Quête bigmaniaque et légitimation politique locale des élites urbaines au Cameroun. Cas de l'arrondissement de Zoétélé.par Julio Herman Assomo Université de Yaoundé 2 - Master en Sciences politiques 2013 |
ABSTRACTThe wind of the liberalization that flew in Africa at the beginning of the 90's brought a new dynamic in the political arenas of some countries among which Cameroon. In fact, the return to the multipartism and, especially the access to the political competition in that country opened a way for some new political actors. These political actors, among whom the urban elites, and the big men, inter alia, have reached the political arena whit the aim to reach thear objectives. The ambition to win constituted for those political entrepreneurs, a plinth for a multitude of strategies, set for the quest of political legitimacy; among those strategies, there is bigmanism, which is a phenomenon tied essentially on redistribution; with the aim to grow the giver's popularity. Seen how competitive is the political arena, that bigmanism appears as what is agreed to be called the bigmaniac quest, that is to say, an hegemonic derivation of the redistribution as a mode of legitimation putting the political entrepreneurs into a competition. This study was based on the subdivision of Zoétélé's political arena. The analyses shown that the bigmanism phenomenon, under its competitive prism is out there. The political entrepreneurs, whose are overall the urban elites, resort it incessantly. That bigmaniac quest leads certainly to the expected result, bringing some of those who use it to their expected objectives, the political legitimacy. However, the said bigmaniac quest doesn't always lead to that political legitimacy. The quest of the political legitimacy, through the multiple realizations of the urban elites certainly influences the Zoétélé subdivision's development. KEY WORDS:Bigmanism, Capital social, Political legitimation, Urban elites, Big men. INTRODUCTION GENERALEL'entrepreneuriat politique répond à un certain nombre de réalités dont les plus marquantes sont d'ordre socioculturel et confortées par des « logiques [dites] du terroir »1(*) en rapport avec la dynamique de la vie politique dans le contexte africain. Les acteurs politiques sont ainsi amenés à construire leurs carrières sur des bases objectives certes, mais aussi et surtout en s'appuyant sur leurs localités d'origine. Ainsi, entreprendre une carrière politique au Cameroun nécessite dans la plupart des cas, d'avoir au préalable une base locale sur laquelle s'appuyer ; «il faut être connu» pour emprunter l'expression à Dogan Mattei.2(*)Il s'agit, en plus de l'appartenance à un parti politique ou de sa création par l'entrepreneur politique concerné, d'avoir une certaine légitimité au sein de sa communauté socioculturelle ; ladite légitimité permettant à ce dernier d'assoir son influence en tant qu'élite politique.3(*)De plus, ce souci de visibilité locale peut être porté par deux principales motivations d'après Séverin Cécile ABEGA4(*) ; notamment le lien affectif et la nécessité de garder sa place dans sa communauté de départ, place que l'élite en question est appelée à entretenir d'une manière ou d'une autre, sinon elle se perd, ou devient floue. La politique dans ce contexte est fortement liée à la base qui cependant, sait mobiliser sa position pour profiter des élites en quête de légitimité.5(*)Il s'agit des diverses formes de pressions exercées par cette base là pour jouir des produits matériels et symboliquesprocurés par l'aspirant; entre autres, des multiples biens et services relevant du capital social développé par ce dernier. Il en ressort que par le truchement de cette forme de redistribution, les élites peuvent accéder à la consécration politique escomptée. C'est dire que le développement d'un capital social est un préalable précieux quant à la quête de légitimité au sein de la localité qui, faut-il le souligner, constitue un théâtre de la vie politique ayant des répercussions à l'échelle nationale dans la mesure où celui-ci est un lieu de confrontation entre les élites politiques.6(*) Autrement dit, l'obtention de la légitimité politique passe par la transformation par les élites, de leur capital social en capital politique.7(*)Cependant, ces élites se heurtent dans la majeure partie des cas, à l'adversité de leurs semblables ayant les mêmes aspirations. Ce qui explique le caractère compétitif et relativement hostile que revêt ledit processus de légitimation politique. Cette légitimité représente enfin le billet d'accès à des postes électifs, entre autres. C'est en cela que tient le phénomène de quête bigmaniaque8(*) quant à la recherche de légitimité politique par les élites urbaines. Le but de la présente étude, dont le titre est : « Quête bigmaniaque et légitimation politique locale des élites urbaines au Cameroun : le cas de l'arrondissement de Zoétélé », est d'étudier à partir de l'observation d'une localité, l'influence de l'activité bigmaniaque et son impact non seulement sur le processus de légitimation des élites urbaines mais aussi sur la localité elle-même. Il s'agira d'analyser entre autres les trajectoires de transformation du capital social et symbolique des élites urbaines en capital politique àtravers les logiques dites bigmaniaques, et ensuite d'en éprouver la portée quant à ladite légitimation politique et son influence sur le développement de la localité. Comme tout travail scientifique s'appuie sur un objet bien défini et analysé à travers une méthodologie bien rigoureuse, nous voudrions au préalable, afin de ne pas déroger à la règle, clarifier au préalable les concepts (I) ; faire ensuite une revue de la littérature (II) dont le parcours des travaux antérieurs sur la question permettra une meilleure situation de notre objet d'étude et le lieu d'en éprouver la spécificité. Puis s'en suivra la problématique (III) et le bloc des hypothèses (IV) qui seront au coeur de notre développement, la détermination du champ d'analyse (V) et enfin les considérations méthodologiques (VI). I - LA CLARIFICATION CONCEPTUELLEEmile Durkheim affirme que : « la première démarche du sociologue doit être de définir les choses dont il traite afin que l'on sache bien de quoi il est question ».9(*)Madeleine Grawitz s'inscrit dans la même logique en précisant que le concept « c'est une représentation mentale universelle et abstraite, obtenue en retenant les aspects essentiels de l'objet. La définition est la délimitation par ses caractéristiques du domaine de la recherche ».10(*) Dans notre étude, les concepts : élite, quête bigmaniaque et légitimation politique feront ici l'objet d'une clarification. A. Elite/ élitesN'ayant aucune prétention d'émettre une définition universelle et unanime de la notion d'élite/ élites, nous parcourons, dans le cadre de la présente étude les approches les plus pertinentes en la matière, vue la polysémie dont peuvent faire l'objet certaines notions comme celle-ci en science sociales. La notion d'élite fut systématisée en 1916 par Pareto Vilfredo11(*)dont les travaux font partie de la théorie classique (avec Mosca, Michels, Mills, entre autres). Cet auteur analysera ce concept sous un double prisme mettant en valeur son aspect général, tout en soulignant un autre, plus restreint. Du point de vue global, « les élites » renvoient à l'ensemble de ceux qui, dans les diverses activités, se sont élevés en haut de la hiérarchie et occupent des positions privilégiées que consacre l'importance soit des revenus, soit du prestige.12(*)Il s'agit de ceux qui excellent dans leurs divers secteurs d'activités et domaines socioprofessionnels. Pareto définit « les élites » comme des « catégories sociales composées d'individus ayant la note la plus élevée dans leur branche d'activité ».13(*) De ce point de vue, cet auteur parle des « individus qui occupent les couches supérieures, dans la figure qui représente la distribution du génie mathématique ou poétique » voire de leur domaine d'activité, et, qu'il conseille de distinguer avec « ceux qui occupent les couches supérieures, dans la figure qui donne la distribution de la richesse. ».14(*)De plus, Pareto appuie sa démarche sur des indices de comparaison des niveaux de performance entre des individus placés dans de différents champs d'activité quelconques au sein de la société. Il parle ainsi de « l'élite sportive », de « l'élite militaire », de « l'élite ouvrière » ou encore de « l'élite intellectuelle», entre autres. De ce fait, cette globalité indique la pluralité catégorielle des élites plus que l'hétérogénéité potentielle d'un groupe social. Du point de vue restreint, « l'élite » apparait comme un groupe dont la définition même est fondée sur l'exercice du pouvoir : « l'élite gouvernementale » ou classes dirigeantes, qui détient effectivement le pouvoir, et « « l'élite non gouvernementale » ou classes dominantes, qui sans exercer le pouvoir soutient la précédente et sert éventuellement d'intermédiaire entrel'élite dirigeante et la masse »15(*)De ce point de vue, l'élite renvoie à une minorité de personnes qui dirigent ou influencent d'une manière ou d'une autre la vie sociopolitique. Mills la désigne comme étant l'« élite du pouvoir »,16(*) R. Aron de « classe politique »16(*) et Bottomore d'élite dirigeante.16(*) Gaetano Mosca parle lui de « classe politique dirigeante »16(*)pour désigner la minorité dominante, c'est-à-dire, celle qui détient le pouvoir dans une société. D'après ce dernier, « dans toutes les sociétés, depuis les moins développées et civilisées jusqu'aux plus avancées et puissantes, apparaissent deux classes de gens- une classe qui gouverne et une classe qui est gouvernée. La première, toujours la moins nombreuse, assume toutes fonctions politiques, monopolise le pouvoir et jouit des avantages qu'il entraine ».16(*) Cette minorité organisée et consciente constitue une classe sociale. De ce fait, elle est dotée d'une communauté de pensée, d'intérêts, de culture, de parenté et de puissance économique. Cette élite impose à la majorité ses valeurs et ses principes de légitimité. Enfin, elle est constituée d'un noyau central dirigeant, c'est-à-dire, «les chefs supérieurs », plus puissants que les autres, notamment les «chefs secondaires». Le premier groupe assure la cohésion et la force en même temps que le commandement de l'ensemble. L'élite pour Charles Wright Mills se compose de ces hommes d'envergure «qui ont le plus de tout ce qu'il faut avoir, c'est-à-dire généralement l'argent, le pouvoir, le prestige et tous les styles de vie que ces choses permettent».17(*) Robert Dahl lui, pense que dans les démocraties pluralistes, le pouvoir des élites s'apparente à une polyarchie en raison, notamment, de la multiplicité des ressources et de la diversité des organisations. De ce fait, le pouvoir politique n'est pas détenu par un seul groupe social homogène, mais par une multiplicité d'élites économiques, administratives ou culturelles quisont contraintes de s'allier selon les circonstances et de former des compromis pour pouvoir diriger.17(*) Dans la même lancée, Guy Rocher souligne que l'élite renvoie aux personnes ou groupe de personnes qui par suite du pouvoir qu'ils détiennent ou l'influence qu'ils exercent contribuent à l'action historique d'une collectivité, soit par les décisions qu'ils prennent, soit par les idées, les sentiments ou les émotions qu'ils symbolisent.18(*) Dans le même ordre d'idées, mais d'un point de vu plus restreint, KengneFodouop souligne que l'élite représente des personnes ayant réussi une carrière dans un domaine quelconque (secteur économique, politique, administratif) et qui contribuent de diverses manières au développement de leurs localités, ceci pour des motivations personnelles, civiques ou encore économiques.18(*) Cette dernière approche est celle sur laquelle le présent travail s'appuiera de façon globale. Le but étant de démonter dans quelle mesure les élites urbaines se livrent (de façon directe ou indirecte) une concurrence en confrontant entre autres leurs influences ; influences liées à leurs capital social, notamment leurs capacités de redistribution à travers diverses actions dans le but de s'imposer dans le champ politique concerné ; l'arrondissement de Zoétélé en l'occurrence. Notons enfin que dans le cadre de notre étude, le concept d'élites urbaines s'apparente à la conception d'Ibrahim Mouiche19(*) qui relève que les élites urbaines sont des composantes politiques, économiques et intellectuelles qui, en fonction des ressources et investissements qu'elles multiplient en direction de leur région d'origine, y exercent une influence politique et y établissent des liens de «dépendances» auprès de la population19(*). * 1 BAKO-ARIFARI, Nassirou ; 1995, « Démocratie et logique du terroir au Bénin». in Politique africaine, nr. 59 :7-24. « Par logiques de terroir, il faut entendre l'ensemble des mécanismes et modes d'interférence des considérations d'ordre villageois dans l'exercice quotidien des activités politiques et dans le processus de promotion des élites au niveau national ». * 2Dogan MATTEI ; 1967, « les filières de la carrière politique en France ». in Revue française de sociologie, 8-4, pp 468-492. * 3 ABE, C, « espace publique et recompositions de la pratique politique au Cameroun » in polis/RCSP/CPSR. Vol 13, Numéros 1-2. * 4 Cité par YANKEU YANKEUYanik ; 2008, in «l'évaluation à mi-parcours des projets de développement communautaire : le cas des puits à pompe du projet d'appui au développement communautaire (PADC) de Mebomo et de Bikogo (centre-Cameroun)». Mémoire de Master en développement et management des projets en Afrique. Université catholique d'Afrique centrale, Yaoundé. * 5LAURENT PIERRE Joseph ; Le « big man » local ou la « gestion coup d'État » de l'espace public », Politique africaine 4/2000 (N° 80), p. 169-181 * 6KENGNE FODOUOP ; 2003, Citadins et développement des campagnes au Cameroun, Paris, Harmattan. * 7Dogan MATTEI ; op. cit. p 475 * 8Daloz, J.P, concepteur de la notion de quête bigmaniaque comme étant «le souci [des big men] de s'ériger en figure politique dominante, écrasant toute concurrence [...] ». Cité par MOUICHE. Ibrahim, in cours d'anthropologie politique, Master 2, science politique, université de Yaoundé 2-SOA, avril 2014. * 9 DURKHEIM, E. ; 1894, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Quadrige * 10GRAWITZ M ; 1993, Méthodes des sciences sociales, Dalloz, 9ème éd * 11 V. Pareto, 1968, Traité de sociologie générale. OEuvres complètes : tome XII. Librairie Droz. * 12Aron R; 1971, « Classe sociale, classe politique, classe dirigeante » in BIRNBAUM et CHAZEL, Pp. 132-133 * 13R. Bourdon, 1990, Dictionnaire critique de la sociologie, Paris. Cité par Leferme-Frédérique et Van Renterghem Vanessa in « le concept d'élite » Approches historiographiques et méthodologiques, Hypothèses, 2000/1 p. 55-67. * 14Leferme-Frédérique et Van Renterghem Vanessa in «le concept d'élite» Approches historiographiques et méthodologiques, Hypothèses, 2000/1 p. 55-67. * 15Wright Mills C; 1956, The Power Elite. 16Ibid. 17Aron R. 1971.Op. Cit. 18Busino G cité par Coenen-huther, 2004, sociologie des élites, Paris, Arman collin, 19Mosca G; 1896, Elementi di Scienzepolitica. * 16Mosca G; 1896, Elementi di Scienzepolitica.OPcit * 21Wright Mills C, Op. cit. * 17DAHL. R; 1961, Who governs ? 23 Rocher.G, 1992; Introduction à la sociologie générale: l'action sociale, l'organisation sociale, le changement social, vol.1. Hurtubise HMH, 3è éd. 685 p. * 18KENGNE FODOUOP; op. cit. * 25 MOUICHE, I. ; 2005,Autorités traditionnelles et démocratisation au Cameroun entre centralité de l'État et logique de terroir, Munster, LIT VERLAG, pp 49. 26 MOUICHE, Ibrahim, cité par NUEMBISSI KOM, Paul in «élites urbaines et politique locale au Cameroun : Le cas de Bayangam ». Mémoire de Master en science politique, université de Yaoundé 2, 2007. |
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