Le Gabon face à la cybercriminalité: enjeux et défispar Larry Warren DIYEMBOU BOUMAM'HA Université Omar Bongo - Master Géosciences Politiques du Monde Contemporain 2019 |
4.1.3 - De l'intérêt de la sensibilisation et de la formationComme nous l'avons vu dans les développements précédents, le Gabon s'est engagé depuis plusieurs années dans un processus de développement économique porté sur l'utilisation intensive du numérique. Les premiers constats par rapport à ce nouveau paradigme, révèlent que les aspects pédagogiques et de sensibilisation sur les risques de la cybercriminalité,sont très peu mis en avant. Ou s'ils l'ont été, cela reste tout de même insuffisant comme le montre la figure ci-après : Figure 16 : A propos de la cybercriminalité Source : Enquêtes de terrain, décembre 2018- février 2019. La lecture de ce graphique montre que 55% des personnes interrogées, disent ne jamais avoir entendu parler de la cybercriminalité bien qu'en ayant déjà été victime au moins une fois, sans pourtant pouvoir définir exactement de quoi il s'agissait. Cette situation fait état d'un d'illectronisme, un manque de culture et de sensibilisation sur les dangers du numérique. Pour y faire face, l'ANINF avait entamé une campagne nationale de sensibilisation aux notions de cybercriminalité et cybersécurité. Cette campagne s'est étalée durant toute l'année 2018. Et face à l'évolution et la sophistication notamment des menaces informatiques, l'ANINF a décidé de consolider son dispositif de sécurisation des systèmes d'information, tout en cohérence avec sa Politique de Sécurité des Systèmes d'Information (PSSI). Ceci étant, prenant en compte le fait que l'un des maillons les plus faibles de la chaîne de la cybersécurité reste l'Homme, l'Agence avait par exemple organisé une autre vaste campagne de sensibilisation du personnel des Directions Centrales des systèmes d'Information (DCSI) en 2016. Ladite campagne avait deux objectifs principaux : - Sensibiliser les DCSI sur le respect et l'application de la PSSSI dans leurs entités sectorielles respectives ; - Mieux outiller les DCSI sur le respect pour une campagne de sensibilisation des usagers des entités sectorielles dont ils ont la charge. Toutes ces campagnes, qu'elles soient organisées dans le cadre de la sécurisation des systèmes d'information de l'Etat, ou bien à l'endroit des populations gabonaises, doivent inciter la grande majorité des utilisateurs d'Internet dans le pays, à adopter de bonnes pratiques cyber. Cet idéal doit non seulement s'inscrire sur la longue durée mais aussi être une nécessité absolue car comme le montre la figure 16, de nombreux utilisateurs d'internet s'exposent sans forcément le savoir, à de nombreuses cybermenaces. Figure 17 : Des comportements numériques hautement préjudiciables Source : Enquêtes de terrain, décembre 2018- février 2019. La figure montre deux types d'exposition à des attaques cybercriminelles dont sont coupables certains internautes interrogés lors de nos enquêtes de terrain. On peut y voir premièrement que 60% d'entre eux, sont très coutumiers de téléchargements d'applications mobiles « gratuites »,135(*) mais de sources inconnues, tandis que 40 autres, disent cliquer sur des liens internet dont ils ne connaissent pas du tout la provenance. Cette attitude est assez dangereuse car désormais, l'internet mobile du fait de ses utilisateurs massifs, représente un des nombreux univers du cyberespacequi suscitent la convoitise des cybercriminels. De nombreuses intrusions via des applications infectées de virus (vers réseaux, Chevaux de Troie etc.), ont été repérées (BAY et PILLOU, 2016), dans les différentes stores (Apple Store, Google Play Store etc.). S'agissant de ces intrusions en effet, « on s'est aperçus qu'il y avait des arnaques qui avaient pu être élaborées à partir de RAT (Remote Access Tools). En téléchargeant des applications gratuites sur les stores, les victimes téléchargeaient en même temps (et à leur insu), les petites lignes de code dissimulées par le cybercriminel à l'intérieur de l'application. De cette façon, ce dernier a accès à la caméra de votre téléphone, vos différents mots de passe que vous saisirez, et en générale, il a accès à votre vie privée »136(*). Hormis la sensibilisation pour faire face à la cybercriminalité, il faudrait aussi s'appuyer sur la formation des individus à l'outil informatique, en y intégrant des modules cyber par exemple dans tous les parcours scolaires (du primaire au supérieur). C'est dans cette optique qu'en 2017, un accord de partenariat entre Airtel Gabon et l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture(UNESCO), a jeté les bases du programme Train My Generation : Gabon 5000 [Former ma génération : Gabon 5000].137(*) C'est un projet de développement économique porté sur les TIC, qui vise sur trois ans, à offrir à 5000 jeunes âgés de 18 à 35 ans, une formation de base dans le domaine du numérique. Dans sa première phase, le projet donnera aussi une formation en ligne à cent enseignants en science du secondaire pour qu'au final, ces derniers puissent à leur tour fournir une assistance en ligne à 15.000 élèves du secondaire préparant leurs examens de fin d'année. Dans sa deuxième phase, il s'agira pour des groupes plus restreints d'élèves, d'apprendre à développer des applications mobiles, gérer des cyber cafés et mettre en place des centres coopératifs de maintenance. Après un an d'observation, il est possible d'affirmer que le programme commence à porter ses fruits car en juillet 2018138(*), 20 jeunes gabonais lauréats du programme Train My Generation ont reçu leurs attestations de formation. Il faut préciser que ces derniers ont suivi une formation de trois mois en Community management (5), Cybersécurité (5), E-reputation (5) et en maintenance informatique (5). Et selon Thierry NZAMBA NZAMBA, chargé de bureau à l'UNESCO Gabon, ce programme a permis de créer à ce jour, « 14 centres de formation dans les 9 provinces du Gabon dont 13 sont opérationnels ; former 66 enseignants formateurs et 5425 jeunes aux TIC. Par ailleurs, 138 enseignants en E-learning dans les disciplines scientifiques et 135 tuteurs sur l'utilisation des cours en ligne ont également été formés »139(*). Toutes ces initiatives sont doublement encourageantes, mais permettent toutefois d'émettre quelques réserves quant à leur impact réel sur la lutte contre la cybercriminalité de façon globale. En effet, vu sous cet angle, le programme Train My Generation s'inscrit dans la volonté des plus hautes autorités gabonaises de former le plus grand nombre de personnes aux métiers du numérique, et vue sa dimension nationale, il participera aussi aux efforts mis en place pour réduire considérablement la fracture numérique dans le pays. Pour ce qui est des réserves émises quant à la portée de ce programme sur la lutte contre la cybercriminalité, nous nous étonnons du nombre de personnes formées à ce jour, dans le domaine de la cybersécurité (5/20). Un chiffre qui semble assez dérisoire quand on est au fait des enjeux réels de la sécurité informatique. Autre aspect, nous nous interrogeons également sur la capacité véritable de tous ces jeunes formés aux métiers des TIC, à appréhender les enjeux du numérique ? En d'autres termes, pour faire face à la cybercriminalité, suffit-il de former en masse des jeunes aux métiers du numérique, ou cela exige au contraire une méthode de formation beaucoup plus spécifique ? Il existe des écoles ou centres de formation du numérique qui se développent de part et d'autres dans le pays, mais qui n'intègrent pas encore des programmes plus spécifiques et portés sur la cybercriminalité et la cybersécurité. C'est le cas de l'Ecole 241, située au quartier dit Ancienne Sobraga, dans le deuxième arrondissement de Libreville. Ouverte à grande pompes en 2018, « entièrement gratuite et accessible à tous », cette école ambitionne de former 80 jeunes gabonais par année, en développement web et au métier de référent digital. Sauf qu'après avoir parcouru les programmes de ladite école, nous n'y avons vu aucun programme de formation relatif à la cybercriminalité ou la cybersécurité. Ce qui est assez dommage, car l'école gagnerait plus à intégrer ces deux aspects fondamentaux dans ses programmes de formation. Un autre aspect relatif à la formation : le cas de l'Institut Africain d'Informatique (IAI). Créé en 1972, cet Institut a formé des générations d'informaticiens africains. Cependant, au moment où justement IAI aurait dû prendre de l'essor et s'affirmer comme un établissement majeur dans le système de l'enseignement supérieur du Gabon et partant, un vivier en termes d'informaticiens capables de faire face au défi mondial de la cybercriminalité, il est en train de couler et s'effondrer. En effet, l'école se caractérise aujourd'hui par une succession de grèves et autres mouvements d'humeurs à la charge tantôt des étudiants qui réclament la reprise des cours, tantôt par le personnel administratif qui réclame à son tour des arriérés de salaire. Tout ceci fait que durant ces trois dernières années, l'école affiche un bilan assez terne en termes d'années académiques : - Année 2016-2017 : inachevée ; - Année 2017-2018 : blanche ; - Année 2018-2019 : incertaine. Plus de 48 ans après sa création, l'IAI qui fut autrefois l'un des fleurons de la sous-région en termes de fourniture d'ingénieurs informatiques hautement qualifiés, se meurt aujourd'hui. Une situation qui n'est pas forcément de bon augure, quand on sait combien de fois le pays a besoin d'informaticiens justement, afin de faire face au défi mondial de la cybercriminalité. Après ces observations et en restant dans le cadre spécifique du renforcement des ressources humaines dédiées à la cybersécurité et à la cyberdéfense, il serait judicieux de construire des parcours professionnels et de l'expertise de haut niveau. Cette exigence particulière devra entre autres, remplir les fonctions suivantes : - Faire participer les acteurs du numérique à la connaissance et à l'anticipation de la menace cyber et à la maitrise des risques ; - Offrir les outils et les connaissances nécessaires à toute la chaîne des acteurs de la justice pénale dans le domaine de la lutte contre la cybercriminalité ; - Faire participer les acteurs une fois de plus, à l'ingénierie de la cybersécurité, en particulier dans le domaine de la conception et lors de la mise en oeuvre de moyens techniques (chiffrement, pare-feu, détection d'incidents etc.) ; - Encourager des actions de sensibilisation et de formation de la population ; - Renforcer la recherche et développement, la formation, en assurant le lien entre les centres des formations, les universités, les incubateurs numériques etc. ; - Organiser des exercices répétés de simulation bilatérales et régionales de réponse aux menaces et aux attaques dans les secteurs de la cyberpolice, de la cybersécurité et de la cyberdéfense ; - Développer les cursus de formation académique et professionnel plus tournés vers des aspects de cybersécurité et cybercriminalité, afin de mettre rapidement sur le marché ces compétences indispensables. * 135 Il faut se rendre à l'évidence que sur les plates-formes de téléchargement d'applications mobiles ou pour ordinateurs, la gratuité ici n'est pas forcément synonyme d'application efficace. Elle peut au contraire représenter la faille qui permettra au cybercriminel de piéger sa victime. * 136 ARPAGIAN Nicolas, Directeur de la stratégie et des affaires publiques d'Orange cyberdéfense et Directeur scientifique à l'Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice de Paris. Ces propos ont été ténus au cours d'une émission 7 Milliards de voisins qui portait sur la cybercriminalité, et diffusée sur RFI le 20 février 2019. * 137 A retrouver sur : https://www.unesco.org/new/fr/yaounde/gabon-train-my-generation/ * 138 https://www.gabonreview.com/blog/train-my-generation-20-laureats-de-la-composante-iv * 139 Ibid. |
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