De la diversité culturelle, linguistique et migratoire à l’établissement du locuteur en langue franà§aise. Cas d’adultes migrants à Bruxelles.par Stéphanie NASS Université de Bourgogne - Master 2 Recherche didactique du franà§ais 2014 |
1.3. Le cas de la région Bruxelles-CapitaleLa typologie explicative qui va être exposée dresse le décor de notre milieu d'investigation. Elle est destinée à ancrer les profils des locuteurs de la région Bruxelles-Capitale, en les 20 Source électronique : page officielle du « Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides » : http://www.cgra.be/fr/Actualites/bilan_des_statistiques_d_asile_2013.jsp, visitée le 10.07.14. 21 L'Office des Étrangers est chargé de la gestion de la population immigrée en Belgique. Il travaille en étroite collaboration avec d'autres instances, telles que les ambassades et consulats, les administrations communales, les services fédéraux de police, l'inspection sociale, etc. 20 situant par rapport aux vecteurs, buts et aspects des mouvements migratoires. Auparavant, il faut rappeler que le voyage est par définition une épreuve initiatique même si parfois il ne procure pas toutes les joies escomptées. En effet, l'itinérant doit apprendre de l'autre, qu'il y soit préparé ou non. Derrière le migrant qui s'éveille aux nouvelles terres, il y a la famille mais aussi les autochtones. Ainsi, l'individu novice devient l'émissaire de lui-même, de ses proches ainsi que de son héritage culturel. Une situation complexe qui se joue au coeur de la capitale européenne. De prime abord, il faut constater que par son statut de métropole cosmopolite, Bruxelles est le passage obligé de l'immigration internationale dans le pays. Des études quantitatives récentes (Hermia, mars 2014) démontrent que la concentration de nouveaux arrivants est plus marquée dans cette Région du Royaume. Selon Lucchini (2006 : 117-118), on dénombre trente-six communautés migrantes dont le numéro de langues reste indéterminé car l'évaluation linguistique est illicite en Belgique depuis 196222. La ville telle que nous la connaissons aujourd'hui est le résultat de toute une série de flux migratoires historiques. La population de Bruxelles constitue dès lors un paysage culturel et linguistique très hétéroclite. Elle accueille, par ordre décroissant, des Français, des Marocains, des Italiens, des Roumains et des Polonais. Au vu des analyses des trajectoires et dynamiques migratoires, on se rend compte que la mobilité la plus importante, en matière d'initiatives, demeure celle du peuple marocain (Frennet-De-Keyser, 2004 : 329-354). Contrairement à ses voisins européens, l'État Fédéral belge n'a jamais eu de colonies au Maghreb. C'est par le biais des conventions bilatérales de 1964, corollaires aux besoins ouvriers, que se tissent des liens abscons entre les deux pays. Pour ce faire, une brochure « Vivre et travailler en Belgique »23, promettant une vie meilleure, est alors répandue en Afrique du Nord. Graduellement, à partir des années quatre-vingts, l'abandon du projet de retour vers le pays d'origine a entraîné d'importantes modifications sociales. En réalité, l'installation irréversible en terres belges s'est accompagnée du désir d'une qualité de vie supérieure. Les Marocains aspirent à une sécurité financière, urbanistique 22 Le dénombrement des langues maternelles est interdit dans un souci de prévention des antagonismes linguistiques. De la même manière, la typologie des communautés linguistiques est bannie depuis 1947. Cf. Boudreau, Dubois, Maurais, Mc Connel (2002 : 275). 23 Brochure « Bienvenue en Belgique », 1964, Ministère de l'Emploi et du Travail, Bruxelles. 21 et relationnelle. Nonobstant, l'absence de politique publique d'hospitalité envers les récents arrivants était flagrante. Ce sont donc les syndicats ainsi que les associations qui reprendront le rôle de l'État. De nombreuses initiatives voient le jour et celle qui retiendra, dans le cadre de ce travail universitaire, toute notre attention, est portée par un immigré marocain : Mohamed El Baroudi. Se décrivant tel un « exilé politique », El Baroudi est un intellectuel maghrébin venu en Belgique dès 1966. Très rapidement, il se sent le devoir de venir en aide à ses compatriotes fraîchement débarqués en « gare de l'espoir »24. Ces nouveaux voyageurs viennent en général des campagnes ou des montagnes du Maroc. Là où l'on vit aux rites musulmans, bercés par les arabes littéraire et dialectal. Autant dire que leurs connaissances de la citoyenneté belge et de la langue française étaient inexistantes. Dans ce contexte, El Baroudi se livre à l'organisation des travailleurs migrants au travers de structures syndicales. En outre, il s'investira dans la création d'Écoles De Devoirs (EDD) 25 et d'alphabétisation « Lire et Écrire »26. Parallèlement, il fondera, à la fin des années soixante-dix, les Écoles de quartier l'Avenir 27 à Saint-Gilles, Schaerbeek, Molenbeek et Saint-Josse. 28 Encore une fois, El Baroudi croyait que les Associations Sans But Lucratif (ASBL) seraient temporaires : la migration de retour vit dans tous les esprits. Tout travail de recherche exige l'explicitation, d'un point de vue définitoire, de sa théorie contextuelle. C'est pourquoi, une présentation historique des migrations en territoire belge a été proposée afin de mieux appréhender le parcours de vie des locuteurs. Et également, 24 La « gare de l'espoir » correspond à la gare de Bruxelles-midi. Située sur la commune de Saint-Gilles, c'est là qu'arrivait la plupart des immigrés. L'expression entre guillemets est extraite d'un témoignage de migrant marocain que nous évoquerons ultérieurement (cf. entretien individuel 3). 25 Les EDD sont nées en Wallonie et à Bruxelles dès 1973 suite à une expérience menée en Italie. Elles ont pour missions d'aider les élèves (généralement d'origine étrangère) dans leur parcours scolaire mais aussi citoyen, afin de réduire les inégalités sociales. 26 Spécificité belge en termes d'apprentissage du français, l'association a été créée en 1983 à Bruxelles. Unie avec le mouvement ouvrier, elle prône l'égalité des chances au travers de l'alphabétisation. 27 Avec le concours de l'Union Nationale des Étudiants du Maroc (UNEM) et du Regroupement Démocratique Marocain (RDM). Source : Khoojinian M., 2014, « Des Écoles de l'Avenir au Centre Interculturel de Formation par l'Action (CIFA), un soutien scolaire citoyen et participatif », Les Cahiers du Fil Rouge - L'immigration marocaine, 50 ans d'histoire associative à Bruxelles, n°20, Bruxelles, ASBL Collectif Formation Sociale, p.75. 28 Quartiers stratégiques où étaient installés les travailleurs immigrés à leur arrivée. En effet, ils se situent au carrefour du canal de Charleroi, de la voie de chemin de fer et des industries. 22 d'observer que « la grande histoire est reliée à la petite histoire »29. Par la suite, nous avons privilégié une typologie illustrative des mouvements migratoires, inspirée par C. Wihtol de Wenden pour son caractère contemporain percevable par notre expérience. Enfin, nous avons ciblé la Région de Bruxelles-Capitale en matière de mobilité pour démontrer en quoi elle constituait le point d'ancrage de notre étude. |
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