Le Gabon face à la cybercriminalité: enjeux et défispar Larry Warren DIYEMBOU BOUMAM'HA Université Omar Bongo - Master Géosciences Politiques du Monde Contemporain 2019 |
1.2.2 - Les représentations géopolitiques pour cerner les conflits dans le cyberespaceLa définition du cyberespace est elle-même source d'antagonismes. En effet, selon que l'on soit dans un milieu académique ou militaire, cette appréhension du cyberespace varie indubitablement. Les universitaires chercheront par exemple à en définir les contours en procédant par des approches méthodologiques pluridisciplinaires, tandis que les militaires eux, y verront un outil stratégique dont la maîtrise et le contrôle leur assurerait un avantage certain sur leurs ennemis. Les utilisateurs lambda à leur tour, l'assimileraient à l'espoir d'une amélioration de la démocratie et de toutes ses déclinaisons, du libéralisme économique, la paix dans le monde etc. Mais tous ces souhaits et revendications, contrasteraient grandement avec les suspicions d'un cyberespace tendant de façon pernicieuse à être le moyen technologique d'une surveillance des masses incarnée ici par Big Brother49(*) et dont l'affaire Snowden 50(*)en est l'illustration la plus marquée. Le concept de représentations géopolitiques ou géopolitique des représentations est central dans la compréhension des conflits se déroulant dans le cyberespace. Kenneth BOULDING rappelait déjà que « les personnes dont les décisions déterminent les politiques et les actions des nations ne répondent pas aux faits « objectifs » de la situation... mais à leur « image » de la situation. C'est la façon dont ils pensent le monde, non pas ce qu'il est en réalité, qui détermine leur attitude »51(*). Au-delà de cette définition de BOULDING, il y a lieu de retenir qu'en dépit du fait de s'appuyer essentiellement sur des faits objectifs, une représentation est d'abord basée essentiellement sur un caractère subjectif. Prenons par exemple le cas d'un conflit ; en effet, lors du déroulement de ce dernier, les représentations géopolitiques ne sont pas neutres, au contraire, elles peuvent traduire et légitimer des discours, justifier telle ou telle autre action et plus encore, rassembler ou opposer des acteurs. Mais par-delà ces considérations, nous sommes tout de même d'avis à penser comme Frédéric ENCEL que, « la représentation reste sans doute le concept le plus original, l'outil le plus efficient dans le raisonnement géopolitique »52(*). Le cyberespace n'étant pas constitutif d'une mais de plusieurs représentations à la fois (qui parfois s'accordent et d'autres fois s'opposent), il serait utile ici de donner un aperçu des principales représentations qui conduisent à des rivalités de pouvoir et pèseraient ainsi telles des menaces sur cet espace particulier. La première représentation va de ce qu'étant le produit d'une évolution séquencée des TIC, le cyberespace constituerait un espace de liberté et serait responsable de la démocratie mais aussi des progrès économiques et sociaux dans le monde. Cette représentation est renforcée non seulement par toute la contre-culture américaine incarnée par cette vague contestataire des campus californiens dans les années 1960 et 1970, mais aussi et surtout par cette littérature de la fin des années 1970 et du début des années 1980 dont William Gibson (auteur de l'ouvrage de référence en la matière sur le cyberespace, Neuromancer), en est la principale figure de proue. Mais cette vision libertaire du cyberespace se heurte violemment avec les représentations des différents acteurs qui s'assurent de son bon fonctionnement mais aussi de sa gouvernance. Alix DESFORGES indique à ce sujet qu' « en matière de gouvernance, les débats sont souvent résumés de façon dichotomique, opposant la représentation d'un cyberespace libre, comme aux Etats-Unis, aux pratiques de contrôle de l'information dans le cyberespace en vigueur en Russie et en Chine ».53(*) La deuxième représentation du cyberespace peut très bien s'arrimer à la première, notamment sur le plan de la virtualité spatiale. Elle aura alors pour but de donner naissance à une représentation territoriale du cyberespace même si en géographie, la notion de territoire renvoie à une étendue physique où vivrait un groupe humain dirigé par un gouvernement. Cependant, « s'il est établi que le cyberespace ne représente pas une portion de l'espace terrestre, il aurait néanmoins, pour des acteurs, certaines caractéristiques territoriales : une population (les internautes) et son propre mode de gouvernance (l'autorégulation) »54(*). L'immatérialité des frontières générées par le cyberespace pose un véritable défi pour les Etats car, ce nouvel espace vient complètement remettre en cause l'exercice classique de leur pouvoir et surtout de leur autorité. La notion de souveraineté dans le cyberespace prend alors ici tout son sens comme le démontre le fait que plusieurs Etats très avancés en matière de numérique, se représentent le cyberespace comme étant un cinquième domaine des opérations militaires (bien sûr après les domaines terrestre, maritime, aérien et spatial). Néanmoins,ces deux représentations du cyberespace (l'une comme espace de liberté pour les fervents défenseurs de la liberté d'expression, et l'autre comme entité spatialisée dont il faudrait nécessairement avoir le contrôle), se confrontent de la façon la plus radicale qu'il soit. En effet, ces représentations « légitiment des attaques informatiques (dans le cas des Anonymous), justifient le développement des moyens financiers, humains et techniques (pour les Etats) que certains dénoncent comme une militarisation du cyberespace »55(*). De ces rapports de force issus des deux premières représentations, en découle une troisième, notamment celle du cyberespace comme vecteur de nouvelles menaces. Notion susceptible de prendre les formes les plus diverses, la cybercriminalité ne facilite pas son appréhension immédiate car par exemple, les méthodes d'attaque utilisées lors d'une attaque sur un individu, peuvent être aussi utilisées lors d'une cyberattaque de grande ampleur qui viserait la déstabilisation d'un Etat à travers un sabotage de ses systèmes d'information. On remarque dans ce cas que ce caractère protéiforme participe à faire de la cybercriminalité une notion confuse sur l'état réel des menaces qu'elle fait peser à tout un ensemble d'acteurs. La conséquence logique de cet état des faits est le renforcement d'un sentiment de confusion globale. Le terme de cyberespace n'est pas non seulement neutre, mais participe à véhiculer plusieurs représentations qui se transforment alors en véritables outils géopolitiques. On retient au sortir de ces développements, que l'un des principaux fondements de la cybercriminalité comme objet d'étude en géopolitique, s'articule autour de la notion centrale de représentations géopolitiques ou géopolitique des représentations. * 49 Expression anglaise qui signifie littéralement en français « Grand Frère », Big Brother est un personnage de science-fiction du roman intemporel 1984 de l'écrivain, essayiste et journaliste britannique George Orwell. De nos jours, cette expression est utilisée pour pointer du doigt toutes les pratiques ou institutions qui portent grandement atteinte aux libertés fondamentales et à la vie privée des individus. * 50 Cette affaire Snowden fait référence à un scandale mondial d'espionnage sur Internet et plusieurs autres objets connectés, principalement par la National Security Agency (NSA) américaine. En outre, sur une période allant de juin à décembre 2013, Edward SNOWDEN, ex agent de la Central Intelligence Agency (CIA) et consultant de la NSA, aurait transmis plus de 1,7 millions de documents jugés top secret à deux journalistes (Glenn GREEWALD et Laura POITRAS) du journal anglais The Guardian. Il s'avère que ces documents auraient été ensuite rendus publics et repris par plusieurs autres médias célèbres tels que The New York Times ou The Washington Post, à travers plusieurs articles de presses. * 51 KENNETH BOULDING, in Stéphane ROSIERE, op.cit., p.12. * 52 ENCEL Frédéric, Comprendre la géopolitique, Paris, Edition du Seuil., 2009, p. 65. * 53 Alix DESFORGES, « Les représentations du cyberespace : un outil géopolitique », Hérodote Revue de Géographie et de Géopolitique, n° 152-153, 1er - 2e trimestre 2014, p.73. * 54 Ibid. * 55 Ibid. |
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