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Pragmatique, narrativité, illocutoire et délocutivité généralisées.

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par Jean Robert RAKOTOMALALA
Université de Toliara - Doctorat 2004
  

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6. De grosses voix se querellaient dans les couloirs

C'est plutôt une synecdoque et nous allons démontrer comment en reprenant l'analyse en décomposition sémique du groupe p. à travers son interprétation par Ladislav VÀCLAVIK qui en fait une application dans son travail :

« Selon le Groupe u, l'analyse des tropes conduit à deux types de décomposition sémantique : conceptuelle (désignée par E) et référentielle (Ð). Prenons, par exemple, la classe sémantique des « voitures ». On peut la considérer du point de vue référentiel : la voiture se compose de différentes parties (châssis, axes, roues, amortisseurs, moteur etc.) qui sont, entre elles, dans un rapport de produit logique. Mais on peut regarder la voiture aussi du point de vue conceptuel : la voiture est une classe de sous-classes (Peugeot, Citroën, Rolls-Royce, etc.). (VACLAVIK, 2009)

L'intérêt de ce détour est qu'il montre que le concept qui fonde la théorisation de la métaphore en double synecdoque est un principe généralisé permettant au langage d'être efficacement économique par recours à la synecdoque. Du fait que cet exemple n'est pas emprunté au Groupe p. implique que ce principe est accepté. Néanmoins, nous allons faire une remarque qui concerne le mode de décomposition référentielle.

Lorsque l'on parle de référent, il s'agit d'une donnée extralinguistique. A priori cela ne saurait plus concerner la linguistique et c'est cela qui a conduit JAKOBSON à considérer que la relation de contiguïté qui caractérise la métonymie est externe au langage. Notre réponse à cette affirmation est qu'une fois le monde versé dans le langage la catégorie du réel s'évanouit comme une question inutile. Une autre manière de comprendre cette fuite du réel se trouve sous la plume de Robert de MUSIL :

« [...], si l'on veut un moyen commode de distinguer les hommes du réel des hommes du possible, il suffit de penser à une somme d'argent donnée. Toutes les possibilités que contiennent, par exemple, mille marks, y sont évidemment contenues qu'on les possède ou non ; le fait que toi ou moi les possédions ne leur ajoute rien, pas plus qu'à une rose ou à une femme. » (MUSIL, 1982, p. 18)

Ou, si l'on veut, il faut admettre qu'il existe une propriété isomorphe des noms et des choses : celle de se comprendre par le système de renvois de chose à choses ou de nom à noms. Ce qui veut dire que la décomposition référentielle est toujours de nature linguistique comme le stipule cette analyse qui précise celle du groupe p. :

« La praxis linguistique rend compte du réel en transférant à l'« unité de typisation » toutes les occurrences dont la variété n'importe pas au message, en ramenant à l'« unité de hiérarchie signifiante » toutes les occurrences présentes en une. Le praxème ne produit du sens qu'en ce qu'il est cette double unité » (LAFONT, 1978, p. 134)

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4.2. PRATIQUE

Nous pouvons affirmer à partir de ces efforts théoriques que les noms sont des unités denses dans la langue. Renforce cette densité, la possibilité de convertir tous les autres parties du discours en nom par le moyen d'adjonction d'article et c'est un bel exemple d'autonymie.

Cette densité provient du fait que le nom, en tant qu'unité de typisation, renvoie à une multitude d'éléments dotés des mêmes propriétés (la classe du nom, arbre = peupliers, orangers, pommiers, baobab, etc.) par oubli des différences individuelles qui importent peu au message, et c'est une synecdoque particularisante. En tant qu'unité de hiérarchie signifiante, il renvoie également à des éléments plus petits (arbre = tronc, branches, feuilles, etc.). Nos dictionnaires usuels choisissent les éléments subsumés par l'unité de hiérarchie signifiante comme définition de manière synecdochique. C'est ce que montre ici la présence de « etc. »

Notre poème commence par le mot « Étranger ». Puisqu'il s'agit d'un nom commun, normalement, il doit comporter un déterminant à cause de son insertion dans le discours. Mais cette absence de déterminant n'est pas imputable à une infraction au code linguistique. Elle est une conséquence d'un emploi spécifique des noms communs : le vocatif. Le vocatif sert à interpeller. C'est sa spécialisation illocutoire qui ne fait pas l'objet d'une assertion ou d'une affirmation, mais seulement montrée par la forme de l'énonciation. (Cf. (DUCROT, 1980, p. 30)). En l'occurrence, l'absence d'article sur un nom commun inséré dans le discours.

Il s'agit donc d'un processus de renvoi qui permet à la production d'un signe « Y » de signifier « Z » qui est de nature illocutoire. CORNULIER appelle ce mécanisme de renvoi de signe à signes « détachement du sens ». C'est de cette manière que produire un vocatif équivaut à interpeller.

C'est une particularité des langues comme le français qui connaît un genre grammatical d'étendre celle-ci aux inanimés. En effet, si dans le monde des vivants, la distribution en masculin et féminin est justifiée parce que certains êtres vivants sont sexués ou du moins ont des traits sexuels apparents, il n'en va pas de même dans le règne végétal et encore moins dans l'univers du minéral. Il en résulte qu'en langue, l'indice du registre du genre est l'article - ou plus exactement les déterminants nominaux - et les adjectifs ou les catégories traitées comme telles par la grammaire. C'est de cette manière que « étranger », ici, reçoit une marque grammaticale du genre parce qu'il dérive de la catégorie d'adjectif par conversion, en dépit de l'absence de tout article.

Cette dernière remarque nous autorise d'envisager le mot qui nous occupe du point de vue de son articulation sémiotique avec les autres éléments de la langue. Cette articulation peut correspondre au concept de « différance » (Cf. (DERRIDA, 1968), ou l'articulation de la substance et de la forme de contenu dont voici le principe régissant : « Seules les fonctions de la langue, la fonction sémiotique et celles qui en découlent, déterminent sa forme. Le sens

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devient chaque fois substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être la substance d'une forme quelconque. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)

Ainsi dans notre exemple, « étranger » est une forme du contenu « homme » - compte tenu de la remarque sur les langues qui connaissent le genre - dans une perspective synecdochique parce que ce n'est pas la totalité de la classe « homme » qui peut être qualifiée d'"étranger", mais une partie seulement. « Étranger » se comprend donc en tant que forme de substance : homme qui n'a pas de lien de parenté avec le locuteur.

Nous voyons bien par explicitation de cette forme que le mot « étranger » est une synecdoque particularisante pour homme. Nous pouvons alors maintenant nous demander à quoi sert cette synecdoque.

En anticipation des résultats de notre analyse, puisque jusqu'à présent nous n'avons traité que le seul élément qui commence le texte, nous pouvons dire que cette synecdoque se justifie par le fait que par sa forme elle a pour valeur illocutoire le respect de l'interdit de l'inceste.

Pour conforter cette réponse, embrayons-nous immédiatement sur l'analyse du destinateur de la parole. Commençons par l'identifier. En s'adressant à un étranger sous une forme de contenu qui vise à préserver l'interdit de l'inceste, il n'est pas excessif de conclure que le destinateur de la parole est une femme.

Évoquons deux lieux communs pour corroborer cette indentification sexuelle. Le premier de ces lieux communs consiste à dire que la femme relève de l'être et l'homme du faire, dans le cadre de la séduction. Rappelons qu'étymologiquement « séduire » signifie « détourner du droit chemin ». Il semble que ce premier lieu commun soit largement confirmé par notre poème.

La mention de l'homme est strictement réduite à l'emploi de ce vocatif si l'on ne tient pas compte de son implication dans l'ordre « cueille-moi sans remords ». Autrement, tout le reste du poème se caractérise par une description de la femme. Une première description est constituée par l'attribution de l'adjectif « bon » à la femme par le biais du verbe « sentir » dont la relation avec le «sens » n'est plus à démontrer, puisqu'il s'agit de mettre à contribution l'olfaction. La description est donc une description d'état, ce qui renforce le lieu commun évoqué.

Pour démystifier, faisons recours à la règle de détachement du sens. Excepté le vocatif, l'on sait facilement que tout le reste du poème doit concerner la femme, puisqu'il s'agit d'une opération de séduction. La grammaire traditionnelle définit « je » comme un pronom de la première personne du singulier. BENVENISTE, s'oppose à cette interprétation en arguant qu'on ne peut pas lui assigner un nom dont il est le pronom. Ainsi, c'est de la manière suivante que ce professeur du Collège de France entend donner une dimension fondamentalement pragmatique à son approche de la question :

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« L'acte individuel d'appropriation de la langue introduit celui qui parle dans sa parole. C'est là une donnée constitutive de l'énonciation. La présence du locuteur à son énonciation fait que chaque instance de discours constitue un centre de référence interne. Cette situation va se manifester par un jeu de formes spécifiques dont la fonction est de mettre le locuteur en relation constante et nécessaire avec son énonciation. Cette description un peu abstraite s'applique à un phénomène linguistique familier dans l'usage, mais dont l'analyse théorique commence seulement. C'est d'abord l'émergence des indices de personne (le rapport je-tu) qui ne se produit que dans et par l'énonciation : le terme « je » dénotant l'individu qui profère l'énonciation, le terme « tu », l'individu qui y est présent comme allocutaire. » (BENVENISTE, 1970, p. 14)

Ce qui veut dire que dans la cadre de cette communication amoureuse, ce « je » est également de nature synecdochique parce qu'en dépit de sa singularité numérative, il renvoie à toutes les femmes qui peuvent de la même manière s'approprier cette énonciation. Ici, aussi, la référence singulière de la femme désignée par « je », si pour autant cette désignation est acceptée, sont toutes les femmes qui peuvent assumer la même énonciation. C'est là le propre de la communication littéraire : permettre aux lecteurs d'assumer au niveau énonciatif ce qui est écrit dans le texte.

Benoît de CORNULIER, en dénonçant l'attitude qui conçoit les onomatopées comme de mauvais signes motivés, en arrive à montrer indirectement le rôle fondamental de la synecdoque dans le fonctionnement de la langue. L'argument de cette dénonciation consiste à dire que le langage peut s'imiter lui-même. C'est ce que l'on appelle signe autonymique dont nous livrons ci-après une des premières définitions que nous devons au logicien philosophe Rudolf CARNAP qui se trouve en citation chez Alain REY (REY, 1976, p. 224) :

« Puisque le nom d'un objet peut être arbitrairement choisi, il est très possible de prendre pour nom de la chose la chose elle-même, ou, pour nom d'une espèce de choses, les choses de cette espèce. Nous pouvons, par exemple, adopter la règle suivante : au lieu du mot allumette, une allumette sera toujours placée sur le papier. Mais c'est le plus souvent une expression linguistique qu'un objet extralinguistique qui est utilisée comme sa propre désignation. Nous appelons autonyme une expression utilisée de cette manière. ».

Cette autonymie peut se faire de deux manières, à l'intérieur du langage lui-même ou à l'extérieur. Pour ce dernier cas, voici ce qu'il en est dit :

« [...] comme quand un philosophe disant « je » réfère à soi-même, personne singulière, mais seulement en tant qu'exemple d'humanité, de sorte que « je » paraît avoir une référence universelle ; de même, quand on montre une cigarette en disant : Ceci t'empoisonnera, l'objet singulier de la référence littérale peut, pris comme type, « référer » pour ainsi dire à toutes les cigarettes ou à leur classe. » (CORNULIER, 1982, p. 138)

De ce point de vue, on peut comprendre facilement la remarque précédente qui transfert à toutes les femmes dans une situation de séduction ce qui est assumé par « je » dans le poème. Par ailleurs il faut accepter que la distance qui sépare le « je » à l'individu

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biographique est une distance très fluctuante, voire incommensurable comme le stipule RIMBAUD dans sa révolte contre la littérature de son époque : « je est un autre ». Par ailleurs, nous pensons qu'il ne faille pas chercher des données biographiques pour comprendre l'oeuvre, la biographie de l'auteur est souvent mal connue ou inconnaissable et les textes qui la prend en charge tourne très vite à l'hagiographie.

Le deuxième lieu commun est aussi l'identification de la femme à la passivité et l'homme à l'action. Cette deuxième condition d'identification est également satisfaite dans le poème. Ce qui l'assure est l'ordre donné par la femme dans cueille-moi sans remords. Celui qui doit accomplir cet ordre est l'homme et le patient de cette action est la femme.

Cependant, du point de vue de la parole, dans ce poème, l'homme est allocutaire, c'est donc la femme qui est du côté de l'action. Cette remarque ne permet pas de conclure que le deuxième lieu commun est contredit. Il s'agit de dire, au contraire, que dans l'opération de séduction, c'est la femme qui l'exerce sur l'homme et l'homme séduit a pour mission de conquérir la femme.

En d'autres perspectives, en mesurant à l'aune du détachement du sens cette conjonction d'un ordre verbal et l'exécution impliquée, on s'aperçoit que le poème renvoie à l'intuition des psychanalystes selon laquelle le véritable sexe c'est la femme (Cf. (BRANDT, 1982). En effet, du fait de la forme de la substance « homme » qui, justement, à cause de cette synecdoque qui renvoie à la notion d'interdit de l'inceste ; la communication qui est à sens unique se qualifie de communication amoureuse. Cela ne contrevient pas du tout au deuxième lieu commun. En dernier ressort et pour dire les choses sans fioritures, il faut croire qu'en amour, c'est la femme qui se constitue en objet de quête.

Or, il n'est plus à démontrer que dans la sémiotique narrative, objet de quête et objet de valeur sont une seule et même chose et qu'en outre la valeur d'usage se confond avec la valeur d'échange. C'est pour cette raison que dans ce diptyque, la parole est exclusivement féminine. Du coup, « étranger » cesse d'être une simple synecdoque, il devient aussi une métaphore de l' « ignorance » via un terme intermédiaire « non initié ».

Ce qui a permis au Groupe u d'afficher la métaphore comme une double synecdoque, c'est que les termes de départ et d'arrivée de la métaphore possède un point d'intersection. Cette intersection peut s'étendre à l'un et à l'autre, par synecdoque, de telle manière que l'un peut renvoyer à l'autre par symbolisation. Il est d'une expérience banale de constater qu'un étranger, dans une maison, par exemple, ne cesse de poser des questions sur le fonctionnement de cette maison jusqu'au jour où la maison lui sera devenue familière. Dès lors, le terme « non initié » peut être compris comme une synecdoque particularisante du terme « étranger » et synecdoque généralisante de « ignorant » (l'étranger est celui qui ne vient pas du pays et celui qui ne vient pas du pays ignore les moeurs de ce pays). C'est ce qui permet de prendre « étranger » comme une métaphore de l'"ignorant".

Ainsi, si la parole est exclusivement féminine dans ce diptyque, c'est que dans une logique narrative, la métaphore de l'ignorance impose le mouvement inverse ; celui de

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parcourir le chemin qui mène de l'ignorance vers la connaissance. C'est une pareille démarche narrative qui fait donner un sens métaleptique au verbe « connaître » dans la plupart de ses emplois dans la Bible comme dans celui-ci : Elkana connut Anne. (Samuel 1, 19). On comprend alors que la valeur illocutoire de cette parole de femme est une invitation - ou une requête - à entamer cette démarche de reconnaissance.

Mais il faut reconnaître qu'il ne s'agit pas là de la valeur illocutoire primitive car avant tout, cette parole féminine a pour but pragmatique d'informer l'homme de certaines qualités de la femme. De là, de cette valeur illocutoire primitive en dérive une autre. Il n'est pas inutile de donner un commentaire de cette dérivation illocutoire à travers le texte de Jean-Claude ANSCOMBRE : « Ainsi le décodage de la requête « ouvrez la fenêtre » dans « il fait chaud ici » nécessite de la part de l'auditeur un raisonnement complexe dont les grandes lignes seraient :

Une opération de type implicature : « L a dit : « il fait chaud ici » entraîne « L a chaud » ».

Un principe conversationnel général qui est que l'on ne parle pas pour ne rien dire ni pour ne rien faire.7 La motivation la plus claire de L pour dire qu'il a chaud est de désirer de se rafraîchir.

Une loi de discours : communiquer un désir, c'est demander la satisfaction de ce désir. L demande à ce qu'on le rafraîchisse. La façon la plus rapide de le satisfaire serait d'ouvrir la fenêtre. » (ANSCOMBRE, 1980, p. 87)

Pour donner raison à FREUD qui définit le féminin comme caractérisé par un manque : le désir du pénis - par opposition à l'angoisse de castration de l'homme - il suffit d'intégrer son raisonnement à la logique narrative qui fait naître le texte à partir d'un manque. Cette dernière remarque permet de voir une nouvelle synecdoque dans le terme « étranger ». Si nous avons pu découvrir en termes de substance et forme de contenu que ce terme est une synecdoque particularisante pour « homme » afin que l'énonciation puisse souscrire à l'interdit de l'inceste qui est une valeur universelle ; maintenant, on s'aperçoit qu'il est aussi une synecdoque croissante pour « pénis ».

De ce point de vue, il semble que la femme contrevient au second lieu commun qui, rappelons-le, assigne à la femme un rôle passif. Cependant, il faut admettre ici que l'activité de la femme est tout simplement verbal qui engage son allocutaire à des actions définies par l'illocutoire dérivé que résume le point (C) du mécanisme exposé par ANSCOMBRE. Dès lors, le deuxième lieu commun est respecté car en communiquant son désir, la femme fait agir l'homme. C'est cela le propre de la requête. C'est ce qui se confirme littéralement dans « cueille-moi sans remords » où la femme est l'objet de l'action de l'homme.

La question qui va nous guider maintenant est de savoir par quel mécanisme pragmatique, la femme convertit son propre désir en instauration du manque chez l'homme bien que nous ayons entraperçu cela sous la formulation de la requête comme illocutoire dérivé d'une affirmation, à l'instant.

7 « Faire » dans le sens performatif de J.L. AUSTIN

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Cette question nous amène à commenter la séquence « je sens bon » avec conjointement « cueille-moi sans remords ».

S'il est admis que le premier topique consiste à dire que « la femme est » par opposition au fait que « l'homme fait », il ne faut pas croire qu'il s'agit de la dimension ontologique de la femme. Au contraire, la question ontologique ne saurait pas retenir une linguistique qui s'occupe des variables de la forme du contenu, conformément à l'affirmation de HJELMSLEV pour qui le sens devient à chaque fois la substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être la substance d'une forme quelconque.

Ce qui veut dire qu'il est plus pertinent de convertir l'affirmation péremptoire de l'être de la femme en affirmation de paraître. C'est ce que l'industrie cosmétique a parfaitement compris, notamment en matière de parfumerie.

Justement, la femme, en tant que substance de contenu, se présente ici sous la forme d'un « je sens bon ». Tout se passe comme si la femme ayant perdu la phéromone au cours de la phylogénie se signalait à son partenaire sexuel par l'artifice du parfum. Mais définir la femme du point de vue olfactif seulement est réducteur. Ce qui nous amène à comprendre qu'il s'agit là encore d'une synecdoque de la partie au tout.

Ce dire « je sens bon », en tant que synecdoque, est caractéristique de la sexualité féminine, parce qu'il est motivé par une question de préservation de la face comme le souligne cette remarque de FREUD :

« Le développement des inhibitions sexuelles (pudeur, dégoût, pitié) s'accomplit de bonne heure chez les petites filles, et rencontre moins de résistance que chez les jeunes garçons. Chez les filles également, le penchant au refoulement sexuel paraît jouer un plus grand rôle, et lorsque les pulsions sexuelles partielles se manifestent, elles prennent de préférence la forme passive » (FREUD, 1962, p. 128)

Le paradoxe de cette synecdoque est qu'au lieu de minimiser la séduction féminine, elle fonctionne comme une censure qui interdit la totalité en même temps qu'elle la postule. Il ne s'agit pourtant pas d'une interprétation psychanalytique de l'interdit mais d'une exploitation du processus de renvoi qui fait que la substance femme s'incarne dans plusieurs formes dont une seule est mentionnée par le poème. Autrement dit, dans le processus de renvoi synecdochique - il en va de même pour les renvois métonymiques - l'interdit absolu ne peut pas exister, il implique toujours une transgression de l'interdit en désignant l'objet de l'interdit à la convoitise.

C'est ainsi que cette parole qui semble être innocente en définissant une forme de la substance « femme » en appelle à la connaissance des autres formes que peuvent prendre cette substance, au sens métaleptique du verbe connaître tel que cela est exprimé un peu plutôt. Nous pouvons donc conclure que c'est par la synecdoque comme censure que la parole féminine convertit son propre désir en désir masculin.

On peut encore expliquer cette conversion d'une autre manière convergente.

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Elle s'organise au sein de la différence entre le réel et le possible. Le concept de possible fut introduit en philosophie par Wilhelm LEIBNIZ, pour la première fois, pour exprimer que le réel peut prendre une autre forme comme on peut le constater dans des énoncés simples comme celui-ci :

7. Si cette table n'était pas là, on ne se cognerait pas à chaque fois pour ouvrir la fenêtre.

Depuis, la notion de possible n'a plus quitté toute sémiosis dans n'importe quel domaine. À titre de preuve, il n'est que de commenter cette affirmation de BOUDOT en citation chez Jean-Claude PARIENTE :« Une théorie féconde du réel exige la pensée de l'irréel » (PARIENTE, 1982, p. 43).

C'est-à-dire que notre évocation à l'irréel n'est pas un renvoi à quelque chose de nul et non avenu mais au contraire, à une autre forme du réel qui est frappée d'inexistence au point que Luidwig WITTGENSTEIN nous apprend que : « L'existence et l'inexistence des états de choses constituent la réalité » (2.06) (WITTGENSTEIN, 1961, p. 86). Ou, encore mieux : « (...), nous ne pouvons imaginer aucun objet en dehors de la possibilité de sa connexion avec d'autres objets » (2.0121) (ibid, p, 32)

En définitive, la réalité de l'affirmation « je sens bon », de par sa nature synecdochique, n'est compréhensible que par sa possibilité de connexion avec autres choses définies par la substance « femme ». Dire le moins pour le plus a donc cet effet puissant et irrépressible de provoquer la quête de la totalité par instauration du manque par la censure.

Autrement dit, de cette synecdoque croissante, on s'aperçoit que le possible n'est pas ce qui s'oppose au réel mais ce qui lui diffère éternellement.

Dans la mesure où l'activité de parole la convertit en outil qui permet d'accomplir un travail. C'est une autre manière d'expliquer la force illocutoire comme le suggère cette analyse de Robert LAFONT :

« [...] lorsque le chasseur modifie la forme d'un caillou pour en faire une arme contre un gibier éventuel. Éventuel : il faut bien, dans l'opération de fabrication d'un instrument, qu'un troisième objet soit absent et remplacé par son image » (LAFONT, 1978, p. 19).

Autrement, l'activité qui produit la parole, ou pour se fondre dans la terminologie d'AUSTIN : l'acte locutoire détermine par sa forme une force illocutoire que l'on peut comprendre ici comme l'injonction à l'homme de mener une quête de la totalité interdite et en même temps postulée par la synecdoque.

Il s'agit d'une quête qui se trouve confirmée par la séquence « cueille-moi sans remords ». Cette séquence du texte a une particularité : l'adverbial sans remords modifie le verbe « cueillir », mais la question cruciale est de savoir pourquoi il le modifie puisque c'est l'objectif de la parole féminine, après tout.

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La première explication prend encore la voie de la synecdoque dans la séquence « je sens bon » qui renvoie à « fleur ». C'est une synecdoque particularisante parce que tout ce qui sent bon n'est pas une fleur. Or, cueillir une fleur permet peut-être de la sentir, mais c'est aussi un acte qui mène la fleur assurément à la mort. On comprend maintenant pourquoi la requête est modifiée par l'adverbial sans remords.

En outre, quand on se rend compte que celui qui s'énonce de la sorte est identifié à la femme, cette synecdoque préside à l'obtention de la métaphore femme-fleur via l'intermédiaire « sentir bon ». Sans entrer dans les détails de ce processus, voici en résumer ce mécanisme : « Fleur » est une synecdoque particularisante de « sentir bon » qui est à son tour une synecdoque généralisante pour « femme ».

L'adverbial « sans remords » reprend alors la question du Dasein de HEIDEGGER lorsqu'il affirme que :

« Le finir désigné par la mort ne signifie pas un être-à-la-fin du Dasein, mais un être pour la fin de cet étant. La mort est une guise d'être que le Dasein assume dès qu'il est. « Dès qu'un homme vient à la vie, il est assez vieux pour mourir » » (HEIDEGGER, 1984, p. 197)

Tout se passe comme si la femme intimait à l'homme l'ordre de profiter de la vie même si cela se fera au détriment de la femme. En effet, comme pour nous empêcher de manquer cette interprétation, la seconde partie du poème renforce l'isotopie de la fleur par une autre synecdoque très visible, la mention des « violettes » avec une syllepse du nombre. C'est une synecdoque de la partie pour le tout, c'est-à-dire, c'est un renvoi à fleur par mention d'un élément de sa classe.

Pourtant, il ne suffit pas d'affirmer qu'il s'agit d'une synecdoque, mais encore de justifier sa motivation. En effet, n'importe quel élément de la classe du nom « fleur » aurait pu faire l'affaire pour cette synecdoque, mais le choix de cette fleur précise est motivé par le fait qu'une lecture synecdochique en son endroit permet de retrouver sur le plan du signifiant le mot « viol ». Pour dire les choses clairement, « violettes » renvoie à « viol » par interprétation de l'adverbial « sans remords ».

Dès lors, « cueillir » n'est plus à lire littéralement, et c'est une métaphore attestée qui renvoie au fait de prendre la virginité d'une femme qui implique un viol consenti ou non. De la manière où cette dernière partie est énoncée : les violettes sont présentées comme le sourire des morts ; il s'ensuit la même relation de différence entre l'amour et la mort au même titre que le possible n'est pas ce qui diffère du réel mais ce qui lui diffère éternellement.

Tout se passe comme si pour déjouer la mort comme horizon inéluctable de la vie - c'est dans ce sens que HEIDEGGER précise le Dasein comme un être pour la mort et non comme une simple fin du Dasein - la vie devenait un engagement à l'amour, et cela pour deux raisons.

Premièrement, Dans la conception populaire l'orgasme reçoit une conception de « petite mort » comme si en faisant l'amour nous apprenons littéralement à maîtriser la mort. Deuxièmement, en faisant l'amour nous nous donnons la chance d'avoir un autre soi-même,

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instaurant de la sorte dans la discontinuité de la vie par la mort, une continuité par la naissance d'un enfant.

En prenant ensemble les deux arguments, leur complémentarité devient une évidence. Si l'orgasme est une petite mort de laquelle on revient, l'enfant est ce qui nous permet de revenir de la mort futur, parce que par synecdoque, c'est une partie de nous-même - démontrée par la découverte de l'ADN8 - qui nous survit. Décidément, connaître la femme dans le sens biblique du terme c'est en même temps apprivoiser la mort et la déjouer.

C'est de la sorte que le viol, obtenu par interprétation synecdochique du terme « violettes » devient à son tour une synecdoque de l'initiation à l'amour, à cause de sa conjonction avec le sens métaphorique de « cueillir ». Et de nouveau, en tenant compte du deuxième lieu commun, la passivité de la femme dans le rapport amoureux, on peut dire que tout acte d'amour est un viol du corps féminin.

Cette dernière remarque va nous permettre de mieux comprendre pourquoi les violettes - désormais femme-fleur et viol du corps féminin - a pour attribut le sourire des morts.

Dans l'expression « sourire des morts » nous avons un oxymore qui est rendu possible par le renvoi métonymique de chose à choses. Pour une première interprétation, dans la mesure où la mort est un horizon inéluctable de la vie, « sourire » devient une synecdoque de l'aspect positif de la vie qui va s'abîmer inexorablement dans la mort. Une synecdoque particularisante qui renvoie à la femme-fleur au moment où l'homme la cueille - littéralement et dans tous les sens - parce que la mort renvoie par métonymie aux larmes tandis que la femme renvoie par synecdoque à la vie symbolisée par la naissance d'enfant.

Il y a lieu de croire que cette dernière synecdoque est une valeur universelle associée à la femme puisqu'une preuve inattendue dans une culture très éloignée de l'implication culturelle du français l'atteste : la progéniture est appelée dans la langue malgache « menakin'ny aina », littéralement « l'huile de la vie » que nous préférons traduire par « chair de la vie » parce que par métalepse, les liquides séminales au moment de l'orgasme deviendra plus tard cette chair vivante qu'est l'enfant. Cependant, le sens littéral n'est pas à écarter puisque dans les péripéties de la vie, l'huile qui adoucit les dures frictions de la vie se présente sous la forme de l'enfant, fruit de l'amour.

Ainsi, l'adverbial « sans remords » a pour valeur illocutoire d'annuler le scrupule de l'homme devant la violence de la cueillette, devant le viol du corps de la femme dans l'acte d'amour et dans le travail de la femme pendant la parturiente. Il en résulte une sorte de sacralité de la femme qui se sacrifie ainsi sur l'autel de l'amour.

Travaux cités

8 Acide désoxyribonucléique

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ANSCOMBRE, J.-C. (1980). "Voulez-vous dériver avec moi?". Dans Rhétoriques, Communications (Vol. 16, pp. 61-123). Paris: Seuil.

BENVENISTE, E. (1970). "L'appareil formel de l'énonciation". Langages(17), pp. 12 - 18.

BRANDT, P. A. (1982). Quelques remarques sur la véridiction, Hommages aux Jefalumpes. Paris: Institut de Langue Française.

CORNULIER, B. (1982). "Le détachement du sens" dans Les Actes de Discours, Communications,32. Communications, p. 132.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon