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Pragmatique, narrativité, illocutoire et délocutivité généralisées.

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par Jean Robert RAKOTOMALALA
Université de Toliara - Doctorat 2004
  

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REPOBLIKAN'I MADAGASIKARA
TANIDRAZANA - FAHAFAHANA - FANDROSOANA

 
 

UNIVERSITÉ DE TOLIARA

 
 

FACULTÉ DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

DÉPARTEMENT D'ÉTUDES FRANÇAISES

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OPTION : PRAGMATIQUE

LA PRAGMATIQUE : NARRATIVITÉ, PERFORMATIVITÉ
ET DÉLOCUTIVITÉ GÉNÉRALISÉES

Ensemble des travaux en vue de l'obtention
de l'Habilitation à Diriger des Recherches (HDR)

Présenté par Jean Robert RAKOTOMALALA

Maître de Conférences à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines et Sociales

Université de Toliara (Madagascar)

Sous la direction scientifique de M. Clément SAMBO
PROFESSEUR

Université de Toliara (Madagascar)

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1. ILLOCUTION ET NARRATIVITÉ RÉSUMÉ

Cet article tente de résoudre l'aporie méthodologique entre la généralisation de la performativité à tous les énoncés face à l'impossibilité de ranger dans l'illocutoire les insultes ou la flatterie comme le soutiennent les textes de Ducrot et d'Anscombre. La solution que nous apportons à cette aporie méthodologique est l'introduction de l'algorithme narratif dans l'évaluation de l'illocutoire de telle manière que les énoncés qui ne rentrent pas dans la généralisation ne soient plus renvoyer dans le perlocutoire, une notion qui ne peut pas relever de la linguistique.

Mots clés : performativité, illocutoire, algorithme narratif, fuite du réel

Abstract

This article attempts to resolve the methodological aporia between the generalization of the performativity all facing impossible statements stored in the illocutionary insults or flattery as it is supported in Ducrot and Anscombre texts. The solution that we bring to this methodological aporia is the introduction of the narrative algorithm in the evaluation of the illocutionary so statements that do not fit in the generalization are no longer return in the perlocutionary, a notion that cannot fall under linguistics.

Key words: performativity, illocutionary, narrative algorithm, the real leak 1.1. INTRODUCTION

Ce qui se profile derrière ce titre qui affiche le décloisonnement de disciplines en sciences humaines, à savoir : la pragmatique et la sémiotique, est d'abord le refus de considérer autre chose que le langage dans une analyse qui s'attache au rapport des locuteurs avec l'énonciation, plus précisément, c'est le refus de considérer le langage comme une tautologie du réel. En effet, s'il est admis que le langage relève d'une théorie de l'action, ceci implique que le monde extralinguistique n'est pas un référent ultime mais que la motivation essentielle de l'énonciation est une modification du rapport interlocutif.

Ensuite, il s'agit de se doter d'un appareillage linguistique qui par ailleurs est considéré comme l'essence du langage. Selon Bernard Victorri le protolangage serait un langage du hic et nunc qui répond à une exigence pratique d'une action dans le monde. Il est effectivement d'agir sur le monde dans la perspective de l'ici et maintenant. De cette manière, le langage est alors une tautologie du réel.

Par contre, le protolangage au niveau du plan ontogénique peut être illustré à partir du langage enfantin dans sa fonction symbolique. On sait qu'un enfant produit cri et sourire en fonction d'une cause physiologique. L'enfant cri quand il se trouve dans un état d'inconfort,

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la réaction des entourages adultes à ce cri lui apprend que son cri a une fonction symbolique, dès lors il produit du cri sans qu'aucune cause physiologique soit présent, mais il veut par-là, par exemple, contraindre sa mère à rester auprès de lui. C'est là une illustration du langage en action qui montre que le référent n'est qu'un simulacre, c'est ce que nous précise Jean Petitot de la manière suivante :

« La relation dominante est la relation signifiant / signifié (la cause du désir et non pas la validité du jugement), le référent n'étant qu'un tenant lieu (un artefact, un simulacre, un trompe-l'oeil) » (BRANDT & PETITOT, 1982, p. 25)

Autrement dit, le mouvement de la référence ne s'arrête jamais à l'objet dénoté, il le traverse pour un système de renvois de signe à signes, un système de renvois défini par la théorie des interprétants de Charles Sander Peirce (1979). Qualifier le référent de simulacre, c'est lui donner la possibilité d'être une sémiotique. En d'autres mots : la véritable référence est ce que montre l'énonciation en termes d'acte de langage. C'est ce que nous exprime Jean-Claude Anscombre avec son style propre : « Un principe conversationnel général qui est que l'on ne parle pas pour ne rien dire ni pour ne rien faire. » (ANSCOMBRE, 1980, p. 87)

Le « ne rien dire » signifie que toute communication est toujours une communication sur le monde, c'est la fonction référentielle dans la théorie fonctionnelle de Roman Jakobson, mais cela ne suffit pas d'avoir un référent, il faut encore et surtout que la communication ait une portée interlocutive, c'est cela qu'implique le « ne rien faire »

Algirdas Julien Greimas qui n'évolue pas dans le cadre de la pragmatique reconnaît également que le monde ne peut pas être un référent ultime mais le lieu de manifestation du sens, c'est-à-dire qu'il propose de cette manière une sémiotique du monde naturel :

« Il suffit pour cela de considérer le monde extralinguistique non plus comme un référent « absolu » ; mais comme le lieu de la manifestation du sensible, susceptible de devenir la manifestation du sens humain, c'est-à-dire de la signification pour l'homme, de traiter en somme le référent comme un ensemble de systèmes sémiotiques plus ou moins explicites ». (GREIMAS A. J., 1970, p. 52)

Pour attester la nécessité d'introduire au sein de la pragmatique la logique narrative ou la transformation narrative à des fins d'identification des actes de langage, nous allons reprendre ici le cheminement de l'acquisition du langage aussi bien au niveau au ontologique qu'au niveau phylogénétique.

L'enfant, à certain âge, ne dispose pas encore du lexique nécessaire ni de la grammaire pour communiquer. Cela n'implique pas qu'il est incapable de communiquer dans les cadres du présent et de sa présence au monde. Pour pallier au défaut de nomination, l'enfant se contente de montrer à l'aide de son index, l'objet de son désir pour que les adultes obtempèrent dans la mesure du possible. Ce geste de la monstration est à l'origine des déictiques dans le langage.

L'enfant peut avoir quelques lexiques concernant les objets de son intérêt immédiat, mais là encore son protolangage est de nature déictique. Ce qui veut dire que l'enfant ne peut

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communiquer que sur des événements présents au monde, garantis par sa propre présence. Cette coprésence de l'événement et des locuteurs fait que le protolangage peut se passer de la grammaire. L'observation du parler enfantin nous permet alors de conclure que la caractéristique la plus évidente du protolangage est qu'il demeure sans grammaire.

Ce défaut de grammaire est dû essentiellement au fait qu'il est incapable de projection temporelle puisque fait uniquement du présent et que de la sorte, il n'a pas besoin de situer les choses ni dans le temps ni dans l'espace puisqu'on parle uniquement des choses présentes au sens.

Autrement dit, le protolangage est pratiquement tautologique ; de nature indicielle, il s'organise dans le champ sensitif en tant que prolongement des sens. De cette manière, il est de très faible portée cognitive parce qu'incapable de métalangage et encore moins de connotation, il ne peut que dénoter ce que les sens perçoivent de façon métonymique. Bref, c'est un système de communication qui ne dispose ni de mécanisme anaphorique permettant l'identification du référant sous de formes diverses, ni de mécanisme d'enchâssement autorisant la récursivité.

Il s'agit là d'un observable de l'acquisition de la parole au niveau ontologique qui ne diffère nullement de l'hypothèse de l'acquisition de la parole au niveau phylogénétique. C'est ce que semble souligner le passage suivant, d'auteurs pluridisciplinaires enquêtant sur le langage originel :

« Homo erectus aurait parlé (il y a environ un million d'années) une sorte de langage "Tarzan", très frustre, que le linguiste Dereck BICKERTON a proposé d'appeler protolangage. [...], le Protolangage serait un système beaucoup plus rudimentaire. Les phrases du protolangage auraient été composées de quelques mots juxtaposés, sans ordre bien défini, du genre Alfred manger banane ou Alfred lapin tuer. En somme le vocabulaire aurait été déjà présent, mais pas la grammaire. Un tel système de communication suffit de fait à échanger de l'information factuelle, ce qui aurait permis à cette espèce de s'adapter aux conditions environnementales très diverses qu'elle a dû rencontrer lors de son expansion hors du berceau africain. » (DESSALES, PIQ, & VICTORRI, 2006)

De cette pluridisciplinarité, Victorri (2002) tire une conclusion selon laquelle le passage du protolangage vers le langage est une contrainte sociale qui cherche la préservation de l'espèce des dangers des comportements dits « intelligents » au niveau individuel mais complètement antisociaux. Nous pouvons également avoir un observable équivalent de ce basculement dans notre société actuelle, à des échelles diverses. Au niveau de la nation, il y a l'ordre constitutionnel qui informe tous les types de pouvoir de manière à garantir la paix entre compatriotes. Nous incluons à dans le type de pouvoir, le pouvoir de la rue, à côté des pouvoirs classiques : législatif, judiciaire, exécutif. Au niveau transnational, il y a notamment les différentes conventions et chartes ratifiées par plusieurs nations à travers un organisme délibératif tel que les Nations Unies.

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Mais plus encore, en dépit de l'apparente domination des religions allogènes dans les pays d'Afrique, il faut admettre que cette intrusion n'a fait que laminer les religions traditionnelles qui sont issues des premières littératures. Par premières littératures, il faut entendre ces récits à l'aube de l'humanité qui instituent une régulation du social. Du mythe au conte en passant par les proverbes, ces récits forment ce qu'on appelle maintenant oraliture, un juste regain d'intérêt après plusieurs siècles de mépris au profit de ce que l'on appelle pompeusement « texte d'auteur », lamineur également.

En effet, il est loisible d'observer dans les mariages traditionnels, en opposition simultanément au mariage religieux et au mariage civil, des pratiques sémiolinguistiques qui relèvent des mythes. Parmi lesquelles, nous pouvons citer l'interdit de l'inceste,

D'après les textes de Victorri, le passage du protolangage vers le langage naît de la nécessité de raconter des événements qui ne sont plus, ou qui ne sont pas encore, de manière à créer un spectacle linguistique devant des auditeurs auprès de qui le locuteur poursuit des buts pragmatiques. Les textes de Victorri sont le fruit d'une recherche interdisciplinaire dans le but s'expliquer pourquoi il y avait un goulot d'étranglement sur le plan phylogénétique. C'est-à-dire, il s'agit de répondre à la question de savoir ce qui a fait se tarir une branche de l'Homo erectus : le Néanderthalien et qu'est-ce qui a permis à notre espèce d'éviter cette extinction.

Trois types d'explication de cette extinction ont été avancés, à savoir : le climat, une épidémie ou la compétition. Mais ces causes exogènes sont écartées les unes après les autres car elles ne sont pas conformes à la capacité d'adaptation de l'homo sapiens, d'autant qu'elles n'expliqueraient pas pourquoi une branche de l'homo erectus avait résisté à ces catastrophes généralisées. En effet, la thèse du climat, à la période de la glaciation qui aurait conduit à la disparition de gros gibiers dont dépendait l'homme pour se nourrir s'effrite contre la survivance même de nos ancêtres communs. Il en est de même pour les thèses de l'épidémie ou de la compétition. Autrement dit, toutes causes exogènes ne peuvent pas expliquer la disparition du Néandertalien, justement parce qu'elles entrent en contradiction avec la survivance du cousin proche du Néandertalien : notre ancêtre archaïque.

On sait aujourd'hui que l'hominisation de l'espèce a duré à peu près sept à huit millions d'années, l'apparition d'homo erectus, il y a environ un peu plus d'un million d'années, et l'homo sapiens, à peine huit cent mille ans. Autrement dit, de l'homo erectus à l'homo sapiens, coïncide exactement le passage du protolangage au langage. C'est-à-dire que l'hominisation de l'espèce n'est pas un fait aussi simple comme le ferait croire ce scénario dessiné ici à grands traits, mais il semble qu'en matière de langage, l'étape cruciale a été la fabrication du premier outil comme aptitude à la symbolisation, il s'agit du silex biface du chasseur paléolithique.

Le fait pertinent, pour notre propos, dans la fabrication d'un tel outil est la conversion de la topothèse en chronothèse. Pour émonder le jargon, disons que l'outil libère l'homme de l'événementiel ou du factuel par refus du hic et nunc pour introduire une dimension temporelle dans son appréhension du monde. En effet, l'outil implique nécessairement un

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objet absent qui est remplacé par son image, c'est cet objet absent qui détermine la forme de l'outil, c'est-à-dire son sens, ce à quoi il est destiné. La linguistique praxématique qui se refuse de se situer dans le sillage du structuralisme saussurien fonde d'ailleurs notion du praxème sur cette base de l'outil symbolisant, voici ce qu'en dit Robert Lafont :

« L'hominisation de l'espèce commence lorsque l'individu se sert d'un objet pour en modifier un autre en vue d'une action que ce second assume : lorsque le chasseur modifie la forme d'un caillou pour en faire une arme contre un gibier éventuel. Éventuel : il faut bien dans l'opération de fabrication d'un instrument, qu'un troisième objet soit absent et remplacé par son image. La "certitude sensible" nécessaire au travail est prise en charge par la représentation. Un langage qui relaie le geste déictique est là pour épouser le mouvement de naissance de l'activité sémiotique. Le sens surgit. C'est ce sens que nous lisons quand nous interprétons comme instrument la modification non accidentelle d'un silex : le signe d'une activité qui opère dans l'absence de son objet. » (LAFONT, 1978, p. 19)

C'est ce qui a permis à la praxématique de définir le praxème (monème) comme unité de production de sens et non doué de sens, une position qui s'inscrit adéquatement dans la thèse de la relativité linguistique, découverte pourtant au sein du structuralisme :

« Mais le praxème n'est pas exactement le monème ou le morphème. Ou il ne l'est, si l'on veut, que comme unité formelle. [...]. Il n'est pas "doué d'un sens". Il est l'unité pratique de production du, ce qui est fort différent ; comme l'acte produit par l'outil, lui-même produit par le travail, ne se confond pas avec l'outil, même si la forme de l'outil lui donne déjà une forme. » (LAFONT, 1978, p. 29)

Ainsi, s'il est admis que le langage opère en l'absence de son objet à titre d'outil, sa dimension pragmatique devient une évidence majeure que l'on peut rattacher à son origine. La pragmatique comme modification de rapport interlocutif ou intersubjectif est à la source des premières mises en forme discursive. Pratiquement, toutes les disciplines en sciences humaines s'accordent pour appeler ces premières formes discursives de « mythe », dont la propriété essentielle est son anonymat par lequel il tire son efficience pragmatique. Ce qui veut dire exactement que la fonction du mythe est de réguler la société. Il y a donc lieu de supposer que c'est un défaut de langage qui aurait conduit à l'extinction du Néanderthalien : une cause endogène.

On constate que chez les mammifères sociaux, les compétitions au sein du groupe aboutissent à des combats qui ne se soldent que très exceptionnellement à la mise à mort du vaincu (LORENZ, 1970) puisque la régulation se fit au niveau biologique. Chez l'homme, par contre, la régulation se fait au niveau socioculturel et non au niveau biologique :

« Les comportements à prohiber, tels que tuer son frère ou son père par exemple, font l'objet d'interdits explicites dans toutes les sociétés humaines. » (VICTORRI, 2002)

Ces interdits explicites sont accomplis, de manière illocutoire, par les mythes qui racontent comment les choses se sont passées au commencement. De cette manière raconter ce qui s'est passé c'est éviter qu'il ne se reproduise. Il serait très intéressant d'analyser le

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caractère fabuleux de l'histoire narrée dans les mythes, mais il y a lieu de croire que le fabuleux des mythes a pour source une cause interne : c'est un langage qui est en train de se construire et que par la suite, le caractère exclusivement oral de sa transmission n'a fait que renforcer la place des référents évolutifs fictionnels. Mais que racontent exactement les mythes ? Ils racontent des crises de violence à cause de rivalité pour mener le groupe ou pour la possession des femmes ou même pour la possession des ressources. Voici comment Victorri présente cette narrativité dont la force illocutoire est d'interdire :

« Notre thèse peut alors se résumer de la manière suivante. Pour échapper aux crises récurrentes qui déréglaient l'organisation sociale, nos ancêtres ont inventé un mode inédit d'expression au sein du groupe : la narration. C'est en évoquant par la parole les crises passées qu'ils ont réussi à empêcher qu'elles se renouvellent. Le langage humain s'est forgé progressivement au cours de ce processus, pour répondre aux besoins nouveaux créés par la fonction narrative, et son premier usage a consisté à établir les lois fondatrices qui régissent l'organisation sociale de tous les groupes humains. » (VICTORRI, 2002)

Cet auteur souligne par ailleurs qu'une étape importante de cet acheminement vers le langage est la ritualisation du comportement narratif : il faut raconter périodiquement les récits des crises pour éviter leur conséquence qui risque d'être infini. Nous allons maintenant voir de près ce que c'est la narrativité. Mais désormais, nous retenons de cette introduction que la narrativité est commandée par des buts pragmatiques. Dresser le spectacle linguistique d'un événement qui n'est plus a pour but illocutoire d'interdire qu'il se reproduise, dès lors il faut comprendre les premières littératures, que sont les mythes, comme un principe de régulation sociale qui protège l'intérêt collectif contre des déchaînements de violence commandés par des intérêts individuels. C'est faute de disposer de cette narrativité qui fait passer le protolangage vers le langage que la branche du Néandertalien s'est complètement éteinte.

1.2. LA NARRATIVITÉ

Dans les sciences humaines, la narratologie est une discipline à part entière, mais elle tend de plus en plus à envahir tout le champ cognitif de diverses disciplines. En tout cas, la narrativité fait échec à la volonté de diviser les textes en types parmi lesquels on distingue : l'informatif, l'explicatif, l'argumentatif, le descriptif. En réalité, un texte ne peut pas être défini exclusivement par un seul type, une description de femme peut être, par exemple, un argument sur sa séduction et peut expliquer en outre pourquoi tel ou tel individu s'est ruiné pour elle.

Par contre ce qui semble être une certitude, c'est que tout texte est de nature narrative. Cette position dominante de la narrativité dans tous les textes est expliquée de la manière suivante par Umberto ECO :

«Face à l'ordre "Viens ici", on peut élargir la structure discursive en une macroproposition narrative du type "il y a quelqu'un qui exprime de façon impérative

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le désir que le destinataire, envers qui il manifeste une attitude de familiarité, se déplace de la position où il est et s'approche de la position où est le sujet d'énonciation". C'est, si on le veut, une petite histoire, fût-elle peu importante.» (ECO, 1985, p. 185)

Autrement dit, toute production linguistique de rang de l'énoncé reçoit son intelligibilité par son insertion dans la logique narrative, comme le montre cette narrativisation de l'ordre « Viens ici » dans ce passage. Les textes littéraires, poème ou prose se plient également à une logique narrative qui permet de dire qu'ils prennent naissance à partir d'un manque et qu'ainsi, leur énonciation a pour but la liquidation du manque.

Un autre argument pour la prégnance du narratif dans tout discours nous vient de BARTHES qui soutient son universalité et sa capacité de s'inscrire dans n'importe quelle sémiotique : « Innombrables sont les récits du monde. C'est d'abord une variété prodigieuse de genres, eux-mêmes distribués entre des substances différentes, comme si toute matière était bonne à l'homme pour lui confier ses récits : le récit peut être supporté par le langage articulé, oral ou écrit, par l'image, fixe ou mobile, par le geste ordonné de toutes les substances ; il est présent dans le mythe, la légende, la fable, le conte, la nouvelle, l'épopée, l'histoire, la tragédie, le drame, la comédie, la pantomime, le tableau peint, le vitrail, le cinéma, les comics, le fait divers, la conversation. De plus, sous ses formes presque infinies, le récit est présent dans tous les temps, dans tous les lieux, dans toutes les sociétés ; le récit commence avec l'histoire même de l'humanité. » (BARTHES, 1966, p. 1)

Cette dernière remarque qui consiste à dire que le récit commence avec l'histoire même de l'humanité n'est pas sans confirmer les résultats des recherches sur l'origine du langage ; à savoir que l'hominisation de l'espèce coïncide avec le passage du protolangage vers le langage. Cette convergence nous permet de dire que la narrativité est l'essence du langage.

Par ailleurs, d'Etienne Souriau (1950) à Greimas (1966b) en passant par Vladimir Propp (1970 (or. 1958)), les récits servent à la découverte de la narrativité. Cette procédure de découverte du mécanisme narratif à partir du matériau du récit est une démarche déductive mais confirme une fois de plus la prégnance de la narrativité dans l'acquisition du langage. De plus, il est très instructif de constater que le matériau narratif de cette découverte soit justement des contes populaires (PROPP) ou des mythes (GREIMAS), c'est-à-dire des productions linguistiques que l'on peut ranger dans ce que nous avons appelé ici « première littérature ». Ainsi, GREIMAS (1966b, pp. 29-30) est parvenu à une description simple de l'algorithme narratif :

« Une sous-classe de récits (Mythes, contes, pièces de théâtre, etc.) possède une caractéristique commune qui peut être considérée comme la propriété structurelle de cette sous-classe de récits dramatisés : la dimension temporelle, sur laquelle ils se trouvent situés, est dichotomisée en " un avant vs un après".

À cet "avant vs après" discursif correspond ce qu'on appelle un "renversement de situation" qui, sur le plan de la structure implicite, n'est autre chose qu'une inversion des signes du contenu. Une corrélation existe ainsi entre les deux plans : »

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Avant

?
Après

Contenu inversé

Contenu posé

En parlant de sous-classe de récits, nous ne pouvons que conclure à une attitude prudentielle à une étape précise de la recherche, car nous avons déjà pu constater avec Umberto ECO la généralisation de la narrativité à tout texte. Néanmoins, on peut tenir cet algorithme pour valable pourvu qu'il soit compris comme une version faible de celui-ci :

« Un récit idéal commence par une situation stable qu'une force quelconque vient perturber. Il en résulte un état de déséquilibre ; par l'action d'une force dirigée en sens inverse, l'équilibre est rétabli ; le second équilibre est semblable au premier mais les deux ne sont jamais identiques. » (TODOROV, 1971-1978, p. 50)

De cette exploration de la narrativité, nous retenons ceci : une fois le monde converti en récit, la catégorie du réel s'évanouit comme une question inutile. En effet, selon les thèses de B. VICTORRI, le langage serait né par la nécessité d'évoquer une crise passée chez les populations du paléolithique. C'est-à-dire qu'il s'agit de transférer des événements abolis du passé dans le présent de l'énonciation sous forme de spectacle linguistique.

Cette manière de faire s'adresse avant tout à l'intelligence et de cette manière s'inscrit dans un rapport interlocutif. Il s'ensuit que la conformité du récit à ce qui s'était passé vraiment importe peu, ce qui compte c'est la logique narrative qui s'y expose, une logique que l'on peut résumer de la sorte : une lutte pour la hiérarchie sociale conduirait à l'anéantissement de toute la population par un déchaînement de violence incontrôlable. L'objectif de notre apprenti narrateur, celui du paléolithique, était donc de parvenir à développer cette matrice sémantique de manière à obtenir l'adhésion du public sur la valeur illocutoire de son récit. En effet, la logique narrative fait en sorte qu'une minute de récit peut contenir cent ans d'histoire. Mais voyons comment VICTORRI s'imagine les choses :

« Supposons alors que notre apprenti narrateur arrive à faire comprendre qu'il veut évoquer l'un des acteurs de cette crise passée, en utilisant quelque procédé mimétique : imitant l'une de ses particularités physiques, un animal qu'il aimait chasser, son cri favori, etc. Le succès d'une telle évocation était susceptible de produire une impression très forte sur tout le groupe : pour la première fois l'image d'un membre disparu du groupe apparaît devant eux, chacun prenant conscience que les autres partagent la même « vision ». Ce qui était cantonné dans des mémoires individuelles devient l'objet d'une attention collective, acquiert une présence intersubjective, « magique », qui frappe profondément les esprits. Le narrateur peut alors progresser tant bien que mal dans son proto-récit, faisant revivre les personnages devant le groupe subjugué, conscient de vivre collectivement une expérience tout à fait nouvelle. Cette conscience collective renforce la cohésion du groupe et lui confère un nouveau pouvoir. » (VICTORRI, 2002)

Nous retenons de cette hypothèse tout à fait probable que s'il y a référence évolutif fictionnel dans de pareils récits, c'est parce que le narrateur s'efforce de référer à un personnage de manière métonymique (le cri de l'animal qu'il aime chasser) ou synecdochique ou métaphorique, d'une part, parce que c'est un langage qui est en train de se construire et

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d'autre part parce qu'il se trouve dans l'obligation d'obtenir l'adhésion de son auditoire. Ce sont référents évolutifs fictionnels qui ont conduit par la suite les analystes à les comprendre comme une dimension du merveilleux, alors qu'en réalité, il s'agit d'un problème de référence qui n'empêche pas l'intelligibilité de la logique narrative. Actuellement, puisque nous ne sommes plus confrontés à un problème de référence avec les outils sémantico-grammaticaux dont nous disposons, ces références évolutives nous semblent être une naïveté du narrateur, ce qui a longtemps porté un discrédit aux récits oraux comme les mythes ou les contes.

Il y a donc avantage à penser que c'est la logique narrative qui rend supportables les référents évolutifs fictionnels et quelques autres incohérences dans les textes concernés. Le paradoxe de cette situation peut s'expliquer par confrontation avec le langage des mathématiques. Quand dans un énoncé, nous lisons ax2 + bx + c = 0, nous ne nous demandons pas de quel « x » il s'agit, ni quel est le référent de « x », nous devons agir de même dans les récits qui sont commandés par des buts pragmatiques.

Il faut bien admettre pourtant que la réalité est le lieu duquel le langage s'est levé, mais dans la mesure où ce n'est plus un protolangage, mais justement un langage, il s'est arrogé le droit à l'autonomie pour servir essentiellement le rapport interlocutif. Cependant, il ne faut pas radicaliser l'autonomie linguistique, car en réalité, il s'agit d'affirmer la propriété isomorphe du langage et du monde des objets ; pour l'illustrer faisons appel à Robert de MUSIL :

« [...], si l'on veut un moyen commode de distinguer les hommes du réel des hommes du possible, il suffit de penser à une somme d'argent donnée. Toutes les possibilités que contiennent, par exemple, mille marks, y sont évidemment contenues qu'on les possède ou non ; le fait que toi ou moi les possédions ne leur ajoute rien, pas plus qu'à une rose ou à une femme. Mais disent les hommes du réel, "le fou les donne au bas de laine et l'actif les fait travailler"; à la beauté même d'une femme, on ne peut nier que celui qui la possède ajoute ou enlève quelque chose. C'est la réalité qui éveille les possibilités, et vouloir le nier serait parfaitement absurde. Néanmoins, dans l'ensemble et en moyenne, ce seront les mêmes possibilités qui se répéteront, jusqu'à ce que vienne un homme pour qui une chose réelle n'a plus d'importance qu'une chose pensée. C'est celui-là qui, pour la première fois, donne aux possibilités nouvelles leur sens et leur destination, c'est celui-là qui les éveille. » (MUSIL, 1982, pp. 18-19)

Autrement dit, que ce soit un événement réel, ou un événement raconté ; il implique toujours la même intelligibilité narrative. Très brièvement, la logique narrative est une disposition d'intelligibilité qui empêche qu'à aucun moment un élément simple ne renvoie qu'à lui-même. La logique narrative fait que le monde n'est pas un référent ultime, mais qu'en passant à travers lui, le mouvement de la référence s'arrache de la nécessité d'existence pour s'engager vers une référence textuelle que nous appellerons à la suite de RIFFATERRE « référence horizontale » (1979, p. 37 et passim) qui est un renvoi de texte à texte.

Ce qui veut dire encore que la signification cesse d'être celle du discours synthétique et bascule vers l'univers de la vérité analytique. C'est de cette manière que le langage s'autonomise et qu'il y a lieu de dire qu'une fois le monde converti en discours la catégorie du

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réel s'évanouit comme une question inutile. La référence horizontale fait que dès qu'une figure du monde est posée dans un discours, la référence au monde extralinguistique importe peu, ce qui devient important c'est l'intelligibilité de la figure en ce qu'elle peut être autrement. La figure s'inscrit dans un parcours temporel où elle peut perdre des propriétés et en acquérir d'autres. De cette manière, il n'y a rien que du langage dans le langage.

Dans la logique narrative, les contraires ne s'opposent pas mais coexistent en polémiquant. C'est ainsi que dans la sémiotique narrative, le programme narratif consiste en un passage d'un état de disjonction vers un état de conjonction à un objet du désir. Avec son style propre, QUINE nous apprend avec une pointe d'exacerbation la même chose, c'est-à-dire, l'impossibilité du langage d'être une tautologie du réel :

« C'est pourquoi que j'ai dit et redit et au fil des années qu'être, c'est être la valeur d'une variable. Plus précisément, ce que l'on reconnaît comme être est ce que l'on admet comme valeurs des variables liées. » (QUINE, 1980, p. 51)

Nous allons nous servir de cette dernière propriété du narratif pour essayer de résoudre le problème de la question de l'obligation juridique introduite dans la compréhension de la valeur illocutoire.

1.3. L'ILLOCUTOIRE

Nous savons que dans un premier temps la performativité est rattachée à des verbes sui-référentiels, c'est-à-dire des verbes qui accomplissent ce qu'ils signifient moyennant une énonciation à la première personne du présent de l'indicatif. On constate effectivement que ces verbes ne fonctionnent pas de la même manière que ceux qui décrivent une action dans l'univers extralinguistique. Dire par exemple : je laboure la terre implique la présence d'une portion de terre et d'un outil de labour comme la bêche sans parler de l'énergie que le laboureur doit déployer et d'autres foules d'environnements dans le monde extralinguistique qui rendent possible le labour.

Contrairement à cela, dire Je vous remercie fait référence à sa propre énonciation pour l'accomplissement de l'acte de remercier. Il n'est question ici de renvoyer à des référents extralinguistiques. On peut nous rétorquer dans ce dernier exemple que « je » et « vous », renvoient à des référents extralinguistiques. Cet argument tombe si l'on tient compte de la définition des pronoms dans les textes de BENVENISTE (1970). Il s'agit, en effet, pour ces pronoms de ce que BENVENISTE appelle « individus linguistiques » parce qu'ils naissent d'une énonciation :

« Les formes appelées traditionnellement « pronoms .personnels », « démonstratifs » nous apparaissent maintenant comme une classe d'«individus linguistiques», de formes qui renvoient toujours et seulement à des « individus », qu'il s'agisse de personnes, de moments, de lieux, par opposition aux termes nominaux qui renvoient toujours et seulement à des concepts. Or le statut de ces « individus linguistiques » tient au fait qu'ils naissent d'une énonciation, qu'ils sont produits par cet événement individuel et, si l'on peut dire, « semel-natif ». Ils sont engendrés à

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nouveau chaque fois qu'une énonciation est proférée, et chaque fois ils désignent à neuf. » (BENVENSITE, [1974] 1981, p. 83)

Ainsi définie, la performativité ne concerne que des éléments limités de la langue et ne mérite pas par conséquent l'engouement ayant conduit à l'émergence de la pragmatique comme discipline. Pour prendre la mesure de cette émergence, reprenons la distinction entre l'énoncé performatif et l'énoncé descriptif.

Un énoncé performatif accomplit ce qu'il signifie. Ce qui implique qu'il ne peut pas être soumis à la question de la véridiction bien qu'AUSTIN ait parlé de performativité insincère. Mais le fait le plus important demeure être la sui-référentialité : pour accomplir un acte de langage, il n'est besoin que de l'énonciation dans les conditions décrites supra. Par contre, un énoncé descriptif (constatif dans le vocabulaire d'AUSTIN) peut être soumis au test de la véridiction et sanctionné de vrai si les conditions extralinguistiques sont conformes à ce qui est dit et de faux dans le cas contraires.

La distinction semble radicale, mais plus tard, AUSTIN s'est aperçu que même les énoncés constatifs peuvent avoir un préfixe performatif ; il s'ensuit une généralisation de la performativité à tous les énoncés, c'est ce qui a rendu à la pragmatique sa lettre de noblesse. Ainsi, par exemple, dire que La terre est ronde équivaut à J'affirme que la terre est ronde. Les deux énoncés accomplissent une affirmation ; implicite dans le premier et explicite dans le second. Leur force illocutoire est donc une affirmation.

Il est vrai qu'accomplir une affirmation relève d'une énonciation, mais la question que nous allons soulever revient à se demander à consiste exactement une affirmation dans le contexte interlocutif. En tenant compte de l'émergence du langage relativement à la narrativité, il y a lieu de croire qu'elle a pour but d'emporter l'adhésion de l'interlocuteur sur ce qui est affirmé sans qu'il faille vérifier si cette adhésion est acquise ou non. Cette vérification entre en contradiction avec la théorie car elle rejette l'énonciation dans le constatif.

Autrement dit, faire une affirmation, c'est une intention qui consiste à faire passer l'interlocuteur du scepticisme vers un état de croire ou quelque chose de ce genre. Dès lors nous retrouvons l'algorithme narratif à la base de l'émergence du langage comme le soulignent les textes de VICTORRI auxquels nous faisons référence. Il nous semble que cette narrativité est un argument décisif dans la saisie et l'évaluation de la performativité. S'il nous faut un argument de plus pour attester que la narrativité est l'essence du langage, il n'est que de renvoyer à PEIRCE dont l'édification sémiotique se base également sur un principe de transformation narrative :

« Comment le développement est-il possible ? Comment la science, l'art et la technologie évoluent-ils ? PEIRCE répond que la synthèse n'est possible que grâce à la représentation. Être et devenir, c'est être représentable, et il affirme que la représentation est une succession ordonnée ». (PEIRCE, 1979, p. 62)

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Ce qui veut dire si les actes de langages sont possibles, c'est parce que le devenir est inscrit dans l'être et que toute communication n'est pas une tautologie du réel mais une intention de modifier le rapport intersubjectif par une mise en commun entre destinateur et destinataire de la même représentation comprise comme une transformation ou une succession ordonnée d'états.

Ainsi, se représenter la terre comme ronde, c'est une manière de s'opposer à toutes autres formes de la terre et vise à partager cette information à autrui selon la logique de disjonction et de conjonction d'objet, avec cette différence près que l'objet du désir est ici un objet fiduciaire. S'il en est ainsi, il devrait en être de même pour tous les autres types d'acte de langage. Pourtant, ce n'est pas sur la base de la narrativité que les tenants de la pragmatique fondent leur analyse, mais plutôt sur une participation de l'interlocuteur. Tout se passe comme si l'acte de langage ne peut pas être accompli sans l'adhésion effective de l'interlocuteur au désir du locuteur.

Pour nous bien situer au niveau terminologique qui n'est pas sans incidence avec l'évolution de la théorie vers la performativité généralisée telle que cette dernière est esquissée ici, rappelons que :

« Pour remplacer la distinction insuffisante qu'il avait d'abord tracée entre le performatif et le constatif, AUSTIN propose dans How to Do Things with Words, de distinguer plutôt le fait d'énoncer une phrase avec une certaine signification (meaning), constituée par ce qu'il appelle « le sens (sense) et la référence » (acte locutionnaire), et le fait d'énoncer une phrase avec une certaine force (acte illocutionnaire), c'est-à-dire le fait de l'utiliser pour une assertion, une question, un ordre, un avertissement, un souhait, etc. » (BOUVERESSE, 1971, pp. 385-386).

S'il est admis qu' « illocutoire »1 et « illocutionnaire » désigne exactement la même chose, adopter la terminologie signifie donc accepter la généralisation de la performativité, et il est employé à cet effet. Ceci admis, essayons de résoudre le problème de l'illocution décrite hors de la narrativité.

Chez DUCROT, la pragmatique s'inscrit dans une sémantique qui s'oppose également à faire du langage une tautologie du réel parce qu'il conçoit l'interprétation d'un énoncé comme une lecture de la description de son énonciation :

« Autrement dit le sens d'un énoncé est une certaine image de son énonciation, image qui n'est pas l'objet d'un acte d'assertion, mais qui est, selon l'expression des philosophes anglais du langage, « montrée » : l'énoncé est vu comme attestant que son énonciation a tel ou tel caractère (au sens ou un geste expressif, une mimique, sont compris comme montrant, attestant que leur auteur éprouve telle ou telle émotion) » (DUCROT, 1981, p. 30)

Avec une telle définition, il est évident que DUCROT se situe dans le performatif implicite. C'est-à-dire qu'il effectue le choix délibéré, dans le champ de la performativité généralisée, d'ignorer les constatifs qui contiennent un préfixe performatif. Ce choix est

1 Il est préférable d'employer « illocutoire » à cause de son économie

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largement justifié dans la mesure où ses analyses concernent des morphèmes comme « puisque » ou « mais ».

Ce qui veut dire que le problème qui nous intéresse est ailleurs, il est dans l'introduction de l'allocutaire ou de l'interlocuteur dans la compréhension de l'illocutoire. Tout en admettant que locuteur et allocutaire n'ont pas de réalité empirique, ce qui implique qu'ils sont des individus linguistiques au sens de BENVENISTE, DUCROT fait intervenir néanmoins la référence extralinguistique dans la caractérisation de l'énonciation. Voici le passage qui justifie l'introduction subreptice de la référence mondaine dans un domaine qui l'exclut :

« J'admets en effet, comme il est devenu banal de l'admettre, qu'on ne peut décrire le sens d'un énoncé sans spécifier qu'il sert à l'accomplissement de divers actes illocutoires, promesse, assertion, ordre, question, etc. Or reconnaître cela, c'est reconnaître que l'énoncé commente sa propre énonciation en la présentant comme créatrice de droits et de devoirs. Dire que c'est un ordre, c'est dire par exemple que son énonciation a le pouvoir exorbitant d'obliger quelqu'un à agir de telle ou de telle façon ; dire que c'est une question, c'est dire que son énonciation est donnée comme capable par elle-même d'obliger quelqu'un à parler, et à choisir pour ce faire un des types de parole catalogués comme réponses » (DUCROT, Ibid)

Lu de cette manière, l'illocutoire fait du langage non plus une tautologie du réel, mais l'inverse, un créateur du réel. Dans le cas de l'ordre, cela est très clair puisque l'ordre oblige celui à qui il est donné à agir conformément à son contenu sémantique. En effet, si quelqu'un me demande d'ouvrir la porte, je peux rester parfaitement silencieux et donner pour toute réponse une réaction musculaire. Il y a donc interpénétration du linguistique avec la réalité à la manière d'un pouvoir démiurgique.

Mais que va-t-on conclure dans le cas où l'ordre d'ouvrir la porte est parfaitement compris de l'interlocuteur et qu'il refuse d'obéir ? Doit-on conclure que l'ordre n'a pas été effectué ? Ou encore va-t-il falloir, comme le soutiennent certaines théories, que l'ordre place l'interlocuteur devant l'alternative d'obéir ou de désobéir ? Ou bien, va-t-on conclure que le démiurge a perdu ses pouvoirs ?

Toutes ces questions tombent d'elles-mêmes si l'on prend soin de faire soigneusement la différence entre les conventions linguistiques qui allient une forme à un contenu et les conventions sociales qui peuvent être reprises en termes linguistiques mais qui existent en dehors du langage. En effet, il existe des situations où des conventions sociales viennent appuyer les conventions linguistiques. Ainsi, une déclaration qui atteste de la réussite à un examen ne peut être faite que par des membres du jury. C'est ce qu'on appelle des « personnes habilitées » dans le langage d'AUSTIN.

Les membres du jury ressortent de conventions sociales que garantissent des institutions. En réalité, les personnes habilitées de cette sorte ne sont jamais absentes de toute organisation sociale et leurs paroles, dans les conditions rituelles requises, sont effectivement créatrices de droits et de devoirs. Mais du point de vue épistémologique, cette

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référence à des conventions sociales risque d'amener l'analyse à renoncer aux énoncés que ne supporte aucune convention sociale.

Aucune convention sociale ne vient au secours d'un acte linguistique comme la promesse. Il n'y a pas d'institution qui garantit la promesse. Ce qui veut dire que l'acte de langage que constitue le fait de dire « Je promets » peut être effectué par tout sujet parlant. S'il existait quelque chose comme une convention sociale garantissant la promesse, alors tout ce qui est promis doit être tenu. Justement, le rappel sous forme de sentence qui consiste à dire « chose promise, chose due » témoigne du non accomplissement de certaine promesse ; et nous sommes confrontés tous les jours, dans le monde de la publicité, à des promesses qui ne sont jamais tenues.

Quand GREIMAS nous dit que le monde n'est pas un référent ultime (1970, p. 52), il nous indique que la véritable référence est un système de renvois de signe à signes. De ce point de vue, il se situe dans le sillage de HJELMSLEV pour qui dans le langage, il n'y a que du langage comme le souligne le passage suivant qui commente la position de SAUSSURE sur la préexistence de la substance au signe :

« Mais cette expérience pédagogique, si heureusement formulée qu'elle soit, est en réalité dépourvue de sens, et Saussure doit l'avoir pensé lui-même. Dans une science qui évite tout postulat non nécessaire, rien n'autorise à faire précéder la langue par la "substance du contenu" (pensée) ou par la "substance de l'expression" (chaîne phonique) ou l'inverse, que ce soit dans un ordre temporel ou dans un ordre hiérarchique. Si nous conservons la terminologie de Saussure, il nous faut alors rendre compte - et précisément d'après ses données - que la substance dépend exclusivement de la forme et qu'on ne peut en aucun sens lui prêter d'existence indépendante. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 68)

Ce qui nous permet de comprendre que lire la description d'une énonciation pour interpréter le sens d'un énoncé - au sens de DUCROT - c'est lier une forme à une substance. C'est-à-dire : demeurer dans le langage. De cette manière, nous pouvons éviter, au niveau épistémologique de procéder à la mise à l'écart comme conséquence du choix entre la cohérence et la complétude. Rappelons que l'introduction de l'allocutaire dans la compréhension de l'illocution écarte les énoncés du type « je promets ». Nous pouvons illustrer cette relation de la forme de l'énonciation à une substance qui fait office dans cette sémiotique de force illocutoire.

Dans une Faculté, le nom et le prénom du Doyen sont parfaitement connus du milieu, mais ce n'est pas la même chose que de s'adresser à lui par son prénom, par son nom ou par son titre bien que ces trois moyens énonciatifs renvoient exactement au même référent. Tout se passe de telle manière que le mouvement de la référence ne s'arrête pas à cet individu extralinguistique, mais le traverse pour atteindre ce que montre la forme de l'énonciation. Ainsi, le prénom montre une certaine intimité dans le rapport interlocutif, le nom patronymique témoigne d'une certaine distance et le titre affiche une distance maximale.

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Le fait que le mouvement de la référence ne s'arrête pas au réel extralinguistique est ce que nous appelons dans ce travail fuite du réel qui permet de s'intéresser à la performativité sans préoccuper d'aucun problème de véridiction puisque la pragmatique se déroule au niveau de l'analycité. Il s'ensuit qu'il faut centrer l'évaluation de la performativité au niveau de l'énonciateur, exclusivement, puisque c'est lui qui réalise l'énonciation d'après des choix qui visent justement des buts pragmatiques.

Le problème épistémologique que nous tentons de résoudre par adoption de cette méthode d'évaluation peut se résumer de la sorte : puisqu'on ne peut pas tout étreindre, il faut donc choisir entre la cohérence et l'exhaustivité ; ou choisir entre la forme et le sens. Cependant, il faut admettre avec Ivan ALMEIDA que :

« Le style d'une telle épistémologie est devenu, tout naturellement, celui de l'epokhé, de la mise entre parenthèses, soit sous forme d'abstraction, soit sous forme d'Ausschaltung, d'écartement. Or, une mise entre parenthèses n'est possible que sur la base d'une reconnaissance préalable de ce qu'on exclut. Et cela au risque de retenir à l'intérieur de la parenthèse, sous forme de différents types de contamination, la mémoire du domaine exclu. » (ALMEIDA, 1997)

Clarifions alors notre option dans le traitement de ce problème. En se rappelant l'objet de ce travail qui consiste à interroger l'implication de la narrativité dans le traitement de l'illocutoire, nous pouvons dire que le rapport interlocutif - au centre de la pragmatique - est un facteur de l'hominisation de l'espèce. Or, d'après les textes de VICTORRI cette hominisation est un passage du protolangage vers le langage par le moyen de la narration qui poursuit un but pragmatique. C'est-à-dire, il s'agit d'une instrumentalisation du langage dans le champ du rapport interlocutif.

Ce but pragmatique peut être in præsentia, c'est-à-dire, analytique comme l'atteste la présence de préfixe performatif dans les énoncés ; ou in absentia, c'est-à-dire catalytique quand la performativité est lue seulement par la forme de l'énonciation. Dans le premier cas, un ordre, par exemple, peut s'énoncer comme suit : Je vous ordonne d'ouvrir la fenêtre.

On voit très mal comment refuser à cet exemple l'effectuation d'un ordre. En effet, la séquence « ouvrir la fenêtre », obtenue par transformation infinitive à cause de la coréférentialité de l'objet second et du sujet du verbe enchâssé, est commentée par « je vous ordonne ». Un commentaire qui engage l'énoncé dans la sui-référentialité, c'est donc une fuite du réel. On peut dire que la séquence qui commente a pour fonction de désambiguïser, et à partir de là, postuler que l'ordre a le pouvoir exorbitant d'obliger quelqu'un à agir - même si ce quelqu'un est considéré comme un individu linguistique - devient un postulat inutile.

Dans le deuxième où le processus illocutoire est catalytique, il nous faut nous référer à l'argument de LAFONT qui considère la fabrication du silex biface, d'un outil comme hominisation de l'espèce. Justement, il faut bien dans l'opération de fabrication d'un instrument, qu'un troisième objet soit absent et remplacé par son image. La "certitude sensible" nécessaire au travail est prise en charge par la représentation. (1978, p. 19). Autrement dit, en l'absence d'un préfixe performatif, la force illocutoire d'un énoncé se lit

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dans la forme de son énonciation au même titre que la forme d'un outil représente déjà le travail qu'il permet d'effectuer.

Dès lors, l'énonciation comme production d'énoncé est une forme de travail qui permet d'accomplir un autre travail ; et nous retrouvons le style épistémologique de HJELMSLEV qui nous apprend que :

« Le sens devient chaque fois la substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être la substance d'une forme quelconque » (1968-1971, p. 70)

Il n'y a donc rien à extraire ni à abstraire, chaque énonciation est une forme qui permet d'accomplir un acte de langage, puisque l'émergence du langage au lieu et place du protolangage est commandée par des buts pragmatiques et que ces buts sont accomplis par la narrativité. Autrement dit, il n'est pas question d'exiger la coopération de l'interlocuteur pour rendre compte de la force illocutoire d'un énoncé, il suffit pour cela d'inscrire l'énonciation dans le cadre de l'algorithme narratif.

Ainsi, pour reprendre l'ordre, il suffit de comprendre, dans la perspective du temps dichotomisé dans le narratif, qu'avant l'énonciation d'une forme linguistique, il n'y a pas d'ordre et après, l'ordre est effectué. Autre avantage de cette radicalisation de l'analyse dans le cadre exclusif de la narrativité, la distinction opérée à l'initial de la théorie entre analyse conversationnelle et analyse discursive n'a plus de pertinence qu'au niveau de choix du corpus ; puisque la généralisation de la performativité à tous les énoncés emprunte la voie de la narrativité qui est l'essence du langage ; que l'on se rappelle ici la manière dont Umberto ECO assigne à la narrativité d'être la trame de tout énoncé.

De cette manière, on peut pareillement rendre compte de la force illocutoire d'une promesse par l'immanence de l'analyse au sein de la narrativité. L'illocutoire est une force qui apparaît ipso facto lors d'une énonciation.

Une promesse a pour but de rassurer le destinataire de la parole, elle est produite à cet effet qu'elle contienne ou non le verbe promettre. Ce qui veut dire que sentant l'inquiétude de son interlocuteur, le locuteur peut recourir à la promesse pour faire passer cette inquiétude vers la quiétude sans qu'il faille juger par la suite de l'effectivité de l'acte ainsi produit par la tenue de la promesse qui peut être un temps relativement long. Du moment que quelqu'un présente à son énonciation une forme reconnaissable comme promesse, la promesse est effectuée ipso facto

Travaux cités

ALMEIDA, I. (1997, Mai). Le style épistémologique de Louis Hjlemslev. Consulté le Juin 20, 2012, sur Texto: http://www.revue-texto.net/Inedits/Almeida_Style.html

BARTHES, R. (1966). Introduction à l'analyse structurale des récits. Dans B. e. Alii, Recherches sémiologiques: L'analyse structurale du récit (pp. 1-27). Paris: Seuil.

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BENVENISTE, E. (1970). Appareil formel de l'énonciation. Langages, pp. 12-18.

BOUVERESSE, J. (1971). La parole malheureuse, de l'alchimie linguistique à la grammaire philosophique. Paris: Les éditions de minuit.

DESSALES, J.-L., PIQ, P., & VICTORRI, B. (2006, Mars 20). " A la rechcerhce du langage originel". Consulté le Mai 5, 2013, sur halshs-00137573, version 1: http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00137573

DUCROT, O. (1981). Analyses pragmatiques. Les actes de discours, Communications 32., pp. 11-60.

ECO, U. (1985). Lector in fabula ou la coopération interprétative dans les textes littéraires. Paris: Grasset.

GREIMAS, A. J. (1966b). élements pour une interprétation des récits mythiques. Dans B. E. Barthes, Recherches sémiologiques: l'analyse structurale du récit (pp. 28-59). Paris: Seuil.

GREIMAS, A. J. (1970). Du sens, Essais de sémiotique,1. Paris: Seuil.

HJLEMSLEV, L. (1968-1971). Prolégomènes à une théorie du langage. Paris: éditions de Minuit.

LAFONT, R. (1978). Le travail et la langue. Paris: Flammarion.

LORENZ, K. (1970). Trois essais sur le comportement animal et humain. Paris: Seuil.

MUSIL, R. d. (1982). L'homme sans qualités. Paris: Seuil.

PEIRCE, C. S. (1979). Ecrits sur le signe. (G. DELEDALLE, Trad.) Paris: Seuil.

PROPP, V. (1970 (or. 1958)). Morphologie du conte. Paris: Seuil.

QUINE, V. O. (1980). à la pousuite de la vérité. Paris: Larousse.

RIFFATERRE, M. (1979). La production du texte. Paris: Seuil.

SOURIAU, E. (1950). Les deux cent mille situations dramatiques. Paris : Flammarion.

TODOROV, T. (1971-1978). Poétique de la prose, Choix, suivi de nouvelles recherches sur le récit. Paris: Seuil.

VICTORRI, B. (2002). Homo narrans: le Rôle de la narration dans l'émergence du langage". Langages, 146, pp. 112-125.

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2. LE SIGNE EN PRAGMATIQUE

RÉSUMÉ

Une des difficultés majeures de la théorie des actes du langage est l'oubli de l'affirmation de Saussure selon laquelle, la langue est une forme et non une substance. Une affirmation que renforce la sémiotique de Hjelmslev qui distingue une forme et une substance du contenu. C'est donc sur la forme que s'appuie la théorie des actes du langage. C'est ce que nous essayons de montrer ici en affirmant que dans le langage, il n'y a que du langage.

Mots clés : illocutoire, constatif, substance, forme, accomplir

ABSTRACT

One of difficulties in theory act of language is the forgetting of Saussure's statement by way the langue is a form, not a substance. A statement reinforced in Hjelmslev's semiotics who distinguish a form and a substance in the content. So, the theory of language act is supported by the form. That is what we attempt to show by this statement: in the language there is nothing else than language.

Key words: illocutionary, constative, substance, form, perform

2.1. INTRODUCTION

Rappelons pour mémoire, qu'au début, la linguistique était une philologie; mais la faille de cette cherche tient au fait qu'elle est idéologiquement une généalogie qui cherche à rattacher la langue étudiée à une racine prestigieuse qui est généralement le grec - puisque c'est la langue de la philosophie - ou l'hébreux - langue d'une grande religion révélée. C'est ainsi qu'elle fut abandonnée au profit du structuralisme saussurien.

L'édifice saussurien est une avancée majeure, mais son inconvénient peut être résumé par l'exclusion du locuteur de la sphère de la linguistique de telle manière que le langage se présente comme une tautologie du réel comme si sa fonction essentielle était de suppléer la présence impossible des choses.

En parlant des actes du langage, le signe cesse d'être un simple système de renvois aux objets du monde. Le blocage de ce renvoi relève du caractère non falsifiable des actes de langage qui sont tout simplement - au plein du verbe « être » comme dans "Il était une fois" de l'exorde des contes - . Les énoncés falsifiables sont susceptibles d'être confrontés au monde référentiel et de la sorte sanctionnés de vrai ou de faux selon leur conformité aux choses.

Les énoncés falsifiables, appelés par AUSTIN de "constatifs" participent à une théorie du signe précise. Nous savons que la linguistique pré-saussurienne fut plutôt de la philologie; une sorte de quête de la langue originelle à partir de laquelle dérivent les langues actuellement connues. Autrement dit, l'édification saussurienne est l'avènement de la linguistique

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structuraliste dont nous retenons trois caractères principaux. Tout d'abord, la question de l'arbitraire du signe, ensuite la structure du signe et la question de la forme.

En ce qui concerne cette structure du signe, nous pouvons dire que l'édification saussurienne se situe au niveau dénotatif: c'est la combinaison du signifiant et du signifié qui constitue le signe, et le signe ainsi obtenu sert à désigner un objet du monde. Il est évident que SAUSSURE n'a jamais envisagé la notion de signe en fonction du monde imaginaire tel que le sphinx ou le minotaure, mais cela n'enlève en rien à la scientificité de son élaboration.

En effet, en tenant compte que le signifiant est la face matérielle du signe et le signifié la face conceptuelle du signe, SAUSSURE précise qu'avant l'apparition du langage ces deux faces ne sont qu'une masse amorphe. La masse du son indistinct pour le signifiant et la masse non moins indistincte de la pensée:

« Prise en elle-même, la pensée est comme une nébuleuse où rien n'est nécessairement délimité. Il n'y a pas d'idées préétablies, et rein n'est distinct avant l'apparition de la langue.

En face de ce royaume flottant, les sons offriraient-ils par eux-mêmes des entités circonscrites d'avance? Pas davantage. La substance phonique n'est pas plus fixe ni plus rigide; ce n'est pas un moule dont la pensée doive nécessairement épouser les formes, mais une matière plastique qui se divise à son tour en parties distinctes pour fournir les signifiants dont la pensée a besoin. » (SAUSSURE, 1982, p. 155)

Si la conclusion tirée de cette présentation de la constitution du signe est exacte; c'est-à-dire l'affirmation selon laquelle:

« La linguistique travaille sur le terrain limitrophe où les éléments de deux ordres [l'ordre du son et l'ordre de la pensée] se combinent; cette combinaison produit une forme et non une substance. » (Ibid. p. 157);

En revanche, cette question de masse qui préexiste au langage n'est pas soutenable.

Le premier argument qui peut militer contre cette préexistence est la facture trop réaliste de la présentation. Tout se passe comme si les idées étaient des entités réelles qu'il suffit de cueillir dans une forme sonore pour les rendre intelligibles. Par ailleurs, s'il suffit d'accueillir dans une forme sonore les entités des idées pour faire langue on ne s'expliquera pas la relativité linguistique. Parce qu'on ne saura pas comment expliquer pourquoi les Inuits ont plus d'une trentaine d'expressions pour désigner la neige et pourquoi les Français n'en ont qu'une.

En tout cas, ce réalisme ne peut pas expliquer pourquoi des idées de chose qui n'existe pas ont une forme linguistique si justement la masse amorphe des idées préexiste à la langue. En effet, cette conception de la linguistique est combattue par de nombreux auteurs car elle consiste à faire du langage une étiquette que l'on colle sur les objets. Si cela était vrai, il y aurait eu une correspondance de termes à termes entre les langues.

Chez CASSIRER par exemple, le langage est une contribution à la construction du monde des objets:

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« Le langage n'entre pas dans un monde de perceptions objectives achevées, pour adjoindre seulement à des objets individuels donnés et clairement délimités les uns par rapport aux autres des "noms" qui seraient des signes purement extérieurs; mais il est lui-même un médiateur dans la formation des objets; il est, en un sens, le médiateur par excellence, l'instrument le plus important et le plus précieux pour la conquête et la construction d'un vrai monde d'objets. » (CASSIRER, 1969, pp. 44-45)

Il est vrai que le monde extralinguistique est l'univers sur lequel le langage s'est levé, mais il n'est pas moins vrai que le langage est autonome et qu'une fois le monde converti en langage la catégorie du réel s'évanouit comme une question inutile. La thèse que nous soutenons ici est donc que dans le langage, il n'y a que du langage. C'est ce que nous dit avec son style propre LAFONT Robert:

« Pour autant que nous avancions à l'intérieur du langage, nous ne connaîtrions jamais que lui et n'atteindrons pas une réalité objective, devant laquelle il s'établit en même temps qu'il en pose l'existence. Nous demeurons pris au spectacle linguistique » (LAFONT, 1978, p. 15)

Cette fuite du réel dans la conception du signe linguistique ne doit pourtant pas être radicalisée au point d'accorder la prééminence au monde des idées par rapport au monde des objets comme c'est le cas dans la philosophie de PLATON; pour éviter cette radicalisation il suffit d'accepter qu'ils ont des propriétés isomorphes. Le passage suivant permet de rendre compte de cette isomorphie:

« [...], si l'on veut un moyen commode de distinguer les hommes du réel des hommes du possible, il suffit de penser à une somme d'argent donnée. Toutes les possibilités que contiennent, par exemple, mille marks, y sont évidemment contenues qu'on les possède ou non ; le fait que toi ou moi les possédions ne leur ajoute rien, pas plus qu'à une rose ou à une femme. » (DE MUSIL, 1982, pp. 18-19)

Le propre du possible est qu'il s'accommode de n'être pas du tout réalisé. Mais alors que reste-t-il de nos moyens pour nous rendre compte du possible? La réponse à cette question est tellement évidente qu'elle est presque occultée par cette évidence: il nous reste le langage pour parler du possible.

C'est ainsi que HJELMSLEV pour trancher entre la conception du signe comme renvoi à quelque chose d'autre et du signe comme autonomie refuse de parler de signe mais de fonction sémiotique qui unit deux grandeurs: l'expression et le contenu et conclut que:

« Le sens devient chaque fois substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être la substance d'une forme quelconque. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)

Ce qui veut dire que la face conceptuelle du signe ne peut exister que dans la face matérielle et ne peut en aucune manière lui préexister. Prenons un exemple de nature quelque peu métaphorique pour illustrer cette relation de solidarité entre les éléments ou les fonctifs d'une sémiotique. Soit une masse d'argile. La masse d'argile ne peut contenir aucune idée ou aucune pensée. Cependant, si l'on donne forme à l'argile, cette forme contient nécessairement une idée ou une pensée comme en témoigne les statuettes d'argile ou toute

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sculpture dans d'autres matières. Robert LAFONT fait partie des linguistes qui sont sensibles à cette solidarité entre les termes d'une sémiotique quand il nous apprend que:

« L'hominisation de l'espèce commence lorsque l'individu se sert d'un objet pour en modifier un autre en vue d'une action que ce second assume: lorsque le chasseur modifie la forme d'un caillou pour en faire une arme contre un gibier éventuel. Éventuel: il faut bien, dans l'opération de fabrication d'un instrument, qu'un troisième objet soit absent et remplacé par son image. La "certitude sensible" nécessaire au travail est prise en charge par la représentation. Un langage qui relaie le geste déictique est là pour épouser le mouvement de naissance de l'activité sémiotique. Le sens surgit. C'est ce sens que nous lisons quand nous interprétons comme instrument la modification non accidentelle d'un silex: le signe d'une activité qui opère dans l'absence de son objet. » (LAFONT, 1978, p. 19)

D'après ce passage, nous en concluons que pour LAFONT, la modification non accidentelle d'un objet est le signe d'une activité sémiotique en l'absence d'une activité pratique: c'est ce qu'il faut admettre par inscription du sens dans une forme. Justement, c'est ce qui se trouve précisé chez HJELMSLEV:

« Nous constatons donc dans le contenu linguistique, dans son processus, une forme spécifique, la forme du contenu, qui est indépendante du sens avec lequel elle se trouve en rapport arbitraire et qu'elle transforme en substance de contenu » (HJLEMSLEV, 1968-1971, pp. 70-71)

Les démonstrations de HJELMSLEV pour l'applicabilité de cette substance et forme du contenu au niveau de l'expression sont nombreuses, notamment la comparaison entre deux prononciations différentes de la même chose entre deux langues différentes dans le cadre d'un emprunt, pour un exemple contextualisé, nous n'avons qu'à comparer la différence de forme entre [divai] et [dyv?]. Ce que les deux formes possèdent en commun est leur substance ou le sens de l'expression.

La langue malgache a un énorme avantage pour la mise en évidence de la forme et de la substance de l'expression puisqu'elle est formée de plusieurs dialectes qui justement marquent des différences de formes pour la même substance de l'expression. Ainsi, pour ne citer que cet exemple, nous avons [aumbi], [umbi], [umbe], [aumbe], [?aub] comme différentes formes de réalisation de l'expression du nom du zébu en malgache.

Si ce principe d'isomorphisme entre l'expression et le contenu est admis, nous allons maintenant nous focaliser sur la forme du contenu comme un pari pour la forme afin de mettre en évidence que si la pragmatique est une théorie de l'action, c'est parce qu'elle est avant tout une analyse de la forme du contenu.

2.2. LA PRAGMATIQUE ET LA THÉORIE DE L'ACTION.

La communication sur le modèle linguistique implique toujours un destinateur et un destinataire. D'un premier abord, il s'agit de communiquer une information. Cependant, il faut admettre que cette vision n'est qu'une synecdoque croissante. À côté de l'acte de langage qui

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consiste à informer, existe une foule d'autres actes, impossible à énumérer car constituant une liste ouverte dont voici les plus courants, il nous semble: demander, donner une information, expliquer, argumenter, approuver, désapprouver, saluer, se présenter, présenter, décrire, conclure, résumer, introduire, exposer, etc.

Comme le dit KOLMOGOROV et CHAÏTIN, « une série de hasards est une série dans laquelle il n'est d'autre détermination des membres que leur énumération » (SAVAN, 1980, p. 11), il nous faut donc caractériser les actes de langage pour convertir la série de hasards en une suite prévisible. Le premier caractère des actes de langage est qu'ils sont une lecture d'une forme: la forme du contenu.

Certaines formes de contenu sont répertoriées en langue et sont facilement identifiables. Ainsi, par exemple, l'acte de langage qui consiste à informer est pris en charge par une forme que l'on appelle "phrase déclarative", la demande d'information relève d'une phrase interrogative; la manifestation d'un étonnement, par une phrase exclamative; et la mise en relief d'un constituant de phrase par une structure emphatique. On peut appeler ces premières formes de "forme générique" parce que chacune d'elles peut contenir une liste infinie. Cette dernière remarque nous amène à la présentation d'une deuxième forme en étroite relation avec la substance du contenu.

C'est ici que l'analyse de LAFONT sur la forme prend toute sa pertinence: la modification non accidentelle d'une forme est en vue d'une action que cette forme permet d'accomplir. Par ailleurs, il est très instructif de faire remarquer que le verbe anglais "to perform" qui se traduit par "accomplir" en français est à la source de la découverte de la notion de performativité.

Ceci nous permet d'embrayer dans la deuxième caractérisation des actes de langage. Il n'est plus question ici de forme générique mais de forme individualisée dont l'apparition est appelée "token". C'est-à-dire, une occurrence singulière d'énoncé que l'on appelle énonciation. Pour mieux clarifier le "token", il est préférable de reproduire le texte de Peirce, son inventeur, à travers une citation qu'en fait RECANATI:

« Une façon usuelle d'estimer le volume d'un manuscrit ou d'un livre imprimé est de compter le nombre des mots. Il y aura ordinairement à peu près vingt "le" par page, et bien sûr ils comptent comme vingt mots. Dans un autre sens du mot "mot", cependant, il n'y a qu'un seul "le" en français; et il est impossible que ce mot soit visible sur une page, ou audible dans une séquence sonore, pour la raison qu'il n'est pas une chose singulière ou un événement singulier. Il n'existe pas; il détermine seulement des choses qui, elles existent. (...) Je propose de l'appeler un type. Un événement singulier qui n'a lieu qu'une fois et dont l'identité est limitée à cette occurrence, ou un objet singulier (une chose singulière) qui est en un certain point singulier à un moment déterminé (...) comme ce mot-ci ou celui-là, figurant à telle ligne, telle page de tel exemplaire particulier d'un livre, recevra le nom de token2. » (RECANATI, 1979, p. 72)

2 Dans Écrits sur le signe, PEIRCE appelle le token "sinsigne" dans lequel mot la syllabe sin est la première syllabe de semel, simul, singulier, etc.). (PEIRCE, 1979, p. 31)

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Il est indiscutable qu'une action ne peut jamais être un type, mais toujours un token parce qu'elle est toujours localisée singulièrement dans le temps et dans l'espace. Même si l'on accomplit exactement à la manière d'un métronome la même action au même endroit. Chacune de ces actions se distinguent les unes des autres par leur différence dans le temps. C'est le cas par exemple d'un ouvrier dans une chaîne de montage. Il en est exactement de même de l'énonciation. C'est que nous apprend justement Jean-Claude ANSCOMBRE:

« Si on entend par réalisation cet événement historique qu'est la production de l'objet, nous parlerons alors d'énonciation: c'est le fait d'apparition d'une occurrence de l'énoncé type » (ANSCOMBRE, 1980, p. 63)

Dès lors, en articulant l'énonciation et l'énoncé, on s'aperçoit que l'énonciation est une production de forme qui indique ce qu'elle accomplit: une action dans le langage plus connue sous l'expression acte de langage. Maintenant la question qui va nous guider consiste à déterminer ce qu'est une action.

Une action se caractérise par son inscription dans une temporalité close que la sémiotique appelle algorithme narratif dont voici le schéma:

Avant Après

Contenu inversé Contenu posé

C'est ce qu'on appelle algorithme narratif de GREIMAS (GREIMAS, "Eléments pour l'interprétation des récits mythiques", [1966b]1981, p. 30) mais il est trop daté qu'il est préférable de prendre sa version plus neutre chez TODOROV:

« Un récit idéal commence par une situation stable qu'une force quelconque vient perturber. Il en résulte un état de déséquilibre ; par l'action d'une force dirigée en sens inverse, l'équilibre est rétabli ; le second équilibre est semblable au premier mais les deux ne sont jamais identiques. » (TODOROV, 1971-1978, p. 50)

Autrement dit, pour caractériser une forme, il suffit de l'inscrire dans la temporalité close du narratif et de la sorte de mesurer la modification entre le temps initial et le temps final sans qu'il faille par la suite vérifier dans le référent mondain ce changement parce qu'il est accompli ipso facto par l'énonciation de la forme en tenant compte de la fuite du réel discutée plus haut.

Ainsi, pour reprendre le cas du verbe "promettre", verbe présent dans les textes d'AUSTIN et toujours cité en pareil cas. En disant "je promets", j'accomplis une promesse parce que la forme de l'outil linguistique a cette signification et que de la sorte mon intention est de faire passer le destinataire de l'incertitude à la certitude ou de quelque chose de ce genre. L'acte de langage est toujours accompli dans et par l'énonciation comme condition nécessaire et suffisante.

Maintenant en précisant le rapport entre forme et sens nous pouvons illustrer que le même sens peut s'incarner dans plusieurs formes et qu'ainsi chaque forme montre une action précise en dépit de l'identité du sens.

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François RECANATI réalise une application intéressante du pari sur la forme opérée à la fois par HJELMSLEV dans son analyse de la sémiotique et en même temps par LAFONT sous forme d'instrumentalisation du langage.

2.3. CARACTÉRISATION DES ACTES DU LANGAGE.

Analyse de la forme et rapport du locuteur au langage. Pour la pragmatique, il faut distinguer énoncé et énonciation de telle manière que si l'attention est focalisée sur l'énoncé, le signe a pour mission de renvoyer à la dénotation par l'intermédiaire de son signifié. C'est la conception moderne du signe qui date avec SAUSSURE. Par contre, si l'attention porte sur l'énonciation, le signe exhibe sa forme pour montrer l'acte de langage que cette forme permet justement d'accomplir.

2.3.1. LA FORME

On peut comprendre que la forme est ce qui détermine le sens d'une chose et que cette forme est une conséquence d'un travail qui n'a pas pour fin cette forme elle-même mais un autre travail qui peut être accompli par cette forme. Dès lors, le langage comme une mise en forme de contenu selon la sémiotique de HJELMSLEV indique ce qui peut être accompli par l'énonciation. De la sorte, nous pouvons comprendre que l'énonciation est cet acte linguistique qui permet de produire un énoncé et notre intention dans la production d'un énoncé est de modifier un rapport interlocutif.

Il est évident que dans cette production, en fonction des paramètres connus sur les acteurs de la communication, nous cherchons le meilleur moyen pour que la forme obtenue soit le plus efficace tout en permettant de respecter les conventions de politesse. En effet, c'est l'énonciation qui donne la forme de l'énoncé et comme le souligne DUCROT:

« Interpréter un énoncé, c'est y lire une description de son énonciation. Autrement dit, le sens d'un énoncé est une certaine image de son énonciation, image qui n'est pas l'objet d'un acte d'assertion, d'affirmation, mais qui est, selon l'expression des philosophes anglais du langage, « montrée » : l'énoncé est vu comme attestant que son énonciation a tel ou tel caractère (au sens où un geste expressif, une mimique, sont compris comme montrant, attestant que leur auteur éprouve telle ou telle émotion) ». (DUCROT, 1980, p. 30)

Cette remarque se situe dans la perspective d'une performativité généralisée, car dans un premier temps, le performatif est compris un acte langage défini par ce que signifie l'expression. C'est le cas des verbes comme "promettre" dont l'analyse pragmatique consiste à dire qu'en disant "je promets", je ne me décris pas en train de promettre au même titre que dire "je travaille" je suis en train de me décrire travaillant, mais seulement en train d'accomplir une promesse. Il s'ensuit que, d'une part, la performativité de "je promets" est présentée comme le type de la classe des verbes qui accomplissent ce dont ils signifient, et que d'autre

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part, "je travaille" est le type de la classe des verbes définis par la tradition structuraliste comme réalisant des énoncés constatifs.

Nous avons donc, d'une part des énoncés performatifs parce que compris non pas comme constatant un état de chose dans le monde extralinguistique, mais accomplissant ce qu'ils signifient; accomplissement autrement impossible que dans et par le langage. D'autre part, nous avons les énoncés constatifs dont la fonction est de représenter un état de chose.

Le passage cité à l'instant de DUCROT est un refus de cette distinction car il assure l'assomption du constatif au rang du performatif en signalant que le performativité ne fait pas nécessairement l'objet d'une mention; mais seulement montrée par la forme de l'énoncé, le matériau linguistique offert à notre observation.

On peut présenter schématiquement cet observable de la manière suivante. Nous savons que le verbe dire est la matrice du paradigme du schéma de la communication dans la mesure où il implique nécessairement trois groupes nominaux qui sont des actants selon la terminologie de Lucien TESNIÈRE ( [1959] 1982, p. 105 & passim) repris par GREIMAS ([1966] 1982) pour identifier le sujet, l'objet et l'objet second qui correspondent respectivement aux rôles de destinateur, d'objet et de destinataire.

Dès lors, le pseudo constatif "je travaille" devient l'objet d'une communication qui part d'un destinateur vers un destinataire, modifiant de la sorte un rapport interlocutif. Une modification que nous n'interpréterons pas dans le sens développé ci-contre par DUCROT:

« J'admets en effet, comme il est devenu banal de l'admettre, qu'on ne peut décrire le sens d'un énoncé sans spécifier qu'il sert à l'accomplissement de divers actes illocutoires, promesse, assertion, ordre, question, etc. Or reconnaître cela, c'est reconnaître que l'énoncé commente sa propre énonciation en la présentant comme créatrice de droits et de devoirs. Dire que c'est un ordre, c'est dire par exemple que son énonciation y est présentée comme possédant ce pouvoir exorbitant d'obliger quelqu'un à agir de telle ou telle façon ; dire que c'est une question, c'est dire que son énonciation est donnée comme capable par elle-même d'obliger quelqu'un à parler, et à choisir pour ce faire un des types de parole catalogués comme réponses." (DUCROT, 1980, p. 30)

Nous estimons plutôt que devoirs et obligations versent la théorie pragmatique dans l'extralinguistique au risque de diluer la différence entre acte de langage et action dans le monde. Pour éviter cet inconvénient, nous proposons que ce pseudo constatif soit analysé dans le cadre de la spectacularisation discursive que définit la structure actancielle comme un parcours du désir ou tout au moins un investissement du désir:

«Une première observation permet de retrouver et d'identifier, dans les deux inventaires de PROPP et de SOURIAU, les deux actants syntaxiques constitutifs de la catégorie "sujet" VS "objet". Il est frappant, il faut le noter dès maintenant, que la relation entre le sujet et l'objet, que nous avons eu tant de peine, sans y réussir complètement, à préciser, apparaisse ici avec un investissement identique dans les deux inventaires, celui du "désir". » (GREIMAS, [1966] 1982, p. 176)

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Ce qui veut dire très exactement que la motivation de toute énonciation est une opération discursive qui se définit comme passage d'un état de disjonction vers un état de conjonction d'objet selon la visée téléologique de la communication. C'est ainsi que la communication d'information modifie un rapport interlocutif. C'est-à-dire que le but pragmatique visé par "je travaille" est d'informer le destinataire d'un état de chose dont je crois qu'il est dépourvu.

De cette manière, la généralisation du performatif à tous les énoncés donne naissance à de nouveaux paradigmes: le performatif explicite et le performatif implicite. Ainsi notre exemple cesse d'être un simple constatif et peut se réécrire comme suit:

1. Je vous informe que je travaille

Cependant, il faut admettre que l'implicite est de nature foncièrement ambigüe, une ambiguïté qui doit être réduite par le contexte mais permettant au locuteur d'accomplir une préservation de la face en laissant au destinataire le choix de l'interprétation de l'acte de langage qui lui convient le mieux. En effet, dans la tradition pragmatique notre exemple reçoit plutôt la formulation (2):

2. J'affirme que je travaille

La différence entre (1) et (2) permet d'expliquer cette préservation de la face. En interprétant notre constatif initial en tant que (1), il se peut que je tente de bloquer une intention de mon interlocuteur de me demander de lui rendre service dans l'immédiat sans qu'il soit pertinent que mon énoncé s'affiche comme réalisant ce blocage. En l'interprétant en tant que (2), je tente peut être de dissuader mon interlocuteur d'un reproche concernant ma paresse.

Autrement dit, le signe sémiotique en pragmatique se dote comme le souligne RECANATI d'un double destin, il est à la fois transparent et opaque. Transparent, il s'efface devant l'objet signifié pour permettre à celui d'être présent symboliquement. Opaque, il exhibe sa forme pour montrer l'acte linguistique qu'il accomplit:

« La seule solution au paradoxe du signe consiste en l'assomption qu'outre la transparence et l'opacité, il y a un troisième état du signe, la transparence-cum-opacité. Le signe ni transparent, ni opaque, est à la fois transparent et opaque, il se réfléchit dans le même temps qu'il représente quelque chose d'autre que lui-même » (RECANATI, 1979, p. 21)

Ce statut du signe en pragmatique a contribué une modification terminologique. Comme il est rare que le préfixe performatif qui réalise la réflexion de l'énoncé sur lui-même est souvent absent, c'est le terme d'illocutoire qui est désormais chargé de rendre compte de la performativité dans les analyses comme nous avons pu le constater chez DUCROT qui commente l'implicite en ces termes:

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« [Or] on a fréquemment besoin, à la fois de dire certaines choses, et de pouvoir faire comme si on ne les avait pas dites, de les dire, mais de façon telle qu'on puisse en refuser la responsabilité" (DUCROT, 1972, p. 5)

La première raison invoquée est une forme de tabou linguistique qui risque de faire perdre la face à celui qui se hasarde à outrepasser cet interdit. Dans certaine situation, il n'est pas politiquement correct de se plaindre sous peine d'offenser les personnes dont le quotidien est justement ce dont vous vous plaignez. Par exemple être contraint de dormir à même le sol. Alors, il ne vous reste qu'à dire que "le sol est dur".

La seconde origine de l'implicite avancée par DUCROT est que tout ce qui est dit peut être contredit. Ainsi, il serait très maladroit de dire invite-moi au restaurant parce que j'en ai envie. Il suffit de tenter cette invitation en disant dans un contexte précis "j'ai faim". Pour conclure cet auteur notre cette belle formule:

« Le problème général de l'implicite,(...) est de savoir comment on peut dire quelque chose sans accepter pour autant la responsabilité de l'avoir dit, ce qui revient à bénéficier de l'efficacité de la parole et de l'innocence du silence » (Ibid. p. 12)

En définitive, le passage qui mène du performatif à l'illocutoire n'est pas très claire, on ne peut pas le concevoir comme une rupture épistémologique car l'emploi de cette dernière terminologie n'éclipse pas la première. Tout au moins on peut soupçonner dans sa présentation chez Alain REY un retour aux sources où le paradigme est constitué par "locutoire", "perlocutoire" et "illocutoire" et auquel cas l'illocutoire semble privilégier l'implicite. Cet auteur, qui est avant tout un lexicologue voit d'abord dans l'illocutionnary force le préfixe in- qui lui permet de dire dans une présentation de l'ouvrage fondateur d'AUSTIN:

« Élargissant sa remarque sur les énoncés et les verbes performatifs, Austin a ensuite tenté de définir une force propre au langage en acte, indépendante de son pouvoir systématique et virtuel à transmettre du sens. Cette force dénommée illocutionnary force, s'ajoute à l'acte d'expression et de transmission du sens (locutionary act); elle apparaît dans toute énonciation lorsqu'on la replace dans les conditions concrètes qui définissent les circonstances de la communication. Elle est in-locutionary, car elle se produit 'en énonçant', 'dans l'énonciation active'; elle se distingue par-là de perlocutionary qui qualifie les effets produits par l'énonciation' (et 'par l'énoncé agissant sur autrui'). » (REY, 1976, p. 181)

Cette pérégrination en territoire morphologique nous permet de retrouver que le signe en pragmatique assume effectivement le double destin d'être à la fois transparent et opaque pour intégrer la force illocutoire dans le cadre de la préservation de la face de manière à être une théorie de la modification du rapport interlocutif.

Travaux cités

ANSCOMBRE, J.-C. (1980). "Voulez-vous dériver avec moi?". Dans Rhétoriques, Communications (Vol. 16, pp. 61-123). Paris: Seuil.

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CASSIRER, E. (1969). "Le langage et la construction du monde des objets". Dans C. e. Alii, Essais sur le langage (pp. 37-68). Paris: Les Editions du Minuit.

DE MUSIL, R. (1982). L'homme sans qualités. Paris: Seuil.

DUCROT, O. (1972). Dire et ne pas dire, Principe de sémantique linguistique. Paris: Herman.

DUCROT, O. (1980). "Analyses pragmatiques". (Seuil, Éd.) Communications(32). GOFFMAN, E. ([1974] 1984). Les rites d'interaction. Paris: Editions du minuit. GREIMAS, A. J. ([1966] 1982). Sémantique structurale. Paris: Larousse.

GREIMAS, A. J. ([1966b]1981). "Eléments pour l'interprétation des récits mythiques". Dans R. BARTHES, & alii, Introduction à l'analysestructurale du récit (pp. 28-59). Paris: Seuil.

HJLEMSLEV, L. (1968-1971). Prolégomènes à une théorie du langage. Paris: éditions de Minuit.

LAFONT, R. (1978). Le travail et la langue. Paris: Flammarion.

MUSIL, R. (1982). L'homme sans qualités. Paris: Seuil.

PEIRCE, C. S. (1979). Ecrits sur le signe. (G. DELEDALLE, Trad.) Paris: Seuil.

RECANATI, F. (1979). La transparence et l'énonciation, Pour introduire à la pragmatique. Paris: Seuil.

REY, A. (1976). Théories du signe et du sens, 2. Paris: Klincksieck. SAUSSURE, d. F. (1982). Cours de Linguistique Générale. Paris: Payot.

SAVAN, D. (1980, Juin). "La sémeiotique de Charles S.Peirce". Au delà de la sémiolinguistique: la sémiotique de C.S. Peirce, pp. 9-23.

TESNIÈRE, L. ( [1959] 1982). Eléments de syntaxe structurale. Paris: Klincksieck. TODOROV, T. (1971-1978). Poétique de la prose. Paris: Seuil.

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3. LA SYNECDOQUE.

Résumé :

Pour une lecture intertextuelle dont le but est d'accroître la lisibilité, disons que la synecdoque reprend la figure de Cendrillon. Longtemps négligée au profit de la métaphore et de la métonymie, elle s'avère la plus intéressante puisqu'elle est dans l'essence du langage. L'article néanmoins a pour mission de montrer que le principe synecdochique est à l'oeuvre dans le choix de forme en vertu de son implication dans le rapport interlocutif.

Mots clés : synecdoque, métonymie, métaphore, inaliénable, conventionnel

Abstract :

For an Intertextual reading whose goal is to increase the readability, say that the Synecdoche takes up the figure of Cinderella. Long overlooked in favour of metaphor and the metonymy, it turns out the most interesting since it is in the essence of the language. Article nevertheless has for mission to show that the synecdochique principle is at work in the choice of form under his involvement in the interaction face act report.

Key words: Synecdoche, metonymy, metaphor, inalienable, conventional

La synecdoque a permis à TODOROV (TODOROV, 1970) de mettre NIETZSCHE (NIETZSCHE, 1887) au goût du jour, en ce qui concerne notamment la question de l'oubli comme principe fondamental au coeur de la possibilité du langage. Sans le mécanisme de la synecdoque, le langage serait devenu hors portée de tout apprentissage puisqu'il s'apparenterait à une tautologie du réel. La relativité linguistique connue sous le nom de "thèse de Sapir Whorf" est une démonstration qui atteste que le langage ne peut pas être une tautologie du réel mais que chaque langue présente une organisation particulière de ce réel.

En effet, cette thèse consiste à dire que chaque communauté linguistique organise différemment le concept des choses à travers son système lexical. Ainsi, pour donner un exemple, on s'aperçoit qu'une communauté d'éleveurs possède un vocabulaire plus riche pour dénommer la robe des zébus qu'une communauté de bureaucrate dans la même aire linguistique. A fortiori, deux communautés linguistiques différentes auront une conception différente de la même réalité. Cette dernière affirmation est soutenue par Ernst CASSIRER (1969, pp. 44-45) quand il pose que le langage est une contribution à la construction du monde des objets :

« Le langage n'entre pas dans un monde de perceptions objectives achevées, pour adjoindre seulement à des objets individuels donnés et clairement délimités les uns par rapport aux autres des « noms » qui seraient des signes purement extérieurs et arbitraires; mais il est lui-même un médiateur dans la formation des objets; il est, en un sens, le médiateur par excellence, l'instrument le plus important et le plus précieux dans la conquête et pour la construction d'un vrai monde d'objets. »

De cette dernière remarque, il suffit d'ajouter que dans l'état actuel de nos connaissances, toute tentative de résoudre l'origine du langage n'est qu'une hypothèse

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fondée sur la supposition que l'ontogenèse de la parole reproduit les étapes de la phylogénèse (LAFONT, 1978, p. 63). Autrement dit, ce qui se passe dans l'acquisition de la parole chez l'enfant serait mutatis mutandis le schéma de l'acquisition de la parole au niveau de l'espèce humaine. Toutefois, il faut accepter que l'ontogénèse de la parole se fait au sein de l'univers linguistique donné des adultes qui réalisent dans des découpages spécifiques de l'univers référentiels. L'acquisition du langage n'est pas un processus ex nihilo, elle prend sa source dans le logosphère déjà construit.

Cette dernière remarque permet de rompre avec le mentalisme de la psychologie qui avance que le langage est l'expression de la pensée, comme s'il s'agissait d'une simple extériorisation. En définitive, chaque sujet ne parle pas depuis « l'intérieur de sa tête », mais depuis la langue maternelle déjà là qu'il investit, depuis les discours des autres, les paroles des autres, masse discursive qui précède et organise a priori le rapport du sujet à lui-même, à autrui et au monde. C'est ainsi qu'il y a relativité linguistique.

Il y a lieu de croire que la relativité linguistique est en relation étroite avec la notion de synecdoque. Il faut distinguer la relativité linguistique de l'arbitraire du signe linguistique, car ce dernier est issu des contrastes entre les langues. En revanche, c'est la possibilité des langues elles-mêmes, donc du langage qui, dans sa relativité, dépend de la synecdoque.

Pourtant, dans la littérature de la rhétorique, cette figure fait office de puînée maltraitée au profit de ces deux aînées que sont la métaphore et la métonymique. La remarque suivante de Gérard GENETTE (GENETTE, 1972, p. 25)est très instructive à ce propos:

« Comme on a déjà pu s'en aviser, il suffit maintenant d'additionner ces deux soustractions : le rapprochement dumarsien3 entre métonymie et synecdoque et l'éviction fontanière4 de l'ironie, pour obtenir le couple figural exemplaire, chiens de faïence irremplaçables de notre propre rhétorique moderne: Métaphore et Métonymie. »

L'analyse que nous proposons dans cet exposé suit la réhabilitation amorcée par le groupe u (DUBOIS J. , et al., 1982) qui définit la métaphore comme une double synecdoque et on ne peut que suivre le commentaire de TODOROV à cet égard:

« Tout comme dans les contes de fées ou dans le Roi Lear, où la troisième fille, longuement méprisée, se révèle être à la fin la plus belle ou la plus intelligente, Synecdoque, qu'on a longtemps négligée - jusqu'à ignorer son existence - à cause de ses aînées, Métaphore et Métonymie, nous apparaît aujourd'hui comme la figure la plus centrale. » (TODOROV, 1970, p. 30)

L'introduction de la dimension pragmatique du langage a exacerbé cette relativité au point que les expressions linguistiques s'opacifient pour exhiber la subjectivité de l'énonciateur en termes d'actes de langage. Dès lors nous sommes plus dans un processus de

3 De Dumarsais (César Chesneau), 17ème siècle.

4 De Fontanier (Pierre), 19ème siècle.

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signification du signe constitué de signifiant et de signifié, mais dans un processus de symbolisation dont la sémiosis est un système de renvois de signe à signes.

C'est là un point important où la pragmatique rejoint la sémiotique triadique de Charles Sanders PEIRCE, notamment dans la théorie des interprétants telle qu'elle se définit dans la définit dans la conception suivante :

« Un signe ou representamen est un Premier qui se rapporte à un second appelé son objet, dans une relation triadique telle qu'il a la capacité de déterminer un Troisième appelé son interprétant, lequel assume la même relation triadique à son objet que le signe avec ce même objet ... Le troisième doit certes entretenir cette relation et pouvoir par conséquent déterminer son propre troisième ; mais, outre, cela, il doit avoir une seconde relation triadique dans laquelle le representamen, ou plutôt la relation du representamen avec son objet, soit son propre objet, et doit pouvoir déterminer un troisième à cette relation. Tout ceci doit également être vrai des troisièmes du troisième et ainsi de suite indéfiniment... (2.274) » (PEIRCE, 1978, p. 147)

Il appert de cette définition du signe triadique qu'elle mélange à la fois le processus de signification et le processus de symbolisation. Dans la première partie de la définition, il est dit que le premier renvoie à son second ; il s'agit là du mouvement de la dénotation privilégié par la doctrine saussurienne. Mais quand il est ajouté que cette première relation doit être capable de déterminer un troisième qui interprète la première relation, nous sommes dans un processus de symbolisation qui s'articule sur un renvoi de chose à choses.

L'analyse de Michel LE GUERN confirme ce système de renvois quand il entend par symbole la possibilité pour un signifié de devenir le signifiant d'autre chose et ainsi de suite :

« On pourra donc dire qu'il y a symbole quand le signifié normal du mot employé fonctionne comme signifiant d'un second signifié qui sera l'objet symbolisé ». (1972, p. 40)

C'est de cette manière que la « balance » est prise pour le symbole de la justice parce que le signifié de la balance devient justement l'expression de la notion de justice en ce que ce signifié peut être compris comme une objectivité mécanique de tout ce qui est présenté sur la balance, et ce signifié est défini par la symbolisation comme immanente à la justice. Si le processus relève purement de la signification, on voit mal comment quelque chose qui est déjà défini par les dictionnaires - donc par convention sociale - comme étant un instrument de mesure des massifs pour en faciliter notamment le commerce, peut renvoyer à la justice de manière stable comme s'il s'agissait d'une signification.

Autrement dit, la question qui va nous guider maintenant est de savoir pourquoi la symbolisation se greffe de manière parasite sur la signification. C'est une question qui n'est pas triviale en considérant que le principe d'économie inscrit dans la double articulation du langage a pour but d'éviter la surcharge de la mémoire alors que paradoxalement le symbole dédouble littéralement la signification en ajoutant à côté de la relation signifiant / signifié une autre : le symbolisant et le symbolisé.

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On peut répondre à cette question de plusieurs manières, mais celle qui va être privilégiée dans cet exposé s'inscrit dans le cadre de la pragmatique. La démarche consiste à dire que si le langage n'est pas une tautologie du réel c'est parce qu'il embraye sur la dimension interlocutive en termes d'actes de langage.

Sous quelques réserves, cette option correspond à la thèse praxématique dont voici - il nous semble - la meilleure expression :

« De l'objet, la nomination ne nous dit rien de ce qu'il est pratique d'en dire. La logosphère est un spectacle de réalité que l'homme a « monté » au cours de son histoire, pour les services qu'il en attendait.

L'homme ainsi n'atteint jamais le sens des choses - la formule elle-même est privée de sens -, mais le sens qu'il donne aux choses et qui accompagne, facilite son action sur les choses ». (LAFONT, 1978, p. 16)

C'est-à-dire que signifier implique toujours des actes, et en tenant compte que le langage est avant tout pour une communication, nous en déduisons qu'au niveau cognitif, ces actes sont de nature linguistique donnent son intelligibilité au rapport interlocutif. Pour éviter de revenir sur de longs développements de la théorie des actes du langage, prenons un exemple pour clarifier les choses.

Très peu de femmes connaissent bien les propriétés physiques d'un diamant mais elles savent toutes que c'est un objet très rare si bien qu'elles sont convaincues que c'est un véritable symbole de l'amour. Autrement dit, offrir à une femme du diamant en guise de symbole de l'amour, c'est la convaincre de la sincérité de cet amour. C'est de cette manière que s'opère le renvoi de signe à signes : du diamant à l'amour, on passe par la sincérité et la conviction. Il nous semble aussi que c'est dans cette dérivation illocutoire que se vérifie l'hypothèse d'Adam SCHAFF qui considère que langage et connaissance sont les deux faces d'une seule et même chose.

D'ailleurs, c'est une thèse qui fait l'unanimité des linguistes et des philosophes que d'admettre que le langage influence notre mode de perception de la réalité :

« Cette thèse signifie exactement ceci que le langage, qui est un reflet spécifique de la réalité, est également, dans un certain sens, le créateur de notre image du monde. Dans ce sens que notre articulation du monde est du moins dans une certaine mesure la fonction de l'expérience non seulement individuelle, mais aussi sociale, transmise à l'individu par l'éducation et avant tout par le langage. » (SCHAFF, 1969, p. 236)

C'est une expérience facilement vérifiable, mais là où le bât blesse dans la formulation de cette thèse c'est que partout l'exemple avancé revient à dire pratiquement la même chose : la différence lexicale au niveau quantitatif entre les dénominations de la neige par les Inuits et par les langues européennes tout en oubliant de signaler que si les Inuits ont un lexique plus riche pour dénommer la notion, c'est que chaque lexique renvoie à d'autres signes qui enregistrent des expériences.

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Ce qui veut dire que la relativité linguistique n'est pas dans la diversification des langues mais dans la manière dont chaque langue opère le renvoi de signe à signes. Bien que le terme de relativité linguistique ne soit nullement présent chez HJLEMSLEV, nous avons toutes les raisons de penser que son effort d'analyse sur le principe d'isomorphisme en termes de substance et forme du contenu est une autre forme d'expression de cette pensée :

« Seules les fonctions de la langue, la fonction sémiotique et celles qui en découlent, déterminent sa forme. Le sens devient chaque fois substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être la substance d'une forme quelconque. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)

Ce qui veut dire que le sens, dépendant de l'univers référentiel, est identique dans toutes les langues, mais seulement, sa mise en forme engendre la relativité linguistique en se diversifiant dans chaque langue. Une diversification qui découle du principe de renvoi de signe à signes. Autrement, la traductibilité entre les langues serait impossible.

Il est vrai comme le fait remarquer MARTY (MARTY, 1980, p. 29)que l'oeuvre de Peirce est compliquée par une terminologie lourde, et de plus fluctuante. En plus on reproche à la théorie du signe triadique d'une part, le fait que tout est signe et que, d'autre part, le processus de renvoi de signe à signes est un processus ad infinitum.

La seule réponse que l'on peut avancer contre cette remarque est le protocole mathématique avancé par Joëlle RÉTHORÉ (RETHORE, 1980, p. 32). En résumé, la question est de savoir comment le nombre « 1 » peut renvoyer au nombre « 2 » ; dès lors l'introduction du nombre « 3 » comme interprétant de la relation entre « 1 » et « 2 » permet de trouver la raison « n+1 » de ce processus. Il n'est plus alors difficile de prévoir un processus de renvois à l'infini puisque les entiers naturels sont infinis.

Si le lexique d'une langue n'est qu'un système dans lequel le signifiant est relié au signifié pour engendrer la désignation d'un objet du monde, au sens philosophique de ce dernier terme, alors il serait une série de hasard, car : « D'après KOLMOGOROV et CHAÏTIN, une série de hasards est une série dans laquelle il n'est d'autre détermination des membres que leur énumération. » (SAVAN, 1980, p. 11)

Au contraire, il y a lieu de penser que le lexique d'une langue est fonction du principe de renvoi de signe à signes. Mais le principe de renvoi de signe à signes qui fait que le langage est aussi un instrument de connaissance n'est pas un principe unique. Il existe des lexiques par le biais desquels le renvoi de signe à signes se signale par un trouble de la référentialité. Ces lexiques sont en gros ce que nous appelons « trope », et parmi les tropes nous allons nous attacher particulièrement à la synecdoque.

Il nous semble que ce survol des théories mises en cause est nécessaire. Leur convergence sur le point où la symbolisation prend le pas sur la signification n'est pas seulement un garant scientifique, mais surtout, elle va nous permettre de prendre la synecdoque sous le double processus de la signification et de la symbolisation et que sa

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motivation fondamentale est commandée par des buts pragmatiques qui sont une inscription du sujet dans le langage. Évidemment, les résultats sont extensibles aux autres tropes.

Plus précisément, il s'agit de considérer les tropes, et en particulier la synecdoque, comme des actes de langage. En effet, nous pouvons nous prévaloir de deux cautions pour une telle démarche. La première nous vient de Catherine KERBRAT-ORECCHIONI (KERBRAT-ORECCHIONI, 1994) qui s'attache à démontrer l'existence de trope illocutoire. La seconde, plus intéressante, est un détournement de la logique par Benoît de CORNULIER vers le domaine de la pragmatique. Un détournement qui emprunte la voie de l'onomasiologie pour affecter à un signifiant une signification déjà exprimable en langue.

Ce détournement est appelé « détachement du sens » dont voici la formulation : "Détachement (fort) du sens : (P & (Psignifie Q)) signifie Q" (CORNULIER, 1982, p. 132)

Autrement dit, lorsque l'énonciateur décide explicitement ou implicitement que tel segment linguistique doit être interprété de telle ou telle manière, ce segment linguistique signifie ce que lui est assigné en vertu de cette interprétation. C'est ce qui se passe exactement dans la synecdoque. Soit l'exemple classique de « un village de 10 toits ».

« Toit » est un lexique qui existe déjà dans la langue concernée. Au nouveau de la signification, son signifié peut se résumer en ceci : partie qui recouvre les murs d'une maison afin de protéger des intempéries. Dès lors, il s'ensuit dans son emploi en discours tel montré par cet exemple, il y a un trouble référentiel : un village n'est pas composé seulement de toits. Ce trouble est indiciel de la voie d'interprétation qui force à comprendre qu'une maison n'est pas seulement faite de toit, ce qui impose de lire « toit » par conjonction avec l'interprétation que lui fournit le terme « village » dont il est l'adnominal.

Ce qui revient à dire que « toit » tout en continuant à signifier "toit" met en arrière-plan cette signification au profit de la symbolisation qui renvoie au signe « maison ». C'est de cette manière que cette synecdoque que l'on qualifie de particularisante signifie plus. Autrement dit, en se servant de la logique du calcul propositionnel tel qu'il est converti sous la notion de détachement du sens de CORNULIER, nous avons l'interprété « toit » et l'interprétant « maison » sous l'interprétation forcée par le contexte que « toit » renvoie à « maison ». Il faut rappeler que dans cette démarche que c'est la conjonction de l'interprétant avec l'interprétation qui impose l'interprétant, et ceci est, il faut le reconnaître, un acte de langage imposé par l'énonciation qui consiste à donner une règle d'interprétation d'un élément du langage pour qu'il puisse renvoyer à un autre élément, exprimable également dans ce langage et ainsi de suite indéfiniment selon la théorie des interprétants de PEIRCE.

CORNULIER a eu effectivement une plume heureuse en accouchant les lignes suivantes qui pointent sur un acte de sémiotisation inédite - ce qui nous permet d'assumer l'assomption des figures au sein des actes de langage - sans que cela mette en péril l'intercommunication, même dans le langage courant :

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« Le détachement du sens est donc un principe qui permet à un langage de s'incorporer n'importe quel élément nouveau comme signe de n'importe quelle valeur qu'on puisse déjà y exprimer. En ce sens, l'inventivité sémiologique est arbitraire, radicalement et totalement, dans la mesure où le détachement fort du sens a la force d'une règle. De fait, en principe «P» peut être n'importe quoi. » (CORNULIER, 1982, p. 136)

Il est très remarquable dans les dessins des enfants, à cause justement de leur maladresse, qu'un tracé confus ne peut représenter leur maman qu'en vertu de la légende qui l'interprète comme tel, il en est exactement de même pour les signalisations des panneaux routiers : ils signifient en vertu du code de la route.

La réussite de cet acte, s'il faut le mettre dans le cadre de conditions de félicité d'AUSTIN, est garantie par deux choses. Premièrement, la contradiction entre « toit » avec sa situation d'adnominal de « village » force l'allocutaire à identifier la figure. Deuxièmement, en identifiant la figure, il a l'indice dans le segment « village » pour suivre l'interprétation imposée par le contexte. À savoir que « village » lui-même est une synecdoque particularisante pour désigner un type de groupement de maisons, c'est ce qui permet à « toit » de renvoyer à « maison ».

De la même manière, pour prendre l'exemple éculé de "voile" pour renvoyer à « bateau », on s'aperçoit qu'il n'y a pas de raison - même par simple connaissance encyclopédique - qu'une voile puisse être aperçue en mer sans le bateau auquel elle est attachée comme élément moteur de l'énergie éolienne. C'est ce qui force à comprendre l'expression comme une figure synecdochique dans la mesure où elle est comprise comme une partie d'un tout.

Du point de vue de l'émetteur, on peut se demander pourquoi telle partie et non telle autre qui est choisie par le locuteur. Pour y répondre, il faut faire intervenir la notion d'universaux linguistiques. Il nous semble que la nomination indirecte d'objet du monde relève d'une dimension affective fortement ancrée dans l'homme. Dans la mesure où les mots sont multidimensionnels, et Robert LAFONT a parfaitement raison de dire que le praxème - l'équivalent du monème chez MARTINET - n'est pas doué de sens mais est un outil de production du sens (1978, p. 29), ils sélectionnent dans leur emploi un parcours d'évocations irréductible aux problèmes de signification tels que cela est défini par les dictionnaires.

Dès lors, il y a lieu de comprendre que si deux signes, respectivement littéral et figuratif, peuvent atteindre la même référence, c'est que l'un relève de la convention sociale et que l'autre, idiosyncratique est une inscription du sujet dans le langage par un ajout de dimension affective selon un processus de renvois de signe à signes.

Dans les exemples que nous avons donnés, on peut comprendre dans le premier que c'est la partie qui assure la protection contre les intempéries qui est l'objet de la focalisation de la figure. C'est cette valeur protectrice de la maison qui est mise en avant comme s'il s'agissait de mettre à distance l'époque où l'humanité se refusait dans des cavernes. Cette dimension affective est ancrée dans le langage puisqu'elle entre en relation intertextuelle, à

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la manière d'une homothétie, dans d'autres expressions comme " avoir un « toit »" Par ailleurs, « toit » est aussi à son tour une synecdoque qui désigne un ensemble de matériaux les plus divers disposés sur des pannes afin de protéger une maison des intempéries.

Dans le deuxième exemple, il n'est que de se référer à l'immolation d'Iphigénie à Aulis pour solliciter à Éole de lever le vent afin que les bateaux des Spartes puissent se faire justice à Troie, pour rendre compte de l'affectivité qui s'attache à la voile. Tout se passe comme si sans voile, il n'était pas question de navire. Il faut aussi admettre que du point de vue du sens. C'est la voile qui signale de loin un bateau de ce genre. De la sorte, pour communiquer cette information référentielle, il est plus logique de parler de voile que de bateau. Ensuite, s'il faut ajouter que les navires sont également un instrument de communication entre les hommes, surtout en termes de circulation de marchandises, alors le terme de voile dans sa légèreté peut également renvoyer à ce parcours d'évocations sous forme de promesse sur la trame d'un avatar puisque la navigation en voile est tributaire des caprices de la nature.

Cette exemplification montre bien qu'il ne s'agit pas du tout de changement de sens mais d'un parcours d'évocations dans un système de renvois de signe à signes. Il n'est même pas possible de suivre la voie tracée par TODOROV dans cette perspective qui donne le commentaire suivant en constatant la bévue de la théorie substitutive :

« Fontanier est un des rares à être conscient de la différence entre les deux opérations; il définit les tropes comme la substitution d'un signifié à un autre, le signifiant restant identique ; et les figures, comme la substitution d'un signifiant à un autre, le signifié étant le même ». (TODOROV, 1970, p. 28)

En effet, il s'agit d'un système de renvois que prennent en charge les mots dans la mesure où ils sont eux-mêmes synecdochiques d'une pluralité d'expériences réduites en un seul : le mot, suivant en cela le principe d'oubli qui a fait dire à NIETZSCHE que l'homme est un animal métaphorique. Ce qui veut dire en définitive qu'il n'y a pas de substitution de quoi que ce soit, mais simplement d'oubli contre l'oubli conventionnel : en éclipsant le sens littéral de « toit » la figure fait tomber celui-ci dans un oubli volontaire, c'est-à-dire un epokhé ou une mise entre parenthèses.

Mais une mise entre parenthèses de la sorte ne peut se faire que sous la reconnaissance préalable de ce qui est ainsi oublié. En oubliant que « toit » est une agglomération de matériaux pour une fonction précise on se rappelle qu'il est un aggloméré pour un objet supérieur à lui : la maison.

De nouveau, faisons dialoguer les auteurs. Dans un article publié dans un ouvrage collectif, Jacques DERRIDA tente de montrer le concept de différance (avec un « a ») en partant de la thèse de SAUSSURE selon laquelle dans la langue il n'y a que des différences, et voici l'un des résultats :

« On pourrait ainsi reprendre tous les couples d'opposition sur lesquels est construite la philosophie et dont vit notre discours pour y voir non pas s'effacer l'opposition mais s'annoncer une nécessité telle que l'un des termes y apparaisse comme la différance de l'autre, comme l'autre différé dans l'économie du même

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(l'intelligible comme différant du sensible, comme sensible différé ; le concept comme intuition différée - différante ;[...] » (DERRIDA, 1968, p. 56)

On perçoit pourtant à la lecture du texte entier dans lequel s'inscrit ce passage que DERRIDA y exprime le malaise de l'impossibilité de saisie de la différance comme entité représentable, bien que plus tard, il a abandonné ce doute :

« Le gramme comme différance, c'est alors une structure et un mouvement qui ne se laissent plus penser à partir de l'opposition présence/absence. La différance, c'est le jeu systématique des différences, des traces des différences, de l'espacement par lequel les éléments se rapportent les uns aux autres. » (DERRIDA, 1987 (éd. or. 1972), p. 38)

Ce qui est intéressant dans cette évolution, c'est qu'elle s'inscrit, dans le dialogue des textes, en écho avec la thèse de NIETZSCHE (Cf. (KREMER MARIETTI, 2001)) pour qui les figures rhétoriques sont l'essence du langage, parce qu'elles procèdent par symbolisation, c'est-à-dire, par renvoi de signe à signes que DERRIDA appelle ici rapport des éléments les uns aux autres.

Exactement, ce rapport paradigmatique des éléments, car c'est de cela qu'il s'agit, se lit dans les mots (pour émonder le jargon) que nous utilisons pour nommer les choses. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre le mot comme une cristallisation d'expériences. Une cristallisation qui peut naître du contact aux choses ou du contact aux mots dans un mouvement de complémentarité. Et déjà, nous retrouvons l'aspect synecdochique du mot, car une pluralité d'expériences est réduite en une dans le mot. Il faut reconnaître encore que ce mouvement synecdochique n'est pas simple mais double.

D'abord, le mot comme un tout individué renvoie à une foule d'éléments qu'il subsume, ensuite, il entre aussi en tant qu'élément d'une autre unité qui le subsume à son tour avec d'autres comme le souligne l'affirmation suivante :

« La praxis linguistique rend compte du réel en transférant à l'« l'unité de typisation » toutes les occurrences dont la variété n'importe pas au message, en ramenant à l'« unité de hiérarchie signifiante » toutes les occurrences présentes en une. Le praxème ne produit du sens qu'en ce qu'il est cette double unité » (LAFONT, 1978, p. 134)

En effet, et pour illustrer, les premières occurrences qui font le type permettent d'appeler « arbre » une foule d'individus comme peuplier, eucalyptus, manguier, citronnier, etc. Le rapport de ces individus à arbre est un rapport synecdochique, chaque individus reproduit aussi le même rapport avec ses sous individus, et ainsi de suite indéfiniment. Les occurrences qui font l'unité de hiérarchisation sont une décomposition du mot « arbre » en unités plus petites : racines, tronc, branches, feuilles, etc. de telle manière que arbre soit synecdochique de ces éléments. Chaque unité plus petite entretient le même rapport avec ses sous unités et ainsi de suite indéfiniment.

Quand on dit dans le domaine de la technique automobile « arbre de transmission », le mot unité « arbre » sélectionne « tronc » comme synecdoque généralisante ; et quand on

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parle d'« arbre syntagmatique » en linguistique ou d'« arbre généalogique » en anthropologie, la sélection opte pour « racines » ou « branches » selon le sens d'orientation des ramifications.

Cette même analyse de l'unité mot en tant que double articulation se retrouve sous une forme plus technique et rigoureuse chez le groupe u (DUBOIS J. e., 1982). Mais pour éviter le piège des sèmes, il y a lieu de dénoncer que les analyses componentielles sont restrictives.

En effet, rien n'interdit au mot unité « arbre » de renvoyer à « sève », à « écorce », à « bourgeon », à « fleur », à « fruit » ; et plus encore à des éléments qui ne sont pas constitutifs de l'unité arbre dans l'une ou l'autre articulation. Par exemple, à « oiseau », à « vent », à « vie » etc. mais ce dernier type de renvoi ne saurait plus concerner la synecdoque.

En tout état de cause, nous préférons parler du mot unité d'un foyer d'évocations. Mais pour le cas de synecdoque les parcours d'évocations seront limités à la double articulation du mot tel que cela est défini par LAFONT. Cette spécification de la synecdoque nous impose de lever une ambiguïté native de la définition de la synecdoque. Reprenons alors la définition la plus citée :

Cette définition semble être claire. Elle montre le point d'intersection entre la métonymie et la synecdoque : un changement de nom ; en même temps qu'elle montre leur différence. Dans la synecdoque, le changement concerne un rapport de la partie au tout dans un sens du plus vers le moins qui permet de parler de synecdoque généralisante et du moins vers le plus engendrant ce que l'on appelle synecdoque particularisante.

Or, il est très curieux de constater qu'un ouvrage qui est toujours cité et qui se distingue par sa clarté et sa pertinence dans l'approche de la métaphore et de la métonymie, citant exactement la même définition de DUMARSAIS ci-dessus nous livre la remarque suivante : « Pour la synecdoque de la partie pour le tout ou du tout pour la partie, le processus est le même que dans le cas de la métonymie » (LE GUERN, 1972, p. 15).

Et ce processus, nous croyons le comprendre dans l'exemplification suivante qui a pour but d'asseoir épistémologiquement la théorie de la métonymie :

« Par exemple, si j'invite le lecteur à relire Jakobson, cela n'implique pas de ma part une modification interne du sens du mot « Jakobson ». La métonymie qui me fait employer le nom de l'auteur pour désigner un ouvrage opère sur un glissement de référence ; l'organisation sémique n'est pas modifiée, mais la référence est déplacée de l'auteur au livre. » " (LE GUERN, 1972, p. 14)

Le processus, donc, qui semble fonder la définition réside dans ce que LE GUERN appelle glissement de la référence. C'est ce glissement de la référence qui est commun à la synecdoque et la métonymie. Il s'ensuit que certains exemples qu'il donne comme étant des métonymies sont des synecdoques dans notre perspective.

En effet, s'il est indubitable, sans qu'il soit nécessaire pour l'instant de faire la démonstration de la preuve que dire relisez Jakobson, le nom « Jakobson » est métonymique. Par contre, dans la remarque suivante où un exemple issu des textes de Zola est présenté

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comme ayant la même facture, c'est-à-dire, être une métonymie au même titre que l'exemple précédent, le doute est permis :

« Quand Zola écrit : « de grosses voix se querellaient dans les couloirs, le mot « voix » ne change pas de contenu sémantique ; l'utilisation du mot « voix » pour désigner des personnes qui parlent n'entraîne qu'une modification de la référence. La relation qui existe entre les voix et les personnes qui parlent, tout comme la relation qui existe entre Jakobson et son livre, se situe en dehors du fait proprement linguistique : elle s'appuie sur une relation logique ou une donnée de l'expérience qui ne modifie pas la structure interne du langage » (ibid. p. 14).

Il est inutile dans l'espace de ce travail de se prononcer sur les causes de cette confusion, il faut remarquer par ailleurs que cette confusion est presque une permanence dans la littérature dédiée. Tout le monde semble s'accorder sur la nécessité de faire la distinction entre métonymie et synecdoque mais n'arrive pas souvent à maintenir cette distinction dans les exemples. Pour n'en citer qu'un autre cas qui justifie notre remarque à l'instant, il n'est que d'évoquer que le même exemple de « voile » pour « « bateau » apparait à l'entrée métonymique et à l'entrée synecdoque dans le Dictionnaire de linguistique et des Sciences du langage (DUBOIS J. e., 1994).

Il suffit donc de dire ici que la synecdoque et seulement la synecdoque implique un glissement de la référence - pour réutiliser cette expression - entre des éléments constitutifs du mot unité, que ces éléments se trouvent dans le mot compris comme unité typisation ou dans le mot compris comme unité de hiérarchie signifiante.

Dès lors, on ne peut pas accepter que « voix » soit métonymique de « personnes » puisque le concept de personne - en tant qu'unité de hiérarchie signifiante, donc une synecdoque des éléments qu'elle subsume - implique linguistiquement le concept de voix qui est un élément inclus dans l'unité « personne ». Il s'agit donc d'une synecdoque. C'est une des conséquences de la remarque de TODOROV sur l'analyse des textes de NIETZSCHE que nous avons évoquée au tout début de cet article.

Par ailleurs, la réduction de cette synecdoque à la métonymie est préjudiciable à la lecture littéraire des textes de Zola. Ce point de jonction entre la linguistique et la littérature ne doit pas être négligé. Sur le plan énonciatif, la synecdoque de Zola permet de rendre compte que 1°, le narrateur ne voit pas les personnes qui se querellaient, il ne fait qu'entendre des voix et reconnaît le caractère conflictuel des échanges. 2°, la querelle demeure verbale et ne s'est pas encore commuée confrontation en physique.

Ce qui veut dire qu'en disant que « des grosses voix se querellaient dans les couloirs » Zola entend bien modaliser son énonciation par une sorte de création d'une isotopie de la querelle. Autrement dit, son énonciation insiste sur le fait qu'il s'agit d'une querelle à l'exclusion de ses paradigmes par le fait de poser comme sujet du verbe l'expression synecdochique « voix » à la place de ce qui est attendu : « personnes ».

C'est de cette manière qu'il peut véhiculer d'autres informations, par exemple en qualifiant ces voix de « grosses », il indique implicitement que les personnes en question sont

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des hommes et non des femmes car la voix est un indice du sexe. Nous sommes alors dans le domaine de la modalisation autonymique de Jacqueline AUTHIER-REVUZ, (1995) car en choisissant la synecdoque, l'auteur, non seulement crée l'isotopie de la querelle, mais en outre, donne une information sur le sexe des protagonistes, et l'on peut ajouter que le sens impliqué dans la narration est l'ouïe et non la vue ; ce qui donne une facture de réalisme de la description ou plus exactement, ce qui donne une « illusion référentielle », pour utiliser cette expression de RIFFATERRE (1982).

En changeant de théorie d'analyse, nous allons nous apercevoir que c'est exactement l'énonciation qui est mise à contribution dans la synecdoque. Nous pouvons prendre la séquence « des grosses voix » comme interprété et « se querellaient » comme interprétant. La conjonction de l'interprété à l'interprétant donne une interprétation qui implique l'interprétant. Il s'agit donc pour Zola d'imposer la querelle par l'utilisation de la synecdoque.

D'autre part, et c'est là l'objectif de cette communication, la synecdoque et les figures sémantiques s'inscrivent dans une perspective des actes du langage. Rappelons très brièvement que dans une première approche, disons heuristique, l'acte de langage est un accomplissement du sens signifié par un verbe sous une énonciation au présent de l'indicatif et à la première personne. C'est le cas du verbe « déclarer » par exemple. Depuis, on s'est aperçu des actes indirects qui font l'économie des verbes performatifs dans la réalisation. C'est la combinaison des deux qui peut être comprise comme la théorie énonciative standard. Puis avec l'analyse des délocutifs du type « merci » il est devenu naïf de vouloir à tout prix chercher le verbe performatif. Dans cet exemple, en effet, on peut, dans une perspective générative, avoir : « je vous dis merci » où l'acte de langage pertinent n'est pas dans le verbe mais dans le nom « merci » par délocutivité.

Cette dernière performativité est le propre du détachement du sens dans sa version forte. C'est par cette règle du détachement du sens que le langage s'incorpore d'éléments nouveaux pour quelque chose que l'on peut déjà signifier dans ce langage. Autrement dit, l'acte de langage qui se profile derrière la synecdoque est une production du sens qui investit la dimension autonymique de la figure.

« Voix », dans l'exemple qui nous occupe, est interprété par l'interprétant « personne » et renvoie donc à « personne » par cette interprétation que l'on appelle synecdoque. Faire des figures est donc un acte de langage qui consiste à créer un nouveau signe. Cette créativité est gouvernée par le principe de la double articulation du praxème, en ce qui concerne la synecdoque. TODOROV a raison, les figures ne peuvent être traitées dans une théories substitutives, elles continuent de signifier littéralement tout en se dotant d'une réflexivité qui attire l'attention sur elles et qui leur permettent de renvoyer à d'autres signes.

Renforçons maintenant la règle du détachement du sens par la sémiotique triadique. Jacques DERRIDA, en s'opposant au structuralisme appelle déconstruction du signe le concept de « différance ». Ce post-structuralisme suppose que les contraires ne s'opposent pas mais coexistent dans une structure polémique. Nous ne sommes plus alors dans une linguistique

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qui fait dériver le signe du rapport entre signifiant et signifié pour désigner un objet du monde. L'intelligibilité des signes leur vient du renvoi systématique à d'autres signes comme nous avons eu l'occasion de le constater dans l'analyse de la synecdoque à partir de la double organisation synecdochique de l'unité mot.

On peut dire dans ce cas que le mot synecdochique est un premier, il renvoie au second qu'il ne faut pas confondre ici avec le référent, par l'intermédiaire de l'application de la règle synecdochique. C'est ainsi que « voix » renvoie à « personnes » et « personnes » à son tour à d'autres éléments de même niveau.

En définitive : synecdoque, détachement du sens, différance, autonymie, sémiotique triadique relèvent du même principe, le renvoi systématique de signe à signes que consignent particulièrement les tropes. C'est ce principe qui empêche au langage d'être une tautologie du réel par une inscription de la subjectivité à la base des actes du langage. Illustrons cela par un exemple de synecdoque.

En prenant la synecdoque au sens étymologique de compréhension simultanée, nous renforçons le rejet de la théorie substitutive en même temps que nous renforçons que le principe de renvoi, en aucun moment, n'escamote pas le premier terme, mais se sert de lui pour renvoyer au second, en fonction de buts pragmatiques.

Il est très remarquable de constater que les gens de la campagne, soumis aux aléas climatiques quant à leur moyen de subsistance, usent d'expressions qui semblent avoir pour fonction de conjurer le sort. Cette attitude linguistique est particulièrement vivace à Madagascar. Elle peut se comprendre sur la base d'un rapport aux divinités qui accordent ou refusent leur bienveillance en fonction du comportement linguistique des vivants.

Or, il faut constater à la suite de FREUD (FREUD, 1912) que le rapport aux divinités en tant que sacrées est toujours marqué par une ambivalence : il est fait de crainte et d'adoration en même temps. Dès lors, on s'aperçoit que la crainte engendre l'euphémisme qui peut s'analyser comme une synecdoque croissante ou expansive. En évitant de nommer certaines choses de crainte de heurter les divinités, il est utilisé une expression de très grande généralité.

Ainsi, en ce qui concerne l'élevage, le campagnard élève des poules, des oies et des canards, le plus souvent. Mais de crainte que les divinités comprennent comme une fatuité s'il en parle directement, le campagnard les désigne par biby [bête]. La raison de cette synecdoque est que les divinités sont également responsables des autres bêtes et non pas seulement des siens. Selon cette perspective, la synecdoque est aussi une forme de préservation de la face.

Pour terminer, en tenant compte que les diverses théories qui ont été présentées pour analyser la synecdoque comme essence du langage, n'arrivent pas à faire une démarcation nette de la question du sens, il nous faut donc évoquer une autre théorie qui est arrivée à faire une radicalisation de la forme. Il s'agit du Prolégomènes à une théorie du langage de Louis HJELMSLEV (HJLEMSLEV, 1968-1971).

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Nous pouvons dire que chez HJELMSLEV, la démarche est plus confiante parce qu'au lieu de parler de sens il fait appel à la notion absolument neutre de « grandeur ». Mais au lieu de faire nous-même la glose de cette théorie féconde, donnons la parole à un commentateur à qui nous devons la relecture de l'ouvrage selon ses nouvelles indications :

« Pour HJELMSLEV le langage ne contient rien que du langage. La sémantique n'existe pas. Il n'existe qu'un plan d'expression et un plan de contenu, appliqué à un inventaire. Mais rien ne dit que l'expression doive être nécessairement sonore ni le contenu nécessairement conceptuel, ces deux niveaux ne sont définis que relationnellement, et ne s'appliquent qu'à tout inventaire qui en est doté. Il n'y a donc rien à abstraire, car il n'y a pas de noyau, pas de sèmes, pas de classèmes, pas de traits pertinents » (ALMEIDA, 1997)

Ce qui lui a permis de concevoir le principe d'isomorphisme entre l'expression et le contenu et que de la sorte : « Le sens devient chaque fois substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être substance d'une forme quelconque. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)

Or s'exprimer en trope, c'est changer de forme de lire le monde, et cette forme, par sa différence avec d'autres formes, indique la force illocutoire de l'expression. Pour illustrer cette dernière remarque, nous allons nous servir d'une synecdoque qui passe inaperçue à cause de son évidence même.

Il s'agit de notre usage des noms propres. C'est pratiquement universel maintenant qu'un individu possède un nom et au moins un prénom. Sauf, circonstance particulière, on choisit l'un ou l'autre. Si l'on choisit le nom, la valeur illocutoire est la marque de distance respectueuse qui est une interdiction de la familiarité. Si l'on choisit le prénom, c'est la marque de la réduction de la distance en témoignage d'une intimité. Il est évident que choisir l'un ou l'autre, c'est faire une synecdoque ; car c'est exprimer une partie pour la totalité. Il en va de même, si par affectivité, le prénom lui-même est encore tronqué : au lieu de dire, par exemple Robert, on se contente de Rob ou de Bob. Pareillement pour l'utilisation d'hypocoristique.

En conclusion, la raison qui pousse les analystes vers la voie de la rhétorique restreinte, sous le couple métaphore et métonymie seulement, paraît maintenant, comme le signale GENETTE (GENETTE, 1970), être une méconnaissance du mécanisme de la synecdoque : le principe de renvoi de signe à signes qui est au coeur de l'essence du langage.

Travaux cités

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SCHAFF, A. (1969). Langage et connaissance. Paris: éditions Anthropos.

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4. SYNECDOQUE ET LANGAGE DES OEUVRES D'ART

RÉSUMÉ

Le but de cet article est de rompre avec la confusion entre synecdoque et métonymie en montrant que la synecdoque est une figure du tout pour la partie ou de la partie pour le tout au sein d'une totalité inaliénable. Par contre, la métonymie s'organise entre éléments contigus au sein d'un ensemble conventionnel. L'objet d'illustration de cette différence est un poème de Jean TOULET

Mots clés : synecdoque, métonymie, préservation de la face, illocutoire, décomposition sémantique.

ABSTRACT

The goal of this article is to break with muddle between synecdoche and metonymy in showing that synecdoche is a figure of all for the part or the part for the all among a totality inalienable. On the contrary, the metonymy is organized between adjoining elements within a conventional whole. The illustration object is a poem of Jean-Paul TOULET.

Key words: synecdoche, metonymy, face work, illocutionary, semantic component

4.1. CADRE THÉORIQUE

Le but de ce projet est de montrer que la synecdoque, en tant qu'essence du langage, peut servir d'herméneutique dans l'analyse des poèmes considérés comme des oeuvres d'art. Pour tester cette hypothèse, nous allons prendre comme preuve de la démonstration le diptyque de Jean Paul TOULET suivant :

"Étranger, je sens bon. Cueille-moi sans remords :
Les violettes sont le sourire des morts."5

Pour commencer, prenons une des définitions la plus citée de la synecdoque, celle qui se trouve dans Sémantique de la métaphore et de la métonymie (LE GUERN, 1972) :

« La synedoque est donc une espèce de métonymie, par laquelle on donne une signification particulière à un mot qui, dans le sens propre, a une signification plus générale ; ou, au contraire, on donne une signification générale à un mot qui, dans le sens propre, n'a qu'une signfication particulière. En un mot, dans la métonymie, je prends un mot pour un autre, au lieu que dans la synecdoque je prends le plus pour le moins ou le moins pour le plus. » (LE GUERN, 1972, p. 12)

Il s'agit là d'une définition empruntée à DUMARSAIS. Cette définition date de 1730. Mais elle a le mérite de faire la distinction entre la métonymie et la synecdoque, selon la remarque de LE GUERN lui-même. Une distinction dont la postérité a eu du mal à maintenir compte tenu

5 http://www.florilege.free.fr/toulet/les_contrerimes.html

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de la confusion des exemples qui sont tantôt présentés comme métonymiques, tantôt relevant de la synecdoque.

Parmi ces confusions, la plus célèbre nous semble être celle d'un ouvrage de référence destiné au milieu universitaire. Il s'agit du Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage par DUBOIS, Jean ; GIACOMO, Mathée ; GUESPIN, Louis ; MARCELLESI, Jean-Baptiste et Christiane et MEVEL, Pierre (DUBOIS J. e., 1994). Ouvrage hexacéphale mais qui donne sous l'entrée « métonymie » l'exemple de « une voile à l'horizon ». Puis, à l'entrée « synecdoque », nous lisons ceci :

« Quand un locuteur, intentionnellement, notamment pour des raisons littéraires, ou une communauté linguistique, inconsciemment, assignent à un mot un contenu plus étendu que son contenu ordinaire, il y a synecdoque : « voile » pour « navire » [...] »

Dans le domaine de la rhétorique, il est admis généralement que la synecdoque est une sorte de métonymie et que de la sorte elle finit par être absorbée par cette dernière. Dès lors, ce qui explique la confusion, c'est la polarisation sur la métaphore et la métonymie qualifiée par Gérard GENETTE de rhétorique restreinte (GENETTE, 1970), une polarisation favorisée par l'observation de deux mécanismes opposés entre les deux. La métaphore opère au niveau de la sélection, donc de l'axe paradigmatique pour faire trope et la métonymie s'organise au niveau de la contiguïté, donc de l'axe syntagmatique.

Roman JAKOBSON est un de deux qui légitiment cette confusion. D'abord en définissant, suite au schéma de la communication, la fonction poétique comme la projection des équivalences paradigmatiques sur l'axe syntagmatique (JAKOBSON, 1981 (ed. or. 1964), p. 221). Ensuite en reprenant dans Essais de linguistique générale (Ibid.) l'article « Deux aspects du langage et deux types d'aphasie » publié en 1956.

C'est l'attitude générale jusqu'à la publication par le Groupe de Liège (DUBOIS, Jacques ; EDELINE, Francis ; KLINKENBERG, Jean-Marie ; MINGUET, Philippe ; PIRE, François et TRINON, Hadelin de la Rhétorique Générale (DUBOIS J. , et al., 1982). Dans cet ouvrage il est démontré que la métaphore est une double synecdoque.

Si la réhabilitation de la synecdoque est ainsi généralement admise, elle n'empêche pas la confusion de s'installer. Aussi, cette communication est-elle un projet de désambiguïsation. En passant par la synecdoque, elle visera la métaphore dans ce diptyque. En effet, il est très curieux de constater que les auteurs qui acceptent la position de la Rhétorique Générale se contente de reprendre le même exemple qui sert d'illustration à la métaphore, parmi eux TODOROV (TODOROV, 1970) et LE GUERN (LE GUERN, 1972)

Cette reprise du même exemple peut être comprise, selon le principe du détachement du sens de Benoît DE CORNULIER (CORNULIER, 1982, pp. 125-182), comme un acte de langage dans lequel, le récitant ne fait qu'un acte locutoire sans s'engager sur la validité de la théorie qui a permis d'écrire l'exemple. En conséquence, il rejette la théorie.

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On peut résumer de la sorte la règle du détachement du sens : si quelqu'un dit une chose et que par des procédures diverses, allant de l'implication à l'interprétation explicite, assigne à ce qui est dit la valeur d'un autre signe, on peut conclure que ce que signifie cet autre signe est accompli de manière illocutoire.

Voyons cette règle à l'oeuvre dans l'exemple suivant.

3. La terre est ronde, et cela est une affirmation des scientifiques6.

En ce qui concerne cette dissociation annoncée, nous pouvons rendre compte du détachement du sens à partir des textes de LE GUERN qui écrit ceci de sa lecture de la Rhétorique générale du groupe u :

« Pour ces auteurs, « la métaphore se présente comme le produit de deux synecdoques ». Un exemple permettra de mieux comprendre leur manière d'analyser ce mécanisme : si un « bouleau » est transformé métaphoriquement en « jeune fille », on aura abouti à la métaphore par une synecdoque généralisante faisant passer de « bouleau » à « fragile » puis une synecdoque particularisante remplaçant « fragile » par « jeune fille » (LE GUERN, 1972, p. 13)

Or, cette métaphore du « bouleau » pour référer à « jeune fille » est exactement le même exemple qui sert au Groupe de Liège d'illustration au fait que la métaphore est une combinaison de deux synecdoques. Pourtant de la manière que LE GUERN l'insère dans son analyse, on ne peut pas trouver d'indice, même au niveau typographique, qui signale qu'il a emprunté l'exemple à ces auteurs.

De ce point de vue, au niveau énonciatif, on peut croire que le commentaire souscrit au sens du commenté. Car tout se passe comme s'il y avait une adhésion à la théorie commentée par appropriation énonciative de l'exemple. C'est ce qu'indique l'absence d'indice permettant de le rattacher aux auteurs de la Rhétorique générale.

Nous avons, en insérant les propos dans le cadre de la règle du détachement du sens :

4. Voici un exemple, j'affirme la théorie par cet exemple

Quand il ajoute quelques lignes plus loin, dans la même page :

« Cette théorie, séduisante par son ingéniosité, présente toutefois un grave inconvénient : elle ne semble pas compatible avec les résultats obtenus pas JAKOBSON à partir de l'observation clinique des cas d'aphasie » (Ibid.),

on peut conclure de la même manière que l'énonciateur accomplit l'acte de rejeter la théorie sans qu'il faille chercher dans la séquence un verbe performatif qui soit équivalent à rejeter. Car c'est la combinaison des deux passages cités dans le texte en cours et dans le texte d'origine qui fait signe et que ce signe renvoie au rejet par le caractère globalement dépréciatif de la dernière citation. En tout cas, dire d'une chose qu'elle a un grave

6 C'est de cette manière que la règle du détachement du sens prend en charge le classique exemple : les scientifiques affirment que la terre est ronde.

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inconvénient et démontrer cet inconvénient dans le même discours, équivaut à conseiller de ne pas prendre cette chose au sérieux.

C'est exactement une extension au niveau discursif de ce qui est produit dans l'exemple conversationnel suivant :

5. Pouvez-vous me passer le miel ?

Pour gloser cet exemple dans le cadre du détachement du sens, nous allons emprunter à KERBRAT-ORECCHIONI son analyse du pareil exemple : « Sans croyance à la littérarité, il ne peut exister de trope. Semblablement :

« Tu peux me passer le sel ? » n'est à considérer comme une requête « indirecte » qu'à la condition d'admettre « normalement » toujours, une telle structure (de par en l'occurrence son schéma prosodique) sert à réaliser un autre acte de langage (demande d'information), et que plus généralement, certaines « formes de phrases » ont pour vocation d'exprimer telle valeur illocutoire plutôt que telle autre - [...] » (KERBRAT-ORECCHIONI, 1994, p. 59)

Ce qui signale, en effet, à la réception de (3) qu'il ne faut pas le prendre pour ce qu'il est : une interrogation sur la capacité de passer le sel est l'évidence de cette possibilité, alors la question serait une tautologie du possible, car l'autre option qui consiste à demander à un handicapé physique grave la possibilité de passer le sel est une pure cruauté. C'est ainsi que l'interrogation s'engage dans le trope illocutoire puisque :

« Dans le « trope illocutoire », les contenus engagés dans ce mécanisme de renversement hiérarchique sont de nature pragmatique (ce sont des valeurs illocutoires), et non sémantique - mais cette différence mise à part, le phénomène est à bien des égards similaire à celui qui caractérise la métaphore ou l'antiphrase ». (KERBRAT-ORECCHIONI C. , 1994, p. 58)

Ce qui veut dire que de l'interrogation, comme acte affiché, dérive un autre illocutoire. Ce qui permet d'identifier cet illocutoire dérivé, est l'échec pragmatique de l'illocutoire affiché. Ce qui revient à dire que demander quelqu'un sur la possibilité de faire quelque chose, c'est lui demander de le faire. C'est cela qu'il faut entendre par requête.

Ce qui veut dire que l'illocutoire dénoté est la requête et que l'interrogation devient du connoté dans (3). Ce qui veut dire que ce trope illocutoire est commandé par une question de préservation de la face laquelle permet de recourir, au cas où l'illocutoire dérivé connaît une mauvaise réception, à l'illocutoire affiché. C'est ce qu'implique DUCROT en ces termes :

« Le problème général de l'implicite, (...) est de savoir comment on peut dire quelque chose sans accepter pour autant la responsabilité de l'avoir dit, ce qui revient à bénéficier à la fois de l'efficacité de la parole et de l'innocence du silence. » (DUCROT, 1972, p. 12)

Cette migration des données de l'analyse conversationnelle vers l'analyse de discours se réalise à la manière d'une homothétie. Au fait, il s'agit de réduire leur différence de n'être plus que celle de la forme du corpus. Elle permet de rendre compte dans ce travail du rejet de la

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position du Groupe p. par LE GUERN qui a également du mal à faire la différence entre synecdoque et métonymie. Il cite comme exemple de métonymie « voix », de son occurrence dans l'extrait de texte de Zola suivant :

6. De grosses voix se querellaient dans les couloirs

C'est plutôt une synecdoque et nous allons démontrer comment en reprenant l'analyse en décomposition sémique du groupe p. à travers son interprétation par Ladislav VÀCLAVIK qui en fait une application dans son travail :

« Selon le Groupe u, l'analyse des tropes conduit à deux types de décomposition sémantique : conceptuelle (désignée par E) et référentielle (Ð). Prenons, par exemple, la classe sémantique des « voitures ». On peut la considérer du point de vue référentiel : la voiture se compose de différentes parties (châssis, axes, roues, amortisseurs, moteur etc.) qui sont, entre elles, dans un rapport de produit logique. Mais on peut regarder la voiture aussi du point de vue conceptuel : la voiture est une classe de sous-classes (Peugeot, Citroën, Rolls-Royce, etc.). (VACLAVIK, 2009)

L'intérêt de ce détour est qu'il montre que le concept qui fonde la théorisation de la métaphore en double synecdoque est un principe généralisé permettant au langage d'être efficacement économique par recours à la synecdoque. Du fait que cet exemple n'est pas emprunté au Groupe p. implique que ce principe est accepté. Néanmoins, nous allons faire une remarque qui concerne le mode de décomposition référentielle.

Lorsque l'on parle de référent, il s'agit d'une donnée extralinguistique. A priori cela ne saurait plus concerner la linguistique et c'est cela qui a conduit JAKOBSON à considérer que la relation de contiguïté qui caractérise la métonymie est externe au langage. Notre réponse à cette affirmation est qu'une fois le monde versé dans le langage la catégorie du réel s'évanouit comme une question inutile. Une autre manière de comprendre cette fuite du réel se trouve sous la plume de Robert de MUSIL :

« [...], si l'on veut un moyen commode de distinguer les hommes du réel des hommes du possible, il suffit de penser à une somme d'argent donnée. Toutes les possibilités que contiennent, par exemple, mille marks, y sont évidemment contenues qu'on les possède ou non ; le fait que toi ou moi les possédions ne leur ajoute rien, pas plus qu'à une rose ou à une femme. » (MUSIL, 1982, p. 18)

Ou, si l'on veut, il faut admettre qu'il existe une propriété isomorphe des noms et des choses : celle de se comprendre par le système de renvois de chose à choses ou de nom à noms. Ce qui veut dire que la décomposition référentielle est toujours de nature linguistique comme le stipule cette analyse qui précise celle du groupe p. :

« La praxis linguistique rend compte du réel en transférant à l'« unité de typisation » toutes les occurrences dont la variété n'importe pas au message, en ramenant à l'« unité de hiérarchie signifiante » toutes les occurrences présentes en une. Le praxème ne produit du sens qu'en ce qu'il est cette double unité » (LAFONT, 1978, p. 134)

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4.2. PRATIQUE

Nous pouvons affirmer à partir de ces efforts théoriques que les noms sont des unités denses dans la langue. Renforce cette densité, la possibilité de convertir tous les autres parties du discours en nom par le moyen d'adjonction d'article et c'est un bel exemple d'autonymie.

Cette densité provient du fait que le nom, en tant qu'unité de typisation, renvoie à une multitude d'éléments dotés des mêmes propriétés (la classe du nom, arbre = peupliers, orangers, pommiers, baobab, etc.) par oubli des différences individuelles qui importent peu au message, et c'est une synecdoque particularisante. En tant qu'unité de hiérarchie signifiante, il renvoie également à des éléments plus petits (arbre = tronc, branches, feuilles, etc.). Nos dictionnaires usuels choisissent les éléments subsumés par l'unité de hiérarchie signifiante comme définition de manière synecdochique. C'est ce que montre ici la présence de « etc. »

Notre poème commence par le mot « Étranger ». Puisqu'il s'agit d'un nom commun, normalement, il doit comporter un déterminant à cause de son insertion dans le discours. Mais cette absence de déterminant n'est pas imputable à une infraction au code linguistique. Elle est une conséquence d'un emploi spécifique des noms communs : le vocatif. Le vocatif sert à interpeller. C'est sa spécialisation illocutoire qui ne fait pas l'objet d'une assertion ou d'une affirmation, mais seulement montrée par la forme de l'énonciation. (Cf. (DUCROT, 1980, p. 30)). En l'occurrence, l'absence d'article sur un nom commun inséré dans le discours.

Il s'agit donc d'un processus de renvoi qui permet à la production d'un signe « Y » de signifier « Z » qui est de nature illocutoire. CORNULIER appelle ce mécanisme de renvoi de signe à signes « détachement du sens ». C'est de cette manière que produire un vocatif équivaut à interpeller.

C'est une particularité des langues comme le français qui connaît un genre grammatical d'étendre celle-ci aux inanimés. En effet, si dans le monde des vivants, la distribution en masculin et féminin est justifiée parce que certains êtres vivants sont sexués ou du moins ont des traits sexuels apparents, il n'en va pas de même dans le règne végétal et encore moins dans l'univers du minéral. Il en résulte qu'en langue, l'indice du registre du genre est l'article - ou plus exactement les déterminants nominaux - et les adjectifs ou les catégories traitées comme telles par la grammaire. C'est de cette manière que « étranger », ici, reçoit une marque grammaticale du genre parce qu'il dérive de la catégorie d'adjectif par conversion, en dépit de l'absence de tout article.

Cette dernière remarque nous autorise d'envisager le mot qui nous occupe du point de vue de son articulation sémiotique avec les autres éléments de la langue. Cette articulation peut correspondre au concept de « différance » (Cf. (DERRIDA, 1968), ou l'articulation de la substance et de la forme de contenu dont voici le principe régissant : « Seules les fonctions de la langue, la fonction sémiotique et celles qui en découlent, déterminent sa forme. Le sens

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devient chaque fois substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être la substance d'une forme quelconque. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)

Ainsi dans notre exemple, « étranger » est une forme du contenu « homme » - compte tenu de la remarque sur les langues qui connaissent le genre - dans une perspective synecdochique parce que ce n'est pas la totalité de la classe « homme » qui peut être qualifiée d'"étranger", mais une partie seulement. « Étranger » se comprend donc en tant que forme de substance : homme qui n'a pas de lien de parenté avec le locuteur.

Nous voyons bien par explicitation de cette forme que le mot « étranger » est une synecdoque particularisante pour homme. Nous pouvons alors maintenant nous demander à quoi sert cette synecdoque.

En anticipation des résultats de notre analyse, puisque jusqu'à présent nous n'avons traité que le seul élément qui commence le texte, nous pouvons dire que cette synecdoque se justifie par le fait que par sa forme elle a pour valeur illocutoire le respect de l'interdit de l'inceste.

Pour conforter cette réponse, embrayons-nous immédiatement sur l'analyse du destinateur de la parole. Commençons par l'identifier. En s'adressant à un étranger sous une forme de contenu qui vise à préserver l'interdit de l'inceste, il n'est pas excessif de conclure que le destinateur de la parole est une femme.

Évoquons deux lieux communs pour corroborer cette indentification sexuelle. Le premier de ces lieux communs consiste à dire que la femme relève de l'être et l'homme du faire, dans le cadre de la séduction. Rappelons qu'étymologiquement « séduire » signifie « détourner du droit chemin ». Il semble que ce premier lieu commun soit largement confirmé par notre poème.

La mention de l'homme est strictement réduite à l'emploi de ce vocatif si l'on ne tient pas compte de son implication dans l'ordre « cueille-moi sans remords ». Autrement, tout le reste du poème se caractérise par une description de la femme. Une première description est constituée par l'attribution de l'adjectif « bon » à la femme par le biais du verbe « sentir » dont la relation avec le «sens » n'est plus à démontrer, puisqu'il s'agit de mettre à contribution l'olfaction. La description est donc une description d'état, ce qui renforce le lieu commun évoqué.

Pour démystifier, faisons recours à la règle de détachement du sens. Excepté le vocatif, l'on sait facilement que tout le reste du poème doit concerner la femme, puisqu'il s'agit d'une opération de séduction. La grammaire traditionnelle définit « je » comme un pronom de la première personne du singulier. BENVENISTE, s'oppose à cette interprétation en arguant qu'on ne peut pas lui assigner un nom dont il est le pronom. Ainsi, c'est de la manière suivante que ce professeur du Collège de France entend donner une dimension fondamentalement pragmatique à son approche de la question :

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« L'acte individuel d'appropriation de la langue introduit celui qui parle dans sa parole. C'est là une donnée constitutive de l'énonciation. La présence du locuteur à son énonciation fait que chaque instance de discours constitue un centre de référence interne. Cette situation va se manifester par un jeu de formes spécifiques dont la fonction est de mettre le locuteur en relation constante et nécessaire avec son énonciation. Cette description un peu abstraite s'applique à un phénomène linguistique familier dans l'usage, mais dont l'analyse théorique commence seulement. C'est d'abord l'émergence des indices de personne (le rapport je-tu) qui ne se produit que dans et par l'énonciation : le terme « je » dénotant l'individu qui profère l'énonciation, le terme « tu », l'individu qui y est présent comme allocutaire. » (BENVENISTE, 1970, p. 14)

Ce qui veut dire que dans la cadre de cette communication amoureuse, ce « je » est également de nature synecdochique parce qu'en dépit de sa singularité numérative, il renvoie à toutes les femmes qui peuvent de la même manière s'approprier cette énonciation. Ici, aussi, la référence singulière de la femme désignée par « je », si pour autant cette désignation est acceptée, sont toutes les femmes qui peuvent assumer la même énonciation. C'est là le propre de la communication littéraire : permettre aux lecteurs d'assumer au niveau énonciatif ce qui est écrit dans le texte.

Benoît de CORNULIER, en dénonçant l'attitude qui conçoit les onomatopées comme de mauvais signes motivés, en arrive à montrer indirectement le rôle fondamental de la synecdoque dans le fonctionnement de la langue. L'argument de cette dénonciation consiste à dire que le langage peut s'imiter lui-même. C'est ce que l'on appelle signe autonymique dont nous livrons ci-après une des premières définitions que nous devons au logicien philosophe Rudolf CARNAP qui se trouve en citation chez Alain REY (REY, 1976, p. 224) :

« Puisque le nom d'un objet peut être arbitrairement choisi, il est très possible de prendre pour nom de la chose la chose elle-même, ou, pour nom d'une espèce de choses, les choses de cette espèce. Nous pouvons, par exemple, adopter la règle suivante : au lieu du mot allumette, une allumette sera toujours placée sur le papier. Mais c'est le plus souvent une expression linguistique qu'un objet extralinguistique qui est utilisée comme sa propre désignation. Nous appelons autonyme une expression utilisée de cette manière. ».

Cette autonymie peut se faire de deux manières, à l'intérieur du langage lui-même ou à l'extérieur. Pour ce dernier cas, voici ce qu'il en est dit :

« [...] comme quand un philosophe disant « je » réfère à soi-même, personne singulière, mais seulement en tant qu'exemple d'humanité, de sorte que « je » paraît avoir une référence universelle ; de même, quand on montre une cigarette en disant : Ceci t'empoisonnera, l'objet singulier de la référence littérale peut, pris comme type, « référer » pour ainsi dire à toutes les cigarettes ou à leur classe. » (CORNULIER, 1982, p. 138)

De ce point de vue, on peut comprendre facilement la remarque précédente qui transfert à toutes les femmes dans une situation de séduction ce qui est assumé par « je » dans le poème. Par ailleurs il faut accepter que la distance qui sépare le « je » à l'individu

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biographique est une distance très fluctuante, voire incommensurable comme le stipule RIMBAUD dans sa révolte contre la littérature de son époque : « je est un autre ». Par ailleurs, nous pensons qu'il ne faille pas chercher des données biographiques pour comprendre l'oeuvre, la biographie de l'auteur est souvent mal connue ou inconnaissable et les textes qui la prend en charge tourne très vite à l'hagiographie.

Le deuxième lieu commun est aussi l'identification de la femme à la passivité et l'homme à l'action. Cette deuxième condition d'identification est également satisfaite dans le poème. Ce qui l'assure est l'ordre donné par la femme dans cueille-moi sans remords. Celui qui doit accomplir cet ordre est l'homme et le patient de cette action est la femme.

Cependant, du point de vue de la parole, dans ce poème, l'homme est allocutaire, c'est donc la femme qui est du côté de l'action. Cette remarque ne permet pas de conclure que le deuxième lieu commun est contredit. Il s'agit de dire, au contraire, que dans l'opération de séduction, c'est la femme qui l'exerce sur l'homme et l'homme séduit a pour mission de conquérir la femme.

En d'autres perspectives, en mesurant à l'aune du détachement du sens cette conjonction d'un ordre verbal et l'exécution impliquée, on s'aperçoit que le poème renvoie à l'intuition des psychanalystes selon laquelle le véritable sexe c'est la femme (Cf. (BRANDT, 1982). En effet, du fait de la forme de la substance « homme » qui, justement, à cause de cette synecdoque qui renvoie à la notion d'interdit de l'inceste ; la communication qui est à sens unique se qualifie de communication amoureuse. Cela ne contrevient pas du tout au deuxième lieu commun. En dernier ressort et pour dire les choses sans fioritures, il faut croire qu'en amour, c'est la femme qui se constitue en objet de quête.

Or, il n'est plus à démontrer que dans la sémiotique narrative, objet de quête et objet de valeur sont une seule et même chose et qu'en outre la valeur d'usage se confond avec la valeur d'échange. C'est pour cette raison que dans ce diptyque, la parole est exclusivement féminine. Du coup, « étranger » cesse d'être une simple synecdoque, il devient aussi une métaphore de l' « ignorance » via un terme intermédiaire « non initié ».

Ce qui a permis au Groupe u d'afficher la métaphore comme une double synecdoque, c'est que les termes de départ et d'arrivée de la métaphore possède un point d'intersection. Cette intersection peut s'étendre à l'un et à l'autre, par synecdoque, de telle manière que l'un peut renvoyer à l'autre par symbolisation. Il est d'une expérience banale de constater qu'un étranger, dans une maison, par exemple, ne cesse de poser des questions sur le fonctionnement de cette maison jusqu'au jour où la maison lui sera devenue familière. Dès lors, le terme « non initié » peut être compris comme une synecdoque particularisante du terme « étranger » et synecdoque généralisante de « ignorant » (l'étranger est celui qui ne vient pas du pays et celui qui ne vient pas du pays ignore les moeurs de ce pays). C'est ce qui permet de prendre « étranger » comme une métaphore de l'"ignorant".

Ainsi, si la parole est exclusivement féminine dans ce diptyque, c'est que dans une logique narrative, la métaphore de l'ignorance impose le mouvement inverse ; celui de

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parcourir le chemin qui mène de l'ignorance vers la connaissance. C'est une pareille démarche narrative qui fait donner un sens métaleptique au verbe « connaître » dans la plupart de ses emplois dans la Bible comme dans celui-ci : Elkana connut Anne. (Samuel 1, 19). On comprend alors que la valeur illocutoire de cette parole de femme est une invitation - ou une requête - à entamer cette démarche de reconnaissance.

Mais il faut reconnaître qu'il ne s'agit pas là de la valeur illocutoire primitive car avant tout, cette parole féminine a pour but pragmatique d'informer l'homme de certaines qualités de la femme. De là, de cette valeur illocutoire primitive en dérive une autre. Il n'est pas inutile de donner un commentaire de cette dérivation illocutoire à travers le texte de Jean-Claude ANSCOMBRE : « Ainsi le décodage de la requête « ouvrez la fenêtre » dans « il fait chaud ici » nécessite de la part de l'auditeur un raisonnement complexe dont les grandes lignes seraient :

Une opération de type implicature : « L a dit : « il fait chaud ici » entraîne « L a chaud » ».

Un principe conversationnel général qui est que l'on ne parle pas pour ne rien dire ni pour ne rien faire.7 La motivation la plus claire de L pour dire qu'il a chaud est de désirer de se rafraîchir.

Une loi de discours : communiquer un désir, c'est demander la satisfaction de ce désir. L demande à ce qu'on le rafraîchisse. La façon la plus rapide de le satisfaire serait d'ouvrir la fenêtre. » (ANSCOMBRE, 1980, p. 87)

Pour donner raison à FREUD qui définit le féminin comme caractérisé par un manque : le désir du pénis - par opposition à l'angoisse de castration de l'homme - il suffit d'intégrer son raisonnement à la logique narrative qui fait naître le texte à partir d'un manque. Cette dernière remarque permet de voir une nouvelle synecdoque dans le terme « étranger ». Si nous avons pu découvrir en termes de substance et forme de contenu que ce terme est une synecdoque particularisante pour « homme » afin que l'énonciation puisse souscrire à l'interdit de l'inceste qui est une valeur universelle ; maintenant, on s'aperçoit qu'il est aussi une synecdoque croissante pour « pénis ».

De ce point de vue, il semble que la femme contrevient au second lieu commun qui, rappelons-le, assigne à la femme un rôle passif. Cependant, il faut admettre ici que l'activité de la femme est tout simplement verbal qui engage son allocutaire à des actions définies par l'illocutoire dérivé que résume le point (C) du mécanisme exposé par ANSCOMBRE. Dès lors, le deuxième lieu commun est respecté car en communiquant son désir, la femme fait agir l'homme. C'est cela le propre de la requête. C'est ce qui se confirme littéralement dans « cueille-moi sans remords » où la femme est l'objet de l'action de l'homme.

La question qui va nous guider maintenant est de savoir par quel mécanisme pragmatique, la femme convertit son propre désir en instauration du manque chez l'homme bien que nous ayons entraperçu cela sous la formulation de la requête comme illocutoire dérivé d'une affirmation, à l'instant.

7 « Faire » dans le sens performatif de J.L. AUSTIN

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Cette question nous amène à commenter la séquence « je sens bon » avec conjointement « cueille-moi sans remords ».

S'il est admis que le premier topique consiste à dire que « la femme est » par opposition au fait que « l'homme fait », il ne faut pas croire qu'il s'agit de la dimension ontologique de la femme. Au contraire, la question ontologique ne saurait pas retenir une linguistique qui s'occupe des variables de la forme du contenu, conformément à l'affirmation de HJELMSLEV pour qui le sens devient à chaque fois la substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être la substance d'une forme quelconque.

Ce qui veut dire qu'il est plus pertinent de convertir l'affirmation péremptoire de l'être de la femme en affirmation de paraître. C'est ce que l'industrie cosmétique a parfaitement compris, notamment en matière de parfumerie.

Justement, la femme, en tant que substance de contenu, se présente ici sous la forme d'un « je sens bon ». Tout se passe comme si la femme ayant perdu la phéromone au cours de la phylogénie se signalait à son partenaire sexuel par l'artifice du parfum. Mais définir la femme du point de vue olfactif seulement est réducteur. Ce qui nous amène à comprendre qu'il s'agit là encore d'une synecdoque de la partie au tout.

Ce dire « je sens bon », en tant que synecdoque, est caractéristique de la sexualité féminine, parce qu'il est motivé par une question de préservation de la face comme le souligne cette remarque de FREUD :

« Le développement des inhibitions sexuelles (pudeur, dégoût, pitié) s'accomplit de bonne heure chez les petites filles, et rencontre moins de résistance que chez les jeunes garçons. Chez les filles également, le penchant au refoulement sexuel paraît jouer un plus grand rôle, et lorsque les pulsions sexuelles partielles se manifestent, elles prennent de préférence la forme passive » (FREUD, 1962, p. 128)

Le paradoxe de cette synecdoque est qu'au lieu de minimiser la séduction féminine, elle fonctionne comme une censure qui interdit la totalité en même temps qu'elle la postule. Il ne s'agit pourtant pas d'une interprétation psychanalytique de l'interdit mais d'une exploitation du processus de renvoi qui fait que la substance femme s'incarne dans plusieurs formes dont une seule est mentionnée par le poème. Autrement dit, dans le processus de renvoi synecdochique - il en va de même pour les renvois métonymiques - l'interdit absolu ne peut pas exister, il implique toujours une transgression de l'interdit en désignant l'objet de l'interdit à la convoitise.

C'est ainsi que cette parole qui semble être innocente en définissant une forme de la substance « femme » en appelle à la connaissance des autres formes que peuvent prendre cette substance, au sens métaleptique du verbe connaître tel que cela est exprimé un peu plutôt. Nous pouvons donc conclure que c'est par la synecdoque comme censure que la parole féminine convertit son propre désir en désir masculin.

On peut encore expliquer cette conversion d'une autre manière convergente.

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Elle s'organise au sein de la différence entre le réel et le possible. Le concept de possible fut introduit en philosophie par Wilhelm LEIBNIZ, pour la première fois, pour exprimer que le réel peut prendre une autre forme comme on peut le constater dans des énoncés simples comme celui-ci :

7. Si cette table n'était pas là, on ne se cognerait pas à chaque fois pour ouvrir la fenêtre.

Depuis, la notion de possible n'a plus quitté toute sémiosis dans n'importe quel domaine. À titre de preuve, il n'est que de commenter cette affirmation de BOUDOT en citation chez Jean-Claude PARIENTE :« Une théorie féconde du réel exige la pensée de l'irréel » (PARIENTE, 1982, p. 43).

C'est-à-dire que notre évocation à l'irréel n'est pas un renvoi à quelque chose de nul et non avenu mais au contraire, à une autre forme du réel qui est frappée d'inexistence au point que Luidwig WITTGENSTEIN nous apprend que : « L'existence et l'inexistence des états de choses constituent la réalité » (2.06) (WITTGENSTEIN, 1961, p. 86). Ou, encore mieux : « (...), nous ne pouvons imaginer aucun objet en dehors de la possibilité de sa connexion avec d'autres objets » (2.0121) (ibid, p, 32)

En définitive, la réalité de l'affirmation « je sens bon », de par sa nature synecdochique, n'est compréhensible que par sa possibilité de connexion avec autres choses définies par la substance « femme ». Dire le moins pour le plus a donc cet effet puissant et irrépressible de provoquer la quête de la totalité par instauration du manque par la censure.

Autrement dit, de cette synecdoque croissante, on s'aperçoit que le possible n'est pas ce qui s'oppose au réel mais ce qui lui diffère éternellement.

Dans la mesure où l'activité de parole la convertit en outil qui permet d'accomplir un travail. C'est une autre manière d'expliquer la force illocutoire comme le suggère cette analyse de Robert LAFONT :

« [...] lorsque le chasseur modifie la forme d'un caillou pour en faire une arme contre un gibier éventuel. Éventuel : il faut bien, dans l'opération de fabrication d'un instrument, qu'un troisième objet soit absent et remplacé par son image » (LAFONT, 1978, p. 19).

Autrement, l'activité qui produit la parole, ou pour se fondre dans la terminologie d'AUSTIN : l'acte locutoire détermine par sa forme une force illocutoire que l'on peut comprendre ici comme l'injonction à l'homme de mener une quête de la totalité interdite et en même temps postulée par la synecdoque.

Il s'agit d'une quête qui se trouve confirmée par la séquence « cueille-moi sans remords ». Cette séquence du texte a une particularité : l'adverbial sans remords modifie le verbe « cueillir », mais la question cruciale est de savoir pourquoi il le modifie puisque c'est l'objectif de la parole féminine, après tout.

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La première explication prend encore la voie de la synecdoque dans la séquence « je sens bon » qui renvoie à « fleur ». C'est une synecdoque particularisante parce que tout ce qui sent bon n'est pas une fleur. Or, cueillir une fleur permet peut-être de la sentir, mais c'est aussi un acte qui mène la fleur assurément à la mort. On comprend maintenant pourquoi la requête est modifiée par l'adverbial sans remords.

En outre, quand on se rend compte que celui qui s'énonce de la sorte est identifié à la femme, cette synecdoque préside à l'obtention de la métaphore femme-fleur via l'intermédiaire « sentir bon ». Sans entrer dans les détails de ce processus, voici en résumer ce mécanisme : « Fleur » est une synecdoque particularisante de « sentir bon » qui est à son tour une synecdoque généralisante pour « femme ».

L'adverbial « sans remords » reprend alors la question du Dasein de HEIDEGGER lorsqu'il affirme que :

« Le finir désigné par la mort ne signifie pas un être-à-la-fin du Dasein, mais un être pour la fin de cet étant. La mort est une guise d'être que le Dasein assume dès qu'il est. « Dès qu'un homme vient à la vie, il est assez vieux pour mourir » » (HEIDEGGER, 1984, p. 197)

Tout se passe comme si la femme intimait à l'homme l'ordre de profiter de la vie même si cela se fera au détriment de la femme. En effet, comme pour nous empêcher de manquer cette interprétation, la seconde partie du poème renforce l'isotopie de la fleur par une autre synecdoque très visible, la mention des « violettes » avec une syllepse du nombre. C'est une synecdoque de la partie pour le tout, c'est-à-dire, c'est un renvoi à fleur par mention d'un élément de sa classe.

Pourtant, il ne suffit pas d'affirmer qu'il s'agit d'une synecdoque, mais encore de justifier sa motivation. En effet, n'importe quel élément de la classe du nom « fleur » aurait pu faire l'affaire pour cette synecdoque, mais le choix de cette fleur précise est motivé par le fait qu'une lecture synecdochique en son endroit permet de retrouver sur le plan du signifiant le mot « viol ». Pour dire les choses clairement, « violettes » renvoie à « viol » par interprétation de l'adverbial « sans remords ».

Dès lors, « cueillir » n'est plus à lire littéralement, et c'est une métaphore attestée qui renvoie au fait de prendre la virginité d'une femme qui implique un viol consenti ou non. De la manière où cette dernière partie est énoncée : les violettes sont présentées comme le sourire des morts ; il s'ensuit la même relation de différence entre l'amour et la mort au même titre que le possible n'est pas ce qui diffère du réel mais ce qui lui diffère éternellement.

Tout se passe comme si pour déjouer la mort comme horizon inéluctable de la vie - c'est dans ce sens que HEIDEGGER précise le Dasein comme un être pour la mort et non comme une simple fin du Dasein - la vie devenait un engagement à l'amour, et cela pour deux raisons.

Premièrement, Dans la conception populaire l'orgasme reçoit une conception de « petite mort » comme si en faisant l'amour nous apprenons littéralement à maîtriser la mort. Deuxièmement, en faisant l'amour nous nous donnons la chance d'avoir un autre soi-même,

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instaurant de la sorte dans la discontinuité de la vie par la mort, une continuité par la naissance d'un enfant.

En prenant ensemble les deux arguments, leur complémentarité devient une évidence. Si l'orgasme est une petite mort de laquelle on revient, l'enfant est ce qui nous permet de revenir de la mort futur, parce que par synecdoque, c'est une partie de nous-même - démontrée par la découverte de l'ADN8 - qui nous survit. Décidément, connaître la femme dans le sens biblique du terme c'est en même temps apprivoiser la mort et la déjouer.

C'est de la sorte que le viol, obtenu par interprétation synecdochique du terme « violettes » devient à son tour une synecdoque de l'initiation à l'amour, à cause de sa conjonction avec le sens métaphorique de « cueillir ». Et de nouveau, en tenant compte du deuxième lieu commun, la passivité de la femme dans le rapport amoureux, on peut dire que tout acte d'amour est un viol du corps féminin.

Cette dernière remarque va nous permettre de mieux comprendre pourquoi les violettes - désormais femme-fleur et viol du corps féminin - a pour attribut le sourire des morts.

Dans l'expression « sourire des morts » nous avons un oxymore qui est rendu possible par le renvoi métonymique de chose à choses. Pour une première interprétation, dans la mesure où la mort est un horizon inéluctable de la vie, « sourire » devient une synecdoque de l'aspect positif de la vie qui va s'abîmer inexorablement dans la mort. Une synecdoque particularisante qui renvoie à la femme-fleur au moment où l'homme la cueille - littéralement et dans tous les sens - parce que la mort renvoie par métonymie aux larmes tandis que la femme renvoie par synecdoque à la vie symbolisée par la naissance d'enfant.

Il y a lieu de croire que cette dernière synecdoque est une valeur universelle associée à la femme puisqu'une preuve inattendue dans une culture très éloignée de l'implication culturelle du français l'atteste : la progéniture est appelée dans la langue malgache « menakin'ny aina », littéralement « l'huile de la vie » que nous préférons traduire par « chair de la vie » parce que par métalepse, les liquides séminales au moment de l'orgasme deviendra plus tard cette chair vivante qu'est l'enfant. Cependant, le sens littéral n'est pas à écarter puisque dans les péripéties de la vie, l'huile qui adoucit les dures frictions de la vie se présente sous la forme de l'enfant, fruit de l'amour.

Ainsi, l'adverbial « sans remords » a pour valeur illocutoire d'annuler le scrupule de l'homme devant la violence de la cueillette, devant le viol du corps de la femme dans l'acte d'amour et dans le travail de la femme pendant la parturiente. Il en résulte une sorte de sacralité de la femme qui se sacrifie ainsi sur l'autel de l'amour.

Travaux cités

8 Acide désoxyribonucléique

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ANSCOMBRE, J.-C. (1980). "Voulez-vous dériver avec moi?". Dans Rhétoriques, Communications (Vol. 16, pp. 61-123). Paris: Seuil.

BENVENISTE, E. (1970). "L'appareil formel de l'énonciation". Langages(17), pp. 12 - 18.

BRANDT, P. A. (1982). Quelques remarques sur la véridiction, Hommages aux Jefalumpes. Paris: Institut de Langue Française.

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DERRIDA, J. (1968). "La différance". Dans P. Sous la Direction de SOLLERS, Théorie d'ensemble (p. 56). Paris: Seuil.

DUBOIS, J. e. (1982). Rhétorique Générale. Paris: Seuil.

DUBOIS, J. e. (1994). Dictionnaire de linguistique et des sciences du langages. Paris: Larousse. DUCROT, O. (1972). Dire et ne pas dire, Principes de sémantique linguistique. Paris: Hermann. DUCROT, O. (1980). "Analyses pragmatiques". (Seuil, Éd.) Communications(32).

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GENETTE, G. (1970). "Rhétorique restreinte", dans Recherhces rhétoriques,. Paris: Seuil. HEIDEGGER, M. (1984). L'être et le temps. édition électronique hors commerce.

HJLEMSLEV, L. (1968-1971). Prolégomènes à une théorie du langage. Paris: éditions de Minuit. JAKOBSON, R. (1981 (ed. or. 1964)). Essais de linguistique générale. Paris: Editions du Minuit.

KERBRAT-ORECCHIONI, C. (1994). "Rhétorique et pragmatique: les figures revistées. Langue française, 101(1), pp. 57 - 71.

LAFONT, R. (1978). Le travail et la langue. Paris: Flammarion.

LE GUERN, M. (1972). Sémantique de la métaphore et de la métonymie. Paris: Larousse. MUSIL, R. (1982). L'homme sans qualités. Paris: Seuil.

PARIENTE, J.-C. (1982). "LEs noms propres et la prédication dans les langues naturelles". Dans J. MOLINO, Les noms propres (pp. 37-65). Paris: Larousse.

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VACLAVIK, L. (2009). Le voyage, la femme et la poésie dans l'oeuvre de poétique de Marcel Thiry - Essai d'un modèle triadique. Roumanie: Thèse de Doctorat d'état.

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WITTGENSTEIN, L. J. (1961). Tractatus logico-pholosophicus. Paris: Gallimard.

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5. LE DÉTACHEMENT DU SENS

RÉSUMÉ

La règle du détachement du sens que nous devons à Benoît de CORNULIER permet à n'importe quelle sémiotique de s'incorporer un sens déjà exprimable dans un langage donné. Elle permet entre autres de caractériser les actes illocutoires. Une expression est produite avant tout pour signifier, mais de la forme de l'expression, on peut convenir d'une attitude du locuteur. Cette forme participe à la fois d'une convention que met en évidence la règle du détachement du sens.

Mots clés : sémiotique, sens, détachement du sens, illocutoire, convention

ABSTRACT

The rule of the detachment of the meaning that we owe to Benoît de CORNULIER allows any semiotics to incorporate a sense already expressible in a given language. It allows among others to characterize the illocutionary acts. An expression is produced primarily to mean, but from the form of expression, we can agree on an attitude of the speaker. This form is both a Convention that highlights the rule of detachment of the meaning.

Key words: Key words: semiotics, sense, detachment of the meaning, illocutionary, convention

L'analyse qui va être proposée ici est une exploitation de la règle du détachement du sens comme principe qui permet d'accomplir un acte de langage par le biais d'une interprétation fournie par la relation entre l'interprété et l'interprétant. Cependant, Benoît de CORNULIER, à qui nous devons la mise à jour de cette notion de détachement du sens, distingue deux types de détachement : la version faible et la version forte.

La version faible accepte n'importe quel système sémiotique au niveau du plan de l'expression auquel est assignée une interprétation qui impose un interprétant nécessairement de nature linguistique. Cette conversion d'un système sémiotique quelconque en système linguistique est plutôt banalement exploitée dans la communication humaine pour effectuer des actes illocutoires.

Rappelons pour mémoire que selon HJELMSLEV, il faut entendre par sémiotique une fonction qui relie deux grandeurs qui se définissent ainsi mutuellement comme plan de l'expression et plan de contenu. Nous devons préciser que cette sémiotique milite contre l'idée que le signe est signe de quelque chose qui lui est extérieur, une rupture épistémologique amorcée par la théorie du signe saussurienne mais qui va au-delà.

En effet, chez SAUSSURE, c'est la combinaison du signifiant et du signifié qui forme le signe, et le signe ainsi obtenu sert à désigner un objet du monde. En revanche, pour HJELMSLEV la sémiotique n'est qu'une fonction :

« Pour ce faire, nous cesserons pour le moment de parler de signes car, ne sachant ce qu'ils sont, nous cherchons à les définir, pour parler de ce dont nous avons

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constaté l'existence, c'est-à-dire de la FONCTION SÉMIOTIQUE posée entre deux grandeurs : EXPRESSION et CONTENU. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, pp. 66-67)

Cette définition n'implique pas qu'une sémiotique soit nécessairement de nature linguistique. C'est ce que confirme GREIMAS en posant l'existence d'une sémiotique du monde naturel, une autre manière de présenter le principe d'isomorphisme entre le mot et la chose :

« Il suffit pour cela de considérer le monde extralinguistique non plus comme un référent « absolu » ; mais comme le lieu de la manifestation du sensible, susceptible de devenir la manifestation du sens humain, c'est-à-dire de la signification pour l'homme, de traiter en somme le référent comme un ensemble de systèmes sémiotiques plus ou moins explicites ». (GREIMAS, 1970, p. 52)

Chez WITTGENSTEIN, nous pouvons aussi constater cette affirmation du principe d'isomorphisme entre mot et chose quand il dit que : « (...), nous ne pouvons imaginer aucun objet en dehors de la possibilité de sa connexion avec d'autres objets » (2.0121) (WITTGENSTEIN, 1961, p. 30).

Il est inutile de produire d'avantage de preuves de ce principe d'isomorphisme, faisons remarquer tout simplement à la lumière de cet aphorisme du philosophe viennois que la connexion de chose à chose n'est autre chose que l'établissement d'une fonction sémiotique entre deux grandeurs. Poursuivons, par contre, un autre cheminement de la sémiotique.

SAUSSURE, en définissant le signe linguistique, n'a pas, lui non plus, manqué de remarquer que le monde naturel peut être signifiant. Il pose ce système signifiant comme existant à côté de la linguistique :

« On peut donc concevoir une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ; elle formerait une partie de la psychologie sociale, et par conséquent de la psychologie générale ; nous la nommerons sémiologie (du grec sëmeîon, « signe ». Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent. Puisqu'elle n'existe pas encore, on ne peut pas dire ce qu'elle sera ; mais elle a droit à l'existence, sa place est déterminé d'avance. La linguistique n'est qu'une partie de cette science générale, les lois que découvrira la sémiologie seront applicables à la linguistique, et celle-ci se trouvera ainsi rattachée à un domaine bien défini dans l'ensemble des faits humains. » (SAUSSURE, 1982, p. 33)

BENVENISTE n'accepte pas cette hiérarchisation qui fait de la linguistique un territoire banlieusard de la sémiologie, il inverse cette hiérarchie en précisant que toute sémiotique se construit sur le modèle linguistique. Ce qui veut dire in fine que le dernier interprétant de tout système sémiotique est la linguistique :

« Toute sémiologie d'un système non-linguistique doit emprunter le truchement de la langue, ne peut donc exister que par et dans la sémiologie de langue. Que la langue soit ici instrument et non objet d'analyse ne change rien à cette situation, qui commande toutes les relations sémiotiques ; la langue est l'interprétant de tous les autres systèmes, linguistiques et non-linguistiques. » (BENVENISTE E. , [1974] 1981, p. 60)

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En définitive, que l'on se meuve dans une sémiotique non linguistique ou que l'on évolue dans une sémiotique linguistique, l'intelligibilité d'un système sémiotique demeure la fonction sémiotique unissant deux grandeurs, terme absolument neutre dont se sert HJELMSLEV pour désigner les fonctifs d'une fonction. Position théorique qui dispense de définir ce que c'est un signe et qui a l'avantage de permettre à une sémiotique d'être le fonctif d'un langage : sémiotique connotative ou sémiotique métalinguistique. Une position théorique saluée par ALMEIDA en ces termes :

« Pour Hjelmslev le langage ne contient rien que du langage. La sémantique n'existe pas. Il n'existe qu'un plan d'expression et un plan de contenu, appliqué à un inventaire. Mais rien ne dit que l'expression doive être nécessairement sonore ni le contenu nécessairement conceptuel. Ces deux niveaux ne sont définis que relationnellement, et ne s'appliquent qu'à tout inventaire qui en est doté. Il n'y a donc rien à abstraire, car il n'y a pas de noyau, pas de sèmes, pas de classèmes, pas de traits pertinents. Il n'y a, somme toute, qu'un inventaire, et tout se trouve dans l'inventaire. » (ALMEIDA, 1997)

Pour illustrer cette fonction sémiotique, nous pouvons prendre l'exemple suivant : 1. « Les plantes xérophiles possèdent des racines aériennes sous forme d'épine ».

Dès lors, à la lumière de cet exemple, nous pouvons dire qu'observer des plantes, c'est les constituer en sémiotique, c'est-à-dire en système signifiant qui s'adjoint du contenu par la fonction sémiotique. On parlera alors de sémiotique des plantes justifiant la célèbre affirmation de SAUSSURE (1982, p. 157) selon laquelle, la langue est une forme et non une substance.

HJELMSLEV (1968-1971, p. 68 et passim) nous prévient que rien n'autorise de faire précéder la langue par la « substance de contenu » et démontre qu'il y a un principe d'isomorphisme qui fait qu'il existe une forme et une substance à la fois du contenu et de l'expression et que de la sorte: "Le sens devient chaque fois substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être la substance d'une forme quelconque." (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)

La confusion post-hjelmslevienne de l'interprétation de ce principe d'isomorphisme est semblable à celle de la mise à jour de l'arbitraire du signe de la part de SAUSSURE (1982, p. 100). En voulant démontrer l'arbitraire du signe, la théorie fait intervenir le référent. La critique portée par BENVENISTE ([1966] 1982, p. 52) à ce sujet voit dans le rapport des parties du signe, une nécessité et ; dans celui du signe au référent, l'arbitraire.

Il existe pourtant une analyse qui démontre que le sens se lit sur la forme. Nous sommes alors très loin de la simplification qui consiste à faire des signes linguistiques des désignations d'objets du monde. Au contraire, le signe est inscrit dans un schème d'action sur le monde au même titre que les objets dont nous nous servons. Voici un passage que nous jugeons explicatif de la théorie du signe chez HJELMSLEV :

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« L'hominisation de l'espèce commence lorsque l'individu se sert d'un objet pour en modifier un autre en vue d'une action que ce second assume : lorsque le chasseur modifie la forme d'un caillou pour en faire une arme contre un gibier éventuel. Éventuel : il faut bien dans l'opération de fabrication d'un instrument, qu'un troisième objet soit absent et remplacé par son image. La "certitude sensible" nécessaire au travail est prise en charge par la représentation. Un langage qui relaie le geste déictique est là pour épouser le mouvement de naissance de l'activité sémiotique. Le sens surgit. C'est ce sens que nous lisons quand nous interprétons comme instrument la modification non accidentelle d'un silex : le signe d'une activité qui opère dans l'absence de son objet. » (LAFONT, 1978, p. 19)

Autrement dit, cette théorie du signe nous apprend que le mouvement de la référence ne s'arrête à la désignation de l'objet auquel cas le signe est totalement arbitraire. Le fait nouveau est donc que la forme signe permet de connaître ce qu'elle permet d'accomplir moyennant une utilisation que Benveniste appelle énonciation. Ce qui nous situe d'emblée dans la théorie de l'action. C'est de cette manière que l'on peut assumer l'affirmation selon laquelle le langage ne peut pas être une tautologie du réel.

De ce point de vue, le rapprochement que l'on fait entre SAUSSURE et PEIRCE est un rapprochement conflictuel qui met en évidence leur différence irréductible. L'équivalence se situe entre HJELMSLEV et PEIRCE. Quand la sémiotique du linguiste danois assigne à l'identité du signe une fonction, cela veut dire exactement que tout est signe pourvu qu'il soit pris en charge par la fonction sémiotique. C'est ce qui se passe également chez PEIRCE :

« [...], il n'a pas été plus en mon pouvoir d'étudier quoi que ce fût - mathématiques, morale, métaphysique, gravitation, thermodynamique, optique, chimie, anatomie comparée, astronomie, psychologie, phonétique, économie, histoire des sciences, whist, hommes et femmes, vin, métrologie, si ce n'est comme étude de sémiotique » (LW 422) (MARTY, 1980, p. 29)

Cette première analogie est renforcée par une autre plus importante à nos yeux. Les textes de Prolégomènes à une théorie du langage nous apprennent qu'une sémiotique connotative peut être à son tour devenir l'expression d'une nouveau contenu et ainsi de suite indéfiniment. Il en est exactement de même de la définition du signe chez PEIRCE :

« Un signe ou representamen est un Premier qui se rapporte à un second appelé son objet, dans une relation triadique telle qu'il a la capacité de déterminer un Troisième appelé son interprétant, lequel assume la même relation triadique à son objet que le signe avec ce même objet ... Le troisième doit certes entretenir cette relation et pouvoir par conséquent déterminer son propre troisième ; mais, outre, cela, il doit avoir une seconde relation triadique dans laquelle le representamen, ou plutôt la relation du representamen avec son objet, soit son propre objet, et doit pouvoir déterminer un troisième à cette relation. Tout ceci doit également être vrai des troisièmes du troisième et ainsi de suite indéfiniment... » (2.274) (PEIRCE C. S., 1979, p. 147)

De cette longue discussion dans laquelle nous avons fait référence à des auteurs de divers horizons, il nous semble que la théorie qui considère que le référent extralinguistique

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n'est pas le référent ultime est plus conforme à notre utilisation du langage. C'est une théorie plus puissante parce qu'elle permet de rendre compte de la performativité de nos énonciations. Pour une illustration sommative de cette théorie sémiotique, nous allons prendre un exemple banal, facilement observable dans les milieux citadins et qui va nous permettre que la véritable référence des signes est le rapport interlocutif. Observons alors (2) :

2. Chien méchant

Il s'agit d'un écriteau qui s'affiche généralement sur le portail des domaines privés. Cette affichette se décline dans toutes les langues et est souvent accompagnée d'une représentation graphique d'une tête de chien, bouche ouverte, montrant ses crocs. En admettant que les différentes représentations sont globalement équivalentes, nous préférons alors faire l'analyse du signe iconique. La raison de cette préférence est une souscription au fait que les fonctifs d'une sémiotique sont solidaires.

La première remarque que nous allons présenter est toujours en relation avec la théorie du signe discutée précédemment. À la réception d'un message de ce genre, le destinataire ne se contente pas de conclure à la présence d'un chien doté d'une qualité définie comme méchante dans le domaine - ce serait privilégier uniquement la fonction désignative -. Il analyse le message surtout en fonction du rapport interlocutif et se considère comme averti par le signe ainsi produit.

On peut maintenant supposer le problème qui se posera aux analphabètes ou à des gens qui ne comprennent pas le français. Pour sortir de cette impasse la société s'est dotée de signe iconique qui représente un chien. Nous retrouvons alors la pertinence de la sémiotique qui n'est pas forcément linguistique. Cette dernière remarque est en même l'occasion d'articuler cette théorie du signe au détachement du sens.

Benoît de CORNULIER nous présente le détachement faible du sens selon la formulation suivante :

((P & (P implique Q)) implique Q (CORNULIER, 1982, p. 127)

Dans cette thèse, il est soutenu que si on peut démontrer P et que si de plus P implique Q, alors la production de P revient à produire Q. Autrement dit, l'idée du détachement faible du sens est qu'à toute sémiotique - qui n'est pas nécessairement linguistique - est assignée un interprétant et que la conjonction d'un interprété avec une interprétation implique l'interprétant. C'est ce que laisse prévoir le système de parenthèses dans la formule : la production de P conjointement avec l'interprétation que (P implique Q) implique Q.

On s'aperçoit alors que, dans notre exemple, afficher sur un portail l'icône d'un chien méchant et que cet affichage implique que l'on avertit, c'est littéralement accomplir un avertissement. Ce qui veut dire exactement que la règle du détachement du sens est une formulation qui permet de rendre compte de la force illocutoire de toute sémiosis. Il est très remarquable de constater que la généralisation de la performativité, à tous les énoncés, due

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à l'introduction de l'implicite dans la théorie, un implicite compris comme l'absence du préfixe performatif au niveau de la structure de surface, peut être également étendue à toute sémiosis.

Cette sur-généralisation consiste à déplacer la question de la référence de la forme « de quoi parle le signe ? » (dénotation) à « pourquoi la sémiose est-elle produite ? ». Ou, plus précisément, le mouvement de la référence, c'est-à-dire, l'interprétation, n'est pas épuisé par la première question, mais en passant par elle, finit dans la seconde et montre clairement que toute communication a pour but de modifier un rapport interlocutif. Ce qui revient à dire avec CARNAP que syntaxe et sémantique sont commandées par des buts pragmatiques.

Étant donné que notre analyse du détachement du sens aboutit à cette sur-généralisation, il convient maintenant de s'interroger sur le rapprochement entre HJLEMSLEV et PEIRCE puisque le point de départ de cette analyse est une interrogation sur le statut du signe. Autrement dit, nous voulons commenter par ce rapprochement la remarque suivante de BENVENISTE :

« La difficulté qui empêche toute application particulière des concepts peirciens, hormis la tripartition bien connue, mais qui demeure un cadre trop général, est qu'en définitive le signe est posé à la base de tout l'univers entier, et qu'il fonctionne comme principe de tout ensemble, abstrait ou concret. L'homme entier est signe. Mais finalement ces signes, étant tous signes les uns des autres, de quoi peuvent-ils être signes qui NE SOIT PAS signe ? » (BENVENISTE E. , [1974] 1981, pp. 44-45)

On peut répondre de diverses manières à cette question posée, mais il nous semble judicieux de prendre cette question comme un commentaire de la théorie des interprétants dans la sémiotique triadique. D'après la définition du representamen (Cf. supra), l'interprétant est soumis au régime du « ainsi de suite et indéfiniment », ce qui implique que le processus sémiotique ne s'arrête jamais.

La réponse donnée à ce problème par Joëlle RHÉTORÉ (1980, p. 32) est une introduction de ce qu'il appelle « protocole mathématique ». C'est-à-dire, pour que les entiers naturels ne soient pas une série de hasards, il faut trouver une règle permettant leur énumération car une série de hasard n'a d'autre détermination des membres que leur énumération selon KOLMOGOROV et CHAÏTIN, cités par SAVAN (1980, p. 11). Cette règle sera donc n+1, dès lors les entiers naturels sont une progression arithmétique de raison « 1 », de la sorte le régime ainsi de suite et indéfiniment est largement acceptable. Cette règle permet d'organiser la théorie triadique de la sorte : 1 renvoie à 2 par l'intermédiaire de 3 qui introduit la règle, ou pour dire les choses dans la terminologie de PEIRCE : le premier renvoie au second par l'intermédiaire d'un troisième. Ce qui a permis à RÉTHORÉ donner la conclusion suivante : « Tout est signe du moment qu'il est saisi par la pensée, qui est une tiercéité, c'est-à-dire une médiation entre le monde des Possibles (premier) et le monde des Existants (second). La pensée met en relation des premiers avec les seconds ; elle est donc ce qui permet de les concevoir et de les relier ; elle est donc nécessairement d'une nature différente » (RÉTHORÉ, 1980, p. 33)

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Appliquons ce protocole mathématique à notre exemple.

Le premier est l'icône du chien qui renvoie à un existant : l'animal ainsi dénommé par l'intermédiaire d'une loi « la méchanceté ». Le premier est qualifié d'être le monde des possibles, c'est-à-dire de simples « peut-être » pas nécessairement réalisés, explique le fait que dans le monde, il n'existe deux langues qui nomment de manière identique le même existant, hormis les cas d'emprunt dans lequel le matériel phonique subit la forme phonologique de la langue cible. On s'aperçoit déjà que le premier le choix arbitraire d'une forme dans le mouvement de la dénotation et non dans celui de la signification : « La catégorie de la Priméité est celle du commencement, de la nouveauté, de la liberté, de la possibilité et de l'indétermination » (SAVAN, 1980, p. 11)

C'est pour cette raison que BEVENISTE ([1966] 1982, p. 51) montre clairement que l'arbitraire du signe n'est pas dans le signe, dans le rapport du signifiant au signifié mais dans le rapport du signe ainsi obtenu avec le référent. C'est cela aussi qui constitue la raison fondamentale que PEIRCE ne commence pas par les êtres cardinaux mais par les êtres ordinaux. Ce premier indique en effet que c'est un esprit qui nomme les choses et non les choses qui possèdent des noms qu'il s'agit de trouver ou de retrouver.

Ce principe de l'arbitraire ne doit pas nous conduire à penser que le signe doit être dyadique : une simple relation du premier au second. Il ne faut pas non plus conclure qu'en faisant du premier une synthèse du signifiant et du signifié, on obtienne un signe triadique par adjonction du référent. Le premier n'admet pas cette division.

Par ailleurs, il faut aussi reconnaître que le troisième ne peut pas être le signifié. Le troisième est de l'ordre de la loi qui permet une progression non hasardeuse et non de l'ordre de la loi pour autoriser la dénotation.

L'intelligence qui a mis sur son portail l'icône d'un chien avec l'interprétant « méchant » vise par cette interprétation à avertir les destinataires d'un danger possible d'une effraction. Cet avertissement à son tour lui permet d'éviter des conflits éventuels à son tort en cas de morsure. Éviter ce tort, lui permet de maintenir une bonne relation de voisinage. Une bonne relation de voisinage lui permet de demander l'aide des voisins en cas de problème qu'il ne peut lui-même résoudre, et ainsi de suite indéfiniment.

Nous voyons maintenant que l'interprétant est de nature dynamique que ne saurait enregistrer aucun dictionnaire. Il n'y aura jamais un dictionnaire des interprétants alors que les dictionnaires des signifiés sont courants. L'interprétant est bel est bien un processus ad infinitum par lequel, l'interprétant devient à son tour un premier et engage de nouveau une nouvelle relation triadique, l'interprétant de cette nouvelle relation triadique, à son tour devient un premier, et ainsi de suite indéfiniment.

La question qui mérite notre attention est maintenant de savoir si le processus peut s'arrêter. En revenant au protocole mathématique à l'origine de cette discussion, il semble que le processus ne s'arrête jamais, il est virtuellement en progression indéfinie, mais seulement l'esprit ne peut pas suivre cette progression indéfinie de la même manière qu'il ne

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vient à l'esprit de personne de suivre la progression de la suite des nombres entiers naturels jusqu' à un million, par exemple. C'est pour cela que Robert MARTY introduit l'idée de stabilisation du processus : « On peut dépasser cette apparente contradiction en introduisant la notion de processus convergent, ainsi défini : à partir d'un certain rang, la suite des interprétants (donc aussi celle des objets) devient stationnaire, c'est-à-dire qu'interprétants et objets se reproduisent ad infinitum identiques à eux-mêmes, (...) » (MARTY, 1980, pp. 3738)

On affirme souvent que les textes de PEIRCE contiennent une présentation pragmatique des signes, notre analyse du détachement du sens milite dans ce sens. On peut rappeler brièvement cette convergence en reprenant notre exemple. Ainsi, l'interprété est l'icône du chien, et l'interprétant est l'écriteau « chien méchant ». Dès lors, en application de la règle du détachement du sens (variante faible), la conjonction de l'interprété avec l'interprétant implique l'interprétant ; en l'occurrence l'affirmation d'un animal dénommé chien et qui est doté d'une qualité reconnue méchante, et faisant cette affirmation, l'auteur du signe avertit, etc.

L'analyse de DUCROT corrobore également cette théorie de l'interprétant dans la sémiotique triadique quand il affirme que :

« Interpréter un énoncé, c'est y lire une description de son énonciation. Autrement dit, le sens d'un énoncé est une certaine image de son énonciation, image qui n'est pas l'objet d'un acte d'assertion, d'affirmation, mais qui est, selon l'expression des philosophes anglais du langage, « montrée » : l'énoncé est vu comme attestant que son énonciation a tel ou tel caractère (au sens où un geste expressif, une mimique, sont compris comme montrant, attestant que leur auteur éprouve telle ou telle émotion) ». (DUCROT, 1980, p. 30)

Ce qui veut dire exactement que l'énoncé n'assume le mouvement de la référence que par l'interprétant que lui fournit l'énonciation. Il suffit d'ajouter que l'énonciation accomplit au moins un acte de langage pour retrouver la série d'interprétants dans la préoccupation pragmatique comme nous l'avons essayé de montrer dans notre exemple.

En effet, le plus souvent, l'analyse pragmatique se contente d'identifier à la manière des tropes, un acte illocutoire littéral et un autre dérivé pour arriver à ce que KERBRAT-ORRIOCHINI appelle trope illocutoire :

« (...) « Tu peux me passer le sel ? » peut être considéré comme un trope dans la mesure où l'énoncé signifie bel et bien « Passe-moi le sel », comme en témoignent l'enchaînement, et le fait que les conditions de réussite auxquels est soumis un tel énoncé sont pour l'essentiel celles qui caractérisent la requête ,et non celles qui sont propres à la question (en tant que question, l'énoncé est non « relevant » donc susceptible d'échouer ») : de même que dans une métaphore, ses conditions de vérité concernent avant tout le sens dérivé, de même en cas de trope illocutoire, ses conditions de réussite sont liées à la valeur dérivée et non point littérale. » (KERBRAT-ORECCHIONI C. , 1994, p. 59)

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Mais démêler l'acte littéral de l'acte dérivé, n'est-il pas verser dans une activité métalinguistique ?

Et HJLEMSLEV de nouveau. Dans son effort théorique de traiter les problèmes de significations à partir de la forme, HJELMSLEV distingue deux types de sémiotiques symétriquement inverses. La première est appelée sémiotique connotative. La sémiotique connotative est une sémiotique dont le plan de l'expression est déjà une sémiotique. L'exemple qui sert à HJELMSLEV à illustrer la connotation est la notion de style. On peut opposer ainsi dans un texte un style vernaculaire qui au-delà de ce qui est dit, montre dans la manière de dire le lien solidaire du locuteur à une communauté régionale par opposition au style nationale qui tend à neutraliser cette appartenance régionale. La définition qui en est proposée est la suivante : « Il semble donc légitime de considérer l'ensemble des connotateurs comme un contenu dont les sémiotiques dénotatives sont l'expression, et de désigner le tout formé par ce contenu et cette expression du nom de SÉMIOTIQUE, ou plutôt de SÉMIOTIQUE CONNOTATIVE. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, pp. 151-152)

La deuxième est appelée métasémiotique. C'est une sémiotique dont le plan de contenu est lui-même une sémiotique. HJLEMSLEV qualifie la métasémiotique de scientifique : « D'ordinaire, une métasémiotique sera (ou pourra être) entièrement ou partiellement identique à sa sémiotique objet. La linguistique par exemple, qui décrit une langue, aura elle-même recours à cette langue dans sa description » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 152)

La différence entre sémiotique scientifique et sémiotique non scientifique mérite d'être analysée pour éviter toute méprise. Nous comprenons par catalyse, de la manière avec laquelle sont présentées les deux sémiotiques, que la sémiotique connotative n'est pas scientifique. La méprise à éviter se situe au niveau de l'analyse. Dans les objets littéraires ou objets poétiques, les descriptions valent toujours comme commentaires. C'est-à-dire, une application du principe d'immanence qui ne saurait accepter des objets extérieurs qu'à titre de confirmation de l'analyse. Ce qui veut dire que l'objet littéraire est une hiérarchie qui se trouve décrite par les connotateurs.

C'est ce que l'on peut visualiser par la formule suivante, en admettant que le symbole E vaut pour l'expression, que R indique la relation sémiotique et C, le contenu :

(E R C) R C = sémiotique connotative.

Il n'y a pas de raison que la sémiotique connotative ne puisse pas connaître un processus ad infinitum théoriquement, puisque la stabilisation prévue par Robert MARTY (supra) implique qu'à un certain moment la progression devient stationnaire. On aura donc la visualisation suivante :

(((E R C) R C1) R C2) R Cn+1

Ce qui veut dire que la sémiotique connotative, si elle n'est pas scientifique n'implique qu'elle doit être laissée hors du champ de la scientificité comme le montrent les travaux d'analyse en sémiotique littéraire.

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En revanche, la sémiotique métalinguistique est une hiérarchie décrivante, et c'est en cela qu'elle est scientifique ; en effet, étant donné qu'elle est aussi une sémiotique, nous pouvons reprendre les mêmes symboles afin d'en donner la visualisation suivante :

E. R (E R C)

Le métalangage peut aussi connaître une progression ad infinitum sous la même réserve indiquée par Robert MARTY :

(((E. R (E R C))1 R (E R C))2 R (E R C)n+1

La formule du métalangage peut être comprise comme une autre version de la sémiotique triadique mutatis mutandis. L'objection sérieuse que l'on peut opposer à ce rapprochement est que dans la sémiotique de HJELMSLEV le signe est biplan tandis que le signe de PEIRCE est triadique. Cependant, nous ne pouvons pas retenir cette objection, car le style épistémologique de HJELMSLEV est pour le moins original dans le traitement du problème des sciences de signification.

On peut résumer de la sorte ce problème : d'abord, il faut choisir entre la cohérence et la complétude. En choisissant la cohérence, on limite le domaine d'analyse au risque de retenir de manière implicite la mémoire du domaine exclu. Ensuite, il faut choisir entre le formalisme et la signifiance. On peut dire que le style d'une telle épistémologie réside dans la nécessité d'appliquer le principe de renoncement. Dans le traitement de ces problèmes, le style épistémologique de HJELMSLEV est une radicalisation de ce principe de renoncement, c'est ce que nous apprend l'analyse suivante d'Ivan ALMEIDA :

« Au contraire le principe du pari, que l'on peut attribuer implicitement au style de Hjelmslev consiste, quant à lui, dans la radicalisation dynamique du principe de renoncement : parier qu'une radicalisation de la rigueur formaliste peut mener à une visualisation du sens, parier qu'une radicalisation de l'immanence peut, par besoin interne, déboucher dans la complétude. En d'autres termes, que le sens est une prolongation de l'horizon du formalisme, et que la transcendance est une conséquence dynamique de l'immanence. » (ALMEIDA, 1997)

Autrement dit, la sémiotique de HJELMSLEV est un formalisme ; la fonction sémiotique unit deux grandeurs : l'expression et le contenu avec la possibilité que cette sémiotique soit l'expression d'un nouveau contenu comme dans la sémiotique connotative ou que le contenu d'une expression soit déjà une sémiotique, ce qui arrive dans un métalangue.

En focalisant notre attention sur le métalangage, on s'aperçoit que le premier E est exactement un premier. Dès lors, rien ne nous interdit de considérer le deuxième E contenu dans la parenthèse comme un second auquel renvoie le premier par l'intermédiaire de C.. On peut nous reprocher que cette analyse est un peut tirer par les cheveux. Mais nous allons voir qu'en la moulant sur la règle du détachement du sens, elle gagne une certaine pertinence.

Illustrons cela par un exemple qui nous est fourni par CORNULIER lui-même :

« De fait, en principe « P » peut être n'importe quoi. Soit, en notant par rrrhh un rot, la suite « dialoguée » de comportements :

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-- Rrrhh !

-- Qu'est-ce que ça veut dire, ça?

-- Ça veut dire que je serais bien content que tu t'en ailles.

Dans cette espèce de dialogue, le demandeur d'éclaircissement est informé que le roteur serait bien content qu'il s'en aille, et cela sans qu'il soit pertinent d'aller contrôler si, à l'instant où il rota, le roteur prétendait déjà signifier ce qu'à l'instant suivant il prétend signifier ; car ce qui signifie son désir, ce n'est pas simplement le rot, c'est la conjonction de celui-ci avec l'interprétation que le roteur en donne. » (CORNULIER, 1982, p. 136)

L'avantage de la version faible du détachement est qu'elle pose P comme un premier absolu. Dans cet exemple, justement, il est clair que le rot à lui tout seul n'est qu'un épiphénomène lié à la digestion auquel cas son statut de signe est indiciel et non symbolique. Dans le cas où il est produit volontairement, en dehors de toute relation indiciel avec la digestion, il est un signe symbolique ; et le propre d'un symbole9 est qu'il est un premier absolu. C'est pour cette raison qu'il faut lui adjoindre un interprétant. L'interprétant en tant que second doit déjà appartenir au langage d'interprétation, il pose une limite sinon le symbole pouvant signifier tout à tout instant deviendra asémantique par excès de signification. C'est ce que précise CORNULIER en ces termes :

« Quel que soit P, quel que soit Q, ((P & (P signifie Q)) signifie Q).«Peu importe que P soit une « proposition » ou un « fait ». Évidemment, si Q ne signifie rien dans un langage donné, la conjonction d'un acte quelconque P, avec une interprétation P signifie Q dans ce langage, ne produit aucun sens par détachement du sens, faute que Q signifie quelque chose. Q doit donc déjà appartenir au langage de l'interprétation. Mais cela n'est pas vrai de « P » : pour que le détachement du sens dérive Q, il est indifférent que « P » ait déjà une définition dans le langage de l'interprétation qui justement lui en assigne une. » (CORNULIER, 1982, p. 136)

Si Q doit déjà appartenir au langage d'interprétation, il doit être une sémiotique, c'est-à-dire de la forme (E R C). Autrement dit, nous pouvons lire le métalangage que nous réécrivons avec des indices pour les besoins de l'explication :

E1 R (E2 R C)

comme le fait que E1renvoie à E2 par l'intermédiaire de C.

En définitive, nous pouvons dire que sémiotique triadique, sémiotique métalinguistique et détachement du sens sont différentes formulations de la même chose : le fonctionnement d'un signe. L'exemple donné ci-dessus semble être établi pour les besoins de la cause. En conséquence, il nous faut un exemple authentique pour illustrer qu'entre les différentes formulations, le détachement du sens est préférable à cause de sa simplicité.

Soit le dessin suivant qui peut être la production d'un enfant :

9 Nous employons ici symbole au sens peircien.

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Ce dessin n'est pas « maman » qu'en vertu de la légende qui le spécifie. Ce faisant, l'enfant accomplit une affirmation qui consiste à attribuer un nom à l'icône qu'il vient de réaliser, et cette affirmation est une nomination, la nomination est une obéissance à la règle selon laquelle il est interdit de s'adresser à ses propres parents par leur nom, cette obéissance renvoie marque le respect, le respect témoigne de toute l'affectivité de l'enfant envers sa mère et ainsi de suite indéfiniment.

Nous tenons donc comme une validité de la théorie du détachement du sens cette convergence avec la séméiotique de PEIRCE et avec la sémiotique de HJELMSLEV. En somme, le détachement est un principe qui permet d'analyser les implicites qui sont à l'origine de la dérivation illocutoire.

Travaux cités

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6. MÉTONYMIE

RÉSUMÉ :

Très souvent les analystes croient que la métonymie est pour pallier la carence de nomination. Une hypothèse mise à jour par VENDLER, notamment en ce qui concerne la communication dans les restaurants où le client est dénommé par le nom du menu qu'il a commandé. Pour notre part, il nous semble que faire métonymie est bien plus, cette figure entre dans la question de la préservation de la face puisqu'elle permet d'éviter de nommer ce qui peut choquer au profit d'une expression plus neutre, en rapport de contiguïté avec le terme censuré.

Mots clés : illocutoire littéral, illocutoire dérivé, figure, symbolisation, métonymie, valeur émancipatrice

ABSTRACT:

Very often the analysts believe that the metonymy is to compensate the lack of appointment. A hypothesis updated by VENDLER, notably as regards the communication in the restaurants where the client is referred to by the name of the menu he ordered. For our part, it seems that metonymy is much more, this figure enters in the question of the preservation of the face since it allows to avoid to appoint what may shock in favor of a more neutral term, in report of contiguity with the censored term.

Key Words: illocutionary literal, illocutionary derived, figure, symbolization, metonymy emancipatory value

Ce travail s'inscrit dans le sillage des "Figures revisitées" (KERBRAT-ORECCHIONI, 1994), un article qui mesure à l'aune de l'illocutoire les figures qui s'installent entre l'illocutoire affiché formellement et l'illocutoire dérivé. L'illocutoire affiché est compris comme littéral et le dérivé comme figuratif. Mais c'est ce dernier qui est pertinent dans la communication.

Un exemple que nous devons à Paul GRICE permet d'illustrer la pertinence de l'illocutoire dérivé, et en même temps de préciser la généralisation de la notion. Cet exemple, le voici : deux amis s'en vont chez l'un. Le visiteur en voyant un chien devant la maison de son ami lui demande : est-ce que votre chien mord ? Celui-ci répondit que non. Alors, il s'en va caresser le chien et se faisait mordre. Il jette un regard interrogateur à son ami qui explique : mon chien est dans le salon et n'est pas celui-là.

L'intérêt de cet exemple réside dans la confusion entre illocutoire littéral et illocutoire dérivé. En posant la question, il s'agit pour le visiteur de savoir s'il va se faire mordre ou pas. Contrairement à cela, la réponse qui a été fournie s'est appuyée uniquement sur le référent du possessif « votre ». Pareille méprise peut apparaître dans les tropes illocutoires ; mais le plus souvent le récepteur décode correctement l'imbrication du littéral dans le dérivé.

Cependant, il nous faut ici immédiatement une mise au point. Les prédicats de littéral et de non littéral qui se sont installés depuis la tradition antique comportent un inconvénient

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en dépit de leur opérativité. En effet, dans le cas des figures sémantiques, la distribution entre sens littéral qu'il faut ignorer et le sens dérivé qu'il faut lire relève d'une théorie substitutive que condamne l'analyse de TODOROV qui fait la distinction soigneuse entre signification et symbolisation, dans les termes suivants :

« C'est la signification qui ne peut être que littérale. Les poètes qui l'ont affirmé ont été meilleurs linguistes que les professionnels : les mots ne signifient que ce qu'ils signifient, et il n'y a aucun autre moyen de dire ce qu'ils disent ; tout commentaire fausse leur signification. Quand Kafka dit « un château » il veut dire un château.

Mais c'est la symbolisation qui est infinie, tout symbolisé pouvant devenir à son tour symbolisant, ouvrant ainsi une chaîne de sens dont on ne peut arrêter le déroulement. Le château symbolise la famille, l'État, Dieu, et encore beaucoup d'autres choses. Il n'y a pas de contradiction entre les deux, et c'est Rimbaud10 qui avait raison. » (TODOROV, 1970, p. 35)

Ce qui implique que le sens littéral au même titre que le sens symbolique sont lus en même temps afin de faire sortir les mots de la rigidité du concept et de donner aux mots ce que Barthes appelle valeur émancipatrice dont voici l'approche :

« [...]; la fonction du récit n'est pas de représenter, elle est de constituer un spectacle qui reste encore très énigmatique, mais ne saurait être d'ordre mimétique ; la réalité d'une séquence n'est pas dans la suite «naturelle» des actions qui la composent, mais dans la logique qui s'y expose, s'y risque et s'y satisfait : on peut dire d'une autre manière que l'origine d'une séquence n'est pas l'observation de la réalité, mais la nécessité de varier et de dépasser la première « forme » qui se soit offerte à l'homme, à savoir la répétition, une séquence est essentiellement un tout au sein duquel rien ne se répète ; la logique a ici une valeur émancipatrice - et tout le récit avec elle. » (BARTHES, 1981, p. 32)

Cette logique narrative a pour fonction d'interdire simplement que le langage soit une tautologie du réel, sinon on ne s'expliquera pas pourquoi il y a relativité linguistique et surtout, pourquoi il y a une théorie de l'action en linguistique. Cette valeur émancipatrice est contenue dans le processus symbolique dont la métonymie est l'exemple par excellence, en anticipation de notre hypothèse dans ce travail.

Bref, le rapport entre sens littéral et non littéral n'est pas entre un sens qu'il faut enterrer dans les cendres et un sens qu'il faut exhiber au dehors, mais entre un sens qui est montré littéralement et un renvoi symbolique à un sens que la forme du sens littéral autorise. C'est-à-dire un rapport entre énoncé et énonciation. Mais le renvoi symbolique est un processus ad infinitum selon la définition du signe dans la sémiotique triadique de PEIRCE parce qu'il s'agit justement d'une valeur émancipatrice qui nous affranchit de la rigidité du concept et de cette manière interdit que le langage soit une tautologie du réel.

10 En disant à Georges IZAMBARD et Paul DEMENY, ses professeurs, que le texte est à comprendre littéralement et dans tous les sens

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Autrement dit, il n'y a pas moyen de réduire le signe triadique en signe dyadique par le truchement de l'ajout du référent dans le couple signifiant et signifié de manière à obtenir le triangle d'Ogden et de Richards :

« Mais pour l'analyse des acceptions de « sens » [meaning] qui est ici notre objet principal, il est souhaitable de commencer par les relations des pensées, des mots et des choses tels qu'on les retrouve dans le cas de discours réflexifs, qui ne sont pas compliqués par des modifications émotives, diplomatiques ou autres ; et, en ce qui les concerne, le caractère indirect des relations entre les mots et les choses est le point qui mérite en premier lieu l'attention. » (OGDEN & RICHARDS, 1976, p. 114)

Nous voyons par ce passage que cette analyse du signe qui se débarrasse des connotations qui y sont appelées « modifications émotives, diplomatiques ou autres » nous engage dans le sens littéral qui relève de la signification et non de la symbolisation comme le fait remarquer ci-dessus TODOROV.

Tout autre est la conception du signe triadique chez PEIRCE. En partant de l'idée que rien ne peut être dit vrai d'une unité absolument simple, suivant en cela la position de PLATON dans Parménide, il semble que l'on ne peut pas conclure de l'idée de signe du renvoi d'une unité simple à une autre unité simple. Justement, c'est cette dernière remarque qui constitue le point de divergence entre PEIRCE et PLATON ; ce dernier, voulant corriger la première affirmation entend diviser l'unité absolument simple en dyade constituée d'un sujet et d'un prédicat. PEIRCE rétorque alors qu'il n'y a rien à gagner à supposer des unités de genre puisque si rien n'est vrai de l'une ou de l'autre, leur différence est fausse. C'est ainsi que PEIRCE commence par les êtres ordinaux et non cardinaux pour obtenir la définition du signe suivant :

« Un signe ou representamen est un Premier qui se rapporte à un second appelé son objet, dans une relation triadique telle qu'il a la capacité de déterminer un Troisième appelé son interprétant, lequel assume la même relation triadique à son objet que le signe avec ce même objet ... Le troisième doit certes entretenir cette relation et pouvoir par conséquent déterminer son propre troisième ; mais, outre, cela, il doit avoir une seconde relation triadique dans laquelle le representamen, ou plutôt la relation du representamen avec son objet, soit son propre objet, et doit pouvoir déterminer un troisième à cette relation. Tout ceci doit également être vrai des troisièmes du troisième et ainsi de suite indéfiniment... (2.274) " (PEIRCE, 1978, p. 147)

En dépit de la contemporanéité de SAUSSURE (1857-1913) et de PEIRCE (1839-1914), très peu de travaux de sémiolinguistique se réclament de cette définition, parce que sa conception du signe est une véritable coupure épistémologique. Cette coupure épistémologique peut être interprétée de diverses manières. Il ne faut pas surtout pas figer la conception du signe triadique car il a une valeur émancipatrice au sens de BARTHES. Ce qui justifie ce rapprochement entre le passage cité de BARTHES et la définition du signe triadique qui nous semble être deux points convergents.

Le premier point concerne la possibilité du signe : il n'y a pas de signe que pris en charge par un discours, ou plus exactement par une énonciation. Hors énonciation, le signe n'est

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qu'une virtualité figée par les dictionnaires en dépit des éditions successives qui permettent de voir le changement. C'est pour cette raison que BARTHES refuse le mimésis (ne saurait pas d'ordre mimétique) au profit d'une sémiosis relevant d'une logique narrative qui n'accepte la répétition parce que l'être y perd ou gagne des propriétés.

Pareillement chez PEIRCE, la théorie des interprétants interdit aux signes d'être une tautologie du réel. Si, effectivement, le signe ne fait que renvoyer à son objet en dehors de tout interprétant ou troisième, il serait mimétique et rendrait toute énonciation comme une question inutile, car à chaque fois que nous utilisons un signe il renverrait de manière immuable à son objet et rien de plus.

Cette dernière remarque nous renvoie au deuxième point de congruence. BARTHES l'appelle « valeur émancipatrice » et PEIRCE le rend par l'adverbial « ainsi de suite indéfiniment » dans le processus de renvoi de troisième à troisièmes. Pour la valeur émancipatrice, disons que - pour rependre ici une littérature universelle de la marâtre - si Cendrillon, dans le récit, passe des cendres - d'où le nom de Cendrillon - de son logis aux fastes du palais royal, la transformation d'état ne lui assigne pas seulement le prédicat « être riche » mais la met aussi en rapport avec toutes les jouissances inscrites dans la richesse en tant que concept.

Pour le processus ad infinitum du troisième dans le signe triadique, prenons un exemple banal qui a le mérite de nous faire voir que l'illocutoire écarté du signe dyadique peut faire office d'interprétant, donc de motivation des signes.

La vie dans les campagnes malgaches est organisée de telle manière que le paddy qui va être pilé pour le dîner soit mis à sécher le matin dans un endroit sûr pour permettre à toutes les forces vives de s'occuper des travaux des champs. Que quelqu'un du groupe, une fois au champ, dise : « il va pleuvoir », il a visiblement produit un signe qui est un premier, et ce premier est totalement libre, il aurait pu être : « le ciel est nuageux » ou encore « nous allons essuyer de grosses gouttes ». L'objet de ce premier ou son second est l'état de chose climatique caractérisé par l'imminence de la pluie.

Dès lors, le premier troisième de ce signe qui noue et sépare en même temps le premier et le second comme différents est une affirmation dont le but est de faire croire à l'imminence de la pluie. Du même coup est accompli un avertissement, c'est-à-dire, un autre illocutoire relatif au séchage de paddy. Sur ce dernier illocutoire se greffe la requête que quelqu'un aille ramasser le paddy. La requête de ramasser le paddy accomplit le conseil qui consiste à dire qu'il n'est pas bon de dormir le ventre vide. Ne pas avoir le ventre vide permet de restaurer les forces. Avoir des forces permet de continuer les travaux des champs. Et ainsi de suite indéfiniment, car les travaux des champs constituent l'essence existentielle des campagnards. À partir du conseil comme acte de langage, la dérivation illocutoire se stabilise en actes équivalents dont il est inutile de faire l'énumération puisque la dimension existentielle de l'être humain peut être conçue comme une série de conseils, manifestée notamment dans les sociétés modernes par l'existence du conseil d'administration.

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Cette stabilisation est conforme, à quelque chose près, à ce que Robert MARTY appelle « Théorie des interprétants » (MARTY, 1980, pp. 37-38). En effet, nous savons que dans la définition du signe triadique, le troisième entretient une relation triadique authentique avec le premier et le second de telle manière qu'il peut déterminer un autre troisième. Et ainsi de suite indéfiniment.

Quand on sait en outre que le troisième est de l'ordre de la loi qui instaure la prévisibilité contre une progression hasardeuse du sens, l'illustration du troisième devient un protocole mathématique. Or ce protocole mathématique n'est pas présent dans les textes de PEIRCE, mais c'est tout de même une approche acceptable de ce que nous avons appelé « motivation » du signe qui interdit la tautologie. Prenons connaissance de la formulation de ce protocole mathématique sous les plumes de David SAVAN :

« L'ajout d'un troisième terme dans la série introduit la possibilité d'une progression régulière non-hasardeuse. La loi minimale d'une série peut être, par exemple, « n+1 ». La loi qu'introduit le troisième terme fait le lien entre le premier et le second et entre le second et le troisième. C'est le principe de synthèse puisqu'il unifie la série : (a) Il représente la relation entre le premier et le second ; (b) il représente sa propre relation au second et (c) il représente le fait que la relation entre le premier et le second est la même que celle entre le second et le troisième. » (SAVAN, 1980, p. 12)

En effet, présenté sous cette formule de progression arithmétique, le troisième permet l'énumération des entiers naturels jusqu'à l'infini. Mais il est évident que personne n'est tentée de faire cette énumération, l'essentiel est de savoir qu'il y a une règle de progression qui permet la prévisibilité. Pour notre part, il suffit de dire que la synthèse opérée par le troisième est ce qui autorise de dire qu'une minute de récit peut contenir cent ans d'histoire, ou, plus terre à terre, ce qui permet de faire cette activité rédactionnelle que l'on appelle synthèse, ou encore, la synopsis d'un texte qui permet de tout voir d'un seul coup d'oeil.

Par ailleurs, il y a lieu de croire que la valeur émancipatrice de la logique narrative est une intelligibilité narrative par laquelle le discours peut avoir une expression minimaliste, une sorte de mise en abyme, pour emprunter cette expression à la poétique, qui noue et sépare la situation initiale de la situation finale par le moyen de ce que l'on appelle la transformation narrative. La valeur émancipatrice est donc ce qui interdit au signe de se fixer en soi mais de renvoyer à un autre qui s'épelle différence.

Cette deuxième explication de la valeur émancipatrice pose, de la sorte, la transformation comme un troisième, car comme le précise David SAVAN à partir des textes de PEIRCE, le troisième est un intermédiaire, un médiateur :

« Tout ce qui est intermédiaire entre deux choses et qui les réunit est un troisième. Les exemples que PEIRCE nous en propose sont, entre autres, une route entre deux points, un messager, le moyen terme d'un syllogisme, un interprète. Les habitudes, les lois et le langage sont également des troisièmes. » (Ibid.)

Toute la sémiotique dite École de Paris (GREIMAS, 1981, p. 30) se fonde sur cette intelligibilité narrative, d'où l'importance de la clôture dans la dichotomisation temporelle du

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récit en « avant » et en un « après », laquelle clôture indique que le temps des péripéties est fini. La notion de troisième est pourtant déjà présente dans l'antiquité, chez ARISTOTE, bien que GRÉIMAS semble n'en avoir pas pris connaissance, en ces termes :

« La limite fixée à l'étendue en considération des concours dramatiques et de la faculté de perception des spectateurs ne relève pas de l'art ; car s'il fallait présenter cent tragédies, on mesurerait le temps à la clepsydre, comme on l'a fait dit-on quelque fois. Par contre la limite conforme à la nature même de la chose est celle-ci : plus la fable a d'étendue, pourvu qu'on en puisse saisir l'ensemble, plus elle a la beauté que donne l'ampleur, et, pour établir une règle générale, disons que l'étendue qui permet à une suite d'événements, qui se succèdent suivant la vraisemblance ou la nécessité, de faire passer le héros de l'infortune au bonheur ou du bonheur à l'infortune, constitue une limite suffisante. » (1451a) (ARISTOTE, 1985, p. 41)

C'est parce que la fable (actuellement le récit, au sens large) est un signe triadique et que sa synthèse est possible parce que l'état initial et l'état final caractérisés par une inversion de propriété est lié par un troisième : le discours qui fait passer de l'état initial à l'état final (passage de la fortune à l'infortune dans les textes d'ARISTOTE). Or il faut admettre que la transformation narrative est un acte de langage fondamental par ce qu'elle est une suppression et adjonction de propriétés pour un sujet donné. C'est ainsi qu'un roman de milles pages, par exemple, peut avoir une synthèse d'une page. Ensuite, la synthèse elle-même renvoie au texte original par l'intermédiaire d'une opération discursive, et ainsi de suite.

Il nous semble qu'il est possible de démontrer que la métonymie est un signe triadique dont le premier est la forme signifiante manifestée, le second ce à quoi renvoie le premier, et le troisième est une force illocutoire qui unit le premier au second. Nous verrons que ce second n'est pas le référent comme cela semble être suggéré dans le passage suivant :

« Par exemple, si j'invite le lecteur à relire Jakobson, cela n'entraîne pas une modification interne du sens du mot « Jakobson ». La métonymie qui me fait employer le nom de l'auteur pour désigner un ouvrage opère sur un glissement de référence ; l'organisation sémique n'est pas modifiée, mais la référence est déplacée de l'auteur sur le livre. » (LE GUERN, 1972, p. 14)

Cette remarque est peut être descriptive de la métonymie d'une manière pratique, mais elle n'est pas explicative du mécanisme de la métonymie car le glissement de la référence de la sorte existe aussi bien dans la synecdoque que dans la métaphore, elle est donc bien propre à en entretenir la confusion entre métonymie et synecdoque.

Au contraire, il faut tout d'abord accepter le principe selon lequel la métonymie est un phénomène linguistique et que la question de la référence de cette sorte est baptisée par tout le monde d'extralinguistique. Ce qui veut dire que le discours privilégie la relation du signifiant au signifié au détriment du référent pour accéder à une autonomie qui participe de ce que BARTHES appelle « valeur émancipatrice ». Une autonomie formulée en ces termes par Charles P. BOUTON :

« Le discours est une re-création qui défie les lois de la réalité pour atteindre à une exigence supérieure de la spéculation humaine permise justement par le langage.

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En ce sens le discours est générateur d'une vérité, ou d'une erreur qui reflète dans son essence même, l'essence de l'humain » (BOUTON, 1979, p. 202)

Autrement dit, pour expliquer la métonymie ou d'autres phénomènes linguistiques, il ne faut pas introduire la notion de référent parce que l'autonomie du linguistique le convertit en vérité analytique. Appliquons cette analycité à l'exemple qui nous occupe.

Que ce soit un Jakobson réel ou un Jakobson de fiction ; le fait de dire « prenez votre Jakobson » à une classe d'étudiants aboutirait à une incompatibilité sémantique que si, par ailleurs, il est dit qu'il a écrit un livre. C'est cette incompatibilité sémantique qui signale la figure, car désormais la dimension cognitive du mot « Jakobson » implique le renvoi au fait qu'il a écrit un livre. Du coup, le possessif « votre » indique que c'est du livre que chaque étudiant peut s'approprier et non de l'auteur.

C'est cela la symbolisation qui permet un renvoi métonymique de chose à choses et que nous rapporte WITTGENSTEIN, avec son style propre, en cet aphorisme : « Lorsque je connais l'objet, je connais également l'ensemble des possibilités de son occurrence dans des états de choses » (2.0123) (WITTGENSTEIN, 1961, p. 31)

À cause de cette règle de possibilités d'occurrence, nous sommes loin de la simple relation dyadique du signifiant et du signifié mais dans une relation triadique authentique par laquelle « JAKOBSON » se lit comme un premier qui rend renvoie à un second « le livre » par le moyen d'un troisième constitué par le fait que « JAKOBSON est l'auteur d'un livre ». Mais dire que JAKOBSON est l'auteur d'un livre, c'est accomplir une affirmation, et de cette première force illocutoire peut en dériver d'autres comme flatter JAKOBSON d'être un auteur, ou celle de conseiller de suivre ses indications contenues dans le livre, ou encore de se méfier de certaines de ses affirmations, et ainsi de suite. En de mots plus simples, la métonymie focalise l'attention sur le mot exprimé au détriment de ce à quoi il renvoie.

Cette analyse permet maintenant d'exprimer la différence irréductible entre métonymie et synecdoque. Dans la synecdoque le renvoi se fait entre éléments de niveaux différents marqués par une hiérarchie, c'est-à-dire, entre un et un seul élément contenant et ses éléments contenus ; tandis que dans la métonymie le renvoi est entre éléments de même niveau définis par ce que WITTGENSTEIN appelle possibilités d'occurrence inscrites dans la forme de l'objet qui origine le renvoi. Faire métonymie, c'est donc produire un signe qui renvoie à un autre signe de même niveau tandis que la synecdoque opère dans des niveaux hiérarchisés.

Pour continuer prenons alors une définition de la métonymie pour illustrer cette thèse, et par la même occasion de corriger ce qu'il y a de trompeur dans cette définition. Cette définition, la voici :

« Figure par laquelle on met un mot à la place d'un autre dont il fait entendre la signification. En ce sens général la métonymie serait un nom commun à tous les tropes ; mais on la restreint aux usages suivants : 1° La cause pour l'effet ; 2° l'effet pour la cause ; 3° le contenant pour le contenu ; 4° le nom du lieu où la chose se fait

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pour la chose elle-même ; 6° le nom abstrait pour le concret ; 7° les parties du corps

regardées comme le siège des sentiments ; 8° le nom du maître de la maison pour la maison elle-même ; 9° l'antécédent pour le conséquent. » (LE GUERN, 1972, p. 12)11

Cette définition comporte une certaine forme de redondance qui rend malaisée son utilisation. En effet, toute introduction de dimension temporelle dans la métonymie convertit celle-ci en métalepse comme le précise l'article suivant :

« Métonymie de focalisation dans la chaîne de l'action : suggestion de la conséquence sous-tendue par expression de la cause ; et, inversement, évocation de la cause par expression de la conséquence. » (MORIER, 1981, p. 667)

Cette confrontation élimine de la définition de la métonymie les usages 1 et 2 ainsi que 9. Il nous reste alors les usages 3, 4 et 5. Leur caractère de signe triadique sera analysé dans les exemples qui suivent. En ce qui concerne l'usage 3, métonymie du contenant pour le contenu, nous avons l'exemple authentique suivant :

1. "Père, tout est possible pour toi, éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux!" (De l'Évangile selon saint Marc. 14,32-36)

Tout d'abord, il faut faire remarquer que la « coupe » dont il est question dans cette prière constitue dans un second temps une métaphore. En effet, il faut admettre que « coupe » renvoie ici à la mort imminente qui guette Jésus pour avoir chassé les officiers romains de change du temple, sous prétexte que le temple est destiné à la prière et non au commerce. Pareille action a pour conséquence une condamnation à la crucifixion au mont de Golgotha.

Ce qui veut dire que la coupe contient bien la mort, mais cette mort n'est pas du poison liquide, mais une mort lente consécutive à des tortures. Mais cette métaphorisation de la métonymie n'a qu'une portée faible par rapport à la pertinence pragmatique de la métonymie.

Cette pertinence, nous allons la puiser dans la littérature. L'exaltation des martyrs consiste justement à préférer la mort que de renoncer à ses idéaux. Tel est l'exemple célèbre de Socrate qui a choisi de boire la cigüe pour éviter le déshonneur de se plier à l'accusation de corrupteur de la jeunesse à partir de sa relation avec Alcibiade. Cette attitude qui consiste à boire le poison (Pharmakon) a donc pour finalité de préserver la face, de préserver l'identité de SOCRATE en tant que philosophe de la maïeutique.

Mais la métonymie dit plus que cette préservation de la face. Dans le rapport qui unit Jésus à son père, on peut conclure à un voeu d'obéissance consécutif au fait que Jésus est envoyé pour sauver l'humanité du péché. D'ailleurs, de ce point de vue, le nom propre « Jésus » est une antonomase. Cependant, il faut tenir compte que pour accomplir sa mission, Jésus doit mourir. C'est cette mort qui est alors le contenu de la coupe. Mais ce serait faire une offense à Dieu, son père, que de croire qu'il l'envoie purement et simplement à la mort. Dès lors, il faut comprendre la métonymie comme un refus de blasphémer. De cette

11 Définition attribuée à Littré par LE GUERN

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introduction de la force illocutoire de la figure, il est aisé de comprendre cette métonymie au sein de la sémiotique triadique :

Le premier est la coupe.

Le second est la mort (contenu abstrait du concept de poison liquide qui donne la mort).

Le troisième est cette force illocutoire : un euphémisme qui permet d'éviter de blasphémer.

De ce premier illocutoire dérive un deuxième qui s'énonce comme une procédure d'évitement interdisant de parler des choses qui angoissent. Donc, c'est une sorte d'euphémisme. Nous retrouvons alors dans cette métonymie particulière la nécessité de l'implicite tel qu'il est commenté en ces termes par DUCROT :

« Le problème général de l'implicite, (...) est de savoir comment on peut dire quelque chose sans accepter pour autant la responsabilité de l'avoir dit, ce qui revient à bénéficier à la fois de l'efficacité de la parole et de l'innocence du silence. » (DUCROT, 1972, p. 12)

Dans le cas qui nous occupe, on s'aperçoit alors que la métonymie du contenant pour le contenu est une combinaison de préservation de la face au sens de GOFFMAN (Cf (VIELFAURE, 1974)) et un euphémisme qui interdit de parler des choses qui risquent de modifier dangereusement le rapport interlocutif, en même temps que c'est un évitement de nommer les choses qui angoissent, surtout celles qui sont en relation avec la mort, cette grande inconnue.

Cette métonymie à elle toute seule est susceptible d'être l'indice d'une interprétation complexe. Elle nous apprend, entre autres, que Jésus doit faire confiance à Dieu, mais il ne doit pas connaître les desseins de Dieu. En effet, s'il connaît ces desseins lui-même, tout d'abord, il n'y a plus de rapport hiérarchisé entre Dieu le père et lui, dès lors il sera dans une situation sacrilège de parricide. Ensuite, la connaissance de ces desseins videra le sacrifice de tout son contenu parce que Jésus peut y aller allègrement.

En conséquence, la métonymie, en focalisant l'attention sur la coupe, nous signale que si Jésus connaît qu'elle contient la mort, l'accès à la modalité de cette mort lui est interdit, d'où son angoisse qui l'empêche de parler de cette mort que par la voie de la métonymie. De la sorte, le sacrifice a toutes ses valeurs.

L'utilisation de la métonymie n'est pas aussi anodine à l'égard du statut de Jésus. Nous savons que les meurtres par empoisonnement se fait le plus souvent par boisson, mêlée de poison, ingurgitée. C'est une manière tout à fait humaine au point que certain emploi linguistique du mot « coupe » et nul autre contenant, semble s'être spécialisé dans cette métonymie. C'est une manière tout à fait humaine parce qu'elle permet justement de tuer sans accepter la responsabilité du meurtre, tel que cela est montré par DUCROT au niveau de l'implicite linguistique. Ainsi, en parlant de coupe, Jésus s'inscrit dans sa dimension humaine en se signalant qu'il est mortel comme tout homme.

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Dans un autre registre, disons moins religieux, il existe une métonymie qui ressemble à quelque chose près, à l'emploi de coupe dans cet exemple. Il s'agit de l'expression qui sert à qualifier certains hommes : « coureur de jupon ». La force illocutoire qui relie le premier et le second dans cette expression est un euphémisme qui permet d'éviter de parler des choses qui risquent de froisser les susceptibilités.

Autrement dit, la métonymie n'a pas pour fonction de conférer au discours une allure concrète ou réaliste, et encore moins d'être un ornement. Au contraire, elle est commandée par un but pragmatique.

En ce qui concerne la métonymie du lieu pour la chose qui se fabrique en ce lieu, nous en avons une qui passe inaperçu à force de présence au quotidien. Il s'agit de la voiture du nom de TOYOTA.

D'habitude dans l'industrie automobile, c'est le nom du créateur qui est attaché aux objets produits. C'est ainsi que la marque Citroën est due à l'ingénieur André Citroën. Ce qui veut dire que le troisième qui unit le premier : Citroën humain, au second : Citroën voiture, est le fait que l'humain est ingénieur en construction automobile. De cette première affirmation dérive une seconde : l'affirmation de la fierté d'avoir pu mener à terme un projet difficile et ainsi de suite en référence à la particularité de la voiture. C'est ce que la tradition appelle « antonomase » qui, en définitive, est une autre nomination du mécanisme de la métalepse

En revanche, quand l'objet porte le nom de la ville de production, le lien entre le premier et le second manifeste l'effacement du sujet individuel de la construction au profit de sujet collectif. On s'aperçoit alors que la métonymie, en faisant passer le lien de l'individuel vers le collectif, développe un argumentaire au même titre que les mythes qui sont une expression de la sagesse collective et en même temps que mémoire collective.

En effet, l'insertion de ce signe dans la sémiotique triadique se présente sous le schéma suivant : le premier est Toyota, ville du Japon, le second est Toyota, voiture japonaise, et le troisième ne consiste pas à dire : on construit cette voiture dans cette ville, mais à dire que la ville construit cette voiture. Du coup, on décèle que la métonymie comporte une synecdoque. Ce n'est pas toute la ville qui travaille à la construction mais une partie seulement. De ce premier interprétant dérive une seconde : la métonymie flatte l'amour propre de la population de la ville.

Pour la métonymie du nom abstrait pour le concret, signalons tout simplement qu'elle permet de violer une règle grammaticale, celle du nombre des noms abstraits dérivés d'adjectifs :

« Ainsi, les noms abstraits dérivés d'adjectifs, paraphrasables par « le fait d'être A » : « Blancheur » = « le fait d'être blanc » n'est pas comptable et l'on n'a pas * deux blancheurs, *des blancheurs ; etc. mais on n'a pas non plus *un peu de blancheur, *de la blancheur." De même certaines nominalisations, telle « venue » : *deux venues, *des venues, *de la venue, *un peu de venue. » (MILNER, 1978, p. 35)

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Autrement dit la valeur émancipatrice dont parle BARTHES peut se trouver également dans la métonymie. Le pas qu'il faut franchir ici, c'est réduire le récit à une dimension minimale de manière à assurer la généralisation de la narrativité à tous les énoncés, un pas que n'hésite pas à franchir Umberto ECO :

« Face à l'ordre «Viens ici», on peut élargir la structure discursive en une macroproposition narrative du type «il y a quelqu'un qui exprime de façon impérative le désir que le destinataire, envers qui il manifeste une attitude de familiarité, se déplace de la position où il est et s'approche de la position où est le sujet d'énonciation». C'est, si on le veut, une petite histoire, fût-elle peu importante. » (ECO, 1985, p. 138).

Nous en concluons que dès qu'il y a passage d'un état à l'autre, il y a narrativité. En conséquence, dans la métonymie du nom abstrait vers concret, il y passage d'absence de nombre vers une possibilité de marque de nombre, donc il n'est pas faut d'attribuer à la métonymie la valeur émancipatrice. Ainsi dans l'exemple suivant :

2. Vos bontés sont immenses.

Le premier est « bontés » au pluriel.

Le second est constitué par les faveurs obtenues

Le troisième qui lie le premier au second est la bonté (au singulier) de l'individu, désigné par le possessif « vos » qui lui a permis de faire des actes de bonté. Il s'ensuit que dire d'un individu qu'il est bon est non seulement faire une affirmation mais aussi qu'il est capable de don afin de soulager la souffrance d'autrui, etc.

Il ressort de l'analyse de ces exemples que la métonymie est de nature illocutoire lorsqu'elle est prise en charge par la sémiotique triadique. Il ne faut pas croire pourtant que la métonymie est épuisée par ces trois types, suite à l'élimination des métalepses. Il nous semble que cette typologie est arbitraire, ou du moins une série de hasards ; car tout type de renvoi à des éléments de même niveau par le biais d'un interprétant (au sens de PEIRCE) sans que ces éléments possèdent un sème commun est une métonymie.

Il en résulte que motiver la métonymie à partir d'une carence de vocabulaire, donc comme un mécanisme de catachrèse n'est pas tellement souhaitable, car d'après notre analyse qui introduit la force illocutoire dans la compréhension de la métonymie, cette fonction se relègue au second plan. Pourtant, c'est ce qui se dit dans le passage suivant :

« Le fait que la métonymie serve tout naturellement à fournir les mots qui manquent au vocabulaire s'explique d'ailleurs très facilement : l'objet qui n'a pas de nom sera désigné d'un objet qui est étroitement en relation avec lui ; il suffit pour cela que le contexte élimine les possibilités de confusion entre les deux objets. Une lexicalisation préalable n'est pas nécessaire pour qu'une métonymie ou une synecdoque soit employée en catachrèse. » (LE GUERN, 1972, p. 91)

Il existe cependant des exemples qui semblent confirmer la métonymie de catachrèse. Dans les restaurants, les serveurs s'enquièrent et notent les noms des plats choisis par les

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clients sans chercher à relier la commande aux noms des clients qu'ils n'ont pas d'ailleurs demandés. Comme quelque durée temporelle s'écoule entre le temps de la commande et l'arrivée du plat, le serveur est bien embêté pour se rappeler qui a commandé quoi. Alors il prononce à voix bien distincte le nom du plat pour interpeller le client. Par exemple :

3. Le sandwich au fromage

Supposons maintenant que le client, bien satisfait, a laissé un large pourboire conséquent sur la table, alors le serveur en question peut dire :

4. Le sandwich au fromage est généreux

Pour atténuer le caractère péremptoire de la métonymie de catachrèse, commençons par dire qu'il en existe d'autres qui s'appliquent à des noms bien connus, nous avons d'ailleurs eu l'occasion de le constater dans les exemples (1) et (2). Par contre dans (3), il est difficile de se prononcer puisque la métonymie équivaut à un acte de baptême qui attribue un nom propre sur un objet qui possède déjà un nom commun.

Par ailleurs, on peut dire que l'analyse de la métonymie suivant la sémiotique triadique n'est pas incompatible avec la règle du détachement du sens : (P & (P signifie Q)) signifie Q de CORNULIER sur le point suivant :

« Le détachement du sens est donc un principe qui permet à un langage de s'incorporer n'importe quel élément nouveau comme signe de n'importe quelle valeur qu'on puisse déjà y exprimer. En ce sens, l'inventivité sémiologique est arbitraire, radicalement et totalement, dans la mesure où le détachement fort du sens a la force d'une règle. » (CORNULIER, 1982, p. 136)

En effet, PEIRCE définit le premier comme ce qui est absolument libre pour renvoyer à un second qui le limite via un troisième qui lie le premier au second. En explicitant, la règle du détachement du sens, nous verrons qu'il correspond à la définition du signe chez PEIRCE. P est l'interprété [premier], Q est l'interprétant [second] et l'interprétation est donnée par la séquence (P signifie Q) [troisième].

Voyons cette correspondance à l'oeuvre dans l'exemple suivant qui est dû à CORNULIER :

5. Rrrhh ! -- Qu'est-ce que ça veut dire, ça? -- Ça veut dire que je serais bien content que tu t'en ailles. (CORNULIER, Ibid.)

Dans (5), l'unité sémiotique (au sens de BENVENISTE) « Rrrhh » ne signifie absolument rien. Seulement, ici, il signifie parce que son auteur lui assigne une interprétation. Or, nous venons de voir que la métonymie met en place un mécanisme de renvoi entre élément de même niveau dont l'indice est une incompatibilité sémantique. Il en résulte que le premier élément vaut pour le second via une interprétation encadrée par l'incompatibilité sémantique. Et, justement, c'est cela le fondement du détachement du sens. Si dans la formule du détachement du sens (P et (P signifie Q)) implique Q, « [...], on peut appeler P l'interprété, Q l'interprétant, et la proposition « (P signifie Q) » l'interprétation. L'idée du détachement (faible) du sens est que la conjonction d'un interprété avec une interprétation implique l'interprétant. » (CORNULIER, 1982, p. 127)

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Voyons un autre exemple qui a l'avantage d'être observable par tout sujet, en montrant une somme d'argent donnée, on peut dire :

6. C'est mon bazar

Dans (6), « mon bazar » est l'interprétant, la somme d'argent est l'interprété, représenté par le démonstratif « ce » et (6) l'interprétation. Quand on sait que la règle du détachement du sens (variante forte) stipule que la conjonction d'un interprété à une interprétation signifie l'interprétant, alors une somme donnée renvoie à ce que l'on dit à quoi elle est destinée. C'est ce que laisse prévoir clairement le système de parenthétisation de la formule (P & (P signifie Q)) signifie Q. Ce qui veut dire que c'est toute la séquence entre parenthèses qui devient un signe qui renvoie à un autre signe. On peut donc dire de (6) qu'il s'agit là d'une métonymie in praesentia en établissement explicitement l'égalité des signes « argent » et « bazar ». Par contre, si l'on dit en référence à une somme s'argent :

7. Ce bazar est maigre,

la métonymie est bien attestée. C'est le type de métonymie le plus évoquée dans la littérature dédiée parce que c'est une métonymie in absentia, donc plus sensible. Cet exemple semble être forgé pour le besoin de la cause, pourtant c'est un exemple authentique des pays pauvres dont cet article est issu. L'indice de la métonymie est encore ici une incompatibilité sémantique du sujet et de l'attribut, incompatibilité qui force à appliquer une interprétation définie ici comme la règle du détachement du sens.

En effet, sans entrer dans des préoccupations étymologiques, on peut constater que l'enchâssement multiple de métonymies dans cet exemple fait migrer l'analyse commencée au sein du détachement du sens vers le signe triadique.

Tout d'abord, « bazar » est une métonymie de contenant pour contenu. Dans les pays concernés, il désigne en effet le panier que l'on amène pour faire le marché. Ensuite le marché lui-même est désigné par le nom de bazar dans la mesure où il contient les produits, notamment, de premières nécessités dont la population a besoin. C'est encore une métonymie du contenant pour le contenu. Enfin, comme la loi du marché implique des transactions via une monnaie, le plus souvent nationale dans les pays pauvres, on a la métonymie initiale de (7).

En somme, il existe une compatibilité presque identitaire de la règle du détachement du sens avec la sémiotique triadique, et celles-ci à leur tour sont identiques au mécanisme de la métonymie. Il nous semble dès lors que parler de règle métonymique comme possibilité pour un langage de donner une forme nouvelle à un contenu déjà exprimable n'est pas trivial. L'enjeu dans la métonymie - et dans les tropes en général - est de confier à une forme nouvelle une substance de contenu, afin que cette forme exhibe sa dimension illocutoire et celle-ci la dimension culturelle du langage au sein de la relativité linguistique.

Une forme de contenu exprimée pour la première fois dans la glossématique comme prédestinée à l'analyse des actes de langages définis comme montrés - comme le disent les philosophent anglais du langage - et non pas faisant l'objet d'un acte d'assertion ou

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d'affirmation. (DUCROT, 1980) Dans ces conditions, c'est la forme du contenu qui montre l'illocutoire d'une énonciation. Cette forme est définie de la sorte : « Seules les fonctions de la langue, la fonction sémiotique et celles qui en découlent, déterminent sa forme. Le sens devient chaque fois substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être la substance d'une forme quelconque. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)

Ainsi, en donnant la forme « bazar » à la substance de contenu inscrite dans la forme « argent », on peut exhiber la dimension culturelle de la métonymie. En choisissant cette forme, le destin de l'argent est scellé. Ce qui permet de voir un illocutoire de refus dans (8) comme réplique à quelqu'un qui est venu nous emprunter de l'argent.

8. Je n'ai plus que mon bazar

Suivant cette intervention de la règle du détachement du sens, nous pouvons maintenant reprendre les exemples (3) et (4). Interpeller quelqu'un par l'expression sandwich au fromage n'implique pas que l'individu en question n'a pas de nom; c'est l'évidence même.

Au contraire, en tenant compte du fait que si le nom propre a un fonctionnement hapax, c'est parce qu'il a pour fonction, entre autres, de faciliter l'orientation dans le social (MOLINO, 1982). Il s'ensuit donc que dans les exemples (3) et (4), nous avons une métonymie in absentia qui exprime l'identité du nom inconnu - et non pas inconnaissable - à la nouvelle forme via cette nécessité pratique d'orientation dans le social.

Autrement dit, les métonymies de ce genre n'ont pas, à proprement parler, une fonction de réduction d'une lacune lexicale ; elles ont pour fonction de convertir un nom commun en nom propre, de manière momentanée comme cela se passe en anthroponomie de manière à réaliser une individuation.

En effet, il n'est pas rare qu'un enseignant, de philosophie par exemple, soit appelé par ses étudiants « transcendance » par métonymie du fait que ce mot intervient souvent dans ses explications. Dans ce cas, la métonymie ne comble pas un vide mais donne une forme nouvelle à la substance de contenu défini par le statut d'enseignant, sous la perspective d'une caricature.

Travaux cités

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7. L'ILLOCUTOIRE DES FIGURES RÉSUMÉ :

En fonction du principe d'économie du fonctionnement linguistique qui s'interdit le seuil du langage hapax et le seuil du langage infinitisé, le principe de l'oubli comme mécanisme synecdochique est partout à l'oeuvre dans le langage, notamment dans les figures. Cette étude tend à montrer que les figures sont commandées par des buts pragmatiques. En effet, la figure met en jeu le sens littéral et le sens figuré. Ce qui veut dire que la figure est un choix du locuteur en fonction des buts qu'il recherche dans le rapport interlocutif

Mots clés : paternité, littéral, figuratif, énonciation, illocutoire, préservation de la face, métaphore

ABSTRACT:

On the basis of the principle of economy of linguistic functioning which prohibits hapax language threshold and the threshold of the infinite language, the principle of oblivion as a mechanism synecdochique is everywhere at work in language, especially in the figures. This study tends to show that the figures are controlled by pragmatic goals. Indeed, the figure involves literally meaning and figuratively meaning. Which means that the figure is a choice of speaker based on the goals that it searches the report interaction

Key words: fatherhood, literal, figurative, enunciation, illocutionary, preservation of the face, metaphor

La sémantique générative à partir des travaux de Georges LAKOFF s'inspire effectivement des données de la grammaire générative et transformationnelle laquelle distingue une structure profonde qui aboutit à une structure de surface en passant par des transformations diverses. La motivation de cette théorie prend naissance du constat de la généralisation des performatifs à tout le langage pour sortir de la dichotomie constatif vs performatif qui semble n'être qu'un palier heuristique dans les travaux d'AUSTIN. En définitive, selon que le verbe performatif soit présent ou absent de la structure de surface, on a affaire respectivement à un performatif primaire ou performatif secondaire; ou encore la dichotomie performatif direct et performatif indirect.

Il y a une réelle difficulté d'attribuer la paternité de la pragmatique en tant que dernière-née de la linguistique. AUSTIN et SEARLE sont souvent cités pour avoir vraiment rompu avec la sémantique traditionnelle. Mais avant eux, de la même manière que SAUSSURE a défini le projet de sémiologie comme science de la vie des signes au sein de la société, à côté de la linguistique structurale, il y a également lieu d'admettre que c'est Charles MORRIS qui avait, pour la première fois, jeté les bases de la pragmatique quand il identifiait dans toute sémiotique la distribution complémentaire suivante : la syntaxe est l'étude de la relation des signes entre eux, la sémantique désigne l'étude de la relation des signes avec les objets auxquels ils sont applicables et la pragmatique, enfin, qui est l'étude de la relation des signes

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à leurs interprètes. À peu près, à la même époque que MORRIS, dans le vieux continent, Rudolf CARNAP définissait le domaine de la pragmatique comme une référence aux utilisateurs de la langue.

Ici encore la paternité de MORRIS peut être mise en doute, car le mot « pragmatique » avec un sens quelque peu différent est apparu dans les textes du sémioticien Charles Sander PEIRCE en 1938, et MORRIS n'est autre que le disciple du sémioticien. On peut comprendre le pragmatisme de PEIRCE à partir de son opposition au doute cartésien. Cette idée de pragmatisme conduit PEIRCE à penser que ce n'est pas l'autorité ni la raison qui décident de la signification mais l'action. Non pas l'action individuelle, mais la mise à l'épreuve publique c'est-à-dire que la pensée humaine trouve son point de départ uniquement dans un doute pratique et elle est dirigée vers une fixation des croyances (connaissances) à travers des expériences qui déterminent des habitudes.

Si le pragmatisme ainsi compris n'est pas le sens que la théorie pragmatique véhicule actuellement, il n'en demeure pas moins que la théorie de la sémiotique triadique peut servir d'argument à la revendication de paternité. Le numéro 58 de la revue Langages (1980) est entièrement dédié à la lecture de la sémiotique de Charles Sander PEIRCE. L'article de David SAVAN inaugurant ce volume est explicite quant à l'authentification de la paternité. Prenons-en connaissance :

« Comme il existe trois types de representamen ou de relation-signe, il s'ensuit qu'il existe trois sémiotiques subsidiaires. Premièrement la grammaire formelle qui est l'étude des fondements des signes étudiés en eux-mêmes et indépendamment de leurs relations avec leurs objets ou leurs interprétants. Deuxièmement, la logique ou la critique qui est l'étude de la relation des signes à leurs objets. Troisièmement la rhétorique formelle qui est l'étude de la relation des signes à leurs interprétants, PEIRCE a repris ces termes à la philosophie grecque et à la philosophie médiévale, mais il est évident qu'il a anticipé sur la syntaxe, la sémantique et la pragmatique. » (SAVAN, 1980, p. 9)

On ne manque pas de remarquer l'identité substantielle de cette interprétation qui date de 1867 avec la distribution de CARNAP ou celle de MORRIS, et si elle est admise, il ne nous reste plus qu'à interpréter dans ce sens la théorie du signe triadique pour authentifier définitivement la paternité. Parmi les définitions les plus citées, celle-ci vient en première place :

« Un signe ou representamen est un Premier qui se rapporte à un Second appelé son objet, dans une relation triadique telle qu'il a la capacité de déterminer un Troisième appelé son interprétant, lequel assume la même relation triadique à son objet que le signe avec ce même objet ... Le troisième doit certes entretenir cette relation et pouvoir par conséquent déterminer son propre troisième ; mais, outre, cela, il doit avoir une seconde relation triadique dans laquelle le representamen, ou plutôt la relation du representamen avec son objet, soit son propre objet, et doit pouvoir déterminer un troisième à cette relation. Tout ceci doit également être vrai des troisièmes du troisième et ainsi de suite indéfiniment... (2.274). » (PEIRCE C. S., 1979, p. 147)

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On connaît les propriétés de ces trois instances du signe triadique. La catégorie de la priméité est celle du possible qui s'accommode de n'être point actualisé. La sécondéité est le mode de l'existant et la tiercéité est l'ordre de la loi qui instaure la prévisibilité comme une conséquence logique de la sémiosis.

La priméité est donc le domaine de l'arbitraire. Mais nous sommes loin du conflit qui opposait naguère SAUSSURE et BENVENISTE sur ce point, car il faut admettre que cette pure possibilité repose sur une convention que le code lui-même impose. En effet, les tropes nous enseignent tous les jours qu'un signifiant donné auquel l'habitude associe un signifié donné peut recevoir d'autres signifiés totalement étrangers aux premiers. Cependant, cette prolifération de signifié par le code n'est pas du type cancéreux. C'est-à-dire, ce n'est pas une fluctuation incontrôlable, sinon on ne comprendra pas pourquoi le langage dispose de plusieurs unités lexicales, par exemple, pour s'en tenir à celles-là, car les unités linguistiques peuvent se trouver en deçà et au-delà.

En réalité, s'il y a possibilité pour un signifiant de recevoir des signifiés diversifiés que la diachronie finit par lexicaliser par voie de délocution ou non - Saussure a déjà abordé cette question sous la question de la mutabilité des signes - c'est parce que le langage s'interdit deux pôles qu'il exploite partiellement. D'un côté, il y a l'interdit d'un langage hapax mais qui se réalise dans les noms propres, pour des raisons évidentes de surcharge des mémoires qui risque de compromettre la communication, car avant tout, le langage a pour mission de nous libérer du poids néfaste du réel pour accomplir l'autonomie linguistique. Les noms propres sont en effet des éléments difficilement mémorisés dans la langue.

D'autre part, le langage réduit à un seul élément ne saurait non plus être le fonctionnement normal du langage. Pourtant, nous avons quelquefois recours à ce langage monolithique. Quand nous sommes pris en défaut de nomination, nous employons des termes au sens très générique du type « machin » ou « chose ». Le langage est un équilibre entre ces deux pôles extrêmes. Mais si cet équilibre est possible, c'est parce que la tiercéité, l'ordre de la loi, donc de la prévisibilité, engage la sémiosis dans ce que nous pouvons appeler un parcours d'évocations.

Illustrons cette propriété du signe de renvoyer à d'autres signes, une propriété qui atteste de la propriété isomorphe du mot et de la chose que résume WITTGENSTEIN en cet aphorisme : « [...], nous ne pouvons imaginer aucun objet en dehors de la possibilité de sa connexion avec d'autres objets » (2.0121) (WITTGENSTEIN L. J., 1961).

Soit le mot « zébu ». Dans la culture malgache, il y a ce que l'on peut appeler une civilisation du zébu dans laquelle, l'animal en fonction de sa robe sert de contre-don à la cérémonie fortement marquée par la transcendance verticale comprise comme un rapport de l'homme avec les divinités, alors que dans la culture européenne, d'une manière générale, c'est au contraire la civilisation de la vache en fonction de la place qu'y prennent les produits laitiers.

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Dans le premier cas, la connexion est une dimension spirituelle de la vie tandis que dans le second, c'est la dimension matérielle qui est mise en avant. C'est ainsi que le mot « zébu » renvoie à « sacrifice », à « prêtre », à « office », à « offrande », à « foule » etc. et que de l'autre côté, le mot « vache » renvoie à « lait », « beurre », « fromage », « tartine », etc.

Il suffit de faire remarquer que chaque palier du parcours peut être le point de départ d'une nouvelle orientation de l'arthrologie. C'est de cette manière que nous concevons cet ad infinitum qui rebute plus d'un des meilleurs linguistes français dont BENVENISTE, de la lecture de l'oeuvre de PEIRCE en plus du fait que la terminologie de PEIRCE est des plus fluctuantes.

À cela, il faut ajouter un autre facteur qui a contribué à une méconnaissance de l'oeuvre du sémioticien de l'autre côté de l'Atlantique : presque à la même époque, l'édifice de SAUSSURE est publié à titre posthume par ses étudiants, il y a une sorte de domination de l'oeuvre de SAUSSURE dans le ciel de la linguistique quand le texte rassemblé et traduit par Gérard DELEDALLE faisait son apparition en Europe.

La deuxième illustration doit prendre en compte une dimension énonciative. Soit l'énoncé « il va pleuvoir » produit dans un contexte d'agriculture de la campagne malgache. Si la tiercéité stipulée par l'énonciateur est un acte illocutoire de mise en garde, alors les dérivations illocutoires successives peuvent également être infinies : donner l'ordre de ramasser les paddy qui sont en train de sécher, s'arroger le pouvoir réaliser cet ordre, destiner cet ordre à une personne précise qui de la sorte n'a plus l'ascendance, faire preuve de grand expérience, dominer l'autre, se dispenser de la tâche impliquée, etc. évidemment si la tiercéité convoquée dans cet énoncé peut être comprise comme une attente de cette pluie afin que les plantes soient arrosées, nous allons dans une autre arthrologie.

Ce deuxième exemple qui nous semble être l'argument fondamental qui permet de comprendre que, parmi les pères de la pragmatique qui se sont illustrés chacun de manière différente, la sémiotique triadique se révèle être une théorie puissante qui inclut par sa conception elle-même la dimension pragmatique du langage. Mais ce qu'il faut retenir dans cette illustration de la théorie des interprétants, c'est qu'elle permet l'équilibre du langage entre les deux extrêmes. En effet, l'ordre de la loi qu'est la tiercéité non seulement autorise une prévisibilité, mais surtout, il est ce qui permet le changement de sens.

Avec l'essor de la linguistique, nous savons actuellement que la théorie substitutive des tropes ne peut plus être défendue. Les tropes sont une illustration de cet équilibre que le langage maintient entre les deux pôles hapax et monolithique, et tel qu'il se présente l'interprétant dans la sémiotique triadique, il est ce qui fonde la théorie des figures comme une modification de contenu et non une substitution de signe, le premier étant égal à lui-même pour renvoyer à son objet. Dès lors, c'est le troisième du signe triadique qui permet la variation du sens dans les tropes.

La deuxième illustration de la nature de processus de la sémiosis nous a permis de comprendre la dimension pragmatique de la sémiotique triadique. La question est maintenant de savoir si les tropes sont de nature pragmatique en tant que changement de sens.

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Pour répondre à cette question, il nous faut passer par deux détours qui sont une affirmation sur le langage. La première affirmation est celle de NIETZSCHE : « la métaphore est l'essence du langage » nous rapporte TODOROV qui revoit à l'aune de la linguistique moderne cette affirmation et conclut que c'est de la synecdoque qu'il s'agit en réalité. En effet, la synecdoque est un mécanisme qui permet l'oubli les différences individuelles au profit du plus petit dénominateur commun. (Cf. (TODOROV, 1970, pp. 28-29) qui cite NIETZSCHE).

C'est la question de l'être et du paraître qui est ainsi renouvelée. Position que ne désavoue pas le groupe u, une dizaine d'années plus tard. Cependant, il faut reconnaître que le groupe est moins catégorique sans que la raison de cette restriction soit apportée. Néanmoins, dans l'ensemble, on peut admettre que la synecdoque est au coeur du langage :

« Dans tous nos discours, les sèmes essentiels apparaissent certes, mais enrobés d'une information supplémentaire inessentielle, non point redondante, mais latérale. Selon ce point de vue, presque toutes nos dénominations sont synecdochiques » (DUBOIS, et al., 1982, p. 36)

S'il faut interpréter la logique du raisonnement du père de la linguistique structurale quand il dit que dans la langue il n'y a que des différences, certes il ne s'agit de la même différence dont parle NIETZSCHE. La différence qu'il faut oublier chez le philosophe est celle qui permet de définir un type dans le sens où quand on dit : « L'eau bout à 100° », il ne s'agit pas d'une eau déterminée, isolée de ses semblables, en dépit de la présence de l'article défini singulier qui fonctionne ici au titre de générique. Il s'agit de n'importe quelle eau, par oubli justement de leur différence. Cette unité de typisation dans la terminologie de LAFONT ne retient que les éléments pertinents à l'identification. « La praxis linguistique rend compte du réel en transférant à l'unité de typisation toutes les occurrences dont la variété n'importe pas au message, en ramenant à l'unité de hiérarchie signifiante toutes les occurrences présentes en une. La praxème ne produit du sens qu'en ce qu'il est cette double unité. » (LAFONT, 1978, p. 134)

C'est ainsi qu'en tant qu'unité de hiérarchie signifiante, un arbre sera décomposé de la manière suivante : racines et tronc et branches et feuilles. C'est la décompostion sur le mode référentiel ou mode ð selon le groupe ì (DUBOIS J. , EDELINE, KLINKENBERG, & MINGUET, 1977, p. 47 et passim). En tant qu'unité de typisation, le concept arbre sera : peuplier ou eucalyptus ou platane, etc. Ce dernier type de décomposition est appelé par le Groupe ì : décomposition sur le mode conceptuel ou mode Ó.

La validité de la différence dans la langue chez SAUSSURE ne saurait donc concerner l'identification des unités sémiotiques de la première articulation de cette manière. Elle n'est pas dans l'unité de la hiérarchie signifiante, mais dans ce que Robert LAFONT appelle unité de typisation qui fonctionne par ajout ou suppression de traits caractéristiques

Il est évident que plus on remonte dans la classe des unités de typisation, on finit par arriver à des abstractions comme « végétal » et au-delà du végétal, on peut avoir « vivant ».

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Ces exemples nous montrent que l'oubli des différences caractéristiques est ce qui permet au langage de maintenir l'équilibre entre les deux extrêmes, justifiant du coup que, sur un plan diachronique, c'est tout le langage qui est tropique, plus exactement synecdochique, car du point de vue synchronique le caractère tropique du langage n'est que partiel du fait que la mémoire collective oublie la nature figurative de la dénomination. Le mot grève illustre bien cette amnésie de la mémoire collective. Désignant d'abord, une bande de terrain couvert de sable ou de graviers bordant un plan d'eau, il a fini par signifier directement la cessation volontaire du travail dans un but protestataire ou revendicatif. Ce qui est oublié, c'est que l'acquisition de ce sens dérive d'une pratique politique des Grecs dont la première victime fut TEMISTOCLE (471 avant J.C.) : les réunions qui visent à l'exercice de la démocratie par comptage de voix sur l'ostrakon (tesson de poterie) se passaient sur une grève. Ainsi, on peut tenir l'expression « je suis en grève » pour une dérivation délocutive car s'il décrit un état de chose, en même temps, son énonciation atteste l'opposition à une situation, donc l'intimation de changer cette situation, comme ce fut le cas sur la grève athénienne jadis.

Autrement dit, le mot grève dans le sens actuel était d'abord une métonymie. C'est une métonymie fréquente. Elle consiste à nommer l'endroit de production pour l'objet produit en cet endroit. D'une manière générale, la métonymie de ce type est motivée par l'excellence de l'objet. Par exemple un cachemire désigne une laine de chèvre du cachemire

Cet exemple nous permet de comprendre que cette figure est de nature tropique, car il s'agit bien de cela, même si actuellement, les locuteurs du français ne perçoivent plus cette dérivation délocutive. La question est donc de savoir s'il y a des raisons qui nous autorisent d'étendre cette dimension illocutoire à toutes les figures.

Nous ne pouvons pas encore tirer de conclusion sur ce point que si nous mentionnons la singulière aventure de la synecdoque, lisible par intertextualité avec celle de Cendrillon de Charles PERRAULT. La cadette oubliée au profit de ses deux soeurs aînées se fut révélée à la fin plus intéressante. De la même manière, la synecdoque, définie négligemment comme une sorte de métonymie fut longtemps éclipsée par cette dernière et la figure reine : la métaphore. Cette aventure intertextuelle, voici comment TODOROV la décrit :

« Tout comme dans les contes de fées ou dans le ROI LEAR, où la troisième fille, longuement méprisée, se révèle être à la fin la plus belle ou la plus intelligente, Synecdoque, qu'on a longtemps négligée - jusqu'à ignorer son existence - à cause de ses aînées, Métaphore et Métonymie, nous apparaît aujourd'hui comme la figure la plus centrale (FOUQUELIN et CASSIRER l'avaient pressenti). » (TODOROV, 1970, p. 30)

La réhabilitation vient de chez le groupe u qui atteste à deux reprises en deux endroits différents que la métaphore est une double synecdoque complémentaire. Il en est de même pour la métonymie mais dans cette dernière les synecdoques sont de fonctionnement inverse. Dès lors, c'est faux de croire que c'est la métaphore qui est l'essence du langage, mais c'est bel et bien la synecdoque.

Il est vrai que la rhétorique traditionnelle pêche par une démultiplication classificatoire, au contraire, les recherches actuelles tendent maintenant vers un mouvement inverse de

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réduction. La théorie des figures gagne ainsi en puissance explicative sans qu'elle puisse évincer de l'habitude les dénominations redondantes dans le champ des figures. De cette manière, il y a lieu de faire une distinction nette entre la synecdoque, comprise comme une sorte de métonymie et la métonymie elle-même. Cette distinction est nécessaire afin que les mêmes exemples ne soient évoqués pour illustrer les deux figures. C'est malheureusement le cas de l'un de nos dictionnaires de référence à l'usage des étudiants : le Dictionnaire de linguistique (DUBOIS, et al., [1973] 1982).

L'histoire de la rhétorique est décidément vouée à connaître régulièrement des soubresauts. Si TODOROV a bien accepté la réhabilitation de la synecdoque opérée par le groupe hexacéphale de liège, les linguistes du groupe ì, il faut reconnaître que des résistances se font savoir dont celle de Michel LEGUERN, auteur, pourtant, d'un ouvrage de référence très éclairant sur la question de la métaphore (LEGUERN, 1972). Nous tenons cependant pour établie la distribution suivante que nous devons à Parfait DIANDUÉ BI KACOU :

« -Lorsque le rapport du signifiant au signifié est un rapport de substitution totale, nous parlons du « degré englobant ». C'est donc la métaphore. Exemple : cheminée vivante (fumeur)

-lorsque le rapport du signifiant au signifié est un rapport inné, naturel, consubstantiel, nous parlons du « degré naturel ». C'est donc la synecdoque. Exemple : demander la main d'une fille.

- Lorsque le rapport du signifiant au signifié est un rapport créé, conditionné, nous parlons du « degré non-naturel ». C'est donc la métonymie. Exemple : la rue revendique sa liberté. » (DIANDUÉ BI KACOU, 2008)

Faute d'avoir aménagé ces distinctions nécessaires, JAKOBSON (1963) et LEGUERN (1973), par exemple, considèrent que la synecdoque n'est qu'une sorte de métonymie. La source de la confusion étant le fait que les deux figures se construisent sur une relation de la partie au tout.

Avec cette différence près que dans la synecdoque cette relation de la partie au tout, est au sein d'une totalité aux parties inaliénables tandis que, dans la métonymie, les deux parties qui forment la totalité existent l'une indépendamment de l'autre. En outre dans la synecdoque, le mouvement tropique peut aller dans les deux sens. Quand il est dans le sens de la partie au tout, on parle de synecdoque particularisante ou de synecdoque décroissante puisque l'on évoque la partie pour le tout. Ainsi, quand on dit un troupeau de cinq têtes, il s'agit d'une synecdoque décroissante, l'expression tête est mise pour l'animal tout entier ; en revanche quand on dit : faites rentrer les animaux, la synecdoque est décroissante parce l'expression animal désigne un ensemble infini alors qu'à travers elle on veut désigner les animaux domestiques en nombre fini.

Pour la métonymie, les deux parties qui forment un tout permettent tout simplement d'évoquer l'une pour l'autre et cela, uniquement dans un sens conventionnel. Par exemple : boire un verre.

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Notre première thèse consiste à dire que l'on emploie des tropes pour éviter au langage un défaut de fonctionnement, soit par basculement dans le seuil monolithique, soit par glissement dans le seuil d'un langage infinitisé. Ces deux seuils ont pour conséquence de rendre le langage inapte à la communication, pourtant dans le fonctionnement du langage lui-même nous nous approchons de ces seuils.

Quand nous sommes pris en défaut de nomination, nous utilisons le langage monolithique dans des expressions comme « chose », « truc », « machin ». Ces expressions sont de nature synecdochique : une synecdoque généralisante puisqu'on dit le plus pour le moins. « Chose » désigne tout ce à quoi nous pouvons référer alors que dans l'énonciation de ce mot en tant qu'événement unique, nous faisons référence à un individu linguistique précis.

Nous approchons également du langage infinitisé dans le fonctionnement hapax des noms propres dans lequel la répétition est interdite. C'est le blocage de la métaphore car des individus semblables reçoivent des noms différents. Le langage infinitisé a une utilité pratique dans l'anthroponymie, mais il présenterait tellement de difficultés sérieuses si les hommes n'ont pas la possibilité de dire leur propre nom dans cette activité illocutoire que l'on appelle « se présenter ». Mais s'il faut nommer chaque feuille des arbres d'un nom différent, on ne s'en sortira pas même pour un seul arbre du fait qu'aucune feuille n'est pas capable de se présenter. Alors, pour s'en sortir, on applique les tropes comme le signale ce passage de NIETZSCHE :

« Comment se forment en effet les mots et les concepts qu'ils contiennent ? « Tout concept - dit Nietzsche - naît de la comparaison de choses qui ne sont pas équivalentes. S'il est certain qu'une feuille n'est jamais parfaitement égale à une autre, il est tout aussi certain que le concept de feuille se forme si on laisse tomber arbitrairement ces différences individuelles, en oubliant l'élément discriminant » (1873, p. 181)" (DI CESARE, 1986, p. 98)

La seconde thèse est une affirmation du caractère illocutoire des tropes. Il y a lieu de croire que le choix des locuteurs pour employer une expression désignative parmi toutes les possibles n'est pas neutre. Ce choix montre une attitude devant la chose nommée. C'est le cas particulièrement des euphémismes qui sont une manifestation de tabou linguistique. Cette explication correspond exactement à la problématique qui a conduit à la généralisation du performatif dans tout le langage, une attitude non neutre étant exactement une attitude motivée. Pour faire la jonction entre ce que nous nommons ici « attitude motivée » au sein du langage et la théorie de l'énonciation, nous allons nous référer à François RECANATI. RECANATI a un parcours singulier, véritable lacanien, il fut convié par Roland BARTHES à une charge de conférences à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, mais dès la deuxième année, il enseignait la philosophie analytique aux apprentis sémiologues médusés ; le « coupable » est le séminaire d'Oswald DUCROT qui avait découvert la même discipline dix ans plutôt, dans la même École qu'il fréquentait assidûment pendant une décennie. L'enseignement de l'année en question (1976 - 1977) paru en 1979 sous le titre de La Transparence et l'énonciation, pour introduire à la pragmatique, aux éditions du Seuil (L'Ordre Philosophique) (RECANATI, 1979), tant la « conversion » fut radicale (RECANATI, 2001).

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Cet ouvrage est une bonne vulgarisation des travaux de John Langshaw AUSTIN. Nous retenons de ses arguments contre la transparence du langage celui-ci qui nous paraît fondamental : un énoncé représente un fait mais il est en lui-même un fait observable, donc signifiant sans que cette signification fasse l'objet d'une mention : « Un énoncé a un sens s'il représente un fait, auquel cas il est signe de ce fait ; par ailleurs, son énonciation, qui est aussi un fait peut témoigner pour l'auditeur de l'état psychologique du locuteur : l'énoncé représente un fait, et le fait de son énonciation montre que le locuteur est dans tel état psychologique » (RECANATI, 1979, p. 94)

L'énonciation comme fait apparaît clairement quand on se pose la question de savoir pourquoi le sens prend cette forme de l'énonciation et non de telle autre. Prenons un exemple contraire afin de faire mieux ressortir la particularité de telle énonciation. Que l'on dise ou non que le chat est sur le lit ne change rien au fait qu'il existe un chat et qu'il est sur le lit. Alors, il faut conclure que le fait de le dire n'est pas une tautologie du réel mais poursuit un but pragmatique, c'est-à-dire que son énonciation a pour but de modifier un rapport interlocutif.

Le fait de le dire constitue une énonciation dont la force illocutoire est définie comme une affirmation. Dès lors, il faut admettre que la motivation la plus claire d'une affirmation est de faire croire. Tout se passe de la manière suivante : avant mon énonciation, j'estime que mon interlocuteur ignore où se trouve le chat et après, il le sait. Autrement dit, l'affirmation est un acte qui prend naissance de l'occasion de la parole.

On peut transposer cette conclusion sur les tropes. Les tropes portent sur un segment linguistique précis et sont identifiables par une rupture isotopique. Ils peuvent donc être contenus dans une affirmation, dans une interrogation, ou encore dans d'autres illocutoires. Ce qui nous permet de comprendre que leur force illocutoire est dérivée par rapport à celle qui le contient ; et il y a lieu de croire que la force illocutoire des tropes s'articule sur la notion de préservation de la face qui nous impose de taire les paroles de mauvais augure et de dire les paroles de bon augure.

Il est un tabou linguistique universel : parler du sexe dans la mesure où cet organe sert à la miction et qu'il se trouve à proximité de l'organe de déjection. Or tout ce que nous rejetons de ces organes porte la marque de la pourriture à hauteur de mort, donc compris comme une violence contre la vie. C'est cette part de pourriture de la vie que BATAILLE appelle la part maudite qui est à l'origine des tabous entourant ces parties. Si de plus, l'acte sexuel est compris comme une transgression d'un interdit : la souillure qui marque notre animalité par opposition au monde du travail marqué par l'ordre et l'humanité ; on comprend mieux que ce tabou linguistique est une manière de taire les paroles de mauvais augure comme le souligne le passage suivant :

«La vérité des interdits est la clé de notre attitude humaine» : «sans le primat de l'interdit, l'homme n'aurait pu parvenir à la conscience claire et distincte, sur laquelle la science est fondée»; «l'homme est un animal qui demeure "interdit" devant la mort, et devant l'union sexuelle». Les interdits ne sont pas imposés du dehors et ils

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ont pour objet fondamental de contrer, faute d'éliminer, la violence : la violence de la mort et la violence de la sexualité -- la part maudite. Les interdits entourant la mort concernent le mort, le cadavre et ce qui s'y apparente (les excrétions), et le meurtre. Devant la nature (la décomposition, la pourriture, l'ordure, la saleté), devant son animalité, l'homme ne peut éprouver que la nausée (dégoût, répugnance, écoeurement, effroi, horreur) : Freud avait bien fait remarquer que la station verticale de l'homme diminue l'acuité de son odorat; mais, en même temps, la nausée -- le dégoût des ordures et des odeurs naturelles qui atteint son summum en toute société parfumée et aseptisée -- en face de l'animalité contribue à la station verticale et, de là, à l'oralité... » (LEMELIN, 1996)

Mais, l'interdit a ceci de paradoxal : il n'y a pas d'interdit absolu ; ce que l'interdit censure, en même temps il le postule. Justement, ce mouvement de la censure et de la postulation, nous l'obtenons dans le mouvement des tropes en vertu du principe selon lequel « nommer, c'est faire exister ». Ainsi, nous nommons le sexe par le terme absolument neutre de « chose » que le contexte désambiguïse.

De la même manière quand nous disons « prendre un verre » pour « boire » la métonymie a pour effet de préserver la face sous le terme absolument neutre de verre, car le verre ne peut pas conduire à l'ivresse qui risque de nous renvoyer à notre propre animalité par absence de pudeur.

Pareillement quand Jésus, dans sa prière au Gethsémani dit « éloigne-moi de cette coupe » ; la métonymie « coupe » lui permet de taire l'affront qui consiste à considérer Dieu son père comme un donneur de poison à son enfant bien que la métonymie ait ici une coloration métaphorique.

Même quand on dit « voile » pour « bateau », la préservation de la face n'est plus très bien sentie actuellement, mais si l'on admet qu'avant la maîtrise de l'énergie à vapeur, c'est le moyen essentiel de communication entre pays mais c'est ce qui peut aussi amener la guerre comme en témoigne la guerre de Troie qui a valu à Iphigénie d'être sacrifiée à Aulis pour permettre aux Spartiates de voguer sur la mer afin de mener la guerre aux Troyens.

Une parole flatteuse ou galante comme « jolie robe » adressée à une femme rentre dans la même catégorie parce que la robe est métonymique du corps qui la porte. Cette parole permet d'éviter d'aborder de front la question du corps de la femme ; elle fonctionne à la fois comme une censure et postulation du corps et de cette manière nous ne tombons pas dans l'animalité.

Cependant, la valeur illocutoire des tropes ne s'inscrit pas toujours au niveau irénique selon un principe de coopération dans le parcours conversationnel, elle peut être aussi dans le registre polémique. Ainsi, dans les insultes quand on qualifie quelqu'un de « singe », c'est lui dénier les propriétés de l'humain pour lui attribuer celles de l'animal mentionné. Autrement dit, si la généralisation du performatif à tous les énoncés est acceptée, il s'ensuit logiquement que les tropes ont aussi une valeur illocutoire. C'est ce que nous avons tenté de démontrer dans ces pages.

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Travaux cités

DI CESARE, D. (1986, Juilet). "Langage, oubli et vérité dans la philosophie de Nietzsche". Histoire, épistémologie, langage, pp. 91 - 106.

DIANDUÉ BI KACOU, P. (2008, août). éditions publibooks. Récupéré sur Google books: http://www.publibook. com/boutique2006/detaillu-1878PB.HTML

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DUBOIS, J., EDELINE, F., KLINKENBERG, J.-M., & MINGUET, P. (1977). Rhétorique de la poésie: lecture linéaire, lecture tabulaire. Bruxelles: Editions Complexes.

DUBOIS, J., GIACOMO, M., GUESPIN, L., MARCELLESI, C., MARCELLESI, J.-B., & MEVEL, J.-P. ([1973] 1982). Dictionnaire de Linguistique. Paris: Larousse.

LAFONT, R. (1978). Le travail et la langue. Paris: Flammarion.

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PEIRCE, C. S. (1979). Ecrits sur le signe. (G. DELEDALLE, Trad.) Paris: Seuil.

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SAVAN, D. (1980, Juin). "La sémeiotique de Charles S.Peirce". Au delà de la sémiolinguistique: la sémiotique de C.S. Peirce, pp. 9-23.

TODOROV, T. (1970). "Synecdoques", dans Recherches rhétoriques, Communications,16. Paris: Seuil.

WITTGENSTEIN, L. J. (1961). Tractatus logicophilosophicus, suivi de Investigations philosophiques. Paris: Gallimard.

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8. MÉTAPHORE ET FEMME

RÉSUMÉ

Cette étude vise à rendre compte de la collision entre la métaphore et la comparaison. Il s'ensuit que ce travail refuse d'accepter de considérer la métaphore comme une comparaison avec ellipse des outils de comparaison. Dans le phénomène métaphorique, c'est une vision du monde qui a pour cadre la préservation de la face. Tandis que dans la comparaison, le sujet parlant s'inscrit dans la dimension cognitive du rapport interlocutif. Autrement dit, la métaphore est passionnelle tandis que la comparaison est pédagogique. Ou encore, il y a lieu de considérer la métaphore dans l'ordre du désir, par contre la comparaison opère au niveau de la validité du jugement.

Mots clés : métaphore, comparaison, désir, jugement, passion

ABSTRACT

This study aims to report on the collision between metaphor and comparison. It follows that this work refused to accept to consider the metaphor as a comparison with comparison tools ellipse. In the metaphorical phenomenon, it is a vision of the world which is the preservation of the face. While in comparison, the speaking subject fits into the cognitive dimension of the interaction report. In other words, the metaphor is passionate while the comparison is educational. Or again, it is necessary to consider the metaphor in the order of desire, however the comparison operates at the level of the validity of the judgment.

Key words: metaphor, comparison, desire, judgment, passion

La littérature sur la métaphore a connu ces dernières années une fluctuation sans précédent. Témoigne de cette augmentation vertigineuse, une ambigüité native de la métaphore : TODOROV (1970, p. 28) nous rapporte que l'adage selon lequel la métaphore est l'exception s'accompagne naturellement de son contraire : la métaphore est la règle. Une ambiguïté que tranche GENETTE en ces termes:

« Le mouvement séculaire de réduction de la rhétorique semble donc aboutir à une valorisation absolue de la métaphore, liée à l'idée d'une métaphoricité essentielle du langage poétique - et du langage en général ». (GENETTE, 1972, p. 36)

Pour désambigüiser, ce travail va commencer par s'interroger sur la collision entre la comparaison et la métaphore. Ensuite, dans une perspective pragmatique, du mécanisme de la métaphore, il traitera de la métaphore et de la synecdoque. Pour terminer, il traitera, toujours dans une démarche pragmatique, de la métaphoricité de la femme ; à partir de cette remarque de Jean PETITOT :

« La relation dominante est la relation signifié/signifiant (la cause du désir et non pas la validité du jugement), le référent n'étant qu'un tenant lieu (un artefact, un simulacre, un trompe-l'oeil) servant de support. » (PETITOT, 1982, p. 25)

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Pour commencer observons la collision entre métaphore et comparaison. Le premier problème de la métaphore qui va être élucidé est d'abord sa connexion avec la comparaison. En effet, des auteurs affirment que la métaphore est une comparaison sans outil de comparaison. La position de LE GUERN sur ce point est très claire et instructive. Cet auteur n'admet pas que la métaphore soit une comparaison elliptique.

La raison de ce refus réside dans une distinction étymologique d'où dérive le terme de « comparaison » en français : « Le mot même de comparaison fournit un outil mal commode et son ambiguïté gêne parfois le grammairien. Dans la terminologie grammaticale, il remplace deux mots latins qui correspondent à des notions bien distinctes, la « comparatio » et la « similitudo ». Sous le nom de « comparatio » sont groupés tous les moyens qui servent à exprimer les notions de comparatif de supériorité, d'infériorité et d'égalité. La « comparatio » est donc carctérisée par le fait qu'elle fait intervenir un élément d'appréciation quantitative. La « similitudo », au contraire, sert à exprimer une jugement qualitatif, en faisant intervenir dans le déroulement de l'énoncé l'être, l'objet, l'action ou l'état qui comporte à un degré éminent ou tout au moins remarquable la qualité ou la caractéristique qu'il importe de mettre en valeur. » (LE GUERN, 1972, p. 52)

La métaphore relève de la similitude et non de la comparaison. La comparaison qui permette cette confusion d'approche de la métaphore est celle d'égalité. D'après cette information donnée par LE GUERN, il ne faut pas confondre l'opération de comparaison qui est une évaluation quantitative et l'opération de similitude qui fait intervenir la qualité bien que les deux opérations puissent recourir aux mêmes outils linguistiques entre les termes impliqués.

On sait que la comparaison utilise des outils comme plus + adjectif+ que et ses variantes, tandis que l'opération de similitude est restreinte à une expression d'égalité et emploie les outils du type semblable à, pareil à, tel, etc. Mais les deux constructions peuvent utiliser en commun l'outil « comme ». Il en résulte que la question qu'il nous faut résoudre est de savoir s'il l'on a affaire à des comparaisons ou à des similitudes dans ce cas.

On peut supposer que dans la comparaison, l'opération est du domaine cognitif. Elle consiste à faire accéder à l'inconnu à partir du connu. Ainsi quand ont dit :

1. La terre est ronde comme une orange

Il s'agit dans cet exemple de faire connaître la forme de la terre à partir d'un observable. Il est évidemment très difficile de se rendre compte de la forme sphérique de la terre, étant donné la différence incommensurable d'échelle entre l'homme et la planète; et qu'au moment de l'affirmation, l'humanité ne disposait pas de moyen de s'arracher de la gravitation pour observer la terre du dehors.

Autrement dit, la comparaison est un moyen cognitif de faire passer l'inconnu au connu au même titre que dans les langages formalisés comme la mathématique, dans une équation, on se sert du connu pour arriver à la connaissance de l'inconnu. Par exemple, si l'inconnu est « x » ; l'équation ax + b = 0 sera résolue par passage du même côté des connus. Ce qui nous

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donne : ax = -b ; dès lors x = -b/a. Le signe d'égalité de la mathématique relève de la comparaison de deux grandeurs. Il en est exactement de même dans l'exemple suivant où ce qui motive l'énonciation est le désir de faire connaître la force du fils à partir de la force du père qui est connue :

2. Il est aussi fort que son père

Par contre, dès que les termes mis en rapport par l'outil linguistique entretiennent une rupture isotopique manifeste, il faut conclure que « comme » exprime la similitude. C'est le cas de l'affirmation célèbre d'Éluard :

3. La terre est bleue comme une orange

Il ne s'agit plus là d'affirmer de faire avancer la connaissance de la terre à partir de quelque chose qui est connu, mais de donner à la métaphore son sens étymologique d'image, c'est-à-dire de transport d'un lieu à l'autre. Ce changement de topique dans la linguistique moderne est évalué en termes d'isotopie. Ce qui permet de dire que métaphoriser est une manière de voir.

Dans l'exemple (3), ce n'est pas la connaissance de la terre qui est la motivation de l'énonciation, mais une certaine image de la terre, une certaine vision de la terre qui ne relève plus de l'objectivité partagée, mais disons d'une objectivité subjective au même titre qu'un enfant pleure quand on lui dit que le Petit Chaperon Rouge est mort. Donnons encore des exemples qui, malgré leur proximité, marquent néanmoins la distance qui sépare la comparaison de la similitude.

4. Pierre est aussi fort que Paul

Dans cet exemple, on remarque que le comparé et le comparant entre dans le même ordre de quantité de force, il s'agit donc d'une comparaison puisqu'ils appartiennent exactement à la même isotopie. Ce qui ne sera pas le cas dans l'exemple (5) qui suit :

5. Pierre est fort comme un lion12

Puisqu'il n'y a pas de commune mesure quantitative entre la force de Pierre en tant qu'être humain et la force d'un lion. On peut alors conclure que ce comparant qui est en rupture isotopique ne fait pas intervenir une comparaison mais une similitude, donc une métaphore, c'est-à-dire une transposition d'un topique à l'autre.

Le problème qui empêche de voir une métaphore dans (5) est la présence de l'adverbe de la similitude « comme » que les analystes attachent à la comparaison. Ce qui en fait justifie la définition de la métaphore comme elliptique de l'outil de comparaison. En effet, quand on dit que : « On tend à voir dans la figure « comparaison » une opération discursive pleine de bon sens et sans envol ni mystère, tandis qu'on réserve à la métaphore le privilège de l'intuition poétique, à qui les affinités des choses sont révélées dans les éclairs de la génialité.

12 Je dois le contraste de ces exemples à LE GUERN (LE GUERN, 1972)

Il est aisé de voir que cette distinction risque d'être purement formelle. Il suffirait donc de biffer un petit adverbe, dans une « comparaison » pour la transformer en « métaphore » ? Et l'on abâtardirait une métaphore en y glissant le même adverbe ? C'est pourtant ce qui se passe, bien souvent. » (MORIER, 1981, p. 671)

On constate qu'il y a une nette volonté de séparer la métaphore de tout adverbe avilissant ou d'emploi déshonorant. La raison en est qu'il y a une confusion entre comparaison qui intervient entre des éléments du même topique et la métaphore qui se sert de l'outil de la similitude qui réalise le transport entre éléments situés sur des isotopies différentes. La fonction métaphorique est de réduire la différence isotopique.

Même LE GUERN, le premier qui a introduit cette différence entre la comparatio et la similitudo, n'ose pas franchir ce pas de crainte d'avilir la métaphore qui est victime d'une hagiographie. Il se contente de dire que la similitude et la métaphore appartiennent au même registre mais elles sont différentes :

« La distinction que le mécanisme de la similitude maintient entre les deux représentions garde à l'image plus d'épaisseur concrète, mais ne lui donne pas la même force de persuasion que l'identification établie par la métaphore. On peut rendre compte de la différence des effets produits en disant que la similitude s'adresse à l'imagination par l'intermédiaire de l'intellect, tandis que la métaphore vise la sensibilité par l'intermédiaire de l'imagination. » (LE GUERN, 1972, p. 57)

Faute de pouvoir gloser sur la différence entre sensibilité et imagination, nous allons confronter cette dernière remarque aux exemples qui servent à illustrer le scepticisme d'un MORIER qui ne fait pourtant pas la différence entre similitudo et comparatio. En tout cas, de pareille remarque relève de ce que nous appelons ici une hagiographie de la métaphore, comme si la métaphore ne pouvait qu'être une invention de poète de bonne naissance et ne peut pas du tout être attribuée à la plèbe.

Voici ces exemples : Comparaison en forme

Les eaux fuyaient comme de mouvants miroirs

Les flots glissaient le long du bord comme de vertes couleuvres

L'amour est pareil à un oiseau qui chante

L'aurore, telle une déesse aux doigts couleur de rose ...

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Raccourci métaphorique

Les eaux fuyaient, mouvants miroirs (Hugo)

Les flots le long du bord glissent, vertes couleuvres (Hugo)

L'amour est un oiseau qui chante

L'Aurore aux doigts de rose (Homère) (MORIER, 1981, p. 671)

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Nous remarquons que tous les exemples de gauche sont anonymes, peut-être de formation plébéienne, tandis que leur conversion dans la colonne de droite fait surgir des auteurs célèbres à un exemple près. Il semble alors que la consécration de la forme sans outil explicite de liaison vise à préserver la métaphore de l'atteinte de la plèbe. C'est une attitude que condamne NIETZSCHE, nous verrons comment se passe cette condamnation dans la deuxième partie de ce travail.

Parallèlement à la différence entre performatif explicite et performatif implicite, nous sommes enclin à croire qu'il faut appeler les exemples de la colonne de gauche « métaphore explicite » et ceux de la droite « métaphore implicite ». Puisque de la même manière, que ce soit dans (6) ou dans (7), l'énonciation accomplit une affirmation, avec cette différence près que (6) comporte le préfixe performatif, alors que (7) l'économise.

6. J'affirme que la terre est ronde

7. La terre est ronde

En effet, en appliquant aux exemples de gauche la règle de détachement de sens définie par CORNULIER en cette formule : « Détachement (fort) du sens: (P & (P signifie Q)) signifie Q.

Cette formule peut se paraphraser de diverses manières telles que : asserter conjointement que P, et que cette assertion de P signifie que Q, revient à asserter que Q ; signifier que P et que P signifie Q, c'est indirectement signifier que Q ; dire conjointement que P, et que ce disant on dit que Q, c'est dire que Q ; etc. » (CORNULIER, 1982, p. 132)

De cette manière en prenant le comparé comme P, c'est-à-dire la séquence Les eaux fuyaient, et comme Q : comme de mouvants miroirs ; on s'aperçoit que l'énonciation n'a pas pour but d'asserter P, mais au contraire d'asserter Q, autrement dit, de faire une métaphore en voyant à la place des eaux qui fuyaient des mouvants miroirs.

En d'autres mots, de la représentation communément admise en langue d'un segment de réalité du monde, encore que l'on peut se demander que fuyaient les eaux, l'énonciation impose une vision idiosyncrasique, preuve encore - s'il faut le rappeler - de la relativité linguistique.

Maintenant, en passant dans la colonne de droite, évoquons la version paradigmatique du détachement du sens : « Thèse (faible) de détachement du sens: (P & (P signifie Q)) implique Q.

(...), on peut appeler P l'interprété, Q l'interprétant, et la proposition « (P signifie Q) » l'interprétation. L'idée du détachement (faible) du sens est que la conjonction d'un interprété avec une interprétation implique l'interprétant." (CORNULIER, 1982, p. 127)

Faisons l'analyse pas à pas. D'abord HUGO affirme P, ensuite il affirme Q. Présentée de cette manière la double affirmation ne fait pas métaphore. Il faut donc admettre que HUGO a mis Q comme interprétant de P, dès lors il a impliqué que Q, c'est-à-dire que les eaux qui fuyaient sont de mouvants miroirs. En conclusion, nous disons que métaphoriser est un acte de langage qui impose une vision du monde particulière au même titre que quand un enfant

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juxtapose à un dessin informe le commentaire « maman », il donne sa vision du monde. Sans le commentaire, rien ne permet de dire que le dessin représente sa maman. Visionnons cet exemple :

Ce qui n'est pas le cas pour la comparaison au sens de comparatio. Dire que la terre est ronde comme une orange n'a pas pour but d'asserter « l'orange » mais d'affirmer « la rondeur » de la terre. La comparaison, au sens strict, est un cas où le détachement du sens n'opère pas. Le signal qui indique qu'il s'agit de comparatio est que l'élément comparant, non seulement n'entre pas en rupture isotopique, mais en plus ne viole pas le code linguistique.

Dans la comparatio, le comparant illustre tout simplement une propriété du comparé qu'il possède également par une sorte d'homothétie, une variation d'échelle qui interdit que le comparé soit assimilé au comparant. Contrairement, dans la métaphore explicite, l'élément « comme » - ou ses variantes - relève de la similitude réalise l'identité du comparant au comparé. Ce qui permet dans le cas de la métaphore in absentia de prendre le comparant comme une anaphore du comparé dans une parfaite autonymie. C'est ce prévoit la règle du détachement du sens au niveau de la similitudo et que WITTGENSTEIN dit dans cette formule : « L'identité de l'objet, je l'exprime par l'identité du signe et non pas au moyen d'un signe d'identité. » (5.53) (WITTGENSTEIN, 1961, p. 80)

Si dans la métaphore explicite, au sens que nous venons de définir à l'instant, l'élément « comme » marque que la partie à sa droite est dérivée de la partie à sa gauche, dans la métaphore implicite, en revanche, c'est la simple juxtaposition qui indique cette dérivation. En tout cas, dans l'un ou l'autre forme, la métaphore illustre parfaitement la remarque de DANESI et PERRON sur la sémiotique narrative considérée comme théorie intégrée :

« La perspective greimassienne de la cognition permet de postuler que le mode narratif du traitement des informations sensorielles et de leur organisation en structures narratives par l'entremise d'un « parcours génératif » constitue un trait fondamental de l'esprit et peut être considéré comme une extension de l'expérience sensorielle dans le domaine de la pensée abstraite. On retiendra que cette théorie est une « théorie intégrée », car elle tente d'expliquer la sémiosis en termes d'un complexe corps/esprit/discours. La signification commence par le corps, est transférée à l'esprit, et finit dans le discours. » (DANESI & PERRON, 1996, p. 29)

Cette dernière remarque renforce l'idée que métaphoriser est avant tout une manière de voir et que le langage est une vision du monde. Ce qui nous permet de nous engager dans la deuxième partie de ce travail.

Nous allons commencer par parler de la motivation de la métaphore pour terminer sur le mécanisme de la métaphore.

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NIETZSCHE nous assure que la métaphore est le langage des premières nations, ce n'est que dans une évolution diachronique, à cause certainement de la mort de la métaphore par usure, qu'une partie du langage est perçue comme non métaphorique. Tel est par exemple le cas d'un professeur qui demanderait à ses élèves de prendre une feuille, aucun de ses élèves n'irait sortir et prendre une feuille de plante.

On peut constater chez NIETZSCHE, la critique sceptique du langage qui se présente en ces termes chez CASSIRER :

« Le langage n'est pas, pour elle, [la critique sceptique] un organon de connaissance, de véritable appréhension de l'être ; c'est lui, au contraire, qui s'interpose toujours entre les hommes et la réalité, qui tisse sans cesse le voile de Maïa et nous y enveloppe de plus en plus. » (CASSIRER, 1969, p. 64)

Mais chez lui cette critique sceptique ne sonne pas comme un destin, au contraire, il vise à la libération du langage de la métaphore originelle qui semble avoir fixé une fois pour toute la seule interprétation du monde. C'est ce que l'on peut constater dans la remarque suivante que nous rapporte DI CESARE Donatelli :

« La thèse de Nietzsche est qu'on peut constater dans les différentes langues une même transformation de concepts : l'idée de « bon » dérive de « « noble », « aristocratique », l'idée de « mauvais » provient de « plébéien. » (DI CESARE, 1986)

À la lecture de ce passage, on comprendra mieux pourquoi suggestion est faite ici d'appeler de métaphore explicite les transports topiques qui font apparaître un outil de la similitudo. En effet, le langage a imposé comme vérité que la métaphore soit un transport qui se passe d'outil de transport. Tout se passe comme si l'on voulait ennoblir la métaphore par cette exclusion de l'outil de la similitudo et de la sorte la préserver de l'atteinte de la plèbe. Témoigne de cette tendance, la définition que voici de la métaphore chez DUMARSAIS, en citation chez LE GUERN :

« La métaphore est une figure par laquelle on transporte pour ainsi dire, la signification d'un mot à une autre signification qui ne lui convient qu'en vertu d'une comparaison qui est dans l'esprit » (Traité des tropes, II, 10) (LE GUERN, 1972, p. 54)

Or il faut admettre que cet ennoblissement ne corresponde à aucune réalité. La métaphore est la seule manière d'accéder à l'appréhension du monde que l'on soit aristocrate ou que l'on soit plébéien. Il est évident que l'activité de philologie ne peut jamais être exhaustive puisque le témoignage linguistique d'une époque révolue peut toujours faire défaut, notamment pour des sociétés qui se sont mises tardivement à l'écriture. Néanmoins, nous pouvons çà et là fournir des exemples étymologiques qui attestent que la métaphore est la matière originelle du langage.

Le premier exemple qui va nous servir d'illustration de cette position est le « clic » de la souris de l'ordinateur qui a donné naissance au verbe « cliquer ». Nous savons que le « clic » est une onomatopée qui reproduit le bruit de la souris quand on appuie dessous. Le verbe est ici bel et bien métaphorique dans la mesure où il est dans un rapport analogique avec ce qu'il désigne. Cette métaphore se maintient en dépit du fait que dans les ordinateurs portables, la

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souris est remplacée par un « touch pad [touche feutrée]» qui ne provoque aucun clic. Il en va de même du verbe « claquer » ou du nom de l'oiseau « coucou ».

Être de bonne naissance ou non est encore souvent une question cruciale de nos jours parce que nous avons oublié que les mots qui en rendent compte étaient au départ métaphoriques. Deux exemples malgaches dans leur opposition suffisent à éclairer ce figement de la métaphore. Un « andevo [esclave]» est quelqu'un qui ne mérite rien tandis qu'un « andriana [seigneur]» a tous les droits ; le seul droit du premier est d'être au service du second. Ce que l'on oublie très vite est que le mot « esclave » est une métaphore obtenue par dénégation de toutes les propriétés de l'humain sauf celle de servir les seigneurs. La preuve en est qu'un individu de bonne naissance peut être appelé Razanakondevo dans le but de conjurer le sort. C'est-à-dire qu'il ne faut pas mentionner linguistiquement la bonne étoile de quelqu'un selon son astrologie de peur de fâcher les divinités qui peuvent dès lors lui refuser cette ascendance positive.

La position de NIETZSCHE - philosophe du langage - est une radicalisation de la métaphore au point qu'il définit l'homme à travers la fiction, comme le souligne cette lecture de NIETZSCHE par DI CESARE : « En tant que procédé métaphorique de connaissance, en tant que recherche de l'identité dans la différence, la fiction est inévitable. Elle constitue le fondement de toute interprétation et l'homme a justement besoin d'interpréter le monde ; elle est

« cet instinct qui pousse l'homme à former des métaphores, cet instinct fondamental de l'homme dont on ne peut faire abstraction un seul instant, car on ferait abstraction de l'homme lui-même ». (1873 p. 195). » (DI CESARE, 1986, p. 99)

En ramenant cette remarque de l'homme comme être métaphorique dans ses conséquences linguistiques, on s'aperçoit que le langage s'interdit deux seuils. Chaque seuil rend la communication impossible. Le premier seuil est celui du langage hapax qui se réalise pourtant dans les noms propres :

« Un langage infinitisé, correspondant symétrique de l'infinité des événements du monde, ne serait susceptible d'aucun apprentissage, l'occasion nouvelle prenant tout à coup au dépourvu la puissance signifiante. Il ne soutiendrait aucune communication. Il ne serait pas langage du tout, n'étant fait que d'hapax. » (LAFONT, 1978, p. 129)

L'autre seuil interdit est le langage monolithique (LAFONT, 1978, p. 133) réduit à un seul élément qui pourrait tout dire. Si un tel langage existe, nous perdrons également la possibilité de communiquer parce que le langage ne comportera plus de différence qui est le support du sens. Il nous reste alors à naviguer entre ces deux seuils en métaphorisant, selon le passage suivant de NIETZSCHE que nous rapporte DI CESARE :

« Comment se forment en effet les mots et les concepts qu'ils contiennent ? « Tout concept - dit Nietzsche - naît de la comparaison de choses qui ne sont pas équivalentes. S'il est certain qu'une feuille n'est jamais parfaitement égale à une autre, il est tout aussi certain que le concept de feuille se forme si on laisse tomber

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arbitrairement ces différences individuelles, en oubliant l'élément discriminant » (1873, p. 181)" (DI CESARE, 1986, p. 98)

C'est de cette manière que NIETZSCHE comprend l'hominisation de l'espèce à partir de la faculté de métaphoriser. TODOROV qualifie ce mouvement de synthèse du multiple en une seule unité de synecdoque (TODOROV, 1970, p. 29) ; en effet, si l'on transpose au mot « arbre » le principe d'oubli, ce mot englobe peuplier, eucalyptus, manguier, etc. comme hyponymes, alors on peut parler de synecdoque de la partie pour le tout. Seulement, en pensant que la naissance du concept est une vision qui unifie plusieurs zones du réel par oubli des différences individuelles, on est dans le mécanisme de la métaphore : l'identification du non identique.

Autrement dit, la manière dont NIETZSCHE présente la métaphore est une critique de la question philosophique de l'être et du paraître pensée comme une certitude, alors que ce n'est qu'une métaphore. Dès lors, on s'aperçoit que la véritable nature de la métaphore est un oubli des différences afin d'accéder à une forme qui satisfasse le désir humain dans son appropriation du monde des objets.

Du même coup, la métaphore de NIETZSCHE est une métaphore primaire et celle analysée par la rhétorique est dérivée, une métaphore de la métaphore dans laquelle l'investissement du désir se révèle être une dimension illocutoire de la figure. C'est cet oubli des différences qui d'ailleurs a permis au Groupe u de définir la métaphore comme une double synecdoque (1982, p. 190), selon le schéma général du tableau suivant :

Schéma général

 

a)

(Sg + Sp)?

 
 

Métaphore possible

Bouleau -3 flexible -3 jeune fille

b)

(Sg + Sp) ?

 
 

Métaphore impossible

Main -3 homme -3tête

c)

(Sp + Sg) ?

 
 

Métaphore impossible

vert -3 bouleau -3 flexible

d)

(Sp + Sg) ?

 
 

Métaphore Bateau ? voiles ? veuves

possible

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Prenons la métaphore (a) qui consiste à désigner une jeune fille par le terme bouleau. C'est une combinaison d'une synecdoque généralisante (Sg) et d'une synecdoque particularisante sur le mode conceptuel (?). On oublie d'abord que tout ce qui est flexible n'est pas un bouleau, on obtient alors la synecdoque généralisante « bouleau », ensuite, on oublie que la fille n'est pas seulement flexible, et l'on obtient la synecdoque particularisante flexible. Finalement, sont oubliées les différences entre « bouleau » et « jeune fille » pour les identifier à partir de leur propriété commune : la flexibilité.

Cet exemple est authentique au niveau du texte qui l'insère. Il montre que la métaphore en s'appuyant sur le véhicule « flexible » met en évidence un caractère de l'objet ainsi dénommé en fonction du désir du sujet dénommant. Cette remarque nous amène à la troisième et dernière partie de notre travail.

Quand ANSCOMBRE définit une loi de discours selon laquelle communiquer un désir, c'est demander la satisfaction de ce désir (1980, p. 87), le plus souvent cette communication se fait de manière indirecte dans le but de préservation de la face issue des travaux de Erwin GOFFMAN dans une perspective sociologique : « Un individu "garde la face" lorsque la ligne d'action qu'il suit manifeste une image de lui-même consistante, appuyée par les jugements et les indicateurs venus des autres participants, et confirmée par ce que révèlent les éléments impersonnels de la situation. Il est alors évident que la face n'est pas logée à l'intérieur ni à la surface de son possesseur, mais qu'elle est diffuse dans le flux des événements de la rencontre, et ne se manifeste que lorsque les participants cherchent à déchiffrer dans ces événements les appréciations qui s'y expriment. La ligne d'action d'une personne pour d'autres personnes est généralement de nature légitime et institutionnalisée » (GOFFMAN, 1984, p. 10)

Par la suite, cette idée a fait irruption au sein de la pragmatique, grâce notamment aux travaux de Penelope BROWN et Stephen LEVINSON (2000 [1978]) en termes de théorie de la face. Un panorama qui brosse l'évolution diachronique de cette question se trouve dans un article de Carasela ENACHE et de Gabriela POPA. (ENACHE & POPA, 2008). Pour résumer cette théorie de la face, il n'est que de commenter l'exemple suivant :

8. Saika mba hangataka afo [Je voudrais demander du feu]

Dans la traduction française, notons que le conditionnel présent est une combinaison du passé marqué par le morphème de l'imparfait -ais et du futur par le morphème -r- . Ce qui est rendu en malgache par le morphème saika qui exprime une chose qui a failli se passer et la marque du futur dans le verbe hangataka par le morphème h-.

Cette combinaison permet de garder la face ; en cas de refus, on peut évoquer le passé qui n'est plus de la requête, et en cas de satisfaction, on s'en réjouit puisque la marque du futur implique que c'est encore un projet. Encore qu'ici, cette marque du futur peut

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également servir à garder la face en présentant la requête comme un projet qui n'est pas

encore.

Cette explication de ce que nous appelons préservation de la face est nécessaire pour comprendre que parler de la femme comme objet du désir masculin peut être dangereux pour la face. C'est ce que nous apprend le passage suivant des textes de François FLAHAULT :

« Mais enfin, imaginons qu'un garçon et une fille soient bons amis: ils se trouvent apparemment dans ce cas favorable. Pourtant, que l'un vient à « tomber » amoureux de l'autre, et la question du « je t'aime » va se poser douloureusement à lui (ou elle), à cause de l'augmentation considérable des enjeux qui accompagnent ce changement (...).

C'est la peur de cet ébranlement de sa propre identité qui conduit chacun à éviter la situation qui se noue dans l'illocutoire explicite (performatif) pour lui préférer l'implicite. » (FLAHAULT, 1978, p. 51)

La raison de cet ébranlement redouté est que le sujet désirant ne peut plus traiter d'égal à égal à l'autre sujet désiré puisque la catégorie du désir installe en lui un manque qui l'affaiblit. Surtout, il va perdre la face en cas de refus d'avoir osé croire être en droit de faire cette requête. Pourtant, il lui est impossible de se taire, alors il ne lui reste plus que la voie de l'implicite qui peut prendre la forme d'une métaphore, le plus souvent produite dans le cadre d'une oeuvre d'art. C'est le cas du nu féminin artistique, de l'Aphrodite de Cnide (Praxitèle) en 350 avant J.C. à L'origine du monde (COURBET) de 1866.

L'implicite dans l'oeuvre de COURBET est spécifiquement métaphorique dans la mesure où c'est une anatomie précise de la femme, jamais reproduite en art sans artifice de masque, qui est désignée par l'expression origine du monde parce que tout humain est née d'une femme et que le monde n'est pas sans le langage des hommes pour le recréer. En appliquant à cette métaphore picturale (au sens littéral) la règle du détachement du sens, nous verrons que l'implicite en tant que défini ici comme préservation de la face à traves la métaphore correspond exactement à ce qu'en dit DUCROT : « Le problème général de l'implicite, (...) est de savoir comment on peut dire quelque chose sans accepter pour autant la responsabilité de l'avoir dit, ce qui revient à bénéficier à la fois de l'efficacité de la parole et de l'innocence du silence. » (DUCROT, 1972, p. 12)

En effet, en tenant compte du fait que dans la règle du détachement du sens, la conjonction d'un interprété avec une interprétation vaut pour assertion de l'interprétant, alors, on ne peut pas taxer COURBET de quoi que ce soit parce que justement il n'a fait que peindre l'origine du monde. Ce qui n'est pas une activité répréhensible par aucune morale.

Nous voyons très bien avec cette brève lecture d'exemple que la métaphore n'a pas pour but de comparer, mais de donner une forme nouvelle à un sens déjà exprimable dans le langage, et dans le cas qui nous occupe, cette nouvelle forme imposée par la métaphore permet d'éviter de prononcer un interdit linguistique afin de ne pas blasphémer, ou tout simplement, afin de ne pas heurter les sensibilités de manière à ne pas perdre la face. Nous

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avons donc avantage à comprendre la métaphore à partir du principe d'oubli qu'à partir de la comparaison si la thèse de la double synecdoque est acceptée.

Maintenant, nous allons faire une déambulation dans le domaine religieuse afin d'y voir comment se manifeste la préservation de la face dans la métaphore qui permet de ne pas blasphémer.

Il est inutile de reproduire ici le texte de la Genèse puisqu'on peut y référer sans problème dans la mesure où il s'agit d'une littérature universelle. L'essentiel est de comprendre que dans ce récit, il est un interdit qui fut transgressé par Adam et Ève. L'objet de cet interdit est le fruit de « l'arbre de la connaissance du bien et du mal ».

On peut prendre à la lettre la signification de cet interdit à partir de l'interprétation du serpent qui indique que goûter au fruit de cet arbre peut rendre égal à Dieu qui connaît tout, c'est-à-dire connaître la totalité. Cette totalité est définie comme l'ensemble du bien et du mal. On comprend alors que ce que la censure interdit, c'est la totalité. Il s'ensuit déjà que nous avons une synecdoque parce que le bien et le mal, dans leur opposition définit le signe sous le concept de différance, (avec un « a ») forgé par DÉRRIDA, n'est qu'une opposition qui pourrait être pris comme type pour représenter la totalité présentée comme suit : « Le même est précisément la différance (avec un « a ») comme passage détourné et équivoque d'un différend à l'autre, d'un terme de l'opposition à l'autre. On pourrait ainsi reprendre tous les couples d'opposition sur lesquels est construite la philosophie et dont vit notre discours pour y voir non pas s'effacer l'opposition mais s'annoncer une nécessité telle que l'un des termes y apparaisse comme la différance de l'autre, comme l'autre différé dans l'économie du même (l'intelligible comme différé du sensible, comme sensible différé ; le concept comme intuition différée - différante ; la culture comme nature différée - différante ; tous les autre de la physis - technè, nomos, société, liberté, histoire, esprit, etc.) » (DERRIDA, 1968, pp. 56-57)

En d'autres mots, lorsque nous sommes devant la croisée des chemins, la certitude est que tous les chemins sont possibles mais nous ne pouvons qu'en prendre un seul ; la totalité des chemins nous est interdite. Dès lors, la synecdoque se mue en métaphore in absentia qui consiste à nous conseiller qu'on ne peut pas tout étreindre à la fois, il nous faut choisir. La magie de cette métaphore est encore inscrite dans la synecdoque qui place l'interdit au sein de la différance, pour que nous puissions nous apercevoir que l'interdiction est ce qui nous permet d'accéder au choix : transgresser ou obéir.

Déjà, la métaphore se lit comme une préservation de la face de tout le monde, car elle nous apprend que l'interdiction est la voie qui nous amène à la liberté du choix et nullement à la contrainte. Si l'arbre n'était pas dans le jardin, c'est à ce moment que le choix ne serait plus et que la contrainte aurait triomphé.

Mais si de plus on apprend que : « Elle en prit un et en mangea. Puis elle en donna à son mari, qui était avec elle, et il en mangea lui aussi. Alors ils se virent tous deux tels qu'ils étaient, ils se rendirent compte qu'ils étaient nus. » (TOB, 1985, pp. 3, 6-7)

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On se retrouve dans une séquence propre au mécanisme de la règle du détachement du sens dont le calcul propositionnel peut être reformulé de la sorte : Si P, alors Q, signifie Q. autrement dit, ici, ce qui est interprété est toutes les séquences qui comportent le verbe « mangea », l'interprétant est la séquence qui contient « alors ». Il s'ensuit que dans la mesure où la conjonction d'un interprétant avec une interprétation signifie l'interprétant, nous avons la métaphore qui fait passer « fruit défendu » à la « sexualité ». C'est ici que nous pouvons, à notre manière, appliquer la thèse de la métaphore comme double synecdoque développée par le Groupe u.

Rappelons qu'il y a deux cas possibles dans l'inventaire du groupe de liège : la combinaison d'une synecdoque généralisante sur le mode conceptuel et d'une synecdoque particularisante sur le même mode. D'ailleurs, la métaphore obtenue par cette combinaison est la plus sentie puisque l'on peut s'apercevoir rapidement de la rupture d'isotopie. Ensuite il y a la métaphore - moins sentie - obtenue par la combinaison d'une synecdoque généralisante et d'une synecdoque particularisante sur le mode conjonctif.

Pour notre cas, c'est la combinaison sur le mode distributionnel ou mode ? qui est concernée. D'une part, en ce qui concerne le terme d'arrivée, nous avons la « nudité » (Cf. l'origine du monde de COURBET à l'instant) qui est une synecdoque généralisante pour la sexualité ; et de l'autre côté, dans le terme de départ, nous avons le fruit défendu qui est une synecdoque particularisante pour la sexualité. Tout se passe alors de telle manière que la consommation du fruit défendu est une consommation sexuelle.

Nous voyons alors clairement que cette métaphore est un euphémisme qui permet d'éviter de blasphémer ou tout au moins d'éviter de heurter les sensibilités. C'est pour cette raison que nous avons appelé cette métaphore une métaphore de préservation de la face dans la mesure où elle nomme de manière implicite ce qui est frappé de tabou linguistique dans le discours normal, et a fortiori dans le discours religieux.

Le passage suivant permet d'expliquer pourquoi c'est la femme qui mangea en premier le fruit défendu, mais de peur de blasphémer à notre tour, nous préférons exploiter cette logique dans un autre corpus. Voici ce passage qui est une lecture de l'érotisme chez Georges BATAILLE : « Tel que Lacan l'enseigne à propos d'Antigone, la beauté «est, dans l'objet, ce qui la désigne au désir» : «le désir a pour objet le désirable»; «l'objet du désir est d'abord la beauté féminine» dans la fulguration ou l'obstination du désir. La «figure attrayante de l'érotisme» est la même pour les hommes et les femmes, c'est la «nudité féminine» : c'est l'union de la beauté féminine et de l'obscénité animale qui distingue l'objet du désir. En même temps que la beauté (de la femme), qui est un signe du souverain, éloigne du travail et de l'animalité, elle «annonce un aspect animal plus lourdement suggestif» : l'annonce des «parties honteuses» (pileuses). «La beauté négatrice de l'animalité, qui éveille le désir, aboutit dans l'exaspération du désir à l'exaltation des parties animales». » (LEMELIN, 1986)

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Quand BAUDELAIRE donne le titre de « Le beau navire » à l'un de ses poèmes dans le recueil Les Fleurs du mal, ce titre est une métaphore parce que l'objet décrit dans le poème n'est pas un navire mais une femme :

9. Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,

Tu fais l'effet d'un beau navire qui prend le large Chargé de toile et va roulant

Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent.

Dans cet extrait, commençons par identifier les termes sur lesquels se fondent la métaphore. Le terme d'arrivée de la métaphore, ou pour insérer l'analyse dans le cadre de la théorie de l'énonciation via la règle du détachement du sens, l'interprété de la métaphore est un « tu ». Si c'était un « elle », alors l'objet de la description est hors du circuit de la communication, c'est « la personne absente » selon la révision des pronoms de la conjugaison par BENVENISTE (1982 (or. 1966), pp. 251-257).

En reprenant à note compte la remarque de FLAHAULT à propos de l'ébranlement du rapport interlocutif quand il est question de dire « je t'aime », nous avons ici un implicite caractéristique que peut résumer cette formule de Jean-Claude ANSCOMBRE : « [...] communiquer un désir, c'est demander la satisfaction de ce désir » (1980, p. 87)

Il faut bien que le destinataire de la parole sache ce que le destinateur pense de sa personne, et que cette pensée prenne la voie métaphorique, alors cette métaphore est une manière de montrer ce que l'on ne peut pas dire selon la règle de l'implicite. Du même coup, l'on constate que la logique narrative fait naître le texte à partir d'un manque. L'objectif de la métaphore est une conjonction d'avec l'objet du désir.

Mais cet objet du désir consiste à réduire le « tu » de manière synecdochique à une partie seulement. Une partie qui est désignée par une métonymie du contenant pour le contenu dans l'emploi du terme « jupe » ; à moins que l'on considère « jupe » comme un attribut féminin, alors ce ne sera pas une métonymie mais une synecdoque. De nouveau, la métonymie a pour mission de montrer ce qui ne peut pas être dit.

Si en plus, on s'aperçoit que c'est cette métonymie qui est le véritable point focal de la métaphore : la jupe est animée d'un mouvement rythmique qui est interprété par le mouvement du navire qui prend le large. En analysant la source de ce mouvement de la jupe, ce qui se met en évidence est qu'il s'agit de la marche. Une marche qui n'est pas définie comme joignant un point à l'autre, mais qui a une visée autotélique selon la définition suivante :

« Il en est ici du discours comme de la marche. La marche habituelle a son but en dehors d'elle-même, elle est un pur moyen pour parvenir à un but, et elle tend incessamment vers ce but, sans tenir compte de la régularité ou de l'irrégularité des pas séparés. Mais la passion, par exemple, la joie sautillante, renvoie la marche en elle-même, et les pas séparés ne se distinguent plus entre eux par ceci que chacun rapproche davantage vers un but ; ils sont tous égaux, la marche n'est plus dirigée vers un but, mais a lieu plutôt pour elle-même. Comme de la sorte les pas séparés ont

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acquis une importance égale, l'envie devient irrésistible, de mesurer et de subdiviser ce qui est devenu identique de nature, de la sorte est née la danse. » (TODOROV, 1977, p. 191)

En effet, dans ce poème de BAUDELAIRE, le verbe « aller » n'a pas de complément circonstanciel indiquant le but de la marche. La description, en faisant silence sur le but de la marche, indique clairement qu'il s'agit de considérer la marche pour elle-même. De cette manière, il est permis de la comprendre comme une danse de la partie désignée par la métonymie « jupe ». Cette visée autotélique est ce qui a permis justement à JAKOBSON de définir la fonction poétique (1960, p. 218) ; ce qui veut dire que la métaphore comme poétisation du corps féminin est une stratégie qui permet de préserver la face. C'est-à-dire de passer par une forme de sublimation poétique dont la fonction est d'éviter de rabaisser l'humanité de la femme dans ce qu'elle a de commun avec l'animal : le charnel ; d'éviter à l'homme de se rabaisser au rang de l'animal par une mise à distance de la jouissance, un interdit de la jouissance immédiate qui permet le transport de ce qui ne peut être dit vers le dicible.

Cette dernière remarque nous amène vers l'interprétant ou le terme de départ de la métaphore : le navire qui prend le large, représenté par la poupe de manière synecdochique. Il est évident que parler du navire est sortir absolument de tout jugement moral, donc c'est une manière de contourner l'interdit de nommer certaines parties du corps féminin, puisque nommer, c'est faire exister (SARTRE, 1998, p. 66)

La question qui va nous guider maintenant est de savoir pourquoi, la métaphore a pour interprétant l'image d'un navire.

En plus des différentes figures qui organisent cette métaphore - métonymie et synecdoque - nous allons nous attacher maintenant au mécanisme exclusif de cette métaphore.

Le navire est caractérisé par deux mouvements bien connus des marins mais aussi observables quand il quitte le port pour aller vers le large. Il s'agit en fait d'un double mouvement : le roulis et le tangage. En retrouvant donc ce point commun entre l'interprété et l'interprétant, nous pouvons encore reprendre l'illustration de la métaphore comme une double synecdoque.

D'abord, le mouvement du navire est une synecdoque généralisante du roulis et du tangage, ensuite le roulis et le tangage est une synecdoque particularisante de la jupe qui balaie l'air, parce que le mouvement de balayage renvoie justement à ces roulis et tangage, sinon la figure métaphorique n'est pas possible. Il s'agit effectivement d'une métaphore parce qu'elle impose une vision du monde qui n'entre pas en contradiction avec l'interdit entourant l'animalité de l'homme mais qui au contraire élève l'homme en tant que créateur d'image dont le lien n'est pas donné dans la nature. En outre, le mouvement du navire est de telle sorte que l'observateur ne peut voir que sa poupe, ce qui implique que la métaphore est une peinture d'une femme qui marche devant l'observateur comme une sorte de phénomène de

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voyeurisme que nie justement la métaphore - il n'est pas interdit de regarder un navire qui pend le large -

En conclusion, il y a lieu de considérer que la métaphore ne se distribue pas seulement en métaphore in praesentia et en métaphore in absentia, mais il faut aussi introduire la distinction entre métaphore explicite qui fait apparaître un outil de similitudo et la métaphore implicite qui en fait l'économie. Dans cet extrait de poème de BAUDELAIRE, nous avons une métaphore explicite. Mais il s'agit d'un outil de similitude tout à fait original, car c'est l'expression « tu fais l'effet de » qui en rend compte. Nous sommes donc loin du scrupule dubitatif d'un MORIER ou d'une distinction sceptique d'un LE GUERN.

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9. LA SIRÈNE, I OU A RÉSUMÉ :

Cette étude tente de montrer que l'envie de transgression est fortement ancrée dans l'homme. Cependant, l'ordre social ne peut exister sans interdit parce la liberté absolue conduirait à un déferlement de violence dont l'interdit a pour mission de contrer. Il n'existe pas non plus d'interdit absolu. C'est ainsi que cette étude tend à prouver que la femme est au centre d'un interdit qui la désigne à la convoitise. C'est pour illustrer ces positions que nous faisons ici recours au mythe de la sirène dans sa version du Sud-Ouest malgache.

Mots clés : mythes, femme, interdit, transgression, postulation

ABSTRACT :

This study attempts to show that the desire for transgression is strongly anchored in human. However, the social order cannot exist without banned because absolute freedom would lead to a surge of violence which the forbidden aims to counter. There is no absolute ban. Therefore, this study tends to prove that the woman is at the center of a banned which refers to lust. It is to illustrate these positions that we here use the myth of the mermaid in its version of the South-West Madagascar.

Key words: myths, woman, forbidden, transgression, postulation

9.1. INTRODUCTION

Si le changement de hiérarchie opéré par Rudolf CARNAP (cf. (BANGE, 1992)), à savoir que la sémantique et la syntaxe sont commandées par des buts pragmatiques est accepté, dès lors, on peut faire un exercice de style épistémologique qui consiste à traiter d'un mythe d'un point de vue pragmatique en pariant sur la forme pour atteindre le sens. Appelons cette attitude « épistémologie du pari ».

Ce faisant, nous souscrivons à l'analyse d'Ivan ALMEIDA (1997) sur l'ouvrage fondateur de Louis HJELEMSLEV (1968-1971) en linguistique et dont la conclusion est que l'essence donc, de la notion de style (épistémologique) est la mise en oeuvre du général dans le particulier. Cependant, nous n'avons pas la prétention de suivre tous les points qui ont permis à ALMEIDA de dénoncer, à la suite de sa lecture de l'ouvrage du linguiste considéré à la fois comme linguistique et épistémologique, l'impasse sémantique des sciences de signification dans la considération de la forme une logique comme une abstraction de la matière linguistique. Il nous suffit ici d'accepter la radicalisation de la mise entre parenthèse avec une préalable reconnaissance de ce qui été écarté. C'est l'épistémologie du pari pour la forme.

Cette mise à l'écart est devenue une caractéristique de l'épistémologie moderne : le sens est sacrifié au profit de la forme selon une logique qui consiste à dire que l'on ne peut tout avoir. Si l'on se soumet à la cohérence, on doit perdre en complétude et vice-versa et si l'on choisit la rigueur, on doit sacrifier une partie de la signifiance et vice-versa. C'est cette

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attitude qui prévaut en linguistique dans son orientation soit en syntaxe ou soit en sémantique.

C'est toute la problématique mise à jour par Noam CHOMSKY dans sa distinction entre phrase sémantiquement correcte mais agrammaticale et phrase grammaticale mais sémantiquement incorrecte. Il nous semble que la pragmatique comme nouveau paradigme au sein de la science linguistique ne s'est pas départi de cette épistémologie de l'écartement. À ce titre, la nouvelle hiérarchisation du paradigme établie par CARNAP est révolutionnaire.

Ainsi, dans ce projet de pragmatique d'un mythe, nous allons aborder la radicalisation de l'epokhé, la mise à l'écart, par l'autre bout que nous pouvons appeler le pari de la forme, qui, évidemment s'inscrit dans l'épistémologie du pari pour éviter la stratégie du renoncement.

9.2. LE PARI DE LA FORME

Dans le style épistémologique que nous tentons de mettre en évidence, nous constatons que CARNAP et HJELEMSLEV, s'opposent sans entrer en contradiction : disons que c'est l'envers et la face d'une seule et même chose. Si chez CARNAP, la radicalisation part de la signifiance pour atteindre la forme, au contraire, chez HJELMSLEV, c'est la radicalisation de la forme qui va lui permettre d'atteindre le sens.

Faisons donc le pari de la forme avec HJELEMSLEV. Certes, on doit à Ferdinand de SAUSSURE l'édification du structuralisme en linguistique à partir de la distinction nécessaire entre forme et substance qui se résume à ceci :

« La linguistique travaille donc sur le terrain limitrophe où les éléments de deux ordres se combinent : Cette combinaison produit une forme et non une substance » (SAUSSURE, 1982, p. 157)

Mais avant d'en arriver à cette conclusion voici ce que le linguiste genevois dit :

« Prise en elle-même, la pensée est une nébuleuse où rien n'est nécessairement délimité. Il n'y a pas d'idées préétablies et rien n'est distinct avant l'apparition de la langue.

En face de ce royaume flottant, les sons offriraient-ils par eux-mêmes des entités circonscrites d'avance ? La substance phonique n'est pas plus fixe ni plus rigide ; ce n'est pas un moule dont la pensée doive nécessairement épouser les formes, mais une matière plastique qui se divise à son tour en parties distinctes pour fournir les signifiants dont la pensée a besoin » (Ibid., p. 155).

Cette manière de voir entre en contradiction avec la notion de système dont se réclame le langage. Ainsi, chez Robert LAFONT l'autonomie linguistique qui exprime l'aspect systémique du langage efface la dialectique langue et pensée au profit d'une productivité du sens par l'activité linguistique quand il affirme que le praxème n'est pas un outil doué de sens mais un outil de production du sens. Le sens est interne au langage - plus exactement à la praxis linguistique - mais n'est pas quelque chose du dehors que le langage se saisit :

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« Pour autant que nous avancions à l'intérieur du langage, nous ne connaîtrions jamais que lui et n'atteindrons pas une réalité objective, devant laquelle il s'établit en même temps qu'il en pose l'existence. Nous demeurons pris au spectacle linguistique » (LAFONT, 1978, p. 15)

Une spectacularisation discursive qui nous a permis par le biais de l'algorithme narratif d'éliminer de la théorie de l'énonciation la notion de perlocutoire comme une conséquence de l'agir linguistique dans l'agir pratique. De manière similaire, Ernst CASSIRER parle de la contribution du langage dans la construction du monde des objets :

« Le langage n'entre pas dans un monde de perceptions objectives achevées, pour adjoindre seulement à des objets individuels donnés et clairement délimités les uns par rapport aux autres des « noms » qui seraient des signes purement extérieurs et arbitraires ; mais il est lui-même un médiateur dans la formation des objets ; il est, en un sens, le médiateur par excellence, l'instrument le plus précieux pour la conquête et pour la construction d'un vrai monde d'objets » (CASSIRER, 1969, pp. 44-45)

La thèse de la relativité linguistique développée par Édouard SAPIR et Benjamin Lee WHORF, connue également sous le nom de thèse de Sapir-Whorf, soutient également l'idée que le langage ne peut pas être une tautologie du réel. On peut multiplier les arguments qui vont dans ce sens mais nous pensons que ceux que nous avons produits ici sont amplement suffisants pour ce que nous avons à dire et à soutenir : c'est dans une activité individuée que le langage produit du sens et que ce sens n'est pas dans les objets.

Autrement dit, lorsqu'on parle de propriété isomorphe du langage et du monde des objets, on souligne leur plus petit dénominateur commun, à savoir, ils sont tous les deux des outils de production de sens. C'est ce qui nous permet de dire qu'une fois le monde converti en discours la catégorie du réel s'évanouit comme une question inutile. Un exemple immédiat peut rendre compte de cette dernière remarque.

Le diamant est une pierre précieuse faite de carbone pur. Selon une conception dictionnairique du langage, la partie à gauche de la copule « être », dans la phrase précédente est un terme d'entrée, et la partie à droite est l'analyse ou sens hors discours.

Insérer dans un discours le diamant produit du sens relatif à son analyse. La première grande moyenne de ce sens développe l'isotopie de la parure féminine, la deuxième grande moyenne est l'utilisation du diamant comme pierre industrielle. Prenons le premier cas. Le sens produit par le diamant dans un roman ou dans une peinture ou par un diamant réel est le même. Il est même possible d'identifier une dérivation illocutoire - que d'autres auraient appelé de perlocutoire - permanente dans les discours qui insère de cette manière le diamant : faire plaisir à une femme.

Nous en concluons ceci, dans le sens analytique de la perspective dictionnairique autorise l'identification du référent. Par contre le sens produit par la pratique individuée dans un discours est une sémiotique pure libérée du référent. C'est sur cette base que se situe le style épistémologique de HJELMSLEV que l'on peut comprendre comme un refus de

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considérer autre chose que le langage dans le langage. En effet, dans le rapport formalisme et sens, la radicalisation de la forme chez HJELMSLEV est un pari qui a pour horizon le sens.

Ainsi, pour ce linguiste danois, dans le langage il n'y a que du langage. La sémantique n'existe pas, il n'y a qu'un plan de l'expression et un plan de contenu reliés par la fonction sémiotique. C'est ainsi qu'il développe son raisonnement à partir de la notion absolument neutre de « grandeur » qu'implique toute fonction sémiotique. Il n'y a somme toute qu'un inventaire et tout se retrouve dans l'inventaire. Conformément à cette ligne de conduite que nous appelons le pari de la forme, voici sa réaction à l'idée de pensée nébuleuse de SAUSSURE que la langue structurerait :

« Mais cette expérience pédagogique, si heureusement formulée qu'elle soit, est en réalité dépourvue de sens, et SAUSSURE doit l'avoir pensé lui-même. Dans une science qui évite tout postulat non nécessaire, rien n'autorise à faire précéder la langue par la « substance du contenu » (pensée) ou par la « substance de l'expression » (chaîne phonique) ou l'inverse que ce soit dans un ordre temporel ou dans un ordre hiérarchique » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 68)

Pour mieux comprendre la position théorique de HJELMSLEV, il nous faut circonscrire avec précision ce qu'il faut appeler sens. Pour ce faire, reprenons la distinction entre le sens référentiel du projet dictionnairique et le sens discursif qui prend naissance à partir d'une pratique individuée. Le sens qui concerne la fonction sémiotique est ce sens discursif. Par ailleurs pour illustrer la fonction sémiotique, HJELMSLEV ne part pas des mots mais d'une phrase déclinée en français « je ne sais pas », en danois « jeg véd det ikke » en anglais « I do not know », en finnois « en tiedä », en esquimau « naluvara », et dit que ce qui reste de commun à ces plusieurs versions est le « sens », (Cf. (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 75)).

Pour éviter toute confusion, nous devons parler à cet égard de programme de sens inscrit dans une forme linguistique. De cette manière, nous pouvons concilier le sens dictionnairique et le programme de sens et soutenir le principe d'isomorphisme entre les mots et les choses comme cela semble ressortir du passage suivant que nous préférons à une longue explication :

« Un langage qui relaie le geste déictique est là pour épouser le mouvement de naissance de l'activité sémiotique. Le sens surgit. C'est ce sens que nous lisons quand nous interprétons comme instrument la modification non accidentelle d'un silex : signe d'une activité qui opère dans l'absence de son objet » (LAFONT, 1978, p. 19)

Dans une autre acception du principe d'isomorphisme, celui-ci se place entre le plan du contenu et le plan de l'expression. En outre, si l'on admet qu'une pensée est une pensée de quelque chose, il y a une forte tendance à croire que le monde des objets est le référent du langage. Mais c'est une hypothèse que nous avons déjà rejeté car ce serait faire du langage une tautologie du réel. En tout cas, selon GREIMAS, le monde n'est pas un référent ultime (Cf. (GREIMAS, 1970, p. 52)). En effet, le sens est dans l'action que nous projetons sur le monde référentiel : le sens est signe d'une activité qui opère en l'absence de son objet.

C'est ainsi que nous lisons dans la forme di silex biface une activité que l'on peut mener par cette forme, c'est cela le pari de la forme : une radicalisation de la forme qui a pour horizon le sens. Maintenant, testons cette épistémologie du pari sur un mythe.

9.3. LE MYTHE DE L' « AMPELAMANANISA »

L'objectif de cette analyse est de montrer comment le mythe opère une censure qui se présente en même temps comme une postulation de ce qu'il interdit. Autrement dit, il s'agit de confirmer que : « Le sens devient chaque fois substance d'une forme nouvelle et n'a d'autre existence possible que d'être substance d'une forme quelconque. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)

Prenons connaissance de ce mythe.

Laha teo ampelamananisa, Il était une fois une femme aux ouïes

nisy lahy lahilahy io Il y avait un homme

ty asa ?e fa i ty maminta avao Son métier, il ne fait que de la pêche

Zay ro ameloma ?e ty anane no ho ty valini ?e

Ie njaik'anjo ie nandeha namita anjiake

ane

C'est ainsi qu'il fait vivre ses enfants et sa femme

Un jour il était allé pêcher en mer

ine

Ka laha tane ie tinanja ?e ty raha vinta

Et quand il était là-bas, quelque chose avait accroché son fil

« Ka nao lahy hoy i, ino raha mitanjaka vinta toy mampahere aze io ?

Et il s'était dit : qu'est ce qui peut bien accrocher ce fil pour qu'il soit ainsi rigide ?

Tsy manao ty sananjo toy fa hafahafa Ça ne fait pas comme tous les jours,

mais c'est étrange

Eo moa nahoda iny tsereke, laha sinonto ?e vinta ine ka laha nisolea ka laha nisolea bakao tomponjano one iano...

L'homme était alors perplexe, quand il avait retiré le fil, ça avait résisté, résisté, puis le maître des eaux en sortit, ... la sirène

Le nanombo nahoda iny Alors, le monsieur s'est évanoui

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Ka mamombo nahoda iha hoy raha iny fa tsy raha hamono anao zaho dra miseho aminao fa hamelo anao ka mitefa iha

Il ne faut pas s'évanouir lui disait la chose car je ne vais pas te tuer même si je t'apparais mais te faire vivre, donc assieds toi

La nitefa moa nahoda iny nifoha, nivelo njaike

Et le monsieur s'est assis, revenu à lui, vivant de nouveau

Hatao akory iha hoy nahoda iny hananeke io?

Hatao akore aho hoy fa tsika ho antana ?areo any fa ho mpivale

Que faire de toi, lui disait le monsieur, maintenant ?

Que faire de moi disait -elle mais nous allons vers ton village pour être époux et épouse

Ho mpivale ? Être époux et épouse ?

Ka laha mpivale ka hanao akore ? Si nous épousons qu'adviendra-t-il ?

Tsika ho mpivale fe ty raha faly ahy: tsy volany ty manao hoe « ampelamananisa » zay fa faly anay

Nous serons époux mais il m'est tabou de me dire « femme aux écailles », cela nous est tabou

« Eka » hoy nahoda iny « Oui » disait le monsieur

Eo moa iny le nandesi ?e nahoda iny an-tana atoy i e

Eo teraka iaby ty hoe « ao koa lahy Zatovo fa Zatovo ty anara?e nahoda io, manambale zao ampelamananisa zao kea ie ao

Bibiolo raha zao ie, olo ty anabo ?e, biby ty ambani?e fa manao fia io ka misy ohi?e ro misy isa ?e

Cela était et le Monsieur l'amenait ici dans le village

Et c'est de là que naissait la rumeur : « il est là Zatovo, parce c'est Zatovo le nom de ce monsieur, qui épousait une femme aux ouïes »

C'est un animal humain (monstre) parait-il, le buste est humain mais le bas fait poisson et a une queue et a des écailles

E hoy ty olo Eh disaient le gens

Eny, eny fa malaky fa tapasiry fa bevoky raha iny, le niteraka roa, ampela noho lehilahy

Lafa te hanjo roze mandeha ie andese ?e anjiaka ene aja rene baky najo kea moly an-tanà atoy, no izao avao ty asa ?e zisike be aja reny

Le temps passait, puis parce que c'est un conte, on fait vite : la sirène fut enceinte et accoucha de deux enfants : une fille et un garçon

124

Quand ils ont envie de se baigner, elle amène ces enfants en mer et après s'être baignés ils rentrent au village, ils faisaient comme ça jusqu'à ce que les enfants furent grands.

Ela ty ela, mitsiko ty etoe mitsiko ty eroa, ka ty ampela manambaly an-tanà moa lahy afaka azy ty iny tsiko fa nahare tike ka meloka mivola an'i Zatovo hoe :

« Zaho lahy Zatovo tsy vitako ty tsikotsiko atao ahy sananjo fa zaho holy fa be anako retia ka laha roze marary angalao lomotse, laha siloke angalao taolam-pia hatabaka azy »

« tsy atao kolahy zao fa iha abe efa latsak'anaka amiko fa moremoretse aho ka enganao. »

Aia moa tsy mete ampelamananisa ine fa nandeha avao ie, ana ?e rene tsy nandese ? e fa ty vata ?e ro nandeha ka la miantsa antsa avao iea

Eny iha zatovo e ! Zaho fa hole zao

Laha marary ty anantsika

Tabaho taolam-pia a!

Laha siloke ty anantsika

Fahano lomotse

Nandeha i, nandeha i, ie kea fa amolo-jiake eo ie niantsa jaiky ie

Eny iha zatovo e ! Zaho fa hole zao

Laha marary ty anantsika

Tabaho taolam-pia a!

Laha siloke ty anantsika

Fahano lomotse

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Le temps passait, on médit par ici et par là, il s'agit justement de femmes mariées au village qui ne peuvent pas s'interdire de médire et celle-ci est au courant et dit ainsi à Zatovo :

« Moi, Zatovo, je ne supporte plus ces médisances sur moi tous les jours, alors je vais rentrer puisque mes enfants sont déjà grands et s'ils tombent malades cherche leur des algues, s'ils ne se portent pas bien amènent d'os de poisson et badigeonne les avec »

« il ne faut pas faire ainsi, surtout que tu m'as déjà donné des enfants, je m'ennuie un peu et tu me quittes.

Toujours est-il que la sirène n'a pas cédé et elle est partie, elle n'a pas emmené ses enfants mais c'est elle seule qui est partie en vocalisant comme -ci :

Tu es ici Zatavo mais moi, je rentre Si nos enfants tombent malades Badigeonne-les d'os de poisson S'ils ne se sentent pas bien Sers-les d'algues

Elle est partie, partie, et quand elle fut au bord de la mer, elle a vocalisé encore une fois

Tu es ici Zatavo mais moi, je rentre Si nos enfants tombent malades Badigeonne-les d'os de poisson S'ils ne se sentent pas bien Sers-les d'algues

La i Ampelamananisa anjiake eo la nijorobo ie la any ie anjiake any fa tsy hita amy zay

Quand elle fut dans l'eau, elle y plongea et on ne peut plus la voir.

Zay lahy ty tantara ?e ampelamananisa ie fotora?e ty niboahay vezo mba anjiake ato ka tsy zaho lahy ty mavande fa olo-be taloha.

Loha manenke tsy mahatapa-doha. Torahiko ny vy le mivimby

C'est cela l'histoire de la femme aux écailles source de notre population vezo de la mer. Ce n'est pas moi qui ai menti mais les anciens. Tête qui acquiesce ne se fait pas couper. Je jette la pierre sur le fer qui ferraille13.

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La première caractéristique qui saute aux yeux à la réception de ce récit mythique est sa nature fictionnelle, il existe des indices formels de cette nature, d'abord, il y a ce que Roman JAKOBSON (Cf. (1981, pp. 238-239)) appelle exorde des conteurs, ici, nous avons le célèbre « il était une fois ».

Cette marque formelle de la fiction est un paradoxe. Elle embraie le récit dans l'ordre de la fiction, c'est cela sa fonction. Mais quand on considère que cette marque se décline au mode indicatif, de mode grammatical embraie le récit dans la catégorie du réel. Ce mécanisme d'exorde est une forme - c'est une marque formelle - qui dote le récit d'une force illocutoire dérivée de l'affirmation que nous allons appeler avec Jean Marie SHAEFFER (1999) « suspension volontaire d'incrédulité ».

Ensuite, vers la fin du récit, nous avons une clausule spécifique au dialecte « tête qui acquiesce ne se fait pas couper. Je jette la pierre sur le fer qui ferraille ». En tant que formule, cette clausule accomplit la même force illocutoire dérivée.

Cet encadrement du récit, au début et à la fin absolus, par des formes dont l'énonciation produit la même force illocutoire devient à leur tour une forme qui permet d'expliquer le paradoxe de la suspension d'incrédulité. Disons d'emblée dans cette solution que les textes mythiques sont les premiers langages : on les retrouve partout et ils appartiennent à des temps immémoriaux. Comme tels, rien ne les précède ; ils sont une forme de lire le monde et produisent du sens en même temps qu'ils se construisent. Appelons cela la « prégnance de la forme ».

Ce qui veut dire exactement qu'il importe peu que les ancrages spatio-temporels du récit soit flous, qu'il met en scène des personnages qui n'ont aucun pendant à la réalité, qu'il comporte des trous dans l'enchaînement logique des événements, car sa fonction n'est pas de décrire le monde mais de lui donner un sens. C'est ainsi qu'il est une forme de lire le monde parce que c'est une forme qui produit du sens. Sous quelques réserves, cette prégnance de la forme correspond à la remarque suivante de Jean-Claude PARIENTE :

13 Notre traduction

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« C'est dans le cas de la fiction que tout se passe comme si on avait affaire à un autre réel. Mais la fiction se distingue de l'énoncé irréel précisément parce qu'elle ne s'annonce pas comme irréelle ; elle ne comporte pas de présomption d'irréalité, elle met au contraire tout en oeuvre pour se faire admettre comme réalité. (...) Il se situe ainsi de lui-même par rapport au réel ; il manifeste sa finalité qui n'est pas de décrire une autre réalité, mais se servir par un moyen détourné à l'analyse de la réalité » (PARIENTE, 1982, p. 43)

Le deuxième point qui fascine dans le récit mythique concerne le plan autorial. On ignore qui parle dans les récits mythiques. Dans le cas précis du mythe qui nous occupe, cet anonymat est encore un indice du caractère fictionnel du récit.

Cependant, ce trait caractéristique franchit un pas de plus dans le pari de la forme. En effet, on peut remarquer que les personnages du récit sont présentés par l'article indéfini. Il en est de même pour les cadres spatio-temporels. C'est par cohérence anaphorique que par la suite qu'ils sont repris par un défini. Pourtant la langue dispose du nom propre que ce soit en anthroponymie ou en toponymie pour donner un contour personnalisé. Même le nom propre « zatovo » appliqué à l'homme semble être annulé en tant que tel car c'est une reproduction d'un caractère commun propice à l'éclatement de l'amour et qui possède un pendant qui fait le point focal de cette analyse chez la femme. Or la fonction de l'indéfini est justement de pointer une forme en ce qu'elle n'est pas les autres. Par contre les définis sélectionnent des éléments parmi ses semblables. Il existe évidemment des nuances d'emploi à cette matrice fonctionnelle des déterminants du nom que nous déployons si rapidement.

Mais on peut être assuré que les articles indéfinis désignent une forme suivant une perspective de programme de sens. Ce qui nous permet de dire en hypothèse que le mythe est un pari de la forme et qu'il possède une dimension épistémologique indéniable parce que c'est un système de signification.

Mais ce mythe n'est pas seulement un pari de la forme dans sa manière de lire le monde il l'est aussi dans son contenu. Nous ne disconvenons pas qu'il y ait plusieurs manières de lire un mythe et c'est cette pluralité de lecture qui fut longtemps privilégiée par les analystes en dépit de l'existence indéniable d'un point focal qui génère la signification à partir d'une forme.

Cette forme de contenu est un jeu sur le signifiant, attestant au-delà du cadre théorique de son émergence le principe sémiotique, à savoir que c'est la radicalisation de la forme qui permet d'atteindre le sens dans les sciences de signification dont les textes mythiques ou les textes littéraires.

Pour atteindre ce point focal dans cette déambulation aléthique, il nous faut suivre pas à pas les indices qui jalonnent cette piste.

9.4. L'ÉVANOUISSEMENT DE L'HOMME

On peut admettre que l'évanouissement est une conséquence d'un choc que l'organisme ne peut pas supporter, il peut s'agir d'un choc physique ou d'un choc émotionnel

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qui provoque une affluence d'adrénaline dans le coeur. Si cette approche est acceptée, on peut se demander pourquoi l'homme s'évanouissait.

Comme rien dans le texte ne permet de conclure à un choc physique, l'homme est donc victime d'un choc émotionnel. Plus précisément, c'est sa perception de la femme qui a provoqué son évanouissement. Ici encore, il y a un nouveau paradoxe. L'homme est présenté comme ayant femme et des enfants car il est dit que c'est de la pêche qu'il nourrit sa famille. Ce qui veut dire qu'on ne peut pas dire qu'il ne connaît pas la femme. Alors, il y a lieu de croire que ce qui le fait s'évanouir c'est la vision de la nudité féminine.

Nous en concluons que le texte, sans jamais le dire, nous montre que la nudité féminine possède un caractère sacré, et selon les analyses de Sigmund FREUD dans Totem et Tabou, le sacré a une double dimension : il est à la fois à craindre et à vénérer. (FREUD, Totem et Tabou, [1912]1993, p. 99 et passim) On peut maintenant mieux comprendre l'évanouissement de l'homme : c'est la crainte de la puissance du sacré. Mircea ELIADE aussi, dans Le Sacré et le Profane, (1956), nous confirme que le sacré possède un double aspect ambivalent : il est attirant et repoussant, il est bénéfique mais aussi dangereux.

Bref, si cette analyse est acceptée, nous pouvons dire que faire de la pragmatique textuelle, c'est lire dans le texte le mécanisme de production de sens qui se greffe sur l'histoire narrée. Ici, énoncer l'événement de l'évanouissement a pour valeur illocutoire l'attribution d'une qualité à la femme : la faire passer d'un statut de profane vers un statut de sacré.

Dans l'enchaînement logique du récit, cette sacralité est aussi montrée de manière indicielle par un autre trait confirmé ailleurs : l'étrangeté qui marque l'entrée dans un espace sacré. C'est ainsi que, pour prendre un exemple d'une littérature universelle, le Dieu d'Abraham s'est révélé à Moïse sous une forme très étrange : un buisson ardent mais qui ne se consume pas.

Si la vie profane se caractérise par l'ordinaire et le naturel, le sacré par opposition se dessine comme ce qui est extraordinaire : c'est l'étrangeté. Dans le récit, nous savons que l'homme est un pêcheur et c'est par ce moyen qu'il subvient à ses besoins et à ceux de sa famille. Il est donc un familier de la mer et de ses poissons.

Mais ce jour fatidique de la pêche en mer, il est confronté à l'extraordinaire : sa pêche lui avait ramené une femme poisson. C'est en quelque sorte une double étrangeté : au lieu de pêcher du poisson il attrape une femme nue, et en plus la femme nue possède des écailles.

Ainsi, s'il est permis de dire que l'étrange dérive de l'ordinaire comme paradigme, il se révèle avant tout comme une forme. Une forme dont l'étrangeté est inquiétante parce que l'on ne sait pas encore lui donner un sens. En linguistique, on parle de terme non marqué et de terme marqué quand on comprend ce dernier comme dérivé du premier. En ce qui nous concerne, c'est l'étrangeté qui est le terme dérivé.

Il s'ensuit qu'il n'y a pas de dérivation que par adjonction d'un trait supplémentaire à la propriété commune. C'est ainsi que ce récit en tant que déploiement de forme noue en même

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temps le poisson et la femme-poisson - pour ainsi dire - et les pose comme différents. L'homme est un pêcheur et vit du poisson comme son ordinaire. Il doit également vivre de la femme mais pas comme son ordinaire puisque la femme se dévoile à lui dans son étrangeté et de cette manière ouvre à l'homme l'espace de sa sacralité.

L'étrangeté de la femme est indexée au moins sur deux plans. D'abord, elle vit dans l'eau comme les poissons sans être tout à fait un poisson, mais un dérivé de poisson. Autrement dit, ici encore, il y a un lien qui les noue et qui les différencie : leur destin commun est d'être pêché par l'homme et de le nourrir. Mais la consommation de poisson n'est pas la consommation de la femme si l'on peut s'exprimer ainsi.

Mais pour rendre compte de cette différence selon la perspective de cet exposé, nous allons faire une application stricte de l'épistémologie du pari. Rappelons brièvement que le problème de l'épistémologie moderne comme l'a souligné Ivan ALMEIDA se résume à ceci : dans les sciences de signification, on ne peut pas tout tenir et il faut choisir soit la forme ou soit le sens.

Redonnons-lui la parole pour indiquer dans quel sens exactement cette application stricte peut dévoiler le mécanisme de production du sens à travers la forme :

«Au contraire le principe du pari, que l'on peut attribuer implicitement au style de Hjelmslev consiste, quant à lui, dans la radicalisation dynamique du principe de renoncement : parier qu'une radicalisation de la rigueur formaliste peut mener à une visualisation du sens, parier qu'une radicalisation de l'immanence peut, par besoin interne, déboucher dans la complétude. En d'autres termes, que le sens est une prolongation de l'horizon du formalisme, et que la transcendance est une conséquence dynamique de l'immanence. » (ALMEIDA, 1997)

Cette radicalisation de la forme peut se comprendre dans son application au récit qui nous occupe comme une censure et postulation, ouvrons un dernier sous-titre qui reprend l'objectif qui se profile dans le titre de cet exposé.

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9.5. CENSURE ET POSTULATION DU SEXE FÉMININ

Parler du sexe féminin est une tâche ardue et même risquée. Le sexe en général est frappé d'un tabou qui nous contraint à des procédures d'évitement comme l'euphémisme.

Benveniste a forgé les néologismes « Blasphémie et euphémie » pour intituler un article qui joue sur la censure et la postulation. Nous extrayons de cet article le passage suivant pour introduire notre propos : « (...) pour mieux voir les ressorts de la blasphémie, on doit se référer à l'analyse que FREUD a donnée du tabou.

« Le tabou, dit-il, est une prohibition très ancienne, imposée du dehors (par une autorité) et dirigée contre les désirs les plus intenses de l'homme. La tendance à la transgresser persiste dans son inconscient ; les hommes qui obéissent au tabou sont ambivalents à l'égard du tabou ». Pareillement, l'interdit du nom de Dieu refrène un des désirs les plus intenses de l'homme : celui de profaner le sacré. » (BENVENISTE E. , [1974] 1981, p. 255)

Autrement dit, blasphémer c'est profaner le sacré. Dans la mesure où nous avons dit que le sexe d'une manière général est frappé d'un tabou, il acquiert une sacralité par un interdit de prononcer que Benveniste appelle « tabou linguistique ». Mais comme l'interdit du tabou ne supprime pas le désir profond de profanation du sacré, le langage humain contourne l'obstacle du châtiment par des procédures d'évitement parmi lesquelles l'euphémisme.

La définition classique de l'euphémisme consiste à dire qu'il s'agit d'un moyen détourné pour éviter de choquer dans la parole. Pour une mise à jour de cette définition, nous dirons que l'euphémisme a pour force illocutoire la transgression d'un interdit tout en permettant de refuser la paternité de cette transgression.

Prenons un exemple très banal : dire à un thésard que son travail fera un très bon mémoire de maîtrise14, c'est lui faire perdre la face, c'est-à-dire transgresser la règle de préservation de la face initiée par Erwin GOFFMAN et mise à jour par BROWN et LEVINSKY tout en évitant toute réplique du genre « Qu'est-ce que vous insinuer ? ». Question à laquelle on ne peut répondre que par une dénégation. De la même manière dire à quelqu'un que ce qu'il a fait n'est pas très bien, lui laisse croire que c'est au moins bien alors qu'en réalité c'est franchement mauvais.

Ainsi, comme nous avons interprété l'évanouissement de l'homme par la vue de la nudité féminine, c'est-à-dire par une confrontation au sacré, l'idée de profanation, de blasphème ne doit pas être bien loin. L'homme s'évanouit par la terreur d'avoir accéder au sacré mais la femme le rassure que ce sacré ne va pas le tuer mais le faire vivre.

14 Je dois cet exemple à François FLAHAULT: La parole intermédiaire, 1978, Seuil, Paris.

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Justement « ce faire vivre » est un euphémisme littéral et dans tous les sens. Ce qui apparait à l'homme dans la nudité de la femme, ce n'est pas seulement son corps mais son sexe dans toute son étrangeté puisque différent. De la même manière que le poisson fait vivre l'homme, la consommation du sexe féminin introduit aussi la continuité de la vie dans la discontinuité de l'existence individuelle. C'est pour cela qu'une fois cette mission sacrée accomplie le récit insiste sur l'appel de la sirène à donner de l'algue et de l'os de poisson aux progénitures afin qu'elles se maintiennent en vie lorsque la mère ne sera plus là.

La vulve est aussi ce qui fait vivre parce que s'il est admis que la détumescence du pénis est assimilée à sa mort comme le confirme l'idée de l'orgasme comme petite mort, c'est l'horizon de la vulve qui le réveille dans la nudité féminine - et comme l'ambivalence du sacré oblige - et le tue aussi.

Mais tout cela n'est pas dit de manière blasphématoire comme ici et pour laquelle nous faisons des excuses, mais par euphémisme : l'homme qui s'évanouit est une forme signifiante dans le récit et qui projette du sens. Enfin, pour honorer l'épistémologie du pari, parlons maintenant de la clé de lecture.

S'il est accepté que le titre est une mise en abyme de tout le récit en se présentant comme un résumé intratextuel, ce qui saute aux yeux est qu'elle est une exhibition de la forme seulement, car une femme qui a des écailles ou des ouïes dépassent l'entendement et ne peut donc avoir de sens que d'être insensé.

Pourtant la pérennité du récit qui traverse le temps dit tout le contraire. En effet, l'exhibition de la forme est dans la nudité de la femme si la thèse de la mise en abyme est acceptée. Mais ce qui s'exhibe surtout dans la nudité du corps de la femme est sa vulve qui s'appelle « isy » dans le dialecte de production du récit, et justement le dire c'est blasphémer. C'est elle que l'on peut appeler « étrangeté inquiétante » chez FREUD qui nous affirme que ce n'est pas seulement la sortie de l'ordinaire qui est angoissant mais aussi parce que « Unheimlich » serait tout ce qui aurait dû rester caché, secret, mais se manifeste. (FREUD, 1919)

Dès lors, pour contourner l'interdit, on exhibe une autre forme comme déformation de la forme interdite.

La voyelle finale [i] est déplacée de son point d'articulation, reculée en arrière par pudeur et devient un [a]. C'est cela l'euphémisme ici : une censure et une postulation du mot tabou qui désigne le sexe féminin. L'attribut du féminin est bel et bien sa vulve et non des écailles, consommable au même titre que le poisson. La même procédure d'évitement a servi à de beaucoup de poètes, pour ne parler que de RIMBAUD nous pouvons citer ce vers extrait du poème « Les voyelles » :

"A noir, E blanc, I rouge, U vert, O, bleu : voyelles Je dirai quelque chose de vos naissances latentes : A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles

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Golfes d'ombre : E, candeurs des vapeurs et des tentes, Lances des glaciers fiers, roi blancs, frissons d'ombelles ; I pourpres, sang craché, rire des lèvres belles

Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles vibrements divins des mers virides. Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides, Que l'alchimie imprime au grand front studieux ;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,

Silences traversés des Mondes et des Anges :

O, l'Omega, rayon violet de Ses Yeux" (RIMBAUD, 1984, p. 91)

Il n'est pas question ici de faire l'étude intégrale de ce poème, car l'essentiel est de démontrer que face à l'inquiétante étrangeté, il n'est que de l'exprimer par des moyens détournés de telle manière que l'on bénéficie de ce que DUCROT appelle " efficacité de la parole et innocence du silence " (1972, p. 12) dans la perspective de l'implicite en pragmatique.

On peut renforcer notre grille de lecture par d'élément nouveau qui va nous servir à honorer l'épistémologie du pari dans son imbrication avec l'illocutoire. Cet élément nouveau c'est l'intertextualité.

Ce poème pour bénéficier à la fois de l'innocence du silence et de l'efficacité de la parole se sert de deux sémiotiques dont le point d'intersection est la forme. La première sémiotique qui bénéficie de l'efficacité de la parole est un corpus de voyelles (A, E, I, U, O), et la deuxième sémiotique qui bénéficie de l'innocence de la parole est la partie intime de la femme.

Ainsi, si le A (majuscule) est noir c'est parce que la forme de cette voyelle dans sa version majuscule représente la toison féminine dans le geste de dévoilement effectué par Baubo (d'autres analystes pensent qu'il faut renverser la voyelle). Rappelons que Baubo qui est une servante, pour faire sortir Déméter de son chagrin d'avoir perdu Perséphone ravie par Hadès s'est retroussée et s'est penchée en avant pour dévoiler son intimité. Un dévoilement qui fut capable de faire sortir Déméter de son chagrin morbide. Cf. (PICARD, 1995).

La voyelle E, dans cette perspective est une vision de profil du sexe féminin, la barre centrale de la voyelle représente l'excroissance qui barre dans la nature féminine que représente à son tour la voyelle I.

La voyelle "I" est décrite par la couleur pourpre. Pour signifier que cela n'est pas le fait d'un hasard, il est évoqué une particularité de cette voyelle dans "sang craché" qui ne peut que renvoyer au sang des menstrues en tenant compte de l'isotopie métaphorique. L'objectif de cette mention n'est pas d'introduire un intrus dans le système euphorique de l'érotisme

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mais d'orienter la lecture isotopique en vertu de cette remarque suivante de BATAILLE que nous rapporte Alain ROGER : « La beauté de la femme désirable annonce ses parties honteuses: justement ses parties pileuses, ses parties animales E...] La beauté négatrice de l'animalité, qui éveille le désir, aboutit dans l'exaspération du désir à l'exaltation des parties animales! E...] La beauté humaine, dans l'union des corps, introduit l'opposition de l'humanité la plus pure et de l'animalité des organes, E...] Rien de plus déprimant, pour un homme, que la laideur d'une femme, sur la laideur des organes ou de l'acte ne ressort pas. La beauté importe au premier chef en ce que la laideur ne peut pas être souillée et que l'essence de l'érotisme est la souillure ». (ROGER, 1987)

En définitive, ce mythe de l'Ampelamanisa obéit à un trait universel: l'impossibilité de nommer le sacré - soit pour éviter le blasphème, soit pour éviter la contamination - qui est ici un retour à l'animalité, donc une négation de l'humanité. Le travail énergique de refus de ce retour à l'animalité se manifeste au même titre que le cadavre est enterré pour éviter toute contamination de la mort. Dans le cadre de la censure du sexe féminin, ce qui risque de contaminer est la souillure. Mais paradoxalement, c'est de la fermentation de la pourriture que la vie peut prendre naissance, et c'est à cet effet que la féminité est symbolisée par l'eau.

Rappelons pour mémoire que le sacré qui appelle le blasphème est le sacré divin, et la religion n'a voulu retenir que cela, mais il existe aussi le sacré maudit dont la transgression provoque la contamination de la souillure. En tout cas comme le souligne FREUD:

« L'homme qui enfreint un tabou devient tabou lui-même, car il possède la faculté dangereuse d'inciter les autres à suivre son exemple. Il éveille la jalousie et l'envie: pourquoi ce qui est défendu aux autres serait-il permis à lui. Il est donc réellement contagieux, pour autant que son exemple pousse à l'imitation, et c'est pourquoi il doit lui-même être évité. » (FREUD, [1912]1993, p. 30)

Nous pouvons maintenant mieux comprendre la censure qui d'opère à l'endroit du sexe féminin: c'est le retour à l'animalité à partir de laquelle l'humanité s'est levée. Pourtant la beauté de la femme, tout en censurant cette animalité la postule. La beauté de la femme est ce qui est représentable contrairement à son sexe comme l'explique le texte d'Alain ROGER:

« L'objet d'abord. Il n'est pas insignifiant que le terme "nature" désigne "les parties qui servent à la génération, surtout dans les femelles des animaux. La nature d'une jument"; mais aussi d'une femme, réduite à sa femellité, c'est-à-dire sa bestialité: vulve et pilosité. On aurait là un îlot de nature irrémédiable, un réduit irréductible, que la culture ne peut que circonscrire comme son Autre, la Chose, l'innommable, sinon dans la langue anatomique (neutralisation scientifique) ou les métaphores animales, qui soulignent brutalement la naturalité de la "bête". CHOÏROS, en grec, signifie à la fois la vulve et le petit cochon; il en va de même du PORCUS latin. Le Français, plus sensible au pelage, semble-t-il - les Grecques et les Romaines s'épilaient -, dit la "chatte" ou la "motte", plus basse encore dans la hiérarchie naturelle, et l'on aimerait posséder la liste universelle, le catalogue argotique, le bestiaire obscène des noms et surnoms dont la vulve fait l'objet. » (ROGER, 1987, p. 182)

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Cette observation que ROGER définit dans l'aire culturelle de l'Occident ne contredit pas la présente analyse qui, par contre, appartient à l'aire orientale; nous permet de dire qu'il s'agit là d'un universel de représentation que nous tentons d'expliquer par le paradoxe de la censure et de la postulation. La question qui va nous guider maintenant est de savoir pourquoi il y a censure.

Il y a censure parce qu'il y a dans l'humanité une volonté de refréner le déferlement de violence dans la possession des femmes comme cela est théorisé par FREUD dans Totem et Tabou et que nous pouvons constater dans l'universalité du tabou de l'inceste. Il y a également censure parce que :

« En tant que terme référentiel de la relation la plus importante de la famille, la femme (la soeur) est l'objet d'une conceptualisation complexe. Cette femme référentielle se trouve partagée entre deux identités, celle de femme (sexuelle) et celle de soeur ("femme de famille"), qui cohabitent dans le même corps mais qui ne se manifestent jamais en même temps. » (MORAL-LEDESMA, 2000, p. 52)

Il y a surtout censure parce que l'innommable est désigné par l'interdit même à la convoitise, une convoitise qui n'est pas pour l'objet lui-même mais dans le sentiment de transgression qui permet à l'homme de réduire la femme à l'animalité à laquelle la femme ne peut pas se défendre dans son inscription dans le social, soit parce qu'elle n'a pas la force nécessaire, soit parce que biologiquement c'est une quête inscrite dans sa nature. En outre, la transgression a ceci de voluptueux, elle permet de déjouer - peut être de manière médiatisée - la violence de la mort dans la régénération de la vie à travers la femme qui justifie les premières sculptures de l'humanité sous forme de femme stéatopyge (30.000 ans av. J.C.), ou peut-être non médiatisée en tant qu'affirmation de la vie dans l'érotisme qui suspend la violence de la mort sans la supprimer au même titre que la transgression, d'une manière générale, lève l'interdit sans le supprimer. La balance entre censure et postulation peut être résumée par cette remarque quelque peu énervée de QUINE à propos de l'être:

« C'est pourquoi que j'ai dit et redit et au fil des années qu'ÊTRE C'EST ÊTRE LA VALEUR D'UNE VARIABLE. Plus précisément, ce que l'on reconnaît comme être est ce que l'on admet comme valeurs des variables liées. » (QUINE, 1993, p. 51)

Ce qui nous permet de dire que le corps de la femme - et c'est là la raison de son enfermement dans du tchador dans certaines civilisations et de leur interdiction du stade olympique dans la Grèce antique - comme celui de l'homme est articulé pour le travail, mais en même temps, ce corps féminin transgresse le monde du travail qui se définit par sa transitivité pour verser dans le monde de l'art, de l'artifice ou de la parure pour devenir intransitif ou réflexif. Autrement dit, les variables liés de l'être de la femme sont la censure et la postulation du sexe.

L'idée d'hyperbolisation et d'abolition dont parle ROGER ne sont donc pas des moments inconciliables ou des choix de l'artiste dans la représentation, ni même une question de goût du jour. Ils sont les deux aspects de la sacralité, respectivement le sacré à vénérer et le sacré de l'horreur. Autrement dit, le corps de la femme est métonymique de son sexe et sa

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séduction provient de ce qu'il détourne le monde du travail vers le monde du jeu qui met en jeu la vie elle-même. Pour renforcer cette idée, il n'est que de rappeler la différence entre l'or et le fer. Du fer proviennent des outils permettant le travail, mais de l'or on ne peut tirer que de la parure qui met en jeu le paraître au détriment de l'être de travail. Du même coup, la vie est mise en jeu puisque le travail c'est le pain selon un aphorisme qui a pris naissance dans les émeutes de la faim du Paris du XIXème siècle. En définitive la femme comme sémiotique est toujours un signe autonymique.

Travaux cités

ALMEIDA, I. (1997, Mai). Le style épistémologique de Louis Hjlemslev. Consulté le Juin 20, 2012, sur Texto: http://www.revue-texto.net/Inedits/Almeida_Style.html

BANGE, P. (1992). Analyse conversationnelle et Théorie de l'action. Paris: Les éditions Didier.

BENVENISTE, E. ([1974] 1981). Problèmes de linguistique générale, II. Paris: Gallimard.

CASSIRER, E. (1969). "Le langage et la construction du monde des objets". Dans C. e. Alii, Essais sur le langage (pp. 37-68). Paris: Les Editions du Minuit.

DUCROT, O. (1972). Dire et ne pas dire, Principes de sémantique linguistique. Paris: Hermann.

FREUD, S. ([1912]1993). Totem et tabou, Quelques concordances enter la vie psychique dessauvages et celle des névrosés. (W. Marièlene, Trad.) Paris: Gallimard.

FREUD, S. (1919). L'inquiétante étrangeté - Les classiques des sciences sociales. Récupéré

sur classiques.uqac.ca/classiques/freud_sigmund/.../inquietante_etrangete.html:
http://dx.doi.org/doi:10.1522/030149457

GREIMAS, A. J. (1970). Du sens, Essais de sémiotique,1. Paris: Seuil.

HJLEMSLEV, L. (1968-1971). Prolégomènes à une théorie du langage. Paris: éditions de Minuit.

JAKOBSON, R. O. (1981). Essais de Linguistique générale,1. Paris: Editions de minuit. LAFONT, R. (1978). Le travail et la langue. Paris: Flammarion.

MORAL-LEDESMA, B. (2000). "sexe des femmes, sexe de soeurs : les organes génitaux féminins à Chuuk (Micronésie). Journal de la société des océanistes, 110, 49-63.

PARIENTE, J.-C. (1982). "LEs noms propres et la prédicationdans les langues naturelles" in Langages, 66. Dans J. Molino, Le nom propre, (pp. 37-65). Paris: Larousse.

PICARD, C. (1995). "L'épisode de Baubo dans les mystères d'Eulesis". Histoire des Religions (Revue), pp. 220-255.

QUINE, W. V. (1993). La poursuite de la vérité. Paris: Seuil.

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RIMBAUD, A. (1984). Poésies. Paris: Librairie Générale Française.

ROGER, A. (1987). "Vulva, Vultus, Phallus". Communications, 46, pp. 181-198. SAUSSURE, d. F. (1982). Cours de Linguistique Générale. Paris: Payot. SCHAEFFER, J.-M. (1999). Pourquoi la fiction? Paris: Seuil.

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10. CENSURE ET POSTULATION DU CORPS FÉMININ

RÉSUMÉ :

Cette étude met en évidence la différence radicale entre l'homme et la femme à partir de l'analyse du mythe biblique, celui d'Adam et d'Ève. Il en ressort que si l'homme appartient au monde profane du travail, par contre, la femme appartient au monde sacré. Il faut se rappeler que le sacré est ambivalent. Il y a le sacré vénérable et le sacré exécrable. La femme cumule ces deux sacralités. Mais dans la mesure où le sacré s'entoure d'interdit. La séduction féminine provient de la transgression d'un interdit fondamental : le monde sacré du jeu qui définit la femme selon le principe de l'intransitivité.

Mots clés : sacré, profane, interdit, totalité, transgression, séduction, postulation.

Abstract

This study highlights the radical difference between the man and the woman from the analysis of the biblical myth, that of Adam and Eve. It appears that if the man belongs to the secular world of work, however, the woman belongs to the sacred world. It must be remembered that the sacred is ambivalent. There is the sacred venerable and the execrable sacred. The woman has these two properties of sacred. But to the extent where the sacred surrounds himself banned. Feminine seduction comes from a fundamental banned transgression: the sacred world of the game that defines women according to the principle of the intransitivity.

Key words: sacred, profane, forbidden, totality, transgression, seduction, postulation.

10.1. INTRODUCTION

On peut dire que depuis toujours le sexe féminin est vigoureusement refoulé, censuré de diverses manières. On peut même dire que toutes sémiotiques confondues n'ont fait que censurer le sexe féminin parmi lesquelles la violence de l'excision. Néanmoins, l'objectif de cette communication n'est pas de militer pour l'égalité des sexes et encore moins de militer pour le féminisme. Son objectif est moins ambitieux : observer l'aspect pragmatique de cette censure en tenant compte que ce que la censure interdit, elle la postule en même temps ; et nous pouvons dire, en anticipation de notre formulation du problème que ce que la censure interdit, c'est la totalité comprise comme une autonomie, ou comme signe autonymique.

Autrement dit, ce qui se profile derrière ce titre est une illustration particulière de l'affirmation selon laquelle « nommer, c'est faire exister ». Une affirmation que partagent en même temps linguistes et anthropologues bien qu'il y ait certaines réserves sur ce pouvoir de l'énonciation. Commençons par sortir de ces réserves.

On oppose toujours à cette idée que nous voulons développer sous la thématique de la femme que le monde est l'univers sur lequel le langage s'est levé. Ce qui veut dire très exactement que le langage ne crée rien puisque le monde lui préexiste. À considérer cette

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objection dans une stricte interprétation, on aboutit logiquement à la notion de langage étiquette. Mais l'idée de langage étiquette se heurte à son tour à la question de la relativité linguistique mis à jour par Édouard SAPIR et Benjamin Lee WHORF, plus connue sous le nom de thèse de SAPIR-WHORF. (WHORF, 1980) Ainsi en Hopi, il n'y pas de notion d'indéfini incompatible au nombre comme cela se présente en français avec les articles du et qui n'a pas de pluriel pour déterminer les noms de substance continue comme l'eau, ou l'air.

On remarque également qu'en malgache, une langue qui ne connaît ni le genre ni le nombre dans laquelle l'article partitif et l'indéfini pluriel n'existent pas. Il ne s'agit pas d'interpréter cette absence comme inexistence de déterminant pour les catégories visées. Jean-Claude MILNER démontre que l'expression du partitif et de l'indéfini pluriel dans beaucoup de langue est un zéro phonétique, noté Ø, (MILNER, 1978).

En effet, si le langage ne consiste qu'à donner des étiquettes aux référents mondains, on ne s'explique pas pourquoi les choses ne sont pas nommées de la même manière dans toutes les langues naturelles. SAUSSURE pense que cette différence nominative est une conséquence de l'arbitraire du signe (SAUSSURE, 1982, p. 100 et sv). On connaît le déplacement de l'arbitraire opéré par BENVENISTE à partir des arguments propres à SAUSSURE lui-même :

« Ainsi du signe linguistique. Une des composantes du signe, l'image acoustique, en constitue le signifiant, l'autre, le concept, en est le signifié. Entre le signifiant et le signifié, le lien n'est pas arbitraire ; au contraire, il est NÉCESSAIRE. (...) Ce qui est arbitraire, c'est que tel signe, et non tel autre, soit appliqué à tel élément de la réalité, et non à tel autre. » (BENVENISTE, [1966] 1982, pp. 51-52)

Nous voulons suggérer que l'on ne peut parler d'arbitraire dans le sens saussurien ou dans le sens de BENVENISTE qu'a posteriori, quand on ne peut plus remonter la démarche phylogénétique ayant fait passer le protolangage au niveau du langage. La thèse de la relativité linguistique va dans ce sens : pour une société d'éleveur de zébu, il est crucial de pouvoir nommer les bêtes non seulement en fonction de la couleur de leur robe mais également en fonction de leur morphologie pour les services attendus de ces animaux : ainsi par exemple, un zébu sans bosses est appelé en malgache baria parce que les zébus de la sorte ont un comportement farouche et difficile à mettre au pas pour les travaux des champs comme pour piétiner la rizière avant le repiquage. Par contre ils sont très spectaculaires dans le savika15 où le héros doit s'accrocher d'une manière ou d'une autre à hauteur de l'encolure de l'animal qui se débat à travers des sauts pour se débarrasser de l'homme. Ce caractère morphologique importe peu au citadin malgache qui ignore complètement pourquoi l'équipe nationale de foot est appelée Barea16 de Madagasikara.

15 Une manière spécifique de d'affronter les boeufs à mains nues en s'accrochant à lui par les biais de son coup et de sa bosse afin de le faire tomber. Le savika n'est pas à confondre avec le torero.

16 Juste une variante lexicale de baria

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Cet exemple montre que les mots n'ont pas pour fonction de nommer les choses mais de créer un parcours de renvois que justifie la définition du signe dans la théorie triadique de PEIRCE, notamment dans la notion d'interprétant :

« Un signe ou representamen est un Premier qui se rapporte à un second appelé son objet, dans une relation triadique telle qu'il a la capacité de déterminer un Troisième appelé son interprétant, lequel assume la même relation triadique à son objet que le signe avec ce même objet ... Le troisième doit certes entretenir cette relation et pouvoir par conséquent déterminer son propre troisième ; mais, outre, cela, il doit avoir une seconde relation triadique dans laquelle le representamen, ou plutôt la relation du representamen avec son objet, soit son propre objet, et doit pouvoir déterminer un troisième à cette relation. Tout ceci doit également être vrai des troisièmes du troisième et ainsi de suite indéfiniment... » (PEIRCE, 1979, p. 147)

Nous allons maintenant, suite à l'exemple du baria à l'instant, voir que c'est ce système de renvois que nous préférons appeler « parcours d'évocations » qui engendre les différences entre les langues, parce que chaque société à l'intérieur d'une nation a un parcours d'évocations différent les uns des autres.

HJELMSLEV, dans son analyse de la fonction sémiotique qui s'établit entre « expression » et « contenu » arrive à la même conclusion en partant de la comparaison de plusieurs langues. Il en ressort que ce qui reste commun à toutes ces langues est le sens qui prend une forme différente dans chacune d'elles :

« Tout comme les mêmes grains de sable peuvent former des desseins dissemblables, et le même nuage prendre constamment des formes nouvelles, ainsi, c'est également le même sens qui se forme ou se structure différemment dans différentes langues. Seules les fonctions de la langue, la fonction sémiotique et celles qui en découlent, déterminent sa forme. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 70)

C'est dans ce sens que « nommer, c'est faire exister » puisque le mot a cette particularité de générer, en passant par le référent, ce parcours d'évocations qui diffère d'une société à l'autre au sein de la même communauté linguistique en fonction, justement, de la fonction sémiotique et celles qui en découlent. Parmi les linguistes sensibles à cette question, nous pouvons citer Charles P. BOUTON qui note au niveau de l'ontogénie de la parole deux démarches opposées mais complémentaires dont voici la seconde : « Dans un second moment, le mot devient en lui-même générateur de sensations, de sentiments, d'idées. Le langage devient en soi un procédé de connaissance. » (BOUTON, 1979, p. 265)

C'est ce que l'on appelle communément « démarche sémasiologique ». Pour sa part, l'Allemand Ernst CASSIRER soutient que le langage contribue à la construction du monde des objets : « L'idée ne préexiste pas au langage, elle se forme en lui et par lui » (CASSIRER, 1969, p. 66)

Il faut entendre par idée, l'idée de toute chose à laquelle nous pouvons penser. Ce qui ne signifie pas que les choses n'existent pas indépendamment du langage, mais elles ne peuvent pas être saisies en dehors du langage qui leur assigne le lien de chose à choses nécessaire à leur connaissance. C'est ce que souligne PEIRCE en ces termes : « être et devenir,

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c'est être représentable » (SAVAN, 1980, p. 11). Nous pouvons encore évoquer le logicien QUINE pour soutenir que le langage instaure la continuité dans un monde discontinu pour les services que l'homme en entend : « C'est pourquoi que j'ai dit et redit et au fil des années qu'être c'est être la valeur d'une variable. Plus précisément, ce que l'on reconnaît comme être est ce que l'on admet comme valeurs des variables liées. » (QUINE, 1993)

En définitive, lorsque l'on dit que « nommer, c'est faire exister » ; il ne s'agit pas de croire à une puissance démiurgique qui crée en même temps le nom et la chose ; mais au contraire, il s'agit de la puissance de liaison qui relie une chose aux autres selon un processus cognitif que résume cet aphorisme de WITTGENSTEIN : « [...], nous ne pouvons imaginer aucun objet en dehors de la possibilité de sa connexion avec d'autres objets » (2.0121) (WITTGENSTEIN, 1961, p. 30)

On peut multiplier, de la sorte, les références qui visent à montrer que le langage est un instrument privilégié de connaissance, c'est-à-dire d'organisation du réel qui se présente sous une forme discontinue. C'est à ce titre seulement que l'on peut rejeter l'idée du langage étiquette au profit d'un langage de construction.

Il nous semble que l'on ne peut plus, dans l'état actuel de nos connaissances, faire obstacle à l'idée du langage qui se situe au coeur du schème cognitif puisque l'idée de langage étiquette est complètement ruinée. En effet, en écho lointain au principe d'oubli que NIETZSCHE assigne au langage : « Le mot (le concept) ne désigne un fait ou un phénomène qu'à l'aide de l'abstraction en omettant plusieurs de leurs traits.

« Tout concept naît de l'identification du non identique. Aussi certainement qu'une feuille n'est jamais tout à fait identique à une autre, aussi certainement le concept de feuille a été formé grâce à l'abandon délibéré de ces différences individuelles, grâce à un oubli des caractéristiques » mais cette identification de la partie au tout est une figure de rhétorique : la synecdoque. (NIETZSCHE la nomme tantôt métaphore, tantôt métonymie) » (TODOROV, 1970, pp. 28-29)

Jean PETITOT, d'un seul coup de plume, scelle de manière convaincante l'inscription du langage dans le cognitif :

« La relation dominante est la relation signifié / signifiant (la cause du désir et non pas la validité du jugement), le référent n'étant qu'un tenant lieu (un artefact, un simulacre, un trompe l'oeil) servant de support » (BRANDT & PETITOT, 1982, p. 25)

Tout concourt donc à nous permettre de voir un peu plus clair dans notre problématique : s'il y a censure, c'est parce ce que ce tabou linguistique a des attaches plus fortes à la dimension cognitive du langage pour laquelle la référence ne s'arrête plus au réel - qui n'est qu'un simulacre - mais le traverse pour atteindre le parcours d'évocations. Il y a tabou linguistique parce qu'une fois le monde pris dans les rets du schème cognitif, la catégorie du réel s'évanouit comme une question inutile. Il s'agit là d'une conclusion à laquelle, avec son style propre, Robert de MUSIL nous convie :

« [...]. Toutes les possibilités que contiennent, par exemple, mille marks, y sont évidemment contenues qu'on les possède ou non ; le fait que toi ou moi les possédions

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ne leur ajoute rien, pas plus qu'à une rose ou à une femme. Mais disent les hommes du réel, "le fou les donne au bas de laine et l'actif les fait travailler"; à la beauté même d'une femme, on ne peut nier que celui qui la possède ajoute ou enlève quelque chose. C'est la réalité qui éveille les possibilités, et vouloir le nier serait parfaitement absurde. » (MUSIL, 1982, pp. 18-19)

Cette dernière remarque permet de comprendre pleinement que dans le langage, il n'y a que du langage qui s'autonomise dans un parcours d'évocations. Une autonomie qui est au coeur de la pragmatique et qui permet à cette discipline d'éviter le piège de la confusion entre langage et substance. C'est à cette confusion que HJLEMSLEV semble faire allusion dans la remarque suivante :

« A priori, on pourrait peut-être supposer que le sens qui s'organise appartient à tout ce qui est commun à toutes les langues, et donc à leurs ressemblances ; mais ce n'est qu'une illusion, car il prend forme de manière spécifique dans chaque langue ; il n'existe pas de formation universelle, mais seulement un principe universel de formation. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, p. 98)

Ce que nous allons essayer d'illustrer par l'exemple suivant. Un individu habitant seul dans un appartement peut - dans l'intention de signifier sa présence - laisser lumières et téléviseurs allumés comme signe de sa présence au moment où il est justement dehors. Ou encore, afficher sur son portail l'écriteau « chien méchant » réalise accomplit l'avertissement souhaité qu'il existe ou non un chien à l'intérieur du domaine. De la même manière la reconnaissance d'une forme sémiotique entraîne toujours un parcours d'évocations que manifestent les actes de langage. C'est pourquoi que la sanction d'un acte de langage n'est pas la véridiction mais son apparition dans une existence token-réflexive, c'est-à-dire qu'un acte de langage n'est ni vrai ni faux, mais il est - au sens plein de ce verbe « être » - tout simplement.

Il nous semble que le passage du protolangage vers langage est une manifestation du parcours d'évocations dans la pragmatique. Autrement dit, l'émergence du langage est une question de pragmatique et que les premiers langages sont consignés dans ces premières littératures que nous appelons mythe.

10.2. DU PROTOLANGAGE AU LANGAGE EN PASSANT PAR LA PRAGMATIQUE

Rappelons pour mémoire que, selon la perspective communément admise et suivant en cela Charles MORRIS, dans le domaine de la linguistique, il faut distinguer trois cas : la sémantique qui est l'étude du rapport du signe avec le monde ; la syntaxe, l'étude du rapport du signe entre eux et la pragmatique, l'étude du rapport des signes à leurs interprètes (MORRIS, 1971, p. 21)

Cette présentation peut être appelée une théorie additionnelle dans laquelle la pragmatique vient s'ajouter à la sémantique et à la syntaxe ; les trois branches de la linguistique sont ainsi chacune autonome. Ce n'est pas ainsi pourtant que Rudolf CARNAP conçoit les choses quand il dit que La pragmatique est la base de tout pour la linguistique

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(CARNAP, 1942, p. 13). Voici comment Pierre BANGE nous présente cette orientation de CARNAP sur la question de la pragmatique :

« C'est en fait une conception radicalement différente qui est suggérée : la présentation de CARNAP introduit à l'analyse fonctionnelle du langage dans laquelle les structures linguistiques sont considérées comme des moyens commandés et guidés par des buts pragmatiques et permettant de les réaliser. » (BANGE, 1992, p. 9)

On peut étayer cette intuition de CARNAP à partir d'autres recherches qui tentent de remonter les origines du langage sur le plan phylogénétique. Ainsi, l'hypothèse du goulot d'étranglement dans le parcours de l'hominisation de l'espèce aurait conduit à un saut qualitatif du langage.

Ce qu'il est convenu d'appeler avec le linguiste Dereck BICKERTON « protolangage » peut être compris comme un langage sans grammaire mais suffisamment efficace pour une communication qui s'opère aux sens - présence simultanée des locuteurs et du référent - à l'instar du langage enfantin qui, le plus souvent, n'est qu'une vocalisation du geste déictique. En effet, l'évidence première dans le geste déictique est l'impérative présence simultanée de celui qui montre, de l'objet montré et de celui à qui on le montre. De cette manière, la situation d'énonciation supplée à la carence de grammaire.

Remarquons que le protolangage ne se réduit pas seulement à l'histoire de l'espèce ou au langage enfantin sur le plan ontogénétique, il est formalisé de diverses manières, dans l'arbitrage des sports collectifs, par exemple, à cause de son efficacité dans le cas où arbitres et joueurs ne parlent pas la même langue ; ce qui arrive très souvent dans les sports de haut niveau. Il est également à l'oeuvre dans les panneaux de signalisation routiers ; il interfère même dans la communication quotidienne sous forme de gestuelle acquise par répétition de la même situation.

Mais l'inconvénient majeur du protolangage est qu'il est incapable de narration, c'est-à-dire, incapable de parler d'un événement du passé et encore moins de faire une projection dans le futur. Autrement dit, le protolangage ne permet pas la mise en place d'une mémoire collective dont l'avantage indiscutable se présente actuellement dans la notion de République comprise comme la soumission de l'intérêt individuel à l'intérêt collectif.

De la même manière que dans une République, il faut que cet intérêt collectif soit consigné matériellement dans ce que l'on appelle « Constitution » comme faisant l'unanimité du plus grand nombre et sur laquelle s'appuie toute forme de pouvoir : l'exécutif, le législatif et le juridique ; il fallut à nos ancêtres un moyen de publication de l'intérêt collectif : la narration. C'est ce qui aurait abouti à la complexification du protolangage, l'amenant à basculer dans le langage. En effet :

« Raconter une histoire, c'est le plus souvent s'extraire de la situation présente pour introduire un autre cadre spatio-temporel, y faire surgir des personnages réels ou imaginaires, les faire vivre, agir, penser, parler sur une espèce de « scène verbale » que l'on dresse devant son auditoire, en déroulant, plus ou moins vite selon les besoins, le fil d'une temporalité que l'on maîtrise entièrement et que l'on met au

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service de la dynamique des événements qui se succèdent sur cette scène, qui peut elle-même, à son tour, se déplacer pour suivre un acteur, une intrigue, jusqu'au bout du monde s'il le faut. » (DESSALES, PIQ, & VICTORRI, 2006)

Mais pour conforter la position annoncée supra de CARNAP, il nous faut encore expliquer pourquoi il est nécessaire de raconter. Pour reprendre le parallélisme évoqué à l'instant, on peut dire que s'il est impératif d'analyser la constitutionnalité des actions ou décisions des pouvoirs, c'est afin de préserver l'ordre public, de prévenir un déferlement de violence provoqué par un sentiment d'injustice. Pareillement, dans l'hominisation de l'espèce :

« Faire partie d'une société humaine, c'est adhérer, le plus souvent sans réserve, à des histoires qui racontent l'origine du groupe social et qui définissent du même coup les comportements qui scellent l'appartenance à ce groupe. Tous les mythes et religions fondent les interdits sur des récits mettant en scène des personnages sacrés (ancêtres ou dieux) qui violent précisément ces interdits » (ibid.).

On voit très bien que raconter une histoire de la sorte est guidé par un but pragmatique : empêcher la violation d'un interdit qui désorganiserait l'ordre social :

« Une étape importante dans ce processus peut avoir consisté à ritualiser le comportement narratif : au lieu d'attendre qu'une crise éclate, il est en effet plus efficace d'organiser des manifestations régulières pour évoquer ces scènes ancestrales et les actes à prohiber. C'est tout au long de cette évolution du comportement social que les techniques narratives auraient progressé, se seraient affinées et complexifiées, en devenant aussi de plus en plus conventionnelles. La langue mère, munie de toutes ses propriétés syntaxiques et sémantiques qui caractérisent le langage humain, serait l'aboutissement de ce processus. » (ibid.)

S'il est donc admis que la coordination présentielle d'actions telle que la chasse aux gros gibiers comme les mammouths ne requiert pas un langage sophistiqué dans la mesure où gibiers et chasseurs sont présents en même temps, il s'ensuit donc une sémiotique du monde naturel interprétée de manière immédiate plus ou moins de la même façon à cause de leur répétition.

En revanche, communiquer sur un objet absent de manière à dresser un spectacle linguistique, nécessite de la grammaire, notamment la récursivité et ce que la grammaire traditionnelle appelle « aspect », à côté des anaphores et des indicateurs spatiotemporels. Bref, une spectacularisation discursive à la source de la théorie actancielle initiée par la grammaire puissancielle de TESNIÈRE ( [1959] 1982) et prolongée par GREIMAS (GREIMAS, [1966] 1982).

Cependant, il ne faut pas croire que l'idée d'une absence symbolisée est complètement hors de portée du protolangage. Le protolangage participe déjà d'une logique narrative en opposant les propriétés du passé et du futur (avant vs après) dans la fabrication du premier outil : le silex biface. C'est ce que nous apprend Robert LAFONT dans le passage suivant :

« L'hominisation de l'espèce commence lorsque l'individu se sert d'un objet pour en modifier un autre en vue d'une action que ce second assume : lorsque le chasseur

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modifie la forme d'un caillou pour en faire une arme contre un gibier éventuel. Éventuel : il faut bien dans l'opération de fabrication d'un instrument, qu'un troisième objet soit absent et remplacé par son image. La "certitude sensible" nécessaire au travail est prise en charge par la représentation. » (LAFONT, 1978, p. 19)

Il est curieux de remarquer que LAFONT parle également d'hominisation de l'espèce dans la fabrication d'un outil. Ceci n'est pas pour nous étonner car ce père de la praxématique considère l'unité de la première articulation, non pas comme doué de sens, mais comme un outil de production du sens :

« Il (le praxème) n'est pas « doué d'un sens ». Il est l'unité pratique de production de sens, ce qui est fort différent ; comme l'acte produit par l'outil, lui-même produit par le travail, ne se confond pas avec l'outil, même si la forme de l'outil lui donne déjà une forme » (LAFONT, 1978, p. 29)

Ce que LAFONT attache à l'unité de la première articulation, la pragmatique le confie à l'énonciation en termes d'actes de langage et dans la mesure où Umberto ECO (1985, p. 138) opère une généralisation de la narrativité à toute énonciation, nous pouvons conclure avec la voix de B. VICTORRI cette identité entre la fonction narrative et la dimension pragmatique du langage :

« Notre thèse peut alors se résumer de la manière suivante. Pour échapper aux crises récurrentes qui déréglaient l'organisation sociale, nos ancêtres ont inventé un mode inédit d'expression au sein du groupe : la narration. C'est en évoquant par la parole les crises passées qu'ils ont réussi à empêcher qu'elles se renouvellent. Le langage humain s'est forgé progressivement au cours de ce processus, pour répondre aux besoins nouveaux créés par la fonction narrative, et son premier usage a consisté à établir les lois fondatrices qui régissent l'organisation sociale de tous les groupes humains. » (VICTORRI, 2002)

Comme parmi ces lois fondatrices, il y a l'interdit de l'inceste, nous pouvons donc maintenant traiter notre objectif final, à savoir la censure et la postulation du corps féminin. Or, il faut reconnaître que ces lois fondatrices se présentent, bien entendu, de manière narrative avec toutes les ressources encore insoupçonnées de la narrativité, mais prennent la forme d'un mythe.

Le problème du mythe est qu'il se dote de fabuleux, c'est-à-dire, la deixis am phantasma de Karl BULHER mise à la mode par Claude CALAME (2004) par opposition à la deixis demontratio oculo , respectivement, une référence interne et une référence externe au discours qui atteste comme le dit BOUDOT que le recours à la fiction est encore une analyse du réel :

« Nous appelons ici « fiction » la tentative de constituer par le discours et en lui un monde différent du monde réel : la volonté balzacienne de « faire concurrence à l'état civil » en serait une illustration. C'est dans le cas de la fiction que tout se passe comme si on avait affaire à un autre réel. Mais la fiction se distingue de l'énoncé irréel précisément parce qu'elle ne s'annonce pas comme irréelle ; elle ne comporte pas de présupposition d'irréalité, elle met au contraire tout en oeuvre pour se faire admettre comme réalité. L'énoncé irréel s'exprime en recourant au conditionnel. Il se situe ainsi

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de lui-même par rapport au réel ; il manifeste sa finalité qui n'est pas de décrire une autre réalité, mais de servir par un moyen détourné à l'analyse de la réalité. « Une théorie féconde du réel exige la pensée de l'irréel » écrit M. Boudot. » (PARIENTE, 1982, p. 43)

Ce qui veut dire que les mythes sont une analyse du réel et qu'ils sont les premières expressions d'une intelligence programmatique dont l'élaboration vise une culture anthropologique. Cette dernière remarque est de nous permettre de traiter notre problème à partir d'une littérature universelle : le mythe dans la Bible.

10.3. LA CENSURE ET LA POSTULATION DU CORPS FÉMININ

Le premier argument à cette censure nous vient d'un texte mythique, celui de la genèse. Il appert de ce récit que la femme est un interdit majeur. L'indice qui atteste de cet interdit est la disproportion entre la punition d'Adam et d'Ève. Adam pour avoir mangé du fruit de l'arbre défendu est condamné au travail pour vivre tandis qu'Ève a pour punition d'accoucher dans la douleur et qu'entre elle et le serpent se maintiendra éternellement une inimitié.

Dans la mesure où nous évoluons dans le cadre de la pragmatique, il y a lieu de préciser d'abord l'enjeu de l'analyse. Certains analystes pensent que les mythes sont des folklores et ne méritent pas l'attention du fait de leur anonymat et de leur caractère fabuleux. C'est oublier un peu trop vite que ces textes sont les premiers à instituer la mémoire collective par une socialisation du sens qui s'y expose et que ce sens s'autonomise en recréant le réel :

« [...]; la fonction du récit n'est pas de « représenter », elle est de constituer un spectacle qui nous reste encore très énigmatique, mais qui ne saurait être d'ordre mimétique; la « réalité » d'une séquence n'est pas dans la suite «naturelle» des actions qui la composent, mais dans la logique qui s'y expose, s'y risque et s'y satisfait; on pourrait dire d'une autre manière que l'origine d'une séquence n'est pas l'observation de la réalité, mais la nécessité de varier et de dépasser la première forme qui se soit offerte à l'homme, à savoir la répétition : une séquence est essentiellement un tout au sein duquel rien ne se répète; la logique a ici une valeur émancipatrice -- et tout le récit avec elle; il se peut que les hommes réinjectent sans cesse dans le récit ce qu'ils ont connu, ce qu'ils ont vécu; du moins est-ce dans une forme qui, elle, a triomphé de la répétition et institué le modèle d'un devenir. » (BARTHES, 1966, p. 26)

En effet, il est complètement inutile de chercher à identifier la référence mondaine d'un personnage d'un récit, même le récit autobiographique dresse une distance incommensurable entre l'individu social et l'individu mis en spectacle discursif dans le roman parce qu'à côté des performances sémantiques du texte, il faut aussi tenir compte de la dimension pragmatique ayant guidé l'énonciation du texte. Une dimension pragmatique qui fait advenir des actes de langage, but ultime de la production narrative.

Ainsi donc, le personnage d'Adam ou d'Ève a un fonctionnement autonymique comme indiqué dans le passage suivant :

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« C'est en effet un principe général et simple que de représenter des éléments d'une classe, ou tous les éléments d'une classe, ou cette classe en tant que telle, etc., par l'un quelconque de ces éléments qu'on peut, dans ce rôle, appeler type (c'est un usage naturel de ce mot). Cela peut se faire soit « à l'intérieur » de l'énoncé, [comme dans les exemples précédents] où une position nominale est occupée par une chose qui se trouve être une reproduction d'éléments linguistiques : soit à l'extérieur, comme quand un philosophe disant je réfère à soi-même, personne singulière, mais seulement en tant qu'exemple d'humanité, de sorte que je paraît avoir une référence universelle ; de même, quand on montre une cigarette en disant : Ceci t'empoisonnera, l'objet singulier de la référence littérale peut, pris comme type, « référer» pour ainsi dire à toutes les cigarettes ou à leur classe. » (CORNULIER, 1982, p. 138)

Ce qui veut dire qu'Adam n'est qu'un masque d'autorité au sens défini par Claude CALAME (CALAME, 2004) qui permet de parler des conditions de l'homme et de même pour Ève qui trace les conditions de la femme.

La transgression a donc pour mission de révéler que l'homme et la femme n'appartiennent pas au même monde. L'homme est un être de travail dans le monde profane tandis que la femme est un être de jeu dans le monde sacré. Le monde du travail est un faire être tandis que le monde du jeu relève du paraître. Si par le travail, l'homme se sépare de la nature, en revanche la femme - n'étant pas condamnée au travail - demeure dans la nature et suscite les mêmes interdits attachés à la nature, à savoir : la sacralité de la nature.

La disproportion de la punition s'explique alors de manière aisée. La transgression n'a pas modifié le statut de la femme. Sa punition consiste à rester dans sa nature, un être biologique qui a pour fonction de donner la vie. D'ailleurs, à ce niveau, il y a lieu de croire que le nom propre affiche le caractère primordial de la pragmatique par rapport à ses soeurs sémantique et syntaxe. Exactement comme dans Cendrillon ; où la dernière-née, longtemps négligée, se révèle à la fin être la plus importante.

Le nom propre dans la vie quotidienne comporte tout l'investissement affectif des parents. C'est-à-dire, dans la mesure où l'amour est le moyen privilégié d'instaurer la continuité dans la vie pour s'opposer à la discontinuité imposée par la mort inéluctable. Dès lors parents, investissent dans cette continuité ce qu'ils n'étaient pas arrivé à faire, ou tout au moins, leur catégorie du désir dans ce sens que l'on ne peut désirer ce que l'on possède déjà.

Dans les discours qui participent plus ou moins à la littérarité, le caractère autonymique des noms propres font qu'ils se présentent comme des instructions d'un programme qui s'accomplit de manière performative, ou pour dire les choses autrement, ils sont comme une mise en abyme : une échelle réduite qui prend de vitesse tout le roman. Ainsi, on retrouve la même opposition quant à l'investissement du désir dans les noms d'ADAM et d'ÈVE qui scellent d'un seul coup leur destin respectif.

Pour accroître la lisibilité de ce dont nous allons parler maintenant, prenons connaissance de l'autonymie chez son inventeur :

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« Puisque le nom d'un objet peut être arbitrairement choisi, il est très possible de prendre pour nom de la chose la chose elle-même, ou, pour nom d'une espèce de choses, les choses de cette espèce. Nous pouvons, par exemple, adopter la règle suivante : au lieu du mot allumette, une allumette sera toujours placée sur le papier. Mais c'est le plus souvent une expression linguistique qu'un objet extralinguistique qui est utilisée comme sa propre désignation. Nous appelons autonyme une expression utilisée de cette manière. » (CARNAP, 1976).

On peut donc en déduire que le signe autonymique se caractérise par l'intrusion du référent dans le signe, c'est ce qu'illustre singulièrement les noms propres comme « Dupont » désignant l'homme qui habite près du pont.

Pareillement, nous savons qu'Adam est ainsi nommé puisqu'il est né de la terre. L'étymologie officielle hésite en effet entre deux significations de ce nom propre, d'une part, on interprète le vocable comme signifiant « homme » de son origine hébraïque, d'autre part, en ajoutant la lettre « h » à la finale, on obtient adamah qui signifie terre.

À notre avis, c'est adamah qui est la véritable étymologie, l'étymologie « homme » ne saurait pas être retenue puisqu'il n'y a pas possibilité de concevoir l'homme que par opposition à la femme. Cette opposition n'est révélée qu'à partir de la transgression qui définit l'homme comme à la fois un être de transgression et un être de travail. Nous pensons que c'est par hagiographie que l'on attache le nom à « homme » à Adam, parce que ce qui définit l'homme c'est le travail de la terre de laquelle il est tiré.

La femme est par contre tirée de l'homme mais ÈVE ne signifie pas « être tiré de l'homme » mais « vie ». Mais dire qu'Ève est tirée de l'homme n'est pas une affirmation neutre. Tout d'abord, il faut reconnaître que l'affirmation est une demande de croire d'autant plus que le contexte général de l'affirmation est religieux. Ce qui veut dire que l'affirmation n'est pas susceptible de contestation. Ensuite, il y a la volonté de subordonner la femme à l'homme de par cette origine dérivée. Autrement dit, l'affirmation a pour conséquence de donner un statut inférieur à la femme.

La question qui va nous guider maintenant est de savoir d'où vient cette minimisation de la dérivée. En toute logique, cette minimisation est une conséquence de la volonté de contrer par une dimension culturelle la puissance du naturel. La puissance de ce naturel est une logique qui a fait que l'homme ait succombé à la tentation alors que la femme a obéi à une ambition : devenir l'égale de Dieu.

En effet, il est dit que la femme a été subornée par le serpent qui lui faisait miroiter que la transgression de l'interdit permet d'accéder à la même connaissance que Dieu tandis que la transgression de l'homme est de nature passionnelle puisqu'elle n'a pour seul motif que l'incapacité de dire non à Ève, de dire non à la nature.

Par l'énergique travail - tu ne mangeras qu'à la sueur de ton front -, l'homme met à distance la nature, c'est-à-dire qu'il tente de s'arracher de la nature, mais le mouvement même par lequel il tente de s'arracher de la nature le ramène à la nature avec cette illusion

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de la contrôler au même titre que le langage qui informe la nature est une recréation de cette nature.

En travaillant la terre, l'homme s'arrache de la nature, non pas de manière absolue, mais par une forme de mise à distance qui lui permet de commander à la nature. De la même manière en dérivant la femme de l'homme, le récit a pour but de contrôler la femme. Ainsi, dans l'iconographie religieuse, ce contrôle de la femme fait que les diverses sémiotiques figuratives effacent sur un point précis la féminité. Pour ne citer qu'un exemple typique, il n'est que de renvoyer à CRANACH l'Ancien qui représente Ève avec une feuille qui vient à point nommé pour occulter le sexe de la femme (CRANACH).

Cette occultation est ce que nous avons appelé une mise à distance ou plus exactement « une censure » qui est le pendant négatif de la maxime selon laquelle « nommer, c'est faire exister » comme le souligne cette réflexion de SARTRE : « L'écrivain, qu'il le veuille ou non, est un homme engagé dans l'univers du langage : « nommer, c'est faire exister » (SARTRE, 1998, p. 66)

Une illustration très appropriée de cette maxime se trouve dans un des romans de STENDHAL, La Chartreuse de Parme, au moment où le comte de Mosca, voyant s'éloigner la voiture qui emporte la Sanseverina, sa fiancée, et le jeune Fabrice, provoque au niveau du discours le subtil mouvement de débrayage diégétique qui fait passer l'énonciation du narrateur (extradiégétique) vers perspective intradiégétique où c'est le héros qui parle directement :

« Il devenait fou ; il lui sembla qu'en se penchant ils se donnaient des baisers, là, sous ses yeux. Cela est impossible en ma présence, se dit-il ; ma raison m'égare. Il faut se calmer ; si j'ai des manières rudes, la duchesse est capable, par simple pique de vanité, de le suivre à Belgirate ; et là, ou pendant le voyage, le hasard peut amener un mot qui donnera un nom à ce qu'ils sentent l'un pour l'autre ; et après, en un instant, toutes les conséquences » (STENDHAL, 1839, p. 167)

La dernière remarque de ce passage est très instructive : l'énonciation de ce que cette fiancée et de ce que ce jeune garçon sentent l'une pour l'autre aura toutes les conséquences, c'est-à-dire, selon la définition de la sémiotique, le signe engendra un parcours d'évocations qui est une modalité d'existence. Dès lors nous pouvons comprendre que ne pas nommer, c'est faire disparaître.

Sur la base de la théorie des interprétants de la sémiotique triadique de PEIRCE, nous avons indiqué dans ce travail que nommer une chose, n'est pas lui coller une étiquette mais lui permettre de renvoyer à d'autres choses selon le principe du parcours d'évocations. Ce qui veut dire que ne pas nommer c'est interdire ce parcours d'évocations.

Nous voyons maintenant se dessiner ce que la censure interdit exactement. Dire que le fruit interdit est celui de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, c'est implicitement dire que ce que la censure interdit, c'est la totalité : une omniscience qui est le privilège des dieux. Puisque la catégorie du bien et la catégorie du mal constitue la totalité, cela prouve qu'il n'y a

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pas d'objet doté de neutralité absolue, chaque objet oscille entre le mal et le bien, sinon chaque objet appartient à l'une ou à l'autre catégorie.

Avec toute l'ambivalence du sacré, ce qui est mal dans le récit de la Genèse est la femme qui appartient au monde sacré du jeu, au monde sacré de l'apparence. C'est pour cette raison qu'elle est subordonnée à l'homme pour éviter le déferlement du mal dans le monde profane du travail. Notons que la femme n'est pas le mal en soi, mais c'est cette incursion de l'homme dans le monde sacré du jeu qui est dangereux pour l'homme parce que le monde sacré du jeu divise les objets en utilitaires et en luxes.

Les utilitaires sont ceux qui permettent le travail auquel l'homme est assigné, mais le luxe est ce qui exige le jeu de l'apparence à l'image exacte des bijoux. Et comme pour limiter les dégâts du jeu de l'apparence dans le monde profane de l'utilitaire ou dans le monde profane du travail, il est assigné à la femme, à la suite de la transgression, une fonction utilitaire : enfanter. Le caractère utilitaire de l'enfantement est souligné par l'adverbial « dans la douleur » ; car si ce n'est pas nécessairement utile, la femme se serait encore soustraite à cette fonction « douloureuse ».

Mais le problème est que pour enfanter la femme a besoin de séduire. Une séduction qui se définit comme un détournement de l'utilitaire vers le luxe, vers le jeu. Autrement dit, s'il est accepté que c'est la fonction qui crée l'organe, si la forme masculine se détermine par son aptitude à travailler, par contre la forme féminine se définit par sa capacité à susciter le désir, la convoitise parce qu'elle n'est que jeu d'apparence propre à détourner l'homme du monde du travail, du monde de l'utilitaire.

Ce qui veut dire exactement que la morphologie masculine est de nature transitive. L'homme est un être de travail et il est associé au « faire ». Par contre, la morphologie féminine est réflexive. La femme est associée à « être ». Elle assure une forme de complétude qui instaure le manque du côté du masculin. De ce point de vue « complétude » et « totalité » sont synonymes et c'est pour cette raison que la censure interdit la totalité.

Pour illustrer cette différence, prenons une sémiotique qui prend sa source dans la tradition hellénique. On sait que les jeux olympiques ont pour but de glorifier les dieux par la beauté du corps humain. Mais détail important, le stade olympique est interdit aux femmes parce que la beauté du corps humain doit être l'oeuvre d'un effort individuel caractérisé par la transitivité de l'effort. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, il suffit de se référer au discobole (LANCELOTTI) qui sur le plan anatomique montre la tension de l'effort.

Il a fallu attendre Praxitèle pour que le nu féminin entre dans les moeurs de la cité hellénique, notamment avec la sculpture dite « Aphrodite de Cnide ». La raison de cette censure de la femme des stades s'explique par le fait que la beauté féminine ne s'obtient pas par un modelage à partir de l'effort, mais de manière naturelle, c'est ce qui impose du même coup la réflexivité du corps féminin, autrement dit, sa nature de forme autonymique que décline TODOROV en un principe d'intransitivité :

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« Il en est ici du discours comme de la marche. La marche habituelle a son but en dehors d'elle-même, elle est un pur moyen pour parvenir à un but, et elle tend incessamment vers ce but, sans tenir compte de la régularité ou de l'irrégularité des pas séparés. Mais la passion, par exemple, la joie sautillante, renvoie la marche en elle-même, et les pas séparés ne se distinguent plus entre eux par ceci que chacun rapproche davantage vers un but ; ils sont tous égaux, la marche n'est plus dirigée vers un but, mais a lieu plutôt pour elle-même. Comme de la sorte les pas séparés ont acquis une importance égale, l'envie devient irrésistible, de mesurer et de subdiviser ce qui est devenu identique de nature, de la sorte est née la danse » (TODOROV, [1977] 1991, p. 191).

L'interdit de la censure se précise de plus en plus. Ce qui est intolérable est l'intransitivité qui est du domaine du luxe. La difficulté à parler du corps féminin réside justement dans cette forme d'indicible de l'intransitivité. Par exemple, les jambes d'une femme ne renvoient pas à la marche mais à la danse, et la danse est une exhibition qui provoque la convoitise : le désir de s'approprier le corps de la femme. C'est cette appropriation qui est interdite.

On comprend mieux maintenant pourquoi seul l'homme est condamné au travail puisque la femme est de nature intransitive. Et s'il y a un travail énergique de négation de cette intransitivité dans l'assignation de l'enfantement à la femme, c'est parce que cette intransitivité est aussi le moteur énergique de la séduction : privé de fonction utilitaire, le corps de la femme est donc un luxe destiné au plaisir des sens. Une séduction d'autant plus forte qu'elle est censurée par la fonction utilitaire.

En effet, lorsque l'on s'aperçoit que le corps de la femme n'est pas apte à l'effort physique, c'est-à-dire quand on sait que ce corps n'a pas de but utilitaire, on est obligé de conclure que ses formes épanouies ont d'autres destinations : susciter le désir pour elles-mêmes ; tout se passe donc comme si la femme était destinée au plaisir, la fonction utilitaire n'étant qu'un artefact, un simulacre. Il s'agit là d'une sémiotisation du corps de la femme ; une sémiotisation qui n'est pas de l'ordre du signe arbitraire mais du signe autonymique, qui n'est pas de l'ordre de la dénotation mais de celui de la connotation en termes de linguistique.

C'est-à-dire que cette sémiotique connotative correspond plus exactement au système de renvois caractéristiques de la théorie des interprétants chez PEIRCE. En termes pragmatiques, cette sémiotique connotative consiste à dire que le corps de la femme en même temps qu'il invite à la consommation sexuelle s'affiche également comme un interdit en tant que dilapidation d'énergie en pure perte à cause de l'intransitivité de l'objet du désir. C'est cela l»interdit de la totalité : l'obligation de voir dans le corps de la femme un « autre soi-même » et non un objet du désir.

D'une manière semblable, la position de Beatriz MORAL-LEDESMA à propos de son analyse des sexes de la femme chez la population micronésienne manifeste également cet interdit de la totalité :

« En tant que terme référentiel de la relation la plus importante de la famille la femme (la soeur) est l'objet d'une conceptualisation complexe. Cette femme référentielle se trouve partagée entre deux identités, celle de femme (sexuelle) et celle

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de soeur (femme de famille) qui cohabitent dans le même corps mais qui ne se manifeste jamais en même temps. [...] Cette séparation stricte des identités féminines hébergées par un seul corps, cet éloignement de la femme sexuelle que la soeur doit opérer est une mesure radicale pour éviter l'inceste » (MORAL-LEDESMA, 2000).

Nous devons ajouter à cette remarque en fonction du mécanisme métonymique, l'origine de la théorie du déplacement en psychanalyse : c'est le corps de la femme elle-même qui est un système de renvois métonymiques à son sexe. C'est ce qui explique la radicalisation de la mise sous voile de ce corps dans certaines sociétés musulmanes fondamentalistes.

Il nous semble que la psychanalyse de ce point de vue a tort de caractériser le féminin par l'envie du pénis. Certes, si l'on adopte cette position, la femme est caractérisée par l'absence de pénis comme plénitude ; mais il ne faut pas oublier que c'est le corps même de la femme qui, dans sa plénitude naturelle se présente comme un phallus, donc comme un objet du désir.

En effet, dans les sémiotiques du corps féminin, la présentation oscille entre hyperbolisme ou abolitionnisme. C'est de cette censure et postulation que rend compte cette remarque : « [Ces] les premières représentations féminines associent l'hyperbole vulvaire et l'abolition du visage. » (ROGER, 1987)

Autrement dit, il s'agit d'une monstration de la femme sexuelle au dépens de la femme sociale, ou de la femme-soeur selon l'analyse de MORAL-LEDESMA. Mais ce qui atteste surtout le principe de renvoi métonymique du corps de la femme est le passage suivant :

« J'ai même supposé, naguère, que, dans cette réduction génitale, la femme était fétichisée, vulve ithyphallisée. L'idée paraîtra peut-être moins fantastique si l'on songe que d'autres statuettes, différentes, il est vrai des précédentes, puisqu'elles ne s'inscrivent pas dans un losange, sont manifestement phalliques. Ainsi celle de Mauern, interprétée par Zotz comme une figure androgyne, mais aussi celles de Sireuil et du Lac Trasimène, ainsi que plusieurs figurines sibériennes de Malta et de Bouriet. M. Camus y voit des « vulves ithyphalliques », mais dans une acception différente de la mienne, puisque, dans ces exemples, le phallus émerge en quelque sorte de la vulve, tandis que je prétends, pour les Vénus rhomboïdales, que c'est toute la femme qui est ithyphallisée dans sa vulve. » (ROGER, 1987, p. 184)

Dire que c'est toute la femme qui est ithyphallisée, c'est impliquer que c'est tout le corps de la femme qui devient un objet du désir instaurant de la sorte le manque du côté masculin, contrairement à la psychanalyse qui soutient l'envie du pénis du côté féminin. Cette intuition des iconographes dans l'ityphallisation du corps de la femme montre au moins une chose : elle est en parfaite adéquation avec le mythe de la Bible, à savoir que la condamnation de l'homme au travail se justifie par le fait que le corps de la femme ithyphallisée est inapte au travail. Une inaptitude qui qui engage la femme dans la voie de l'érotisme.

En effet, selon la suggestion de Per Aage BRANDT, il est clair que le véritable sexe, c'est la femme et l'homme n'en est que la catalyse. C'est que nous montre le jeu de l'absence et de la présence du phallus dans le carré sémiotique suivant :

Disjonction

Conjonction

Etre

[présence du phallus]

Non-paraître [Signifiant]

Paraître

[absence du phallus]

Non être

[signifié]

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S'il est admis que le carré sémiotique est un dispositif logique qui permet d'obtenir une conjonction à partir d'une disjonction, autrement dit une logique médiatrice qui a pour fonction de concilier les contraires ; on s'aperçoit de ce carré que c'est la femme qui est le signifiant du sexe et l'homme n'en est que le contenu - sans jeu de mots - Ce qui veut dire exactement, comme le souligne PETITOT, que c'est la relation entre signifiant et le signifié (la cause du désir et non la validité du jugement).

On comprend dès lors pourquoi, le féminin déclenche un parcours d'évocations infinies, une pléthore de significations qui lie latéralement le signifiant « femme » à d'autres signifiants et ainsi de suite indéfiniment comme le stipule la théorie des interprétants dans la sémiotique triadique de PEIRCE. On commence maintenant à bien cerner la censure qui frappe la femme aussi bien dans l'univers linguistique dans l'univers social.

Lorsque nous disons que c'est la totalité que la censure interdit, c'est parce que nous avons, d'abord, une image synecdochique de cette totalité dans le mythe étudié. Ce qui est interdit c'est l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Or, c'est exactement l'ensemble du bien et du mal qui constitue la totalité de ce qui peut arriver à l'homme.

Le bien et le mal est aussi le tragique destin de l'homme puisque dans la beauté féminine se réalise la coïncidentia oppositorum que le Groupe mû considère comme le trait de la poéticité dans la théorie de la médiation (DUBOIS, et al., 1977, p. 82). En effet, il n'est plus à démontrer que le bien et le mal dans la sexualité est la coïncidence de la volupté et de la souillure comme transgression de l'interdit de l'infect : un retour à l'animalité par transgression du mal sacré. FREUD ne nous apprend-il pas que : « (...) est enfin « tabou », au sens littéral du mot, tout ce qui est à la fois sacré, dépassant la nature des choses ordinaires, et dangereux, impur, mystérieux. » (FREUD, [1912]1993, p. 23)

Il nous semble que les trois adjectifs qualifiant le sacré sont extensibles à la femme. La femme ne ressort pas de l'ordinaire puisqu'elle n'appartient pas au monde du travail mais au monde du luxe, du non utilitaire de la catégorie des bijoux. Elle est mystérieuse par la sanction de l'absence du pénis qui fait que son érogénéité est partout et nulle part. Elle est impure naturellement à cause non seulement des menstrues mais aussi de son humidité sexuelle. Autrement dit, il faut admettre également que selon l'ambivalence du sacré - désignant à la

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fois l'interdit vénérable et l'interdit exécrable -, la femme est sacrée en hébergeant sur le même corps le sacré vénérable et le sacré exécrable.

Dans un article qui vise à démontrer que l'idéogramme [se] chinois sur une période diachronique allant jiaguwen (inscriptions divinatoires sur écailles et os datant du XIVème siècle au XIème siècle av. J.C.) au style sigillaire, en chinois xiaozhuan, en passant par le jinwen (inscriptions sur bronze datant du XIème au Vème siècles av. J.C.) qui était courant à l'époque des Han (206 av. J.C.) signifie à la fois couleur et sexualité. Mais le point intéressant dans cet article est l'attestation du caractère impur de la femme :

« En ce qui concerne les caractères péjoratifs, ils ne représentent souvent pas des qualités exclusivement féminines. On ne voit pas, par exemple, pourquoi, sauf

préjugé, des notions telles que duo { J paresseux, nao { J haïr/en

colère, jian crime sexuel, ou pire encore, poisson pourri,

devraient être représentées par des picto-idéogrammes composés de l'élément femme. » (SIAU, 1990)

Nous pouvons multiplier les remarques de ce genre à partir d'autres sources telles que les Voyelles de Rimbaud qui, en deux endroits, associe le féminin au sacré exécrable :

« A, noir corset velu des mouches éclatantes

Qui bombinent autour des puanteurs cruelles » (Strophe 1)

« I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles

Dans la colère ou les ivresses pénitentes » (strophe 2) (RIMBAUD, 1984, p. 91)

On peut prendre ce poème comme un pendant du célèbre tableau intitulé Origine du monde (COURBET, 1886) qui présente l'intimité féminine avec un réalisme inédit en peinture :

Mais, en définitive, il suffit de reconnaître ici que la totalité interdite par la censure est justement cette coexistence du vénérable et de l'exécrable. Le vénérable et l'exécrable relèvent du sacré en ce qu'ils sont interdits de contact afin de les préserver des dangers de contamination : préjudice pour le premier cas, souillure pour le second. Il s'ensuit alors, dans la mesure où la femme cumule les deux sacrés, une troisième forme de la totalité interdite : il n'y a pas d'interdit absolu, chaque interdit appelle sa transgression.

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Autrement dit, l'acte sexuel est interdit parce que c'est une profanation du sacré vénérable puisque la femme est l'origine du monde, en même temps, c'est une non séparation du bien et du mal parce que c'est un contact avec le sacré exécrable. . C'est de cette manière que l'interdit désigne l'objet de l'interdit à la convoitise ou que la censure postule ce qu'elle interdit. Nous retrouvons alors le sens étymologique du verbe séduire (seducere) qui veut dire « détourner du droit chemin ».

Enfin, une dernière interprétation de la totalité se trouve exécutée dans un genre spécifique de poème appelé « blason ». S'il est admis que l'érogénéité du corps féminin est partout et nulle part, on comprend pourquoi le langage est incapable de parler du corps de la femme que dans un morcelé métonymique. Le recours au dictionnaire pour le terme « érogène » est d'une parfaite inefficacité.

Le dictionnaire usuel définit d'érogène une zone dont la stimulation provoque un plaisir sexuel, mais ne nous dit pas pour qui. Ainsi, il convient de définir l'érogène dans un rapport intersubjectif. Ce qui est érogène l'est à la fois pour les deux partenaires. Ensuite, en tenant compte de la différence entre l'homme - qui est un être de travail - et la femme - qui est un être sacré - on s'aperçoit que cette dernière finit par érotiser tout son corps - ithyphallisé - parce que l'interdit le désigne à la convoitise avec toute la volupté de l'angoisse de la transgression.

Pour montrer un exemple de cette totalité érotisée, il n'est que de faire référence à un poète suffisamment connu qu'on peut dire que la teneur de son oeuvre relève de la mémoire collective - sous quelques réserves. Il s'agit de Baudelaire.

Commençons par quelques remarques sur le titre de l'ouvrage : « Fleurs du mal » La première remarque consiste à dire que le titre, souvent, fonctionne comme une matrice à partir de laquelle le texte se développe : « Le modèle que je propose pour la réalisation lexicale du paragramme est donc l'expansion d'une matrice. Étant lexicale, cette expansion se fait sous la forme de mots liés par une grammaire, tandis que Saussure pensait à un paragramme phonétique ou graphémique. Contrairement à la séquence qu'elle engendre, la matrice n'est que sémantique au lieu d'être, elle aussi, lexicale ou graphémique, comme elle le serait dans la conception saussurienne du locus princeps. Au lieu donc de fragments de mots dispersés le long de la phrase, chacun d'eux enchâssé dans un mot de la phrase, nous avons des mots ou des groupes de mots, chacun d'eux enchâssé dans un syntagme dont la construction reflète et extériorise la configuration sémantique interne du mot noyau ou de la donnée sémantique que ce mot actualiserait. » (RIFFATERRE, 1979, p. 78)

La deuxième remarque est que le titre matrice - attribut de la femme selon Baudelaire - reproduit exactement la double sacralité de la femme : à la fois vénérable et exécrable. En effet, cet oxymore obéit au principe de non séparation du bien et du mal qui projette dans l'univers sacré. Si le mal est littéralement manifeste dans ce titre, le bien par contre prend une dimension synecdochique parce que seul un élément de l'ensemble « bien » est désigné : Fleurs.

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Franchissons maintenant une dernière étape. Ce qui est mal doit être l'objet d'un interdit de contact, et même de nomination ; mais comme l'interdit désigne l'objet à la convoitise du fait de cet interdit lui-même, on comprend que l'objet du désir ne soit pas seulement le sexe féminin au sens strict mais tout le corps féminin par déplacement métonymique. Ainsi, quand dans la deuxième strophe du « Le Beau navire », nous avons :

« Quand tu vas balayant l'air de ta jupe large,

Tu fais l'effet d'un beau vaisseau qui prend le large, Chargé de toile, et va roulant

Suivant un rythme doux, et paresseux, et lent. »

Il est évident que sur un plan intertextuel, cette description est l'actualisation d'une matrice qui s'avère être le mot « callipyge » dont l'étymologie grecque signifie tout simplement « belles fesses ». L'argument permettant cette interprétation est qu'un vaisseau prenant le large est vu en poupe.

Cependant, en dépit de ce parcours d'évocation qui érotise le corps féminin, il ne faut pas oublier que la femme est en même temps un être social. Ainsi, face au désordre que provoquerait dans le monde profane du travail, le corps féminin comme foyer de convoitises autotéliques ; se crée la prohibition de l'inceste comme une valeur universelle. Cela n'implique pourtant pas que la femme permise, parce qu'en dehors d'un rapport incestueux, ne soit pas interdite. En fait le véritable interdit, en ce qui concerne notre corpus est cette transgression de la séparation du mal et du bien que l'on retrouve clairement dans le mouvement de l'inhumation pour préserver les vivants de la contamination de la putréfaction de la mort.

Ainsi donc, le véritable sacré est la perte de l'utilitaire qui projette l'homme dans une dépense d'énergie sans compensation en retour que la volupté de transgression du décloisonnement du bien et du mal. C'est en ce sens que le corps de la femme est censure de l'animalité et en même temps sa postulation dans la volupté de la transgression. C'est-à-dire coïncidence de l'animalité de l'humanité, et le parcours d'évocations, à la vision de la nudité féminine, se nourrit de cet interdit.

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11. LA SÉDUCTION RÉSUMÉ

Parler de la séduction revient à opposer le monde du travail et le monde du jeu. Dans le monde du travail, l'effort est transitif ; c'est donc le monde profane de la production. Dans le monde du jeu, il n'est plus question de produire, mais de jouir. C'est ainsi que le monde du jeu est celui de la sacralité par laquelle l'homme s'arrache de sa condition d'humain pour renouer avec la transcendance verticale. Dès lors le ressort de la séduction est de nous détourner du monde du travail pour nous abîmer dans le mode du jeu. C'est ce que nous tentons de démontrer dans cette analyse du mythe de la Genèse.

Mots clés : séduction ; production ; complétude ; manque ; intransitivité ; transitivité ; profane ; sacré.

ABSTRACT

Talk about seduction means to opposite to the world of work and the world of the game. In the world of work, the effort is transitive; Therefore, the profane world of production. In the world of the game, there is no longer question of produce, but to enjoy. Therefore, the game world is that of the sacredness which man pulls out his human condition to reconnect with vertical transcendence. Therefore the spring of seduction is to divert us from the world of work to damage us in the mode of the game. This is what we are trying to demonstrate in this analysis of the myth of Genesis.

Key words: seduction, production, completeness, lack, intransitivity, transitivity, profane, sacred,

En se référant à l'oeuvre de Jean BAUDRILLARD, il paraît que la séduction revient à produire un signe, mais un signe vide. Si cette question est reprise en pragmatique, il s'agit de voir dans quelles conditions s'opère cette vacuité et en quoi consiste dans ce cas l'opérativité de la séduction.

Lorsque l'on dit que la séduction n'est pas dans l'ordre de la loi mais dans l'ordre de la règle c'est parce qu'elle a pour but non pas de transcender une motivation secrète d'organisation du social, mais elle a pour but de jouer sur la règle qui ne connaît que son arbitraire. C'est ainsi que BAUDRILLARD oppose loi et règle : « La règle joue sur un enchaînement immanent de signes arbitraires, alors que la loi se fonde sur un enchaînement transcendant de signes nécessaires » (BAUDRILLARD, 1979, p. 182)

Pour illustrer cet arbitraire absolu de la règle, il n'est que de penser à la règle du jeu d'échec ou du football. Dans le jeu d'échec, il y a des règles de déplacement des pièces qui n'ont aucune motivation que le but poursuivi par le jeu : faire échec et mat au roi en fonction de ces règles. Pareillement, dans le football, l'objectif est de marquer des buts, non pas selon le moyen le plus efficace mais en appliquant des règles. Mais faire échec au roi ou marquer

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des buts n'a de sens qu'en vertu des règles arbitraires qui les promeuvent à l'existence. Autrement dit, nous avons des réalités qui ne peuvent exister que par l'appareillage linguistique qui les définissent. C'est ce que l'on appelle en pragmatique semel-natif ou suis generis, une qualité que l'on attribue aux actes de langage.

C'est ainsi que l'observation des énoncés permet de conclure que leur énonciation vaut pour une « affirmation », une « requête », une « objection », une « déclaration », un « compliment », une « approbation », une « réfutation », etc. ; une « séduction ». Cette performativité généralisée est notée par SEARLE sous la formule F(x) qui résume le fait qu'à tout énoncé « x » est attachée une fonction F qui montre la force illocutoire de l'énonciation de « x ». (SEARLE, [1972] 1996, p. 54 et passim). Par exemple, l'énoncé la terre est ronde a pour force illocutoire une affirmation ; ou encore autre chose selon un contexte plus large. En d'autres termes, cet énoncé accomplit une affirmation, c'est cela sa performativité.

L'arbitraire réside dans le fait qu'il existe, au sein d'une même langue, une infinité de moyens, pour accomplir une affirmation. Le point commun de tous ces moyens est qu'ils imposent au destinataire de la communication une croyance à la vérité de ce qui est dit. Des moyens qui sont définis par l'arbitraire de cette langue.

Il est donc permis de comprendre que la séduction joue sur l'arbitraire que la femme produit par détournement de l'utilitaire dans le domaine du jeu. C'est de cette manière que la femme se pose en objet de valeur qui provoque un manque chez le sujet de quête qu'est l'homme. En effet, ce qui fait la différence entre le jeu et le travail, c'est que ce dernier a un but extérieur à lui. Dès lors, qu'importe la manière de travailler, l'important c'est ce but externe. En revanche dans le jeu, il n'y a d'autre but que le jeu, le plaisir de jouer quel que soit l'enjeu de ce jeu. C'est en cela que le jeu est séduisant parce qu'il est intransitif : il ne vaut que par la règle arbitraire du jeu.

La séduction féminine provient de l'attrait de l'interdit, tout d'abord le corps est fait pour le travail pour en jouir des résultats ; mais le corps de la femme a en plus cette faculté de nous détourner du monde du travail pour nous abîmer dans le monde de la jouissance, c'est cela la première forme de totalité interdite. Ensuite, ce monde de la jouissance immédiate est aussi celui des oeuvres d'art qui se définissent par leur complétude. Mais comment caractériser la complétude ?

On peut caractériser la complétude comme quelque chose qui ne connaît pas le manque. Sur ce plan, nous savons que la logique narrative fait naître le récit à partir d'un manque et a pour but de le liquider. Autrement dit, la complétude a pour mission de nouer les deux contraires ou les deux oppositions. Pour reprendre un récit exemplaire qui a donné naissance à la théorie sémantique, reprenons le conte populaire russe où l'annonce par le roi du rapt de la princesse engage le processus qui va la ramener au palais. Mais antérieurement à cet algorithme narratif, nous avons une présentation assez convaincante de la complétude chez ARISTOTE :

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« La limite fixée à l'étendue en considération des concours dramatiques et de la faculté de perception des spectateurs ne relève pas de l'art ; car s'il fallait présenter cent tragédies, on mesurerait le temps à la clepsydre, comme on l'a fait dit-on quelque fois. Par contre la limite conforme à la nature même de la chose est celle-ci : plus la fable a d'étendue, pourvu qu'on en puisse saisir l'ensemble, plus elle a la beauté que donne l'ampleur, et, pour établir une règle générale, disons que l'étendue qui permet à une suite d'événements, qui se succèdent suivant la vraisemblance ou la nécessité, de faire passer le héros de l'infortune au bonheur ou du bonheur à l'infortune, constitue une limite suffisante. » (1451a) (ARISTOTE, Poétique, 1985, p. 41)

De ce point de vue, et pour prendre un raccourci, disons que cette temporalité close de la narrativité qui donne aux choses sa complétude. Autrement dit, la complétude du côté féminin provient du fait que son corps affiche la totalité en parcourant la distance qui sépare et noue en même temps le travail et l'érotisme. PLATON définit l'érotisme à partir de la notion de manque par son origine parentale, son père est l'abondance (Poros) et sa mère est la pénurie (Penia) ou la pauvreté. (PLATON, 2011). Ce qui veut dire encore que l'érotisme prend naissance à partir d'un manque pour parvenir à l'abondance, c'est-à-dire, atteindre la totalité interdite.

Dès lors, il faut comprendre que la totalité interdite est aussi celle du noeud qui noue et sépare en même temps la pauvreté et l'abondance. En considérant maintenant que l'érotisme concerne les êtres sexués, notamment les êtres humains, cette dernière remarque nous amène vers un mythe qui relève de la littérature universelle : le mythe de la faute originelle.

Pour guider notre lecture de ce mythe, présentons d'abord l'algorithme narratif qui va permettre son intelligibilité :

« Un récit idéal commence par une situation stable qu'une force quelconque vient perturber. Il en résulte un état de déséquilibre ; par l'action d'une force dirigée en sens inverse, l'équilibre est rétabli ; le second équilibre est semblable au premier mais les deux ne sont jamais identiques. » (TODOROV, Poétique de la prose, Choix, suivi de nouvelles recherches sur le récit, 1971-1978, p. 50)

Cet algorithme est d'une très grande généralité, il est même à l'origine du passage du protolangage (caractéristique de la plupart des mammifères supérieurs) vers le langage pour l'espèce humaine et définit du même coup cette humanité. C'est ce que souligne Bernard VICTORRI en ces termes :

« Notre thèse peut alors se résumer de la manière suivante. Pour échapper aux crises récurrentes qui déréglaient l'organisation sociale, nos ancêtres ont inventé un mode inédit d'expression au sein du groupe : la narration. C'est en évoquant par la parole les crises passées qu'ils ont réussi à empêcher qu'elles se renouvellent. Le langage humain s'est forgé progressivement au cours de ce processus, pour répondre aux besoins nouveaux créés par la fonction narrative, et son premier usage a consisté à établir les lois fondatrices qui régissent l'organisation sociale de tous les groupes humains. » (VICTORRI, 2002)

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C'est à ce double titre de l'algorithme narratif, à la fois une grille de lecture et acte de langage, que nous allons entamer la lecture de la Genèse dans sa composante de la faute originelle.

La situation stable initiale est sous le signe de l'abondance : toute la nature du jardin d'Eden est à la disposition du premier couple. Ensuite, la force qui vient perturber cet équilibre est la transgression de l'interdit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Quelle sera donc la force dirigée en sens inverse pour rétablir l'équilibre ?

En effet, il faut se rendre compte que le déséquilibre provoqué par cette transgression est une modification de la propriété de la terre. Si avant elle donnait l'abondance au premier couple, maintenant, elle est devenue ingrate. En conséquence, la force dirigée en sens inverse pour l'équilibre est la condamnation de l'homme au travail.

Tout se passe donc comme si cette logique narrative ne concernait pas la femme. Le seul élément de réponse dont nous disposons est la nature de la punition de la femme : tu enfanteras dans la douleur. Alors, nous ne pouvons que conclure à une structure de récits emboîtés l'un sur l'autre. Nous proposons de la sorte que le premier récit, celui qui enchâsse le second, est celui de l'homme condamné au travail pour retrouver l'équilibre initial, avec cette spécification que les deux équilibres ne sont pas identiques mais seulement semblables.

Qu'en est-il donc du récit enchâssé ?

Nous constatons qu'à l'initial du récit, l'homme et la femme bénéficient pareillement de l'abondance de la nature, mais ils n'ont pas le même statut. Disons que dans ce rapport l'homme est l'élément neutre, non marqué et la femme le terme marqué de l'opposition. Ce qui justifie cette distribution est une spécification de la femme. Elle ne fut pas créée pour elle-même mais pour être la compagne d'Adam :

« L'homme donna donc un nom aux animaux domestiques, aux animaux sauvages et aux oiseaux. Mais il ne trouva pas l'aide qui est capable d'être son partenaire. Alors le Seigneur Dieu fit tomber l'homme dans un profond sommeil. Il lui prit une côte et referma la chair à sa place. Avec cette côte le Seigneur fit une femme et le conduisit à l'homme. En la voyant celui-ci s'écria : « Ah ! Cette fois voici un autre moi-même, qui tient de moi par toutes les fibres de son corps. On la nommera compagne de l'homme, car c'est de son compagnon qu'elle fut tirée. » » (Bible, Genèse, 1982, pp. 2, 20-23)

Rappelons qu'en linguistique, il faut entendre par terme non marqué, le terme qui ne présente pas de particularité et, par terme marqué, celui qui est compris par dérivation du premier. C'est ce que résume l'expression « autre moi-même » dans le passage ci-dessus. Ce qui nous permet de dire que l'histoire du terme marqué est incluse dans celle du non marqué.

En reprenant l'algorithme narratif, l'indice qui va rendre possible la reconstitution du récit de la femme, le récit enchâssé, est la nature de sa punition. On peut en toute logique admettre que les deux ont transgressé le même interdit, mais pas de la même manière parce que les punitions ne sont pas identiques.

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Selon l'algorithme narratif, une force dirigée en sens inverse rétablit l'équilibre, mais l'équilibre final n'est jamais identique à l'équilibre initial mais lui est seulement semblable. Autrement dit, si la punition de la femme est d'enfanter dans la douleur, c'est que logiquement sa faute est relative à cette punition. On peut comprendre qu'avant la faute, la situation est telle que la femme jouit de la même manière de la prodigalité de la nature dans le jardin d'Éden. Ce qui signifie qu'ils sont à l'abri des besoins matériels avant la faute à cause de la bienveillance que leur accorde leur Dieu.

Suite à la transgression de l'interdit, cette prodigalité de la nature cessa et l'homme est obligé de travailler pour vivre. La femme n'a pas subie la même condamnation parce que le rôle que Dieu lui a assigné est d'être la compagne de l'homme. C'est-à-dire que l'homme se trouve dans une situation de manque et que c'est la femme qui, selon la logique narrative, doit combler ce manque.

Dans cette fonction de la femme nous retrouvons une partie de la propriété d'Éros : la pénurie, mais cette pénurie est du côté de l'homme et non de la femme. Symétriquement, nous savons que l'autre partie qui donne à Éros son unité est l'abondance qu'il recevait de son père, cette abondance est donc du côté de la femme. Une abondance que confirme depuis toujours et actuellement le morcellement métonymique infini du corps de la femme dans un genre discursif précis : le blason du corps féminin. Ce qui veut dire très clairement que la faute de la femme est de s'être constituée en corps érotique pour l'homme comme le souligne cette réflexion de Bataille : « La « figure attrayante de l'érotisme » est la même pour les hommes que pour les femmes, c'est la « nudité féminine » » (LEMELIN J. M., 1996)

C'est ce qui explique la nature de la punition de la femme. On peut accepter qu'en général et en moyenne, l'érotisme aboutisse à l'acte sexuel et que la conséquence de cet acte est l'enfantement. Autrement dit, la femme est punie ce par quoi elle a pêché.

En résumé, le parcours général des récits thématise l'érotisme ou la séduction. Mais l'homme et la femme dans ce parcours ont un itinéraire symétriquement inverse. Si l'homme part du manque vers sa liquidation, la femme caractérisée par son abondance érotique se donne à l'homme.

Pour continuer, embrayons maintenant vers la pragmatique pour confirmer cette hypothèse que la séduction féminine a pour base l'érotisme qui ajoute à la fonction mécanique du corps sa plastique comme forme de beauté qui s'élève en objet de quête. En définitive, si la virilité masculine assigne à l'homme le travail, en revanche la féminité désigne la femme à la convoitise par instauration d'un manque du côté de l'homme. La première remarque qui s'impose à l'observation est que la beauté est quelque chose d'indicible. C'est cette propriété qui justifie l'intervention de la pragmatique dans ce travail. Reprenons les choses en ce qui nous intéresse.

Dans un premier temps, la thèse la plus admise en matière de science des signes est la transparence de ces derniers. Tout se passe comme si la fonction du signe était seulement de

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désigner son référent. C'est une thèse qui consiste à faire du langage une tautologie du réel. C'est la position générale qui se situe dans le sillage de SAUSSURE.

La première brèche à cet édifice saussurien est la découverte de la relativité linguistique au-delà du concept de l'arbitraire du signe. La thèse de l'arbitraire du signe peut se résumer en ceci : le même référent est désigné par des signifiants divers selon les langues. L'inconvénient majeur de cette thèse est de nous faire croire que les signes linguistiques ne sont que des étiquettes que l'on attache à des référents. La relativité linguistique connue sous le nom de thèse Sapir-Whorf, noms des linguistes qui ont procédé à sa mise à jour, stipule que le même référent est désigné par des signifiants numériquement différents entre les langues ou, au sein d'une même langue, numériquement différent selon la communauté. Ainsi, dans la langue malgache, la communauté d'éleveurs à plus d'une centaine de lexique pour désigner la robe d'un zébu, en fonction de la forme de l'animal, de la couleur de sa robe, des interdits relatifs à ces animaux, etc. alors que pour le citadin, un zébu est noir, blanc, ou rouge. C'est à-dire monochromatique.

Bien que GREIMAS ne fasse pas de lien entre la relativité linguistique et sa position en ce qui concerne la théorie des référents, nous croyons que l'expression la plus aboutie de cette relativité linguistique est consignée dans la remarque selon lequel le monde extralinguistique n'est pas un référent ultime :

« Il suffit pour cela de considérer le monde extralinguistique non plus comme un référent « absolu » ; mais comme le lieu de la manifestation du sensible, susceptible de devenir la manifestation du sens humain, c'est-à-dire de la signification pour l'homme, de traiter en somme le référent comme un ensemble de systèmes sémiotiques plus ou moins explicites ». (GREIMAS, 1970, p. 52)

Ce qui veut dire que le mouvement de la référence ne s'arrête jamais au réel mais le traverse pour embrayer dans la relation intersubjective que l'on appelle acte de langage dans un système de renvois à l'infini comme le précise la théorie des interprétants chez PEIRCE :

« Un signe ou representamen est un premier qui entretient avec un second appelé son objet, une relation triadique si authentique qu'elle peut déterminer un troisième, appelé son interprétant, à entretenir avec son objet la même relation triadique qu'il entretient lui-même avec ce même objet. [...] Le troisième doit certes entretenir cette relation et pouvoir par conséquent déterminer son propre troisième. [...] Tout ceci doit être vrai des troisièmes du troisième et ainsi de suite indéfiniment ; [...] » (PEIRCE C. S., 1979, p. 147)

Pour rester dans le registre de notre exemple relatif à la relativité linguistique, parlons d'un zébu appelé « volavita » à cause de sa robe pie noire. Ce type de zébu est l'animal par excellence chez les Malgaches pour faire des offrandes à Dieu afin de lui demander d'accorder sa bienveillance aux hommes. On comprend alors que le signifiant (representamen dans le vocabulaire de PEIRCE) renvoie à l'animal par l'intermédiaire de cette cérémonie d'offrande (interprétant) qui implique toute la vie sociale des Malgaches sous la perspective des transcendances verticale et horizontale. Il est évident qu'il est vain d'énumérer les éléments de cette vie sociale en tant qu'interprétants parce qu'ils sont infinis.

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De ces remarques, nous en concluons que les signes linguistiques ne se contentent pas de désigner leur référent, mais ils montrent quelque chose de leur locuteur. Nous retrouvons alors la définition de la pragmatique. Rappelons pour mémoire que l'étude du rapport des signes entre eux s'appelle la syntaxe, le rapport des signes avec l'univers sémantique relève de la sémantique et quand on étudie le rapport des signes à leur locuteur, on fait de la pragmatique.

Il est devenu courant, depuis la performativité généralisée de dire que l'acte de langage ne fait pas l'objet d'une mention mais il est seulement montré : « Interpréter un énoncé, c'est y lire une description de son énonciation. Autrement dit, le sens d'un énoncé est une certaine image de son énonciation, image qui n'est pas l'objet d'un acte d'assertion, d'affirmation, mais qui est, selon l'expression des philosophes anglais du langage, «montrée» : l'énoncé est vu comme attestant que son énonciation a tel ou tel caractère (au sens où un geste expressif, une mimique, sont compris comme montrant, attestant que leur auteur éprouve telle ou telle émotion) ». (DUCROT, 1981, p. 30)

Pour illustrer, nous allons prendre un exemple, si quelqu'un nous dit : La terre est ronde ; on conclut que l'acte de langage qui s'accomplit dans cette énonciation est une affirmation. En effet, la reconstruction du préfixe performatif dans le sens de cette énonciation permet de mettre cela en évidence : J'affirme que la terre est ronde.

Il suffit d'ajouter que ce n'est pas uniquement la production de signe linguistique qui permet d'accomplir un acte de langage pour permettre à la séduction d'être traitée par la pragmatique. D'autres sémiotiques, en effet, peuvent aussi y subvenir comme le montre l'exemple suivant.

Quand pour faire croire, aux éventuels cambrioleurs, une présence dans la maison ; le résident peut laisser les lumières et le poste téléviseur allumés.

Dans cette perspective, il n'est pas inutile de rappeler que toutes sémiotiques ne peuvent être intelligibles que par la prise en charge de moyen linguistique, il en est ainsi particulièrement des signes indiciels comme les empreintes laissées sur les berges du Nil, lors de la décrue, ont permis jadis, aux Égyptiens, de créer les hiéroglyphes.

Nous sommes loin de la position de SAUSSURE pour qui la sémiologie est l'étude de la vie des signes au sein du social et la linguistique n'en n'est qu'un territoire (SAUSSURE, [1972] 1982, p. 33). À juste titre, BENVENISTE rétorque à cette affirmation que la linguistique est le modèle de toute sémiotique :

« Les rites symboliques, les formes de politesse sont-ils des systèmes autonomes ? Peut-on vraiment les mettre au même plan que la langue ? Ils ne se tiennent dans une sémiologique que par l'intermédiaire d'un discours : le « mythe », qui accompagne le « rite » ; le « protocole » qui règle les formes de politesse. Ces signes, pour naître et s'établir comme système, supposent la langue, qui les produit et les interprète. » (BENVENISTE, [1974] 1981, p. 50)

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Cette dernière remarque nous permet de poser de manière désambigüisée la sémiotique de la séduction à partir d'une prise en charge de la langue. Pour autant, il faut reconnaître que la séduction est avant tout un code visuel qui se base sur le corps féminin comme signe produit par la femme (en fonction d'une proxémique et de l'habillement).

Une relecture des travaux de GREIMAS confirme cette position hiérarchiquement supérieure de la langue par rapport aux autres sémiotiques. En outre la formulation pose clairement que le langage est un instrument d'appropriation et de modélisation de la réalité comme nous allons tenter de le faire dans cette question de la séduction :

« La perspective greimassienne sur la cognition permet de postuler que le mode narratif traite des informations sensorielles et les organise en structures narratives par l'entremise d'un « parcours génératif ». Ce mode constitue un trait fondamental de l'esprit et peut être considéré comme une extension de l'expérience sensorielle dans le domaine de la pensée abstraite » (DANESI & PERRON, 1996, p. 153)

C'est ce parcours génératif narrativisé que nous allons essayer de reconstruire dans ce travail afin de préciser au-delà de son intuition la notion d'apparence chez BAUDRILLARD. En effet, la réflexion de cet auteur semble tendre à nous faire comprendre que la séduction s'appuie sur la surface comme si la pure apparence est un signifiant sans signifié, ou selon son expression « un signe vide » :

« Qu'est-ce qui séduit dans le chant des Sirènes, dans la beauté d'un visage, dans la profondeur d'un gouffre, dans l'imminence de la catastrophe, comme dans le parfum de la panthère ou dans la porte qui s'ouvre sur le vide? Une force d'attraction cachée, la puissance d'un désir? Termes vides. Non: la résiliation des signes, la résiliation de leur sens, la pure apparence. Les yeux qui séduisent n'ont pas de sens, ils s'épuisent dans le regard. Le visage maquillé s'épuise dans son apparence, dans la rigueur formelle d'un travail insensé. Surtout pas un désir signifié, mais la beauté d'un artifice. » (BAUDRILLARD, 1979, p. 107)

C'est ici qu'il nous faut recourir aux armes de la pragmatique pour mieux comprendre ce que c'est la résiliation des sens.

À force d'avoir voulu avec SAUSSURE déduire le signe de la combinaison d'un signifiant et d'un signifié, et le signe ainsi obtenu sert à désigner un objet du monde, on oublie trop souvent qu'il existe une sémiotique des objets naturels dont le propre est résumé par LAFONT en ces termes :

« L'hominisation de l'espèce commence lorsque l'individu se sert d'un objet pour en modifier un autre en vue d'une action que ce second assume: lorsque le chasseur modifie la forme d'un caillou pour en faire une arme contre un gibier éventuel. Éventuel: il faut bien, dans l'opération de fabrication d'un instrument, qu'un troisième objet soit absent et remplacé par son image. La "certitude sensible" nécessaire au travail est prise en charge par la représentation. Un langage qui relaie le geste déictique est là pour épouser le mouvement de naissance de l'activité sémiotique. Le sens surgit. C'est ce sens que nous lisons quand nous interprétons comme instrument la modification non accidentelle d'un silex: le signe d'une activité qui opère dans l'absence de son objet. » (LAFONT, 1978, p. 19)

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Si donc, il est accepté que le support de la séduction est le corps féminin, il s'agit bien d'une sémiotique du monde naturel, avec cette différence près que le corps de la femme, avec ou sans artifice, diffère éternellement du corps masculin par sa possibilité de résilier le travail (et/ou la guerre) de par sa fragilité ; dès lors, force est de chercher à quoi peut servir un corps qui n'est pas doué pour le travail. C'est ainsi que l'on s'aperçoit que ce corps résilie le sens (du travail) au profit de l'exhibition de la même manière qu'un bijou résilie le sens en tant que produit pour assumer la fonction de parure.

Pour s'exprimer sans artifice, on peut dire que si les jambes d'un homme se définissent par sa puissance motrice en vue du travail, par contre celle d'une femme se définit par l'exhibition. C'est la raison pour laquelle, le corps de la femme, dans certains pays du monde doit être caché dans des vêtements spécifiques institutionnalisés. C'est ce que nous appelons dans ce travail l'intransitivité d'une forme. C'est-à-dire qu'il s'agit d'une forme dont l'utilité pratique n'est pas dans le travail qu'elle permet d'accomplir mais dans la jouissance qu'elle suscite pour elle-même. C'est cela l'intransitivité, une forme qui ne relève pas de l'ordre de la production mais de l'ordre du jeu avec ses règles rituelles qui relèvent de l'arbitraire.

Roman JAKOBSON définit la fonction poétique par cette intransitivité ou plus précisément par cette réflexivité de la forme sur elle-même : « La visée (Einstellung) du message en tant que tel, l'accent mis sur le message pour son propre compte est ce qui caractérise la fonction poétique. » (JAKOBSON, 1981, p. 218)

C'est ce que nous dit avec son propre style TODOROV dans le passage suivant :

« Il en est ici du discours comme de la marche. La marche habituelle a son but en dehors d'elle-même, elle est un pur moyen pour parvenir à un but, et elle tend incessamment vers ce but, sans tenir compte de la régularité ou de l'irrégularité des pas séparés. Mais la passion, par exemple, la joie sautillante, renvoie la marche en elle-même, et les pas séparés ne se distinguent plus entre eux par ceci que chacun rapproche davantage vers un but ; ils sont tous égaux, la marche n'est plus dirigée vers un but, mais a lieu plutôt pour elle-même. Comme de la sorte les pas séparés ont acquis une importance égale, l'envie devient irrésistible, de mesurer et de subdiviser ce qui est devenu identique de nature, de la sorte est née la danse » (TODOROV, [1977] 1991, p. 191)

C'est cela l'érotisme, une attraction de la forme féminine qui nous plonge dans l'univers du jeu rituel par opposition au travail qui vise la production. Autrement dit, la séduction relève de la consommation et non de la production, donc de la dilapidation du fruit du travail comme en témoigne la parure des femmes. Ce qui veut dire en définitive que fonction poétique et séduction sont une seule et même chose. Prenons le match de foot pour un exemple plus explicite. Le match de foot n'est pas une production mais un jeu, avec tout l'arbitraire des règles du jeu, mais on dirait que c'est toute la planète entière qui investit dans ce jeu mais dont les spectateurs ne sont motivés que par la passion du jeu pour le jeu pour laquelle ils sont prêts à tous les sacrifices, surtout financiers.

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Nous voyons maintenant comment le mythe de la genèse a pour matrice sémantique l'interdit qui désigne à la convoitise l'objet de l'interdit. En effet, la punition d'Adam est une promulgation d'une loi selon laquelle il faut travailler pour vivre alors que la punition d'Ève est une attestation du jeu comme transgression de cette loi.

Maintenant la question qui va nous guider peut se résumer en ceci : comment Ève opère-t-elle la transgression de cet interdit ?

Nous savons que l'essence de la pragmatique est l'acte de langage et que cet acte se mesure dans un rapport interlocutif, alors pour répondre à cette question, nous allons émettre l'hypothèse suivante qui fait la force de la pragmatique : toute production d'énoncé a pour but de modifier un rapport intersubjectif suivant en cela Jean-Claude ANSCOMBRE qui nous apprend qu'il existe : « Un principe conversationnel général qui est que l'on ne parle pas pour ne rien dire ni pour ne rien faire. » (ANSCOMBRE, 1980, p. 87)

Ce qui veut dire que nous pouvons analyser dès le départ l'interdiction du récit de la Genèse qui porte sur l'arbre de la connaissance du bien et du mal à travers l'implicite dont voici l'approche de DUCROT : « Le problème général de l'implicite, [tel qu'il a été présenté dans les premières pages], est de savoir comment on peut dire quelque chose sans accepter pour autant la responsabilité de l'avoir dit, ce qui revient à bénéficier à la fois de l'efficacité de la parole et de l'innocence du silence. » (DUCROT, 1972, p. 12)

L'objet de l'interdit est nommé « arbre de la connaissance du bien et du mal ». À cette époque de l'interdiction, l'homme ne travaillait pas, il vivait de la générosité de la nature : il consommait du fruit des arbres du Jardin d'Éden, mais déjà, il lui était interdit de manger le fruit de l'arbre qui se trouve au centre du jardin. Le texte se refuse à nommer autrement cet arbre. Cependant, il nous donne des indices qui permettent d'identifier cet arbre. C'est cela la loi de l'implicite, impliquer dans le discours une énigme à résoudre de telle manière qu'il y a adhésion à l'énonciation à la découverte de la solution. La raison de ce langage énigmatique est qu'il y a des choses que l'on ne peut pas dire mais seulement montrer.

Dans un article original, BENVENISTE nous montre le fonctionnement du tabou linguistique. Certains mots de la langue sont interdits de prononciation afin de préserver la face des locuteurs. (BENVENISTE, [1974] 1981) Notons tout de suite qu'il n'y a pas d'interdit absolu. Tout interdit appelle sa transgression. Parmi les interdits linguistiques les plus forts se trouve le champ lexical du sexe, il s'agit là d'un interdit universel. Nous pouvons résumer ces tabous linguistiques par la notion de censure et postulation, ce que la censure interdit, elle la postule en même temps.

Ce qui nous permet d'affirmer que le texte de la Genèse est une censure et postulation du sexe féminin, la subtilité du texte de la Genèse consiste éviter à parler du sexe tout en le laissant entendre selon une logique implacable.

Tout d'abord, au moment où il n'y avait qu'Adam seul, le concept de sexe ne peut pas exister pour la simple raison qu'il n'y a pas de fonctionnement sexuel. Par ailleurs, il faut

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admettre avec DERRIDA que les choses n'existent pas en soi mais par la trace des autres en lui :

« Il s'agit de produire un nouveau concept d'écriture. On peut l'appeler gramme ou différance. Le jeu des différences suppose en effet des synthèses et des renvois qui interdisent qu'à aucun moment, en aucun cas, un élément simple soit présent en lui-même et ne renvoie qu'à lui-même. Que ce soit dans l'ordre du discours parlé ou du discours écrit, aucun élément ne peut fonctionner comme signe sans renvoyer à un autre élément qui lui-même n'est pas présent. Cet enchaînement fait que chaque "élément " - phonème ou graphème - se constitue à partir de la trace en lui des autres éléments de la chaîne ou du système. Cet enchaînement, ce tissu, est le texte qui ne se produit que dans la transformation d'un autre texte » (DERRIDA, [1972] 1982, p. 37).

En tenant compte que les mythes ont pour mission de nous raconter comment les choses se sont passées pour la toute première fois, nous pouvons dire que sous l'isotopie sylvestre se cache une isotopie sexuelle. En effet, ce texte est une révélation du sexe. Pour preuve, le premier couple humain s'est aperçu de sa nudité après la consommation du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal.

Mais le sexe ne se serait jamais révélé sans la création d'Ève. C'est le sens de l'exclamation « Ah ! Cette fois, voilà un autre moi-même », l'autre moi-même est un être à la fois identique et différent, et la différence est de nature sexuelle. C'est pour cette raison du mythe qu'il n'y a qu'un seul sexe comme le précise le passage suivant : « On peut faire l'hypothèse que le féminin est le seul sexe, et que le masculin n'existe que par un effort surhumain pour en sortir. Un instant de distraction, et on retombe dans le féminin. Il y aurait un privilège définitif du féminin, un handicap définitif du masculin. » (BAUDRILLARD, 1979, p. 30)

En outre, il faut constater que le fruit défendu était apparu pour la première fois à Ève par la médiation du serpent, mais en tenant compte de la disproportion des punitions de la transgression, on s'aperçoit très vite que l'arbre au fruit défendu n'est qu'une métaphore de la femme qui est le véritable sexe. Ce qui est défendu, c'est le sexe féminin, on comprend alors pourquoi la punition de la femme est d'enfanter dans la douleur.

Par contre l'homme qui a le droit de manger le fruit de tous les arbres du jardin sauf justement le fruit de l'arbre-femme est condamné à la production parce que chez lui, la transgression est un choix délibéré entre le fruit de la production et le fruit de la passion séduction que lui a offert Ève. Dès lors nous retrouvons littéralement une isotopie de l'interdit de la totalité.

Pour Adam, l'interdit de la totalité est celui qui l'empêche de manger le fruit de l'arbre-arbre et le fruit de l'arbre-femme. Pour Ève, l'interdit de la totalité est d'être à la fois un corps physique pour la production et en même temps être un corps sexuel pour la consommation

Pour le sexe, d'une manière générale, l'interdit de la totalité est de savoir qu'il s'agit en même temps d'un organe pour le fonctionnement métabolique et en même temps pour le

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fonctionnement érotique. Pour le corps féminin, les artifices de la beauté dans la parure sont en même temps une censure et une postulation du corps féminin.

Enfin, l'interdit de la totalité est aussi cette fusion du masculin et du féminin dans la passion amoureuse.

Pour terminer, il n'est que de constater cette singulière coïncidence entre les textes de la Bible qui fait de la femme un être pour l'homme et de la remarque suivante de BAUDRILLARD : « Ce qui séduit n'est pas tel ou tel tour féminin, mais bien que c'est pour vous. » (1979, p. 96).

C'est ce qui nous ramène vers KANT en ce que la beauté d'une femme et d'un bijou sont une seule et même chose :

« Or, dit Kant, si juger une chose belle est indépendant de la détermination de sa fin éventuelle, de son utilité, du besoin physique ou moral auquel elle répond, alors sa forme, dans un tel jugement, est appréhendée sans considération d'une fin. [...]. La finalité sans fin, c'est la manière dont une chose nous apparaît, sans référence à une fonction ou à un modèle général, comme ayant une unité propre, tout à fait singulière : ce que la tradition la plus ancienne exprime par la notion d'harmonie. » (KANT, 2009).

C'est ce qu'illustre littéralement l'adjectif « callipyge » qui veut dire littéralement « belles fesses », autrement dit, une finalité sans fin. On peut dire que la fonction de cette partie du corps est de permettre de s'asseoir, mais à cause de sa beauté chez les femmes, elle s'inscrit également dans le registre de la finalité sans fin, c'est-à-dire dans le registre de la séduction. C'est cela également l'interdit de la totalité.

Le poids de cet interdit est tel qu'il semble être un déni de l'humanité par retour à l'animalité si bien que même les textes qui veulent les transgresser ne peuvent le faire que sous le couvert de l'implicite.

Travaux cités

ANSCOMBRE, J.-C. (1980). "Voulez-vous dérivez avec moi? Communications, 32, Les actes de Discours, pp. 61- 124.

ARISTOTE. (1985). Poétique. Paris: Les Belles Lettres. BAUDRILLARD, J. (1979). De la séduction. Paris: éditions Galilée.

BENVENISTE, E. ([1974] 1981). La blasphémie et l'euphémie. Dans E. BENVENISTE, Problèmes de linguistique générale, 2 (pp. 254-257). Paris: Gallimard.

BENVENISTE, E. ([1974] 1981). Problèmes de linguistique générale, 2. Paris: Gallimard.

Bible. (1982). Genèse. Dans Bible, Bible, Ancien et Nouveau Testament (pp. 5-63). Paris: Société biblique française.

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DANESI, D., & PERRON, P. (1996). Sémiotique et Sciences cognitives. Récupéré sur Zotero: http://www.chass.utoronto.ca/french/as-sa/ASSA-No1/PPMD1/html

DERRIDA, J. ([1972] 1982). Positions. Paris: aux éditions du minuit.

DUCROT, O. (1972). Dire et ne pas dire, Principes de sémantique linguistique. Paris: Hermann. DUCROT, O. (1981). Analyses pragmatiques. Les actes de discours, Communications 32., pp. 11-60. GREIMAS, A. J. (1970). Du sens, Essais de sémiotique,1. Paris: Seuil. JAKOBSON, R. O. (1981). Essais de Linguistique générale,1. Paris: Editions de minuit.

KANT. (2009, 5 29). KANT, Troisième moment, une finalité sans fin . Récupéré sur Dacodoc: http://www.dacodoc.fr/kant-troisieme-moment-finalite-fin-398841.html

LAFONT, R. (1978). Le travail et la langue. Paris: Flammarion.

LEMELIN, J. M. (1996). L'expérience ou l'évènement tragique. Consulté le août 17, 2013, sur https://www.google.mg/#bav=on.2,or.r_qf.&fp=d6bc00e82892d683&q=lemelin+:+exp%5E% C3%A9rience+t+%C3%A9v%C3%A9nement+tragique: www.ucs.mun.ca/~lemelin/EVENEMENT.html

PEIRCE, C. S. (1979). Ecrits sur le signe. (G. DELEDALLE, Trad.) Paris: Seuil.

PLATON. (2011, Septembre 21). Le Banquet de Platon. Récupéré sur Atramenta: http://www.atramenta.net/lire/le-banquet/35181/1#oeuvre_page

SAUSSURE, d. F. ([1972] 1982). Cours de Linguistique Générale. Paris: Payot.

SEARLE, J. R. ([1972] 1996). Les actes de langage, Essai de philosophie du langage. Paris: Herman , Editeurs des Sciences et des arts.

TODOROV, T. ([1977] 1991). Théories du symbole. Paris: Seuil.

TODOROV, T. (1971-1978). Poétique de la prose, Choix, suivi de nouvelles recherches sur le récit. Paris: Seuil.

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12. LA DÉLOCUTIVITÉ DU SAOTSA : AGIR PHYSIQUE DEVENU AGIR LINGUISTIQUE

RÉSUMÉ

Chez BENVENISTE, le délocutif se trouve être un rapport de dire. ANSCOMBRE et DUCROT contestent cette définition restrictive et voient dans le délocutif une dimension performative. Mais le propre de la performativité est de suspendre la référence extralinguistique au profit de la sui-référentialité. Ce qui veut dire que la délocutivité est une conversion d'un agir physique vers un agir linguistique. C'est le cas précis du « saotsa » qui désigne une offrande aux divinités et le verbe « misaotra » qui sert à accomplir un acte de langage.

Mots clés : « saotsa », merci, performativité, délocutif, rapport interlocutif, agir.

ABSTRACT

In BENVENISTE, the delocutive is found be a report said. ANSCOMBRE and DUCROT challenge this restrictive definition, see the delocutive a performativity dimension. But the hallmark of the performative is to suspend the extralinguistic reference to the benefit of the sui-referentiality. Which means that the delocutivite is a conversion from physical Act to a linguistic act. This is the case of the verb 'saotsa' which means an offering to the deities and the «misaotsa» verb which is used to perform an act of language.

Key words: « saotsa », thanks, performativity, delocutive, interlocutive report, acting.

Le principe fondamental de l'agir linguistique initié par les travaux d'AUSTIN ([1962]1970) a permis à ANSCOMBRE et DUCROT de revoir la notion de verbes délocutifs mis à jour par BENVENISTE. La révision importante est dans l'introduction de la performativité dans le délocutif, c'est ce qui explique le titre de ce travail: la dérivation délocutive convertit un agir physique en un agir linguistique qui justifie la sui-référentialité accordée aux performatifs.

Ainsi, pour illustrer ce principe qui va être développé et d'accroître de la sorte la lisibilité de ce travail, nous allons soumettre à notre analyse l'exemple phare de BENVENISTE, repris un peu partout. En filigrane de nos explications se trouve la thèse que le langage porte la trace d'une dimension mythico-religieuse comme le montre la première littérature que sont les mythes et apparentés.

Les textes de BENVENISTE attestent que le verbe "saluer" est dérivé d'un discours qui comporte le terme "salut" dans une perspective locutionnaire ou formulaire à cause, probablement, de la haute fréquence de ce discours dans le rapport humain ([1966] 1982, p. 277). Le fait nouveau que notre hypothèse suggère est que le paradigme duquel dérive le délocutif est un discours qui accompagne un rituel dont le but est d'obtenir le salut de l'homme face aux aléas existentiels.

Ce rituel est un rapport avec les divinités. Si l'on ne veut se référer qu'à la Bible, on peut comprendre que le salut est une quête permanente: de Caïn et Abel à la colère mémorable de

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Jésus Christ dans le temple de Jérusalem, le sacrifice en offrande est le point focal du rituel de cette quête. Mais il est une illustration autrement explicite de ce salut non performatif:

« Jésus regarda autour de lui et vit des riches qui déposaient leurs dons dans les troncs à offrandes du temple. Il vit une pauvre veuve qui y mettait deux petites pièces de cuivre. Il dit alors:

- Je vous le déclare, c'est la vérité: cette pauvre veuve a mis plus que tous les autres. Car tous les autres ont donné comme offrande de l'argent dont ils n'avaient pas besoin; mais elle, dans sa pauvreté, a offert tout ce qu'elle avait pour vivre » Luc (21, 1-4)

Nous devons comprendre que si cette veuve a offert tout ce qu'elle a pour vivre c'est que le salut prend la voie du don et du contredon. L'humain doit faire des offrandes aux Dieux en retour du don de la vie que ces derniers accordent à l'homme. Appelons cela la dimension sacrée du salut. Ce qui veut dire très exactement que l'expression « salut » ou « je vous salue » est un délocutif de l'acte de faire des offrandes à des fins de quête de salut. Autrement dit, dire « salut » à quelqu'un, c'est proférer une parole de bon augure pour que les dieux les entendent afin qu'ils accordent ou non leur bienveillance qui consiste à maintenir l'homme en vie.

La première dérivation délocutive de ce salut non performatif est constituée par son passage du sacré vers le profane: les salutations sont données en vertu de la transcendance horizontale qui caractérise une communauté. La délocutivité de BENVENISTE a pour matrice cette première dérivation, elle fait l'économie de la dimension religieuse.

Ce préliminaire va nous aider à comprendre que le "saotsa" qui a donné le délocutif "misaotra" peut être élevé au rang d'un universel linguistique parce qu'il a pour traduction française "merci" qui a donné à son tour le délocutif "remercier" ou l'autodélocutif "merci". Commençons par observer le rapport délocutif dans la langue française.

On sait qu'étymologiquement, le mot "merci" qui était du féminin a pour sens "salaire", "récompense", "solde" et que les auteurs chrétiens lui donnaient le sens de "bienveillance", "pitié" et "grâce céleste". La dérivation délocutive s'est fait au seul profit de la version profane: on dit "merci" pour accomplir l'acte de remerciements sans intervention d'un objet matériel qui soit compris comme salaire ou solde. C'est cela le passage de l'agir physique vers l'agir linguistique, un passage rendu célèbre dans l'éducation des enfants à qui on demande de dire "merci" quand ils reçoivent une faveur.

Pour les besoins de la cause nous allons nous servir de l'exemple malgache, le mot "saotsa", à cause de la vivacité des cérémonies d'offrande en dépit de la présence de la religion chrétienne qui, en tant que religion allogène, n'a fait qu'un laminage de la religion traditionnelle sans arriver à la faire disparaître. Ce choix d'une langue qui n'appartient pas à la famille indoeuropéenne poursuit un double but.

D'abord, il milite en faveur du caractère fondamental de la notion de langage comme un principe d'économie. En effet, il est démontré par LAFONT (LAFONT, 1978) que le langage

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comporte deux seuils interdits, le langage monolithique où un seul élément suffit à tout dire. Pourtant ce premier seuil interdit surgit quand le locuteur est en panne de nomination et a recours à des expressions comme machin ou chose, ou encore dans le x du langage formel de la mathématique.

Le deuxième seuil interdit est le langage infinitisé où à chaque événement nouveau correspond une nouvelle expression. La transgression de cet interdit existe aussi dans l'onomastique qui possède un fonctionnement hapax. On peut facilement comprendre la nécessité de ces transgressions partielles, notamment en ce qui concerne l'anthroponymie ou la toponymie. Si l'onomastique ne fonctionne pas en hapaxologie, c'est l'orientation dans le social qui est mise en danger par impossibilité d'identifier de manière univoque un individu ou un lieu, ce qui veut dire une mise en danger de l'organisation sociale.

En ce qui concerne les noms communs, c'est le principe d'économie qui prévaut comme le souligne cette remarque de Friedrich NIETZSCHE, établie pour dénoncer la moralisation à partir de termes linguistiques comme ce qui justifie la différence entre la noblesse et la plèbe :

« Tout concept naît de la comparaison de choses qui ne sont pas équivalentes. S'il est certain qu'une feuille n'est jamais parfaitement égale à une autre, il est tout aussi certain que le concept de feuille se forme en laissant tomber ces différences individuelles, en oubliant l'élément discriminant. » (NIETZSCHE, 1873, p. 181)17

Au-delà de notre conviction personnelle, nous tenons pour validité de ce raisonnement sa reprise chez TODOROV (1970, p. 29) pour traiter de la question de la synecdoque et qui lui permet d'étayer le caractère de double synecdoque de la métaphore avancé pour le groupe de Liège (DUBOIS J. , et al., 1982), sans parler de la défense de cette idée dans un article de DI CESARE qui milite ouvertement pour le constructivisme en linguistique. (DI CESARE D. , 1986)

Ce principe d'économie appliqué à la délocutivité permet de poursuivre le second but. La délocutivité fait passer un agir physique dans l'agir linguistique. Il s'agit donc de revoir la notion sous la perspective de l'intertextualité de manière à attester l'idée de la performativité comme individu linguistique au sens de BENVENISTE comme le précise la remarque suivante:

« Or le statut de ces « individus linguistiques » tient au fait qu'ils naissent d'une énonciation, qu'ils sont produits par cet événement individuel et, si l'on peut dire « semel-natif ». Ils sont engendrés à nouveau chaque fois qu'une énonciation est proférée, et à chaque fois ils désignent à neuf. » (BENVENISTE E. , [1974] 1981, p. 83)

Nous retrouvons dans ces « individus linguistiques » la notion de token qui caractérise l'énonciation comme sui-référentielle. C'est-à-dire qu'elle ne peut pas être soumise au test de la véridiction. C'est une confirmation au-delà de son domaine d'émission de la réflexion de GRÉIMAS selon laquelle, le monde n'est pas un référent ultime (GREIMAS, 1970, p. 52).

C'est ce que nous avons appelé ailleurs une fuite du réel comme le semble prouver l'analyse suivante de Jean PETITOT : « La relation dominante est la relation signifiant / signifié

17 Cité à partir du Le livre du philosophe

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(la cause du désir et non pas la validité du jugement), le référent n'étant qu'un tenant lieu (un artefact, un simulacre, un trompe-l'oeil) » (BRANDT & PETITOT, 1982, p. 52)

Malgré l'obédience saussurienne de la terminologie, il s'agit là d'une avancée remarquable au niveau épistémologique qu'il faut ranger du côté de HJELMSLEV. Ce linguiste danois conçoit la sémiotique comme une fonction qui réunit deux grandeurs : l'expression et le contenu, sans faire intervenir en aucun moment le référent. La difficulté est de faire abstraction du référent occasion du sens : pour ce faire, HJELMSLEV nous invite à comparer dans plusieurs langues la même proposition ou la même phrase afin de nous apercevoir que : « [...] dans le contenu linguistique, dans son processus, une forme spécifique, la forme du contenu, qui est indépendante du sens avec lequel elle se trouve en rapport arbitraire et qu'elle transforme en substance de contenu. » (HJLEMSLEV, 1968-1971, pp. 70-71)

Autrement dit, l'expression possède une forme et une substance, il en est de même pour le contenu. Ce qui veut dire que quel que soit le niveau abordé dans la science linguistique, on rencontre une fonction sémiotique qui relie une forme et une substance.

Il n'est pas peut être superflu de rappeler un autre argument qui justifie le rapprochement épistémologique entre Jean PETITOT et Louis HJELMSLEV en même temps qu'il évacue le référent comme une question inutile. PETITOT définit le carré sémiotique comme un dispositif logique qui a pour mission de convertir une disjonction en conjonction. Ainsi, le son existe indépendamment du référent, mais par le dispositif logique du carré sémiotique ces deux entités deviennent des grandeurs analysables par leur mise en forme et devenir de la sorte les fonctifs du signe sémiotique. Nous pouvons visualiser cette logique dans le carré sémiotique ci-dessous, à partir de l'aventure de l'être et du paraître :

disjonction

Être (Référent)

Paraître (son)

 
 
 

Signifiant

signifié

Conjonction = signe

La lecture de ce carré sémiotique commence par l'opposition entre le référent, c'est-à-dire ce qui est et ce qui ne fait que paraître: le son. Le langage s'obtient par le travail énergique de la négation qui convertit le paraître en "signifiant" et l'être en "signifié" de telle manière que leur rapport n'est plus d'opposition mais de contenant à contenu, ou pour reprendre la terminologie de HJELMSLEV, un rapport d'expression à contenu; c'est-à-dire: être une sémiotique. C'est pour cette raison que nous pouvons dire qu'une fois le monde versé dans le discours, la catégorie du réel s'évanouit comme une question inutile; c'est le cas précis de la

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délocutivité en notre sens. Dès lors, nous sommes pris dans la spectacularisation discursive dans laquelle nos actions ont pour but de modifier le rapport intersubjectif.

Puisque le délocutif est compris par référence à une énonciation antérieure, il nous semble alors que sa propriété la plus essentielle est la suspension de la référence extralinguistique qui est présente dans la locution primitive. Dès lors le délocutif est produit afin d'accomplir un acte de langage dérivé de la première valeur énonciative.

En tout cas, il ne serait pas péremptoire de penser que le délocutif, en s'organisant dans une référence de signe à signes bloque la dénotation pour s'ériger en action. En d'autres termes, la référence du délocutif à une énonciation antérieure ne suspend pas seulement la référence extralinguistique, mais surtout, convertit le dire en faire, et de la sorte, nous libère du poids néfaste du réel: c'est de cette manière que le langage s'autonomise dans la fiction qu'il permet d'accomplir.

Les pages qui vont suivre ont pour but de démontrer que cette conversion est motivée par le principe d'économie qui interdit au langage d'être infinitisé ou d'être monolithique. Le délocutif, en définitive, du moins en ce qui concerne les performatifs primaires, est une soustraction de la fonction dénotative au profit de la fonction performative de manière à éviter le fonctionnement hapax du langage. Il faut comprendre ce principe d'économie comme une dérivation illocutoire à partir d'une énonciation antérieure qui, elle, est non exempte de valeur dénotative. C'est une autonomisation de l'accomplissement de l'acte du langage, justement par expulsion du dénoté.

Avant d'avancer des exemples, nous tenons à marquer notre souscription à la thèse de DUCROT qui reproche à BENVENISTE d'avoir donné au délocutif une définition trop restrictive. En effet, nous devons admettre avec O. DUCROT, la généralisation des délocutifs vers d'autres éléments qui ne sont pas des locutions. C'est le cas précis des délocutifs lexicaux comme « Monsieur » ou « Madame ».

Selon l'étymologie attestée, « monsieur » signifie : « mon cher », mais à cause de la délocutivité, il n'est plus outrecuidant de dire « Mon cher Monsieur ». Pareillement pour « Madame ».Cette expression désigne le titre donné par les employés d'un domaine à la maîtresse de ce domaine. Mais actuellement, on dit madame par simple respect et non plus parce que la femme est maitresse d'un domaine.

Le premier exemple qui va nous occuper concerne un emprunt. Il va nous permettre d'invalider l'analyse de la linguistique contrastive qui s'organise en termes de changement de sens : une extension ou une restriction dans la langue cible. Au contraire, ce qui se passe en réalité est que les emprunts subissent la loi de la délocutivité.

On peut dire sans risque de se tromper que Madagascar avant l'arrivée des colons est une société sans école. Nous ne voulons pas dire sans éducation parce que celle-ci se niche dans une vaste littérature orale qui comprend les mythes, les contes et autres genres regroupés sous le terme d' « oraliture ».

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L'avènement de l'institution scolaire s'accompagne de la sorte d'une forme d'emprunt linguistique. L'analyse souvent privilégié dans ce domaine se base sur la dénotation pour expliquer le changement de sens. Ainsi, le mot « Monsieur » pour lequel O. DUCROT (1981, p. 49) nous convainc du caractère délocutif subit encore une seconde délocutivité. Cette expression, à l'origine, dénote l'individu de sexe masculin avec une forte valeur affective puisqu'il signifie exactement « mon cher ».

Au cours de l'appropriation de cette expression par les locuteurs Malgaches, elle s'intègre souvent avec un discours qui désigne le maître d'école qu'elle a fini par s'associer exclusivement à cette fonction scolaire. S'il s'agit d'un simple emprunt comme on le croit ordinairement, on ne comprendra jamais pourquoi dans la langue cible, il a pris le préfixe « ra- »

Le préfixe « ra- » est une marque de respect dans l'anthroponymie malgache. De cette manière, il ne doit pas être utilisé pour des noms propres anthroponymiques, sauf s'il y a des raisons contraires, comme dans le cas de la prosopopée. Cette adjonction de préfixe devait être un argument majeur pour dissuader les tenants de la linguistique contrastive de parler négligemment de restriction de sens.

L'adjonction reprend effectivement la valeur énonciative perçue par les Malgaches. Par contraste, les Malgaches auraient compris probablement que l'individu à qui l'on s'adresse par le terme de « monsieur » bénéficie de tous les égards de son interlocuteur. Ainsi, par référence à cette première valeur illocutoire, les Malgaches font une sorte d'hypercorrection en adjoignant le morphème préfixal « ra- » qui sert justement à marquer ce respect. Seulement, ils ne pensent pas que ce respect est intrinsèque à l'individu, ils pensent qu'il est dû au fait que l'individu est le détenteur du savoir.

C'est ainsi que l'emprunt se décline en « Ramose » et non en simple « mose /muse/». « Ramose » a alors rompu avec le lien affectif pour garder seulement le sens imposé par son énonciation et il est produit à la seule fin de témoigner de ce respect. C'est donc l'intégration délocutive qui a primé sur les intégrations sémantique et phonétique au point que quand l'autorité du savoir est une femme, les élèves n'hésitent à parler de « ramose madamo » qui signifie une dame enseignante, mais littéralement un Monsieur Madame.

Cette analyse nous montre que dans le cas d'emprunt de langues en contact, ce qui prime, ce n'est pas une réorganisation de sèmes qui ferait conclure à une extension ou restriction de sens très peu justifiées, d'ailleurs, celle-ci est à l'oeuvre en permanence dans la production de sens métaphorique qui peut aboutir à un figement lexical ou non, comme dans le cas du mot grève. Mais au contraire, c'est une conséquence pragmatique qui organise l'emploi et l'arrangement sémique.

En outre, il faut tenir compte que l'organisation sémique est dépendante du contexte, ce qui signifie que tous les sèmes disponibles sont inscrits dans le mot, mais l'emploi dans un

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contexte en modifie l'arrangement comme nous allons tenter de le montrer de manière empathique (QUINE, 1993, p. 73)18 dans les exemples suivants :

Dans un cours de mathématique, si le professeur demande à ses élèves de prendre une feuille, il y a fort à parier que celui-ci veut faire écrire. En revanche, dans un cours de biologie végétale où il est question de faire des observations sur une plante, la même injonction fera saisir une partie de plante aux élèves. De la même manière dans un atelier de métallurgie, cet ordre fera prendre des métaux en feuille.

Ainsi, si le délocutif s'affiche comme une performativité, il y a lieu maintenant de dire quelques mots de la performativité généralisée. On peut comprendre la généralisation du performatif à tous les énoncés de la manière suivante. Une phrase simple du type de (1) est en réalité une complétive comme le montre (2):

1. La séance est ouverte

2. Je déclare que la séance est ouverte

(1) permet d'accomplir l'ouverture de la séance en question. (2) autorise également cette action, mais à la différence près, il indique celui qui agit. Cette indication introduit une nouvelle force illocutoire: la déclaration qui occupe une position mineure par rapport à l'ouverture. Il ne faut pas confondre cette remarque avec les exemples du type descriptif ou constatif dans la terminologie d'Austin, comme celui-ci:

3. Je travaille la terre

Ce dernier est l'objet d'une phrase matrice indiquant la force illocutoire de l'énoncé, mais ne peut pas être performatif en lui-même. Sa performativité se dévoile donc de la transformation suivante:

4. J'affirme que je travaille la terre

Autrement dit, il faut admettre que les verbes qui indiquent des actions sur le monde ou des états du monde ne peuvent pas construire une phrase indépendante que par une démarche heuristique. Il leur faut en effet le préfixe performatif pour mettre en évidence leur statut énonciatif, c'est ce que nous montre le contraste entre (3) et (4). Symétriquement inverse, les performatifs primaires ne peuvent pas non plus être à la source d'une phrase indépendante que par décision théorique, et c'est la thèse adoptée par AUSTIN ([1962]1970); pour une performativité effective, et non pas seulement virtuelle, il faut leur adjoindre une subordonnée complétive ou tout simplement un GN objet. C'est ce que nous pouvons constater dans (5) et (6)

5. Je te promets que tu auras un résultat rapide

18 Je dirai que l'empathie est cette disposition qui consiste à considérer autrui pour créer l'harmonie autour de soi et ainsi être amené à essayer de donner forme aux paroles à partir du point de vue de l'interlocuteur.

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6. Je te promets un résultat rapide

Il s'ensuit que l'idée de phrase indépendante est complètement ruinée par la théorie de l'énonciation. En effet l'édifice structuraliste de SAUSSURE ne tient pas compte du locuteur et encore moins du rapport interlocutif. Cependant, il faut reconnaître que cette position heuristique a permis de mettre en évidence le caractère systémique du langage dont le prolongement s'avère être la grammaire générative et transformationnelle, au lieu et place du fourvoiement philologique.

De la même manière qu'AUSTIN fut contraint d'étendre à tous les énoncés la performativité, ANSCOMBRE également défend la thèse d'une délocutivité généralisée qui prend aussi naissance sur le refus de la possibilité d'une phrase indépendante. Voici comment il présente cette délocutivité généralisée:

« Une hypothèse enfin : nous avons vu que si X* est un verbe performatif, l'acte de X* réalisé en disant je0 X* que... est illocutoirement dérivé de l'acte primitif d'assertion je1 X* que... Par ailleurs, la délocutivité généralisée engendre la valeur performative de je0 X* que..., à partir de l'assertion je1 X que... où X est le verbe dans son sens non performatif. On voit l'analogie. On peut donc se demander si, dans le cas de la performativité des verbes, la dérivation illocutoire qu'ils dénotent n'est pas en quelque sorte la «coupe» synchronique de ce processus diachronique qu'est la délocutivité généralisée. N'en serait-il pas ainsi pour tout délocutif généralisé? » (ANSCOMBRE, 1979, p. 84)

Maintenant que le cadre théorique du travail est clarifié, il nous est donc loisible de passer à un exercice d'application en démontrant que le "saotse", à l'origine, est une faveur que l'on donne en reconnaissance d'une faveur primitive finit par devenir délocutif. Il en est exactement de même pour le cas de son homologue français "merci" comme l'attestent encore l'expression "Dieu merci" ou le dérivé "une lutte sans merci".

Dans la culture malgache, le « saotsa » décrit une activité rituelle qui consiste à donner aux ancêtres et aux divinités du présent qui assume une double fonction. La première consiste à remercier les divins d'avoir accordé leur bienveillance aux humains et, la seconde a pour mission de les honorer afin qu'ils accordent leur bienveillance pour la cérémonie ou pour l'activité que l'homme a l'intention d'accomplir (circoncision, mariage, enterrement, voyage, commémoration, etc.)

Le "saotsa" ne peut être effectué que par l'officiant désigné par la société au même titre qu'une messe chrétienne ne peut être effectuée que par un prêtre. Il s'ensuit que la logique du saotsa est celle du potlatch: une économie qui interdit l'accumulation sous peine de bloquer le cycle naturel des échanges. C'est ainsi qu'à chaque première moisson, l'homme malgache destine une gerbe de riz aux Dieux afin qu'ils continuent à prodiguer leur faveur à l'agriculture humaine. C'est cela la logique du potlatch: un don et un contre don.

Dans toute croyance à la divinité, c'est Dieu qui nous donne les ressources nécessaires à notre vie, en conséquence, nous devons le remercier par des présents.

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Ce premier sens est le sens objectif, censé être premier de l'expression. Mais déjà ce sens premier ne va pas de soi. Pour nous rendre compte de cette complication inattendue, il n'est que de nous référer à la nature des présents par référence à l'opposition entre la catégorie du réel et la catégorie du possible selon deux auteurs viennois : Robert de MUSIL et Ludwig Josef WITTGENSTEIN. On peut résumer l'idée fondamentale de ces auteurs par l'aphorisme suivant : « 2.06 - L'existence et l'inexistence d'états de faits constituent la réalité » (WITTGENSTEIN L. J., 1961, p. 35)

Autrement dit, la réalité est constituée par l'ensemble de ce qui est et de ce qui n'est pas. Ce qui veut dire exactement que la réalité connaît une censure qui lui interdit la totalité comme le ferait un syntagme vis-à-vis d'un paradigme : en un point du syntagme, seul un élément du paradigme peut apparaître. Appliquons maintenant ces remarques sur le « saotse » en tant que présent pour leur donner une consistance.

À considérer le statut de Dieu à l'égard de ses créations dont particulièrement l'homme, il y a quelque absurdité à vouloir lui donner en présent ce qu'il a lui-même créer. Il faut dès lors une instance narrative pour combler le manque constitutif du « saotse - présent ». Cette instance narrative postule ce que la censure interdit : la totalité. Elle indique le sens du présent dans une perspective sémiotique qui n'est pas dénotative comme le prévoit la linguistique saussurienne mais métalinguistique engendrant la connexion de chose à choses consignée par WITTGENSTEIN de la manière suivante : « 2.0123 - Lorsque je connais un objet, je connais également l'ensemble des possibilités de son occurrence dans des états de chose » (WITTGENSTEIN L. J., 1961, p. 32)

Ainsi, un « saotse - présent » dénote une libation et / ou une immolation à l'occasion d'un rituel religieux où l'homme officiant « affirme » sa gratitude envers Dieu de leur avoir laissé vivre, lui et les siens pour les biens qui leur ont été prodigués. Dès lors, le « saotse - présent » emprunte la voie de la synecdoque et de la métonymie sous la perspective de la partie pour le tout. C'est-à-dire que l'aliment de l'homme est du végétal et de l'animal. Le premier est représenté métonymiquement par le breuvage considéré comme l'ambroisie des Dieux et le second, synecdochiquement par l'animal du sacrifice.

Nous pouvons maintenant mieux comprendre pourquoi nous avons parlé d'économie de potlach ou de dilapidation entre les humains et les Dieux : dans une économie de potlach, il n'y a pas d'accumulation, son principe est de dilapider dans une forme cérémonielle ce que l'on a gagné afin que le cycle de production revienne à son point de départ. Ainsi, l'homme en donnant à Dieu ce qui lui a été offert, s'interdit l'accumulation de crainte que Dieu refuse d'en donner une nouvelle fois. Le « saotse - présent » en définitive est une dilapidation à l'endroit du bienfaiteur pour signaler que l'homme sacrifie tout à lui afin qu'il continue sa prodigalité.

C'est pour cette raison que le « saotse - présent » entre en occurrence avec la notion de « remerciement » qui est le sens indiqué par l'instance narrative dont la fonction discursive est de liquider le manque caractéristique de la réalité.

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Cette indication du sens par l'instance narrative est nécessaire pour différencier le simple envie de faire une orgie alimentaire de l'acte rituel de remerciements pour honorer les divinités. En outre cette instance narrative a également pour mission de marquer la distance qui sépare le sentiment religieux qui reconnaît que l'homme doit tout à Dieu et le caractère foncièrement partiel des présents en tant que catégorie du réel. C'est pour cette raison que par délocutivité, le proverbe suivant ou ses nombreux équivalents est toujours en occurrence avec un « saotse - présent » :

Tantely tapa-bata io fa ny fonay ro mameno azy (c'est un demi-boisseau de miel mais c'est nos coeurs qui le remplissent)19.

En définitive, sans l'instance narrative, tout présent demeure marqué par le manque caractéristique de la réalité. De cette manière, il est clair qu'aucun « saotse - présent » ne peut pas se suffire à lui-même car ce serait faire de l'aumône à celui à qui nous devons tout. Ce proverbe intervient justement pour combler le manque caractéristique du présent. Discourir dans le sens de ce proverbe, c'est-à-dire, présenter une offrande qui représente le végétal et / ou l'animal et spécifier en même temps que c'est la reconnaissance de la prodigalité de Dieu, constitue ce que l'on appelle « misaotra » ou « remercier »

Puisque la nature du « saotse - présent » est ainsi clarifiée, nous pouvons maintenant l'envisager du point de vue de la délocutivité. Ce premier sens du « saotse » est reproduit par l'instance narrative dans le discours qui en fait mention lors du rite cultuel. Mais comme ce rite cultuel est produit à la seule fin de remercier les divinités pour leur bienveillance, il s'ensuit qu'on peut faire le « saotse » en l'absence de tout présent, en disant tout simplement « misaotse » qui est cette fois-ci une forme verbale et non plus une forme nominale appartenant à la locution de la cérémonie.

Nous retrouvons alors une parfaite illustration de la définition originale du délocutif : « un verbe est dit « dénominatif » s'il dérive d'un nom ; déverbatif, si d'un verbe. Nous appellerons délocutifs des verbes dont nous nous proposons d'établir qu'ils sont dérivés de locutions » (BENVENISTE, [1966] 1982, p. 277)

De là, la forme délocutive est attestée, on dit « misaotra » à la seule fin d'accomplir l'acte de remercier. Il s'agit en quelque sorte d'une forme d'homothétie qui déplace la valeur énonciative de l'ordre du divin vers l'ordre humain. Cette homothétie se justifie dans la mesure où :

« La création de verbes délocutifs s'effectue sous la pression de nécessités lexicales, elle est liée à la fréquence et à l'importance des formules prégnantes dans certains types de culture. » (BENVENISTE, [1966] 1982, p. 279)

En effet, dans la culture de l'Afrique insulaire qui se retrouve sans doute en Afrique continentale, le Dieu providence qui pourvoie à tous les besoins de l'homme mérite un présent afin qu'il continue à prodiguer sa bienveillance. C'est de cette manière que l'homme

19 Notre traduction

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africain clôt un discours, au début des travaux agricoles, au cours duquel, l'instance narrative demande à Dieu d'accorder sa bénédiction pour la fertilité du sol que l'homme va travailler. Il n'est pas ainsi étonnant que l'un des tout premiers arts religieux soit un Venus steatopyge, témoignant du culte de fécondité. De la même manière, au moment de la récolte, l'homme se doit de faire un présent à Dieu.

Maintenant, le paradoxe que nous devons résoudre dans cette économie de potlatch consiste à se demander comment on peut faire présent à Dieu des choses qu'il a lui-même prodiguées.

La notion de détachement de sens de B. de CORNULIER va nous permettre de résoudre ce paradoxe. La véritable fonction du détachement du sens est de nous dire que le langage ne peut pas être une tautologie du réel. Voici un extrait de l'article qui permet cette conclusion: « Dans l'énoncé du détachement fort du sens (§E) le contenu de « P » et de « Q » est quelconque. C'est ce qu'on peut mieux faire voir en explicitant ainsi la portée des variables propositionnelles x :

Quel que soit P, quel que soit Q, ( (P & (P signifie Q) ) signifie Q).

Peu importe que P soit une « proposition » ou un « fait ». Évidemment, si Q ne signifie rien dans un langage donné, la conjonction d'un acte quelconque P, avec une interprétation P signifie Q dans ce langage, ne produit aucun sens par détachement du sens, faute que Q signifie quelque chose. Q doit donc déjà appartenir au langage de l'interprétation. Mais cela n'est pas vrai de « P » : pour que le détachement du sens dérive Q, il est indifférent que « P » ait déjà une définition dans le langage de l'interprétation, qui justement lui en assigne une. (...) Le détachement du sens est donc un principe qui permet à un langage de s'incorporer n'importe quel élément nouveau comme signe de n'importe quelle valeur qu'on puisse déjà y exprimer. En ce sens, l'inventivité sémiologique est arbitraire, radicalement et totalement, dans la mesure où le détachement fort du sens a la force d'une règle. » (CORNULIER, 1982, p. 136)

C'est ainsi que le discours qui accompagne l'offrande indique clairement qu'il s'agit d'un merci en reconnaissance de la prodigalité des divinités envers l'homme et non d'une aumône, ce qui serait un sacrilège. Il est remarquable de constater que ce qui empêche les dons d'être compris comme une aumône est justement le discours qui l'accompagne. C'est pour cette raison que le discours qui accompagne l'objet matériel du "saotsa" le présente toujours comme sanctionné par l'incomplétude caractéristique de la catégorie du réel. Que l'on se rappelle des deux pièces de la veuve dans le temple.

On remarque en effet que dans la présentation du "saotsa", on place le breuvage et le morceau de viande sur un autel et puis dans le discours qui suit, il faut dire obligatoirement que ce sont les "saotsa" en reconnaissance de la bienveillance divine. Autrement dit, en suivant en cela la règle du détachement du sens, on s'aperçoit que la présentation du "saotsa" est un acte de reconnaissance. De là, un observateur extérieur à l'office peut commenter par le délocutif de BENVENISTE ce qu'il voit en disant "Misaotra io olona io [Cette personne remercie]"

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En revanche, la délocutivité généralisée consistera à dire à une personne que l'on reconnaît être votre propre bienfaiteur : "je vous remercie" en dehors de tout présent, ou sous la perspective de la performativité généralisée en lui disant "je vous dis merci"/ "je vous dis que je vous remercie". Il s'ensuit que dans l'espace conversationnel au quotidien, dire « merci » ce n'est pas seulement accomplir l'acte de remerciement mais c'est surtout confirmer la modification d'une relation intersubjective à travers l'instance de narration qui fait acte de gratitude.

C'est de cette manière que le délocutif généralisé fait passer une activité physique vers une activité de langage sous le sceau de la sui-référentialité. La sui-référentialité est souvent présentée de manière quelque peu réductrice à notre avis. Dans le cheminement de la pragmatique, elle est dressée en face d'une linguistique qui considère les signes comme de simples éléments de représentation qui se substituent aux choses. De cette manière, le délocutif est compris comme un signe qui bloque cette référence en s'exhibant comme forme qui permet d'accomplir un acte linguistique défini.

Dans une deuxième évolution de la pragmatique, la sui-référentialité n'est pas considérée comme un simple blocage de la référence mondaine mais que le mouvement de la référence ne s'y arrête pas mais la traverse pour atteindre un autre niveau du langage, celui de l'action. Ce niveau a pour mission de modifier le rapport dans l'univers du discours dont rend compte la sémiotique narrative ou la sémiotique transformationnelle. C'est ce que nous appelons intelligibilité narrative qui est la possibilité de nous présenter un spectacle linguistique devant nous et de nous imaginer ce qui se passerait s'il est vrai.

Il n'est pas inutile ici de rappeler une thèse que nous avons avancée ailleurs à partir de la position de Pierre BANGE que voici :

[...], les énonciations vont être considérées comme des actions verbales en relation avec une situation de communication qui comporte des dimensions spatio-temporelles et surtout sociales ; comme des actions accomplies par un locuteur en produisant un énoncé dans une langue naturelle vis-à-vis d'au moins un récepteur, dans le but de modifier la situation antérieure à l'acte d'énonciation en provoquant une réaction du ou des interlocuteurs (une réaction interne, cognitive, qui peut elle-même déclencher des réactions verbales et/ou comportementales » (BANGE, 1992, p. 9)

Cette thèse consiste à dire que c'est une « trace narrative » qui rend intelligible l'illocution. En effet, la narrativité est surtout un algorithme qui fait passer une figure d'un état à l'autre, conformément à l'intuition de WITTGENSTEIN qui postule que l'existence et l'inexistence d'états de chose constituent la réalité. Explorons cette hypothèse afin de la clarifier et d'en tester la validité. Elle est également présente chez un autre auteur viennois. Robert de MUSIL, avec son style propre présente cet aphorisme de WITTGENSTEIN en ces termes : « [...]. Toutes les possibilités que contiennent, par exemple, mille marks, y sont évidemment contenues qu'on les possède ou non ; le fait que toi ou moi les possédions ne leur ajoute rien, pas plus qu'à une rose ou à une femme. » (MUSIL, 1982, pp. 18-19)

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On retrouve la même idée chez Jacques DERRIDA ([1972] 1982) dans le concept de différance (avec un « a »), chez Paul KLEE (1977) en termes de devenir. C'est une idée qui s'avère être un point central dans les sciences linguistiques et dans les sciences cognitives qu'on peut multiplier à loisir les références. Cependant, nous allons en faire l'économie pour nous intéresser à son adaptation dans le cadre de la pragmatique.

En introduisant la dimension temporelle dans l'algorithme narratif, GRÉIMAS nous indique qu'un parcours figuratif connaît une clôture absolue à travers la suppression-adjonction de sèmes ou de propriétés. Ainsi, pour reprendre une figure du monde familière dans les contes populaires qui ont permis de mettre au point la théorie de la transformation narrative. Cette figure emblématique est Cendrillon, elle est présente sous toutes les latitudes sous la thématique de la marâtre. Pour identifier la propriété pertinente de Cendrillon, au début du récit, il n'est que d'analyser l'antonomase qui est à l'origine de son nom.

L'antonomase est définie par les rhéteurs comme une figure qui fait passer un nom propre en nom commun ou un nom commun en nom propre. Pour le nom Cendrillon, il s'agit évidemment du passage du nom commun vers le propre. En effet, ce nom est une transformation hypocoristique du nom "cendre". L'hypocorisme étant, selon Henri MORIER, est une forme laudative d'ironie qui consiste à créer un « terme susceptible d'atténuer une chose blâmable » (MORIER, 1981, p. 519). En effet, brimée par sa marâtre, l'orpheline est obligée de dormir à même le sol auprès du foyer, les nuits d'hiver pour bénéficier un peu de la chaleur du feu sous les cendres si bien que son vêtement est décoloré par les cendres. C'est ainsi qu'elle est appelée du nom de Cendrillon.

Cependant, au cours du bal annuel où le prince se doit de choisir sa future épouse, c'est Cendrillon métamorphosée par une fée qui l'a emporté sur toutes les jeunes filles parées pour la circonstance. On comprend alors que la suppression-adjonction de propriétés est le passage du malheur vers le bonheur. Autrement dit, ce qui constitue le parcours figuratif est une borne absolue de part et d'autre de la transformation qui insère la figure dans une temporalité close.

Le point le plus important qu'il faut retenir de la temporalité close qui prend en charge une figure du monde est qu'elle dessine la totalité de la figure qu'il faut comprendre comme l'ensemble des possibilités inscrites en elle. Que l'on se rappelle à propos l'aphorisme de WITTGENSTEIN ou la monnaie-femme de MUSIL. Mais, à la lumière de l'exemple de Cendrillon, nous devons tenir compte qu'une seule des possibilités peut être actualisée.

Cette propriété du narratif, c'est-à-dire la logique narrative inscrite dans la suppression-adjonction, nous apprend que le réel est caractérisé par une censure qui interdit la totalité. Pour métaphoriser, c'est comme si l'on se trouvait à la croisée des chemins. Évidemment, l'on ne peut prendre qu'un seul, les autres chemins ne s'évanouissent pas, ils sont là comme possible, et l'individu a tout loisir de discourir ce qu'aurait été sa vie s'il avait pris un autre chemin. Dès lors, si la censure interdit la totalité, elle la postule en même temps. C'est ce double mouvement de l'interdit et de la postulation qui fait que le mouvement de la référence ne s'arrête plus au réel mais le traverse pour atteindre la postulation du possible.

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De ce point de vue, si le « saotsa » acquiert une délocutivité, c'est parce que la logique narrative du récit dont il dérive étale sur le même niveau le réel et le possible dans un mouvement de référence réciproque qu'institue le mécanisme de la suppression-adjonction. En effet, nous savons que le « saotse » est motivé par un sentiment humain qui fait croire à la bienveillance de Dieu, notamment en ce qui concerne l'agriculture. Pour commencer la période culturale, l'homme, dans une cérémonie cultuelle, demande à Dieu d'accorder sa bienveillance et de faire en sorte que la culture donne et demande pardon à l'avance de devoir transgresser la terre-mère dans le labourage.

En retour, au moment de la récolte, l'homme se doit de remercier Dieu par des présents pour le solliciter de continuer à être bienveillant, car selon la logique narrative Dieu aurait pu être malveillant. C'est cela le possible qui s'accommode de ne pas être actualisé selon l'expression de Robert MARTY (MARTY, 1980) dans son analyse de la priméité de la sémiotique triadique de PEIRCE. En tout cas, le discours premier du « saotse » s'organise autour de la distance qui sépare et noue en même temps la malveillance de la bienveillance.

S'il en est ici, c'est-à-dire que si le discours premier dont dérive le délocutif du « saotse » permet justement la dérivation délocutive, c'est parce qu'il se situe dans la trame narrative d'un spectacle linguistique, une fuite du réel, qui déploie sur le même niveau de la figure la malveillance et la bienveillance comme autant de possibles. D'autre part, il y a lieu d'identifier en amont du « saotse » une autre trame narrative bornée par l'absence et la présence de récolte.

Faire le « misaotra » se comprend alors comme une postulation de la totalité qu'interdit la censure du réel. La dérivation délocutive se comprend de la sorte comme une postulation de la totalité, non plus parce le réel opère une censure mais parce que le délocutif suspend la référence à la réalité pour une référence illocutoire dans un discours antérieur.

Ce qui veut dire que la logique temporelle introduite par l'instance de narration est un algorithme narratif qui fait que les contraires ne s'opposent pas mais coexistent en polémiquant et qui se contente d'une transformation du rapport intersubjectif sans se préoccuper d'aucune référence extralinguistique. Dans le cas qui nous occupe, dire « merci » en tant que token et non en tant que type n'est l'accomplissement d'un acte de remerciement que parce son énonciation modifie le rapport intersubjectif des interlocuteurs. Disons que d'homme libre, celui qui dit « merci » devient redevable et contraint à cet état jusqu'à acquittement de sa dette. Une dette qui prend la voie du potlatch sous forme d'étalement-dilapidation de richesse en contre partie de la bonne récolte. Mais il faut reconnaître que dans la dérivation délocutive, cet étalement-dilapidation se convertit en acte verbal

L'introduction de la logique narrative au sein de la pragmatique est un argument qui milite contre la nécessité de contextualisation de la communication qui relèguera dans les oubliettes les énoncés dont on ignore les contextes d'émission. Autrement dit, la trace narrative est suffisamment puissante pour permettre de comprendre l'acte d'énonciation mis

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en jeu. L'intervention de la logique narrative dans la performativité permet de minimiser le rôle du contexte.

Il nous semble aussi permettre de faire l'économie de l'explication en quatre phases du processus délocutif chez DUCROT et ANSCOMBRE. .

S'il est accepté que c'est une trace narrative qui rend intelligible l'illocutoire, alors le délocutif peut se présenter comme un cas spécifique d'intertextualité que nous proposons d'appeler « interillocutoirité » par reprise d'une valeur illocutoire présente dans un discours premier par mention du segment linguistique qui focalise cette valeur à la seule fin de l'accomplir dans le discours second. Cette interrelation entre des valeurs illocutoires a pour mission d'éviter au langage d'être infini, conformément au principe d'économie dont nous avons fait l'un des arguments de notre explication dans ce travail.

Pareille explication peut aussi faire, au niveau théorique, de l'économie des différentes étapes proposées par ANSCOMBRE et DUCROT. Car, il faut reconnaître que ce long détour, pose le problème de la hiérarchisation diachronique comme nous le verrons dans les exemples qui vont suivre.

À ce titre, nous admettons volontiers le principe mise à jour par Ducrot, selon lequel, des doublons morphologiques dans le langage impliquent une référence à des énonciations antérieures :

« Il est donc nécessaire si le nominalisme ne doit pas être circulaire, d'expliquer que des emplois où un segment linguistique a la valeur S1 amènent à conférer à ce même segment une valeur tout autre S2. Cette métamorphose, on peut, je crois, la fonder sur l'énonciation » (DUCROT, 1981, p. 48)

C'est de cette manière que nous allons tenter d'expliquer la présence en français de deux mots de même forme mais qui ont des sens différents, il s'agit du mot « grève ». Le sens S1 du mot « grève » désigne l'espace géographique qui borde un plan d'eau. La question est alors maintenant de savoir d'où vient que le mot « grève » actuellement désigne un engagement politique en vue de modifier le rapport entre employés et employeur.

Il nous semble que la métamorphose est en relation avec un fait ancien qui se passait dans le premier pays de la démocratie : Athènes. Nous reconnaissons volontiers que l'événement est historique et que sans le secours d'une base de données facilement accessible sur le réseau, l'explication nous aurait échappé complètement. En effet, l'on sait que quelques 400 av. J.C. les Athéniens ont coutume d'aller à la grève (S1) pour décider de l'avenir politique de la cité. Au cours de l'une de ces réunions, ils ont décidé de l'éviction de Thémistocle du pouvoir par inscription d'avis sur des ostrakon mis en évidence par des fouilles archéologiques.

C'est par référence à l'acte accompli sur cette grève, qui est un pur acte de discours : bannir quelqu'un (au même titre qu'ennoblir ou marier) que le mot « grève S2 » désigne l'arrêt volontaire du travail pour obtenir un changement de conditions.

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Ainsi, dire «je suis en grève » n'est pas une simple description de l'arrêt volontaire du travail, mais il est surtout une modification du rapport intersubjectif entre employeur et employés. Cette valeur illocutoire dérive de ce qui s'est passé pour Thémistocle dans l'Antiquité grecque : une modification du rapport entre le peuple et le roi en termes d'ostracisme.

Ce deuxième exemple nous montre que le délocutif n'aboutit pas toujours à la création d'un verbe, il peut aussi concourir à la création d'un nouveau sens par figement d'un délocutif. Ce qui semble alors être un doublon homonymique dans le langage n'est qu'une conséquence d'une inter- illocution dans laquelle l'illocutoire dérivé suspend la référence extralinguistique pour ne garder que la référence interillocutoire.

Il peut encore y avoir d'autres dérivations qui ne sont pas forcément délocutives. Par mesure d'économie et par la prégnance d'une expression dans une culture ou dans une langue donnée, le même signifiant est repris pour un sens nouveau mais proche de la valeur délocutive. C'est ce que nous avons quand on dit par exemple :

7. Il ne faut pas grever le budget

où « grever » est le synonyme d' « obérer » et signifie « affaiblir par un excès de dettes ».

Les deux exemples que nous venons de traiter militent en faveur du changement de sens fondé sur une énonciation en termes d'interillocution. Ce terme sert à désigner performativité du délocutif par référence à une valeur énonciative initiale d'un discours qui décrit un rite ou une pratique de nature fortement sociale. Autrement dit, l'énonciation première est une affirmation qui repose sur un constat tandis que la seconde, le délocutif, se libère de cette nécessité de présence au monde pour s'autonomiser en vue d'une modification d'un rapport interlocutif.

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13. LA DÉLOCUTIVITÉ ET LES SALUTATIONS

RÉSUMÉ :

S'il est admis que le langage porte une trace mythico-religieuse, la salutation entre de plein pied dans cette catégorie. En effet, la salutation est avant tout dans la transcendance verticale : le salut ne peut provenir que du créateur comme en témoigne l'expression anglaise « Save our soul ». Le passage de la salutation vers la transcendance horizontale est de nature délocutive et finit par engendrer une surdélocutivité. La première délocutivité résulte du fait que personne ne peut se suffire à lui-même, et la surdélocutivité intervient quand le salut est compris comme une simple marque de politesse.

Mots clés : salut, salutation, transcendance verticale, transcendance horizontale, délocutif, surdélocutif, nature.

ABSTRACT:

If it is admitted that the language bears a trace mythic-religious, greeting enters full foot in this category. Indeed, the greeting is primarily in the vertical transcendence: Salvation can come only from the creator as evidenced by the phrase "Save our soul ". The passage of the greeting towards horizontal transcendence is by delocutive nature and eventually cause a surdelocutivite. The first delocutivite results that no one can stand on its own, and the surdelocutivite occurs when salvation is understood as a simple mark of politeness.

Key words: Hi, greeting, vertical transcendence, horizontal transcendence, delocutive, surdelocutive, nature.

Commençons par prendre connaissance des salutations. On peut supposer qu'à l'origine le salut a le sens d'être hors de danger dans la perspective d'un univers animiste ou tout au moins d'un univers qui accepte la transcendance divine. Une fois que l'on admet l'existence d'un créateur, on croit également que la sauvegarde des Dieux qui s'accorde ou se refuge est une ordonnance du monde dans le sens précisé par HEIDEGGER de la sorte :

« L'ouverture d'un monde donne aux choses leur mouvement et leur repos, leur éloignement et leur proximité, leur ampleur et leur étroitesse. Dans l'ordonnance du monde est rassemblée l'ampleur, à partir de laquelle la bienveillance sauvegardante des dieux s'accorde ou se refuse. Et même la fatalité de l'absence de Dieu est encore un mode de l'ordonnance du monde. » (HEIDEGGER, 1987 [1949], p. 48)

Le salut est donc bel et bien cette bienveillance divine qui s'accorde et qui est l'objet de quête de l'homme. Comme en témoignent les découvertes dans la grotte de Lascaux, un site daté du paléolithique, l'homme est pris dans une double transcendance qui le relie à la fois aux divinités et aux autres dans la perspective du salut.

Quand le salut concerne l'existence au monde visible, il implique l'idée de protection qui fait que l'on soit épargné des dangers non pas par ses propres forces ou ses propres actions

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mais parce que les divinités ont accordé leur bienveillance. Dans le vernaculaire malgache, nous trouvons trace de cette implication théologique dans le langage.

Il ne faut pas croire que la population malgache est une population acquise totalement à la religion chrétienne ou à quelques autres religions allogènes. La transcendance verticale de l'homme malgache le relie aux divinités en passant par les ancêtres. Ces divinités ne sont pas clairement définies. Elles concernent les êtres vivants, elles sont dans les végétaux aussi bien que dans les animaux. Elles sont aussi dans l'eau, dans la terre, dans les pierres, bref elles sont partout. Ce qui veut dire en définitive que les malgaches sont dans animistes.

Cet animisme fait que toute chose est sacrée et que cela implique que tout changement que l'homme doit accomplir dans l'ordre des choses doit être précédé d'une prière à ces divinités. Dans la tradition, on ne coupe pas un arbre sans faire une prière pour ce changement ne soit pas néfaste mais apporte le salut de l'homme. Pareillement, avant de commencer un travail de labour, il faut au préalable tenir un discours qui relève de l'excuse de devoir toucher à la terre mère et de la sorte de pouvoir demander le salut de l'homme.

Si ces traditions religieuses envers l'inerte commencent à se perdre actuellement, il en est d'autres qui ne sont pas prêt de s'abolir en dépit du laminage des religions allogènes. Le comportement des Malgaches envers les animaux est très spécifique à ce propos. Donnons-en deux exemples.

Le premier, c'est qu'il faut tuer une poule. Il s'agit de verser le sang de cet animal. Dès lors cette action ne peut pas être faite par une femme dont le rôle est de donner la vie. Ensuite, il faut demander pardon à la poule de devoir la tuer. Cette demande de pardon consiste à dire à la poule de ne pas se mettre en colère mais de bénir l'action afin que l'homme puisse avoir son salut en ingérant la poule. Comme il ne s'agit pas seulement de s'adresser à la poule mais surtout de se mettre en relation avec les divinités, c'est le doyen de la maison qui s'acquitte de cette prière et vers la fin de la prière, il asperge de l'eau la tête de la poule afin qu'elle ne souffre pas trop et ce n'est qu'alors qu'il peut trancher le coup de l'animal.

Le deuxième exemple peut être considéré comme une expansion de ce premier. Dans l'immolation d'un zébu, le sacrifice rituel connaît deux étapes. Après la prière de demande de bénédiction pour le salut de l'homme, l'officiant donne l'ordre d'asperger d'eau la tête du zébu pour la même raison de moindre souffrance. Puis, on tranche le coup de l'animal. L'officiant recueille des morceaux de viande choisis : foie et bosse ; et les offre aux divinités sur un plateau rituel. C'est cela la première étape.

La seconde étape intervient lorsque les viandes sont cuites. De la même manière l'officiant offre sur le plateau rituel les mêmes morceaux mais déjà cuits. La raison de ces rituels est de supplier les Dieux d'accorder le salut des hommes en dépit du fait qu'il perturbe l'ordonnance du monde en tuant un animal qu'il n'a pas créé.

Il y a lieu de croire que cette quête de salut était un universel humain, ou encore un universel humain si l'on intègre dans la réflexion les religions modernes. La parousie est une quête de salut pour l'humanité. En effet, il est permis d'accorder foi à cette universalité en

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tenant compte des témoignages de la grotte de Lascaux. L'art pariétal (15.000 ans avant J.C.) est une divinisation des animaux qui sont ainsi tombés dans le domaine du sacré et devenant du coup objet de prière.

L'opposition se situe dès lors entre l'homme et l'animal divin. Dans la société préhistorique si l'animal venait à disparaître, la disparition de l'homme aurait été aussi certaine. C'est ainsi que l'homme demandait son salut dans les figures pariétales d'animaux. Autrement dit, la première religiosité est une quête de salut.

Maintenant, il nous faut franchir un pas de plus et observer un autre phénomène qui implique le salut. Il s'agit d'interroger l'érotisme dans son rapport au salut.

Le premier indice qui va nous mener à ce rapport est encore le principe selon lequel, dans le monde animiste, il faut demander le pardon des divinités avant de toucher à la nature. Nous émettons alors l'hypothèse suivante, la femme relève de la nature mais pas l'homme.

Nous retrouvons exactement le même rapport que précédent, d'un côté il y a la femme divinisée et l'humanité qui divinise. On peut encore dire d'une autre manière cette opposition : l'homme est un être de guerre et de travail mais la femme appartient au monde divin du sacré en tant que nature. L'interdit de l'inceste est une forme de cette différence entre la femme divinisée et l'humanité divinisant.

L'on sait que sans interdit de l'inceste il y aurait déferlement de la violence pour la possession de la femme. C'est que nous montre sans jamais le dire le mythe d'OEdipe que l'on peut résumer ainsi : l'identité de sexe entraîne la rivalité et la différence de sexe suscite le désir. C'est cela l'explication du parricide de Laïos par OEdipe lui-même, suivi immédiatement du mariage de ce fils meurtrier à sa propre mère Jocaste.

Tout cela est connu, mais le fait nouveau qui mérite notre attention est que le rapport avec une femme non incestueuse n'est pas dépourvu d'interdit. Un interdit qui provient du fait que toute jouissance de la nature est une modification de cette nature ; dès lors cette modification de la nature exige que l'on demande pardon aux divinités. Voilà pourquoi, il est toujours nécessaire, pour la possession d'une femme, de demander le salut de l'homme par une immolation de zébu. Ce rituel de la quête du salut prenait la forme du cuissage par le roi, dans l'époque féodale, afin de conjurer le sort.

En outre, quand on sait que le monde du féminin est le monde pur du jeu de l'apparence par opposition au monde du travail du masculin ; on comprend l'interdit entourant la femme. L'interdit entourant la femme a pour mission de freiner la frénésie de violence que risque de produire le désir. Il s'agit d'une sorte de mise à distance pour contrer la jouissance immédiate. Il s'ensuit alors le paradoxe mais juste suivant : c'est l'interdit qui désigne la femme à la convoitise, autrement dit, l'interdit a pour corollaire sa transgression, une transgression qui ne supprime pas l'interdit :

« L'interdit donne de la valeur, une valeur sexuelle ou érotique, à l'objet de l'interdit; l'objet est «désigné par l'interdit même à la convoitise» : «c'est l'interdiction qui pèse sur lui qui l'a désigné au désir» [cf. Girard]; il y a «don paradoxal de l'objet

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de convoitise», le désir ayant pour objet la perte et le danger. Dans l'exubérance du don ou la dépense des ressources -- et l'acte sexuel est un «don d'énergie exubérante» --, «le respect, la difficulté et la réserve l'emportent sur la violence»; mais «[...] le renoncement souligne réciproquement la valeur séduisante de l'objet». » (LEMELIN, 1996)

La question de l'érotisme comme attribut féminin consiste à dire que c'est la nudité féminine qui est érotique aussi bien pour l'homme que pour la femme ; parce que l'érotisme en tant que jeu autotélique s'oppose au monde du travail. Ce jeu autotélique se comprend mieux avec les autres attributs féminins : les bijoux. Les outils tirent leur valeur du travail qu'ils permettent d'accomplir, tandis que les bijoux, ne permettant d'accomplir aucun travail, tirent leur valeur par leur opposition au monde du travail, en justifiant leur existence par la convoitise dans l'étalement de leur beauté comme luxe.

Cette dernière remarque renforce l'interdit entourant la femme. Le luxe n'est pas une accumulation mais au contraire une dilapidation exubérante. Il s'ensuit une nouvelle interprétation de l'interdit. L'interdit qui frappe la femme est également cet interdit du luxe. Le travail a pour but de permettre à l'homme de vivre, mais quand la richesse produite par le travail est risquée dans le désir d'un bijou, l'homme risque sa vie elle-même dans la dilapidation de richesse. C'est ce risque qui se présente comme un interdit dans le monde du travail mais dont la transgression est passionnante par l'angoisse que la transgression elle-même crée.

On comprend alors pourquoi la transgression qui arrache l'homme du monde du travail vers le monde du jeu a pour corollaire la quête du salut dans un jeu verbal où l'homme joue à croire que les divinités écoutent et entendent sa voix, que les divinités apprécient les offrandes qu'il leur présente. C'est pour la même raison les offrandes sont toujours la quintessence de ce que l'homme a de plus précieux, de plus luxueux : la partie fine dans le sacrifice animal (le foie, la bosse, le miel, l'alcool) ; la virginité de la femme dans le sacrifice humain.

Si dans la Genèse, l'homme est condamné au travail, c'est parce que le monde pur du jeu est un monde de dilapidation dans lequel l'homme ne peut se maintenir. Ce qui est interdit dans le monde du travail est le jeu, parce que dans le jeu l'homme risque sa vie. C'est pour cette raison qu'à chaque fois que l'homme transgresse cet interdit, il prie pour obtenir le salut qui provient seulement des divinités responsables de l'ordonnancement du monde.

Puisque risquer la vie est un interdit dans le monde du travail, par expansion de cet interdit, nous pouvons aussi comprendre l'interdit qui entoure la mort. Le défunt, de par sa source latine, est celui qui ne fonctionne plus, il est ainsi en pleine transgression du monde du travail. S'il est interdit de tuer, c'est parce que la mort arrache l'homme de manière définitive du monde du travail dans lequel l'homme est condamné et, du monde profane le projette dans le monde sacré des interdits. Les rites funéraires sont alors à comprendre comme une quête de salut, d'une part, pour éviter la contamination de la violence de la mort et ; d'autre part, pour bien séparer le monde profane du travail du monde sacré des interdits.

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Il est interdit de tuer, mais cette interdiction peut être levée - et non supprimée - par des rituels qui convertissent le meurtre en sacrifice. Le propre du sacrifice par immolation est qu'il est un acte rituel qui consiste à renoncer à un bien pour un autre plus grand, c'est-à-dire une quête du salut de l'homme au sein de la transcendance verticale. Autrement dit, le sacrifice est une valeur d'échange et non une valeur d'usage en termes d'économie. Lorsque l'on tue un zébu pour la boucherie, il s'agit d'une valeur d'usage ; quand il est tué en sacrifice, c'est la valeur d'échange qui est actualisée au sein d'une quête de salut.

Donnons un dernier exemple pour illustrer le sacrifice comme valeur d'échange afin de bien préciser le statut du salut.

Dans la mythologie, il y a un sacrifice célèbre. Quand, sous l'égide d'Agamemnon, les Grecs ont levé une armée pour aller reprendre Hélène ravie par le Troyen Pâris, leur flotte fut bloquée par des vents nuls à Aulis. C'est alors que le devin Calchas révéla que la divine Artémis, déesse de la chasse, punissait ainsi les grecs pour avoir abattu des animaux sauvages et que pour apaiser sa colère, il faut sacrifier Iphigénie, la fille d'Agamemnon.

C'est le célèbre sacrifice à Aulis. Nous voyons très bien alors que le sacrifice a pour but la réussite d'une entreprise humaine. Autrement dit, pour le salut de l'homme. L'immolation d'une jeune fille vierge est monnaie courante dans les temps anciens ; ainsi, nous apprenons que pour changer le lit du fleuve Maninday dans le Sud-Ouest de Madagascar, il a fallu sacrifier une jeune fille vierge afin qu'en cas de crue le fleuve n'inonde pas le tombeau royal dont la colère serait très préjudiciable à l'activité humaine. Témoignent de ce sacrifice les banians de Miary.

S'il en est ainsi du salut, il nous faut maintenant l'embrayer sur la délocutivité. BENVENISTE définit la délocutivité de la manière suivante : « Un verbe est dit « dénominatif » s'il dérive d'un nom ; « déverbatif », si d'un verbe. Nous appellerons DÉLOCUTIFS des verbes dont nous nous proposons d'établir qu'ils sont DÉRIVÉS DE LOCUTIONS » ([1966] 1982, p. 277)

Un dénominatif est par exemple le verbe « s'évertuer » qui dérive de « vertu » et un déverbatif, la conversion d'un verbe en nom comme « création » à partir de « créer ». Le rapport ainsi mis en évidence est donc un rapport morphologique.

Nous n'avons plus besoin, à la lumière de cette définition, de définir ce que c'est une locution, il suffit de comprendre qu'une locution est un discours qui se caractérise par une forme plus ou moins stabilisée par le fait qu'il a pour mission de modifier un rapport interlocutif qui implique la double transcendance. En ce qui concerne le salut tel qu'il est décrit ici, l'homme s'adresse aux divinités dans des formules rituelles pour accomplir sa quête ou plus exactement sa requête relative aux interdits.

Ce discours rituel contient matériellement le mot « salut » ; et lorsque l'on se rend compte que le propre du rituel est une permanence de la forme, on comprend facilement pourquoi le segment de discours ainsi concerné soit appelé « locution ». De cette première remarque il faut passer à une seconde pour comprendre le mouvement délocutif.

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Le rapport interlocutif avec les divinités ne peut pas être effectué par n'importe qui. Il faut que ce soit une personne habilitée à le faire puisque la puissance divine peut être dangereuse pour une personne faible. C'est ainsi que les femmes et les enfants sont toujours écartés de la fonction de prêtrise. Mais le prêtre - dans une acception très large - n'officie pas toujours pour lui-même, puisqu'il est une personne habilitée, tout humain en quête de salut s'adresse à lui.

BENVENISTE, avec son style propre nous rapporte cette différence d'office avec son explication du cas moyen en ces termes :

« Sur le sens général du moyen, tous les linguistes s'accordent à peu près. Rejetant la définition des grammairiens grecs, on se fonde aujourd'hui sur la distinction que PÂNINI, avec un discernement admirable pour son temps, établit entre PARASMAIPADA « mot pour un autre » (=actif), et L'TMANEPADA, « mot pour soi » (=moyen). À la prendre littéralement, elle ressort en effet d'oppositions comme celle dont le grammairien hindou fait état : skr. YAJATI « il sacrifie » (pour un autre, en tant que prêtre) et YAJATE, « il sacrifie » (pour soi en tant qu'offrant) » (BENVENISTE, [1966] 1982, p. 170).

C'est quand le prêtre officie pour autrui, son discours peut être commenté par quelqu'un d'autre qui voulait rapporter l'événement en disant : il fait le salut pour tel mariage ou tel autre événement qui met l'individu en position de transgression d'interdit. Comme le factitif est à l'origine de plusieurs verbes, par exemple « faire la roue » c'est « rouler », « faire le tremble » c'est trembler. C'est ainsi que faire le salut a donné naissance par délocutivité au verbe « saluer », il ne s'agit pas là d'une simple dérivation morphologique, étant donné que le prêtre officiant intercède en faveur d'une autre personne, c'est cette différence que précise la remarque suivante :

« Soit le verbe latin SALUTARE, « saluer ». La formation en est limpide ; SALUTARE dérive de SALUS-TIS ; c»est donc, à strictement parler, un dénominatif en vertu d'une relation qui semble évidente. En réalité le rapport de SALUTARE à SALUS exige une autre définition ; car le SALUS qui sert de base à SALUTARE n'est pas le vocable SALUS, mais le souhait SALUS ! » (BENVENISTE, [1966] 1982, p. 277)

La racine historique du délocutif « saluer » est donc religieuse. Si le prêtre salue pour un mariage, c'est parce que l'union d'un homme à une femme - au sens strict - est un interdit dans la mesure où c'est une débauche d'énergie au service du jeu pur des sens. Si cela est admis, il nous faut maintenant expliquer pourquoi la vie sociale avec ou sans relation à la transcendance verticale n'est possible sans salutation. En effet, il est très instructif de constater que rencontre et séparation sont l'occasion de salutation.

Commençons d'abord par le comportement vernaculaire qui intègre une croyance aux divinités. Le pluriel du mot signale le caractère animiste de cette croyance comme nous le verrons dans l'analyse de la salutation.

Il existe une donnée qui permet de comprendre la démocratisation de la salutation à tous les membres de la société. La vie est rythmée par l'activité diurne et le sommeil nocturne.

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Pendant l'activité diurne, les esprits malfaisants ont une moindre efficacité à cause de la lumière du jour et la solidarité des humains qui sont à portée de voix ou à portée de regard. Mais pendant le repos nocturne cette vigilance collective ne peut plus être tenue, à cause à la fois de l'obscurité et du sommeil. Ce qui veut dire que pendant la nuit, chaque individu est livré à lui-même, et c'est ce moment de séparation absolue qui favorise les actions des esprits malfaisants puisque l'individu est vulnérable.

C'est pour cette raison qu'il est nécessaire de se saluer au réveil pour renouer avec la transcendance horizontale. Mais en quoi consistent les salutations en ce moment d'éveil ? C'est une salutation qui ne comporte pas souvent le verbe « saluer » bien qu'on la comprenne à partir de la valeur illocutoire de ce verbe.

Il s'agit en fait de demander comment s'était passé la nuit. À première vue, donc, l'acte illocutoire accompli est une interrogation. Pour que cette interrogation soit comprise comme un acte de salutation, il faut faire intervenir la notion de dérivation illocutoire ou de trope illocutoire.

ANSCOMBRE présente la dérivation illocutoire comme un moyen de préservation de la face quand on est contraint de solliciter quelqu'un à une action. Voici cette présentation à partir d'un exemple:

« -Pouvez-vous ouvrir la fenêtre ?

Très grossièrement, I1 est la question VOUS EST-IL POSSIBLE D'OUVRIR LA FENÊTRE ? et I2 la requête OUVREZ LA FENÊTRE, POUVOIR étant le marqueur requérant - si rien ne s'y oppose - l'application de la loi de discours : « Questionner quelqu'un sur ses possibilités de faire une action F, c'est lui demander de faire F » (ANSCOMBRE, 1980, p. 87)

La notion de trope illocutoire ne diffère pas sensiblement de la notion de dérivation illocutoire comme en témoigne le passage extrait suivant des textes de KERBRAT-ORIOCCHIONI :

« [...], « Tu peux me passer le sel ? » peut être considéré comme un trope dans ma mesure où l'énoncé signifie bel et bien « Passe-moi le sel », comme en témoigne l'enchaînement, et le fait que les conditions de réussite auxquelles est soumis un tel énoncé sont pour l'essentiel celles qui caractérisent la requête, et non celles qui sont propres à la question ( en tant que question, l'énoncé est non « relevant », donc susceptible d'« échouer » : de même que dans une métaphore, ses conditions de vérité concernent avant tout le sens dérivé, de même en cas de trope illocutoire, ses conditions de réussite sont liées à la valeur dérivée et non point littérale. » (KERBRAT-ORECCHIONI, 1994, p. 59)

Nous avons présumé que la question de la première rencontre, au matin, qui porte sur la manière dont s'était passé la nuit, a pour mission d'accomplir une salutation. Mais cette présomption ne va pas de soi parce qu'elle n'est garantie ni par la notion de dérivation illocutoire ni par le trope illocutoire que de manière indirecte. Ce qui fait problème par rapport

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aux exemples allégués dans les notions convoquées, c'est qu'ici la question ne porte pas sur la possibilité de faire quelque chose mais sur un état de chose.

Il nous faut donc expliquer la particularité de cette question pour la comprendre comme trope illocutoire. La question a une base intertextuelle. En effet, elle n'est posée que sur la base de l'état des personnes lors de la dernière entrevue, un état que l'on souhaite se maintenir car conforme aux quêtes de salut qui ont cours dans les rites. La question revient donc à se demander si les divinités continuent d'accorder leur salut aux hommes.

C'est bien par métalepse que la question glisse des divinités aux hommes puisque comme il est souligné plus haut, seuls les prêtres peuvent traiter avec les divins. En plus traiter avec les divins exigent des formules rituelles. GOBARD, dans une analyse de la composante magique du langage nous dit la même chose :

« "Amen" peut correspondre pour une traduction simplement cognitive à "qu'il en soit ainsi", ou familièrement à "d'accord" ou "okay". La substitution du seul signifié privé de son signifiant magique démontre aussitôt que c'est bien le signifiant absolu qui fonctionne comme tel.

"Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, d'accord".

L'effondrement instantané de la formule rituelle lorsqu'elle s'active au niveau de la dénotation d'un accord ordinaire est bien la preuve que l'on ne traite avec le surnaturel que grâce à un langage extralinguistique » (GOBARD, 1980, p. 193)

Il faut entendre par langage extralinguistique ici, les formules rituelles qui ne supportent pas de modification signifiant dans une démarche sémasiologique, un langage destiné au rapport interlocutif avec la transcendance verticale.

On voit bien maintenant que faute de pouvoir traiter avec le divin sans offrande, il n'est pas possible d'établir un lien direct avec lui. Le détour métaleptique est là pour contourner l'obstacle. Il s'ensuit une démocratisation de l'acte de salut. Pour justifier cette démocratisation, il n'est que d'analyser l'euphémisme caractéristique de l'enchaînement à la question:

3. Nafohany [il m'a remis debout]

Dans cette traduction, nous avons le pronom impersonnel "il" qui est décrit dans la grammaire traditionnelle comme un pronom de la troisième personne à quoi BENVENISTE rétorque c'est le pronom de la personne absente ou de la non-personne:

« La troisième personne représente en fait le membre non marqué de la corrélation de personne. C'est pourquoi il n'y a truisme à affirmer que la non-personne est le seul mode d'énonciation possible pour les instances de discours qui ne doivent pas renvoyer à elles-mêmes, mais prédiquent le procès de n'importe qui ou n'importe quoi hormis l'instance même, ce n'importe qui ou n'importe quoi pouvant toujours être muni d'une référence objective. » (BENVENISTE, [1966] 1982, pp. 254-255)

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La non-personne est ce qui est exclue par les instances de discours « je » et « tu » qui sont des individus linguistiques. Dans la mesure où les divinités ne se manifestent pas par une instance de discours, elles sont donc une non-personne. C'est dans ce sens que LEVINAS parle d'« illéité » (LEVINAS, 1992). Ce « il » de la traduction est imposé par le fait que l'on ne peut pas traiter avec les divinités comme un allocutaire susceptible de devenir un « je » que dans les moments sacré de l'office.

Quand on sait que ces offices ont globalement pour but de demander le salut des hommes auprès des divinités, ce salut est envisagé comme un état qui perdure et non comme un état ponctuel au moment de l'office, il est normal que ce salut soit envisagé de manière détournée dans le vécu profane de tous les jours. C'est ce que nous montre l'euphémisme « il » pour renvoyer à une divinité pour éviter de la nommer au risque de provoquer sa colère. Ce rapport de prudence avec la divinité est bien expliqué dans la Bible au moment où Moïse va rencontrer Dieu : « Va avertir le peuple de ne pas se précipiter pour me voir. Sinon beaucoup d'entre eux mourraient. Même les prêtres, qui peuvent pourtant s'approcher de moi, doivent se purifier, de peur que je n'intervienne contre eux » (EXODE, pp. 19, 21-22)

Par ailleurs, FREUD précise que, parmi les objectifs du tabou, il y a la nécessité de protéger les humains contre la puissance ou la colère des Dieux ou des démons (FREUD, Totem et Tabou, [1912]1993, p. 22). En ce qui concerne les prohibitions religieuses, l'interdit de s'approcher des Dieux fonctionne de la même manière : un tabou qui vise à protéger les hommes de la puissance divine comme nous le pouvons constater ci-dessus, dans le passage de l'Exode. Cette interdiction s'étend aussi au niveau linguistique : « Tu ne prononceras pas mon nom de manière abusive, car moi, le Seigneur ton Dieu, je tiens pour coupable celui qui agit ainsi » (EXODE, 1982, pp. 20, 7)

Ainsi, à partir de cette démocratisation, saluer n'est plus le privilège des prêtres d'autant plus que la séquence linguistique pour l'accomplir ne contient plus nécessairement le terme de la locution de crainte de blasphémer, car il ne s'agit pas d'un moment sacré d'un rituel, mais d'un moment du vécu profane au quotidien. En définitive, cette salutation est accomplie comme telle par interpénétration de la transcendance horizontale et de la transcendance verticale.

La transcendance verticale interdit la référence directe aux divinités dans la question qui manifeste la salutation. C'est pour cela que la salutation ne fait pas référence directe au salut que seules les divinités peuvent prodiguer ou refuser. Nous avons vu que le rapport entre ce salut et la question est métaleptique. L'enchaînement atteste cette référence indirecte par l'utilisation du « il » qui est un moyen naturel pour désigner la non personne. Rappelons que la non-personne est à la fois la personne qui n'est pas impliquée en tant qu'acteur dans la communication. C'est-à-dire les personnes qui ne sont ni destinateurs ni destinataires de la parole mais qui peuvent en être l'objet. Et également, les objets du monde qui ne peuvent pas être locuteurs dans une communication sauf personnification ou allégorie. Il ne faut pas oublier qu'en outre, la non personne est aussi les divinités ou les puissances surnaturelles dont les noms sont frappés de tabou linguistique.

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Cependant, on peut économiser cette explication en faisant intervenir le mécanisme de la règle du détachement du sens. Prenons d'abord connaissance de la version faible de cette règle : « Règle (faible) de détachement du sens: Si on peut démontrer P, si de plus on peut démontrer (P signifie Q), alors on peut démontrer Q. (CORNULIER, 1982, p. 127)

Cette règle porte le numéro de paragraphe « C » et elle correspond au théorème « C' » que nous reproduisons également ci-contre :

« Thèse (faible) de détachement du sens: ((P & (P signifie Q)) implique Q. Dans les formulations C et C' du détachement du sens, on peut appeler P L'INTERPRÉTÉ, Q L'INTERPRÉTANT, et la proposition « (P signifie Q) » L'INTERPRÉTATION. L'idée du détachement (faible) du sens est que la conjonction d'un interprété avec une interprétation implique l'interprétant. » (Ibid.)

Dès lors questionner quelqu'un du réseau de la transcendance horizontale sur le comment il a passé la nuit, c'est faire référence indirecte au fait que pendant la nuit chaque individu est livré à lui-même avec pour seule protection le salut qui s'accorde ou se refuse de la part des divinités. Si cette question fonctionne comme P dans le cadre de la thèse du détachement du sens, alors on peut accepter que poser cette question, c'est y lire, dans le cadre des tabous linguistiques liés aux divinités, une question sur son salut. C'est donc questionner sur son salut, selon la thèse du détachement du sens.

L'objection qui peut être soulevée maintenant contre cette première application de la règle du détachement est consistante pour être passée sous silence. Questionner sur le salut d'un individu, n'est pas le saluer.

Ainsi, pour résoudre la contradiction entre ce que nous prétendons démontrer et cette objection, il nous faut faire intervenir, une seconde fois, la règle du détachement du sens à partir d'un autre interdit.

Nous avons pris connaissance dans l'analyse du salut qu'il appartient à une locution parce que faisant partie d'une formule rituelle à partir de laquelle les prêtres, et exclusivement eux, ou quelqu'un d'équivalent, s'adressent à Dieu pour demander le salut des hommes. L'interdiction revient alors à dire qu'il faut être un prêtre pour être autorisé à parler de salut, car le salut est un privilège des Dieux.

Si, en plus, l'on sait que le salut ne peut pas être commandé mais seulement suggéré - comme d'ailleurs toute requête - on comprend pourquoi il nous faut appliquer de nouveau appliquer la règle du détachement du sens. En effet, il y a lieu de croire que l'interdit est une contrainte et que toute contrainte cherche une issue la moins coûteuse. Voici justement un exemple emblématique de cet interdit. Il s'agit de la prière de Jésus Christ dans le jardin de Gethsémané : « Ô mon Père, tout t'est possible, éloigne de moi cette coupe de douleur. Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux! » (De l'Évangile selon saint Marc. 14,36)

Cet interdit empêche à l'homme ordinaire a fortiori de présumer du salut de qui il s'inquiète en vertu de la transcendance horizontale. Ce qui explique que son souhait se mue

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en question. C'est ce que nous pouvons retrouver de nouveau dans la règle du détachement du sens.

Dans le premier résultat de la règle nous avons dit que poser une question sur la manière dont quelqu'un a passé la nuit implique une question sur son salut. Ce résultat à son tour devient un P et ce P signifie Q que l'on salue, donc par la règle du détachement faible, c'est saluer dans le sens illocutoire.

Nous retenons de ces explications que la délocutivité peut connaître un enchâssement multiple sous la contrainte d'interdit linguistique et que la délocutivité est une citativité illocutoire. C'est-à-dire que la locution de laquelle dérive le terme délocutif est performative, une performativité qui motive tout le discours contenant la locution, voire motivant la transcendance verticale et la transcendance horizontale sous la perspective de la quête du salut. Les discours qui correspondent à cette définition sont innombrables et traversent les temps et les espaces qu'il nous semble que l'on peut tenir cette conclusion comme pertinente.

Afin de la conforter observons une autre apparition de la salutation dans une sémiotique autre que linguistique. Ce faisant, nous souscrivons entièrement à la remarque de BENVENISTE qui remanie le paradigme saussurien entre linguistique et sémiologie. Saussure pense que la linguistique est un territoire parmi la sémiologie qu'il assigne à l'étude de la vie des signes au sein de la société. (SAUSSURE, 1982, p. 33). Voici ce changement de paradigme :

« Toute sémiologie d'un système non-linguistique doit emprunter le truchement de la langue, ne peut donc exister que par et dans la sémiologie de langue. Que la langue soit ici instrument et non objet d'analyse ne change rien à cette situation, qui commande toutes les relations sémiotiques ; la langue est l'interprétant de tous les autres systèmes, linguistiques et non-linguistiques. » (BENVENISTE E. , [1974] 1981, p. 60)

Pour accomplir une salutation, dans le cadre du stress de la concentration de populations dans les grandes agglomérations, voici quelques expressions - au sens sémiotique de ce terme - qui ne sont pas du tout linguistiques mais relèvent d'autres codes comme le gestuel, le visuel ou le sonore, mais interprétées comme salutation revient pratiquement à « saluer », c'est-à-dire, accomplir par leur production un acte de langage que l'on qualifie de salutation.

Parmi ces expressions, nous pouvons citer le hochement de tête, la main portée à hauteur de la tête (forme dérivée du salut militaire), la main levée à n'importe quelle hauteur avec la paume en avant, etc. En ce qui concerne les automobilistes, l'expression interprétée est soit un coup d'avertisseur, soit un appel de phare. À celles-là, on peut ajouter les différentes manifestations vocales inanalysables produites au moment des rencontres.

La remarque que nous devons produire sur ces exemples consiste à dire que nulle part, il n'est fait mention du mot « salut » ni du verbe « saluer », ni même mention de quelque chose qui puisse être qualifié de linguistique, pourtant la salutation est accomplie. Cet

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accomplissement ne doit pas nous rendre perplexe puisque dire « salut )) dans les conditions décrites dessus suffit à saluer selon la délocutivité.

Cette description fait qu'il n'y a pas de raison à ce que l'on s'oppose au fait que l'on remplace ce « salut » délocutif, forme ritualisée, par d'autres sémiotiques. C'est ce que prévoit la règle de détachement fort du sens dont voici la formulation et le commentaire allant dans le sens de ce que nous voulons expliquer :

« Quel que soit P, quel que soit Q, ((P & (P signifie Q)) signifie Q).

[...]Le détachement du sens est donc un principe qui permet à un langage de s'incorporer n'importe quel élément nouveau comme signe de n'importe quelle valeur qu'on puisse déjà y exprimer. En ce sens, l'inventivité sémiologique est arbitraire, radicalement et totalement, dans la mesure où le détachement fort du sens a la force d'une règle. » (CORNULIER, 1982, p. 136)

C'est ainsi que, en application de la règle de détachement du sens (version forte), des sémiotiques qui ne sont plus linguistiques, donc sans relation morphologique du tout avec la locution originale, reprend la valeur illocutoire du paradigme dans les conditions d'énonciation équivalente, pour accomplir cette valeur illocutoire. Cependant, il ne faut pas croire que cette valeur illocutoire est exactement la même que celle dont elle dérive. Les salutations effectuées dans ces sémiotiques privilégient exclusivement la transcendance horizontale.

On s'aperçoit alors que la salutation ainsi dépourvue de relation avec les divinités n'est plus perçue comme une quête de salut, mais une quête de reconnaissance dans le réseau de transcendance horizontale. C'est pour cette raison que cette salutation peut se permettre d'accueillir diverses formes sémiotiques. Sinon, les hochements de tête, les levers de chapeau, la main donnée, etc. produit au moment de la première rencontre, ne signifient aucune valeur illocutoire. Ce qui veut dire que « saluer » dans sa version citadine est devenu l'effectuation d'une reconnaissance, une reconnaissance qui a donné naissance à la possibilité de l'énonciation suivante :

4. Je salue le courage de cet homme

Que l'on interprète, en seconde application de la règle du détachement du sens, ces salutations dans d'autres sémiotiques comme une simple marque de politesse n'empêche pas que la marque de politesse s'effectue sur la base de cette reconnaissance. Même, quand la salutation prend une forme linguistique, les contraintes de la trépidation de la ville continuent de s'appliquer de telle manière qu'il suffit de dire «bonjour )) pour accomplir la salutation. Une salutation qui ne s'interprète plus comme :

5. Je souhaite que vous ayez un bon jour.

Ce qui veut dire que la règle du détachement du sens (variante forte) peut servir d'appui pour expliquer le phénomène de la délocutivité conformément à son enrichissement chez

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DUROT qui la formule comme suit : « Je prendrai pour E1, le signifiant salus muni de la signification S1, et pour E2, ce même signifiant, mais compris comme S2. Si l'on admet que E2 est dérivé de E1, il est assez facile de tenir cette dérivation pour délocutive. » (DUCROT, 1980, p. 48)

En définitive, saluer dans cette surdélocutivité est une manière d'accomplir une fonction phatique dans le sens Bronislav MALINOWSKI : établir un contact entre membre d'un même réseau de transcendance horizontale.

Travaux cités

ANSCOMBRE, J.-C. (1980). "Voulez-vous dériver avec moi?". Dans Rhétoriques, Communications (Vol. 16, pp. 61-123). Paris: Seuil.

BENVENISTE, E. ([1966] 1982). Problèmes de linguistique générale,1. Paris: Gallimard. BENVENISTE, E. ([1974] 1981). Problèmes de linguistique générale, II. Paris: Gallimard.

CORNULIER, B. (1982). "Le détachement du sens" dans Les Actes de Discours, Communications,32. Communications, pp. 125-182.

DUCROT, O. (1980). "Analyses pragmatiques". (Seuil, Éd.) Communications(32). EXODE. (1982). Bible. Paris: Société biblique française.

FREUD, S. ([1912]1993). Totem et tabou, Quelques concordances enter la vie psychique dessauvages et celle des névrosés. (W. Marièlene, Trad.) Paris: Gallimard.

GOBARD, H. (1980). "Diglossie ou tétraglossie, tétragénèse du langage". Dans B. GARDIN, & J.-B. MARCELLESI, Sociolinguistique, Approches, Théories, Pratiques (pp. 191-195). Paris: Presses Universitaires de France.

HEIDEGGER, M. (1987 [1949]). Les chemins qui ne mènent nulle part. Paris: Gallimard.

KERBRAT-ORECCHIONI, C. (1994). "Rhétorique et Pragmatique: les figures revisitées". Langue française, volume 101, N°1, pp. 57-71. Récupéré sur Persée.

LEMELIN, J. M. (1996). L'expérience ou l'évènement tragique. Consulté le août 17, 2013, sur https://www.google.mg/#bav=on.2,or.r_qf.&fp=d6bc00e82892d683&q=lemelin+:+exp%5E% C3%A9rience+t+%C3%A9v%C3%A9nement+tragique: www.ucs.mun.ca/~lemelin/EVENEMENT.html

LEVINAS, E. (1992). De Dieu qui vient à l'idée. Paris: Librairie philosophique J. Vrin. SAUSSURE, d. F. (1982). Cours de Linguistique Générale. Paris: Payot.

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14. À PROPOS DE MORPHÈME «MBA »

RÉSUMÉ :

Le morphème « mba » est d'une haute fréquence dans le rapport interlocutif car il sert à atténuer une requête ou une affirmation. Il est donc perçu comme un adverbial mais en réalité, son fonctionnement vise la préservation de la face dans la mesure où se locuteur se trouve en position de faiblesse par rapport à son interlocuteur. Il y donc lieu de comprendre que c'est un adoucisseur au sens pragmatique de ce terme et du coup, il est en position de surdélocutivité.

Mots clés : « mba », prière, adoucisseur, préservation de la face, rapport interlocutif.

Abstract :

«Mba» morpheme is a high frequency in the interaction report because it is used to reduce a query or statement. It is therefore seen as an adverbial, but in reality, its operation is the preservation of the face where is speaker is in a weak position compared to his interlocutor. It is therefore understand that it is a softener to the pragmatic meaning of this term and in this way, it is in a position to surdelocutivite.

Key words: «mba», prayer, softener, preservation of the face, report interaction.

À l'instar des analyses pragmatiques de détail de DUCROT (Analyses pragmatiques, 1980), nous allons essayer de démontrer que certains morphèmes ne sont pas compréhensibles que par référence à l'énonciation et que certains de leurs emplois les rangent dans ce que BENVENISTE appelle « délocutif »

Nous allons commencer par le morphème « mba ». Il y a lieu de comprendre ce morphème comme un adverbe. Il a donc pour fonction de modaliser le verbe afin de montrer une attitude du locuteur dans le rapport interlocutif. Quand on parle de modalisation, très souvent on pense seulement aux verbes modaux, mais depuis la notion de modalisation autonymique développée par Jacqueline AUTHIER-REVUZ, on peut dire que la modalisation fait que la séquence linguistique montre une attitude du locuteur tout en continuant à signifier comme les autres éléments du discours (AUTHIER-REVUZ, 2001), autrement dit, les modaux ne sont pas uniquement des verbes.

On peut dire que d'une manière globale, le morphème « mba » est au service de la préservation de la face. La question de la face a pris naissance dans les textes de GOFFMAN qui est un sociologue et fut depuis appropriée par la pragmatique. Cette appropriation est normale parce que justement la communication tient compte du rapport interlocutif et que de la sorte il est important de modaliser ce qui est dit de manière à préserver une forme d'équilibre entre les interlocuteurs, sinon la question de la hiérarchie se posera de manière cruelle. Voici comment GOFFMAN présente cette notion de face de ses textes :

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« Un individu "garde la face" lorsque la ligne d'action qu'il suit manifeste une image de lui-même consistante, appuyée par les jugements et les indicateurs venus des autres participants, et confirmée par ce que révèlent les éléments impersonnels de la situation. Il est alors évident que la face n'est pas logée à l'intérieur ni à la surface de son possesseur, mais qu'elle est diffuse dans le flux des événements de la rencontre, et ne se manifeste que lorsque les participants cherchent à déchiffrer dans ces événements les appréciations qui s'y expriment. La ligne d'action d'une personne pour d'autres personnes est généralement de nature légitime et institutionnalisée. ». (GOFFMAN, 1984 (éd. or. 1974), p. 10)

De la sorte, en fonction de la modalisation des énoncés, on peut garder ou perdre la face. C'est pour cette raison que nous définissons ces deux possibilités dans l'hypéronyme "préservation de la face". Dans la littérature anglaise de la pragmatique cette préservation de la face reçoit le concept de "face work". Parmi les auteurs qui ont contribué à la mise en place de la notion de "face work" au sein de la pragmatique, nous pouvons citer Robin LAKOFF (1974) qui s'inspire des travaux de H. Paul GRICE (1975). Autrement dit, la préservation de la face est au coeur de la question de la politesse dans la communication, notamment dans le parcours conversationnel. Le modèle le plus opératoire semble être celui de Pénélope BROWN et Stephen LEVINSON ([1978] 2000). Cependant, la radicalisation de l'opposition entre communication irénique (harmonieuse) et communication agonale (conflictuelle) fut tempérée par (KERBRAT-ORRIOCHIONI, 1996) qui soutient que ces deux faces de la communication ont tendance à coexister dans l'échange verbal, mais cela n'implique pas que la préservation de la face ne soit pas une quête permanente dans toute énonciation.

De ce préliminaire, nous pouvons inférer que le morphème "mba", qui nous intéresse, sert à la préservation de la face en tenant compte de ses divers emplois dans le discours. Il ne serait pas faux de traduire "mba" par « prière » mais dans le cadre d'évolution de ce travail il est l'équivalent pragmatique exact de "je vous en prie" ce qui nous permet de comprendre sur la base de la grammaire générative, cf. (CHOMSKY, 1975) que ce morphème doit toujours être un élément de la phrase matrice et a pour mission de donner un effet adoucisseur à l'énonciation.

Plus précisément, la fonction pragmatique de ce morphème est de modaliser un autre acte de langage: la demande ou la requête ou quelque chose d'équivalent comme la sollicitation. Cette dernière remarque va nous permettre de mieux caractériser la demande et ses équivalents.

On peut inscrire la demande dans le cadre de la catégorie désir dont la propriété est caractérisée par un manque. C'est ce que nous apprend la logique narrative qui fait naître le texte à partir d'un manque comme le souligne l'algorithme narratif (GREIMAS, [1966b]1981, pp. 29-30); ce qui veut dire que l'on ne peut désirer que ce que l'on ne possède pas. Il en résulte que la condition d'existence d'une demande est que le sujet demandant n'a pas les moyens de satisfaire ses propres désirs, ou en termes sémiotiques, qu'il n'a pas les moyens de réaliser la conjonction avec son objet de désir. C'est pour cette raison que la demande

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s'adresse toujours à quelqu'un d'autre que le demandeur considère comme disposant des moyens nécessaires à la conjonction d'objet.

Dès lors, il s'avère que la satisfaction du désir dépend entièrement de l'autre, il est donc nécessaire de le mettre dans de bonnes dispositions pour qu'il s'exécute dans le sens du demandeur. Dans la langue malgache, l'un des moyens de cette mise à bonnes dispositions est justement le morphème "mba". D'un premier abord, "mba" est un morphème qui sert à adoucir une demande. Ce qui veut dire très exactement que "mba" est non seulement un adverbe mais en outre il rendre dans la catégorie de ce que BENVENISTE appelle "individu linguistique" selon la définition suivante:

« Les formes appelées traditionnellement «pronoms personnels», «démonstratifs» nous apparaissent maintenant comme une classe d'«individus linguistiques», de formes qui renvoient toujours et seulement à des «individus», qu'il s'agisse de personnes, de moments, de lieux, par opposition aux termes nominaux qui renvoient toujours et seulement à des concepts. Or le statut de ces «individus linguistiques» tient au fait qu'ils naissent d'une énonciation, qu'ils sont produits par cet événement individuel et, si l'on peut dire, «semel-natif». Ils sont engendrés à nouveau chaque fois qu'une énonciation est proférée, et chaque fois ils désignent à neuf. » (BENVENISTE E. , [1974] 1981, p. 83)

"Mba" en tant qu'individu linguistique possède encore un caractère singulier: il ne peut avoir de référence extralinguistique mais seulement sui-référentiel dans la mesure où il ne désigne pas mais sert seulement à accomplir un acte linguistique à propos d'un autre. C'est ce que permet de mettre en évidence le contraste des exemples suivants:

1. Omeo rano aho [donne-moi de l'eau]

2. Mba omeo rano aho [Je vous prie de me donner de l'eau]20

On peut considérer que dans (1) le locuteur accomplit une injonction tandis que dans (2), la demande telle qu'elle se présente dans (1) est convertie par le morphème mba en une sollicitation de faveur. Cette interprétation du morphème est semble-t-il son premier emploi. Du point de vue du rapport interlocutif, voici le mécanisme mis en jeu dans le contraste de ces deux exemples.

On peut admettre sans discussion que dans la plupart des cas celui qui donne de l'ordre est habilité à le faire. Une habilitation qui lui vient d'une position hiérarchique supérieure. Nous pouvons constater cela facilement dans la hiérarchie militaire. C'est pareil cas dans toute forme d'administration. Nous n'en voulons pour preuve que la formule d'exorde dans les demandes écrites qui est reproduite suivant à titre d'exemple:

20 On peut aussi accepter par référence aux buts pragmatiques la traduction suivante "donne-moi de l'eau s'il vous plaît". Mais il faut noter que l'expression s'il vous plaît n'existe pas en malgache que sous forme d'emprunt [raha sitrakao]

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3. J'ai l'honneur de solliciter votre haute bienveillance de ...

L'intérêt de cette formule est qu'elle affecte de signes symétriquement inverses les acteurs de la communication. Commençons paradoxalement par le destinataire de la parole. Tout d'abord, faisons remarquer que le terme d'adresse est un "vous" qui est une marque de respect dans son refus d'une familiarité ou, ce qui revient au même, dans l'instauration d'une distance dans le rapport interlocutif.

Ce qui veut dire dans le cadre de la préservation de la face que l'introduction du morphème "mba" dans la demande a pour effet de rehausser le destinataire de la parole à un rang supérieur, et symétriquement, le destinateur se retrouve dans une position inférieure parce que dépendant du bon vouloir du destinataire.

Contrairement à cela, dans (1), nous avons une inversion des signes des valeurs aux actants de la communication. Dans (1), c'est le destinateur de la parole qui se trouve dans une position hiérarchiquement supérieure. On peut admettre en effet que la possibilité de donner un ordre implique une hiérarchie dans le rapport interlocutif selon lequel on ne peut pas donner un ordre à son supérieur. C'est qu'attestent les répliques du genre: "vous n'avez pas à me donner des ordres" ou "je n'ai pas à recevoir vos ordres" dont le but pragmatique est de remettre chacun à sa place.

La question de place au sens de rapport interlocutif est discutée par François FLAHAULT. Cette question est cruciale si d'un rapport d'amitié, l'un des acteurs de la communication veut passer à un rapport amoureux, sur la base de la remarque suivante: « L'illocutoire - qui n'est absent d'aucune parole, fût-ce la plus anodine - prend appui sur le « QUI TU ES POUR MOI, QUI JE SUIS POUR TOI », y revient, le modifie, en repart ; rien ici n'étant réglé une fois pour toutes. » (FLAHAULT, 1978, p. 70)

En effet, un individu peut avoir plusieurs rapports sociaux avec un autre. Or, il faut admettre que ce qui atteste de ces rapports est l'interlocution. Ainsi, en essayant de reprendre à notre compte l'exemple de FLAHAULT, au bureau le rapport entre le directeur et sa secrétaire est en faveur du premier. Qu'il vient à être prononcé entre eux le mot amour, ce rapport peut être bouleversé. C'est ce qui a permis à FLAHAULT de faire le commentaire ci-après :

« Mais enfin, imaginons qu'un garçon et une fille soient bons amis: ils se trouvent apparemment dans ce cas favorable. Pourtant, que l'un vient à « tomber » amoureux de l'autre, et la question du « je t'aime » va se poser douloureusement à lui (ou elle), à cause de l'augmentation considérable des enjeux qui accompagnent ce changement [...].

C'est la peur de cet ébranlement de sa propre identité qui conduit chacun à éviter la situation qui se noue dans l'illocutoire explicite (performatif) pour lui préférer l'implicite. » (FLAHAULT, 1978, p. 51)

À la lumière de ces remarques, nous pouvons mieux comprendre la différence entre (1) et (2). Dans le premier exemple, l'illocutoire accomplit un ordre bien que formellement c'est

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le mode impératif qui focalise cette injonction. Nous pouvons, ici, reprendre un argument de DUCROT qui lui sert à caractériser l'ordre: devant un ordre, il n'y a que deux possibilités; y obéir ou refuser d'obtempérer.

Dans le cas où l'on y obéit, malgré soi, on atteste alors de la position hiérarchiquement supérieure de son auteur. Sinon, on ne lui accorde pas cette position. Autrement dit, comme le fait remarquer FLAHAULT, la question de place dans le rapport interlocutif n'est pas réglée une fois pour toutes. Ce qui veut dire que "mba", à la différence de ses équivalents pragmatiques dans d'autres langues permet d'éviter de poser frontalement la question de la place parce qu'il met toujours le destinataire en position supérieure.

Cette dernière remarque nous amène à identifier, dans le rapport interlocutif, l'individu linguistique destinataire de la parole à qui l'on doit obéissance. Une obéissance qui assure l'assomption de ce destinataire à un rang supérieur. Nous verrons dès lors que le morphème qui nous intéresse porte la trace mythico-religieuse du langage.

Notons qu'à l'origine, une prière a toujours pour destinataire une divinité. À bien observer les récits cosmogoniques, il y a toujours un être suprême à qui nous devons tout. Cette divinité accorde ou refuse sa bienveillance selon un principe que HEIDEGGER appelle "ouverture du monde":

« L'ouverture d'un monde donne aux choses leur mouvement et leur repos, leur éloignement et leur proximité, leur ampleur et leur étroitesse. Dans l'ordonnance du monde est rassemblée l'ampleur, à partir de laquelle la bienveillance sauvegardante des dieux s'accorde ou se refuse. » (HEIDEGGER, [1949]1987 , p. 48)

Nous pouvons comprendre alors que l'individu linguistique destinataire d'une prière est celui auquel l'énonciation garantit l'assomption à un rang supérieur, d'une manière ou d'une autre. Atteste de cette assomption la prière de Jésus dans le jardin de Gethsémani: « Père, tout est possible pour toi, éloigne de moi cette coupe. Cependant, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux! » (De l'Évangile selon saint Marc. 14,32-36)

La raison de cette prière est que Jésus ne se sent pas prêt à subir la mort, il est très angoissé par cette mort imminente et tente de le faire différer par cette intervention. Pourtant, cette intervention qui est l'expression de sa propre volonté doit céder le pas si elle n'est pas conforme à la volonté de son Père. Ce qui veut dire qu'en cas de non-conformité, Jésus doit accepter la mort au même titre qu'il a accepté la vie qui lui vient de son Père.

Il n'est pas question d'accepter que la prière contenue dans l'utilisation du préfixe performatif "mba" soit une assomption du destinataire au rang d'une divinité. Mais on peut admettre dans le parcours conversationnel entre être humain que "mba" est une dérivation délocutive d'une prière adressée à une divinité ou à la transcendance verticale. En effet, quand on fait une prière rituelle au cours d'une offrande à une transcendance verticale, la prière est préfixée d'un "mba" par lequel l'"ouverture d'un monde" fait que l'on ne commande pas à cette transcendance, mais on spécifie qu'il sera fait selon sa volonté en dépit du désir humain.

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En ce qui concerne le "mba" du parcours conversationnel qui est caractérisé par la transcendance horizontale, c'est-à-dire que le parcours conversationnel s'établit entre les humains - il est patent que la prière dans le cadre de la transcendance verticale ne reçoit jamais de réponse linguistique - nous avons une attestation du caractère éminemment social du langage. Ce caractère social découle du fait qu'il est extrêmement difficile, voire impossible, pour un individu de vivre en autarcie. C'est cette difficulté, ou cette impossibilité, que contourne l'emploi de "mba" comme nous allons le constater un peu plus loin. L'échange commercial est aussi un commerce linguistique.

En résumé, on peut dire que "mba" joue le rôle de préfixe performatif à tout énoncé qui accomplit une demande à autrui afin d'oblitérer l'aspect injonctif de l'énonciation. Bien entendu dans le commerce monétarisé, on peut accepter que le produit obtenu par une somme d'argent est exactement la valeur d'échange de ce produit, mais il y a la valeur d'usage qui peut être cruciale pour l'acheteur. Ce qui implique, en fonction de cette valeur d'usage, que l'acheteur a intérêt à inscrire sa quête dans le registre irénique afin d'être servi au mieux.

Le registre irénique de la communication est d'autant plus nécessaire quand la demande n'implique aucune valeur d'échange mais seulement une valeur d'usage. C'est ce qui se passe par exemple quand quelqu'un doit demander du feu à son voisin:

4. Saika mba hangataka afo aho [je voudrais vous demander du feu]

La traduction est ici des plus malaisées parce que la valeur du conditionnel relève de la combinaison du passé et du futur. Le passé, plus exactement l'imparfait rendu par la désinence ais suppose que la demande n'est plus dans le cas où elle risque d'importuner le destinataire. Le futur, marqué par le morphème r, signale que la demande est d'actualité si le destinataire veut bien y souscrire.

On retrouve dans la source de la traduction cette combinaison du passé et du futur. Le passé se trouve dans saika qui signifie "avoir failli" et le futur se trouve dans le morphème h de hangataka dont le l'infinitif mangataka signifie "demander". Ce qui implique que le morphème "mba" a pour mission de convertir la demande en une prière.

Nous pouvons donc dire qu'en préfixant la demande par "mba" le destinateur affiche une distance maximale entre lui et le destinataire, une distance dans laquelle il est au bas de l'échelle. Tout se passe comme si cette distance était incommensurable et quand elle venait à être réduite - et non supprimée par la demande - l'énonciation donne au destinataire toute latitude d'accepter ou de refuser le contenu de la prière.

Nous avons exactement la même chose dans la formule "avoir l'honneur" qui est devenue un exorde des lettres personnelles. En disant "j'ai l'honneur" le locuteur stipule qu'il n'a même pas le mérite de s'adresser au destinataire mais que devant solliciter malgré lui la bienveillance de son interlocuteur, il confère à la communication une réduction de la distance incommensurable comme un honneur. Ainsi, la demande est une modification du rapport interlocutif dans lequel le destinataire est rehaussé. Le destinateur n'en est pas moins

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rehaussé mais il se préserve d'être au même pied d'égalité que le destinataire, car la distance est définie comme incommensurable et que, de toute manière, le destinateur est caractérisé par un manque qu'il n'est pas en mesure de liquider. C'est à cette modification du rapport interlocutif que se destine le morphème mba par assomption du destinataire.

Benveniste a peut être défini de manière quelque peu laconique - c'est son style propre - les individus linguistiques dans une section où, pour la première fois, le terme d'énonciation est caractérisé par son occurrence dans un acte individuel d'appropriation du langage. Ce qui a pour effet de convertir l'entité virtuelle qu'est le langage en de discours. Ce qui veut dire que la référence à l'énonciation convertit le discours en token sur lequel se base la sémiotique triadique de PEIRCE.

Dans la mesure où l'individu linguistique par excellence est le "je" défini comme désignant celui qui parle; il s'ensuit, suivant en cela RECANATI qui traite l'énonciation dans le cadre de la "token réflexivité" (RECANATI, 1979, p. 91 & passim), nous pouvons donc admettre que "mba" est un individu linguistique qui prend seulement naissance dans une énonciation qui ne peut se faire sans le "je". Cet acte linguistique promeut littéralement à l'existence un rapport interlocutif dans lequel le destinataire de la parole est élevé pratiquement au rang du divin. C'est cette assomption qui - par l'énonciation de "mba" - jette de l'ombre au destinateur; mais il faut tenir compte que pouvoir commercer avec le divin est un honneur qui élève également le destinateur de quelque manière. Nous voulons prévenir par cette remarque la tentation de comprendre que le fonctionnement de "mba" consiste à rabaisser le locuteur, car l'objectif général de toute prise de parole n'est pas seulement d'éviter faire perdre la face son interlocuteur mais aussi de garder sa propre face.

Il ressort de cette première analyse que le morphème se combine avec une injonction et a pour mission de convertir cette injonction en demande de faveur de telle manière que le requérant se trouve en attente du bon vouloir de celui à qui il demande quelque chose. Autrement dit, la présence de « mba » dans un énoncé interdit que l'énonciation soit comprise comme une imposition ou comme un ordre. C'est donc une forme de politesse qui permet d'éviter d'agresser la face de son interlocuteur. Rappelons pour mémoire qu'être poli dans le cadre conversationnel, c'est éviter de blesser l'autre par ses propres paroles; c'est ce qu'il faut entendre ici par "préservation de la face".

En définitive, le morphème « mba » entre dans un schème argumentatif ; c'est-à-dire en indexant l'énonciation sur le registre de la politesse, son emploi se révèle aussi être une stratégie argumentative qui vise l'obtention de ce qui est demandé. La politesse impliquée par le morphème « mba » ne vise pas seulement à préserver la face de l'interlocuteur mais aussi celle du locuteur. En effet, en employant « mba » dans sa demande, le locuteur tout en affichant son désir marque aussi sa disposition à se soumettre à la volonté de l'interlocuteur qui peut éventuellement refuser. Mais il faut reconnaître, conformément à la maxime selon laquelle "noblesse oblige", on ne peut pas décemment accepter l'assomption à un rang élevé et refuser de daigner prendre en considération la demande de quelqu'un qui s'affiche comme infiniment plus faible que soi.

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La société malgache est fortement ancrée dans la transcendance et il a fort à parier que "mba" est un délocutif d'un rituel sacré. En effet, c'est une double transcendance qui caractérise l'individu.

La première transcendance est celle qui relie l'individu avec les divinités comprises comme des êtres qui accordent ou refusent leur bienveillance. Voilà pourquoi des rituels sont prévus pour que les hommes puissent s'acquitter des obligations qui leur sont dues. Ces obligations qui se présentent sous forme d'offrandes sont une manière d'honorer les divinités, mais ont surtout pour finalité de mettre ces êtres supérieurs dans de bonnes dispositions afin qu'ils accèdent à la demande de faveur des hommes. Ces demandes de faveur s'accomplissent dans une forme linguistique spécifique que l'on appelle "prière" et c'est au cours de ces prières qu'intervient le morphème "mba", puisqu'on ne peut pas commander les divinités de qui l'existence de l'homme dépend. C'est la transcendance verticale.

La deuxième transcendance unit l'individu avec les autres membres de la société. Elle est appelée transcendance horizontale, est d'une grande importance pour notre propos. Elle signifie que l'existence individuelle implique l'existence d'autrui, et il nous semble que la première actualisation de cette transcendance horizontale est justement une pragmatique communicationnelle. On peut l'illustrer de diverses manières.

Quand le boulanger veut former son fils, il l'envoie chez l'instituteur et quand l'instituteur veut avoir du pain, il envoie son fils chez le boulanger et ainsi de suite indéfiniment, entre le médecin et l'instituteur, entre le couturier et lui, entre le maçon et lui, entre le transporteur et lui, entre le cultivateur et lui, etc.

La transcendance horizontale est donc l'expression de l'interdépendance entre les membres d'une communauté. Même celle qui est prétendument classée d'individualiste, comme en Europe, ne peut pas échapper à cette transcendance horizontale comme en témoignent les formules de politesse dans les bureaux de tabac ou autres lieux d'échanges commerciaux. C'est ainsi que toute demande est formulée de manière à s'engager dans une direction irénique.

5. Le monde s'il vous plaît !

(5) est un exemple typique que l'on peut entendre couramment dans les échanges commerciaux. On sait que l'auteur de (5) veut avoir le journal Le monde dont il sait le lieu fournisseur. Toutefois, il faut faire remarquer qu'il n'entend pas se procurer gratuitement l'article car le rapport est avant tout commercial. Dès lors la formule de politesse « s'il vous plaît » peut paraître paradoxale. En effet, a priori il n'y a pas de raison d'employer la formule de politesse puisque l'échange est équitable dans sa symétrie: le vendeur a besoin d'argent et l'acheteur a besoin de journal.

Cette équité semble impliqué chaque partenaire de l'échange trouve son compte, il y a donc lieu de se demander pourquoi l'acheteur subordonne au plaisir de la vendeuse l'acquisition du journal qu'il veut.

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La réponse est que le rapport commercial est celui de l'offre et de la demande. La sémiotisation de ce rapport montre que le demandeur est du côté du manque et ce dont il a besoin du produit marchand est la valeur d'usage et non la valeur d'échange. Par contre, du point de vue du commerçant, ce dont il a besoin du produit est justement la valeur marchande qui est une plus-value inscrite dans la valeur d'échange. C'est cette différence qualitative de valeur recherchée par chaque partenaire de l'échange qui fait que le manque est du côté de la demande.

Autrement dit, en repensant cette différence qualitative des valeurs dans le cadre de la transcendance verticale, on s'aperçoit que la valeur à laquelle les divinités sont sensibles n'est pas une valeur d'usage mais une valeur d'échange dont la plus-value est l'honneur. En revanche, pour les demandeurs que sont les hommes, la quête concerne la valeur d'usage. C'est ce qui explique les fastes et les luxes des rituels de communication avec le divin.

En adoptant une seconde translation qui nous permet de faire passer ces valeurs de la transcendance verticale vers la transcendance horizontale, on retrouve la même asymétrie entre la valeur d'échange et la valeur d'usage au profit de la première. Il existe un fait incontestable qui confirme cette asymétrie. Dans les crises inflationnistes: la raréfaction de marchandises ne modifie pas la valeur d'usage comme le souligne la sentence qui stipule que la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu'elle a. Au contraire, quand le produit se raréfie, la valeur d'échange tend à l'augmentation, un phénomène bien connu dans l'économie de marché.

Nous en concluons que si l'argent venait à manquer, il en résulte de pauvres individuellement, mais si c'est la marchandise qui venait à faire défaut, c'est toute l'organisation sociale qui est modifiée par cette absence. Ce qui veut dire précisément que l'on peut avoir de l'argent, mais sans les journalistes qui produits les journaux, cet argent ne sert à rien par rapport à la question du désir qui anime l'acheteur. Autrement dit, le véritable manque est du côté de la valeur d'usage et non du côté de la valeur d'échange; et c'est pour cette raison que l'acheteur oriente le parcours conversationnel dans une direction irénique.

On peut résumer de la sorte la logique qui entraîne dans la direction irénique la demande :

Un manque crée une tension. Il en résulte que l'on peut disposer d'argent et être en manque parce que le produit fait défaut. Dès lors, la transcendance horizontale de l'existence se comprend mieux. Puisque l'autarcie individuelle n'est qu'une ascèse utopique, le travail des autres est nécessaire à la satisfaction de notre propre désir selon la logique de la valeur d'usage. Nous devons ajouter à cela une autre logique à titre de renforcement: on ne peut pas désirer ce que l'on possède déjà mais seulement le mettre en usage.

Ainsi, un boulanger use de son pain, fruit de son travail, mais désire le fromage fruit du travail du fermier. Ce qui veut dire que le pain ne peut provenir que du boulanger qui de la sorte est élevé à un rang supérieur pour tout demandeur de pain, et; symétriquement, le fromage ne peut provenir que du fromager qui sera sollicité par tout demandeur de fromage,

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c'est ce rapport de dépendance ou, plus précisément d'interdépendance qui justifie la direction irénique du parcours conversationnel. C'est cela qui explique la performativité de « mba » et des expressions analogues. Mais il faut remarquer que dans la transcendance horizontale, la prière impliquée par l'emploi du morphème a perdu tout caractère sacré. C'est en cela que le "mba" profane est un délocutif du "mba" sacré.

Ce qui signifie exactement qu'aux fastes et luxes dans la communication avec le divin correspondent fastes et luxes linguistiques dans la communication profane. Précisons cette remarque. L'évidence première est de constater que temple, église et mosquée font l'objet d'un faste et d'un luxe particuliers parce ce sont des lieux de célébration d'un culte, c'est-à-dire, lieu de communication avec le divin au cours de laquelle l'homme est caractérisé par un manque.

Parallèlement, dans la communication profane, faute de pouvoir verser dans le faste et luxe matériels, le demandeur enrichit les valeurs illocutoires de son énonciation. C'est ce que prévoit l'intuition d'ANSCOMBRE quand il dit que: « D'une façon générale, tout énoncé est la réalisation d'au moins d'un acte illocutoire. » (ANSCOMBRE, 1980, p. 66)

On peut même soutenir que mettre son interlocuteur dans de bonnes dispositions est un universel linguistique en ce qui concerne la prise de parole dont le but pragmatique est de liquider un manque. C'est à cet effet qu'est convoqué cet exemple (5) qui, visiblement est dans une langue qui n'a pas de parenté linguistique avec la langue malgache.

L'analyse de la transcendance verticale milite en faveur de cette universalité. Que l'on accepte ou non une hiérarchie au sein des divinités, tous les récits cosmogoniques soutiennent l'existence d'un créateur initial. Tout dépend de ce créateur initial. Si cela est admis, on constate que notre environnement et même nous dépendent de ce créateur initial.

Dans la religion chrétienne, ce créateur initial est Dieu. Dès lors, ce qui est évident est la distance incommensurable qui sépare les humains de Dieu au point que la communication dans la transcendance verticale se fait toujours dans un rituel strict qui a pour but de manifester l'incommensurabilité de cette distance. L'épisode de l'"exode" où Dieu allait communiquer le décalogue à Moïse permet d'en rendre compte: « Va avertir le peuple de ne pas se précipiter pour me voir. Sinon beaucoup d'entre eux mourraient. Même les prêtres, qui peuvent pourtant s'approcher de moi, doivent se purifier, de peur que je n'intervienne contre eux » (EXODE, pp. 19, 21-22)

La raison de cet avertissement vient du fait que l'omnipotence divine ne laisse rien présager de ce qu'il va faire, ainsi il vaut mieux éviter de s'approcher de lui de crainte que par un manquement involontaire aux honneurs et respects qu'on lui doit, il nous fasse disparaître. C'est l'interprétation de la première partie du passage ci-dessus. La deuxième partie renforce la première. En effet, quand il est dit que les prêtres doivent de se purifier c'est parce que la pureté - est un des critères rituels de la communication avec le divin - réduit la distance qui sépare les humains de Dieu sans jamais l'abolir. On comprend alors que tout manquement au protocole rituel soit un sacrilège parce c'est une tentative d'abolition de la distance.

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Une situation pratiquement identique dans la transcendance horizontale non pas seulement dans les chancelleries mais également dans diverses institutions que l'on peut résumer en ces termes: il ne faut pas témoigner d'une familiarité avec son supérieur sous peine d'être compris voulant traiter d'égal à égal, mais cependant il faut cultiver une relation amicale avec lui de manière à bénéficier de sa mansuétude. Une attitude que FREUD croyait être le propre seulement des peuples primitifs:

« L'attitude des peuples primitifs à l'égard de leurs chefs, rois et prêtres, est régie par deux principes qui se complètent, plutôt qu'ils ne se contredisent : on doit se préserver d'eux et on doit les préserver. Ces deux buts sont obtenus à l'aide d'une foule de prescriptions tabou. » (FREUD, [1912]1993, p. 36).

Bref, la sacralité du divin (ou des puissants du monde) entraîne une ambiguïté des attitudes envers lui: on a besoin de le vénérer pour qu'il continue à nous accorder sa bienveillance, et en même, il ne faut pas trop s'approcher de lui pour ne pas se donner une occasion de lui manquer de respect. Voici un exemple de l'emploi de "mba" qui illustre cette ambiguïté:

6. Mba ho vitan'izay koa ny ratsy [Que ceci close le mal]

Il s'agit là d'une formule que l'on utilise vers la fin d'une visite de condoléances. Cette formule marque effectivement la fin de la visite parce qu'elle annonce que les visiteurs se sont acquittés de leur devoir et que désormais ils peuvent partir vers d'autres obligations, ou selon le cas rester pour la veillée.

D'après cette présentation nous pouvons identifier facilement les acteurs de la communication, le destinateur est un membre de la famille du défunt qui reçoit les visiteurs et le destinataire sont ces derniers. Mais cette identification n'épuise pas les acteurs de la communication. Si on en reste à ces deux acteurs, la présence de "mba" devient très problématique.

Il est évident que celui qui parle a pour interlocuteur les visiteurs, donc il demeure dans le cadre de la transcendance horizontale, mais en même temps, à cause du préfixe "mba", il s'adresse également à la transcendance verticale parce que si c'était en son pouvoir, il ne voudrait plus de la mort. Mais comme d'après sa croyance à la transcendance verticale, la vie et la mort ne peuvent que provenir de Dieu. C'est cette démultiplication du destinataire qu'assume le préfixe performatif "mba".

Cependant, on ne peut pas conclure qu'il s'agit là d'une prière, car parmi les interlocuteurs se trouvent les visiteurs. Le dédoublement de destinataire a pour conséquence de modifier l'acte accompli par le préfixe performatif. Il s'agit d'un souhait. Le désir de l'homme est que la mort qu'il désigne synecdochiquement par le terme ny ratsy [le mal] s'arrête à cette occasion. Mais en même temps il sait qu'il ne peut pas commander à Dieu, il ajoute le préfixe "mba". L'explication de ce changement tient dans la délocutivité.

213

BENVENISTE définit la délocutivité par rapport au dire et non par rapport au faire: « On voit ainsi que, malgré l'apparence, SALUTARE n'est pas dérivé d'un nom doté de la valeur virtuelle d'un signe linguistique, mais d'un syntagme où la forme nominale se trouve actualisée comme "terme à prononcer". Un tel verbe se définit donc par rapport à la locution formulaire dont il dérive et sera dit DÉLOCUTIF. » (BENVENISTE É. , 1966, p. 278)

Pourtant, DUCROT qui est proche de BENVENISTE ne le suit pas dans cette définition tout en acceptant l'idée de dérivation. DUCROT situe la délocutivité dans un rapport de faire: « On sait que le substantif latin SALUS possède, au moins, les deux acceptions suivantes:

-- S1 = santé (d'où l'on tire: maintien en bonne santé, conservation).

-- S2 = salutation.

Je prendrai pour E1 le signifiant salus muni de la signification S1 et pour E2, ce même signifiant, mais compris comme S2. Si l'on admet en outre que E2 est dérivé de E1, il est assez facile de tenir cette dérivation pour délocutive. On admettra qu'à un premier stade, seul existe le mot E1. À un second, ce mot serait utilisé (en vertu de sa valeur sémantique S1!) comme formule pour saluer. Par politesse on souhaite bonne santé aux gens qu'on rencontre, en leur disant « Salus! » (= «E1!»). Le troisième stade est celui de la dérivation délocutive, où se crée un nouveau mot E2, dont le signifiant, salus, est identique à celui de El et dont la signification est : acte qu'on accomplit, notamment, en employant E1, c'est-à-dire en disant « Salus!» (= «E1!»). À un quatrième stade enfin, important pour ce que je vais dire, par la suite, à propos du performatif, la formule «Salus!» peut être réinterprétée à partir de la nouvelle valeur S2, ce qui amène à la comprendre comme «E2!». D'où l'idée que pour accomplir une salutation, on énonce ce que l'on fait, à seule fin de le faire. Et cela n'est certainement pas faux ; mais cela représente, il faut le voir, l'aboutissement très indirect d'un long processus. » (DUCROT, 1980, pp. 48-49)

À la lumière de cette mise au point, nous pouvons admettre que "mba", à l'initiale est un segment linguistique à l'intérieur d'un discours spécifique dont le but pragmatique est de demander une faveur à Dieu sans pourtant lui commander. Ensuite, par une première délocutivité, en passant dans la transcendance horizontale, le même morphème sert à demander une faveur à autrui sans commander ni pour autant le prendre pour Dieu. (Mba omeo rano).

Enfin, à l'instant, dans (6), toujours par délocutivité, mba sert à accomplir un souhait par dédoublement du destinataire. Cette dernière délocutivité se présente une synthèse de "mba" dans la transcendance verticale (valeur de prière) et de "mba" dans la transcendance horizontale (valeur de demande).

Le souhait comme acte de langage a ceci de commun avec la demande de prendre naissance à partir d'un manque. Ce qui est souhaitable s'épelle toujours comme une différence avec le réel, une différence à partir de laquelle DERRIDA a forgé le concept de

« différance » (avec un « a ») dans lequel s'introduit la temporalisation du différer. L'exposé

214

de ce concept prendra trop d'espace dans ce travail qu'il est préférable de renvoyer à DERRIDA lui-même :

« Il s'agit de produire un nouveau concept d'écriture. On peut l'appeler gramme ou différance. Le jeu des différences suppose en effet des synthèses et des renvois qui interdisent qu'à aucun moment, en aucun cas, un élément simple soit présent en lui-même et ne renvoie qu'à lui-même. Que ce soit dans l'ordre du discours parlé ou du discours écrit, aucun élément ne peut fonctionner comme signe sans renvoyer à un autre élément qui lui-même n'est pas présent. Cet enchaînement fait que chaque "élément " - phonème ou graphème - se constitue à partir de la trace en lui des autres éléments de la chaîne ou du système. Cet enchaînement, ce tissu, est le texte qui ne se produit que dans la transformation d'un autre texte. » (DERRIDA, [1972]1987 , p. 37)

Ce qui nous permet de comprendre que le souhaitable n'est pas ce qui s'oppose au réel mais ce qui lui diffère éternellement. Il n'est peut-être pas inutile de rendre compte de la différence entre le réel et le souhaitable. Le réel se caractérise par le fait qu'il est un amenuisement du souhaitable. Le souhaitable tant qu'il n'advient pas se présente comme un enrichissement du réel parce qu'il appartient au monde de l'idéel. Ainsi, le souhaitable est délivré du poids néfaste du réel caractérisé par le manque. C'est de cette manière que le concept de "différance" autorise à comprendre (6) comme une transformation de ce qui aurait pu être une simple prière en un souhait.

S'il est admis selon la thèse de SEARLE que l'illocutoire est une matrice de proposition comme il le dit dans la notation du passage suivant :

« Nous pouvons représenter les distinctions que nous avons faites au moyen du symbolisme suivant : les actes illocutionnaires (un très grand nombre d'entre eux au moins) sont de forme générale :

F(p)

où la variable « F » prend ses valeurs parmi les procédés marqueurs de force illocutionnaire, « p » représentant des expressions qui expriment des propositions. » (SEARLE, [1972] 1996, pp. 69-70) ;

Alors, les expressions de souhait qui abondent dans le rapport interlocutif possèdent un préfixe performatif garanti par le morphème « mba ». Suite à ces différents éclairages, nous pouvons reprendre l'exemple (4), converti ici en (7) pour illustrer l'enrichissement de l'illocutoire dans la question du désir:

7. Saika mba hangataka afo aho [Je voudrais demander du feu]

Le saika en tant que marque du passé définit le contenu propositionnel de (7) en un désir déjà refoulé. Le morphème h du futur assigne au contenu propositionnel d'être un projet qui n'est pas encore. Ce qui veut dire que le contenu propositionnel appartient d'une part à un passé qui n'est plus et à un futur qui n'est pas encore, pour reprendre ici la mensuration du temps chez Saint AUGUSTIN:

215

« Mais comment diminue le futur ? Comment en est-ce de lui ? Il n'est pas encore. Comment d'autre part, croît la passé ? Il n'est déjà plus. La seule explication c'est que dans l'âme même qui opère ainsi, il y a trois actes, attente, vue, souvenir, le passage se fait par la vue de l'attente au souvenir. Que le futur ne soit pat pas encore, qui le nie ? Dans l'âme il y a toutefois attente du futur. Que le passé ne soit déjà plus, qui le nie ? Dans l'âme toutefois il y a souvenir du passé. Que le moment présent, passage réduit à un point, n'ait aucune étendue, qui le nie ? » (AUGUSTIN, 1982, p. 386)

Le morphème "mba" s'applique en même temps à ce passé et à ce futur. Il en ressort que nous avons dans (7) une démultiplication du "je" d'énonciation. D'abord, il y a le "je" qui ne veut pas importuner le destinataire et qui affiche son désir comme appartenant déjà au passé; ensuite le "je" qui maintient son désir mais le projetant dans un futur indéterminé. Puis, le "je" qui traite toutes ces diverses attitudes comme une prière par l'emploi du morphème "mba". Enfin, le "je" d'énonciation matérialisé dans l'énoncé et qui prend en charge ces trois premiers. Puisque ces multiples "je" sont différés, c'est-à-dire qu'ils n'adviennent pas au réel, nous pouvons alors conclure que (7) se décline sous le registre du souhaitable. C'est ainsi que l'utilisation de "mba" sert à accomplir un souhait au même titre que ce qui se passe dans (6).

Tout se passe comme si le temps pouvait être granulé. Il s'agit en fait d'étaler sur le même niveau le passé qui n'est plus et le futur qui n'est pas encore de manière à avoir la logique temporelle de la narrativité que GREIMAS (GREIMAS, [1966b]1981) dichotomise en un « avant » et un « après ». Cet algorithme narratif permet de mieux comprendre la portée de la préservation de la face inscrite dans la formule mba qui nous occupe.

Le paradoxe de la temporalité peut être résolu par l'intervention de deux mensurations distinctes. Appelons la première "temporalité ouverte" qui constitue notre vécu au premier degré. C'est un temps qui avance inexorablement en convertissant le futur en passé. Comme pour racheter cette entropie désespérante du temps physique, le langage s'est doté d"une autre temporalité qui traverse cette première, c'est la "temporalité close" ou le "temps du récit".

Le propre de la temporalité close est de prendre naissance à partir d'une énonciation. C'est donc encore un individu linguistique dont la particularité est d'enrichir le vécu au premier degré. En effet, la temporalité close se caractérise par un commencement absolu et une fin absolue entre lesquels s'opère une transformation. Ce qui veut dire que l'on ne peut réciter qu'une histoire qui a déjà fini. Ce qui veut dire encore que l'intelligibilité du vécu au premier degré s'enrichit de sa ponctuation par des récits comme si le temps pouvait être granulé: la logique narrative se greffe sur le vécu au premier degré pour lui donner une consistance. C'est ainsi que dans (7), nous avons deux temporalités closes, celle qui envisage la demande dans le passé révolu et celle qui le projette dans un futur non encore advenu. C'est de cette manière que le locuteur évite d'importuner le vécu au premier degré de son destinataire: il refuse de greffer ses temporalités closes à la temporalité ouvert de son interlocuteur. Il s'agit là d'une réalisation de l'implicite de DUCROT

216

Mais il existe un autre emploi fascinant de "mba" qui ne peut que donner du fil à retordre à la linguistique classique, c'est le cas de (8):

8. Mba nahavita asa aho [J'ai pu (quand même) terminer le travail]

La contradiction de cet énoncé réside dans l'incompatibilité entre le morphème "mba" et le morphème du passé du verbe. En effet, les emplois de "mba" attestent d'une manière générale l'accomplissement d'une prière dans la transcendance verticale d'abord, puis ensuite dans la transcendance horizontale. Le propre de la prière, avons-nous dit, est dans le fait qu'elle est le dernier recours à autrui quand notre ressource propre ne permet pas d'obtenir l'objet de notre quête. Autrement dit, "mba" engage toujours, d'une manière ou d'une autre le futur. C'est en cela que se situe l'incompatibilité dont nous venons de parler.

Si l'on se cantonne dans une sémantique traditionnelle qui exclut pareille contradiction, cette phrase sera qualifiée d'incorrecte, pourtant cette structure qui allie "mba" et le passé est produite naturellement par le locuteur malgache. Il faut faire remarquer que le langage n'est pas à une contradiction près et que cela semble faire partie des universaux du langage. En effet, en français, nous avons exactement la même structure qui combine le passé et le futur. Il ne s'agit pas du temps grammatical du conditionnel présent comme nous l'avons vu dans la traduction de (4) et (7) [Je voudrais demander du feu]; mais d'une forme qui permet de faire une préservation de la face quand on veut effectuer un acte de langage précis: la proposition. Il est possible effectivement en français de faire une proposition par référence intertextuelle à la sentence qui stipule que "L'homme propose et Dieu dispose".

De prime abord, la possibilité de cette sentence implique aussi la dimension transcendantale verticale du langage; et de la même manière que nous avons pu constater dans l'analyse de "mba" il y aussi ici un passage du sacré vers le profane par intertextualité ou par délocutivité: "L'homme propose et la femme dispose". Cette deuxième sentence ne s'éclaire que par référence à la première, et l'on peut la tenir pour délocutive dans la mesure où l'on peut comprendre que ce qui est mise en jeu dans les deux cas concerne la soumission de celui qui demande à son destinataire. C'est ce qui apparaît exactement dans la proposition du type de (9):

9. Si on allait danser

Sans entrer dans les détails, nous pouvons admettre que le "si" hypothétique engage l'énonciation sous la modalisation d'un projet alors que l'imparfait la rejette dans un passé indéterminé qui n'est plus.

L'énonciation de la demande ou de la proposition est présentée à la fois comme appartenant au passé et au futur puisque le sujet de l'énonciation envisage, à la fois, la renonciation à son objet de désir et, en même temps, il le maintient dans un projet de quête. C'est-à-dire, il envisage un état de disjonction d'objet qui se trouve dans le passé et un état de conjonction d'objet qui appartient au futur. Il s'agit pour lui d'avoir la possibilité de nier la

217

demande en cas de refus en opposant que c'est déjà du passé, ainsi son honneur est sauf puisqu'il est déjà disposé à la renonciation d'objet.

C'est cette ambiguïté qui permet de préserver la face qui a fait dire ceci à DUCROT : « Le problème général de l'implicite, (...) est de savoir comment on peut dire quelque chose sans accepter pour autant la responsabilité de l'avoir dit, ce qui revient à bénéficier à la fois de l'efficacité de la parole et de l'innocence du silence. » (1972, p. 12)

Cependant, l'explication de (8) ne suit pas cette combinaison temporelle qui a pour but la réservation de la face. La préservation de la face est obtenue ici par délocutivité de "mba"

"Mba" passe, ici, de l'effectuation d'une prière à son résultat à la manière d'une métalepse. Autrement dit, la préservation de la face consiste à se refuser le mérite du travail accompli mais à l'attacher à la générosité du destinataire de la prière avant le commencement des travaux. Pour mieux comprendre ce mécanisme de la métalepse, il faut tenir compte que dans la tradition ou dans le vernaculaire malgache, il n'est pas question de commencer un travail important comme le labourage des rizières sans demander la bénédiction des divinités. Ce qui signifie que si les travaux étaient accomplis, c'est parce que Dieu et les ancêtres ont accordé leur bienveillance. C'est ainsi que le mérite leur revient et "mba" sert à leur rattacher ce mérite.

Travaux cités

ANSCOMBRE, J.-C. (1980). "Voulez-vous dériver avec moi?". Dans Rhétoriques, Communications (Vol. 16, pp. 61-123). Paris: Seuil.

AUGUSTIN, S. (1982). confessions. Paris: Seuil.

AUTHIER-REVUZ, J. (2001, Novembre). "Les non coïncidences du dire et leur représentation métaénonciative. étude de linguistique et discursive de la modalisation autonymique". Marges linguistiques, pp. 149-154. Consulté le Septembre 09, 2010, sur www.marges-linguistiques. com: http// www.marges-linguistiques.com

BENVENISTE, E. ([1974] 1981). Problèmes de linguistique générale, II. Paris: Gallimard. BENVENISTE, É. (1966). Problèmes de linguistique générale,1. Paris: Gallimard.

BROWN, P., & LEVINSON, S. C. ([1978] 2000). Politeness, some universals in language usage. Cambridge: Cambridge University Press.

CHOMSKY, N. (1975). "Remarques sur la nominalisation". Dans C. noam, Questions de sémantique (pp. 73-132). Paris: Seuil.

DERRIDA, J. ([1972]1987 ). Positions. Paris: éditions de Minuits.

DUCROT, O. (1972). Dire et ne pas dire, Principes de sémantique linguistique. Paris: Hermann. DUCROT, O. (1980). Analyses pragmatiques. Communications, pp. 11-60. Récupéré sur Persée.

218

EXODE. (1982). Bible. Paris: Société biblique française. FLAHAULT, F. (1978). La parole intermédiaire. Paris: Seuil.

FREUD, S. ([1912]1993). Totem et tabou, Quelques concordances enter la vie psychique dessauvages et celle des névrosés. (W. Marièlene, Trad.) Paris: Gallimard.

GOFFMAN, E. (1984 (éd. or. 1974)). Les rites d'interaction. Paris: Editions du minuit.

GREIMAS, A. J. ([1966b]1981). "Eléments pour l'interprétation des récits mythiques". Dans R. BARTHES, & alii, Introduction à l'analysestructurale du récit (pp. 28-59). Paris: Seuil.

GRICE, H. P. (1975). "Logicand conversation". Dans C. e. al., syntax and semantics 3 (pp. 41-58). Californie: Harvard University Press.

HEIDEGGER, M. ([1949]1987 ). Les chemins qui ne mènent nulle part. Paris: Gallimard. KERBRAT-ORRIOCHIONI, C. (1996). La conversation. Paris: Seuil.

LAKOFF, R. (1974). "what can you do with words, politeness, pragmatics and performativeness. Berkeley studies in syntax and semantic, pp. 1-55.

RECANATI, F. (1979). La transparence et énonciation. Pour introduire à la pragmatique. Paris: Seuil.

SEARLE, J. R. ([1972] 1996). Les actes de langage, Essai de philosophie du langage. Paris: Herman, Éditeurs des Sciences et des arts.

219

TABLE DES MATIÈRES

1. Illocution et narrativité 2

1.1. Introduction 2

1.2. La narrativité 7

1.3. L'illocutoire 11

Travaux cités 17

2. LE SIGNE EN PRAGMATIQUE 19

2.1. Introduction 19

2.2. La pragmatique et la théorie de l'action. 22

2.3. Caractérisation des actes du langage. 25

2.3.1. la forme 25

Travaux cités 28

3. La synecdoque. 30

Travaux cités 43

4. Synecdoque et langage des oeuvres d'art 46

4.1. Cadre théorique 46

4.2. Pratique 51

5. LE DÉTACHEMENT DU SENS 62

Travaux cités 73

6. Métonymie 75

Travaux cités 88

7. L'ILLOCUTOIRE DES FIGURES 91

Travaux cités 101

8. Métaphore et femme 102

Travaux cités 117

9. LA SIRÈNE, I ou A 119

9.1. Introduction 119

9.2. Le pari de la forme 120

9.3. Le mythe de l' « ampelamananisa » 123

9.4. L'évanouissement de l'homme 127

9.5. Censure et postulation du sexe féminin 130

Travaux cités 135

10. Censure et postulation du corps féminin 137

10.1. Introduction 137

10.2. Du protolangage au langage en passant par la pragmatique 141

10.3. La censure et la postulation du corps féminin 145

220

Travaux cités 155

11. La séduction 158

Travaux cités 169

12. La délocutivité du saotsa : agir physique devenu agir linguistique 171

Références 186

13. La délocutivité et les salutations 188

Travaux cités 200

14. À propos de morphème «mba » 202

Travaux cités 217






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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe