6. De grosses voix se querellaient dans les
couloirs
C'est plutôt une synecdoque et nous allons
démontrer comment en reprenant l'analyse en décomposition
sémique du groupe p. à travers son interprétation par
Ladislav VÀCLAVIK qui en fait une application dans son travail :
« Selon le Groupe u, l'analyse des tropes conduit
à deux types de décomposition sémantique : conceptuelle
(désignée par E) et référentielle (Ð). Prenons,
par exemple, la classe sémantique des « voitures ». On peut la
considérer du point de vue référentiel : la voiture se
compose de différentes parties (châssis, axes, roues,
amortisseurs, moteur etc.) qui sont, entre elles, dans un rapport de produit
logique. Mais on peut regarder la voiture aussi du point de vue conceptuel : la
voiture est une classe de sous-classes (Peugeot, Citroën, Rolls-Royce,
etc.). (VACLAVIK, 2009)
L'intérêt de ce détour est qu'il montre
que le concept qui fonde la théorisation de la métaphore en
double synecdoque est un principe généralisé permettant au
langage d'être efficacement économique par recours à la
synecdoque. Du fait que cet exemple n'est pas emprunté au Groupe p.
implique que ce principe est accepté. Néanmoins, nous allons
faire une remarque qui concerne le mode de décomposition
référentielle.
Lorsque l'on parle de référent, il s'agit d'une
donnée extralinguistique. A priori cela ne saurait plus
concerner la linguistique et c'est cela qui a conduit JAKOBSON à
considérer que la relation de contiguïté qui
caractérise la métonymie est externe au langage. Notre
réponse à cette affirmation est qu'une fois le monde versé
dans le langage la catégorie du réel s'évanouit comme une
question inutile. Une autre manière de comprendre cette fuite du
réel se trouve sous la plume de Robert de MUSIL :
« [...], si l'on veut un moyen commode de distinguer
les hommes du réel des hommes du possible, il suffit de penser à
une somme d'argent donnée. Toutes les possibilités que
contiennent, par exemple, mille marks, y sont évidemment contenues qu'on
les possède ou non ; le fait que toi ou moi les possédions ne
leur ajoute rien, pas plus qu'à une rose ou à une femme. »
(MUSIL, 1982, p. 18)
Ou, si l'on veut, il faut admettre qu'il existe une
propriété isomorphe des noms et des choses : celle de se
comprendre par le système de renvois de chose à choses ou de nom
à noms. Ce qui veut dire que la décomposition
référentielle est toujours de nature linguistique comme le
stipule cette analyse qui précise celle du groupe p. :
« La praxis linguistique rend compte du réel
en transférant à l'« unité de typisation »
toutes les occurrences dont la variété n'importe pas au message,
en ramenant à l'« unité de hiérarchie signifiante
» toutes les occurrences présentes en une. Le praxème ne
produit du sens qu'en ce qu'il est cette double unité » (LAFONT,
1978, p. 134)
51
4.2. PRATIQUE
Nous pouvons affirmer à partir de ces efforts
théoriques que les noms sont des unités denses dans la langue.
Renforce cette densité, la possibilité de convertir tous les
autres parties du discours en nom par le moyen d'adjonction d'article et c'est
un bel exemple d'autonymie.
Cette densité provient du fait que le nom, en tant
qu'unité de typisation, renvoie à une multitude
d'éléments dotés des mêmes propriétés
(la classe du nom, arbre = peupliers, orangers, pommiers, baobab, etc.) par
oubli des différences individuelles qui importent peu au message, et
c'est une synecdoque particularisante. En tant qu'unité de
hiérarchie signifiante, il renvoie également à des
éléments plus petits (arbre = tronc, branches, feuilles, etc.).
Nos dictionnaires usuels choisissent les éléments subsumés
par l'unité de hiérarchie signifiante comme définition de
manière synecdochique. C'est ce que montre ici la présence de
« etc. »
Notre poème commence par le mot « Étranger
». Puisqu'il s'agit d'un nom commun, normalement, il doit comporter un
déterminant à cause de son insertion dans le discours. Mais cette
absence de déterminant n'est pas imputable à une infraction au
code linguistique. Elle est une conséquence d'un emploi
spécifique des noms communs : le vocatif. Le vocatif sert à
interpeller. C'est sa spécialisation illocutoire qui ne fait pas l'objet
d'une assertion ou d'une affirmation, mais seulement montrée par la
forme de l'énonciation. (Cf. (DUCROT, 1980, p. 30)). En l'occurrence,
l'absence d'article sur un nom commun inséré dans le discours.
Il s'agit donc d'un processus de renvoi qui permet à la
production d'un signe « Y » de signifier « Z » qui est de
nature illocutoire. CORNULIER appelle ce mécanisme de renvoi de signe
à signes « détachement du sens ». C'est de cette
manière que produire un vocatif équivaut à interpeller.
C'est une particularité des langues comme le
français qui connaît un genre grammatical d'étendre
celle-ci aux inanimés. En effet, si dans le monde des vivants, la
distribution en masculin et féminin est justifiée parce que
certains êtres vivants sont sexués ou du moins ont des traits
sexuels apparents, il n'en va pas de même dans le règne
végétal et encore moins dans l'univers du minéral. Il en
résulte qu'en langue, l'indice du registre du genre est l'article - ou
plus exactement les déterminants nominaux - et les adjectifs ou les
catégories traitées comme telles par la grammaire. C'est de cette
manière que « étranger », ici, reçoit une marque
grammaticale du genre parce qu'il dérive de la catégorie
d'adjectif par conversion, en dépit de l'absence de tout article.
Cette dernière remarque nous autorise d'envisager le
mot qui nous occupe du point de vue de son articulation sémiotique avec
les autres éléments de la langue. Cette articulation peut
correspondre au concept de « différance » (Cf. (DERRIDA,
1968), ou l'articulation de la substance et de la forme de contenu dont voici
le principe régissant : « Seules les fonctions de la langue, la
fonction sémiotique et celles qui en découlent,
déterminent sa forme. Le sens
52
devient chaque fois substance d'une forme nouvelle et n'a
d'autre existence possible que d'être la substance d'une forme
quelconque. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)
Ainsi dans notre exemple, « étranger » est
une forme du contenu « homme » - compte tenu de la remarque sur les
langues qui connaissent le genre - dans une perspective synecdochique parce que
ce n'est pas la totalité de la classe « homme » qui peut
être qualifiée d'"étranger", mais une partie seulement.
« Étranger » se comprend donc en tant que forme de substance :
homme qui n'a pas de lien de parenté avec le locuteur.
Nous voyons bien par explicitation de cette forme que le mot
« étranger » est une synecdoque particularisante pour homme.
Nous pouvons alors maintenant nous demander à quoi sert cette
synecdoque.
En anticipation des résultats de notre analyse, puisque
jusqu'à présent nous n'avons traité que le seul
élément qui commence le texte, nous pouvons dire que cette
synecdoque se justifie par le fait que par sa forme elle a pour valeur
illocutoire le respect de l'interdit de l'inceste.
Pour conforter cette réponse, embrayons-nous
immédiatement sur l'analyse du destinateur de la parole.
Commençons par l'identifier. En s'adressant à un étranger
sous une forme de contenu qui vise à préserver l'interdit de
l'inceste, il n'est pas excessif de conclure que le destinateur de la parole
est une femme.
Évoquons deux lieux communs pour corroborer cette
indentification sexuelle. Le premier de ces lieux communs consiste à
dire que la femme relève de l'être et l'homme du faire, dans le
cadre de la séduction. Rappelons qu'étymologiquement «
séduire » signifie « détourner du droit chemin ».
Il semble que ce premier lieu commun soit largement confirmé par notre
poème.
La mention de l'homme est strictement réduite à
l'emploi de ce vocatif si l'on ne tient pas compte de son implication dans
l'ordre « cueille-moi sans remords ». Autrement, tout le reste du
poème se caractérise par une description de la femme. Une
première description est constituée par l'attribution de
l'adjectif « bon » à la femme par le biais du verbe «
sentir » dont la relation avec le «sens » n'est plus à
démontrer, puisqu'il s'agit de mettre à contribution l'olfaction.
La description est donc une description d'état, ce qui renforce le lieu
commun évoqué.
Pour démystifier, faisons recours à la
règle de détachement du sens. Excepté le vocatif, l'on
sait facilement que tout le reste du poème doit concerner la femme,
puisqu'il s'agit d'une opération de séduction. La grammaire
traditionnelle définit « je » comme un pronom de la
première personne du singulier. BENVENISTE, s'oppose à cette
interprétation en arguant qu'on ne peut pas lui assigner un nom dont il
est le pronom. Ainsi, c'est de la manière suivante que ce professeur du
Collège de France entend donner une dimension fondamentalement
pragmatique à son approche de la question :
53
« L'acte individuel d'appropriation de la langue
introduit celui qui parle dans sa parole. C'est là une donnée
constitutive de l'énonciation. La présence du locuteur à
son énonciation fait que chaque instance de discours constitue un centre
de référence interne. Cette situation va se manifester par un jeu
de formes spécifiques dont la fonction est de mettre le locuteur en
relation constante et nécessaire avec son énonciation. Cette
description un peu abstraite s'applique à un phénomène
linguistique familier dans l'usage, mais dont l'analyse théorique
commence seulement. C'est d'abord l'émergence des indices de personne
(le rapport je-tu) qui ne se produit que dans et par l'énonciation : le
terme « je » dénotant l'individu qui profère
l'énonciation, le terme « tu », l'individu qui y est
présent comme allocutaire. » (BENVENISTE, 1970, p. 14)
Ce qui veut dire que dans la cadre de cette communication
amoureuse, ce « je » est également de nature synecdochique
parce qu'en dépit de sa singularité numérative, il renvoie
à toutes les femmes qui peuvent de la même manière
s'approprier cette énonciation. Ici, aussi, la référence
singulière de la femme désignée par « je », si
pour autant cette désignation est acceptée, sont toutes les
femmes qui peuvent assumer la même énonciation. C'est là le
propre de la communication littéraire : permettre aux lecteurs d'assumer
au niveau énonciatif ce qui est écrit dans le texte.
Benoît de CORNULIER, en dénonçant
l'attitude qui conçoit les onomatopées comme de mauvais signes
motivés, en arrive à montrer indirectement le rôle
fondamental de la synecdoque dans le fonctionnement de la langue. L'argument de
cette dénonciation consiste à dire que le langage peut s'imiter
lui-même. C'est ce que l'on appelle signe autonymique dont nous livrons
ci-après une des premières définitions que nous devons au
logicien philosophe Rudolf CARNAP qui se trouve en citation chez Alain REY
(REY, 1976, p. 224) :
« Puisque le nom d'un objet peut être
arbitrairement choisi, il est très possible de prendre pour nom de la
chose la chose elle-même, ou, pour nom d'une espèce de choses, les
choses de cette espèce. Nous pouvons, par exemple, adopter la
règle suivante : au lieu du mot allumette, une allumette sera toujours
placée sur le papier. Mais c'est le plus souvent une expression
linguistique qu'un objet extralinguistique qui est utilisée comme sa
propre désignation. Nous appelons autonyme une expression
utilisée de cette manière. ».
Cette autonymie peut se faire de deux manières,
à l'intérieur du langage lui-même ou à
l'extérieur. Pour ce dernier cas, voici ce qu'il en est dit :
« [...] comme quand un philosophe disant « je
» réfère à soi-même, personne
singulière, mais seulement en tant qu'exemple d'humanité, de
sorte que « je » paraît avoir une référence
universelle ; de même, quand on montre une cigarette en disant : Ceci
t'empoisonnera, l'objet singulier de la référence
littérale peut, pris comme type, « référer »
pour ainsi dire à toutes les cigarettes ou à leur classe. »
(CORNULIER, 1982, p. 138)
De ce point de vue, on peut comprendre facilement la remarque
précédente qui transfert à toutes les femmes dans une
situation de séduction ce qui est assumé par « je »
dans le poème. Par ailleurs il faut accepter que la distance qui
sépare le « je » à l'individu
54
biographique est une distance très fluctuante, voire
incommensurable comme le stipule RIMBAUD dans sa révolte contre la
littérature de son époque : « je est un autre ». Par
ailleurs, nous pensons qu'il ne faille pas chercher des données
biographiques pour comprendre l'oeuvre, la biographie de l'auteur est souvent
mal connue ou inconnaissable et les textes qui la prend en charge tourne
très vite à l'hagiographie.
Le deuxième lieu commun est aussi l'identification de
la femme à la passivité et l'homme à l'action. Cette
deuxième condition d'identification est également satisfaite dans
le poème. Ce qui l'assure est l'ordre donné par la femme dans
cueille-moi sans remords. Celui qui doit accomplir cet ordre est
l'homme et le patient de cette action est la femme.
Cependant, du point de vue de la parole, dans ce poème,
l'homme est allocutaire, c'est donc la femme qui est du côté de
l'action. Cette remarque ne permet pas de conclure que le deuxième lieu
commun est contredit. Il s'agit de dire, au contraire, que dans
l'opération de séduction, c'est la femme qui l'exerce sur l'homme
et l'homme séduit a pour mission de conquérir la femme.
En d'autres perspectives, en mesurant à l'aune du
détachement du sens cette conjonction d'un ordre verbal et
l'exécution impliquée, on s'aperçoit que le poème
renvoie à l'intuition des psychanalystes selon laquelle le
véritable sexe c'est la femme (Cf. (BRANDT, 1982). En effet, du fait de
la forme de la substance « homme » qui, justement, à cause de
cette synecdoque qui renvoie à la notion d'interdit de l'inceste ; la
communication qui est à sens unique se qualifie de communication
amoureuse. Cela ne contrevient pas du tout au deuxième lieu commun. En
dernier ressort et pour dire les choses sans fioritures, il faut croire qu'en
amour, c'est la femme qui se constitue en objet de quête.
Or, il n'est plus à démontrer que dans la
sémiotique narrative, objet de quête et objet de valeur sont une
seule et même chose et qu'en outre la valeur d'usage se confond avec la
valeur d'échange. C'est pour cette raison que dans ce diptyque, la
parole est exclusivement féminine. Du coup, « étranger
» cesse d'être une simple synecdoque, il devient aussi une
métaphore de l' « ignorance » via un terme
intermédiaire « non initié ».
Ce qui a permis au Groupe u d'afficher la métaphore
comme une double synecdoque, c'est que les termes de départ et
d'arrivée de la métaphore possède un point d'intersection.
Cette intersection peut s'étendre à l'un et à l'autre, par
synecdoque, de telle manière que l'un peut renvoyer à l'autre par
symbolisation. Il est d'une expérience banale de constater qu'un
étranger, dans une maison, par exemple, ne cesse de poser des questions
sur le fonctionnement de cette maison jusqu'au jour où la maison lui
sera devenue familière. Dès lors, le terme « non
initié » peut être compris comme une synecdoque
particularisante du terme « étranger » et synecdoque
généralisante de « ignorant » (l'étranger est
celui qui ne vient pas du pays et celui qui ne vient pas du pays ignore les
moeurs de ce pays). C'est ce qui permet de prendre « étranger
» comme une métaphore de l'"ignorant".
Ainsi, si la parole est exclusivement féminine dans ce
diptyque, c'est que dans une logique narrative, la métaphore de
l'ignorance impose le mouvement inverse ; celui de
55
parcourir le chemin qui mène de l'ignorance vers la
connaissance. C'est une pareille démarche narrative qui fait donner un
sens métaleptique au verbe « connaître » dans la plupart
de ses emplois dans la Bible comme dans celui-ci : Elkana connut Anne.
(Samuel 1, 19). On comprend alors que la valeur illocutoire de cette parole de
femme est une invitation - ou une requête - à entamer cette
démarche de reconnaissance.
Mais il faut reconnaître qu'il ne s'agit pas là
de la valeur illocutoire primitive car avant tout, cette parole féminine
a pour but pragmatique d'informer l'homme de certaines qualités de la
femme. De là, de cette valeur illocutoire primitive en dérive une
autre. Il n'est pas inutile de donner un commentaire de cette dérivation
illocutoire à travers le texte de Jean-Claude ANSCOMBRE : « Ainsi
le décodage de la requête « ouvrez la fenêtre »
dans « il fait chaud ici » nécessite de la part de l'auditeur
un raisonnement complexe dont les grandes lignes seraient :
Une opération de type implicature : « L a dit
: « il fait chaud ici » entraîne « L a chaud »
».
Un principe conversationnel général qui est
que l'on ne parle pas pour ne rien dire ni pour ne rien
faire.7 La motivation la plus claire de L pour dire qu'il a
chaud est de désirer de se rafraîchir.
Une loi de discours : communiquer un désir, c'est
demander la satisfaction de ce désir. L demande à ce qu'on le
rafraîchisse. La façon la plus rapide de le satisfaire serait
d'ouvrir la fenêtre. » (ANSCOMBRE, 1980, p. 87)
Pour donner raison à FREUD qui définit le
féminin comme caractérisé par un manque : le désir
du pénis - par opposition à l'angoisse de castration de l'homme -
il suffit d'intégrer son raisonnement à la logique narrative qui
fait naître le texte à partir d'un manque. Cette dernière
remarque permet de voir une nouvelle synecdoque dans le terme «
étranger ». Si nous avons pu découvrir en termes de
substance et forme de contenu que ce terme est une synecdoque particularisante
pour « homme » afin que l'énonciation puisse souscrire
à l'interdit de l'inceste qui est une valeur universelle ; maintenant,
on s'aperçoit qu'il est aussi une synecdoque croissante pour «
pénis ».
De ce point de vue, il semble que la femme contrevient au
second lieu commun qui, rappelons-le, assigne à la femme un rôle
passif. Cependant, il faut admettre ici que l'activité de la femme est
tout simplement verbal qui engage son allocutaire à des actions
définies par l'illocutoire dérivé que résume le
point (C) du mécanisme exposé par ANSCOMBRE. Dès lors, le
deuxième lieu commun est respecté car en communiquant son
désir, la femme fait agir l'homme. C'est cela le propre de la
requête. C'est ce qui se confirme littéralement dans «
cueille-moi sans remords » où la femme est l'objet de l'action de
l'homme.
La question qui va nous guider maintenant est de savoir par
quel mécanisme pragmatique, la femme convertit son propre désir
en instauration du manque chez l'homme bien que nous ayons entraperçu
cela sous la formulation de la requête comme illocutoire
dérivé d'une affirmation, à l'instant.
7 « Faire » dans le sens performatif de J.L. AUSTIN
56
Cette question nous amène à commenter la
séquence « je sens bon » avec conjointement « cueille-moi
sans remords ».
S'il est admis que le premier topique consiste à dire
que « la femme est » par opposition au fait que « l'homme fait
», il ne faut pas croire qu'il s'agit de la dimension ontologique de la
femme. Au contraire, la question ontologique ne saurait pas retenir une
linguistique qui s'occupe des variables de la forme du contenu,
conformément à l'affirmation de HJELMSLEV pour qui le sens
devient à chaque fois la substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre
existence possible que d'être la substance d'une forme quelconque.
Ce qui veut dire qu'il est plus pertinent de convertir
l'affirmation péremptoire de l'être de la femme en affirmation de
paraître. C'est ce que l'industrie cosmétique a parfaitement
compris, notamment en matière de parfumerie.
Justement, la femme, en tant que substance de contenu, se
présente ici sous la forme d'un « je sens bon ». Tout se passe
comme si la femme ayant perdu la phéromone au cours de la
phylogénie se signalait à son partenaire sexuel par l'artifice du
parfum. Mais définir la femme du point de vue olfactif seulement est
réducteur. Ce qui nous amène à comprendre qu'il s'agit
là encore d'une synecdoque de la partie au tout.
Ce dire « je sens bon », en tant que synecdoque, est
caractéristique de la sexualité féminine, parce qu'il est
motivé par une question de préservation de la face comme le
souligne cette remarque de FREUD :
« Le développement des inhibitions sexuelles
(pudeur, dégoût, pitié) s'accomplit de bonne heure chez les
petites filles, et rencontre moins de résistance que chez les jeunes
garçons. Chez les filles également, le penchant au refoulement
sexuel paraît jouer un plus grand rôle, et lorsque les pulsions
sexuelles partielles se manifestent, elles prennent de préférence
la forme passive » (FREUD, 1962, p. 128)
Le paradoxe de cette synecdoque est qu'au lieu de minimiser la
séduction féminine, elle fonctionne comme une censure qui
interdit la totalité en même temps qu'elle la postule. Il ne
s'agit pourtant pas d'une interprétation psychanalytique de l'interdit
mais d'une exploitation du processus de renvoi qui fait que la substance femme
s'incarne dans plusieurs formes dont une seule est mentionnée par le
poème. Autrement dit, dans le processus de renvoi synecdochique - il en
va de même pour les renvois métonymiques - l'interdit absolu ne
peut pas exister, il implique toujours une transgression de l'interdit en
désignant l'objet de l'interdit à la convoitise.
C'est ainsi que cette parole qui semble être innocente
en définissant une forme de la substance « femme » en appelle
à la connaissance des autres formes que peuvent prendre cette substance,
au sens métaleptique du verbe connaître tel que cela est
exprimé un peu plutôt. Nous pouvons donc conclure que c'est par la
synecdoque comme censure que la parole féminine convertit son propre
désir en désir masculin.
On peut encore expliquer cette conversion d'une autre
manière convergente.
57
Elle s'organise au sein de la différence entre le
réel et le possible. Le concept de possible fut introduit en philosophie
par Wilhelm LEIBNIZ, pour la première fois, pour exprimer que le
réel peut prendre une autre forme comme on peut le constater dans des
énoncés simples comme celui-ci :
7. Si cette table n'était pas là, on ne se
cognerait pas à chaque fois pour ouvrir la fenêtre.
Depuis, la notion de possible n'a plus quitté toute
sémiosis dans n'importe quel domaine. À titre de preuve, il n'est
que de commenter cette affirmation de BOUDOT en citation chez Jean-Claude
PARIENTE :« Une théorie féconde du réel exige la
pensée de l'irréel » (PARIENTE, 1982, p. 43).
C'est-à-dire que notre évocation à
l'irréel n'est pas un renvoi à quelque chose de nul et non avenu
mais au contraire, à une autre forme du réel qui est
frappée d'inexistence au point que Luidwig WITTGENSTEIN nous apprend que
: « L'existence et l'inexistence des états de choses
constituent la réalité » (2.06) (WITTGENSTEIN, 1961, p.
86). Ou, encore mieux : « (...), nous ne pouvons imaginer aucun objet
en dehors de la possibilité de sa connexion avec d'autres objets
» (2.0121) (ibid, p, 32)
En définitive, la réalité de
l'affirmation « je sens bon », de par sa nature synecdochique, n'est
compréhensible que par sa possibilité de connexion avec autres
choses définies par la substance « femme ». Dire le moins pour
le plus a donc cet effet puissant et irrépressible de provoquer la
quête de la totalité par instauration du manque par la censure.
Autrement dit, de cette synecdoque croissante, on
s'aperçoit que le possible n'est pas ce qui s'oppose au réel mais
ce qui lui diffère éternellement.
Dans la mesure où l'activité de parole la
convertit en outil qui permet d'accomplir un travail. C'est une autre
manière d'expliquer la force illocutoire comme le suggère cette
analyse de Robert LAFONT :
« [...] lorsque le chasseur modifie la forme d'un
caillou pour en faire une arme contre un gibier éventuel.
Éventuel : il faut bien, dans l'opération de fabrication d'un
instrument, qu'un troisième objet soit absent et remplacé par son
image » (LAFONT, 1978, p. 19).
Autrement, l'activité qui produit la parole, ou pour se
fondre dans la terminologie d'AUSTIN : l'acte locutoire détermine par sa
forme une force illocutoire que l'on peut comprendre ici comme l'injonction
à l'homme de mener une quête de la totalité interdite et en
même temps postulée par la synecdoque.
Il s'agit d'une quête qui se trouve confirmée par
la séquence « cueille-moi sans remords ». Cette
séquence du texte a une particularité : l'adverbial sans
remords modifie le verbe « cueillir », mais la question cruciale
est de savoir pourquoi il le modifie puisque c'est l'objectif de la parole
féminine, après tout.
58
La première explication prend encore la voie de la
synecdoque dans la séquence « je sens bon » qui renvoie
à « fleur ». C'est une synecdoque particularisante parce que
tout ce qui sent bon n'est pas une fleur. Or, cueillir une fleur permet
peut-être de la sentir, mais c'est aussi un acte qui mène la fleur
assurément à la mort. On comprend maintenant pourquoi la
requête est modifiée par l'adverbial sans remords.
En outre, quand on se rend compte que celui qui
s'énonce de la sorte est identifié à la femme, cette
synecdoque préside à l'obtention de la métaphore
femme-fleur via l'intermédiaire « sentir bon ». Sans entrer
dans les détails de ce processus, voici en résumer ce
mécanisme : « Fleur » est une synecdoque particularisante de
« sentir bon » qui est à son tour une synecdoque
généralisante pour « femme ».
L'adverbial « sans remords » reprend alors la
question du Dasein de HEIDEGGER lorsqu'il affirme que :
« Le finir désigné par la mort ne
signifie pas un être-à-la-fin du Dasein, mais un être pour
la fin de cet étant. La mort est une guise d'être que le Dasein
assume dès qu'il est. « Dès qu'un homme vient à la
vie, il est assez vieux pour mourir » » (HEIDEGGER, 1984, p.
197)
Tout se passe comme si la femme intimait à l'homme
l'ordre de profiter de la vie même si cela se fera au détriment de
la femme. En effet, comme pour nous empêcher de manquer cette
interprétation, la seconde partie du poème renforce l'isotopie de
la fleur par une autre synecdoque très visible, la mention des «
violettes » avec une syllepse du nombre. C'est une synecdoque de la partie
pour le tout, c'est-à-dire, c'est un renvoi à fleur par mention
d'un élément de sa classe.
Pourtant, il ne suffit pas d'affirmer qu'il s'agit d'une
synecdoque, mais encore de justifier sa motivation. En effet, n'importe quel
élément de la classe du nom « fleur » aurait pu faire
l'affaire pour cette synecdoque, mais le choix de cette fleur précise
est motivé par le fait qu'une lecture synecdochique en son endroit
permet de retrouver sur le plan du signifiant le mot « viol ». Pour
dire les choses clairement, « violettes » renvoie à «
viol » par interprétation de l'adverbial « sans remords
».
Dès lors, « cueillir » n'est plus à
lire littéralement, et c'est une métaphore attestée qui
renvoie au fait de prendre la virginité d'une femme qui implique un viol
consenti ou non. De la manière où cette dernière partie
est énoncée : les violettes sont présentées comme
le sourire des morts ; il s'ensuit la même relation de différence
entre l'amour et la mort au même titre que le possible n'est pas ce qui
diffère du réel mais ce qui lui diffère
éternellement.
Tout se passe comme si pour déjouer la mort comme
horizon inéluctable de la vie - c'est dans ce sens que HEIDEGGER
précise le Dasein comme un être pour la mort et non comme
une simple fin du Dasein - la vie devenait un engagement à
l'amour, et cela pour deux raisons.
Premièrement, Dans la conception populaire l'orgasme
reçoit une conception de « petite mort » comme si en faisant
l'amour nous apprenons littéralement à maîtriser la mort.
Deuxièmement, en faisant l'amour nous nous donnons la chance d'avoir un
autre soi-même,
59
instaurant de la sorte dans la discontinuité de la vie
par la mort, une continuité par la naissance d'un enfant.
En prenant ensemble les deux arguments, leur
complémentarité devient une évidence. Si l'orgasme est une
petite mort de laquelle on revient, l'enfant est ce qui nous permet de revenir
de la mort futur, parce que par synecdoque, c'est une partie de nous-même
- démontrée par la découverte de l'ADN8 - qui
nous survit. Décidément, connaître la femme dans le sens
biblique du terme c'est en même temps apprivoiser la mort et la
déjouer.
C'est de la sorte que le viol, obtenu par
interprétation synecdochique du terme « violettes » devient
à son tour une synecdoque de l'initiation à l'amour, à
cause de sa conjonction avec le sens métaphorique de « cueillir
». Et de nouveau, en tenant compte du deuxième lieu commun, la
passivité de la femme dans le rapport amoureux, on peut dire que tout
acte d'amour est un viol du corps féminin.
Cette dernière remarque va nous permettre de mieux
comprendre pourquoi les violettes - désormais femme-fleur et viol du
corps féminin - a pour attribut le sourire des morts.
Dans l'expression « sourire des morts » nous avons
un oxymore qui est rendu possible par le renvoi métonymique de chose
à choses. Pour une première interprétation, dans la mesure
où la mort est un horizon inéluctable de la vie, « sourire
» devient une synecdoque de l'aspect positif de la vie qui va
s'abîmer inexorablement dans la mort. Une synecdoque particularisante qui
renvoie à la femme-fleur au moment où l'homme la cueille -
littéralement et dans tous les sens - parce que la mort renvoie par
métonymie aux larmes tandis que la femme renvoie par synecdoque à
la vie symbolisée par la naissance d'enfant.
Il y a lieu de croire que cette dernière synecdoque est
une valeur universelle associée à la femme puisqu'une preuve
inattendue dans une culture très éloignée de l'implication
culturelle du français l'atteste : la progéniture est
appelée dans la langue malgache « menakin'ny aina »,
littéralement « l'huile de la vie » que nous
préférons traduire par « chair de la vie » parce que
par métalepse, les liquides séminales au moment de l'orgasme
deviendra plus tard cette chair vivante qu'est l'enfant. Cependant, le sens
littéral n'est pas à écarter puisque dans les
péripéties de la vie, l'huile qui adoucit les dures frictions de
la vie se présente sous la forme de l'enfant, fruit de l'amour.
Ainsi, l'adverbial « sans remords » a pour valeur
illocutoire d'annuler le scrupule de l'homme devant la violence de la
cueillette, devant le viol du corps de la femme dans l'acte d'amour et dans le
travail de la femme pendant la parturiente. Il en résulte une sorte de
sacralité de la femme qui se sacrifie ainsi sur l'autel de l'amour.
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