage entre deux images de soi, l'une
tournée vers soi-même (ce que nous nommons le moment de l'«
autoperception »), l'autre tournée vers autrui (ce que nous
nommons le moment de la « présentation »). Autant
dire que l'identité n'est ni unidimensionnelle ni bidimensionnelle, mais
bien tridimensionnelle.56(*)
Face à cette ambivalence qui accompagne le
sentiment de l'identité personnelle du sujet, Amin Maalouf convoque
ainsi cette autre citation de Marc Bloch : « [L]es
hommes sont plus les fils de leur temps que de leurs
pères. ». L'identité ainsi définie se fonde
sur une dichotomie de base : il s'agit pour A. Maalouf de distinguer entre
un moment de l'histoire collective (celui-là réparti sur
l'axe vertical), caractérisant cette part de l'héritage
ancestral et commun auquel tout individu est plus ou moins sommé de se
référer (diachroniquement parlant) ; et une conception
propre, celle-ci, à la condition immédiate, spontanée, de
l'être évoluant (sur l'axe horizontal) au sein de son
univers contemporain, tout imprégné qu'il est de ses
avancées relatives. Il n'est plus question dès lors de
préséance en matière d'identité - l'appartenance
collective et religieuse jouant un rôle central dans cet enfermement -
mais seulement de pertinence à l'égard de tous ses choix. De
même semble-t-il insister sur l'impératif de ces deux
héritages à constituer une identité synchronique et
dynamique, car elle est avant tout sujette à des processus physiques et
spatio-temporels. Il n'est d'ailleurs pas exclu de le voir abonder dans le
domaine partiel de la subjectivité plus que dans l'originalité
spirituelle à laquelle pend une certaine image de tribalisme
extrême :
Toutes ces appartenances n'ont évidemment pas la
même importance, en tout cas pas au même moment. Mais aucune n'est
totalement insignifiante. Ce sont les éléments constitutifs de la
personnalité, on peut presque dire « les gènes de
l'âme », à condition de préciser que la plupart
ne sont pas innés57(*). Si chacun de ces éléments peut se
rencontrer chez un grand nombre d'individus, jamais on ne retrouve la
même combinaison chez deux personnes différentes, et c'est
justement cela qui fait la richesse de chacun, sa valeur propre, c'est ce qui
fait que tout être est singulier et potentiellement
irremplaçable.58(*)
Ce principe auquel se réfère A. Maalouf va
peu à peu s'implanter au coeur des études postcoloniales. En
effet, dans le cas où le sujet est hybride, nous parlerons d'une
dynamique existentielle qui est le résultat d'une ambivalence
culturelle. Pour l'appréhender, on suppose qu'elle doit suivre le
cheminement qui lui est consacré tout naturellement, c'est-à-dire
la modernité, et rompre avec les idéaux de son passé.
Mais, à mesure qu'elle croit, elle ne peut s'établir
définitivement en mettant un terme à la perspective
traditionnelle. Chez Karima Berger, elle se manifeste comme une obsession
double, sorte de superposition douloureuse de son expérience des deux
mondes. Par cela, elle affirme et soutient cette subjectivité qui est un
peu la sienne, tout en étant aussi celle des autres.
Or, quête de l'identité ne doit pas
signifier uniquement, dans ce cas de figure, quête de modernité...
Car dans le cheminement inverse, cela revient à peu près au
même. Et que cette dernière, c'est-à-dire la
« la quête de la modernité [si elle avait lieu]
n'a pas toujours signifié rupture avec les valeurs de la
société. »59(*). Si l'on s'accorde ainsi aux dires des philosophes,
c'est un processus qui s'insinue dans les deux sens, qui puise autant dans le
passé commun que dans le devenir de l'individu, dans le tas que dans
l'unité. D'ailleurs, fait important, un roman - tel que le nôtre -
n'est jamais que l'expression d'une crise (identitaire), l'identité
elle-même étant pure abstraction.
Il y a donc un certain fond commun, un parallèle
qui s'établit entre affirmation de soi et appartenance à de plus
grands ensembles. Cette jonction vient suppléer en l'occurrence les
besoins du terrain en se prévalant d'une certaine neutralité
à l'égard de ces acteurs potentiels présumés. Ces
deux conceptions de l'identité sont partout à l'oeuvre, que ce
soit au sein des sociétés nouvelles ou anciennes. Nous verrons
qu'avec L'enfant des deux mondes, une conscience identitaire riche s'y
trame d'un bout à l'autre.
En définitive, l'identité personnelle a
ceci de différent avec l'identité dite sociale
(collective) : elle est davantage appréhendée dans la
rupture que dans la poursuite des liens d'origine. En effet, la somme de ces
identités complexes repose sur le caractère fonctionnel de l'une
(en dépit des rapports extérieurs) et l'exigence
matérielle de l'autre (tout ce qui permet à autrui d'identifier
un individu sur la base de données préexistantes). Elle est alors
synchronique dans le premier cas et diachronique dans l'autre. L'absorption
ainsi continue de ces deux aspects/moments de l'identité constitue de ce
fait un ensemble de facteurs plus vastes à définir, qui fonde par
conséquent l'identité culturelle, à la fois comme
représentation subjective de soi (Ipse) et
représentation objective de la société (Idem). On
passe ainsi impunément d'un processus à l'autre sans pour autant
renoncer à la particularité qui les distingue l'une et l'autre.
Si, comme on l'a vu la culture ne relève ni du domaine de
l'aristocratie, ni de celui plus abstrait de l'idéologie, elle est tout
à la fois la matrice originelle de cet accomplissement pluriel en
société et de la continuité excentrique propre au sujet
dont elle est la synthèse.
RÉSUMÉ :
Depuis la parution du livre Essai sur l'entendement
humain de John Locke et la régie des identités chez
Aristote, l'identité est appréhendée dans la
pluralité de ses rapports subjectifs à la personne humaine. La
notion est depuis lors travaillée du point de vue objectif en
épistémologie pour aboutir, au tournant des XVIII éme et
XIX éme siècles, à une mise en enfermement de
l'identité par rapport à tout dualisme inhérent au
vécu subjectif de l'homme. L'identité est dès lors
posée comme un phénomène mental, irréductible
à la seule dimension physique, laquelle est dénuée de
consistance face à la mobilité du caractère humain.
Identité à sens national craignant le changement et
l'évolution de ses rapports avec l'étranger : elle est,
davantage dans son ambigüité, associée à une nation,
une langue, une race, une ethnie ou à toute autre entité de
définition abstraite, visant à l'unité des hommes dans
leurs relations mutuelles. L'identité
« logique » est celle qui ne rend pas compte de sa
variabilité spatio-temporelle, et propose toute une gamme de
modèles et de valeurs sur lesquels l'homme prochain doit
appréhender son existence. Elle fait face, du reste, à de
nombreuses considérations philosophiques en termes de
mêmeté, de temporalité, de changement, de
pluralité... survenus suite à des processus naturels mais aussi
idéologiques (l'exclusion de toute altérité).
Déborder le cadre de cette logique de
définition, suppose un autre regard sur la réalité
subjective du sujet (qui du reste est polémique : voir la
réception qu'en donne Nietzsche à propos du mythe personnel). La
relativité du changement de la personne humaine durant son existence,
demeure pour ainsi dire le principal écueil pour cerner,
intégralement, la relation identitaire et ses interférences
multiples. Ce qui lui confère, dès suite de Paul Ricoeur, un
caractère de nos jours encore suffisamment abstrait :
identification à soi-même, en partie dans l'Idem, mais
aussi dans l'Ipse, qui fait que, l'identité d'un sujet
confrontée à diverses épreuves temporelles équivaut
à la même. Cette structure est dite permanente car elle est
continue. Non pas qu'elle soit figée ou réifiée en elle,
chose d'autant absurde que la visée ontologique dont se réclame
l'identité nationale, mais (voir la métaphore du
bâtiment60(*) chez
Locke) qu'elle est porteuse, en quelque endroit de son évolution, d'une
conscience figurative de soi. De même que
l'identité-narration prouve cette particularité, de
même le sujet conçoit en ses propres termes le rapport de son
évolution.
Ainsi posée sur le terrain de la logique,
l'identité est intimement liée à la pensée du
devenir humain (dans son immuabilité et son intelligibilité
platoniciennes61(*)),
plutôt qu'à l'ensemble des processus subjectifs, susceptibles de
corrompre cette union et de restituer à l'homme moderne sa
véritable diversité naturelle. C'est en ce sens que naît
une philosophie de l'être et une philosophie du devenir, réunies
par Jean-Paul Sartre dans L'Être et le Néant. Le projet
d'ensemble est en soi similaire à cette grande entreprise morale,
là où elle trouve écho dans l'oeuvre
générale de Kant. C'est, finalement, souscrire à une
concession idéale de l'identité, tant individuelle (sur le plan
affectif) que collective (sur le plan essentiel).
*
Le tableau ci-dessous est une représentation
générale des propriétés spécifiques de
chaque type d'identité abordées en corps de texte, dans le
premier chapitre. Il est à vocation illustrative.
Identité personnelle
|
Identité sociale
|
Identité d'aspiration
|
Identité prescrite
|
Fonction interne
|
Fonction externe
|
Relation affective
|
Liens substantiels
|
Aspect dynamique
|
Aspect immuable
|
Spécificité concrète
|
Spécificité virtuelle
|
Opinion subjective
|
Opinion objective
|
Propriété expansive
|
Propriété rétroactive
|
État d'excentricité
|
Principe de circumduction
|
Situation irrégulière
|
Situation régulière
|
Forme hétéroclite
|
Apparence conforme
|
Irréductibilité
|
Référentialisation
|
À posteriori
|
À-priori
|
Eccéité
|
Orthodoxie
|
Descendante
|
Ascendante
|
Transversale
|
Linéaire
|
Synchronique
|
Diachronique
|
Res privatae
|
Habitus
|
Sui generis
|
Ad populum
|
Singulière
|
Plurielle
|
Ipse
|
Idem
|
(c) Tableau récapitulatif
? CHAPITRE DEUXIÈME : Sur la question
nationale en Algérie62(*).
Mon Algérie à moi, c'est donc toute cette
histoire et toute cette géographie, certes mouvementées, certes
chamboulées mais avec cette permanence fabuleuse, cet ancrage dans le
terroir et dans le territoire, toujours ouverts aux autres, aux vents et aux
ressacs. À la vie vraie, quoi !
Rachid Boudjedra.
Les notions d'identité exhibées tout en
haut, dans le chapitre un, reflètent à coup sûr
l'imperméabilité de l'immensité du champ théorique
dans lequel ont été précipitées, sinon prises au
dépourvu, des réalités complexes mais non moins
consistantes et qui - de par leur platitude théorique -
nécessitent une contextualisation générale, compte tenu de
l'ambigüité caractéristique de la situation culturelle en
Algérie. Ce dont témoigne, par exemple, l'apparition de liens
extravagants et amphibologiques dans le domaine de la
société : il en va ainsi de l'identité et des valeurs
ancestrales au temps de la modernité, comme au temps déjà
lointain de la colonisation.
Abordée de surcroît sous cet angle-là
de la domination plutôt que sous celui de la socialisation, la
culture (et son désir de conformisme) semble réellement
être le véritable enjeu - quitte à entraver les liens
sociaux et garrotter le génie de l'individu - du maintient
indéfectible du ressort communautaire, ainsi que le support central de
toute identification en Algérie. Mais, s'il peut être dit par
moment que l'identité soit de nature mouvante et diversifiée, la
culture, elle, d'emblée représentée à
l'échelle de la nation, paraît tout particulièrement
figée dans ses rapports à la mémoire qui tendent à
subsumer autant la personne humaine que la dure réalité de
l'histoire. Or, dans ce cheminement d'idées-là, on puit
s'apercevoir nettement que la résultante de ces deux composantes influe
vers la réalisation d'une identité culturelle à part, n'eu
égard aux exigences du terrain.
Seulement, cette mystification catégorique des
identités ne tardera pas à percevoir, elle aussi, ses limites
dans un monde fulgurant qui donne à voir d'incessants bouleversements :
d'abord parce qu'on ne se définit guère plus que par une
série de préventions futures (abstraction faite du présent
et du passé) - le devenir qui, à l'instar des investissements
économiques, étant désormais plus préoccupant
- ; ensuite, par la somme de tous les changements survenus au niveau des
structures sociétales anciennes. En effet, pour citer Stewart Hall,
l'« l'identité culturelle est une question de « devenir
» aussi bien que d' «être». »63(*). À cela s'ajoute la
primauté de l'identité-sujet sur les valeurs
héritées de la société. Néanmoins, dans le
cas de l'Algérie comme dans celui de beaucoup d'autres pays, ce rapport
ambigu à la modernité s'accompagne d'un regain d'affection pour
le passé, et, le sujet, tout en excluant ses rapports avec
l'étranger, contribue à façonner de la même
manière son destin d'ancien colonisé et d'assumer, in
petto, tout en la reproduisant dans son affirmation à venir, la
suprématie dont s'est accommodé à juste titre l'ancien
colonisateur. À la lueur de ces efforts investis dans la
problématique sociale et identitaire, il semblerait que, face à
l'écroulement de ce passé, le futur lui-même soit plus ou
moins compromis. À cela, à cette « prise de
conscience » qui s'accroche, il y a une raison. C'est qu'en
effet :
Dans une société à transformations
lentes, l'acteur se définissait par son appartenance à des
collectivités et par ses rôles sociaux. [...] Dans une
société à transformations rapides, [...] où
l'héritage social perd de plus en plus des son importance, dans une
société définie par son avenir plus que par son
passé, par son changement plus que par ses règles,
l'identité sociale perd de plus en plus de son contenu.64(*)
Un sérieux problème idéologique et
politique résulte dès lors de cette conception de
l'identité faite de rémanences et de dénis (la
constitution d'une
« identité frauduleuse » menant
à une « culture de musée »,
c'est-à-dire, précisément, à cet
« éloge suranné d'une authenticité
biaisée. »65(*) qui engagent un positionnement ambigu, sitôt
qu'elle est coincée entre des orientations pour le moins arbitraires.
L'identité ainsi admise dans le contexte sociopolitique algérien
entraîne, nécessairement, de nombreux problèmes relatifs
à la conjoncture historique précédente. L'enjeu de ce
chapitre étant de corroborer ces liens existants entre identité
culturelle et relation mémorielle, il s'agira pour nous de voir à
quelles manifestations près de l'identité donne lieu ce
présent amalgame, et, partant, de retranscrire ces données sur la
base des considérations formulées dans le premier chapitre, soit
aux deux principes de figement (stato-nationalité) ou de
métamorphose (contractualité).
Aussi, sommés d'interagir avec ces
catégories d'ordre théorique, nous sommes ainsi dans la
nécessité d'établir une approche politico-historique du
fait (post)colonial dans toute sa durée relative, comprise sur le
terrain de l'affirmation de l'identité nationale. Il sera question plus
précisément d'établir une relation conséquente
entre un état de pur conditionnement pratique (d'aspect colonial) et la
formulation de ces identités dites « de
désenchantement » ou postcoloniales. Pour ce faire, nous
nous appuyons principalement sur l'apport des théories postcoloniales
admises depuis Fanon, Sartre, Bhabha, Glissant ou Balandier.
1. L'héritage colonial :
L'histoire de l'Algérie coloniale et son
idéologie ont joué un rôle suffisamment essentiel dans la
problématique de l'identité, appréhendée
désormais dans son cadre étroit et national. Pour peu qu'elle
soit nationale, l'identité relève toujours de l'histoire et de
l'ensemble de ses processus sous-jacents. En effet, la culture n'est jamais
qu'une continuité subordonnée d'éléments propres
à la mémoire (collective), comme à ses désaccords
dûs à la complexité des rapports entre colonisé et
colonisateur : identité par conséquent à sens unique
qui fonde la domination du système colonial sur fond de réalisme
ethnocentrique et racial. Or, l'on assiste particulièrement depuis les
engagements de l'indépendance, à une inversion exacerbée
des rapports de force entre l' « ici » et l'
« ailleurs », en matière d'identification.
Peu à peu s'est donc construite, des deux côtés, une
représentation univoque de l'identité pour les ?Musulmans' comme
pour les Européens d'Algérie encastrés dans une forme
nouvelle de communautarisme. Dès lors, il est évident que
l'identité soit relativement liée, dans ses rapports
antérieurs, aux évolutions intrinsèques de l'histoire et
demeure inséparable, dans ce cas, de la colonisation
française.
Afin de suppléer davantage les manquements de
l'histoire coloniale en Algérie, des penseurs des deux rives de la
Méditerranée élaborent un programme de consistance visant
à consolider la mémoire66(*) (plutôt la juste-mémoire67(*)) qui doit accompagner,
d'une manière certaine, le travail des identités ainsi
déterminé : c'est-à-dire dans ses rapports multiples
à la culture des uns et des autres. Évoquer les espaces culturels
de l'Algérie en temps normal, c'est donc convoquer « les
différentes rencontres, les métissages divers, les jeux hybrides,
les violences coloniales. »68(*) que renferment des pans mémoriels de
l'histoire des relations transculturelles. De même qu'il y a, à
l'opposé, une sorte de « rapport
névrotique » entretenu par différentes
contradictions au sein des discours politique et social, donnant sur une
altérité non consentie et/ou biaisée. Les seuls liens qui
valent encore aujourd'hui sont ceux qui résultent de l'opposition de
deux mémoires, voire de deux Histoires qui n'étaient pas tout
à fait sans accrocs :
La mémoire est porteuse des marques d'une
identité traversée par les contradictions multiples et les
différents jeux culturels charriant la nation caractérisée
par la présence de plusieurs césures et fractures
historiques.69(*)
En vrai, la relation à la colonie demeure
suffisamment ambigüe dans l'esprit des Algériens qui revendiquent
leur pleine appartenance à la nation moderne70(*) (sur le chemin de la
renaissance) et à l'héritage musulman persistant sur le
modèle de l'« épuration ethnique ».
Cette dernière vient contrecarrer en l'occurrence la somme
conséquente de tous les changements survenus par le biais du
colonisateur, que par l'inversion des rapports de force qu'il engage dès
l'abord de l'indépendance, soit à partir des modèles
« imposés » par une
« modernité opérant sous les figures de la
pensée et de l'action coloniales. »71(*). L'usage de ces figures
renversées témoigne ainsi d'un long passé calamiteux qui,
seul, demeure figé dans les esprits retranchés et les imaginaires
bordés de la postérité acquise à la pensée
nationale. C'est dans ce sens que la modernité, envisagée dans le
contexte de la globalisation, est accréditée d'une certaine forme
de renouvellement idéologique de la pensée coloniale, à ce
jour déniée sous couvert de radicalisme. Que ce soit du
côté individuel ou collectif, les deux composantes de
l'identité - la mémoire plus que la culture - sont toutes deux
ruées dans un traditionalisme vulgaire (car il n'a plus de sens) et
déroutant (c'est-à-dire reconduit sur le terrain de l'action
proprement dite)72(*). De
là, une foule conséquente
d'événements éveillent la perplexité de
l'enfant et, chemin faisant, viennent remettre en cause l'authenticité
de ses origines :
Grâce à la medersa l'enfant avait acquis les
bases culturelles indispensables de son éducation :
Qassaman, la Fatiha et la Chahada. Mais pour elle,
ce n'étaient que lettres et paroles, emblèmes inintelligibles de
son origine. Lorsque devant la famille réunie, elle était
conviée à exhiber ces signes d'appartenance, fièrement et
d'une voix claire, elle commençait sa récitation
légèrement troublée par ce qui lui semblait être un
mensonge. Mais le léger vertige que provoquait en elle l'apparente
maîtrise d'une langue étrangère, la sienne, était
plus fort et semblait l'abuser elle-même. L'honneur de ses parents
accusés parfois d'être trop « modernes »
était sauf. (K. Berger, 1998, pp. 33-34)
Si la mémoire semble tenir un rôle
majoritairement important, la question de l'altérité qui
façonne encore aujourd'hui les projections idéologiques des deux
côtés, porte en son sein les séquelles négatives
d'une histoire avortée, sinon illégitime, de ce qu'elle intente
à la communauté nationale un procès de reconnaissance,
relativement compris comme une proposition hétéroculturelle.
Ainsi, l'emploi de l'oxymore « étrangère ?
sienne », loin de référer seulement à
la nature équivoque des deux cultures, semble évoquer la
dimension exclusive du travestissement accompli sur son être à
part. Pour preuve, le discours colonial passe pour être
entièrement recouvré quand, par ailleurs, son degré de
correspondance au sein de la culture réelle est nul ou inexistant.
L'adoption de ce nouveau discours, on l'aura compris, de par son changement
radical, est tout aussi vain et préjudiciable que naguère
« L'adoption des structures de la colonisation condamnait les
formes autochtones à une tragique disparition. »73(*). Comme on le verra, il n'y a
donc pas un mais deux discours qui reflètent à la fois ce rapport
de force exercé, par les autorités indépendantes, sur le
reste de la population : en effet, pour supplanter la présence
tenace de l'Autre, il faut d'abord se substituer à soi. Ce cas-ci est
déterminé dans les études postcoloniales sous deux figures
paradoxales : une politique du néocolonial (relations
transnationales) et une politique
« anti-nationale »74(*) (relations infranationales). Les deux sont
représentées dans l'extrait suivant :
En quelques jours, Médéa se métamorphosa
en une ville étrangère, ce n'était plus cette fois le
« Vive le FLN » écrit en français, depuis
longtemps déjà familier au regard, mais une autre
écriture, une autre langue, comme s'il s'agissait déjà
d'un autre pays, habité par un autre peuple, souverain dans son
expression. (K. Berger, 1998, p. 29.)
Le peuple en question, si l'on admet cette touche
d'ironie, est loin d'être « souverain de son
expression » ; bien au contraire, il la subit presque
involontairement. Aussi bien, pour reprendre une célèbre phrase
d'André Malraux, « L'individu s'oppose à la
collectivité, mais il s'en nourrit. Et l'important est bien moins de
savoir à quoi il s'oppose que ce dont il se
nourrit. »75(*). En effet, ce subtil recours à la
mémoire collective (l'Histoire, la religion ... qui ne sont pas des
libertés mais des sortes de gages) contribue à façonner,
pour ainsi dire, l'imaginaire de l'individu qui s'en imprègne volontiers
dans les forts moments de crise. L'appui et/ou l'identification à la
collectivité reste pour lui le seul moyen apte à délimiter
son rapport à l'espace et aux maintes idéologies
représentatives. De même la mémoire, par endroit,
préfigure-t-elle l'origine - n'était-ce qu'ambigüe - de
l'appartenance, de même elle participe en réalité d'une
dialectique représentative des deux côtés. Dans cette
perspective :
Le discours colonial est encore foncièrement vivant, il
traverse les contrées de l'imaginaire social en Algérie et en
France. Ni le colonisé ni le colonisateur ne peuvent sortir indemnes de
la tragédie coloniale.76(*)
En dérogeant à la règle et aux
exigences du terrain, Bhabha affirme que la question de l'identification n'est
donc jamais l'affirmation d'une identité pré-donnée
(celle-ci pouvant s'exercer à contre-courant d'une autre) :
« Il s'agit toujours de la production d'une image
d'identité [le rêve, suivant Fanon, de l'inversion des
rôles colonisé/colonisateur] et de la transformation du sujet
par le fait qu'il assume cette image. »77(*) nouvellement instituée
en lui. Aussi est-il illusoire de penser que l'on peut accéder,
présentement dans l'état où nous sommes, à un ordre
dans lequel le sujet moderne tenterait de rompre avec certaines
déterminations socio-historiques. Suivant cette optique, Xavier Yacono
ne pense pas si bien conclure en affirmant que « le repli ne
pouvait être total » et qu'« un pays ne se
débarrasse pas de son histoire, fût-elle
coloniale. »78(*).
Que ce soit dans la foisonnante production
littéraire algérienne ou au sein de domaines relatifs à la
vie quotidienne, l'histoire de l'Algérie coloniale demeure un chapitre
encore nos clos dans la quête mémorielle des hommes d'aujourd'hui,
sans doute à la recherche de cette part sacrificielle de leur
identité prohibée. C'est en tout cas dans cette mesure que vont
naître et proliférer, suivant les préceptes socialistes et
les enseignements figés de l'école, des courants de la tendance
rigoriste dans une Algérie indépendante et nationaliste :
ainsi, le surgissement « légitime » de cet
abandon volontiers dans l'oubli caractérise-t-il, dans une
atmosphère macabre et ludique, l'un des impératifs essentiels du
déni instauré :
Il y a à l'ouest d'Alger, à saint
Eugène-Bologhine, un cimetière chrétien
laissé à l'abandon. Parfois un visiteur vient encore de loin, de
France, se recueillir, prier, déposer quelques fleurs ou rameaux
d'olivier sur les tombes désolées, gagnées par une
végétation abondante et anarchique, heureuse présence du
vivant parmi les morts. (K. Berger, 1998, p. 117.)
Cet extrait, loin de n'être qu'une expression
simple empreinte de nostalgie, dévoile en fait l'idée selon
laquelle « l'anarchie de l'après-indépendance ne
pouvait pas permettre la mise en ouvre d'un discours culturel cohérent,
autonome. »79(*). Ainsi, devant l'empressement de définir
à nouveau les contours exacts de la culture, tout, dans le discours
idéologique, semble privilégier un certain rapport au
passé (de tradition), comme pour mieux éluder les contraintes de
l'histoire et du présent : partant de cette idée que toute
relation identitaire est plus ou moins marquée par les structures
latentes de la colonisation, le devenir des rapports culturels de la nation est
constamment rivé sur les jeux mémoriels, de sorte que le sujet
semble s'accommoder à son tour de réalités historiques
comme de faits banals. Ces « postures
mémorielles » comme on tend à les appeler, sont
les seules qui, une fois puisées dans l'intransigeance des rapports
passés, prêtent inconsciemment à la sauvegarde de l'
«ordre» établi, soit à la reconduction mythique des
aspects de la colonisation, et à l'oubli (la rupture avec le
présent, « un temps de crise »80(*), est synonyme de
désillusion et de désenchantement), à cette forme de
« distraction », de détachement apathique -
ceux-ci presque par nature - promenés sur les décombres tout
autour et, attestée à même le regard de l'enfant :
Pourtant, ces lieux ne sont qu'en apparence
désertés, quelques présences - funestes - les envahissent
parfois ainsi qu'ils le feraient de terrains de jeux, en y abandonnant les
traces de leurs forfaits et les signes de leurs divertissements : corps
déterrés, ossements mêlés, crânes pourvus
encore de leur chevelure sont désignés comme autant d'objets de
distraction, ballons de football, épées ou lances selon
l'inspiration macabre qui vient à ces enfants, trompant leur ennui avec
ces joyeuses horreurs que l'esprit de représailles posthumes n'habite
même pas. (K. Berger, 1998, p. 117.)
2. L'après-guerre :
L'enfant des deux mondes est la
représentation d'un avant et d'un après identiques. Ainsi, au
sortir de la guerre de libération, l'Algérie est un pays qui
demeure foncièrement ancré dans la tradition populaire et
ancestrale. Les fondements, de fait, correspondent aux principes d'une
structure ordinaire patriarcale (l'unité morale et sentimentale ;
l'attachement au passé et à tout ce qu'il
représentait ; le recours passionné aux us de la
tradition ; bref, la résistance aux influences de
dissolution81(*)).
À la fois comme chant intarissable et « Éternel
retour82(*) »
du temps cyclique, l'extrait ci-dessous est particulièrement
significatif de cette réalité qui s'y organise à la veille
de l'indépendance :
La fièvre s'était emparée de la ville,
des femmes mobilisées pour coudre en hâte drapeaux et fanions
à arborer le grand jour, des mères à l'approche du retour
de leurs fils, des enfants découvrant fièrement et au grand jour
leur appartenance nationale, [...] On sortait les armes de leurs caches, [...]
Du fond de leurs maquis, les hommes avaient mandaté leurs mères
pour qu'à leur retour les attendent de fraîches jeunes filles,
claires de peau et de noble souche. (K. Berger, 1998, pp. 29-30.)
Mais, faisant fi de cet héritage colonial
persistant, les « nouveaux maîtres » ne
tardent pas à percevoir la nécessité de nouvelles formes
concrètes de représentation. Ainsi, face à
l'émergence d'une conscience nationale fondamentalement radicale,
l'élément fondateur du syncrétisme culturel demeure son
attachement ambigu à l'expérience du colonisateur et sa pratique,
à la fois comme une tentative de dépassement et une
volonté politique inouïe de modernisation. À travers le
récit que dresse l'enfant, on y décèle, davantage encore
en termes de complémentarité, le refoulement que subissent les
deux catégories ainsi proscrites, à savoir les Algériens
francisées et les Français d'Algérie :
Ne vivaient-ils [les professeurs Pieds-noirs] pas le
même retournement, ces jeunes Français nés dans
une France coloniale et qui soudain devaient aller travailler dans cet ancien
département français, non plus en maîtres mais en
« coopérants techniques », belle formule qui ne
parvenait pas à épuiser le souvenir de la gloire passée ni
à ensevelir les traces de cette liaison que beaucoup de leurs
compatriotes trouvaient coupable ? (K. Berger, 1998, p. 41.)
En l'occurrence aussi, le parcours de l'enfant, jusque
là fait de rencontres et d'acquis, tend à s'accomplir sur les
bases d'une nouvelle orientation précaire, faite de
« filiations dangereuses83(*) » et de lignages
surdéterminés, résultat du travestissement d'une situation
présente, au profit de déterminations à venir
rivées sur un long passé de mélancolie.
La revanche aurait été plus terrible, sans doute
plus sauvage même que ce cauchemar de cette première année
à Alger, cet an I de l'indépendance empreint de frayeurs,
initiant l'enfant à sa nouvelle filiation. (K. Berger, 1998, p. 47.)
Or, fait marquant, devant l'exclusion de l'un de ces deux
mondes, l'enfant qui jadis se considérait dans sa particule
algérienne (bien que faisant partie de la minorité des
francisés) se rend compte qu'elle vient d'être amputée
subitement d'une part d'elle-même, avant d'être
accréditée ensuite, dans son univers pétri
d'étrangeté, de formes nouvelles - car surgies dans le tard - et
exclusives... Signe, peut-être, d'une culture en plein
désaccord : d'abord avec elle-même, sinon principalement avec
autrui84(*). Dans la
séquence à suive, on retrouve le thème de l'errance dans
l'Alger (ville fantôme) fait de « frayeurs »
et de dérélictions. De la même façon, l'enfant
assiste impuissante à la métamorphose d'une ville
« Fermée, où la ligne de démarcation entre
les deux mondes avait été élevée tel un rempart
infranchissable contre toute intrusion de l'étranger. »
(K. Berger, 1998, p. 47.). À ce retournement brusque (le recouvrement
d'une mythologie nationale ancestrale dès « l'an I de
l'indépendance »), nous pouvons établir un
parallèle avec les déclarations de Fanon (L'An V de la
révolution algérienne85(*)) qui résonnent, par conséquent, comme
une véritable mise en garde à l'endroit de cette mémoire
meurtrie et toujours en proie à des régénérations
sises au bord de l'effondrement. En effet, pour lui, assurément :
Le nationalisme n'était qu'une condition de la lutte de
libération qu'il fallait dépasser86(*), et qu'un parti national avait toute chance de se
transformer, comme il l'écrivait, en « dictature
tribale ».87(*)
Dès lors, l'écrivain ne se sent plus
impliqué dans un « nous » collectif ; il
exprime son propre « je » et porte au monde ses
idées, sa vocation et son être particuliers... Signe d'une
modernité intellectuelle engagée :
« écrire dans la modernité c'est rejeter un
modèle autoritaire et un discours d'allégeance au pouvoir
politique en place. »88(*). Ce « je » attentif, à la
pronominalisation complexe (parfois anonyme, souvent
indéterminé), est appréhendé au sein de notre
corpus à la troisième personne du singulier, soit par l'entremise
d'un narrateur omniscient (traditionnel) que, par un pacte de lecture et eu
égard à quelques formules narratives (analepses et prolepses des
pages 8, 32, 102 ...) nous tenons disposé dans la figure féminine
de l'enfant. Dans ce cas, c'est également « se donner une
prise sur sa propre identité. »89(*) qui n'est pas celle du
discours officiel de l'après-indépendance.
Compte tenu de ces fragments précités, on
perçoit d'emblée le positionnement hétéroclite de
l'auteure, sujet existant à part entière, munie d'une
écriture complexe face à des orientations alambiquées
(frôlant le registre de l'interculturalité). Partant de cette
logique d'ambivalence, nous nous trouvons devant une situation ambigüe -
car prise dans la dualité du discours - qui transmet la
réalité d'un univers symbolique et indique la présence
d'un genre parcellaire, de même qu'elle fonde la non-pertinence de la
notion d'identité en littérature : « N'y
a-t-il pas un certain nombre d'auteurs qui souhaitent précisément
prendre des distances avec ces prétendues identifications, ethniques ou
autres, et qui cherchent à tendre vers
l'universel... ? »90(*).
2.1. La quête mémorielle : vers une issue
salvatrice.
Longtemps durant, on a pu opposer à la vision de
Kateb Yacine (le rappel à une Algérie
« multinationale ») le fantasme d'une terre
unifiée de par son passé et ses hommes. Rêve sans trop de
grandeur cependant car influencé par les idéologies de la
mouvance nationaliste. La littérature dite moderne des années
1970 et plus, s'affirme alors essentiellement dans « l'opposition
au régime en place. »91(*). Il ne s'agit plus dès lors de prendre part
à la vaste campagne de décolonisation que de pointer du doigt les
« nouveaux maîtres qui s'installent à Alger. »
(K. Berger, 1998, p. 35.). En effet, un brusque changement s'opère
qui fait qu'on ne s'intéresse guère plus au colonisateur qu'aux
effets charriés par lui sur ces derniers. De là à
considérer ses rapports substantiels à une Algérie
caractérisée plus par son goût de l'oppression que par
l'étanchéité de ses rêves empreints de
chauvinisme : une problématique qui ne relève guère
plus de l'opposition binaire colonisé/colonisateur, mais de la
confrontation de ces cultures et idéologies dans l'espace national
fortifié, et donc se rapportant aussitôt à l'ensemble de
ces manoeuvres qui font que, irréversiblement, l'identité se
confond avec la seule « mémoire militante »
(V. supra : chap. 1, p. 20). De ce fait, notre roman s'inscrit
tout entier dans cette tendance de la
« désillusion », initiée par Dib aux
abords de l'indépendance92(*).
Cependant, le désenchantement en question n'est
pas tout à fait exempt de pouvoir face aux circonstances qui l'ont vu
naître et apparaît alors comme la condition Sine qua none
de la destitution d'un ordre de vie ancien, cher à la particule
dirigeante, par celui de la colonisation-globalisation (l'Impérialisme
fanonien), ou bien selon les mots de Max Weber « la destruction
d'une harmonie séculaire. ». Outre la dimension sociale
que prend ce propos, le désenchantement y figure ici de manière
beaucoup plus individuelle, c'est-à-dire défini plutôt
comme « un sentiment qui intervient dans l'histoire personnelle d'un
individu lorsque celui-ci prend conscience du décalage qui existe entre
la réalité et sa représentation idéalisée.
»93(*). Autrement dit, dans l'ordre relatif aux
différents processus de travestissement de l'Histoire, tant individuelle
que collective. En ce sens, le seul dénominateur commun entre individu
et société demeure la mémoire.
En effet, dans le cas de Karima Berger (écrivaine
exilée), nous retrouvons son obsession pour ce thème de la
mémoire confisquée qu'elle reprend aussitôt sous des
allures subversives, car voyant dans l'Algérie de la
post-indépendance une « Révolution
détournée »94(*) : en particulier vis-à-vis de son
être dont elle puise l'essentiel, et qui s'avère d'un militantisme
autre en raison de son hybridité multiculturelle (proche du
cosmopolitisme). Aussi bien pour contrer le vice d'une nature morte, le
narrateur incarne-t-il la mémoire vivante (l'Agua Viva, cet
être fluide aux apparences profondes, chap. XIII) des origines, objet de
véritables incantations à l'endroit de l'Histoire qu'elle purifie
ainsi de ses élans personnels et protecteurs.
C'est donc tout naturellement que survient cette image
d'« eau vive », un beau jour incrustée dans
l'imaginaire fluctuant de l'enfant en quête de repères
désormais inexistants, imposant la figure de cet être vivant et
fugace, évoluant - de par sa nature fugitive - dans un univers
d'intermittence passagère voire discontinu. Vive,
créature invétérée, enfouie dans les profondeurs
des espaces maritimes, à l'image de l'enfant fouinant dans les replis de
sa mémoire et guettant d'un état à l'autre la bande
éphémère de sa jeunesse, nous paraît-il, incarne
dans sa nature vulgaire (autant que salutaire), l'être
« insaisissable au corps
morcelé. »95(*), figure rompue et disloquée :
À chacun de ses voyages, là-bas, la jeune femme
presque mûre mais encore fouineuse, animée d'une curiosité
insatiable, cherchait toujours dans l'armoire maternelle, mais cherchait
quoi ? Revivre l'intimité profonde que figurait l'antre sombre du
meuble, retrouver ce temps où elle était dedans. Entre les piles
de draps, entre les jours des voiles et dentelles, parmi les tresses de
lavande, entre les transparences des flacons à parfums : là,
sa mère recelait les reliques de ses maternités
passées : dents de lait, mèches de cheveux, prépuces
asséchés, et de sa fille, la jeune femme presque mûre, sa
Soura, fragment d'ombilic. (K. Berger, 1998, pp, 123-124.)
Cette quête de soi, dès son retour en
Algérie, son berceau d'origine, se révèle impossible. Dans
son désir absolu de renouer avec les siens, l'ardeur de communier de sa
chair avec la voix de cette île coupée du monde et de ses fils,
elle s'ingénie à percer à bon coup l'étoffe rigide
qui la porte : en vain cette « Chair
asséchée » tente-t-elle de remonter vers la source
qu'elle n'en trouve pas. Soit qu'elle fût altérée, ou
renvoyée par quelque mésaventure, soit qu'elle n'a jamais
existé envers elle. Pensive, elle demeure à cet égard
« privée de son eau nourricière »,
et l'enfant assiste médusée à la dépravation de sa
mémoire, pensant qu'un pays, qu'une patrie c'est avant tout le reflet et
le produit de ses enfants, abrupts et divertis qu'ils sont, et non plus cette
poignée d'êtres démesurément façonnés
en une image sainte (à l'opposé des
« mécréants ») tels qu'on les fait
:
Chair asséchée par le temps, privée de
son eau nourricière : laquelle ? Comment savoir qui en
était la source, le corps de l'enfant ou celui de la mère ?
« Les incrédules n'ont-ils pas vu que les cieux et la terre
formaient une masse compacte ? Nous les avons ensuite
séparés. » (K. Berger, 1998, p. 123.)
À la lumière de ce texte, nous croyons
déceler à présent un des aspects figuratifs essentiels de
l'« Agua viva », celle d'une Algérie natale et
sourcière, vaste étendue féerique faite de rencontres et
d'affluences, imposant et gros corps maternel, terre d'ablution où
coulent les flots éternels96(*). Cette parabole des temps anciens, jointe à la
parole sacrée de Dieu : « Et nous avons créé
à partir de l'eau, toute chose vivante. » (K. Berger,
1998, p. 123.), imprime l'idée d'une originalité
préséante, voire légitime et vivante. S'en rapportant
à l'image de sa mère, l'enfant, « jeune femme
presque mûre » en quête de reconnaissance, en
perçoit donc la nécessité d'une telle démarche et
poursuit son inspection jusque dans les recoins les plus éloignés
de sa mémoire, en se projetant sans cesse vers le reflet imputrescible
de cet être doublement symétrique, car seule en mesure de
l'absoudre des préjugés que l'Histoire lui intente. Le don de la
mère, ce fragment d'ombilic dont elle s'empare à présent
est comme transposé tout entier dans la chair meurtrie de l'enfant. La
pureté rituelle de ce geste (sa portée spirituelle pour
l'auteure) émerge, à la surface houleuse de cette mer qui la
tient en des élans saccadés, pareillement à une preuve
éclatante de certitude (les reliques, gages de son historicité
authentique) dans un océan de brume et de désespoir.
L'« Agua viva » nous incite
par ailleurs à plonger dans cet univers de la mémoire fait de vie
et de mort (vie de simplicité, de partage, vie spirituelle), en
quête d'un état de légitimité provisoire, de ruines
charnelles chéries par le bruissement de l'être authentique.
Pétri dans cette forme de liberté qu'on ne reconnaît nulle
part ailleurs qu'au sein de collines ondoyantes, saturées de mouvements
de reflux, elle s'élance vers cet univers flottant où les deux
rives s'entremêlent pareilles au cheminement de l'être hybride
(mi-terrestre, mi-aquatique) :
Elle voulut un jour retrouver ses anciennes camarades
d'école pour dérouler ensemble leur commune mémoire, elle
espérait en secret découvrir ce que fut pour elles leur enfance
algérienne, lire comme en un miroir offert, un partage où
viendraient danser les reflets de leurs origines croisées. (K. Berger,
1998, p. 69.)
Cependant, dans son désir de témoigner
à nouveau de tout son être sublime, dans cet authentique hymne
à la mémoire ou ce qu'elle appelle modestement sa
« quête de légitimité »
(idem, p. 116.), l'enfant se surprend en train de
« chuchoter des mots d'un autre âge », sans
plus de vigueur car désormais il ne reste plus aucune trace consistante
de ce qu'elle fût ou de ce que furent ses autres semblables sur cette
terre :
Elle savait pourtant ce partage inégal. Elle savait que
le miroir ne renverrait que de brèves et fugitives étincelles,
des éclats brouillés, imparfaits... (K. Berger, 1998, p. 69.)
Comme le concède ce dernier extrait, toutes les
sources authentiques sont inaccessibles à ses yeux et, de cela, toutes
les chairs qui s'y désaltèrent périssent à
présent de ce fluide retourné, à l'image de ce don
inconsolable de l'enfant « retenant dans les plis de son velours
une Agua viva, morte : morceau de son propre cordon ombilical
conservé jusque-là par sa mère. » (K.
Berger, 1998, p. 123.). L'enfant, de par les événements
contraignants qui ont marqué son passé, sera confronté
à la dureté de la réalité présente, aux
retournements brusques et aux revirements de l'espace97(*) immédiat. Aussi bien,
aux diasporas modernes qu'à tous ceux qui ne sont pas l'incarnation
près du sacré (l'arabe et le coran pour seules
références), « la ville arabe98(*), ce continent noir leur
résistait, impénétrable et interdit. » (K.
Berger, 1998, p. 70.). C'est le cas de la plupart des villes de la
circonscription de l'enfant, à l'instar de Médéa qui,
autrefois fierté de ses habitants, est désormais devenue
« Médéa la conformiste, vouant à
l'insigne religieux un culte sans mesure, [...] conjurant au
moyen de corps rendus glabres, la moindre trace de l'impur ou de corruption des
humeurs, des sueurs et des souillures,[...] Médéa
esclave... » (K. Berger, 1998, p. 87.). De ce fait, c'est le
concept d'« impureté » qui sert de
catalyseur à la mémoire sollicitée en nous
suggérant d'emblée « l'agilité de cet
être aquatique et, partant, la difficulté de saisir son
essence. »99(*).
À la pureté du corps lumineux
(idem, p. 87.), à la salubrité de son lignage (obsession
de cette nouvelle Algérie), l'auteure oppose la véracité
émotionnelle « des coeurs purs »
(idem, p. 113.) qui y échappe à la dévotion
feinte de cette fratrie dissimulant à coup sûr « sa
soumission, ce murmure incessant de patenôtres qui se dégageait de
son corps, la nimbant dans un voile de chasteté qu'elle entretenait
dévotement en ne se vêtant que de couleurs clairs, elle
[qui] lui inspirait du dégoût. » (K. Berger,
1998, p. 96.). L'enfant, plus que jamais résolue à garder sa
mémoire intacte, décide d'inverser à son tour l'ordre
initial des choses : nous assistons au revirement d'une situation de
départ (l'impureté) par une situation d'arrivée (l'exil),
puis inversement de subvertir cet ordre en situation de départ (l'exil)
par rapport à une situation d'arrivée (la pureté). L'une
est nécessaire à l'autre, dans la mesure où le
recouvrement de la mémoire, de la vraie mémoire, n'a d'autres
issues favorables que le soin que fait naître en elle l'exil. L'enfant,
en identifiant l'exil à la mort, c'est en effet à la
pureté de l'âme sur le corps (de tout temps abdiqué)
qu'elle aspire. De là l'idée que partir c'était en quelque
sorte mourir, mais dans la dignité profonde de l'être conscient de
soi et de sa misère. En effet :
Depuis, l'enfant savait que partir était un premier
deuil, une façon de se purifier. [...] Cette dernière destination
surtout déchaînait l'émotion des coeurs purs. [...]
résisterait-elle au périple en ces terres inconnues, à la
chaleur, la foule, au trouble qui étreint le fidèle [...]. Au
moindre signe de fatigue, de lassitude, [...] la mort s'annonce, à
genoux, figure de la délivrance, veillant sur la venue de l'Heure pour
un être en état de plus que pureté. (K. Berger, 1998, pp.
113-114.)
La structuration du roman à l'image d'un long
monologue, véritable « Mémoire de
l'absent »100(*), insiste sur la façon dont l'auteure active
la fonction individuelle et procède à la prospection des deux
espaces temporellement disjoints : « Le coeur en
liesse, elle écoutait, observait, goûtait, sentait les parfums
d'une terre qu'elle cherchait à reconnaître dans la trame d'une
mémoire rompue ou de celle d'un rêve nocturne ne livrant qu'au fil
du jour les fragments de sa composition. » (K. Berger, 1998,
p.125.). Le travail de l'écriture se fonde alors sur cette nature
« voyageuse » car passeuse « d'une
rive à l'autre, d'un monde à l'autre, dans un sens, dans l'autre,
sans cesse. » (idem, p. 125). En effet, L'enfant
des deux mondes, dans une trajectoire analogue à L'aventure
ambigüe de C. H. Kane, met en scène une situation
où se joint le déchirement inconsolable entre la
société traditionnelle (arabe) et les valeurs
héritées de l'occident (françaises). D'où le
profond remaniement engendré par les deux extrêmes
antithétiques, avec, toutefois, une inversion des rôles (les
valeurs de la modernité étant une partie indispensable et vitale
pour plusieurs générations d'Algériens).
En dépit donc de trancher une situation par une
autre, à défaut de vouloir tronquer quelques
éléments de son existence par d'autres, l'exil, et, dans une
large mesure la mort, constituent autant de possibilités pour le
dénouement (en partie, dans le cas où la cohésion de
l'oeuvre succombe au tragique de la vie101(*)) de cette mésaventure : aussi bien,
l'Agua viva, ce morceau de chair ombilicale mi-morte mi-vivante,
vient-il maintenant la hanter dans ses nuits et, comme une
« présence » maléfique et
dérangeante, anéantie de part et d'autre et parsemée de
ruines, lui inspire le geste définitif et salutaire :
Jusqu'au printemps, où lors d'une promenade près
du Pont-Neuf, épuisée par ces longues nuits de rêves
moites, le fleuve fut une délivrance. D'une incroyable liesse ce
matin-là, il semblait l'inviter à incarner la destinée du
pâle vestige. Le soir même, elle revint, sur le Pont-Neuf et d'un
geste sûr et sans équivoque, elle le précipita dans les
flots soyeux. (K. Berger, 1998, p. 125.)
Ce présage à la nature première, ce
voeu du retour transposé peu à peu dans la qualité funeste
de l'objet (devenu insignifiant), une fois projeté par-dessus le pont et
parvenu au contact de l'eau, est-il aussi à prendre comme un gage de
renaissance et de pureté. C'est alors seulement que l'objectif principal
de l'enfant semble réellement atteint, celui de concilier à la
fois le corps et l'âme que lui prête à nouveau sa
destinée. Tout cela n'eut pu être possible sans la volonté
introspective du narrateur qui se glisse spontanément dans l'univers de
l'enfant et, pour davantage de considérations, nous rend ce
témoignage dans un récit où « L'exploration
de la mémoire [au prix d'un grand effort personnel]
déjoue les falsifications de l'Histoire et les prétentions
unificatrices des discours d'identité. »102(*).
3. L'étrange[r] aux sources du renouveau :
L'enfant des deux mondes retrace
déjà dans sa première partie, celle d'avant l'exil, un
monde enchanté et gracieux qui se déroule au rythme de la nature
et des rencontres qui s'y pressent. Les sorties et les promenades, les jeux
divers aussi bien que les voyages qu'elle entreprend avec sa famille (de
parents tous deux instruits à la culture française), semblent
donc l'initier d'abord à la culture de l'Autre et du Divers103(*). À ce
rythme-là, en effet, « les eaux [...] jaillissent
[encore] de leur source ... » (K. Berger, 1998, p.
12.). L'enfant du reste se complait dans son univers moderne, fait d'imaginaire
et de réel, et ne tarde pas à s'enticher pour les figures
livresques qui l'enceignent :
« Je vois ... les eaux qui jaillissent de leur
source ... les branches des arbres qui dansent comme des pénitents, les
feuilles qui battent comme des ménestrels »,
était-ce la lecture de Roumi en ce Generalife de Grenade qui instaura
définitivement en elle la vision de l'oranger... [...] Le pommier [...]
Arbre trop abstrait, juste découvert dans les livres français de
lecture ... [...] Comme celles de cette collection de livres de Heidi... [...]
Heidi n'était pas un nom français, c'était un nom
singulier, énigmatique et il l'attirait parce qu'il était
étranger. (K. Berger, 1998, pp. 12-13.)
Mais, si l'Autre constitue pour l'enfant une source
certaine d'attraction, il est aussi le point de rupture avec le monde
traditionnel - ce vers quoi il tend et s'oppose - et annonce la
séparation d'avec son milieu natal. Deux étapes sont
également constitutives de ce parcours : la rencontre avec l'Autre,
et la redécouverte de ses origines propres.
L'univers original de l'enfant qui doit transfigurer en
contrepartie celui des livres : « elle le connaissait
ce pays par l'entremise de ses livres magiques. » (K. Berger,
1998, p. 121.), nous permet de voir en outre l'influence mystique
exercée sur elle de part et d'autres des deux communautés. Ainsi,
aux dires de sa grand-mère, seule l'enfant irait au paradis et quiconque
n'est pas musulman, sous couvert d'impureté, y perd son doit de
cité, à l'instar de ses nombreuses camardes d'école. Et
elle alors de protester contre ce distinguo, cette révélation
xénophobe de la grand-mère, plus peut-être par humanisme
que par naïveté : « Un paradis,
dit-elle, qu'est ce que cela peut bien être... ? Un immense
jardin où les animaux sauvages vivent en harmonie avec les hommes, un
royaume habité par des fées, un monde où il n'y a pas
d'hiver, où les parents réparés sont
réunis... » (K. Berger, 1998, p. 17.). Contrairement au
monde rêvé et fantasmé par l'enfant, on retrouve,
entassés dans l'esprit des siens, un grand nombre de clichés
confectionnés en douce puis révélés au fur et
à mesure que l'histoire évolue104(*). À travers donc ce discours porté sur
l'Autre (le roman est un va-et-vient entre les mondes traditionnel [pur] et
moderne [impur]), l'enfant voit en elle surgir un idéal de beauté
autre auquel elle aspire et participe de par sa nature ambigüe, seule au
contact de l'Autre, de son intimité qui l'incitent à cette prise
de conscience en orientant sa vision du monde et l'image qu'elle s'en fait
d'elle-même :
On aurait pu inventer une histoire où le paradis
n'existait pas pour tous ou était différent pour les croyants de
chaque religions, ou autre chose encore sans les exclure du paradis, comment un
paradis pouvait-il être xénophobe ? Le paradis musulman
était-il alors un vrai paradis ? (K. Berger, 1998, p. 18.)
En ce sens, en effet, « on pourrait
être à la fois Français[e] et musulman[e]
à part entière »105(*), là où, pour elle, les cultures ne
s'entrechoquent pas, ni ne se guettent au détour de l'Histoire.
L'identité ainsi définie, repose entièrement sur les
visions d'altérité qui la mesurent et la fondent, car jouant de
surcroît un rôle essentiel dans la détermination de soi.
« Marquant la frontière de la société,
l'étranger, tel que le conçoit J.-M. Moura, renvoie
à la vérité de celle-ci, à ce qu'elle exclut et
donc à ce qu'elle tient pour fondamentalement
sien. »106(*).
Cette expérience nouvelle, profondément
ancrée dans l'imaginaire de l'enfant, a son lot de renouveau au sein
même de ces deux communautés rivales ; car, ne pouvant
exclure ni l'une ni l'autre, elle endure tout simplement le fruit de cette
complicité qui est le propre de l'identité commune et sociale.
C'est cette révélation faite par la grand-mère,
« la tempête qu'elle venait de semer dans l'esprit de
l'enfant » (K. Berger, 1998, p. 17.), qui chamboule un moment sa
vision du monde et crée en elle les conditions (durant
lesquelles l'identité subit des changements notoires) propices
à l'apparition d'un entre-deux, à un parallèle de ce
qu'est déjà et sera précisément l'enfant,
c'est-à-dire une personne qui, tout en étant imbue de son
enseignement bilingue, de ses cultures supposées être
?inconciliables', affirme être à la charnière d'un monde
multiple et conciliable :
De son côté, l'enfant, plus tard, en France,
lorsqu'elle découvrit le mode railleur des caricatures de pieds-noirs,
des moqueries évoquant leur accent, leur cuisine, leurs manières,
curieusement elle ressentait une brûlure secrète comme si l'on se
moquait de ses frères, de son peuple, des siens. (K. Berger, 1998, p.
102.)
Une question semble particulièrement
découler de ce texte : comment être soi, entièrement
soi, en misant simultanément sur les deux bords sans plus jamais risquer
l'exclusion ? En effet, l'altérité et l'identité
sont, d'un point de vue philosophique, deux notions antithétiques et
contradictoires, de ce que l'une suppose ce qui n'est pas soi,
c'est-à-dire ce qui est différent en étant soi ; et
l'autre, ce qui n'est qu'intérieurement soi et engendre de ce fait
l'étrangeté de l'autre. Tout simplement parce qu'il n'y a pas
d'« étrange » à proprement parler,
l'étrangeté étant de ce fait la valeur partagée,
celle-ci s'exclut d'elle-même, au profit d'une diversité
« légale » et reconnue. En ce sens, B.
Chikhi parle de conciliation comme de médiation entre les deux
mondes :
Comment résorber le conflit sinon par une action de
médiation. Établir des traits d'union entre les différents
noms, les différents statuts, concilier les deux bords, que de part et
d'autres, les sociétés exclusives voulaient contradictoires.
Restaurer107(*) une espèce de continuité de
complémentarité entre deux cultures, deux religions, deux
peuples, deux civilisations.108(*)
De ce fait, la rencontre des langues109(*), d'abord riche pour l'enfant
(français, arabe, tamazight...), aux dires de Charles Bonn, se fait
« désirante »110(*). Même (et notamment)
après l'exil, l'éloignement auquel elle aura tant
espéré se retourne en une fracture affective et morale, lui
désignant la dimension réelle et composite de son
être : « Son voyage dans le monde de l'Autre
[...] se présente paradoxalement comme un retour aux sources,
aux racines à travers une double réexploration de son Moi et de
sa Culture. »111(*).
Karima Berger, par les attributs que l'on sait, nous
rappelle encore une fois à l'ordre en réinventant cette notion de
l'étranger qui demeure, à bien des égards, recluse dans
son passé colonial. Celle-ci s'affaire davantage dans la description et
la sauvegarde d'une tragédie non plus passée qu'à venir.
C'est ainsi que le roman (par l'intermédiaire et la démarche
subversive de l'enfant, figure moderne de l'antihéros) pourrait à
lui seul culminer dans la teneur d'une seule phrase, fort significative
à son sens : « ... tout ce qui avait une
consonance étrangère n'était pas forcément
français... » (K. Berger, 1998, p. 111.).
3.1. L'effet boumerang :
Les événements tragiques liés
à la conquête puis à la guerre d'Algérie, s'ils se
réclament volontiers d'une mémoire de l'oubli, continuent
à susciter dans l'esprit des Algériens enclins au pathos, la
quête vertigineuse de leur Soi inaltéré. De ce fait, le
passé colonial est toujours en marche, et, comme on l'aura vu, ces
dispositions ainsi formulées rejoignent d'autres pour s'instituer en un
espace administrativement clos, là où, de surcroît,
« l'évocation de l'étranger n'est souvent qu'une
ruse du nationalisme. »112(*). Plus tard, ces éléments constitueront
de nouveau les assises d'un mouvement islamiste radical, qui n'est pas sans
puiser dans la rigidité des lois patriarcales :
Oui, montrer aux siens qu'on tient à distance cet
étranger, le garder anonyme, inanimé, sans esquisser le moindre
mouvement d'approche ni de curiosité envers lui. Sans risques pour son
honneur ni pour les bénéfices de l'inépuisable dette. (K.
Berger, 1998, p. 109.)
Les notions de ?pureté' et d'?impureté'
relevées un peu plus haut, fonctionnent à elles seules comme
autant de gages à l'endroit de cette communauté d'origine
filiale113(*). En effet,
toutes les sources qui mènent à la souillure du culte et à
l'étrangeté des origines - dussent-elles être
établies de façon authentique - sont de ce fait rejetées,
quitte à nier « la double référence qui
entache leur origine » (K. Berger, 1998, p. 108.). Les
mêmes attributs raciales ou ethniques constituent donc la norme
référentielle par excellence du sujet mu par l'imaginaire
sociétal de l'après-indépendance, et définissent sa
personnalité de base :
Donner à sa communauté des gages de
pureté raciale, religieuse, de refus du mélange, d'exclusion de
celui qui n'est pas dans la communauté... (K. Berger, 1998, p. 109.)
Pourtant, à ce niveau, le rejet n'est pas
entièrement accompli, et, cependant que « L'Islam comme la
tradition tribale montrent, en actes, leur incapacité à fournir
l'identité tant recherchée. »114(*), l'intérêt est
de nouveau porté sur l'Autre, et l'exil, cette nébuleuse de
l'être infinie, parvient de ce fait à achever
« l'écho chimérique de la
pureté. » (K. Berger, idem). C'est la raison
pour laquelle l'enfant se découvre
« nomade »115(*) dans son cheminement individuel alors même
qu'elle fait parti d'un groupe de
« sédentaires ». Le voyage en question
ouvre dans l'univers du héros une brèche
insoupçonnée, « un espace
indéterminé [...] lui permettant non seulement de
découvrir un ailleurs étranger, mais aussi de s'explorer
soi-même. »116(*). « L'Autre est notre propre
nuit » dira-t-on. Si le narrateur s'en rapproche petit à
petit de l'univers romanesque de Malek Haddad, nous y voyons là un signe
de réconciliation et non de rupture (l'exil aidant), en voie de
rétablir l'innocence et la pureté des deux mondes.
Aussi, nous assistons maintenant à une trajectoire
inversée : la position de l'autre jadis tout endiguée,
demeure, à contrario, et d'un air quasiment naturel,
présente à l'esprit de ceux qui imposent de tout temps l'oubli
comme condition plus que nécessaire à la formation d'une
?conscience nationale' et devient élément central, exceptionnel
d'une quête de la modernité confisquée. D'autant qu'elle
suggère à sa manière, et par la force des choses,
c'est-à-dire dans le droit fil de la désillusion, la
présence inéluctable et tant recherchée de l'Autre :
Ironie de l'histoire, mais plusieurs années
après l'indépendance retrouvée, comme en un miroir du
temps la France hante à présent le rêve des
Algériens. (K. Berger, 1998, p. 104.)
L'Autre et, de ce fait l'étranger, apparaissent
donc comme des figures réinvesties et entièrement nouvelles, de
par leur passé historique approuvé
: « Une belle centaine d'années de vie presque
commune... », de coexistence et de confrontation dans les champs
de la recherche même et sans quoi le processus de modernisation n'en est
que plus éprouvé. Partant de cette logique dualisante qu'on est
plus à même d'accéder à la vérité en
accédant à autrui, les liens se retournent et convergent vers un
ultime but de reconnaissance :
Là-bas, de l'autre côté de la
Méditerranée, la production intellectuelle sur la période
coloniale, pourtant prolifique, n'a ni épuisé le sujet ni
même soulevé le coin du voile de ce qu'est en vérité
une histoire coloniale, redoutable machine à aimer et haïr en
même temps, où la violence du maître ne parvient pas
à étouffer la tendresse pour ses sujets, ni effacer la rencontre
entre les mondes, fût-elle traversée de fureurs. (K. Berger, 1998,
p. 105.)
En exigeant le départ forcené de l'Autre
(les pieds-noirs, mais aussi et dans une moindre mesure, les élites
autochtones francisées), l'Algérien d'aujourd'hui (de plus tard)
se voit opérer, malgré lui, un retour inopiné à
l'Autre, figure à la fois
« mécréante » et conciliante.
Là réside l'effet boomerang117(*), le retournement brusque de la situation et la
réversibilité du geste envers l'Autre, qui jadis était
considéré comme « incapable d'entrer dans
l'Histoire, vivant dans un univers se cadavérisant par une profonde
inhumanité et une extrême
atemporalité. »118(*). En ce sens, nous pouvons citer les nombreux acquis
dont fait état malgré soi la nouvelle nation (et notamment dans
le domaine pédagogique, voir la seconde partie). Cependant, conte tenu
du repli identitaire et idéologique permanent119(*), l'exil, dans son
cheminement inverse vers « l'ennemi » d'hier,
reste l'exemple le plus pertinent et le plus apte à retrouver des
éléments de la culture jugés peu probables par les
détenteurs zélés du discours anticolonial :
La France a été d'abord ce pays fait pour jouir
de ce qu'elle peut leur offrir, jouir de ses richesses, de ses grands magasins,
de sa démocratie, de ses papiers, de ses nouvelles identités
françaises que l'on peut se procurer sans honte ni remords, du splendide
anonymat que ce pays permet, de la liberté prodigieuse à en
donner le vertige ; dévoiler sa femme, boire des bières aux
terrasses des cafés, dévisager le corps dénudé des
jeunes filles, se sentir libre comme jamais. (K. Berger, 1998, p. 107.)
Pour des écrivains de la tradition (issus de
l'espace maghrébin), la quête d'une modernité favorable se
situe donc irréversiblement du côté de l'étranger,
non plus perçu comme figure menaçante d'aliénation que
comme « une bouée de sauvetage [dotée d'un
potentiel immense] à laquelle [on] doit s'accrocher afin
d'échapper à la domination des siens si attachés aux
habitudes qu'ils ont héritées de leurs ancêtres ou qu'ils
ont parfois forgées eux-mêmes. »120(*). Sur le plan de
l'écriture du reste, on assiste à l'intégration des codes
divers par les écrivains de la
« double-culture »121(*) qui favorisent, par rapport
de concomitance, l'implantation de leurs écrits dans les deux univers
indiqués.
En effet, devant « l'émergence d'une
riche gamme de références culturelles, de quelque horizon ou
héritage qu'elles proviennent... », le texte
littéraire recouvre de sa vigueur et baigne dans l'abondance de ses
nouveaux repères. De tels choix sont à la fois porteurs d'une
modernité de pensée inouïe, que de nouveautés
à part et d'originalité textuelles. La marque de
l'altérité y est particulièrement investie, qui
revêt une fonction fort symbolique, celle qui encense le rêve
individuel et mène à l'illumination du sujet. À ce stade,
la rencontre y est plus affirmée, et les auteurs nouvellement
annoncés « se rejoignent pour refuser radicalement toute
généalogie univoque. ». Ils conçoivent la
?maghrébinité' comme « une résultante de
convergences culturelles diversifiées et ouvrent des brèches
décisives dans « le Grand Code » occidental -
langue, mythes, référents culturels, formes
génériques - pour y engouffrer des éléments du
(des) code(s) originel(s). »122(*).
PARTIE DEUXIÈME : Les processus de
l'hybride en l'oeuvre
« Car si j'essaie de saisir ce moi dont je m'assure,
si j'essaie de le définir et de le résumer, il n'est plus qu'une
eau qui coule entre mes doigts. Je puis dessiner un à un tous les
visages qu'il sait prendre, tous ceux aussi qu'on lui a donnés, cette
éducation, cette origine, cette ardeur ou ces silences, cette grandeur
ou cette bassesse. Mais on n'additionne pas des visages. Ce coeur même
qui est le mien me restera à jamais indéfinissable. Entre la
certitude que j'ai de mon existence et le contenu que j'essaie de donner
à cette assurance, le fossé ne sera jamais comblé. Pour
toujours, je serai étranger à moi-même. »
Albert Camus
? Quelques repères :
1. La vie de l'auteure :
Karima Berger est née à
Ténès, en Algérie, durant les prémices de la guerre
de libération. Fille de harki, elle rallie aussitôt
l'école française de Médéa123(*) où elle
reçoit, dès son plus jeune âge, une instruction de base qui
l'accompagnera durant tout son parcours intime et professionnel. Peu
après, elle découvre les mystères de l'enseignement
religieux à la médersa, qui ne sera pas sans l'affecter
durablement dans ses liens spirituels et affectifs. Elle est vouée,
dès le départ, à une vie débordante de cultures et
de sens, faisant la richesse et la rigidité de ses écrits. Prise
entre ces deux mondes que sont les cultures Européenne et musulmane,
elle reflète ainsi, à travers sa personne, toute une
génération d'algériens (assimilés) au parcours
imprévisible et stable. Ce paradoxe étant celui qui l'anime,
toute son écriture en reçoit le sceau de la dualité dont
elle est imprégnée.
Après les longs événements de la
décennie 1970 caractérisée par la montée
décisive des nationalismes, l'instauration du régime socialiste,
la politique de l'arabe et son ancrage institutionnel124(*), le recul des
libertés individuelles ou encore l'obstruction des voies
libérales d'affirmation pour les minorités locales, Karima met un
terme à ses études supérieures engagées à
l'université d'Alger. La masse de ces revirements (changements brusques)
énoncés par les autorités publiques, constituent, pour
ainsi dire, le principal point de rupture à l'égard de sa
personnalité profonde125(*). Ainsi, dans le but d'éluder toutes ces
contraintes, est-elle sommée de répondre à l'exil depuis
lors grandissant.
Elle poursuit, depuis l'année 1975, sa formation
académique en France où elle prépare un doctorat de
sciences politiques sur le thème du nationalisme, sorte de
préambule à ses oeuvres littéraires en gestation. Dans une
interview accordée à la revue Algérie :
Littérature / Action et dirigée par Christiane
Chaulet-Achour, elle concède, en juin 1998, son intérêt
pour le dualisme culturel sous-jacent à la question de
l'identité. À partir de ce moment, elle dispose d'un riche
panorama littéraire édité à
l'étranger126(*).
L'Ailleurs est de ce fait fort représentatif de la
vie de l'auteure : « Pour moi, dira-t-elle, cet
accueil de l'étranger, c'est le socle pour bâtir une histoire, un
langage, un récit. C'est un vrai travail de culture qui nous
attend... » dans un monde arpenté par d'étranges
« rumeurs désertiques » (K. Berger, 1998,
p. 125.).
2. Aperçu de ses
oeuvres :
Le parcours professionnel de Karima
Berger est relativement dense et varié. Après plusieurs
publications universitaires, elle s'oriente vers l'écriture
littéraire et publie plusieurs romans, suivant la thématique du
dédoublement identitaire chère à son être personnel.
Son oeuvre, façonnée désormais à son image propre,
est porteuse de séquelles corrélatives aux racines profondes et
aux travestissements de l'Histoire127(*). En ce sens, nous pouvons citer quelques unes de ses
oeuvres principales éparpillées sur les nombreux domaines de la
prose : romans, essais, recueils de nouvelles...
? L'enfant des deux mondes (1998) : Ce premier
roman est fondamental pour l'expérience scripturale de l'auteure. Roman
à vocation autobiographique qui relate l'enseignement et la vie de
l'enfant (sujet) dans une Algérie réticente face à son
héritage (post)colonial. L'écriture de cette oeuvre emprunte
davantage la voie réaliste de témoignage. Elle s'apparente
d'emblée au récit d'enfance parcouru, en premier lieu, par la
présence effective du colon et de sa culture, face à la figure
retranchée de l'indigène. À travers ce témoignage,
l'enfant entend rétablir quelques traits de culture ambivalents
caractérisant sa condition propre : la présence
simultanée de deux cultures antithétiques au sein de la
même personne. Ayant soulevé un point essentiel vis-à-vis
de la mémoire collective, ce roman est couronné, dès suite
de sa parution, par un commentaire de Mohammed Dib.
? La chair et le rôdeur (2002) : C'est un
roman pleinement investi dans la problématique sociale et identitaire
resurgissant après bien des années de mutilation
réciproque. L'identité ainsi révélée dans sa
mixité, sa différence, ses ruptures en même temps que ses
liens tissés avec l'autre demeure constamment au centre de la
réflexion. Le rapport de la femme musulmane à la culture
étrangère est également exploité dans ce qui
constitue, dans l'exil de Karima, une sorte de continuité relative et
conséquente. L'auteure, aussi bien, peint avec force détails la
réalité sordide d'un pays meurtri, de par son extrémisme
virulent qui établit le conflit et la guerre.
? Éclats d'islam : Chroniques d'un
itinéraire spirituel (2009) : sont autant de chroniques qui
trouvent écho dans les grands événements de ce
siècle passé. Cette oeuvre reflète véritablement la
charge de tous ces contresens survenus aux confluents des mondes Traditionnel
et Moderne. Profondément ancrées dans la culture humaniste, ces
chroniques sont élaborées sous le signe avantageux de l'ouverture
à l'autre et à sa culture. Par ailleurs, elles mettent en exergue
la situation de l'islam vécu dans son exil et sa renaissance :
« l'islam naît dans l'exil », dira-t-elle,
comme aux temps prophétiques de l'hégire. La
pensée de Karima Berger, empreinte de dualisme, se retrouve
particulièrement illustrée dans cet ouvrage, où elle se
livre à une déconstruction paradigmatique des concepts
hérités sous le signe d'une dichotomie
désuète : Occident/Orient - islam/laïcité -
femme/sujet ... Éclats d'islam, se ressaisissent donc d'une
pensée jadis d'actualité en Algérie, comprise dans le sens
de l'élucidation de la mémoire historique et collective. En
dehors de toute idéologie, elles augurent une série de ruptures
remarquables dans le domaine de la pensée.
? Mektouba (2016) : est son quatrième
roman, sorte de parabole réaliste sur son Algérie natale. La
quête de l'identité y figure particulièrement dans cet
écrit comme un inextricable lien qui s'affirme en elle, de plus en plus
éloigné entre la « destiné », la
bâtisse originelle, et ses fils exilés. Une partie du livre est
consacrée à cette réalité pressante de
l'héritage colonial obstrué par les nouveaux tenants de
l'extrémisme. Ce livre est l'expression d'un repentir (d'un
démenti ?) à l'endroit de la mémoire sacrée.
Par souci de concision, nous n'allons pas nous
étendre sur l'ensemble de l'oeuvre de Karima Berger, d'autant qu'elle
est l'expression d'un choeur en parfaite harmonie, c'est-à-dire mise au
service d'une thématique largement investie. Tâchons de
révéler néanmoins les autres titres, publiés
respectivement comme suit : Filiations dangereuses (2007) ;
Rouge sang vierge (2010) ; Les attentives (2014) ;
Cinq éloges de la rencontre (2015).
3. Le corpus :
Son oeuvre que voici (L'enfant des deux mondes,
éd. L'aube, 1998) sera très appréciée par la
critique et recommandée par Mohammed Dib. Elle relate
l'étreignant parcours d'une enfant vouée à une vie de
sacrifice, étrangère à mi-chemin entre une culture
imposée, captivante (occidentale) et une autre indispensable mais
stérile (musulmane), confectionnée dans la marge des
événements tragiques que connut le pays.
Ce témoignage d'une double culture
franco-algérienne, à la fois
« pudique » et saisissant, rend compte de tout
l'enseignement inculqué à l'enfant paire qui, en
vérité, n'était ni l'un ni l'autre. Se voulant
également une réflexion sur le fait religieux, elle
n'hésite pas à rompre le lien avec l'imaginaire
imperméable professé avec tant de foi et de haine envers
« l'autre ».
Le roman est aussi un parcours dans le temps et l'action,
suivant la frise chronologique des événements d'avant et
d'après la guerre : d'une page à l'autre, le lecteur se sent
transporté vers une vérité tant recherchée - si ce
n'est délivrer un bout d'histoire vécu par le concerné -
jetant l'ancre sur les thèmes les plus frappants de l'histoire
algérienne : l'assimilation, le dédoublement identitaire, la
double répression, les manoeuvres des hauts tenants, la confusion des
langues, l'hégémonie du culte, bref, les stigmates d'une tranche
de la société ...
En outre, l'écriture de Karima Berger, quoique
située aux limites de l'inclination postmoderniste caractérisant
son époque128(*),
s'inscrit tout entière dans la tradition réaliste introduite par
les premiers romanciers algériens (ceux de la deuxième
génération tout au moins). Son oeuvre prolifique est la
structuration d'une profonde quête de l'identité
altérée par les signes du dédoublement des cultures
spirituelle et matérielle. Sa pensée, empreinte de dualisme,
recouvre un large pan occulté de l'histoire de l'Algérie
française, comme elle semble promener, du reste, un profond regard sur
le renouveau de l'Algérie des temps modernes.
? CHAPITRE PREMIER : La dimension
poétique.
Les formes imprévisibles que prennent les romans
francophones contemporains naissent de cette rencontre entre une
inquiétude identitaire profonde - et souvent douloureuse - et un genre
littéraire nomade qui absorbe cette inquiétude, la fait circuler
comme une sève et s'épanouit grâce à elle, en de
multiples fleurs.
Charles Bonn.
Compte tenu des analyses qui ont
précédé, nous avons pu voir se constituer plus haut des
identités relativement opposées, sous des catégorisations
variées et nombreuses. Telles que nous les avons disposées, il en
ressort que les unes font appel à des entités nationales, alors
que d'autres se réclament d'un héritage vaste en passe d'y
inclure la dimension transnationale. Cette dernière regroupe tous les
phénomènes hybrides des milieux socioculturels, tels que les
métissages ou les brassages ethniques. L'identité ainsi
établie, c'est-à-dire en rapport à une pluralité
complexe, tient lieu de référence aux procédés
d'écriture entamés sur la base de ces cinq dernières
décennies. À sa manière, le texte littéraire
reflète de ce fait le long débat qui a caractérisé
ces identités et tend à lui infliger à son tour une marque
durable, celle précisément d'un récit en proie à
toutes les transgressions et subversions possibles. L'identité double
est celle qui confère au texte les marques de l'incohérence et de
l'hybride. Ainsi, les uns exaltent l'abondance ou la liberté des
ressources tandis que d'autres clament plutôt l'incertitude ou
l'état d'hésitation dans lequel ils gisent. De telles
avancées sont plus apparentes sur le volet narratif, dans la mesure
où le récit peine à mettre en place un dispositif capable
de réunir et de raccommoder la somme de ces identités
fuyantes129(*).
La situation historique (la colonisation, la
décolonisation ou l'émigration entre autres) semble y contribuer
à son tour à la formation de paradoxes forts concurrents,
à mesure qu'elle procède sur le terrain de l'individualisme et
perpétue le « choc » des cultures moderne
et ancestrale. Les écrivains issus de ces espaces de la colonisation
participent de cette logique hybride, en inscrivant leurs écrits dans
une posture de l'entre-deux propre aux sujets postcoloniaux. En effet, muni de
tendances culturelles confondues et d'éléments composites, leur
héritage commun semble sous-tendre, en matière d'écrit
également, leurs déambulations et leurs errances
poétiques. Dans cette partie du travail, il sera question de voir en
quoi le roman désigné, L'enfant des deux mondes, est-il
lui aussi une représentation métissée de la vie de
l'auteure et dans quelle mesure peut-il participer de l'esthétique
hybride.
1. L'hybridation générique :
L'hybride désigne dans son acception la plus
large, tout fait qui va dans le sens de l'extravagance, ou procède de
l'anomalie à l'égard d'un individu. À l'hybridation
culturelle d'un auteur s'ensuit celle générique de son
oeuvre : Le roman est le genre le plus accueillant, le plus
malléable et le plus susceptible de représenter, de part sa
structure, la réalité complexe du sujet hybride.
L'impureté du genre tient de ce fait à la transgression des
normes génériques imposées (par l'occident) par
l'assimilation de nombre d'éléments
hétérogènes peu respectueux des conventions
prosaïques établies130(*). Ce phénomène, d'abord existant depuis
la période antique, s'est accru avec l'émergence des
littératures francophones, et notamment avec la vague des écrits
postcoloniaux. Ces auteurs nés dans les périphéries, leurs
écrits s'en éloignent de beaucoup de ceux de la
métropole131(*).
Les codes récupérés sont ainsi investis dans l'imaginaire
local pour signifier, sous d'autres cieux, d'autres
réalités132(*). À telle enseigne que le texte devient le
lieu d'affrontements incessants entre un substrat traditionnel (à
l'instar des littératures religieuses : chants liturgiques,
poésie mystique, etc.) et la modélisation théorique
héritée des « Grands
Codes » occidentaux. En fait, devant une telle conception
inédite (et disproportionnée) de l'identité,
« l'hybridation est devenu un dispositif qui sert à
dévoiler l'identité plurielle de l'auteur qui reconnaît
ainsi sa propre altérité. »133(*).
L'hybridité apparaît donc au lendemain des
indépendances comme une nécessité esthétique devant
transposer la réalité extrême de l'être face à
son identité et, chemin faisant, remettre en question les
critères de catégorisation imposés de part et d'autres des
deux rives. En ce sens, nous pouvons dire qu'elle participe d'une
« stratégie postcoloniale » du moment
qu'elle vise à supplanter les interdits et aspire à disposer
librement de son être (l'Habeas corpus) et de sa
personnalité profonde. Tout texte récuse lui aussi, dans la
position de son auteur, les tentatives de balisage qu'on lui assigne, car tant
qu'il est le prolongement d'une manière d'être spécifique,
d'une identité complexe, il demeure plus particulièrement ouvert
à d'autres propositions. En effet, «... l'identité
est désormais conçue comme un récit complexe, en
perpétuelle évolution. »134(*). Cette identité, en
plus d'y être transposée dans les écrits comme telle,
influe sur l'ordre et l'organisation des récits. La question de la
pureté des origines occupe de ce fait une place imposante au sein de
notre corpus, non plus comme vaine affirmation substantielle, mais plutôt
comme le donne à lire Cheniki, en tant que rejet des formes
généalogiques adoptées par les institutions en
place :
Dans un monde fait de métissages et de marques hybrides
[...], dans un contexte traversé par les rumeurs identitaires, les
aléas historiques, les atavismes culturels et rituels, les incidences
schizophréniques dues aux différentes invasions coloniales, les
locuteurs nourris de diverses instances mais prisonniers de discours relevant
du mythe et d'attitudes passéistes, produisent une instabilité
discursive et se mettent en quête d'identités illusoires, la
langue et l'école constituant les deux éléments-clé
de toute discussion.135(*)
Cependant, il reste encore à élucider
l'obscurité sémantique étalée du côté
de cette notion. L'hybride est à prendre, étymologiquement
parlant, non au sens premier que lui confère l'univers ou le monde
biologique, dans le croisement ou le métissage de deux espèces
différentes, mais dans l'acte même de démembrement qui
résulte d'une telle opération. Il y a donc rupture des liens de
sang, et la relation devient clairement inauthentique, impure. Contrairement
à ce que l'on pourrait penser, l'hybridation survient uniquement au
terme d'une longue déchirure, et la croyance à un
métissage accompli serait alors toute vaine et prétentieuse. Une
chose est sûre et qui révèle l'anxiété du
sujet, c'est qu'il n'y a pas de « fusion ni de symbiose, mais une
négociation souvent âpre et
douloureuse. »136(*). En effet, comme l'indiques son titre, l'idée
principale qu'il nous inspire et que nous retrouvons avant tout dans
L'enfant des deux mondes est celle d'un dialogue forcé et
insoutenable entre deux extrêmes vitaux, excessifs, renvoyant chacun
à l'image de deux mondes imbriqués à priori mais
qui sont finalement fort inconciliables :
Ce rêve de la rencontre, de l'assimilation,
caressé dès l'origine comme une promesse, s'était à
présent évanoui. (K. Berger, 1998, p. 65.) [...] elle qui
cherchait toujours à comparer, faire correspondre les deux mondes,
à traduire, intense travail de tous les instants, d'une langue à
une autre, d'un signe à un autre, dans un sens, dans l'autre, sans
cesse. (Idem, pp. 81-82.).
L'hybride, loin donc de constituer un univers d'harmonie
et de métissage (de sang-mêlé) comme dans sa particule
latine, est cependant « à l'image d'un dialogue fait de
tensions, de contradictions et parfois [seulement] de points de
rencontre. »137(*). C'est la raison pour laquelle il se situerait
plutôt du côté de la
« bâtardise ». Aussi est-il besoin de
distinguer ce mot ?hybride' (français) de son homologue (anglais)
?hybrid', qui lui n'a pas d'équivalent propre en dehors de
l'intégration et ne saurait, pour ainsi dire, relever de l'ordre de
l'« hybris » grec, c'est-à-dire de celui de
l'excès, du viol, du choc ou de la profanation.
C'est aussi en raison de cette profanation que l'enfant
éprouve une certaine contrariété vis-à-vis de sa
personnalité intime, et au regard de tous les malaises ou imbroglios que
lui inspire sa filiation d'origine. Mais s'il est vrai que devant une telle
indécision le sujet hybride est amené à se morfondre,
l'enfant, elle, se met en devoir de chercher à concilier son
héritage amer et discordant, dut-il être au prix d'un
« perpétuel mouvement de balance », d'un
pesant va-et-vient qui inaugure « une culture de type
syncrétique paradoxale »138(*). En ce sens, nous relevons
plusieurs états de transgressions qui s'acheminent sur des amalgames
d'ordre logique et formel. D'ailleurs, « elle ne résistait
pas au jeu de faire correspondre l'un et l'autre texte et de jouer au miroir
des prophètes. » (K. Berger, 1998, p. 56.). C'est ainsi
qu'elle s'adonne au transfert des valeurs qu'elle juge commode d'un signe
à l'autre, au risque d'un éventuel blasphème, et
procède au rapprochement quasi naturel de Corpus réputés
être à la lisière de l'entendement (la Bible et le Coran).
En effet, le collationnement de deux catégories de textes
opposées, le texte coranique « pur » et le
texte biblique « altéré », signe le
positionnement hybride du sujet et brise l'unité corporelle du
texte :
Notre Père / Au nom d'Allah,
Notre Père qui êtes aux cieux / Seigneur des Mondes
Que to nom soit sanctifié / Le Tout
miséricorde
Que vienne ton règne / c'est Toi
que nous adorons,
Donne-nous notre pain
quotidien / Toi dont nous
implorons l'aide ...
Amen / Amîîîîîne. (K. Berger,
1998, p. 56.)
« Elle avait une conscience claire de son
imposture mais ne se sentait point coupable. » (K. Berger, 1998,
p. 28.). Ainsi, on aura vu se manifester tout au long de ces textes plusieurs
formes narratives différentes. Certaines d'entre elles s'enfilent tour
à tour et ponctuent par conséquent tout le récit. Nous
parlerons alors d'un roman « polymorphe », dans la
mesure où il admet dans sa structure interne des éléments
représentatifs d'autres genres. En effet, l'exemple
précédent nous met en présence d'un texte qui
altère à la fois narration (voix du narrateur) et antiennes (Voix
de Dieu). De telles combinaisons (p. 93.) ne vont pas sans rappeler l'exemple
des structures narratives traditionnelles (poésie d'appellation publique
et contes hagiographiques139(*)). D'autres voix sont également constitutives
de ce texte comme celle du Cheik (p. 116.), du prophète proférant
la parole de Dieu (pp. 13, 53, 54, 56, 123.) et de ses dévots (pp. 14,
17, 19, 57, 58, 83, 84, 85, 93, 101.), ou encore de ses livres (pp. 12, 13, 15,
26, 46, 48.). Autant de voix qui s'interpénètrent et viennent
s'additionner à celle de l'enfant (pp. 12, 17, 18, 19, 26, 36, 51, 56,
58, 98.) pour affirmer une fois de plus au texte son inscription dans le milieu
de la polyphonie.
Mais il ressort également que, de cet
embrouillement volontaire, à travers la dissémination des voix
narratives, l'auteure, en voulant témoigner de son flou identitaire
favorise également les besoins du genre. Son destin assumé, le
roman converge lui aussi vers un genre limitrophe, « une sorte de
lieu qui serait entre deux » (K. Berger, 1998, p. 19.), capable
d'accueillir ses élucubrations et ses doutes.
« L'identité narrative devient alors pour l'individu
postcolonial une exigence forte, [...] et si elle ne peut
véritablement l'en préserver tout entier, [...] elle est
nécessaire pour éviter [du moins à l'oeuvre] le
sentiment d'une perte de sens. »140(*). C'est ainsi qu'elle
reflète, sur le terrain de la diversité narrative (polyphonie,
dialogisme, intertextualité), c'est-à-dire par l'emploi
d'éléments aptes à faire figurer une parole
complexe141(*),
l'identité dans son ancrage multiple.
À l'image donc de l'enfant qui vogue dans un
univers en chevauchement fait d'interdits et de limites, le sujet hybride tend
à imprimer aussi à son récit, suivant le mode fractal, la
somme de ses identités disparates. C'est ainsi que nous avons vu se
manifester en la personne de l'enfant un sentiment pur de détachement
mêlé à l'instabilité (l'impureté) et
l'urgence de la situation, de façon à « rendre la
quête identitaire interminable, lui ouvrir un horizon
indéfini »142(*). En effet, l'identité comme
représentation iconoclaste, tend à rejeter tout autre
modèle de représentation unitaire visant au redressement d'un
monologisme de départ, et favorise le recours continu à
l'instance de dédoublement, quitte à s'insinuer davantage dans le
sentiment de réclusion ou de perte. De ce fait, l'hybride
« a conscience d'être un homme de la perte. Souffrant d'un
manque originel, il vit en perpétuelle
insatisfaction. »143(*). C'est probablement la raison pour laquelle il [le
sujet] tente de pallier à nouveau ce manque sans jamais combler cet
incommensurable désir qui guette l'union utopique des deux mondes.
Inversement, l'enfant qui détient seule la clé de cet amalgame,
décide d'accomplir les deux versants de sa double destinée par le
recours à la subversion. Une telle chose ne devient permise que par le
truchement d'autres, et c'est là que nous retrouvons le rapport à
la nécessité. En dehors de ce confinement mystique dans la
dualité du rationnel et de l'irrationnel, cette
« intrusion du sacré dans le
profane »144(*), que révèle la présence
simultanée des Écritures Saintes (corps pur) au sein même
du discours littéraire (corps impur), constitue elle aussi une des
caractéristiques de l'hybride, tant pour l'usage discursif que pour les
besoins du genre. Du reste, elle est clairement exposée dans le passage
ci-dessous :
Voulant s'émanciper de la contrainte du sens, elle
décidait alors de prier comme cela lui venait, avec ses mots à
elle : elle commençait en langue arabe, puisque c'était la
langue sacrée, celle du dialogue avec Allah mais s'arrêtait
soudain, son vocabulaire était trop pauvre, truffé de mots
appartenant à cette langue française bien trop impure pour
s'adresser au Seigneur. Elle battait en retraite, reprenait en arabe la Fatiha,
et puis non. Elle se perdait en chemin, chemin de sens, elle en reprenait de
nouveau le cours, perdait patience, alors elle décidait de prier en
français en débutant par la formule Bismillah pour en
atténuer le caractère sacrilège. (K. Berger, 1998, pp.
56-57.)
Finalement, comme l'atteste ce dernier passage, le texte
hybride n'en est pas plus défini ; il est celui qui est mu par un
désir doublement inaccessible, de manière à se situer
« entre la peur de l'éclatement et le désir
d'ouverture. »145(*). Cet espace romanesque de l'entre-deux est
clairement défini comme étant la proposition centrale de toute
construction hybride (Bhabha), en tant qu'il est continuellement l'affirmation
d'un non-lieu, d'une crise. Ce qui permet en effet à Bonn d'avancer
qu'il est un « genre bâtard »146(*), un monstre composite.
Ainsi, le texte postcolonial semble avoir hérité lui aussi de la
complexité des relations identitaires, de ce qu'il montre davantage de
signes relevant de « l'impureté, l'anomalie ou la
monstruosité. »147(*). Il en résulte, par ailleurs, que notre
corpus, en tant que roman, est lui aussi, par excellence, « ce
genre de l'entre-deux, de l'indéterminé, du
polymorphe... »148(*), dont se réclament à juste titre les
littératures francophones postcoloniales. De ce fait, l'intention se
porte volontairement sur l'ambigüité et le flou
générique qui caractérisent ce texte.
1.1. Un roman autobiographique :
L'enfant des deux mondes possède toutes les
caractéristiques du récit autobiographique, ou presque.
Composé de treize chapitres, chacun d'eux a la particularité de
traiter une thématique chère à l'auteure, suivant une
logique de progression propre au récit. Selon l'ordre qui leur a
été attribué, nous constatons une évolution
certaine des procédés d'énonciation, qui font que le
narrateur tente d'accomplir inversement, sur la base de données
rétrospectives, le récit de vie de l'enfant. Muni
généralement d'une parole (le narrateur semble se raconter
à lui-même) qui frise le souvenir et la réminiscence, nous
avons affaire à un récit diachronique dans la mesure où le
narrateur (figure traditionnelle du romancier) fixe, du début
jusqu'à la fin, l'évolution d'un quasi personnage,
c'est-à-dire d' « un être imaginaire qui figure
dans une oeuvre littéraire. »149(*) en tant qu'il figure
déjà à travers la personnalité de l'auteure,
puisqu'elle fait de sa vie le point de départ de sa production
littéraire. Au Maghreb, en effet, les auteurs ont tendance à
inverser les rôles, en assignant à leurs textes diverses fonctions
et caractéristiques qui relèvent de l'hybridation
générique : L'enfant des deux mondes oscille de ce
fait entre roman et autobiographie, fiction et récit.
À l'inverse de l'Occident où
l'autobiographie est souvent le premier (ou parmi les premiers) fruit de la
créativité des écrivains, intervenant en guise de
couronnement pour une oeuvre complète d'une personnalité
déjà célèbre, au Maghreb, l'autobiographie ne vient
pas vers la fin d'une carrière mais tout au début. Les auteurs
maghrébins vont à l'encontre de cette tradition occidentale et
commencent généralement leur carrière d'écrivain
par « composer » le récit de leur vie, ou
du moins, par un récit de vie - souvent inspiré d'une vie
réelle. De même que la première, celle qui survient en fin
de carrière, tend à être plus ou moins directe
(c'est-à-dire appartenant à l'ordre du récit), de
même la seconde, elle, favorise le tissage et la conception de liens
indirects. Avant même de tenter une analyse de ce genre, nous nous sommes
d'abord référés à la dimension extrinsèque
au texte (épitexte), et donc aux dires de l'auteure, comme le suppose le
pacte de lecture initié par Lejeune : « La
problématique de l'autobiographie se fonde sur une analyse au niveau
global de la publication, du contrat implicite ou explicite proposé par
l'auteur au lecteur, contrat qui détermine le mode de lecture du texte
et engendre les effets qui, attribués au
texte »150(*), le donnent à lire comme tel. De là il
s'avère que cette proposition tient la route et, plus encore, procure un
élément clé pour l'intelligibilité de notre corpus.
L'auteure peut s'exprimer du reste en ces termes :
Cette période faste a fondé mon imaginaire et
fait la richesse de mes ressources culturelles mais en réalité,
cette histoire nous est commune...151(*)
Ou encore, dans le même ordre du souvenir,
« l'adulte se remémorant et observant l'enfant qu'il a
été. »152(*), accède, de ce fait, non pas à une
oeuvre parfaitement fictive qu'à une sorte de subversion attenante aux
champs du récit : « Avec Karima Berger, on
pénètre dans une atmosphère qui n'est pas celle d'un roman
mais plutôt d'un récitatif du souvenir. »153(*). Récit d'enfance,
mais récit d'une perte commune et assourdissante :
C'était présent en moi depuis longtemps. Je
tournais autour... je crois que je peux dire que ces dernières
années m'ont poussée... Pas dans le sens d'un témoignage
sur l'actualité. Non. Mais j'ai eu envie de dire ce que j'avais à
dire pour qu'on le lise comme un des éléments de ce qui se passe,
comme une part de l'histoire inconsciente de ce pays.154(*)
Mais, s'il est dit que L'enfant des deux mondes
est avant tout un ?roman', c'est qu'assurément il privilégie le
rapport indirect aux formes d'expression romanesques et tient compte de
certaines règles propres au genre. L'autobiographie, à ses
débuts illégitime, ne peut que recourir à d'autres
modalités pouvant asseoir son authenticité, d'où son
insertion dans des formes plus privilégiées et importantes. Nous
sommes ainsi devant une impasse : le livre est en soi un roman,
« ainsi en ont décidé l'auteur[e] et
l'éditeur ; le récit relaté le contredit puisqu'il
s'agit d'un récit de vie. »155(*). Mais si le roman s'affiche,
avec tous ses artifices, comme étant une composante principale, nous
remarquons assez vite la présence d'indices révélateurs de
la subjectivité des principaux acteurs qui se complaisent dans
l'anonymat. De ce fait, la trahison qu'engendre, à l'égard de ce
dépouillement romanesque, le désir de distanciation relève
seul du domaine de l'artefact puisqu'elle favorise un mode d'énonciation
dit ?ancré' et « produit, ainsi, un genre hybride de la
littérature [étant donné que] le genre
mentionné sur la couverture [roman] vient à l'encontre
de celui affirmé dans le texte
[récit]. »156(*).
Or, pour tout lecteur averti, l'on sait que le parcours
de l'écrivaine se transpose dans celui de l'enfant, et qu'il n'est pas
à exclure que leurs destins s'y soient mêlés. En effet,
« À dix ans, Karima est invitée à la
communion solennelle de son amie Patricia. Elle ressort de la cathédrale
d'Alger avec cette question d'enfant qui embarrasse les adultes : pourquoi
n'a-t-on pas tous le même Dieu ? »157(*). Dans un passage de l'oeuvre
cette fois narré, nous retrouvons les mêmes propos que ceux-ci, du
même contenu personnel, tandis que l'énonciation est prise en
charge par une autre instance narrative. Dans ce cas présent, une
analyse onomastique révélerait que l'oeuvre est romancée.
Nous avons affaire à une autobiographie dite alors
« masquée », ou indirecte :
Dans cette grande ville d'Alger, l'enfant ne s'était
rendue qu'une seule fois, à l'occasion de la communion de son amie
Hélène qui l'y avait invitée. [...] D'abord la
cérémonie dans la cathédrale Saint-Charles où elle
pénétra avec gravité, hésitant sur la posture
spirituelle à adopter... [...] « Faisons comme si
j'étais chrétienne », décida-t-elle, dans
l'espoir de pénétrer une religion par laquelle elle pourrait
éprouver l'innocence d'un sentiment tout neuf de l'amour
divin : « Comment aiment-ils Dieu ? » (K. Berger,
1998, pp. 35-36.)
L'oeuvre est ainsi romancée, c'est-à-dire
élevée au rang de fiction, car elle constitue d'emblée la
première expérience littéraire de l'auteure. Mais elle
n'en garde pas moins le souvenir de sa propre conversion, qui du reste est
énigmatique158(*). Car le passage d'une instance à l'autre,
d'un genre (autobiographique) à l'autre (fictif) suppose
nécessairement quelque accord ou compromis. Autant dire qu'il y a
finalement plus de chance de négliger cet accord que de l'inclure, faute
de critères probants et recevables. Dans ce cas, « la
définition d'une littérature, de même que celle d'une
identité dont elle est censée être l'emblème, reste
problématique. »159(*). L'écriture de Karima Berger est semblable
à cette vaste étendue féérique d'où naissent
et se succèdent un à un les signes de la vie et de la discorde.
Si l'oeuvre littéraire et, plus encore le roman, sont traditionnellement
perçus comme étant le miroir de la société
(Balzac), celle qui nous occupe ici est particulièrement le
contre-miroir d'un individu aux prises avec le côté sombre et
inébranlable de la société. Le miroir, s'il existe, n'est
qu'un double reflet de la vie de l'auteure, une source de reconnaissance impure
qui, de par son alternative entre cadre de vie réel et aspect figuratif,
astreint le lecteur à la nébuleuse de l'être (fictif ou
réel). Elle savait du reste quel impacte allait avoir ce récit -
lui-même bâti à l'image de ce miroir - qui ne renvoie plus
à l'ordre ancien de la clarté, mais reprend à son compte
le morcellement et l'amplification des formules ambigües, vis-à-vis
des autres procédés qui le situent dans sa dimension
romanesque :
Elle savait que le miroir ne renverrait que de brèves
et fugitives étincelles, des éclats brouillés,
imparfaits : Patricia ou Hélène, Danielle ou Michèle
y apparaissaient entières, bâties d'un seul tenant, bloc aux
contours massifs et précis, [...] une sorte de saut à cloche-pied
dans un monde puis dans l'autre. (K. Berger, 1998, p. 69.)
De ce fait, nous pouvons nous interroger tout simplement
sur le caractère limité mais non abstrait d'une telle production,
en tant qu'elle relève d'un certain effet de distanciation
présent dans l'acte de narration. L'auteure, dans sa phase de
productivité que nous pouvons appeler ?mise à l'écrit',
tente en effet, à la suite de son histoire, d'égarer le lecteur
par la mise en place d'une instance narrative autre (troisième personne
du singulier/homodiégétique), neutre ou anonyme à
l'égard d'elle-même et de son personnage. Tout aussi anonyme, ce
dernier, loin d'en être la représentation parfaite de l'auteure
tient lieu de son double160(*). Ainsi, interrogé par le biais d'une telle
confusion (narrativité et fictionnalité), le personnage semble
alors exister indépendamment de l'univers de l'auteure, tandis
qu'effectivement il répond mieux aux besoins de la scénographie.
À ce sujet, D. Maingueneau notait déjà que :
à la différence du bohémien, l'artiste ne
va pas de ville en ville ; son nomadisme est plus radical. L'artiste
bohème est moins un nomade au sens habituel qu'un contrebandier qui
traverse les partages sociaux. Qu'il soit précepteur dans une riche
famille, bibliothécaire de quelque prince ou de quelque
ministère, rentier, professeur de lycée..., l'écrivain
occupe sa place sans l'occuper, dans l'instable compromis d'un double
jeu.161(*)
Ce passage de l'entre-deux à l'être-deux
signifie donc, nécessairement, dans le champ des études
postcoloniales, le recourt à une double signifiance (Barthes) par le
biais d'une narration ultérieure établie dans sa phase de
productivité. En d'autres termes, nous parlerons d'une
« effigie du dialogue »162(*) comme d'une invention d'un
double dont une partie est préalablement existante. De même,
l'incorporation d'un genre traditionnel mineur (la Sîra)
à un genre occidental majeur
« confisqué », le roman, renouvelle le
processus d'hybridation dont font figure les écrivains
maghrébins. L'enfant des deux mondes, qui s'inscrit lui aussi dans cette
lignée de la double appartenance, porte en soi les traces d'un
dédoublement systématique en servant de relais, tant sur le
côté formel qu'informel, à deux univers de cultures
différents qui se référent chacun à ses modes
d'expression propres. De ce fait, il reçoit également les marques
de cette structuration double dont parle P. Gasparini : « Ce
genre [roman autobiographique] regroupe à mon avis tous les
récits qui programment une double réception, à la fois
fictionnelle et autobiographique, quelle que soit la proportion de l'une ou de
l'autre. »163(*). L'autobiographe se sert donc de son origine impure
car elle est, à notre sens, la seule manière possible de
convoquer ces deux extrêmes en dédoublement164(*). De la sorte, l'auteure se
« re-découvre » en tant qu'être. Elle
« opte pour cette dimension romanesque qu'[elle] finit par
attribuer à sa vie, en ayant l'impression de raconter une
«histoire» qui lui est
étrangère. »165(*) :
Images d'une mise en scène qui se jouait là,
dans les studios privés du jardin de la maison de Ténès
qui avait vu naître l'enfant... (K. Berger, 1998, p. 9.)
Ainsi, le seul héros se trouve incarné par
ce triptyque : personnage/biographie ; narrateur/histoire ;
auteur/roman. Ces trois figures principales se relayent tour à tour le
long du récit pour maintenir le dispositif d'anonymat engendré
par le pacte générique (du romanesque en l'occurrence).
« Dans l'autobiographie, affirme Lejeune, on suppose
qu'il y a identité entre l'auteur d'une part, le narrateur et le
protagoniste d'autre part. C'est-à-dire que le «je» renvoie
à l'auteur. »166(*). En effet, l'autobiographie étant un
retournement vers le genre « suprême »
(Damien Zanon), le roman, celle-ci recouvre ses attributs et ses
fonctions : c'est ainsi que, « l'autobiographe, auteur,
narrateur et personnage principal va revêtir l'étoffe du
héros romanesque, il sera le héros de son
ouvre. »167(*), une oeuvre qui emprunte alors des airs
d'apprentissage :
Elle se souvenait [...] de son enfance, [...] Il lui semblait
[...] gagner des années d'apprentissage, elle savait désormais
des choses... (K. Berger, 1998, p. 91.)
Dès lors, l'autobiographie s'immisce dans le roman
pour occuper une large place, sinon la principale fonction. C'est la raison
pour laquelle l'on pourrait se méprendre, aisément, sur la nature
vraisemblable de ce récit. L'ambigüité narrative
assimilée au parcours de l'auteure nous donne, du reste, une idée
assez précise de ce que peut signifier la dissociation d'un genre trop
limité, inapte à la représentation des deux extrêmes
dont se revendique l'auteure et son double : « Mais ce
n'était tenable, ni pour moi, ni pour le lecteur, sur toute une
fiction ! »168(*). Bien que suffisamment réaliste, l'oeuvre
s'insinue donc dans cet idéal de la transgression
générique que révèlent les différentes
catégories d'écriture amalgamiques. Par conséquent, elle
rejoint l'idée selon laquelle « la sincérité
fait basculer le personnage du statut de pseudo-personnage ou de personnage
vraisemblable, à celui, plus complexe, d'être imaginaire qui
frôle le seuil de l'inacceptable. »169(*). Cet
«inacceptable» est rendu plus manifeste encore avec le concours d'une
subjectivité latente, qui coïncide avec la voix du narrateur.
Autrement dit, nous nous situons déjà dans le registre de
témoignage, et il ne s'agit plus de décrire que de
dévoiler une parole jusque-là consciente.
Il n'y a donc pas de frontières visibles qui
puissent délimiter concrètement ce genre de roman-récit
(même s'il n'est pas question de séparer des genres,
« toute forme [étant] la résolution d'une
dissonance fondamentale [nécessaire] au sein de
l'existence... »170(*)), du fait que nous peinons à lui
désigner un ensemble genrologique, et ce dès lors qu'on
émet le voeu de l'instruire dans une catégorie qui lui soit
propre. Deux propositions pourraient néanmoins entrer en jeu pour tenter
de cerner au mieux ce à quoi nous avons affaire : dans un premier
temps, l'auteure fait basculer l'écrit d'un genre à un autre et
engendre ainsi un texte hybride. Dans un second temps, le récit de vie
devient romancé et alterne tour à tour le mode libre et le
couvert. Aussi bien, et pour peu que l'on admet cet enchevêtrement des
genres, nous appellerons ce livre « roman
personnel »171(*), ou bien roman autobiographique - au vue de sa
qualité hybride - et non plus seulement ouvrage de fiction,
c'est-à-dire fondé sur des personnages et des faits
scénographiques dépourvus de toute notion historique. Cela
s'affirmera du reste parmi le raisonnement à suivre, dans la mesure
où le personnage (marqueur typologique) figure comme lieu
d'investissement idéologique et personnel.
1.2. La pratique de la pseudonymie : de l'anonymat
à l'être-deux :
Il est moins fréquent de tomber de nos jours
(à l'ère de la postmodernité) sur des textes au profil
limité, policé et qui portent en eux la marque de leur
appartenance dûment assignée. Ceux-là sont
généralement des récits de vie à la première
personne, et qui n'ont rien à envier aux plus grands témoignages.
En effet, dans le cas de l'autobiographie déclarée, le nom du
personnage (organisateur textuel) se confond avec celui de l'auteur, dont il
sert ainsi à rétablir l'unité. À ce sujet, le titre
de l'oeuvre fonctionne comme un parallèle et demeure fort
révélateur de la situation des acteurs pris en jeu. Là
réside en effet la qualité essentielle du personnage
éponyme reconnu comme étant « ce qui désigne
l'oeuvre et l'amorce. »172(*). En revanche, Il est encore plus rare de tomber sur
des textes qui prennent eux-mêmes en charge, comme L'enfant des deux
mondes, leur autobiographie éclatée, et qui se distinguent
par une nature douteuse souvent en marge de leur authenticité. Ceux-ci
mettent plus en avant leur aspect vraisemblable, dans la mesure où ils
confèrent à leurs acteurs (réels ou non) un statut
d'observateurs quasi-anonymes. Mais là aussi nous allons voir qu'il peut
s'y établir, en fait, une autre forme privilégiée
d'identification. Ainsi, au patronyme marital de l'écrivaine par exemple
(Berger173(*)) se joint
celui du personnage « l'enfant », et inversement
celui de Karima façonne le prénom présumé de
l'enfant « Caroline ». Non plus fictive que
réelle, cette double construction174(*) favorise du reste la dimension impersonnelle dans
laquelle s'établit la narration :
Karima Berger joue sur la 3 éme personne mais aussi sur
un appellatif que la grammaire française veut
« asexué », « l'enfant ». On ne
saura jamais le nom de cet enfant tout en apprenant assez rapidement qu'il est
de sexe féminin.175(*)
Or, nous l'avons dit, ce voeu de distanciation participe
d'un désir de masquer un dévoilement intime, tout en gardant
à l'esprit la complicité que suppose la situation anonyme du
protagoniste vis-à-vis de son auteure. Barthes nous rappelle qu'un nom
propre doit être interrogé soigneusement car, « un
nom propre est, si l'on peut dire, le prime des
signifiants. »176(*). En effet, loin de lui instituer un nom propre et
donc d'établir la cohérence, ou la
« signifiance » (A. Compagnon) de l'oeuvre, Karima
Berger opte pour sa dépersonnalisation et va jusqu'à lui
verrouiller, en l'occurrence, tout autre accès à une
identité de rechange, c'est-à-dire à une identité
complètement effacée, en lui désignant un substantif
d'ordre commun (et dont l'auteure peut se réclamer à son tour),
tantôt « l'enfant » et tantôt
« la jeune fille ». Cette pronominalisation se
révèle d'ailleurs insignifiante pour quiconque s'y établit
dans l'immanence de l'oeuvre. En agissant de la sorte, elle place son
héroïne dans la tourmente du nom inefficace177(*), sans toutefois
déroger aux exigences du genre et donc à la structuration
éponyme de l'oeuvre. À l'évidence, on a tendance à
séparer les formes les plus codifiées comme le récit et
l'autobiographie, le roman et l'essai, « sauf dans le cas
où l'entreprise d'auteur les relie
étroitement. »178(*). C'est alors la rencontre allusive de deux genres ou
plus. Ainsi, par le biais de cet appellatif, elle y échapperait à
la catégorisation (fiction ou réalité). Le titre en lilote
établit du reste la double signifiance de l'oeuvre (Barthes) : en
effet, l'errance du personnage est d'abord signifiée par la
complexité du nom (asémantème) qui lui est attribué
au départ « l'enfant » (mais lequel ?
sachant que nous n'avons ici aucun détail de type prosopographique -
éléments constituants le portrait physique - si ce n'est celui du
temps qui passe indéniablement sur une chair en perpétuel
devenir), avant d'en revenir vers celle de l'oeuvre éponyme, qui
révèle du reste le nom autour duquel gravitent des renseignements
sur la vie de l'auteure.
L'importance de l'anonymat est rendue visible de ce qu'il
sert justement à établir, de manière quasi indirecte, un
lien entre le protagoniste et l'auteure d'une part (le pacte autobiographique)
et entre l'enfant et la société d'autre part (la dimension de
témoignage). De même qu'à poursuivre la
« tracéologie » (P. Hamon) du personnage,
il vise à enrichir par conséquent la fonction symbolique de
l'oeuvre : « le personnage dépasse très
souvent le domaine strictement individuel et sert à représenter
une couche plus ou moins large de la population, un domaine plus ou moins large
de convictions, de positions morales ou
idéologiques. »179(*). L'effet de distanciation qui accompagne ce genre de
compromis (se dire sans se dire) est rendu possible selon les principes de
l'autobiographie masquée (les phénoménologues parlent
d'?apprésentation'180(*) pour qualifier le comportement abstrait d'un
personnage dont le processus de perception induit le recouvrement de plusieurs
autres instances), où l'auteure peut assumer une position identitaire
sollicitée historiquement par d'autres.
C'est aussi le projet d'un auteur réaliste :
la présence d'une équivalence de la pseudonymie, à la fois
chez les personnages (l'enfant, ses camarades...) et chez l'auteure,
témoigne ainsi d'un dédoublement simultané du sujet
écrivant et de son oeuvre, où les rôles, pareillement aux
appellations, s'enfilent les uns et les autres. Face à ce brouillage
inédit, auteure et personnage semblent relever du même. Rien n'est
plus confus que tout est permis dans la structuration de l'oeuvre qui pouvait
« dégénérer algarade de
sens » (K. Berger, 1998, p. 72.). La notion de
dédoublement semble le maître mot de ce récit. En effet,
dans un passage de l'oeuvre (chap. VII), nous retrouvons, à peu de
choses près, la même dynamique d'approximation qui fonde la nature
comparatiste de l'auteure et son identité relative avec :
Elles aimaient rechercher lors de mystérieuses
cérémonies de baptême la réplique française
la plus proche des prénoms algériens : c'est ainsi qu'elle
s'appelait « en français » Caroline, que Fatima devenait
Françoise ; Farida, Fanny ; Leila, Léa... L'exercice
consistait à dénicher dans l'almanach celui qui par sa
symétrie sonore répondait le mieux au nom arabe. (K. Berger,
1998, p. 71.)
Nous savons désormais, par le simple rapprochement
des unités distinctives et la comparaison des effets sonores, que le nom
de ?la' protagoniste correspond, phonétiquement parlant, aux sons
?K?-?R?-?L? du nom francisé, « Caroline »
(seul passage où il est fait allusion au nom de l'enfant) avec en
parallèle ou « en sourdine aussi, l'écho
?francisé' » du prénom inscrit sur la couverture,
« Karima » ?K?-?R?-?M?. De même, en ce qui est de la
syllabation, nous relevons du côté de chaque nom une
répartition en trois syllabes, à savoir Ka/??/lin pour l'un, et
Ka/?i/ma pour l'autre. Ce petit exercice analogique, conçu par l'auteure
en guise d'alternative, pourrait du reste très bien s'articuler ainsi
sur le plan symétrique : «Caroline Berger». La
concordance de ces appellatifs n'est d'ailleurs pas en reste. Une fois
l'opération accomplie, Karima Berger semble entretenir en effet ce
« paradoxe qui consiste à projeter sur soi le regard de
l'autre pour se sentir exister comme
différend. »181(*).
Tour à tour donc personnage et auteure (les noms
faisant défaut à l'un et l'autre), nous assistons à une
dialectique de l'être-deux dans la mesure où la distanciation (par
le dépouillement systématique des êtres fictifs) permet le
rapprochement mesuré avec l'auteure qui lui prête alors son
identité et ses caractéristiques vitales. Ainsi,
« il laisse apparaître qu'il se confond à un moment
ou à un autre avec son personnage. Le romancier lui attribue les
souvenirs personnels qu'il puise dans sa propre
existence. »182(*). Pour les autres personnages, ils
bénéficient tous encore d'un référent réel
dans le monde (d'où ce penchant primaire vers l'anonymat qui, s'il ne
les efface complètement de la carte, leur confie des attributs non moins
particuliers), de sorte à laisser subsister d'eux une trace qui paraisse
assurer leur dédoublement : car, dira-t-elle, « Pour
d'autres, j'ai conservé un écho du nom réel mais pas le
nom véritablement. ». En ce sens, même si
l'autobiographie est «déclarée» elle privilégie
l'approche «masquée». Elle est donc, corrélativement
à l'identité nominale de l'auteure ou de ses personnages, ce que
nous pourrons appeler, à la suite de D. Belkacem (idem, p.
170), « une autobiographie entre-deux ».
L'auteure peut donc affecter le ton du récit et
choisir tout à la fois de ne pas avouer qu'elle y raconte sa
vie183(*). Ce qui fonde
la complexité de l'oeuvre, c'est donc avant tout son caractère
arbitraire et ambivalent : « C'est un récit
plutôt qu'un roman. Ce n'est pas non plus une autobiographie. Disons que
c'est la reconstruction d'éléments vécus ou
observés. »184(*), dira-t-elle. Pourtant, une
« vie » ne peut être enfermée tout
entière dans un récit de souvenirs autour de quelques
correspondances nominales (topographiques, onomastiques, etc.). S'il repose en
partie sur les souvenirs de l'enfant (introspectivement de l'auteure), le
récit demeure néanmoins le fruit d'une
« créativité », s'entend, d'une mise
en fiction qui le charge d'une certaine distance narrative tout au moins.
Enfin, comme on pourrait bien nous l'objecter, cela n'est
pas aussi simple de pouvoir distinguer entre un genre et un autre sous
prétexte qu'il met en scène un univers semblable à celui
de l'auteure ; car, si elle est présente, ce n'est que par
l'entremise d'un anonymat rendu possible par les substitutions
métonymiques (et dans quel cas, le pseudonyme ne constitue pas une
preuve tangible dans l'accaparement d'un rôle
homodiégétique). C'est la raison pour laquelle les personnages
sont eux-mêmes inscrits dans des espaces mouvants, et confèrent au
genre (s'il peut être dit ainsi) cette mobilité qui est un peu la
sienne.
1.3. Le parti-pris de l'Histoire :
Comme nous l'avons vu en haut, l'hybridation intervient
maintenant sur plusieurs niveaux concomitants, de sorte à rajouter au
texte fractal (transgenre) une couche d'égo surdimensionnaire. En
réalité, L'enfant des deux mondes incarne un univers
suffisamment proche de celui de l'auteure, pour ne pas dire excédant
tout simplement celui diégétique. La véracité de
cet axiome peut néanmoins se révéler aléatoire ou
hypothétique, du fait d'une certaine incompétence
théorique qui maintient brouillées les frontières du
genre. Cependant, les critiques tardives nouvellement instituées en la
matière, c'est-à-dire, pour la plupart, sur les bases de la
postcolonialité, partent toutes d'un regain de réalisme à
l'égard de ces oeuvres. Pour vérifier le bien-fondé de
cette assertion, nous nous sommes d'abord référés à
un certain nombre d'éléments qui permettent d'établir la
véracité caractéristique de cet écrit (LDM), de son
apport comme étant principalement autobiographique... mais pas
que : dans la plupart des cas, l'auteure tente de montrer, à l'aune
de ces dispositions autobiographiques, qu'« il est un passé
dont on peut se revendiquer sans honte. »185(*). En effet, à
travers le récit d'une enfance que le narrateur nous dresse, on suit peu
à peu les avancements de l'Histoire, tant individuelle que collective,
qu'elle laisse subsister aux dépens de l'intrigue sous-tendue, elle, par
un fil conducteur qui frise la réminiscence. Ainsi, compte tenu de la
nature (double) des dires de l'enfant, l'auteure se doit de recourir à
des formes qui privilégient tantôt la valeur de témoignage
(intrinsèque), tantôt l'aspect didactique (extrinsèque). Si
l'on abonde dans ce sens, nous pourrons effectivement dire que, Histoire et
autobiographie sont également liées : nous parlerons donc
d'une interférence de l'une dans l'autre, car dans la plupart de
« ces textes autobiographiques, l'auteur[e] a
régulièrement raconté la vision du monde de la
société dans laquelle [elle] a grandi et les conceptions
de l'Histoire qui y régnaient. »186(*).
C'est de cette manière, par l'entrelacement de ces
(semi)genres, que l'auteure entend rétablir un moment durant la
cohérence de son oeuvre - vis-à-vis de sa personne - et
réduire l'écart subsistant entre les deux facettes (interne et
externe) du récit. Si on relate l'Histoire de son propre point de vue,
tel un récitatif de souvenirs, c'est qu'elle nous est donc commune et,
partant, susceptible à la reproduction de la façon la plus
directe qui soit, sinon dans une forme de témoignage essayistique, du
moins à travers le récit de vie. Bonn, de son côté,
semble cautionner au roman maghrébin cet état de fait :
L'autobiographie d'un individu peut ainsi y être lue le
plus souvent comme celle d'un groupe. L'individu qui se raconte narre, à
travers sa propre biographie, celle d'un groupe et le choix de l'autobiographie
n'est alors qu'une manière de rendre plus authentique, pour le lecteur,
un témoignage sur la communauté d'appartenance.187(*)
Avec Karima Berger, nous assistons au recouvrement d'une
mémoire collective à partir des seuls souvenirs de l'enfant
(engrangés par un narrateur homodiégétique) pour tenter de
donner un sens crédible à la « tragédie
post-indépendance »188(*). L'Histoire y joue donc un rôle important dans
le processus d'élucidation et confère au texte sa dimension
réelle et présente de témoignage : un bon nombre
d'éléments sont puisés directement dans le terroir
(à l'exemple des noms, qui eux « ne s'inventent
pas »189(*)) et trouvent aisément leur correspondance
dans les grands documents officiels de l'époque. Mais la
démarche adoptée par l'auteure est celle où l'Histoire
cède le pas sur la vie personnelle (« Je souhaitais faire
un essai [...] Jai donc opté pour la
fiction... »190(*)) pour « signifier et comprendre
au-delà d'une simple chronologie des faits qui n'explique pas
grand-chose. »191(*) :
Migration moderne d'une famille de province, Septembre
1962 : nouvelles affectations, nouvelles nominations, les nouveaux
maîtres s'installent à Alger, El Djezaïr capitale du
Gouvernement de la République Algérienne Démocratique et
Populaire. (K. Berger, 1998, p. 35.)
Le récit se construit donc sur la base
d'éléments « vécus » et
« observés » d'un point de vue
régulier (celui de l'enfant et du narrateur qui s'interposent),
où l'Histoire suit l'évolution du personnage et ne peut
réellement déroger à son regard. Cela a un effet
conséquent sur le texte dans la mesure où ?la' protagoniste,
contrairement à l'objectivisme noyé des principaux acteurs
politiques, y reçoit quelques privilèges de classe (les
francisés. Bien qu'ils ne constituent pas souvent une classe, l'enjeu
étant véritablement racial192(*)) la dispensant de s'en rapprocher davantage du
terrain des extrémismes. Dans cette disposition particulière
où l'exil aidant (par la narration ultérieure), l'Histoire y
favoriserait en quelque sorte le primat du genre autobiographique, pourvu qu'il
y observât le recul nécessaire à la mémoire. La
matière chronique s'établit ainsi sous forme d'un
« récit qui nous emporte dans la douce langue de la
réminiscence [et] dont la violence [de la guerre tout au
moins] ne se manifeste pas frontalement... »193(*) :
De cette guerre, l'enfant n'avait retenu vraiment que les
longues fusillades qui déchiraient d'un trait les nuits de la ville de
Duperré-Aïn Defla où la famille avait séjourné
quelques années. Les tirs fusaient dans un périmètre que
l'oreille s'exerçait peu à peu à délimiter :
chapelets de rafales dont certains semblaient partir de très près
de la maison, d'autres, en écho, semblaient provenir de la montagne
toute proche où se terraient les combattants, ceux du Parti communiste
algérien disait-on. (K. Berger, 1998, p. 30.)
Il n'est plus question dès lors de prendre part
à la vaste entreprise de
« récupération » (le mot est de
Memmi194(*))
exagérément adoptée tantôt par les
«envahisseurs» coloniaux et tantôt par les nouveaux
maîtres des indépendances (voir le chapitre suivant). Ainsi, pour
éluder les stratèges de la Grande Histoire, les auteurs
« vont donc chercher à élaborer un autre rapport
à l'Histoire, plus complexe, qui rende davantage justice au multiple et
au contradictoire, caractéristiques de
l'hybridité. »195(*). Autrement dit, l'Histoire plus que tout devient
sujette du récit en question. Mais elle s'en éloigne, par le
biais de cette réinscription rendue désormais palpable par la
vision personnelle de l'auteure (celle d'un être en dédoublement),
des représentations caractéristiques voire caricaturales de cette
époque. L'écrivain vient alors au secours de l'Histoire. Si,
comme le soutient P. Barbéris, toute oeuvre littéraire est le
résultat d'un moment historique donné, et que celle-ci tend
à reproduire inévitablement cette idéologie, L'enfant
des deux mondes serait ainsi purement révolutionnaire, dans la
mesure où il échappe à ce conditionnement et contracte un
imaginaire subversif, véhiculé en termes d'opposition,
d'antagonisme ou de contrastes par « l'idéologie du
texte »196(*) ; et de rupture, d'éclatement, de fusion
ou d'ouvertures au niveau de la structuration interne du texte.
L'on voit donc s'insinuer, dans un passage clé de
l'oeuvre étudiée, ce voeu formel de rompre avec l'Histoire
traditionnelle faite de préjugés et de
« déclarations haineuses » (K. Berger,
1998, p. 106.). L'Histoire (celle des vainqueurs tout ou moins), en tant que
partisane essentielle de l'oubli, instaure une barrière
vulnérable (dans la mesure où les restrictions qu'elle apporte
finissent par se retourner contre elle-même) à l'égard de
tous ceux qui, comme l'enfant, se sentent estropiés d'une part
d'eux-mêmes, et de ceux-là même pour qui désormais,
« les seules informations «solides» sur le passé
proviennent de l'Histoire occidentale. »197(*) :
Là-bas, de l'autre côté de la
Méditerranée, la production intellectuelle sur la période
coloniale, pourtant prolifique, n'a ni épuisé le sujet ni
même soulevé le coin du voile de ce qu'est en vérité
une histoire coloniale, redoutable machine à aimer et haïr en
même temps, où la violence du maître ne parvient pas
à étouffer la tendresse pour ses sujets, ni effacer la rencontre
entre les mondes, fût-elle traversée de fureur. Rencontre sous le
signe d'une énorme boule de désir qui s'amasse dans une
atmosphère dont l'injustice de chaque jour entrave pourtant sa
libération. (K. Berger, 1998, p. 105.)
Ce qui confère au texte sa dose probante de
réel, c'est cela même qui l'inscrit dans la discorde, la
contestation et les doléances types du registre plaintif. Le
récit de vie se situe donc dans un cadre spécial où ?la'
protagoniste apparaît comme un élément clé de
l'Histoire. Cette intrusion du personnel dans le domaine du sacré (cette
formulation n'est plus exagérée, car, en Algérie, tout ce
qui touche au public, à l'historique ou au social passe pour être
inévitablement du ressort de la religion) n'est pas sans rappeler
d'ailleurs une pratique fort répandue chez la tendance nationaliste,
celle des Mémoires de combat consignés par la majorité des
acteurs politiques. En effet, à travers la démarche
singulière de l'enfant (et son engagement personnel), nous assistons au
procès de travestissement de l'Histoire contre une partie des
élites algériennes francisées. Cet épisode
douloureux de l'assimilation et du rejet qui établirent jadis la
réalité du système colonial, tend à se
reconnaître encore - et à se reproduire - tel quel sous le
régime postcolonial198(*). La fonction cognitive apparaît donc
clairement dans la mesure où le récit assume une part
réflexive (problèmes idéologiques et historiques199(*)) aux côtés des
exigences personnelles et cathartiques de l'auteure. Cette dernière qui
se reconnaît dans son rôle d'historienne critique, cible ainsi une
population aliénée par une autorité qui se complait dans
le déni des origines ou la constitution d'une
« identité frauduleuse »200(*) :
Aujourd'hui que disent les Algériens de ce
désir ? Rien. Un grand blanc recouvre leur généalogie
au prix d'une effroyable terreur livrée contre une part
d'eux-mêmes... (K. Berger, 1998, p. 106.)
Ce point-ci apparait sous la critique précieuse de
Christiane Chaulet-Achour (la première à avoir traité de
ce corpus) comme véritablement ce qui fonde la nature de l'oeuvre :
« Ce «roman», si l'on s'en tient à
l'étiquette de couverture, est un essai d'un lyrisme distancé et
rythmé sur la filiation non assurée. »201(*). Aussi voit-on s'introduire
en lui la marque d'une époque bien déterminée : Le
récit en question se caractérise par un apport sociologique et
historiographique important qui recouvre la présence de trois grandes
périodes historiques se précipitant successivement sous les
regards de l'enfant : la colonisation (l'accès à l'Autre),
la Révolution algérienne (la dénonce des
inégalités raciales) et les déboires des
indépendances (l'exclusion de tout ce qui s'identifie à l'Autre).
Pour désigner donc ce genre d'écriture qui investit plus sur le
réel que sur la fiction, nous parlerons d'une écriture de la
référentialité202(*), en tant qu'elle transcende largement le cadre d'une
représentation proprement diégétique, et déborde
sur le récit d'événements parés d'une grande
historicité : Pour y parvenir, l'auteure met en scène un
espace scénographique doté d'une chronologie bien définie
(D. Maingueneau, idem), pour que le témoignage
s'élargisse et « s'intègre à la
mémoire collective. »203(*). Ainsi, au référent
précité (autobiographique) s'ajoute le référent
historique qui lui est subordonné, par le fait d'un individu sur une
collectivité : l'enfant remédiant aux travers de l'Histoire
(aux tares psychologiques héritées par ses agents), moyennant des
connaissances et une expérience personnelles. L'on ne s'étonnera
donc pas si, pour rendre compte de son engagement intellectuel au récit,
nous voyons d'abord en lui un témoignage sur l'Histoire, une sorte
d'« écriture-manifeste collective »204(*) où l'identité
est synonyme de désaliénation.
Mais, à côté de cela, il y a aussi la
réhabilitation de l'individuel : l'option autobiographique
constitue un appui singulier directement puisé dans l'expérience
de l'auteure (« J'ai toujours tenu des
journaux... »205(*)), pour parer à des fonds documentaires
ancrés dans la susceptibilité des idéologies concurrentes.
Ainsi vivait-on, à travers la situation bilingue de l'auteure, le
retournement d'un destin médiocre :
Elle désirait s'engager davantage comme tant d'autres
femmes [...] images d'un destin glorieux aux dimensions d'un pays [...]
occasion inespérée pour cette jeune femme d'échapper aux
dimensions étroites [...] de l'Histoire. [...] Le F.L.N. recrutait...
[...] Alger n'était pas Médéa. [...] Dans ce lycée
algérien et indépendant, [...] le français devint la
langue mal-aimée, celle de la traitrise, l'enfant se faisant rudoyer
[...] lorsqu'elle ne s'adressait pas à eux dans la langue de
l'Algérie nouvelle. C'est en pleurs qu'elle revint plusieurs fois
à la maison en se demandant, humiliée, si Médéa
faisait bien partie du même pays... [...] Impuissante, elle
éprouvait dans sa chair le brutal inachèvement de la culture
française dont elle avait été nourrie jusque-là...
(K. Berger, 1998, pp. 39-40.)
À travers la figure de l'enfant se reflète
celle catégorique de l'auteure, comme faisant partie d'un double
à la fois imposant et inaccessible. Dans son rapport particulier
à l'Histoire, Karima Berger nous livre un récit non moins
précaire, car soumis aux caprices du temps, aux oublis et à la
confrontation moins directe des événements dont elle rend compte
sur le tard. L'auteure aime ainsi à entretenir ce paradoxe, cet
écart volontairement rapproché : de ce fait, l'enfant,
dès son plus jeune âge, se trouve imbue des
événements dont la narration ne pourra intervenir que beaucoup
plus tard, en guise de parallèle à des principes
génériques d'ordre différentiel. Elle permettrait alors
une transition du mode direct, spontané, vers celui indirect ou
transposé. En fait, « ce type d'oeuvres, où le narrateur
s'identifie clairement avec l'auteur, mais où il lui arrive
également de se glisser dans la peau de personnages extérieurs,
possède un statut hybride... »206(*) où la
frontière, la limite des genres (ici Histoire et autobiographie) se
gâte aussitôt et s'altère. On pense ainsi à Heidi
(pp. 13, 14, 111.), à Hassiba Ben Bouali (p. 39.), à toutes ces
figures essentielles qui se meuvent d'un être à l'autre, d'une
situation à l'autre ; de l'auteure vers l'enfant, de l'enfant vers
l'auteure... de sorte à recouvrir tous les horizons.
C'est ce qui fait que, dans notre corpus, la
présence de l'Histoire, des formes essayistiques, n'établissent
pas de distinctions particulières entre un genre et un autre (un genre
à part), mais qu'elles s'intègrent toutes au profit d'un seul et
unique genre. De sorte qu'un genre (dominant) peut se réclamer de
plusieurs distinctions à la fois sans y percevoir la marque infime d'un
démembrement quelconque. Cette démarche est en soi essentielle,
en tant qu'elle vise à rapprocher des genres et enrichir des
perspectives communes. Ce sont pour la plupart des emprunts constructifs (ex.
SE [séquences essayistiques] ? SE + SF
[support fictionnel] = EF [essai fictionnel]) mus par
une approche destructive, d'ouverture : les genres, indépendamment
de leur hiérarchie de départ, désormais se côtoient.
Le genre dominant peut accueillir indistinctement, selon qu'il est un roman, et
donc une fiction (l'essai, l'autobiographie...), un essai (l'autobiographie, la
fiction...), un récit (l'essai, la fiction...), etc. Pour excéder
cette tourmente des lois génériques anciennes au sein de notre
corpus, l'Histoire peut donc s'adjoindre au récit autobiographique, et,
tous deux, se mêler à la fiction suivant une tripartition unique
en son genre.
Prise dans ce destin particulier (où
l'identité de l'auteure et celle de l'écrit ne font qu'une),
« Karima Berger regarde prendre corps une écriture qu'elle
ne peut définir selon les catégories génériques
habituelles. »207(*). Elle est tout à la fois l'aboutissement
d'une crainte personnelle (l'éclatement) et d'une appréhension
collective (la rencontre). Ce qui tend à rapprocher encore une fois le
volet idéologique du volet poétique, c'est cette même
complicité qui allie les deux facettes interne et externe de
l'oeuvre : la rupture avec les codes traditionnels est en effet
« une manière de signifier que la transmission des valeurs
ne peut plus se poursuivre sereinement. »208(*). De nouvelles valeurs
doivent être créées à la lisière de ce
nouveau monde, dont la seule complexité de l'héritage fait appel
au renouvellement des genres. Le roman verse ainsi dans le récit des
origines altérées, en étant lui-même
l'altération des anciennes conventions
génériques209(*) :
Oh ! Après tout, elle n'était pas
orientale, mais occidentale, n'était-ce pas le sens littéral de
« Maghreb », en arabe, les Algériens surtout,
créatures déchirées, exilées du Levant de
l'origine, n'ont cessé de mimer les moeurs culturelles de leurs
frères orientaux... [...] Peuple coupable de son métissage, de sa
singularité, nostalgique d'une chasteté de la filiation... (K.
Berger, 1998, p. 61.)
Il en ressort donc une autre facette de ce roman
(notamment à travers la constitution d'un cadre
référentiel existant) et qui consiste à mettre en valeur
un certain nombre d'éléments historiques (souvenirs de l'enfant
sur la guerre d'Algérie, faits d'arme, politiques d'assimilation,
détournement des indépendances...210(*)), suivant l'ordre habituel
de la narration211(*).
Nous savons du moins, à travers ce récit, que le texte emprunte
davantage la voie de l'Histoire, présente dans la majorité des
littératures postcoloniales mais aussi dans l'écriture
féminine au Maghreb, du fait de son importance relativement
incontournable dans le projet d'écriture. Ainsi, elles contribuent
à la reconnaissance d'une mémoire locale, prégnante, leur
permettant de « développer des modalités
inédites de surgissement [...] d'une dimension
littéraire imprévue. »212(*).
Ce qui est sûr, c'est qu'avec le soutient de
l'autobiographie, la maxime « il n'y a de référence
externe qu'à d'autres textes »213(*) est moins visible, et le
recours motivé aux expressions du monde réel s'avère donc
justifié. Ce qui nous permet de déceler la trace de l'essai dans
notre corpus, ce sont justement tous les commentaires externes doués
d'une part plus ou moins certaine de réflexivité, qui s'en
rapportent soit à des contingentes humaines, sociales, politiques et
historiques ; soit à des expériences d'ordre personnel
relevant de la vie de l'auteure. En effet, dès lors que la dimension
idéologique et politique prédominent dans le récit (dans
LDM « la part réflexive - l'essai - prend le pas sur la
part narrative... »214(*)), le texte est d'autant plus atteint et est
perçu d'emblée comme un témoignage et non plus comme une
oeuvre proprement littéraire. Bonn parle alors du « retour
du référent » pour désigner certaines
formes de témoignage contractées tout au long des
indépendances par les littératures maghrébines
postcoloniales. Ce qui nous fait penser, entre autres, à l'essai, ou
à tout autre ouvrage se prévalant d'un « discours
de vérité »215(*).
Dans le cas de L'enfant des deux mondes, les deux
propositions se trouvent réunies, dans un cadre commun de confrontation
intime. L'hybridation est, dans ce cas, l'intégration de particules
élémentaires propres à d'autres situations et à
d'autres genres, dans un genre à la fois unique et disparate. C'est
ainsi que L'enfant des deux mondes semble, au vu de cet extrait,
émettre le voeu de concilier des réalités à la fois
connues et ignorées, d'y établir des liens subtils comme de cet
épisode noir de l'Histoire coloniale de l'Algérie
confronté, selon l'environnement expérimental de l'enfant, avec
les pratiques discriminatoires de ses camarades d'école, des
Français en général. À travers le fait de nommer,
d'appeler tout simplement un être par son nom, d'interpeller sa
conscience ou alors, dans le cas contraire, décider avec un air
désinvolte de ne pas lui attribuer de distinction patronymique, l'enfant
voit se restituer en elle cette logique discriminatoire d'antan,
désormais frôlant son cadre personnel. Le texte verse lui aussi
dans cette survivance des temps, qui l'inscrit dans le besoin d'emprunter tout
à la fois au récit de souvenirs qu'à la chronique
historique :
Nommer, nommer - en français - les Arabes.
Privilège de l'État français qui pouvait priver une
famille entière de son nom et la dénommer : S.N.P., Sans Nom
Patronymique. Lorsque les fonctionnaires ne parvenaient pas à
démêler les multiples liens entre fratries d'une même tribu
ou d'un même clan comme à identifier le nom précis des
familles et de leurs membres, ils décidaient de les doter du nom d'une
localité proche ou, animés d'un zèle bureaucratique, ils
les désignaient officiellement du très juridique nom de S.N.P.,
... [...] Curieusement, cet attribut pourtant français jusque dans sa
sonorité, conférait à ces nouveaux sujets de droit une
auréole de résistance, comme s'ils opposaient au pouvoir colonial
une représentation voilée de leur généalogie.
Citoyens algériens, les S.N.P. retrouvèrent plus tard leurs vrais
noms qu'en réalité ils n'avaient jamais perdu pour leur entourage
proche, même si pour « la France », ils avaient
été des « Sans Nom ». (K. Berger, 1998, p.
72.)
Car dès lors que l'autobiographie contracte le
réel et l'historique, nous acheminons vers un autre ordre qui est celui
de l'essai : « Je souhaitais faire un
essai... »216(*) ? « Disons que c'est la reconstruction
d'éléments vécus ou
observés. »217(*), ou de ce que V. Ferré nomme
précisément « l'essai
fictionnel »218(*). Ce dernier peut en l'occurrence occuper des
positions diverses et user simultanément de références
externes, mais toujours sous l'égide d'un genre fictionnel, romanesque -
étant le mieux disposé, le genre
« fourre-tout » (d'A. Compagnon). Ainsi, nous
avons pu voir à travers cette quête personnelle de
l'identité quelle relation distincte pouvait unir la petite histoire et
la Grande Histoire. À partit de ces points d'opposition, les genres (de
part leur nature) y paraissent suffisamment ambigus ou éloignés,
pour que dans tout rapport d'interférence ou d'intrusion,
l'impureté s'impose de loin comme étant la règle du
jeu219(*).
En effet, si la notion de genre tend à s'exprimer
en dehors de son domaine de codification, ce n'est qu'en termes d'un certain
éclectisme. Car à notre connaissance, il y a toujours un genre
dominant (le roman) auquel viennent s'adjoindre par la suite d'autres
éléments plus ou moins compétents (l'autobiographie,
l'essai, etc.). Mais il y a également une phase intermédiaire
(supposée) où le fragment de genre emprunté peut se sentir
véritablement intégrer le récit : c'est le cas ici de
deux genres - l'essai et l'autobiographie - qui peuvent s'accommoder de leurs
différences dans ce qu'ils ont de plus près, s'agissant de leur
dimension de témoignage. Passé le seuil de l'intrusion, nous
parlerons alors d'une hybridation
« coopérative » pour désigner ce
dont V. Ferré rend compte comme étant
« l'entrée dans la forme romanesque des parties qui
semblent relever du genre essayistique. »220(*). Nous tenons pour exemple ce
passage ironique - comme il en existe souvent d'ailleurs dans les derniers
chapitres qui touchent à l'exil de l'enfant - qui s'apparente de
beaucoup à celui d'un pamphlet politique, notamment à travers les
procès qu'il dresse à la présidence et au gouvernement
d'État, en faveur des expatriés :
Pourtant, dans leur quête de légitimité,
les nouveaux maîtres de l'Algérie n'hésitèrent pas
à transférer les cendres de l'Emir de Damas à Alger pour
célébrer, dans un cimetière au cadre pompeux, dit
« cimetière des martyrs », le retour du héros
« parmi ses frères de combat de la
Révolution ». Ignorant ce désir si cher au coeur de
l'exilé de reposer près de son maître, le chef d'Etat
procéda au transfert de sa dépouille, organisant une
opération médiatique sans précédent par quoi
l'Algérie entière devait retenir l'image d'un président au
geste grave, recueillant avec d'autres membres du gouvernement la
dépouille du saint homme avant de l'enfouir dans sa terre natale. Il
déclara que la patrie recouvrait en ce jour son symbole national dont
l'avait privé l'ennemi français. Tout en privant du même
coup la sépulture de l'Emir de la proximité de son principal
inspirateur... (K. Berger, 1998, p. 116.)
Ainsi, dans un roman autobiographique à vocation
essayistique, « la figure de l'auteur[e] y paraît
fonctionner comme conscience unique... »221(*) (Ironie et
subjectivité), tandis qu'on y trouve en réalité, dans les
soubassements du discours narratif, les signes obscurs de
l'hétérogénéité. Ce n'est que par
l'entremise des autres voix narratives (comme celle du narrateur omniscient et
anonyme) qu'on peut espérer affranchir l'Histoire relatée des
seuls souvenirs de l'enfant et l'affecter durablement dans ses instances
narratoriales. La présence des séquences essayistiques (formes
propres à l'essai) dans la fiction, si elle peut remédier aux
carences, aux blancs, aux fameux interdits de l'Histoire (en allant du publique
au privé, du général au particulier) n'y échappe
pas entièrement aux besoins du genre, en matière de
réadaptation, et demeure plus près encore de la fiction. Ce
passage de l'essai à la fiction (genre intermédiaire) inaugure un
rapport complexe entre le monde réel et celui diégétique,
car il aborde souvent des réalités connues sous des regards
personnels. Cette double fonctionnalité est exposée par V.
Ferré comme suit :
Le rôle de l'essai fictionnel est double : en
lui-même, il possède des qualités qui rappellent l'essai,
dans sa relation à la vérité ; mais sa nature
fictionnelle limite sa visée cognitive222(*) et ce n'est que dans le dialogue avec les parties
diégétiques que l'essai fictionnel peut approcher la
connaissance.223(*)
Ainsi, les processus d'observation sont soumis à
l'oeil d'un narrateur qui se retrouve lui de même dans celui de l'enfant.
Dans le passage à suivre, les séquences essayistiques
(SE) sont le fruit d'un être polymorphe qui rompt
volontairement son récit au profit d'une parole à part ;
mieux, les intègre au sein de cette parole. Elles sont de ce fait
romancées, puisqu'elles tendent à coup sûr vers le
romanesque et viennent enrichir sa condition hybride :
[...] Ecole de filles bien entendu dans cette ville
sévère, fermée sur elle-même et sur sa gloire
passée de capitale de Beylik du Titteri. Ville séparée en
deux : sur les hauteurs, le cartier français aux villas cossues,
grandes, vastes... [...] plus bas, la ville arabe aux maisons hautement
protégées les unes par les autres, masse compacte et blanche
défiant toute intrusion du regard. [...] Puis au coeur même de la
cité, une frontière... [...] le versant nord... [...] Au
centre... (K. Berger, 1998, pp. 23-24.)
La présence de l'essai, (aspects social et
ethnographique) jadis attribuée aux écrits primitifs
d'indigènes, dans le roman moderne, semble témoigner à son
tour du renouvellement d'une vision poétique de l'hybride. En ce sens
et, comme le consigne B. Mohammedi-Tabti, « il faudrait
préciser que l'histoire, dans ces romans224(*) constitue plus qu'une toile
de fond et qu'elle est un des éléments essentiels de toutes ces
oeuvres. »225(*). Aussi bien, le récit, pour
opérer sa subsistance dans ces moments de rupture226(*), est-il contraint de les
intégrer à son compte. De ce fait, la part (plus ou moins
importante) d'Histoire qu'il recèle devient elle aussi romancée.
Il n'y a pas d'effacement comme l'écrit cependant Gerhard Haas, mais
bien plus intégration227(*). C'est parce que le destin de l'enfant est
entièrement rattaché à celui de ses deux pays, que
l'Histoire devient soudain le lieu privilégié et
l'élément propice à la quête. Nous assistons alors,
à travers la confrontation de deux points de vue et de deux histoires,
au balancement de l'oeuvre d'une instance à l'autre, d'une
idéologie à l'autre, d'un genre à l'autre. L'enfant des
deux mondes s'appuie donc lui aussi sur une logique de dédoublement
induite par contexte postcolonial, et réfute, de ce fait, toute
tentative de catégorisation. L'auteure peut alors se livrer à cet
exercice intime de la mémoire tout en étant rivée sur
l'enjeu communautaire et universel228(*).
L'Histoire, qui est du reste une composante essentielle,
peut s'étendre à toutes les productions intellectuelles parues en
Algérie, aussi bien dans les domaines relatifs (les sciences sociales)
que dans la pratique littéraire, c'est-à-dire au sein des
écrits fictifs. En effet, « Sur cette trame en
ébullition [l'Histoire], résout G. Hammadi, a
pris naissance une littérature inscrite dans le désenchantement,
l'exil, la mort. »229(*). Des éléments en provenance du dehors
(proches de l'essai) sont donc récupérés et participent
à la mise en place d'une scénographie qui signe le
conditionnement de l'oeuvre par un rapport privilégié au monde.
2. L'hybridation linguistique :
À travers ce petit exposé, nous avons pu
voir, dans L'enfant des deux mondes, la nécessité d'une
telle démarche que celle d'un parallélisme établi à
travers le prisme de la comparaison. L'auteure, en tant que sujet hybride,
manifeste des signes de dédoublement qui lui sont inhérents
jusque dans son ouvre. Or, de manière générale, l'hybride
fait partie intégrante de la culture, sitôt que l'art,
pareillement à la conception du monde, emprunte en bien des endroits
à la complicité de la nature humaine. Mais dans un contexte bien
précis qui est celui de la postcolonialité, les auteurs en
question favorisent une logique de dualité pour leurs oeuvres qui fait
que, naturellement, à l'hybridation générique s'ensuit
celle linguistique. Car il est à présent bien connu que
« l'identité d'une oeuvre littéraire, c'est d'abord
sa langue »230(*), c'est-à-dire le matériau par lequel
elle assoit véritablement son empreinte idéologique. Parmi ces
auteurs-là, Karima Berger a su évoluer dans un espace
linguistique culturellement très diversifié, et son
écriture aujourd'hui porte aussi la marque de cette hybridité. En
ce sens, elle rejoint le parti-pris hybride des oeuvres communément
admises par Bonn dans le champ de la francophonie (bien que le terme soit
toujours ambigu).
L'amour de deux patries, de deux langues (voire de
langages pour Bakhtine) est expressément celui de l'oeuvre qui officie
à la rencontre des codes discursifs divers (mots vernaculaires,
expressions idiosyncratiques, emprunts linguistiques, tournures phrastiques et
sémantiques...). Il ya dans L'enfant des deux mondes,
contrairement aux écrits de la première génération
où l'oralité revêt un rôle important dans la
revalorisation du patrimoine traditionnel (renversement des codes
hétéronomes d'énonciation231(*) et élaboration
syntaxique), une image très caractéristique de l'ambivalence, et
qui donne alors cette particularité d'être le fruit d'une
reconfiguration linguistique de l'entre-deux. En effet, L'auteure insiste
davantage sur la dimension intertextuelle et interdiscursive, qui doit
permettre l'intégration de signes disparates par une pluralité
hétérogène de voix narratives.
Compte tenu donc du contexte diglossique qui
définit les rapports des écrivains postcoloniaux à leurs
écrits, L'enfant des deux mondes se voit également
reproduire cette domination langagière imposée de part et
d'autres des deux communautés (française d'abord, arabe ensuite).
Cette phase est pourtant nécessaire à l'épanouissement du
sujet hybride, car contrairement à ce que peut penser Bonn232(*), la réhabilitation
d'une langue maternelle (l'arabe) par celle paternelle (le français) ne
se fait pas toujours en termes d'une quelconque affirmation prétextant
le rejet de l'une par l'autre, mais en les intégrant toutes deux au sein
d'une dynamique de dédoublement. L'enfant, étant elle-même
métisse, sa relation à la langue est en effet
problématique quant aux restrictions appuyées au devant de
l'indépendance, étant donné qu'elle dépend
maintenant de deux espaces monolinguistiques (ou en tout cas supposés
comme tels). Cependant, la fatalité nationale échoue et
l'hybridation, elle, ne tarde pas à se révéler dans les
pratiques langagières de l'enfant :
Mais le léger vertige que provoquait en elle
l'apparente maîtrise d'une langue étrangère, la sienne,
était plus fort et semblait l'abuser elle-même. (K. Berger, 1998,
p. 34.)
Ou encore : « Impuissante, elle
éprouvait dans sa chair le brutal inachèvement de la culture
française... » (K. Berger, 1998, p. 40.) qui la portait
jusque-là. Ainsi, elle aboutit donc non pas à une langue-outil
(Bonn) mais à une langue-choix. L'appréhender par ce compromis
(c'est-à-dire comme simple outil) serait contradictoire aux principes
flottants d'une littérature de l'entre-deux, mouvante et inflexible.
Le parcours existentiel de l'enfant (prise à part
entre deux mondes) tout comme de celui de l'auteure se reflètent dans
l'univers du roman au niveau de la structuration verbale de la langue. De part
sa position médiane, l'enfant a désormais conscience de son
malaise, qui est en quelque sorte la somme de tous ces écarts
(langagiers) constatés. Mais en voulant les réduire, elle est
également en proie à une chimère, croyant
« pour le temps d'un mot [pouvoir] s'unir au choeur
effréné. » (idem, p. 28.) et
réaliser l'unité commune. Cette dernière, pour qu'elle
subsista, doit maintenir malgré elle cette logique fragmentaire qui
fait, à défaut de les absoudre ex arquo dans un
même assortiment verbal, se superposer les éclats de langue dont
parle indistinctement l'enfant :
Jamais pourtant l'enfant n'oublia ce cadeau, ce morceau de
langue qu'elle portait en elle comme le signe le plus précieux de son
origine... (K. Berger, 1998, p. 52.)233(*)
Todorov, tout en combinant
« rêve » et
« folie », place le sujet hybride dans un
état de schizophrénie délirant, dans lequel toute une
passiveté s'exprime sous les signes d'une diffraction langagière.
Pour l'enfant aussi :
La langue ne comptait plus, ni la française, ni l'arabe
[...] seule comptait cette lecture qui dessinait un espace clos dans lequel
elle faisait se correspondre [les sons des deux univers réels]. (K.
Berger, 1998, p. 58.)
Entre deux textes réputés êtres
contradictoires, et dont le besoin est de les assimiler, l'enfant semble
toucher du doigt la problématique de l'hybride qui est celle de sa
raison d'être. Tel qu'elle le définit, il est une
nécessité pleinement revendiquée et non une
validité par moments assouvie. Ce n'est donc pas la capacité pour
le sujet hybride de tout faire correspondre par la voie du raisonnement qui est
mise ne avant, mais celle de maintenir face à soi la présence des
deux extrêmes langagiers. L'enfant se voit donc obligée, parce que
cela lui procure un sentiment de complétude et de bonheur ineffables, de
se réciter soi-même pour la seule raison d'entendre des voix
différentes, de se laisser imprégner par la profondeur et la
résonnance des mots. « C'est une question d'oreille,
affirme André Belleau. Il s'agit moins de comprendre le texte que de
l'entendre... »234(*). En effet, la seule présence
mêlée des mots semble suffire à créer ce que S.
Pétillon appelle « un médium créatif de
premier ordre. »235(*). L'enfant, « Voulant
s'émanciper de la contrainte du sens, elle décidait alors de
prier comme cela lui venait, avec ses mots à elle... »
(K. Berger, 1998, p. 56.). Ou encore, « Elle récitait en
aveugle, guidée par la seule mémoire des sons. »
(idem, p. 53.).
Du reste, l'hybridation peut se manifester en termes de
tension ou de rupture (jonctions de contraires dans un texte), comme elle peut
se manifester également dans une atmosphère féconde,
à travers une gamme de combinaisons textuelles riches236(*). C'est le cas de L'enfant
des deux mondes qui réinvente à lui seul cette dynamique de
dédoublement : en effet, la jonction des deux langues doit
faciliter la régularisation des emprunts et l'organisation
sémantique du texte. Tous les passages qui s'inscrivent dans ce registre
de l'entre-deux peuvent attester de leur incapacité à manoeuvrer
d'un monde à l'autre, d'un signe à l'autre sans l'aide de la
traduction, qui elle, établit définitivement la fréquence
du geste. Nous relevons respectivement cinq (05) occurrences (pp. 15, 70, 72,
82, 125.) pour le passage ci-dessous, qui attestent toutes de la
prééminence d'un cheminement comparatiste au sein de
l'oeuvre :
... comptines à manger, à chanter, à
traduire toujours, intense travail de tous les instants, d'une langue à
une autre, d'un signe à un autre, dans un sens, dans l'autre, sans
cesse. (K. Berger, 1998, p. 15.)
La présence symétrique des deux langues
(« pour elle une même langue »237(*) idem, p. 12.) dans
le texte est perçue par l'auteure comme une règle intangible.
À partir de la page douze, cet accompagnement direct - manifestation en
italique et presque sans guillemets - de mots arabes par une correspondance
française est formulé clairement et ponctue ainsi tout le texte.
On note à titre d'exemple :
« firdaws/jenâa » (p. 12.) ;
« le maître, El Ousted » (p. 33.) ;
« Alger, El Djezaïr » (p. 35.) ; « les
Chaouia - les paysannes » (p. 40.) ;
« chouhadas, martyrs » (p.
47.) ; « Iqrâ ! Lis !
Récite ! » (p. 53.) ;
« Gabriel-Jibraïl » (p. 54.) ;
« Qalâme-l'Ecriture » (p. 54.) ;
« Marie-Maryam » (p. 54.) ; « le Hadj, le
lecteur du Coran » (p. 55.) ; « Farida, Fanny »
(p. 71.) ; « Leila, Léa » (p. 71.) et
même implicitement « Caroline » (p. 71.) pour les
besoins du texte et « Karima » en surface de couverture.
Pour l'enfant (et l'auteure), ce besoin de traduire, de passer d'une langue
propre à une autre tout aussi propre (qui est la sienne), se
révèle par la juxtaposition immédiate de mots ayant le
même sens (en guise d'annotation) ou d'expressions qui peuvent
rétablir une équivalence entre les deux systèmes :
La poésie arabe, le Coran, elle ne pouvait les lire
qu'en miroir d'une traduction française, présence
familière et rassurante à laquelle elle ne pouvait s'arracher.
(K. Berger, 1998, p. 60.)
La traduction revêt un rôle important sinon
obligatoire dans le processus de médiation : ainsi, au lieu
d'excéder tout à fait les limites du genre (hybride) et
procéder à sur une simple métamorphose238(*)... car dès lors que
l'on veut assimiler entre deux langues, on doit pencher d'un côté
de la balance plutôt que de l'autre (la langue majeure l'emporte sur la
langue mineure), elle assure une neutralité et une continuité des
dichotomies linguistiques et spatiales. Ainsi, contrairement au roman
classique, dans le roman moderne (et postmoderne) « le sujet
demeure sur la frontière entre les deux. »239(*) univers langagiers. C'est
que, pour le sujet double, l'identité (linguistique) et l'appartenance
culturelle n'est pas envisagée par rapport à l'instance
d'énonciation suscitant le « Moi » et
l'« Autre », l'« Ici » et
l'« Ailleurs », mais par le truchement de
catégories concrètement interchangeables à défaut
de n'être simultanément admises. Ce sont alors deux voix et deux
façons de se dire communément différentes, qui
s'érigent en condition pour que l'hybride s'épanouisse de nouveau
dans la multitude et la diversité des pratiques.
Mais cela ne suffit pas encore :
l'enfant étant bilingue, sa recherche effrénée de toute
correspondance trahit en contrepartie le désir de distance qui partage
le texte en deux blocs hémisphères, et ce par une attribution
équivalente de signes (figures de la dualité et non de la
conversion, juxtaposition synonymique...) qui est maintenu tout en passant d'un
contexte à un autre et d'une langue à une autre. Par
conséquent, « Les formes artistiques hybrides expriment le
paradoxe manifeste né de la friction entre le besoin de
libération vis-à-vis des déterminations identitaires
traditionnelles et la recherche de rapports cohérents
durables. »240(*). En effet, à mesure que le temps
s'élève et que l'enfant grandit, ce n'est plus la même
recherche du sens qui structure le besoin d'équilibre, n'étant
plus dans le besoin (puisqu'elle parle et comprend l'arabe), mais une autre
manière de concevoir le monde (l'oeuvre y compris) comme le
renouvellement de toutes les formes poétiques et idéologiques
constantes. C'est ainsi qu'elle peut formuler sans contraintes le voeu de
transposer au texte arabe sacré (le Coran) une interprétation
autre que celle qui a eu lieu jadis dans la langue
d'origine, c'est-à-dire, désormais, par le biais d'une
langue « impure », le français241(*), car enfin l'enjeu
étant de briguer, au nom de ce qui lui revient de droit (le
mélange, l'impur...) l'idéal de pureté qui sera
acheminé d'une langue vers une autre :
... elle collectionnait les versions françaises du
Livre dans l'attente du traducteur qui serait le plus proche de la
vérité, celui qui lui offrirait la lecture d'un texte qui aurait
- en français - la musique, le vocabulaire, la sonorité, le
rythme, les ellipses, la beauté, la pureté, la profusion,
l'âpreté, la puissance, la sévérité, la
cruauté, la clémence du texte saint, qui accomplirait en fait le
miracle de lui offrir la sensation de lire en arabe un texte écrit en
français... (K. Berger, 1998, p. 60.)
L'hybride peut donc se manifester de toutes les
manières possibles, hormis de celles qui s'appliquent à une
intégration totale (pour ne pas dire aliénée). En ce sens,
nous distinguons deux grands niveaux d'hybridation qui interviennent
simultanément au sein de notre corpus, à savoir l'hybridation
inter et intra-textuelle. Le premier consiste à établir un
rapport d'interférence au sein d'énoncés qui interviennent
entre une langue donnée, l'arabe, « ce fragment de chair
qui venait se substituer au corps maternel. » (K. Berger, 1998,
p. 53.242(*)) et une
autre, « sa langue française, presque maternelle,
spontanée et familière. » (idem, p. 46.).
Outre les passages à suivre, les exemples énumérés
ci-dessus peuvent attester de la complémentarité distante de ces
deux langues. C'est le cas également des passages livresques
précités, où il est question de faire correspondre deux
versets des Écritures (l'un biblique et l'autre coranique), transcrits
chacun dans une langue à part et reliés ensuite par
l'intermédiaire de la langue française243(*), autrement dit par celui de
la traduction qui ouvre un espace au croisement et à la rencontre des
codes sémantiques :
Notre Père / Au nom d'Allah,
Notre Père qui êtes aux cieux / Seigneur des Mondes
Que to nom soit sanctifié / Le Tout
miséricorde
Que vienne ton règne / c'est Toi
que nous adorons,
Donne-nous notre pain
quotidien / Toi dont nous
implorons l'aide ...
Amen / Amîîîîîne. (K. Berger,
1998, p. 56.)
Il convient de citer aussi dans ce registre de la
mixité des langues le texte fractal éclaté qui, comme le
nôtre, est composé d'incessants va-et-vient, de renvois, de
raccords et d'adjonctions amalgamiques entre des unités
langagières appartenant à divers horizons de langues (c'est
l'exemple de l'arabe qui s'immisce dans le français [oralité] et
du français dans l'arabe [connotation des mots empruntés et
traduction des corpus coraniques]), et qui donnent à voir un
récit régi par des compromis sémantiques et des emprunts
langagiers : la succession de ces codes, également appelée
« code-switching », désigne dans le langage
moderne l'alternance au sein d'un même énoncé (texte) de
deux ou plusieurs codes linguistiques, soit donc à ce que Lewis appelle
« l'interpénétration horizontale des
langues »244(*) sur le mode interlingual, pour aboutir à un
multilinguisme littéraire qui se caractérise par la
pénétration d'une langue (d'accueil) par une autre
(d'arrivée).
Ce phénomène d'interférence
langagière recouvre une bonne partie de l'oeuvre de Karima Berger, et
notamment avec L'enfant des deux mondes qui la donne à voir
comme étant une oeuvre hybride. Parmi ces interférences, nous
avons pu relever : « hommes-moudjahidines » (p.
6.) ; « qachabya » (p. 7.) ; «
haïk » (p. 8.) ;
« medersa » (pp. 26, 40, 43, 45, 65.) ;
« sourate » (pp. 27, 52,
57.) ; « Fatiha » (pp. 27, 33, 45, 52,
53, 55, 56, 57.) ; « Bismillah » (pp.
28, 57.) ; « Allah » (pp. 28, 56, 58, 65,
96.) ; « Amîîîîîne »
(pp. 28, 51, 52.) ; « burnous » (p.
32.) ; « fez » (p. 33.) ;
« Istiqlal » (p. 33.) ; «
Qassaman » (p. 33.) ;
« Chahada » (p. 33.) ;
« moudjahiddines » (p. 39.) ;
« djihad » (p. 39.) ;
« speakers » (p. 44.) ; «
l'establishment » (p. 45.) ; «
Iqrâ ! » (pp. 53, 54, 55.) ;
« Niyâ » (p. 57.) ;
« Yâ Sin » (p. 57.) ;
« Maghreb » (p. 61.) ;
« drogman » (p. 62.) ;
« tordjman » (p. 62.) ;
« ben » (p. 63.) ;
« chnougha » (p. 65.) ; « l'Aïd El
Kebir » (p. 77.) ; « Baba Achour » (pp. 77,
78.) ; « henné » (p.
77.) ; « qalams » (p. 90.) ; «
youyous » (p. 91.) ; « harem »
(pp. 91, 100.) ; « chéchia » (p.
94.) ; « tolbas » (p. 109.) ;
« Azraël » (p. 113.) ; « flene ou
flene » (p. 114.) ; « Cheikh » (p.
115.) ; « Kaâba » (p. 116.) ;
« l'Emir » (p. 116.) ;
« gandourah » (p. 121.) ; «
l'oued » (p. 121.) ;
« couscous » (p. 121.) ;
« L'Agua viva » (pp. 123, 124, 125.) ;
« Soura » (p. 124.), qui sont des particules
étrangères minoritaires au sein du texte français (langue
majoritaire245(*)).
Tous ces emprunts ne dérogent pas aux besoins de
la syntaxe, bien au contraire, ils enrichissent par leur mouvement
cadencé la structure interne du récit (ce qui nous suggère
alors de l'inscrire davantage dans le prolongement du courant moderniste
plutôt que dans celui postmoderniste246(*)). Nous nous acheminons dès lors vers une
poétique du divers qui instaure une sorte de
« Chaos-Monde »247(*) fructueux, dans la mesure où la
diversité devient la norme et la complexité l'usage. En ce sens,
et pour davantage se positionner dans le contexte postcolonial, Christiane
Chaulet-Achour affirme que « les oeuvres issues d'aires
géographiques différentes ayant pour point commun la langue
française ont [toutes ?] introduit l'étranger dans
la littérature, par la grande porte, celle de la langue
littéraire. »248(*). Tels sont donc les effets du multilinguisme sur
l'écriture pour le sujet-double en quête de son identité
hybride. Cette dernière, bien qu'elle soit souvent l'oeuvre d'un
être en particulier, nous renseigne (selon les conjonctures historiques)
sur la double généalogie de ses auteurs. W. Mackey constate que
« certains écrivains multilingues sont incapables de
s'exprimer, voire [de] penser, en une seule
langue. »249(*). L'hybridation atteint donc un seuil conscient et
agit conséquemment sur le texte. Parce qu'ils sont les
dépositaires légitimés de deux systèmes culturels
conquérants, leur oeuvre éparse est la consécration
établie du multiple et du divers.
À travers la confrontation de ces deux langues, le
lecteur, s'il peut apercevoir en filigrane les signes d'un quelconque
« désordre » (postmoderne), ce n'est qu'en
termes d'une certaine remise à l'ordre voulue, avant tout, comme un
rapprochement insaisissable. En effet, le caractère instable de ces
langues, conforté dans son positionnement double, est le plus à
même de restituer au texte sa relation de stabilité et
d'équilibre : car s'il assure « la permanence des
deux langues chez l'écrivain bilingue, [ce n'est qu'au prix d']
une infinité de jeux de miroir et de déplacements
culturels... »250(*). Ce qui confirme encore une fois la non-inscription
de ce texte dans le courant postmoderniste, c'est sa vocation obstinée
de faire coïncider ces deux espaces langagiers pour les confronter ensuite
dans un lieu commun, c'est-à-dire dans un
« Tiers-espace » (H. K. Bhabha), qui est
l'aboutissement d'une querelle irréconciliable. Mais c'est alors un
hybride inachevé et conscient de ses manques qui plus est
considéré comme un parangon de la littérature hybride, que
celui d'un texte en perpétuel devenir :
Les discussions [...] véritables joutes mettant en
scène les qualités de leurs langues [...] la
supériorité esthétique, sensuelle ou imaginative pouvaient
s'éterniser ou parfois dégénérer en algarades de
sens, autour de noms à traduire, traduire toujours, intense travail de
tous les instants, d'une langue à une autre, d'un signe à un
autre, dans un sens, dans l'autre, sans cesse. » (K. Berger, 1998, p.
72.)
On le voit, notamment à travers l'insistance
redoublée de l'auteure, que cet espace nourrissant le
« rêve de la rencontre, de l'assimilation »
(K. Berger, 1998, p. 65.) est loin d'être en soi le fait d'une
intégration accomplie, puisqu'il n'advient qu'en contrepartie d'un
incessant affrontement... et la détermination qu'il y a à
maintenir cet espace ouvert est catégorique. En ce sens, A. Khatibi
parle de la « bilangue » comme d'un
« nouvel espace langagier. »251(*), seul capable de
réunir ces deux extrêmes antithétiques (ces
« deux pôles de
tension conduits à coexister selon des
modalités perpétuellement renégociées.
»252(*)) que sont
les langues de l'Occident (français) et de l'Orient253(*) (arabe,
berbère...) :
Langue maternelle. Laquelle en vérité
était la sienne ? (K. Berger, 1998, p. 51.)
Poétiquement parlant, le texte, en plus
d'être un support idéologique de qualité, sert à
illustrer cette dernière (« l'idéologie
forgée »254(*)) par le truchement d'une pluralité de voix
narratives255(*). Le
texte hybride est en effet ce tissu d'interférences langagières
dont parle Lewis (axe horizontal) mais aussi ce lieu extrême où se
réalise le principe dialogique de Bakhtine (axe vertical). Le
phénomène hétéroglossique, qui est tout à la
fois présent dans les champs moderne et postmoderne, apparaît en
second ordre dans notre corpus. Nous comptons de ce fait un autre niveau
d'interférence codique qui relève de l'hybridation
intratextuelle, c'est-à-dire qui procède de l'alternance de
plusieurs registres de langue à l'intérieur d'un seul et
même code linguistique. Nous avons pu voir, plus en haut, comment se
faisait l'incorporation de la langue arabe classique [Coran :
« Lam yaled oua lam yaouled » (K. Berger, 1998, p.
27.)] dans un français standard ; nous verrons maintenant comment a
lieu l'emboitement des deux variantes (langue vernaculaire, expressions
idiosyncratiques/langue classique ou standard) d'une même langue.
L'introduction d'une autre subjectivité
langagière a un effet conséquent sur le texte de départ et
sur celui d'arrivé (problème que peut poser la traduction). C'est
le cas des passages portant les marques d'oralité (poésies,
contes, proverbes...) et qui attestent de l'existence d'une littérature
traditionnelle (orale) au sein d'une littérature moderne
(écrite : en arabe et en française). On parle bien
d'ailleurs, suivant les mots de Paulette Galand-Pernet, d'une
« ethnolittérature-source »
(française) et d'une
« ethnolittérature-cible » (arabe,
berbère). Ce passage de L'enfant des deux mondes admet donc la
présence d'une poésie orale féminine (transcrite en arabe
classique avant d'être traduite en français, mais qui continue de
faire dans la vraie vie l'objet d'une déclamation orale256(*)) qui, contrairement à
la récitation des textes Saints, se joue uniquement dans des rites
païens (hétérodoxes) et solennels257(*) :
« Nous sommes filles de l'étoile du matin,
Nos cous sont armés de perles, nos cheveux parfumés
de musc,
Si
vous combattez, nous vous prendrons dans nos bras,
Si vous reculez, nous vous délaisserons,
Adieu l'amour ». (K.
Berger, 1998, p. 93.)
Dans les littératures hybrides
(littératures de « l'intranquilité »
selon F. Pessoa), le roman qui met en scène deux univers
parallèles au sein d'une même
« communauté [...]
organique »258(*), se caractérise par une
« diversité sociale de langages, parfois de langues et de
voix individuelles, diversité littérairement
organisée. »259(*), qui selon Bakhtine procède de l'ordre
intentionnel des choses260(*). En effet, le langage littéraire serait
à voir, selon lui, comme « un hybride
linguistique » (effet), dans la mesure où il fait suite
à un « hybride historique inconscient »
(cause). Ce cas-ci d'interférence se caractérise par une parole
externe au discours véhiculé par le texte, c'est-à-dire
qu'il intervient indirectement par la plume de l'auteure261(*). En clair, il y a à
peu près deux registres et deux discours différents qui circulent
dans une même langue, l'arabe (dialectal/maghribi et classique262(*)). Nous comptons
respectivement cinq interventions de ce genre : « Qum
Tara » (p. 5.) ; « Aya belâredj »
(p. 5.) ; « Netlâa ilal djebel » (p.
39.) ; « Morrammed-fissa-belek » (p. 70.) ;
« macache-kaoua-bled » (p. 70.) qui sont à
l'ordre de ces manifestations polyphoniques.
C'est, en somme, une étape nécessaire et
cruciale dans la voie de l'affirmation continue d'une modernité
romanesque. Tous ces éléments auxquels il est fait
référence dans notre corpus, viennent renforcer en quelque sorte
la stratégie de l'auteure, qui vise à inscrire ses personnages
dans la tourmente et l'éclatement des espaces phonique,
sémantique, symbolique, etc. À terme, nous pouvons dire que
L'enfant des deux mondes est un roman hybride ; d'abord par son
aspect doublement idéologique, puis par la mobilité de ses
structures langagières.
3. Le cadre spatio-temporel :
L'hybride apparaît plus nettement encore dans la
structuration interne du récit. En effet, l'ensemble des
procédés paratopiques employés nous renseigneront
davantage sur la disposition hétérogène du texte, suivant
la logique de rupture (sauts temporels) ou de dédoublement (alternance
spatiale). Ceux-ci participent tout simplement de l'effet de
représentation ou de conditionnement de l'oeuvre vis-à-vis de son
contexte d'apparition (Maingueneau), qui la donnent à lire comme
étant une reproduction pure et simple des formes de
l'ambigüité.
Dans un premier temps en effet, l'étude des
passages descriptifs, érigés selon des modalités
paratopiques revendiquées dans l'oeuvre, doivent conclure à la
fragmentation de l'espace romanesque (dédoublement,
diversité et interpénétration de lieux) ; dans un second
temps, la prise en charge des séquences narratives nous permettra de
dégager l'essentiel de la temporalité (la vitesse, le rythme et
la fréquence) brouillée du texte. En somme, cette étude
nous permettra d'énoncer clairement les enjeux poursuivis par l'auteure
et de les appréhender selon les principes hybrides qui sous-tendent la
composition de son texte.
3.1. Le dédoublement spatial :
L'espace romanesque représenté dans
L'enfant des deux mondes est fort important dans la mesure où
il excède la problématique idéologique de la
période post-indépendance, et procède au
décloisonnement des espaces. En effet, tantôt l'Ici est juste
là, tantôt il est ailleurs. Il s'agit pour l'auteure de mettre en
place une alternative à ces deux mondes qui sont désignés
du doigt comme étant vivement antithétiques, et d'échapper
ensuite à la politique ségrégationniste du régime
en place : être présent en chacun de ces espaces,
« hors de l'ennui, des murs263(*), du silence, de la
claustration. » (K. Berger, 1998, p. 7.), telle est la raison
d'être de ce livre. De ce fait, la multiplication des espaces au sein de
notre corpus « brise cette fonction emblématique du
territoire et conteste l'affirmation crispée d'une identité
univoque... »264(*).
Il s'agit principalement des souvenirs de l'enfant. Le
roman débute en Algérie, à la période coloniale, en
même temps qu'il s'écrit en France, lieu d'exil. La narration
ultérieure permet donc un moment le rapprochement de ces deux espaces
tout en les confondant. Le passage d'un espace à l'autre est rendu
aisé par l'enchâssement des séquences narratives et
descriptives. L'ordre de narration emprunte la figure du sablier,
c'est-à-dire qu'il résulte d'un va-et-vient (en allant du
général au précis et du précis au
général) entre ces deux espaces principaux que sont d'une part
l'Algérie d'avant et celle d'après ; de l'autre,
l'Algérie (indépendante) et la France (terre d'exil265(*)).
Ainsi, de cette Algérie natale, figure
emblématique et ancestrale, l'enfant aura retenu le goût de sa
nostalgie et de son rappel. Cet espace, divisé par l'auteure en deux
axes symétriques (les premiers chapitres se situeraient [tous] en
Algérie tandis que les derniers en France) correspond d'abord à
l'Algérie, « Alger - Médéa »
(p. 5.) ; « Tibhirine » (p. 13.) ;
« Damiette » (p. 13.) ;
« Borelli La Sapi » (p. 13.) ;
« Duperré-Aïn Defla » (p. 30.) ;
« Tipasa » (p. 48.) ; « Saint-Denis
du Sig [...] l'Oranie » (p. 61.), etc., avant de
parvenir en France, pour elle « l'autre France »
(p. 111.), c'est-à-dire en fait la métropole : «
France » (p. 111.) ; « Ici, en
Auvergne » (p. 120.),
« Clermont-Ferrand » (p. 112.) ; «
Puy-de-Dôme » (p. 118.), etc. Le dédoublement
est néanmoins le principe fondateur de ce livre. En une fraction de
seconde, le récit peut se glisser d'un lieu à un autre et
accumuler bon nombre de descriptions spatiales. C'est le cas, ci-après,
de ces deux passages qui alternent entre deux espaces suffisamment lointains
mais proches (ayant plusieurs dénominateurs communs), pour
répondre aux besoins de la comparaison :
· Paris. Marché d'Aligre, un samedi de
Ramadhan dans une boucherie musulmane... (K. Berger, 1998, p. 86.)
· Médéa, fief de la tribu, lieu de tous
les rituels, des manies religieuses... (K. Berger, 1998, p. 87.)
Cette alternation des espaces accompagne sans doute
l'état d'esprit de l'enfant, pour ne pas dire de l'auteure, et
caractérise sa double personnalité. Comme elle ne peut
véritablement s'en défaire ni de l'un ni de l'autre, ils sont
tous deux présents dans la conscience de l'une et de l'autre. Il n'y a
donc pas de réseau d'oppositions entre ces deux espaces, contrairement
aux idéologies qui les représentent au sein des régimes
postcoloniaux, mais des liens complémentaires qui insistent sur la
continuité de l'un et de l'autre. Le roman en question, tout comme
l'enfant d'ailleurs, invoque très souvent ces deux espaces en essayant
de les contenir dans un jeu incessant de va-et-vient :
« Aller, retour, Paris - Alger - Paris. »
(idem, p. 122.). Pour le texte donc, l'identité hybride est
celle qui « se dérobe à la fixité dans l'espace
romanesque. »266(*).
3.2. Le temps discontinu :
Le temps de narration est également
réfractaire à toute logique de barricadement. Bien que l'intrigue
soit linéaire dans sa plus grande partie, quelques jeux de piste ne sont
pas à exclure. C'est précisément de cette façon que
l'autobiographie peut côtoyer l'Histoire, c'est-à-dire par
l'enchâssement de l'une dans l'autre : le temps historique vient
ainsi rompre le présent de narration267(*) et le présent se fondre à son tour
dans le temps historique, qui nous donne à voir une temporalité
brouillée. C'est un va-et-vient entre le passé et le
présent, mais également entre plusieurs passés et
présents (registres) dû à la présence
simultanée de plusieurs genres.
La narration est elle aussi ultérieure268(*), c'est-à-dire qu'elle
n'intervient que beaucoup plus tard et essentiellement de l'extérieur
(en France, lieu d'exil) sur des événements qui ont eu lieu ici,
en Algérie. Elle perpétue donc face à l écart
spatial un autre écart temporel, comme peuvent en témoigner ces
quelques verbes pris de manière non exhaustive : d'abord à
l'imparfait et au passé simple,
« passaient » (p. 5.) ;
« s'emparait » (p. 7.) ;
« quittaient » (p. 9.) ;
« ornaient » (p. 10.) ;
« retrouvait » (p. 13.) ;
« réservaient » (p. 14.) ;
« venait » (p. 17.) ;
« entendit » (p. 18.) ; « se
réfugia » (p. 18.) ;
« demanda » (p. 19.) ;
« revit » (p. 19.) ;
« était » (p. 39.), etc., ensuite, ayant
longé suffisamment dans le temps, au présent de l'indicatif,
quand ce n'est pas alors au futur :
« devient » (p. 89.) ;
« appelle » (p. 89.) ;
« sont » (p. 92.) ;
« rajoutent » (p. 93.) ; « se
souvient » (p. 102.) ;
« hante » (p. 104.) ; «
disent » (p. 106.) ;
« déposera » (p. 124.) ;
« se surprend » (p. 124.) ;
« assiste » (p. 125.), etc.
Ce type de narration peut être dit
« intercalé »269(*), dans la mesure où il
allie le mode ultérieur et le mode simultané. Aussi,
l'enchaînement chronologique des chapitres passe pour être confus
à un moment donné (à partir du chap. sept). Mais ce n'est
pas plus simple en fait puisqu'elle admet également des passages
relevant du mode antérieur. Ceux-ci sont principalement sous forme de
prolepses (anticipations chronologiques) et d'ellipses (omission et/ou sauts
temporels conséquents). Ces dernières, trop fréquentes,
favorisent ainsi le passage d'un espace à l'autre. Citons, dans cet
ordre-là, les exemples suivants : « sensation qu'elle
retrouva plus tard dans la vallée de Petra... » (p.
6.) ; « Bien des années plus tard, en feuilletant l'album
de photos familial, elle mesurait... » (p. 8.) ; «
Lorsque plus tard l'enfant apprit qu'elle avait... » (p.
10.) ; « ... et lorsqu'adulte elle
s'exila... » (p. 10.) ; « Mais plus tard,
voyant ses enfants grandir aux frontières des rivages de ce nouveau
monde... » (p. 12.) ; « ... plus tard,
dans les paysages d'Auvergne... » (p. 13.) ; « Le
lendemain » (p. 19.) ; « Ce
soir-là » (p. 20.) ; « La
veille » (p.24.) ; « Le
lendemain » (p. 25.) ; « Lorsqu'alors
âgée de vingt ans, bien des années plus
tard » (p. 37.) ; « On le sut plus
tard » (p. 42.), etc.
Le roman, du coup, repose sur ce principe des jonctions
qui finissent par établir une sorte de paradoxe. Cela parce que
l'auteure prend en compte les métamorphoses identitaires de l'enfant et
suit une paradigmatisation systématique et étagée du
texte, à travers notamment le choix des figurations (descriptives et
narratives).
? CHAPITRE DEUXIÈME : Stratégies
postcoloniales.
Nos enfants ne pourront même plus se sublimer comme
leurs ancêtres dans les vers de poésie. Qu'ont-ils donc nos
doctrinaires au fond des yeux ? Certainement pas des oiseaux migrateurs et
des fées de toutes les couleurs. Qui se souvient de la cigogne ?
Elle a rayé notre pays de son plan de vol.
Malika
Boudalia-Greffou.
L'Histoire de l'Algérie contemporaine demeure
à bien des égards une Histoire fabriquée et
éminemment idéalisée. Celle-ci revendique
déjà, dans le cadre de son héritage, son ralliement
précoce à l'idéologie arabo-musulmane longtemps
considérée comme seule apte à constituer son unité
nationale, abstraite et controversée, voire inexistante270(*). Bien des années plus
tard, on retrouve dans une autre disposition d'esprit certes, la
réincarnation (ou métempsychose) des procédés de
subversion susceptibles d'influer en contrepartie sur le mythe de
l'algérianneté arabo-musulmane.
Caractérisées dans les études
postcoloniales depuis Fanon, on parle souvent de stratégies
d'identification postcoloniales pour désigner l'ensemble des moyens
(politiques) mis à disposition des jeunes États
indépendants, afin de sauvegarder - ou de réaliser par quelque
artifice que ce soit - l'unité culturelle de la nation. Ces moyens,
visibles pour la plupart, sont du reste bien représentés dans
notre corpus.
En effet, il y a lieu de parler de stratégies
d'identification lorsque l'ensemble des mécanismes
référentiels à l'identité sont constitués ou
élaborés - suivant une certaine arbitrarité du geste - de
manière à susciter, par des réactions contraires, un
état de considération univoque visant, dans le cas de
L'enfant des deux mondes, à supplanter coûte que
coûte la suprématie du discours colonial, ou à
réduire de façon radicale la subsistance de ses effets271(*). De fait, la rencontre de
ces deux consciences colonisé/colonisateur affectera durablement le
choix des processus en charge des relations identitaires à venir,
fondés en l'occurrence sur des rapports de rejet et de haine
viscérale... réciproquement inversés :
L'enfant entend par la bouche de sa grand-mère, que
seuls les membres de sa communauté iront au paradis. [...] La
grand-mère supposée détenir tout le savoir du monde dit
que seules l'enfant, elle et leur communauté arabe auraient accès
au paradis. (K. Berger, 1998, p. 17.)
Ou encore :
· Les Français sont sales (K. Berger, 1998, p.
83.)
· J'aime pas les Français (idem, p. 106.)
C'est en soi une donnée préjudiciable et
inversée de l'ancienne idéologie dominante, restituée
celle-ci par des liens et des conventions opposées272(*). Ce sont, par exemple, tous
ces procédés d'identification ethnocentriques et exclusifs,
détériorant jadis l'image de
« l'Arabe » (K. Berger, 1998, p. 100.) avant
d'etre appliqués au « Français » -
relevant de la VL (violence légitime) d'État et
dont se servent les idéologies nationalistes -, qui figurent dans ces
lieux réputés stratégiques :
Les Français ; qui s'en soucie ? Nul besoin
de les connaître ni même les approcher, le réseau
déjà implanté ici fonctionne parfaitement, reproduisant
avec encore plus de zèle les modèles de relations familiales et
toujours endogènes. « ...Et puis, ces Français, il faut
s'en méfier, hypocrites, avares, égoïstes, racistes, ils ne
donnent jamais rien, si peu généreux, si mesquins... »,
telle une célébration inversée de leur passion
cachée, rappelant l'ordre d'un autre temps et d'un autre lieu... (K.
Berger, 1998, p. 108.)
Dans ce cas, l'ambivalence des identités
suggérées plus haut met en relief l'existence d'une situation
idéologiquement antérieure, capable d'influer sur le destin de
toute une nation. Si « la relation coloniale déshumanise
et aliène »273(*) le colonisé, la relation postcoloniale,
sommes-nous tentés de dire, désagrège sur le plan des
libertés individuelles la volonté du sujet pour aboutir à
la « souffrance mentale » dont parle Fanon. En
effet, une nouvelle aliénation culturelle a lieu dans les milieux
postcoloniaux. H. Carrier la définit comme « condition des
individus ou des groupes qui sont atteints dans leur identité culturelle
et leur sens de l'appartenance. Ce sentiment de désapprobation [de
l'autre, résulte] des situations de violence, telle que la
domination militaire, la colonisation, l'oppression économique ou
idéologique »274(*) qu'il [le sujet], tend de reproduire ensuite en
toute légitimité :
· « ...La France nous doit bien
cela... »275(*) disent-ils... (K. Berger, 1998, p. 108.)
· Ne désirer de la France que la stricte
matérialité de ses objets... (idem, p. 106.)
En somme, ce qui nous intéresse ici au sein de ce
chapitre, c'est de voir comment et dans quelles conditions près
d'élabore le transfert de cette idéologie coloniale pour au final
muter dans une sorte de contre-discours caricatural. C'est à partir de
ce questionnement que nous pourrons cerner la réalité complexe
d'une identité nationale prise dans son évidence
aporétique. De même, selon qu'on se situe dans une position
politico-temporelle ou dans l'autre (suivant la distribution
manichéenne transnationale/infranationale), l'on passe de la nation
« hétérogène »
aménagée par les penseurs coloniaux à la nation
« homogène » décrétée
par les postcoloniaux276(*).
1. Pour une politique du fait colonial
inversée :
Avec l'avènement de l'indépendance, il n'y
a plus aucune pensée égalitaire en mesure d'établir des
rapports entre sociétés et individus. Au contraire, durant ce
laps de temps, les rapports de forces se sont inversés entre
colonisateur et colonisé d'une part, et entre sujet et communauté
d'autre part... de sorte à pratiquer maintenant une politique vaine de
l'enfermement vis-à-vis de cet «Autre» et de son
héritage continu. En d'autres termes, c'est une démarche qui ne
tient pas uniquement compte de l'étranger et de ses rapports avec
l'ex-colonisé, celui-ci étant lui-même exclu de sa
subjectivité. L'enfant des deux mondes nous apprend donc que la
politique de discrimination est toujours en marche, avant et après
l'indépendance, qu'elle a juste changé de lieu et qu'elle
opère désormais au sein du camp adverse. En effet,
l'ex-colonisé est, de nos jours, celui qui cherche à discriminer,
à séparer son existence jadis relative à celles des
autres. Comme si de l'avant à l'après, du colonial au
postcolonial, « les deux zones [n'étaient] pas
destinées à se compléter, loin de là..., mais
à s'opposer. »277(*) :
En quelques jours, Médéa se métamorphosa
en une ville étrangère, ce n'était plus cette fois le
« Vive le FLN » écrit en français, depuis
longtemps déjà familier au regard, mais une autre
écriture, une autre langue, comme s'il s'agissait déjà
d'un autre pays, habité par un autre peuple, souverain dans son
expression. (K. Berger, 1998, p. 29.)
Aussi :
Alger depuis évoquait pou elle ce séjour de
fête et de spiritualité offert par la grâce de l'amie
étrangère. Mais lorsque sa famille s'y installa en cette fin
d'été 62, elle ne retrouva plus guère les traces de cette
atmosphère. Ce n'était plus la même ville. (idem,
p. 38.)
Il s'avère de ce fait que l'indépendance
n'a pas réellement sapé les fondements propres à la
colonisation, loin s'en faut, mais qu'elle en véhicule et reproduit
quelques uns de ses éléments discriminatoires, racistes, qui font
que le colonisé se substitue et s'identifie désormais au
colonisateur. Pour Fanon, conclue Tassadit Yacine, « il ya donc la
discrimination opérée par le haut, par le colonisateur, mais il y
a aussi cette autre distinction, celle qui vient du bas, que va opérer
le colonisé avec la décolonisation. »278(*). Cette dernière
consiste en fait, selon Edward Saïd, à renverser les rapports de
force initialement établis par la présence du colon :
Oui, montrer aux siens qu'on tient à distance cet
étranger, le garder anonyme, inanimé, sans esquisser le moindre
mouvement d'approche ni de curiosité envers lui. (K. Berger, 1998, p.
109.)
Mais, pour l'enfant et pour tout sujet hybride, l'enjeu
est de faire en sorte que « s'organise la rencontre de [ces]
deux forces congénitalement antagonistes qui tirent leur
originalité de cette sorte de substantification que secrète et
qu'alimente [durablement] la situation
coloniale. »279(*). C'est dire qu'à l'heure où nous
sommes, des processus contradictoires perpétuent le « choc
de civilisation »280(*) qui s'avère à chaque fois
« interminable, implacable et
irréversible. »281(*). Ainsi le colonisé serait l'oeuvre du
colonisateur par le biais de ce retournement :
Mais, ironie de l'histoire, la France n'est-elle pas pour les
Algériens d'aujourd'hui cette même image qui immobiliserait ses
habitants dans des postures sans âme, foule anonyme, pour ne laisser
danser et briller que les miraculeux objets de l'Occident... (K. Berger, 1998,
p. 105.)
Ou encore lorsque l'enfant se penche sur le devenir des
Pieds-noirs :
Ne vivaient-ils pas le même retournement, ces
jeunes Français nés dans une France coloniale et qui soudain
devaient aller travailler dans cet ancien département français,
non plus en maîtres mais en « coopérants
techniques » [...] ? Ils jouaient pourtant le jeu prescrit par
le nouvel ordre, ils étaient
« coopérants »... (K. Berger, 1998, p. 41.)
L'enfant des deux mondes traite donc de
l'exacerbation de la politique anticoloniale appuyée au lendemain de
l'indépendance, et qui tend à s'affirmer dans un espace de plus
en plus monologique. À cela, le roman insiste sur la
nécessité « de ne pas s'identifier [encore]
à des modes de pensée occidentaux [la
ségrégation, le rejet et l'homophobisme]. »282(*) pratiqués envers des
sujets hybrides et assimilés, tout comme l'enfant, aux figures de
l'étrange, car l'univers dans lequel elle évolue est
celui-là même de l'étrangeté radicale : en
effet, si elle est prétendument supérieur à l'une des
sociétés (arabe), elle est aussi inférieure à
l'égard de l'autre (française), ce qui, de fait, lui assigne
d'emblée un espace plus particulier, non négociable : le
Tiers-espace :
Tout comme à l'école Richard où elle
ressentait sa singularité arabe, ici à la medersa, elle
ressentait cette autre singularité qu'elle ne pouvait nommer
française, mais étrangère en tout cas. (K. Berger, 1998,
p. 27.)
Les racines de l'anticolonialisme remontent assez loin
dans le temps (Hegel, Sartre, Césaire, Balandier...) pour être
ainsi la discipline la mieux accueillie dans le vif de l'action anticoloniale.
Toutefois, si elle devait survivre à la décolonisation, comme
Sartre le donne à lire dans Orphée noir283(*), elle aboutirait
aussitôt à une sorte de « racisme
antiraciste » (voir supra, p. 36.)284(*). Si pour Sartre
l'antiracisme et l'anticolonialisme devaient, au préalable, s'accommoder
d'un certain républicanisme, ce n'est pas tout à fait le cas en
Algérie où l'identité brigue à coup sûr une
nouvelle vision du nationalisme.
La double appartenance est perçue comme une
trahison par les pouvoirs en place285(*), de ce qu'elle suppose le recours aux avatars des
idéologies impérialistes provenant de la modernité. De ce
fait, la reproduction du discours colonial ou, plus précisément
l'anti-discours, s'alimente pratiquement des mêmes enjeux
passéistes - « hallucinations
historiques »286(*) - qui font que l'identité est seule
envisagée sous le prisme de l'univoque :
· Grâce à la medersa l'enfant avait acquis
les bases culturelles de son éducation : Qassaman, la
Fatiha et la Chahada. [...] elle commençait sa
récitation légèrement troublée par ce qui lui
semblait être un mensonge. (K. Berger, 1998, pp. 33-34.)
· Impuissante, elle éprouvait dans sa chair le
brutal inachèvement de la culture française dont elle avait
été nourrie jusque-là... (idem, p. 40.)
Ainsi, il y a toujours à proprement parler le
désir d'uniformisation qui caractérise jadis les
sociétés coloniales. De ce fait, elle persiste toujours à
quelques détails près, car l'oppression est désormais
nationale287(*). En
d'autres termes, elle est entièrement renouvelée et fait suite
à la domination coloniale. Or, nous dit encore T. Yacine dans le sillage
de Fanon, « La colonisation et son envers (la
décolonisation) n'est rien d'autre que ce rapport de force qu'il faut
inverser. »288(*).
En effet, « L'anticolonialisme devient une
arme »289(*) qui s'incruste durablement dans les politiques des
nations nouvellement indépendantes. S'il sert à maintenir avec
quelque effort intellectuel leur statut de liberté, il reste
néanmoins favorable à la diffusion de ce qu'on pourrait appeler
une « politique autoritaire »290(*), fondée presque
aussitôt sur la même « politique de
force »291(*) jadis à l'oeuvre dans les colonies. Pour
l'État indépendant, ce n'est autre qu'une violence
légitime (Bourdieu) que celle appuyée sur un ensemble de
réformes académiques et institutionnelles, en vue de recouvrer la
toute-puissance de l'APN (action politique
nationale) :
· Dans ce lycée algérien et
indépendant, ce n'étaient plus les mêmes camarades
françaises qu'à l'école Richard, non, Alger n'était
pas Médéa. Brusquement, le français devint la langue
mal-aimée, celle de la traîtrise... (K. Berger, 1998, p. 40.)
· Des professeurs du Moyen-Orient parlant une langue
arabe à peine compréhensible [...] tentaient d'enseigner une
langue arabe, parlée par personne au monde292(*) - sinon de manière
compassée par les nouveaux clercs de la culture et autres
speakers de la Télévision ou de la Radio officielles.
Une langue arabe morte à des enfants qui parlaient une autre langue,
vivant mélange d'arabe, de berbère, de français et de
langue pied-noir et de bien d'autres encore... (idem, pp. 44-45.)
Cette violence institutionnelle se décline comme
suit : Action Pédagogique (AP) pour Bourdieu,
politique d'arabisation institutionnelle pour M. Boudalia-Greffou,
prépondérance et hégémonie du culte suivant la
religion politique de Max et Durkheim... qui établit à contresens
une autre forme d'ambigüité calquée sur le modèle de
la colonie. Ainsi, aux procédés d'aliénation coloniale
s'adjoignent ceux plus graves de la politique
« anti-nationale » orchestrée par les
rouages conformistes et rigoristes des pouvoirs postcoloniaux293(*).
Cette vague de transformations qui marquent les jeunes
États du tiers-monde nous renseigne du reste sur les évolutions
importantes que subit le monde d'aujourd'hui et nous rapproche davantage de
l'impérialisme fanonien : l'ensemble des dérèglements
sociaux qui accompagnent le passage d'une ère traditionnelle
(pré/coloniale) à une ère subséquente de la
modernité (postcoloniale), reflètent la
«nécessité» d'une idéologie de l'ambivalence
suscitée par des bouleversements politiques et culturels (le
bouleversement du paysage social, la politique de l'enfermement, les
phénomènes d'oppression, les désintégrations
brutales...).
Dès lors, un sérieux problème
idéologique et politique s'installe, qui va susciter d'autres
réflexions sur la question nationale et identitaire telle qu'elle
apparaît au devant de l'indépendance. C'est sur ce terrain en
confusion que s'annoncent les principes de ces identités en
métamorphose.
2. Stratégies d'accommodation en ambivalence
culturelle294(*) :
Face à l'action politique menée par les
pouvoirs en place, on assiste à l'apparition subséquente d'une
nouvelle forme d'ambigüité relative aux techniques de
conditionnement identitaire (suite notamment au travestissement de l'Histoire
et de ses processus internes). Certains supports identificatoires s'en trouvent
ainsi remis en cause dans ce qui semble être une régression
constante des valeurs communautaires établies.
Le syncrétisme culturel en est la
résultante de tous ces hiatus aménagés par les instances
politiques dans la voie de la résistance, et atteste d'abord de
« la faillite de tous les systèmes qui prétendent
assigner tel modèle identitaire et en stigmatiser tel
autre. »295(*). Ce qui, devant la coexistence agressive et
troublante de ces valeurs, octroie à nombre de jeunes Algériens
en quête d'identité le moyen de rompre radicalement le cercle
infernal de l'ambivalence, soit par le repli volontaire, soit par
l'acceptations de nouvelles stratégies identitaires aliénantes
(à considérer par l'écart dangereux de la culture
opéré par les nouvelles aristocraties, et qui, quelques
décennies plus tard, y concède la montée de
l'intégrisme) :
Ce repli dans les tréfonds de la personnalité
culturelle [...] est généralement précipité quand
il n'est pas d'abord encouragé par une vocation de type messianique dont
se réclament bien souvent les gouvernements des jeunes
États : réhabilitation de la culture et langues nationales,
recherche puis élaboration d'un modèle
« spécifique » pour le développement, etc.,
sont autant de projets légitimes, mais dont la fonction symbolique
est d'abord « exorciste » de l'ombre du colonisateur qui
continue de hanter et de déchirer la mémoire
collective.296(*)
Ainsi donc, pour se dérober aux nouvelles
contraintes idéologiques, l'État puise dans le réservoir
de la Tradition des éléments aptes à faire basculer
l'imaginaire social dans un espace ambigu de la modernité
(principalement économique) requise. En effet, dans L'enfant des
deux mondes, ces aspirations complexes à la modernité sont
loin de conclure au relâchement des moeurs sociales ou à
l'établissement d'un état d'affirmation provisoire en faveur de
la modernité, mais participent d'un effet d'illusion défini dans
une position tout à la fois médiane et imposée dans un
espace contradictoire... lieu d'affirmations syncrétiques par
excellence, tantôt orienté vers la modernité tantôt
subissant les exigences de la tradition297(*). C'est plus particulièrement le cas quand il
s'agit pour les dirigeants (ici le ministre) de fermer l'oeil au
népotisme d'État :
· C'est que tout était désormais
permis, on pouvait disposer de tout, le pays était libre et
indépendant, il fallait savoir se servir, telle semblait être la
nouvelle règle civique. (K. Berger, 1998, p. 50.)
· Tantôt, on se réfère à
la «modernité» [économique], sans en définir les
contours, tantôt, on porte les oripeaux d'un conservatisme rural
négateur de toute «modernité». Double attitude, langage
atrophié. Cette dualité discursive donne à voir un univers
culturel marqué par les scories et les excroissances d'un discours
politique ambigu, s'articulant autour de la puissance militaire et du jeu
répressif dominant, hérités de la colonisation dont les
pratiques et les attitudes sont paradoxalement présentes dans la
pratique politique et le discours des gouvernants.298(*)
C'est donc tout naturellement que survient la
désidentification (échec de la tentative de dépassement et
désillusion) pour le sujet moderne ou hybride en quête de ses
repères. Ceux-là sont généralement le produit d'une
conscience en mal de son être qui se retrouve contrainte d'agir dans un
« marginalisme actif »299(*) (fugues), pour
échapper à l'arbitraire des normes sociales et mettre un terme
aux conflits de valeurs qui caractérisent la majorité des
sociétés postcoloniales.
2.1. L'exil, ou la renaissance dans l'ailleurs :
L'enfant des deux mondes est l'oeuvre d'un
déracinement multiple qui surgit avant et après
l'indépendance. D'abord le départ des colons, puis celui des
Pieds-noirs ; ensuite le « choc de[s]
systèmes »300(*) achève d'« effacer la rencontre
entre les deux mondes » (K. Berger, 1998, p. 105.) et scelle
définitivement le destin du pays. Le roman en question fonctionne comme
un hymne à la redécouverte et à la recherche continue des
origines.
Deux perspectives s'offrent désormais à
l'enfant : assister impuissante à « l'injustice de
chaque jour » (idem, p. 105.), et participer d'un air
aphasique à la débâcle de sa propre histoire, au
travestissement des ses origines ; ou alors contribuer à la
réconciliation des deux mondes, à la sauvegarde et à
l'authentification des mémoires :
Là-bas, de l'autre côté de la
Méditerranée, la production intellectuelle sur la période
coloniale, pourtant prolifique, n'a ni épuisé le sujet ni
même soulevé le coin du voile de ce qu'est en vérité
une histoire coloniale. (K. Berger, 1998, p. 105.)
Pour faire face aux manoeuvres somme toute
aliénantes des nouveaux maîtres, l'enfant est en passe de conclure
à une alternative qui s'avère inéluctable pour le devenir
de toute une nation : l'exil, comme autre tentative de dépassement.
Mais ce n'est pas tant un sacrifice à vrai dire qu'une
opportunité de circonstance. En effet, « Depuis, l'enfant
savait que partir était un premier deuil, une façon de se
purifier. » (K. Berger, 1998, p. 114.). Aussi voit-on s'affirmer
dans l'exil la nécessité d'un choix - affilié à
l'être hybride dans ce qu'il a de plus complexe en termes de
diversité ou d'hétérogénéité - qui
s'affermit sous la dualité des regards et des espaces,
c'est-à-dire d'un état à surmonter afin de réaliser
la synthèse et non autrement. Le rejet et la révolte sont alors
deux façons de faire prévaloir la rencontre. En effet :
La séparation revêt non seulement l'aspect d'une
révolte juvénile contre les coutumes préétablies et
les mentalités figées de ses concitoyens, mais aussi contre
l'enracinement définitif dans le même cadre spatio-temporel et
contre le sédentarisme séculaire.301(*)
C'est que dorénavant, tout, dans cet univers
illusoire et incertain des indépendances, frise la voie du chaos et de
la démesure. Aussi bien, pour l'enfant qui doit éviter de
succomber à ses vaines tentations, l'exil revêt un rôle
constructif dans la mesure où il a seul le pouvoir de stimuler sa
mémoire, d'élargir son horizon d'attente au-delà des
simples préoccupations raciales ou ethniques. En clair, de briguer une
nouvelle vision du monde sur voie de réminiscence :
· Le coeur en liesse, elle écoutait,
observait, goûtait, sentait les parfums d'une terre qu'elle cherchait
à reconnaître dans la trame d'une mémoire rompue... (K.
Berger, 1998, p. 120.)
· Ici, en Auvergne, les figures surgissaient en
contrepoint de la réalité enfin découverte...
(idem, p. 120.)
Dans l'exil, tout concourt au renforcement des liens,
à la proclamation des « lieux [divers] de la
culture », au refus de ce qui existe en soi comme
indépendamment de l'Autre. Ainsi, la situation de l'enfant
(hétéroculturelle) s'apparente de beaucoup à celle de Jean
Amrouche (Kabyle, Algérien, chrétien, Français...). Outre
la « Crise de dénomination »302(*), celle de l'exil
achève de leur insuffler le goût de l'étrange.
Ce qui, en définitive, permet à l'enfant de
mieux assumer le choc des valeurs face à des supports identificatoires
depuis lors remis en cause - quand la plupart ne sont pas tout juste absents de
signification. Eu égard à ces caractéristiques, nous
pouvons dire en effet que l'exil, précédé de tous ces
points, signe en l'occurrence l'échec des stratégies identitaires
propres aux milieux postcoloniaux. C'est, à proprement parler, le
triomphe du sujet.
CONCLUSION GÉNÉRALE
« Nous sommes donc le seul pont, par notre
métissage, par notre double culture, par notre connaissance des deux
milieux [...] Il est alors logique que tout créateur, digne de ce nom,
affronte et tente de résoudre ce problème de définition
identitaire, qui le met de fait en compétition avec le système
idéologico-politique du pouvoir. »
Slimane Benaïssa
Il semblerait donc que la question identitaire s'y soit
implantée chez l'écrivaine de manière tout aussi
légitime qu'elle y apparaissait déjà en dehors de son
oeuvre. Ce qui, d'ores et déjà, fait d'elle une oeuvre
singulière (aussi réservée que
générale303(*), « pudique et passionnée
à la fois »), qui nous est été
donnée en guise de témoignage et est destinée
à l'intention de tout Algérien en quête de ses
repères. Car enfin, l'oeuvre aussi bien que l'auteure, nous renseignent
toutes deux sur la réalité postcoloniale d'un État
confronté à des retombées néfastes de part et
d'autres des deux rives, et sur la manière de transcender l'espace exigu
de ces deux mondes. Deux traits sont représentatifs de ce corpus :
d'abord une manière de se dire personnelle qui fait étalage du
monde et aspire à une plus grande diversité de soi (c'est
l'éternelle crise du sujet) ; ensuite un tempérament vague et
confus de l'oeuvre qui assimile les voies narratives par le brouillage et
l'éclatement (« l'écriture du
désastre »304(*)) en usant d'une variété de choix
hétérogènes. Ces derniers, en l'occurrence, ponctuent le
texte et attestent de son ancrage dans des identités relatives à
la situation de l'auteure. Cela nous a permis de prendre conscience des enjeux
humanitaires qui s'y trament, ou tout simplement de l'intérêt que
revêt son écriture pour l'Autre.
Comme on l'a vu, L'enfant des deux mondes
recèle un pari idéologique fort important dans la mesure
où il incarne une problématique bien particulière,
l'identité, dans une situation de métissages. En effet, les
complexifications dues à cette notion d'identité au sein de notre
corpus sont toutes relatives à la situation d'extériorité
que traverse ?la' protagoniste, et qui, à certain égard, se
trouve être fatale pour l'ordre endogène établi. Nous avons
vu qu'il était question pour l'enfant, pour l'auteure (pour tout sujet
hybride...) d'affirmer et d'excéder à la fois cette dimension
fondamentalement acquise de la personnalité individuelle, pour au final
se limiter considérablement au règne collectif. Par là,
nous voulons dire que « la personnalité maghrébine
est [toujours] le produit d'une oscillation incoercible, d'un
«balancement entre quête de l'identité et l'aspiration
à la modernité»... »305(*), relativement admise en
termes d'un va-et-vient entre tradition et modernité. Mais,
n'était-ce pas justement pour elles le fait d'avoir été
à la lisière de ces cultures, de ces mondes, qui les rend
désormais aptes à raviver le lien existant entre l'Algérie
et la France ? Travailler à une manifestation adéquate de
l'altruisme et échapper aux prestations identitaires qui s'effondrent de
par et d'autres, tel est l'objectif envisagé par l'auteure pour faire
face au lot des inégalités raciales orchestrées au
lendemain des indépendances.
Ces deux principes fédérateurs de l'oeuvre
de Karima Berger, il s'agissait pour nous de les faire admettre au sein d'une
proposition hétéroculturelle unique en son genre (le
Tiers-espace de Homi. K. Bhabha306(*)). L'effort est entièrement culturel :
pour arriver à un dépassement pratique de ces deux mondes que
sont pour l'enfant la culture arabe (traditionnelle) et française
(moderne), l'on suppose, par nécessité, la constitution d'un
« Tiers-espace » potentiellement réduit
à cette logique de réconciliation qu'est le dépassement.
Dès lors, il n'est plus question pour l'enfant de succomber à un
conservatisme moribond qui s'exerce uniquement face à des
idéologies de « l'Ailleurs », mais de faire
de sa personnalité ambigüe l'exemple même du parangonnage qui
aboutirait, chemin faisant, à une sorte d'équilibre entre-deux,
à l'union de ces deux extrêmes. Cela relève d'ailleurs de
l'intention de l'auteure que de « faire correspondre les deux
mondes » (K. Berger, 1998, pp. 81-82.) et d'y remédier
enfin à l'impasse idéologique. L'identification a lieu ainsi dans
un espace tiers ou métissé. L'oeuvre étant cet espace par
excellence dont se réclament les éléments du dehors, on
voit en effet poindre une dialectique qui associe entre deux univers
différents et deux postures éminemment antithétiques,
à savoir entre rationalisme et spiritualisme d'une part, et entre
pluralisme et désir d'unité d'autre part. Ainsi se conçoit
et s'effectue le passage d'une identité double à une
écriture hybride.
En effet, il était question pour nous, au
départ, de rechercher l'origine de cette dissémination
idéologique qui culmine au sein de l'oeuvre. Cela ne pouvait se faire
sans quêter davantage son enracinement dans « les grands
récits axiologiques » (Angenot), alors en friction avec
des éléments de la culture. Elle culmine, de fait, sous la
bannière de certains facteurs qui se révèlent fort
importants car, nous l'aurons vu, l'identité de l'enfant tient compte
d'une manifestation particulièrement relative aux
événements qui jalonnent le cours de l'Histoire coloniale. Tout
semble ainsi privilégier un certain rapport au passé, et
notamment sur « la nécessité de se nourrir de la
culture du colonisateur »307(*) qui est un des fondements de la modernité.
Celle-ci, à son tour, retentit comme un credo au
coeur de ce texte. On voit s'aligner tout à tour des
procédés d'écriture empruntés à la tradition
occidentale et, partant, romanesques, quand d'autres s'inscrivent dans le
prolongement du patrimoine ancestral. De par le statut et le positionnement
ambigus de l'écrivaine, le roman est aussi le produit de ces deux
composantes.
L'hybride tient lieu de principe au sein de notre texte.
À vrai dire, L'enfant des deux mondes représente cet
univers où « L'écriture n'est jamais plus
achevée, plus désirante que dans le mouvement même de sa
perte... »308(*). Ce que nous avons tenté de démontrer
par ailleurs dans la seconde partie de cet ouvrage. En effet, sur le plan
poétique, l'idée principale qui ressort de la lecture de ce texte
est celle d'un assortiment de genres qui côtoient à coup sûr
une diversité de langues (pour ne pas dire de langages).
L'écrivaine a eu recours à des formes qui privilégient la
valeur de témoignage : le dévoilement comme recherche de
l'authenticité auquel s'adjoint le récit autobiographique. Ce
dernier est seul apte à accueillir le destin d'« un
être considéré comme fou par certains ;
mécréant par d'autres. »309(*). Car le personnage central,
l'enfant, a tendance à favoriser les apparitions contradictoires,
à s'approprier des amalgames somme toute vivants (musulmane et
«athée», libérale et communiste...), dans le but de
mettre à nue l'hypocrisie religieuse et les interdits de la morale.
Pour ce faire, elle use de cette mémoire qui est
un peu la sienne tout en déliant la voie aux autres ressources communes.
Mais c'est peut-être une mémoire double, étant donné
la dualité des enjeux qui s'offrent au vu de cette mémoire. En
effet, le renoncement à la mémoire officielle emprunte, selon
Barbéris, une autre vision de l'Histoire. Or, nous avons
constaté que le récit donnait sur une autre forme qui devait
lui garantir un maximum d'ancrage dans le réel. Histoire et
autobiographie s'accordent donc pour donner lieu à une autobiographie
plurielle. À partir de là, nous avons vu qu'effectivement
L'enfant des deux mondes invoquait une profusion de genres (à
la fois roman et récit, fiction et essai...) dans le but d'y asseoir sa
légitimité. C'est de la sorte qu'il consolide son ancrage dans le
champ de la francophonie, c'est-à-dire non plus comme
« écriture éruptive » (Bonn), que
comme choc harmonieux. Aussi bien qu'à l'hybridation
générique s'ensuit maintenant celle linguistique, qui plus est se
répartit elle aussi sur plusieurs niveaux. Nous avons retenu, pour le
compte de cet essai, deux grands niveaux d'hybridation linguistique : le
premier correspond à l'hybridation intertextuelle (ou interdiscursive)
que suppose la présence au sein d'un même texte de deux langues ou
plus... c'est le cas de l'arabe (minoritaire) dans le français
(majoritaire). Le second a lieu au niveau intratextuel et correspond à
l'emboitement de plusieurs registres de langue au sein d'un même et
unique code. En d'autres termes, nous passons ici d'un multilinguisme
avéré (diglossie) à un multilinguisme latent
(hétéroglossie).
L'identité du roman se tient donc uniquement sous
le signe de la richesse et de « la rencontre féconde des
codes divers. »310(*). De ce point de vue, on est en droit de se demander
si la notion d'identité, telle qu'on l'a vue par le passé, compte
encore de son audition ? Or il s'avère que sa
légitimité aujourd'hui culmine dans le fait qu'elle se tient au
croisement de ces deux cultures, sous ses deux aspects public et privé.
Il s'agit de fait, pour notre auteure comme pour beaucoup d'autres, d'affirmer
leur originalité et leur particularité hybride pour pouvoir
« jouer de leur maghrébinité [et]
développer une écriture véritablement
littéraire dans la rencontre des différents langages
culturels... »311(*). Par ailleurs, c'est dans cette ambivalence
précise que le roman algérien de langue française
s'insinue et revendique sa modernité.
Il était question pour nous ensuite
d'élargir notre analyse aux figures de la postcolonialité
maintenues dans le texte. Suivant cette optique, nous avons pu confronter des
éléments de notre corpus avec nombre de données
préexistantes, conformément aux principes d'une
littérature de désenchantement. Ces derniers nous ont
accoutumés à une série de faits hors normes (que nous
avons appelés stratégies) aboutissant, dans l'ensemble,
à une médiation obsolète des pouvoirs. Par
conséquent, plus on tend à la modernité et à
l'approche d'un nouvel ordre cosmique, plus on voit apparaître des
indicateurs de cloisonnement régional propre à une
idéologie donnée. Nous nous sommes donc focalisés plus sur
ce dernier point que sur d'autres aspects secondaires. Car alors, ce qui prime
dans le texte, c'est ce même rapport de forces qui figure dans la plupart
des études postcoloniales.
Enfin, nous nous sommes tenus à l'apport
considérable de Fanon et à l'idée selon laquelle, le
postcolonialisme, en tant que théorie, ne doit pas être confondu
dans les limites de son conditionnement temporel... où le ?post', loin
de désigner une rupture du fait colonial suggère
« un effort continu de
décoloniser »312(*), autrement dit en rapport continu avec l'ensemble
des mécanismes de subversion contractés par la voie de l'ancien
colonisateur. Encore que, malheureusement, ces données font toujours
l'objet d'une surinterprétation de la part des « nouveaux
maîtres de l'Algérie » (K. Berger, 1998, p. 116.).
Il est donc normal que l'idée de modernisation soit avant tout le fruit
d'un processus mûr et réfléchi qui circule dans le droit
fil des exigences structurelles et non plus dans le sillage insidieux des
idéologies.
Ces observations nous ont menés à une
conclusion qui n'est pas des moindres : la confiscation de ces identités
propres au sein de notre corpus intervient suite à l'instauration des
régimes postcoloniaux (création d'un ordre néocolonial),
redessinant ainsi les schémas de la conquête coloniale313(*) dans une sorte de
« mimétisme inversé » (Berger). Et
c'est justement pour cela qu'il est préférable pour le sujet
(hybride) de substituer à l'extension des territoires (la
globalisation), le rayonnement des idées neuves qui, elles,
s'établissent dans un ensemble éclectique et cohérent.
En définitive, cette étude nous aura donc
permis de faire le point sur le thème de l'identité abordé
dans L'enfant des deux mondes, et ce, en puisant dans un
réservoir analytique qui relie plusieurs approches. Les résultats
auxquels nous avons abouti attestent des enjeux de cette notion affaiblie, et
la donnent à voir comme étant le fruit d'une obsession
endémique. Seul un état de conscience absolue peut, en
l'occurrence, desservir une telle tragédie. Ainsi s'achève donc
la lecture de ce roman. Cependant, il ne saurait être dans nos vues de
conclure à l'exhaustivité de ce raisonnement, ni prétendre
qu'une telle analyse ait épuisé le fond du sujet. Une chose est
sûre et que nous aurons appris lors de ce travail, c'est que tout
processus naturel, comme l'identité, ne peut être endigué
s'il porte en soi, et depuis toujours, les germes de l'action. Cela
étant, nous sommes persuadés qu'à l'avenir, d'autres
études auront la relève de ce travail.
ANNEXES
I. Karima Berger, Le « saut hors
du rang des meurtriers ».
II. Christiane Chaulet-Achour & Karima
Berger, «Dans un sens, dans l'autre, sans cesse». -
«Dialogue avec le texte L'enfant des deux mondes de Karima
Berger».
III. Marion Muller-Colard, «Karima
Berger : femme d'un seul monde».
IV. Informations en lien avec le corpus.
Annexe I.
----------FIGURE LIBRE----------
Le « saut hors du rang
des meurtriers »
Karima Berger
A
près une longue histoire emplie de spiritualité
et d'ouverture à l'autre (mais aussi de guerres comme toutes les grandes
civilisations), mon islam (je dis MON car je ne parle que de mon
expérience et non au nom d'une communauté abstraite ou imaginaire
) était une religion où l'on ne craignait pas d'honorer Marie
à laquelle le Coran réserve une sourate entière, d'honorer
Jésus, un temps où le prophète Mohammed ne craignait pas
d'offrir l'hospitalité, à Médine, aux chrétiens de
Najran qui, venus le voir en délégation, lui demandent à
la fin de la discussion, de la controverse même, où peuvent-ils
aller prier ? Mohammed leur répond : « Là, ici, dans ma
mosquée ! »
Cette période faste a fondé mon imaginaire
et fait la richesse de mes ressources culturelles mais en
réalité, cette histoire nous est commune pour partie, un jour
mais peut-être est-ce trop tôt, nous assumerons ensemble
l'héritage de ces Lumières, de toutes ces
Lumières.
Puis cette immense civilisation connut le sort
réservé à ses soeurs, un déclin où,
menacé de l'intérieur et de l'extérieur, l'islam s'est
refermé, desséché, resserré sur lui-même
jusqu'à l'asphyxie de ce qui faisait sa sève particulière,
jusqu'à ces monstres qui occupent aujourd'hui nos esprits.
Ceci sur la scène publique, mais en privé,
chacun dans son islam intime sentait venir le naufrage. J'ai vécu dans
une Algérie coloniale, violente et injuste, et j'ai
éprouvé combien mes parents, mes grands-parents, tout en
s'inspirant du Coran, nous exhortaient avec ce verset : « C'est
Lui qui a fait de vous les héritiers de la terre. » À
vous, enfants, d'en être dignes ! Ils voulaient sauvegarder leur
foi, sans jamais la confondre avec une quelconque revendication nationale ou
identitaire. La résistance était
« laïque », si je puis dire, et nullement
orientée vers une guerre contre les chrétiens.
Ils se tenaient dans l'exercice périlleux
d'élever leurs enfants à la fois dans les enseignements du Coran
et de la nouvelle modernité, venue d'ailleurs, une découverte qui
faisait leur admiration. La science, le savoir, le progrès, le
péril les rendaient intelligents, alors ils se
questionnaient : « De cette modernité, que prendre,
que ne pas prendre ? Que transmettre ? Que ne pas
transmettre ? ». Ils allaient commencer à vivre avec ces
contradictions, ces premières divisions de l'homme oriental entre son
pôle spirituel et l'appel du monde terrestre, en plein bouleversement.
Mais nous voilà aujourd'hui, défaits, nos
mondes bouleversés. En fait, nous sommes à présent un seul
monde, tenu sous la férule de cette gigantesque toile virtuelle qui nous
enserre, et que nous appelons Mondialisation. Dans les pays arabes, on ne fait
pas d'euphémisme, on n'y va pas par quatre chemins, on l'appelle
Occidentalisation, perçue comme nivelant les cultures et voulant faire
avaler à l'autre les couleuvres de l'universalité. Il n'y a
qu'à voir, me disent mes amis, le redoutable savoir-faire technique,
médiatique et managérial de Daech, du 100% pur occidental.
Et dans notre univers maintenant unifié, tel un
animal blessé, longtemps ignoré, rejeté, l'islam
revendique sa place au soleil en convoquant non pas, hélas, ses valeurs
spirituelles, mais en privant le musulman de sa part intime, personnelle pour
inoculer en lui le virus de l'appartenance. Travaillé par les situations
d'exil qui sont devenues le modèle de notre condition d'homme
contemporain, le musulman ne « se » reconnaît plus ni
chez lui ni hors de chez lui. Alors, quoi de plus consolateur que l'attrait de
la foule, cette matrice tiède et enveloppante qui fait oublier son exil
et empêche de penser par soi-même, qui fait se croire le meilleur,
oubliant ou ignorant plutôt ce principe coranique de la
multiplicité des croyances : « Si Dieu l'avait
voulu, il aurait fait de vous une communauté unique, mais Il voulait
rivaliser en vos dons. »
Or, la stratégie de cette violence est redoutable
et cynique, elle frappe là où les populations dites musulmanes
sont « stigmatisées » afin d'accroître la
défiance qui pèse sur elles, fragiliser encore davantage leurs
positions sociales pour mieux les prendre dans leurs filets. Alors, le risque
est que tous les diables se réveillent en nous tous, avec le pouvoir, en
quelques actes meurtriers, de faire s'écrouler le patient travail
tissé par la société civile avec ses multiples
associations qui travaillent à vivre ensemble. Rancoeurs, histoire mal
digérée (la perte de l'Algérie), l'islam (que peut
apporter de neuf cette troisième religion qui s'invite dans le cercle
très fermé du cénacle
judéo-chrétien ?), l'arrogance occidentale, les mensonges,
un vrai festin pour mauvais esprits qui se tiennent tassés au fond de
nos cerveaux ; nos histoires sont leur oxygène...
C'est que le péril nous menace, nous aussi,
musulmans d'Europe ; pour eux, l'islam court à sa perte à
cause de son ouverture (pour moi, il sera sauvé) ; alors nous
voilà tiraillés entre l'intégration ou la
séparation. Comme s'il nous était interdit d'accéder au
droit d'indifférence à la religion, au droit à la
séparation entre une foi intime et personnelle et un engagement citoyen,
il nous est interdit d'accéder au droit de se dire d'abord
Français et de réfuter l'assignation religieuse. En
réalité, c'est un suicide moral que nous serions sommés
d'accomplir collectivement.
Et c'est ainsi que l'islam peu à peu est devenu un
symptôme, mais ne serait-il pas plutôt le symptôme de la
maladie du monde ? Secret, caché, oublié, voilé,
intime : jusqu'aux années 1990, l'islam rasait les murs des villes
minières du Nord ou le quartier Barbès, ou les chantiers de
Billancourt. De l'image de soumission et de fatalisme, ma religion est devenue
l'incarnation de la violence. Quelle redoutable réversibilité des
images !
Violence dit-on, mais n'est-ce pas que tout est
inquiétude ? L'effroi ne cesse de grandir en nous, du massacre
d'Utoya en Norvège, des caranges récurrents aux
États-Unis, de la catastrophe qui menace Gaïa, et cette terreur
maintenant à nos portes, dans nos rues, cette violence s'est
cristallisée autour de l'islam, identifiée comme une religion
humiliée, dominée. L'islamisme est devenu la dernière
idéologie radicale à la mode, nourrie de la frustration d'une
jeunesse arabe, sous la coupe de dictatures qui ont fermé tout horizon,
de l'échec de l'intégration en France, et du « deux
poids deux mesures » de la politique internationale qui
décrédibilise nos dirigeants et donc le politique, et donc la
république, et donc la nation.
Nous avons cessé d'être en paix. La
modernité promettait le progrès, mais une seule chose progresse,
la peur. La modernité nous lègue la démesure. Mais quelle
est la mesure ? Pour se mesurer il faut un repère, et ce
repère est l'autre ! Plus d'autre, plus de Dieu, ne subsiste plus
que l'homme, érigé comme désormais l'unique instance de
référence, une autoréférence
mortifère : « ni autre ni Dieu ».
Mais l'Orient me diriez-vous, n'était-ce pas le
lieu même de ce pôle, cette quête de l'Autre vers lequel
l'homme s'oriente jusqu'à le nommer du nom de Dieu ?
Oui, mais mon Orient est aujourd'hui
défiguré, il n'existe plus ; la toile mondiale lui a
arraché son âme, la vendant au pétrole, au marché et
à la finance. Mon Orient est défiguré, ni l'homme ni la
terre, ni l'hospitalité, ni la grande paix qu'implique l'abandon
confiant en Dieu, ainsi que je traduis l'islam, ne survivent.
Mais ces fous de Dieu ne seraient-ils pas le signe d'un
renouveau religieux ?
Non, le fou de Dieu ignore son Dieu, il le méprise
en l'entravant dans son empressement d'idolâtre, il est fou de religion
mais pas de Dieu ! C'est la religion qui est son idole, oublié le
Dieu de miséricorde ! Le temps où on créditait les
orientaux d'une spiritualité splendide dans laquelle l'Occiental allait
puiser pour retrouver un peu de son âme, cette âme
« qu'il cache comme une chose un peu indécente »
nous disait Etty Hillesum, cet Orient est peut-être définitivement
mort.
Car l'Orient n'était pas qu'un continent ou une
terre, il était une idée, une vision, un horizon, une boussole
pour le coeur ; aujourd'hui, il est devenu une immense plaie, une terre
à occuper, détruire et... reconstruire pour les plus grands
bénéfices futurs des marchés. Cette ère
s'achève sous nos yeux de vivants du XXIe siècle et,
sur mon Orient, s'amoncellent des nuages et des temps de plus en plus
sombres ! L'Irak, la Syrie, Gaza, la Libye le Yémen, mon monde est
à genoux, désolation, exil, fuite, une apocalypse lente,
destruction des plus hauts lieux de l'islam, destruction des plus anciens sites
de la chrétienté, destruction de ce qui faisait l'Orient majeur,
c'est-à-dire, la renaissance, l'origine de Dieu même. Remontent
à la surface de mes yeux Damas, Alep, Bagdad, Homs, Palmyre, villes
trésors du monde, écrins de la civilisation, architectures,
temples, jardins, beautés brûlées enfouies. Cendres sur non
têtes, cendres sur ma culture.
Dieu ne serait-il de nouveau voilé à nos
yeux depuis la Shoah, la plus grande catastrophe du XXe
siècle ?
Mais la catastrophe est pour nous cette fois, elle est
là avec sa religion de masse, alliées à la technique pour
produire un cocktail désastreux et funeste.
Dans une sorte de mimétisme inversé,
l'Orient a voulu rappeler à l'Occident que celui-ci avait oublié
Dieu. Mais en affirmant que tout est Dieu, ne risque-t-on pas de
parvenir au même oubli de Dieu ?
Oubli de Dieu, terreur. Nous sommes renvoyés
tous à notre vide, cette aridité qui gouverne nos
âmes, nos esprits, nos discours, une agonie disent même
certains.
Certes, on peut soit se rassurer en voyant ces sauvages
nous terroriser, se dire combien nous sommes civilisés et nous consoler
ainsi de notre propre défaite car la France n'est plus ce qu'elle
était, il faut désormais se battre pour exister, garder son rang,
ses prétentions ; on peut aussi s'interroger comme beaucoup le
font : mais nous que nous reste-t-il ? Ces musulmans semblent avoir
une religion des valeurs, un ordre mais nous... ils révèlent
notre manque, ils sont le miroir de ce qui a été perdu. Nous
sommes en déclin, ils progressent, nous n'avons que des droits, ils ont
encore des devoirs, des interdits, ils ont une religion mais nous, nous avons
tout perdu et rien n'est venu occuper une place symbolique assez puissante pour
ancrer notre culture dans les enjeux de notre monde contemporain. L'Autre nous
renvoie à notre propre nuit.
Pourtant, il me semble que ce n'est pas derrière
nous qu'il faut aller voir, ce n'est pas non plus devant, c'est
ailleurs ! Ailleurs car nous n'avons pas le choix de ne pas
rencontrer l'autre, il est notre chance. L'enjeu est aussi important que le
soin que nous avons décidé d'apporter à Gaïa, et les
migrations futures ne nous démentiront pas. L'autre est sans doute la
chance d'une Visitation. Je pense à Louis Massignon qui n'a pas
hésité à pénétrer l'univers islamique (du
temps où l'Orient était l'Orient) et en retirer une
expérience radicale de l'Autre et de l'hôte. Il a nommé
« Visitation de l'étranger », l'épreuve
mystique qui le mena à sa conversion, il a par la suite
développé ce magnifique concept, la Badâlya, qui
vient de badal, littéralement
« substitution », être capable de se substituer
à l'autre en un « expatriement » de soi vers
l'autre, dit-il. Badâlya qu'a repris plus tard Christian de
Chergé, dont l'assassinat reste pour moi, algérienne ayant
joué enfant dans le jardin de leur monastère à Tibhirine,
une mort inconsolable.
Nous n'avons pas tous l'envergure d'un Louis Massignon ou
d'un Christian de Chergé, nous sommes juste ces
« échafaudages de petits os cassants..., poupons rampants,
bientôt chenus » comme dit le poète Hopkins.
Pour moi, cet accueil de l'étranger, c'est le
socle pour bâtir une histoire, un langage, un récit. C'est un vrai
travail de culture qui nous attend et qui a été
entamé depuis cette année zéro de la terreur.
Ce travail qui nous attend a été
très bien résumé par Sarah, cette jeune blogueuse qui, sur
Facebook, au lendemain des attentats du 13 novembre, a fait un contre-appel
à celui de continuer à aller en terrasses boire des verres...
« Si aller en terrasses est la seule
réponse de la jeunesse française..., je ne suis pas sûre
qu'on soit à la hauteur du symbole qu'on prétend être.
L'attention que le monde nous porte en ce moment mériterait qu'on aille
plus loin... Cela mérite que chacun se pose un instant à la
terrasse de lui-même, et lève la tête pour regarder la
société où il vit. Et qui sait... peut-être que dans
un lambeau de ciel blanc accroché aux immeubles, il apercevra la
société qu'il espère » et suit toute une
série de résolutions pour transformer ses comportements
individuels au quotidien, notamment l'attention à l'autre.
Elle m'a fait penser à cette autre jeune femme,
Etty Hillesum, qui écrit en pleine tourmente nazie :
« Mon faire consistera à être. »
Au fond, tout le monde a été
paresseux ; je pensais, avant ces attentats, que seuls les musulmans
n'avaient pas fait ce travail de pensée (ou d'interprétation pour
reprendre l'antienne actuelle) pour répondre à la question
majeure : quel islam veut-on aujourd'hui, en France, en Europe au
XXIe siècle ? Au lieu d'y travailler, notre espace de
réflexion s'est peu à peu gelé. Tétanisés,
hébétés, nous sommes sous l'effet d'une sidération
que, je vous assure, nul n'imagine, répétant de façon
défensive et dérisoire, bégayant en boucle
« Daech n'est pas l'islam » !
Et nous voilà, tous en train de découvrir,
ahuris, que tout un territoire mental et spirituel de notre pays a
été colonisé par un impérialisme culturel dont
l'efficacité à coup de pétrodollars ne peut rivaliser
qu'avec celle de l'Amérique, colonisé par des prosélytes
du comportement unique, du littéralisme des textes, de modes
vestimentaires, rituelles, communautaires semant la haine dans nos demeures
spirituelles que sont les mosquées, fussent-elles des caves ou des
garages. Comment a-t-on pu laisser une telle ingérence
s'enraciner ? Il nous faudra expliquer cela. Mais Benjamin Stora nous
prévient : « Ce qui est terrible avec l'Histoire, dit-il,
c'est qu'on ne regarde toujours que la fin de l'histoire ».
En fait, c'est toute la France qui a été
paresseuse, reposant sur les lauriers de sa gloire passée, de ses
Lumières et droits de l'homme. Alors aujourd'hui, c'est quoi la France
que nous désirons ? Comment vivre désormais avec cette
religion, autre, dont la présence massive ravive l'arrachement colonial,
cette indépendance de l'Algérie qui a amputé la France de
trois de ses départements et qui fait, sur fond d'horreur islamique, le
fonds de commerce du Front national.
Et nos hommes politiques qui ne viennent même pas
à notre secours ! Je suis frappée par leur indigence
concernant la chose religieuse ou disons sacrée, le politique
n'entend pas le religieux. Je ne dis pas que la solution doit être
religieuse mais comment le politique peut-il penser son action, sa vision sans
faire une place à cet ordre symbolique qui occupe en secret nos
consciences ? Nos gouvernants sont une tragédie à eux seuls,
aucun souffle n'habite leurs bouches, ils ne lisent pas, ils ont juste le temps
de tweeter, seul François... nous fait rêver de sa haute et grande
vision, on le voudrait président de tous les pays du monde. Mais il
n'est que le Pape...
Alors il nous revient non pas de définir une
identité, je me méfie définitivement de cette
chose-là, changeante, mouvante, trop vivante pour être
enfermée, mais de renouveler ensemble le récit de notre
pays ; vous l'aurez compris, j'aime les récits, j'aime les romans
et nul ne peut vivre sans qu'on lui raconte des histoires. Comment refonder un
roman national qui soit inclusif de tous ceux qui font ce pays ? Par
exemple, ces grandes figures musulmanes, comme l'émir Abd el-Kader qui a
écrit avec sa très noble reddition, une page de l'histoire
française et quelques années plus tard, une nouvelle page de
l'histoire chrétienne en protégeant en 1860 à Damas les
chrétiens contre la furie extrémiste. Sa magnifique stature
rendrait tellement fiers, dans leurs écoles, les petits Français
de confession musulmane, et leur donnerait tant de dignité pour honorer
la stature de leur ancêtre qui, à Mgr Pavy le remerciant pour sa
protection, répond ainsi : « Toutes les religions
apportées par le prophète depuis Adam jusqu'à Muhammad
reposent sur deux principes : l'exaltation du Dieu Très-Haut et la
compassion pour ses créatures. En dehors de ces deux principes, il n'y a
que des ramifications sur lesquelles les divergences sont sans
importance ».
Nous sommes responsables ensemble, y compris les
écrivains (et Alexis Jenni s'est colleté avec cette tâche
d'aller voir du côté de ce grand trou laissé par l'aventure
coloniale), de ce travail de culture qui ne consiste pas à rejeter ou
à révoquer hors-champ l'espace du religieux ou du
spirituel ! Il s'agit au contraire d'en reconnaître l'aspiration
existentielle, profondément humaine, et de se pencher sur sa
métamorphose aujourd'hui ainsi que sur ses nouvelles formes
d'expression.
Pour conclure, je dirai que la seule véritable
« ressource culturelle collective » est celle de travailler
ensemble à notre maison commune. Ce serait, pour moi, l'occasion d'une
résurrection, une renaissance qui relèverait mon islam de
l'épreuve tragique qu'il vit aujourd'hui car « Dieu ne modifie
pas l'état d'un peuple qu'ils ne l'aient modifié de leur propre
char... » nous dit le Coran.
Penser, croire, aimer, prier, écrire nous sauvent.
Lorsque j'écris, je pense à cette parole de Kafka :
« écrire, c'est faire un saut hors du rang des
meurtriers... ».
Nous sommes donc responsables du saut qu'est en
train d'accomplir notre destin, et plus spécifiquement, notre destin
spirituel. Responsables totalement.
Karima BERGER
Annexe II.
----------ALGÉRIE LITTÉRATURE /
ACTION----------
DIALOGUE
?
Karima Berger, L'enfant des deux mondes, roman.
Editions de l'Aube,
1998, 127 p.
------------------------------
«Dans un sens, dans l'autre, sans
cesse»
Karima Berger, ce nouveau nom des littératures
algériennes, nous convie à lire un très beau récit
de vie, L'enfant des deux mondes dans une
région que les écrivains algériens ne nous ont pas fait
«visiter» depuis longtemps et dans «un entre-deux»
existentiel auquel nous ne sommes plus accoutumés.
«Alger - Médéa, voyage. Deux
heures de route heureuse et chaotique parcourues presque chaque fin de semaine.
A la sortie de la ville, très vite, la plaine généreuse
que traversait la route de part en part jusqu'à pénétrer
lentement dans les gorges de la Chiffa, du nom du fleuve qui prenait sa source
dans les montagnes, dernière frontière avant les steppes
désertiques du sud. Elle les appelait «les gorges de
Chériffa», du prénom de sa mère.»
On entre dans le récit par ce mouvement du voyage
et par cette pénétration heureuse dans le territoire maternel. On
sait l'importance de ces seuils qui impulsent l'écriture et notre
parcours de lecture. Ils se font sous le double du déplacement et de la
mère.
Elle rapportera, après l'exil, à l'un de
ses voyages une «Agua viva, morte : morceau de son propre cordon
ombilical conservé jusque-là par sa mère. Chair
asséchée par le temps, privée de son eau
nourricière : laquelle ? Comment savoir qui en était la
source, le corps de l'enfant ou celui de la mère ?» Elle
la transférera de l'armoire maternelle à son armoire parisienne
pour re-sceller le corps à corps mère-fille, cette filiation
féminine si constante et si problématique dans les
écritures des femmes. Mort, le cordon ombilical continue à vivre
et provoque la remontée vertigineuse d'une mémoire de «morte
maternité». Il lui faudra le jeter dans l'eau du fleuve pour se
récupérer et habiter pleinement son présent :
«Elle n'a jamais su s'il retrouva la mer et plus loin les gorges de la
Chiffa, s'il voyagea, d'une rive à l'autre, d'un monde à l'autre,
dans un sens, dans l'autre, sans cesse.»
Karima Berger, - un nom d'écriture, sésame
d'une entrée en littérature -, est née à
Ténès en 1952, quatrième fille d'une famille de cinq
enfants dont le dernier est un garçon. On sait ce que cet
«ordre» signifie !... Après des études
supérieures à Alger de Sciences Politiques et de Droit, elle
vient en France en 1975 pour faire un doctorat. Sa thèse porte sur le
Nationalisme, l'idéologie de l'indépendance nationale qu'elle
souhaite mieux cerner car elle y décèle de nombreux germes de
l'enfermement de l'Algérie indépendante autour de
l'unicité dans tous les domaines. Elle se consacre à la recherche
universitaire et a une charge de cours à Dauphine en Sociologie du
développement. Elle se dirige ensuite vers les métiers des
ressources humaines. C'est dans ce domaine qu'elle travaille actuellement.
Karima Berger a publié plusieurs articles dans
Le Monde Diplomatique, Le Cheval de Troie,
Intersignes, La Revue de Psychanalyse...
Comment s'est donc fait ce passage à l'écriture
de fiction ?
« C'était présent en moi depuis
longtemps. Je tournais autour... Je crois que je peux dire que ces
dernières années m'ont poussée... pas dans le sens d'un
témoignage sur l'actualité. Non. Mais j'ai eu envie de dire ce
que j'avais à dire pour qu'on le lise comme un des
éléments de ce qui se passe, comme une part de l'histoire
inconsciente de ce pays. J'ai hésité entre un essai ou une
fiction car je souhaitais faire un essai sur le dualisme, sur
l'identité. Mais j'avais abandonné la recherche universitaire
depuis de nombreuses années et un tel essai aurait
nécessité des lectures, tout un travail de synthèse. J'ai
donc opté pour la fiction. Et c'est cette écriture qui est
venue...»
Le jeu de l'écriture se construit entre
échos et parallélismes ; le récit nous emporte ainsi
entre ce début et cette fin que nous venons d'évoquer, dans la
douce langue de la réminiscence où tout s'organise pour signifier
et comprendre au-delà d'une simple chronologie des faits qui n'explique
pas grand-chose.
«C'est un récit plutôt qu'un roman.
Ce n'est pas non plus une autobiographie. Disons que c'est la reconstruction
d'éléments vécus ou observés. Les noms par
exemple ! Certains ne s'inventent pas, comme l'école Richard de
Médéa... Pour d'autres, j'ai conservé un écho du
nom réel mais pas le nom véritablement.»
La notion de «traduction» semble le
maître-mot de ce récit. «D'une rive à l'autre,
d'un monde à l'autre, dans un sens, dans l'autre, sans cesse.»
Ce mouvement de flux et de reflux, vague qui submerge et se retire, avait
déjà ponctué la fin du premier chapitre pour dire la
formation scolaire initiale où l'enfant a été
installée, d'emblée, dans la traduction, «intense
travail de tous les instants, d'une langue à une autre, d'un signe
à un autre, dans un sens, dans l'autre, sans cesse.» Il
ponctue aussi la fin du chapitre VIII qui a comparé les cadeaux que l'on
peut offrir aux petites filles, dans les deux «mondes» où
«elle» doit se mouvoir : «elle qui cherchait toujours
à comparer, faire correspondre les deux mondes, à traduire,
intense travail de tous les instants, d'une langue à une autre, d'un
signe à un autre, dans un sens, dans l'autre, sans cesse.»
Mouvement de vague, mouvement du va-et-vient, mouvement du tissage qui, en
suivant la trame, fait naître une oeuvre où les dessins
progressivement prennent sens.
«Quand je pense «traduction», je pense
en premier lieu à la langue, puis à deux mondes, deux univers.
L'héroïne a vécu un véritable traumatisme
linguistique : celui de grandir dans et en face de la langue arabe comme
une langue étrangère avec tout l'attrait que représente
l'étranger, attrait de mystère, de magie,
d'inaccessibilité...»
Pourtant, lorsque la mère console les nuits de
cauchemar, elle le fait en récitant dans un murmure une sourate qui fait
dire à la petite fille qu'elle y trouve le refuge de «la langue
maternelle»...
«Oui, c'était la langue du rêve. Le
Coran de la consolation dans la nuit. C'est la langue secrète de la
mère. Donc, c'est la vraie langue de la mère, celle qui semble
interdite d'accès. Et quand elle arrive à Alger, en 1962, cette
langue de rêve devient une langue menaçante parce qu'elle ne sait
pas la parler, qu'on la lui enseigne dans les conditions qui sont
rappelées dans le récit. Et parce qu'on lui demande d'abandonner
le français. Il y a eu un livre très important pour moi, celui
d'Antoine Berman, L'épreuve de l'étranger publié chez
Gallimard, dans les années 80. Déjà ce titre !...
André Berman y parle de la traduction : comment la traduction peut
être un élément de vivification de la langue traduite. Il
cite un poème de Goethe où celui-ci évoquait des fleurs
offrant un tableau magnifique dans la campagne. On vient les cueillir, on les
coupe, on les met dans un vase et elles vont vivre une seconde vie. Je me suis
demandée alors si on traduisait beaucoup dans nos pays parce que je
voyais et je vois la traduction comme un signe de vie et de santé
intellectuelle...»
Signe de vie et de santé, signe d'échange
et jeu de miroirs. Comment traduire les intérieurs, ceux des
Français, ceux de la famille, les différences de l'école
Richard et de la médersa ; comment comprendre les vêtements,
les rites, les édifices, les villes et les
cérémonies ? Comment s'adapter à un monde ou à
l'autre sans trop se briser ici et là lorsqu'on ne parvient pas à
les faire coïncider ?
«Quand je suis passée à
l'écriture, j'ai publié un extrait dans la revue Intersignes,
n° 10, «Penser l'Algérie», où j'ai mis en
parallèle les deux univers, typographiquement. Mon texte se
présentait en deux colonnes, l'une commençant par : O le
goût de l'école ! Celle de l'école Richard à
Médéa, etc... et l'autre par : Ce n'était pas
à la médersa qu'elle fit de telles rencontres, lorsqu'elle en
suivant les enseignements, etc...! Mais ce n'était tenable, ni pour moi,
ni pour le lecteur, sur toute une fiction !»
Comment dire la guerre, l'indépendance, le
remplacement des uns par les autres, en cherchant à rester au plus
près des souvenirs et à ne pas trop laisser la distance parler en
lieu et place du passé ?
La lecture de L'enfant des deux mondes se fait
en douceur, même lorsque ce qui est dit relève d'une violence
symbolique profonde. Comme s'il fallait ne pas bousculer les mots pour
comprendre, comme s'il fallait prendre le temps d'accepter de remonter dans ce
temps qui semble si lointain et étrange au regard de l'Algérie
d'aujourd'hui. Voyage au pays de Mémoire pour «pister» le
devenir...
Au centre du récit, le chapitre V s'attarde sur la
langue «maternelle», cette sourate récitée et apprise
dans les nuits du cauchemar comme nous venons de le rappeler, cette langue du
Coran qu'elle affronte autrement à l'âge adulte et avec laquelle
et se réconcilie au chevet de l'oncle mourant : «elle se
rendit à son chevet munie cette fois d'une traduction du Livre, en ayant
préalablement lu la Sourate Yâsîne, celle que l'on murmure
à l'oreille des mourants (...) Pour la première fois, la langue
ne comptait plus, ni la française, ni l'arabe, ni celle de tous les
jours, ni la muette, seule comptait cette lecture qui dessinait un espace clos
dans lequel elle faisait se correspondre le Seigneur et son
mourant.»
Le chapitre VI peut alors explorer l'autre voyage, celui
du fil reconstruit de la confrontation d'une langue savante à l'autre,
le français et l'arabe, depuis l'aïeul,
interprète-judiciaire : «Dès lors, la langue
française, jusque-là ignorée, dédaignée -
seule l'arabe, langue sacrée du Coran méritait d'être
étudiée -, se glissa dans l'univers privé de la famille
sans que quiconque n'ait imaginé la puissance qu'elle déploierait
dans la formation de ses générations futures.»
«Le rapport au religieux : il est, pour
moi, au même niveau que la langue, une sorte de nostalgie d'un monde de
l'origine, il a le même statut que la langue. Aller vers l'islam en tant
que culture est pour moi une nécessité très forte de
réappropriation. J'ai équilibré ma méconnaissance
de la langue arabe par une entrée dans la connaissance de l'islam, sa
culture, ses repères historiques. J'en voulais aux intellectuels d'avoir
laissé le monopole de l'islam aux autres... Il faut avoir une
connaissance des textes fondateurs. Mon père est tout
étonné de pouvoir dialoguer avec moi sur ce terrain-là.
L'arabe algérien, je le parlais mais sans une véritable
fluidité. L'arabe classique... je suis frustrée. J'ai une immense
nostalgie. La traduction m'a permis d'aller vers ces textes de ma culture, de
surmonter cette sorte de complexe...»
Dans L'enfant des deux mondes, il est beaucoup
question du voile, de l'enfermement, de l'aveuglement, de l'enlaidissement de
la mère lorsqu'elle doit mettre son haïk, dans la voiture, pour
traverser Médéa...
«Il y a quelque chose d'essentiel pour
moi : c'est de réfléchir sur le dedans et le dehors. Tout
féministe que je suis, je ne suis pas dupe de la violence et de la
virilité qu'affichent les hommes... Un autre livre important a
été Le Harem et les cousins de Germaine Tillion... J'ai toujours
senti le pouvoir qu'avaient les femmes dans la sphère domestique. Un
certain pouvoir très subtil. Quand les hommes entrent dans cet espace du
dedans, ils «se voilent», ils toussent pour signifier leur
présence, signifiant qu'ils ne sont pas sur leur territoire... C'est
toujours dans la revue Intersignes, un numéro consacré aux
femmes, que j'ai réfléchi à l'envers de ce que l'on
présente habituellement : «déplacer don le regard et
lire dans le comportement masculin les marques d'un voilement, dont il faut se
demander ce qu'il dissimule»... Les femmes représenteraient
l'intimité de l'homme. Si elles sortent, l'homme se retrouve nu.
D'où l'enjeu de la lutte des femmes en Algérie, par
exemple : si les femmes sont libres, les hommes voient leur
identité niée»
Ne peut-on pas parler plutôt alors d'une
nécessaire re-définition identitaire, car si on reste dans la
«compassion», les femmes ne sortiront jamais de ce statut qu'on peut
valoriser par l'analyse mais qui n'en reste pas moins un statut peu
enviable ? Est-ce seulement caractéristique des pays d'islam ?
Je n'en suis pas sûre, pour ma part. Je pense à Une chambre
à soi de Virginia Woolf : «les femmes ont pendant des
siècles servi aux hommes de miroirs, elles possédaient le pouvoir
magique et délicieux de réfléchir une image de l'homme
deux fois plus grande que nature (...) si elles n'étaient pas
inférieures, elles cesseraient d'être des miroirs grossissants. Et
voilà pourquoi les femmes sont souvent si nécessaires aux
hommes». Débat toujours ouvert et essentiel.
L'enfant des deux mondes, c'est aussi un regard
tamisé sur les préjugés - le racisme habituel des
Français certes -, mais surtout les idées toutes faites sur
l'autre communauté à laquelle on se mesure et contre laquelle on
se protège comme par une peur instinctive de trop de
séduction ; c'est apprendre à aimer sans se renier, sans
verser dans le mépris et la méconnaissance. Et cette fois la
«leçon» ne s'adresse pas à l'Autre, Français,
Européen, occidental qui aurait dans ses gènes l'évidence
du racisme, mais à soi, aux siens. Le ton mesuré s'emballe
quelque peu pour cette saine interpellation. La narration dénonce cette
ambivalence des Algériens, les contradictions dans leur rapport à
l'autre, l'ex-colonisateur. Une telle attitude détruit des
potentialités de choix.
L'enfant des deux mondes, c'est un regard sur
les femmes exprimé autrement, différemment comme une femme peut
le faire quand elle cherche à dire avec pudeur et justesse
l'éveil de la sensualité, la conscience du corps et du
désir, du trouble et de l'interdit : «Éveil de la
chair dans le noir ou dans les trouées des feuillages ou dans les champs
de blé ou sur les terrasses dans la lumière aveuglante de
midi.»
«L'écriture est venue... dans un
état de grâce... J'y ai travaillé deux ans, surtout
l'été. C'est tombé comme un fruit mûr, sans doute
parce que ce que j'écrivais été porté par tout un
travail antérieur. J'ai toujours tenu des journaux, des carnets, depuis
l'âge de vingt ans. Le matériau était là, ce qui
aide le travaille de mémoire. J'avais noté des flashes que je
sentais porteurs de quelque chose et c'est à partir d'eux que j'ai
construit ma fiction. Le premier titre était, Petits tableaux de
mémoire.»
Les projets, il y en a bien sûr ! Quand le
désir d'écrire enfin se libère... «Je travaille sur
un sujet plus difficile : sur le sentiment de la peur. Je resterai
toujours dans la fiction. Ce que peut ressentir une femme : peur de la
violence, des hommes, du noir, de l'extérieur... Peur qui naît de
cette crainte de sortir de l'enceinte...»
Christiane Chaulet-Achour
et Karima Berger, juin 1998
Annexe III.
----------Réforme----------
Karima Berger : femme d'un seul monde
Cette femme d'écriture aime le grand large et le
dialogue des cultures et des espérances.
Il est des gens que les tiraillements élargissent plus
qu'ils ne déchirent. Karima Berger est une femme élargie. Tout en
témoigne : la largesse du sourire et celle de la pensée. La
largesse de l'accueil aussi, dans l'appartement lumineux qui domine les toits
de Paris, bordé d'oliviers et de lavandes sur le point de fleurir.
Elle s'excuse d'un peu de fatigue, une lassitude à vrai
dire. Pour cette femme de l'ouverture, se confronter aux replis est une
douleur. Replis de ces deux mondes qui l'ont mise au monde : la France et
l'Algérie, l'Europe et l'Afrique du nord ; ces deux cultures qui,
à l'intérieur, se sont rejointes pour la faire grandir. Et qui,
à l'extérieur, se choquent à n'en plus finir.
N'en parlons plus, un merle court sur le balcon entre la
lavande et l'olivier ; ce matin Karima a enregistré son chant, elle
en diffuse la mélodie dans l'appartement en suivant du doigt la hauteur
de chaque note.
Karima est le prénom que ses parents algériens
ont donné à leur quatrième fille. Berger est la traduction
française du nom de son époux, Jean-Michel Hirt. En deux mots est
dite l'identité nomade de celle qui n'a de maison que
l'écriture.
Double culture
Née en 1952 à Ténès, petite ville
au bord de la mer, Karima Berger passe une enfance heureuse. « Mon
père, libéral, moderne, musulman, a poussé toutes ses
filles vers les études. Il nous voulait instruites. J'ai
goûté très tôt au bonheur de la double culture !
J'avais l'impression d'être deux fois intelligente », dit-elle
avec un sourire espiègle qui laisse deviner la vive fillette dont il est
question. « J'avais deux manières de dire les couleurs, deux
manières de dire Dieu, deux manières d'entendre, de
sentir... »
Mais la double culture, c'est aussi les premières
blessures. À dix ans, Karima est invitée à la communion
solennelle de son amie Patricia. Elle ressort de la cathédrale d'Alger
avec cette question d'enfant qui embarrasse les adultes : pourquoi
n'a-t-on pas tous le même Dieu ?
Plus tard, sa grand-mère posera un verdict
intolérable à l'enfant, après un après-midi
passé à jouer avec une camarade : « Ton amie, elle
est charmante, mais elle n'ira pas au paradis. » « Alors je
déploie un attirail d'arguments : «Imagine une vieille dame
chinoise qui n'a jamais connu l'islam et jamais fait le mal, pourquoi
irait-elle en enfer ?» » Une faille ébranle le
verdict de la grand-mère, qui invite la fillette à retourner
à ses jeux. L'enfant est trop intelligente pour ne pas saisir ce talon
d'Achille de la religion. Trop exigeante pour le classer dans les affaires sans
suite...
« Ce jour-là, ma grand-mère a
instillé en moi la question de l'altérité. Ce n'est pas un
hasard si j'écris toujours sur l'autre. Sur Etty Hillesum (1), avec
Christine Ray (2)... » Pas un hasard si, aujourd'hui, Karima Berger
préside l'association Écritures et Spiritualités qui
oeuvre à faire connaître une littérature porteuse de sens,
de souffle et d'ouverture. Au coeur de cette association composée
d'écrivains et d'essayistes des trois religions monothéistes,
l'autre encore. Le dérangeant, l'élargisseur.
Ce privilège de se laisser déranger par l'autre,
Karima Berger en fera une vocation : études de droit et de sciences
politiques à Alger, pour s'orienter vers la diplomatie. Pendant ses
années d'étudiante, à la faveur d'un voyage dans le
Sahara, elle achète son premier Coran. « L'achat de ce Coran,
c'était mon premier acte de présence spirituelle à
moi-même. » À partir de là, dans sa foi comme
dans ses rencontres, tout sera aller-retour incessant entre sa propre
intériorité et l'ouverture au monde. « Quand on est
assis dans son for intérieur, le dialogue avec les autres peut se faire.
Mais quand on commence à être inquiet sur sa propre
identité, c'est là que les choses deviennent
difficiles. » Elle connaît déjà son ancrage, la
jeune fille qui quitte l'Algérie pour poursuivre sa thèse en
France et entamer une psychanalyse. « Quand on creuse, on touche
à la pâte humaine », ce fond de toute humanité
qui permet d'aborder l'autre comme le frère étranger.
Psychanalyse, foi et écriture
Psychanalyse, foi et écriture partagent, dans la vie de
Karima Berger, cet appel exigeant à la profondeur, à cette
fouille de l'âme. Elle connaît toujours son ancrage, celle qui
partage sa vie avec un mari psychanalyste, français et catholique, dans
l'alliance intelligente de ceux qui se rencontrent sans fusionner. Celle qui
fut L'enfant des deux mondes (3) est devenue la femme d'un seul monde
où l'autre peut rester cette énigme d'altérité
instillée jadis par sa grand-mère algérienne.
Son dernier roman, Mektouba, paru cette année
aux éditions Albin Michel, comporte cette magnifique confession de
foi : « Tous les antagonismes de Dieu pour éprouver Sa
créature s'étaient confondus en lui mais Dieu sait ce qu'il fait
avec Ses antagonismes. »
Dieu sait ce qu'il fait et Karima aussi, qui a choisi depuis
quelques années la voie exclusive de l'écriture, cette voie
tracée par ceux qui acceptent, précisément, de ne pas tout
savoir. Ceux qui « manquent à leur devoir pour aller à
leur désir », selon les termes du narrateur de
Mektouba. « Mektouba, c'est le féminin de Mektoub, le
destin et ce qu'il peut avoir d'écrasant. Je l'ai féminisé
pour adoucir le sort... »
Ce roman est porté par une langue, une poésie,
qui sourd de cette histoire ramassée à la matière brute de
la vie. Karima cite Sylvie Germain : « L'écrivain
n'écrit jamais de première main. »
L'islam, cadet des religions monothéistes, est aussi
fait, bâti, nourri de tout ce qui dans la foi le précède.
Alors, en écriture comme dans la foi, on invente peu et on hérite
beaucoup ? Peut-être, mais le merle chante de nouveau à la
fenêtre.
Sur la table basse est ouvert le conte perse d'Attar, Le
langage des oiseaux. C'est peut-être cela, ce langage du fond de
l'âme qui fait taire en l'homme ses querelles intestines et sa peur que
l'autre le prive de lui-même. Il est temps de partir sur la pointe des
pieds et laisser Karima répondre à l'invitation insistante de
l'oiseau. Pour habiter finalement de deux manière un seul monde :
politiquement et poétiquement à la fois.
(1). Les attentives, Albin Michel, 2014.
(2). Toi, ma soeur étrangère,
éd. du Rocher, 2012.
(3). L'enfant des deux mondes, L'aube
éditions, 1998.
Annexe IV.
· Auteure : Karima Berger.
·
Roman : L'enfant des deux mondes.
· Édition première :
(éditions de) L'aube [31 mars 1998].
·
ISBN : 2-87678-402-5.
· Réédition : El ibriz
(édition) ; [novembre 2012].
· ISBN :
9931-9114-2-5.
BIBLIOGRAPHIE
I. Corpus d'étude :
- BERGER Karima, L'enfant des deux mondes,
Alger, El Ibriz, 2012, 128 p.
I.1. Ouvrages cités du même
auteur :
- Berger K., La chair et le rôdeur,
Paris, l'Aube, 2002, 192 p.
- Berger K., Filiations dangereuses,
Montpellier, Chèvre feuille étoilée, 2007,
238 p.
- Berger K., Éclats d'islam :
Chroniques d'un itinéraire spirituel, Paris, Albin Michel, 2009,
266 p.
- Berger K., Rouge Sang Vierge,
Neuilly-sur-Seine, Al Manar, 2010, 96 p.
- Berger K., Les attentives : Un dialogue
avec Etty Hillesum, Paris, Albin Michel, 2014, 210 p.
- Berger K., Cinq éloges de la
rencontre, Paris, Albin Michel, 2015, 256 p.
- Berger K., Mektouba, Paris, Albin Michel,
2016, 256 p.
II. Ouvrages théoriques et
critiques :
- ADDI Lahouari, La crise du discours religieux
musulman. Le nécessaire passage de Platon à Kant,
Tizi-ouzou, Frantz Fanon, 2020, 390 p.
- ALI-YAHIA Rachid, Sur la question nationale en
Algérie, Tizi-ouzou, Achab, 2011, 235 p.
- ANGENOT Marc, Interventions critiques, volume
I : Questions d'analyse du discours, de rhétorique et de
théorie du discours social, in Discours social/Social Discourse,
Montréal, 2002, 292 p.
- ARKOUN Mohammed, Quand l'islam
s'éveillera, Alger, Hibr, 2009, 254 p.
- BAKHTINE Mikhaïl, Esthétique et
théorie du roman, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque des idées », 1978, 488 p.
- BARBÉRIS Pierre, Le Prince et le
Marchand. Idéologiques : la littérature, l'histoire,
Paris, Fayard, coll. « La force des idées », 1980,
462 p.
- BARKA Mahmoud, Le Dilemme de l'Etranger,
Béjaïa, (auto-édition), 2018, 252 p.
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fictif : Essai sur la représentation de l'écrivain dans le
roman québécois, Presses de l'Université du
Québec, 1980, 229 p.
- BELLEAU A., Notre Rabelais,
Montréal, Boréal, 1990, 269 p.
- BENAÏSSA Hamza, Tradition et
identité : Introduction à l'anthropologie
traditionnelle, Alger, El Maarifa, 2001, 200 p.
- BENAÏSSA H., Tradition et
modernité : Pour une démystification des sciences humaines
et sociales, Alger, El Maarifa, 2001, 230 p.
- BENDJELID Faouzia, Le roman algérien de
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- BENMAKHLOUF Ali, L'identité, une fable
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- BERERHI Afifa & CHIKHI Beïda (Dir.),
Algérie : ses langues, ses lettres, ses histoires. Balises pour
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- BHABHA Homi. K., Les lieux de la culture. Une
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1980, 224 p.
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- BOURDIEU Pierre & PASSERON Jean-Claude, La
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système d'enseignement. (Livre I) : Fondements d'une
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- BOURDIEU P., Sociologie de
l'Algérie, Béjaïa, Tafat, coll.
« Document », 2015, 180 p.
- BRAHIM-SALHI Mohammed, Algérie :
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décolonisation française, Paris, PUF, coll. « Que
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III. Articles et thèses :
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langues, ses lettres, ses histoires. Balises pour une histoire
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dialogique : Une lecture bakhtinienne de Babel, prise
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linguistique », in Christiane CHAULET-ACHOUR & Yahia
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- MULLER-COLARD Marion, « Karima
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et l'Etranger : Le concept d'identité vécue en
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- PÉTILON Sabine,
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Academia/L'Harmattan, coll. « Au coeur des textes », n°
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- PÉZARD Émilie, Les genres du
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dissocié : Modernité et hybridité culturelle dans la
littérature du XX éme siècle », in Fridrun
RINNER (Dir.), Identité en métamorphose dans
l'écriture contemporaine. Publications de l'université de
Provence (PUP), 2006, pp. 11-21.
- YACINE Tassadit, « Discrimination et
violence », in Sonia Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une
pensée politique postcoloniale : à partir de Frantz
Fanon, in Tumultes, (n° 31), octobre 2008/2, Paris, Kimé, pp.
17-27.
IV. Autres ouvrages
exploités :
IV.1. Littérature :
- Dib Mohammed, Qui se souvient de la
mer ?, Paris, Seuil, 1962, 187 p.
- FARÈS Nabile, Mémoire de
l'absent, Paris, Seuil, 1974, 240 p.
- FERAOUN Mouloud, Lettres à ses
amis, Paris, Seuil, 1969, 224 p.
- KATEB Yacine, Nedjma, Paris, Seuil, coll.
« Points », 1956, 288 p.
- MALRAUX André, Le temps du
mépris, Paris, Gallimard, 1935, 112 p.
IV.2. Philosophie :
- KANT Emmanuel, Fondements de la
métaphysique des moeurs, trad. Victor Delbos, Béjaïa,
Berri, 2016, 124 p.
- LOCKE John, Essai philosophique concernant
l'entendement humain, trad. M. Coste, Amsterdam, édition originale,
1700, 368 p.
- NIETZSCHE Friedrich, Par-delà le bien
et le mal, Paris, Gallimard, coll. « Folio »,
1987, 288 p.
- NIETZSCHE F., Généalogie de la
morale, Paris, Le livre de poche, 2000, 311 p.
- NIETZSCHE F., Ainsi parlait Zarathoustra,
Paris, Le livre de poche, 2016, 416 p.
- Platon, Le Banquet, Béjaïa,
Berri, coll. « Les classiques de la philosophie », 2020,
116 p.
INDEX DES NOMS CITÉS
A
Abbas, Ferhat, 104
Addi, Lahouari, 21
Adler, Alfred, 22
Ali-Yahia, Rachid, 10, 13, 20, 21, 30, 94, 95
Amrouche, Jean, 98
Angenot Marc, 102
Aristote, 28
Arkoun, Mohammed, 32, 33, 96
B
Bakhtine, Mikhaïl, 78, 85, 86
Balandier, Georges, 14, 31, 93
Balzac, Honoré de, 62
Barbéris, Pierre, 70, 85, 103
Barka, Mahmoud, 18, 47, 91
Barthes, Roland, 63, 65, 66
Belaskri, Yahia, 13, 86
Belkacem, Dalila, 67
Belleau, André, 80, 85
Benaïssa, Hamza, 10, 21, 37
Bendjelid, Faouzia, 10, 11, 37
Benmakhlouf, Ali, 20
Bererhi, Afifa, 8, 12
Berger, Karima, 10, 11, 12, 13, 14, 27, 32,
36, 39, 45, 48, 51, 52, 53, 54, 60, 61, 62,
64, 65, 67, 69, 72, 73, 75, 76, 78, 81, 83,
101, 134
Berque, Jacques, 21
Berry, Nicole, 22
Bhabha, Homi. K, 7, 9, 14, 34, 59, 84, 101,
Blanchot, Maurice, 101
Bloch, Marc, 26
Bonaparte, Napoléon, 51
Bonn, Charles, 12, 38, 43, 45, 46, 48, 52,
58, 59, 62, 66, 67, 69, 71, 72, 74, 78, 79,
87, 98, 102, 103
Boudalia-Greffou, Malika, 51, 95
Bourdieu, Pierre, 18, 19, 78, 94, 95
Brahim-Salhi, Mohammed, 7, 11, 18, 27
Bugeaud, 8
C
Camus, Albert, 24, 87
Carrier, Hervé, 91,
93
Césaire, Aimé,
93
Chaulet-Achour, Christiane, 13, 51, 60, 61,
64, 65, 67, 69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 76,
83, 84, 86
Cheniki, Ahmed, 31, 32, 33, 34, 35, 41, 47,
56, 57, 97, 102
Chikhi, Beïda, 8, 12, 37, 45, 77, 98
Chraïbi, Driss, 48
Compagnon, Antoine, 65, 74, 75
D
Dayan-Herzbrun, Sonia, 37, 43, 91
Deleuze, Gilles, 8, 55
Derive, Jean, 38, 45, 78
Derrida, Jacques, 59, 61, 66, 75
Dib, Mohammed, 38, 52, 53, 101
Durkheim, Émile, 95
E
Erikson, H. Éric 22
F
Fanon, Frantz, 14, 20, 31, 34, 37, 38, 43,
46, 90, 91, 92, 94, 95, 101, 104
Farès, Nabile,
42
Feraoun, Mouloud, 62
Ferré, Vincent, 75, 76, 77
Foucault, Michel, 14
Fraisse, Émmanuel, 46, 47, 84, 85
Fraenkel, Béatrice,
25
G
Galand-Pernet, Paulette, 85
Gasparini, Philippe, 63
Gauvin, Lise, 9
Genette, Gérard,
89
Ghafa, Brahim, 93, 94, 95, 97, 104
Giraud, Yann, 83
Glissant, Édouard, 14, 31, 83, 84
Guattari, Félix, 8,
55
H
Haas, Gerhard, 77
Haddad, Malek, 46
Hall, Stewart, 30
Hammadi, Ghania, 78
Hamon, Philippe, 66
Harbi, Mohammed, 90
Hegel,
93
Heidegger, Martin, 18
Heinich, Nathalie, 18, 19, 20, 21, 22, 24,
25
Hirt, Jean-Michel, 65
J
Jenni, Alexis, 7
Jullien, François, 23,
24
K
Kane, Cheich Hamidou, 42
Kant Emmanuel, 29
Kassab-Charfi, Samia, 81
Kateb, Yacine, 7, 38
Khadda, Naget, 12, 38, 43, 45, 46, 48, 52,
62, 72, 87, 98, 102
Khati, Abdellaziz, 11
Khatibi, Abdelkébir, 85
Kundera, Milan, 58
L
Lacoste, Camille & Yves, 7, 32
Lejeune, Philippe, 60, 63, 64
Lewis, 83, 85
Locke, John, 28
Lukács, Georg, 64, 86
M
Maalouf, Amin, 26, 55
Mackey, W. F, 84
Maingueneau, Dominique, 62, 63, 72, 87
Malraux, André,
34
Mammeri, Mouloud, 58, 85
Memmi, Albert, 48, 70
Miraux, Jean-Philippe, 60, 64, 65, 66
Mohammedi-Tabti, Bouba, 69, 77, 94
Mokhtari, Rachid, 69, 78
Moudileno, Lydie, 23, 71, 88
Moura, Jean-Marc, 44, 46
N
Nietzsche, Friedrich, 28, 36
Nora, Pierre, 19
P
Passeron, Jean-Claude, 78
Pessoa, Ferdinand, 86
Pétillon, Sabine,
80
Platon,
28
R
Ricoeur, Paul, 19, 26, 28, 32
Rinner, Fridrun, 8, 82
S
Saïd, W. Édward, 43, 85,
92
Sartre, Jean-Paul, 14, 29, 31, 37, 93, 94
Saussure, 26
Senghor, L. Sédar, 94
Spivak, C. Gayatri, 71
Stendhal, 13
Stora, Benjamin, 7, 32, 36, 44, 92
T
Todorov, Tzvetan, 55, 79
Toualbi-Thaâlibi, Noureddine, 10, 95, 96,
97, 101
Touraine, Alain, 22, 31
V
Vauléon, Maud, 55
W
Weber, Max, 38, 95
Y
Yacine, Tassadit, 86, 92, 94
Yacono, Xavier, 34, 94
Z
Zanon, Damien, 63
Zénon,
17
INDEX DES MOTS-CLÉS
Altérité, 28, 32, 33, 44, 45,
48, 54, 56, 81, 98
Crise, 7, 9, 11, 13, 14, 18, 21, 22, 25, 27,
34, 35, 59, 98, 101
Croyance, 25, 56
Culture, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 19, 20, 21,
22, 23, 24, 25, 27, 30, 31, 32, 33, 35, 36, 37, 38, 39, 43, 44, 45, 46, 47, 48,
51, 52, 53, 54, 55, 56, 57, 60, 63, 65, 72, 73, 78, 79, 81, 83, 84, 86, 90, 91,
93, 94, 95, 96, 97, 98, 101, 102, 103
Dédoublement, 8, 25, 52, 53, 54, 58,
63, 65, 66, 67, 70, 73, 74, 77, 78, 79, 80, 86, 87, 88, 134
Devenir, 8, 24, 27, 28, 29, 30, 35, 66, 84,
93, 97
Dualisme, 7, 9, 23, 26, 28, 51, 53, 54, 55,
76
Hybridation, 14, 55, 56, 60, 63, 68, 74, 76,
78, 79, 80, 82, 84, 85, 103, 134
Hybride, 14, 26, 32, 40, 44, 51, 54, 55, 56,
57, 58, 59, 61, 64, 65, 73, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85, 86, 87, 88, 93,
97, 101, 102, 103, 104, 134
Hybridité, 11, 39, 54, 56, 70, 78, 81,
91, 134
Identité, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14,
17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 37, 38,
41, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 58, 62, 63, 65, 66, 67, 71,
72, 73, 75, 78, 81, 82, 84, 87, 88, 90, 91, 94, 93, 95, 97, 98, 101, 102, 103,
104, 134
Idéologie, 7, 8, 11, 12, 13, 20, 22,
25, 27, 31, 33, 34, 38, 53, 70, 72, 77, 85, 88, 90, 91, 94, 95, 102, 104
Malaise, 19, 57, 79
Mémoire, 7, 11, 19, 20, 30, 32, 33,
34, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 45, 52, 53, 69, 71, 72, 74, 77, 80, 96, 97, 98,
134
Métissage, 9, 13, 32, 54, 56, 57, 73,
101
Nation, 7, 8, 9, 10, 11, 13, 14, 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 28, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 41, 42, 44,
46, 47, 48, 51, 54, 57, 58, 69, 77, 76, 79, 90, 91, 92, 94, 95, 96, 97, 98,
101
Postcolonial, 9, 10, 14, 17, 23, 26, 31, 33,
34, 37, 43, 56, 58, 59, 63, 68, 71, 74, 77, 78, 84, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 97,
101, 103, 104, 134
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS
..............................................................................................................
2
DÉDICACE
.............................................................................................................................
4
EXERGUE
...............................................................................................................................
5
INTRODUCTION GÉNÈRALE
...........................................................................................
6
PARTIE I : L'identité, entre processus et
interaction .......................................................
16
Approches préliminaires
......................................................................................................
17
CHAPITRE I : Autour de la notion d'identité -
approche socio-historique .................. 17
1. L'identité, essai de définition
.........................................................................................
18
1.1. L'identité nationale (collective)
.............................................................................
18
1.2. L'identité-sujet (individuelle)
................................................................................
23
Résumé
.................................................................................................................................
28
Tableau récapitulatif
............................................................................................................
29
CHAPITRE II : Sur la question nationale en
Algérie .......................................................
30
1. L'héritage colonial
.........................................................................................................
31
2. L'après-guerre
................................................................................................................
36
2.1. La quête mémorielle : vers une
issue salvatrice ..................................................... 38
3. L'étrange[r] aux sources du renouveau
..........................................................................
43
3.1. L'effet boumerang
..................................................................................................
45
PARTIE II : Les processus de l'hybride en
l'oeuvre ..........................................................
50
Quelques repères
..................................................................................................................
51
1. La vie de l'auteure
..........................................................................................................
51
2. Aperçu des ses oeuvres
...................................................................................................
52
3. Le corpus
.........................................................................................................................53
CHAPITRE I : La dimension poétique
...............................................................................
54
1. L'hybridation générique
.................................................................................................
55
1.1. Un roman autobiographique
...................................................................................
59
1.2. La pratique de la pseudonymie : de l'anonymat
à l'être-deux ............................... 64
1.3. Le parti-pris de l'Histoire
.......................................................................................
68
2. L'hybridation linguistique
..............................................................................................
78
3. Le cadre spatio-temporel
................................................................................................
86
3.1. Le dédoublement spatial
........................................................................................
87
3.2. Le temps discontinu
...............................................................................................
88
CHAPITRE II : Stratégies
postcoloniales
..........................................................................
90
1. Pour une politique du fait colonial inversée
................................................................... 92
2. Stratégies d'accommodation en ambivalence
culturelle ................................................ 95
2.1. L'exil, ou la renaissance dans l'ailleurs
................................................................. 97
CONCLUSION GÉNÉRALE
............................................................................................
100
ANNEXES
............................................................................................................................
106
I. Karima Berger, Le « saut hors du rang des
meurtriers » ..................................................
107
II. Christiane Chaulet-Achour & Karima Berger, «Dans
un sens, dans l'autre, sans cesse». - «Dialogue avec le
texte L'enfant des deux mondes de Karima Berger»
............................... 113
III. Marion Muller-Colard, «Karima Berger : femme d'un
seul monde» .............................. 118
IV. Informations en lien avec le corpus
................................................................................
121
BIBLIOGRAPHIE
..............................................................................................................
122
INDEX DES NOMS CITÉS
...............................................................................................
129
INDEX DES MOTS-CLÉS
................................................................................................
131
TABLE DES MATIÈRES
..................................................................................................
132
LISTE DES ABRÉVIATIONS
..........................................................................................
133
RÉSUMÉ
...............................................................................................................................134
LISTE DES ABRÉVIATIONS
AP. Action Pédagogique.
APN. Action Politique Nationale.
Cf. [Confer]. À comparer avec,
voir avec.
Chap. Chapitre.
EF. Essai fictionnel.
EX. Exemple.
Ibid. [Ibidem]. Au même endroit,
eu égard à la note précédente.
LDM. L'enfant des deux mondes.
N°. Numéro.
Op. cit. [Opus citatum]. Opus
cité.
OSM. Organisme sémantiquement
modifié.
PA. Politique Anti-nationale.
SE. Séquence essayistique.
SF. Support fictionnel.
SQ. [Sequiturque]. Désigne ce
qui suit la citation et la prolonge. Traduit en « et
suivant ».
Supra. Ci-dessus, plus haut.
V. Voir.
VL. Violence légitime.
Vol. Volume.
VS. Violence symbolique.
RÉSUMÉ
Notre étude portait sur une oeuvre ambigüe de
la littérature algérienne. Elle s'attache à la
représentation des identités dans le roman de Karima
Berger : identité succédant à l'ère des grands
nationalismes et prise à part dans celle des postcoloniaux. Nous
étions partis de la double appartenance de l'auteure, de par ses
enseignements arabe et français, pour aboutir à la double
appartenance de l'oeuvre. En assumant cette hybridité, l'auteure fait fi
des représentations manichéennes du monde abstrait, telles
qu'elles sont véhiculées sous couvert de mondialisation. C'est,
de fait, un « Tiers-espace » qui s'impose et
auquel personnages et lecteurs adhèrent. Notre étude vise
à expliciter ce sentiment d'identité tel qu'il est vécu
par le sujet, en nous penchant davantage sur le volet idéologique,
politique de l'identité. Nous avons, du reste, traité de la
manière dont elle se réfléchit au sein de l'oeuvre, et
notamment par la voix(e) de l'hybride, qui est la consécration
même des poétiques du postcolonial.
Par ailleurs, il était question de
redéfinir ce concept-là des identités nouvelles en leur
attribuant un nom, suivant la stratégie de l'auteure qui s'évalue
autour des cercles traditionnels, en même temps qu'elle brigue ceux de sa
propre modernité. Cela fut donc l'objet de tout le travail, et notamment
de la première partie qui prend en charge les deux grandes
représentations de l'identité, à savoir l'identité
nationale (collective) et l'identité-sujet (individuelle). Cela
étant, nous avons étalé les ?excès' de l'une et de
l'autre et établi un parallèle avec différents points de
notre corpus : en effet, arrivée par « en
haut », l'identité est forcément nationale, tandis
qu'elle est, par « en-bas » beaucoup plus personnelle.
C'est dire toute l'ambigüité qu'il y a là pour L'enfant
des deux mondes à saisir potentiellement son essence, sans plus
opérer dans un quelconque extrémisme. C'est
précisément à ce point que l'hybride apparaît
important et occupe toute notre attention.
Logiquement, la seconde partie fut consacrée quant
à elle à la structuration inter et intratextuelle de notre corpus
selon le principe des hybridations, et s'accroche plus spécifiquement
à l'aspect poétique de l'oeuvre étudiée. Il y a
différents niveaux d'hybridation auxquels nous avons eu affaire tout au
long de cette analyse : nous retenons à titre d'exemple les niveaux
formel, informel, générique, linguistique, etc. De même
qu'on y dispose, au sein de chaque niveau, de différents registres
sémantiques qui font la richesse et la particularité de ce texte.
En dernier lieu, nous avons précisé le rôle que jouait cet
hybride dans la déconstruction du mythe sacral des identités
figées, et ce en faveur d'une pensée effective et dynamique.
Le constat final fut que, l'identité, telle
qu'elle est devenue au lendemain des indépendances et eu égard
à la nouvelle « carte » du monde, ne peut
désormais subsister dans l'un de ces deux mondes que par l'effet d'un
tiers. Cela étant, on s'aperçoit vite de l'effet
décentralisateur (ou de dédoublement) induit et par l'un et par
l'autre. En attendant, c'est le roman qui s'empare le mieux de ces
représentations troublées et brosse le tableau de ces
correspondances.
* 1 Benjamin STORA & Alexis
JENNI, Les mémoires dangereuses, Alger, Hibr, 2016, 238 p.
C'est également dans ce sens que nous interprétons les propos de
Kateb Yacine : « mais la conquête était un
mal nécessaire », supposé par là de
s'élever au rang de Nation et d'acquérir un savoir moderne (en
matière de lutte notamment) et des droits fondamentaux, dont, entre
autres, l'exercice de la démocratie.
* 2 Mohammed BRAHIM-SALHI,
Algérie : identité et citoyenneté, Tizi-ouzou,
Achab, 2010, p. 309.
* 3Toutes les ères
socialistes qui ont accompagné les premières décennies des
indépendances au Maghreb se sont plus ou moins soldées par un
échec flagrant. C'est le cas notamment de la fameuse politique agraire,
en Algérie, érigée selon le modèle pro-marxiste et
qui plongea le pays dans les affres d'une indigence matérielle et
culturelle. Voir à ce sujet, Camille & Yves LACOSTE (Dir.),
L'état du Maghreb, Paris, la Découverte, coll. «
L'état du monde », 1991, 572 p.
* 4 Mohammed BRAHIM-SALHI,
op. cit., p. 65.
* 5 De là le facteur
idéologique : « L'Algérie s'inscrit
désormais dans l'arabo-islamisme. L'Islam plus que jamais sera au centre
de tous les débats. Le document de la charte nationale qui stipule, dans
sa résolution de politique générale, « ...
l'expression de la volonté du peuple algérien et de son parti de
placer la politique du pays (...) sous le double signe du socialisme et de
l'attachement à notre personnalité arabo-islamique «
est élaboré avec les intellectuels « marxistes «
ou marxisants de Ben Bella. » Farida AÏT FERROUKHE,
« Situation d'impasse et agents de la culture »,
in Afifa BERERHI & Beïda CHIKHI (Dir.), Algérie : ses
langues, ses lettres, ses histoires. Balises pour une histoire
littéraire, Blida, Tell, 2002, p. 61.
* 6 Fridrun RINNER,
« introduction », in Fridrun RINNER (Dir.),
Identité en métamorphose dans l'écriture
contemporaine. Publications de l'université de Provence (PUP),
2006, p. 5.
* 7 Le fragment qui
présuppose littéralement un déchirement physique au sens
de déracinement ou de déterritorialisation n'a pas lieu
d'être dans notre analyse puisqu'il n'intervient qu'à la fin en
guise d'issue salutaire à cette dynamique identitaire locale de
dédoublement.
* 8 Gilles DELEUZE &
Félix GUATTARI, Rhizome : Introduction, Paris, Minuit,
1976, 74 p.
* 9 Habiba SEBKHI,
« identité rhizomatique », in Fridrun
RINNER (Dir.), op. cit., p. 144.
* 10 HOMI. K. Bhabha, Les
lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, Paris, Payot, 2007,
411 p.
* 11 Soit par le biais de
l'anéantissement de l'ordre de vie traditionnel dû à la
conquête coloniale, soit par la confrontation directe avec les instances
gouvernementales en bute face à l'action modernisatrice.
* 12 Voir, par exemple, la
politique anti-nationale. Rachid ALI-YAHIA, Sur la question
nationale en Algérie, Tizi-ouzou, Achab, 2011, 235 p.
* 13 Hamza BENAÏSSA,
Tradition et identité : Introduction à l'anthropologie
traditionnelle, Alger, El Maarifa, 2001, 200 p.
* 14 Noureddine
TOUALBI-THAÂLIBI, L'identité au Maghreb : l'errance,
Alger, Casbah, coll. « Essais », 2000, p. 48.
* 15 Rappelons à ce
titre les quelques travaux de recherche effectués par Karima Berger lors
de son parcours académique, notamment sa thèse de doctorat
portant sur le Nationalisme en Algérie, sorte de préambule
à ses activités littéraires en gestation.
* 16 Faouzia BENDJELID, Le
roman algérien de langue française, Alger, Chihab, 2012, 196
p.
* 17 Ibid., p. 54.
* 18 Abdellaziz KHATI, La
Kabylie par ses romanciers, (l'affrontement de deux mondes : la
tradition face à la modernité), Alger, Casbah, 2017, 288 p.
* 19 Faouzia BENDJELID, Le
roman algérien de langue française, op. cit., p.
55.
* 20 Sur l'État, on peut
lire qu' « il est porté par le choix volontariste des
citoyens et se considère, par conséquent, comme porte-parole de
la « société « à laquelle peuvent
être assimilés des individus et des communautés
particulières. ». Ursula MATHIS-MOSER,
« « Littérature nationale « versus «
littérature d'immigration « », in Fridrun RINNER
(Dir.), op. cit., p. 112.
* 21 Mohammed BRAHIM-SALHI,
Algérie : identité et citoyenneté, op.
cit., p. 14.
* 22 Karima Berger,
L'enfant des deux mondes, Paris, l'Aube (éd.
1ère), 1998 ; El Ibriz (éd.
2ème), 2012, 128 p.
* 23 Dans tout récit
(fiction) de témoignage, « La volonté de
témoignage [bannit] tout effet littéraire qui pourrait
être perçu comme une trahison par rapport à la
« vérité » de cette
description. ». Charles BONN & Naget KHADDA,
« introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA,
Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine
d'expression française, Paris, Edicef, coll.
« Universités Francophones », 1996, p. 8.
* 24 Nous soulignons.
* 25 Afifa BERERHI &
Beïda CHIKHI, « BALISES pour une histoire des lettres
algériennes », in Afifa BERERHI & Beïda CHIKHI
(Dir.), Algérie : ses langues, ses lettres, ses histoires,
op. cit., introduction, p. 1.
* 26 Christiane CHAULET-ACHOUR
& Yahia BELASKRI (Dir.), L'épreuve d'une décennie.
Algérie, art et culture 1992-2002, Paris,
Paris-Méditerranée, 2OO4, 207 p.
* 27 À nouveau nous
sommes donc confrontés à la question de l'engagement politique et
artistique aux prises avec le pouvoir politique en Algérie, qui n'est
pas en reste cependant dans cette région du monde qu'est le Maghreb.
* 28 Voir supra -note
12-. Rachid ALI-YAHIA, Sur la question nationale en Algérie,
(« sur la culture »), op. cit., p. 58 et
sq.
* 29 Avec M. HEIDEGGER, concept
qui signifie littéralement
« l'être-là », au sens de
présence réelle ou concrète.
* 30 Mahmoud BARKA, Le
Dilemme de l'Etranger, Béjaïa, (auto-édition), 2018,
252 p.
* 31 Sur la réforme des
Uléma algériens au tournant des années 1930, puis
successivement l'E.N.A. et le P.P.A. sous l'égide de Messali hadj. V.
Mohammed BRAHIM-SALHI, Algérie : identité et
citoyenneté, Tizi-ouzou, Achab, 2010, p. 32 et sq.
* 32 Nathalie HEINICH, Ce
que n'est pas l'identité, Paris, Gallimard, 2018, 144 p.
* 33 Ce qui coïncide, dans
la même marge temporelle en Algérie, à l'affirmation de la
crise dite berbériste (1949) en sa qualité de noyau contestataire
de l'orientation nationaliste sur le modèle de l'arabo-islamisme,
réfractaire aux diversités locales entretenues sur le plan du
communautarisme. En ce sens, peut-on interpréter la montée en
puissance du thème identitaire cher à la diversité
collective comme étant une tentative de sécularisation (sur le
modèle individuel) envers le monopole arabo-islamique alors
érigé par la droite nationaliste ?
* 34 Selon une
définition de Pierre BOURDIEU, « l'illusion essentialiste
consiste à figer et réifier ce qui est intrinsèquement
fluctuant, mouvant et diversifié. ».
* 35 Nathalie HEINICH, Ce
que n'est pas l'identité, op. cit., p. 21.
* 36 Nous nous
référons au livre de Rachid ALI-YAHIA, Sur la question
nationale en Algérie, Tizi-ouzou, Achab, 2011, p. 102.
* 37 Nathalie HEINICH, op.
cit., p. 24.
* 38 Concept emprunté
à Ali BENMAKHLOUF, désignant l'ambigüité conceptuelle
de l'identité en situation de pluralité. Voir, Ali BENMAKHLOUF,
L'identité, une fable philosophique, Paris, PUF, 2011, 180
p.
* 39 Frantz FANON, Les
damnés de la terre, Alger, ANEP, 2006, pp. 182-183.
* 40 Rachid ALI-YAHIA, op.
cit., p. 95.
* 41 Suivant l'otique de
Jacques BERQUE. Dépossession du monde, Paris, Seuil, 1964, 221
p.
* 42 Lahouari ADDI, La
crise du discours religieux musulman. Le nécessaire passage de Platon
à Kant, Tizi-ouzou, Frantz Fanon, 2020, 390 p.
* 43 Nathalie HEINICH, op.
cit., p. 42.
* 44 Hamza BENAÏSSA,
Tradition et identité, op. cit., p. 108.
* 45 Nathalie HEINICH, op.
cit., p. 75.
* 46 Nicole BERRY, Le
sentiment d'identité, Paris, Éditions Universitaires, 2004,
p. 11. Cité par Nathalie HEINICH, op. cit., p. 38.
* 47 Dans l'Europe ancienne, la
culture était affaire de racines (spirituelles, intellectuelles...) au
même titre que d'authenticité ethnique ou raciale.
* 48 À cet effet,
François JULLIEN parle de la « délocalisation de la
pensée » vers « un ailleurs de la
pensée » en matière de culture. Il n'y a pas
d'identité culturelle, Entretient France Culture, 2016.
Source :
https://www.Franceculture.fr/emissions/oeuvre/il-ny-pas-didentite-culturelle-0.
Consulté le jeudi 27 mai 2021.
* 49 Voir Lydie MOUDILENO,
Parades postcoloniales : la fabrication des identités dans le
roman congolais, Paris, Karthala, coll. « Lettres du
Sud », 2006, 170 p.
* 50 Nathalie HEINICH, op.
cit., p. 72.
* 51 Albert CAMUS, Le mythe
de Sisyphe : Essai sur l'absurde. Un raisonnement absurde. Les murs
absurdes, Paris, Gallimard, coll. « Les classiques des sciences
sociales », 1942, pp. 27-28.
* 52 Nathalie HEINICH, op.
cit., p. 51.
* 53 Béatrice FRAENKEL,
La signature : genèse d'un signe, Paris, Gallimard, 1992,
336 p. - Citée par Nathalie HEINICH, op. cit., p. 34.
* 54 Nathalie HEINICH, op.
cit., p. 30.
* 55 Paul RICOEUR,
Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 2015, 424 p.
* 56 Nathalie HEINICH, op.
cit., p. 47.
* 57 À ce titre, la
langue plus que la religion relève du ressort de l'individu : ce
que Saussure appelle « langage » renseigne sur la
capacité linguistique inhérente à tout être humain
et diversement réalisée en chacun. Ferdinand DE SAUSSURE,
Cours de linguistique générale, Béjaïa,
Talantikit, 2002, 360 p.
* 58 Amin MAALOUF, Les
identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p. 17.
* 59 Mohammed BRAHIM-SALHI,
op. cit., p. 14.
* 60 Le bateau de
Thésée est une expérience de pensée
philosophique corrélative à la notion de l'identité. Son
emploi chez Locke résonne comme une réminiscence de
l'ambigüité déjà présente chez les Grecs,
celle de se situer dans le changement relatif à l'essence
matérielle de l'être. Elle considère ainsi la
situation : après bien des périples, le bateau subit
quelques légers raccommodements avant de mouiller définitivement
au port d'Athènes, où il stagne pendant des siècles. Afin
d'assurer sa sauvegarde, il sera continuellement restauré par les Grecs,
de sorte qu'aucune latte d'origine n'en fût la même dans toute sa
composition. Ainsi, il n'en reste pratiquement rien de sa physionomie
première qu'il demeure toujours la nef de Thésée. La
question est : est-il réellement le même malgré tous
ces revirements ?
* 61 Platon, Le
Banquet, Béjaïa, Berri, 2020, pp. 88-89. Voir plus
particulièrement la note de la page 88.
* 62 Ce titre est
composé en référence à l'ouvrage pionnier de Rachid
ALI-YAHIA.
* 63 Stuart HALL,
Identités et cultures : Politiques des culturals studies,
Paris, Amsterdam, 2017, 568 p.
* 64 Alain TOURAINE, Le
retour de l'acteur : Essai de sociologie, Paris, Fayard, 1984, 348
p.
* 65 Ahmed CHENIKI,
L'Algérie contemporaine : cultures et identités,
Paris, 2019, p. 40. HAL, archives-ouvertes.fr :
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02281109.
Consulté le vendredi 11 juin 2021.
* 66 À considérer
par le nombre important d'associations commémoratives qui furent
créées : la FMGACMT (Fondation pour la
Mémoire de la Guerre D'Algérie, des Combats du Maroc et de
Tunisie) ; l'UNC, etc. Ou encore, plus récemment dans
notre cas, c'est-à-dire à l'initiative de K. BERGER :
Écritures et spiritualités, sorte d'association
hétéroculturelle réunissant des écrivains de
tendances non conciliables, ou, autres.
* 67 Expression de Benjamin
STORA, visant à la fidélité de la mémoire. Aussi,
dans une moindre mesure, la « mémoire
juste » de Paul RICOEUR.
* 68 Ahmed CHENIKI, op.
cit., p. 2.
* 69 Ibid., p. 5.
* 70 Voir supra -page
8 et note 5- de l'introduction.
* 71 Mohammed ARKOUN,
« Relire la période coloniale », in Camille
& Yves LACOSTE (Dir.), L'état du Maghreb, Paris, la
Découverte, coll. « L'état du monde », 1991, p.
137.
* 72 C'est dans ce sens qu'on a
pu voir se manifester, chez Mohammed ARKOUN, un impératif de la
déconstruction suivant une certaine critique de la
« tradition », ou de ce qu'il nomme à juste
titre les « idéologies de combat ».
* 73 Ahmed CHENIKI, op.
cit., p. 40.
* 74 Voir la définition
qui lui a été accordée en haut.
* 75 André MALRAUX,
Le temps du mépris, Paris, Gallimard, 1935, 112 p.
* 76 Ahmed CHENIKI, op.
cit., pp. 40-41.
* 77 Maria-Benedita BASTO,
« Le Fanon de Homi Bhabha : ambivalence de l'identité
et dialectique dans une pensée postcoloniale », in Sonia
Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique
postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, in Tumultes,
(n° 31), octobre 2008/2, Paris, Kimé, p. 53.
* 78 Xavier YACONO, Les
étapes de la décolonisation française, Paris, PUF,
coll. « Que sais-je », 1982, p. 124.
* 79 Ahmed CHENIKI, op.
cit., p. 57.
* 80 De même qu'il
symbolise en fait l'apparition d'une entité temporelle anhistorique ou
indéfinie : « Le présent est un temps
souverain, celui à partir duquel sont mises en oeuvre les
différentes constructions politiques et sociales. Le passé et le
futur fonctionnent comme des constructions, des entités dont l'existence
dépend du présent. Le présent est le centre de la
quête historique et de la détermination du futur. Souvent, dans
des situations de crise, le passé et le futur mettent au jour un certain
désenchantement et un déficit de légitimité. Ces
deux temps convoqués pour combler un vide et une absence sont des
simulacres, des univers illusoires... » Ahmed CHENIKI, op.
cit., p. 45.
* 81 Benjamin STORA,
Histoire de l'Algérie coloniale (1830-1954), Alger,
Hibr, coll. « Repères Histoire », 2012, p. 37
et sq.
* 82 Ce concept initialement
présent chez les présocratiques (héraclitéens et
stoïciens) figure parmi les aphorismes de Nietzsche comme instrument de
culture se dérobant à l'ordre civilisationnel.
* 83 Titre d'un roman de Karima
BERGER, Filiations dangereuses, Montpellier, Chèvre feuille
étoilée, 2007, 238 p.
* 84 Tout ce qui fait allusion
à l'étrange(r), loin de le constituer, est désormais
proscrit. Voir, Hamza BENAÏSSA, Tradition et identité.
Alger, El Maarifa, 2016, p. 164.
* 85 Frantz Fanon,
Sociologie d'une révolution (L'An V de la révolution
algérienne), Paris, Maspero, 1972, 175 p. Voir aussi, La
question anticoloniale : Chroniques de révolte
(1952-1959), Béjaïa, Tafat, 2012, 156 p.
* 86 Frantz Fanon adopte le
même positionnement quant au mouvement (de
régénération identitaire) de la Négritude,
lui-même constitué de tendances divergentes ... Il est jugé
par ailleurs avec Sartre, dans Orphée noir,
qu'« un pays colonial est un pays raciste » mais
qu'un pays anticolonial est, à fortiori, également
raciste.
* 87 Sonia DAYAN-HERZBRUN,
« présentation », in Sonia DAYAN-HERZBRUN
(Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à
partir de Frantz Fanon, op. cit., p. 8.
* 88 Faouzia BENDJELID, Le
roman algérien de langue française, op. cit., p.
11.
* 89 Beïda CHIKHI,
Maghreb en textes : écriture, histoire, savoirs et
symboliques : essai sur l'épreuve de modernité dans la
littérature de langue française, Paris, L'Harmattan, 1996,
p. 41.
* 90 Jean DERIVE, La
question de l'identité culturelle en littérature, Paris,
2007, p. 2. HAL, archives-ouvertes.fr :
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00344040.
Consulté le jeudi 15 juillet 2021.
* 91 Charles BONN & Naget
KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget
KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature
maghrébine d'expression française, Paris, Edicef, coll.
« Universités Francophones », 1996, p. 12.
* 92 Mohammed Dib, Qui se
souvient de la mer ?, Paris, Seuil, 1962, 187 p. De même que,
dans le premier chapitre de L'enfant des deux mondes, le narrateur
établit-il un lien entre la symbolique de l'univers décrit et
La grande maison de M. Dib.
* 93 Amel MAAFA,
« L'Histoire, lieu de désenchantement dans le roman
algérien post-colonial », in Synergies Algérie,
(n° 26), 2018, p. 98. L'auteure y cite également la trilogie de
Rachid MIMOUNI, le recouvrement du monde traditionnel et l'engagement qui
s'en suit : la souillure, la violence et le rejet, comme thèmes
principaux.
* 94 Ibid., p. 98.
* 95 Hakim MAHMOUDI,
« La poésie de Mohammed Dib : entre bris-collage et
bricolage. Éléments d'une esthétique
postmoderne. », Thèse de doctorat en langue
française, Option : Science des textes littéraires, sous la
direction de Charles BONN & Khedidja KHELLADI, ENS d'Alger, 2015-16, p.
25.
* 96 La Fontaine de Jouvence,
aussi appelée « fontaine
d'Immortalité » ou « fontaine de
Vie » y figure comme un symbole de pérennité et de
renouvellement. Cette source mythique, provenant de la mythologie biblique et
classique, évoque l'idée de purification et de
régénération.
* 97 La ville
« comme espace politico-symbolique », Ombasic
MAYA, « Espace urbain et identité. »,
Thèse de doctorat, Option : Littérature
générale et comparée, sous la direction de Monnet,
Rodica-Livia, Montréal, 2012.
* 98 Autre aspect important de
la mésaventure sociale d'où figure la ruralisation des espaces
urbains, s'avère être la
« religiosité » implantée dans le
très vaste panorama social que gouvernent des idéaux
passéistes. En effet, comme le donne à lire A. CHENIKI,
« Le ruralisme est réfractaire aux discours
« modernistes », il s'illustre surtout par des attitudes
conservatrices teintées de religiosité. ». Ahmed
CHENIKI, op. cit., p. 47.
* 99 Hakim MAHMOUDI, op.
cit., p. 26.
* 100 Nabile FARÈS,
Mémoire de l'absent, Paris, Seuil, 1974, 240 p.
* 101 Appréhender
« les problèmes politiques et sociaux d'une
modernité maghrébine » au risque
d'« occult[er] la dimension
proprement littéraire » qui les met en
évidence. Charles BONN & Naget KHADDA,
« introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA,
Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., p. 14.
* 102 Ibid., p.
18.
* 103 Les études
postcoloniales accomplies dans cette optique investissent elles aussi dans leur
champ cette réalité cosmique du regard produit sur l'Autre.
À cet égard, É. Saïd parle de
« théorie voyageuse » pour qualifier la
pensée universaliste de Fanon : « En se formant
à travers des déplacements dans l'espace, de la Martinique
à la métropole, puis à l'Algérie et au continent
africain, cette pensée y a acquis une dimension d'universalité,
mais d'un universel ouvert, critique, conflictuel, toujours en
mouvement. ». Sonia DAYAN-HERZBRUN,
« présentation », in Sonia DAYAN-HERZBRUN
(Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à
partir de Frantz Fanon, op. cit., p. 6.
* 104 « L'enfantement
du sentiment national dans la société algérienne,
essentiellement dans l'entre-deux-guerres, [...] s'appuie d'abord sur
un mouvement de déception à l'encontre de
la ?francisation' », qui débouche à
l'exacerbation du sentiment indépendantiste, durant et après la
colonisation. Néanmoins, certains sujets sont partagés entre deux
sentiments, deux conceptions de l'identité ancrées dans la
personne de l'Algérien : des sujets conscients se revendiquant de
leur héritage hybride. Benjamin STORA, Histoire de l'Algérie
coloniale (1830-1954), op. cit., p. 72.
* 105 Ibid., p. 70.
* 106 Jean-Marc MOURA,
Europe littéraire et l'Ailleurs. L'image de
l'étranger : perspectives des études d'imagologie
littéraire, Paris, PUF, 1998, p. 35.
* 107 Le verbe souligné
nous renseigne avant tout sur le « travail de la
mémoire ».
* 108 Beïda CHIKHI,
« Jean Amrouche », in Charles BONN, Naget KHADDA,
Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine
d'expression française, op. cit., pp. 31-32.
* 109
« L'identité d'une oeuvre littéraire, c'est d'abord
sa langue. ». Jean DERIVE, La question de l'identité
culturelle en littérature, op. cit., p. 3.
* 110 Charles BONN & Naget
KHADDA, « introduction », op. cit., p.
17.
* 111 Mohammad Abouzeid FADWA,
« Identité et altérité : Le voyage vers
l'Autre et la renaissance de Soi dans La goutte d'or de Michel
Tournier », in Postures, L'Autre : poétique et
représentations littéraires de l'altérité,
hiver 2017/1 (n° 25), Montréal, p. 14. Source :
http://revuepostures.com/fr/articles/abouzeid-25.
Consulté le jeudi 29 juillet 2021.
* 112 Jean-Marc MOURA, op.
cit., p. 35.
* 113 On estime que le
nationalisme algérien a donné lieu à un
« résistantialisme » de base pour triompher
à l'égard de la colonisation, plutôt qu'à un
véritable projet libérateur tel que le consignait Fanon.
* 114 Charles BONN & Naget
KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget
KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., p. 14.
* 115 En raison de la
pluri-appartenance culturelle et identitaire des individus, « les
écrivains sont aussi et peut-être nécessairement ces
nomades qu'évoque le sociologue Zygmunt Bauman quant il décrit
notre univers mondialisé comme peuple de « touristes et de
vagabonds». ». Emmanuel FRAISSE, Littérature et
mondialisation, Paris, Honoré Champion, 2012, p. 107.
* 116 Mohammad Abouzeid FADWA,
op. cit., p. 3.
* 117 Nous retrouvons,
à quelques nuances près, le même usage concernant cette
notion chez M. BARKA. Voir Mahmoud BARKA, Le Dilemme de l'Etranger,
Béjaïa, (auto-édition), 2018, p. 116.
* 118 Ahmed CHENIKI,
L'Algérie contemporaine : cultures et identités,
op. cit., p. 9.
* 119 « ...
à des phases d'extension ou de constitution de vastes ensembles
[...] ont pu succéder des périodes de repli,
d'éclatement, de dépècement... ». Emmanuel
FRAISSE, Littérature et mondialisation, op. cit., p.
12. EN effet, face aux phénomènes de la mondialisation, le
syncrétisme culturel n'en est que plus apparent : de sorte que la
modernité n'est abordée que sous l'emprise de la tradition.
* 120 Mohammad Abouzeid FADWA,
op. cit., p. 4.
* 121 Charles BONN & Naget
KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget
KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., p. 9. Parmi ces
écrivains, nous pensons à Driss CHRAÏBI (Maroc), Karima
BERGER (Algérie), et Albert MEMMI (Tunisie) qui est plutôt
triculturel.
* 122 Ibid., p.
16.
* 123 En 1850 a lieu la
création d'écoles
« arabes-françaises » se destinant à
la formation d'une élite indigène bilingue en Algérie.
L'instruction primaire contenait une dizaine de manuels spécifiques de
la production métropolitaine et autre. Trois établissements
supérieurs ont été créés pareillement sous
le décret Napoléon III, le 14 juillet 1850 à Tlemcen,
Constantine et Médéa.
* 124 Voir, à ce sujet,
l'excellente synthèse de Malika BOUDALIA-GREFFOU,
L'école algérienne de IBN BADIS à
PAVLOV. Alger, Laphomic, 1989, 144 p.
* 125 « ... mon
Orient est aujourd'hui défiguré... dira-t-elle [...].
Nous avons cessé d'être en paix. La modernité
promettait le progrès, mais une seule chose progresse, la peur. La
modernité nous lègue la démesure. [...] Pour se
mesurer il faut un repère, et ce repère est
l'Autre ! ». Karima BERGER, « Le « saut
hors des rangs des meurtriers» », in Cairn.info, mars
2016/3, Paris, SER, pp. 89-90. Source :
https://www.cairn.info/revue-etudes-2016-3-page-87.htm.
Consulté le samedi 31 juillet 2021.
* 126 Le roman en question
paraît d'abord en France, « terre
d'adoption », puis en Algérie, terre natale. Il participe
de ce fait à l'affirmation de ce dualisme qui sous-tend la nature
hybride de l'auteure.
* 127 « Ces
écrivains partent d'ailleurs souvent d'une position d'observateurs,
promenant un regard d'anthropologues sur la rencontre des codes culturels
divers qui donne au Maghreb sa si grande richesse culturelle. ».
Charles BONN & Naget KHADDA, « introduction »,
in Charles BONN, Naget KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.),
Littérature maghrébine d'expression française,
Paris, Edicef, coll. « Universités Francophones »,
1996, p. 17.
* 128 « Les
romans modernes et postmodernes sont déterminés de façon
particulièrement forte par la marque de
l'altérité. ». Manfred SCHONELING,
« Le moi dissocié : Modernité et
hybridité culturelle dans la littérature du XX éme
siècle », in Fridrun RINNER (Dir.), Identité en
métamorphose dans l'écriture contemporaine. Publications de
l'université de Provence (PUP), 2006, p. 11.
* 129
L'hétérogénéité est ainsi perçue
comme un vagabondage d'un monde à l'autre, d'une situation à une
autre, d'un genre à un autre. Elle est la somme de ces individus
métissés, à part. A. MAALOUF les définit comme
étant « des êtres frontaliers en quelque sorte,
traversés par des lignes de fracture ethniques, religieuses ou
autres. ». Amin MAALOUF, Les identités
meurtrières, Paris, Grasset, 1998, p. 13.
* 130 Cependant, il ne suffit
pas d'affecter des propriétés
« historiques » à un genre pour que
celui-ci y subsiste. TODOROV, dans « L'origine des
genres » met en évidence le croisement des genres
antiques avec d'autres qui doivent leur assurer la pérennité
à l'ère présente. Ainsi, les
genres « viennent [...], tout simplement, d'autres
genres. ». Tzvetan TODOROV, La notion de littérature
et autres essais, Paris, Seuil, coll. « Points
essais », 1987, p. 47.
* 131 C'est de la sorte qu'on
a pu parler d'une « langue majeure »
(canonisée) et d'une « littérature
mineure » (non-canonisée). Gilles DELEUZE &
Félix GUATTARI.
* 132 Le « Grand
Code » de « la langue française est
détourné[e],
réapproprié[e] par les
francophones. ». Maud VAULÉON.
* 133 Hakim MAHMOUDI,
« La poésie de Mohammed Dib : entre bris-collage et
bricolage. Éléments d'une esthétique
postmoderne. », Thèse de doctorat en langue
française, Option : Science des textes littéraires, sous la
direction de Charles BONN & Khedidja KHELLADI, ENS d'Alger, 2015-16, p.
254.
* 134 Myriam LOUVIOT,
« Poétique de l'hybridité dans les
littératures postcoloniales. », Thèse de doctorat,
Option : Littérature comparée, sous la direction de
François-Xavier CUCHE, Université de Strasbourg, 2010, p. 7.
* 135 Ahmed CHENIKI,
L'Algérie contemporaine : cultures et identités,
Paris, 2019, p. 65. HAL, archives-ouvertes.fr :
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02281109.
Consulté le jeudi 5 août 2021.
* 136 Myriam LOUVIOT, op.
cit., p. 28.
* 137 Ibid., p. 28.
* 138 Ahmed CHENIKI, op.
cit., p. 39.
* 139 Une littérature
écrite sous-tendue par une littérature orale traditionnelle
(mystique, rituelle...), in Mouloud MAMMERI (Dir.), Littérature
orale : Actes de la table ronde, Alger, OPU, 1982, 170 p.
* 140 Myriam LOUVIOT, op.
cit., p. 7.
* 141 Milan KUNDERA, L'art
du roman, Paris, Gallimard, 1995, p. 30.
* 142 Charles BONN, Xavier
GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), Littérature francophone :
le roman, Paris, Hatier, 1997, p. 22.
* 143 Myriam LOUVIOT, op.
cit., p. 47.
* 144 Hakim MAHMOUDI, op.
cit., p. 263.
* 145 Myriam LOUVIOT, op.
cit., p. 29.
* 146 Charles BONN, Xavier
GARNIER, Jacques LECARME, op. cit., p. 7.
* 147 Jacques DERRIDA,
« La loi du genre », in « Maurice
Blanchot est mort », Colloque, 1979,
réédité in Parages, Strasbourg, Galilée, 2003, p.
253.
* 148 Charles BONN, Xavier
GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), op. cit., p. 19.
* 149 Jean-Philippe MIRAUX,
Le personnage de roman : genèse, continuité,
rupture, Paris, Nathan, coll. « 128 », 1997, p. 11.
* 150 Philippe LEJEUNE, Le
pacte autobiographique, Paris, Seuil, coll.
« Poétique », 1975, p. 44.
* 151 Karima BERGER,
« Le « saut hors des rangs des
meurtriers» », op. cit., p. 88.
* 152 Christiane
CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?
Écrivaines algériennes à l'épreuve du moi :
Karima Berger, Maïssa Bey et Malika Mokeddem, Francofonia,
Université de Cadix, Cristina Boidard (coord.), octobre 2007, p. 4.
* 153 Ibid., p. 6.
* 154 Christiane
CHAULET-ACHOUR & Karima BERGER, Dialogue avec le texte « l'enfant
des deux mondes », in Algérie : Littérature /
Action, (n° 22-23), juin-septembre, 1998, p. 2.
* 155 Dalila BELKACEM,
« Du texte autobiographique au texte romanesque dans «Le
fils du pauvre» de Mouloud Feraoun. », in Insaniyat,
n°? 29-30, juillet-décembre, 2005, p. 165.
* 156 Ibid., p.
166.
* 157 Marion MULLER-COLARD,
« Karima Berger, femme d'un seul monde », in
Réforme, 2016, p. 2.
* 158 En effet,
« toute énigme du genre se tient peut-être au plus
près de ce partage entre les deux genres qui ne sont ni
séparables ni inséparables, couple irrégulier de l'un
sans l'autre dont chacun se cite régulièrement à comparer
dans la figure de l'autre... ». Jacques DERRIDA, op.
cit., p. 253.
* 159 Charles BONN & Naget
KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget
KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., p. 5.
* 160 Les propos de FERAOUN
sont fort significatifs à cet égard : « Vous
savez bien que Fouroulou, c'était à peu près moi. Un moi
enfant tel que je le voyais il y a dix ans. Maintenant il se peut que je le
voie autrement. ». Mouloud FERAOUN, « Lettre
adressée à Mme Handi Benos », le 4 février
1955, in Lettres à ses amis, Paris, Seuil, 1969, p. 131.
* 161 Dominique MAINGUENEAU,
Le contexte de l'oeuvre littéraire : énonciation,
écrivain, société, Malakoff, Dunod, 1993, p. 27.
* 162 Dalila BELKACEM, op.
cit., p. 272.
* 163 Philippe GASPARINI,
Est-il je ? Roman autobiographique et autofiction, Paris, Seuil, 2004,
p. 14.
* 164 Ainsi « les
genres peuvent être des bannières à revendiquer ou, au
contraire, des héritages à dissimuler. »,
Émilie PÉZARD, Les genres du roman au XIX éme
siècle, Colloque, in Calenda - Le calendrier des lettres et des
sciences sociales, juin 2015, p. 2.
* 165 Dalila BELKACEM, op.
cit., p. 166.
* 166 Philippe LEJEUNE,
op. cit., p. 61.
* 167 Ibid., p.
168.
* 168 Christiane
CHAULET-ACHOUR et Karima BERGER, op. cit., pp. 4-5.
* 169 Jean-Philippe MIRAUX,
op. cit., p. 18.
* 170 Georg LUKÁCS,
La théorie du roman, suivi de : Introduction aux
premiers écrits de Georg Lukács, par Lucien GOLDMAN, Paris,
Denoël, 1968, p. 55.
* 171 Philippe LEJEUNE,
op. cit., p. 14.
* 172 Jean-Philippe MIRAUX,
op. cit., p. 18.
* 173 Prise dans la tourmente
des deux langues et l'indécision d'afficher son nom arabe au complet,
elle opte pour une répartition équitable de son héritage
commun. En véritable « passeuse des deux
rives », elle reprend à son compte le nom germanique de
son mari, ou du moins la traduction de son patronyme «Hirt»
(Jean-Michel), en français, «Berger».
* 174 « Les
écrivains sont ainsi amenés à définir leur position
dans un jeu dialectique entre imitation et innovation... »,
Émilie PÉZARD, op. cit., p. 2.
* 175 Christiane
CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ? op.
cit., p. 4.
* 176 Cité par
Jean-Philippe MIRAUX, op. cit., p. 29.
* 177 Cette démarche
est typique du sujet en dédoublement, car elle nous renseigne sur la
dualité de l'être hybride qui, en étant pris
simultanément entre deux cultures, se voit mal attribuer pour nom le
seul qui soit d'origine, c'est-à-dire celui du pays natal, et recourt
généralement à un double lui permettant d'asseoir
véritablement ce qu'il est. C'est le cas de K. Berger et de bien
d'autres qui se reconnaissent dans leur particule étrangère.
* 178 Charles BONN, Xavier
GARNIER, Jacques LECARME, op. cit., p. 5.
* 179 Jean-Philippe MIRAUX,
op. cit., p. 13.
* 180 Ce seraient donc
« les principes d'isolement et d'amplification qui offrent
à l'auteur la possibilité d'accéder à l'universel
humain. ». Jacques DERRIDA, op. cit., p. 66.
* 181 Charles BONN, Xavier
GARNIER, Jacques LECARME, op. cit., p. 20.
* 182 Dalila BELKACEM, op.
cit., p. 172.
* 183
Précisément parce qu'elle est un sujet double :
« D'un côté parce que ses traditions ne le lui
permettent [toujours] pas : se livrer aux étrangers n'en
fait pas partie. Au Maghreb, on garde sa vie pour soi. Et de l'autre
côté, [elle est] aussi lié[e] par des
«contingentes» politiques, économiques, sociales et
historiques. », en un mot, modernes. Ibid., p. 169.
* 184 Christiane
CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?,
op. cit., p. 8.
* 185 Myriam LOUVIOT, op.
cit., p. 334.
* 186 Ibid., p.
312.
* 187 Charles BONN, Xavier
GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), op. cit., pp. 16-17.
* 188 Rachid MOKHTARI, Le
nouveau souffle du roman algérien : essai sur la littérature
des années 2000, Alger, Chihab, 2006, p. 31.
* 189 Christiane
CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?,
op. cit., p. 8.
* 190 Christiane
CHAULET-ACHOUR & Karima BERGER, Dialogue avec le texte « l'enfant
des deux mondes », op. cit., p. 2.
* 191 Christiane
CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?,
op. cit., p. 8.
* 192 Bouba MOHAMMEDI-TABTI,
La société algérienne avant l'indépendance dans
la littérature : Lecture de quelques romans, Alger, OPU, 1986.
Voir plus particulièrement le Chap. I, pp. 27 à 128.
* 193 Christiane
CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?,
op. cit., p. 7.
* 194 Se
référant à la part d'idéologie présente dans
l'Histoire et aux tentations de retournement qui guettent plus à
fortiori le colonisé. Albert MEMMI, Portrait du
colonisé (précédé de) portrait du
colonisateur, Paris, Gallimard, coll. « Folio
essais », 2002, 161 p.
* 195 Myriam LOUVIOT, op.
cit., p. 354.
* 196 Pierre BARBÉRIS,
Le Prince et le Marchand. Idéologiques : la littérature,
l'histoire, Paris, Fayard, 1980, pp. 41-42.
* 197 Myriam LOUVIOT, op.
cit., p. 312.
* 198 Celui-ci se
prévalant de l'« essentialisme
stratégique » dont parle SPIVAK, comme d'un
système à signification stable et anhistorique. Gayatri. C.
SPIVAK, Nationalisme et imagination, Paris, Payot, 2011, p. 78.
* 199 C'est le propre des
littératures postcoloniales, qui ont en commun « leur
indétermination, leur reconnaissance problématique et les
questions qu'elles posent à toute conception monologique de
l'identité. », Charles BONN, Xavier GARNIER, Jacques
LECARME, op. cit., p. 7.
* 200 Lydie MOUDILENO,
Parades postcoloniales : la fabrication des identités dans le
roman congolais, Paris, Karthala, coll. « Lettres du
Sud », 2006, 170 p.
* 201 Christiane
CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?,
op. cit., p. 7.
* 202 Parallèlement
à Bonn qui a observé de près ces littératures de la
post-indépendance et voyant en elles « le retour du
référent ». Charles BONN & Naget KHADDA,
« introduction », in Charles BONN, Naget KHADDA,
Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., pp. 19-21.
* 203 Claude FELL,
« L'autobiographie aux frontières de l'histoire. La
révolution mexicaine dans le récit
autobiographique. », in América, Cahiers du CRICCAL,
« Les frontières culturelles en Amérique
latine », 1993, (série 2 éme / n° 13), p.
229.
* 204 Charles BONN, Xavier
GARNIER, Jacques LECARME, op. cit., p. 17.
* 205 Aussi :
« ce que j'écrivais était porté par tout un
travail antérieur. Jai toujours tenu des journaux, des carnets, depuis
l'âge de vingt ans. », in Christiane CHAULET-ACHOUR,
Écrire ou non son autobiographie ?, op. cit., p.
9.
* 206 Claude FELL, op.
cit., p. 229.
* 207 Christiane
CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?,
op. cit., p. 9.
* 208 Myriam LOUVIOT, op.
cit., p. 103.
* 209 L'auteure étant
de nature métissée, le roman y fait oeuvre de ce
dédoublement : plus encore, il alterne entre les
procédés de narration propres à l'essai, au récit
et à la fiction.
* 210 Ces derniers
relèvent plus, à vrai dire, de la chronique que du récit.
D'ailleurs, c'est uniquement de cette manière qu'elle brosse le tableau
de l'aïeul, c'est-à-dire en suivant de plus près
l'évolution d'une figure familière propre à une
époque donnée.
* 211 Ici, on alterne entre
focalisation interne et focalisation zéro. La régularité
de dédoublement des instances narratives permet de prendre en charge
l'intrusion des formes marquées plus en haut.
* 212 Charles BONN, Xavier
GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), op. cit., p. 13.
* 213 Credo de toutes les
philosophies modernes du langage (formalisme, New criticism, structuralisme/
poststructuralisme, etc.). Antoine COMPAGNON, Le démon de la
théorie, Paris, Seuil, coll. « Essais points »,
1998, chap. 3, pp. 137 à 176.
* 214 Christiane
CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?,
op. cit., p. 7.
* 215 Charles BONN, Xavier
GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), op. cit., p. 5.
* 216 Christiane
CHAULET-ACHOUR & Karima BERGER, Dialogue avec le texte « l'enfant
des deux mondes », op. cit., p. 2.
* 217 Christiane
CHAULET-ACHOUR, Écrire ou non son autobiographie ?,
op. cit., p. 8.
* 218 Vincent FERRÉ,
L'essai fictionnel. Essai et roman chez Proust, Broch, Dos Passos,
Paris, Honoré Champion, coll. « Recherches
proustiennes », 2013, p. 346.
* 219 L'excès de genre
est régit par « une loi d'impureté, un principe de
contamination » d'un genre souverain par un autre mineur, qui
fixe alors « une économie de parasite ».
Jacques DERRIDA, La loi du genre, op. cit., pp. 254 et
256.
* 220 Guido-Mattia GALLERANI,
« L'Essai dans le roman et un cas d'hybridation
générique, l'essai fictionnel. », in Acta fabula,
(vol. 17/ n° 2), février-mars 2016, p. 1.
* 221 Vincent FERRÉ,
op. cit., p. 342.
* 222 L'auteure peut du reste
affirmer : « J'ai hésité entre un essai
ou une fiction car je souhaitais faire un essai sur le dualisme, sur
l'identité. Mais j'avais abandonné la recherche universitaire
depuis de nombreuses années et un tel essai aurait
nécessité des lectures, tout un travail de synthèse. J'ai
donc opté pour la fiction. Et c'est cette écriture qui est
venue... », Christiane CHAULET-ACHOUR & Karima BERGER,
Dialogue avec le texte «l'enfant des deux mondes», op.
cit., p. 2.
* 223 Vincent FERRÉ,
op. cit., p. 476.
* 224 Partant d'un corpus
d'étude constitué de neuf romans appartenant tous à la
première génération des écrivains algériens,
hormis peut-être le dernier, Le village des asphodèles
(Ali BOUMAHDI : 1970) qui lui déborde son cadre d'analyse.
* 225 Bouba MOHAMMEDI-TABTI,
op. cit., p. 12.
* 226 Les effets de ce genre
de narration historique (objective) sur un récit de vie (subjectif) sont
similaires à ceux de l'ekphrasis (descriptions précises et
détaillées) quand ils s'avèrent présents dans le
roman linéaire traditionnel.
* 227
« L'intégration de passages essayistiques dans un roman ne
donne pas, à mon avis, naissance à une nouvelle forme de
récit... » c'est-à-dire à une forme
parfaitement substituée, étant l'affirmation subordonnée
d'un genre au milieu d'un autre. Vincent FERRÉ, op. cit., p.
349.
* 228 On peut croire qu'au
sein de certaines littératures engagées (à l'instar de la
littérature algérienne), le « désir
d'histoire » gagne toutes sortes d'écrits
engendrés (qu'ils soient d'ordre personnel, autobiographique par
exemple... ou publique). V. Beïda CHIKHI, Littérature
algérienne : Désir d'histoire et esthétique,
Paris, L'Harmattan, 1997, 236 p.
* 229
Préambule de Ghania HAMMADI, in Rachid MOKHTARI, La graphie
de l'horreur : essai sur la littérature algérienne,
(1990-2000), Alger, Chihab, 2018, p. 13.
* 230 Jean DERIVE, La
question de l'identité culturelle en littérature, Paris,
2007, p. 3. HAL, archives-ouvertes.fr :
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00344040.
Consulté le dimanche 29 août 2021.
* 231 Cette pratique est une
riposte énergique à l'égard du colonisateur, dans le but
de mettre un terme à la tutelle française. P. BOURDIEU affecte
à la situation diglossique l'appellatif VS, celui d'une
« violence symbolique ». Pierre BOURDIEU &
Jean-Claude PASSERON, La reproduction : Éléments pour
une théorie du système d'enseignement. (Livre I) :
Fondements d'une théorie de la violence symbolique, Paris,
Minuit, p. 22 et sq.
* 232 « La ponte
naturelle serait alors à l'introspection, à l'intimisation d'une
écriture obsédée par son rapport à une langue
maternelle ou paternelle mais, d'une façon ou d'une autre, prise dans
une problématique oedipienne. », Charles BONN, Xavier
GARNIER, Jacques LECARME (Dir.), op. cit., p. 14 et sq.
* 233 Cf. au moment
où la famille se rejoint en choeur : « elles passaient
indistinctement d'une mélodie à une autre, d'une langue à
l'autre... » LDM, p. 5.
* 234 André BELLEAU,
« La dimension carnavalesque du roman
québécois », in Notre Rabelais,
Montréal, Boréal, 1990, p. 150.
* 235 Sabine PÉTILON,
« Multilinguisme et créativité
littéraire, » (Dir.), Olga Anokhina, Louvain-la-Neuve,
Academia/L'Harmattan, coll. « Au coeur des textes », n°
20 », 2012, p. 204. Source :
https://doi.org/10.4000/genesis.1009.
Consulté le vendredi 3 septembre 2021.
* 236 Ce transfert des
langues, quand il s'établit dans le respect des règles
(grammaticales, syntaxiques, etc.) est dit «positif». Dans
le cas contraire, il relève de la confusion et est donc
«négatif». Füsun avl?,
« Interférences lexicales entre deux langues
étrangères : anglais et français », in
Synergies Turquie, (n° 2), 2009, pp. 181-182.
* 237 On aurait tord cependant
de considérer qu'une telle démarche pourrait avoir un rôle
à jouer dans la promotion d'un quelconque unilinguisme (d'État)
au nom de l'auteure, cette dernière ayant alors fait de son oeuvre
l'affirmation pure et simple d'un nouvel espace langagier (multilingue).
* 238 Il arrive parfois que la
syntaxe soit rudement malmenée, pour ainsi dire altérée.
Il ne s'agit plus dès lors ni d'emprunts ni d'interférences, mais
d'OSM (organisme sémantiquement modifié). V.
Samia KASSAB-CHARFI (Dir.), Altérité et mutations dans la
langue. Pour une stylistique des littératures francophones,
Bruxelles, Academia bruylant, 2010, p. 78.
* 239 Manfred SCHMELING,
« Le moi dissocié. Modernité et hybridité
culturelle dans la littérature du XX éme
siècle », in Fridrun RINNER (Dir.), Identité
en métamorphose dans l'écriture contemporaine. Publications
de l'université de Provence (PUP), 2006, p. 19.
* 240 Fridrun RINNER,
« introduction », in Fridrun RINNER (Dir.),
Identité en métamorphose dans l'écriture
contemporaine, op. cit., p. 6.
* 241 Excepté
peut-être pour ce seul passage de l'oeuvre : « Lam yaled
oua lam yaouled », LDM, p. 27.
* 242 Aussi : «
Jamais pourtant l'enfant n'oublia ce cadeau, ce morceau de langue qu'elle
portait en elle comme le signe le plus précieux de son
origine. », LDM, p. 52 et sq.
* 243 Comme le donne à
lire ce passage de L'enfant des deux mondes : «
Ô âme pacifiée, retourne à ton Seigneur
agréant et agrée », LDM, p. 114.
* 244 R. A. LEWIS,
« Langue métissée et traduction : quelques
enjeux théoriques », in Meta, (vol. 48/n° 3),
septembre 2003, p. 411.
* 245 Christiane
CHAULET-ACHOUR, L'écrivain francophone et la langue, p. 2.
Source :
http://christianeachour.net.
Consulté le vendredi 3 septembre 2021.
* 246 L'un et l'autre ne
s'excluent pas cependant. Cf. Yann GIRAUD, Modernisme et
postmodernisme, Cours de Culture Générale - Paris,
Université de Cergy-Pontoise, 2015, p. 5.
* 247 Concept d'Édouard
GLISSANT, in Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, coll.
« Blanche », 1997, 268 p. et Introduction à une
poétique du divers, Paris, Gallimard, coll.
« Littérature générale », 1996, 144 p.
- cf. aussi : « ce que j'appelle le
?Chaos-Monde' [est] un bouleversement total, non seulement des
rencontres de cultures, mais de chaque culture prise en soi changée par
les autres. », ou encore comme « espace où
les cultures occidentales peuvent rencontrer les cultures qui ne le sont
pas... ».Yan CIRET, « Vers le Chaos-monde -
Entretient avec Édouard Glissant », in Chroniques de
la scène monde, Lyon, La passe du vent, 2000, 460 p.
* 248 Christiane
CHAULET-ACHOUR, op. cit., p. 2.
* 249 Harriet. K. HAGGERTY,
« Le texte hybride : Les défis que pose la
traduction », in Expressions - revue internationale de lettres
-, (n° 8.), avril 2019, p. 220.
* 250 Émmanuel FRAISSE,
Littérature et mondialisation, op. cit., p. 162.
* 251 Abdelkébir
KHATIBI, Amour bilingue, Montpellier, Fata Morgana, 1983, 130 p.
* 252 Émmanuel FRAISSE,
Littérature et mondialisation, op. cit., p. 177.
* 253 Ou en tout cas d'un
Occident («Maghreb»/«Couchant») orientalisé :
« Oh ! Après tout, elle n'était pas orientale,
mais occidentale, n'était-ce pas le sens littéral de
«Maghreb», en arabe... » LDM, p. 61. - cf.
aussi : Édward. W. SAÏD, L'Orientalisme : L'Orient
créé par l'Occident, Paris, Seuil, coll. « La
couleur des idées », 2005, 430 p.
* 254 Pierre BARBÉRIS,
op. cit., p. 41.
* 255 En effet,
« l'idéologie n'existe pas dans le texte sous une forme
idéologique mais textuelle. ». André BELLEAU,
Le romancier fictif : essai sur la représentation de
l'écrivain dans le roman québécois, Presses de
l'Université du Québec, 1980, p. 147. Ce qui résume
d'ailleurs l'essentiel de la théorie bakhtinienne.
* 256 Malha BENBRAHIM parle
d'une « poésie publique d'appel... », in
Mouloud Mammeri (Dir.), Littérature orale : Actes de la table
ronde, op. cit., pp. 34-37
* 257 Nous tenons pour exemple
de ces manifestations verbales un bon nombre de pratiques
ésotériques récurrentes dans la littérature
écrite algérienne. Certaines sont à mettre du
côté de l'occultisme (la Bouqala, Timsensit, le Gourara, etc.)
comme relevant de la praxis. De fait, lorsqu'elles apparaissent au sein d'un
texte, elles favorisent aussitôt son insertion dans les deux registres de
langue précités...
* 258 Georg LUKÁCS,
La théorie du roman, op. cit., p. 61.
* 259 Mikhaïl BAKHTINE,
Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque des idées », 1978, p. 88.
* 260 Ibid., p. 160.
* 261 Pour davantage de
détails, voir Tassadit YACINE (Dir.), Les usages sociaux de la
littérature en Afrique du nord, in Awal - Cahiers d'études
berbères, (n° 45-46), 2014-2016, Paris- Boumerdès, Frantz
Fanon, 2021, 238 p.
* 262 Pour une approche
politique de ces langues, voir Mohamed BENRABAH, « La question
linguistique », in Christiane CHAULET-ACHOUR & Yahia
BELASKRI (Dir.), L'épreuve d'une décennie. Algérie,
art et culture 1992-2002, Paris, Paris-Méditerranée, 2OO4,
pp. 83 à 108.
* 263 Des
« murs absurdes » sommes-nous tentés
de dire, en référence à l'ouvrage déjà
cité d'Albert CAMUS. Albert CAMUS, Le mythe de Sisyphe : Essai
sur l'absurde, Paris, Gallimard, coll. « Les classiques des sciences
sociales », 1942, 187 p.
* 264 Charles BONN & Naget
KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget
KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), op. cit., p. 20.
* 265 Cet exil est
déterminé par la double identité de son l'auteure. Il
n'est donc pas (forcément) imposé par l'État, ou du moins
indirectement, ce qui lui permet alors, dans ou en dehors de ses romans, de
circuler d'un espace à l'autre.
* 266 Lydie MOUDILENO,
Parades postcoloniales : la fabrication des identités dans le
roman congolais, op. cit.,
* 267 Ici, c'est la figure du
triangle inversé qui prévaut. Le narrateur, ou indirectement
l'enfant, reprend sa vie du tout début en employant le présent de
narration. On aboutit dès lors, avec ce récit de souvenirs,
à une double prospection.
* 268 Pour l'auteure (nous
avons vu qu'elle entretenait des journaux), ce n'est rien d'autre qu'une
« Renaissance d'une vie, antérieure. ».
LDM, p. 122.
* 269 Gérard GENETTE,
« Discours du récit », in Figures
III, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1972,
285 p.
* 270 M. HARBI définit
ce projet comme étant un « projet de
communauté » et non véritablement un
« projet de société ». Mohammed
HARBI, L'Algérie et son destin : croyants ou citoyens,
Paris, l'Arcantère, 1992, 247 p.
* 271 Pour Fanon,
« la colonisation et son envers (la décolonisation) n'est
rien d'autre que ce rapport de forces qu'il faut inverser. »,
Tassadit YACINE, « Discrimination et violence »,
in Sonia Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique
postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, in Tumultes,
(n° 31), octobre 2008/2, Paris, Kimé, p. 24.
* 272 Pour une approche
socio-psychiatrique (psychopathologique) de ces violences (c'est-à-dire
des violences postcoloniales), voir Mahmoud BOUDARÈNE, La violence
sociale en Algérie, Alger, Koukou, 2017, 128 p.
* 273 Sonia DAYAN-HERZBRUN,
« présentation », in Sonia DAYAN-HERZBRUN
(Dir.), Vers une pensée politique postcoloniale : à
partir de Frantz Fanon, op. cit., p. 6.
* 274 Hervé CARRIER,
Lexique de la culture pour l'analyse culturelle et l'inculturation,
Tournai, Desclée, 1992, p. 41.
* 275 Dans son discours
chargé de souvenirs et de ressentiments, M. BARKA lui réserve
l'expression de « l'effet boomerang ».
Mahmoud BARKA, Le Dilemme de l'Etranger, Béjaïa,
(auto-édition), 2018, p. 116. Cependant, dans LDM, le terme est
délégitimé voire anéantit de nouveau, car, comme le
dit Fanon, il participe d'une autre forme certaine d'aliénation qu'il
conviendrait de dépasser. Ce que réussit à faire
d'ailleurs, au vu de son hybridité, la protagoniste de notre roman.
L'expression peut donc s'utiliser dans les deux sens, à savoir dans le
positif et le négatif, et signifier un retour forcé à
l'autre, au Français.
* 276 Benjamin STORA,
Histoire de l'Algérie coloniale (1830-1954), Alger,
Hibr, coll. « Repères Histoire », 2012, 126
p.
* 277 Tassadit YACINE,
« Discrimination et violence », in Sonia
Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique
postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, op. cit.,
p. 19.
* 278 Ibid., p.
20.
* 279 Ibid., pp.
20-21.
* 280 Autrement dit le
« choc culturel ». Dans le contexte postcolonial,
ce choc résulte d'un « Sentiment de profonde
désorientation qu'éprouvent les personnes et les groupes mis
soudainement en contact avec un milieu culturel dont les traits se
révèlent inconnus. ». Hervé CARRIER,
op. cit., p. 100.
* 281 Édward. W.
SAÏD, L'Orientalisme : L'Orient créé par
l'Occident, Paris, Seuil, coll. « La couleur des
idées », 2005, p. 4.
* 282 Brahim GHAFA,
L'intellectuel et la Révolution algérienne, Alger,
Houma, 2001, p. 12.
* 283 Léopold
Sédar SENGHOR, Anthologie de la nouvelle poésie nègre
et malgache de langue française, précédée de
Orphée noir par Jean-Paul SARTRE, Paris, PUF, coll.
« Quadrige », 1948, 232 p.
* 284 Brahim GHAFA, tout en
citant Fanon, conclue ainsi ses propos sur le nationalisme et la culture :
« Ainsi sont accompagnés à leur dernière
demeure les héros d'hier et d'aujourd'hui. C'est leur fin «
bien que jamais fatigués». ». L'intellectuel et
la Révolution algérienne, op. cit., p. 18.
* 285 Ceux-ci entendent
réaliser l'unité nationale par le devoir de haine qui incombe aux
autres générations postcoloniales. V. Bouba MOHAMMEDI-TABTI,
La société algérienne avant l'indépendance dans
la littérature, op. cit., 304 p.
* 286 Brahim GHAFA, op.
cit., p. 16.
* 287 Rachid ALI-Yahia,
Sur la question nationale en Algérie, Tizi-ouzou, Achab, 2011,
pp. 60-61.
* 288 Tassadit YACINE,
« Discrimination et violence », in Sonia
Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique
postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, op. cit.,
p. 24.
* 289 Xavier YACONO, Les
étapes de la décolonisation française, Paris, PUF,
coll. « Que sais-je », 1982, p. 71.
* 290 Ibid., p. 74.
* 291 Ibid.
* 292 Langue élitiste
érigée par les anciennes et nouvelles aristocraties afin de parer
à la diversité linguistique des populaces. R. ALI-YAHIA consacre
la majeure partie de son ouvrage à la question des langues (et de la
politique linguistique) en Algérie. V. Rachid ALI-YAHIA, Sur la
question nationale en Algérie, op. cit., 235 p.
* 293 Pourtant,
« Ce nationalisme ne doit pas rester à l'étroit. Il
doit épouser les formes de notre temps [afin de se soustraire]
à la diatribe, à la rancune, à l'invective contre l'ex
occupant colonial... ». Brahim GHAFA, op. cit., p.
30.
* 294 Ce titre est en partie
emprunté à Noureddine TOUALBI-THAÂLIBI,
L'identité au Maghreb : l'errance, Alger, Casbah, coll.
« Essais », 2000, p. 50.
* 295 Noureddine
TOUALBI-THAÂLIBI, op. cit., p. 52.
* 296 Ibid., pp.
50-51.
* 297 Ce dévouement
corps et âme à la tradition trouve audience auprès des
basses strates populaires exemptes de « pouvoir
critique » (ou de l'étude épistémologique
de facture historique, pour reprendre M. Arkoun) ; tandis que, parmi les
classes moyennes ou aisées (l'enfant appartenant à une famille
néo-bourgeoise) ayant eu une éducation française, ne tarde
pas à poindre le désir et la volonté de modernisation
propre aux élites intellectuelles modernes. Voir, pour plus de
précisions en la matière, Mohammed ARKOUN, Quand l'islam
s'éveillera, Alger, Hibr, 2009, 252 p.
* 298 Ahmed CHENIKI,
L'Algérie contemporaine : cultures et identités,
op. cit., pp. 39-40.
* 299 Noureddine
TOUALBI-THAÂLIBI, op. cit., p. 58.
* 300 Brahim GHAFA, op.
cit., p. 52.
* 301 Mohammad Abouzeid FADWA,
« Identité et altérité : Le voyage vers
l'Autre et la renaissance de Soi dans La goutte d'or de Michel
Tournier », op. cit., p. 4.
* 302 Beïda CHIKHI,
« Jean Amrouche », in Charles BONN, Naget KHADDA,
Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature maghrébine
d'expression française, op. cit., p. 31.
* 303 Nous pensons à
ces « écrivains publics »
dont parle Dib pour évoquer cette sorte de contrat qui lie les
écrivains algériens à leur peuple.
* 304 Maurice BLANCHOT,
L'écriture du désastre, Paris, Gallimard, coll.
« Blanche », 1980, 224 p.
* 305 Noureddine
TOUALBI-THAÂLIBI, L'identité au Maghreb : l'errance,
Alger, Casbah, coll. « Essais », 2000, p. 77.
* 306 BHABHA voit une
dynamique possible là où FANON envisage la question selon une
binarité colonisé/colonisateur... l'enjeu étant de
transcender les frontières manichéennes au sein même des
dispositions spatiotemporelles.
* 307 Ahmed CHENIKI,
L'Algérie contemporaine : cultures et identités,
Paris, 2019, p. 43. HAL, archives-ouvertes.fr :
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02281109.
Consulté le jeudi 23 septembre 2021.
* 308 Charles BONN & Naget
KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget
KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature
maghrébine d'expression française, Paris, Edicef, coll.
« Universités Francophones », 1996, p. 19.
* 309 Amel MAAFA,
« L'Histoire, lieu de désenchantement dans le roman
algérien post-colonial », in Synergies Algérie,
(n° 26), 2018, p. 100.
* 310 Charles BONN & Naget
KHADDA, « introduction », in Charles BONN, Naget
KHADDA, Abdallah MDARHRI-ALAOUI (Dir.), Littérature
maghrébine d'expression française, op. cit., p.
16.
* 311 Ibid., p.
17.
* 312 Maria-Benedita BASTO,
« Le Fanon de Homi Bhabha : ambivalence de l'identité
et dialectique dans une pensée postcoloniale », in Sonia
Dayan-Herzbrun (Dir.), Vers une pensée politique
postcoloniale : à partir de Frantz Fanon, in Tumultes,
(n° 31), octobre 2008/2, Paris, Kimé, p. 64.
* 313 Pour parodier Ferhat
ABBAS (La nuit coloniale, Alger, Anep, 2005, 190 p.), B. GHAFA parle
de « La nuit postcoloniale » ou de ce qu'il
appelle « la colonisation vers le passé ».
Brahim GHAFA, L'intellectuel et la Révolution
algérienne, Alger, Houma, 2001, p. 12.
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