Section 2 : L'analyse de la réaction des
marchés financiers à de l'annonce de l'adoption de pilules
empoisonnées
L'adoption de pilules empoisonnées s'accompagne
généralement d'une faible baisse des cours . Ryngaert (1988)
a examiné l'évolution des cours de 283 entreprises ayant
adopté des pilules empoisonnées en 1986 , il trouve une
baisse moyenne de 0.34% . Malatesta et Walkling (1988), après avoir
examiné un échantillon de 132 firmes ayant adopté des
pilules, trouvent une baisse moyenne de 0.92% . Karpoff et
Malatesta (1989) constatent une baisse moyenne de 0.3% après avoir
examiné l'évolution des cours de 1505 firmes dans vingt six
états différents ayant adopté une loi anti-OPA. Ces trois
études sont citées par Comment et Schwert dans leur article de
1995.
Il est possible d'identifier trois effets correspondant
à l'adoption d'une pilule . Le premier correspond à une
perte de richesse pour les actionnaires ; les pilules ont pour objectif
d'augmenter les coûts d'une OPA pour l'offreur donc la probabilité
pour que la firme reçoive une offre de rachat diminue. Ainsi la
probabilité pour que les actionnaires de la cible touchent la prime
liée au rachat est réduite. Ce premier effet correspond à
une baisse des cours . Notons que cet effet peut être pollué
par le fait que beaucoup de managers attendent que l'OPA soit imminente pour
adopter une ou des pilules empoisonnées. Le deuxième effet
augmente la richesse des actionnaires car la pilule accroît le
pouvoir de négociation des managers vis à vis de l'offreur. La
pilule peut être désactivée par les managers en cas
d'accord trouvé avec l'offreur, ils vont ainsi pouvoir négocier
une prime de rachat plus élevée, ce qui est en accord avec les
intérêts des actionnaires de la cible. Le troisième effet
n'est pas évoqué par Comment et Schwert (1995), il est lié
à l'enracinement des managers . La pilule en augmentant les
coûts pour l'offreur isole les managers de la discipline imposée
par le marché.
Ainsi Borokhovich, Brunarski et Parrino (1997) mettent
en évidence le fait que les PDG des firmes ayant adopté des
clauses anti-OPA étaient mieux rémunérés que la
moyenne des PDG des firmes de leur échantillon. Non seulement ces PDG
étaient mieux payés que la moyenne avant l'adoption des pilules
mais leur rémunération a augmenté durant les trois
années qui ont suivi l'adoption. Borokhovich, Brunarski et Parrino
(1997) en déduisent que les PDG ont utilisé les clauses anti-OPA
pour augmenter encore leur niveau de rémunération. Cheng, Nagar
et Rajan (2001) cités par Arye Bebchuk et Fried (2003) trouvent que les
PDG des firmes implantées dans des états ayant promulgué
des lois anti-OPA entre 1984 et 1991, ont ensuite réduit leur part dans
le capital de la firme d'en moyenne 15% ; apparemment parce qu'une telle
participation ne leur était plus nécessaire pour maintenir le
contrôle.
Les études empiriques plaident donc en faveur d'un
enracinement des managers, permis par l'adoption des pilules
empoisonnées.
Une fois ces trois effets mis en évidence, la
difficulté est d'identifier les facteurs qui vont faire que tel ou tel
effet va dominer les deux autres (composition du conseil
d'administration, part du capital détenue par les managers...) .
Brickley, Coles et Terry (1994) ont fait une démarche
en ce sens en cherchant à vérifier l'hypothèse selon
laquelle les conseils d'administration dominés par des administrateurs
internes utilisent les pilules empoisonnées pour empêcher les
rachats (ils ne désactivent pas la pilule même si l'offre est
intéressante pour les actionnaires) tandis que les conseils
dominés par des administrateurs externes utiliseraient les pilules pour
négocier des primes de rachat plus élevées .
Il trouvent qu'en moyenne les investisseurs réagissent
plutôt favorablement (+ 0.94) à l'annonce de pilules lorsque le
conseil de la cible est dominé par des administrateurs externes et
réagissent plutôt défavorablement ( 0.31%) lorsque le
conseil est dominé par des administrateurs internes. Si ils n'ont pas
réussi à montrer que les offres de rachat lancées contre
des cibles dominées par des administrateurs externes
réussissaient plus fréquemment que les offres lancées
contre des cibles dominées par les managers, ils ont en revanche
montré que la présence d'administrateurs externes favorisait
l'évolution de l'offre vers une enchère. Lorsque les cibles sont
dominées par des administrateurs externes, 85.7% des offres
évoluent vers une enchère (bataille entre offreurs) alors que
lorsque le conseil des cibles est dominé par les managers, seules 23.5%
des offres évoluent vers une bataille entre offreurs. Ces batailles
entre offreurs sont évidemment profitables aux actionnaires de la cible
et défavorables au actionnaires de l'acheteur.
En définitive les études empiriques
réalisées sur l'impact de l'adoption de pilules sur la richesse
des actionnaires constatent toutes un effet négatif . Cependant il
n'y a pas de consensus quand à l'ampleur de cet effet (Malatesta et
Walkling 1988, Ryngaert 1988, Lee 1988 cités par Chakraborty et Baum).
L'impact des pilules sur la richesse des actionnaires de la cible dépend
de nombreux facteurs tels que l'opportunisme des managers, lui même
lié à la composition du conseil d'administration . La
situation financière de la cible et la stratégie mise en oeuvre
avant l'adoption de la pilule sont aussi à prendre en compte.
Ce qui est claire en revanche c'est qu'en cas de rachat, la
présence de pilules empoisonnées réduit les gains des
actionnaires de la firme acheteuse.
Les clauses anti-OPA, qui certes augmentent les coûts
pour l'offreur, ont été présentées par certains
comme la cause de la diminution brutale du nombre d'OPA à la fin des
années 80. Que savons nous sur cette question ?
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