INTRODUCTION GENERALE
1. Le Contexte et la justification
La Communauté Économique et Monétaire de
l'Afrique Centrale (CEMAC)1, institution d'intégration
économique sous régionale et de développement de la zone
Afrique Centrale est née des cendres de l'Union Douanière et
Économique de l'Afrique Centrale(UDEAC).L'UEDAC a été mise
en place par le Traité de Brazzaville du 08 décembre 1964
révisé en 1966 et 1974 et comprenant au début le Cameroun,
le Congo, le Gabon, la République Centrafricaine et le Tchad rejoint par
la Guinée Équatoriale en 1984. Elle avait pour objectif la
création d'un marché commun, la coordination des programmes
sectoriels de développement, l'harmonisation des politiques
industrielles et économiques et la coopération monétaire.
Les difficultés d'ordre économique, organisationnel et
fonctionnel ont eu raison de cette institution. Les institutions de l'UDEAC
étaient totalement dépassées et paralysées, et ne
pouvaient par conséquent plus répondre aux exigences qu'imposait
le contexte de la globalisation (Avom, 2007). Selon Oyaya (2001) les structures
institutionnelles de l'UDEAC n'auraient pas dans leur élaboration pris
en compte les réalités régionales sur le plan culturel,
géographique, etc. C'est ainsi que la CEMAC, créée par le
Traité de Ndjamena du 16 mars 1994 prit la relève à
l'UDEAC par l'acte n°6/98-UDEAC-CEMAC-CE-33 du 05 février 1997
fixant les modalités de démarrage de ses activités. La
« Déclaration de Malabo » du 25 juin 1999 consacra
l'entrée en vigueur du traité instituant la CEMAC qui devrait
alors réussir là où l'UDEAC a échoué
à savoir la construction d'une sous -région économiquement
intégrée et développée. La mission essentielle de
la Communauté est de promouvoir un développement harmonieux des
Etats membres. Depuis sa création, l'institution semble être aussi
confrontée à des difficultés d'ordre économique,
financier organisationnel et fonctionnel ainsi qu'a une gouvernance de faible
qualité. C'est ce qui va rendre dans une large mesure son action moins
efficace en matière d'intégration économique en Afrique
Centrale.
2. La problématique
1 Annexe 1 carte géographique de la CEMAC
GOUVERNANCE DES INSTITUTIONS D'INTEGRATION
ÉCONOMIQUE DE L'AFRIQUE CENTRALE : LE CAS DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE
ET MONETAIRE DE L'AFRIQUE CENTRALE(CEMAC)
La vision de la CEMAC à l'horizon 2025 est de faire de
la sous -région Afrique Centrale «un espace économique
intégré émergent, où règnent la
sécurité, la solidarité et la bonne gouvernance au service
du développement humain »2. Au regard du chemin
déjà parcouru et les résultats y afférant, l'on est
tenté de s'interroger sur les capacités de la CEMAC à
atteindre cette vision. Plus précisément quelles sont les
difficultés réelles ou potentielles qui pourraient retarder
l'atteinte de cette vision ? La CEMAC semble rencontrer plusieurs obstacles
dans son processus d'intégration économique et de
développement de la sous-région Afrique Centrale. Ces
problèmes concernent notamment les aspects
sécuritaires3, commerciaux, de financement et de libre
circulation des personnes, des biens, des services, et des capitaux.
Devant les limites objectives à l'intégration
économique et au développement de la sous-région Afrique
Centrale, la CEMAC a initié depuis 2006 son programme des
réformes institutionnelles4.Mais les résolutions
issues de ce programme prennent corps assez lentement du fait du revirement
fréquent des parties engagées au processus d'intégration.
Or l'urgence est à l'action car les populations communautaires
n'attendent que l'amélioration substantielle de leurs conditions de vie.
Il est donc nécessaire que l'institution d'intégration sous-
régionale poursuive l'amélioration de la gouvernance de ses
structures et de son fonctionnement. Une gouvernance de bonne qualité
devrait conférer plus d'efficacité et d'efficience à
l'action de la communauté et assurer aux populations un bien être
global satisfaisant.
Dans cette optique, il convient de définir le concept de
bonne gouvernance.
La commission sur la gouvernance globale5(1995)
définit la gouvernance comme «l'ensemble des différents
processus et méthodes à travers lesquels les individus et les
institutions publiques gèrent leurs affaires communes». Elle
est un processus continu à travers lequel les intérêts
conflictuels peuvent être réglés et la coopération
peut être développée. Ce processus comprend la formation
d'institutions formelles et de régimes6capables de
renforcer
2 Acte additionnel n°01/CEMAC/CCE/10 portant
adoption du Programme Économique Régional et création du
Fonds émergence CEMAC du 17 janvier 2010.
3 Il s'agit notamment de la sécurité
physique des personnes
4 Ces réformes seraient demandées
grâce au changement de rapport de force qui est le fruit de
l'activité de la Guinée Équatoriale du fait de son
enrichissement. Cf. Paul Elvic Jérôme BATCHOM (2012), «La
rupture du consensus de Fort-Lamy et le changement du rapport de force dans
l'espace CEMAC».Études internationales, vol. 43, n° 2, p.
163-183.
5 Allant au-delà des acteurs
gouvernementaux, l'interaction des institutions, des processus et des individus
qui ensemble forment la société et par le truchement desquels les
organismes publics et privés et les particuliers gèrent leurs
affaires communes.
6Par régime, il faut entendre un ensemble de
normes et de pratiques formelles ou informelles, régissant le
comportement des acteurs, dans un secteur précis. Dans le cas de ce
travail il s'agit de l'intégration économique sous
régionale.
Page 3
GOUVERNANCE DES INSTITUTIONS D'INTEGRATION
ÉCONOMIQUE DE L'AFRIQUE CENTRALE : LE CAS DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE
ET MONETAIRE DE L'AFRIQUE CENTRALE(CEMAC)
les allégeances7.Elle comprend aussi les
accords informels que les peuples et les institutions font ou envisagent de
faire dans la production de leur intérêt.
Le Programme des Nations Unies pour le
Développement(PNUD) quant à lui, conçoit la gouvernance
comme un ensemble complexe de mécanismes, de processus et d'institutions
à travers lesquels les citoyens et les groupes articulent leurs
intérêts, exercent leurs droits et devoirs et règles leurs
différends. Il envisage 3 perspectives en matière de
gouvernance(i) la gouvernance économique qui est un processus de prise
de décisions affectant les activités économiques du pays
et ceux de ses rapports avec d'autres pays (ii) la gouvernance politique qui se
réfère à la conception et à la mise en oeuvre des
politiques de développement par les autorités politiques, (iii)
la gouvernance administrative qui est le système de gestion
politique.
On distingue également dans la littérature la
gouvernance libérale et la gouvernance redistributive. La
première met l'accent sur le marché et sur les échanges
volontaires entre les acteurs. La seconde se réfère à la
capacité des Etats à offrir le bien-être social à
leurs populations. C'est cette dernière qui donne aux gouvernants leur
légitimité politique.
Un ensemble de huit critères est
généralement défini par les institutions internationales
pour évaluer la gouvernance des pays. Ces critères peuvent
également être utilisés au niveau d'autres types
d'organisation comme les institutions d'intégration économique
sous régionale. Ces critères8 portent sur :
y' la participation (participation): c'est la
participation directe ou par l'intermédiaire des institutions ou des
représentants intermédiaires légitimes par les hommes et
les femmes, les jeunes, la société civile et le secteur
privé aux procédures de décisions et aux activités
de l'institution communautaire.
y' le consensus (consensusoriented): Il y'a
plusieurs acteurs et autant de points de vue dans une société
donnée. La bonne gouvernance requiert une médiation entre les
différents intérêts dans la société de sorte
à parvenir à un large consensus dans la société,
sur ce qui est le meilleur intérêt de l'ensemble de la
communauté et comment cela peut être réalisé. Il
exige également une perspective large à long terme sur ce qui est
nécessaire pour le développement humain durable et la
façon d'atteindre les objectifs d'un tel développement.
7 L'allégeance concerne non seulement la
soumission et l'attachement des Etats qui ont créé volontairement
ces organisations mais aussi les populations ou citoyens qui vivent dans les
pays membres de ces organisations.
8Voir United Nations Economic and Social Commission
for Asia and the pacific.«What is good governance?». PovertyReduction
Section, Bangkok,Thailand.
Page 4
GOUVERNANCE DES INSTITUTIONS D'INTEGRATION
ÉCONOMIQUE DE L'AFRIQUE CENTRALE : LE CAS DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE
ET MONETAIRE DE L'AFRIQUE CENTRALE(CEMAC)
Cela ne peut résulter que d'une compréhension
des contextes historiques, culturels et sociaux d'une communauté
donnée.
y' la transparence (transparency) : La
transparence signifie que les décisions prises et leur application sont
effectuées d'une manière qui respecte les règles et les
règlements. Cela signifie également que l'information est
disponible gratuitement et directement accessible par ceux qui seront
touchés par ces décisions et leur application. Cela signifie
également que suffisamment d'informations sont fournies et qu'il est
prévu des formes et des moyens facilement compréhensibles.
y' la responsabilité (accountability):
La responsabilité est une exigence clé de la bonne gouvernance.
L'institution communautaire doit rendre des comptes au public et à leurs
parties prenantes institutionnelles. Qui est responsable envers qui varie selon
que les décisions ou mesures prises soient internes ou externes à
une organisation ou à une institution. En général, une
organisation ou une institution est responsable devant ceux qui seront
touchés par ses décisions ou actions. La responsabilisation ne
peut être exécutée sans la transparence et la
primauté du droit.
y' l'Équité et l'Inclusivité
(Equity and Inclusiveness): Il y a équité et
inclusivité lorsque les points de vue des minorités sont pris en
compte et que la voix des plus vulnérables de la société
soit entendue dans la prise des décisions. Le bien-être d'une
société dépend de sa capacité à veiller
à ce que tous ses membres aient le sentiment qu'ils ont un
intérêt en elle et ne se sentent pas exclus. Cela exige que tous
les groupes, mais particulièrement les plus vulnérables, aient la
possibilité de maintenir ou d'améliorer leur
bien-être.
y' l'Efficience et Efficacité (Effectiveness
and Efficiency) : La bonne gouvernance signifie que les processus et
les institutions produisent des résultats qui répondent aux
besoins de la société tout en faisant le meilleur usage des
ressources à leur disposition. Le concept de l'efficacité dans le
cadre de la bonne gouvernance couvre également l'utilisation durable des
ressources naturelles et la protection de l'environnement.
y' la Capacité de
réaction(Responsiveness): La bonne gouvernance exige que les
institutions et les processus essaient de servir toutes les parties prenantes
dans un délai raisonnable.
y' la Primauté du droit (Rule of law):
Elle nécessite des cadres juridiques équitables qui sont
appliqués de façon impartiale et la pleine protection des droits
de l'homme. L'application impartiale des lois nécessite un
système judiciaire indépendant et une force de police impartiale
et incorruptible.
Page 5
GOUVERNANCE DES INSTITUTIONS D'INTEGRATION
ÉCONOMIQUE DE L'AFRIQUE CENTRALE : LE CAS DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE
ET MONETAIRE DE L'AFRIQUE CENTRALE(CEMAC)
Dans le cadre de ce travail la «gouvernance
désigne l'ensemble des mesures, des règles, des organes de
décision, d'information et de surveillance qui permettent d'assurer le
bon fonctionnement et le contrôle d'une entité, d'une institution
qu'elle soit publique ou privée, régionale, nationale ou
internationale9». La bonne gouvernance renvoie à la
gestion et à l'administration transparente des organes et institutions
de la CEMAC. On distingue tout au long de ce travail de manière
explicite ou non la gouvernance stratégique ou politique (ou
décisionnelle) de la gouvernance opérationnelle ou
exécutive. La gouvernance stratégique est portée par les
organes de décision de la CEMAC tandis que la gouvernance
opérationnelle est conduite par les institutions et les institutions
spécialisées de la Communauté.
|