Institut d'Histoire de l'Art
UFR des Sciences Historiques
Université de Strasbourg
La représentation de la
maternité dans la création
contemporaine : de la
libération sexuelle à nos jours
Mémoire de Master 2
Sous la direction de Valérie Da Costa
FEVRIER Jennifer
Juin 2012
2
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Table des matières
Remerciements 5
Avant-propos 6
Introduction 7
I. De l'histoire de la maternité: la
spécificité française 10
A. XVIIIe siècle : l'Emile ou l'appel
à la maternité 10
B. Fin XIXe - début XXe :
l'émergence d'une conscience politique féminine - première
vague de
féminisme
2nde
C. L'après Guerre Mondiale: la deuxième vague du
féminisme
|
11
15
|
|
1.
|
La libre disposition de son corps
|
15
|
|
2.
|
Histoire de la contraception
|
17
|
|
3.
|
Maternité : affaire privée, affaire publique.
|
19
|
|
4.
|
Les opposants
|
20
|
|
5.
|
Une lutte de femmes pour les femmes
|
22
|
II.
|
Maternité et féminisme en art
|
23
|
A.
|
|
La seconde vague féministe
|
23
|
|
1.
|
Plus fortes ensembles
|
23
|
|
2.
|
Nouvelle esthétique au féminin
|
24
|
|
B.
|
|
De la question de la maternité au sein des mouvements
féministes
|
26
|
|
1.
|
Les artistes révélées par la
maternité
|
27
|
|
2.
|
Le féminisme essentialiste
|
30
|
|
3.
|
Le féminisme égalitaire
|
32
|
|
4.
|
Contre le principe « Kinde, Küche, Kirche »
|
34
|
|
C.
|
|
La psychanalyse et la maternité: la femme
nécessairement mère
|
40
|
|
1.
|
La théorie de la féminité selon Freud
|
41
|
|
2.
|
Selon Lacan via Dolto :
|
43
|
|
3.
|
La mère dévorante :
|
44
|
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3
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
III.
A.
|
|
Maternités divines
Désacralisation du symbole de la Vierge Marie
|
46
46
|
|
1.
|
Le Verbe : véritable incarnation
|
47
|
|
2.
|
Faire la lumière sur la parturition de la Vierge
|
49
|
|
3.
|
Si Marie était une mère comme les autres
|
53
|
|
4.
|
Redonner corps à l'Immaculée Conception
|
55
|
|
B.
|
|
Déesses-mères
|
58
|
|
1.
|
Déesse et terre-mère : le retour à l'origine
|
58
|
|
2.
|
Créatrice cosmogonique
|
62
|
|
3.
|
Parallèle mythe créateur et artiste-femme
|
67
|
|
4.
|
Le matriarcat comme héritage féminin
|
68
|
IV.
|
|
« Notre corps, nous-mêmes »
|
71
|
A.
|
|
Réinvestir le corps
|
71
|
|
1.
|
Le sexe
|
72
|
|
2.
|
Le sein
|
76
|
|
3.
|
Le ventre
|
83
|
|
4.
|
Fluides féminins: le sang et les menstruations
|
86
|
|
B.
|
|
L'expérience de la maternité: le corps de la
création au féminin
|
94
|
|
1.
|
L'avortement
|
94
|
|
2.
|
La naissance: l'élan vers la vie, mais le début du
chemin vers la mort
|
100
|
|
3.
|
L'accouchement
|
102
|
|
V.
|
Le corps de la mère disparaissant: la parentalité
ubiquiste
|
107
|
A.
|
|
La reconquête du corps
|
107
|
|
1.
|
La science vs le corps féminin
|
107
|
|
2.
|
Réalisme et hyperréalisme
|
114
|
|
3.
|
Du « penis envy» à « l'uterus envy »
|
118
|
|
B.
|
|
La perte du corps: virtualisation et désacralisation de
la reproduction
|
121
|
|
1.
|
Virtualisation : la « société utérus
»
|
121
|
|
2.
|
La glaciation du corps
|
123
|
|
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
C. La maternité au XXIe siècle : «
Demain les post-humains » 127
1. Du miracle de la vie au monstre de la science 127
2. Libération du corps-fardeau? 132
3. L'art contemporain au risque du clonage 133
4. Vers un nouveau corps-objet: poursuite du combat
féministe 135
Conclusion 137
Bibliographie 138
A. Ouvrages généraux 138
B. Ouvrages collectifs 141
C. Travaux universitaires 142
D. Monographies 143
E. Catalogues d'expositions 144
1. Personnelles 144
2. Collectives 145
F. Articles 147
G. Films 148
H. Entretien non publié 149
I. Sites internet 149
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Remerciements
Je tiens tout d'abord à remercier Mme Valérie Da
Costa, critique d'art et maître de conférences à
l'Université de Strasbourg, pour son suivi ainsi que ses conseils qui
m'auront permis l'élaboration de ce mémoire.
Je souhaite remercier Anna'r, retraitée
énergique de l'Education Nationale, signataire du manifeste des 343 et
militante active pour les droits des femmes, de m'avoir accordé de son
temps et ainsi de partager avec moi son histoire.
J'adresse également mes plus vifs remerciements
à l'équipe de la bibliothèque des Arts, Mme Anne Costa,
Mme Nicole Krieger, Mme Christiane Ehrhart et Mr Stéphane Rehlinger,
pour m'avoir guidé des mes recherches.
Mes derniers remerciements iront à ma famille, et plus
particulièrement à mon mari et mes fils, Noah et Léoh,
pour m'avoir soutenu et encouragé ainsi que de m'avoir orienté
vers ce sujet en me faisant connaître l'expérience de la
maternité.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Avant-propos
Mon orientation vers le sujet de la maternité dans la
création artistique est tout d'abord partie d'un constat personnel.
Après la naissance de mon premier fils, je ne me sentais pas en
adéquation avec les images de béatitude que véhiculait la
société. Je me suis naturellement posée la question de
savoir comment les artistes - femmes avaient pu exprimer plastiquement leur
rapport à la maternité, comment elles avaient pu la traduire.
Au commencement de mes recherches, je me suis aperçue
du nombre conséquent d'ouvrages qui traitent de la maternité en
art, mais sur un mode tout aussi sacralisant que ce qui m'avait mis sur la voie
de ce sujet. En me penchant sur la période de l'après seconde
guerre mondiale, j'ai remarqué que les représentations de la
maternité évoluaient, en regard des mouvements de contestation,
et notamment avec les mouvements féministes. Cependant, le sujet
même de la maternité reste souvent caché par la lutte
féministe, et se trouve traité de façon fragmentaire au
sein des ouvrages. En prenant comme base l'histoire de la maternité, qui
ne peut être dissociée de l'histoire des femmes, j'ai voulu voir
comment ont évolué les acquis mis en place par les luttes
féministes. Le parallèle est toujours fait entre système
de l'art et histoire.
Le corps est le point de départ de l'idée de ce
mémoire, et aucun ouvrage ne fait état de l'évolution de
la représentation de la maternité dans la création
artistique en regard des avancées sociologiques, de la
légalisation de l'avortement jusqu'au clonage. C'est donc une
réflexion sur le corps de la femme qui est à l'origine de mes
recherches.
Pour l'élaboration du mémoire, j'ai
rencontré certaines difficultés pour accéder aux ouvrages
de référence. En effet, pour la période de la
libération sexuelle, il existe encore peu de catalogues faisant
état des différentes expositions qu'il y a pu y avoir. Cela
s'explique par le fait que les musées n'exposaient que très
rarement des artistes femmes, et que les collectifs féministes
créés pour promouvoir la création féminine ne
disposaient pas de moyens pour la diffusion. De plus, la période choisie
étant très contemporaine et l'évolution du sujet
étant rapide, de nombreuses études n'ont pas encore
étaient réalisées ou ne sont pas encore
publiées.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Introduction
La représentation de la maternité fait partie
des sujets les plus anciens et les plus récurrents. De la Vénus
de Willendorf aux Maternités d'Eugène Carrière, en passant
par les nombreuses images de la Vierge à l'Enfant, elle idéalise
le pouvoir fécond des femmes et sacralise les vertus maternelles de la
tendresse. Cependant, un changement s'opère après la seconde
guerre mondiale. Il se traduit par une prise de conscience sociale des femmes
de la domination masculine de leur sexe par le truchement de leur fonction
biologique. Cette prise de conscience, et les luttes qui en découleront,
auront des répercutions sans précédent, au sein de la
société, en politique et artistiquement.
Le point d'ancrage historique et social choisit pour
l'élaboration de ce mémoire est la création de
l'association Maternité Heureuse en 1956 par Marie-Andrée Lagroua
Weill-Hallé. A partir du constat établi par ce docteur sur le
fléau que pouvait représenter la maternité (abandons
d'enfants, infanticides, avortements clandestins potentiellement mortels), la
création de ce qui deviendra le Planning familial constitue le premier
acte conséquent dans la lutte des droits des femmes de pouvoir disposer
librement de leur corps. Il faut attendre une décennie pour trouver le
point d'ancrage artistique : en 1966, Niki de Saint-Phalle présente
La Hon au Moderna Museet de Stockholm. Cette immense nana, lieu
d'exposition dans l'espace d'exposition, surgit au sein de ce musée
comme un symbole de convergence de la maternité, des luttes des femmes
et du monde artistique. En effet, cette sculpture est présentée
dans un pays bien plus en avance en matière de droits des femmes que la
France. Par exemple, l'avortement y est légalisé en 1935, le
birth-control et l'éducation sexuelle sont largement diffusés.
Artistiquement parlant, il était encore très rare, en France et
aux USA, d'exposer une femme seule, surtout avec un sujet si féminin
d'une grande déesse enceinte.
Cependant, les deux pôles retenus pour traiter ce sujet
de la maternité en arts sont la France et les Etats-Unis. Ce choix
s'explique par l'histoire particulière qui accompagne ses deux pays : de
nombreux ouvrages traitent de l'histoire de la maternité par l'exemple
français, notamment L'Amour en plus d'Elisabeth Badinter. La
spécificité française se retrouve également dans
la
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
bataille afin de disposer librement de son corps, qui est
là aussi bien renseignée en termes de sources. Les Etats-Unis
auront une histoire sociale du mouvement de libération des femmes
différente et plus disparate : la lutte est souvent rapprochée
des combats anti-discriminations envers les minorités (ethniques et
sexuelles). La grandeur du territoire et la constitution en états du
pays ne favorisaient pas l'uniformité des luttes. Seulement en
matière d'engagement féministe en art et dans la
dénonciation du système phallocrate de l'art, les artistes
américaines seront plus nombreuses et plus virulentes qu'en France,
où la constitution de collectifs artistiques féminins est plus
tardive.
Le thème de la maternité est vaste. Il englobe
tout autant les sciences historiques que sociales, psychologiques,
médicales ou biologiques. Ces disciplines se retrouvent par la suite
dans les démarches artistiques des artistes. Pour ce mémoire, la
notion de maternité doit être perçue avec un sens assez
large : il ne s'arrête pas à l'enfantement et à
l'éducation des enfants, mais réunit tout ce qui est en lien avec
la maternité, en termes de corporéité, c'est-à-dire
les menstruations ou l'interruption d'une grossesse par exemple. Ce qui tend
à être développé au sein de ce travail, c'est
l'expérience de la maternité en termes de subjectivité.
Cette notion autobiographique se développe très rapidement dans
le domaine artistique, notamment avec l'art dit féministe.
L'émergence de l'art corporel sera également un facteur
déterminant dans le traitement du thème de la maternité.
Même si les artistes ne se revendiquent pas du mouvement
féministe, si elles renient farouchement tout lien avec ce dernier, il
n'en reste pas moins qu'elles s'en trouvent touchées par les
interrogations développées. La maternité se pose comme
questionnement à toute femme à un certain moment de sa vie, que
cela soit pour écouter son désir de vivre la maternité ou
que ce soit pour choisir de ne pas avoir d'enfants.
Le féminisme tient une part importante dans mon
travail, de par l'importance des questionnements entrepris, en matière
sociale ou artistique. Cependant, son importance doit être
considérée comme base pour l'évolution de la notion de
maternité par après. C'est l'idée de la libre disposition
de son corps, vue sous l'insigne de la maternité, qui doit être
perçue comme le prisme de ce mémoire. C'est cette idée qui
traversera quarante ans de création artistiques, en regard des
évolutions de la société, des luttes féministes
à la procréation médicalement assistée.
En tenant compte de l'histoire singulière des femmes et
de l'oppression subie de par leur sexe, il était important de faire le
constat des répercutions que la libération sexuelle entraina dans
la représentation de la maternité au sein du domaine artistique.
Puis, avec l'évolution fulgurante
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
de la science qui se jouait en parallèle, il
était nécessaire de vérifier si les droits acquis par les
mouvements féministes, afin de disposer de son corps et de pouvoir
choisir sa maternité, se pérennisaient ou périclitaient,
au travers du regard des artistes.
Pour comprendre l'importance de la question de la
représentation de la maternité dans le domaine de la
création à partir de la libération sexuelle, il
était nécessaire de revenir sur les dates qui ont jalonné
l'histoire de la maternité, en mettant en avant l'exemple
français (partie I), pour ensuite comprendre l'importance du
développement du féminisme, que ce soit en art ou sur la
scène sociale (partie II). Libérées des tabous de la
maternité comme destin, les artistes vont réinvestir l'histoire,
en s'attaquant aux représentations des maternités dites divines,
pour les désacraliser ou pour se situer dans leurs
généalogies (partie III). Les attributs et l'expérience
liés à la maternité vont être déconstruits
par les artistes afin de se les réapproprier (partie IV). Enfin, le
constat sera fait en termes d'évolution du droit de disposer de son
corps, maternel, aux vues des avancées scientifiques toujours plus
poussées (partie V).
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
I. De l'histoire de la maternité : la
spécificité française
A. XVIIIe siècle : l'Emile ou l'appel à la
maternité
C'est à partir du XVIIIe siècle que
vont être développées des conceptions nouvelles de la
maternité et que celle-ci va être théorisée.
Auparavant, le rôle des femmes ne se cantonnait pas à faire des
enfants, la plupart travaillaient auprès de leurs maris, d'autres
paradaient en société. La place de l'enfant au sein du couple est
alors minime, et cela s'explique par différentes raisons. Tout d'abord,
le très fort taux de mortalité infantile ne permettait pas
l'attachement à l'enfant. Ensuite, il était d'usage, très
souvent, de placer le nourrisson chez une nourrice mercenaire dès ses
premières heures, et cela jusqu'à l'âge de quatre ans en
général1. Lorsque l'enfant survivait jusqu'à
cet âge, il revenait alors chez ses parents, pour une durée assez
courte car les garçons étaient envoyés au collège,
le plus souvent en pension, et les filles, elles, rejoignaient le couvent. Pour
les classes les plus défavorisées, l'enfant représentait
un poids pour la famille, une bouche de plus à nourrir. Il fallait
également penser à une dot lorsqu'il s'agissait d'une fille. Le
plus souvent donc l'enfant est ressenti comme une gêne nécessaire,
dans l'idée de filiation et de perpétuation du nom par exemple.
La question de la maternité était naturelle, il s'agissait d'une
suite logique qui venait après le mariage. Comme le souligne Elisabeth
Badinter, le choix d'avoir des enfants ne se posait pas. La reproduction
était à la fois un instinct2, un devoir religieux mais
également une nécessité à la survie de
l'espèce. C'était alors pour les familles, officiellement, une
bénédiction de Dieu, mais aussi une plaie officieuse pour les
plus modestes. Cela n'exclut en rien l'amour, mais c'était une valeur
réservée souvent aux plus aisés ou un sentiment d'ordre
plus religieux.
1 Selon Badinter, Elisabeth, L'amour en plus :
histoire de l'amour maternel, XVII-XXe siècle, Flammarion, Paris,
1980
2 Le même instinct maternel qui fera
polémique dans les années 1970
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Au XVIIIe siècle se produisit par ailleurs
un changement : la philosophie des Lumières se pencha sur la question de
la maternité, en termes d'amour maternel et d'éducation. Une date
qui marque le changement de regard sur la maternité est retenue dans
l'ouvrage de Philippe Ariès, l'Enfant et la vie familiale sous
l'Ancien régime3, il s'agit de 1760. C'est à
partir de ce moment qu'apparaissent des ouvrages développant les
sentiments parentaux et appuyant l'idée de l'amour maternel plus
particulièrement. L'ouvrage qui fera date et qui marque
l'émergence d'une nouvelle considération de l'enfant est
l'Emile de Jean-Jacques Rousseau en 1762. Il y expose ses principes
d'éducation visant à considérer l'enfant en dehors des
préoccupations d'adultes et en y apposant ses idées de nature. Il
préconise par exemple l'allaitement maternel, ce qui va à
l'encontre de l'usage très rependue des nourrices puisqu'il faut garder
l'enfant auprès de soi. Les médecins appuyèrent ce point
de vue, dans l'optique de réduire le taux de mortalité infantile.
La préoccupation et le développement d'un amour ou instinct
maternel émergent donc à cette période, forçant
dans un certain sens l'affection maternelle et théorisant de
manière moderne le rôle de la mère vis-à-vis de ses
enfants, offrant un point d'ancrage à l'aliénation maternelle.
B. Fin XIXe - début XXe
: l'émergence d'une conscience politique
féminine - première vague de féminisme
Entre autre chose, c'est l'apparition d'un nouveau statut de
l'enfant, acquis avec le triomphe de la pensée rousseauiste, qui va
amener les femmes à reconsidérer la maternité. En effet,
la mère va acquérir le rôle de nourrice et
d'éducatrice, rôles auparavant délégués aux
nourrices mercenaires et aux précepteurs. Les premières
revendications féministes découleront de ce nouveau statut de la
femme, qui n'est plus vue comme la génitrice, mais comme
l'élément incontournable de l'éducation des hommes.
Au bout d'un siècle de valorisation du sentiment
maternel et d'un développement de la place de l'enfant au sein du couple
et de la société, celui-ci allant à l'encontre de la
liberté de la mère,
3 Philippe Ariès, L'Enfant et la vie
familiale sous l'ancien régime, Paris, Editions Du Seuil, 1975
cité par Elisabeth Badinter dans L'Amour en plus.
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12
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
les femmes vont émettre des volontés
liées à leur nouveau statut d'éducatrice. Ces demandes
auront pour but de protéger leur maternité, mais on peut y voir
explicitement une volonté d'émancipation, grâce à
leur fonction biologique si importante aux yeux des théoriciens. Les
femmes ont alors compris l'importance de leur maternité et les
féministes qui apparaissent à cette période vont
revendiquer la maternité comme une haute fonction sociale. Ces
dernières vont mettre en avant l'activité maternelle non comme
découlant de leur fonction biologique, mais s'apparentant à un
véritable travail.
Ce travail était tout d'abord d'ordre moral : les
femmes faisaient naître et éduquaient les citoyens de demain,
elles revendiquaient donc un travail « dont dépendait l'avenir de
la Nation4. » Elles réclamaient notamment le droit
à l'instruction, afin de mieux assumer leur rôle
d'éducatrice auprès de leurs enfants. Elles demandaient
également l'accession à des professions mieux payées et
mieux considérées sous le postulat de la maternité «
spirituelle » ou « sociale » comme l'enseignement, qui mettait
en avant les valeurs d'éducatrices. Il y avait aussi les professions
médicales qui relevaient des vertus de soins prodigués aux
enfants. « Il n'y a pas de travail plus productif que celui de la
mère- puisque c'est la mère qui élabore seule cette valeur
par excellence, cette valeur pensante et agissante qui s'appelle être
humain5 », voila comment les féministes percevaient leur
rôle vis-à-vis des enfants, en montrant l'importance de leur
mission et de leurs bienfaits pour l'Etat. Il allait en découler par la
suite la revendication des propres droits de citoyenneté « en se
fondant sur leur propre nature, qu'elles concevaient comme une contribution
unique à la société6. » La politisation du
mouvement prend corps en 1885 avec Hubertine Auclert qui se présenta
illégalement aux élections législatives avec comme
programme l'instauration d'un « Etat-mère », qui viendrait en
aide aux enfants et aux femmes. Elle plaida pour des allocations
maternités et un peu plus tard pour que les mères soient
rémunérées pour « services indispensables rendus
à l'Etat ». Le début du féminisme avec les
premières revendications politiques s'étendra dans toute
l'Europe. Mais c'est en France que les idées et les propositions furent
les plus avancées et les plus diverses.
4 Knibiehler, Yvonne, Histoire des mères :
du Moyen âge à nos jours, Hachette, Paris, 1982, p.88
5 Kâthe Schirmacher lors d'une réunion
publique, Duby, Georges, Histoire des femmes en Occident, tome 5 : le
XXe siècle, Plon, Paris, 1992, p.395
6 Op. Cit. p.392
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13
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Nelly Roussel qui appelait à une « grève
des ventres » soulignait que « de toutes les fonctions sociales, la
première, la plus magnifique, la plus pénible et la plus
nécessaire est la seule à n'avoir jamais reçu de
salaire7.» La question d'un salaire maternel était
posée, mais aussi vivement contestée, les détracteurs
affirmant que la maternité était une responsabilité
individuelle ou familiale, et non pas sociale. La valorisation
économique de la maternité aboutira entre le début de la
première guerre mondiale et la fin de la seconde guerre mondiale selon
les pays. En France, l'allocation maternelle entra en vigueur en 1932.
A la fin du XIXe siècle et au début
du XXe, les féministes défendaient leurs idées
contre les pronatalistes. En effet, pour obtenir gain de cause, les plus
radicales appelèrent à la « grève des ventres ».
Les féministes savaient cette menace redoutable surtout depuis que les
taux de fécondité étaient en déclin depuis la
défaite des troupes françaises devant une Allemagne très
peuplée en 1871. La politique nataliste ne désirait pas voir leur
main d'oeuvre mais surtout leur effectif de « chair à canon »
diminuer aux vues d'une prochaine guerre. En effet, la taille de la population
participait à la fierté ainsi qu'à la puissance de la
nation. C'est à partir de cette prise de conscience, qui s'effectua dans
toute l'Europe, que sera mis en place les politiques de protection de l'enfant,
que l'on étudiera de plus près le taux de mortalité
infantile et maternel. Les avancées ne sont donc pas liées
à une certaine empathie des pouvoirs étatiques envers la
population féminine, mais partent d'une notion de grandeur nationale et
d'hégémonie européenne. Ce sont donc des politiques
divergentes qui amenèrent à la protection de la maternité
: les féministes pour protéger les femmes et aller vers
l'indépendance ainsi que les états pour inciter les couples
à faire des enfants par une politique pronataliste. Cette
dualité, sorte de donnant-donnant, est révélée par
la phrase de Maria Martin, rédactrice du Journal des femmes, « si
vous voulez des enfants, apprenez à honorer les mères » en
1896, apostrophant la politique pronataliste d'après-guerre.
Après la première guerre mondiale, la politique nataliste va
s'accroitre, car après un fleurissement des naissances juste
après la guerre, le déclin des naissances
s'accéléra. A partir de ce moment, les objectifs
féministes et pronatalistes vont se rejoindre dans les solutions
à apporter pour régler le problème de la croissance
démographique, même si les intentions divergent encore. Les
féministes travaillent à la protection des mères, les
natalistes se servent de la protection des mères pour assurer la
grandeur de la nation.
7 Op. Cit. p.386
Master 2 Histoire de l'Art et Architecture Sous la direction de
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
L'industrialisation va également engendrer la question
fondamentale de la régulation des naissances et la protection des
mères. Le besoin de main d'oeuvre fait que beaucoup de femmes
travaillaient et ne pouvaient pas s'arrêter pour leur grossesse sous
peine de perdre leur travail et le salaire qui allait de pair. Les
féministes formulèrent alors leur voeu d'un congé
maternité, afin que ces femmes puissent prendre le temps d'accoucher et
de récupérer de l'accouchement, avant de reprendre le travail. Il
était question également de l'allocation maternité pour
ces femmes qui effectuaient des doubles journées : en effectuant leur
travail à l'usine, par exemple, puis leur travail domestique.
Ce qui pouvait apparaitre comme une formidable avancée
était cependant sujet à contestation : les femmes
réclamaient que cette loi s'applique à tous les domaines
professionnels. Mais ce qui rebuta certaines féministes, c'est qu'une
assurance maternité assimilait grossesse et maladie. On constate un
écart flagrant entre le discours nataliste des politiques, qui font de
l'enfantement un devoir, et leur déni pour reconnaitre et donner des
droits aux femmes, afin d'assurer leur sécurité et leur
santé ainsi que celle de l'enfant, qui ne faisait pas le poids face aux
problématiques capitalistes. On remarque cela dans le discours des
femmes contre ces projets de rémunérations ou d'aides aux
mères. Certaines, comme Maria Lischnewska, soutenaient que le travail
ménager était improductif et parlaient de la
ménagère qui ne travaillait pas comme d'une consommatrice
uniquement, entretenue et surtout « sans valeur pour l'économie
nationale. » Une aide, sous quelques noms qu'elle prenne, était
perçue négativement, car elle rendait, supposément, les
femmes moins compétitives, et renforçait certains
préjugés qui assimilaient maternité avec faiblesse des
femmes.
En France, il faut attendre la loi Engerand de 1909 pour
garantir leur emploi aux femmes qui s'absentaient pour maternité, pour
une durée de huit semaines après l'accouchement. Mais c'est en
1913, avec la loi Strauss que le congé maternité fut
réellement instauré, en prévoyant une allocation pour
certaines catégories professionnelles de femmes. Là où les
féministes concentraient leur colère, c'est que ces allocations
étaient versées au père, ce qui faisait des épouses
de « simples appendices de leurs maris8. » On voit donc
l'apparition d'une demande égalitaire.
8 Duby, Georges, Histoire des femmes en Occident,
tome 5 : le XXe siècle, Plon, Paris, 1992, p.403
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Car même si l'égalité entre les hommes et
les femmes n'était pas encore perçue comme la revendication
ultime, la critique des valeurs sociétales masculines se mettait en
place. Käthe Schirmacher l'énonça en ces termes « nous
vivons dans un monde hoministe, créé par l'homme, pour l'homme,
au point de vue de l'homme et pour ses fins. Dans cette création qu'il a
faite à son image, l'homme s'est aussi considéré comme la
mesure de tout. Il fallait être son pareil pour être son
égal, faire ce qu'il faisait pour avoir droit à son respect. Pour
lui, l'identité seule du travail en établissait aussi
l'équivalence. Dans le travail de la femme, il a vu non un service mais
une infériorité9. » C'est alors le prémice
du féminisme de l'égalité, qui sera à son
apogée à la fin des années 1970.
C. L'après 2nde Guerre Mondiale : la
deuxième vague du féminisme
1. La libre disposition de son corps
Après la seconde guerre mondiale, les femmes avaient
acquis une certaine clairvoyance par rapport à la différence
entre les hommes et les femmes. Elles avaient remplacé les hommes dans
de nombreux domaines lorsque ces derniers se trouvaient au front, et se sont
même illustrées dans les rangs de la résistance. Cette
guerre n'arrêta en rien le développement des idées
d'égalitarisme, mais il fallut attendre les années 1960 pour que
ces principes aient publicité. Entre temps, le baby-boom fit retourner
les femmes dans leurs maisons. La politique nataliste des années
d'avant-guerre était toujours tenace, la propagande anti-nataliste avait
été interdite, la loi anti-avortement avait continué
à être sévèrement appliquée, comme le cas de
Marie-Louise Giraud10 qui fut guillotinée en 1943 pour avoir
pratiqué des avortements.
En 1949, un pavé est jeté dans la mare avec
l'ouvrage de Simone De Beauvoir, Le Deuxième Sexe. En effet,
l'auteur revient longuement sur la maternité comme principe même
de la domination masculine. Pour elle, l'émancipation des femmes ne peut
se faire sans le refus de la maternité.
9 Op.Cit, p.393
10 Une affaire de femme, film de Claude
Chabrol, MK2 Diffusion, 21 septembre 1988
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
C'est par la revendication du droit à avoir des
enfants, et non plus selon le hasard de la nature, que va se mettre en place la
révolution sexuelle des années soixante. Ces revendications
allaient dans le prolongement des demandes des feministes maternalistes,
puisqu'il s'agissait d'avoir droit à la dignité en étant
mère, et de ne plus vivre cette expérience au même titre
que des animaux au gré des cycles. La lutte pour avoir le choix d'avoir
des enfants va émerger de la lutte pour l'avortement. Car même si
la loi de 1920, qui sera renforcée sous le gouvernement du
maréchal Pétain en devenant un crime contre la
sûreté de l'État, l'avortement était une pratique
répandue, et cela dans toutes les couches sociales. Les conditions dans
lesquelles étaient réalisées ses interruptions de
grossesses étaient archaïques, s'apparentant à du «
bricolage11 », et beaucoup de femmes mourraient des suites d'un
avortement. Aux avortements s'ajoutent également une détresse des
familles de plus en plus grande, et qui est évoquée par le
docteur Lagroua Weill-Hallé12. C'est l'infanticide faute de
soins.
Par ce double constat, Marie-Andrée Lagroua
Weill-Hallé créa, le 8 mars 1956, l'association Maternité
Heureuse dans la quasi-clandestinité, mais aidée par Evelyne
Sullerot. Le mouvement devait s'appeler Maternité Volontaire, ce que Mme
Lagroua Weill-Hallé trouva trop révolutionnaire voire même
trop provocateur, surtout que la loi de 1920 était
réaffirmée par le décret du 11 mai 1955.
« Maternité Heureuse » : accolés, ces
deux mots supposaient que la maternité n'était pas toujours
heureuse, contrairement aux idées reçues ou
véhiculées. C'était alors déjà revendiquer
implicitement le droit à accéder à une maternité
heureuse, avec l'idée de la choisir. L'idée de cette association
ne vint pas spontanément à cette jeune gynécologue.
Pendant son internat, elle fut scandalisée du sort réservé
aux femmes qui s'étaient provoqué des avortements. Elles
recevaient comme punition des curetages à vif. Les médecins les
insultaient pendant les soins pour « leur passer l'envie de
recommencer13. » En 1947, elle fit un voyage aux Etats-Unis
pendant lequel elle rencontra Margaret Sanger et visita les cliniques de
birth-control14. A son
11 Selon les propos d'Anna'r
12 Dans une communication faite le 5 mars 1955
devant les membres de l'Académie des sciences morales et politiques,
parlant d'un procés d'assises ayant condamné un couple attendant
leur cinquième enfant et ayant laissé mourir leur
quatrième enfant faute de soins.
13Gauthier Xavière, Paroles
d'avortées : quand l'avortement était clandestin,
préface de Gilles Perrault, La Martinière, Paris, 2004, p.26
14 Qui avaient ouvert depuis 1916 aux Etats-Unis
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
retour, elle entama son combat afin de faire avancer la cause
des femmes. A partir de ce moment, ce qui était une affaire
privée, la maternité, devint une affaire publique.
Alors que dans les pays du nord de l'Europe, le «
birth-control » est d'actualité avant la guerre, comme en
Suède où l'avortement est légalisé, le birth
control ainsi que l'éducation sexuelle largement diffusés, il
faudra attendre la fin des années cinquante pour que s'éveille
une prise de conscience en France. Au Danemark, c'est en 1878 que le premier
dispensaire fut ouvert et où des sages-femmes enseignaient l'usage des
contraceptifs. A New-York, Margaret Sanger fonda la National Birth Control
League en 1915. En Angleterre, il fallut attendre 1921.
En parallèle de l'apparition de l'association
Maternité Heureuse, Jacques Derogy fit paraitre Des enfants
malgrè nous en 1956 dans lequel il reprend les
éléments de l'enquête qu'il entreprit en tant que
journaliste. Dans cet ouvrage, il dénonçait avec d'horrifiantes
précisions les avortements clandestins, comme un fléau silencieux
touchant toute la population.
La France, par sa forte empreinte catholique et sa loi de
1920, sera en retard dans les programmes de planification des naissances.
Après la seconde guerre mondiale, les hommes politiques appliquent
encore la politique nataliste du général Pétain.
Celui-même qui avait instauré la « fête des
mères » pour valoriser la destinée procréatrice de la
femme.
2. Histoire de la contraception
Au début du XXe siècle, après
les différentes guerres et les poussées démographiques qui
les suivent, les craintes énoncées par Thomas
Malthus15 en 1798 se font plus fortes, notamment concernant le
développement économique et la peur du chômage. Seulement,
le néo-malthusianisme qui se développe ne prône nullement
le mariage tardif ou la chasteté, mais de nouveaux principes tels que
l'épanouissement des femmes, la réduction des avortements
dangereux et l'épanouissement des couples. Il y a donc l'apparition
d'une volonté d'une
15 Thomas Malthus, An Essay on the Principle of
Population (Essai sur le principe de population), 1798,
préconisait le mariage tardif ou l'abstinence afin de réduire
l'excédent de population et la surpopulation qui entrainerait la perte
des pays
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
sexualité épanouie et non d'une sexualité
reproductive. Certains politiciens se rattachent ainsi aux idées de
l'économiste britannique Thomas Malthus.
Le néo-malthusianisme qui se développe alors
rejoint les revendications de certains théoriciens anarchistes comme
Paul Robin16 ou le journaliste Octave Mirbeau. Il ne faut pas
produire de la chair à canon pour les différentes guerres ou
encore de la main d'oeuvre peu chère en abondance exploitée par
les patrons ni même de la « chair à plaisir » qui
alimente la prostitution. Ils demandent alors « la grève des
ventres ». Dans cette lutte, on peut nommer une femme, Jeanne Humbert, qui
militera pour la contraception et l'avortement en créant
Génération Consciente avec son mari. Ces revendications seront
freinées par la loi de 1920 réprimant la complicité et la
provocation à l'avortement ainsi que toute propagande
anticonceptionnelle, et assimile entre autre l'avortement à la
contraception.
La commercialisation de la pilule contraceptive datant des
années 1960, les recherches pour parvenir à un contrôle
hormonal de la reproduction datent elles, du début du XXe
siècle. C'est tout d'abord en Allemagne, dans les années vingt
que naissent les premiers essais, mais c'est aux Etats-Unis que la pilule fut
mise au point. En effet, Grégory Pincus, biochimiste à la
Worcester Foundation, travaillait à l'époque sur la
fécondation des mammifères. Il fut quelque peu poussé par
deux femmes, Elisabeth McCormick ainsi que Margaret Sanger, présidente
de l'international Planned Parenhood Foundation, qui lui octroient cinquante
milles dollars pour ses recherches. C'est en 1955 qu'il reussira à
synthétiser la progesterone, dont on connaissait le pouvoir inhibiteur
d'implantation des oeufs dans l'utérus. Il faudra attendre
l'année 1960 pour que la Food and Drug Administration autorise
officiellement l'utilisation de ce « contraceptif », avec cependant
une restriction : ne pas l'utiliser pendant une période
supérieure à deux ans, en raison des zones d'ombres sur les
possibles effets secondaires (stérilité, cancer...).
Par ailleurs, une polémique enfla par la suite sur la
manière dont cette première pilule fut testée. Ce sont des
femmes portoricaines qui ont constitué le panel de cette étude,
une population pauvre dont on voulait, pense-t-on, limiter les naissances.
16 Pédagogue français, il Fonda la Ligue
française pour la régénération humaine
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
La pilule fait son apparition en Europe très
discrètement en 1961. Elle ne sera autorisée en France
qu'à partir de 1967 avec la loi Neuwirth, mais avec parcimonie et
seulement aux femmes mariées ayant déjà eu des enfants et
ayant des problèmes menstruels.
Cependant, en parallèle de la pilule, la Mouvement
Français pour le Planning Familial informe également sur la
possibilité de l'usage du diaphragme et du stérilet notamment.
3. Maternité : affaire privée, affaire
publique.
Les médias ont joué un rôle
considérable dans l'exposition de ce problème de la
maternité. C'est surtout la presse de gauche qui accordera une grande
importance à la sensibilisation au contrôle des naissances dans
ses pages. Libération, par exemple, publia l'enquête de Jacques
Derogy mais on peut citer l'Express également. C'est d'ailleurs un
journal, le Nouvel Observateur, qui publiera dans ses colonnes le
célèbre Manifeste des 343 le 5 avril 1971. Il s'agissait, par
l'intermédiaire des médias, de faciliter le passage de ces divers
questionnements sur la condition féminine de la sphère
privée à la sphère publique. Le but étant de les
faire accéder aux sphères sociales qui amèneront le
féminisme. Et il ne s'agissait pas de se cantonner au milieu bourgeois
des grandes villes, mais bien de sensibiliser toute la population, sur tout le
territoire. En témoignent les Etats généraux de la femme
qui ont eu lieu les 20, 21 et 22 novembre 1970 dans dix-neuf villes de
provinces et organisés par le magazine Elle. La presse traduira
également la position des hommes politiques lorsque le thème du
contrôle des naissances s'invita au sein de la campagne
présidentielle de 1965. C'est le cas par exemple de l'interview de
François Mitterrand par Colette Audry le 25 novembre 1965 dans les
colonnes du journal Le Combat Républicain. Entretien au cours duquel le
candidat s'exprima en faveur de l'émancipation des femmes sous ces mots
« la femme a le droit de disposer des moyens modernes qui permettent de
n'avoir des enfants que lorsqu'elle le désire. »
Le but était de faire prendre conscience aux politiques
mais aussi à toute la population de ce mal qui rongeait les femmes. Il
fallait parler de ces femmes qui mourraient, de celles qui ne voulaient pas
d'enfants et la radio ne fut pas en reste. L'émission de Ménie
Grégoire sur RTL dès 1967 eut un franc succès. Les
auditeurs étaient invités à s'exprimer sur leur vie,
à exposer leur intimité. Par là, les femmes ont pu
découvrir que leur souffrance était loin d'être
singulière
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
et se trouvait partagée par la plupart des femmes.
Forte de son succès, l'émission de Ménie Grégoire
ne s'acheva qu'en 1981. C'est par le biais de la radio que Françoise
Dolto répondait aux questionnements des parents, souvent en
désarrois, dans son émission Lorsque l'enfant parait sur
France Inter entre 1977 et 1978 quotidiennement.
4. Les opposants
La France, malgré la séparation de l'Eglise et
de l'Etat, est dominée par des valeurs et principes catholiques qui
influencent implicitement la politique. Il n'est pas étonnant que les
premiers à s'ériger contre la libéralisation de la
contraception et la légalisation de l'avortement soit l'Eglise
Catholique elle-même. Le problème se situe antérieurement
aux années 1960. Comme le montre l'encyclique Casti Connubii de Pie II
datant de 1930, on y rappelle que « même avec la femme
légitime, l'acte conjugal devient illicite et honteux dès que la
conception de l'enfant y est évitée17. » Pour
l'Eglise, l'accouplement ne doit avoir de but final que de procréer,
excluant ainsi toutes notions de plaisirs. Cette encyclique sera
renforcée en 1968 par l'encyclique Humanae Vitae de Paul VI qui condamne
« toute action qui, soit en prévision de l'acte conjugal, soit dans
son déroulement, soit dans le développement de ses
conséquences naturelles, se proposerait comme but ou comme moyen de
rendre impossible la procréation18. » Dans une
même phrase, le pape condamne la contraception du type pilule, car il
suppose une prévision de l'acte sexuel, mais également le
diaphragme et le stérilet. Il condamne également la
méthode du « coït interrompu » pendant le rapport sexuel,
mais enfin, et implicitement, condamne également les différentes
méthodes employées par les femmes après un rapport afin de
réduire les « chances » de fécondation, comme la douche
vaginale au savon, voire au vinaigre. Contraception et avortement
étaient alors indifférenciés. La seule méthode que
l'Eglise admettait était la méthode dite Ogino. Cette
méthode repose sur l'observation du cycle féminin, avec notamment
la prise de température le matin au réveil avant de faire le
moindre effort.
17Casti connubii, lettre encyclique du
souverain pontife pie xi sur le mariage chrétien considéré
au point de vue de la condition présente, des nécessités,
des erreurs et des vices de la famille et de la société, Rome, le
31 décembre de l'année 1930
18Humanae vitae, lettre encyclique de sa
sainteté le pape paul vi sur le mariage et la régulation des
naissances, Rome, le 25 juillet 1968
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Lorsqu'un changement s'effectuait, la méthode
Ogino19 préconisait de s'abstenir de rapports sexuels.
En face, l'Eglise réformée, elle, était
pour la libre contraception et le libre choix d'avoir des enfants, mais
n'approuvait pas l'interruption de grossesse.
Aux raisons idéologiques (accouplement égal
accueil de la vie, avortement perçu comme des assassinats...)
s'ajoutèrent les raisons politiques. Les politiciens étaient
désireux de continuer une politique nataliste, à l'image du
général De Gaulle qui rêvait d'une France de « cent
millions de français ». La plupart des politiciens, se cachant
derrière des conceptions pseudo-humanistes et religieuses, voire
ouvertement natalistes pour la grandeur de la Nation comme l'évoqua
Michèle Debré à la séance de l'Assemblée
Nationale le 12 juillet 1963, cachaient pour certains des raisons bien moins
avouables. Selon Les Chimères20, il s'agissait,
au-delà d'avoir de la chair à canon, de raisons
démographiques à caractères racistes. Il fallait conserver
la supériorité du peuple blanc face au surnombre des peuples
africains et arabes. C'est pour cela que les moyens contraceptifs
étaient autorisés en territoires d'outre-mer.21
Le Parti Communiste fut un des partis politique les plus
antagonistes de prime abord. En effet, pour ce dernier, plus nombreux seraient
les ouvriers et plus facile serait le combat contre le prolétariat.
L'opposition au contrôle des naissances fut exprimé dans une
lettre envoyée à l'intention de Jacques Dérogy le
1er mai 1956, en réponse au livre de ce dernier, et qui
s'exprimait en ces termes « les communistes condamnent les conceptions
réactionnaires de ceux qui préconisent la limitation des
naissances et cherchent ainsi à détourner les travailleurs de
leur bataille pour le pain et le socialisme. » Cependant, le Parti
atténuera ses positions en demandant l'abrogation de la loi de 1920 dans
une proposition de loi du 25 mai 1956 ainsi que l'amnistie des femmes ayant
été condamnées pour avoir pratiqué des avortements,
et sera finalement favorable à l'avortement thérapeutique.
19 Gynécologue japonais du XXe
siècle, il est parti du principe qu'une femme ovulait une fois par cycle
menstruel. En prenant en compte que la période ovulatoire s'étend
du 12e au 16e jour après le début des
règles, mais aussi qu'un ovocyte avait une durée de vie de une
journée après l'ovulation, et que les spermatozoïdes
survivent jusqu'à quatre jours après l'éjaculation, il
préconisait de s'abstenir de rapports sexuels entre le 8e et
le 17e jour après le début des règles.
20 Groupement de féministes
21 Les Chimères, Maternité
esclave, Union générale d'éditions, Paris, 1975,
p.75
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Enfin, l'Ordre des médecins s'y opposera fermement
dès le début des débats, en avançant des arguments
d'inspirations catholiques, et en brandissant le principe de déontologie
de leur profession. Malgré tout, des médecins étaient
favorables à l'avortement, car en mai 1971, deux cent cinquante deux
d'entres-eux publièrent une déclaration de principe en faveur de
l'avortement.
5. Une lutte de femmes pour les femmes
Devant le succès du planning familial mis en place par
Marie-Andrée Lagroua ainsi qu'aux vues de la sensibilisation
grandissante de l'opinion publique, le gouvernement commanda plusieurs
commissions sur le sujet du contrôle des naissances et de la
contraception. Mais en 1972, arriva ce qui restera connu sous le nom de «
l'affaire de Bobigny » et qui fera accélérer le
débat. Ce procès, qui visait une jeune fille de seize ans ayant
avorté après avoir été violée, ainsi que sa
mère et trois autres femmes l'ayant aidé, a défrayé
la chronique et enflammé le débat en France. L'avocate
Gisèle Halimi, qui avait fondé en 1971 l'association
féministe Choisir la cause des femmes, défendit avec vigueur les
accusées. Elle mit en cause, non pas les femmes obligées
d'avorter, mais une loi injuste et inhumaine, aux vues des conditions dans
lesquelles sont réalisées les interruptions de grossesse. Ces
dernières plaçant les femmes dans la clandestinité et la
honte. L'aboutissement de ce procès politique retentissant fut la
promulgation de la loi Veil en janvier 1975. Nouvellement ministre de la
santé, Simone Veil défendra pendant trois jours et deux nuits,
sous des nuées d'injures la loi sur l'interruption volontaire de
grossesse : « Parce que si des médecins, si des personnels sociaux,
si même un certain nombre de citoyens participent à ces actions
illégales, c'est bien qu'ils s'y sentent contraints ; en opposition
parfois avec leurs convictions personnelles, ils se trouvent confrontés
à des situations de fait qu'ils ne peuvent méconnaître.
Parce qu'en face d'une femme décidée à interrompre sa
grossesse, ils savent qu'en refusant leur conseil et leur soutien ils la
rejettent dans la solitude et l'angoisse d'un acte perpétré dans
les pires conditions, qui risque de la laisser mutilée à jamais.
Ils savent que la même femme, si elle a de l'argent, si elle sait
s'informer, se rendra dans un pays voisin ou même en France dans
certaines cliniques et pourra, sans encourir aucun risque ni aucune
pénalité, mettre fin à sa grossesse. Et ces femmes, ce ne
sont pas nécessairement les plus immorales ou les plus inconscientes.
Elles sont 300 000 chaque année.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont
nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames. C'est
à ce désordre qu'il faut mettre fin. C'est cette injustice qu'il
convient de faire cesser. » Au matin du 29 novembre 1974, la loi est
votée, elle sera ensuite promulguée le 17 janvier 1975, marquant
ainsi la plus grande avancée pour l'émancipation et la
dignité des femmes.
Grâce à deux lois, la loi Newirth ainsi que la
loi Veil, le destin maternel revient désormais aux mains des femmes. La
dissociation entre maternité et féminité a entrainé
l'individuation des femmes et a montré le chemin vers leur autonomie.
II. Maternité et féminisme en art
A. La seconde vague féministe
La première vague féministe de la fin du
XIXe et du début du XXe siècle revendiquait
des droits en fonction de la condition de mère des femmes. Ces demandes
visaient à l'émancipation mais ne remettaient pas en question la
maternité. A partir des années 1960, en lien direct avec les
évènements sociaux qui soulevèrent les foules dans
différents pays Ð mai 68 en France, contestation de la guerre du
Vietnam aux Etats-Unis Ð, la seconde vague du féminisme fit son
apparition sur les scènes sociales et culturelles.
1. Plus fortes ensembles
Cette seconde vague féministe se développa
particulièrement dans les domaines culturels et intellectuels. Comme
l'explique Fabienne Dumont22, il y eut de nombreuses femmes
diplômées d'écoles d'arts après la seconde guerre
mondiale. Cependant, à leur sortie, on leur refusait
22 Dumont, Fabienne, La rébellion du
Deuxième Sexe. L'Histoire de l'art au crible des théories
féministes anglo-américaines (1970-2000), Presses du
Réel, 2011
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
l'accès à une carrière en galerie ou au
professorat. Pour pouvoir être reconnue comme artiste, il fallait le plus
souvent être l'épouse d'un artiste célèbre. Au sein
des musées, la représentation des artistes femmes était
également presque nulle23. Afin de témoigner et de
lutter contre le sexisme du monde de l'art, les artistes vont se regrouper et
former des collectifs. Par exemple en 1970, Lucy Lippard fondera l'Ad Hoc
Committee of Women Artists qui aura pour but de critiquer l'absence de femmes
au sein des expositions.
Pour contrer ce refus de l'accès des artistes femmes
aux cimaises, les artistes vont ouvrir également des lieux
spécifiques afin d'exposer leurs travaux. Judy Chicago ouvrira notamment
la Womanhouse ainsi que le Los Angeles Woman's building ou la A.I.R
Gallery24 (Artists in Residence).
En France, la prise de conscience de la domination masculine
dans le domaine artistique fut plus longue et moins virulente
qu'outre-Atlantique. On peut néanmoins citer différents groupes
fondés pour l'auto-reconnaissance des artistes-femmes, comme le
collectif Femmes/Art fondé en 1976, Feminie-Dialogue fondé en
1975, La Spirale fondée en 1972, mais également la parution en
1973 de La Création étouffée, de Jeanne Socquet
et Suzanne Horer. Mais ces groupes s'apparentaient plus à des groupes de
soutien. Il faudra attendre les années 1980 pour que soit
créée la Fondation Camille, avec le soutien du Ministère
des droits des femmes, mais également pour qu'émerge une
réelle ambition politique afin de mettre en lumière la
création au féminin25. Cependant, ces groupes
permettaient aux artistes femmes de se rassembler, de débattre et
d'exposer, afin de sensibiliser le public et d'être ensuite reconnues.
2. Nouvelle esthétique au
féminin
23 Voire à ce sujet la thèse de
Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les années 70: "douze ans d'art
contemporain" version plasticiennes : une face cachée de l'histoire de
l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la direction de Laurence Bertrand
Dorléac, thèse, université de Picardie, Atelier national
de reproduction des Thèses, Lille, 2006
24 Galerie collective de femmes artistes
25 Voir à ce sujet Dumont, Fabienne,
Femmes et art dans les années 70: "douze ans d'art contemporain"
version plasticiennes : une face cachée de l'histoire de l'art, Paris,
1970-1982 ; sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac,
thèse, université de Picardie, Atelier national de reproduction
des Thèses, Lille, 2006
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25
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Que les artistes de cette époque de libération
sexuelle se revendiquent féministes, ou au contraire tendent à
s'éloigner des tumultes engendrés par les luttes et les
différents mouvements, les interrogations soulevées par l'art
féministe se retrouvent très souvent au sein des démarches
artistiques. En investissant le domaine artistique, les féministes
désiraient mettre en lumière la domination masculine qui touchait
également le monde de l'art. Elles souhaitaient aussi développer
une pratique artistique différente. Dès le début, ce qui
sera affirmé, c'est la validité de l'expérience des
femmes, devenant sujet artistique. Le recours à l'autobiographie,
l'utilisation de matériaux assimilés à l'artisanat
féminin, comme la couture ou le tricot, mais aussi le recours à
des figures historiques oubliées26, étaient
perçus comme des alternatives à un système jugé
autoritaire et patriarcale. Lucy Lippard s'exprimait alors sur les
différences entre artistes masculins et artistes féminines «
j'étais habituée à des artistes hommes affichant une
confiance en soi, utilisant le jargon approprié pour exprimer les
problèmes formels - en d'autres termes « sachant ce qu'ils
faisaient ». J'ai constaté que certaines femmes étaient
confuses, peu sûres d'elles-mêmes, beaucoup plus
vulnérables, mais en même temps beaucoup plus disposées
à s'ouvrir et à ouvrir leur travail aux lectures personnelles et
associatives du spectateur, à partager leur art, leur expérience
et leur vie27. » Ce nouveau sens du public évoqué
par Lucy Lippard est développé par Judy Chicago « la notion
d'art féministe dans son ensemble, tel que j'ai tenté de le
formuler, repose sur l'idée que le code formel de l'art contemporain
doit être brisé pour élargir le public [É]. Ce que
je désirais depuis le début était une redéfinition
du rôle de l'artiste, un réexamen de la relation entre l'art et la
communauté, un élargissement des personnes qui contrôlent
l'art et, en fait, un dialogue élargi sur l'art incluant de nouveaux
participants plus diversifiés28. » Ces nouvelles formes
artistiques ainsi que ce nouveau sens du public introduit par les artistes
femmes se développent notamment grâce à la performance, qui
sera un des médiums phare des années soixante-dix.
Léa Lublin, par sa présence au salon de Mai en
1968, avec sa performance Mon Fils, avait pour but de dénoncer
la discrimination réservée aux femmes, liée à leur
probable maternité qui était perçue comme un frein
à leur carrière artistique (figure 1). Lors de cette performance,
elle avait
26 Voire partie III.B., Déesses-mère et
matriarcat
27 Lucy Lippard citée dans Dumont, Fabienne,
La rébellion du Deuxième Sexe. L'Histoire de l'art au crible
des théories féministes anglo-américaines
(1970-2000), Presses du Réel, 2011, p.39
28 Broude, Norma, Garrard, Mary, «
Conversation with Judy Chicago », The Power of Feminist Art,
p.70-71, cité dans Dumont, Fabienne, La rébellion du
Deuxième Sexe. L'Histoire de l'art au crible des théories
féministes anglo-américaines (1970-2000), Presses du
Réel, 2011, p.117
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26
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
recrée une chambre d'enfant dans laquelle elle
pratiquait ses tâches quotidiennes de maman en présence de son
propre fils, pendant les heures d'ouverture du salon. Elle fit de son
expérience de femme le matériau de son intervention en vue de
dénoncer la place des femmes au sein du monde artistique.
Si la volonté d'ouverture du monde de l'art est
attesté, cela ne va pas empêcher les artistes de parvenir,
grâce au recours à leur expérience féminine au sein
de leur pratique artistique, à un recentrement, une redécouverte
de leur subjectivité. Après des siècles d'oppression et de
domination masculine, le domaine artistique allait devenir le
théâtre de la reconstruction du moi féminin.
Figure 1: Léa Lublin, Mon Fils, 1968,
Salon de Mai, photographie de sa performance
B. De la question de la maternité au sein des
mouvements féministes
Si certains affirment que la question de la maternité
ne figurait pas au sein des luttes féministes des années
soixante-dix, au profit d'une lutte des genres, il s'avère qu'elle fut
alors implicite mais néanmoins omniprésente. Comme on a pu le
constater dans la première partie traitant de l'historique des
mouvements de lutte féminine, la première vague du
féminisme fut
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27
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
explicitement maternaliste. La deuxième vague, des
années 1970 en découla. Même si les revendications
évoluèrent, l'idée de la maternité, pour l'exalter
ou la nier, sera présente. En effet, la seconde vague féministe
va interroger plus particulièrement la notion de genre et mettre en
évidence la domination masculine. Mais cette domination masculine, que
ce soit dans le domaine des arts comme en société, trouve son
origine dans la réduction de la femme à sa fonction biologique de
procréatrice. La question de la maternité est donc toujours
sous-jacente des débats féministes, puisque à la base des
revendications et des dénonciations, la liberté de disposer de
son corps vise en premier lieu la maternité. Ce point de vue est
renforcé par Yvonne Kniebeiler « l'émancipation ne peut se
faire contre la maternité ni sans elle29 », et les
Chimères d'ajouter dans l'introduction de leur ouvrage
Maternité esclave, « la maternité, que nous la
refusons, que nous nous y laissons entrainer, est au centre de la condition qui
nous est faite30. »
Par ailleurs, un rapprochement s'opère entre domination
masculine et maternité, notamment sous la plume de Margaret Mead. Cette
dernière pensait qu'il fallait laisser la création aux hommes car
ce serait leur seul moyen de pallier leur incapacité à
l'enfantement, qu'elle désignait comme le plus fort pouvoir
créateur. Mais le thème de la maternité ne peut donc
s'effacer complètement du paysage des mouvements féministes.
1. Les artistes révélées par la
maternité
A lire les biographies de certaines artistes, la
maternité a été le point de départ à leur
carrière artistique, du moins à ressentir cette envie de
création. Pour certaines, révélation avérée
et soutenue, pour d'autres, il ne s'agirait que d'un heureux hasard. Le point
d'ancrage de la création au féminin à partir de cette
période est l'expérience. C'est pour cela que, pour celles qui
connaissent la maternité avant d'entreprendre une carrière
artistique, ce thème va être abordé.
29Knibiehler Yvonne, La révolution
maternelle : Femmes, maternité, citoyenneté depuis 1945,
Perrin, Paris, 1997, p.13
30 Les Chimères, Maternité
esclave, Union générale d'éditions, Paris, 1975
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28
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
C'est le cas de Myriam Bat-Yosef. Cette artiste revendique ce
choc esthétique qui s'est produit lors de son expérience de la
maternité. « Le ressenti de ces jours constitue les pavés de
la route sur laquelle je crée jusqu'à aujourd'hui. Mon
état de grossesse a pulsionné ma voie et mon genre31.
»
Geneviève Claisse, elle aussi, avouera que la naissance
de son fils en 1972 correspondra à un changement dans sa manière
de créer et l'a amené à un tournant stylistique fort. Son
travail voit alors les lignes s'ouvrir et se tendra vers un passage de la
peinture à l'huile, souvent connoté trop masculin pour les
artistes femmes, vers l'acrylique. Il en est de même pour Tania
Mouraud32, qui commence à peindre après avoir mis au
monde sa fille, et « représentais des accouchements, des sexes
mâles ramollis33(É). » Il s'agissait de montrer
que l'expérience de la maternité n'altérait en rien les
capacités créatrices des artistes femmes. Bien au contraire, pour
ces artistes, la maternité leur a permis de s'émanciper des
influences des courants artistiques masculins.
Niki de Saint-Phalle est une des artistes pour qui la
maternité est une réelle pierre angulaire au sein de sa
carrière artistique. Elle devient mère pour la première
fois à vingt ans et à la suite de sa maternité, elle
s'inscrira en premier lieu à des cours d'art dramatique, avant de se
tourner vers la peinture. Si c'est la maternité qui amènera Niki
de Saint-Phalle sur le chemin de l'art, l'art, lui, assurera la
réconciliation de l'artiste avec ses enfants. Alors qu'elle vit et
travaille nichée dans le ventre de l'Impératrice de son jardin
des tarots, elle reconnaitra l'aspect salvateur de sa démarche «
Vingt ans plus tôt, j'avais quitté mes enfants pour me consacrer
à mon art... ici, je vivais à l'intérieur d'une sculpture
Mère que j'avais créée ! Ce fut pendant ces
années...
31 Art-thérapie, n°6, mai 1983, p.293-299,
cité dans Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les années 70:
"douze ans d'art contemporain" version plasticiennes : une face cachée
de l'histoire de l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la direction de Laurence
Bertrand Dorléac, thèse, université de Picardie, Atelier
national de reproduction des Thèses, Lille, 2006 (pagination non
renseignée, microforme)
32 Elle détruira toutes ces oeuvres
33 Actuel, n°43, juin 1974, p.78-79
cité dans Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les années 70:
"douze ans d'art contemporain" version plasticiennes : une face cachée
de l'histoire de l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la direction de Laurence
Bertrand Dorléac, thèse, université de Picardie, Atelier
national de reproduction des Thèses, Lille, 2006 (pagination non
renseignée, microforme)
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29
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
que je redevins plus proche de mes enfants34.
» C'est également une grossesse, celle de son amie Clarice Rivers,
qui inspirera à l'artiste l'idée des Nanas.
La maternité chez cette artiste, comme pour Louise
Bourgeois, prédomine au sein de sa démarche artistique. Louise
Bourgeois développe tout un univers autour de la naissance, la
grossesse, du rapport entre la mère et ses enfants, comme avec son
propre fils dans Reticent Child, où elle tente, par le biais de
sa pratique artistique, de comprendre le caractère de son fils (figure
2). Les derniers travaux de Louise Bourgeois reprennent le thème de la
maternité, par des aquarelles représentant des femmes
enceintes35.
Figure 2 : Louise Bourgeois, Reticent Child,
2003, installation de 6 éléments en tissu marbre, acier
inoxydable et aluminium, collection de l'artiste
34Women artists, Femmes artistes du
XXème siècle et du XIème
siècle, Taschen, Köln, Uta Grosenick, 2001, p.474
35 Larratt-Smith, Philip, Louise Bourgeois, Prints: 27 August -
27 September 2009 catalogue publié à l'occasion de
l'exposition "Louise Bourgeois Prints" à la Galleri
Andersson/Sandström de Stockholm, 2009
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30
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Enfin, l'artiste Mary Kelly fit de son expérience de la
maternité un travail artistique de longue haleine. Dans Post-Partum
Document, elle présenta des collages à partir de couches
usagées, des vêtements de bébé, des dessins, mais
également un texte accompagné de diagrammes lacaniens, de
schémas et une analyse détaillée du « débat en
cours sur la pertinence de la psychanalyse pour la théorie et la
pratique du marxisme ». Ce travail qui court sur une période de
cinq années, revient sur le rapport entre la mère et l'enfant,
dans l'élaboration d'un dialogue passant par les couches au
départ, pour aller vers le langage (figure 3).
Figure 3 : Mary Kelly, Post Partum Document, 1973-1979,
Perpsex units, white card, plaster, cotton fabric, 1 of the 8 units, 28 x
35.5 cm
2. Le féminisme essentialiste
A côté de celles qui ont eu pour point d'ancrage
à leur pratique artistique la maternité, ou qui ont ressenti un
bouleversement de leur pratique du fait de leur expérience de
mère ou de future mère, il y a celles qui exaltent
l'expérience de la maternité par le biais de leur pratique
artistique. En effet, dans les années 1970, le mouvement
féministe va se scinder en deux sur la question de la maternité.
Il y a les féministes égalitaires, qui demandent les mêmes
droits et considérations - sociales, politiques, culturelles et
artistiques - que leurs homologues masculins
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31
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
et pour qui la seule solution sera celle du refus de
l'expérience de la maternité. Et il y a les féministes de
la différence, appelées aussi « essentialistes », qui
revendiquent le droit à la maternité et veulent montrer que cette
différence est une chance dont il faut tirer parti, artistiquement par
exemple. Elisabeth Badinter parle de ce nouvel aspect du féminisme sous
ces termes « un nouveau féminisme mettant en avant chaque aspect de
l'expérience biologique des femmes était né. Il exaltait
les règles, la grossesse et l'accouchement36. »
Cette tendance émergea au moment de la crise
pétrolière, vers les années 1972-1973, lorsque nombre de
femmes retrouvent le chemin de leur foyer plutôt que du travail. A cela
s'ajouta la montée de l'écologisme, qui amorça ce qui est
considéré par les féministes égalitaires, à
un certain retour en arrière. La théorie naturaliste qui se
développait en parallèle de l'écologisme prônait
l'accouchement sans douleur et le recentrement de la femme sur elle-même
lors de l'expérience de la grossesse.
Pour les artistes, c'était montrer que la
maternité n'annihile pas la créativité, mais que cette
expérience est souvent bénéfique dans une carrière,
les artistes se recentrant le plus souvent sur elles-mêmes, allant vers
de nouvelles phases créatives, s'éloignant des influences des
courants artistiques préexistants. L'objectif était de montrer
que la maternité n'empêchait pas la créativité,
comme l'exprime Sylviane Agacinski « la maternité est un
modèle de création sans être incompatible avec toutes les
autres formes de créativité ou d'expression37.
»
C'est le cas de Danièle Blanchelande qui, en 1975,
réalise une série de dessins à l'encre de Chine lors de sa
grossesse et de son accouchement. Elle écrit « dans ce cas
précis d'une activité de peintre, la transcription graphique d'un
vécu étroitement lié à la grossesse et à la
maternité constitue un dépassement de l'expérience
individuelle. L'image (É) s'adresse aux autres, et
particulièrement aux femmes directement et biologiquement
concernées [les images] se veulent une approche des désirs, des
angoisses, des répulsions, des fantasmes des femmes à
l'égard de
36Badinter, Elisabeth, Le conflit : La femme et la
mère, Librairie générale française, Paris,
2011, p.87
37 Sylviane Agacinski, Le politique des sexes,
cité dans Roux, Jean-Paul, Le sang : Mythes, symboles et
réalités, collection Les nouvelles études
historiques, Paris, Fayard, 1988, p.72
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32
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
la maternité. En ce sens, elles vont au-delà
d'un intérêt exclusivement esthétique38. »
C'est ce qu'elle représente dans sa série Grossesse et
désirs, où l'on voit un enfant logé au coeur du corps
maternel, où les corps s'emmêlent dans un faisceau de lignes
créées à l'encre de chine. L'expérience de la
maternité fut une telle source de création qu'elle exprimait son
souhait d'être toujours enceinte.
3. Le féminisme égalitaire
Le féminisme qui se développa dès les
années 1950 fut celui de l'égalitarisme. Ce mouvement se
caractérise par un rejet des caractéristiques liées
à la féminité, particulièrement la
maternité. Ce refus de maternité, clamé notamment par
Simone de Beauvoir dans son ouvrage de 1949 Le Deuxième Sexe,
partait du constat que la domination masculine ne reposait non pas sur une base
biologique, mais qu'il était le résultat d'un conditionnement
culturel. Les Chimères, au sein de leur ouvrage,
développèrent cette idée et prônèrent
d'adopter « la seule attitude cohérente quand on a
réellement pris conscience de ce que notre société a fait
de la maternité est de la refuser39. » Cette position
fut défendue par Judith Butler mais également Françoise
Héritier. Pour la célèbre anthropologue française
« les catégories de genre, les représentations de la
personne sexuée, la répartition des tâches, telles que nous
les connaissons dans les sociétés occidentales, ne sont pas des
phénomènes à valeur universelle qui prendraient leur
source dans une nature biologique commune, mais bien des constructions
culturelles40 » puis d'ajouter que « le masculin et le
féminin relèvent d'une construction mentale et sociale
établie à partir de l'observation de données
anatomico-psychologiques inévitables41. » Le refus de
maternité préconisé par ces féministes n'indiquait
pas qu'elles refusaient le fait d'avoir des enfants. Dans ce refus de
maternité s'exprimait un rejet de la fonction maternelle
prédéfinie par la société phallocrate,
c'est-à-dire la maternité comme destin ou la maternité
comme devoir. Ce que n'admettaient pas
38Cité dans Dumont, Fabienne, Femmes et
art dans les années 70: "douze ans d'art contemporain" version
plasticiennes : une face cachée de l'histoire de l'art, Paris, 1970-1982
; sous la direction de Laurence Bertrand Dorléac, thèse,
université de Picardie, Atelier national de reproduction des
Thèses, Lille, 2006 (pagination non renseignée, microforme)
39 Les Chimères, Maternité
esclave, Union générale d'éditions, Paris, 1975,
p.16
40 Héritier, Françoise, Une
pensée en mouvement, Odile Jacob, Paris, 2009, p.91
41 Op. Cit.. p.99
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33
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
les féministes égalitaires, c'est la prise en
charge totale des enfants par les femmes, ce qui les entrainait
inévitablement à renoncer à leur vie, comme l'exprime
Eliette Abecassis « mon expérienceÉdepuis que j'ai un
bébé, je n'ai plus de vie de couple, je ne dors plus, je ne me
lave plus les cheveux, je ne lis plus, je ne vois plus d'amis. Je suis devenue
mère, soit. Mais je ne savais pas qu'une mère n'était
qu'une mère. J'ignorais qu'il fallait abdiquer tous les autres
rôles, qu'il fallait renoncer à la sexualité, à la
séduction, au travail, au sport, à son corps, à son
esprit. J'ignorais qu'il fallait renoncer à la
vie42[É]. » Ce refus de maternité et des
caractères féminins en général entraina le
rapprochement de cette branche du féminisme avec le mouvement lesbien,
et amènera à la lecture dépréciative du mouvement
en virilisant ses défenseurs.
Les artistes se définissant comme féministes
égalitaires ne désiraient pas être définies en tant
qu'artistes grâce à leur condition de femme-mère. Comme il
est indiqué dans l'ouvrage d'Elisabeth Lebovici « de plus en plus
d'artistes femmes (et non plus de femmes artistes) semblent s'affirmer comme
artiste « tout court », hors de toute spécificité
féminine, d'épouse ou de mère43. » Il
était également hors de question pour ces artistes de renoncer
à la création afin d'accomplir leur devoir de mère.
Annette Messager fera le constat de cette injonction sociale de la
maternité au sein de ses oeuvres telles que Tout sur mon enfant
ou Les enfants aux yeux rayés (figure 4). Cet
album-collection montre des photos de bébés
découpées dans des magazines et dont l'artiste a
gribouillé les yeux. Par ses collections et le découpage des
images dans les magazines, elle fait référence aux petites manies
féminines, mais cette certaine frivolité est rapidement
rattrapée par le sentiment d'angoisse face à ces enfants
aveuglés.
42 Abécassis, Eliette, Un heureux
événement, Albin Michel, Paris, 2005, p.157
43 Lebocivi, Elisabeth, Femmes artistes/artistes
femmes: de 1880 à nos jours, Hazan, Paris, 2007, p.239
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34
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 4 : Annette Messager, Album-Collection III: Les
enfants aux yeux rayés, 1974, tirage argentique, annotation
dactylographiée « Annette Messager Collectionneuse » au dos, 8
x 13,8 cm. Exposition: «Annette Messager Collectionneuse »,
Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, 1974
4. Contre le principe « Kinde,
Küche, Kirche44 »
En France, les luttes pour la légalisation de la
contraception et de l'avortement renforcèrent les mouvements en faveur
de la libération des femmes. Aux Etats-Unis, les mouvements
féministes s'attaquèrent plus directement à la question du
genre et de la contestation de l'hégémonie masculine. Cela
s'explique, entre autre, par le fait que la pilule était
autorisée depuis 1960, le discours était donc dirigé moins
directement sur la condition biologique de la femme de faire des enfants et la
liberté de son corps, mais s'orienta vers la dénonciation de la
fonction sociale de la femme confinée au foyer et à
l'élevage des enfants. Bien que l'avortement fut encore
44 Traduit par « enfants, cuisine, Eglise
», formule de Guillaume II mais assimilé au régime nazi, il
énonce les valeurs traditionnelles dévolues aux femmes en
Allemagne
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35
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
interdit en 1970, c'est la place des femmes au sein de la
société qui fut décriée après des constats
affligeant. Les maris avaient les pleins pouvoirs sur leurs femmes,
possédant salaires et actifs de leurs épouses, n'en faisant plus
que des mineurs ; les universités limitaient les femmes dans leurs
cours... L'ouvrage de Betty Friedan regorge d'exemples montrant par exemple que
la société américaine reléguait les femmes à
l'isolement et à l'ennui de la condition de mère de banlieue
« le seul désir des jeunes filles américaines était
de se marier, avoir quatre enfants et vivre dans une gentille maison au milieu
d'une agréable banlieue45.» L'auteur constate
également que si les jeunes filles pouvaient accéder à
l'instruction, et notamment aller à l'université, le but
n'était pas de briguer de hautes fonctions mais de trouver un mari.
Après la seconde guerre mondiale, les établissements secondaires
et universitaires américains dispensaient des cours sur le mariage et la
famille, afin d'apprendre à être une bonne mère et une
bonne épouse. Etre intelligente n'était pas bien vu et même
caricaturé, invoquant une diminution de la féminité voire
même une frustration sexuelle46 du seul fait de son
éducation « la femme paie ses connaissances intellectuelles par la
perte de précieuses qualités féminines... Toutes les
observations confirment que la femme intellectuelle est masculine ; sa
pensée chaleureuse et intuitive a cédé la place à
une réflexion froide et stérile47. »
« La famille conjugale est fondée sur l'esclavage
domestique avoué ou voilé de la femme48 »
affirmait Engels. C'est ce que retiennent les femmes au XXe
siècle. La femme au foyer est un modèle répandu, surtout
après la guerre et la période du baby-boom, car la pénurie
de moyens de garde pour les enfants entrainait les mères qui
travaillaient à rester à la maison, jusqu'à ce que
l'école prenne le relais. L'univers de la maison, où se trouve
cantonnée la femme, va être mis à mal par les
féministes, et cela va se distinguer artistiquement parlant. Car il y a
une indistinction qui se produit entre la fonction procréatrice des
femmes et le fait d'élever ses enfants, de les éduquer. Au fil
des recherches, le constat est sans appel. En effet, lorsqu'est abordé
le thème de la maternité, il s'effectue également un
glissement de la fonction biologique
45 Friedan, Betty, La femme mystifiée,
Gonthier, Genève, 1964, p.9
46 Dans les années cinquante, le rapport
Kinsey indiquait que le degré d'instruction entrainait des frustrations
sexuelles. Selon ce rapport, l'orgasme était atteint à 100% par
les femmes noires non instruites, 80% pour les femmes ayant suivi des cours
dans le secondaire et seulement de 15% à 50% pour les femmes ayant
franchi les études supérieures.
47Hélène Deutsch, « The Psychology
of Women », pagination non renseignée, cité dans Friedan,
Betty, La femme mystifiée, Gonthier, Genève, 1964,
p.199
48Cité dans Les Chimères,
Maternité esclave, Union générale
d'éditions, Paris, 1975, p.13
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
de procréation au rôle d'éducation des
enfants, car le travail domestique prendrait son origine dans les soins
à apporter aux enfants. Les tâches ménagères
découlaient donc du statut de mère. D'ailleurs, le thème
des tâches ménagères et de l'enfermement des femmes au sein
de leur foyer était débattu au sein du Mouvement de
Libération des Femmes.
Dans ce contexte, les artistes vont développer une
démarche artistique afin de critiquer cet amalgame et réduction
entre fonction biologique de procréation et fonction sociale
d'éducation des enfants.
Annette Messager explique d'ailleurs que par sa pratique,
notamment avec ses oeuvres comme Les enfants aux yeux rayés ou
Le repos des pensionnaires, elle « voulait montrer au second
degré ce que c'est d'être une femme, donc une mère, qui
travaille dans la maison, élève ses enfants et, le plus souvent,
fait, en plus, un boulot artisanal ou artistique49. » Il y a
dans cette citation une accumulation : la fonction maternelle, qui apparait ici
comme évidente ; le travail ménager ; le rôle
d'éducatrice des enfants et en dernier lieu, une part de travail qu'elle
appelle artisanal ou artistique, c'est-à-dire la couture, la peinture
(figure 5).
49 Dallier, Aline, « Annette Messager : un
langage de plasticienne », Cahier du Grif, n°13, octobre
1976, p.44-45, cité dans Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les
années 70: "douze ans d'art contemporain" version plasticiennes : une
face cachée de l'histoire de l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la
direction de Laurence Bertrand Dorléac, thèse, université
de Picardie, Atelier national de reproduction des Thèses, Lille, 2006,
p.343
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37
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 5 : Annette Messager, Le Repos des
pensionnaires (détail), 1971-1972, Plumes et laine, vitrine 154
x 94 cm, Collection Musée national d'art moderne, Centre Pompidou,
Paris
L'idée que la femme qui reste à la maison est
non-productive, voire qu'elle ne fait rien, est remise en cause par
Françoise Dolto avec une petite phrase tirée de son
émission sur France Inter « Lorsque l'enfant parait » et qui
dit que « blanche-neige, c'est quelqu'un qui bosse du matin au
soir50.» En effet, les contes appuient cet héritage de
domination masculine, toutes tour à tour sauvées par des princes
qui sont toujours charmants et qui les emportent vers un avenir meilleur, pour
« avoir beaucoup d'enfants ». Cependant, ce que veut dire la
pédopsychiatre, c'est que finalement, Blanche-neige, quand elle est chez
les nains, reste certes à la maison mais pas à ne rien faire.
Elle s'occupe du ménage, et fait tout au mieux pour le retour des
nains.
Raymonde Arcier mêle également enfermement au
domicile et enfants lorsqu'elle dit « si dans leurs murs qu'elles
habillent et déshabillent comme elles le font avec leurs
bébés, ces murs qui couvrent la solitude de femme, avec les cris
des enfants qui couvrent leurs cris de mères51
[É].» Pour dénoncer la « tyrannie des devoirs
maternels52 », ce qui pour cette artiste comme pour d'autres,
empêche l'accession à la création, Raymonde Arcier fait une
immense femme, s'étirant du sol au plafond, les bras
écartés en croix (figure 6). A chaque bras, elle porte de lourds
cabas remplis de courses, qui pendent jusqu'au sol. D'entre ses jambes, elle
donne naissance à un bébé qui lui aussi est enfermé
dans un filet de ménagère. Cette artiste dénonce dans
cette oeuvre Au nom du père, en 1977, le
stéréotype de la femme : la femme au foyer, consommatrice
acharnée et mère. Par le fait de mettre le bébé
dans un filet à provision, on peut y voir l'hypothèse d'une
dénonciation d'un héritage de l'image du féminin : la
petite-fille qui ne connait sa mère que sous ces aspects reproduira le
même schéma, et le petit garçon cherchera une femme
conforme à l'image de sa mère. Car à cette époque,
la génération de filles de la
50Tiré du livre compilant ses interventions
radiophonique, Dolto, Françoise, Lorsque l'enfant paraît,
Collection Point, Edition du Seuil, Paris, 1977, p.430
51 Dallier, Aline, « Les travaux d'aiguilles
», Cahier du Grif, n°12, juin 1976, p.49-54, cité
dans Dumont, Fabienne, Femmes et art dans les années 70: "douze ans
d'art contemporain" version plasticiennes : une face cachée de
l'histoire de l'art, Paris, 1970-1982 ; sous la direction de Laurence
Bertrand Dorléac, thèse, université de Picardie, Atelier
national de reproduction des Thèses, Lille, 2006, p.340
52, Badinter, Elisabeth, Le conflit : La femme et
la mère, Librairie générale française, Paris,
2011, p.146
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jours
libération sexuelle en voulait à leurs
mères qui se laissaient confiner dans un moule social qui les
asservissait.
Figure 6 : Raymonde Arcier, Au nom du
père, 1977
Pour certaines femmes, qui n'ont pas été
élevées dans cette tradition domestique du conditionnement
à certaines tâches, qui n'ont pas en quelque sorte
été dressées au ménage, un choc se produit
lorsqu'elles deviennent mère de famille et lorsque se
révèle « l'accablante routine du
quotidien53.» Car comme le souligne Elisabeth Badinter, «
la future mère ne fantasme que sur l'amour et le bonheur. Elle ignore
l'autre face de la maternité faite d'épuisement, de frustration,
de solitude voire d'aliénation, avec son cortège de
culpabilité54. » Mierle Laderman Ukeles explique qu'elle
comprit qu'en devenant mère de petits enfants, elle n'allait plus avoir
le temps pour créer. C'est à partir de ce moment qu'elle
décide de poursuivre son travail de création, mais à
partir de son quotidien, afin d'en dénoncer le caractère
routinier et aliénant. Après la naissance de son premier enfant,
elle écrit son Manifesto For Maintenance Art en 1969, où
elle questionne particulièrement les systèmes binaires, et
notamment le rapport entre art et vie. Elle dénonce également au
sein de son ouvrage l'aberration du quotidien. Bobby Baker en fera de
même. Ainsi dans ses performances, Drawing On a Mother's
Experience, elle
53Knibiehler Yvonne, La révolution
maternelle : Femmes, maternité, citoyenneté depuis 1945,
Perrin, Paris, 1997, p.232
54 Badinter, Elisabeth, Le conflit : La femme et
la mère, Librairie générale française, Paris,
2011, p.25
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
utilise des produits issus de sa cuisine et entreprend une
danse rituelle autour d'une feuille, rappelant le rituel de Jackson Pollock
(figure 7). Ces performances lui sont inspirées de son quotidien, alors
qu'elle arrête sa carrière artistique dans les années
soixante-dix pendant une durée de huit ans, afin d'élever ses
deux enfants. Enfin, la dénonciation de la servitude domestique
transparait dans la performance vidéo Semiotics of the Kitchen
de Martha Rosler (figure 8). En 1975, elle propose une chorégraphie
quelque peu grotesque (elle mime un assassinat à l'aide d'une
fourchette) en énumérant par ordre alphabétique les
différents ustensiles de cuisine se trouvant autour d'elle. On remarque
l'omniprésence de l'univers de la cuisine, que ce soit en rapport avec
l'éducation des enfants ou, comme on va pouvoir le constater par la
suite, lors des avortements55.
Figure 7: Bobby Baker, Drawing On a Mother's
Experience
55 IVe partie
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 8: Martha Rosler, Semiotics of the
Kitchen, 1975, video, 7 minutes
Le projet Womenhouse fera de la maison et de l'univers
domestique une véritable oeuvre. A l'origine de ce projet, Judy Chicago,
qui fonda le premier « Feminist Art Program » à la California
State University, qui était un cours réservé aux
étudiantes et destiné à favoriser leur affirmation
sociale, entre 1971 et 1973. C'est en 1972, avec Miriam Schapiro, et ses
étudiantes du Feminist Art Program qu'elle développa le projet
Womenhouse. Dans un immeuble désaffecté de Los Angeles, les
artistes installaient dix-sept environnements illustrant les expériences
des femmes dans le cadre familiale. Habituellement lieu d'aliénation
domestique, les femmes de ces projets réinvestissaient la maison pour
s'affirmer en tant qu'artiste.
C. La psychanalyse et la maternité : la femme
nécessairement mère
Les mouvements féministes des années
soixante-dix vont mettre en avant le fait que la femme est un être
sexué, et que sa destinée ne s'arrête pas à sa
possible fonction biologique d'enfantement. A cela va s'ajouter la psychanalyse
qui est en plein essor à cette époque. Les théories se
multiplient mais les deux grands noms que l'on retient et qui s'opposent sont
Freud et Lacan. Cependant, pour les deux psychanalystes, ce n'est pas de
maternité dont il s'agit, mais de féminité, ce qui
incorpore la maternité et la sexualité dans un rapport
étroit.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
1. La théorie de la féminité selon
Freud
Selon Freud, la féminité est un aboutissant de
l'enfance. L'accession à la féminité ne se fait que par un
cheminement négatif ou de remplacement d'un désir par un autre.
Lorsque la petite fille nait, elle est dépourvue de pénis. Pour
Freud, déjà à sa naissance, la fillette est perçue
comme ayant un manque. Le rapport entre le pénis et la fillette fait
d'ailleurs penser à l'oeuvre de Louise Bourgeois du nom même de
Fillette, particulièrement connue car photographiée par
Robert Mapplethorpe en 1982 et qui est une sculpture d'un phallus, maintenue
sous l'aisselle de l'artiste sur le cliché en noir et blanc ou comme un
poupon parfois. Tout un processus se met en place, avec notamment le complexe
oedipien qui renvoie la fillette initialement en relation étroite avec
la mère dans le stade préoedipien, c'est-à-dire vers le
père. La fillette se tourne vers le père, et souvent dit qu'elle
veut se marier avec et avoir des enfants (ou plutôt se marier avec POUR
avoir des enfants), pour que son père lui donne ce que la mère ne
lui a pas donné à la naissance, un pénis.
Pour Freud, le cheminement normal de la fillette est le
dépassement du stade oedipien en s'attachant à un homme
extérieur au cercle, ou plutôt à la triade familiale.
Seulement la finalité reste inchangée : le désir du
pénis pousse les femmes à l'accouplement et au désir
d'enfant. Selon Freud, le désir d'enfant n'est que le remplacement du
désir du pénis. La féminité, au sens incluant la
maternité, est donc une quête du pénis transformée
en pénis-enfant.
On retrouve une analogie avec une oeuvre de Niki de
Saint-Phalle, L'Accouchement Rose (figure 9). Elle dira de ses
représentations d'accouchement « c'est la femme virile. Elle porte
l'enfant comme un sexe masculin56. » En effet, dans cette
oeuvre, un enfant sort du sexe de la femme, comme serait placé un
pénis chez un homme.
56 Schmutz, Lydie, l'art et la vie confondus :
la production artistique de Niki de Saint-Phalle de 1961 à 1966,
Mémoire de Maitrise Histoire de l'art, Strasbourg, 2004, p.37
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La représentation de la maternité dans la
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Figure 9: Niki de Saint-Phalle, L'Accouchement
Rose, 1964, technique mixte, 219 x 152 x 14 cm
Pour Freud, la maternité est donc l'accomplissement de
la féminité, la fin du cheminement entrepris dès la
naissance d'une fille. Ne pas aller vers la maternité conduirait, selon
lui, à la névrose ou à l'homosexualité.
Nicole Stryckman confirme même que « le
désir d'enfant promet, introduit la femme - dans et par le réel
de son corps - à la maternité, maternité qui sera la
preuve de sa sexuation en tant que femme, autrement dit de sa
féminité57. » Elle affirme également qu'un
refus de maternité est pour elle toujours un refus de
féminité.
Le parallèle entre maternité et sexualité
ne s'arrête pas là. Hélène Deutsch, disciple de
Freud, explique la maternité, et plus particulièrement
l'accouchement comme la fin en soi du rapport sexuel, du coït. Lors d'un
accouplement, l'éjaculation de l'homme correspond à la fin de
sa
57 Stryckman, Nicole, « Désir d'enfant
», Le Bulletin Freudien, n°21, décembre 1993, cité dans
Bastien Danielle, Le plaisir et les mères : féminité
et maternité, Imago, Paris, 2008, p.91
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
fonction reproductive, mais également au soulagement de
la tension sexuelle avec l'orgasme qui l'accompagne.
Pour la femme cependant, selon Hélène Deutsch,
le processus s'établit en deux actes. Le premier est l'accouplement,
avec l'orgasme, mais cela ne correspond pas à l'achèvement de sa
fonction reproductive. Pour Hélène Deutsch, la fin réelle
de cet accouplement qui a donné lieu à une parturition est
l'accouchement, qui est vu au même titre que l'éjaculation, et qui
s'accompagne d'un relâchement.
2. Selon Lacan via Dolto:
Pour Françoise Dolto, la fillette ne nait pas avec un
manque de pénis. Elle nait justement plus sereinement que le
garçon qui lui vit toujours dans la peur de la castration. Pour elle,
rien ne peut lui manquer car elle ne connait pas le pénis. La
castration, pour elle, survient lors du renoncement à l'inceste.
Là où les deux théories peuvent se
retrouver, c'est au fait qu'une femme se confronte à la
maternité. Françoise Dolto atteste « gester c'est, pour une
femme, manifester par un acte corporel sexuel son refus, son acceptation ou le
don asymptotiquement inconditionnel de son sexe aux lois de la création,
à travers ses processus biologiques58. »
Le caractère sexuel également lié
à la maternité c'est ce pouvoir du désir ou non de
l'enfant. En effet, pour Françoise Dolto, le désir de
procréer est inhérent à la femme et fait partie
intégrante de sa jouissance. Par exemple, le fait même de craindre
de tomber enceinte va inhiber le plaisir sexuel. Le fort taux de
frigidité avant l'apparition de la contraception et de sa
légalisation
58 Dolto, Françoise, Le
Féminin, édition établie, annotée et
présentée par Muriel Djéribi-Valentin et Elisabeth Kouki,
Gallimard, Paris, 1998, p.84
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création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
prouve la puissance de l'inconscient qui désire ou
refoule le désir d'enfant, voire l'appréhende. En cela, la
contraception va libérer la femme de cette fatalité de la
maternité, et du choix qu'elle devait faire, lorsque cela était
possible, entre sexualité et maternité. Mais cela n'a pas
été sans conséquences, car le désir d'enfant
devient alors un désir programmé, responsabilisé.
Les intellectuelles féministes vont remettre en
question cette réduction de la femme à la maternité vue
par la psychanalyse. Elles développent l'idée que ces principes
découlent d'un point de vue masculin ou du côté du
masculin. Simone de Beauvoir l'atteste, dans le Deuxième Sexe,
s'agissant de la description de l'évolution de la fillette « les
deux reproches essentiels que l'on peut adresser à cette description
viennent du fait que Freud l'a calquée sur un modèle masculin. Il
suppose que la femme se sent un homme mutilé59 [É].
» Elles ne comprennent pas pourquoi la femme doit ressentir un manque face
au pénis, et expriment que l'homme peut lui aussi éprouver un
manque au regard du pouvoir créateur biologique donné à la
femme.
3. La mère dévorante:
La question vue sous un angle psychanalytique de la
maternité n'est pas sans poser de problème et résulterait
d'un cheminement se faisant dès la naissance, en passant par des stades
préoedipiens et oedipiens. Mais qu'en est-il lorsque « l'enfant
parait60 » ? On va voir que l'attitude de certaine mère
est ambivalente.
Pour certaines femmes, l'enfant est celui qui va
régler, réparer ou combler les manques de la mère. Cela
peut être un deuil, une solitude, un destin ou un sentiment de perte. La
force du désir d'enfant va se transformer pour aller jusqu'à
l'obsession parfois. C'est ce que Monique
59 Beauvoir, Simone de, Le deuxième sexe I,
Les faits et les mythes, Gallimard, Paris, 1949, p.84
60 Selon l'ouvrage de Françoise Dolto
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Schneider appelle le « gouffre maternel61.
» Danielle Bastien la cite pour expliquer qu'une femme ayant un
désir si fort, qu'il devient pour elle inconcevable de ne pas le voir se
réaliser, annonce « autant d'amour passionné que
dévorant, autant de dévouement que de haine. »
Cette haine est primordiale à la relation
mère-enfant, et surtout mère-fille, car c'est cette «
hainamoration62 » qui va permettre à l'enfant de se
tourner vers le troisième sujet de la triade, à savoir le
père, afin d'éprouver le complexe d'OEdipe et le dépasser.
L' « hainamoration » c'est aussi le pouvoir que ressent la femme
d'avoir donné une vie mortelle.
Mais cette haine est également présente et
pesante chez la femme qui éprouve de la haine à l'égard de
leur mère. Selon Monique Bydlowsky, lorsqu'une femme est enceinte, elle
part vers une rencontre avec elle-même et avec sa propre mère. En
quelque sorte, elle devient sa mère, elle la prolonge, à l'image
de l'oeuvre de Léonard de Vinci, où l'on voit sainte Anne, la
Vierge et l'Enfant Jésus, les gestes des deux femmes disparaissant pour
ne former qu'un. Seulement, Georg Groddeck lui affirme que la haine envers sa
mère inhibe la conception, car elle ne permet pas de s'inscrire dans la
continuité, « enfanter, c'est reconnaître sa propre
mère à l'intérieur de soi63. » Certaines,
en tombant enceintes de leurs premiers enfants, ne voient pas d'autres issues
que l'avortement, ne supportant pas de porter à l'intérieur
d'elle l'image maternelle. Un premier avortement peut être le prix du
sang à verser pour devenir femme soi-même, dans la
différence. Ce que redoutent ces femmes, c'est d'avoir envers leur
mère une certaine dette, qui ne se règle que par l'arrivée
d'un enfant.
En effet, le sentiment de haine ne fait qu'entrainer un
sentiment de dette, et ce sentiment nous le retrouvons aussi du
côté de l'homme. Nombreux conflits interviennent au sein de la
famille élargie, c'est-à-dire comprenant les grands-parents, car
l'homme laisse sa mère envahir l'espace de sa femme, laisse sa
mère intervenir dans sa maternité nouvelle car il existe un lien
de dette à l'égard de la grand-mère paternelle. Le fils
étant parti fonder sa propre famille, il comble la perte
éprouvée par la mère en lui donnant un ou des
petits-enfants.
61 Schneider, Monique, « Mère, Terre
ouverte », Etudes Freudienne, n°32, novembre 1991,
cité dans Bastien Danielle, Le plaisir et les mères :
féminité et maternité, Imago, Paris, 2008, p.117
62Selon Jacques Lacan
63 Bastien Danielle, Le plaisir et les
mères : féminité et maternité, Imago, Paris,
2008, p.88
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
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Dans cette optique de maternité liée à
l'angoisse, Ruth Francken développa des oeuvres angoissantes, comme
Lullabye où elle associe une poussette et une affiche
représentant des couteaux pointant sur cette poussette, ou encore
Lilith, représentant une paire de ciseaux placée entre
des seins et pointant dangereusement vers le ventre. On retrouve
également cette ambigüité de mère à la fois
don de vie et menace dans les grandes déesses, qui seront
développées en troisième partie.
III. Maternités divines
A. Désacralisation du symbole de la Vierge
Marie
La plus représentée des mères est sans
équivoque la Vierge Marie, dont l'iconographie fut florissante jusqu'au
Concile de Trente. Le mot « maternité » est très
fortement associé à la religion catholique puisque sa racine
Maternitas, n'apparait que vers 1122 pour désigner la
maternité de l'Eglise catholique. Ce terme de maternité ne
désigne alors qu'une qualité ou une vertu et fait donc
référence à une fonction purement spirituelle. Son
application à la Vierge par la suite, à celle par qui s'incarnera
le Fils, donnera une version plus charnelle de la maternité,
c'est-à-dire au sens « de celle qui enfante », même si
ce qui est développé par la religion sont les vertus maternelles
comme la tendresse, la patience ou le dévouement. La vierge doit
apparaitre comme le modèle à suivre par toutes les femmes.
La vocation spirituelle de la maternité de la Vierge
apparait nettement à la lecture de la bible : de charnel, il n'y aura
que le sein que Marie offrira à son fils. La spiritualité de
cette maternité se trouve également dès le début
car l'enfantement de Marie n'est pas le résultat d'un acte sexuel mais
d'une relation divine.
Mais cette image de maternité sacralisée va
être mise à mal par les artistes contemporains afin de
rétablir une certaine vérité au sujet de la
maternité, en ébranlant toutes les phases de maternité, de
l'annonce à l'éducation, afin de replacer le Vierge dans la
lignée d'Eve.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
1. Le Verbe : véritable
incarnation
Le premier épisode biblique qui introduit la
maternité de la Vierge est l'annonciation. C'est alors que l'ange
Gabriel vient signifier à Marie qu'elle est choisie pour recevoir en
elle le fils de Dieu. On remarque que le récit de cet
événement qui figure dans le livre de Saint Luc64 est
un dialogue pour l'essentiel. La parole va avoir un rôle décisif
dans cet échange, car il amène l'acceptation de la Vierge pour
cette mission divine. Grâce à l'acceptation de Marie sous forme de
parole, elle transforme le projet divin en projet terrestre de
maternité. En effet, à cet instant, le Verbe se fait chair.
L'idée se réalise concrètement par le mot, la parole.
Cependant, il faut y voir également l'incarnation au sens propre dans
« faire chair ». En effet, Dieu va s'incarner en son fils
Jésus, par le biais de Marie, pour révéler la bonne parole
et la transmettre. La transmission se fera par la parole.
D'ailleurs le Verbe est le commencement du tout, comme
l'indique Saint Jean : « Au commencement était le Verbe et le Verbe
était tourné vers Dieu, et le Verbe était
Dieu.65 » Le rôle de la Vierge et sa maternité ne
put être effective sans sa parole d'acceptation et sans ce dialogue.
Cette importance de la parole dans la révélation d'une
maternité est expliquée par Françoise Dolto. Pour la
pédo-psychanalyste66, ce qui donne tout d'abord une existence
au foetus c'est sa révélation par le langage. L'exemple le plus
probant et qui fait l'actualité depuis quelques années, c'est le
déni de grossesse. En effet, se savoir enceinte ne donne pas d'existence
au foetus, au contraire de le révéler à son entourage ou
de partager la nouvelle avec son conjoint, ce qui rend la grossesse
concrète par la parole.
64 LUC, 1, 26-38.
65 Jean, 1,1
66 Dolto, Françoise, Le
Féminin, édition établie, annotée et
présentée par Muriel Djéribi-Valentin et Elisabeth Kouki,
collection Françoise Dolto, Gallimard, Paris, 1998
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La représentation de la maternité dans la
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A l'opposé, la chair fait le verbe dans la performance
de Carolee Scheemann, Interior Scroll (figure 10). Totalement nue,
debout sur une table, elle retire lentement de son vagin un long parchemin et
lis ce qui est inscrit dessus67. Ici, le schisme est évident.
D'une part, la Vierge, qui ne montrera de son intimité que son pudique
sein nourricier, et l'artiste complètement nue. Mais également
l'action : l'artiste est active, elle se meut et retire elle-même ce
corps étranger de son sexe. Marie elle, est passive de son état,
elle ne fait qu'accepter que tout se joue en elle. Son corps n'est que le
réceptacle, parfaitement symbolisé par le vase.
Figure10: Carolee Scheemann, Interior Scroll,
1975, Performance, East Hampton,NY and at the Telluride Film Festival,
Colorado
La pensée phallocrate a souvent opposé
spiritualité, donc pensée, et corps. Le spirituel était
masculin, le charnel féminin. Par ce travail sur et par le corps,
intégrant le langage avec « ce texte sortant de son vagin comme un
cordon ombilical « crypté » 68 », Carolee Schneemann tend
à démontrer que le corps est le langage. On peut rapprocher cette
performance et les paroles de Julia Kristeva en réponses à des
questions de Catherine Francblin, « l'expérience vraie du corps se
désigne par le meurtre de la langue qui s'appelle texte, et ce texte est
un corps refait.
67 Cezanne, She Was A Great Painter, 1976
68Phelan, Peggy, Art et féminisme,
Phaidon, Paris, 2005, p.30
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
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Corps vrai et texte, c'est le Même d'une
transsubstantiation69. ». Ici, l'artiste offre une renaissance
du langage au sens du texte par l'expérience du corps.
2. Faire la lumière sur la parturition de la
Vierge
L'iconographie mariale s'est rapidement
développée jusqu'au Concile de Trente en 1563 où ses
représentations reprenant les différents épisodes de sa
vie furent restreintes. Auparavant, on pouvait trouver des Vierges parturientes
(Virgo paritura) aux côtés des Vierge de tendresse, des Vierge
à l'Enfant ou encore des Vierges allaitantes (Virgo Lactans).
Malgré ces restrictions iconologiques, la grossesse de la Vierge
était une des seules à pouvoir être
représentée en art, avec celle d'Elisabeth70 lors de
leur rencontre. Cela s'explique par le fait que ces grossesses n'étaient
en rien charnelles, elles excluaient le péché de chair puisque de
volonté divine. Plus tard dans les portraits d'apparat, les grossesses
des modèles étaient suggérées par des
vêtements amples à la taille, mais les différentes modes de
l'époque laissaient planer le doute. Il s'agissait alors de
révéler la future naissance par des signes renvoyant le plus
souvent à l'iconographie de la maternité de la Vierge, comme un
vase transparent ou un rayon de lumière traversant ce dernier ou se
dirigeant imperceptiblement sur la jeune femme. Dans la Bible, la grossesse de
la Vierge est passée sous silence, tout comme son accouchement. Il est
seulement écrit « [É] le jour où elle devait
accoucher arriva ; elle accoucha de son fils premier-né, l'emmaillota et
le déposa dans une mangeoire [É]71. »
B.M Morineau parle ainsi de l'accouchement de la Vierge dans
son ouvrage La Sainte Vierge72 : « A cause de la
spiritualité pénétrante de sa chair virginale, l'Enfant
Dieu naîtra sans briser la virginité maternelle. La foi de
l'Eglise est ferme sur ce point et les Pères ont cherchés les
plus riches formules pour exprimer cette naissance qu'ils ont comparée
au rayon de lumière qui traverse le cristal sans lui porter atteinte.
»
69 Julia Kristeva, «
Femme/mère/pensée », Art press n5, mars 1977,
p.6-8
70 Luc, 1, 5
71 Luc, 2, 6
72 Morineau, B.M, La Sainte Vierge, Bloud et
Gay, Paris, 1929
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La représentation de la maternité dans la
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Si la fécondation de la Vierge a souvent
été représentée également par un rayon
lumineux se posant sur elle, la « traversant », et que le vase est un
de ses emblèmes, les artistes des années soixante-dix se posent
la question de l'accouchement de la Vierge dans une perspective plus charnelle
que spirituelle, comme pour rétablir une certaine vérité.
De plus, les femmes étaient invitées à prendre exemple sur
la Vierge, notamment pour les vertus de tendresse et d'éducation que
l'on développera plus loin. Cependant, en matière de
maternité, en tant que processus allant de la fécondation
jusqu'à l'accouchement, les femmes ne pouvaient prendre exemple sur la
Vierge tant l'expérience de Marie était éloignée
des maternités terrestres.
Michel Journiac reconsidère la naissance du Christ et
la réinterprète dans son oeuvre La Vierge Mère.
Il s'agit de dix clichés photographiques en couleurs. Sur le premier, on
y voit l'artiste en Madone (figure11). Puis un rituel d'accouchement se
produit, plus proche d'un accouchement terrestre que spirituel, à en
considérer par la présence de sang, matière corporelle,
qui y abonde. Tout de blanc vêtu, le fond de l'image et tous les
accessoires étant blancs également, le sang surgit dans l'image
comme l'élément de violence qui manquait à
l'épisode de l'évangile selon saint Luc. Ce sang, c'est la
douleur terrestre, la douleur d'enfantement, que Dieu inflige à la femme
dès l'expulsion du jardin d'Eden « je ferai qu'enceinte, tu sois
dans de grandes souffrances ; c'est péniblement que tu enfanteras des
fils73. » La douleur conclue d'ailleurs cette série avec
l'ensevelissement du corps, en référence au sacrifice du Christ.
Sur le petit monticule de terre, Michel Journiac est en train d'y
déposer un crucifix blanc.
73 Genèse 3, 16-17
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La représentation de la maternité dans la
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Figure 11 : Michel Journiac, La Vierge
Mère. 1982-1983, Photos de l'action. Reliques. Ensemble complet
de 11 photos en couleurs (tirage argentique sur papier) de l'action "Le Vierge
Mère" créée en 1982 au Musée d'Art Moderne de
Paris et une feuille en carton blanc avec texte de présentation
manuscrit au feutre noir au recto, La feuille de texte, 32x24 cm, est
datée 1983 et signée au feutre noir par M. Journiac. Texte de
présentation manuscrit: "Cette formulation unique de l'action: Le
Vierge Mère en témoignage d'amitié, à tous ceux
qui collaborent avec passion, à l'édification de ce Centre
National d'Art Contemporain à Nice. 31 Août 1983, Villa Arson,
Nice. Michel Journiac".
Le doute sur l'absence de sexualité de la Vierge va
être un point auquel les artistes vont s'attaquer. La photographie de
2006 de Vanessa Beecroft, Pregnant Madonna, ose le blasphème,
en présentant une none noire, vêtue de blanc et se trouvant
enceinte (figure 12). La dichotomie entre l'ébène de la peau de
cette femme et l'immaculé de son vêtement renforce le
sacrilège de mettre à jour une religieuse ayant explicitement
fauté. Le caractère sexuel se révèle ici, et c'est
une dimension de doute que l'on peut mettre en parallèle de l'histoire
de la Vierge qui n'aurait pas connu d'homme et serait donc tombée
enceinte par la volonté du Très Haut. L'artiste ici montre la
faiblesse de la chair, qui succombe au plaisir malgré la
spiritualité et met en doute la virginité de la Vierge Marie.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 12: Vanessa Beecroft, Pregnant Madonna,
2006, Rumbek, Soudan
Dans un registre beaucoup plus contemporain, l'artiste Soasig
Chamaillard replace la Vierge dans le XXIe siècle avec son
oeuvre Nouvelle Bible de 2008 appartenant à sa série
Apparition (figure 13). Cette petite statuette représente une
Vierge à un stade avancé de sa grossesse, lisant attentivement la
« bible » des femmes enceintes et futures mères, J'attends
un enfant de Laurence Pernoud. Ainsi, sur un ton quelque peu humoristique,
elle affuble la Vierge de préoccupations maternelles terrestres, bien
loin des inquiétudes de la mission rédemptrice de son fils
à venir. Cependant, on peut voir explicitement le regard critique
porté sur la femme enceinte -et la femme en général
à travers ses autres travaux- dans la société actuelle par
ce détournement.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 13: Soasig Chamaillard, Nouvelle bible,
série Apparitions, 2008, plâtre résine et
peinture, 40
cm
3. Si Marie était une mère comme les
autres
Marie relève de la « mère idéale
» pour ses vertus et son modèle d'éducation. L'exemple de la
Vierge, c'est la maternité dévouée entièrement
à son enfant, comme le dit P.R Bernard dans Le mystère de
Marie, « il est très visible qu'à partir de
l'annonciation Marie ne s'appartient plus du tout : elle appartient à
son enfant 74 » et B.M Morineau de rajouter « il faudra qu'elle le
nourrisse de son lait. Elle l'aidera heure par heure, avec ce dévouement
que comprennent les mères75.» La vierge est cette
mère idéale qui est présente, qui console, sourit,
caresse, prend soin de l'enfant, et va aider ce dernier à aller vers sa
voie, sans jamais se montrer possessive. C'est contre quoi les
féministes vont se battre, ce modèle idéal silencieux de
la femme-mère
74 Bernard, P. R, Le mystère de Marie : les
origines et les grands actes de la maternité de grâce de la sainte
Vierge, Desclée de Brouwer, Paris, 1933, p.173
75Morineau, B.M, La Sainte Vierge, Bloud et
Gay, Paris, 1929, p.88
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
totalement dévouée à son enfant
jusqu'à s'oublier elle-même, jusqu'à ne plus être
sujet indépendant, mais toujours référent : la mère
de quelqu'un.
Le manque d'humanité dans ses valeurs
chrétiennes sera très justement repris dans un tableau de Max
Ernst, La Vierge corrigeant l'Enfant Jésus devant trois
témoins, André Breton, Paul Eluard et le peintre, de 1926
(figure 14). Cette oeuvre montre la Vierge fessant le Christ, notamment
après l'épisode du temple. Dans la Bible, il est rapporté
que lorsque Jésus avait douze ans, il ne rentra pas avec ses parents
à Jérusalem mais resta au temple, où il était venu
avec eux pour la Pâques. Ses parents le cherchèrent partout, pour
le trouver trois jours après au temple. Marie lui demanda seulement
pourquoi il avait agi de la sorte, en lui faisant remarquer qu'ils
s'étaient inquiétés pour lui. Plus humainement, les
surréalistes pensent alors que cet enfant, moins âgé dans
le tableau qu'au sein du récit, méritait une correction.
Evidemment, la fessée a le sens le plus charnel des punitions, mais
c'est aussi la transcription d'un sentiment humain : la fessée est
davantage un soulagement pour les parents, sorte de défouloir
après une frayeur effectuée par l'enfant.
Figure 14: Max Ernst, La vierge corrigeant l'Enfant
Jésus devant trois témoins : André Breton, Paul Eluard
et le peintre, 1926, Huile sur toile, 196 x 130 cm, Museum Ludwig,
Cologne.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Bernadette Genée met en parallèle
également les vertus maternelles et le sacré dans sa série
de Sainte Bernadette. Elle fait notamment des lingeries sentimentales,
comme le Coeur reliquaire de 1981, où l'on voit une Vierge
occupant le centre d'un autel, entourée de trois nourrissons en langes.
La Vierge est habillée de dessous affriolant et d'un chapelet. Le
blasphème est sans appel : par les dessous, la connotation sexuelle de
la Vierge est équivoque, surtout rehaussé d'un chapelet, objet
pieux par excellence. Le caractère maternel de la Vierge est
appuyé par ces bébés, au nombre de trois, ce qui renvoie
à la Trinité. Cette duplicité du nombre d'enfants de la
Vierge fait également référence aux maternités
mortelles non uniques et aux préceptes catholiques d'accueillir autant
d'enfants que Dieu voudra leur donner. Il y a donc une mise en doute de la
chasteté de la Vierge sur toute la durée de sa vie, et
l'idée de se dire que si elle était LE modèle maternel,
pourquoi n'en a-t-elle eu qu'un ?
4. Redonner corps à l'Immaculée
Conception
Plus récemment, les artistes contemporains traitent le
rapport à la Vierge et sa maternité en parallèle de la
science. En effet, pour beaucoup, la science est ce qui a remplacé la
religion. Auparavant, les avancées scientifiques se faisaient en regard
de la religion, il fallait une certaine adéquation entre les deux.
L'Eglise a du s'adapter aux découvertes sur la conception pour que cela
aille dans le sens du dogme. Et il faut également penser que les
scientifiques de l'époque sont croyants, ainsi les théoriciens
sont influencés par leur idéologie. Par exemple, lors du
débat entre la théorie de l'épigénèse, qui
pense que toutes les parties sont présentes dans la semence mais se
développent progressivement, et la théorie du germe, qui voyait
des petits hommes déjà formés, le dogme a rejoint la
théorie des germes qui s'adaptait au discours disant que Eve aurait eu
dans son sein tous les oeufs, donc toute sa descendance, s'emboitant à
l'infini. De nos jours, la science et la religion sont diamétralement
opposées, surtout lorsqu'entrent en jeu les questions de
l'éthique, mais ce sera le sujet d'un autre point.
L'opacité appliquée à la Vierge, et
notamment au traitement de son corps si lourdement vêtu, a amené
les artistes contemporains à appuyer encore plus leurs démarches
sur la corporéité de la Vierge, quitte à la
désincarner, afin de dévoiler le corps du Mystère.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Par exemple, Damien Hirst nous donne à voir, en deux
lieux différents -la Royal Academy of Arts de Londres et la place Lever
House à New-York- une Vierge de plusieurs mètres de haut.
Cette Virgin Mother nue, empruntant les traits à la petite
danseuse de Degas, est représentée écorchée sur
presque la moitié de son corps (figure 15). L'Incarnation porte ici tout
son sens, c'est-à-dire dans la chair. Cependant, cette géante se
révèle très, voir trop humaine, avec sa main posée
sur son ventre dans un élan de bienveillance universelle. Le «
fruit de [ses] entrailles » s'offre à la vue de tous quand des
siècles de créations artistiques ont simplement symbolisé
cette incarnation. Mais cette incarnation est aussi poussée à son
paroxysme, devenant alors désincarnation. Le corps symbole laisse place
au corps presque anonyme d'une femme enceinte, à rapprocher de la
célèbre La femme écorchée enceinte avec foetus
tirée de l'Anatomie des parties de la génération
de l'homme et de la femme de Jacques Fabien Gautier d'Agoty en 1773
(figure 16). Ce décharnement partiel tend presque à l'idée
d'un cadavre d'autopsie.
Figure 15: Damien Hirst, Virgin Mother, 1994,
Plaza of Lever House, New-York
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 16: Jacques Fabien Gautier d'Agoty, La femme
écorchée enceinte avec foetus, tirée
de l'Anatomie des parties de la génération de l'homme et
de la femme, 1773
Kiki Smith portera un regard quelque peu semblable avec sa
sculpture Virgin Mary (figure 17). Le corps dans cette oeuvre est
totalement écorché, anonyme. En 1992, Virgin Mary
présente un corps de femme écorchée de 1mètre
80 en cire. Elle se tient les pieds joints, bras ouverts et paumes
dirigées vers le ciel en posture d'orante. Le titre renvoie
évidemment à l'iconographie religieuse de celle par qui Dieu
s'est fait chair. Elle met en rapport la religion et la science en dirigeant
son travail vers un intérêt « à
l'intégrité du corps humain et au fait que différentes
factions, de la religion à la loi à l'implantation de la
médecine, rivalisent pour son contrôle76.»
76Solomon, Deborah, « Body and Soul
», Bazaar, novembre 1992, p.193, cité dans
Désordres : Nan Goldin, Mike Kelley, Kiki Smith, Jana Sterbak,
Tunga, exposition Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, 12 septembre -
8 novembre 1992, Editions du jeu de Paume : réunion des musées
nationaux, Paris, 1992, p.98
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La représentation de la maternité dans la
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jours
Pour Kiki Smith, la science comme la religion tendent à
s'approprier le corps et à l'annihiler. Pour elle, la science serait un
remplaçant de la religion, dans le sens qu'elle s'immisce dans chaque
parcelle de la vie et qu'elle vise à prendre le contrôle du corps.
Mais remplaçant aussi dans le sens que, malgré les doutes et les
interrogations qu'elle fait naître, l'Homme a besoin de chimères
auxquelles croire. Mais ces deux notions se retrouvent sur un autre point,
l'anonymat. La religion ne voyait dans les dévots que des âmes, la
science ne voit que des cas cliniques. Il y a la même négation du
corps et de l'altérité.
Figure 17: Kiki Smith, Virgin Mary, 1992, bois
et cire, 171 x 63 x 36 cm, Courtesy PaceWildenstein, New York
B. Déesses-mères
Pour les artistes, la recherche des origines est très
souvent passée par l'analogie avec une déesse-mère. En
effet, le parallèle entre le corps fécond d'une femme et la
nature, que ce soit la Terre ou le cosmos, fut largement
développé.
1. Déesse et terre-mère : le retour
à l'origine
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Un courant de pensée se développa dans les
années soixante-dix et influença les artistes pour l'approche
artistique des déesses : l'écoféminisme. Il mettait en
rapport les idées féministes et l'écologie, en rapprochant
la Terre et l'idée des Grandes Déesses, et en créant une
généalogie des femmes en lien avec la nature.
La maternité est alors perçue de manière
symbolique sous le signe de la fécondité, de l'énergie
maternelle de la Terre. Cette idée ancestrale du parallèle entre
femme et terre tient en plusieurs images. Tout d'abord, la femme, tout comme la
terre, participe à la survie de l'espèce. La femme met au monde
pour la perpétuation de l'espèce tandis que la terre offre aux
hommes la nourriture consubstantielle à leur survie. De plus, ce rapport
à la terre féconde et nourricière va être
laissé aux femmes : les hommes partiront chasser quand les femmes auront
comme tâche l'agriculture. Il faut également penser à ces
déesses symbolisant la vie et la fécondité
nourricière liées à des rites agraires telles que la
déesse grecque Ga ·a, la Magna mater Cybèle ou
Isis. En dernier lieu, la femme et la terre partagent un triste dessein : leur
soumission par les hommes. Susan Griffin souligne le fait que l'homme a
signifié une même volonté de dompter la nature et la
femme77.
Dès le début de sa carrière artistique et
avant son rapprochement avec le groupe féministe de la A.I.R Gallery,
Ana Mendieta met en oeuvre une démarche s'articulant autour du corps et
du paysage qui renvoie à des figures de fécondité. Ainsi
avec ses Siluetas (figure 18), une série commencée en
1973, elle inscrit son propre corps dans le paysage, représentant
l'union de la forme féminine et de la terre. « J'ai poursuivi un
dialogue entre le paysage et le corps féminin (à partir de ma
propre silhouette). Je pense que c'est la conséquence directe d'avoir
été séparée de ma terre natale à
l'adolescence. Je suis submergée par le sentiment d'avoir
été chassée du sein maternel (la nature). Mon art est ce
qui me permet de rétablir les liens qui m'unissent à
l'univers78. » Ce parallèle entre corps féminin
de l'artiste et force vitale de la terre s'ajoute à ce besoin de
retrouver la terre dite maternelle. Le lien entre la nature et
l'identité est alors important. On peut remarquer l'analogie du corps
féminin à la matrice par cette démarche de trace au sein
de la nature. Dans le catalogue de l'exposition L'Empreinte, il y a le
rapprochement
77 Griffin, Susan, Woman and nature : the roaring
inside her, Women's Press, Londres, 1978
78 Viso, Olga, « Ana Mendieta, Earth Body
:Sculpture and Performance, 1972-1985 », p.35, cité dans Ana
Mendieta: blood & fire, texte de Abigail Solomon-Godeau, Linda
Montano, Nancy Princenthal, ouvrage publié à l'occasion de
l'exposition à la Galerie Lelong, du 8 septembre au 8 octobre 2011,
Galerie Lelong, New-York, 2011, p.57
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
entre l'art procédant d'un moule et la reproduction
humaine utilisant une matrice, le corps de la femme79.
Figure 18 : Ana Mendieta, Imagen de Yagul,
série des Siluetas, 1973, photographie couleur, 48,3x 31,8
cm, Collection Glenstone
En 1981, avec la série sculpturale des
Earthworks dans le parc national de Jaruco, le lien avec l'univers des
déesses est évident, car les neuf sculptures d'aspect rupestre
portent des noms de déesses amérindiennes (de la lune, du vent,
des menstruations et de l'eau).
Cette insertion du corps de la femme dans la nature et au sein
d'une lignée de grandes déesses marque également la notion
de renaissance. La nature est le lieu de toute vie, mais la terre
représente également la dernière demeure du corps.
L'ambivalence équivoque entre la vie et la mort qui s'exprime au sein du
travail d'Ana Mendieta par ces silhouettes disparaissant, s'inscrit
79 L'empreinte, exposition
organisée par le Musée national d'art moderne-Centre de
création industrielle, Paris, du 19 février au 19 mai 1997 /
direction. Georges Didi-Huberman, Ed. du Centre Georges Pompidou, Paris, 1997,
p.38
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
littéralement dans cette veine des
Déesses-mère. En effet, Carl Jung80 explique que
très souvent, les déesses sont porteuses de deux énergies
: une créatrice et l'autre destructrice, qui s'inscrit dans
l'idée du cycle de la vie, de la renaissance. Les grandes déesses
sont affublées d'un aspect archaïque phallique, leur puissance
féminine renverrait à un aspect viril. Kâlî,
déesse hindoue, est une déesse de vie mais également de
mort, mais nous pouvons également penser à Lilith,
première épouse d'Adam, déesse-mère pour les
Sumériens, qui se trouve être l'emblème du matriarcat au
même titre qu'une tueuse de nouveau-nés. Les déesses ont
donc des qualités doubles, qui s'apparentent au masculin et au
féminin. Cet androgynéité se retrouve dans les Fragile
Goddess de Louise Bourgeois, où elle mêle les attributs
mâles, avec cette pointe phallique qui se dresse en guise de tête,
et femelles par ce ventre proéminent et ces deux seins (figure 19). Les
sculptures de l'artiste Elsa Sahal, que nous retrouveront dans le prochain
point, incarnent en quelque sorte de nouvelles déesses de la
fertilité en jouant sur l'ambigüité du masculin avec ces
formes phalliques surgissant de la glaise, mais aussi du féminin, par
les formes pleines comme dans l'exemple Autoportrait à l'enfant
I.
80 Cité dans l'article de Gloria Feman
Orenstein, « Une vision gynocentrique dans la littérature et l'art
féministes contemporains », Études
littéraires, Volume 17, numéro 1, avril 1984, p. 143-160
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 19 : Louise Bourgeois, Fragile Goddess,
1970, bronze et patine dorée, 26 x 14, 3 x 13,7 cm, Collection
privée, New-York
2. Créatrice cosmogonique
Les artistes pouvaient s'appuyer sur certains textes anciens
pour développer cette imagerie, comme le texte de Cicéron, le
Somnium Scipionis, où l'espace est investi d'un sens maternel
puisqu'il serait le lieu des origines. En effet, la création du monde et
de l'univers est à l'origine de la vie, le mythe cosmogonique va
être rapproché de la vision procréatrice de la femme. La
créatrice cosmogonique est source de fécondité, de
fertilité et de création. Otto Dix par exemple expose sa vision
de la maternité en faisant se confondre cosmos et femme enceinte par des
jeux de courbes qui se superposent aux spires d'une constellation
d'étoiles dans Schwaugeres Weib (figure 20).
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 20: Otto Dix, Femme enceinte (Schwangeres
Weib), 1919
Monica Sjöö reprend cette idée avec God
Giving Birth en 1968 (figure 21). Le dieu indiqué dans le titre se
révèle être une déesse, représentée en
train de donner naissance. Une figure féminine imposante emplit tout
l'espace du tableau. Sa monumentalité n'a d'égale que la froideur
de son exécution, la palette employée étant faite de bleu
et de gris. D'entre ses jambes écartées et à demie
fléchies sort une tête, ni masculine ni féminine. Le fond
est neutre, on aperçoit seulement deux planètes de part et
d'autre du visage impassible du « dieu ».
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 21: Monica Sjoo, God Giving Birth, 1968,
huile sur aggloméré, 183 x 122 cm, Museum Anna Nordlander,
Skelleftea, Suède.
Dans cette démarche de développement artistique
autour de l'origine du monde, les artistes vont tendre à
développer une iconographie autour de la caverne notamment. « Cette
évocation de la grotte, lieu humide et sombre, incarne dans l'imaginaire
artistique l'espace où la création s'identifie à une
activité démiurgique et cosmique81. » L'analogie
au sexe féminin, à l'utérus lieu de vie par les mots
« humide et sombre » est évidente, et nous pensons
également à la caverne comme premier lieu d'habitation de nos
ancêtres, comme le souligne Platon avec le mythe de la caverne.
Amédée Ozenfant avait déjà
exposé le thème de la maternité et d'un âge d'or
primitif situé dans l'espace matriciel de la caverne. Mary Beth Edelson
rassemblera ces idées de grotte et de déesse-mère dans ses
performances, comme Grapceva Cave See For Yourself : Neolithic cave
serie, en 1977 (figure 22). Le symbole de la grotte est expliqué
par Judy Chicago et Miriam Schapiro dans Female Imagery « les
femmes artistes ont utilisé la cavité centrale, qui les
définit
81Da Costa, Valérie, Fondation d'entreprise
Ricard, Elsa Sahal, Catalogue édité à l'occasion
de l'exposition d'Elsa Sahal "Sculptures", à la fondation d'entreprise
Ricard, 10 mars - 5 avril 2008, avec le concours de la Galerie Claudine
Papillon, Editions Particules, Paris, 2008, p.27
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
comme des femmes, en tant que structure d'une
représentation qui permet de renverser totalement la manière dont
les femmes sont considérées par la culture82.
»
Figure 22: Mary Beth Edelson, See for Yourself,
série Grapceva Neolithic cave, 1977, performance on the island of
Hvar
L'artiste Elsa Sahal développe dans ses travaux
l'idée de la grotte comme révélation de son
intériorité. Ces travaux, explicitement en rapport avec son
expérience de la maternité, jouent également sur des
matériaux qui renvoient aux origines de l'art avec le mythe de Dibutade,
avec ses superpositions de couches de terre travaillées dans un rapport
plus que charnel. Son oeuvre Autoportrait en forme de grotte ou encore
Grotte Généalogique renvoie explicitement à ce
82Femal Imagery, p.11, cité dans
Dumont, Fabienne, La rébellion du Deuxième Sexe. L'Histoire
de l'art au crible des théories féministes
anglo-américaines (1970-2000), Presses du Réel, 2011,
p.117
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
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rapport à l'identité et cette
intériorité (figures 23 et 24). La grotte fait écho
à son expérience de la maternité, ce qui lui aura
inspiré ces séries réalisées pour le musée
de Sèvre.
Figure 23: Elsa Sahal, Autoportrait en forme de
grotte III, 2005 Céramique, 60 x 50 x 45 cm
Figure 24: Elsa Sahal, Grotte
généalogique, 2006 Céramique (5
éléments) sur table en métal 100 x 244 x 122 cm
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
3. Parallèle mythe créateur et
artiste-femme
Le recours à l'image de la déesse va mettre en
évidence la volonté de renaissance de l'art, au sens de la
culture féminine, mais de manière plus recentrée sur les
artistes elles-mêmes. En effet, il s'agit de ne plus être femme,
c'est-à-dire corps, mais se révéler artiste. Le recours
à cette image de la déesse revient à chercher et trouver
une identité, une certaine généalogie dans la culture
féminine, comme une sorte de passage entre le statut de femme-artiste
à celui d'artiste-femme.
L'artiste Niki de Saint Phalle en fera l'expérience
avec la Hon, cette monumentale sculpture présentée au
Moderna Museet de Stockholm en 1966 (figure 25). Cette grande Nana enceinte,
réalisée en collaboration avec Jean Tinguely et Per Olof Ultvedt,
représente pour l'artiste « une grande Déesse de la
fertilité, accueillante et confortable dans son immensité et sa
générosité83.» Dans cette grande
déesse par laquelle on pouvait pénétrer par le vagin, on
trouvait, entre autre, un bar à lait dans le sein gauche, un
planétarium dans le droit, une salle de cinéma, une exposition de
faux chefs-d'oeuvre, une terrasse sur le ventre. Par cette oeuvre, on remarque
un changement chez l'artiste : les formes deviennent plus douces et la violence
des tirs de peinture s'estompe pour aller vers une démarche en
adéquation avec une certaine acceptation de sa féminité.
Ainsi, l'élan vers le retour à la Mère s'effectuera avec
son autre sculpture monumentale située au Jardin des Tarots,
l'Impératrice.
83 Lettre de Niki de Saint Phalle à Clarice,
in Niki de Saint Phalle, Kunst und Ausstellungshalle, Bonn, 19 juin- 1er
novembre 1992 ; MacLellan >Galleries, Glasgow, 22 janvier-4 avril 1993 ;
Musée d'Art Moderne, Paris, Juin-septembre 1993, p.168, Schmutz, Lydie,
l'art et la vie confondus : la production artistique de Niki de
Saint-Phalle de 1961 à 1966, Mémoire de Maitrise Histoire de
l'art, Strasbourg, 2004, p.41
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 25: Niki de Saint-Phalle, La Hon, 1966,
matériaux divers, 28 mètre, Moderna Museet
de Stockholm
Par l'image de la déesse et la revendication d'une
descendance de celle-ci, les artistes revendiquent une culture féminine.
Auparavant, les artistes se sentaient prisonnières entre la
volonté de faire référence à leur identité
féminine et celle d'être reconnue, ce qui impliquait de pratiquer
dans la veine des artistes masculins.
4. Le matriarcat comme héritage
féminin
En abordant les cultures matriarcales au sein de leur
démarche artistique, les artistes désiraient se créer une
filiation, et montrer que le génie créateur n'est pas seulement
masculin. En effet, jusqu'au début du XXe siècle, la
place des femmes dans la communauté artistique était restreinte.
Les premières femmes artistes ont du faire le choix de la
féminité ou de la création, en changeant de noms, comme
par exemple Georges Sand, ou en se masculinisant comme Rosa Bonheur et il
fallait le plus souvent un mentor masculin pour accéder aux cimaises.
Les femmes étaient jusqu'alors considérées comme les
modèles, accentuant la passivité de leur corps et soumises au
regard des hommes.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
C'est la question du genre dans l'histoire de l'art qui se
développe dans les années soixante-dix et qui doit être mis
en parallèle de ce développement de la recherche des origines
matriarcales. Linda Nochlin pose la question fondamentale de savoir «
Pourquoi nÕy a-t-il pas eu de grandes artistes femmes ? » et
répond en montrant que l'homme était considéré
comme l'action, le génie créateur, quand la femme est du
côté du sexe. Il s'agissait alors de remettre en question le
système patriarcal en recentrant sur des mythes fondateurs comme la
déesse-mère, afin de destituer le Dieu patriarcal.
L'engouement révélé pour la thèse
évolutionniste d'un matriarcat primitif exposée entre autre par
l'allemand Bachofen, l'anglais Lewis Henry Morgan ou encore Friedriech Engels
(considérant que les familles primitives auraient été des
matriarcats) fut une base de cette recherche féministe. Dans cette
veine, certains comme Evelyn Reed vont vouloir prétendre à la
supériorité morale originelle des femmes, ainsi que leur
supériorité technique. Mais comme le dit Aline Dallier-Poper
« le féminisme n'est pas, comme on le croit souvent, une lutte
contre les hommes mais contre des comportements phallocratiques et
phallocentriques en vigueur dans notre société jusqu'il n'y a pas
longtemps. C'est une lutte pour l'obtention de l'égalité des
droits entre les hommes et les femmes84. » Ainsi Kay Turner
précise dans un article paru dans la revue Heresies sous le
titre « Contemporary Feminist Rituals85 », qu'il ne faut
pas voir dans ces références récurrentes au matriarcat
« un désir de revenir à l'âge d'or matriarcal, comme
certains critiques l'ont prétendu86. Il est beaucoup plus
crucial pour [É] toutes les femmes de dégager et de retrouver
leur imaginaire héréditaire (tel qu'il se manifeste dans les
pouvoirs et les fables des déesses) et de créer de nouvelles
images qui représentent la récente résurgence des femmes
[É] que de prouver l'existence absolue et historique d'un matriarcat
généralisé [É]. » Il s'agissait donc pour les
artistes de créer leur propre univers mythique afin de légitimer
leurs expressions artistiques, et de montrer que l'apparition des femmes dans
la sphère artistique n'était pas une nouveauté, mais que
leur importance et leur talent avaient été dissimulés par
la société patriarcale.
84Dallier, Aline, Art, féminisme,
post-féminisme : un parcours de critique d'art, entretien avec
Claudine Roméo, L'Harmattan, Paris, 2009, p.18
85Kay Turner, « Contemporary Feminist Rituals
», in Heresies :The Great Goddess issue, n°3, Sp. 1978,
p.24, repris dans l'article de Gloria Feman Orenstein, « Une vision
gynocentrique dans la literature et l'art féministe contemporains
», Etudes Littéraires, vol.17, n°1, 1984,
p.143-160
86 E. Gould Davis et Evelyn Reed sont de cette veine
radicalisante.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
C'est ce qu'entend dénoncer Mary Beth Edelson, qui
réalisa une série intitulée Great Goddesses en
1975 : « les symboles archétypaux ascendant au féminin se
déploient aujourd'hui dans le psyché de la femme moderne. Ils
englobent les formes multiples de la Grandes Déesse. Traversant les
siècles, nous prenons la main de nos soeurs ancestrales. La Grande
Déesse, bien vivante, se lève pour annoncer aux patriarches que
leurs 5000 ans de domination arrivent à leur fin. Alléluia !nous
voici87. »
Judy Chicago, qui a réalisé l'oeuvre très
controversée The Dinner Party, croyait en une culture
pré-patriarcale dominée par les femmes (figure 26). On retrouve
dans son travail la volonté de retracer une généalogie de
la création au féminin, en nommant et représentant
visuellement mille trente-huit femmes artistes. A cela s'ajoute une
volonté de faire référence aux techniques féminines
qui procèdent également de l'héritage, avec notamment les
chemins de tables brodés ou la peinture sur porcelaine. Les artistes des
années soixante-dix vont très souvent employer ces techniques
artisanales féminines pour les intégrer dans leur démarche
artistique, toujours dans cette recherche identitaire et cette volonté
de montrer un mode de transmission artistique différent des codes
institués par le marché de l'art phallocrate. Les artistes
utilisent les techniques comme la couture, le tricot, comme l'a
démontré Aline Dallier-Popper avec son travail sur l'art textile.
Certaines artistes vont utiliser des techniques féminines très
fortement connotées de l'univers domestique, mais en utilisant des
matériaux plus conventionnels au regard de la pratique artistique
dominante. Ainsi, Raymonde Arcier crochetait du laiton. Elle allia travail
féminin du crochet et matériau masculin pour fabriquer ses
gigantesques sculptures, comme une éponge à récurer
inutilisable de un mètre de diamètre au fil de fer au point
mousse.
87Archer, Michael, L'art depuis 1960, traduit
de l'anglais par Anne Michel, Thames & Hudson, Paris, 1997, p.118
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 26: Judy Chicago, The Dinner Party,
1974-79, céramique porcelain et textile, 1463 x 1463 cm. Brooklyn
Museum.
71
IV. « Notre corps, nous-mêmes »
A. Réinvestir le corps
Le corps de la femme a toujours été assujetti au
regard de l'homme, ce dernier représentant les attributs féminins
selon sa propre idée de la femme, tantôt vierge tantôt
putain. A partir des années soixante-dix, les femmes vont se
réapproprier leurs corps, selon le slogan « notre corps, nous
même », et cette réappropriation trouve un véhicule
important dans la création artistique. Il s'agissait alors de faire
tomber la vision hégémonique masculine sur les attributs
féminins
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
pour développer le regard féminin, comme
l'exprime Emmanuel Grez88 « l'art dit féministe,
ça peut être également la construction d'un regard de femme
sur le corps de la femme, des femmes plutôt, traditionnellement
propriété du regard masculin. Il s'agit ici simplement d'affirmer
que le corps de la femme existe aussi sans le regard de l'homme. » Une
nouvelle iconographie du corps au féminin, ainsi qu'une iconographie de
l'expérience féminine, largement fondées sur la dimension
biographique, vont être développées, en lien évident
avec la maternité, car comme l'indique Yvonne Knibieler, «
l'émancipation des femmes ne peut se faire contre la maternité ni
sans elle89.»
1. Le sexe
Le sexe féminin est un organe ambigu : lieu de la
reproduction, c'est par cet orifice que s'effectue l'accouplement mais c'est
également par cette voie que les femmes donnent naissance aux enfants ;
et lieu de plaisir charnel. La figuration du sexe féminin au fil des
siècles va donc osciller entre ces deux pôles. La notion
reproductive du sexe va être représentée de manière
positive, alors que l'aspect tout à fait sexuel va être
connoté négativement. Tour à tour porte du divin ou porte
de l'enfer représentée dentée dans les
représentations surtout religieuses du Moyen-âge, elle trouve son
paroxysme d'ambigüité dans l'oeuvre de Gustave Courbet,
L'origine du Monde (figure 27). En effet, cette oeuvre
commandée par Khalil-Bey, un diplomate turc, montre le sexe d'une femme
allongée, nue, cadrée des cuisses largement ouvertes et des
seins, dont un se dévoile. L'aspect très réaliste et le
fait que l'ambassadeur était connu pour sa collection de peintures
érotiques porte d'abord vers le sens de l'érotisation du sexe
féminin. Mais le titre peut jouer des tours. En effet, on peut penser
à l'origine du monde qui se rapporterait à l'épisode de la
Bible d'Adam et Eve chassés du paradis, conférant alors à
la femme sa fécondité -dans la douleur- pour sa rémission.
C'est alors le début de l'humanité.
88 Grez, Emmanuel, « Mon oeil, regard masculin
sur quelques liens entre art et féminisme », in Art à
contre corps, Quasimodo, n°5, printemps 1998, Montpellier p.78
89 Knibiehler Yvonne, La révolution
maternelle : Femmes, maternité, citoyenneté depuis 1945,
Perrin, Paris, 1997, p.12
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 27 : Gustave Courbet, L'origine du
monde, 1866, Huile sur toile, 46 x55 cm, Paris, musée
d'Orsay
Dans les années soixante-dix, soit presque un
siècle après la réalisation de L'origine du
monde, les artistes vont montrer que cette ambivalence du sexe
féminin n'a pas disparu, mais qu'elle se confond et ils vont amorcer une
scission entre ces deux entités : maternité et
féminité. Seulement, des notions nouvelles apparaissent, comme la
culpabilité de la sexualité ou même l'ignorance. En effet,
si le sexe est ce qui différencie biologiquement la femme de l'homme,
c'est également un tabou puissant de la société. En
1960/1970, les jeunes filles ne bénéficiaient pas
d'éducation sexuelle, certaines ne sont pas prévenues de
l'apparition des règles. Pour ce qui est de la notion de plaisir, il est
occulté. Des jeunes filles pensaient ne pas pouvoir tomber enceintes si
elles n'éprouvaient pas de plaisir pendant l'acte sexuel, car la
religion catholique affirmait que la jouissance donnait la vie, toujours dans
cette optique d'indistinction entre la maternité et la sexualité.
Ce discours était là pour culpabiliser au maximum les jeunes
filles et les femmes qui avaient des rapports sans vouloir d'enfants. La
sexualité était alors perçue comme une faiblesse, car la
femme n'avait pas su résister aux plaisirs de la chair.
La confusion se fait également entre la fonction
physiologique du sexe, celui d'uriner, et le sexe du plaisir. Le clitoris est
occulté des discours, et la masturbation féminine
diabolisée. Dès le plus jeune âge, la mauvaise conscience
s'abat sur cette partie du corps de la femme qui est sale, honteuse. Il faut
cacher ce sexe, faire attention aux garçons. Il y a donc un climat
pesant sur le sexe féminin. Les artistes vont se réapproprier
cette partie du corps si importante pour l'identité de la femme en y
mêlant la notion de plaisir. Le plaisir sexuel ira même
jusqu'à une certaine pornographie, qui s'explique par la
rébellion violente envers un monde régit par des hommes
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
et la domination masculine, l'oppression masculine
exercée sur le corps -et le sexe de surcroit-féminin. C'est le
cas de la performance d'Annie Sprinkle, une militante porno-féministe,
qui dans Public Cervix Anouncement, offre en toute complaisance, son
col de l'utérus au regard du spectateur par le moyen d'un speculum
(figure 28). Valie EXPORT offrira également la vue de son entre-jambe
dans une performance ayant eu lieu dans un cinéma pornographique de
Munich et immortalisée par une photographie dans Gential Panic
(figure 29). Le sexe devient alors un médium à part
entière. Il symbolise la revendication féministe et montre que le
sexe n'est pas qu'un instrument de maternité, en faisant l'apologie
d'une pornographie féminine. Sur ce mode, les artistes féministes
vont développer des démarches artistiques autour de la figure du
vagin, de l'utérus, du sexe féminin. C'est ce que l'on a
qualifié de « Cunt art », l'art con en français, et qui
fait donc l'apologie du sexe féminin.
Figure 28 : Annie Sprinkle, Public Cervix
Announcement, 1990, performance
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 29: VALIE EXPORT, Action Pants: Genital
Panic, 1969, photographies, The Museum of Modern Art, New-York
Le sexe est également « celui qui gardera toujours
le souvenir de la gestation et de la maternité90. » En
effet, les représentations d'accouchement montrent un sexe
boursouflé, où les lèvres semblent prêtent à
éclater. Un exemple masculin qui apparait avant la période que
nous traitons semble à propos. Il s'agit de Gaston Lachaise avec
Dynamo Mother (figure 30). La forme féminine de cette sculpture
disparait derrière ce sexe qui s'offre au regard dans la violence de
l'accouchement. Judy Chicago montre également ce sexe, porte de vie
déchirant le corps féminin et le partageant, dans Birth
Tear (figure 31).
90 Les Chimères, Maternité
esclave, Union générale d'éditions, Paris, 1975,
p.161
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La représentation de la maternité dans la
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Figure 30: Gaston Lachaise Dynamo Mother, 1933,
Bronze, 26 x 44 x 17 cm, Lachaise foundation, Boston
Figure 31: Judy Chicago, Birth Tear, 1982,
broderie sur soie, 50,8 x 69 cm, The Albuquerque Museum
2. Le sein
Symbole même de la féminité, le sein est
l'organe équivoque par excellence. A la fois érotique et source
de nutrition, il représente les deux notions présentes chez la
femme : sa fonction reproductive et son caractère sexuel. Ce n'est pas
par hasard si le mythe veut qu'un groupe de
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
féministes brûle leur soutien-gorge en place
publique91. Par ce geste fort et symbolique, elles
dénonçaient la domination masculine, leur féminité
prisonnière des carcans institutionnels représentés par ce
vêtement féminin par excellence.
i. Maternité - animalité: le corps
nourriture
Des seins coule le lait, première nourriture du
nouveau-né, vitale de surcroit avant l'apparition des biberons et autres
substituts de laits artificiels. Il ramène donc la femme à un
état animal, dans ce corps à corps avec l'enfant pour le besoin
de la nutrition, comme le font les autres mammifères. L'analogie de cet
attribut maternel est très fréquente : dans le langage courant,
ne dit-on pas « attacher à ses mamelles » lorsque l'on parle
d'un enfant trop proche de sa mère ?
Les artistes de la révolution sexuelle vont mettre
à mal la représentation de la femme en tant qu'allaitante, qui
était jusque là la plus fréquente représentation de
la maternité, en attestent les nombreuses oeuvres d'Eugène
Carrière sur ce sujet, mais également Renoir ou Mary Cassatt. La
raison en est que par l'image de la femme allaitant sont toujours
véhiculés les idées de tendresse mais surtout de
dévouement maternel. Il va être question alors de montrer le
rapport de corps nourriture, dans cette optique d'animalité, avec un
aspect dépréciatif évident, afin de témoigner de
l'aspect réducteur de la maternité. L'artiste allemande Judith
Samen, que l'on rattache au groupe du Food Art ou Eat art, fait état de
cette vocation nourricière en présentant sa poitrine, qu'elle
presse de ses deux mains sur chaque sein, pour, pense-t-on, y faire jaillir le
lait nourricier. Dans ses photographies, elle met en scène son corps,
celui de son enfant ainsi que de la nourriture, offrant un triptyque
dégradant de la maternité, ne tournant qu'autour des besoins
nutritionnels de l'enfant. L'aspect grotesque des mises en scène tend
à esquisser l'aspect aliénant de la maternité.
Un des rares hommes à traiter de cette question de
l'allaitement autrement que par le biais de l'image de la tendre mère,
c'est Michel Journiac. Ce dernier, dans sa série photographique des
24 heures dans la vie d'une femme ordinaire en 1974, se travestit en
femme donnant le sein à un enfant (figure 32). La scène est
banale bien que la poitrine soit totalement plate et « vide »
91 Les Archives du Féminisme indique qu'en
septembre 1968, un groupe de féministes américaines avait
prévu de bruler leur soutien-gorge lors de la perturbation du concours
de beauté Miss America à Atlantic City. N'ayant pas obtenu
l'autorisation de faire du feu sur le voie public, elles ont alors jeté
leur soutien-gorge, symbole de domination masculine et d'aliénation
féminine pour le regard masculin, à la poubelle.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
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et abondamment poilue. Ce qui est intéressant, c'est
que Michel Journiac place cette photographie dans la section des
Fantasmes, avec la naissance et l'avortement. De plus, cette
série photographique dénonce le quotidien des femmes, se
positionnant comme féministe.
|
Figure 32: Michel Journiac, 24 heures dans la vie
d'une femme ordinaire, Réalités/Fantasmes,
l'allaitement, série des fantasmes, 1974,
photographie noire et blanc
|
78
Le corps de la mère traité comme nourriture, sur
le mode de l'aliénation, se retrouve également dans une
perspective cannibalisée par l'oeuvre de Bettina Rheims où l'on
trouve une vierge voilée de noir présentant un sein d'où
perle une goutte de sang (figure 33). Ce Lait Miraculeux de la Vierge,
fait référence à l'incarnation du Christ et à
l'image de la Vierge allaitante, mais sa participation à l'exposition
Tous cannibales lui confère un caractère
dénonciateur du rôle maternel. On y voit alors une
référence à l'exigence dévorante du
nouveau-né, qui mange littéralement le corps de sa mère.
Le rapport cannibale entre la mère et l'enfant ne s'arrête plus
à l'allaitement aujourd'hui, comme on le constate avec l'essor d'une
nouvelle pratique, la placentophagie92, qui consiste à
ingérer son placenta, afin de mieux récupérer de son
accouchement et de minimiser les risques de dépression post-partum.
92 Pham, Laura, Des mères consomment leur
placenta en gélule, L'Express, 26 aout 2011
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Figure 33: Bettina Rheims, Le Lait miraculeux de la
Vierge, Série: I.N.R.I., Photographie, 1997,
Ville Evrard
Ana Mendieta traitera le thème de la maternité
comme obligation sociale et aliénante avec Source en 1975,
où elle se filme en gros plan en train de presser son sein pour en faire
sortir du lait.
L'idée du sein nourricier et vital, va symboliser
l'abondance de la Terre, la fertilité. De beaux seins ronds et pleins
indiquent la possibilité de fécondité, l'appel à la
vie, tandis que des seins flétris représentent la
stérilité dans cette idée de corps aride. C'est la
différence exprimée dans l'oeuvre du Maître de Soubise,
entre la richesse du corps féminin des Amoureux du Musée
de Cleveland et l'aridité du corps des Amants
trépassés du Musée de l'OEuvre-Notre-Dame à
Strasbourg (figure 34 et 35).
79
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
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Figure 34 : Les Amants trépassés,
Revers d'un panneau peint, Souabe ou Rhin supérieur, vers
1470, Musée de l'oeuvre Notre-Dame, Strasbourg Figure 35
: Couple d'amoureux, Avers du panneau adjacent, Souabe ou Rhin
supérieur, vers 1470, Musée de Cleveland
Certaines artistes vont développer la notion
d'abondance qu'insinue cet organe. Louise Bourgeois démultipliera des
seins, en sculpture, jouant sur l'aspect érotique mais également
de mamelles nourricières. En effet, par Mamelles,
sculpture-paysage qui fait partie de la série des Cumuls datant de
1991, elle allie animalité et sexualité (figure 36).
Animalité car elle demande au spectateur « imaginer une chienne ou
une vache ; vous la retournez sur le dos et vous avez un paysage très
intéressant, mobile, vivant et souple93.»
Sexualité car le sillon que forme les seize mamelles semblent former un
vagin.
93 Citée par Marie-Laure Bernadac, dans
Louise Bourgeois, Flammarion, Paris, 1995, p.194
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 36: Louise Bourgeois, Mamelles, 1991,
caoutchouc, fibre de verre et bois (oeuvre murale), 48,2 x 340,8 x 48,2 cm,
Tate, Londres
ii. Le corps plaisir
Les notions de maternité et de plaisir vont être
abordés par les artistes, afin de montrer que l'on peut être
mère ET femme. En effet, il est révélé ce que de
nombreuses mères ont éprouvé un sentiment de plaisir
durant l'allaitement, mais ce sentiment est vite rabroué. Cette notion
s'éloigne considérablement du rôle nourricier, mais a
cependant un effet bénéfique et une explication scientifique.
Hélène Deutsch évoque elle-même l'allaitement comme
une source de jouissance pour la mère : « Dans l'allaitement, le
sein de la femme joue aussi le rôle d'un organe de satisfaction sexuelle.
Le grand plaisir de la mère ne réside pas seulement dans le fait
de nourrir son enfant, c'est aussi un acte de jouissance sexuelle, au coeur
duquel la glande mammaire joue le rôle d'une zone érogène.
» Cependant il ne faudrait pas se méprendre sur le rapprochement de
l'allaitement et d'un sentiment incestueux car elle continue « dès
que le rôle sexuel de l'appareil de succion prend trop d'importance, le
refoulement intervient et l'impossibilité d'allaiter apparait
aussi94. » Maternité et plaisir se voient
réconciliés, après des siècles de
séparation, voire de négation du plaisir féminin au profit
exclusif de la maternité, comme on le remarqua avec cette interdiction
d'avoir des relations sexuelles pendant l'allaitement sous peine de gâter
le lait.
94Hélène Deutsch, Psychanalyse
des fonctions sexuelles de la femme, 1994, p.72 dans Danielle Bastien,
Le plaisir et les mères, féminité et
maternité, p.80
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Parlant de sa propre expérience de l'allaitement, Milan
Kundera fige ce plaisir maternel au-delà du plaisir sexuel, en faisant
une expérience presque mystique. « Après l'accouchement, le
corps de la mère entra dans une nouvelle période. Quand elle
sentit pour la première fois la bouche tâtonnante de son fils
téter son sein, un doux frisson explosa au milieu de sa poitrine ; cela
ressemblait à la caresse de l'amant, mais il y avait quelque chose de
plus : un grand bonheur paisible, une grande quiétude heureuse. Cela,
elle ne l'avait jamais connu auparavant ; quand l'amant baisait son sein,
c'était une seconde qui devait racheter des heures de doutes et de
méfiances, mais maintenant elle savait que la bouche qui se pressait
contre son sein lui apportait la preuve d'un attachement ininterrompu dont elle
pouvait être certaine. Mais il y avait autre chose... jamais elle ne
s'était abandonnée pareillement à un autre corps, et
jamais un autre corps ne s'était abandonné à elle
pareillement. L'amant pouvait jouir dans son ventre, mais il n'y avait pas
habité, il pouvait toucher son sein, mais il n'y avait pas
bu95. »
La psychanalyse qui explose dès les années 1960
va permettre aux mères de ne plus se sentir coupables du plaisir
ressenti par la maternité, et va réussir à allier plaisir
et maternité, pour ne plus avoir à choisir entre les deux.
Chez les artistes, les seins vont retrouver une place
érotique. Valie EXPORT propose aux passants de glisser leurs mains dans
une boîte placée sur sa poitrine et dissimulant cette
dernière. Aveuglement, ils rencontrent de leur caresse les seins de
l'artiste, créant un théâtre érotique96.
Elle dit « en permettant à tout le monde de toucher ce que l'on
peut appeler en langage cinématographique « l'écran de mon
corps », ma poitrine, j'ai dépassé les limites de la
communication sociale communément admise. Ma poitrine échappait
à la « société du spectacle » responsable de la
transformation des femmes en objets. De plus, les seins n'appartiennent plus
à un seul homme, et la femme qui dispose librement de son corps tente de
se donner une identité indépendante. C'est le premier pas pour
passer du statut d'objet à celui de sujet97. »
95 Milan Kundera, La vie est ailleurs, p.20,
dans Danielle Bastien, Le plaisir et les mères,
féminité et maternité, p.82
96 Dans cette performance Tapp und Tastkino
(cinéma tactile), 1968 à Vienne lors d'un festival de
cinéma.
97 Valie Export, Citée par Peter Nesweda,
dans « In her own image : Valie Export, artist and feminist », Arts
Magazine, 1991, cité dans Phelan, Peggy, Art et
féminisme, Phaidon, Paris, 2005, p.64
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
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3. Le ventre
Le ventre, la partie située entre le sexe
féminin et la poitrine, est une partie du corps peu
représenté. C'est pourtant le lieu du développement de la
vie, du foetus, c'est la matrice par excellence. Le ventre est le
réceptacle, car la femme a longtemps été
considérée comme un contenant, une matière inerte
animée par le sperme. A l'heure de la révolution sexuelle
féminine, les artistes ne vont plus évoquer mais exposer le
ventre, tour à tour symbole de l'aliénation ou de la
liberté de choix.
L'Espoir de Gustave Klimt, faisant apparaitre sous
son pinceau une femme très avancée dans la grossesse et
voluptueuse. Cette représentation d'une femme enceinte fit scandale, par
le fait qu'elle fut nue entre autre. Son caractère sexuel, avec la
dimension érotique indéniable, désacralisait l'image
maternelle. Dans cette veine, les artistes de la libération sexuelle
vont développer l'imagerie du ventre maternel non plus en
négation de la sexualité, mais au contraire pour montrer
l'exaltation du corps fécond. Les femmes enceintes peintes par Alice
Neel dans les années soixante-dix traduisent l'épanouissement
sexuel de ces femmes. Par exemple Pregnant Maria présente une
femme enceinte nue, allongée lascivement sur un lit défait
(figure 37). Le corps enceint n'est plus dissimulé derrière de
lourds vêtements mais s'exhibe fièrement. Par ces nus s'expriment
la conquête du corps, la fierté de pouvoir choisir la
maternité plutôt que de la subir, dans ce contexte de
libération sexuelle.
Figure 37: Alice Neel, Pregnant Maria, 1964,
huile sur toile, 81.3 x 119.4 cm, Collection privée
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
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En parallèle, le ventre va également devenir un
médium pour revendiquer le droit à disposer librement de son
corps, et dénoncer l'aliénation de la maternité, notamment
pendant la lutte pour obtenir le droit à l'avortement et l'accession
à la pilule. C'est le cas de Claude Cehes qui dans
Maternité, montre le ventre d'une femme encerclée de
grosses chaînes.
Susan Hiller montre dans une série photographique
intitulée Ten Months (figure 38), l'évolution de son
ventre durant toute sa grossesse. Les dix blocs comprenant chacun vingt-huit
photographies sont accompagnés d'extraits de son journal, qu'elle tenait
en parallèle. L'évocation très poétique de paysages
presque lunaires est contrebalancée par l'anxiété qui se
joue au sein de ses notes. Le ventre grossit en même temps que l'angoisse
face à la future rencontre avec l'enfant et le nouveau statut de
mère monte.
Figure 38: Susan Hiller, Ten Month, 1977-1979,
Installation à la Hayward Gallery, 1980,
Londres
Mary Kelly réalisera une vidéo en prologue de
son travail The Post-Partum Document, avec Antepartum,
où l'on voit son ventre enceint en gros plan et elle nous montre
l'interaction avec son enfant in utéro par les mouvements qu'il fait sur
son ventre.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Plus tard, Kiki Smith développera également la
réappropriation du corps de la femme, mais au sein du processus de
maternité qu'elle considère spoliée par la
médecine, par sa série Shields, des moulages de ventres
de femmes enceintes (figure 39).
Figure 39: Kiki Smith, Shield, 1988,
plâtre, 19 x 18 x 14 cm, collection de David McKee,
New York
Enfin, le ventre est la partie du corps qui conserve
l'empreinte de notre vie utérine et de notre attachement à notre
mère. Marie-Ange Guilleminot fait référence à la
maternité comme origine de notre identité par sa série
Moulage de nombril, point commun et vues de l'intérieur en
19911992 (figure 40).
Figure 40: Marie-Ange Guilleminot, Point Commun.
Vues de l'intérieur, 1992, 3 moulages de nombril en
plâtre, 14,5 x 14,5 cm (chacun)
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La représentation de la maternité dans la
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jours
4. Fluides féminins : le sang et
les menstruations
i. Les menstruations
« De tous les écoulements celui du sang est le
plus terrifiant » affirme Jean-Paul Roux98. De tout temps, le
sang des femmes a été une source de questionnement, dont en
résultait la discrimination des femmes par la valeur négative de
ce fluide corporel. Jusqu'au XXe siècle en France, on
attribuait encore au sang des menstrues des propriétés
malfaisantes, comme faire tourner le lait de vache, d'émousser les lames
de couteaux ou même de troubler le vin. Terrifiant, le mot n'est pas un
euphémisme. On accorde au sang les vertus de l'hystérie. Par
exemple, Yves Klein, qui avait voulu faire une anthropométrie avec le
sang menstruel d'une prostituée qu'il avait payé pour se
barbouiller de son sang et s'allonger sur une feuille de papier pour y imprimer
son corps, a vu la jeune femme devenir hystérique lorsqu'elle se rendit
compte de son état. L'hystérie par ailleurs, a une base toute
féminine. Etymologiquement, l'hystérie est empruntée au
grec qui veut dire « la matrice », et la matrice fait directement
référence à la femme et sa fonction biologique de
procréation.
Figure 41: Kiki Smith, Train, 1993, collection
of Mandy and Cliff Einstein
98 Roux, Jean-Paul, Le sang : Mythes, symboles et
réalités, collection Les nouvelles études
historiques, Paris, Fayard, 1988, p.57
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jours
Certains artistes vont dénoncer cette analogie
négative du sang féminin en accentuant l'aspect avilissant de
cette humeur. Kiki Smith développe l'ambigüité entre sang et
souillure dans Train (figure 41), une sculpture de femme
trainant derrière elle de longs filets de perles rouges sang. On ne
distingue pas bien s'il s'agit de sang ou d'excréments, la
proximité de leur provenance, vagin et anus, marque également la
possible indistinction et renforce l'assimilation des deux.
Valie EXPORT effectuera également ce rapprochement, par
le biais du contenant : dans Menstruations99, elle montre
une cuvette de toilettes où stagne une eau sanglante. La destination
première des toilettes, qui est de recevoir les excréments, est
ici rapprochée du sang souillure.
L'angoisse face au sang des femmes, loin de l'image du sang
rédempteur ou du sang glorieux livré au champ de bataille, a
entrainé les hommes à conduire les femmes vers des rites
d'isolement, enfermant ces écoulements divers- que ce soient les
menstruations, mais également le sang de la déflorée, le
sang abondant de l'accouchée ou celui des lochies et des retours de
couches- dans des tabous. Encore aujourd'hui dans certaines tribus, les femmes
doivent se cacher pendant la durée de leurs règles, n'ayant aucun
rapport avec les hommes. A ce propos, Le Lévitique condamne à
mort les hommes et femmes qui auraient eu des rapports sexuels pendant cette
période de souillure, alors qu'Ambroise Paré, lui, affirmait que
de ces ébats naitront des monstres, « Les femmes souillées
de sang menstruel engendreront des monstres [É]. C'est chose sale et
bestiale d'avoir affaire à une femme pendant qu'elle se
purge100. »
Les artistes femmes vont se servir de l'image de leur sang, le
plus souvent le sang des menstruations, afin de revaloriser ce fluide
féminin, dans une optique de réappropriation de l'image du corps.
Car ces périodes de sang correspondent à des périodes
heureuses, sinon importantes de la vie d'une femme, et toujours en rapport avec
la maternité : les premières règles marquent
l'entrée de la fillette dans la vie de femme et annoncent la
fertilité du corps; le
99 Réalisé en 1967/1968
100 Ambroise Paré, Des monstres et prodiges,
p.157, dans Roux, Jean-Paul, Le sang : Mythes, symboles et
réalités, collection Les nouvelles études
historiques, Paris, Fayard, 1988, p.66
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sang de la défloration marque l'entrée vers la
vie sexuelle ; le sang de l'accouchement marque l'accueil de la vie.
En faisant cette démarche, elles tendaient
également à dénoncer le phallocentrisme à l'oeuvre
au sein du monde artistique. Par exemple, pour dénoncer l'isolement de
la femme indisposée et son statut négatif durant cette
période du mois, Catherines Elwes transforme son cycle en outil de
communication. Dans Menstruations 1 et 2 (figure 42), l'artiste
s'enferme dans une sorte de boîte transparente avec au sol une feuille.
Elle habite cet endroit le temps de sa période de règles et
laisse couler son flux librement. Cet enfermement renvoie à l'isolement
des femmes dans des habitats spécialisés de certaines tribus. Par
les parois de plexiglas, elle dialogue avec le public, en écrivant sur
les parois transparentes. Cette période de réclusion, l'artiste
en fait une période d'ouverture, de dialogue, de rapport avec l'autre.
Ce qui était perçu comme négatif, c'est-à-dire les
règles comme signe de non fécondation, devient fertile par la
rencontre avec le public et le dialogue qui s'instaure entre ce dernier et
l'artiste.
Figure 42: Catherine Elwes, Menstruation II,
1979, performance, White Room, Slade School of Art
Dans l'idée de montrer ce qui n'était pas
visible socialement, ce qui est tabou, Judy Chicago montre, même
surexpose, ce qu'est le rituel féminin lors de la période de
menstruations. Dans Red Flag (figure 43), elle montre en gros plan le
sexe et les cuisses d'une femme, debout, qui d'une main retire de son vagin un
tampon usagé. Violence de l'image et humour se mêlent.
Red
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flag, traduit par « drapeau rouge », fait
penser à tous ces surnoms donnés aux menstruations pour ne les
citer sans vraiment le faire.
Figure 43: Judy Chicago, Red Flag, 1971,
Photolithographie, 20 x 24 cm, ACA Galleries,
New York
On retrouve également des tampons, en nombre
conséquent, dans la poubelle de la salle de bain de la
Womanhouse101 (figure 44). Ce lieu d'exposition exclusivement
féminin traite un sujet typiquement féminin, puisque
physiologique, dans une pièce de la maison traditionnellement
dévolu à la femme, surtout à sa frivolité, et
renvoyant à l'image de la femme passant des heures dans la salle de
bain. Cette oeuvre traite de la notion de cycle qui est associée aux
menstrues, et le fait que lorsque des femmes sont amenées à vivre
en collectivité, au bout d'un certain nombre de cycles, leurs
périodes de menstruations coïncident. D'où cette poubelle
maculée qui déborde de tampons.
101 Menstruation Bathroom, 1972
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Figure 44: Judy Chicago, Menstruation Bathroom,
1972, Womanhouse, Hollywood
|
Figure 45: Joana Vasconcelos, Novia, 2001, 600 x
350 x 350 cm, acier inoxydable, tampons OB, fils de coton et câbles en
acier, Collection Antonio Cachola, Campo Maior
|
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La représentation de la maternité dans la
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jours
On constate que l'univers domestique envahit la
création artistique au féminin avec l'utilisation de la couture,
du tricot ou de la broderie, mais il englobe également les ustensiles du
quotidien féminin, comme les tampons hygiéniques, qui
s'assimilent à un nouveau médium. Plus récemment et dans
cet héritage de l'utilisation de produits féminins, Joana
Vasconcelos a érigé un immense lustre royal uniquement
constitué de tampons hygiéniques, dans cette démarche de
redonner une valeur positive à ce qui était
déprécié auparavant (figure 45).
Au fur et à mesure que l'Histoire avance, avec les
découvertes scientifiques, le sang est mieux compris, mais pas moins
tabou. Il faut regarder du côté de nos publicités du
XXe siècle qui, pour vanter les mérites et
l'efficacité des produits hygiéniques féminins, utilisent
un produit de couleur bleue, et non un produit coloré rouge. D'ailleurs,
Rachel Lachowitz dans son oeuvre Red not blue en 1992, revient sur les
anthropométries d'Yves Klein, mais en utilisant la couleur rouge, et non
pas une femme comme pinceau mais un homme, cela dans un processus de
réappropriation du corps et de la place des femmes dans l'art (figure
46). Elle effectue une critique de la domination de l'homme sur le corps
féminin mais également la domination masculine du monde de
l'art.
91
Figure 46: Rachel Lachowicz, Red not blue, 1992,
performance
Newport Harbor Art Museum, Newport Beach
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La connotation négative du sang des menstrues vient
également du fait qu'il signifie qu'il n'est pas porteur de vie, et donc
qu'il y a eu un échec de fécondation. Si le sang correspond la
plupart du temps à des passages importants dans la vie d'une femme, il
est aussi signe de violence mais également d'une sorte de perte de soi
« C'est dans cette période (les règles), qu'elle
éprouve (la femme) le plus péniblement son corps comme une chose
opaque aliénée ; il est la proie d'une vie têtue et
étrangère qui en lui chaque mois fait et défait un berceau
; chaque mois un enfant se prépare à naître et avorte dans
l'écoulement des dentelles rouges102. » Il est signe de
mort lors d'une fausse-couche, et signe de violence lors d'un viol.
Ce que l'on constate, c'est que par ce fluide corporel
naturel, les hommes ont appuyé leur domination sur les femmes. Les
artistes des années soixante-dix, féministes de surcroit, vont se
réapproprier ce symbole de la féminité, de la
fécondité, pour lever le tabou et la main mise des hommes.
Si certains artistes ont travaillé avec l'idée
du sang comme notion universelle de féminité, dans le sens d'une
certaine sororité, ou de symbole de l'oppression masculine, d'autres
vont faire valoir cet écoulement comme partie intégrante de leur
identité de femme. Gina Pane réalise un autoportrait avec des
cotons imbibés de son propre sang menstruel. De cette oeuvre,
Autoportrait, une semaine de mon sang menstruel, en 1977, elle
témoigne « dans cette performance, Autoportrait, le tampon faisait
partie de mon portrait, une semaine de mes règles était pour moi
aussi signifiante que de montrer l'image dans sa totalité de mon corps,
c'était aussi une sorte de graffiti féminin. [É] La
symbolique du sang est positive, d'ailleurs en même temps que le signe du
sang, j'ai apporté le signe du lait103. »
Le lait et le sang en effet, vont être repris par
certaines artistes, pour être mis en parallèle afin d'en montrer
le dénominateur commun qu'est le rapport à la
maternité.
102 Beauvoir, Simone de, Le deuxième sexe I, Les faits
et les mythes, Gallimard, Paris, 1949, p.68
103 Gina Pane, Sorcières, n°9, mai 1977,
p.44-47
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La représentation de la maternité dans la
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ii. Le lait
Jusqu'au début du XXe siècle, la
représentation de la mère la plus privilégiée
était la mère allaitante. Le sein perdait alors toute connotation
érotique et retrouvait sa fonction physiologique et vitale. Le liquide
qui en sort, le lait, n'eut pas une histoire moins ambig·e que l'organe
d'où il sort, et dès l'époque d'Hippocrate et de Pline
l'Ancien, sa constitution et ses vertus furent discutées. Pour Ambroise
Paré, selon la tradition hippocratique et aristotélicienne, le
lait n'était que du sang de couleur blanche, du « sang blanchi
». En effet, le lait serait une transformation du sang des menstrues,
utilisé par le foetus pour se nourrir le temps de la gestation. Sa
couleur blanche, qui lui confère une notion de pureté, serait
venue d'une coction et du fait de la proximité d'un organe noble, le
coeur, et de la chaleur de ce dernier.
Il n'est pas étonnant de voir les artistes mêler
sang et lait au sein de leurs oeuvres. La plupart du temps, cette rencontre de
semences féminines se fait avec une certaine violence. C'est le cas de
Valie EXPORT, qui n'hésite pas à se mutiler les doigts jusqu'au
sang avec une lame de rasoir avant de plonger ses mains dans un bol de lait
(figure 47). Ce film RemoteÉRemote traite de l'enfance dans la
dénonciation du rôle des parents, car les deux jeunes enfants
présentés sur la photographie ont été abusés
par leurs parents. Ici se mêlent sang de la filiation, parentale et
fraternelle, mais aussi le symbole du sang dans sa dimension de menace, de
violence, de souffrance. Ce sang est lié au lait, qui connote
habituellement un aspect positif de douceur et de protection, qui fait
défaut par ce mélange, et prend un aspect inquiétant.
Figure 47: Valie EXPORT, RemoteÉRemote,
1973, video16 mm en couleur, durée 10 minutes
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B. L'expérience de la maternité : le
corps de la création au féminin
1. L'avortement
La lutte féministe pour acquérir l'autonomie du
corps et de l'esprit de la femme eut pour point d'ancrage l'avortement et la
demande d'accession à la contraception. En effet, c'est après
avoir assisté à des suites d'avortements clandestins tragiques,
et en constatant les multiples humiliations auxquelles les femmes
étaient en proie lorsqu'elles avortaient que Mme Lagroua
Weill-Hallé décida de fonder « Maternité Heureuse
» : une association au titre lourd de sous-entendus. Sans contraception,
les femmes de cette génération étaient réduites
à diverses méthodes peu efficaces afin de contrôler leurs
nombres d'enfants. Lorsque ces méthodes se révélaient peu
concluantes et que se profilait une nouvelle grossesse non
désirée, les femmes avaient recourt à l'avortement. Dans
son livre Paroles d'avortées104, Xavière
Gauthier nous plonge dans l'univers de ces femmes, qui sont nos mères ou
nos grands-mères. Là est révélée la
désolation qu'éprouvaient ses femmes, prêtent à
mourir plutôt que de prendre le risque de mener à terme une
nouvelle grossesse.
« Il suffit d'écouter les femmes » clamait
Simone Veil, alors ministre de la santé, lors de son discours devant
l'assemblée Nationale105. Ce que l'on constate, c'est que ces
femmes ont su se faire écouter par le biais de la littérature, du
cinéma, mais que le sujet resta plus discret en art dit plastique.
Pourtant, les plasticiennes n'étaient pas épargnées par
cette horreur ordinaire, et beaucoup militaient pour l'avortement et la
contraception.
C'est par le biais d'un nouveau médium que les artistes
vont s'exprimer sur la question de l'avortement volontaire, et bien
au-delà, les artistes vont par ce biais militer. Histoire d'A
de Charles Belmont et Marielle Issartelle porte à l'écran en
1973 la bataille pour la légalisation de l'avortement en montrant une
intervention avec la méthode Karman. Le film fit scandale, mais ce qu'il
montre, c'est également l'emploi récurrent de ce type de
vidéo, le cinéma étant aussi hermétique aux femmes,
si ce n'est pour les actrices. Ce médium a permis aux artistes femmes
104 Gauthier Xavière, Paroles d'avortées :
quand l'avortement était clandestin, préface de Gilles
Perrault, La Martinière, Paris, 2004
105 Discours du 26 novembre 1974
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
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de se faire connaitre et reconnaitre, et d'accéder
ensuite aux sphères cinématographiques les plus
élevées, mais là encore non sans mal. Sous forme de
vidéos documentaires, ce médium a été mis sur le
devant de la scène artistique, mais également sociale et
politique, grâce au mouvement féministe.
Plus récemment, cinéma et art se sont rejoints
dans le film Histoire d'un secret, de Marianna Otero daté de
2002. Ce film revient sur l'avortement tragique de l'artiste Clotilde
Vaultier-Otero alors qu'elle était sur le point de faire une grande
exposition. C'est un film qui touche ce tabou de l'avortement en plein coeur :
c'est la fille de l'artiste décédée des suites de cet
avortement qui réalise le film et mène l'enquête, car la
mort de sa mère fut tenue sous silence, même ignorée de ses
enfants dans un premier temps. On ressent alors le poids d'un lourd secret, les
conséquences d'un tel mutisme mais également l'omerta qui
régnait sur cette pratique qui était pourtant courante mais
humiliante pour la famille de la défunte.
Cependant, certains artistes tenteront de transmettre
plastiquement ce qui se révèle être un devoir de
mémoire dans l'histoire des femmes.
Marie Mercié, qui faisait partie du groupe
Féminie, a traité du sujet de l'avortement avec un
réalisme glauque, mais criant de réalisme à la lecture de
certaines confessions tirées du livre de Xavière Gauthier. Dans
L'avortement, elle représente une cuisine dans une boîte
en trois dimensions, à l'aide de meubles de poupée. Sur la table
de cette cuisine, une femme allongée le dos contre la table, les jambes
ouvertes repliées en position gynécologique, la robe
retroussée sur ses cuisses et une cuvette placée sous les jambes.
Une deuxième femme se tient debout dans cette minuscule pièce,
c'est la « faiseuse d'anges », nom donné aux femmes pratiquant
les avortements. Cette femme devait coller aux clichés de
l'époque : une vieille femme, à la robe de chambre usée,
aux bas limés, les cheveux grisonnant. On retrouve cette description
dans les témoignages de Xavière Gauthier, « Là, il y
avait une femme, avec une sale tronche. Elle faisait cela uniquement pour le
fric et elle avait un souverain mépris pour les petites jeunes qui se
retrouvaient dans cette situation-là ; elle a été odieuse
tout le temps. [É] Puis on est passés dans la cuisine, on m'a
demandé de m'assoir sur la table de la cuisine, qui était
recouverte d'une toile cirée, je me suis allongée sur cette
table.106 » Ou encore « je me suis allongée sur la
table
106 Temoignage de Anne, Gauthier Xavière, Paroles
d'avortées : quand l'avortement était clandestin,
préface de Gilles Perrault, La Martinière, Paris, 2004, p.138
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de la cuisine et elle a introduit dans le col de mon
utérus un (ou plusieurs, je ne me souviens plus) de ces bigoudis de
l'époque en métal caoutchouté en forme de haricot
vert107.» Xavière Gauthier, esquisse un profil type de
l'avorteur ou plutôt de l'avorteuse à travers le ressenti des
victimes qui témoignent. « Elles les décrivent de
manière négative : sale, vieille, revêche,
intéressée, brutale. Elle est négligée, son
peignoir de nylon baille sur sa poitrine. Ses cheveux blancs semblent
plutôt une marque de laisser-aller qu'un signe d'expérience et de
sagesse. On la voit marginale, cartomancienne,
sorcière108.»
L'univers de la cuisine, qui va être
énormément utilisé pour contester les conditions de vie
des femmes, est ici assez révélateur également de
l'univers domestique de l'avortement. En effet, pour déclencher les
avortements, les femmes se servaient souvent d'ustensiles de cuisine, de la
pharmacie ou de la couture. Cela allait de la poire à lavement qui
faisait souvent partie de l'armoire à pharmacie, additionnée
à un mélange d'eau et de moutarde quand ce n'était pas de
la javel ou de l'alcool. Mais on utilisait aussi des ciseaux, des fourchettes,
des tiges de persil. Les femmes, désemparées par ces nouvelles
grossesses, utilisaient tout ce qui leur passait sous la main, tout ce qui
faisait parti de leur univers. Les instruments de beauté ne furent pas
en reste, comme on le remarque dans la citation précédente. Elles
s'inséraient dans le vagin des aiguilles à tricoter, des baleines
de parapluie ou de corset, des épingles de cheveux, bigoudis.
Lorsqu'elles avaient l'aide d'un médecin, qui faisait cela soit par
amitié pour la condition féminine soit, bien moins honorable,
pour arrondir leurs fin de mois, ils leurs disaient d'acheter des tuyaux
d'aquarium. Tout cela afin de provoquer une hémorragie et que le foetus
« se décolle » et tombe.
L'univers domestique, mais aussi le sentiment complet de
solitude et d'isolement, se retrouvent également dans une série
d'oeuvres plus récentes de l'artiste Paula Rego (figure 48). L'attitude
désemparée se lit sur les visages des jeunes femmes en train
d'avorter, l'une pliée en deux par la douleur provoquée par cette
entreprise, l'autre se tenant sur une cuvette, attendant la fin de
l'hémorragie salvatrice, mais qui pourrait se révéler
fatale. Le réalisme est frappant dans cette série, à la
lecture des témoignages parus dans l'ouvrage de Xavière Gauthier.
On retrouve le lit,
107 Témoignage d'Oriane, Gauthier Xavière,
Paroles d'avortées : quand l'avortement était
clandestin, préface de Gilles Perrault, La Martinière,
Paris, 2004, p.176
108 Gauthier Xavière, Paroles d'avortées :
quand l'avortement était clandestin, préface de Gilles
Perrault, La Martinière, Paris, 2004, p.59
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La représentation de la maternité dans la
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la cuvette, l'attente, la solitude voire l'isolement. On
ressent par ailleurs autant la détresse au travers de cette série
que dans les témoignages.
Figure 48: Paula Rego,
Triptych,
1998, Pastel sur papier, monté sur aluminium, 110 x 100
cm
Michel Journiac lui, représente l'avortement dans sa
série des 24 heures dans la vie d'une femme ordinaire (figure
49). Une photographie représentant une femme assise dans un lit, le
même que celui emprunté pour représenter la naissance,
tenant entre ses jambes ce qui s'apparente à un morceau de viande. En
confrontant la photographie représentant la naissance et celle de
l'avortement, on remarque des similitudes qui dépassent la simple
reprise du lit. En effet, la posture de l'artiste travesti en femme est la
même : assis, la jambe droite repliée vers le torse, la jambe
gauche repliée sous le corps. La chemise de nuit est la même. La
différence s'opère à l'objet entre les jambes ainsi que
l'attitude de cette femme. L'enfant de la Naissance se substitue à un
morceau de viande, constitué principalement de sang et de muscles, qui
fait l'analogie avec un foetus. On peut aussi penser au placenta, qui,
lorsqu'il est expulsé, est appelé « délivrance »
: c'est ce que semble exprimer le visage de la femme et le fait qu'elle se
tienne le ventre. Il est très étonnant qu'un homme
représente cet acte, car la plupart du temps, les hommes étaient
absents de la problématique de l'avortement. C'était, comme
Claude Chabrol titre son film, Une affaire de femme109.
109 Une affaire de femme, film de Claude Chabrol, MK2
Diffusion, 21 septembre 1988
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La représentation de la maternité dans la
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Figure 49 : Michel Journiac, 24h dans la vie d'une
femme ordinaire, Réalités/Fantasmes, l'avortement, Série
des fantasmes, 1974, photographie noire et blanc
Un autre homme va traiter ce sujet si féminin et tabou
de l'avortement, Edward Kienholz, avec The Illegal Operation en 1962
(figure 50). C'est en plein pendant les campagnes pour l'avortement qu'il
présente cette sculpture qui, par son aspect repoussant, tend à
dénoncer les conditions dans lesquelles les femmes doivent interrompre
leur grossesse. Au milieu d'un amoncellement de pots et de seaux
rouillés, le corps d'une femme représentée par un sac en
toile côtoie des instruments chirurgicaux douteux.
|
Figure 50: Edward Kienholz, The Illegal
Operation, 1962, Technique
mixte,
149.9 x 121.9 x 137.2 cm, Collection Betty and Monte Factor
Family
|
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Une des premières représentations d'un
avortement, mais d'ordre spontané, s'est fait par l'artiste mexicaine
Frida Kahlo. Dans l'Hôpital Henry Ford (figure 51), l'artiste se
représente nue, allongée sur un lit sur lequel elle saigne.
Autour d'elle, et relié par un cordon de sang, on trouve un foetus, un
escargot, symbolisant la lenteur de la fausse couche, une orchidée et
trois représentations de l'appareil reproductif féminin. Avant de
faire cette fausse-couche qu'elle traduira picturalement, elle aura
pratiqué un avortement volontaire. Le rapport à la
maternité de Frida Kahlo est très intéressant, car elle
questionne la fragilité de la femme, qui a peur de ne pouvoir enfanter
à cause de ses soucis de santé ; mais aussi cette ambivalence
entre le refus de maternité et le besoin de tomber enceinte pour se
rassurer sur son identité de femme, sur sa propension à enfanter.
Elle questionne la position de l'artiste femme et le rapport à sa
carrière mais également à la carrière de son amant,
Diego Rivera. Elle dira « Je ne suis pas très forte et une
grossesse m'affaiblit encore plus.... Je ne pense pas que Diego aimerait avoir
un enfant car c'est son travail qui le préoccupe avant tout et il a bien
raison... De mon point de vue, je ne sais pas s'il serait bon ou non d'avoir un
enfant, car Diego est continuellement en voyage et pour aucune raison, je ne
voudrais le laisser et rester sans lui à Mexico. Il n'y aurait donc que
des difficultés et des problèmes pour tous les
deux110. »
Figure 51: Frida Kahlo, Henry Ford Hospital,
1932, Huile sur metal, 32.5 x 40.2 cm, Collection Museo Dolores Olmedo
Patiño, Mexico City
110 H.Herrera, Frida, biographie de Frida Kahlo,
new-york, Harper and Row, 1983, p.138-139, Whitney Chadwick, Les femmes
dans le mouvement surréaliste, p.134
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La représentation de la maternité dans la
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Au-delà du rendu du vécu des femmes
avortées, il y a la représentation de la prise de position. Cette
question qui est encore aujourd'hui épineuse, de l'avortement.
Dès l'origine teintée de débats religieux, les artistes
des années 2000 prennent plus facilement position, et même de
façon plus radicale. Marc Quinn, un artiste anglais, prend clairement
position contre l'avortement avec son oeuvre Rainbow Angel, une
sculpture de 2008, représentant un foetus-squelette en position de
prière, agenouillé et mains jointes, placé à la
cathédrale de Winchester (figure 52). La sculpture de cet artiste tend
à défendre son opinion qui est très fortement liée
à la religion, par l'emplacement qu'il lui confère.
Figure 52 : Marc Quinn, Rainbow Angel, 2008,
bronze à patine chromée, 30cm de haut, Courtesy Gallery
Hopkins-Custot
2. La naissance : l'élan vers la vie, mais le
début du chemin vers la mort
Le rapprochement de la femme et de la mort a très
souvent été fait, notamment dans les représentations
populaires où l'on trouvait la mort allégoriquement
représentée sous les traits d'une femme. Simone de Beauvoir nous
explique également qu'il revient aux femmes de pleurer les
morts111. La maternité va également être
étroitement liée à la mort, car la naissance
111 Beauvoir, Simone de, Le deuxième sexe I, Les faits
et les mythes, Gallimard, Paris, 1949, p.249
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est nécessairement « le début de la fin
», en ce sens que la femme qui donne la vie annonce également la
mort comme terme de cette vie, « la naissance, même quand tout se
passe bien, est toujours, déjà, un « drame », car dans
l'instant où la mère inscrit l'enfant dans l'ordre des vivants,
elle l'inscrit dans celui de la mortalité112. » La femme
est souvent liée à la mort dans le sens que ses règles
sont le résultat d'un échec de fécondation. Certains y
voient une mort car il n'y a pas eu nidation de l'embryon. Et pensons aussi
à ces déesses de la maternité comme Fraja, la
déesse nordique, qui préside aux accouchements tout en
étant également la déesse des morts.
Quelques fois, l'expérience de la naissance rencontre
celle de la mort dans un même instant. On dit d'un enfant «
mort-né » lorsqu'il nait, ce qui lui donne une reconnaissance en
tant que personne, mais déjà à sa venue au monde,
paradoxalement, « il n'est plu ». Il y a donc eu une grossesse, un
accouchement, mais pas d'enfant. Cette douloureuse expérience fut
traduite chez certaines artistes. La douleur, profonde et humaine, est traduite
sous la plume de Marguerite Dumas113 dans un texte paru dans la
revue Sorcière sous le nom « l'horreur d'un pareil amour
» : « La peau de mon ventre me collait au dos tellement
j'étais vide. L'enfant était sorti, nous n'étions plus
ensemble. Il était mort d'une mort séparée (É). Mon
ventre était retombé lourdement sur lui-même, un chiffon
usé, une loque, un drap mortuaire, une dalle, un néant que ce
ventre. Il avait porté cet enfant et dans la chaleur glaireuse et
veloutée de sa chair, ce fruit marin avait poussé. Le jour
l'avait tué. Les gens disaient : « ce n'est pas si terrible
à la naissance, il vaut mieux ça ! » Etait-ce terrible ? Je
le crois ; précisément ça : cette coïncidence entre
sa venue au monde et sa mort. Ce vide était terrible, je n'avais pas eu
d'enfant même pendant une heure. »
Bill Viola, mêle vie et mort dans une oeuvre
vidéo, dans Nantes Triptych, en 1992, l'artiste présente
une vidéo de sa femme en train d'accoucher et la vidéo de sa
mère agonisant sur son lit d'hôpital. Cette
référence permet d'évoquer le mystère de la vie et
l'impulsion vers la chute inévitable que sera la mort. Ce qui est
intéressant également, c'est de constater que dans cette oeuvre,
le passage du néant à la vie et de la vie à trépas
se fait via le corps d'une femme, de surcroit le corps maternel.
112 Benhaïm, Michèle, La folie des mères, j'ai
tué mon enfant, p.11, Création au féminin, Volume 1,
Littérature, textes réunis et présentés par
Marianne Camus, Editions universitaires de Dijon, Dijon, 2006, p.74
113 Egalement dans sa pièce Détruire,
dit-elle, Editions de Minuit, Paris, 1969
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Christian Boltanski fait également se rencontrer la
naissance et la mort dans son oeuvre Chance114, où
il mêle les images de visages de nouveau-nés et décompte en
temps réel des naissances et des décès dans le monde.
Cependant, l'expérience de la mort lors de la naissance
peut donner lieu à un acte de renaissance qui va souvent se traduire en
création. Monique Bydlowski l'exprime en ces termes « l'intense
chagrin de la perte d'un enfant à peine naissant peut paradoxalement se
métamorphoser, pour certains êtres, en un « merveilleux
malheur ȃ une catastrophe intime qui se convertit en connaissance
secrète capable d'illuminer les décades ultérieures. C'est
le cas de celles qui transforment leur chagrin en une création
originale115. » Ainsi Marguerite Duras qui transformera son
chagrin en pièce de théâtre avec Détruire
dit-elle, mais également d'Orlan qui fera de la fin d'une grossesse
extra-utérine une oeuvre en la filmant et en la
présentant116, marquant le début de ses séries
d'opérations chirurgicales.
3. L'accouchement
i. Désacralisation
Si la naissance laisse penser à un instant joyeux, du
fait de la rencontre avec le mystère qui a grandi pendant neuf mois,
l'accouchement, lui, véhicule une image beaucoup moins positive. Le
vocabulaire associé à la parturition fait référence
à un travail douloureux, épuisant, long, mettant le corps
à l'épreuve. « La délivrance » qui coïncide
avec la dernière partie d'un accouchement - la sortie du placenta- est
fortement révélatrice de l'intensité de la tâche.
L'origine de la maternité a elle aussi une valeur négative : il
s'agit « d'enfanter dans la douleur117 » selon la bible.
Il n'est pas étonnant alors de retrouver dans les oeuvres traitant de
l'accouchement une certaine violence. L'artiste photographe Howtan
décide de rendre hommage aux souffrances de la femme accouchant dans une
photographie lumineuse, Scream of War, représentant une femme
ensanglantée et nue, proche de l'hystérie. La violence de
114 Réalisée au sein du pavillon français
lors de la 54e Biennale de Venise, 2011
115 Bydlowski, Monique, Je rêve un enfant,
l'expérience intérieure de la maternité, p.152,
Création au féminin, Volume 1, Littérature,
textes réunis et présentés par Marianne Camus,
Editions universitaires de Dijon, Dijon, 2006, p.75
116 En 1979
117 Genèse 3,16
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
l'accouchement est révélée
également dans une vidéo de Pipilotti Rist, When My Mother's
Brother Was born, It Smelled Like Wild Pear Blossom In Front Of The Brown-Burnt
Still118, où l'on voit un accouchement et notamment
l'épisiotomie pratiquée, sur fond de paysage montagneux.
De manière plus symbolique, Anita Molinero
suggère la pénibilité de l'accouchement avec
Cocoerrance, une table d'accouchement où le corps disparu
semble avoir malmené la table au point d'y laisser son empreinte (figure
53). Cette table devient métaphore du corps accouchant.
Figure 53 : Anita Molinero, Cocoerrance, 1997,
Table de travail et plaque d'inox, vue de l'exposition Cocoerrance, La
BF15, Lyon, 2007
Il y a donc par ces oeuvres une désacralisation de
l'acte d'enfanter, notamment en s'appuyant sur les notions de violence envers
le corps de la femme et de douleurs. La dénonciation de ces souffrances
maternelles est constatée par Patrizia Romito qui montre dans son
étude sur l'expérience de la maternité, que les femmes
gardent en souvenir de cette expérience un choc, et 80% d'entre elles
parlent même de douleur plus insupportable que prévue.
118 1992
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
ii. Accouchement comme emblème de
l'artiste
La représentation de l'accouchement va être
traitée dans l'optique symbolique de l'affirmation de soi en tant
qu'artiste, dans l'idée d'un acte libérateur vis-à-vis du
monde de l'art accaparé par les hommes.
En 1979, lors d'une exposition sur l'artiste Artémisia
Gentileschi à la galerie Yvon Lambert, l'artiste Léa Lublin
proposa une relecture d'une oeuvre fondamentale d'Artémisia. Dans le
meurtre d'Holopherne, Artémisia représente Judith,
l'héroïne qui se sacrifie pour son peuple et tranche la gorge de
l'oppresseur (figure 54). Lorsque l'on connait l'histoire de cette artiste, le
tableau s'éclaire davantage. En effet, Artémisia peint deux
versions du meurtre d'Holopherne, à partir de l'ouverture du
procès pour viol intenté par son père contre un peintre,
Agostino Tassi. Le tableau est alors perçu comme la lutte
d'Artémisia contre son bourreau, en tentant de reconquérir son
honneur. Mais à bien y regarder, Léa Lublin y voit la naissance,
l'accouchement de la femme-artiste. Dans son article, Le Milieu du tableau en
1979, elle met en avant que la disposition des protagonistes du tableau
s'apparente plus à un accouchement qu'à une mise à mort.
Pour elle, les bras d'Holopherne ressemblent plus aux jambes d'une
accouchée qu'aux bras d'un homme en train de mourir, avec un dernier
sursaut pour se défendre. La position des deux femmes, Judith et la
servante, évoque pour elle le travail des sages-femmes en train de tirer
la tête du bébé. « Scène de mort, la mise en
scène du corps par le retournement de ces fragments fait
apparaître aussi la scène de la défloration, la
scène du viol, la scène de la castration, la scène de
l'accouchement, de l'enfantement. »119 Léa Lublin
accompagne ses propos de dessins réalisés en isolant les
différents actes. Artemisia renverse donc la violence pour se mettre au
monde en tant qu'artiste.
119 Lublin, Léa, espace perspectif et désirs
interdits d'Artemisia Gentileschi ; Artemisia mot pour mot, Galerie Yvon
Lambert, Paris, 1979, p.50, cité dans, Bonnet, Marie-Jo, Les femmes
dans l'art, qu'est-ce que les femmes ont apporté à l'art?,
Editions de la Martinière, Paris, 2004, p.107
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 54: Artemisia Gentileschi, Judith
décapitant Holopherne, 1620, peinture sur toile, Galerie des
Offices, Florence
Louise Bourgeois, qui a largement traité les sujets de
maternité tout au long de sa carrière artistique, se
représente en train d'accoucher dans Femme accouchant. D'entre
ses jambes parait une tête de même dimension que la jeune
parturiente. La corrélation entre création et procréation
est encore plus nette avec l'oeuvre photographique Orlan accouche d'elle
m'aime (figure 55).
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Figure 55 : ORLAN, ORLAN accouche d'elle-m'aime,
1964, 81 x 76 cm (avec cadre), photographie en noir et blanc,
tirage unique
Dans cette oeuvre, on voit ORLAN elle-même, nue,
à demi couchée sur un drap. La photographie fige l'artiste en une
position d'enfantement méditatif, sa main gauche tenant sa tête
comme plongée dans une réflexion. Sa main droite effleure un
être androgyne sans bras, qui sort de son sexe, figure ni homme ni femme.
ORLAN accouche d'elle m'aime, du verbe aimer, avec la volonté
revendiquée de se créer autant que d'avoir été
créée. Malgré ce titre qui nous informe qu'elle accouche,
la scène ne laisse pas apparaître un corps en souffrance, en
« travail » à proprement parler. La douleur de l'enfantement,
précisée par la Bible, « tu accoucheras dans la douleur
», ne se lit pas sur le visage d'ORLAN. Et pour cause, elle ne donne pas
naissance à un être humain, mais à elle-même.
L'accouchement ici se révèle être spirituel, et non plus
charnel. Elle se place en artiste démiurge, reprenant les mots d'Antonin
Artaud « je suis mon fils, mon père, ma mère et
moi120. » « Je suis une homme et un femme » affirme
ORLAN. Cette démarche renvoie à se donner naissance comme artiste
idéal, dépourvue de sexe, quittant la guerre des genres en
art.
120 Antonin Artaud, "Ci-gît", dans OEuvres
Complètes vol. XII, Paris, Gallimard, 1974, p.78.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
V. Le corps de la mère disparaissant: la
parentalité ubiquiste
A. La reconquête du corps
1. La science vs le corps féminin
Le combat des femmes mené de front pour obtenir la
différenciation entre la sexualité et la procréation, afin
d'être considérées comme des femmes et non plus comme des
mères en puissance, va vite être rattrapé par la science et
la médecine. Si leur liberté de corps, de pouvoir choisir d'avoir
des enfants ou non ainsi que du moment, leur a été offert
grâce à la médecine, notamment avec la pilule et
l'interruption volontaire de grossesse dans des conditions décentes,
cela ne sera pas sans une lourde contrepartie. Le constat des artistes va
être sans appel, démontrant que le choix d'avoir un enfant va
rapidement devenir le droit d'avoir un enfant, et que cette exigence va
entrainer les femmes à sacrifier leur corps à la médecine
dans cette seule volonté de procréer.
Si l' « histoire de la médecine de la naissance
» 121 a mis un temps certain pour se développer, son étude
connait une forte évolution dans les années soixante-dix, en
marge du mouvement de la libération sexuelle. Au regard de cette «
histoire », on découvre que la reproduction humaine a souvent
été réduite à ses organes. A partir du
XVIIe siècle, le développement de la dissection des
animaux et l'homologie, c'est-à-dire l'extrapolation du système
reproducteur des animaux notamment à celui de la femme, va conduire
à cette réduction de l'Homme à ses organes. Par exemple
William Harvey en 1672 découvrira des oeufs chez la lapine, ce qui
amènera à la découverte des ovaires chez la femme. La
découverte des spermatozoïdes en 1677 dans la semence masculine
succède de peu d'années la découverte des ovaires, mais il
faudra attendre 1824 pour découvrir que le spermatozoïde
féconde l'ovule122.
121 Selon Papiernik, Emile, introduction Avant la
naissance: 5000 ans d'images, Muséum d'histoire naturelle du Havre,
24 octobre 2009 au 7 mars 2010 / sous la direction de René Frydman,
Émile Papiernik, Cédric Crémière, Editions du
Muséum d'histoire naturelle du Havre, Paris, 2009
122 Par Jean-Louis Prévost et Jean-Baptiste Dumas
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Le XIXe siècle verra la recherche
embryologique se développer en parallèle de découvertes
technologiques qui lui serviront par la suite.123 Cependant, tout
s'accélère à partir des années 1970 avec le
basculement vers une transparence totale du corps qui va se mettre en place par
le biais de l'échographie obstétricale, mais également une
distanciation du pouvoir des parents par l'institutionnalisation de la
reproduction avec le développement d'une véritable politique de
santé publique visant la maternité. Ainsi, en 1978 va
naître celle que l'on appelle le premier «
bébé-éprouvette », Louise Brown en Grande-Bretagne,
puis le premier « bébé-éprouvette »
français Amandine, en 1982. Ces naissances montrent combien la recherche
sur la reproduction et la procréation a fait de progrès, puisque
les médecins peuvent « concevoir » des embryons en dehors du
corps de la femme. Ces naissances marquent également une rupture : c'est
l'aboutissement des recherches sur la procréation car en
dévoilant une parfaite connaissance des appareils reproducteurs
masculins et féminins ainsi que la mécanique de la
fécondation, des questionnements d'ordres éthiques sur le devenir
de l'humain et le développement de nouvelles manières de
concevoir des enfants s'ouvrent alors.
Les corps, et surtout celui de la femme puisque lieu de la
fécondation et de la grossesse, ont été analysés
jusqu'à atteindre un niveau de transparence extrême, rendant ce
corps obsolète à l'élaboration de l'embryon. Ce constat de
disparition du corps va se retrouver chez les artistes dès les
prémices même des recherches embryologiques des années
1970.
L'artiste Kiki Smith est celle qui révélera le
mieux cette tendance à la disparition du corps au profit du
médical. C'est en 1986 qu'elle pose les débuts de son
investigation critique de la dépersonnalisation du corps et sa
surmédicalisation avec son oeuvre Womb (figure 56). Cette
sculpture de bronze représente un utérus isolé du reste du
corps d'une femme, transversalement sectionné. Par l'aspect minimaliste
de la sculpture, qui lui confère un aspect de récipient par le
biais de ses deux anses, Kiki Smith exprime son désir de penser le corps
« en terme d'intériorité » et que ce corps « a
besoin d'être exploré et dévoilé » non plus
sous la houlette d'une science inquisitrice, mais psychologiquement et
psychiquement. Le spectateur est confronté directement à cet
organe interne de procréation, lieu de vie, brutalement extrait du
corps. Ce lieu de mystère est donc révélé, tout
comme la science a rendu transparent le corps de la femme. Par la technologie,
la femme est dépossédée de son corps, de son
intérieur intime,
123 Découverte des rayons X en 1895 par Wilhelm Konrad
Röntgen
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
complètement transparente, presque hors d'elle. Ce rapt
du corps par la science est largement décrié par l'artiste :
« je veux donner accès aux gens aux choses troublantes et
déroutantes. Je n'aime pas la manière dont la médecine a
investi le corps. Je n'aime pas l'attitude hiérarchique des
médecins envers les patients, comme s'ils étaient les
détenteurs du savoir du corps du patient124.»
Figure 56: Kiki Smith, Womb, 1986, bronze,
45,7x 30,4x 20,3cm (fermé), Courtesy Galerie Pace Wildenstein,
New-York
Si la pratique artistique de Kiki Smith est tournée
vers la réappropriation du corps en général, on constate
que le corps de la femme lié à sa fonction reproductive tient une
large place. Les visées féministes de l'artiste ne sont pas
à occulter, car il s'agit pour elle d'une reconquête du territoire
corporel, au même titre que les revendications féministes des
années de libération sexuelle, mais déplacées dans
un contexte scientifique et non plus sociologique. Kiki Smith déclare
« nos corps nous sont littéralement volés, et il s'agit de
faire en sorte que chacune reconquiert son propre territoire, son propre
véhicule qui lui permet d'être là ; il s'agit de le
posséder et de l'utiliser, de regarder la manière dont nous
existons. L'expérience des femmes
124Codrington, Andréa, « Beneath the
Skin », The Journal of Art, octobre 1991, vol.4, n°8, p.42, cite dans
Désordres : Nan Goldin, Mike Kelley, Kiki Smith, Jana Sterbak,
Tunga, exposition Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, 12 septembre -
8 novembre 1992, Editions du jeu de Paume : réunion des musées
nationaux, Paris, 1992, p.88
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
se vit certainement plus profondément à travers
le corps. Dans un certain sens, nous sommes le corps125. » Il
n'est donc pas étonnant que cette artiste se penche si
fréquemment sur le corps des femmes et leur lien à la
reproduction.
Se réapproprier ce pouvoir de donner la vie, de la
transporter, se retrouve dans plusieurs autres oeuvres. Alors que dans
Black Flag, le corps se trouve littéralement dissout par
l'imagerie médicale pour présenter la fécondation d'un
ovule par des spermatozoïdes, la reconquête du charnel se fait par
les oeuvres comme Through ou la série Shields (figures
57). Ces oeuvres représentent des ventres de femmes enceintes, la
première étant une sculpture d'une moitié de femme avec
une jambe, le ventre proéminent et un bras. Les secondes ne se
focalisent que sur le ventre. Il s'agit de moules de ventres enceints,
semblables à des tondi en reliefs. On assiste donc à un
véritable réinvestissement de la femme, et surtout de la valeur
charnelle, dans le processus de reproduction, tant dans la conception par les
plâtres moulés à même les corps, que dans la valeur
symbolique.
Figure 57: Kiki Smith, Shield, 1988, collection
de David McKee, New York
On peut également rapprocher ces moulages de ventres de
femmes enceintes avec le travail de Marie-Ange Guilleminot et sa série
de moulages de nombrils vus de l'intérieur en 1991-1992 (figure 40, page
85). Il ne s'agit pas de ventres de femmes enceintes, mais renvoie au corps
originel : « le nombril est le résidu de notre origine qui est le
corps maternel (l'utérus). Il est la
125 Schleifer, Kristen Brooke, « Inside & Out : An
Interview With Kiki Smith », The Print Collector's Newsletter,
juillet-août 1991, p.86, cite dans Laboratoire pour une
expérience du corps, Exposition, Université de Rennes 2
Haute-Bretagne, 1995 : Damien Hirst, Fabrice Hybert, Kiki Smith, Patrick Van
Caeckenbergh, Presses universitaires de Rennes, 1995, p.92
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
signature maternelle sur le corps du bébé,
indélébile, la trace reste comme un message de la fin
déjà décidé dès notre naissance. » Et
de rapprocher la démarche des deux artistes de recentrer sur le corps
comme individualité « Mais aussi la singularité parce que
[...] les nombrils sont des portraits. Ils sont tous différents -
uniques, originaires, authentiques [...].126 »
L'artiste canadienne Nell Tenhaaf tend également
à critiquer la façon dont la technologie à «
usurpé la capacité d'enfanter de la femme127. »
Déjà en 1990, elle offrait une vision critique de la pratique de
la fécondation in vitro avec son oeuvre In Vitro, où des
paires de chromosomes illuminés étaient présentés
dans des caissons de plexiglas, réduisant ainsi la reproduction à
un symbole génétique.
Avec The Solitary Begets Herself, Keeping All Eight
Cells, Nell Tenhaaf met en évidence la crainte de voir
réduire le corps humain à un code
prédéterminé, qu'est notre ADN, en le mêlant
à l'oppression subie de par les organismes scientifiques et
médicaux qui briment le corps de la femme à coups de
procédures violentes comme la stimulation ovarienne, et l'enfermement de
ce corps dans un univers trop scientifique (figure 58). L'oeuvre
représente une femme nue allongée dans un caisson, avec,
dispersés sur son corps, des groupes de deux, quatre ou huit cellules.
Ceci renvoie directement à la médecine de la reproduction et
à sa technique de diagnostique prénatale, qui
prélève des cellules de l'embryon pour des fins d'essais
génétiques. Tout comme pour les oeuvres de Kiki Smith, c'est la
disparition du lien charnel du corps de la femme à l'enfant qui est mis
en avant, disparition du corps au profit d'un organe, ou même
disparaissant complètement derrière un simple code
génétique, pour se réduire à l'anonymat.
126 Bronfen, Elisabeth, extrait de notes inédites
prises à l'occasion d'une rencontre avec Marie-Ange Guilleminot suivie
d'une séance de moulage, le 18 mars 1995, à la galerie Chantal
Crousel à Paris, p.260 cité dans L'empreinte, exposition
organisée par le Musée national d'art moderne-Centre de
création industrielle, Paris, du 19 février au 19 mai 1997 /
direction. Georges Didi-Huberman, Ed. du Centre Georges Pompidou, Paris,
1997
127 Reichle, Ingeborg, « Au confluent de l'art et de la
science, le génie génétique en art contemporain »,
Art et biotechnologies, sous la direction de Louise Poissant et
Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de l'Université
du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005, p.255
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 58: Nell Tenhaff, The solitary begets
herself, keeping all eight cells, 1993, 369 x 19 x 25,5 cm, Centre of
contemporary canadian art
Cette volonté de se réapproprier le pouvoir de
reproduction trouve des échos aujourd'hui. Un article du Monde
de mars 2012 explique cette volonté des femmes de ne plus
être spectatrices de leurs grossesses et de leurs accouchements, et
refusent l'usurpation de leur pouvoir d'enfanter. L'une des femmes
interrogées s'exprime ainsi « lors de mes contacts avec des
établissements hospitaliers, j'avais le sentiment que j'étais un
numéro suivi pour une intervention chirurgicale, alors que je voulais
être actrice de ma grossesse. » Le constat dressé par ces
artistes tels que Smith ou Tenhaaf traduit une réalité
concrète qui perdure. Ce constat est d'autant plus marqué pour la
femme dans son rapport à la parentalité que c'est elle qui porte
l'enfant et le fait naître, mais également parce que la
médecine de la reproduction s'est attachée
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113
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
presque essentiellement à la fonction
procréatrice de la femme, comme par exemple avec les méthodes de
contraceptions presque exclusivement féminines. Yvonne Knibiehler
l'exprime clairement « la médicalisation est une autre
manière de contrôler la liberté du
corps128.»
Ces deux artistes ont mis en avant le poids de la science sur
les corps, notamment sur le corps de la femme dans le domaine de la
reproduction. D'autres vont mettre en évidence l'importance fondamentale
de l'espace utérin et du rapport charnel au corps de la mère dans
le développement des individus, comme les artistes Lygia Clark ou Egle
Rakauskaite. Ces deux artistes, par des moyens plastiques différents,
vont amener le spectateur à revivre un état originel
déchu, comme pour la performance de Lygia Clark, A casa é o
corpo. Penetraçao, ovulaçao, germinaçao, expulsao en 1968,
qui proposait une expérience tactile de l'intériorité
du corps féminin, ou à constater la
ré-expérimentation du corps dans un état foetal
reconstitué pour Egle Rakauskaite par son oeuvre Honey (figures
59 et 60).
Figure 59: Lygia Clark, A casa é o corpo.
Penetraçao, ovulaçao, germinaçao, expulsao
(une maison pour mon corps. Pénétration, ovulation,
germination, expulsion), 1968, installation de huit mètres de long
réalisée pour la Biennale de Venise de 1968
128 Knibiehler Yvonne, La révolution maternelle :
Femmes, maternité, citoyenneté depuis 1945, Perrin, Paris,
1997, p.181
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Figure 60: Egle Rakauskaite, In Honey, 1996,
performance, Musée de Arte, Reijkiavik
2. Réalisme et hyperréalisme
La maternité, comme on a pu le démontrer dans
les chapitres précedants, a été dissimulée
derrière les conceptions religieuses jusqu'à ce que les artistes
de la fin du XIXe siècle et du début du XXe
révèlent en quelque sorte le rôle maternel, en le
glorifiant, par des conceptions dociles d'allaitantes et de maternantes, au
sens d'éducatrices. Nous pensons alors à Eugène
Carrière. Les années soixante-dix vont bousculer l'image de la
maternité, en montrant qu'être mère n'est pas
l'idéal féminin, en radicalisant le discours et en
dévalorisant le processus maternel, de la grossesse à
l'éducation des enfants. Les artistes contemporains, à partir des
années 90, vont donner une image de la maternité
désacralisée mais toute empreinte de vérisme,
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115
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
non pas dans une volonté de décrier la
maternité, mais de montrer tout simplement la réalité du
mystère. Ils montrent ce que l'on ne voit pas habituellement: une
rencontre entre une jeune accouchée et son enfant hors de toute
béatitude et emprunt de surprise et de doutes chez Ron Mueck; des jeunes
mères épuisées par l'accouchement chez Rineke Dijkstra.
L'heure n'est plus au mensonge sacralisant la maternité ni à la
dénonciation d'une maternité esclave: l'heure est à la
véracité.
Ron Mueck, par ses oeuvres comme Mother and Child ou
encore Pregnant Woman, tend à nous proposer une
expérience peu ordinaire, à savoir de pouvoir voir de
près, de très près, des instants de maternité
dissimulés habituellement. Pregnant Woman est une sculpture
d'une femme enceinte nue, en toute fin de grossesse (figure 61). Sa position
n'est pas habituelle, levant les bras derrière sa tête pour
étirer ce corps malmené par la maternité. Son visage
n'exprime aucune béatitude, mais une crispation qui pourrait faire
croire à une extrême concentration durant une contraction
utérine douloureuse, annonçant l'accouchement laborieux. Cette
femme est corps, elle montre et suggère également par sa
dimension129, l'aspect imposant et pesant de la maternité, il
se concentre sur le corps, ce ventre proéminent vers lequel toutes
forces convergent.
Figure 61: Ron Mueck, Mother and child, 2001,
matériaux divers, 24 x 89 x 38 cm, collection Brandhorts,
Allemagne
129 La sculpture fait deux mètres cinquante de hauteur
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Mais s'il est des instants qui sont encore peu
dévoilés, ce sont ceux de l'accouchement. Souvent
suggéré par les artistes des années 70/80 comme on a pu le
voir dans la partie précédente de manière radicale afin de
faire prendre conscience que l'accouchement est une réelle souffrance,
Ron Mueck va en révéler un fragment, tout en restant dans un
vérisme profond, hors de toutes conceptions idéalisées ou
dépréciatives. Mother and Child présente une
femme nue, allongée sur le dos, les jambes légèrement
repliées, les bras le long du corps. Sa tête se détache du
socle pour regarder son ventre flasque et découvrir son
nouveau-né, cet être énigmatique qui a grandi durant neuf
mois dans son intimité et qui lui est brusquement dévoilé.
Du sexe de la jeune accouchée, se présentant béant et
bouffi, sort le cordon ombilical, reliant encore physiquement la mère
à l'enfant et indiquant l'instantanéité de l'acte. Cette
sculpture mélange les détails obstétricaux triviaux
à la dimension psychologique de l'accouchement, avec cet
émerveillement craintif qui se lit sur le visage de la mère
découvrant son enfant (figure 62).
Figure 62: Ron Mueck, Pregnant woman, 2002,
matériaux divers, 252 x 73 x 68,9 cm, National Gallery
of Australia, Canberra
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Ce même état de surprise, mêlé
à une sorte de torpeur, se retrouve dans la série photographique
Netherlands de l'artiste néerlandaise Reneke Dijikstra (figures
63, 64 et 65). Cette série se compose de trois photographies cadrant des
jeunes femmes tenant leurs nouveaux-nés contre elles, à
différents moments après leurs accouchement : quelques minutes
après, une heure, un jour. Les photographies semblent être prises
dans le couloir d'un hôpital, tout du moins dans un environnement neutre,
impersonnel, intemporel, qui peut renvoyer au socle froid de Mother and
Child de Ron Mueck. Le format et la composition de ces trois oeuvres
photographiques donnent l'impression d'un documentaire sur l'accouchement et
ses suites. La réalité de l'accouchement est
suggérée : les traits de ces femmes sont tirés, attestant
de la pénibilité du travail effectué ; le corps est encore
gonflé de la présence durant de longs mois de l'enfant qu'elle
serre à présent contre elle et le corps de l'enfant,
recroquevillé à l'image du nouveau-né de Ron Mueck, porte
également la trace de sa vie in vitro, par sa couleur renvoyant aux
muqueuses utérines. Rien n'est épargné au spectateur,
même pas les culottes-filées d'on l'une des jeunes mères
est parée, que les futures mères découvrent sur leur liste
de maternité.
Figure 63, 64, 65 : Reneke Dijikstra,
Saskia, Harderwijk, Netherlands, March 16 1994, 1994,
photographie sur papier, 117 x 94 cm
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
La réappropriation de la maternité, du corps de
la femme, passe ici par une révélation de l'acte, par
l'instantanéité. La maternité est exposée par la
confrontation du spectateur à cet acte purement charnel qu'est
l'accouchement. Hors de toute sacralisation ou dépréciation, ces
oeuvres tendent à montrer la grande humanité de ces femmes.
3. Du « penis envy » à
« l'uterus envy
»130
La séparation de la reproduction et du corps, notamment
du corps de la femme en ce qui concerne la fécondation, mais aussi le
fait de pouvoir implanter des embryons dans le ventre d'une femme sans que
ceux-ci ne soient les siens, donnent accès à toutes sortes de
fantasmes. Ainsi, n'est-il de plus ancien fantasme de la part des hommes que
celui de porter la vie également ? Parallèlement à ce que
la maternité serait, selon Freud, l'expression de « l'envie du
pénis », les progrès technologiques entraineraient ce que
l'on pourra appeler « l'envie de l'utérus » chez les hommes.
Ce fantasme se traduit également sociologiquement au travers des
attitudes des hommes. Elisabeth Badinter le soulignait déjà dans
son ouvrage131, ces dernières années nous assistons
à une identification des pères vis-à-vis de leurs femmes.
Lorsque ces dernières se virilisent et prennent certaines distances
à l'égard de la maternité, il serait très
certainement apparu un « désir de maternage, sinon de
maternité132 » de la part des pères. Ce constat
qui s'affirme aujourd'hui, avec notamment l'élaboration d'une politique
de la paternité par la mise en place du congé paternité
à la naissance de l'enfant et son possible allongement, aurait eu pour
racines le dépouillement des pères de toute autorité au
profit de l'Etat et des mères. « L'accroissement
considérable des responsabilités maternelles, depuis la fin du
XVIIe siècle, a progressivement obscurci l'image du
père. Son importance et son autorité, si grande au
XVIIe siècle, sont en déclin, car en prenant le
leadership au sein du foyer, la mère a largement
130 Friedan, Betty dans la femme mystifiée
parle p.159 des hommes d'aujourd'hui qui souffrent de « l'envie de
l'utérus »
131Badinter, Elisabeth, L'amour en plus :
histoire de l'amour maternel, XVIIe-XXe
siècle, Flammarion, Paris, 1980 132 Op. cit. p. 365
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
empiété sur ses fonctions133 »
précise Elisabeth Badinter. La science va offrir un terrain neuf pour
entretenir ce nouveau fantasme de paternité.
Cette idée est mise en avant par les conceptions
psychanalytiques qui se développent dans les années soixante,
d'une identification féminine de la part des pères lors de
l'arrivée de leur premier enfant. Ce qu'explique Monique Bydlowski
psychiatre et psychanalyste à la maternité de Port-Royal, c'est
que « la crise induite par l'attente de l'enfant peut faire flamber des
fantasmes de grossesse et d'identification féminine134.
» La révélation de ce syndrome que l'on nomme « la
couvade », et qui se traduit généralement par des troubles
psychosomatiques, en revient au contexte sociologique qui permettrait une plus
grande expression sociale qu'auparavant.
L'artiste Jana Sterbak affuble un homme d'un ventre de femme
enceinte et de seins à la manière d'un tablier de plâtre,
dans son installation Inhabitation, en 1983 (figure 66). L'aspect
bricolé de ce ventre-prothèse ainsi que le regard froid de cet
homme très, voire trop, viril, barbu, porte à montrer un
caractère ironique au fantasme qui pouvait se profiler à
l'époque. Le fantasme est présent mais il paraît alors
chimérique, si ce n'est utopique. L'ironie présente peut renvoyer
à ces conceptions nouvelles sur la paternité et cette
identification des pères par rapport à leurs épouses.
Figure 66: Jana Sterbak, Inhabitation, 1983, 65
x 37 x 26 cm, résines, photographie
133 Op. cit. p.280
134 Bydlowski, Monique « La crise parentale de la
première naissance », Informations sociales 4/2006, n 132,
p. 64-75.
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Le malaise est plus présent dans les oeuvres
photographiques d'Hiroko Okada. Dans Future plan n° 1 et 2, cette
artiste nippone nous présente des hommes à moitié nus,
enceints de vrais ventres ronds (figure 67). Leurs positions reprennent des
positions de femmes avancées dans leur grossesse, telle la main sur les
reins ou sur le ventre. Leur côté androgyne, par leur manque de
pilosité virile et leur longue chevelure, marque l'ambigüité
régnant sur leurs corps. Mais ce sont bien d'hommes dont il s'agit. Ces
photomontages datant des années 2000 montrent l'aspect de plus en plus
probable de cette situation. Là où Jana Sterbak nous proposait
une remarque ironique sur les progrès de la médecine
reproductive, Hiroko Okada nous laisse entrevoir ce qui pourrait être
notre avenir proche, dans un certain malaise. Et l'artiste ne s'y était
pas trompée, car quelques années plus tard, la
réalité dépasse la fiction, en voyant la photo d'un homme,
Thomas Batie135, enceint. Les progrès scientifiques ainsi que
les changements des habitudes sexuelles ont donné réalité
à la vision numérique de l'artiste.
Figure 67: Okada Hiroko, Future Plan 1 et 2,
2003, tirage lambda, 140.4x90 cm et 102x140.5 cm, Courtesy Mizuma
Art Gallery, Tokyo
135 Il s'agit d'une femme anglaise, ayant changé
d'apparence pour devenir un homme mais ayant conservé son appareil
reproducteur féminin
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
B. La perte du corps: virtualisation et
désacralisation de la reproduction
1. Virtualisation : la «
société utérus »
Parallèlement à la médecine qui
réalise des progrès dans de nombreux domaines et à une
allure incroyable à partir des années soixante-dix, se
développe un outil technologique qui deviendra un médium novateur
pour les artistes, à savoir Internet et l'informatique. Dès 1995,
alors que l'utilisation d'internet en tant que réseau mondial de masse
se généralise et que l'essor de la pratique artistique usant de
l'internet ne fait que commencer, Marie-Ange Guilleminot et Fabrice Hybert
développe l'idée du Bébé virtuel. Cette
oeuvre commune, d'un homme et d'une femme, présente la «
création » et la naissance d'un bébé par la seule
pensée et par la volonté de deux artistes, de deux «
cerveaux ». Ce bébé se développe et grandit sur la
toile. Les deux artistes en donnent cette description au sein du catalogue de
l'exposition Féminin-Masculin, le sexe de l'art « Multiplier la vie
au-delà de la mort par n'importe quel moyen, de Gutenberg à la
génétique, tous les paliers des échanges ont
été peu à peu mobilisés. [...] Mais comment faire
un bébé? Le cinéma nous a fait supposer plein de
possibilités. Un bébé que tout le monde pourrait venir
voir ou aller voir, lui donnant des leçons, des informations, un nom. Le
faisant grandir, l'habillant, lui apprenant un métier, sans fin.
Le bébé est en gestation peut-être pour
neuf mois, mais peut-être moins ou plus, en tout les cas il est
conçu et nous l'aimons déjà beaucoup. Lorsqu'il
naîtra dans tous les réseaux possibles, dans toutes les
forêts que vous pouvez imaginer, nous sommes certains qu'il vous
apportera beaucoup de plaisirs. Vous pouvez en faire ce que vous voulez dans
les limites de vos mémoires vives, mais il aura la capacité
à produire beaucoup de demandes qui vous obligeront souvent à
décoller vos fesses du siège136 [...]. »
136 Guilleminot, Marie-Ange et Hybert, Fabrice, du
bébé virtuel, Fémininmasculin: le sexe de l'art,
Paris, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, Grande galerie, 24
octobre 1995-12 février 1996 / catalogue par Marie-Laure Bernadac,
Bernard Marcadé, Gallimard-Electa, Paris, 1995, p. 263
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Cette oeuvre fait écho à certaines critiques,
notamment celles des fécondations in-vitro. En effet, la FIV peut se
faire entre des gamètes mâles et femelles de ceux qui
désirent être parents, afin de faire grandir le foetus puis
l'enfant au sein de leur couple. Mais la FIV peut se faire également par
le biais de donneurs, de spermes ou d'ovocytes, et grandir au sein d'une
mère porteuse. L'enfant à naître résulterait alors
d'un acte purement médical, produit sans relation charnelle des parents
(au sens social de ceux qui vont l'élever) ni relations aucunes entre
ses parents biologiques. La perte de la sexualité est alors une critique
très présente, critique d'une crainte qui se
révèlera chez d'autres artistes, notamment Aziz et Cucher.
L'enfant à naître ne serait donc pas réel dans le corps de
la femme s'apprêtant à devenir mère, mais virtuel, dans et
par les corps d'autrui. Le projet d'enfant se serait mu dans l'impulsion de
deux volontés, comme avec les deux artistes, mais nécessite
ensuite une pléiade d'intervenants extérieurs au couple, comme
les internautes.
Il est important de souligner également le
médium utilisé, et le parallèle à faire entre cette
perte de sexualité et la critique de la perte de sociabilité que
cet outil a entrainé. En effet cette « fenêtre sur le monde
» qu'est internet va très vite se révéler comme un
possible outil de « désociabilisation » et va
considérablement réduire la frontière entre vie
réelle et vie virtuelle. « Dans cette
société-utérus, les êtres humains n'ont plus de
relations sociales, encore moins sexuelles, sinon d'être branchés
sur leurs machines, -à commencer par la télévision et tous
les écrans- par câbles physiques ou connexions
satellites137. »
En 2002, deux artistes reprendront cette démarche d'un
bébé se développant par le médium Internet, avec
l'oeuvre Silver Alter (figure 68). Il s'agit d'une installation
où les spectateurs peuvent sélectionner des humains virtuels afin
de générer une descendance. La critique de la manipulation des
êtres « humains » ne peut être plus explicite, si ce
n'est que le spectateur doit
137 Lachance, Michaël, « Une fiction biopolitique le
corps larvaire », Art et biotechnologies, sous la direction de
Louise Poissant et Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de
l'Université du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005, p.182
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
décider ensuite si cette progéniture pourra
survivre à ses parents à la prochaine génération.
La critique de l'eugénisme qu'engendre le médium technologique se
révèle très fort. Gina Czarnecki et Keith Skene, par le
biais de l'univers numérique, offrent par cette oeuvre la
possibilité de créer, d'élever ou d'avorter des humains
virtuels. Le choix du médium n'est pas anodin et tend à
dénoncer l'aspect démiurge qu'il offre, à assimiler
à la science, ici technologiquement. L'aspect virtuel consent un pouvoir
au spectateur qui dépasse les limites réelles et morales, et qui
se traduit par une distanciation des corps qui les rend obsolètes,
virtuels et « jetables » par un simple clic.
Figure 68: Gina Czarnecki and Keith Skene. Silvers
Alter, 2002
2. La glaciation du corps
Les artistes vont émettre une critique sur l'intrusion
de la médecine et la technologie au sein des couples, et montrer que
celle-ci entraine une dé-sexualisation de la reproduction, comme
l'indique Michael Lachance « [É] la reproduction humaine est
devenue un acte mécanique d'insémination en éprouvette,
pure répétition nauséeuse de l'espèce dans un
cauchemar eugénique138. » Bien plus qu'un
écartement du corps de la femme, c'est la sexualité même
qui va être remis en question. En effet, comme le souligne
Marie-Madeleine Chatel dans son
138 Ibidem
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
ouvrage Malaise dans la
procréation139, ce qui était une affaire de
couple, à savoir le désir d'enfant, va entrer dans un triptyque
en laissant s'introduire la médecine et la science, afin
d'accéder ou d'accéder plus rapidement à ce désir
d'enfant. L'intimité du couple, tout comme l'équilibre psychique
de la famille, comme on pourra le voir plus loin, avec le clonage notamment, se
trouve bouleversée par cette intrusion. Faire entrer la médecine
au coeur même de la procréation, c'était alors faire
disparaître la sexualité et l'érotisme du fait de la
reproduction. L'acte de reproduction n'était et n'est plus charnel,
« Si la procréation est pensée en termes de manoeuvres de
substances, le désir est tout simplement atteint dans sa logique
même, il est exclu de l'aventure procréative140. »
Alors que les mouvements féministes avaient lutté pour
acquérir le droit de disposer librement de son corps et de dissocier
sexualité et reproduction, les artistes vont montrer que l'intrusion de
la science se fait à l'encontre de la sexualité et annihile cette
liberté de dissociation au nom d'un nouveau droit revendiqué
« d'avoir des enfants » à tout prix.
Ce constat a été fait notamment lors de
l'exposition L'Hiver de l'amour, présentée au
Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris en 1994. Dominique Baqué
commente cette exposition et rapporte qu'elle a montré la «
glaciation du corps. » Cela est dû également à
l'émergence du sida et de cette sorte de peur sexuelle qui se
développe, et qui a poussé à se diriger vers une
sexualité aseptisée où le médical paraissait
rassurant.
Paraissant emblématique de cette angoisse
émergente liée à la perte de la sexuation et de la
glaciation du désir, l'oeuvre des artistes Aziz et Cucher Woman and
Child, provenant de la série Faith, Honour and Beauty,
confronte le spectateur à une femme enceinte nue, accompagnée
d'un jeune enfant, nu également, mais tous deux dépourvus
d'organes sexuels (figure 69). Les seins ainsi que le sexe de la femme ont
été effacés, ce qui est le cas également du sexe de
l'enfant. La femme est réduite au seul stéréotype de sa
condition de mère, de sa capacité sexuelle et biologique à
enfanter et à sa fonction sociale d'élever son enfant. Comme
l'indique Dominique Baqué « en dé-sexualisant les corps mais
en maintenant pour chaque sexe des objets archétypiques de la
virilité et de la féminité les plus conventionnelles, Aziz
et Cucher
139 Chatel, Marie-Magdeleine, Malaise dans la
procréation : les femmes et la médecine de l'enfantement,
Albin Michel, Paris, 1993
140 Op. Cit., p.76
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
interrogent simultanément la perte de tout
érotisme possible, les risques fascisants des pratiques
eugénistes et le terrifiant « formatage » auquel la culture
américaine livre des corps de plus en plus dociles, de plus en plus
normés141. » On assiste à un retour en
arrière : la femme n'est plus pensée en termes sexuels, mais par
sa fonction de mère. Son corps disparait derrière sa fonction
biologique.
|
Figure 69: Aziz+cucher, Faith, Honor and beauty,
1992, photographie couleur, 86 x 38 cm, Espace d'art Yvonamor Palix, Paris.
|
125
Dans un registre plus ironique, l'artiste Anne Esperet livre
également une critique de la disparition de l'acte charnel dans le
processus de reproduction. Avec Fabrication à l'ancienne,
oeuvre comprenant la photographie d'une femme enceinte portant un t-shirt avec
cette même inscription, ainsi que la possibilité d'achat dudit
t-shirt, l'artiste renvoie à la manière non scientifique et toute
prosaïque dont cette femme en photo est tombée enceinte (figure
70). La
141 Baqué, Dominique, Mauvais genre(s):
érotisme, pornographie, art contemporain, Ed. Regard, Paris, 2002,
p.71
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
médecine procréative est certes
omniprésente dans l'univers de la reproduction, mais il ne faut pas
oublier la façon originelle de concevoir des enfants. Elle critiquera
également, par le même procédé, les possibles
déviances de la médecine procréative, avec
Pièce Unique, une photographie d'une enfant portant un body
avec l'inscription pièce unique et la possibilité d'achat du body
en question, écho aux techniques du clonage et de médecine
préimplantatoire (figure 71).
|
Figure 70: Anne Esperet, Fabrication A
L'ancienne, 2003, Photographie 53 x 40 cm et tee-shirt blanc standard
"Fabrication à l'ancienne"
|
|
Figure 71: Anne Esperet, Piece Unique, 2003,
Photographie 53 x 40 cm et tee-shirt blanc standard "Pièce unique
fournie, Photographie couleur de 53/40 cm.
|
126
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
Les différentes oeuvres offrent le constat que le corps
de la femme devient obsolète et se voit de nouveau assujettie à
la reproduction par le fait d'avoir mis au centre du couple l'enfant tant
désiré et qui tarde, dans une société d'impatience.
La science a engendré cela, en rendant plus qu'accessibles les
méthodes de procréation assistées, en
précédent l'impatience de leurs patients à concevoir un
enfant naturellement.
C. La maternité au XXIe siècle :
« Demain les post-humains »
Avec l'avènement des nouvelles technologies, en
matière de médecine, mais également avec la
découverte de l'ADN et le développement des médias
numériques tels internet et l'informatique entre autre, s'est
développé un courant de pensée qui traite du rapport entre
l'humain et la machine. Ce courant que l'on appelle Post-humanisme rassemble
des scientifiques ainsi que des artistes et se scinde en deux catégories
de penseurs : les technophiles, qui considèrent positivement
l'avènement d'êtres humains supérieurs grâce aux
biotechnologies ; et les technophobes qui craignent les conséquences
néfastes qu'une telle omniprésence des biotechnologies dans notre
quotidien et notre intimité, voire notre identité, pourraient
engendrer. Le post-humanisme commence dès l'apparition de la pilule et
de la banalisation des fécondations in-vitro, car il y a alors
l'idée d'en finir avec le déterminisme de la naissance, mais
également avec le fatalisme de la vie, car il englobe les greffes ainsi
que les prothèses ou tout ce qui va contribuer à repousser les
limites de l'humain, de la vieillesse et de la mort - et bien sur de la
naissance.
1. Du miracle de la vie au monstre de la
science
Le fait de pouvoir intervenir au niveau des gênes et des
cellules, de pouvoir manipuler voire transformer le vivant presque à la
source, entraine des discours artistiques emplis de fantasmes,
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
mais également d'espoirs et d'angoisses
mêlés. Certains artistes vont encenser la biotechnologie et y voir
les promesses d'un homme nouveau, d'un homme meilleur. Les autres, plus
sceptiques, vont mettre l'accent sur la possibilité du manque de recul
nécessaire à toute apologie de la manipulation du vivant, en
montrant que le chemin pour aller vers une création parfaite peut vite
déraper vers la création d'un monstre, comme l'indique le
roman Frankenstein.
La figure du monstre a toujours été
présente dans le champ de l'art. Aux siècles passés, on se
souvient des femmes à barbes ou encore des enfants atteints de membres
sous ou surnuméraires peints par les plus grands artistes, pour le plus
grand plaisir des monarques et autres puissants. L'étymologie du terme
monstre se rapporte à monstrum, « montrer ». En effet, le
monstre est celui que l'on montre, grossièrement du doigt, du fait de
son anomalie, de son irrégularité. Mais il faut se pencher
également sur une deuxième étymologie possible, monestrum,
dérivé du latin, et qui signifie « avertir ». Au
Moyen-âge, le monstre est celui qui annonce un événement
extraordinaire, mais plus souvent, une catastrophe. Le monstre fait
apparaître chez l'autre des sentiments confus, il fascine et il angoisse.
Cette volonté de « montrer » par le monstrueux va se retrouver
chez des artistes, tels SubRosa par exemple, ou Patriccia Picinini, dans une
démarche d'avertissement envers le spectateur sur les dérives de
notre société en matière de biotechnologies.
Mais la définition du corps monstrueux a
évolué depuis le Moyen-âge. Ce qui apparaissait aux
siècles passés comme des corps monstrueux ne le sont plus
aujourd'hui. Une nouvelle notion du monstrueux est apparue. Elle se retrouve
dans cette volonté nouvelle de faire disparaître ou tout du moins
d'atténuer la proportion d'êtres humains « anormaux »
qui va faire réagir les artistes. La volonté avérée
de la médecine, de la science, de ce qu'on peut appeler les
anthropotechniques142 est de tendre vers la normalisation,
l'uniformisation de la population. Le monstrueux à la fin du
XXe siècle et en ce début du XXIe
apparaît dans le risque de l'eugénisme. Cette pratique de vouloir
acquérir l'art de bien engendrer, c'est à dire d'avoir une
descendance sans tares, apporte nombres de questionnements.
Ceux qui sont mis en avant par le professeur Nisand dans le
deuxième forum européen de bioéthique de Strasbourg, c'est
qu'au nom de cet eugénisme, la dimension de mort entre très -
142Etter, Valérie et Le Dref, Gaelle,
Art et biotechnologies, sous la direction de Louise Poissant et
Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de l'Université
du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005
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129
La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
trop- tôt dans le processus de la vie. En effet, avec
les moyens de dépistages et de diagnostiques prénatals, mis en
place notamment pour réduire le cas de trisomie 21, la mort fait son
intrusion bien avant la naissance. Car si l'on détecte une anomalie, le
couple va devoir se prononcer sur le meurtre de son enfant. Le monstrueux ici,
n'est pas de l'ordre de l'anomalie corporelle, même si on l'entrevoit sur
cet enfant à naître, mais sur la dimension psychologique de la
décision à prendre, d'un infanticide, qui est «
proposé » par la société. Ce risque eugénique
est pour certains grands pontes de la médecine foetale,
déjà avancé. Jacques Testart, le biologiste de la
première fécondation in-vitro en France en 1982 aux
côtés de René Frydman, dénonce désormais un
eugénisme inauguré par les procréations artificielles et
qui se développe par la sélection des embryons découlant
des diagnostics, tout cela au nom d'un idéal de santé et de
normalité des individus. Il ne cache pas que ces finalités ne
soient rejointes très rapidement par des fins de
convenances143 . Ce risque est tellement grand, dès 1986,
qu'il décide d'arrêter cette pratique. Le Professeur Nisand
confirme en quelque sorte les craintes posées par Jacques Testart,
puisqu'il nous informe sur l'augmentation avérée d'interruption
volontaire de grossesse pour, dit-il, « des anomalies curables »
types bec de lièvre. La finitude de la convenance serait donc bien
atteinte, puisque le dépistage de la trisomie 21, comme le souligne le
Professeur Nisand, est proposé et remboursé par la
sécurité sociale dans le but avoué d'une large
économie pour l'Etat. En effet, cela coute plus cher de payer des
structures d'accueil pour les personnes atteintes de ce handicap que de payer
à toutes les femmes enceintes le dépistage. On ne sait plus
très bien où se cache la monstruosité, où est la
raison de l'éthique, la morale. Surtout lorsque La loi du 29 juillet
1994 relative au respect du corps humain complète le Code civil et le
Code pénal en interdisant et sanctionnant les pratiques
eugéniques. Les pratiques eugénistes sont regardées comme
des atteintes à l'intégrité de l'espèce humaine. La
législation nouvelle s'oppose donc avant tout à
l'eugénisme collectif. En effet, l'article 16.4 du Code civil
énonce : « Nul ne peut porter atteinte à
l'intégrité de l'espèce humaine » et que « toute
pratique eugénique tendant à l'organisation de la
sélection des personnes est interdite. » L'article 511.1 du Code
pénal, quant à lui, dispose « Le fait de mettre en oeuvre
une pratique eugénique tendant à l'organisation de la
sélection des personnes est puni de vingt ans de réclusion
criminelle. »
143Testart, Jacques, L'oeuf Transparent,
Flammarion, Paris, 1986
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jours
Déjà les artistes de l'art corporel, telle
Orlan, développaient les questionnements liés à la
possibilité de dépasser les limites du corps, de pouvoir
rectifier les anomalies corporelles grâce à la chirurgie
esthétique. C'était déjà montrer que la
société allait vers une nouvelle monstruosité,
créée de toute pièce par les normes sociétales du
beau.
Mais avec la découverte de l'ADN et les diverses
manipulations génétiques possibles, le risque est bien de ne plus
être unique et de rectifier ces « anomalies » bien avant la
naissance, bien avant d'être corps. C'est donc la question de
l'eugénisme que les artistes vont traiter, pour atteindre le
thème de l'identité de l'individu. Avec l'oeuvre Family
Romance, Charles Ray tend à identifier cette normalisation de la
population (figure 72). Cette oeuvre représente une famille de quatre
personnes, composée du père et de la mère, ainsi que d'un
garçon et d'une fille. Seulement, bien qu'il s'agisse d'une famille,
tous les personnages ont la même dimension, ils se ressemblent à
s'y méprendre, mais bien plus que dans un rapport de filiation. Cette
oeuvre illustre parfaitement les propos d'Henri Atlan qui voit dans le clonage
un « chaos des filiations »: « des individus produits par
clonage reproductif seraient génétiquement identiques à
des frères ou soeurs jumeaux de ceux ou celles à partir desquels
ils seraient clonés, mais ils seraient éventuellement
décalés dans le temps au point qu'ils pourraient en être
considérés comme appartenant à la génération
des « enfants » ou des « petits-enfants ». Or, une telle
situation, au premier abord, risque de désorganiser totalement tous les
repères humains connus dans le domaine des filiations. Bien que les
anthropologues décrivent des systèmes de filiations multiples, et
très différents de celui traditionnellement établi dans
nos sociétés, aucun système de filiation ne fait purement
et simplement l'économie d'un des deux parents biologiques, puisqu'ils
reposent tous sur l'expérience universelle de la reproduction
sexuée. La reproduction asexuée que réaliserait le clonage
reproductif perturberait tous les systèmes de filiation existants et
pourraient conduire, à terme, à la suppression même des
relations de filiation144. »
144 Atlan, Henri, « Possibilités biologiques,
impossibilités sociales », L'art contemporain au risque du
clonage / sous la direction de Richard Conte ; Publications de la Sorbonne
: ACTE 91, Paris, 2002, p.22
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La représentation de la maternité dans la
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jours
Figure 72: Charles Ray, Family Romance, 1993. Fibre de
verre et cheveux synthétiques, 134.6 x 215.9 x 27.9 cm. The Norton
Family Foundation.
Mais si certains artistes développent l'idée que
la normalisation va demeurer notre prochain fléau, d'autres se posent en
critique de cette science prétentieuse. Les recherches sur les embryons
ainsi que les manipulations toujours plus poussées ne vont-elles pas
conduire l'être humain à créer de nouveau monstres,
à déraper, voire à régresser? Ce qui devrait
apparaitre comme un progrès ne pourrait-il pas se révéler
régressif ? Les oeuvres de l'artiste Patricia Piccinini nous invitent
à ce questionnement. Ses sculptures aux formes mi-humaines mi-animales
paraissent comme le résultat d'expériences trop poussées
et ayant échouées. Elle développe par ses sculptures des
sortes de corps mutants qui s'annoncent comme des prémonitions sur les
déviances que peuvent générer les biotechnologies
appliquées à la reproduction (figure 73). C'est montrer que la
manipulation du vivant n'est pas sans risques, et que la volonté
eugéniste de normalisation n'est pas forcément positive, et peut
entrainer notre déchéance.
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La représentation de la maternité dans la
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jours
Figure 73: Patricia Piccinini, Big Mother, 2005,
silicone, fibre de verre, cheveux, cuir, toiles, 175 cm, Galerie Yvon
Lambert, New-York
2. Libération du corps-fardeau?
La vision positiviste, ou autrement dite aujourd'hui
technophile, se trouvait déjà dans des oeuvres coïncidant
aux prémices des théories post-humaines. Valie EXPORT dans son
Installation Fragmente der Bilder einer Berührung en 1994
présente un mécanisme immergé d'où sortent des
ampoules allumées dans des bocaux de verres remplis de lait, d'huile
usagée ou d'eau sans provoquer aucun court-circuit (figure 74). On peut
alors y voir une évocation des techniques de reproduction afin de
libérer le corps de sa destinée procréatrice en le
déléguant à la technologie.
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La représentation de la maternité dans la
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jours
Figure 74 : Valie EXPORT, Fragmente der Bilder einer
Berührung, 1994
Cette orientation sera le crédo des féministes
les plus extrémistes, celles qui désiraient pouvoir
s'émanciper totalement des hommes en même temps que de leur
fatalité biologique pour se reproduire. Dans cette optique, les
perspectives envisagées sont celles de l'utérus artificiel
appelé également ectogénèse, qui ôterait la
dimension sexuelle de la reproduction mais également la notion de
corporéité dans la relation de la mère à l'enfant ;
et la deuxième perspective est celle de la
parthénogénèse, qui là émanciperait la femme
de l'homme, en pouvant se reproduire sans l'aide d'un gamète
mâle.
3. L'art contemporain au risque du clonage
La question du clonage, d'un point de vue anthropologique,
entrainerait une grande scission dans le rapport homme/femme. Pour
Françoise Héritier, le développement de cette technique
est normal, cependant, sa banalisation ne pourrait en être de même.
Le risque ne serait, pour elle, pas dans le résultat du clonage et du
statut des êtres clonés, mais celui de l'assujettissement entre
homme et femme. Les hommes pourraient se reproduire avec l'aide d'une femme,
car il leur faudrait quand même un ovule. Quant aux femmes, elles
pourraient se reproduire à l'identique sans avoir besoin du recours des
hommes145.
145 Héritier, Françoise, Une pensée en
mouvement, Odile Jacob, Paris, 2009, p.115
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La représentation de la maternité dans la
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jours
Le clonage humain est à craindre également s'il
est effectué à des fins de prélèvements d'organes.
L'aspect consumériste est d'ailleurs décrié par de
nombreux artistes, qui s'intéressent au corps morcelé. Dans le
même but, les bébés médicaments, qui n'auraient
d'autres destins que de soigner d'autres personnes. C'est la
prédétermination du corps de ces enfants, faisant de la
reproduction une sorte de supermarché d'organes et de cellules qui est
dénoncée. Cette procréation de « remplacement »
n'est pas nouvelle, le professeur Nisand dénonce lui, la volonté
des parents ayant perdu un enfant de le remplacer par un autre, identique.
Cette question est très présente dans le paysage scientifique et
éthique également, comme l'annonce le thème de
l'édition 2013 du forum européen de bioéthique de
Strasbourg, à savoir « l'Homme en pièces
détachées ».
L'artiste Chrissy Conant développe avec humour et
ironie cette vision du corps consumériste qui se met d'ores et
déjà en place. Pour son oeuvre intitulée Chrissy
Caviar, elle s'est pliée à une stimulation ovarienne afin de
récupérer une douzaine d'ovules qu'elle plaça dans un
contenant en verre semblable aux bocaux qui contiennent le caviar Beluga
(figure 75). La référence au caviar Beluga se retrouve
également dans les couleurs du label donné à ces
gamètes, situées sur le couvercle de chaque pot. Ces douze oeufs,
dont on remarque la référence certaine au même
conditionnement des oeufs de poules, sont labellisés « Caucasian:
Packed by Private IVF Center, USA. Product of Conant Ovaries, Keep
Refrigarated. » Le recours à la méthode de reproduction
assistée afin d'obtenir un nombre élevé d'ovules, ainsi
que l'utilisation que leur conditionnement et leur vente assimilés
à de la marchandise de luxe périssable, indique la critique d'un
corps fragmenté, réduit à un produit de consommation. En
attestent les sociétés proposant des bases de données de
mères susceptibles d'offrir leurs ovocytes par le biais de sites
internet.
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La représentation de la maternité dans la
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Figure 75: Chrissy Conant, Chrissy Caviar®,
douze oeufs humains (un par pot), 2001-2002, fluide tubaire humain,
Polyester, nylon, verre, cuivre, équipement de
réfrigération, 122 x 131 x 126 cm, Galerie Saatchi, Londres
4. Vers un nouveau corps-objet: poursuite du combat
féministe
Si certains artistes voient un véritable progrès
dans l'élaboration d'un homme supérieur, d'autres vont mettre en
évidence que ce progrès se révèle vain et qu'il
s'agit d'un retour en arrière considérable, notamment pour
l'image du corps de la femme qui va transparaitre au même titre qu'un
objet.
En effet, le groupe cyberféministe de bioart SubRosa
démontre par ses performances que les pratiques biotechnologiques
tendent à percevoir le corps comme un objet devenu inefficace et devant
être amélioré afin de poursuivre l'évolution de
l'espèce humaine.
Par le biais d'une performance participative intitulée
U-Gen-A-Chix: cultures of Eugenics de 2003146, le groupe
désirait mettre en relation technologie de reproduction,
eugénisme et statut
146 Voir http://www.cyberfeminism.net/
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La représentation de la maternité dans la
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corps-objet de la femme. La performance s'organisait en deux
parties: un kiosque fournissait des informations sur les dons d'ovocytes et les
conséquences de l'assimilation du corps féminin à celui
d'une poule pondeuse que cela entrainait. Le deuxième proposait de
gouter un biscuit préparé apparemment à partir d'oeufs de
poules améliorés (ce qui renforçait l'image de la poule
pondeuse pour la femme), ayant la prétendue capacité
d'améliorer la mémoire et l'intelligence. Derrière un
certain humour, la volonté du groupe était de démontrer la
fausse bienveillance de la bio-science, qui se cache derrière une
volonté d'aider des couples infertiles, mais qui peut se
révéler dangereux pour le statut du corps de la femme et celui de
l'enfant, qui se voit amélioré,
prédéterminé. Cette volonté de pouvoir choisir
l'enfant serait née de la transparence du mystère mise en place
avec l'avènement de l'échographie obstétricale. En effet,
auparavant, l'enfant désiré et porté n'était
qu'imaginaire jusqu'à sa naissance, et la possible déception des
parents qui se produisait à la naissance disparaissait derrière
la joie de la rencontre. Mais avec l'imagerie médicale, la rencontre des
parents et de l'enfant se fait bien en amont de la naissance, dès les
premiers signes de la grossesse. Il est même possible aujourd'hui, avec
l'imagerie 3D, d'avoir une image du visage de son enfant avant qu'il naisse.
L'imaginaire n'a plus sa place. « L'échographie foetale a cependant
cela de particulier, qu'elle a conduit à la rencontre d'un être
qui auparavant ne pouvait s'inscrire que dans l'imaginaire147.
» Ce corps-objet est renforcé également par
l'eugénisme qui fait que grâce à la médecine de la
reproduction, au suivi de grossesse ultra-médicalisé et la
médecine préimplantatoire, la possibilité est
donnée aux parents de mettre fin aux jours de l'enfant.
147 Triadou, Patrick, « Transparence et obscurité
», Avant la naissance: 5000 ans d'images, Muséum
d'histoire naturelle du Havre, 24 octobre 2009 au 7 mars 2010 / sous la
direction de René Frydman, Émile Papiernik, Cédric
Crémière, Editions du Muséum d'histoire naturelle du
Havre, Paris, 2009, p.129
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La représentation de la maternité dans la
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jours
Conclusion
Deux siècles après les injonctions de la
pensée rousseauiste faites en direction des femmes afin de garder
auprès d'elles leurs enfants, ces dernières obtiennent de
disposer librement de leur corps et de pouvoir choisir d'avoir des enfants. Ces
droits fondamentaux, acquis grâces aux mouvements féministes,
eurent pour conséquences immédiates l'émancipation des
femmes. Cette émancipation va se répercuter dans le domaine
artistique, les artistes faisant très souvent partie, à un moment
donné, des collectifs féministes visant à promouvoir les
femmes sur la scène culturelle et à dénoncer la domination
masculine en tous points, culturellement, socialement et politiquement. La
maternité se trouvera alors mise à mal, c'est le cas avec l'image
de la Vierge, avec notamment cette volonté de se réapproprier une
expérience typiquement féminine mais trop souvent
idéalisée et sacralisée par le regard masculin. Ainsi, les
attributs dévolus à la maternité comme le sexe ou encore
les seins vont être réinvestis du pouvoir féminin, pour
contrer le regard masculin qui se fait soit idéalisant, soit
désacralisant. L'expérience de la maternité va
également devenir un sujet central dans les démarches
artistiques, afin de faire la lumière sur l'expérience au
féminin, dans une optique de véracité. Ces artistes
femmes, orphelines d'héritage culturel, vont se placées dans le
sillage des grandes déesses-mère et remettre en question le
principe du matriarcat afin de légitimer leur essor dans le monde
artistique.
Mais tous ces efforts de réappropriation du corps
féminin se sont trouvés - et se trouvent encore - mis à
mal par les progrès de la science qui tendent à faire disparaitre
le corps de la femme dans le processus de reproduction, par les techniques
telles que la fécondation in-vitro ou le clonage. Les artistes vont
alors questionner cette liberté du corps dans le processus de
reproduction, en vantant les progrès ou au contraire en tendant à
montrer les possibles défaillances que cela peut entrainer. Finalement,
le corps de la femme dans sa fonction de mère lui échappe tout le
temps, mais les avancées biotechnologiques montrent que c'est le Corps
qui tend à disparaitre, aussi bien le féminin que le masculin,
dans l'expérience de la maternité - ou parentalité - et
cela au profit de l'enfant.
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création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
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oeuvre, Taschen, Kln, 1989
· Nora-Milin, Véronique, Eugène
Carrière 1849-1906 catalogue raisonné de l'oeuvre peint ;
avec la participation d'Alice Lamarre et sous la direction de Rodolphe Rapetti,
Gallimard, Paris, 2008
· Pierre, Arnauld, Tania Mouraud, Flammarion,
Paris, 2004
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
E. Catalogues d'expositions
1. Personnelles
· Robert Gober, Galerie nationale du Jeu de
paume, Paris, 4 octobre-1er décembre 1991, catalogue par Joan Simon et
Catherine David, Galerie nationale du jeu de Paume, Paris, 1991
· Marlène Dumas : Nom de Personne = Name no
Names, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, Galerie d'art
graphique, 11 octobre - 31 décembre 2001, Ed. du Centre Pompidou, Paris,
2001
· Onfray, Michel, Oxymoriques, Les photographies de
Bettina Rheims, Jannink, Paris, 2005
· Ron Mueck, Paris, Fondation Cartier pour
l'art contemporain, du 19 novembre 2005 au 19 février 2006, Fondation
Cartier pour l'art contemporain, Actes Sud, Arles, 2005
· Barbara Hepworth, Nancy, Musée des
beaux-arts, 12 janvier - 27 mars 2006, Fage éditions, Lyon, 2006
· Fondation d'entreprise Ricard, Da Costa
Valérie, Elsa Sahal, Catalogue édité à
l'occasion de l'exposition d'Elsa Sahal "Sculptures", à la fondation
d'entreprise Ricard, 10 mars - 5 avril 2008, avec le concours de la Galerie
Claudine Papillon, Editions Particules, Paris, 2008
· Larratt-Smith, Philip, Louise Bourgeois, Prints:
27 August - 27 September 2009 catalogue publié à l'occasion
de l'exposition "Louise Bourgeois Prints" à la Galleri
Andersson/Sandström de Stockholm, 2009
· Ana Mendieta: blood & fire, texte de
Abigail Solomon-Godeau, Linda Montano, Nancy Princenthal, ouvrage publié
à l'occasion de l'exposition à la Galerie Lelong, du 8 septembre
au 8 octobre 2011, Galerie Lelong, New-York, 2011
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création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
2. Collectives
· Désordres : Nan Goldin, Mike Kelley, Kiki
Smith, Jana Sterbak, Tunga, exposition Paris, Galerie nationale du Jeu de
Paume, 12 septembre - 8 novembre 1992, Editions du jeu de Paume :
réunion des musées nationaux, Paris, 1992
· Hors limites : l'art et la vie, 1952-1994,
exposition 9 novembre 1994 au 23 janvier 1995, Musée national d'art
moderne-Centre de création industrielle, catalogue par Jean de Loisy,
Centre Georges Pompidou, Paris, 1994
· Fémininmasculin: le sexe de l'art,
Paris, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, Grande galerie, 24
octobre 1995-12 février 1996 / catalogue par Marie-Laure Bernadac,
Bernard Marcadé, Gallimard-Electa, Paris, 1995
· Laboratoire pour une expérience du
corps, Exposition, Université de Rennes 2 Haute-Bretagne, 1995 :
Damien Hirst, Fabrice Hybert, Kiki Smith, Patrick Van Caeckenbergh, Presses
universitaires de Rennes, 1995
· L'Art au corps : le corps exposé de Man Ray
à nos jours : Mac, galeries contemporaines des musées de
Marseille, 6 juillet - 15 octobre 1996 / direction du catalogue :
Véronique Legrand, Philippe Vergne, Réunion des musées
nationaux, Paris, 1996
· L'empreinte, exposition organisée par
le Musée national d'art moderne-Centre de création industrielle,
Paris, du 19 février au 19 mai 1997 / direction. Georges Didi-Huberman,
Ed. du Centre Georges Pompidou, Paris, 1997
· Amours, Paris, Fondation Cartier pour l'art
contemporain, du 5 juin au 2 novembre 1997, Actes sud, Arles, 1997
· Présumés innocents : l'art
contemporain et l'enfance, exposition 8 juin au 1er octobre 2000,
Bordeaux, capcMusée d'art contemporain, Réunion des musées
nationaux, Paris, 2000
· Les bons génies de la vie domestique,
exposition 11 octobre 2000 - 22 janvier 2001, Ed. Georges Pompidou, Paris,
2000
· Grant Marchand, Sandra, Métamorphoses et
clonage : exposition, Montréal, Musée d'art contemporain, du
25 mai au 2 septembre 2001, Musée d'art contemporain, Montréal,
2001
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création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
· Les années 70: l'art en cause :
Exposition, Bordeaux, capcMusée d'art contemporain, du 18 octobre
2002 au 19 janvier 2003 / sous la direction de Maurice Fréchuret, Paris,
Réunion des musées nationaux ; Bordeaux, capcMusée d'art
contemporain, 2002
· L'art contemporain au risque du clonage / sous
la direction de Richard Conte ; Publications de la Sorbonne : ACTE 91, Paris,
2002
· Art et biotechnologies, sous la direction de
Louise Poissant et Ernestine Daubner, Sainte-Foy (Québec) : Presses de
l'Université du Québec, CIEREC, Saint-Etienne, 2005
· Traces du sacré, exposition, Galerie 1,
du 7 mai au 11 août 2008, Paris, Centre Pompidou, Munich, Haus der Kunst,
du 19 septembre 2008 au 11 janvier 2009, catalogue sous la direction de Mark
Alizart, Centre Georges Pompidou, Paris, 2008
· Beautés monstres : curiosités, prodiges
et phénomènes, Nancy, musée des Beaux-Arts, du 24
octobre 2009 au 25 janvier 2010 / sous la direction de Sophie Harent et Martial
Guédron, Somogy, Paris, 2009
· Elles@centrepompidou, artistes femmes dans la
collection du Musée national d'art moderne, commissaire
générale Camille Morineau, Éd. du Centre Pompidou, Paris,
2009
· Avant la naissance: 5000 ans d'images,
Muséum d'histoire naturelle du Havre, 24 octobre 2009 au 7 mars
2010 / sous la direction de René Frydman, Émile Papiernik,
Cédric Crémière, Editions du Muséum d'histoire
naturelle du Havre, Paris, 2009
· Les enfants modèles : de Claude Renoir
à Pierre Arditi, Paris, Musée de l'Orangerie, 24 novembre
2009-8 mars 2010 / sous la direction de Emmanuel Bréon, Réunion
des musées nationaux, Paris, 2009
· Tous cannibales, Art Press 2, Trimestriel
n°20, Février, mars, avril 2011
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
F. Articles
· « Féminin-Masculin », dossier Art
Press, n°205, septembre 1995, p.26-51
· Allara, Pamela, «« Mater » of fact. Alice
Neel's pregnant nudes» , American Art, Vol. 8, n°2, Spring
1994, p.7-31
· Barber, Fionna, «The Critic's Prodigal Daughter:
Feminist Writings and Art Practice», Circa, No. 40, Jun. - Jul.,
1988, p. 32-35
· Bouruet-Aubertot, Véronique, « Annette
Messager, Le lion de Venise », Beaux-arts magazine, n°254,
août 2005, p.36-43
· Brookner, Jackie, «Feminism and Students of the
'80s and '90s: The Lady and the Raging Bitch; Or, How Feminism Got a Bad
Name», Art Journal, Vol. 50, No. 2, Feminist Art Criticism,
Summer 1991, p. 11-13
· Comisarenco, Dina, «Frida Kahlo, Diego Rivera,
and Tlazolteotl», Woman's Art Journal, Vol. 17, No. 1, Spring -
Summer, 1996, p. 14-21
· Dagen, Philippe, « Les ultimes règlements
de comptes de Louise Bourgeois avec son père », Le Monde,
Jeudi 25 Novembre 2010, p.26
· Hagaman, Sally, «Feminist Inquiry in Art History,
Art Criticism, and Aesthetics: An Overview for Art Education», Studies
in Art Education, Vol. 32, No. 1, Autumn 1990, p. 27-35
· Marcadé, Bernard, « Annette Messager, la
femme et le pantin », Art Press, n°313, juin 2005,
p.27-33
· Santi, Pascale, « 35 ans après la loi
Veil, le nombre d'IVG n'a pas baissé », Le Monde, 7 mars
2011, p.10
· Schapiro, Miriam, «Responses», Art
Journal, Vol. 59, No. 2, Summer 2000, p. 4-5
· Semmel, Joan and Kingsley, April, «Sexual Imagery
in Women's Art», Woman's Art Journal, Vol. 1, No. 1,
Spring-Summer 1980, p. 1-6
· Pham, Laura, « Des mères consomment leur
placenta en gélule », L'Express, 26 aout 2011, article
internet
· Santi, Pascale, « Un accouchement où je
veux, comme je veux », Le Monde, 18 et 19 mars 2011, p.21
· Monique Bydlowski « La crise parentale de la
première naissance », Informations sociales 4/2006
(n° 132), p. 64-75
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La représentation de la maternité dans la
création contemporaine: de la libération sexuelle à nos
jours
· L'art biotech et le posthumain, Québec,
Inter art actuel, 2006
· Baillette, Frédéric, Breye, Vincent,
Herlem, Didier, « Art à contre corps », Quasimodo
n°5, printemps 1998, Montpellier
· Dumont, Fabienne, « Aline Dallier-Popper,
pionnière de la critique d'art féministe en France »,
Critique d'art, N°31, Printemps 2008
· Feman Orenstein, Gloria, « Une vision gynocentrique
dans la littérature et l'art féministes contemporains »,
Études littéraires, Volume 17, numéro 1, avril
1984, p. 143-160
· Voison Catherine, « Multiplications de peaux
d'artistes et autres curiosités biologiques reproductibles »,
So Multiples, n°2, novembre 2008
· « Le manifeste des 343 », Nouvel
Observateur, n°334, 5 avril 1971, pagination non
reinseignée
G. Films
· Une affaire de femme, film de Claude Chabrol,
MK2 Diffusion, 21 septembre 1988
· Naissance et liberté, film documentaire
de Boris Claret, pour l'association Naissances et Rencontres, 1991
· Histoire d'un secret, film documentaire
dramatique de Marianna Otero, ID Distribution, 15 octobre 2003
· Le procès de Bobigny,
téléfilm de François Luciani, Danaos, mars 2006
· On les appelait « les dames du planning »,
film documentaire de Marie-Monique Robin, Doc & Co, Paris, 2006
· Le premier Cri, film documentaire de Gilles De
Maistre, Buena Vista International, 31 octobre 2007
· Bébés, film documentaire de Thomas
Balmes, StudioCanal, 16 juin 2010
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jours
H. Entretien non publié
· Rencontre avec Anna'r, signataire du Manifeste des 343
fait le vendredi 18 mars 2011
I. Sites internet
· http://www.choisirlacausedesfemmes.org/
·
http://elles.centrepompidou.fr/blog/
· http://blog.jevaisbienmerci.net/
· http://www.planning-familial.org/
· http://soasig.ultra-book.com/
· http://howtanre.com/
· http://www.bettinarheims.com/
· http://www.cyberfeminism.net/
·
http://www.aliceneel.com
· http://www.judychicago.com/
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