Première partie : La Turquie, une puissance
économique
Al Sources du dynamisme de l'économique
turque
Après la proclamation de la République de
Turquie le 29 octobre 1923, la situation économique n'est pas à
son meilleur niveau. Les multiples guerres depuis 1914 et surtout la fin de
l'Empire Ottoman ont eu un réel impact sur l'économie. Il a fallu
tout rebâtir pour les Turcs, qui changèrent de régime
politique, en passant d'un Empire à une république :
L'abolition du califat, le 3 mars 1924 permet à la
Turquie de devenir le premier Etat laïc et républicain du monde
musulman mettant fin à l'héritage ottoman. C'est aussi une des
premières réformes kémalistes3 où on a
rapidement l'idée de mettre en place une économie croissante et
ordonnée. Le pays se modernise et essaye de s'enrichir. La population
turque a un capital humain majoritairement composé de paysans et de
fonctionnaires, on y trouvait aussi des commerçants/artisans. C'est un
héritage de l'ancien Empire Ottoman.
Les Turcs adoptent une technique qui est basée sur
l'industrialisation, en effet le pays préfère miser sur cette
stratégie plutôt qu'importer. Le modèle ISI
(Industrialisation par Substitution aux Importations) est un mode de
développement économique qui consiste à réduire la
part d'importations afin de développer le potentiel industriel d'un
pays. En limitant les importations et en augmentant les barrières
douanières, l'industrie du pays se développe pour répondre
à la demande interne. Cela permet de protéger l'industrie locale.
C'est ainsi une manière d'investir dans des secteurs importants,
notamment en ce qui concerne l'extraction et la transformation des minerais (du
fer et de l'acier). Le pays vit presque en autarcie, il veut devenir
indépendant et s'auto-suffire.
Dès 1933, la banque Sümerbank est fondée :
elle a pour mission de financer les grandes entreprises publiques du pays qui
fabriqueront les produits de première nécessité. Cette
institution est fondée grâce à une aide financière
soviétique4. Ces réformes, associées
à
3 Ce sont des réformes
économiques, politiques et sociales ayant pour but de rapprocher la
Turquie d'un modèle occidental et la sortir de la pauvreté.
4 C'est une banque appartenant
à l'Etat. Ismet Inönü, premier ministre en 1932, obtient un
prêt de 8,5 millions de livres turques de la part de l'URSS.
8 Calisir Gokhan 2016
l'amélioration du bien-être et à
l'éducation (changement d'écriture en passant de
l'écriture arabe au latin) sont le début du changement attendu
par la jeune République turque. Orpheline du décès de son
« père » Atatürk, le 10 novembre 1938, à Istanbul,
elle a continué avec cette dynamique.
C'est en 1950 que la Turquie organise ses premières
élections multipartites. Le parti Républicain (CHP), fondé
par Atatürk est perdant. Sa gestion est remise en question car elle n'a
pas réussi à implanter de grandes entreprises. Le parti
démocrate (AP) d'Adnan Menderes, de tendance libérale gagne les
élections. La stratégie est de dynamiser le secteur agricole et
réduire le poids économique de l'Etat par la privatisation des
entreprises (transfert d'une entreprise ou activité du public au
privé). L'appel aux capitaux étrangers est une source de
libéralisation. Le pays renonce peu à peu à l'autarcie.
Grâce aux différents climats de par l'étendue du pays, la
politique agricole fonctionne. Les revenus augmentent. Les réserves de
devises se sont accrues donc les barrières douanières se
réduisent. De moins en moins libéral, le gouvernement de Menderes
doit vers la fin des années 50, réduire les dépenses
publiques et augmenter les prix des biens produits par les entreprises de
l'Etat. La Turquie obtient des crédits et stabilise son
économie.
Cependant, un événement durant la nuit du 6 au 7
septembre 1955 viendra perturber cette dynamique : les commerces, associations
et autres activités à population non musulmane furent
pillés et brûlés. L'économie se dégrade et le
peuple montre du doigt Menderes, qui contrairement à Atatürk
propose des lois beaucoup moins laïcs, avec une volonté d'apporter
des réformes musulmanes. A la suite de cet événement, les
accusations envers Menderes deviennent de plus en plus sérieuses. Un
coup d'Etat militaire éclate, et condamne le chef de l'Etat à la
pendaison en 19605.
A la suite de ce coup d'état, la Turquie revient de
nouveau à l'industrialisation par substitution aux importations (ISI).
Cette fois, l'idée est de protéger le marché avec une
croissance provenant de la demande intérieure. Dès le
début des années 1980, le pays est en crise. Les voyants sont au
rouge. Le gouvernement décide de dévaluer la monnaie et de
changer de stratégie en passant à un régime de change
flottant (taux de change qui évolue librement en fonction de l'offre et
de la demande sur le marché des changes). On permet ainsi une
réduction du poids de l'Etat dans l'économie par privatisation
massive des entreprises et
5 Adnan Menderes est pendu le 17
septembre 1961 à Imrali, île turque située au sud de la mer
de Marmara.
9 Calisir Gokhan 2016
baisse des subventions (aide financière versée
par l'Etat) à l'agriculture. Il y a une libéralisation des
importations, un encouragement des investissements étrangers et un libre
accès au marché international. La livre turque devient
convertible, donc il est possible de changer des devises dans les banques du
pays, ce qui facilite les échanges. On constate une hausse des IDE (les
Investissements Directs à l'Etranger, investissements par lesquels des
entités résidentes d'une économie acquièrent ou ont
acquis un intérêt durable dans une entité résidente
d'une économie). Les exportations sont favorisées par des
subventions et la déprécation (perte de la valeur) du taux de
change.
Due à une mauvaise gestion, ces réformes se
traduisent par une hyperinflation. Les années 90 sont une période
noire pour les Turcs. L'exode rural et l'accroissement démographique
bloque la population, le marché du travail est saturé.
L'urbanisation massive a ensuite débouché sur
l'émigration. L'instabilité politique traduit
l'instabilité économique.
Graphique 1 Pourcentages des sièges à
l'assemblée nationale pour le premier parti en Turquie entre 1950 et
20116 (Deniz, 2012)
DP :Demokrat Parti, parti démocrate,
conservateur laïc.
CHP : Cumhuriyet Halk Partisi, parti
républicain du peuple, social-démocrate et laïc. AP
: Adalet Partisi, parti de la justice, démocrate.
6 (Deniz, 2012),
Aux sources du dynamisme économique turc
10 Calisir Gokhan 2016
ANAP : Anavatan Partisi, parti de la mère
patrie, parti libéral.
DYP : Dogru Vol Partisi, parti de la juste voix,
démocrate.
RP : Refah Partisi, parti du bien-être,
islamiste.
DSP : Demokratik Sol Partisi, parti
démocratique de gauche, démocrate.
AKP : Adalet ve Kalkinma Partisi, parti pour
la justice et le développement, islamo-conservateur (au pouvoir depuis
2002).
Ces changements politiques trop récurrents et cette
instabilité entrainent un taux d'inflation extrêmement
élevé. En effet en 2001, le taux dépassait les. 53
%7. La dette publique représentait à l'époque
78 %8 du PIB (Produit Intérieur Brut), qui est l'indicateur
économique principal de mesure de la production économique
réalisée à l'intérieur d'un pays donné.
Cependant, l'arrivée au pouvoir de l'AKP en 2002
bouleverse la tendance. Le parti arrive à mettre en place une
stabilité économique (monétaire). L'arrivée de ce
parti islamo-conservateur9, mené par Recep Tayyip Erdogan
redonne espoir aux Turcs, quant à l'adhésion à l'Union
Européenne, où les négociations avec les autres pays
membres sont au point mort.
La politique budgétaire est de restructurer le
système bancaire, ouvrir le pays aux IDE et garantir
l'indépendance de la Banque Centrale. Recep Tayyip Erdogan a
réussi à gagner les élections grâce aux
agriculteurs, les petits patrons et les habitants de milieux modestes
créant une « nouvelle classe »10.
Avec l'AKP, la Turquie a connu un bouleversement. La baisse de
syndicats et l'interdiction de grève dans les domaines les plus
importants (secteur de transport, énergie, manufacturier) sont deux
éléments importants dans la réforme d'Erdogan. La forte
urbanisation a accentué la hausse du secteur privé. Les nouvelles
infrastructures comme les routes, les ponts et les logements sociaux montrent
un pays en bonne santé. Les privatisations ont ouvert le pays (les
aéroports, les ports) et augmenté la concurrence sur le
marché national.
7 Worlwide Inflation, Data,
Turkey, 2001. C'est un site internet qui donne des informations concernant
l'inflation.
8 Worlwide Inflation, Data, Turkey,
2001.
9 On assiste à une
réislamisation de la société turque. Erdogan se qualifie
d'islamiste modéré...Il compare son parti l'AKP à celui
des démocrates-chrétiens allemands.
10 On constate depuis
l'arrivée au pouvoir d'Erdogan la création d'une classe «
Tayyip'çi » c'est-à-dire Pro-Erdogan. Ceux qui votent
Erdogan tombent dans une adhésion totale avec le personnage.
11 Calisir Gokhan 2016
D'ailleurs, la popularité du parti ne cesse de grimper.
Invaincu depuis son arrivée au pouvoir, le parti a encore
remporté les élections législatives le 1er novembre 2015
avec 49 %11. Surnommé « Le Sultan »12
par ses adversaires, son parti est encore vainqueur. Laissant sa place de
premier ministre à Ahmet Davutoglu (ex ministre des affaires
étrangères et bras droit d'Erdogan) depuis 2014 suite à sa
volonté de devenir Président de la République, il
espère désormais changer la Constitution en passant à un
régime présidentiel (actuellement en régime
parlementaire), afin d'avoir les pleins pouvoirs.
L'arrivée à la tête du pays de l'AKP est
un triomphe. La croissance provient en grande partie de la consommation. La
stabilité politique grâce à l'organisation du parti et du
charisme d'Erdogan a eu un impact majeur sur la croissance. Le
développement des équipements publics et la mise au pas des
militaires peuvent en témoigner. La Turquie devient membre des
puissances émergentes. Première puissance économique du
Moyen-Orient, elle se situe désormais 16ème puissance
économique13 mondiale.
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